1
INTRODUCTION
Lorsqu'on ose réfléchir sur la difficile question
de la liberté, il est d'usage de critiquer les
diverses formes de déterminisme. Mais lorsqu'on
entreprend d'établir que l'homme est libre, on n'explique pas souvent ce
que c'est qu'etre libre. « Bien plus, on suggère, sans y
prendre garde, que la liberté consiste dans le simple fait de n'etre pas
déterminé »1. Or, la liberté
elle-même est un concept complexe et sa définition n'est pas
univoque ; elle varie selon les penseurs et les courants philosophiques.
Ainsi, l'existentialisme sartrien, l'un des courants
philosophiques qui mettent un accent particulier sur l'existence humaine, place
à sa manière la question de la liberté au coeur de son
projet philosophique. Le principe selon lequel « l'existence
précède l'essence » se trouve être un credo qui
rapproche tous les existentialistes. Mais la suppression de la transcendance
constitue pour certains le point de désaccord. C'est ainsi que le
courant existentialiste apparaît en deux tendances différentes :
d'une part l'existentialisme chrétien représenté par
Gabriel Marcel et l'existentialisme athée farouchement défendu
par Jean-Paul Sartre d'autre part. Avec l'existentialisme chrétien,
notamment chez Pascal, l'homme fait l'expérience de l'absence d'un Dieu
caché qui laisse encore des signes aux hommes pour les orienter dans
leurs actions. Or, avec l'existentialisme athée de Sartre,
l'expérience de l'absence de Dieu que l'homme fait est totale. L'homme
devient, de ce fait, conscient d'etre lui-même le seul législateur
de son tableau de valeurs.
Sartre appréhende l'homme comme une existence sans
essence, sans détermination préalable, ni quant à sa
constitution, ni quant aux règles de son action. Il est donc absolument
libre et responsable de son destin. La question qu'on peut se poser est celle
de savoir si ce qui compte chez Sartre c'est de faire de l'homme une
liberté ontologique s'arrachant à « l'en-soi »
de la réalité, de la situation sociale ou historique ;
comment ce projet individuel va s'ériger en principe
général pour prendre en compte l'ensemble de l'humanité ?
Autrement dit, si c'est chacun qui décide à chaque
instant du sens et de la valeur de toutes choses, est
il possible de se mettre d'accord sur un projet collectif ?
Quel avenir
pour un homme sans valeur aucune, condamné à
l'individualisme par rapport à la dignité de la personne humaine
que Sartre déclare en même temps vouloir sauver ? Si être
libre signifie absence de toutes contraintes extérieures pouvant
déterminer ou orienter l'action de l'homme, en quel sens peut-on parler
de morale dans la pensée de Sartre ? Et s'il y avait une
1 J. BARTHELEMY, Structure et dimensions de la
liberté, Ed. De l'école, Paris, 1956, p. 7.
morale chez Sartre, sur quoi est-elle fondée ? Ce sont
ces questionnements qui orienteront notre réflexion. D'abord, en vue
d'établir le point de vue de Sartre selon lequel « la
liberté c'est l'être de l'homme », nous devons, dans un
premier temps, procéder à l'analyse de ce que Sartre appelle
"l'être" dans son rapport avec le "néant" et
mettre au jour les caractéristiques de celui-ci ; dans un second temps,
nous étudierons les implications des rapports de "l'être"
avec "autrui", et nous aborderons, enfin, la question du fondement de
"la liberté" qui constitue le point principal de notre travail,
question qui nous amènera, évidemment, à examiner la
conception sartrienne de la morale.
3
I. LE RAPPORT ENTRE L'ETRE ET LE NEANT
En philosophie, depuis les présocratiques jusqu'aux
contemporains comme Heidegger, Sartre, l'rtre n'est pas défini comme une
matière brute, comme un étant. Sa véritable nature est une
réalité cachée que nous pourrons "présenter et
supposer" dans un étant mais dont nous ne pouvons avoir la saisie
complète puisque « l'être est au-delà des
conditions matérielles de l'existence sensible » dit
Heidegger2.
Dans cette perspective, nous comprenons que si nous ne
parvenons pas à posséder l'rtre, c'est parce qu'il est fuyant,
qu'il nous échappe, autrement dit, il est "négation"
c'est-àdire qu'il est en mrme temps absent et présent. C'est cet
aspect de l'rtre que nous allons faire apercevoir dans les lignes qui
suivent.
I.1 #177; 3tisIntation
AGIAl'êttIAItAGIAl'otiginIAGuAnéant.
L'rtre est une réalité vécue par la
conscience. La négation c'est "la faculté consistant à
apporter des jugements pour établir une comparaison entre le
résultat escompté et le résultat obtenu". Ce qui
signifie, en d'autres termes, que la réalité ne surgit pas en
tant qu'elle est investie, elle est toujours séparée de ce
qu'elle n'est pas et c'est dans le mouvement « d'interrogation qui
traverse tout, que s'organise l'etre dans le monde».3 Or,
le concept de « Néant » revêt plusieurs
définitions variant avec les courants de pensée. De son
étymologie latine "non nihil", le mot signifie "contraire
de quelque chose''4 ; et ce mot fut employé par les
présocratiques, en particulier Parménide qui l'assimile au
"non-être" avec son fameux énoncé : «
l'etre est, le non-etre n'est pas a». En d'autres mots, pour
l'Eléate, le néant est ce qui n'est rien. Il est identifié
à "l'Un" supérieur à "l'Etre". Au fil
des siècles, la conception du néant a encore réapparu,
précisément dans la pensée chrétienne, de
manière décisive dans la formulation mrme de l'idée de la
création qui consiste à conférer l'existence «
à partir du néant » "ex nihilo". Pour les
chrétiens donc, le caractère fini des créatures est
justement le signe de leur provenance du néant. Chaque courant ou
tendance philosophique donne une conception particulière du
néant. Ainsi, le philosophe idéaliste Hegel, qui se
réclame de l'opposition parménidienne de l'rtre et du
néant, développe la thèse de leur identité à
partir du moment oil
2
M. HEIDEGGER, L'Etre et le temps, Paris, Gallimard,
1964, p.41.
3 J.P. SARTRE, L'être et le
néant, essai d'ontologie phénoménologique,
Paris, Gallimard, 1943, p. 41.
4 L.M MORFAUX, Vocabulaire de la philosophie et
des sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1996, p. 235.
5
on les pense comme indéterminés. Pour sa part,
Heidegger, notamment dans : Qu'est-ce que la métaphysique ?
(1929), considère le néant comme ce qui n'est ''rien à
l'étant" en ce qu'il ne se confond avec aucun «
étant » particulier. Bref, l'idée du néant
dépend donc du courant philosophique dans lequel on se situe.
De ce point de vue, notre préoccupation ici est de
retrouver le rapport qui existe entre l'rtre et le néant. Est-t-il
possible, dans cette recherche, de traiter le néant séparé
de l'~tre ? Ce serait plonger dans l'abstrait. Car, pour reprendre M. Laporte :
« l'on abstrait, lorsqu'on pense à l'état isolé
ce qui n'est point fait pour exister isolement ; le concret, par opposition,
est une totalité qui peut exister par soi-seule »5
telle une chose temporo-spatiale avec toutes ses déterminations. En ce
sens, et puisqu'elle recèle une origine ontologique, la conscience est
un abstrait, et réciproquement le phénomène est aussi un
abstrait puisqu'il doit ''paraître à l'etre". Le seul
concret c'est ''l'homme-dans-le-monde : l'etre-dans-le-monde
heideggérien". Et toute démarche visant à saisir
cette relation phénoménologique entre l'homme et le monde
commence par l'abstrait. Ceci, non pas par une simple sommation des
éléments constitutifs du concret. Alors pour pouvoir
découvrir cette totalité qu'est l'homme, il suffit de
procéder par des interrogations du genre : 1° Quel est le
rapport synthétique que nous nommons
"Etre-dans-lemonde" ? 2° Que doivent etre
l'homme et le monde pour que le rapport soit possible entre
eux?6 Ces deux questions sont jà l'évidence
complexes et complémentaires. Les réponses à celles-ci
nécessitent une sérieuse analyse des conduites humaines, des
conduites de l'Hommedans-le-monde, en tant que réalités
objectivement saisissables et non comme des affections subjectives qui ne se
découvriraient qu'au regard de la réflexion. Seule pareille
démarche peut nous dévoiler à la fois l'homme, le monde et
les relations qui les unissent.
Les conduites humaines sont à prendre dans toute leur
diversité : par exemple, je constate mon attitude en tant que l'homme
que je suis dans une attitude interrogative devant l'rtre, et je m'interroge :
« est-il une attitude qui puisse me révéler le rapport
de l'homme avec le monde ? »7. Cette question, non
seulement est objective puisque n'importe qui peut aussi la poser, mais elle
est aussi indifférence aux signes qui l'expriment. En ce sens, elle est
à considérer comme une attitude humaine pourvue de sens. Mais que
me révèle-t-elle ?
5 M. Laporte cité par J.P. SARTRE, L'etre
et le néant, essai d'ontologie
phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 38
6 Ibid.
7 Ibid.
La question me dévoile trois dimensions
transcendantales de l'tre : l'etre questionnant, l'etre questionné
et l'etre de ce sur quoi on questionne. De ce fait, la possibilité
de réponse est aussi variée. Le questionnant attend du
questionné une réponse, un dévoilement de son être
ou de sa manière d'tre. Ce dernier peut répondre par
''l'affirmatif'' ou par "le négatif''; c'est de ces
deux possibilités de réponse objective et contradictoire que
naît, par principe, la question de "l'affirmation" ou
de "la négation". Admettant que cette réponse soit
négative, cela suppose qu'on accepte d'rtre mis en face de la
non-existence de l'rtre ou d'une telle conduite. Car c'est l'rtre qui me donne
cette réponse et c'est donc lui qui me dévoile la
négation.
Le questionnant se trouve ici dans une possibilité
permanente et objective d'une réponse négative et se pose par
là-même comme en état de "non
détermination", car ne sachant pas si la réponse du
questionné sera affirmative ou négative.8 On se
retrouve ainsi en présence de deux "non-êtres" : le
non-être du savoir en l'homme et la possibilité du non-rtre dans
l'rtre transcendant menant par la suite jà l'existence d'un
troisième élément : « la vérité
» qui, en tant que différenciation de l'tre introduit un
troisième non-être comme déterminant la question, le
non-être de la limitation. Et toute interrogation aussi
métaphysique soit-elle est conditionnée par ce triple
non-être. Et enfin, c'est le non ~tre qui circonscrit la réponse
de l'tre questionné par cette réponse, on peut trouver l'tre
comme « cela » et « non autrement » ou en
dehors de « cela », « rien
»9.
:
La négation se présente, pour ainsi dire, comme
la qualité d'un jugement questionnant sur la présence d'une chose
et sur le pourquoi de l'absence d'une autre. Tous ces jugements subjectifs et
négatifs sont assimilés rigoureusement au jugement affirmatif.
Quant au néant, il tire son origine de ces jugements de
la négation. Il opère une union entre l'rtre et le
non-être.10 ,Il faut admettre que l'rtre qui est abstrait est
la manifestation de l'existant avec son essence. Nous pouvons illustrer cette
idée, avec Sartre, comme ceci : si je pense qu'il y a cent francs dans
mon sac et que j'en trouve cinquante, cela ne signifie pas que ma pensée
n'ait pas découvert le non-rtre des cents francs, mais c'est parce que
dans ma conscience je me suis posé la question de savoir pourquoi il y a
cinquante francs au lieu de cent francs. Ma conscience rend de la sorte
présent l'rtre abstrait des cent francs par la découverte des
cinquante francs qui le composent. C'est pourquoi Sartre affirme que «
le non-être apparaît
8 Ibid., p. 39.
9 Ibid., p. 42.
10 Ibid., p. 16.
7
toujours dans les limites d'une attente humaine. Il serait
donc vain de nier que l'on ne découvre pas les non-titres comme des
structure du néant et l'origine de la négation
»11.
