CHIRON Christina L3 Sociologie
LA CONSTRUCTION D'UNE CARRIERE DE FAN:
ETUDE DE CAS CHEZ LES FANS DE MIKA
TER présenté pour la Licence 3 de Sociologie
Directeur de TER : Eric Macé
Université de Bordeaux
Département de sociologie
SOMMAIRE
INTRODUCTION 3
PARTIE I/ La découverte 8
A) L'émerveillement 8
Point de départ: 8
Un artiste singulier: 11
B) Des raisons plus implicites 15
Une bulle d'air 15
Un lien avec la vie personnelle 16
PARTIE II/ Faire partie d'un groupe 19
A) La recherche d'un entre-soi 20
Les raisons d'inscription au forum 20
L'importance de la communauté des fans 22
Un groupe d'influence 24
Manifestations de la solidarité et de la solidité
du groupe 25
B) Mais réduisant son individualité 26
Des tensions inévitables 26
Des stratégies de différenciation 28
PARTIE III/ Se dire fan: une identité à la fois
affirmée et mitigée 33
A) Un statut que l'on affirme... 34
Un investissement plus important que la moyenne... 34
...mais des façons différentes de s'investir 38
B) Mais qui reste en partie mitigé: 40
Une étiquette difficile à décoller 40
Distanciation de la passion 43
CONCLUSION 49
BIBLIOGRAPHIE 51
ANNEXES 52
INTRODUCTION
Des larmes, des étreintes, une émotion
palpable, une fillette encore à moitié endormie ne comprend pas
tout ce qui lui arrive, mais elle est heureuse. Non, ce n'est pas encore le
matin de Noël, d'ailleurs, des millions de personnes observent la
scène... à travers leur écran de télévision.
Et ce qui la rend si euphorique ne sont pas les cadeaux du
Père-Noël, mais Lorie qui est allée la réveiller.
Nous sommes dans l'émission « Star à domicile ».
Faisant les beaux jours de TF1 au début des années 2000, le
concept de l'émission est simple: une star se rend au domicile de son
fan, mais, et tout l'intérêt est là, c'est une surprise!
Bien sûr, les proches sont complices de la supercherie, et au moment
où le fan s'y attend le moins, la star arrive et à ce moment, le
fan voit son rêve se réaliser, il rencontre enfin son idole. Ici,
les stéréotypes liés aux fans sont exacerbés,
certes pour faire de l'audience, mais on y découvre les profils de fan
correspondant le plus à notre imaginaire commun: des jeunes filles en
fleurs ayant des posters de la star accrochés dans leur chambre du sol
au plafond, le fan de Johnny Hallyday, ayant une collection lui étant
consacré faisant deux fois son salon, etc.
Étymologiquement, le mot fan est emprunté au
vocabulaire anglo-américain, issu par apocope de «fanatique».
Ce dernier terme venant du latin fanum, "le temple", qui
désigne quelqu'un qui s'estime inspiré par la divinité.
Cette notion, qui faisait référence au religieux, est
aujourd'hui, dans une société de moins en moins croyante,
employé à tord et à travers pour désigner tout et
n'importe quoi. Ainsi, faire le parallèle entre être fan
aujourd'hui, et le religieux (et tout le vocabulaire qui y est associé:
cultes, rituels,...) peut sembler facile, en avançant l'hypothèse
que les Olympiens de nos nouvelles mythologies sont les stars,
élevées au rang de divinité, mais qui communiquent avec le
reste de la population à travers la culture de masse1(*). Certains s'y sont
essayés2(*), mais
nous verrons que les fans sont des individus rationnels, possédant une
capacité de réflexion sur leur propre statut, les artistes ne
représentant pas une sorte de Dieu quelconque. Ainsi, dans le cadre de
cette recherche, ce rapprochement ne se révèlera pas pertinent.
Toute la difficulté fut de ne pas tomber dans ces
principes trop simplistes, et d'éviter les raccourcis
interprétatifs. Les médias viennent cependant renforcer ces
pré-notions sur les fans en les véhiculant, depuis les
premières groupies de Claude François, jusqu'à aujourd'hui
avec les jeunes fans du film « Twilight ». Les articles dans les
journaux, à la télévision, les documentaires, stigmatisent
d'autant plus ces individus qu'ils n'y paraissent que lors de leurs
dérives (l'un des exemples les plus significatifs étant
l'assassinat de John Lennon). De même, nos sociétés
actuelles, individualistes, renvoient à la responsabilité des
individus, au fait d'être adulte, et cela semble en opposition avec la
définition selon le sens commun du mot fan. Personnes
aliénées et quelque part infantiles, consommateurs
manipulés par l'industrie du star-system, dépourvues de
personnalité propre, s'identifiant et imitant l'idole auquel elles sont
entièrement vouées: même si l'image est
exagérée, cette représentation des fans est loin
d'être glorieuse3(*).
A travers ma recherche, je n'ai pas voulu démontrer
que ce type de personnes n'existait pas, mais que lorsque l'on parle de fans,
on ne peut pas désigner un seul type de fans: il n'existe pas un, mais
des fans. Mon propos est ainsi d'étudier les carrières de fans,
de façon à voir les étapes que pouvaient traverser les
fans dans cette carrière, les points qui pouvaient être communs
à tous, sans me réduire pour autant à définir un
seul idéal-type de carrière. En effet, comme nous le verrons dans
le développement de cette analyse, chacune des personnes
interrogées a vécu de façon différente son
expérience de fan, et les raisons qui les ont poussées à
devenir fans sont, dans une certaine mesure personnelles. L'objet de cette
recherche peut apparaître simpliste ou amusante. Pourtant, nous avons
tous été fan de quelque chose, l'important n'est pas de savoir de
quoi, mais plutôt de se dire qu'à un moment donné, nous
nous sommes définis comme des « fans ». Il semble ainsi
exister une tendance universelle à avoir une passion, à s'y
retrouver mais aussi à la partager. D'ailleurs, lorsque des individus
font connaissance, ne parlent-ils pas de leurs passions respectives?
Par ailleurs, j'ai souhaité étudier en
particulier les fans de Mika pour plusieurs raisons. Du fait que je me
définisse moi-même comme tel, et étant déjà
impliquée dans un forum de fans4(*), mon travail de terrain était grandement
facilité, puisque étant reconnue comme fan, je n'ai pas eu
à me heurter à une certaine méfiance. De plus, le fait que
ce travail de recherche soit effectué dans le cadre de mes études
m'a permis d'obtenir des réponses favorables. Mais au-delà de ces
raisons purement « techniques », cela m'a paru intéressant
d'effectuer une réflexion personnelle quant à mon propre statut
de fan.
Ainsi, la question de départ à laquelle j'ai
cherché à répondre a été la suivante:
Quelles sont les différentes étapes de la carrière d'un
fan de Mika?
A travers cette question, j'ai voulu analyser le processus qui
amène les fans à se considérer et à agir comme tel.
De plus, j'ai pu approfondir ma réflexion, et en dégager une
problématique: Comment se comportent les fans de Mika, quelles sont
leurs motivations? Qu'est ce que fait Mika aux fans, et comment intervient-il
dans leur vie quotidienne?
Un certain nombre d'hypothèses sont venues
compléter ces interrogations:
û Être fan n'est pas quelque chose que l'on porte
en soi, qui serait inné, et qui ferait que l'on saurait exactement
comment se comporter. Être fan, c'est d'abord un processus, une
construction, un apprentissage.
û On ne peut analyser les fans comme un groupe
homogène, ayant les mêmes pratiques, et aimant de la même
façon. Il existerait une expérience subjective à chacun.
û La rationalité des fans transparaît
à travers la réflexion qu'ils se font de leur statut et de leur
comportement, et les stratégies de présentation de soi
utilisées.
En étudiant les carrières de fan, j'ai
mobilisé un certain nombre de concepts, et je me suis appuyée sur
les analyses de différents auteurs. La notion de carrière, au
centre de notre analyse, a été étudiée par Howard
Becker5(*), où il
reprend la définition de Hughes: « dans sa dimension objective, une
carrière se compose d'une série de statuts et d'emplois
clairement définis, de suites typiques de positions, de
réalisations, de responsabilités et même d'aventures. Dans
sa dimension subjective, une carrière est faite des changements dans la
perspective selon laquelle la personne perçoit son existence comme une
totalité et interprète la signification de ses diverses
caractéristiques et actions, ainsi que tout ce qui lui arrive6(*) ». D'ailleurs, Philippe Le
Guern7(*) précise
qu'être fan ne va pas de soi, et suppose un apprentissage constant
à travers les sites d'informations par exemple, mais aussi par la
fréquentation d'autres fans.
Le mot fan n'ayant pas de définition sociologique, il
pourrait être défini de façon presque tautologique, comme
étant un individu qui se pense comme tel, consacrerait plus de temps
personnel, et consommerait davantage envers l'objet aimé, par rapport
à des individus qui simplement apprécieraient. De même,
à travers la vision péjorative des individus envers les fans, je
serais amenée à voir dans certains cas l'activité du fan
comme activité déviante, la définissant ainsi comme une
propriété non du comportement lui-même, mais de
l'interaction entre la personne qui commet l'acte et celles qui
réagissent à cet acte8(*).
Par ailleurs, mon analyse porte aussi sur la notion
d'identité, qui « repose sur la différence et l'appartenance
commune, parce qu'elle sollicite deux pôles convergents ou parfois
opposés que sont l'identité revendiquée (pour soi) et
l'identité attribuée (pour autrui) »9(*). Nous verrons ainsi
qu'être fan, n'est pas toujours évident à assumer, et
relève d'une utilisation de cette identité variable, en fonction
de ce que l'on cherche à montrer, ou au contraire à dissimuler.
Christian Le Bart10(*), de
même, illustrera de nombreuses fois mon propos, lui même ayant
analysé les fans des Beatles.
L'enquête:
Afin de rendre compte de ces réflexions, et de pouvoir
en tirer des conclusions, j'ai procédé de deux manières,
l'une formant davantage la base de ce TER. Tout d'abord, j'ai observé un
forum de fans11(*), afin
de connaître le public, du fait que l'inscription à un forum soit
une étape importante dans le processus amenant à devenir fan.
La technique d'enquête
utilisée pour ma recherche a été l'entretien, où,
à partir du forum observé, j'ai effectué des entretiens
compréhensifs auprès de sept femmes, âgées entre 20
et 42 ans12(*), dont les
variables qui se sont révélées les plus utiles furent la
situation familiale et professionnelle, ainsi que l'âge (les deux
étant indirectement en lien). .
L'entretien compréhensif a pour objectif principal
« la production de théories [...]: une articulation aussi fine que
possible entre données et hypothèses d'autant plus
créatrice qu'elle est enracinée dans les faits »13(*). De même, cette
méthode permet une implication plus grande de l'enquêteur,
permettant ainsi à la personne interrogée de s'engager plus
fortement durant l'échange.
Ces entretiens ont été réalisés
à partir d'un guide d'entretien, où j'avais dégagé
trois thèmes principaux, suivi de sous-thèmes. De plus, parmi ces
différents thèmes, et afin de me guider davantage, je les ai
explicités à l'aide de quelques questions introductrices14(*). Tous ces entretiens ont
été effectués sur Internet du fait de la distance
géographique, par le biais d'MSN Messenger et de facebook.
Une fois les entretiens effectués, j'ai
procédé à une analyse de contenu, où je les ai
regroupés à partir de leurs points communs. Grâce à
cette méthode, j'ai ainsi pu voir se distinguer plusieurs thèmes,
où certaines réponses se recoupaient. De même, cela m'a
permis de voir les contradictions d'une même personne, mais aussi les
distinctions possibles entre chaque entretien. Ainsi, avant de commencer la
rédaction du TER, j'ai pu faire quelques interprétations
préalables au vu de ces premier résultats.
Nous verrons ainsi dans cette recherche que ces personnes ne
sont pas devenues fans de Mika par hasard. Bien souvent, la musique a
été en lien avec leur vie personnelle, l'une venant contraster
l'autre, du fait de l'originalité des mélodies, venant rompre
avec les autres artistes. Mika va ainsi prendre une plus grande importance
(même si nous le verrons, cela n'a pas toujours été le cas)
du fait de sa singularité, et va se démarquer des autres. Il
semblera ainsi qu'être fan soit lié au fait de privilégier
un artiste vis-à-vis des autres. Cela constituerait le point de
départ de la carrière du fan, mais nous verrons que le
réel marqueur de celle-ci, et qui fera que le fan prendra conscience de
son statut, est la rencontre avec les autres fans. Comme le précise
Christian Le Bart, le fan va découvrir que « son petit monde est
aussi peuplé qu'un autre15(*) ». Il va ainsi créer des liens avec
des semblables, et va affirmer davantage son statut du fait que les
interactions vont normaliser son comportement, cristallisant ainsi son
identité. Néanmoins, si ce statut est assumé dans cette
sphère, nous verrons qu'affirmer être fan n'est pas toujours
évident, et demande un travail de présentation de soi afin de ne
pas paraître déviant aux yeux d'autrui.
C'est ainsi que dans un premier temps, nous étudierons
le contexte dans lequel les fans ont découvert Mika, mais aussi que le
fait de devenir fan a un lien avec la singularité donnée à
l'artiste en comparaison des autres. Puis, nous verrons que ce qui marquera une
étape importante de la carrière du fan de Mika est l'inscription
au forum de fans, puisqu'elle permet la rencontre entre semblables, et donc de
ce fait une implication plus grande en tant que fan. Nous verrons d'ailleurs
que l'amitié qui se nouera entre les fans sera tout aussi importante que
Mika lui-même dans la continuité de la carrière. Enfin, la
dernière partie consistera a montrer que si les fans ont conscience de
leur statut et l'assument, la confrontation avec la réalité
quotidienne n'est pas toujours en adéquation avec la passion, et
entraîne des difficultés à s'affirmer en tant que fan
auprès d'autrui.
PARTIE I/ La découverte
Presque systématiquement, la première
« rencontre » musicale avec Mika semble être le fruit
du hasard. On zappe sur une radio et on tombe sur une chanson encore inconnue
à nos oreilles; on voit à la télévision un grand
jeune homme, « beau garçon », se distinguant par un
look aussi coloré et décalé que sa musique. Sans pouvoir
toujours expliquer les raisons de cet engouement, les mères de familles,
étudiants, et autres se retrouvent à s'attacher à
l'artiste, aux mélodies, et finissent par adopter des comportements
(nous verrons plus précisément lesquels plus loin) qui les
assignent au rang de fan.
Néanmoins, tout comme tomber amoureux n'est pas
totalement irrationnel, et qu'il existe des déterminismes sociaux (PCS,
lieu d'habitation,...) à rencontrer la personne de sa vie, devenir fan
de Mika n'est pas une simple coïncidence. En effet, des raisons plus
rationnelles viennent succéder aux premières descriptions de la
découverte lors des différents entretiens que j'ai pu effectuer.
Et, tout comme le précise Christian Le Bart, il existe une
« tension repérable dans les récits entre le
désir de croire en une rencontre magique [...], et l'obligation de
restituer les préalables qui rendirent possible, sinon
nécessaire, cette préférence musicale »16(*).
C'est ainsi que dans cette partie, nous aborderons dans un
premier temps la surprise de la découverte, ainsi que les critiques
très positives concernant l'artiste et sa musique. Nous verrons ensuite
que l'attachement à l'artiste a des origines logiques, souvent en lien
avec la vie personnelle des individus.
A) L'émerveillement
Point de départ:
Relax, take it easy
For there is nothing that we can do.
Relax, take it easy
Blame it on me or blame it on you.
