SECTION II : Le Concept d'écoulement
La méthode exposée dans cette section correspond
aux exigences du Comité de Bâle. Nous définirons la notion
d'écoulement en liquidité qui permet de calculer des impasses en
liquidité et la notion d'écoulement en taux qui va permettre de
traduire l'ajustement des taux des divers produits sur les taux
d'intérêt de marché. Cette méthode est
évoquée dans le document de Grégory GHIEU [2003]. Elle a
été formulée du point de vue mathématique par P.
Demey, A. Frachot et G. Riboulet (Groupe de Recherche Opérationnelle,
Direction des Risques du Groupe Crédit Agricole) en 2001.
II.1 La notion d'écoulement en liquidité
Pour un produit bancaire donné, son écoulement
en liquidité montre comment le stock disparaît dans le temps. Elle
peut être contractuelle ou conventionnelle et intègre les
aléas pouvant affecter la liquidité du produit. Modéliser
la liquidité d'une banque nécessite l'étude de chaque
poste du bilan afin de déterminer son degré de liquidité
pour les actifs et d'exigibilité pour les passifs. Il importe dans
l'analyse de prendre en compte les paramètres tant internes qu'externes
qui peuvent agir sur la banque.
La différence entre le total de l'actif et le total du
passif est nulle pour la date courante puisque le bilan de la banque est
équilibré à tout instant. Cependant, lorsqu'on projette
cette différence aux dates futures, elle n'a aucune raison d'être
nulle. Ainsi, lorsqu'on détermine cet écart pour les dates
futures, elle permet d'anticiper les montants qui pourront être
empruntés ou placés aux dates futures et aussi d'évaluer
une partie du risque de taux auquel s'expose la banque.
Il est donc nécessaire pour une banque d'évaluer
comment chacun de ses actifs et passifs évolue au cours du temps. Il
faut ainsi définir pour chaque poste du bilan la fonction
d'écoulement qui permet de quantifier la probabilité qu'un franc
CFA présent dans le bilan à la date d'aujourd'hui soit encore
présent à une date future. On devra pour cela faire la
différence entre les montants présents dans le bilan à la
date t (le stock ou
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l'encours) et la façon dont ils s'écoulent, et les
montants entrant dans le bilan aux différentes dates futures qui
représentent la production nouvelle).
II.1.1 L'écoulement de production
La probabilité qu'un franc CFA, entré dans le
bilan à une date t, y soit encore présent à une
date T ultérieure est définie par une fonction
appelée fonction d'écoulement de la production. Il s'agit bien
dans cette définition d'un franc entré à la date t
et non d'un franc CFA présent dans le bilan en t, qui y
est entré avant la date t. Ceci pour indiquer qu'en
général, on suppose qu'un franc CFA qui entre dans un bilan en
t ne s'écoule pas de la même façon, qu'un autre
franc CFA présent en t qui se trouvait dans le stock avant la
date t.
De façon mathématique telle que formulée par
G. Riboulet et al. [2003],
en désignant par PN(t) la production nouvelle
apparue à la date t, PN(t,T) le montant de cette
production encore vivante à la date T, la relation :
(3) PN ( t , T ) = PN ( t
) × S ( t , T)
permet de définir la fonction d'écoulement de la
production nouvelle. Cette fonction d'écoulement a les
propriétés suivantes :
> S ( t , t ) = 1 qui signifie
qu'un franc CFA entrant dans le bilan à la date t se trouve
toujours dans le bilan à la date t.
> S ( t , + 8 ) = 0 qui veut dire que la
production disparaît tôt ou tard du bilan.
Cette fonction d'écoulement définit la
convention en liquidité du produit et nécessite de définir
une date arbitraire de sortie du bilan pour les produits tels que les
dépôts à vue.
La notion d'écoulement contractuel concerne les
produits pour lesquels il existe une date de fin de contrat. Ici la convention
d'écoulement théorique correspond à l'écoulement
tel qu'il est défini par les termes du Contrat. Pour illustrer nos
propos, prenons le cas d'un crédit à la consommation de
durée 5 ans. Au moment où ce montant entre dans le bilan, on peut
définir l'écoulement contractuel du crédit comme celui
correspondant à l'échéancier de remboursement mis en
place.