Ainsi, selon Sartre, la condition qui rend possible la
négation c'est que "le néant hante l'etre qui est pleine
positivité". Cela signifie que l'rtre en effet n'a pas besoin du
néant pour se concevoir, il peut exister sans la "trace du
néant'' mais que ce néant ne saurait avoir qu'une «
existence d'emprunt ; c'est donc de l'etre qu'il prend son etre, son
néant d'être ne se rencontre que dans ses limites et la
disparition totale de l'etre. Elle ne serait pas que l'avènement du
règne du non-etre, mais aussi de l'évanouissement concomitant du
néant, il n'y a de non-etre qu'à la surface de l'etre
».12
Tout compte fait, et au regard de ce qui
précède, Sartre pose la question de l'tre conçu comme un
type de la conduite humaine. Il reconnaît à travers l'illustration
ci-dessus que si la négation n'existait pas, aucune question ne saurait
~tre posée sur l'rtre, que cette négation envisagée nous
renvoie au néant comme son fondement réel et son origine. En
plus, pour qu'il y ait de la négation dans le monde et pour que nous
puissions nous interroger sur l'tre, il faut que le néant soit
donné de quelque façon13. C'est en ce sens que
l'auteur de l'Etre et le Néant conçoit le néant
en dehors de l'tre dont seul l'homme est la réalisation complète.
Cependant, on peut se demander si l'rtre garde le mrme rapport avec le
néant, lorsqu'on aborde le néant d'un point de vue dialectique et
d'un point de vue phénoménologique ou si alors ce rapport
change.
I.2 - Les différentes approches du
Néant
· La conception dialectique du néant
: Après cette analyse du sens du néant en face
duquel l'homme se trouve dans une attitude permanemment
questionnante, il est intéressant ici de faire la lumière sur les
rapports de l'tre avec le non-être qui, selon notre auteur hante l'rtre.
Selon cette analyse, Sartre note un certain parallélisme entre les
attitudes humaines face à l'ktre et les attitudes que l'homme adopte
face au néant au sens oil l'on concevrait l'tre et le non-être
comme deux composantes complémentaires d'une mrme réalité
à la façon de la lumière et de l'ombre. ,Il faut aussi
souligner que si l'rtre et le non-être partagent une certaine
"contemporanéité", il serait vain de chercher à les
analyser isolément l'un l'autre si l'on veut
11 Ibid., p. 43.
12 Ibid., p. 51.
13 Ibid., p. 56.
parler de l'existant14. C'est ce que Sartre exprime
quand il dit que « l'tre pur et le non-être pur seraient deux
abstractions dont la réunion seule serait à la base des
réalités concrètes »15.
Dans cette perspective, l'existant est à
considérer comme une totalité synthétique de l'être
et du non-être. Il y a ici une sorte d'interdépendance et de
complémentarité entre l'être et le non-/tre comme entre
l'abstrait et le concret afin d'arriver à la réalisation de
l'Existant16. Et vouloir séparer l'être de son essence,
c'est le rendre plus abstrait et plus pauvre ; c'est en ce sens qu'il faut
comprendre l'affirmation de notre auteur qui dit que « l'être
coupé de l'Essence qui en est le fondement devient 'la simple
immédiateté vide' »17.
Il est important de souligner également que cette
conception hégélienne du néant comporte des
limites au sens où ce dernier réduit l'être à la
seule signification de l'existant, basée sur l'essence qui en est le
fondement et l'origine.
Sa logique consiste à chercher l'abstrait à
partir du concret et l'être à partir du phénomène ;
alors que, nous le savons, ce n'est pas de cette manière que
l'être se présente par rapport au phénomène, car
l'être et le néant ne s'opposent pas à la manière de
la thèse et de l'antithèse sinon ils seraient des
''contraires''. Le néant est plutôt le
''contradictoire'' de l'être parce qu'il est ''l'tre
posé, puis nié'. Cela implique une antériorité
de l'être sur le néant qui prend son efficace de l'être.
C'est ce que Sartre exprime en disant que le néant hante
l'être18.
H
· La conception phénoménologique
du néant : Nous venons de voir la
complémentarité
ou l'interdépendance mutuelle entre l'etre et le
néant ; l'un et l'autre étant présentés comme
composantes d'une meme réalité. Sans passer l'un dans l'autre
comme a fait Hegel, ni insister sur l'antériorité de l'un sur
l'autre, nous allons orienter notre investigation ici vers une analyse des
rapports de forces réciproques d'expulsion qu'exercent ces deux concepts
et dont le réel est le résultat de ces forces
antagonistes en nous appuyant sur l'approche heideggérienne.
Avec Heidegger, la notion du néant
transcende les apories dans lesquels on se plonge dès qu'on l'aborde, ou
du moins, ces apories n'ont de valeur qu'en tant que limites de l'entendement
humain. Dans l'étude de l'etre en tant que ''réalité
humaine'', Heidegger montre la légitimité de s'interroger sur
l'etre qui prend ici un caractère pré-ontologique. Selon lui
donc, on peut arriver à une saisie concrète du
néant, pas en tant qu'être abstrait comme dans la
ir4 .
bid.;
"j p 46
15 Ibid
16 Hegel cité par Sartre dans l'Etre et le
Néant, p 46
17 J.P. SARTRE, L'etre et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p 47
1j
bid.;
I p 49-50
9
conception hégélienne, mais en tant qu'il se
néantise. Et c'est à travers les nombreuses attitudes de
la ''réalité humaine'' telles que la haine, la
défense, le regret, l'angoisse etc.a que le ''Dasein''
peut se trouver en face du néant pour le découvrir et le
transcender19. Cette réalité humaine que Heidegger
nomme : « Etre-dans-le-monde » organise le monde autour de
lui de telle sorte qu'en le transcendant il annonce ce qu'il est. C'est donc en
le dépassant que le Dasein va réaliser la contingence du
monde en posant la question : « D'où vient-il qu'il y ait
quelque chose plutôt que rien ? »20
En somme retenons que Heidegger fait du néant le fondement
de la négation ce à partir de quoi le monde se conçoit et
ce à partir de quoi l'être émerge et transcende le monde.
I.3 #177; La mauvaise foi
La mauvaise foi est une des formes de manifestation de la
conscience. C'est une réalité exclusivement vécue par la
conscience. Et c'est précisément à ce niveau que les
difficultés commencent à se faire jour. En effet, dit Sartre :
« la conscience est un être pour lequel il est dans son
être question de son être en tant que cet être implique un
être autre que lui»21, c'est un fait, et son
être est avenir car « l'existence précède
l'essence »22. En d'autres termes, la conscience surgit
dans l'existence avant que sa nature lui soit donnée. Elle ne peut donc
être déterminée par quoi que ce soit dans le monde et
paradoxalement, elle est tenue de justifier son existence de fait et son
fondement en droit dans la même réalité qu'est le monde.
C'est ainsi qu'apparaît la mauvaise foi qui, elle, se présente
comme une solution au néant d'être qui est la conscience. Mais que
peut-on entendre concrètement par ''mauvaise foi'?
Il n'y aucun doute quant à la conception selon laquelle
la mauvaise foi est une structure fondamentale et constitutive de la
conscience, une attitude qui tire l'homme dans l'angoisse existentielle en face
de laquelle sa liberté voire son ''être-pour-soi'' l'y
conduit pour le contraindre à l'existence. Sartre conclut que l'homme
est capable de se donner négativement. La conscience elle-même se
donne dans ce cas négativement. Ce constat permet d'affirmer qu'il y a
des manifestations de la conscience mais cela ne doit pas toutefois nous donner
droit de penser l'être en présence de la conscience, c'est le cas
des hommes vivants dont les existences ne sont que moins exhaustives. Ceci est
la preuve irréfutable que l'on se saisit dans
19 Ibid., p. 52.
20 Ibid.
21 Ibid., p. 27.
22 M. WETZEL, La mauvaise foi (l'tre et le
Néant). Sartre (profil philosophique, n°705), Paris, Hatier,
1985, p. 9.
10
des rapports de contradiction. Cette attitude de la conscience
ne peut pas signifier la conscience, car elle n'est le fait que d'une
catégorie d'individus mis en rapport de contradiction.
L'évocation de la ''coquette'' manifeste bien
cette possibilité qu'a la conscience de se donner dans « ce
qu'elle n'est pas, d'apparaître pendant qu'elle n'est que
néant »23. La conscience peut ainsi prendre
plusieurs états. Mais jusqu'alors nous n'avons entrevu que sa
négative néantisation. La jeune coquette devient moins excessive.
Cette dégradation entre les individus témoigne que l'rtre de la
conscience n'est pas ce en quoi l'homme se reconnaît.
Après avoir vu cette possibilité qu'a
la conscience de se donner négativement, nous pouvons
poursuivre notre investigation. C'est à travers l'ironie que le
père de l'existentialisme français oriente sa démarche, et
ce qui nous marque ici est l'ambiguïté de l'homme. Ses propos sont
présentés dans un rapport de contradiction du point de vue de
leurs intentions et de l'effet qu'il veut qu'ils produisent : « il
donne à croire qu'il n'est pas cru, il affirme pour nier et nie pour
affirmer »24. Ces contradictions sont ici exprimées
et observées dans les rapports que l'individu établit avec
autrui. S'il est l'acteur, l'autre occupe une place de choix car c'est à
lui que revient l'appréciation, et c'est de lui que dépend la
réalisation de la fin. On peut alors se demander si l'homme ou la
conscience ne peut pas réaliser un tel dessein vis-à-vis de
soimême.
Si la conscience est à même de réaliser ce
dessein par rapport à elle-mrme, c'est parce qu'elle est capable de
s'apparaître à elle-mrme autrement qu'elle n'est en
réalité et donc elle serait capable de se mentir à
elle-même25. La mauvaise foi est donc en ce sens un mensonge
à soi. Toutefois, notre auteur nous invite à ne pas confondre la
mauvaise foi et le mensonge. Car tandis que le mensonge porte, en effet, sur
des faits irréels, la mauvaise foi se distingue du mensonge
précisément par ceci que celui-ci est manipulation transparente
à elle-même, alors que celle-là a foi à sa mauvaise
foi26. Ce qui est intéressant dans notre comparaison, c'est
la réalité du menteur qui manifeste une double attitude : «
l'idéal du menteur serait donc une conscience cynique, affirmant en
soi la vérité et le néant dans ses paroles et niant par
lui-même cette négation »27.
Dans ce sens, l'individu fait tout ce qui est en son pouvoir
pour que son interlocuteur ne s'aperçoive pas qu'il lui cache la
vérité. Sartre présente la mauvaise foi ici comme
oscillant
23 Idid., p. 25.
24 Ibid., p. 34.
25 Idid., p. 73.
26 Idid.
27 K. SIMONT, Un demi-siècle de
liberté, Paris, P.U.F, 1998, p. 137.
entre le cynisme et la bonne foi, il nous introduit dans une
perspective non négligeable qu'est la responsabilité de la
croyance dans les attitudes de mauvaise foi. Le menteur doit d'abord ~tre au
fait de la vérité qu'il dissimule à autrui. Ici c'est
l'indissociabilité du trompeur et du trompé qui pose
problème. Il apparaît cynique en effet de connaître la
vérité mais de choisir délibérément de se
laisser aller à l'ignorance. Mais seulement on serait dans l'erreur car
le mensonge à soi ne saurait être un mensonge cynique ni
même du reste une évidence28.
En parlant de l'évidence, Sartre veut entendre par
là ''la possession intuitive de l'objet''29, or on
ne peut pas dire que l'objet est possédé dans le cadre de la
mauvaise foi ; plutôt que de posséder l'objet, on croit, ou on a
foi en sa possession, vu que nous avons établi que l'rtre de la
conscience est le néant de cet ~tre. Il ne peut donc en aucun cas ~tre
l'objet se rapportant d'une manière ou d'une autre à elle, c'est
pourquoi d'après Sartre, on se met de mauvaise foi comme on
rêve.30 Il a aussi établi l'image quasi naturelle
d'rtre de mauvaise foi. C'est le caractère du sommeil qu'on doit
davantage creuser. Est-ce librement ou non que l'homme s'endort et rIve ? La
nécessité du sommeil ne dépend pas de l'homme, du fait
qu'il n'y a pas une volonté de l'individu, la transparence dans l'acte
de la conscience n'est pas faite. D'où sa distinction du mensonge et sa
parenté avec la croyance « qui n'est pas une décision
réfléchie et volontaire, mais une détermination
spontanée »31.
