La Coopération Multilatérale et la Question de l'Eau au Bassin du Nil( Télécharger le fichier original )par Christine A. ISKANDAR BOCTOR Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP) - DEA (Master) en Relations internationales 2002 |
b) La croissance démographique116(*)La règle mise en évidence par Malthus, dite de la « progression géométrique » (doublement de la population tous les 25 ans), trouve son point d'application dans nombre de pays du Moyen-Orient. En effet, cette région est l'une des zones au monde la plus dynamique sur le plan démographique. Tous les Etats connaissent des taux de croissance démographique très rapide de, dans certains cas, nous pouvons même parler d'explosion démographique. Toutes les populations arabes ont, sans exception, une croissance supérieure de la moyenne des pays développés (19% par an117(*)). Dans les pays pauvres de la région où le contrôle des naissances commence à se développer, seuls les groupes sociaux les plus favorisés recourent au planning familial. Les statistiques fournies par les grandes organisations internationales (Banque mondiale, Conseil mondial de l'eau, Office d'analyse et de prévision de l'UNESCO, et l'ONU) sur les ressources en eau potable à l'échelle de la planète sont alarmantes. Selon les derniers chiffres rendus publics, 1.4 milliards d'êtres humains n'ont pas, aujourd'hui encore, d'accès direct à l'eau potable ; près de 80 pays connaissent des difficultés d'approvisionnement en eau, représentant 40% de la population mondiale ; l'accroissement de la demande mondiale en eau potable devrait atteindre 82% pour la période 1995-2025118(*). Par ailleurs, l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation (OAA / FAO) a développé une échelle permettant d'évaluer la situation hydrique de différents États. Une situation hydrique suffisante a été fixée à 1700 m3 d'eau par personne et par an. En deçà de 1000 m3 d'eau par personne et par an, le consommateur se retrouve en pénurie hydrique. Dans cette situation, nous multiplions les obstacles au développement, et l'exploitation des sols faite incorrectement risque de mener à une sérieuse dégradation de l'environnement. Entre ces deux extrêmes, nous considérons que les États sont en stress hydrique, c'est-à-dire que la situation est préoccupante. En 1950, six États souffraient de pénurie hydrique (hormis la Libye, tous les autres étaient des îles ou des micros États) En 1995, la situation est devenue beaucoup plus inquiétante : nous retrouvions dix-neuf États en situation de pénurie hydrique, représentant environ 160 millions de personnes et principalement situés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En outre, onze autres États avec une population de 270 millions de personnes sont victimes de stress hydrique. Les projections moyennes pour 2050 sont encore plus alarmantes : 2.3 milliards de personnes devraient souffrir de stress hydrique et 1.7 milliards se retrouveront dans un contexte de pénurie hydrique. La population du Nil atteindrait aujourd'hui (juillet 2001) 333.952.233 millions de personnes119(*). Si le taux actuel d'accroissement se maintient, elle atteindra près d'un milliard en 2050, tirait en mars 1998, le quotidien économique britannique « Financial Times » dans ses colonnes consacrées à l'actualité internationale120(*). L'Egypte et le Soudan réaliseront ensemble plus de 220 millions de personnes en 2051121(*). Face à une demande croissante, les ressources en eau ne sont pas renouvelables et tendent à s'épuiser. Ainsi, en 1972, un Egyptien disposait de 1600 mètres cubes d'eau par an (pour sa consommation, l'industrie et l'agriculture). En 1992, nous étions descendus à 1200 et nous sommes déjà arrivés à 950 mètres cubes d'eau par an en l'an 2002, et ça sera 500 mètres cubes par an en l'an 2025122(*) pour l'Egypte, l'Ethiopie, la Syrie et la Tanzanie. Les conséquences inquiétantes ont suivi dans certains pays une politique inconsidérée de gestion de l'eau : en fait, les différents pays de la région ont davantage géré l'eau en termes de distribution qu'en termes de maîtrise et d'économie. Face à une croissance démographique rapide combinée à un développement économique et social qui avale les ressources hydrauliques, le fossé se creuse inexorablement123(*). L'utilisation des eaux du Nil par l'Ethiopie, le Soudan et l'Egypte est devenue, en raison de l'explosion démographique et de l'urbanisation croissante, une question de survie pour ces sociétés124(*). Le complexe de l'aval est souvent, de façon plus ou moins légitime, à l'origine des nombreuses discordes opposant ces Etats sur ce sujet. La peur de voir réduire le volume d'eau du Nil, à cause de l'utilisation massive par les pays en amont du fleuve, est généralisée à l'ensemble des Etats du bassin nilotique. Il y a en Egypte une course entre l'eau, la terre et la population dont nul ne peut prévoir aujourd'hui l'issue. Elle est la troisième nation importatrice de céréales dans le monde. Donc, des facteurs obligent Le Caire à centrer sa politique de sécurité sur un approvisionnement constant des eaux du Nil125(*): elle fait face à une pression démographique constante, elle possède une superficie agricole faible et le pays a connu une forte hausse de consommation d'eau depuis 1959. Le Caire et Khartoum se verraient alors sans doute dans l'obligation de renégocier un partage des eaux du Nil en vue des nouvelles exigences formulées par le