(Mika, Relax, take it easy, Life in Cartoon Motion,
2007)
Tube de l'été 2007, et, bien souvent, avec la
chanson « Grace Kelly », points de départ de la
carrière de fan, la découverte de Mika passe par celle de ses
chansons. Les diffusions successives sur les ondes des singles «Relax,
take it easy» et «Grace Kelly» au début de l'année
2007 ont souvent été à l'origine de cette
découverte. Ainsi, avant de pouvoir mettre un nom sur le visage du
chanteur, ce sont les chansons qui ont touché la plupart des fans
interrogés: «j'ai du l'entendre la toute première fois en
avril 2007, je crois, et comme à l'époque les radios passaient
Relax et Grace Kelly en même temps, j'étais toujours en train de
demander à ma fille qui chantait (car je ne me souvenais jamais!) »
(Béatrice, 42 ans).
Mais les deux chansons étant différentes,
certaines ne se sont pas tout de suite rendues compte qu'elles étaient
du même auteur: « en fait un ami me chantait relax depuis
décembre 2006 mais je ne savais pas que c'était Mika, et en fait,
j'écoutais Europe2 chez moi et aimait Grace Kelly, et ma soeur
écoutait Fun Radio qui passait Relax. Et j'ai donc remarqué qu'il
faisait les deux chansons là alors que je ne pensais pas du tout que
c'était la même personne » (Elodie, 20 ans). Elle ajoute
d'ailleurs qu'elle aimait, mais que « c'était juste si
différent de Grace Kelly que je ne pensais pas que ça pouvait
être la même personne »; « j'avais entendu relax a
la radio auparavant, mais je ne savais pas que c'était lui »
(Aurélie, 28 ans). Cette remarque se retrouve aussi chez
Béatrice, qui a « apprécié les 2 chansons tout
de suite », mais qui, ne se souvenant jamais de qui chantait, a
« donc souvent [j'ai] cru que c'était 2 gars
différents! ». De façon plus amusante encore, l'une des
membres du forum m'a dit avoir « directement
adoré », mais a ajouté: « mais
évidemment je ne savais pas qui pouvait bien être cette femme
(euh... oui je croyais que c'était une chanteuse !) »
(Lucinda, 24 ans).
Néanmoins, les passages à la
télévision et à la radio étant plutôt
proches, elles ont pu rapidement mettre un visage sur la voix: « j'ai
entendu pour la première fois Mika en été 2006.
C'était Grace Kelly et c'était dans la rue [...] Et c'est
finalement en janvier 2007, que j'ai vu Mika dans Taratata et je me suis direct
souvenue de la mélodie » (Lucinda, 24 ans). De même,
Delphine (29 ans) l'a découvert simultanément à la radio
et à la télévision: « la première fois
que je l'ai vu et entendu c'était lors d'un extrait TV (France2, un
extrait du clip de Grace Kelly) très court, mais j'ai ensuite reconnu la
chanson à la radio »; « la première fois que je
l'ai entendu j'étais chez moi, seule. C'était dans une
émission sur la 6 le matin avant d'aller au travail. L'animateur a
annoncé le clip d'un jeune homme très prometteur, il a dit qu'il
avait quelque chose de Queen dans sa musique. Je me suis donc attardée,
par curiosité. Et j'ai donc vu le clip de Grace Kelly, je suis
tombée sous le charme! » (Aurélie, 28 ans); «La
première écoute sur Radio Nova. J'ai d'abord trouvé que
ça ressemblait aux Scissors Sisters. J'ai d'emblée trouvé
que c'était sympa » (Sylvie, 42 ans).
Mais quelquefois, cela se passe non sans surprise: «La
1ere fois que je l'ai vu c'était à la fête de la musique
2007, avec Olivier Minne: on a l'habitude de regarder cette émission
tous les ans et là enfin j'ai mis un visage sur son nom. Ma
première réaction quand je l'ai vu : "il est complètement
déjanté ce type"! Il bougeait beaucoup, il était super
à l'aise j'ai trouvé pour un gars qui "arrivait" dans le
métier [...] en plus je ne l'imaginais pas du tout comme ça [...]
donc ça a été un choc on peut dire de le voir »
(Béatrice, 42 ans).
Et de la même façon que certains ont tout de
suite accroché à la musique, (« j'ai directement
adoré!! »; « Je suis restée
scotchée ») d'autres ont mis plus de temps à
apprécier les mélodies. Ainsi, Déborah (23 ans) n'a pas
tout de suite aimé, mais les écoutes régulières
à la radio ont fini par la convaincre. « Mon ami (Paul, avec
qui je suis depuis plus de 6 ans) a voulu me faire écouter un artiste
qu'il avait découvert et c'était Mika. Au premier abord, j'ai
été assez indifférente en fait ! Je n'étais peut
être pas "prête" pour apprécier mais je n'ai pas
été séduite ! Ensuite, les chansons sont beaucoup
passées en radio et j'ai donc commencé à bien aimer Grace
Kelly et Relax ».
Ainsi, pour certaines, cela s'est produit en deux temps, le
commencement de « l'aventure Mikanesque » (Déborah)
ayant été déclenché par la rencontre réelle
lors du premier concert. En effet, le premier concert étant l'occasion
de voir l'artiste en live, de « vivre » les chansons et de
partager un moment, une expérience à la fois personnelle et
collective, deux membres du forum interrogés l'ont
vécu comme le déclic. D'ailleurs, j'ai pu noter que dans
les deux entretiens, c'est ce même mot,
« déclic » qui avait été
employé. Comme si avec ce premier concert, c'était toute une
machinerie qui s'emboîtait et se mettait en marche. Ainsi, pour Elodie
(20 ans), l'occasion d'aller le voir s'est présentée « en
mai [2007], un ami m'a dit qu'il passerait à Colmar, j'ai sauté
sur l'occasion en plus la place n'était pas chère, c'était
une veille de jour férié... et ça a été un
des concerts que j'ai le plus aimé, ce que j'ai vu sur scène n'a
fait que renforcer l'impression que j'avais sur l'album [...] Le premier
concert m'a fait venir sur le forum, le premier concert m'a donné envie
d'aller en voir d'autres. Ce fut le déclic, et sûrement un de mes
meilleurs concerts de lui ». Pour Déborah (23 ans), ce concert a
quasiment été une révélation: « Pour
l'anniversaire de mon ami, en août, je lui ai offert 2 places pour le
zénith de Nantes. Et c'est ce concert qui a été un
véritable déclic. Pour moi, j'ai découvert Mika en live et
ça a été une vraie claque : les chansons ont pris une
dimension différente et j'ai été bluffée par sa
présence scénique, sa voix...». Selon Delphine, l'avoir vu
sur scène a largement été une contribution à ce qui
n'était pas encore une ''addiction'': « le fait de l'avoir vu en
live et d'avoir pu le rencontrer à grandement contribué à
ma fan attitude ». Pour Béatrice, c'est aussi de l'avoir vu en
live, mais à travers l'écran de la télévision,
où « le déclencheur ça a été son
énergie, le voir sauter partout, et sa simplicité ».
De plus, dans les cinq entretiens effectués sur les
sept, l'élément déclencheur, entraînant de cette
façon les personnes à s'intéresser davantage à
Mika, et par la suite à en devenir définitivement fan, a
été le fait de le voir, que ce soit par le biais de la
télévision ou du premier concert. Sur ce dernier point, je n'ai
eu que deux personnes qui m'ont avoué l'avoir trouvé
« beau garçon » (Lucinda, 24 ans), et d'être
« restée scotchée [sur] son physique sur le
coup » (Delphine, 29 ans). Ainsi, ses prestations scéniques
les ont amenés à s'intéresser davantage à lui, en
plus d'apprécier sa musique.
Un artiste singulier:
« Quand je regardais une émission de
chanteurs, c'était toujours les même qui revenaient, et qui
restaient stoïques avec leur micro bien à 10 cm devant eux. Mika
arrive et c'est une autre façon de se ''produire'' sur
scène. » (Béatrice, 42 ans).
Cette citation résume plutôt bien le fait que
l'arrivée sur la scène musicale de Mika n'est pas passée
inaperçue. En donnant un coup de pied dans la fourmilière qu'est
l'industrie du disque, il s'est distingué de ses camarades par une pop
acidulée, dansante, et faussement naïve. Ce changement fut
d'ailleurs largement apprécié durant les entretiens que j'ai pu
faire.
En effet, la nouveauté apportée musicalement,
l'originalité des chansons, ont été l'un des facteurs
favorisant cette attirance: « ça faisait du
bien de voir et
d'entendre autre chose, j'avais besoin de
découvrir cette façon d'être... je
commençais à m'ennuyer musicalement » (Béatrice,
42 ans). Il en va de même pour Delphine (29 ans): « J'ai
découvert un jeune homme plein d'énergie, d'humour et de
fantaisie [...] c'est ce qui le rend différent des autres à mes
yeux ». Mais aussi pour Lucinda (24 ans): « c'était aussi
le fait que ce soit inconnu et tout nouveau qui m'a attiré »;
« Au moment du premier album, je trouvais qu'il détonnait dans le
"paysage musical". Rien ne ressemblait vraiment a lui, et sa voix très
aiguë était assez étonnante » (Aurélie, 28
ans).
Une autre qualité reconnue comme plutôt rare
aujourd'hui est la proximité maintenue entre Mika et ses fans. En effet,
toutes les personnes interrogées m'ont fait part de ses qualités
personnelles, mais aussi de sa capacité à être disponible
pour ses fans. Principalement évoquées, sa gentillesse, et sa
simplicité qui le rendent accessible et attachant. C'est ainsi que le
vocabulaire utilisé est souvent similaire, voire identique:
« Sa générosité envers ses fans est vraiment un
plus et ça le rend attachant! [...] sa gentillesse, sa
disponibilité, sa bonne humeur communicative, sons sens de l'humour, son
côté artistique » (Delphine);
« J'apprécie avant tout sa simplicité et la
manière dont il aborde la célébrité. Il semble
rester lui même. Il est très proche de ses fans et très
patient. Et ça, c'est rare ! Il est drôle et charmant aussi, tout
en étant parfois maladroit ! Bref, il est très
attachant! » (Déborah); « il a été
d'une gentillesse incroyable, j'imaginais pas qu'un artiste soit aussi adorable
avec des gens qu'il ne connais pas finalement [...] je trouve qu'il est
accessible et ne prend pas la grosse tête. Il a une façon de
parler à ses fans sans leur montrer qu'il est au dessus. Il est modeste
et simple. Sa personnalité fait entièrement partie du personnage
que j'aime » (Lucinda); « C'est une personne très
gentille et attachante, qui respecte ses fans. A son niveau, c'est des fois
bien rare [...] [il] reste proche de ses fans, disponible, sa famille l'aide
vraiment à garder les pieds sur terre, sa mère n'hésite
pas à le rembarrer s'il faut, ils se prennent la tête mais 5min
près c'est oublié, je pense que le fait de bosser "en famille"
est quelque chose qui fait qu'il soit aussi disponible, naturel (hors promo, je
parle en backstages/avec les fans) et juste gentil » (Elodie); «
il est vraiment TRES abordable, et il a gardé ça, jusqu'à
présent » (Aurélie).
Enfin, une particularité assez inédite chez les
artistes a été très souvent saluée: le fait que
lors des concerts, des fans sont sélectionnés dans les files
d'attente afin de participer en tant qu'acteur du concert, incarnant des
personnages de ses albums tirés des chansons (Big girl, Lollipop girl).
Beaucoup de personnes du forum ont ainsi pu eu l'opportunité de voir
l'envers du concert, et de pouvoir côtoyer le temps d'une soirée
leur idole. « Le fait qu'il fasse monter des fans sur scène
c'est génial et totalement dingue ! Il nous considère vraiment et
c'est une expérience unique de vivre de l'intérieur le concert de
son artiste favori » (Déborah, 23 ans); « faire
plaisir a ses fans, les faire monter sur scènes avec lui, les faire
danser, les rencontrer, leur offrir le champagne ou des soirées dans un
bar, leur parler via internet, vidéos postées sur son site
internet17(*),... »;
« Sa simplicité, sa gentillesse (pour faire monter des fans
sur scène ....on en voit jamais ailleurs que dans ses concerts à
lui), sa bonne humeur (même quand il a l'air crevé) »
(Béatrice, 42 ans). A travers ces témoignages, c'est l'impression
d'être reconnu en tant que fan, de ne pas exister inutilement qui
transparaît. Mika est ainsi apprécié en partie parce qu'il
donne de l'importance aux fans, et les fait exister, les distinguant ainsi des
« amateurs » de sa musique, en leur donnant ce
privilège: « il nous implique en tant que fan, enfin je trouve
[...] je trouve qu'il nous donne beaucoup, alors forcément on veut lui
rendre la pareille, ça renforce les liens entre son public et lui. Dans
ce cas là oui, il y a une réciprocité. C'est pas souvent
qu'un chanteur choisit dans son public pour faire monter des gens sur
scène pour danser en costume! Tu as l'impression d'être importante
dans ces moment là, c'est con! » (Aurélie, 28 ans).
Mais lorsque je leur demande de mettre des mots sur cette
passion, ce que leur fait Mika, ce qu'il a en plus, l'exercice devient souvent
plus difficile, tant il est complexe d'expliciter ce qui relève de
l'émotion. Il est d'autant plus difficile d'exprimer un ressenti sur un
artiste que l'on apprécie que cette situation là est la
première à se présenter. En effet, pour beaucoup, Mika est
le premier artiste qui leur a fait cet effet: «Disons que j'ai eu des
coups de coeurs musicaux, passagers, mais ils n'ont jamais duré bien
longtemps. C'est donc la première fois que je suis un artiste sur sa
carrière de cette manière, que je fais plusieurs concerts et que
je m'inscris sur un forum de discussion à son sujet»
(Déborah, 24 ans). Il semble pour elles singulier et original, parce
qu'une relation particulière s'est installée entre lui (notamment
au travers de ses chansons), et ses fans.
Par ailleurs, si l'exposition médiatique de Mika a fait
qu'il était difficile de ne pas le connaître, « la
naissance de la passion ne s'explique jamais complètement par ce seul
contact [...]. C'est qu'il s'est passé « quelque
chose », quelque chose de difficile à décrire, sinon
par métaphore: coup de foudre, enchantement,
choc... »18(*).
Dans notre cas, la situation est assez similaire, puisqu'à plusieurs
reprises, Lucinda (24 ans), a eu du mal à décrire ce qu'elle
ressentait. « C'est quelque chose que je ne peux pas expliquer. C'est
comme tomber amoureuse, sauf que là c'est d'une voix, d'un artiste,
d'une personnalité etc ». Elle ajoutera d'ailleurs plus tard
que « sur scène comme dans la vie, il dégage un truc.
Je saurais pas définir, mais je crois que c'est ce qu'on appelle le
charisme. Et ça je ne l'ai pas encore trouvé chez d'autres
artistes, cette chose qui fait que tu es irrémédiablement
attirée vers lui »; « Pourquoi lui et pas un autre? C'est
comme l'amour là tu l'explique pas !!! » (Sylvie, 42 ans); «
La raison qui fait que c'est Mika : je ne sais pas ! ça s'explique pas,
c'est un tout » (Déborah, 23 ans); « Franchement, je ne sais
pas trop. Je crois que c'est un peu l'impression de se dire: il est en train de
se passer quelque chose! Je veux en faire partie » (Aurélie, 28
ans). Cela se retrouve aussi chez Béatrice (42 ans): « c'est
difficile de l'expliquer, c'est une chose qu'on ressent mais qu'on a du mal
à exprimer ». De même, elle pensait voir ses goûts
musicaux déterminés et qui ne changeraient plus. Le coup de coeur
pour Mika fut donc une surprise: « c'est assez bizarre d'ailleurs,
car quand tu as 40 ans, tu te dis : ''ok c'est bon, j'ai mes
préférences et ça changera plus" ! Et paf, Mika arrive et
tout est remis en question ». De plus, ayant déjà
été fan 20 ans auparavant de Patrick Bruel, elle n'avait plus
« retrouvé un tel engouement pour un artiste ».