Notre ambition après cette analyse de la mauvaise foi
est d'élucider la notion. Sans cette élucidation il n'est pas
impossible d'appréhender le concept. En effet, les
célèbres exemples du "garçon de café" et
de la ''jeune coquette"32 illustrent bien le concept de
mauvaise foi. Procédons dans un premier temps à l'analyse de la
''jeune coquette". Dans sa narration, Sartre fait une présentation du
décor décrivant la coquette qui fait preuve de liberté.
C'est librement mrme qu'elle choisit de se rendre à l'invitation de son
ami. Son choix est d'autant plus libre qu'elle se trouve en face d'une
question. Elle sait fort bien les intentions que son ami porte à son
égard. Elle le désire aussi qu'elle habille la scène d'une
coloration qui ne correspond pas à l'instant présent. Elle
s'attache à ce que son partenaire lui procure des attitudes
discrètes et respectueuses pour plaire et être séduite.
Il y a comme un refus de sa part d'admette ce qui se passe en
réalité. Elle découpe les événements et
les lie selon qu'elle se trouve satisfaite et non plus selon
qu'ils apparaissent en
28 J.P. SARTRE, L'être et le
néant, essai d'ontologie phénoménologique,
Paris, Gallimard, 1943, p. 104.
29 Ibid., p. 104.
30 Ibid., p. 106.
31 Ibid., p. 91.
32 Ibid., p. 82.
12
réalité. Le mobile qui soutient tout l'agir de
l'homme est perverti. Elle arrache au discours et à la conduite de son
interlocuteur les significations immédiates qu'elle envisage comme
qualités objectives. En fait, il apparait une sorte de contradiction
dans son attitude, en même temps qu'elle est heureuse de la situation, en
même temps elle en a très peur, et c'est précisément
cela qui conditionne son agir. L'auteur ajoute qu'elle chosifie l'action de son
interlocuteur comme prétexte à son refus de décider. Et
elle-même, par voie de conséquence, se trouve
chosifiée également car elle se met en condition d'être
statique dans le temps, elle fixe leurs attitudes en niant qu'elles sont en
fait une réalité dynamique. Elle renonce volontairement à
sa liberté donc au choix qu'elle doit faire. ''Ni consentante, ni
résistante''33, son adhésion à
elle en tant que conscience ne se fait pas. On comprend qu'en abandonnant sa
main dans celle de son partenaire, elle ne fasse plus corps
avec elle même. C'est bien ici la preuve d'une attitude, d'un
comportement de mauvaise foi présente en elle qui finit
par la défaire de sa liberté.
Examinons maintenant l'exemple du ''garçon de
café''. Le choix de cet exemple obéit aux critères
précités. Seulement dans cet exemple du serveur en pleine
tâche, il y a comme une gradation dans l'explication du concept, car ici,
il ne s'agit plus d'une situation mais plutôt d'une tâche qu'un
homme se doit d'accomplir, d'un travail qui tend dans bien des cas à
l'identifier aux yeux des autres. Alors, on peut demander à Sartre, le
garçon de café est-il garçon de café tel quel ?
Pour répondre, Sartre affirme que c'est un jeu, «
il joue à être garçon de café
»34, il veut se faire l'automate qu'il n'est pas, le
déséquilibre existant entre ce qu'il est et la réalisation
de ses gestes. Et le geste tel qu'il doit s'exécuter par le servant
montre l'inadéquation d'être avec ce qu'il entreprend, pourtant il
est de notre nature de vouloir coïncider l'individu et sa satisfaction,
''le garçon de café joue sa fonction pour la
réaliser''35. Et ici, il en vient qu'il cherche
à se fixer et donc à se considérer comme
un en-soi.
De même les attitudes telles que la tristesse sont
examinées pour montrer que l'homme la prend avec lui et s'en
défait. Dès que le décor change, il s'y replonge vu que le
cadre le permet à nouveau. Par là, l'homme montre qu'il est
changement et qu'il est un être pour la liberté. Cette
liberté l'effraie au point où il s'en défait pour vivre
dans un cadre bien déterminé et c'est cela la mauvaise foi. En ce
sens, l'on peut comprendre le refus du prix Nobel par Sartre qui, en
réalité, n'est qu'une volonté de vivre sa philosophie.
Dire qu'il était Nobel, ce serait accepter l'existence d'un
garçon de café et de bien d'autres. Ici, ce n'est pas le
déterminisme
33 Ibid., p. 95.
34 Ibid.
35 D. MARITAIN DELIAS, Jean-Paul Sartre ou la
conscience ambigüe, Paris, Nagel, 1972, p. 2.
qui est en cause dans mauvaise foi, mais plutôt la
volonté de faire coïncider l'tre de la conscience à une
attitude.
Un autre exemple, c'est celui de la tristesse qui montre aussi
bien que c'est en face d'autrui qu'on adopte une attitude de mauvaise foi.
L'tre apparaît ici comme inconnaissable par autrui, mais surtout que le
surgissement d'autrui est cause de mauvaise foi. Noël Maritain confirme
cette thèse en ces termes : « le thème de mauvaise foi
dont l'Etre et le Néant expose la philosophie s'exprime dans le
théatre de Sartre, comme un trait essentiel des personnages et des
péripéties de l'intrigue, bien de confirmation du moi et de
l'autre, théatre des êtres qui en tant que sujets pour
eux-mêmes se sentent devenir objets sous les regards d'autrui et tentent
d'esquiver le viol de leurs consciences. Pour cela, ils se forgent
d'eux-mêmes une image qui leur plaise, c'est-à-dire qu'ils se
mentent et sont de mauvaise foi »36
36 Ibid.
14
I.LA QUUSTION TU L'UTRU-?Ock-SOI UT TU L'UTRU-
?Ock-AcrkcI
II.1 - LifAil-pour-soi et ses
caractéristiques.
L'etre-pour-soi et l'etre pour autrui font partie des
catégories ontologiques de l'etre
posées par Jean Paul Sartre dans L'etre et
Néant Dès son introduction à cette oeuvre, Sartre
fait la distinction entre
l'«être-pour-soi»T T7
tR7t f77 lhf7TTTT T777TiiTt di IT7
i7iiti77T 1t d177
sa liberté1
11«être-en-soi»
représenté par l17 anim
TT77 Ri m nature, les objets non conscients
d'eux-mêmes ; et l'«être-pour-autrui»
c'est-à-dire l'homm e conscient qui se définit par rapport aux
autres. Autrement dit, il distingue radicalement deux modes d'etre comme
irréductibles l'un à l'autre : tout d'abord, la conscience, dont
la structure fondamentale est
"l'intentionnalité'',
c'est-à-dire le fait qu'il y va toujours dans son etre question
d'un etre autre que soi ; et après avoir posé, à la suite
de Husserl et Brentano que : « toute
conscience est toujours conscience de quelque chose »37,
et que : « l'apparaître ne s'oppose pas à l'etre
c'est-à-dire que l'etre est un existant, c'est ce qu'il paraît et
donc le phénomène le dévoile tel qu'il est
»38 , il clarifie sa distinction en ces termes:
~ L'en-soi : c'est l'être massif et
plein de choses, l'être transcendant à la conscience, tout ce que
la conscience saisit comme ce qui n'est pas elle c'est-à-dire monde, qui
n'est que ce qu'il est, et qui se définit donc par sa parfaite
plénitude. « L'en-soi est plein de lui-même, et l'on ne
saurait imaginer plénitude plus totale, adéquation plus parfaite
du contenu au contenant : il n'y a pas de moindre vide dans l'etre, la moindre
fissure par où se pourrait glisser le néant
»39. C'est l'être qui adhère à soi dans sa
présence irréductible ; l'en-soi est opaque alors que la
conscience est transparente ; le passé, c'est ce qu'il y a en nous
d'en-soi.
-- Le pour-soi : c'est la conscience ; il
possède un caractère contingent, cause de la nausée ; il
se saisit comme étant « de trop ». Ce manque
d'être créant de la souffrance, le sujet reve d'une impossible
synthèse : d'être « en-soi-pour-soi ». Mais il
sait que sa liberté comme
même, si bien que la réalité humaine est le
perpétuel dépassement vers cette coïncidence40 L
présent est pour-soi. Quant au futur, il est un manque qui est le
présent de l'en-soi.
37 J.P. SARTRE, L'etre et le néant, essai
d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943, p.
17.
38 Ibid., p. 13.
39 Ibid., , p. 112.
40 Ibid., p. 112.
16
Si l'on veut comprendre ce qu'est le néant, but de
notre première partie de ce travail intitulée '' Le rapport
entre l'être et le néant", il ne faut pas partir de l'en-soi,
car le néant ne saurait etre conçu à partir d'un etre qui
est plénitude ; c'est donc par la conscience seule que le néant
peut venir au monde : la conscience est en effet néantisante,
c'est-à-dire qu'elle peut nier l'en-soi. En ce sens, elle doit
être caractérisée comme liberté. Cette
liberté est absolue : c'est pourquoi elle éprouve de l'angoisse
devant la responsabilité qu'elle a d'être le fondement de tous ses
actes.
simple coïncidence avec soi : c'est ce que lui permet la
"mauvaise foi" où la conscience se ment sur sa réalité en
se faisant chose, comme cet homosexuel qui explique ses tendances par son
passé et refuse d'assumer la responsabilité de son
homosexualité. La mauvaise foi n'est pas un processus inconscient, car
Sartre refuse l'hypothèse freudienne de
''l'inconscient'': on ne peut en effet
censurer que ce dont on a conscience. Elle est alors un mensonge
à soi, qui ne rompt pas l'unité de la conscience.
Néanmoins, la mauvaise foi ne peut être
une réelle chosification : ce n'est que parce que je suis libre que
je peux me rapporter à ce que j'ai à etre. Ainsi, le
garçon de café ne peut etre garçon de café que
parce qu'il ne l'est pas, parce qu'il joue à l'être. On
peut alors déduire précisément le « pour-soi »,
en tant qu'il est contingent, c'est ce qui définit sa
facticité, son être-jeté dans le monde ; mais il
est aussi ''manque', dont l'expression immédiate est
le désir : il se rapporte alors à son être comme à
un ''possible'', ne pouvant jamais coïncider avec
luimême, comme l'en-soi.
Mais il est surtout ''temporalité": le
passé, c'est ce que le pour-soi a été et qui se
présente donc à lui sous la forme de l'en-soi ; le futur, c'est
ce qu'il est comme possible ; quant au présent, il est la
présence à soi du pour soi. Enfin, le pour-soi
est transcendance, c'est-à-dire qu'il se rapporte toujours
à autre chose que soi ou à soi comme possible : son rapport au
monde n'est jamais en ce sens un rapport intuitif, mais le monde est toujours
pour lui un monde d'ustensiles, comme chez Heidegger. Mais ce
monde est également celui où je rencontre autrui : comment
appréhender alors l'être-pour-autrui ?
II. 2 - L'être-pour-autrui comme rencontre d'une
conscience.
Il faut d'entrée de jeu souligner que pour Sartre
l'expérience de l'autre est l'expérience d'une rencontre
: l'autre est, selon lui, rencontré dans la vie quotidienne comme
un phénomène particulier. La question que pose notre auteur n'est
donc pas : « comment puis-je connaître l'autre ? »
Mais plutôt : « quel est le sens de l'apparition de l'autre dans
mon expérience ? ». Il n'est pas possible en effet de
considérer que « moi-même » et «
l'autre » constituons des substances séparées, car
alors le problème de leur mise en relation deviendrait insoluble, il
faut au contraire concevoir la relation à « l'autre »
comme constitutive de ma propre conscience. Sartre trouve cette nouvelle
conception de la relation à l'autre chez les trois
"HM'I-It-à-dire Husserl, Heidegger et Hegel. Il faut
cependant souligner qu'il ne suit pas ici un ordre chronologique, mais
plutôt, comme il l'indique lui-même, "une sorte de dialectique
intemporelle"41, ce qui l'autorise à voir chez Hegel un
progrès significatif par rapport à celui de Husserl, et à
considérer que Heidegger ait tiré profit des méditations
de ses devanciers42.