Cependant, l'écoulement qu'on retiendra comme effectif
peut être différent de l'écoulement contractuel puisque le
client dispose de plusieurs options (par exemple l'option de remboursement
anticipé) qui viendront modifier la convention d'écoulement.
Ainsi, la fonction d'écoulement de la production nouvelle d'une banque
doit à la fois
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traduire l'écoulement contractuel de cette production mais
aussi l'occurrence de tous les évènements non contractuels.
Pour les produits non échéancés,
c'est-à-dire ceux pour lesquels il n'existe pas de date de fin
contractuelle (les dépôts à vue par exemple), les montants
présents dans les comptes de ces produits peuvent être
retirés à tout instant. « Il n'existe donc pas
d'écoulement contractuel pour ces produits et la détermination
d'un écoulement effectif reste elle-même assez
problématique » (Cf. Grégory GUIEU [2003]).
Le fait que le client peut gagner ou perdre sur des produits
financiers selon l'évolution des taux d'intérêt, nous
amène parfois à supposer que les fonctions d'écoulement de
la production dépendent : de la date d'entrée dans le bilan de la
production t, du temps écoulé entre la date
d'entrée dans le bilan t et la date considérée
T, des taux d'intérêt de marché entre ces deux
dates.
II.1.2 La vitesse d'écoulement
La fonction d'écoulement peut être définie
au moyen de la vitesse ou taux d'écoulement. Cette notion ne contient ni
plus ni moins d'information que la fonction d'écoulement
S(.,.), mais est plus intuitive. Elle représente le pourcentage
de l'encours en vie qui s'écoule par unité de temps. On la
formule par l'expression mathématique :
(4) ( , ) ( , 1)
S t T S t T
- +
ë ( , )
t T = ,
( , ) t T
S
Qui s'interprète comme suit :
> en t, la production nouvelle PN(t)
apparaît dans le bilan ; > en T, il reste PN (
t , T ) = PN ( t ) × S (
t , T);
> en T+1, il reste PN ( t , T
+ 1) = PN ( t ) × S ( t , T
+ 1).
La vitesse d'écoulement correspond au rapport entre la
part marginale qui disparaît du bilan entre T et T+1,
soit PN ( t , T ) - PN ( t , T
+ 1), et l'encours en vie en T, PN(t,T). (Cf. Paul Demey
et al. [2003], page 22).
Avec des données mensuelles, un taux d'écoulement
de 10% signifie que la production s'évapore à un rythme de 10%
par mois.
L'expression en temps continu est la suivante :
(5) ( , )
? T
LnS t T
ë ( , )
t T = - ( , ) exp( ( , ) ),
? S t T = - ë t s ds ? T t
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II.1.3 L'écoulement du stock
Le stock d'un poste du bilan peut être
considéré comme l'accumulation des différentes strates de
production nouvelle apparues dans le passé et non encore
écoulées. Par exemple, l'encours de crédits encore
présents à une date correspond bien à tous les
crédits contractés à une date antérieure pour
lesquels les clients n'ont pas fini de rembourser les montants
empruntés. Si on note D(t) l'encours de la date t, on
a la relation mathématique :
t
(6) ( )
D t = PN s S s t ds
( ) ( , ) ,
×
-8
Où S est la fonction d'écoulement de la
production nouvelle qui représente le coefficient d'amortissement. Et
PN(s) la production nouvelle à la date s.
La notion d'écoulement du stock cherche à
traduire le phénomène de disparition de l'encours D(t)
du bilan en supposant nulles les productions nouvelles futures. Ceci permet de
voir comment s'écouleraient les montants présents dans le bilan
de la banque si elle arrêtait l'activité leur ayant trait.
L'encours d'une date future peut s'écrire
T
(7) ( ) ( , )
D T = D t T + PN ( s )
× S ( s , T)
t
|
ds
|
|
Où D(t,T) représente la projection de
l'encours actuel sous l'hypothèse de production nouvelle future nulle.
