Au terme de cette réflexion, il convient de retenir
que la retraite est une construction sociale, dont la compréhension
requiert de se départir d'une approche simpliste et déterministe
qui consiste à faire une projection des conclusions obtenues à
partir des problématiques constatées dans d'autres contextes
sociaux. Nous voulons parler ici des contextes occidentaux.
En analysant le cas particulier de la Côte d'Ivoire,
nous remarquons que les retraités connaissent des difficultés
particulières dans la reconstruction de leur parcours de vie
post-retraite. Cette particularité nous conduit à conclure qu'en
Côte d'Ivoire, les logiques de prise en charge institutionnelle, les
représentations de la vieillesse, la structuration standardisée
du parcours de vie, font rimer retraite avec vieillesse, retraite et
incapacité intellectuelle et/ou physique.
Ainsi, le statut des retraités, leurs conditions de
vie difficile, les problématiques inhérentes à la
reconstruction de leurs parcours de vie, à la participation sociale des
retraités, sont des construits sociaux et institutionnels qui
contribuent à les maintenir dans l' « oubli social ».
Or, la pluralité des sorties du marché de
travail, fait des retraités actuels, un groupe
hétérogène qui se particularise par sa relative jeunesse,
ses capacités à participer à la vie
socio-économique et son choix de résider en milieu urbain. Les
retraités et avec eux, les seniors se trouvent engagés dans un
contexte social particulièrement complexe et fait de pluri
rationalités.
Ceci implique d'une part que ces acteurs sociaux en rupture
biographique, aient les ressources (identitaire, politique, culturelle,
sanitaire, psychologique) et d'autre part qu'ils développent des
stratégies nécessaires au processus d'adaptation, de
résistance et d'innovation.
Cette observation indique que le phénomène du
vieillissement en général et de façon particulière
celui de la retraite, mérite aujourd'hui autant de réflexions
que
les autres thématiques du fait de sa dynamique et de la
précarité de la vie des retraités.
Mais et surtout parce qu'elle met en exergue une
problématique anthropologique, celle de la conservation des
particularités culturelles dans un champ sociohistorique marqué
par la dynamique socioculturelle et la tendance actuelle à faire
converger tous les modèles économiques, culturels, politiques,
éducationnels.
Comment répondre aux défis que soulève
une telle exigence anthropologique surtout quand il s'agit du vieillissement,
inscrit dans ce processus de transition culturelle, politique,
éducationnelle et surtout au regard de ses conséquences sur les
rapports intergénérationnels ?
En conséquence, par rapport à cette
interrogation qui va certes soulever des réflexions théoriques,
et épistémologiques et des recherches visant à construire
des politiques d'actions en faveur des seniors en Côte d'Ivoire, il
découle de l'ensemble de ces travaux les acquis suivants:
I : De la nécessaire socialisation anticipatrice
à la retraite
L'anticipation à la retraite concerne l'ensemble des
procédures politiques et des stratégies qui préparent le
retraité à mieux s'engager dans la transition biographique
qu'impose la désocialisation professionnelle ; mais et surtout à
réussir sa resocialisation, afin qu'il puisse (re) utiliser son «
capital longévité » pour une vieillesse réussie.
Mais cette institutionnalisation de l'« éducation
trouve son fondement dans une alternative paradigmatique.
II- La référence au paradigme de la
complexité comme une alternative au paradigme déterministe et
mécanique de la structuration du parcours de vie.
Le paradigme de la complexité est l'alternative
à la dialectique retraite/mort sociale. Elle fonde une nouvelle
rationalité qui intègre la personne retraitée dans une
logique de pluriactivité et légitime les réflexions des
facteurs sociaux du vieillissement actif. De façon pratique, cet
intérêt s'illustre par la déconstruction de la
corrélation « retraite mort /sociale ». C'est le
troisième de cet essai.
III : De l'intérêt de la
déconstruction de la corrélation « retraite-Vieillesse
» ou « retraite-mort sociale » dans le processus de
vieillissement actif et la quête de longévité.
L'étude recommande d'inscrire le
phénomène de retraite dans une perspective de «
destandardisation » du parcours de vie. Car la révolution de la
longue vie et les recompositions sociales qui l'accompagnent, en plus de
brouiller les repères temporels, ont contribué à brouiller
l'assimilation entre les temps biologiques et les temps sociaux.