Ce coup de foudre musical tient aussi aux émotions que
ses chansons peuvent faire passer. A ce titre, les personnes interrogées
semblent être en partie devenues fan du fait de ces transmissions au
travers des chansons. Musicalement, il leur parle, elles sont toutes en effet
particulièrement touchées par sa capacité à faire
ressentir des sentiments contradictoires. Elles ont ainsi l'impression
d'être comprises, que, dans une certaine mesure, Mika, à travers
ses chansons, les comprend: « je m'y retrouve [dans les chansons]
[...] Il essaie de faire ressentir à la personne qui l'écoute,
quelque chose qui l'a touché lui » (Béatrice, 42 ans).
« Mika est un artiste qui sait me parler musicalement. Je suis
touchée par sa musique, sa voix, ses paroles, la diversité de son
talent et également sa personnalité. [...] J'aime avant tout la
diversité des mélodies. En fait, il me fait passer par un large
panel d'émotions : la joie, la rage, la tristesse, le doute... TOUT
J'aime écouter ses albums car ils me font tout ressentir. Je trouve
qu'il a une manière assez dingue de composer ses chansons, en
mélangeant des styles, des instruments... Et bien sûr sa voix qui
m'émeut particulièrement » (Déborah, 23 ans). Il
en va d'ailleurs de même pour Delphine (29 ans): « Il dégage
quelque chose qui me touche... autant dans ses chansons que dans son
attitude ». Mais plus légèrement aussi, « sa
musique me met une pêche d'enfer » (Béatrice).
Ainsi, la passion est vue comme subjective à chacun,
la façon d'être touché par telle ou telle chanson
étant différente pour chaque individu, et ne provoque pas
nécessairement les mêmes sentiments. De même que certaines
chansons demeurent plus ou moins appréciées. Dans ce registre, ce
commentaire est assez intéressant, puisqu'il montre bien comment on peut
s'approprier les oeuvres de l'artiste, et l'artiste en lui même:
« j'ai détesté ''any other world'' ou
''happy ending'', je ne trouve pas que les balades sont les chansons
qui lui "vont" le mieux musicalement, je préférais ''Love
Today'' ou ''Lollipop'' » (Elodie, 20 ans). A
l'inverse, Béatrice (42 ans) avoue « avoir pleuré sur
''any other world'' comme je crois je ne l'avais jamais
fait ».
Et c'est bien là qu'il se distingue des autres
artistes. Si l'on devient fan, ce n'est pas simplement parce que l'on
apprécie, c'est parce que c'est une façon d'aimer qui est
différente. On peut d'ailleurs reprendre les propos d'Antoine Hennion,
qui nous indique qu'il y a aimer, et aimer. Pas facile à comprendre au
premier abord, la différence semblant subtile entre les deux, et
pourtant ô combien importante. La passion est fonction de situations, de
manières d'être, de faire et de percevoir, qui dépendent de
situations données. La façon d'aimer dépend de la
façon dont on aime, et ainsi être fan dépend de la
même manière de la façon dont on est fan, dont on se
comporte en tant que tel, permettant par la même occasion de se
distinguer des autres. Pour reprendre Antoine Hennion, « c'est la
différence entre aimer et « aimer », être amateur,
même à un degré minimal. On voit que cette attention
différenciée et différenciatrice renvoie à une
double historicité, personnelle et collective, et plus
généralement à un espace propre, dans lequel
l'activité a pu se donner les lieux, les moments, les moyens de se
constituer comme telle : le goût est aussi réflexif au sens «
fort », c'est une activité cadrée. On n'aime pas le vin ou
la musique comme on rentrerait dans un mur. On aime le vin ET on « aime le
vin » (ou tel vin) : on se décale légèrement de
soi-même pour «rentrer» dans cette activité, qui a un
passé et un espace, jalonnés par ses objets, ses autres
participants, ses façons de faire, ses lieux et ses moments, ses
institutions »19(*).
B) Des raisons plus implicites
Une bulle d'air
« Ça n'allait pas fort, la routine
m'étouffait...»
(Delphine, 22 ans)
Lorsque l'on se penche un peu plus sur les raisons
personnelles qui ont amené ces personnes à devenir fan, on
s'aperçoit que souvent, la nouveauté apportée musicalement
vient compléter un quotidien trop étouffant, pas toujours
très intéressant. Ainsi, Mika devient une issue de secours,
où certains peuvent aller afin d'oublier un peu la routine
installée dans la vie quotidienne.
En effet, pour Béatrice (42 ans), Mika lui a
apporté « un renouveau, j'avais besoin d'entendre autre chose car
depuis des années on n'avait pas eu de nouvelles stars »; «
Mika avec sa gueule d'ange et ses mélodies rafraichissantes nous a tous
permis de nous échapper de notre quotidien » (Lucinda, 24 ans);
« je pense qu'il est arrivé dans ma vie au moment où j'avais
besoin d'évasion, et il m'a donc aidé à m'évader du
quotidien. Il a donc un peu pimenté ma vie quoi [...] il est peu mon
exutoire en fait » (Delphine, 29 ans). Elle ajoutera d'ailleurs « au
quotidien, c'est comme un échappatoire, on laisse de côté
la réalité pour le suivre dans ses périples»; «
c'était vraiment une bouffée d'air frais, colorée, et j'en
avais besoin aussi, quelque chose d'un peu "naïf", enfantin, léger
» (Aurélie, 28 ans). Les albums sont vus comme un univers à
part, qui permettent de sortir du quotidien le temps d'une chanson.
Béatrice (42 ans), exprime très bien cette idée.
Lorsqu'elle m'a parlé du fait que même si elle écoute
très souvent Mika, elle est toujours contente de tomber sur un clip par
hasard, ou de l'entendre à la radio; elle m'a ainsi résumé
ce comportement et son ressenti: « Mika c'est comme une bulle d'air au
milieu de la journée, ça redonne la pêche et le moral pour
le reste de la journée ».
De même, non seulement les mélodies ont
apporté un peu de fraîcheur dans la vie, mais
l'échappatoire vient aussi du fait de multiplier les concerts, où
à chaque fois, les fans sont plongés dans une ambiance totalement
opposée à la vie de tous les jours. Les concerts sont ici aux
antipodes de la routine, du fait de visiter d'autres villes, mais aussi de voir
ou revoir d'autres fans, et ainsi de voir le concert associé à
une expédition, certes contrôlée (pour tout ce qui concerne
les préparatifs liés au transport et à
l'hébergement), mais source de plaisir, puisque le concert arrive
à les « faire entrer dans un monde parallèle» (Lucinda,
24 ans). Mais ce n'est pas seulement le concert en lui-même qui provoque
cet effet, mais aussi tout ce qui entoure l'avant et l'après concert.
Pour Delphine (29 ans), « ça [me] permet de déconnecter un
peu de la réalité, et ça fait du bien ». En effet, le
suivre sur sa tournée correspond à une aventure qui leur permet
d'oublier pour un temps les responsabilités liées à
l'âge adulte, de simplement profiter de l'instant présent sans se
soucier ni de ses problèmes, ni de ceux d'autrui. Comme le dit de
façon très claire Lucinda, « c'est agréable de faire
des trucs de dingue sans forcement réfléchir aux
conséquences. On oublie un peu le quotidien, et dieu sait qu'on en a
tous bien besoin! ».
Un lien avec la vie personnelle
Néanmoins, ce besoin de s'échapper du quotidien
trouve quelquefois sa source dans un événement douloureux de la
vie personnelle, se situant à peu près à la même
époque où elles ont découvert Mika. Indirectement, il
allait se révéler être celui qui allait davantage les aider
à surmonter leur peine, même si ce lien entre
l'évènement et Mika n'a pas toujours été
repérable sur le moment: « Je m'en suis rendue compte assez tard en
fait que mon lien avec Mika et le fait de devenir fan soit lié avec ce
qui me soit arrivé. Mais c'est vrai que du coup, c'est très
lié. » (Déborah, 23 ans).
Plus qu'un proche et par ses chansons, l'artiste se
révèle être un soutien pour traverser les moments de joie
comme de peine: « sa joie de vivre correspondait à une
période pas facile à vivre et cela m'aidait » (Sylvie, 42
ans). Lucinda (24 ans), s'est d'ailleurs aperçue au fil du temps que la
plupart des membres du forum ont tous plus ou moins vécu un moment
difficile, et que par conséquent, pense que « c'est aussi un besoin
de combler quelque chose. » Elle ajoute d'ailleurs: « J'ai
toujours été persuadée que ce qu'on fait (multiples
concerts, voyages de dingue, volonté à tout prix de voir Mika,
etc) c'est aussi pour combler un manque ou pour ne pas penser à quelque
chose de difficile. En discutant avec d'autres fans, on se rend compte que
finalement on est tous tombés dans ce "groupe" après un
événement douloureux ou à un moment de nos vies où
ça n'allait pas trop. Je pensais être la seule, et en fait, en
discutant, on a tous eu le coup de coeur à un moment bien précis
de notre vie ». Et en effet, dans trois de mes entretiens, cette situation
s'est retrouvée. Dans les trois cas, la perte d'un proche, où le
travail de deuil était difficile et la période compliquée,
a été en partie facilité avec l'arrivée de Mika.
Les passages narrés sont d'ailleurs plutôt longs, en
témoigne l'entretien de Béatrice (42 ans), qui s'est «
rattrapé[e] à lui comme d'autres se raccrochent à la foi
», et qui raconte: « j'avais perdu le frère de mon grand
père, qui était devenu avec le temps comme un grand père
pour moi (c'est compliqué mais en 2 mots : mon grand père est
décédé quand j'étais ado et c'est lui qui m'a
élevée pendant quelques années, donc très dur pour
moi à l'époque et j'ai reporté mon affection sur mon
oncle). Et quand cet oncle est décédé en mars 2007, j'ai
tout eu à gérer : sa femme est morte un an avant, ils n'avaient
pas d'enfant...et ne s'entendaient pas avec le reste de la famille. Du coup
j'ai du tout faire (avec l'aide de mon mari) et j'ai eu beaucoup de mal a
surmonter tout ça. Et quand Mika est vraiment arrivé dans "ma
vie", ça a été comme une libération. Je me souviens
d'avoir pleuré sur ''any other world'' comme je crois je ne l'avais
jamais fait, et franchement ça m'a libéré. Et pas de bol,
ma grand mère décède en septembre 2007, et franchement
là j'ai mieux encaissé le coup ». Le vocabulaire
utilisé est plutôt fort, puisqu'elle parle d'une
libération, et Mika lui a ainsi « permis de [se] me sortir de [son]
mon esprit de l'époque ».
Il en va de même pour Déborah (24 ans): «
Octobre 2007 était une période très difficile pour moi,
donc ce concert m'a transporté dans le monde qu'il me fallait pour
m'échapper de tout ça. J'ai en effet perdu très
brutalement ma grand-mère dont j'étais extrêmement proche
en septembre 2007. Elle est décédée d'une rupture
d'anévrisme dans un supermarché de ma ville et le hasard a voulu
que je fasse mes courses ici au même moment : j'ai donc vécu tout
ça en direct et j'ai dû tout gérer... Bref, j'ai
vécu un vrai choc en voyant les pompiers, devoir appeler ma famille...
C'était très dur. J'ai commencé à sombrer en
dépression (ce qui n'est pas du tout dans ma nature)... jusqu'au concert
et ma venue sur le forum. J'ai pu oublier les choses et avoir de nouveaux
projets. » Ce fut aussi le cas pour Aurélie: « mon grand
père qui était décédé au début de
l'année 2007. J'avais besoin de me "changer les idées" ».
Ici, les proches, même s'ils ont constitué un
fort soutien, n'ont pas pu entièrement les aider, il leur fallait une
aide « extérieure », liée à la
musique. La musique se révèle donc être un formidable
rempart contre les difficultés - presque au même titre que la
religion, comme en a témoigné Béatrice
précédemment - créant ainsi un lien particulier entre le
fan et l'artiste, où le fan a l'impression d'être compris et
entendu. Déborah montre bien ici ce besoin d'avoir quelque chose qui lui
appartienne, et qu'elle ait réussi à surmonter cette
période difficile, pas seulement avec l'aide des proches, mais aussi
grâce indirectement à Mika, et à la rencontre des autres
fans sur le forum: « Mais c'est sûr que j'ai eu un vide immense dans
ma vie, du jour au lendemain. Ma famille, mes amis ne pouvaient pas le combler
car ils étaient déjà là avant. Il me fallait
quelque chose d'autre, de différent. Et qui m'appartienne uniquement,
que ce soit mon aventure qui me permette de m'aider à avancer.»
Le décalage apporté entre un passage douloureux
et la gaité des chansons leur a permis d'avoir un soutien, et de se
sortir d'un quotidien parfois difficile. Bien sûr, ces deux exemples ne
sont pas significatifs de tous les fans, et pour d'autres, devenir fan de Mika
a été uniquement lié à sa musique, sans avoir eu
à traverser nécessairement ce genre d'épreuves.
Nous pouvons donc dire ici que la découverte de Mika
s'est faite quasiment de la même manière pour les
interrogés, qui ont d'abord entendu les chansons à la radio ou
ailleurs, et qui ont fini d'être convaincus lorsqu'ils ont vu la
prestation scénique de l'artiste. C'est ici que débute la
carrière de fan, qui vont vouloir en savoir plus sur lui, et en
cherchant davantage d'informations, vont s'inscrire sur le forum, et affirmer
définitivement leur statut, et leur identité de fan. De
même, certains ont vu en Mika un moyen de se sortir de la
réalité, d'apporter un plus dans leur vie, et pour d'autres, une
aide précieuse pour surmonter des périodes plus ou moins
difficiles.
Petit à petit, l'artiste va s'imposer comme faisant
entièrement partie du quotidien des fans, notamment par le biais du
forum (nous le verrons en deuxième partie). En effet, Mika va devenir
presque un membre de la famille, comme en témoigne Béatrice (42
ans): « c'est bête à dire mais quelque part il fait partie de
notre vie ». Lucinda (24 ans) est du même avis: « à
force de le côtoyer aussi souvent, il devient presque un proche, il a
pris une place très importante dans ma vie. Je crois aussi qu'il fait
partie de nos proches maintenant, du coup on espère avoir un peu
d'importance à ses yeux, comme il en a pour nous »; Delphine (29
ans): « [c'est] un peu comme s'il faisait partie de l'entourage. Enfin en
restant objective car ce n'est évidemment pas le cas, mais vu qu'il
prend pas mal de place dans ma vie, c'est un peu ça ... Il fait partie
de ma vie mais pas d'une manière physique disons ». L'immersion de
Mika dans la vie des individus sera caractérisée par
l'écoute des chansons, mais que nous étudierons dans la
troisième partie.
A présent, nous allons donc passer à la
deuxième partie, qui va davantage porter sur l'affirmation de son
identité de fan à travers l'appartenance à une
communauté. Nous y verrons que le fan, s'étant distingué
de ces proches par cet attachement à Mika, va chercher à entrer
en contact avec des semblables, ce qui le rassure sur sa
« normalité ». Christian Le Bart parle d'ailleurs de
« stratégie de
dé-différenciation »20(*). Nous verrons cependant aussi que faire partie d'un
groupe n'a pas que des avantages, notamment du fait que cela suppose de perdre
une partie de son individualité, en étant assimilé
à une masse de fans.