La première étape est donc
Husserl. Sartre n'entreprend pas l'analyse de la longue et difficile
cinquième Méditation cartésienne qui constitue le
texte majeur de Husserl sur la question de l'autre, mais il considère
seulement le résultat de l'analyse husserlienne. Or ce résultat
est le suivant : « l'autre est la véritable garantie de
l'objectivité du monde, au sens oft il est nécessaire pour
l'objet d'exister pour plus d'un sujet et d'être donc le
référent d'une pluralité indéfinie de consciences
».43 Car dans le cas contraire, l'objet ne serait pas
véritablement extérieur à la subjectivité, il ne se
tiendrait pas en face de celle-ci et serait donc dépourvu de
vérité objective.
L'objectivité est donc pour Husserl fondée sur
"l'intersubjectivité". Husserl a montré que c'est
seulement à la lumière du concept de « l'autre
» que l'expérience peut être interprétée. Mais
il faut dire qu'une telle conception voit en l'autre seulement une
"signification", et non un "phénomène
empirique". Husserl n'explique donc pas comment la rencontre empirique de
l'autre est rendue possible. C'est la raison pour laquelle, selon Sartre, il
n'y a pas de différence entre Kant et Husserl, qui se situent tous deux
au plan des pures
41 Ibid., p. 274.
42 Ibid., p. 283.
43
Edmond Husserl, Méditations cartésiennes,
Introduction à la phénoménologie ; traduction de G.
Pfeiffer et E. Levinas, Paris, Vrin, 1953. P. 79.
18
conditions de possibilité des
phénomènes44. Pour Husserl, l'autre se refuse par
principe à nous du fait que nous ne pouvons pas avoir accès
à son intériorité propre, il ne peut donc être
découvert que comme une absence, non comme une
présence.
Mais si une connaissance empirique de l'autre est impossible,
nous avons néanmoins besoin de lui comme signification, afin de garantir
la validité ontologique de notre connaissance. A ce stade, la conclusion
de Sartre est sévère : parce que, dans la philosophie de Husserl,
l'autre est seulement requis pour garantir la validité de la
connaissance, il ne peut pas plus échapper au solipsisme comme Kant, en
dépit de sa théorie d'une intersubjectivité,
c'està-dire d'une pluralité de sujets. C'est ainsi que Sartre
demande de faire un dépassement de Husserl avec l'approche
hégélienne45. Mais en quel sens ?
Parce que, pour Husserl, l'apparition de l'autre était
nécessaire à la constitution du monde objectif, alors que pour
Hegel elle est nécessaire à l'expérience même de la
« conscience de soi ». Seul l'autre peut garantir la
vérité de ma conscience de moi-même. J'ai besoin de l'autre
pour constituer mon propre moi, de sorte que pour Hegel la pluralité des
consciences et non l'insularité de l'ego est le fait primitif. En
d'autres termes, j'ai besoin de l'autre en tant que médiateur me
permettant d'accéder à mon propre moi. Pour Sartre, ce qui
constitue « "l'intuition géniale de Hegel", c'est le
fait qu'il me fait dépendre de l'autre dans mon être-même,
au sens où je suis un être-pour-soi qui n'est pour-soi qu'à
travers l'autre... C'est donc en mon coeur que l'autre me
pénètre" »46.
Notons qu'en dépit de ce "progrès important"
accompli par Hegel, sa solution du problème de l'autre ne satisfait pas
totalement Sartre, parce que Hegel demeure au niveau de la connaissance. Ce que
j'attends de l'autre, selon Hegel, c'est la vérité de mon
être, et réciproquement, ce que l'autre attend de moi, c'est la
vérité du sien. Mais ce que l'individu désire
réellement, comme Kierkegaard l'a bien fait valoir contre Hegel, ce
n'est pas la garantie d'une pure identité formelle avec lui-même,
mais son accomplissement réel en tant qu'individu, et la reconnaissance
de son être concret.
44 Ibid., p. 269.
45 Ibid., p. 274.
46 Ibid., p. 276.
Ainsi, contre Hegel, l'auteur de l'Etre et le Néant
7ous faut reve7ir à Descartes et déclare que « le
seul point de départ sibr est lintériorité du cogito
»47. Pour lui, la multiplicité
sca7dale de la pluralité des co7scie7ces : « La
tâche qu'une ontologie peut se proposer, c'est
de décrire ce scandale et de le fonder dans la
nature-même de l'être : mais elle est impuissante à le
dépasser »48.
La critique de Hegel a été 7écessaire pour
mo7trer que la relatio7 à l'autre 7e peut pas
être comprise e7 termes de ''connaissance'' mais
e7 termes ''d'etre'. Heidegger peut 7ous
me7er plus loi7 au se7s où il met e7 évide7ce la
7écessité de compre7dre la relatio7 à l'autre
comme u7e relatio7 d'être, car il a tiré des
leço7s de l'a7alyse hégélie77e de la lutte des
'dépendance ontologique
La co7clusio7 de Sartre à ce 7iveau est do7c positive :
« Cette fois on (Heidegger)
nous a bien donné ce que nous demandions : un
être qui implique l'être d'autrui en son être
»49. Pourta7t il 7e se co7sidère pas comme
complèteme7t satisfait. Car pour lui-même, si
7ous avo7s l'expérie7ce réelle d'u7e telle
solidarité avec les autres, il 7'e7 reste pas moi7s que
cette coexiste7ce doit être expliquée si 7ous
voulo7s reco77aître e7 elle le type fo7dame7tal
de 7otre relatio7 aux autres. Pour Sartre, le da7ger d'u7e telle
co7ceptio7 est la négation de
l'altérité de l'autre. E7 outre, il 7e
voit pas ici de possibilité d'expliquer la relatio7 co7crète
à
l'autre : Heidegger demeure sur le plan ontologique, c'est
à dire à u7 7iveau abstrait et 7e peut
pas réelleme7t expliquer ce qui se produit sur le pla7
o7tique ou co7cret de ma coexiste7ce
effective avec cet ami particulier.
C'est pourquoi la solutio7 heideggérie77e 7'est pas u7e
solutio7 co7crète et « ne
saurait nous servir [aucunement] à résoudre
le problème psychologique et concret de la reconnaissance d'autrui
»50. La critique sartrie77e de la co7ceptio7
heideggérie77e de l'autre devie7t alors très tra7cha7te. Parce
que Heidegger voit da7s ma relatio7 à l'autre u7 a priori,
quelque chose comme u7e co7ditio7 de possibilité, so7 poi7t de vue
o7tologique rejoi7t le
47 Ibid., p. 282.
48 Ibid., p. 283.
49 Ibid., p. 286.
50 Ibid., p. 287.
20
Heidegger ne parvient pas à échapper à
l'idéalisme51 et ne peut donc réellement faire sortir
la réalité humaine de sa solitude. Le résultat de l'examen
critique auquel Sartre a soumis la conception heideggérienne de
"l'être-avec'' est alors le suivant : « nous ne devons
pas essayer de rendre compte de manière philosophique de l'existence
d'autrui, parce que l'existence d'autrui est un fait contingent.[...] On
rencontre autrui, on ne le constitue pas »52. A la fin de
ce paragraphe, Sartre est donc en mesure de formuler les conditions
nécessaires et suffisantes pour qu'une théorie de l'existence
d'autrui soit valable :
1. Il ne s'agit pas de proposer une nouvelle preuve de
l'existence de l'autre, parce que j'ai toujours déjà su que
l'autre existait, j'ai toujours déjà eu une compréhension
implicite de son existence, de sorte que ce dont nous avons besoin, ce n'est
pas d'une nouvelle "théorie" de l'autre, mais de mettre au jour le
cogito qui concerne l'autre, c'est-à-dire la conscience qui me
révèle immédiatement l'existence de l'autre, de la
même manière que le cogito cartésien me
révèle ma propre existence.
2. Le seul point de départ possible est donc le
cogito cartésien qui se confond avec ce que Sartre a
nommé le "cogito de lexistence d'autrui". Cela semble
paradoxal, mais il s'agit pourtant bien de trouver la transcendance de l'autre
dans l'immanence absolue du moi : « c'est donc au plus profond de
moi-même que je dois trouver non "des raisons de
croire" à autrui, mais "autrui
lui-même" comme n'étant pas moi
»53.
3. Le cogito doit nous révéler autrui non comme
un objet, ni comme la possibilité de l'existence du monde ou du soi,
mais comme un autre intéressant le moi sur le plan empirique concret.
L'autre doit apparaître comme n'étant pas moi, ce qui implique
l'altérité et la négativité de l'autre. Mais une
telle négativité n'est pas externe - ce qui veut dire que le moi
et autrui ne sont pas des substances séparées - mais
internes, cela qui implique par la suite une relation
réciproque de négation entre moi et l'autre.
Sartre admet que Hegel a raison de penser que chaque
conscience trouve en l'autre son être, mais refuse de considérer
qu'il est possible d'adopter le point de vue de la totalité et de
considérer une telle réciprocité de haut, de sorte que le
conflit entre les différentes consciences ne trouve pas de solution et
ne puisse mener à la réconciliation. Mais on peut se demander,
jusque là, comment Sartre conçoit lui-mrme la question d'autrui
?
51 Ibid., p. 288.
52 Ibid., p. 299.
53 Ibid., p. 291.
Abordons maintenant avec Sartre la question d'autrui selon sa
propre conception. D'abord, avant de continuer, il n'est pas sans
intér~t de souligner à quel point la lecture que Sartre nous
propose des << trois H >> est à la
fois stimulante et frustrante. Stimulante, parce qu'il a
l'habileté d'aller immédiatement à l'essentiel de chaque
conception. Mais aussi frustrante, car il procède à des
simplifications excessives, surtout en ce qui concerne, à notre lecture,
Husserl et Heidegger. Il ne tient pas compte en effet des tentatives de Husserl
pour préserver l'altérité de l'autre en dépit de la
théorie qu'il propose et qui est celle de la constitution de l'autre par
le moi. Il ne prend pas en compte le fait que Heidegger ne considère pas
<< l'être-avec >> comme une condition de
possibilité de l'autre, mais plutôt comme une structure de
l'existence qui ne nous permet plus de nous comprendre en termes de conscience,
alors que Sartre lui, au contraire continue de le faire et de prendre son point
de départ dans le cogito cartésien. Sa lecture de Hegel
est la plus détaillée et probablement la plus intéressante
des trois, et il a certainement raison de blâmer Hegel pour son point de
vue "totalitaire". Nous verrons que sur ce point qu'il y aura total
accord entre Sartre et Levinas, et non pas d'ailleurs seulement sur ce point,
car il est certainement possible de montrer que Levinas est à bien des
égards redevable à Sartre de sa propre conception de l'autre.
II.3 - L'expérience du regard de l'autre comme
révélation de mon être.
Comme nous l'avons vu, il y a pour Sartre un cogito,
qui a l'autre pour objet, une conscience qui me donne immédiatement
l'existence de l'autre, de la même manière que le cogito
cartésien me révèle immédiatement l'existence
de ma propre conscience. Le point de départ de Sartre est le cogito
cartésien, << la conscience >>, et cela veut
dire que nous demeurons dans l'opposition du moi et de l'autre, qui ne peut
jamais m'être donné en original, car si c'était le cas, il
serait alors impossible de distinguer le moi de l'autre. Mais cela ne veut
pourtant pas dire que la relation à l'autre est une relation de
connaissance. "Conscience" ne signifie pas
nécessairement "connaissance". Nous n'avons pas
à choisir entre d'un côté la fusion entre deux consciences,
ce qui serait la négation de l'altérité de
l'autre, et d'un autre côté une relation à l'autre qui
serait alors réduit à un pur objet.
C'est seulement quand conscience et connaissance sont
identifiées que la relation à l'autre ne peut être comprise
que comme une relation objective. Mais pour Sartre, dire que l'autre est en
rapport avec ma conscience veut dire que ma conscience est affectée en
son propre être par autrui, de sorte qu'elle doit trouver en
elle-même une dimension qui lui
22
24
permette de s'ouvrir à l'extériorité de
l'autre. Sartre explique que la situation est ici la même que chez
Descartes dans son affirmation de l'existence de Dieu. Descartes a
été capable de montrer que la transcendance de Dieu peut
être trouvée dans l'immanence même du cogito, parce que
l'homme ne peut pas être par lui-même l'origine de l'idée
d'infini qu'il trouve en luimême en tant que créature finie ; de
la même manière Sartre veut montrer que la transcendance d'autrui
peut ~tre trouvée au coeur mrme de la conscience. C'est ce qu'il avait
déjà mis en évidence dans sa discussion de la conception
hégélienne de l'autre : « Chacun doit pouvoir, en
partant de sa propre intériorité, retrouver l'être d'autrui
comme une transcendance qui conditionne l'être même de cette
intériorité »54.
