Jean zay, ministre des beaux arts 1936-1939, étude de cas sur sa politique cinématographique( Télécharger le fichier original )par Lisa Saboulard Université de Toulouse II Le Mirail - Master 1 Histoire Contemporaine 2010 |
2.1.2) Le « Festival du monde libre » : une opportunité soutenue par Jean ZaySi Venise est en crise, la France, pays démocratique de grand cinéma, n'est il pas le mieux désigné pour reprendre le flambeau et manifester aux yeux du monde l'équité de ses lois, la vitalité de sa culture et la qualité de son accueil ? Par la création de son festival, la France peut espérer réduire les tentatives hégémoniques de l'Allemagne et de l'Italie en matière de culture. Un homme en particulier souffle l'idée à Jean Zay de la création d'un festival de cinéma : Philippe Erlanger, historien et responsable du bureau des activités artistiques134(*), chargé des échanges artistiques avec les pays étrangers. Celui-ci s'appuie sur une campagne de presse montrant le désastre de Venise pour alerter le ministre qui lui accorde pleinement son soutien en s'emparant de l'affaire135(*). Jean Zay, ardent défenseur du cinéma français ne pouvant tolérer l'attitude du régime italien lors de la récente édition vénitienne, donne sa réponse favorable le 26 décembre 1938. Celui-ci voit dans cette manifestation culturelle l'occasion d'un encouragement envers l'industrie française dans son besoin d'expansion de sa production cinématographique vers l'étranger. En 1938, l'industrie cinématographique nationale est dans une phase de développement ; elle est sortie de la crise et se place même en première position dans sa production annuelle de longs métrages par rapport à ses pays voisins136(*). Développement largement encouragé par les pouvoirs publics, initiant déjà en 1937, lors de l'Exposition universelle de Paris, l'expérience d'une première compétition internationale cinématographique. La récompense officielle, créé par le ministère rue de Grenelle, est un « Grand Prix du cinéma » auquel s'ajoute un prix décerné par les journalistes : le prix « Louis Delluc ». Cette idée a une continuité nationale et Jean Zay crée et prend ainsi la direction d'un concours cinématographique national qui s'échelonne sur toute l'année137(*). Mais seule la Mostra de Venise permet la promotion des films français à l'étranger. Ainsi, afin d'assurer cette publicité cinématographique, Jean Zay soutient la mise en place d'organismes et de structures inhérents à la création du festival qui constitue une étape essentielle dans le développement du cinéma national, lui permettant ainsi d'accroitre son importance et ses moyens de distribution. Une bataille politique s'engage alors entre les « culturels », qui voient dans ce projet une opportunité de servir le prestige national, et les « diplomates » conduits par le ministre des Affaires étrangères, Georges Bonnes, pour qui l'essentiel est d'assurer la neutralité de l'Italie dans les conflits qui s'annoncent, en veillant à ne lui faire nul affront. Ce soutien du ministère sera renforcé dans l'ombre par les élus locaux et régionaux, et les syndicats de l'hôtellerie très actifs. On peut voir là les prémices d'une parfaite collaboration entre le pouvoir central (secrétariat des Beaux Arts) et les collectivités locales. Cependant, la question du festival est discutée tout l'hiver au Conseil des ministres, ne trouvant un aboutissement qu'en mai 1939, de peur d'une riposte de Mussolini, vu les tensions politiques particulièrement vives entre les deux Etats138(*). Une collaboration entre pouvoirs centraux et pouvoirs locaux commence rapidement. L'action décisive des directeurs de palace permet au gouvernement de se prononcer en faveur de Cannes et s'accompagne de propositions fortement attrayantes à la charge de la ville. Ainsi une close du contrat donne la responsabilité du Festival à Cannes et prévoit en outre que la municipalité s'engage à héberger gracieusement les délégués, les invités et les journalistes. En contre partie la ville obtient certaines garanties : les subventions de l'Etat et du département des Alpes Maritimes d'une part et le produit des recettes de l'autre, l'ensemble devant servir à amortir les coûts. Etant donné que la création du Festival touche les relations diplomatiques entre la France et l'Italie, c'est sous la tutelle du ministère des affaires étrangères139(*) que celui-ci se met en place, en collaboration avec le sous secrétariat des Beaux Arts. Enfin les services des Postes, Télégraphes et Téléphone (P.T.T) sont en charge de la promotion de l'évènement, soit