Philosophie et religion chez Hegel( Télécharger le fichier original )par Cyrille Tenejou Grand Seinaire Saint Augustin de Maroua - Fin de cycle de philosphie 2009 |
III.1.2. La critique thomiste des rapports entre raison et foiNous voulons aussi relever quelques limites d'un autre aspect de la pensée religieuse de HEGEL. Il s'agit, bien entendu, des rapports entre la raison et la foi. Sans être hâtif, disons que la critique que HEGEL formule à l'encontre de la conception thomiste des rapports entre la raison et la foi est illégitime et nécessite des éclaircissements. Nous avons déjà évoqué l'unicité de la vérité chez HEGEL. Quand il assimile la distinction que le thomiste fait entre la vérité naturelle et la vérité surnaturelle, il ne comprend pas qu'elles expriment une seule et même vérité. Tout en soulignant le caractère surnaturel de la foi, Saint Thomas D'AQUIN n'y sépare pas le sens de sa rationalité. Il reconnaît que la nature, l'objet propre de la philosophie peut contribuer à la compréhension de la révélation divine. La foi et la raison ne sont donc pas incompatibles. Cependant, la foi suppose et perfectionne la raison. Cette dernière, éclairée par la foi est libérée des fragilités et des limites qui proviennent de la désobéissance du péché, elle trouve la force pour s'élever jusqu'à la connaissance du mystère de Dieu Un et Trine109(*). Rien ne nous empêche d'éclairer que HEGEL s'est approprié cette conception car, bien avant lui, Saint Thomas a prouvé qu'il existe une vérité qui est niée par les Sophistes. Il faisait ce raisonnement fort pertinent : « L'existence de la vérité est connue par elle-même. En effet, qui nie la vérité, dit qu'elle n'existe pas ; mais si la vérité n'existe pas, le fait de sa non-existence est vrai, et s'il est quelque chose de vrai, la vérité est. Or Dieu est la vérité même, comme l'atteste cette parole de saint Jean : "Je suis le chemin, la vérité et la vie". Donc l'existence de Dieu est connue par elle-même »110(*). Saint Thomas reconnaît que l'existence de Dieu est évidente ; il ne s'arrête cependant pas là. Si l'esprit ne peut démontrer que Dieu existe ; alors, l'existence de Dieu n'est pas connue par elle-même. En soutenant la preuve ontologique, HEGEL assume la pensée de Saint ANSELME selon laquelle la connaissance de l'existence de Dieu est naturellement inscrite en tous. Or, ce que nous connaissons par nature relève d'une connaissance spontanée et immédiate. Par contre, le thomisme professe que Dieu est accessible à la raison humaine à partir des choses créées. La critique de l'argument ontologique par Saint Thomas peut se résumer en trois points. Primo, il doute de l'universalité du Nom. Secundo, il lui dénie toute valeur probante pour établir l'existence de Dieu, car le raisonnement ne suffit pas à produire par lui-même l'existence réelle. Tertio, Saint Thomas reconnaît à l'argument une certaine valeur pour démontrer, une fois que l'on sait que Dieu existe. C'est ce qui l'a amené à entreprendre la démonstration par les cinq voies, c'est-à-dire par cinq démonstrations, aboutir à l'existence de Dieu111(*). La critique hégélienne du christianisme primitif, c'est-à-dire avant la Réforme luthérienne, avec lequel il pense qu'un Etat rationnel n'est possible, est une application de sa conception des rapports entre raison et foi. Il croyait en la toute puissance de la raison sans savoir que cette dernière aller connaître une faillite. L'Etat de liberté qu'il professe l'a plutôt amené à concevoir un Etat totalitaire et divinisé qui doit assujettir les citoyens. C'est dans la même optique que Jacques MARITAIN lui fait cette critique : « L'Etat n'est pas la suprême incarnation de l'Idée, comme le croyait Hegel ; l'Etat n'est pas une espèce de surhomme collectif ; l'Etat n'est qu'un organe habileté à employer un pouvoir de coercition, et composé d'experts ou de spécialistes de l'ordre et du bien-être publics - un instrument au service de l'homme. Mettre l'homme au service de cet instrument est une perversion politique. La personne humaine en tant qu'individu est pour le corps politique, et le corps politique est pour la personne humaine en tant que personne. Mais l'homme n'est à aucun titre pour l'Etat. L'Etat est pour l'homme »112(*). En somme, nous disons qu'en refusant de concilier la raison et la foi, HEGEL n'a pas pu échapper à deux écueils. Appliquer sa pensée à la question de l'existence de Dieu et à l'Etat ne peut que conduire respectivement au fidéisme et au rationalisme. * 109 Cf. JEAN-PAUL II, La foi et la raison, Paris, Centurion/Cerf/Mame, 1998, p. 58. * 110 Th. D'AQUIN, Somme théologique, t. 1, q. 2, art. 1. * 111 Pour les deux derniers paragraphes, nous nous sommes largement inspirés du syllabus du cours de théodicée de l'Institut Catholique de Toulouse (France). Nous nous contenterons seulement de quelques aspects de la pensée thomiste qui nous permettront de critiquer HEGEL. Pour approfondir les cinq voies, cf. ibidem, art. 2. * 112 J. & R. MARITAIN, « L'Homme et l'Etat », in OEuvres complètes, Vol. IX, Fribourg/Paris, Ed. Universitaires/Ed. Saint-Paul, 1990, p. 495. |
|