- L'autre n'est pas moi-même.
Mais cela ne veut pas dire qu'il est une substance qui demeure
séparée de moi par un gouffre infranchissable. La
négativité ou l'altérité de l'autre n'est pas une
négation externe, mais une négation interne, une négation
qui est donc mienne, qui est une dimension de ma propre conscience.
- L'autre est un autre sujet : il
ne peut par conséquent être donné de manière
frontale comme un objet. Autrui n'apparaît donc pas en face de moi. Mais
si mon expérience d'autrui est réellement l'expérience
d'un autre sujet, cela signifie que je ne peux trouver un accès à
l'autre qu'en devenant un objet pour lui, en étant regardé par
lui. L'expérience de l'autre comme autre sujet, un « alter ego
», est l'expérience du regard. Comme
nous le voyons, Sartre ne met pas en question la notion d'alter ego,
qui nous paraissait être une notion contradictoire. Mais au lieu de
trouver un passage susceptible de mener de l'ego propre à l'ego de
l'autre (chemin qui a été celui de Husserl dans la
cinquième Méditation cartésienne), Sartre prend
comme point de départ « la subjectivité de l'autre
a», il se place donc du point de vue de l'autre et tente de
définir l'expérience que fait l'ego lorsqu'il est regardé
par un autre. L'analyse de notre auteur commence par une question : «
Quelle est la signification de l'apparition banale d'autrui dans le champ
de ma perception ?»55. La scène dont il part est
tout à fait banale ; il dit : « Je suis dans un jardin public.
Non loin de moi, voici une pelouse et, le long de cette pelouse, des chaises.
Un homme passe prés des chaises. Je vois cet homme. Je le saisis comme
un objet à la fois et comme un homme. Qu'est-ce que cela signifie ?
»56.
Cela signifie que : l'apparition de l'autre est pour moi
l'expérience de la décentralisation de mon monde : "Je ne
puis plus me mettre au centre" de la relation entre cet
54 Ibid., p. 282.
55 Ibid., p. 293.
56 Ibid., p. 300.
objet particulier qu'est autrui et les autres objets du monde.
Comme Sartre le dit en une formule frappante : "Ainsi tout à coup un
objet est apparu qui m'a volé le monde". Je fais alors
l'expérience de la perte de mon univers, ce qui veut dire que
l'expérience que j'ai maintenant de moi-même est
l'expérience d'une passivité, d'un être vu par l'autre :
<< L'être-vu par-autrui est la vérité du
voir-autrui »57 affirme-t-il, de sorte que, pour lui,
"l'autre est par principe celui qui me regarde". La seule
expérience possible d'autrui est l'expérience de mon
être-pour-autrui : c'est une expérience passive et non pas active,
l'expérience consistant à devenir objet pour l'autre. Mais en
devenant un objet pour l'autre, je reste un sujet, parce que je reste conscient
de mon être-vu-par-l'autre. Je fais l'expérience de mon devenir un
objet pour l'autre à travers le fait qu'il me regarde, de sorte que mon
devenir objet demeure mon expérience propre. Mais quelle est la
signification du regard de l'autre ?
Notre auteur explique que le regard n'est pas
nécessairement en relation avec quelque chose de sensible apparaissant
dans notre champ perceptif. L'expérience du regard n'est pas une
expérience empirique : << Bien au contraire, loin de percevoir
le regard sur les objets qui le manifestent, mon appréhension d'un
regard tourné vers moi paraît sur fond de destruction des yeux qui
"me" regardent »58.
Selon lui donc, lorsque nous apercevons le regard, nous
cessons de percevoir les yeux, de sorte qu'il est impossible de remarquer la
couleur des yeux qui nous regardent parce que "le regard de lautre masque
ses yeux"59. Je ne peux donc pas en même temps voir les
yeux de l'autre et voir son regard. Ce qui veut dire qu'il m'est impossible de
situer dans le monde la source de ce regard, car si je tente de le faire, je
deviens pour moi-même un regard et je ne peux donc découvrir que
les objets du monde et non pas le regard des autres sujets.
L'expérience du regard ne peut par conséquent
être seulement l'expérience de mon être-regardé. Nous
pouvons maintenant comprendre que le regard puisse être donné sans
être associé à l'apparition d'une forme sensible et qu'il
puisse être donné sans aucune relation avec les yeux de l'autre,
lorsqu'il y a par exemple le bruit d'un pas, ou un léger mouvement d'un
rideau à la fenêtre, ou un froissement de branches. Sartre donne
à ce propos des exemples assez convaincants : << Pendant un
coup de main, les hommes qui rampent dans les buissons saisissent comme un
regard à éviter, non deux yeux, mais toute une ferme blanche qui
se découpe contre le ciel [et]... imaginons que j'en sois venu, par
jalousie, par intérêt, par vice,
57 Ibid., p. 303.
58 Ibid., p. 304.
59 Ibid.
à coller mon oreille contre une porte, à
regarder par le trou d'une serrure... Or voici que j'ai entendu des pas dans le
corridor : on me regarde. Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est
que je suis soudain atteint dans mon être »60. Ces
exemples montrent que le regard ne peut pas être compris comme un
événement empirique, mais comme la modalité de
l'apparition de l'autre comme sujet. Une telle expérience de la
découverte du regard de l'autre sur moi se manifeste par la
"honte".
II. 4 #177; / 9eISOIMPR3ERlaRhonte HP P IR3OMNIP
117R39-7r1.
Sartre reprend la question développée par Hegel
dans La Phénoménologie de l'esprit : celle de la
structure du pour-autrui. En décrivant cette nouvelle structure, il part
de « la honte », cette saisie de soi-mrme devant l'autre. Il
privilégie l'expérience du regard : quand l'autre me regarde, la
situation m'échappe : je ne suis plus qu'une transcendance
transcendée, une liberté dépassée : « Par
le regard d'autrui, je me vis comme figé au milieu du monde, comme en
danger, comme irrémédiable. Mais je ne sais ni qui je suis, ni
quelle est ma place dans le monde, ni quelle est face ce monde où je
suis tourné vers autrui. »61
En effet, pour Sartre, la honte est une modalité de la
conscience, elle est ce cogito qui me donne immédiatement
l'existence d'autrui. Il précise là que la honte est un mode de
conscience qui, comme tout autre mode de conscience, peut être
décrit en termes d'intentionnalité : « Sa
structure est intentionnelle au sens où elle est lappréhension de
quelque chose, et ici, ce quelque chose c'est moi-même, qui ai "honte" de
moi-même. La honte accomplit donc une relation interne de moi à
moi »62. Mais la honte n'est pas originellement
réflexive, en dépit du fait qu'elle est une conscience de soi,
parce que je ne peux avoir honte de moi-même que devant quelqu'un
d'autre. Dans la honte, l'autre est l'indispensable médiateur entre moi
et moi-même, au sens oil je ne peux avoir honte de moi que lorsque
j'apparais devant autrui63.
La description de Sartre est à nouveau ici tout
à fait convaincante : je n'ai honte que lorsque je vois ma conduite
à travers les yeux de l'autre, du fait que je suis alors mis dans la
position de me juger moi-même de manière objective. Mais ce
processus d'auto-objectivation est quelque chose qui arrive du dedans de
moi-même, de sorte que dans la honte, je reconnais
60 Ibid., p. 304-305.
61 Ibid., p. 314.
62 Ibid., p. 265.
63 Ibid.
que je suis tel que l'autre me voit : << La honte
est, par nature, reconnaissance >>64. Je ne
procède pas à une comparaison entre moi tel que je suis pour
moi-même et moi tel que je suis pour l'autre, parce qu'une telle
comparaison entre mon être-sujet et mon être-objet est impossible,
mais au contraire l'autre me révèle comme un type d'être
nouveau que je suis maintenant pour moi-même : « La honte est la
honte de soi devant autrui. Les deux structures sont inséparables
>>65 ; ce qui veut dire que dans la honte j'ai une relation
d'être avec autrui.
Cela implique donc que l'autre ne fait pas partie du monde :
<< Par le regard de l'autre, je fais l'épreuve concrète
qu'il y a un au-delà du monde. Autrui m'est présent sans aucun
intermédiaire comme une transcendance qui n'est pas la mienne. Mais
cette présence n'est pas réciproque...Transcendance
omniprésente et insaisissable... tel est le regard de l'autre quand je
l'éprouve d'abord comme regard »66. En faisant
l'expérience du regard, je fais l'expérience de la
subjectivité insaisissable de l'autre et de son infinie liberté.
On comprend alors pourquoi Sartre a pu dire quelques pages auparavant, dans un
passage où il se référait à Kafka, que <<
Dieu n'est ici que le concept d'autrui poussé à la limite
»67. Car, comme il l'explique, le regard ne peut pas
être rapporté à un nombre déterminé de
sujets, du fait que l'expérience de la pluralité et de la
singularité n'est possible que dans le monde. De sorte qu'il y a deux
possibilités de se détourner du regard d'autrui : soit en
regardant ceux qui me regardent et en faisant ainsi d'eux une
multiplicité de consciences existant dans le monde, soit en tentant
d'unifier le regard d'autrui en un être infini et en obtenant ainsi la
notion purement formelle de Dieu compris comme le sujet omniprésent et
infini pour lequel j'existe68. En fait, nous ne faisons jamais
l'expérience ni d'un unique regard ni d'une pluralité de regards,
mais il s'agit plutôt d'une réalité impalpable, fugace et
"omniprésente" à laquelle il convient de réserver
le mot "on". On comprend à partir de là
que Sartre puisse affirmer : << Perpétuellement, où que
je sois, "on" me regarde. On
n'est jamais saisi comme objet, il se désagrège
aussitôt >>69.
Sartre peut par conséquent définir la honte
comme "le sentiment originel davoir mon être dehors, engagé
dans un autre être et, comme tel, sans défense aucune", comme
"la conscience d'être irrémédiablement ce que
j'étais toujours" et comme "le sentiment de chute
originelle", au sens où du fait d'autrui je suis tombé dans
le monde et ai désormais besoin de
64 Ibid.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Ibid., p. 312.
68 Ibid., p. 328.
69 Ibid., p. 329.
la médiation d'autrui pour être ce que je
suis70. La honte est ainsi l'appréhension unitaire de trois
dimensions : « "J'ai honte de
moi devant autrui", ce qui suppose la
simultanéité de mon être conscient de mon propre être
et mon être un objet pour l'autre »71.
Il ne semble donc pas qu'il puisse y avoir pour Sartre de
rapports harmonieux avec autrui. C'est ce qui explique qu'il fasse plus de
place aux expériences concrètes où nous nous
découvrons en conflit avec autrui qu'à celles où nous
sommes en communauté avec lui et qu'il consacre des analyses plus
convaincantes à la haine et au sadisme qu'à l'amour qui, selon
lui, débouche toujours sur un échec. Il n'y a pas, pour Sartre,
de possibilité réelle de respect de la liberté d'autrui,
pas même dans l'indifférence, car notre situation originelle est
celle du face-àface avec autrui, dont notre seule existence limite
déjà sa liberté sans qu'aucun de nos actes ne puisse
changer quoi que ce soit à cette injustice première. Sartre, bien
qu'athée déclaré, trouve ici un fondement philosophique
à l'idée de culpabilité et de péché. Il
déclare en effet : « Ainsi, le péché originel,
c'est mon surgissement dans un monde oil il y a l'autre, et quelles que soient
mes relations ultérieures avec l'autre, elles ne seront que des
variations sur le thème originel de ma culpabilité
»72. C'est donc sur le fond d'une telle culpabilité
fondamentale à l'égard d'autrui que l'on peut comprendre le
phénomène de la haine qui consiste à vouloir purement et
simplement la mort de l'autre.
26
70 Ibid., p. 336.
71 Ibid., p. 337.
72 Ibid., p. 461.
28
I. LES FONDEMENTS ONTOLOGIQUES DE LA LIBERTE
III.1 - La liberté comme condition
première de l'action.