PARTIE II/ Faire partie d'un groupe
« Si je ne m'étais pas intégrée
à une communauté et sur ce forum, je n'aurais jamais
été fan à ce point...ça c'est sur. »
(Déborah, 23 ans). Cette fan montre bien l'importance de l'influence du
groupe dans son statut, et explicite ainsi le fait que l'artiste est au moins
aussi important que les individus qui l'admire. Être fan ne correspond
pas seulement à l'être pour soi, mais aussi à partager sa
passion avec d'autres.
En effet, être fan suppose de partager sa passion et de
se retrouver parmi des semblables. Ainsi, l'identité du fan commence
à prendre forme lors de l'inscription au forum. En effet, cette
inscription, souvent vue comme une étape importante dans la
carrière de l'admirateur, a pour fonction au départ de chercher
des informations sur le chanteur. C'est ici que le fan se rend compte que son
intérêt pour Mika augmente, et c'est à partir du moment
où il va commencer à discuter avec d'autres passionnés que
va débuter la confirmation de son identité de fan. C'est dans les
interactions qu'il va se forger son identité de fan, s'affirmer mais
aussi être reconnu par les autres en tant que tel.
Le forum va ainsi un constituer un lieu de socialisation, par
l'apprentissage des manières d'être fan, ainsi que des normes et
valeurs de la communauté. Tout comme le remarque Howard Becker,
expliquant que la carrière d'un fumeur de marijuana débute avec
au cours des interactions avec des fumeurs plus expérimentés, le
fan ne devient ici réellement fan que lorsqu'il est confronté au
groupe de pairs. Ainsi, « avant de se livrer à ces
activités avec plus ou moins de régularité, la personne
n'a aucune idée des plaisirs qu'elle peut en retirer: c'est au cours des
interactions avec des déviants plus expérimentés qu'elle
apprend à prendre conscience de nouveaux types d'expériences et
à les considérer comme agréables. Ce qui a fort bien pu
n'être qu'une impulsion fortuite qui incitait à essayer quelque
chose de nouveau, devient un goût plus durable pour quelque chose de
déjà connu et expérimenté. [...] En bref, les
individus apprennent à participer à une sous culture
organisée autour d'une activité déviante
particulière »21(*). Dans notre cas, il ne s'agit pas d'une
activité « déviante » (même si cela
peut-être considéré comme tel, étant donné la
définition de sens commun qu'ont les individus du mot ''fan''), mais de
la même manière, l'individu qui s'inscrit au forum va
connaître une forme d'apprentissage inconsciente, et va apprécier
de plus en plus non seulement Mika et sa musique, mais aussi d'être
accepté par la communauté et d'y participer pleinement.
Le forum est ainsi une communauté, qui par le biais des
divers sujets de discussion, va se créer sa propre culture. On peut de
même prendre comme exemple d'apprentissage implicite le fait qu'il y ait
des topics (sujets) qui ne soient pas accessibles à tous. Ainsi, seuls
ceux au courant de leur existence peuvent y accéder, afin de
préserver un entre-soi de fans (c'est notamment le cas en ce qui
concerne les organisations de certains concerts). Philippe Le Guern reprend par
ailleurs cette idée, en montrant que la communauté des fans joue
« un rôle - implicitement ou explicitement - structurant en ce
qu'elles codifient les manières d'être-fan et d'être
entre-soi en mettant en scène, par toute une série de processus
et d'interactions, l'histoire et les souvenirs du groupe, ses rituels, une
culture et des valeurs communes, des systèmes de comportements,
processus qui aboutit à produire le sens du collectif et sa
consolidation ».22(*)
Cependant, l'effet de groupe peut parfois engendrer une perte
d'une partie de son individualité. En effet, le fan n'est plus unique,
il s'aperçoit qu'il doit composer avec d'autres individus. C'est au
travers du groupe que le fan se met à exister, ce qui peut
entraîner un conflit interne chez lui. En même temps qu'il se fait
remarquer plus facilement auprès de l'artiste (notamment lors des
concerts) comme fan, car appartenant à un groupe connu, il souhaite
aussi se faire remarquer individuellement. Nous verrons plus tard que des
stratégies peuvent ainsi se mettre en place pour essayer de se
démarquer du groupe, même si ces techniques sont vues comme «
minuscule[s] ».
C'est ainsi que dans cette partie nous aborderons
l'importance de faire partie d'un groupe, non seulement dans la construction de
l'identité et de la carrière du fan, mais aussi pour le fan
lui-même qui a ainsi pu former des amitiés durables avec des
individus partageant la même passion. Nous verrons néanmoins les
effets négatifs du groupe, notamment dans le fait qu'il masque
l'individualité de la personne (auprès de Mika), mais aussi du
fait qu'un groupe suppose d'être nombreux, et donc que des frictions y
sont toujours possibles (il s'agira surtout de ''tensions'' entre forums).
A) La recherche d'un entre-soi
Les raisons d'inscription au forum
We are not what you think we are
We are golden, we are golden....
(Mika, We are golden, The boy who knew too much,
2009)
Comme nous l'avons vu précédemment, le fait
d'avoir vu Mika a donné envie pour la majorité des fans
interrogés de s'intéresser davantage à lui. L'une des
étapes les plus importantes, qui marque l'engagement dans la
carrière de fan, est celle de l'inscription au forum. La plupart du
temps, cet engagement se fera inconsciemment, la première visite ne se
faisant pas particulièrement pour échanger avec les autres
membres, mais davantage pour chercher quelques informations sur Mika: « au
départ c'était pour avoir des infos » (Lucinda, 24 ans);
« je voulais m'inscrire sur un forum pour en savoir plus sur cet artiste,
des infos et me renseigner sur la tournée qu'il faisait à ce
moment là (début 2007) pour espérer le voir en concert
» (Delphine, 29 ans), ou pour chercher des photos du premier concert
vécu: « trouver des photos de Colmar »; « après le
concert de Nantes, je voulais voir des photos et vidéos car je n'avais
pas mon appareil et vlan! » (Déborah, 23 ans).
Et vlan! Au fond, il ne s'agit que de ça: sans
s'en apercevoir, les personnes interrogées se sont attachées aux
autres fans, comme si indépendamment de leur personne, elles se
retrouvaient prises dans le mouvement. Que l'inscription se soit faite avant ou
après avoir cherché les informations concernées, le forum
devient un lieu d'échange et d'amitié. Voir un forum de
discussion portant sur l'idole a ainsi donné envie à la plupart
d'échanger, et de partager sa passion : « en lisant les forums j'ai
eu envie de partager ce que je pensais. Je me suis donc inscrite uniquement
pour pouvoir discuter. Il y avait aussi des gens qui avaient l'air sympa, je me
suis dis c'est un moyen comme un autre de lier contact avec des gens avec qui
j'ai au moins un point commun.» (Lucinda, 24 ans). De plus, pour Delphine,
(29 ans) s'est imposé « le besoin de partager une même
passion, de faire de nouvelles connaissances »; « Je me suis inscrite
sur le forum pour y trouver des infos sur les concerts et puis je me suis rendu
compte qu'il était possible d'y rencontrer des personnes qui seraient
aussi aux concerts. Donc dès mon deuxième concert (Bruxelles en
novembre 2007) j'ai fait des connaissances » (Sylvie, 42 ans). Enfin,
Déborah (23 ans), ne pensait pas « revenir un jour. Et au fur et
à mesure, j'ai voulu échanger avec ces gens... et quand on est
entourés de fans ça t'influence quelque part car les gens parlent
que de ça, tu as tout regroupé sur un même site et tu sais
tout sur l'artiste ! »
Ainsi, l'inscription au départ se fait sans
conviction d'y rester, puis les fans y vont pour échanger leurs
impressions, pour discuter de leur passion avec d'autres, ce qui n'est pas
toujours possible avec leurs proches: « le fait de passer du temps
sur un forum et à parler avec des gens qui deviennent des amis permet de
se sentir moins seul » (Déborah, 23 ans); « je trouve
ça plus sympa de partager tout ça ensemble plutôt que tout
seul dans son coin » (Delphine, 29 ans); « Pour moi la
musique est quelque chose qui se partage, et quand on sait que nos proches ne
peuvent plus partager ça avec nous (ici à cause des distances
pour le voir [en concert]), on se tourne facilement vers les fans »
(Elodie, 20 ans).
Il se crée donc une forme « d'entre-soi », de
compréhension entre individus, car partageant une expérience
similaire. Dans certains topics par exemple, les fans partagent
l'incompréhension de leur famille quant à leurs voyages
répétés pour suivre la tournée de Mika. Comme le
dit Lucinda (24 ans), « on se sent comprise quand on est en groupe, il n'y
pas de tabou, on est tous là pour la même chose ». Ainsi,
chacun peut s'exprimer librement sur sa propre expérience de fan, sans
avoir la crainte d'être jugé, ou d'être
considéré comme s'investissant trop par rapport à la
« normale ». Déborah (23 ans), exprime cette envie
de partager les différentes expériences de chacun: « Je ne
me verrai pas fan toute seule dans mon coin. J'ai besoin de partager ce que je
ressens, ce que je vis en tant que fan, j'ai besoin que les autres me disent
aussi la manière dont ils vivent leur façon d'être
fan »; « les infos, les articles, forum etc, c'est
génial! ça permet de partager vachement nos sentiments, nos
expériences etc » (Lucinda, 24 ans).
L'importance de la communauté des fans
« On a la chance d'avoir une vraie
communauté de fan, il existe des forums, des rencontres, des projets et
un vrai sentiment de faire partir des fans de Mika » (Déborah,
23 ans).
Progressivement, les fans vont ainsi devenir des membres
réguliers, certains devenant même modérateurs du forum.
C'est le cas de deux des sept membres interrogés, créant ainsi
une implication beaucoup plus importante. Le forum va devenir, à
l'instar des fan-clubs auparavant, un lieu d'affirmation de l'identité,
où la différenciation avec les proches entraîne ici un
rapprochement entre fans: « c'est aussi le plaisir d'être avec
d'autres personnes qui fait qu'on devient "fan" » (Lucinda, 24 ans).
De plus, les fans se rassurent dans leur
« normalité » en côtoyant des semblables
partageant la même passion : « tu vas à un concert et tu
rencontres des membres qui iront à d'autres concerts donc t'as bien
envie d'y aller aussi. Et de voir que plusieurs y vont, ça t'aide
à "normaliser" le fait de multiplier les dates et de devenir
sérieusement fan ! » (Déborah, 23 ans). Christian Le
Bart reprend cette idée, mais avec le fan-club des Beatles, où
l'adhésion permet de « conforter le processus en cours de
cristallisation identitaire. Parce qu'il s'adresse à chacun de ses
membres en tant que fan, parce qu'aussi il diffuse des modèles de
légitimation de la passion [...], le fan-club met à la
disposition de chacun des ressources identitaires collectives. Il diffuse un
sentiment de confiance en soi qui facilite la confrontation avec le reste du
monde »23(*). Si
dans notre cas, nous ne pouvons parler réellement de confrontation, le
forum reste une sphère sociale qui permet de s'exprimer en tant que fan
de Mika - chose qui ailleurs n'est pas toujours permise - ainsi que de
s'assumer davantage en tant que fan dans la vie quotidienne. De plus, le groupe
devient un moyen d'être reconnu par Mika: « c'est important
pour moi d'en faire partie, car je trouve qu'on est mieux
"représentés" tous ensemble que chacun de son
coté » (Béatrice, 42 ans). Pour elle, le groupe est un
moyen de se faire remarquer dans la sphère des fans: « on est
plus "lourd". [...] si tu lui dis a la fin d'un concert "ouais salut je suis
bidule de MWS24(*)"... je
ne vois pas l'intérêt. Par contre si tu es présent sur un
forum avec je sais pas combien d'autres, là ça devient
intéressant [...] je pense que l'artiste est beaucoup plus
touché de voir qu'il a 2000 fans sur un forum, fans qui se connectent
tous les jours ou presque, que de voir un fan qui le suit partout
»; « ça nous donne une identité, il nous
reconnait en tant que fans français et il sait qu'on est actif »
(Aurélie, 28 ans).
Parallèlement à ce partage, le temps qui y est
passé finit par créer des liens plus importants entre membres,
certains devenant même amis dans la vie, grâce aux rencontres lors
des différents concerts: « c'est super de partager ensemble
des concerts, de pouvoir créer des amitiés
sincères » (Lucinda, 24 ans); « j'ai pu y rencontrer
plein de gens qui sont devenus mes amis et avec qui je fais désormais
les concerts » (Delphine, 29 ans). Les concerts deviennent ainsi
non seulement l'occasion de voir leur idole, mais aussi de partager ce moment
avec leurs amis: «au fur et à mesure je ne venais plus que pour
Mika mais aussi pour être avec des gens que j'apprécie[...] c'est
intimement lié je pense » (Elodie, 20 ans); «
L'importance de cette communauté et d'y appartenir est surtout dans le
fait de se retrouver aux concerts, d'échanger sur un terrain commun
puisque nous y sommes tous pour la même raison. Au delà de
ça, de vrais amitiés se sont nouées et ça c'est
plutôt sympa » (Sylvie, 42 ans); « pour Bercy, c'est pas
pratique pour moi et je vais être en gradins, mais j'y vais aussi et
surtout pour voir du monde et me passer une soirée sympa. Tout ça
contribue à une sorte d'équilibre pour moi ! »
(Déborah, 23 ans). De même, certains membres ne se rencontrent
plus seulement par le biais des concerts, mais aussi en dehors:
« Mika c'est un coup de coeur musical à la base qui s'est
transformé en une belle aventure humaine, des gens du forum sont devenus
de vrais amis pour moi, on se voit en dehors des concerts » (Elodie,
20 ans); « exemple de l'Écosse : s'il n'y avait pas eu de
concert de Mika, j'y serai allée volontiers avec les membres du forum
pour des petites vacances » (Déborah, 23 ans).
Le forum n'est plus un simple site d'information sur Mika, il
devient le lieu de discussions entre amis, comme en témoigne les
différents topics qui ne sont pas consacrés à Mika, et
où chacun peut partager des moments de sa vie quotidienne. Le site
communautaire devient réseau social, et permet de se retrouver pour
discuter de tout et de rien: « le forum j'y vais autant pour discuter
avec mes amis, participer aux conversations (sur Mika ou pas) que pour avoir de
nouvelles infos, j'aime y passer mes soirées, ça me
relaxe » (Delphine, 29 ans). Elle ajoutera d'ailleurs l'importance de
la bonne entente du groupe: «s'il n'y avait pas cette ambiance là,
je passerai moins de temps sur le forum, il faut l'avouer! »;
« si je ne me sentais pas bien sur ce forum, si je ne m'entendais pas
bien avec les gens, je n'y serai pas si souvent, ça joue [...] On reste
en quelque sorte attaché à ce bout de web » (Elodie, 20
ans).
Un groupe d'influence
La communauté des fans va ainsi devenir un groupe
d'influence dans le comportement du fan. En effet, le groupe va jouer le
rôle de meneur, invitant indirectement le fan à s'investir
davantage envers Mika. Le forum tout d'abord oblige à une
présence régulière, car pour faire partie d'un groupe, il
faut savoir ce qu'il s'y passe. Ainsi, si les absences se font trop
régulières, beaucoup d'informations ne sont plus
d'actualité. C'est notamment le cas lors des passages à la
télévision, où les avis se multiplient très peu de
temps après la diffusion, voire pendant la diffusion même.
Comme le dit très justement Howard Becker, citant
lui-même Mead et Blumer, « les gens agissent ensemble.