sous la forme d'émissions publicitaires banales, soit sous la forme de déclarations ou d'interviews. Un « gala du film » est organisé durant l'été 1939 à Paris, sous l'égide de Jean Zay, afin d'annoncer l'ouverture des festivités à Cannes. Cette manifestation représentative de la place prépondérante que tend à prendre les échanges cinématographiques, est donc organisée par les pouvoirs publics dans leur ensemble, une première en matière culturelle ! Ce festival constitue bel et bien pour la France une étape supplémentaire dans l'élaboration de sa politique culturelle qui va véritablement s'affiner et s'affirmer qu'après la Seconde Guerre Mondiale. Afin d'aider à la création de ce festival, il est prévu de créer une nouvelle association chargée de la mise en place du Festival. Faute de temps, c'est l'Association française d'action artistique dont Philippe Erlanger est le directeur général qui reçoit la charge de former un Comité d'organisation chargé de l'exécution. De droit, la présidence de ce Comité est concédée à Georges Huisman, dirigeant du secrétariat des Beaux arts et proche de Jean Zay. Les attributions de ce comité sont multiples : établir le budget, fixer les rémunérations et indemnités des fonctionnaires ainsi qu'approuver les plans établis pour le Festival. Deux autres Comités accompagnent celui-ci : un Comité d'accueil et un autre « purement cannois », tous d'eux chargés de l'organisation locale, toutes ses structures travaillant main dans la main au fil de l'été 1939. Seul ombre au tableau - reflet des problèmes auxquels devra faire face Jean Zay dans l'application de ses projets principaux- : les finances insuffisantes140(*). La ville de Cannes141(*), dont les investissements constituent déjà la majeure partie du budget, ne peut augmenter sa participation. Le surplus des dépenses à engager doit être couvert par le Conseil général des Alpes-Maritimes. Pour faire face à ce problème, l'Etat doit diminuer les crédits accordés à certains postes financiers, une dégrève de l'ensemble des frais de douanes touchant les oeuvres étrangères etc...Mais même en résolvant le problème financier, un autre nuage assombrit l'horizon du festival comme nous le verrons plus tard : le contexte international. Pour l'heure et malgré celui-ci, de nombreux pays pensent participer aux festivités françaises. Certains Etats, pour des raisons politiques refusent tel que l'Italie et l'Allemagne mais une majorité de pays acceptent de prendre part au festival cannois. Ces participations étrangères n'ont cependant pas toutes le même poids. Pour certaines, les enjeux sont plus importants : l'U.R.S.S a droit à quelques faveurs, tout comme les Etats-Unis dont la présence apparait déterminante dans la réalisation du Festival. D'ailleurs, la France multiplie ses efforts diplomatiques afin d'accélérer la décision définitive des Américains. Cette participation américaine au Festival de Cannes reste« capitale » principalement parce que les Etats-Unis demeurent la plus grande des puissances cinématographiques mondiales. * 134 Ce service coordonnait les actions culturelles de la France à l'étranger. Il devient l'Action française d'action artistique (A.F.A.A) en 1938. * 135 Comme l'illustre une note tirée des archives du cabinet Marcel Abraham (carton AN 312 AP 6), adressé à Georges Huisman, directeur des Beaux Arts qui met en relation de beau monde, y compris Louis Lumière qui aurait du être le président de la première édition du festival. * 136 Cinématographie française du 5 aout 1938 * 137 Le jury de celui-ci, issu de la Commission de contrôle de films, devait primer les cinq meilleures oeuvres françaises. En 1938, Jean Zay modifia le règlement car cinq films français furent primés selon leur catégorie : fiction, documentaire, film d'actualité, film pédagogique et film scientifique. (Note AN 312 AP 6) * 138 Dubois R., Une histoire politique du cinéma : Etats-Unis, Europe, URSS, éditions Sulliver, Arles, 2007. p 130. * 139 Des quatre institutions qui régissaient le cinéma, celui-ci contrôlait les importations et exportations, ainsi que toute action culturelle orientée vers l'étranger. * 140 Le montant total pour organiser le festival correspondait à 995 500 F somme considérable pour l'époque. Le détail des comptes dans Leglise P., op. cit. . p196 * 141 Gagnantes face à sa rivale Biarritz qui n'a pu surenchérir face à l'offre de la Côte d'Azur en termes de participation financière, facilité de séjour, salles et équipements mis à la disposition du Comité. |
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