La topographie de la vieillesse se transforme de plus en plus,
en même temps que s'entrecoupent et se reconfigurent les étapes du
cycle de vie. Les personnes âgées ont plus besoin d'être
reconnues que d'être assistées. Parce que l'avancée en
âge ne doit pas signifier une " mort sociale ",
La déconstruction de la corrélation «
retraite-Vieillesse consiste à indiquer que les retraités peuvent
continuer à étudier, ils peuvent continuer à travailler,
à s'investir dans des projets économiques, culturels, politiques,
parce que l'éducation et la formation ne doivent plus être
corrélées aux deux premiers âges. La répartition
tripartite du parcours de vie ne doit plus orienter les politiques de gestion
des seniors, mais elles doivent s'adapter à la dynamique du
phénomène de retraite.
C'est donc l'immobilisme de la prise en charge, ou la
continuité de la logique socioculturelle de l'administration coloniale
à propos de la retraite qui conduit au constat suivant :
1- Les retraités ne bénéficient pas de
véritables politiques visant à les préparer et à
mieux gérer cette transition biographique.
2-Aucune politique d'accompagnement social,
économique, psychologique et culturel et sanitaire n'est faite en faveur
des seniors, pour qui la retraite ne rime plus avec « mort sociale »
et « vieillesse ».
La gestion institutionnelle de la retraite en Côte
d'Ivoire, ne prend pas en compte les nouvelles réalités
sociologiques qui caractérisent le phénomène de la
retraite en Côte d'ivoire. La gestion de la retraite en Côte
d'Ivoire reste encore tributaire de cette logique ternaire de la subdivision du
parcours de vie. C'est ce qui justifie que les grandes lignes de la gestion
administrative soient focalisées sur trois axes : réception des
dossiers, liquidation de la retraite et gestion des pensions des
retraités.
IV- De la nécessaire valorisation des seniors ou
« l'Ebébulisation » de la société ivoirienne
dans le processus de quête de longévité
Il s'agit donc d'abandonner, d'une part, les lectures
« misérabilisantes », « avilissantes
» de la vieillesse qui ont pour matrice, le paradigme du déclin,
qui associe de fait « vieillesse et fragilité », «
vieillesse et dérèglement du système immunitaire »
« vieillesse et déficience cognitive »,
etc. et d'autre part
l'homogénéité du cycle de vie.
Fort de tout ce qui précède, nous disons que la
retraite, la bonne retraite, la vieillesse réussie, le vieillissement
actif, la vieillesse active, le vieillissement réussi, sont autant de
concepts qui désignent une réalité sociale, qui se
caractérise par la capitalisation des capacités fonctionnelles,
intellectuelles, relationnelles, économiques, psychologiques, religieux
et politiques. Une vieillesse réussie se construit, depuis
l'étape de la jeunesse. Il importe donc d'éduquer, de
sensibiliser, d'informer.
Ce travail de recherche ouvre donc un vaste chantier de
réflexion scientifique transdisciplinaire à propos du
vieillissement mais et surtout du vieillissement actif, du vieillissement
réussi, c'est le chantier « du comment passer du vieillir simple au
mieux vieillir ». Tel est le défi actuel et futur des africains en
général et particulièrement des Ivoiriens comme un projet
personnel, communautaire, collective et institutionnel. En d'autres termes,
comment éveiller la conscience de la longévité et
développer les comportements appropriés ?
De vastes chantiers attendent donc des chercheurs de
disciplines diverses (sociologie, anthropologie, médecine, psychologie,
démographie, économie, etc.), pour rendre plus intelligible le
phénomène du vieillissement en Afrique dans un contexte de
transition culturelle, économique et social, afin de permettre aux
décideurs politiques de construire de véritables programmes
sociaux à court, à moyen et à long terme.
Cette étude vient contribuer ainsi à
sensibiliser les chercheurs, les gestionnaires, les politiques, à propos
de l'émergence de « l'homo senectus » et des implications
sociales en termes de défis :
Les points qui méritent d'être approfondis sont
:
· les constructions de l'aînesse sociale dans un
contexte de transition culturelle, économique, et politique;
· les pathologies gériatriques spécifiques en
Cote d'ivoire;
· les modèles traditionnels qui survivent comme
source de potentialisation du vieillissement réussi ;
· les facteurs endogènes au vieillissement
réussi;
· les logiques et les formes d'actualisation du pouvoir des
vieux;
· les réponses du système sanitaire aux
besoins de santé des seniors. En somme, comment intégrer la
question du vieillissement actif dans tous les programmes développement
humain durable, à court, moyen et long terme ?