[...] Ils font ce qu'ils font avec un oeil sur ce que les autres ont fait, sont
en train de faire, ou sont susceptibles de faire dans le futur25(*) ». Cela se
vérifie surtout pour les concerts, où le fait de voir de
nombreuses personnes multiplier les spectacles peut conduire les fans à
faire de même, provoquant un effet « boule de
neige ». Ainsi, les individus peuvent vouloir renouveler
l'expérience, faite de bons souvenirs, et commencer à
enchaîner les dates. C'est ainsi que beaucoup parlent de cette influence
sans pression, puisque rien n'est obligatoire, et personne n'est jugé en
fonction de ses activités au sein du forum. Pour Lucinda (24 ans),
« les voyages et les concerts sont surtout motivés par l'effet
groupe », elle-même avouant: « au départ j'adorais
vraiment Mika, j'aime toujours d'ailleurs, mais seule je n'aurais jamais fait
autant de concerts et de voyages ». Aurélie (28 ans) aussi a
vu en quoi les autres membres ont un effet entraînant: « quand on
est plusieurs, on a tendance a "s'entrainer" pour faire tel ou tel concert et
mes parents sont super conciliants là dessus, puisqu'ils font la
même chose avec Indochine, donc à force de faire plusieurs
concerts, à essayer de venir tôt pour être le mieux
placé possible, tu te prends forcement au jeu ». Déborah (23
ans) a remarqué elle aussi cette influence: « Ce genre de forum,
c'est très "dangereux" dans le sens où tu te laisse facilement
influencer par les autres et toi aussi tu veux participer à tout
ça... c'est entrainant mais c'est ce qui est grisant en même temps
[...] Alors que si on n'était pas sur le forum, on se poserait
même pas la question ! ». De même, Delphine (29 ans) avoue que
si elle s'était moins bien entendue avec les membres du forum, «
ça serai différent, j'aurai moins fait de concerts ».
Pour Déborah aussi, faire partie d'un groupe de fan a été
déterminant dans sa façon d'être fan: « Si je ne
m'étais pas intégrée à une communauté et sur
ce forum, je n'aurais jamais été fan à ce
point...ça c'est sur ».
Il existe ainsi une sorte d'interdépendance entre les
fans: on devient fan alors on discute avec d'autres, et ensuite on est et on
demeure fan parce que l'on discute, et que l'on partage de bons moments avec
eux qui nous incitent à en partager d'autres.
Manifestations de la solidarité et de la
solidité du groupe
L'appartenance à un forum se doit d'être
distinguée, en tout cas lors de certains concerts, par des signes
distinctifs, afin de montrer à Mika l'importance de la communauté
des fans. Cette possibilité leur est offerte de se distinguer du reste
du public lors des concerts. C'est alors que des signes distinctifs sont mis en
oeuvre, pour « ressortir » davantage que les autres, qui
sont divers. La principale constitue à ce que la plus grande partie se
place lors des concerts au premier rang, et de multiplier les concerts afin
d'être reconnu par l'artiste. Mais cela passe aussi par exemple par des
distinctions « physiques »: maquillage,
vêtements,..., et « matérielles »: badges du
Mikawebsite, bracelets fluorescents, banderoles, et divers cadeaux offerts
(books, et des opérations spécifiques au forum, comme par exemple
un journal de fausses informations sur Mika et son groupe). Ces manifestations
ne se font pas seulement dans le cadre du concert ou de la rencontre de
l'artiste, mais aussi grâce à la proximité instaurée
par le net, directement sur cette plateforme (c'est le cas par exemple de clips
organisés entre membres sur des chansons de Mika, mais aussi,
au-delà des fans du forum, à organiser des chorégraphies
entre fans du monde entier diffusés sur Internet): « je trouve que
c'est une communauté assez forte qui a fait de beaux projets! Il y en a
un peu moins aujourd'hui, mais nous avons eu de belles bannières, de
très jolis books, des dessins, des chansons, des vidéos...Une
forte complicité est née entre les membres, et Mika aime ses fans
français. Je suis fière d'en faire partie » (Aurélie,
28 ans).
Dans le cadre du forum, on remarque aussi l'instauration
d'une certaine solidarité. Par exemple, toujours lors de l'organisation
des concerts, des topics sont crées pour faire face à diverses
demandes: un topic spécial est dédié à la vente et
à l'achat de billets, afin d'éviter à certains fans de
devoir payer trois fois le prix de départ d'une place; sont
organisés la liste des membres venant aux concerts, afin de se donner
des points de rendez-vous; il s'agit aussi d'aider ceux qui viennent de loin
à pouvoir dormir chez un autre membre lorsque cela est possible.
L'expression la plus probante de cette solidarité s'est
exprimée notamment lors de deux concours pour gagner des places de
concerts privés. En effet, lors du premier concours, la
solidarité de certains membres qui se sont organisés pour aider
d'autres fans n'ayant pas gagné a permis de faire venir la
quasi-totalité de ceux voulant venir. Ce fut de même pour le
second, organisé par le biais de la marque
« Coca-cola » sur la base de votes (sur des bouteilles
créées sur un site internet), où tous les membres votaient
pour tout le monde, même sans être certains de l'utilité de
ces votes, afin d'avoir le plus de chance possible de gagner. De plus, pour
ceux n'ayant pas assez de votes, un groupe a même été
crée sur facebook pour qu'ils puissent récolter plus de votes! De
même, un membre a même téléphoné à un
responsable afin de distribuer quelques places à des fans, permettant
à ceux n'ayant pas gagné par le concours de pouvoir y aller quand
même. Et comme en témoigne encore une fois Aurélie,
illustrant mes deux exemples, « je trouve qu'en groupe, on est "plus
fort". C'est un peu cliché, mais regarde, on a pu avoir des places pour
la Jam et pour le concert privé ». Ainsi, les fans arrivent
à faire preuve d'une grande détermination, et d'un grand soutien
entre eux, afin que le concert puisse se passer dans la meilleure ambiance
possible, et génère d'autant plus de bons souvenirs.
B) Mais réduisant son individualité
Des tensions inévitables
Faire partie d'un groupe signifie à la fois d'accepter
d'être assimilé à une somme d'individus, sans pour autant
se distinguer d'autrui, mais c'est aussi devoir composer avec des personnes de
caractères différents. Concernant ce dernier point, nous pouvons
remarquer que la communauté des fans est identique à chaque
groupe existant, elle ne peut exister sans conflits: « je pense que
ce genre de tensions sont inévitables car au sein de ces
communautés, il y a de fortes personnalités, des gens avec des
caractères différents et plus ou moins compatibles. »
(Déborah, 23 ans); «Je pense que tout le monde ne peut pas s'aimer.
C'est normal, c'est comme dans la vraie vie, chacun a son
caractère. Les tensions sont normales. » (Lucinda, 24
ans).
Béatrice (42 ans): «ce que j'ai remarqué,
sur le MWS ou sur le forum de Bruel, c'est qu'il y a une espèce de
compétition entre les filles : c'est à dire qu'elles se "battent"
pour être reconnues à la sortie. Enfin sur le MWS moins quand
même que sur le MFC26(*) [...] je trouve que sur le MWS on a pas trop
à se plaindre, on forme un bon groupe même si parfois ca
pète entre certaines! Par contre sur le MFC c'est beaucoup plus virulent
»; Sylvie résume ainsi le public des forums de cette
manière: « En fait je crois qu'il y a 2 catégories dans les
forums : ceux qui sont là pour partager leurs expériences de
concerts et autres, et ceux qui sont là pour approcher Mika à
tout prix, essayer de trouver des infos exclusives, son adresse comme il y a
pas longtemps, ce sont souvent des arrivistes hélas mais je ne citerai
pas de nom ! ».
Mais bien souvent, au sein du forum que j'ai
étudié, il ne s'agit que de divergences d'opinions qui n'ont pas
été nuisibles à l'ambiance du groupe, comme le
résume Delphine (29 ans): « il y en a toujours eu [des tensions],
mais jamais bien méchant et tout le monde fait des efforts pour que
quand on est tous ensemble ça se passe le mieux possible ». De
même, Lucinda (24 ans), est «contente de faire partie d'un groupe
que je trouve légitime et dans l'ensemble intelligent et
cohérent»; « Je pense qu'on n'a pas trop à se
plaindre et que la communauté de fans de Mika est
globalement agréable » (Déborah, 23 ans).
Mais il arrive qu'entre les forums même, une
rivalité s'installe, sans forcément connaître les causes
réelles de cette mésentente. C'est le cas notamment entre les
deux principaux sites français de fans de Mika : Mikawebsite (que
j'ai observé), et Mikafrance. Bien sûr, tous les fans des deux
forums ne sont pas concernés, et une certaine quantité sont
d'ailleurs inscrits sur les deux. Ainsi, savoir les causes réelles qui
ont amené à cette « division » ne m'ont pas
paru intéressantes, du fait en premier lieu qu'elles ne me sont pas
réellement connues. Mais c'est surtout parce que ce qui
m'intéressait était de savoir comment des fans appréciant
la même chose, mais tout simplement étant sur deux forums
différents ne s'entendaient pas toujours. Malheureusement, lors de mes
entretiens, la réponse était bien souvent difficilement connue:
« je ne l'explique pas justement ... je ne comprends pas... je pense
à des jalousies, même si je ne vois pas de quelles jalousies il
s'agirait, mais l'écart se creuse de plus en plus sans que personne ne
sache pourquoi... c'est juste navrant et puéril... »
(Delphine, 29 ans). Seule Déborah (23 ans), a avancé
l'idée que les fans inscrits sur les forums de Mika étant
majoritairement féminines, cela ait pu influencer les conflits, du fait
qu'elles s'énerveraient plus facilement entre elles: « En
plus, il y a le facteur jalousie qui peut jouer et puis, c'est une
communauté composée principalement de filles, donc ça peut
jouer ! [...] ça se crêpe plus le chignon que les garçons
! ».
Par ailleurs, Lucinda (24 ans), trouve dommage ce genre de
tensions: « Ce que je trouve ridicule, c'est de continuer une
guéguerre débile entre forums ou entre les personnes. Il
suffirait juste de s'ignorer ou d'arrondir les angles pour éviter les
conflits. Mais de se faire la gueule, je trouve ça con, on est tous dans
le même panier, tous là pour la même chose, on aime tous le
même artiste. Je suis pas du genre à faire la guerre »
(Lucinda, 24 ans). Ainsi, le constat est le même pour tous:
l'inutilité de ces tensions entre forums, ce qui leur est regrettable:
« Pourquoi se croire supérieur à l'un ou à
l'autre... on est tous fans du même type, c'est bête de se
"bouffer" entre nous » (Béatrice, 42 ans).
Des stratégies de différenciation
Les fans étant assimilés à un groupe ont
certes plus de reconnaissance auprès de l'artiste, car justement,
composant un grand nombre de personnes, mais cela se fait au détriment
de leur reconnaissance individuelle.
Mais tout d'abord, les individus du forum vont chercher
à se distinguer en tant que groupe des autres fans de Mika: « En ce
qui concerne les "projets" qu'on a pu faire pour lui, je crois que c'est
simplement une façon d'essayer d'attirer son attention sur nous et de
lui faire plaisir aussi. Parce que mine de rien, on est nombreux maintenant
à le suivre et c'est vrai que ça a un côté frustrant
de l'apercevoir à chaque fois sans réussir à le capter, et
faire une banderole, un book, un cadeau etc, permet d'attirer son attention sur
nous pour enfin essayer d'entamer une relation privilégiée »
(Lucinda, 24 ans). Et comme nous l'avons vu dans la première partie, le
fait que Mika fasse monter certains de ses fans sur scène est aussi
perçu comme une reconnaissance de leur existence, ainsi qu'un
remerciement de leur soutien. Cependant, Lucinda reste consciente des limites
de cette reconnaissance: « mais bon, on se voile pas la face non
plus, ce ne sera jamais mon ami (est-ce que j'ai vraiment envie qu'il le
devienne un jour...pas sûr), et il garde une part de mystère qui
nous donne encore envie d'en savoir plus ».
Par ailleurs, les fans en eux-mêmes souhaitent
construire une relation privilégiée avec l'artiste, ou du moins,
partager un moment unique avec lui. En effet, cela se vérifie notamment
lors des concerts, lieu de communion avec l'artiste, qui comme le souligne
Christian Le Bart, est paradoxal, puisqu'en même temps que l'on est
heureux de trouver un entre-soi permettant d'affirmer son identité
auprès de semblables, les fans se rendent compte qu'ils ne sont pas
seuls à aimer l'artiste, que des milliers d'autres sont exactement dans
la même situation, et ont eu la même impression d'avoir un lien
unique avec lui. Ainsi, « autant la rencontre d'un semblable
rassurait sans vraiment menacer l'entreprise de singularisation, autant la
contemplation de la tribu des milliers de semblables apporte la preuve
déprimante que [les Beatles] l'artiste n'est pas à soi, que l'on
n'est personne en face d'eux, que le « je » est toujours un
« nous » qui s'ignore »27(*). Bien sûr, la
réalisation de cela ne se fait pas toujours de façon
décevante, mais le fan se rend compte de la difficulté
d'être reconnu parmi la masse de la communauté: « tu
passes individuellement plus inaperçu » (Béatrice, 42
ans). Lucinda (24 ans): « ça nous enlève aussi une certaine
individualité, on est plus des individus mais on nous voit uniquement
comme un groupe. C'est aussi pour ça que certains d'entre nous ont envie
de se démarquer. Certains voudraient être remarqués pour
eux même et pas forcément comme un groupe. Tout le monde est un
peu égoïste quand même parce qu'on a besoin d'exister pour
soi »; Aurélie (28 ans): « franchement, c'est une chose
qui me dérange un peu parfois. Le fait que l'on restera toujours une
personne parmi tant d'autres pour lui, alors qu'il occupe beaucoup de nos
pensées, de notre énergie ».
Ainsi, ils vont logiquement avoir des comportements cherchant
à capter l'attention de l'artiste, à un degré très
faible, et qui n'aura pas forcément un grand impact sur la durée,
mais qui sera source de satisfaction pour le fan. En effet, c'est l'occasion
pour le fan d'avoir sa propre expérience dans sa relation avec Mika,
même si c'est de l'ordre de l'infime. C'est ainsi que Lucinda (24 ans),
est consciente de ces différentes stratégies mises en place:
« c'est pour ça qu'on recherche l'eye contact, ou que certains
ont fait ou font encore des projets de banderoles, de book, offre des cadeaux,
essaye de parler personnellement à Mika etc ». Même si
elle s'est aperçue en même temps de la relative
inefficacité de ces méthodes: « C'est minuscule, la preuve,
on passe encore pour un groupe. Mais ce sont des tentatives ».
D'ailleurs, la principale méthode consiste à
être au premier rang, afin, d'une certaine manière, d'avoir
davantage l'impression d'être en phase avec l'artiste: « Il y a une
atmosphère différente au premier rang, on se sent "plus dedans",
comme si on faisait limite partie du spectacle » (Lucinda, 24 ans).
Cela va à l'inverse d'un des témoignages de Christian Le Bart,
qui était au milieu de la foule lors d'un concert, et a eu l'impression
de ne pas faire partie du spectacle, et donc s'est certainement davantage rendu
compte de l'importance de la communauté des fans, et de combien il
n'était pas « seul » dans sa relation aux
Beatles28(*). Cependant,
dans mes entretiens ne s'est pas fait sentir cette mauvaise expérience
lors des concerts, au contraire, les qualificatifs ne manquaient pas pour
décrire les souvenirs liés aux spectacles.