Le postulat de Sartre, rappelons-le, est l'affirmation de la
liberté absolue de l'homme. Le nouvel humanisme qui dérive de ce
postulat tracera le chemin de la véritable libération de l'homme.
L'humanisme ne se réduit plus à ''l'anthropocentrisme"
et à la promotion de l'homme par les sciences et les arts, comme l'ont
édifié la Renaissance, Erasme, Montaigne. Avec Sartre,
l'humanisme devient la libération de l'homme de toutes formes
d'aliénations par l'affirmation de l'absoluité de
sa liberté. C'est, en d'autres termes, donner à
l'homme la possibilité de passer de "l'ignorance'' de
l'rtre-en-soi à "l'age de la raison", de l'rtre-pour-soi,
c'est-à-dire de l'homme responsable qui prend en main le projet de la
réalisation de son existence.
L'approche sartrienne de la liberté humaine ne se pose
pas dans le sens de penser selon les raisonnements déterministes ni du
libre arbitre, ni de la liberté. Il convient avant tout de
dégager des structures contenues dans l'idée mrme de l'action. De
prime abord, il est ici question de l'agir, des champs de l'agir qu'on ne doit
pas confondre avec le hasard, car pour Sartre : « agir, c'est modifier
la figure du monde, c'est disposer des moyens en vue d'une fin
»73, c'est produire un changement. Autrement dit, le fondement
ou le principe de l'action est l'intentionnalité en ce sens que sans
l'intention, on ne saurait pas imaginer un sens, une fin au fait. Sartre
illustre ce propos par l'exemple suivant que : « Le fumeur maladroit
qui fait, par mégarde, exploser un poudrier n'a pas agit [parce que
n'ayant pas d'intention ou de présupposés d'une fin à son
action] ; par contre, l'ouvrier chargé de dynamiter une carrière,
et celui qui obéit aux ordres donnés a agi lorsqu'il a
provoqué l'explosion prévue. Il savait en effet ce quil
faisait ou, si l'on préfère, il réalisait
intentionnellement un projet conscient »74. Ce qui ne
signifie nullement que l'on doit prévoir toutes les conséquences
de son acte, mais au moins l'on sait qu'en faisant ceci nous allons obtenir
l'explosion dans un temps relativement mesuré, mrme sans en avoir dans
l'esprit l'ampleur de toutes les conséquences.
En effet, agir, c'est réaliser ou mettre en oeuvre le
projet de ma pensée au sens où c'est par l'adéquation du
résultat et de l'intention qu'on pourra se rendre suffisant pour pouvoir
parler d'une action ; et donc l'action implique nécessairement comme
condition la
73 J.P. SARTRE, L'etre et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 487.
74 Ibid., p. 487.
reconnaissance d'un néant, un "desideratum',
c'est à dire, un manque objectif ou encore une
négatité
Nous venons là d'évoquer la dualité
''conscience'' et ''intention' au sens où de
même que la conscience implique nécessairement un agent
extérieur, l'agir implique inconditionnellement une intention. C'est
dans cette intentionnalité de la conscience que
conditionnera sa pensée. En effet, la conscience n'a
point de dedans : elle n'est rien d'autre que le dehors d'elle-même.
Et c'est cette fuite absolue, ce refus d'être substance qui la
conséquent la caractériser comme
''être-au-monde'' ; et en cela, l'apport principal de
Sartre sera de définir l'être de la conscience comme
liberté en situation. Seule une conscience libre
dans le monde. Elle n'est jamais une liberté abstraite,
indépendante du milieu social physique dans lequel elle s'incarne, mais
elle est liberté concrète et individuelle en face des choses et
les hommes. En ce sens, la liberté ne consiste pas à contredire
la loi, mais à savoir l'interpréter et éventuellement la
dépasser. C'est le rôle d'une conscience more ou adulte. On
mais à savoir que le code a pour but le respect d'autrui.
Etre libre, c'est donc respecter l'autre même en l'absence du code.
L'homme est libre du fait qu'il est conscient des motifs qui
sollicitent son action, ces motifs sont déjà des objets
transcendants pour la conscience, ils sont dehors : « En vain
chercherais-je à m'y raccrocher, j'y échappe par mon essence par
delà les mobiles et motifs de mon acte [...] je suis condamné
à etre libre. L'homme est libre parce qu'il n'est pas soi mais
présence à soi »75. L'être qui est ce
qu'il est ne saura pas être libre. La liberté c'est
précisément le néant qui est au coeur de l'homme et qui
contraint la réalité humaine à se faire au lieu
d'être. Ainsi, pour la réalité humaine, être libre
c'est choisir. La liberté n'est pas un être, elle est l'être
même de l'homme c'est-à-dire son néant d'être,
autrement dit, l'homme n'est point d'abord avant d'être libre ensuite ;
mais il n'y a pas de différence entre l'être de l'homme et son
être libre. Sartre exprime cette idée dans cette formule
apparemment
75 Ibid., p. 495.
30
paradoxale : « « Condamné à
être libre ; mais je ne puis jamais cesser d'être libre, même
dans les passions j'affirme ma liberté par le seul fait que
j'existe ».
III. 2 #177; Liberté et Facticité :
« situation de l'Etre ».
En considérant l'homme comme un être conscient et
par conséquent angoissant ; en proie à l'angoisse, exposé
à la tragédie existentielle, Sartre ne veut cependant pas limiter
le champ existentiel de l'homme à ces faits empiriques voire
pragmatiques qui ont motivé ses analyses de la facticité ou de la
contingence humaine.
L'homme est facticité, c'est-à-dire qu'il se
découvre ~tre là, lancé dans l'existence, être de
fait, une existence qu'il n'a pas lui-même voulue, mais à laquelle
il doit donner sens. Personne ne s'est choisie, personne ne s'est voulue.
Cependant on peut se choisir, se vouloir ; ce qui n'emprche que la
facticité soit avant tout pour l'homme une source d'angoisse, puisque
par ce caractère, l'homme se découvre contingent voire gratuit,
injustifié dès le départ, son existence n'a pas de sens.
C'est l'homme qui doit lui en donner un. Qu'est-ce donc la transcendance ?
Il s'agit de montrer ici que malgré son
caractère injustifié, l'homme n'est pas prisonnier de ce qu'il
est ; bien qu'il le soit sans pour autant l'avoir voulu. Par sa conscience, il
se dépasse gr~ce à la néantisation, cette capacité
de l'homme à s'assimiler ou à nier sa situation actuelle ou
présente pour vivre soit un événement postérieur ou
encore imaginer un meilleur avenir comme nous l'avions vu avec la mauvaise foi.
Au sens oil, par la conscience, nous nous exhilons du monde, de
nous-mêmes ; nous faisons face au monde, nous prenons conscience du
monde, par conséquent nous prenons la distance des autres.
L'homme est toujours au-dessus de soi, de sa
réalité ; jamais prisonnier de ce qu'il est : il se sent toujours
autre chose que ce qu'il est, hors d'atteinte, hors de sa
portée. D'où cette conception de l'existence dont Sartre parle
dans sa conférence du lundi 29 octobre 1945 "L'existentialisme est
un humanisme" en affirmant que « L'existence est transcendance ;
autrement dit, elle est un constant dépassement de ce qui est et de tout
ce que l'on est en tant qu'elle est avant tout un projet d'être vers un
possible que l'on n'est pas encore »76. C'est pourquoi,
l'exigence, dans L'être et le néant, de la liberté
comme l'unique voie par laquelle l'homme parvient toujours à plus que ce
qu'il est. Et c'est pour cette raison que Sartre critique l'humanisme de la
valeur.
76 J.P. SARTRE, L'existentialisme est un
humanisme, Paris, Gallimard, 1998, p. 76.
32
Après la problématique de la contingence qui
fixe toute la recherche philosophique sartrienne, l'un des thèmes les
plus dominants de son existentialisme est la liberté. En effet,
l'existentialisme sartrien est une philosophie de la liberté. Il ne
s'agit plus d'une liberté proprement humaine posée comme
conséquence de la mort de Dieu. Mais il sera désormais question
d'une liberté ''absolue''. Si pour l'existentialisme sartrien
« il n'existe pas de nature humaine puisqu'il n'y a pas de Dieu pour
la concevoir »77, il existe cependant un postulat
incontournable qui justifie l'existence de l'homme exprimée dans cette
sentence : « la liberté est l'essence de l'homme ».
Cet à priori ne détermine pas une nature figée de l'homme,
mais au contraire il vient confirmer l'homme dans sa responsabilité, car
la liberté est ce par quoi il se réalise en tant qu'homme. Pour
notre auteur en effet, « on ne naît pas homme, on le devient
a» et c'est ce devenir qui fonde l'humanisme sartrien.
La liberté est peut 1tre en définitive la seule
détermination de l'humanité, l'ultime détermination de cet
itre particulier dans ce monde. On n'est pas homme sans liberté, ce
n'est pas une question d'opinion, « l'homme est condamné
à etre libre »78, pour se référer
à Bouffon, nous irons plus loin que Sartre en affirmant : « La
liberté c'est l'homme ». Chez Sartre, la liberté est la
transcendance du pour-soi, c'est-à-dire l'homme en tant qu'il est l'tre
de la conscience ; elle est ce par quoi l'homme se détermine, se choisit
et s'affirme par apport à toute altérité, autrui et le
monde. C'est donc son pouvoir de néantisation ou de négation face
jà la contingence et l'absurdité de l'existence. Dans ce sens,
Sartre écrira : « La liberté est liberté de
choisir, mais non la liberté de ne pas choisir. Ne pas choisir en effet,
c'est choisir de ne pas choisir »79. Ce qui signifie pour
le philosophe français que malgré la contingence et la
résistance de certaines situations face à la liberté,
« être libre ne signifie nullement obtenir ce qu'on a voulu,
mais se déterminer à vouloir -- au sens large de choisir
-- par soi-même. Autrement dit, le succès n'importe
aucunement à la liberté »80.
La liberté est toujours un projet qui engage notre
responsabilité. Il n'y a pas de déterminisme, l'homme
opère des choix. La facticité ou la contingence de la
liberté par rapport à la "situation de l'etre" à
savoir les conséquences imprévues de l'existence, la condition
historique n'est en rien un obstacle à la liberté. La
liberté échappe à tout conditionnement. A ce sujet Sartre
affirme : « Il n'y a de liberté qu'en situation et il n'y a de
situation que par la liberté. La liberté humaine rencontre
partout des résistances et des
77 Ibid., p. 29.
78 Ibid., p. 39.
79 J.P. SARTRE, L'etre et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 541.
80 Ibid., p. 537.
obstacles qu'elle n'a pas crées ; mais ces derniers
n'ont de sens que dans et par le libre choix qu'est la liberté
humaine »81.
La liberté chez Sartre est absolue et infinie, comme la
volonté humaine chez Descartes est infinie82. L'homme est cet
~tre qui sait s'assumer, juger et décider ; de ce fait, tout ce qui lui
arrive lui est extérieur en raison même de la transcendance de sa
liberté. En somme, pour Sartre, la liberté est l'ultime
degré du salut de l'homme tout en étant ce qui, en fin de compte,
détermine l'homme.
III.3 #177; Liberté et
Responsabilité.
