B. c La révanche de l'individu »86 : flux
réligieux et migrations dans le golfe de Guinée
L'espace golfe de Guinée est aussi en proie depuis peu
à une augmentation de nouveaux acteurs religieux et à des
mouvements migratoires. S'agissant des flux religieux, on peut noter deux
grandes tendances : la diffusion des Eglises, notamment dans la partie sud du
golfe de Guinée, et celle de l'islam dans sa partie Nord.
Il faut reconnaître que la présence du
christianisme et de l'islam n'est pas un phénomène nouveau.
Cependant, la diffusion de ces religions sous une certaine forme s'accentue
depuis un peu plus d'une décennie. Ainsi, « les
dénombrements exhaustifs d'Églises récemment
effectués par des coordinations d'Églises
évangéliques dans plusieurs pays du golfe de Guinée, sur
une initiative et des financements nord-américains, peuvent
accréditer cette interprétation »87.
Un peu partout fleurissent des communautés chrétiennes
influencées par des prédicateurs américains
prosélytes, qui prônent un « christianisme radical et
ultraconservateur »88. Au Congo, par exemple, les guerres,
la peur de l'insécurité, l'enrichissement rapide de certains
groupes proches des pouvoirs successifs ont donc renforcé des
polarisations socio spatiales qui étaient relativement faibles à
Brazzaville avant 1991. Les quartiers résidentiels aisés sont peu
étendus, mais l'on y observe une concentration significative des sieges
d'Églises exogènes à forts moyens.
Dans l'espace nord du Nigeria, nord et centre du Tchad, nord
du Cameroun et dans une certaine mesure nord Centrafrique, qui se situe sur une
bande proche du Sahel, on retrouve un mouvement des musulmans sous l'impulsion
des imams venus du golfe arabo persique et du Maghreb. Il s'agit d' «
un déferlement agressif et intensif »89, par la
mesure des moyens mis en oeuvre et la qualité des acteurs : Arabie
Saoudite, Soudan, Koweït, Maroc, etc. En ce sens, «
l'émergence des organisations islamiques, en milieu non musulman, voire
même musulman, [est] ressentie avec frayeur a cause de la
crainte d'une dérive islamiste et islamisant
»90.
86 Concept qui explique le rôle de plus en
plus important qu'acquiert l'individu dans les relations internationales,
jusque très stato-centrées. Nous l'empruntons à Bertrand
BADIE qui l'a développé dans << Flux migratoires et
relations transnationales » in Etudes internationales, vol. 24,
n°1, 1993, pp. 7-16
87 Élisabeth DORIER-APPRILL et Robert ZIAVOULA,
<< La diffusion de la culture évangélique en Afrique
centrale: Théologie, éthique et réseaux »
Hérodote, n° 119, La Découverte, 4e trimestre 2005,
p.129
88 Ibidem
89 Gondeu LADIBA, << L'émergence des
organisations islamiques au Tchad : causes, enjeux et territoires » in
Enjeux, n° 21, Octobre-Décembre 2004, p.17
90 Ibidem.
Par ailleurs, les Etats du golfe de Guinée sont le
théâtre, comme toute l'Afrique, de nombreuses migrations. Ceci est
surtout dû à la perméabilité des frontières,
à la présente dans plusieurs pays à la fois des
mêmes peuples, ignorant donc les tracés de territoires.
Déjà, la dynamique de l'Etat concourt à développer
et à politiser tout mouvement de migration. Pour Bertrand Badie, le
transfert de l'allégeance communautaire vers l'allégeance
étatique implique, au moins, que l'individu soit connaissable,
localisable, doté d'un domicile fixe91. Ce qui peut expliquer
les difficultés de capture des populations nomades par les gouvernements
tchadien, camerounais ou nigérian. Ainsi d'ailleurs, l'arbitraire du
découpage de l'Etat-nation maintient la mobilité permanente des
populations tribales africaines dont la structure communautaire exclut toute
territorialisation.
Une autre forme de ces mouvements de populations, souvent
sources de tensions même entre Etats, reste le phénomène
des diasporas. L'augmentation de la production énergétique dans
un Etat suscite la fascination des populations des Etats voisins qui
perçoivent le pays producteur comme un nouvel Eldorado. Or, la constance
des diasporas constitue une situation susceptible d'encourager l'affirmation
nationale des Etats d'accueil ; « ils deviennent un prétexte
pour la résurgence de l'orgueil nationaliste des populations d'accueil.
Cette affirmation nationale glisse parfois dans la xénophobie et a une
incidence considérable sur les relations internationales
»92. On ne peut, de ce fait, pas être
étonné par les refoulements à répétition qui
structurent les agissements gabonais et équato-guinéen concernant
la migration camerounaise.93 Si « la xénophobie ici
est un processus de construction des citoyennetés gabonaise et
équato-guinéenne ; d'affirmation de leur identité
nationale et d'endiguement de l'influence camerounaise
»94, il faut reconnaître que les diasporas ont
toujours eu du mal en Afrique subsaharienne chaque fois que leur nombre
grandit. Toutefois, l'observation de l'échange des diasporas entre le
Cameroun, le Gabon, et la Guinée Equatoriale révèle la
démarcation du
91 Bertrand BADIE, op. cit., p.13.
92 Yves Alexandre CHOUALA, << Le marquage
diasporique du jeu interétatique de l'Afrique du golfe de Guinée
(Cameroun, Gabon, guinée équatoriale) », in Enjeux,
n°13, Octobre -Décembre 2002, p. 23.
93 Lors de la fête de son parti le 17 juillet
2000 au palais des congrès de Malabo, le président OBIANG NGUEMA
déclarait : Faites attention aux étrangers et surtout aux
Camerounais, car ces derniers ont eu de l'argent du pétrole avant, et
leurs gisements pétroliers étant déjà
épuisés, ils cherchent à nous envahir, cité
par Yves Alexandre CHOULA, (2), << la crise diplomatique de mars 2004
entre le Cameroun et la GuinéeEquatoriale : fondements, enjeux et
perspectives », in Polis, volume 12, 2004-2005.
94 Yves Alexandre CHOUALA, (2), ibidem.
Selon l'auteur, dans le golfe de Guinée en général,
le Nigeria et le Cameroun constituent des puissances diasporiques. Avec
près de quatre millions de ressortissants installés sur le sol
camerounais, près de 50.000 en Guinée Equatoriale et au moins
10.000 au Gabon, le Nigeria s'affirme sans doute comme la puissance diasporique
du golfe de Guinée. Les Camerounais au Gabon avoisinent 50.000 et en
Guinée Equatoriale ils sont près de 20.000.
premier par rapport aux seconds. Ces diasporas vivent entre
deux Etats, celui de provenance et celui d'accueil. Leur existence quotidienne
s'insère dans des multiples espaces interstitiels de sociabilité
; d'où l'hypothèse de (( citoyens de deux Etats et demi
» dont parle Yves Alexandre Chouala, c'est-à-dire l'Etat
d'origine, l'Etat d'installation et les multiples réseaux associatifs,
affectifs ou ethniques dans lesquels s'investissent les diasporas entrainant
aussi ce que Bertrand Badie appelle (( ía crise de ía
citoyenneté »95. En tout état de
cause, les échanges entre ces groupes peuvent concerner les armes
légères, les drogues ou encore les pratiques liées
à criminalité transfrontalière, productrices de crise de
l'ordre étatique96.
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