Par ailleurs, à ma propre décharge, je ne peux
que confirmer le constat de cette recherche d'attention auprès de
l'artiste, puisque moi-même lors de mon premier concert, j'étais
aussi au premier rang, et j'ai recherché ce « eye
contact ». Ainsi, lors de mon entretien avec Lucinda, elle a tout a
fait compris mon comportement, puisqu'elle même le reproduit
(« t'inquiètes moi aussi j'aime le "eyes
contact"! »). De même, Aurélie a la chance de ne pas
être totalement anonyme dans la masse des fans, comme elle en
témoigne ici: « à Londres, pendant l'after party il m'avait
dit: "tu sais que je te reconnais?" bon, j'étais très surprise,
mais c'est pas étonnant vu qu'il connait aussi Biche [Delphine] et qu'on
était tout le temps ensemble pendant tous les concerts ».
Lorsque j'ai demandé par la suite quelles sont les
raisons qui peuvent pousser à chercher à se démarquer des
autres, il s'agit surtout de la recherche de reconnaissance qui prime, en
témoigne ce long extrait d'entretien: « je pense qu'on donne
tellement (financièrement, physiquement, moralement etc) qu'on aimerait
avoir un peu en retour! [...] On espère avoir un peu d'importance
à ses yeux, comme il en a pour nous [...] on a l'impression d'avoir fait
tout ça pour quelque chose [...] même sans forcement parler de
Mika on cherche tous un peu de reconnaissance, et ici d'autant plus qu'on fait
des gros efforts! » (Lucinda). Plus simplement, il s'agit pour les
fans de signifier leur existence, et lors d'un échange (autographe, eye
contact, cadeau offert,...), d'avoir l'impression d'être reconnus,
uniques, même si ce n'est que de l'ordre de quelques secondes.
Néanmoins, Béatrice m'a expliqué qu'elle
ne ressentait pas tellement ce besoin de se démarquer des autres. Ainsi,
l'un des moments les plus significatifs permettant au fan de se
démarquer est notamment la fin du concert. En effet, c'est là que
les fans attendent impatiemment la sortie de l'artiste afin d'avoir un
autographe, une photo, mais c'est aussi l'occasion d'échanger quelques
paroles. Et ainsi de pouvoir être un individu singulier au milieu de la
foule des fans. Mais pour elle, ce besoin de reconnaissance ne se fait pas
ressentir, peut-être du fait de sa maturité, liée à
son âge (42 ans) et à sa situation familiale (mariée et
mère de trois enfants), et ainsi ayant d'autres priorités.
« Si tu veux, pour moi, lui parler ne va rien m'apporter [...] je
pense que ce n'est pas ce que je recherche auprès d'un artiste car lui
ne se souviendra de toute façon plus de moi dans les 30 minutes qui
suivront. C'est pas un échange pour moi, pour moi le plus important
c'est d'être là sans m'imposer à lui. Je pense que par le
fait d'acheter et d'écouter un album, l'artiste sait déjà
que tu existes ».
Nous pouvons donc dire que l'un des éléments
qui va marquer durablement la carrière de fan est son engagement dans la
communauté, par le biais notamment de l'inscription dans un forum
d'admirateurs. Si la découverte de Mika, et le fait pour certains de
l'avoir vu en concert ont été déclencheurs de la
carrière du fan, la manifestation réelle de celle-ci se fait par
cette inscription. Tous les individus appréciant un artiste ne
s'inscrivent pas nécessairement à un forum de fan, ainsi, le
besoin de partager ses ressentis, son expérience, va pousser l'individu
à vouloir communiquer avec des personnes ayant vécu quelque chose
de similaire. Même si l'inscription se fait au départ moins dans
le but de ce partage que dans la recherche d'informations (comme nous l'avons
vu précédemment), très vite ce besoin se fait ressentir,
permettant une implication plus grande, et des connections plus
fréquentes. Bien sûr, les personnes s'inscrivant au forum ne
restent pas toutes aussi longtemps que celles que j'ai interrogées (pour
des raisons qui peuvent être très diverses, mais auxquelles je ne
me suis pas intéressée), distinguant sur la durée ceux qui
participent le plus dans les relations avec autrui. Tout comme le
précise Christian Le Bart, « dans la petite société
des fans, chacun est reconnu comme tel pour autant qu'il accepte de
reconnaître les autres comme tels: il s'ensuit logiquement un jeu
à somme positive dans lequel chacun a intérêt à
rentrer »29(*). C'est
à partir de là que le fan va prendre conscience de son engagement
plus important envers Mika, du fait que la communauté des semblables va
avoir un effet de miroir sur son propre comportement: « Mais surtout je
pense que ce qui fait que je me considère plus fan que quelqu'un qui
apprécie juste sa musique c'est mon implication aussi bien sur le MWS
que sur le fan club officiel... » (Déborah, 23 ans).
« La communauté des fans se veut finalement
ouverte, démocratique, égale et fraternelle, conformément
à la logique des sociabilités adolescentes contemporaines. Le
leadership y est discret, chacun doit demeurer maître de ses choix,
l'intégration doit servir la recherche identitaire, elle ne doit pas
l'écraser sous le poids de normes rigides »30(*). Ainsi, les individus
s'aperçoivent de leur proximité avec les autres membres du forum,
et vont avoir le sentiment d'être compris, donnant l'impression d'un
entre-soi, sans être totalement enfermés dans un sectarisme, et
permettant à chacun d'adopter son propre comportement de fan en fonction
de son ressenti: « J'avoue que le terme communauté ne me
plaît pas car ça fait trop sectaire et fermé, alors je
préfère ne pas me sentir appartenir à une espèce de
communauté quel qu'elle soit [...] même s'il y a forcément
un peu de ça, mais ce n'est pas volontaire » (Delphine, 29 ans).
Mais si faire partie d'un groupe de fans se
révèle souvent nécessaire afin de se retrouver dans un
entre-soi, tout groupe ne pouvant exister sans conflit, il arrive qu'ici aussi,
des frictions puissent se produire, que ce soit entre les fans d'un même
forum, ou entre deux forums différents, et de plus ou moins grande
importance en fonction du (ou des) forum(s) impliqué(s).
De même, faire partie d'un groupe suppose de
céder un fragment de sa propre personne afin de favoriser l'ensemble de
celui-ci. Ainsi, chacun ne pouvant exister seulement à travers une
communauté, les individus vont chercher à mettre en place
certaines stratégies individuelles, afin de créer sa propre
relation avec Mika. En effet, si au départ, le fan se crée une
relation « virtuelle » avec l'artiste du fait du contexte
personnel dans lequel il l'a découvert, la confrontation avec des
semblables le fait réaliser que tous ont vécu une
expérience similaire à la sienne. Il va ainsi chercher à
se distinguer à la fois à partir du forum, mais aussi
individuellement, en essayant de faire partie de la vie de Mika, même si
cela n'est que le temps de quelques secondes. Néanmoins, cette recherche
là n'est pas comme nous l'avons vu le fait de tous, et se fait rarement
dans le cadre d'une compétition qui amènerait des tensions entre
fans, même si cela reste possible, notamment entre les forums.
Nous allons donc passer à présent à la
dernière partie de la recherche, intitulée « Se dire
fan : une identité à la fois affirmée et
mitigée ». Comme nous avons vu que les fans prennent
conscience de leur statut notamment à travers l'inscription au forum,
nous allons voir de quelle façon ce dernier est assumé. En effet,
nous allons nous apercevoir que se dire fan, et s'affirmer comme tel est ''plus
facile à dire qu'à faire'', du fait notamment de l'image
négative qu'en ont les individus. De même, la confrontation du
passionné avec sa vie quotidienne, le ramène sans cesse à
ses autres identités (professionnelle, familiale,...), l'empêchant
d'exercer pleinement sa passion. Nous verrons ainsi deux facettes du fan: l'une
assumée, et une autre davantage nuancée.
PARTIE III/ Se dire fan: une identité à
la fois affirmée et mitigée31(*)
Lorsque le fan prend conscience de son statut, il va
être confronté à différentes identités qui
vont devoir cohabiter: à la fois celle de passionné, mais aussi
toutes celles qui interviennent dans la vie quotidienne (professionnelle,
familiale,...), et qui ne peuvent pas forcément entrer en interaction.
Le fan reste ainsi surtout fan dans la sphère privé, même
si ce statut peut ressortir dans la sphère publique, notamment lors des
concerts. De même, si le fan peut vouloir s'investir de façon
importante dans sa passion, nous verrons que le cadre dans lequel il vit le
rappelle sans cesse à ses responsabilités, provoquant ainsi un
paradoxe entre ce qu'il souhaite faire, et ce qu'il peut faire pour assouvir
ses envies.
De même, nous verrons que le fan est confronté au
regard d'autrui, qui ne comprend pas forcément le comportement
adopté par celui-ci et qui peut le stigmatiser de façon plus ou
moins forte. Mais nous remarquerons aussi que le fan lui-même stigmatise
ceux qu'il considère comme davantage dans l'excès, tout en ayant
conscience des siens, mais qu'il considère comme rationnels parce qu'il
possède un certain recul sur ses activités. Ce qui apparaît
comme contradictoire se révèle donc comme logique au vu des
entretiens effectués, et comme le précise David Muggleton: «
Affirmer, de l'extérieur, que les gens se définissent de
façon contradictoire, c'est ignorer que les contradictions apparentes
peuvent être perçues, de l'intérieur, comme parfaitement
logiques »32(*).
Ainsi, nous pourrons voir que la difficulté de
s'assumer en tant que fan vient presque davantage d'un problème de
vocabulaire employé et de définition inhérente à
celui-ci que du comportement réellement adopté.
Dans cette partie, nous verrons donc dans un premier temps
que le statut de fan est assumé, du fait du comportement adopté,
puis dans un second temps nous verrons que les fans se distancient de cette
passion, afin de montrer que leur personne ne se résume pas qu'à
une identité de fan, et vont ainsi chercher à se distinguer des
fans jugés trop excessifs dans leur comportement. De plus, nous allons
voir qu'être fan n'est pas toujours facile à assumer, car
renvoyant à tous les stéréotypes qui lui sont
associés, et enfermant de ce fait les individus dans des
catégories.
A) Un statut que l'on affirme...
Say what you want to satisfy yourself
But you only want what everybody else says you should
want
(Mika, Grace Kelly, Life in Cartoon Motion, 2007)
Un investissement plus important que la moyenne...
Dans un premier temps, du fait des comportements
adoptés et de l'investissement pour Mika, les fans ne peuvent que
confirmer leur statut et l'assumer, puisque indéniablement, ils
reconnaissent s'investir davantage que les personnes qui aimeraient juste
Mika.
Ces comportements adoptés les amènent à
assumer ce statut, du fait que justement, ils se démarquent de ceux qui
apprécient juste un artiste, en s'intéressant davantage à
lui. Ainsi, j'ai choisi d'étudier plus précisément deux
types de comportements qui confirment cela: la recherche et la connaissance
d'informations sur l'artiste (biographie, actualité, signification des
chansons,...), mais aussi tout ce qui est en lien avec les dépenses
diverses, que ce soit d'argent - objets dérivés, albums, DVD de
concerts, les concerts,... - ou de temps (passé à écouter
la musique, sur internet,...). Dans l'ensemble des entretiens effectués,
le constat est ainsi le même: l'investissement du fan est beaucoup plus
important que celui de l'admirateur classique: « je suis consciente que je
suis dans un certain extrême, je ne suis pas une admiratrice lambda
» (Lucinda, 24 ans). Et comme le résume Sylvie (42 ans), «
Disons que l'investissement est à la hauteur des qualités que je
lui trouvais ».
Néanmoins, lors de tous mes entretiens, je n'ai pas
rencontré les six formes légitimes et stigmatisées de la
passion de Christian Le Bart33(*). En effet, cela s'est notamment ressenti lorsque j'ai
demandé sur quoi portaient leurs différentes dépenses,
dans tous mes entretiens j'ai obtenu des réponses similaires, à
savoir très peu de dépenses de merchandising, l'argent
étant dépensé dans l'essentiel: les albums et DVD, ainsi
que dans les places de concerts, et tout ce qui y est annexe
(hébergement, frais de déplacements,...). Ainsi, on ne retrouve
pas la posture dominée du collectionneur, puisque peu achètent
des objets dérivés, et d'autant plus qu'ils n'en voient pas
l'utilité: « Je trouve que le merchandising n'a aucun
intérêt » (Lucinda, 24 ans); « j'ai acheté le
disque en or de We are golden, j'ai l'EP34(*), j'ai 2 fois le The
boy who knew too much car il y avait la chanson bonus en plus. Non j'ai
pas une très grande collection, mais c'est pareil, c'est pas un truc
primordial pour moi » (Béatrice, 42 ans).
Nous pouvons donc voir dans une certaine mesure que, si l'on
reprend ces six profils, la forme stigmatisée de la groupie est
indirectement présente, même si le but ici n'est pas
réellement la rencontre personnelle avec l'artiste (l'attachement de la
groupie pour l'artiste chez Le Bart s'exprimant « à travers le
désir intense de rencontrer celui-ci, de le rencontrer seul à
seul, comme pour suspendre un moment la hiérarchie (à laquelle on
adhère d'ailleurs) qui fait du musicien une star et de soi un anonyme
obscur »35(*)), mais
plutôt de voir de nombreuses fois ses prestations scéniques.
Multiplier les concerts étant pour la plupart le plus important, la
majorité dépense leur budget dans cette activité, et ainsi
pas ou peu pour le merchandising: « Pour les objets dérivés,
pas vraiment ! Je claque déjà assez pour les concerts.
J'achète CD, DVD. Ensuite, j'ai toujours adoré son univers
artistique, donc j'adore les affiches de concert, de promos de CD... donc
ça oui. Mais le reste, non » (Déborah, 23 ans); « pour
les concerts oui36(*) (car
faut aussi compter les déplacements et hébergements) mais
ensuite non, je ne suis pas du genre collectionneuse a acheter les produits
dérivés etc, j'ai juste le minimum à savoir, DVD et CD et
quelques posters souvenirs de concerts mais c'est tout » (Delphine, 29
ans); « je n'achète pas du tout de merchandising, à part les
CD, EP, etc. Enfin ce qui concerne la musique quoi, et les concerts
évidemment » (Lucinda, 24 ans); « Je n'achète pas
d'objets dérivés, je dépense déjà
suffisamment dans les concerts (c'est un sacré budget entre les places,
les transports, les hôtels, la nourriture sur place....) »
(Aurélie, 28 ans); « J'ai pas de trucs de merchandising, et que le
premier album » (Elodie, 20 ans).
De la même façon, les concerts vont devenir
quasiment indispensables pour la plupart d'entre elles, devenant presque une
forme d'addiction. En effet, les fans, au fur et à mesure des concerts,
vont multiplier les bons souvenirs non seulement de la prestation de Mika, mais
aussi d'avec les membres du forum. Ainsi, comme nous l'avions vu dans la
deuxième partie, le groupe de fans influence partiellement cette envie
de retrouver la même ambiance, la même atmosphère, et
beaucoup vont donc se retrouver à rechercher cela: « c'est
dépaysant et très agréable, et c'est un cercle vicieux,
parce que du coup, on a des super souvenirs ensemble et quand l'occasion se
présente on veut recommencer pour revivre ça, c'est alors qu'on
se refait des bon souvenirs et hop on a re-envie de recommencer! »
(Lucinda, 24 ans), « c'est quelque chose de bien, qui fait que même
si tu es morte de fatigue après le concert et transpirante de partout,
tu as apprécié et tu en redemandes » (Elodie, 20 ans). De
même, Delphine (29 ans), explique le fait que si elle souhaite assister
à plusieurs concerts, c'est parce qu'au fond, chacun est vécu
comme un moment unique: « ayant pu le rencontrer plein de fois et
monter sur scène avec lui font que chaque aventure est vécue
différemment et on vit toujours des moments incroyables ».