Le second facteur représente l'accumulation entre les dates t
et T de différentes strates de production nouvelle. On
écrit :
t
(8) ( , )
D t T = PN ( s ) × S (
s , T )ds
-8
La fonction d'écoulement du stock est le pourcentage de
l'encours qui est encore présent dans le bilan aux dates futures. Elle
est définie par la relation :
(9) Sstock( t , T)
D ( t , T ) = D ( t
) ×
D'où on en déduit
t
D t T
( , ) PN s S s T ds
( ) ( , )
×
(10) -8
S t T
( , ) = =
stock
D ( t) f t PN ( s
) × S ( s , t )ds
-8
En général, la fonction d'écoulement du
stock Sstock(.,.) n'est pas la même que la
fonction d'écoulement S(.,.) des différentes productions
nouvelles qui composent ce stock.
S'il est vrai que la connaissance de l'écoulement futur
des encours actuels sous l'hypothèse des productions futures nulles,
permet de déterminer les besoins futurs de
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liquidité ou les placements futurs de liquidité
excédentaire, il faut également évaluer les productions
nouvelles futures, pour en déduire finalement ce que seront les encours
réellement inscrits au bilan aux dates futures. Cela revient à
déterminer comment les encours futurs combinent écoulement de
l'encours d'aujourd'hui et productions nouvelles futures. L'équation
comptable ou de «conservation de la matière» :
Encours en t = Encours en t-1 + Production nouvelle -
Ecoulement de l'encours entre t-1 et t répond au formalisme
d'introduction des productions nouvelles futures. Mais il ne s'agit pas d'une
équation de modélisation. En partant de l'expression
mathématique (6),
On obtient par différentiation :
t ? S s t
( , )
(11) dD t PN t
( ) = ( ) + PN s
( ) × ds dt ,
-8 ?t
Ceci traduit exactement l'expression comptable
précédente. L'expression suivante :
(12)
|
t ? S s t
( , )
PN s
( ) × ds
-8 ?t
|
(Qui est de signe négatif)
|
représente le flux d'écoulement de l'encours entre
t et t+dt. dD(t) est donc la variation de l'encours
entre t et t+dt. (Cf Frachot et al. [2003].)
II.1.4 Impasse en liquidité
Le bilan devant être équilibré à tout
instant, si on désigne par Di(t) l'encours d'un poste i du
bilan, p indice pour le passif et a indice pour l'actif, on a
la relation
(13) p ( )
D t - D t =
a ( ) 0
p a
Cependant, si on veut projeter ce bilan à une date
future, il est nécessaire d'introduire les notions de fonctions
d'écoulement et de productions nouvelles que nous avons définies
précédemment. L'impasse en liquidité représente la
différence entre les encours d'actifs et de passifs pour toutes les
dates futures, telles qu'on peut les projeter depuis la date d'aujourd'hui :
(14) Im _ ( , )
p Liq t T = D t T
p ( , ) - D t T
a ( , )
p a
Les sommes étant prises respectivement sur toutes les
lignes de l'actif (respectivement passif). Cette définition ne prend pas
en compte les productions nouvelles futures et donc se place implicitement dans
l'hypothèse où la banque arrête son activité. Il est
important de considérer les productions nouvelles futures car l'impasse
précédente ne permet pas
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d'appréhender correctement les besoins futurs en
liquidité de la banque. Ceci nous conduit à la définition
de l'impasse dynamique7
(15) Im p _ Liq _ dyn ( t ,
T )= E [D p ( t , T) + t T
PN ;( s ) × S ( s , T
)ds-j- E [D a ( t ,
T) + fT PN *a(
s ) × S ( s , T )
dsj, t
p a
Où *
PN a (resp. PN p ) sont
les éléments de productions nouvelles anticipées dont
on
*
souhaite tenir compte dans l'impasse (productions nouvelles qui
elles mêmes s'écouleront).
II.2 La notion d'écoulement en taux
Le taux d'intérêt de marché qui doit
être appliqué dans le futur constitue un aléa pour les
besoins ou les excédents de liquidité. En effet, nous ne
disposons pas des valeurs des taux de marché futurs. Pourtant il est
important pour une banque d'avoir une vision claire de ses résultats
futurs ainsi que les facteurs qui les influencent.