Soudan, qui évalue ses besoins réels entre 27 et 30 milliards de mètres cubes d'eau par an126(*) (sa quote-part actuelle pour les eaux du Nil étant de 18.5 milliards de mètres cubes). L'Ethiopie est confrontée par une forte explosion démographique passant de 18 millions à 65 millions d'habitants entre 1950 et 2001, ce malgré la perte de l'Erythrée en 1993. Pour ces raisons, Addis-Abeba considère qu'elle est fondée à utiliser à sa volonté propre les eaux du Nil pour ses besoins croissants et elle envisage d'augmenter sa surface cultivable ainsi que sa capacité hydroélectrique. La population de l'Ouganda est passée de 8 millions d'habitants en 1950 à 23 millions de nos jours. La population de la Tanzanie s'est accrue de 8 millions d'habitants en 1950 à 36 millions aujourd'hui. C'est dire si ces pays qui connaissent des déficits alimentaires majeurs, envisagent eux aussi d'irriguer d'importantes surfaces pour l'agriculture : environ 200 km2 pour la Tanzanie, 150 km2 pour l'Ouganda et 50 km2 pour le Kenya. L'augmentation rapide de la population et les exigences croissantes pour le développement économique en Egypte, au Soudan, et en Ethiopie, rendent plus pressant le besoin de réalisation d'un plan nouveau pour l'exploitation et la conservation des eaux du Nil. Aujourd'hui, le débit du Nil est réglé par six barrages (réservoirs) ; un en Ouganda sur le Nil blanc ; un autre en Egypte - Haut Barrage d'Assouan ; enfin les quatre derniers au Soudan. Comme tous les pays de la zone arabe, l'Irak est aussi confronté à une augmentation importante de la population. Il est passé d'un million d'habitants à sa création en 1920, à 24 millions aujourd'hui malgré deux guerres dont celle avec l'Iran où il a perdu d'un million d'hommes. La Jordanie, avec une population passée de 400 milles à presque 5 millions d'habitants entre 1925 et l'an 2000, la Jordanie, qui est retournée à ses frontières d'avant 1948 en abandonnant son autorité sur la Cisjordanie, connaît des problèmes dramatiques d'approvisionnement en eau. Dans les différents accords et traités passés entre la Jordanie et Israël, le volet hydrologique est très important car il porte non seulement sur un partage des eaux du Jourdain et leur utilisation mais encore sur l'engagement d'Israël à livrer et à fournir de l'eau en Jordanie. Israël devra trouver 80 millions de mètres cubes supplémentaire de la Jordanie pour sa part environ 500 millions. Toutes les analyses prospectives montrent que l'ensemble géopolitique formé par Israël, la Syrie du Sud, le Liban du Sud, la Jordanie et les territoires palestiniens sont d'ores et déjà dans un état de pénurie extrêmement alarmant en matière d'eau. D'un point de vue géopolitique, la question se pose de savoir si ce problème était la source de nouveaux conflits ou si au contraire, il ne contraignait par les protagonistes à trouver des solutions régionales à un problème déterminant qui dans 30 ans risque de devenir un problème quasiment obscur. La comparaison de la consommation moyenne d'un Israélien est de 300 m3 par personne et par an (m3/p/an), et de celle d'un Palestinien est de 100 m3/p/an dans les Territoires occupés127(*). Nous pouvons retenir, pour le nombre d'habitants en 2020, les estimations suivantes128(*): 10 millions pour les Israéliens, et 5 millions pour les Palestiniens ; à partir de là, nous pouvons suggérer des quantités d'eau propres à garantir la sécurité d'approvisionnement de chaque partenaire, et principalement à partir de ressources situées dans chaque territoire respectif. Nous considérons que 65% des fournitures d'eau à usage urbain peuvent être recyclés pour être réutilisées dans l'agriculture, l'industrie, et pour les besoins urbains en eau non potable. Après 2020, avec l'augmentation de la population et de la demande de l'eau, il ne sera aucun doute nécessaire d'augmenter les importations d'eau et / ou le dessalement de l'eau de mer. A l'égard de l'explosion démographique, les pays du Moyen-Orient souffrent d'une distribution inégale entre les pays. Ces pays peuvent être classés en trois129(*) groupes différents : ceux qui disposent de ressources renouvelables qui peuvent subvenir aux besoins de leur développement économique comme le Liban et la Turquie, ceux qui disposent d'une disponibilité hydraulique assez satisfaisante mais qui dépendent surtout de ressources renouvelables externes provenant de pays voisins, le cas de l'Egypte, de la Syrie et de l'Irak. Et enfin ceux où la situation paraît véritablement dramatique, c'est le cas d'Israël, la Jordanie, la Cisjordanie et Gaza, ils souffraient de l'an 2000 d'un déficit permanent en eau de l'ordre de 30%. Or, l'Etat hébreu et la Jordanie utilisent déjà la totalité de leurs ressources hydrauliques propres. Israël, la Jordanie, la Syrie et l'Irak ont ainsi des taux d'utilisation de leurs ressources internes compris entre 100 et 200 % (2000% pour l'Egypte)130(*). Bref, l'eau et le partage de l'eau apparaissent de plus en plus tant comme des motifs de guerre que comme des enjeux politiques d'une importance croissante, du fait de la mauvaise répartition de la ressource, mais aussi de la nécessité de garantir un approvisionnement au moins constant, sinon en augmentation, afin de garantir l'avenir de populations en expansion encore rapide. * 116 * 117 * 118 * 119 * 120 * 121 * 122 * 123 * 124 * 125 * 126 * 127 * 128 * 129 * 130 |
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