D'ailleurs, l'affiliation avec les effets des usages de drogues n'est jamais
bien loin: « J'ai comme une envie perpétuelle de retrouver cet
état de bien être que j'expérimente » (Déborah,
23 ans); ou est tout simplement explicité chez Lucinda (24 ans): «
c'est une sensation étrange, ça peut être comparé
à quelque chose comme l'adrénaline. Quand on va à ses
concerts pour la première fois, on se sent heureux, comme une bonne
drogue », mais aussi chez Sylvie (42 ans): « ça a
été comme une drogue en quelque sorte. Une drogue qui fait du
bien, plaisir à voir et à entendre ».
Comme précisé au début, les personnes
interrogées estiment être davantage investies que ce qui leur
semble être ''normal''. Lucinda explique: « je fais partie des gens
qui en plus d'admirer un artiste, ont besoin de le voir » (même si
plus tard dans l'entretien, elle ne parlera plus de besoin, mais simplement
d'une envie: « je sais uniquement que lorsque j'entends sa musique,
lorsque j'ai des nouvelles de lui, je ressens une "envie très forte"
plutôt qu'un besoin, parce que je peux m'en passer sans soucis. Et du
coup si sur le moment, je peux me le permettre je le fais »). De
même, lorsque j'ai demandé à Delphine ce qui la
séparait d'un simple amateur de Mika, elle me répondit que
c'était du à « l'implication dans le forum, le nombre de
concert (et l'argent dépensé qui va avec ...), prendre des
vacances pour pouvoir suivre la tournée par exemple ». Il en va de
même pour Elodie (20 ans): « je suis depuis deux ans sur un forum de
fans [...], suis son actu, m'intéresse à ce qu'il fait en dehors
de la musique même si je n'aime pas tout le temps et j'ai assisté
à 10 concerts en deux ans », mais aussi pour Aurélie: «
je pense être très impliquée par le biais du forum et de
mon rôle de modératrice entre autre, et je me considère fan
aussi par rapport aux personnes qui sont extérieures à cette
histoire, et qui ne comprennent pas toujours pourquoi je fais cela ».
Néanmoins, la distinction se fait aussi à un
niveau plus ''symbolique'', comme le montre Béatrice (42 ans), qui
constate elle-même l'attitude différente qu'elle a entre Mika et
les autres artistes qu'elle apprécie: « J'aime bien De Palmas, j'ai
quelques CD mais pas tous et je ne l'ai vu qu'une fois en concert...je ne me
considère pas fan. Je ne vais pas chercher des infos sur le net sur lui,
ni sur ses tournées. Ça revient aussi a ce que je disais tout
à l'heure à savoir : une musique ou des paroles te touchent ou
pas ». Ainsi, l'implication ne se compte pas seulement au nombre de
concerts effectués, ou de CD achetés, mais aussi à la
connaissance de l'artiste, de son actualité, l'écoute de sa
musique,... Ainsi, pour Déborah (23 ans), qui est devenue l'une des
modératrices du forum, son implication au sein de celui-ci la distingue,
mais aussi « parce que j'écoute sa musique plus que la moyenne des
autres artistes que j'aime ! Que j'ai fait la démarche de m'inscrire sur
un forum de fan, sur lequel je suis très impliquée puisque je
suis devenue modératrice grâce à mon assiduité !! Et
parce que je me tiens à la pointe de ses actualités, et j'essaie
de me rendre aux plus de concerts possibles ! Je pense qu'une personne qui
apprécie juste sa musique ne ferait pas tout pour faire plusieurs dates
de concerts, ne chercherait pas à s'informer de toutes les actus... Mais
surtout je pense que ce qui fait que je me considère plus fan que
quelqu'un qui apprécie juste sa musique c'est mon implication aussi bien
sur le MWS que sur le fan club officiel... ». De la même
manière, lorsque j'ai demandé à Delphine (29 ans), ce que
signifiait pour elle être fan, elle me répondit: «
Admirer un artiste au point de s'inscrire sur un (des) forums le concernant,
économiser pour suivre l'artiste en concert, bref consacrer du temps (et
de l'argent pour ceux qui le peuvent, qui ont un travail) à cet artiste,
s'informer de tout et presque tout connaitre sur l'artiste en question
».
Le dernier point commun à tous est l'écoute de
Mika, qui est ressentie et écoutée quasiment de la même
façon, que ce soit lors d'une écoute volontaire ou non. Les
personnes interrogées se sont aussi reconnues en partie comme fans,
parce que la façon d'écouter les chansons de Mika sont
différentes des autres individus, elles ont conscience que leur rapport
à cette musique en particulier est différente des autres.
Ainsi, pour elles, il n'existe pas de moments particuliers
pour écouter, tous les moments sont bons. Quelque soit l'instant,
l'humeur ou le lieu, l'écoute se fait sans lassitude
particulière: « j'écoute beaucoup Mika dans la voiture ou
dans le train car je fais beaucoup de route!! Quand c'est en voiture, je
chante, dans ma douche aussi! » (Déborah, 23 ans). Pour
Béatrice (42 ans) aussi, tous les moments ou presque sont bons: «
Mika c'est dans ma voiture (toujours), quand je suis sur l'ordi et que j'ai des
choses pas trop importantes à faire et quand je suis seule (si mon mari
bosse à côté je lui laisse mettre sa musique). Quand je
bosse (je suis décoratrice sur bois) je mets toujours virgin17 je suis
sûre de voir au moins un clip [...] sinon, quand on dort ailleurs qu'a la
maison (hôtel, amis...) j'ai mon mp3, et aussi quand je fais le
ménage (ça donne la pêche) »; « c'est soit quand
je me balade avec mon mp3 ou sinon quand je suis sur le PC, que je surfe ou
bosse » (Elodie, 20 ans); « la plupart du temps c'est soit en
voiture, soit quand je suis devant l'ordinateur, et parfois avant de
m'endormir, dans mon lit...même sous la douche » (Delphine, 29 ans);
« Si je suis dans ma voiture, je chante assez fort! Sinon, je mets le CD
pour prendre ma douche par exemple, histoire de démarrer la
journée de bonne humeur. Si je l'entends à la radio, je monte le
son » (Aurélie, 28 ans).
En effet, tout comme explique Antoine Hennion que le «
goût ''dépend'' tout court [...], c'est d'abord un opportunisme du
moment et des situations37(*) », l'écoute des chansons va
dépendre de la même façon de tout un ensemble de situations
diverses qui vont favoriser, ou une écoute attentive, ou une
écoute plus distraite, qui accompagne le passionné: « je
peux écouter attentivement ou non, ça dépend. Quand je
veux me poser, j'écoute attentivement » (Déborah, 23 ans).
De la même manière, le choix des chansons va dépendre de
l'humeur du moment, de la situation vécue et des ressentis de la
personne. Il s'agit d'une « quête du bon morceau au bon moment, de
ce qui plaît dans cette situation, là, présente38(*) ». Pour Lucinda (24 ans),
le choix des chansons vont aller de pair avec son humeur: « quand je me
sens moyen, j'essaie de plutôt écouter des chansons gaies et quand
j'ai le cafard c'est le contraire. Mais j'écoute très rarement un
album entier ». Il s'agit de la même chose pour Béatrice (42
ans): « pour qu'une chanson me touche, il faut que la musique et que les
paroles soient vraiment en symbiose avec ce que je pense à ce moment
là ». Ainsi, les fans s'aperçoivent que quelque soit le
moment de leur vie, Mika les accompagne, de façon presque inconsciente:
« en général je fais d'autres choses en même temps,
mais je peux aussi bien écouter attentivement quand je suis dans les
transports par exemple ou le fredonner chez moi. Bref, il n'y a absolument
aucune règle. Au contraire, sa musique m'accompagne tout le temps »
(Lucinda, 24 ans); « je chante tout, par réflexe » (Elodie, 20
ans).
Et la joie associée à l'écoute non
volontaire est la même pour tous, même si elle est vue par les fans
comme peu rationnelle, et fait donc l'objet d'une auto-dérision, du fait
que la norme veut que les réactions soient ''mesurées''. En
effet, Déborah (23 ans), montre qu'elle est consciente que sa
réaction est excessive par rapport à d'autre en plaisantant:
« Et quand je le vois ou écoute par hasard, je suis
excitée comme une puce ! C'est grave! », tout comme Béatrice
(42 ans) qui se rend compte de l'irrationalité apparente de sa
réaction: « c'est complètement bête, mais si je suis
dans la voiture de mon mari, on écoute la radio et pouf, 9 fois sur 10
on entend Mika et là je suis super contente (alors que je
l'écoute toujours sur le mp3 de ma voiture) »; « j'ai un
sourire idiot sur le visage et je chante comme une gamine de 12 ans! »
(Lucinda, 24 ans).
...mais des façons différentes de
s'investir
Si, comme nous l'avions vu précédemment, la
majorité semble s'investir à peu près de la même
manière, il y a quand même des différences notables, que
l'on pourrait mettre en lien avec la vie personnelle ou professionnelle des
interrogés.
Pour expliquer cela, je vais m'appuyer sur un entretien qui va
à l'encontre des six autres que j'ai effectué. En effet,
Béatrice, notamment en ce qui concerne les concerts, n'est pas autant
investie que les autres interrogées, en m'expliquant qu'elle n'en
ressentait pas le besoin: « J'éprouve pas le besoin d'aller voir le
même concert 20 ou 30 fois ». De même, elle ne se voit pas
aller le voir à la sortie d'un concert ou prendre une photo avec lui, ce
qui est à l'opposé de la posture de la groupie: «franchement
je m'en fous, je fais partie des gens qui sont dans l'ombre mais qui sont
là quand même [...] si tu veux, pour moi, lui parler ne va rien
m'apporter». Ainsi, elle a établi le profil de celles qui seraient
davantage présentes aux différents concerts39(*), ce qui montre que sa
situation familiale et professionnelle ne lui permettent pas d'aller aux
différents concerts, mais elle s'en explique: « moi je suis
mariée, j'ai trois gamins de 14, 6 et 4 ans et j'ai un mari qui rentre
tous les soirs a la maison, je ne me vois pas lui dire : tu te démerdes
avec les gosses pendant 30 soirs durant les mois à venir parce que MOI
je vais voir Mika. Je sais que certaines sur le forum ont eu des histoires avec
leur mari parce qu'ils trouvaient qu'elles allaient trop souvent aux concerts
».
Effectivement, lorsque j'ai regardé le profil des
autres personnes interrogées, la différence d'âge est
beaucoup plus grande (les autres ont toutes entre 20 et 30 ans), et sont toutes
célibataires (excepté Sylvie, qui a 42 ans et est mariée).
Ainsi, l'âge et la situation familiale pourraient influencer la
carrière du fan.
Elle s'est alors accommodée de cette situation
notamment en adoptant une des formes légitimes de la passion: celle de
l'érudit. « Ce qui me motive, c'est que je fais des recherches sur
le net pour pouvoir monter le dossier le plus complet sur lui [...] MAIS je ne
me sens pas moins fan que les autres parce que je ne fais pas tous les
concerts ». D'ailleurs, elle-même trouve que son
comportement tranche avec celui des autres fans, puisqu'elle ajoute « je
ne suis sans doute pas normale! ». Ainsi, son engagement est
différent puisqu'il porte davantage sur la connaissance de l'artiste,
les significations de ses chansons, mais aussi sur les raisons qui l'ont
poussé à les écrire: «je ne suis pas a vouloir savoir
absolument ce qu'il mange au petit déj' ou s'il part en vacances avec 10
paires de chaussettes. Ce que je recherche plus c'est de savoir pourquoi il a
écrit ça ou ça ». L'une des illustrations de
cette posture adoptée, est lors de l'explication de la signification
d'une chanson: « dans stuck in the
middle, j'ai beaucoup lu (et je pense à
tort) que c'était une chanson écrite pour une ex petite
amie, mais quand on écoute bien, c'est
à son père qu'il s'adresse, et ça je ne suis pas
sûre que beaucoup de gens s'en soient
aperçu ».
Néanmoins, les formes de la passion que peuvent avoir
les fans peuvent varier en fonction des situations et peuvent aussi cohabiter.
Elodie adopte deux postures différentes, puisqu'en même temps
qu'elle assiste à de nombreux concerts (même si aujourd'hui, c'est
beaucoup moins le cas), elle se défend d'adopter ce comportement
uniquement pour lui, et pour de «mauvaises» raisons.
« Je saute de joie quand je vois que Imogen Heap
collabore avec Mika parce que je suis fan d'elle depuis des années et
non pas parce que c'est une nouvelle qui concerne Mika pour moi, mais elle
». Ainsi ici, la posture de groupie40(*) s'oppose en partie à celle de l'érudit.
Il en va de même pour Béatrice, qui en partie du fait de ses
contraintes familiales, ne peut pleinement participer à davantage de
concerts, même si selon elle, ce n'est pas une situation contrariante.
Tout le monde est donc fan à sa façon. Au
départ, il n'y a pas de réelles stigmatisations des fans en
fonction de leur comportement. Pour les interrogées, chacun a le droit
de s'assumer en adoptant les attitudes de leur choix, les raisons poussant
à adopter tel ou tel comportement n'étant connus que du fan
lui-même (même si par exemple les problèmes d'argent peuvent
jouer un rôle, notamment pour ce qui concerne la « consommation
»). Ainsi, pour Lucinda (24 ans), « chacun vit la chose à
sa manière. Certains fans ressentent le besoin de se déplacer [en
concert], d'autre pas forcément mais ça veut pas dire que ce sont
des "mauvais" fan »; « je ne parlerai pas en nombre de
concerts car c'est à l'appréciation de chacun,
ça » (Elodie, 20 ans); « Il y a pleins d'ado qui ne
peuvent pas aller au concert, ou qui ne peuvent pas acheter tous les CD, et je
suis certaines qu'ils sont tout autant a fond que moi » (Aurélie,
28 ans).
Cependant, un entretien vient contredire cette constatation.
Alors que toutes, même si elles ont établit des «
critères », qui pourrait faire que l'on soit davantage fan qu'un
admirateur classique, se considérer comme fan reste essentiellement une
affaire de ressenti. Ainsi, que l'on s'investisse pleinement ou non a certes
une influence sur le fait de se considérer comme fan ou non, mais le
degré d'investissement demeure une décision personnelle. Or,
Elodie se considère comme fan aux «3/4», car elle pense moins
s'investir depuis quelques temps, notamment en ce qui concerne les concerts:
« Je ne dirai pas à part entière étant donné
que je ne prends pas part aux concours, etc (comme tu as pu voir sur le forum)
et que je n'irai voir que des concerts dont les dates m'arrangent, que je ne
ferai sûrement pas de festivals car je pars en août un an à
Hambourg et économise mais je continue à venir quotidiennement en
ligne donc je n'ai pas décroché ! »
B) Mais qui reste en partie mitigé41(*):
Une étiquette difficile à
décoller
« Je trouve que les gens voit ça comme quelque
chose d'un peu négatif d'être fan, comme si c'était un peu
réservé aux ados » (Aurélie, 28 ans).
Néanmoins, même si
dans le cadre de cette recherche, les fans semblent avoir une vision positive
de cette communauté42(*), du fait qu'eux mêmes y appartiennent, j'ai pu
observer qu'être fan n'est pas assumé devant tout le monde. En
effet, même si les personnes interrogées se considèrent
toutes comme fan à part entière, ce statut demeure davantage
assumé devant les proches, en partie parce qu'il est difficile pour eux
de passer à côté, et d'ignorer la passion de leur fille,
femme, ou amie: « je ne dis généralement pas le nombre de
concerts que j'ai fait, ni les rencontres ni tout ça, sauf pour ceux que
je connais bien et qui connaissent ma fan attitude Mikanesque! »
(Delphine, 29 ans); « ma famille, mes amis le savent »
(Béatrice, 42 ans); «Mes amis le savent,
ma famille aussi» (Déborah, 23 ans);
« j'assume devant les gens de ma promo » (Elodie, 20 ans).