Dans la suite nous montrerons comment les taux
d'intérêt interviennent à travers la
rémunération reçue ou versée par la banque ainsi
que sur l'impasse en liquidité. Mais avant cela, définissons ce
que nous entendons par marge d'intérêt de la banque.
II.2.1 La marge d'intérêt
La marge d'intérêt est définie par
(16) M( t )= ED ( t ) ×
R :tock ( t) - D p ( t
) × R ftock( t)
a p
où Rsi tock ( t
)désigne le taux de rémunération (versé ou
reçu) du poste i du bilan à la date t. Avec une
vision à long terme, on peut se poser la question de savoir : Vue
d'aujourd'hui, que vaudra la marge à une date future T ? On
obtient la formule suivante :
(17) ( , )
M t T = E D a ( t , T
) × R :tock ( t , T) - E D
p ( t , T ) × R
ftock( t , T)
a p
Mais la formule précédente n'est pas exacte car
il faut prendre en compte dans la projection, le fait que l'impasse en
liquidité pourra être replacée ou refinancée (en
fonction de son signe).
Paul Demey et al. [2003] proposent la formule suivante :
7 Cf. Paul Demey et al. [2003], Introduction à
la gestion actif-passif bancaire, page 33
Modélisation de l'écoulement des
dépôts à vue : Cas des banques commerciales du
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a
(18) ( , )
M t T = ( , ) × ( , ) - D t T R t T
p
D t T R t T ( , ) × ( , ) - D t T
( , ) - D t T r
( , ) ×
a strock p stock a p T
a p a p
Où rT désigne le taux de replacement ou
de refinancement instantané.
De cette formule, on remarque que l'encours de chacun des postes
ainsi que les taux client doivent être projetés dans le futur.
II.2.2 L'impasse en taux
L'impasse de taux mesure l'impact d'une variation de taux
d'intérêt sur la marge d'intérêt. (Grégory
GHIEU [2003]). Pour l'évaluer, il suffit donc de dériver
partiellement la marge d'intérêt par rapport au taux choisi. On a
la formule suivante :
? M t
( )
(19) Im _ ( )
p taux t = (pour un impasse en taux court)
? r t
L'impasse en taux représente en fait la variable qu'on
cherche à annuler lorsqu'on parle de couverture de la marge
d'intérêt contre le risque de taux. (Grégory GHIEU
[2003]).
Dans ce chapitre nous avons d'abord défini
l'activité de la banque à travers son bilan simplifié et
son compte de résultat, ensuite la présentation des risques
bancaires nous a permis de voir que dans ses multiples activités, la
banque fait face à des risques qu'elle doit pouvoir gérer afin
d'assurer sa pérennité. Les risques les plus rencontrés
sont les risques de liquidité et de taux d'intérêt. Enfin,
le concept d'écoulement est apparu nécessaire pour une gestion
plus efficace de ces risques.
Dans la suite nous ferons une revue de la littérature sur
les modèles de dépôts à
vue.
Modélisation de l'écoulement des
dépôts à vue : Cas des banques commerciales du
Cameroun
LES MODÈLES DE DÉPÔTS A
VUE
Nous avons décrit dans le chapitre
précédent les concepts de base nécessaires pour
appréhender la modélisation. Par exemple nous avons
constaté que le concept d'écoulement est nécessaire
à la construction des impasses en liquidité et en taux, de
même qu'à la gestion de certains risques du point de vue du
comité de Bâle. L'hypothèse simplificatrice
d'écoulement déterministe, c'est-à-dire indépendant
des taux d'intérêt, permet de considérer les impasses comme
des indicateurs de risque. Cette hypothèse est la règle dans la
pratique courante de la gestion actif/passif. Mais parfois, dans de nombreux
cas il est difficile de considérer que les écoulements sont
indépendants des taux.
Avant de procéder à la présentation des
modèles de dépôts à vue, il est essentiel de passer
en revue les généralités concernant la modélisation
des écoulements, qui nous permettront de présenter les
contraintes que doivent satisfaire les modèles d'écoulement.
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