Si l'entière liberté apparaît dans une
situation toujours aliénée, j'en suis pourtant responsable. Le
lien entre l'affirmation « nous sommes condamnés à
être libres » et une éthique de l'engagement est
établi par la notion de responsabilité. Sartre en parle en
conclusion de l'analyse de la liberté, dans L'Être et le
Néant. Il reprend à son compte le sens courant du terme :
« conscience d'être auteur incontestablement d'un
événement ou d'un objet » et en donne ce premier
critère : « assumer la situation où on se trouve, avec
son coefficient d'adversité, flit-il insoutenable [...]. Ce qui
m'arrive, m'arrive par moi et je ne saurais ni m'en affecter ni me
révolter, ni me résigner. D'ailleurs tout ce qui m'arrive est
mien ; il faut entendre par-là, tout d'abord, que je suis toujours
à la hauteur de ce qui m'arrive, en tant qu'homme, car ce qui arrive
à un homme par d'autres hommes et par luimeme ne saurait etre
qu'humain. »83
Rappelons que, pour Sartre, la responsabilité radicale
de chaque personne est la simple revendication logique des conséquences
de sa liberté ontologique fondamentale. Il n'y a pas de situation
inhumaine ; les plus épouvantables guerres et les plus atroces
méfaits sont humains : « ...la responsabilité du
pour-soi est accablante, puisqu'il est celui par qui il se fait qu'il y ait un
monde. »84 L'homme est engagé dans un monde qu'il
crée sans cesse et auquel il donne un sens. Sartre est très clair
sur ce point : l'homme est toujours responsable, meme individuellement, du
monde dans lequel il vit. Le choix d'un homme engage toute
l'humanité, car il doit pouvoir répondre de ce choix devant
chacun et se demander sans cesse ce qui se passerait si les autres hommes
faisaient le mrme choix que lui. L'homme crée des valeurs auxquelles il
choisit d'obéir. Sa manière de vivre et sa façon de penser
l'engage face aux
81 Ibid., 1943, p. 546.
82 Ibid., p. 538.
83 Ibid., p. 639.
84 Ibid., p. 612.
autres. Son choix libre est bien l'expression d'une
responsabilité totale : « Le propre de la réalité
humaine, c'est qu'elle est sans excuse »85.
Dans un monde dépourvu de Dieu, l'homme se trouve face
à lui-même et au milieu de différents existants.
Incréé, mais ne s'étant pas créé
lui-même86, il est ''jeté-là'' dans un
univers sans repère, ni appui. Autrement dit, il est abandonné
à lui-même. Il ne dépend d'aucun autre ~tre que de
lui-même. Pour user des termes heideggériens, on parlera du
"délaissement''. L'homme est délaissé dans une
existence à laquelle il n'a pas donné son assentiment. Il est
comme perdu dans le néant absolu. Il vit dans un monde où rien
n'est donné ou fait, mais où tout est à faire. D'où
l'angoisse qui le hante. Il n'y a rien de plus terrible pour l'homme que d'1tre
purement gratuit, d'rtre par hasard, de ne pas avoir été voulu,
d'tre sans recours et sans secours. Dès lors que l'homme n'est soumis
à aucun déterminisme, à aucune valeur suprême tel un
Dieu qui régulerait ses conduites pouvant le mettre à l'abri de
l'absurdité de l'existence, il est alors totalement libre et responsable
de ses conduites. Tout lui est permis comme dit Dostoïevsky cité
par Sartre : « Si Dieu n'existait pas, tout est permis
»87. C'est le postulat fondamental qui justifie l'existence
mrme de l'homme : « la liberté l'etre de l'homme
»88. C'est-à-dire que l'homme se définit
essentiellement et foncièrement par sa liberté ; il est
liberté. Et celle-ci est néantisation de
"l'etre-en-soi", car elle s'assimile au ''néant qui est au
coeur de l'homme". Elle a ainsi le pouvoir de néantisation et de
négation face à la contingence et à l'absurdité de
l'existence. Cette liberté est fatale et infinie dans la mesure
où elle n'est limitée ni par une situation quelconque, ni par une
règle préétablie, ni par la mort.
L'homme condamné à ~tre libre est donc
condamné toujours à faire des choix. En un mot, l'homme se
définit par sa liberté, et nier cette liberté
c'est nier son statut d'homme. C'est en ce sens qu'on comprend la
liberté comme condition première de l'action telle que Sartre la
définit : « ...dès lors qu'on attribue à la
conscience ce pouvoir négatif vis-à-vis du monde et
d'elle-même, dès lors que la néantisation fait partie
intégrante de la position d'une fin, il faut reconnaître que la
condition indispensable et fondamentale de toute action c'est la liberté
de l'être agissant »89. Toujours et
entièrement libre, l'homme endosse une responsabilité absolue.
Puisque son envie n'est pas figée, et puisqu'il n'y a ni nature humaine
ni Dieu, l'homme est totalement libre et responsable de ses actes. C'est ce que
notre auteur explicite lorsqu'il
85 Ibid., p. 613
86 J.P. SARTRE, L'existentialisme est un
humanisme, Paris, Gallimard, 1998, p. 39.
87 Ibid.
88 Ibid.
89 IDEM, L'être et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 691.
34
affirme : « En effet, tout est permis si Dieu
n'existe pas, et par conséquent, l'homme est délaissé,
parce quil ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de
s'accrocher. Il ne trouve d'abord pas d'excuses »90. Ce
qui veut dire en d'autres mots que l'homme n'a de compte à rendre
à qui que ce soit, ni n'attend de secours de personne, il est
appelé à prendre son destin en main.
L'expérience de l'absurde constitue pour lui une
interpellation à l'action, à la prise de conscience d'un monde
dans lequel la ''praxis" apparaît comme une dimension
fondamentale. Son devenir historique dépend de lui. En ce sens, l'homme
est son propre projet. Il n'est que ce qu'il se fait, et ne sera que ce qu'il
aura projeté d'rtre ; et non pas ce qu'il voudra
être91. Rien n'existe antérieurement à ce
projet. C'est celui-ci qui définit son essence même. Sartre parle
à ce sujet de "Subjectivité" : « C'est l'homme
en tant que liberté qui invente l'homme »92. Cette
liberté absolue engage entièrement l'homme. L'homme responsable
prend en main le projet de la réalisation de son existence. Qui dit
"Oui" dit "Engagement'' car il n'y a pas de liberté
passive. L'engagement est condition mrme de la liberté. Elle se
ramène, en effet, à une dimension pratique opposée au
simple constat, à la théorie et à la spéculation.
L'homme, pour se réaliser, doit passer à l'acte véritable.
Il faut agir pour ttre. Ce qui est fondamental, c'est l'action qui, seule est
susceptible de transformer le réel et de lui donner un sens. De
là, la liberté est liée à la responsabilité
et à l'engagement. Tout homme est en situation. Il a un corps, un
passé, des amis, des ennemies, des obstacles à franchir, des
problèmes vitaux jà résoudre. Mais l'on ne peut pas
dire que les situations dans lesquelles se trouve l'homme
déterminent ses conduites. Ce qui veut dire qu'en projetant mes
intentions, mes visées d'avenir sur la situation actuelle, c'est moi
qui, librement et en toute responsabilité transforme celle-ci en motif
d'action. Ce sont mes libres projets qui donnent une signification aux
situations. Le monde n'est jamais rien d'autre que le miroir de ma
liberté. Ainsi, « tout homme qui, pour échapper à
l'absolue de la liberté et à l'angoisse qu'elle suscite invente
un déterminisme est un homme de mauvaise foi »93.
Mais si c'est l'homme qui crée son essence et ses valeurs,
choisit ce qu'il devient, sans l'intervention d'un Dieu
créateur ni d'une valeur suprême pouvant lui inspirer normes ou
ligne de conduite extérieures, comment est-il possible l'idée de
la morale chez Sartre ? Autrement dit, en quoi consiste la morale de Sartre et
sur quoi est-elle fondée ?
90 Ibid.
91 Ibid., p. 30.
92 Ibid., p. 40.
93 D. HUISMAN, Les philosophies de la
liberté, Paris, Bruno Huisman, 1982, p. 291.
III. 4 #177; La morale sartrienne: une morale
d'engagement.
Sartre, dans les années 47- 48, a entrepris
d'élaborer une morale, conformément au voeu de la conclusion de
L'etre et le néant. Elle demeura inachevée et ne fut
jamais publiée de son vivant. Il faut remarquer, comme SIMONT Juliette,
que « le souci moral parcourt toute l'oeuvre de Sartre
»94. Les "Perspectives morales" qui terminent
L'etre et le néant donnent une idée des principes moraux
de Sartre fondés sur l'ontologie. Francis JEANSON en précise
aussi quelques indices dans Le problème moral et la pensée de
Sartre. Tandis que la morale classique considère qu'il y a une
essence humaine idéale - conforme au plan du Créateur, selon les
chrétiens - la morale existentialiste de Sartre se fonde sur la
liberté absolue du pour- soi et proclame la responsabilité totale
de l'homme.
Cette responsabilité est extensible à toute
l'humanité dans la mesure où l'homme qui créé son
essence et ses valeurs, choisit ce qu'il devient au nom de
tous les hommes et pour tous. L'homme, condamné à ~tre libre est
lui-même cette liberté incarnée, factice et absurde. Ce
sont ces caractéristiques qui lui donnent tout son sens et font de lui
un être totalement responsable de ses actes contrairement aux tendances
naturalistes et transcendantalistes qui le déresponsabilisent.
L'ontologie est plus descriptive que prescriptive. Mais décrivant
l'homme comme manque, elle détermine en même temps que ce manque
est à la fois « l'origine et la nature de la valeur
»95. Autrement dit, la valeur vient du manque, elle est manque.
Or la mauvaise foi consiste à ne pas assurer ce manque, et par
conséquent à tromper ; à se tromper soi-mrme sur ce qu'on
est c'est-à-dire un pour-soi, un sujet et non un objet. Les exemples du
garçon de café, de la femme coquette que nous avions cités
dans les chapitres précédents démontrent à quel
point la mauvaise foi est une conduite de fuite devant la responsabilité
qui mesure l'étendue de notre liberté. Etre moral, c'est exister,
c'est-à-dire, vouloir sa liberté. L'homme vivant dans le
délaissement étant celui qui veut lui-même son être,
il le veut seul. Il est un ~tre moral parce qu'il s'engage et veut
par-delà l'espoir et le désespoir. Le traître de la
liberté, c'est celui qui a « l'esprit de sérieux
a», qui calcule avant d'agir. C'est là tout l'aspect
éthique de la psychanalyse existentielle de Sartre qui a pour mission
« de nous faire renoncer à l'esprit de sérieux [...] et
de faire découvrir à l'agent moral qu'il est l'etre par qui les
valeurs existent »96. Les valeurs ne sont pas à
comprendre au sens cartésien ou spinozien du terme car, comme le dit
Francis Jeanson : « Les deux ignorent que toute valeur est
94 J. SIMONT, Jean-Paul Sartre, un
demi-siècle de liberté, le point philosophique, Bruxelles,
1998.
95 J.P. SARTRE, L'etre et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 690.
96 Ibid., pp. 690 - 691.
36
valorisation »97. De fait, Sartre ne
pose pas d'emblée l'existence de Dieu. Il n'est pas d'existant
indépendamment de l'homme et qui fonderait les valeurs de celui-ci. Par
ailleurs, si Dieu existe, il existe dans la dynamique de sa création
continuelle par l'homme agissant : « Nous n'avons pas l'idée de
Dieu ; nous devons redonner sans cesse, dans le choix que nous faisons de tel
ou tel cheminement moral »98. Mais se pose ici le
problème de savoir jusqu'à quel point cette morale sans Dieu et
sans fondement objectif est-il possible.
Sartre prend conscience de l'impasse dans lequel il s'est
incrusté en réalité. En faisant dépendre l'absolu
de l'homme, il sait qu'il rend difficile voire impossible l'élaboration
d'une morale. Il va donc essayer de compléter sa méthode dans sa
Critique de la Raison Dialectique précédée de
Questions de Méthode. Dans cet ouvrage, il développe la
notion de ''praxis''. Telle qu'elle y apparaît, cette notion
n'est que la matérialité de l'existence, mais pas au sens
marxiste du terme. De fait, la praxis n'est pas que sociale, elle est
aussi individuelle car elle prend en compte l'effort de
l'individu pour se donner l'rtre. Par ailleurs, la praxis est la condition
d'une dialectique historique parce qu'elle est un compromis entre
l'individu et la société : « toute la
dialectique historique repose sur la praxis individuelle en tant que celle-ci
est déjà dialectique »99. C'est en ce sens
que la dialectique de la praxis justifie la place de la raison pratique comme
l'élément fondamental qui donne sens à l'action humaine et
à l'histoire toute entière.
Ainsi, la morale sartrienne est fondée à la fois
sur l'individu qui n'a pas à se laisser phagocyter par la
société ; et sur la société qui permet de
modérer l'individualisme parfois exacerbant de l'homme. Il faut dire que
nous tombons ici dans un freudo-marxisme qui ne résout pas le
problème de la possibilité d'une morale, puisque pour
résoudre ce problème, il faudra d'abord résoudre celui de
l'ambiguïté humaine. Cela n'est pas possible tant que je n'existe
que parce que je suis un ~tre perpétuellement remis en question sur la
nature et les significations de mon ~tre. Ce questionnement sur
l'ambiguïté constitue l'existentialisme que notre auteur
présente comme un humanisme, car elle pose l'homme comme valeur absolue.
Ce qui signifie, en bref, qu'« entre une conscience qui tend à
s'abolir dans le respect des valeurs objectives, de signes sans signification
et une conscience révoltée qui renonce à toute
signification, l'existentialisme tire la leçon de ces attitudes et
décrit la conscience comme présence-à-soi, non
coïncidence avec soi, origine absolue de tout sens et de toute
97 F. JEANSON, Le problème moral ans la
pensée de Sartre, Paris, Seuil, 1965, p. 333.
98 Ibid., p. 334.
99 J.P SARTRE, Critique de la Raison Dialectique,
Paris, Gallimard, 1960, p. 165.
valorisation »100. Ainsi, l'histoire
en question est une histoire qui n'accorde aucune place ni à
Dieu ni à la nature humaine. C'est une histoire sans morale. Une
histoire sans morale court le risque de verser dans l'univers de la
passivité, de l'anarchie, du relativisme voire mrme de la confusion du
bien et du mal. Car la difficulté qui demeure est que la praxis n'est
pas normée puisqu'elle dépend entièrement de chaque
individu au sens oil tel individu préférera la guerre, tel autre
optera pour la non-violence ; mais chacun aura agit pour la même
cause.
Or Sartre ne détermine pas ici les conditions qui
président à telle option plutôt qu'à telle autre
dans l'action. Il trouve cependant le fondement de l'action dans la notion de
responsabilité. On peut constater qu'à la fin de l'Etre et le
Néant, Sartre esquisse la problématique dans les lignes de
la liberté comme sa propre fin. S'engager, c'est agir. Agir c'est
choisir la liberté comme fin. C'est pourquoi choisir la liberté
c'est ~tre responsable. Etre moral, c'est exister, c'est-à-dire, vouloir
sa liberté. L'homme vivant dans le délaissement disions-nous
est celui qui veut lui-meme son etre, [...] il est un etre moral parce qu'il
s'engage et veut par-delà l'espoir et le désespoir. ,Il
s'agit ici d'assumer sa condition d'homme, d'affronter les situations, les
dépasser pour les transformer. L'auteur de l'Etre et le
Néant ne justifie pas cette option de l'affrontement plutôt
que de la torpeur et du conformisme moral. Non plus il ne justifie pas
l'exigence d'une modification situationnelle, ni ne précise pas vers
quoi ou vers quelle fin il est judicieux d'orienter l'action.
On pourra objecter que Sartre propose peut-rtre des contenus
et des fins à l'action à l'instar de la libération et le
combat contre l'aliénation et qui peuvent constituer des valeurs. Mais
ces fondements sont si fragiles qu'ils ne pourraient prétendre justifier
un quelconque choix. Car la liberté peut tout justifier. L'appel
à la responsabilité peut avoir pour conséquence un meurtre
institutionnalisé. En ce sens, le massacre des Juifs à Auschwitz
ou le génocide rwandais pourraient être justifiés par un
argument du genre : '' la nation ou le peuple qui organise cette exaction
se sent en danger face à l'autre'',, et c'est pourquoi il se
défend ». On voit que l'appel à la
responsabilité semble ne donner lieu qu'à une ''morale
formelle''. Car il faudra chercher encore un autre fondement
général et palpable qui permette de ''juger une action''
alors que cette morale, générale, pour Sartre n'existe pas :
« aucune morale générale ne peut indiquer ce qu'il y a
à faire »101. Est-ce à dire finalement que
tout m'est permis dans ce genre de libéralisme à outrance et
démesuré ? Notre réponse est non.
100 F. JEANSON, O.C., p. 351.
101 J.P. SARTRE, L'existentialisme est un humanisme,
Paris, Gallimard, 1998, p. 46.
Les normes et les interdits peuvent etre là, mais ils ne
doivent pas freiner l'action. Les
lois peuvent être dépassées en certaines
circonstances. Le principe de la morale de Sartre c'est
de se battre pour la promotion de ma liberté et de celle
des autres. Un être moral est enfin
celui qui veut aussi la liberté des autres, qui ne
porte pas d'entrave à leur liberté. L'être moral cherche la
liberté d'autrui envers et contre l'autre parce que « quand
nous disons que l'homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas
dire qu'il est responsable de sa stricte individualité, mais qu'il est
responsable de tous les hommes »102. Le caractère
inachevé de Cahiers pour une morale de Sartre trouve sa
justification dans cette contingence de la norme éthique. Celui-ci pense
que toute morale qui se donne comme systématique ne peut que favoriser
l'aliénation de l'homme. Dans une certaine mesure, la morale est
rattachée à l'esthétique dans le sens où elle est
création permanente des valeurs. C'est en ceci que nous pouvons
comprendre la morale sartrienne, comme une perpétuelle interpellation
à l'action
38
102 Ibid., p. 30.
CONCLUSION
Nous sommes parvenu ici au terme de ce travail qui,
rappelons-le, a pour thème l'analyse des fondements ontologiques de la
liberté chez Jean-Paul Sartre, dans son ouvrage majeur l'Etre et le
Néant. Dans cette analyse, nous avons procédé
successivement, d'abord, à l'analyse du rapport entre les deux concepts
phares de cet ouvrage à savoir "l'etre et le néant' ;
ensuite, jà l'analyse du rapport de l'rtre en tant que conscience avec
les autres consciences c'est-à-dire dans sa rencontre avec autrui ; et,
enfin, jà l'analyse de la question de la morale contenue dans la notion
de la liberté chez Sartre.
Nous sommes mis à l'évidence que, parler de la
liberté n'est pas une entreprise facile, ceci à cause de la
non-univocité de la définition même du concept. Car, selon
que l'on se situe dans un contexte déterministe et contractuel, on dira
qu'rtre libre c'est obéir à un certain nombre de normes et lois
établies par le destin, la providence, la nature ou la
société. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la
définition de la liberté donnée par Jean-Jacques Rousseau
dans sa célèbre formule : « l'obéissance à
la loi qu'on s'est prescrite est dite liberté »103.
Ici, la liberté semble ambigüe, car l'homme est
considéré non seulement comme auteur de la loi, mais aussi comme
celui qui doit s'y soumettre. Du coup, la liberté lui est imposée
par les contraintes extérieures, par la collectivité
contractuelle au prix de l'observance stricte de la loi. Plus il y
obéit, plus il est "libre".
Par contre, selon que l'on se situe dans un contexte
existentialiste, on dira qu'rtre libre c'est assumer la solitude et la
souveraineté de ses choix. Il y a un déracinement des valeurs,
aucune norme ne s'impose d'elle-même. Les valeurs ne s'enracinent que
dans des choix individuels, à chaque instant, révisables.
L'existentialisme nie tout déterminisme. C'est en ce sens qui faut
comprendre l'approche sartrienne de la liberté humaine qui est à
l'envers des conceptions de la liberté fondées sur les
déterminismes. Pour Sartre, c'est la liberté mrme qui
détermine et conditionne l'agir de l'homme. C'est ce qu'il mentionne
lorsqu'il dit que « la liberté est la condition première
de l'action »104. La liberté est la
conséquence de la facticité de la réalité humaine.
D'après Sartre, il n'y a pas de place pour la morale
déterministe, il n'y a pas de valeur suprême ou un Dieu qui puisse
indiquer à l'homme ce qu'il a à faire. L'homme se trouve
livré à lui-même, sans aide ni secours ; il est alors
appelé à prendre son destin en main. Ainsi, selon notre auteur,
ttre libre c'est ~tre responsable de ses actes, c'est en assumer les
conséquences sans attendre qu'un ~tre extérieur nous l'impose. La
liberté sartrienne, elle, est
103 J.J. ROUSSEAU, Du Contrat Social, Livre I, chap.
VII.
104
J.P. SARTRE, L'etre et le néant, essai
d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943, p.
487.
40
donc immanente et n'émane pas de l'extérieur. Il
ne s'agit nullement ici d'une incitation à la
désobéissance aux lois et aux normes sociales car, rappelons-le,
nous ne sommes pas dans un contexte contractuel de la liberté.
La morale que nous pouvons tirer de cette conception
sartrienne de la liberté est l'interpellation à l'action, donc
à l'engagement de chaque homme en tant que liberté individuelle
face au destin. On ne doit rien attendre de l'extérieur ; on doit sortir
de l'oisiveté et de la dépendance. Ceci est valable sur tous les
plans et dans tous les domaines : social, politique, économique, etc Et
si les politiques africains, au lendemain des indépendances avaient
compris cette morale, qu'ils n'avaient pas à attendre l'aide ou l'ordre
de l'extérieur, qu'ils devaient prendre en main eux-mêmes le
destin de leur continent, le continent africain, riche en matières
premières ne devait pas rester au niveau oil il est aujourd'hui qui
contraste avec l'expérience et la réalité actuelles des
pays asiatiques. Certains pays asiatiques par exemple, qui dans les
années 1960-1970 étaient au même niveau de
développement que les Etats africains se trouvent aujourd'hui
classés parmi les grandes puissances mondiales. Mais certains pays
africains, jusqu'aujourd'hui croient encore, pour ne pas dire toujours, en
l'aide internationale, et ne font pas d'effort pour sortir de leur situation
actuelle.
BIBLIOGRAPHIE
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humanisme, Paris, Gallimard, 1998, 116 p.
· SARTRE Jean Paul, La transcendance de l'ego,
Paris, Hachette, 1937, 231 p.
· SARTRE Jean Paul, L'être et le
néant, essai d'ontologie phénoménologique,
Paris, Gallimard, 1943, p. 698 p.
· SARTRE Jean Paul, Critique de la Raison Dialectique
précédée de Questions de Méthode, Paris,
Gallimard, 1960.
· HEIDEGGER Martin, Etre et Temps, Paris,
Gallimard, 1964, 491 p.
· HEIDEGGER Martin, Questions I, Paris, Gallimard,
1968, 315 p.
· HUISMAN Bruno, Les philosophes et la
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· HUSSERL Edmund, Méditations
cartésiennes, Introduction à la phénoménologie ;
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· JEANSON Francis, Le problème moral dans la
pensée de Sartre, Paris, Seuil, 1965, 384 p.
· MARCEL Gabriel, L'existence et liberté humaine
chez Sartre, Paris, Vrin, 1981, 80 p.
· SIMONT Juliette, Jean-Paul Sartre, un
demi-siècle de liberté, le point philosophique, De Boeck et
Larcier, Paris Bruxelles, 1998, 424 p.
· WETZEL M., La mauvaise foi "l'Etre et le
Néant", Jean Paul Sartre, (profile philosophique n° 705),
Paris, Hâtier, 1985, 147 p.
· L.M MORFAUX, Vocabulaire de la philosophie et des
sciences humaines, Paris, Armand Colin, 1996, p. 235.
· ROUSSEAU Jean-Jacques, Du Contrat social, Paris,
Ed. Beaulavon 1903, 255 p
TABLE DES MATIERES
42
INTRODUCTION 1
I. LE RAPPORT UNTRU L'UTRU UT LU NUANT 4
I.1 f Présentation de l'rtre et de l'origine du
néant. .. 4
I.2 - Les différentes approches du Néant 7
I.3 #177; La mauvaise foi 9
I. LA QUUSTION TU L'UTRU-POUR-SOI UT TU
L'UTRU-POUR-AUTRUI 15
II.1 ~ L'~tre-pour-soi et ses caractéristiques. 15
II. 2 #177; L'rtre-pour-autrui comme rencontre d'une conscience.
. 17
II.3 #177; L'expérience du regard de l'autre
comme révélation de mon ~tre. .. 21
II. 4 #177; L'expérience de la honte comme
dévoilement d'Ftre. . 24
I. LES FONDEMENTS ONTOLOGIQUES DE LA LIBERTE
28
III.1 - La liberté comme condition première de
l'action. 28
III. 2 #177; Liberté et Facticité : «
situation de l'Etre ». 30
III.3 #177; Liberté et Responsabilité. 32
III. 4 #177; La morale sartrienne: une morale
d'engagement. 35
CONCLUSION 39
BIBLIOGRAPHIE 41
TABLE DES MATIERES 42
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