Les raisons qui font que même si elles se
considèrent comme fans, elles gardent surtout cette identité dans
la sphère privée, auprès essentiellement de la famille et
des amis (et quelquefois aussi des collègues de travail) sont
liées à un problème d'image extérieure. En effet,
comme cela a été vu dans l'introduction, les fans sont
associés aux adolescentes dont les premiers émois vont à
l'acteur, au chanteur, qui ressemblera le plus à leur idéal
masculin, ou à l'inverse aux ''vieux'' fans qui vouent un
véritable culte à leurs idoles (on pourrait penser aussi aux fans
de comics qui se déguisent de la même façon que leur
super-héros). Il est d'ailleurs difficile de ne pas imaginer cela,
même lorsque l'on est soi-même fan: « Pour moi être fan
d'un artiste c'était un truc ringard, j'imaginais les fans de Johnny ou
de Cloclo, les hystero complètement barge. Mais bon, faut croire que
tout le monde est différent » (Lucinda, 24 ans).
« Je ne sais pas, c'est comme s'il y avait quelque chose
qui me gênait dans l'interprétation qu'on peut en avoir. Quand on
me demande "t'es fan de Mika ?" je réponds que je l'aime beaucoup ! ce
n'est qu'une question de termes mais j'aime faire la différence ! c'est
surement absurde ! » (Déborah, 23 ans).
Pourtant ça ne l'est pas! Déborah, qui pense que
son raisonnement est absurde, ne devrait pas, puisque si elle fait la
différence, c'est qu'il y a de bonnes raisons à cela,
liées comme nous l'avons dit tout à l'heure à l'image des
fans en général. Ainsi, les fans de Mika ne peuvent totalement
affirmer qu'ils sont fans auprès de simples connaissances, par peur
d'être associés à une image qui ne leur correspond pas, et
qui ne les définit pas. De plus, le risque pour eux est de se retrouver
assimilé à une seule facette de leur personnalité, qui les
enfermeraient dans une case: « en général les gens ne
comprennent pas et te cataloguent direct » (Lucinda, 24 ans); «
ça se rapproche tout de suite aux jeunes filles en fleurs criant quand
elles aperçoivent leur idole ! » (Déborah, 23 ans); «
Avec ma famille proche (parents et frères) oui. Parce que ma mère
est pareille. Mais avec mes amis, je n'en parle plus, parce que certains ne
comprenaient pas » (Aurélie, 28 ans). Ainsi, elle
préfère davantage partager son expérience de fan avec des
personnes partageant ce sentiment: « j'en parlerais plus facilement avec
une personne qui vit à peu près la même chose avec un autre
artiste par exemple ». Pour Béatrice (42 ans), sa première
expérience de fan avec Patrick Bruel lui a appris à être
plus prudente concernant le fait de dire qu'elle était fan: «
j'assume parfaitement, j'en parle assez facilement, mais je ne dirai pas
spontanément que je suis fan de Mika ou d'un autre. Je vais t'expliquer
pourquoi : lorsque j'étais jeune fan de Bruel, je le disais très
facilement et au bout d'un moment je me suis aperçue que les gens te
cataloguaient par la suite ou se moquaient de ton statut de fan ».
Nous voyons ainsi les conséquences que peuvent
entraîner le fait d'être étiqueté en tant que fan,
tant ce mot est associé au comportement extrême de certains.
Howard Becker a repris le raisonnement de Everett C. Hughes, qui distingue
caractéristiques principales et accessoires d'un statut. Ainsi, il
«remarque que la plupart des statuts ont une caractéristique
principale qui sert à distinguer ceux qui occupent ce statut de ceux qui
ne l'occupent pas43(*)». Associé à notre recherche, le
fan a pour caractéristique principale dans le sens commun d'être
tout à l'idolâtrie de sa personnalité
préférée, et souvent, n'est vu que comme tel, ou à
travers cela. Cependant, les fans ont des caractéristiques secondaires
et peuvent avoir un profil tout à fait contraire à l'image de la
plupart des individus.
Pour éviter ce jugement souvent négatif
d'autrui les concernant, les personnes interrogées vont donc être
conduits à avouer ce statut progressivement, à l'instar de
Béatrice: « je l'amène sur la pointe des pied, genre "ah
oui, moi je vais voir Mika en concert" ou "vous avez déjà vu Mika
en concert?" »; « j'y vais doucement, en disant que j'aime bien !!
Ensuite si la personne est réceptive j'explique un peu mieux »
(Delphine, 29 ans); « en général, je laisse un peu de temps
pour qu'on apprenne à se connaitre et une fois que la personne se rend
compte que je suis pas une folle furieuse, je dévoile mon secret! Mais
je vais pas spontanément le dire à n'importe qui » (Lucinda,
24 ans).
Assumer son identité de fan serait donc lié
à un problème de vocabulaire? Visiblement, cela semble être
en partie le cas, puisque la définition même du mot fan semble
poser des problèmes aux personnes interrogées: « je n'aime
pas le mot fan, il enferme dans une case remplie de préjugés et
renvoie directement au mot d'origine "fanatique" » (Elodie, 20 ans);
« c'est juste la connotation "fan" et le côté
hystérique qui va avec qui me gène en fait » (Delphine, 29
ans); « Déjà je suis pas "fan" de ce mot. Ça a une
connotation négative et je trouve que ça ne résume pas du
tout ce qu'on fait. Dans "fan" il y a quand même fanatique quoi... mais
bon, il n'existe pas, enfin pas à ma connaissance quoi, d'autres mots
pour nous définir » (Lucinda, 24 ans).
Quelques fois, ce choix de ne pas l'avouer ouvertement peut
ne pas être seulement lié à l'envie de ne pas être
étiqueté, car cela fait aussi partie de la vie personnelle de
l'individu. C'est le cas notamment de Déborah (23 ans): « Alors en
fait ça dépend. Au début, je n'assumais pas du tout mon
statut de fan. Comme c'était la première fois, je comprenais pas
trop ce qui m'arrivais ! [...] Mais au fur et à mesure, j'ai
assumé ! [...] je disais juste que "j'aimais bien". Encore aujourd'hui,
je ne le dis pas à tout le monde, car c'est mon monde à moi, j'ai
pas forcément envie que tout le monde soit au courant ! » Ainsi,
même si elle affirme assumer son statut (« je me considère
comme fan à part entière [...] ma famille aussi et beaucoup de
gens savent que je vais à beaucoup de concerts »), elle m'avoue que
« très peu de personnes savent que je suis modératrice d'un
forum de fans !! »
Nous pouvons voir néanmoins que Déborah se
contredit plusieurs fois. En effet, elle se « considère comme une
admiratrice de Mika, une fan, mais pas dans le sens extrême du terme
». Pourtant, elle a « l'impression que les fans ne savent pas
être dans un autre registre que l'excès alors que nous on peut
». De même, elle me précise que « le terme "fan" peut
être perçu négativement. Dans mon entourage en tous cas,
c'est le cas! Fan, c'est un dérivé de fanatique ».
Néanmoins, elle me dira un peu plus tard dans l'entretien que «
être fan ce n'est pas être fanatique ou hystérique
».
Lucinda se contredira aussi, puisqu'en même temps
qu'elle estime que « quand on dit "fan", les gens pensent direct à
une hystéro qui hurle et saute sur lui, alors qu'en fait on est
absolument pas comme ça », elle concède quand même
avoir un comportement qui peut pousser à la considérer comme
telle, du fait de son investissement important: «je suis consciente que
ça peut passer pour de la folie». Il en va de même pour
Aurélie, qui considère que « "fan", je trouve que ca a une
petite connotation négative. On sent bien qu'on est dans l'excès,
quoi! », tout en admettant « ce qui n'est pas faux... ».
Cependant, nous pouvons remarquer que ces contradictions
suivent un raisonnement logique, puisqu'elles ont conscience à la fois
d'être fan du fait de leur comportement, mais aussi qu'elles ne peuvent
pas, et ne veulent pas s'associer à cette mauvaise image des fans, qui
ne correspond pas selon elles à la réalité.
Distanciation de la passion
« On est dans l'extrême tout en étant
modéré quoi » (Lucinda, 24 ans)
Chez les individus que j'ai interrogé, tous ont
souhaité se distinguer des autres fans, et notamment de ceux qu'ils
considèrent comme des fans trop excessifs, ou qui parfois ont des
comportements qui ne leur semblent pas adaptés. En effet, ils ne
souhaitent pas y être associés car non seulement ils ne se
reconnaissent pas dans leurs attitudes, mais ils ne souhaitent pas être
comparés à des individus ayant des comportements
déviants.
Ici, la distanciation de la passion va se faire par une
justification de la déviance, en comparaison avec ces fans. En effet,
les fans « hardcore » sont vus comme étant sans
limites vis-à-vis de leur idole, prêts à s'endetter ou
à altérer les liens familiaux. Ces fans sont vus comme
déviants par rapport à la norme des fans44(*). La norme est ici implicite,
et où le comportement déviant est à deux niveaux. Tout
d'abord, les fans en général, comme nous avons pu le voir, sont
vus comme déviants pour la majorité de la population. Mais au
sein de la communauté des fans, certains sont aussi
considérés comme tels: ce sont les fans
«hardcore », ou comme cela a été dit dans un
entretien, les « die hard fans ». Ainsi, certains fans sont
considérés comme déviants au sein de la
société, mais pas au sein de la communauté des fans, et
ont un double statut déviant-non déviant qui intervient
simultanément45(*).
Durant mes entretiens, l'accent a été mis sur le
fait que ''eux'' ne sacrifiaient pas ce qu'ils avaient à
côté de Mika pour lui, ne considérant pas avoir un
comportement déviant au sein de la communauté des fans. Ainsi,
lors des entretiens, sans nécessairement désigner des personnes
en particulier, les fans ont montré qu'ils avaient un rapport
distancié à la passion. Nous pouvons donc voir que cette
distanciation se fait de deux façons: par un esprit critique envers ce
que fait Mika, et par un certain recul en ce qui concerne le comportement de
chacun.
Être fan ne doit pas venir altérer le jugement
envers l'artiste qu'il apprécie. En effet, il ne doit pas se laisser
aveugler par son idolâtrie, et garder un avis le plus objectif possible.
Ainsi, si l'artiste fait des choix artistiques ''douteux'', ou a un
comportement inadapté, le fan doit être capable de
reconnaître les erreurs du chanteur, et doit admettre qu'il n'est pas
parfait. Ainsi, la barrière artiste-admirateur est moins importante du
fait de la prise de conscience qu'au fond, l'artiste est un individu comme un
autre, qui n'est pas à l'abri d'une erreur. Elodie (20 ans), m'a
expliqué que selon elle, certains fans ne seraient pas capables
d'admettre quand l'artiste fait quelque chose de mauvais: « s'ils font
quelque chose que je n'aime pas, je ne me forcerai pas à aimer et je
dirai pourquoi je n'aime pas. [tu penses que les autres fans, où en tout
cas certains, n'auraient pas ce recul là?] Oui ! [c'est quoi qui te fait
dire ça?] ce qui se lit, s'entend, ces fans qui ne jamais, ô grand
jamais, ne critiqueront, ne feront que sous-entendre ça et chercheront
une excuse pour que ce ne soit pas bon »; « Je ne lui trouve pas des
excuses quand il a tort, ou je n'aime pas ses chansons juste parce que c'est
lui » (Aurélie, 28 ans). De même, pour Déborah (23
ans) aussi, « il faut trouver le juste milieu, le soutenir c'est à
dire aller à ses concerts, acheter son CD et pas le
télécharger, lui montrer que ses fans sont là quoi. Mais
tout en étant lucides et "juste". C'est pas être fan que d'aimer
tout ce que fait l'artiste, sans aucun esprit critique... ».
De même, la plupart explique que même si leur
investissement dans la passion peut sembler être trop important aux yeux
notamment des proches et des autres en général, ils vont
malgré tout justifier de ce comportement du fait qu'ils ont un certain
recul sur cela, qu'ils en ont conscience: « ma vie ne tourne pas
qu'autour de ça !!! » (Déborah, 23 ans). Elodie illustre
aussi cette distanciation: « je suis davantage fan de Mika que de certains
artistes mais je suis aussi plus fans de certains artistes que de Mika. Et
j'explique ça assez facilement : je n'ai pas la capacité que
peuvent avoir des gens à avoir un "chouchou" et le reste.» De
même: « je ne passerai pas une soirée à regarder les
NRJ music awards pour voir une prestation par exemple. J'attendrai que ce soit
en ligne, je ne cours pas après l'info, je prends ce qu'on me donne
». Delphine (29 ans), se rend bien compte qu'elle est « un peu une
groupie par certains côtés si on repense aux nombres de concerts
que j'ai pu faire mais ça reste toujours bon enfant et je ne vis pas QUE
pour lui...». Lucinda (24 ans) m'explique: « je suis consciente que
je suis dans un certain extrême, je ne suis pas une admiratrice lambda,
mais je crois que le plus important quand on fait un truc un peu fou, c'est de
s'en rendre compte et de ne pas mettre sa vie entre parenthèse pour
autant ». Pour eux, même si c'est perçu comme excessif,
ça ne dépasse jamais une certaine limite, limite que d'autres
n'ont pas su respecter, que ce soit d'ordre financier: « Les études
passent avant tout et si le budget ne suit pas je ne vais pas me mettre dans le
rouge pour le voir, pas comme certains ont fait » (Elodie, 20 ans). Mais
cela peut aussi bien concerner la vie de famille: « je sais que certaines
sur le forum ont eu des histoires avec leur mari parce qu'ils trouvaient
qu'elles allaient trop souvent aux concerts » (Béatrice, 42 ans).
Le profil de ces fans auxquels les membres ne souhaitent pas
s'apparenter semble être celui d'un individu individualiste, donnant son
temps libre, son argent,..., autant de temps passé à admirer
l'idole qui ne sera pas utilisé pour profiter des proches. Cette figure
assez extrême apparaît cependant assez rarement: « il faut
aussi savoir garder les pieds sur terre, et certains ont tendance à
l'oublier mais au final c'est à eux que ça fait le plus de mal
car leur réalité doit malheureusement être bien fade, mais
ce genre de personne reste assez rare! » (Delphine, 29 ans).
Ainsi, en même temps qu'ils se définissent comme
fans et qu'ils reprochent aux autres d'être stigmatisés en tant
que tel, eux-mêmes véhiculent cela en stigmatisant à leur
tour ceux qu'ils considèrent comme « trop » fans. Ainsi, il y
a toujours quelqu'un qui est plus fan, et où la critique de leurs
comportements permet de justifier des leurs, du fait que s'ils s'investissent,
c'est toujours dans un certain respect de l'artiste. De même, tout comme
l'indique Philippe Le Guern, « l'habitus de fan présente ceci de
remarquable que les fans développent généralement une
conscience très active des processus et des présupposés
qu'ils mettent en oeuvre lorsqu'ils se présentent comme fan: cette
double posture d'engagement (dans le collectif) et de distanciation (par
rapport aux fans les plus «pris au jeu») leur permet en quelque sorte
de jouer sans être totalement dupe du jeu, de se comporter comme fans
sans être fanatiques »46(*).
Quelquefois, le recul se fait en partie involontairement,
dans le fait de devoir jongler entre ses différentes identités
professionnelles et familiales, comme en a témoigné l'extrait
précédent. Pour Béatrice aussi, comme nous l'avions vu
dans la deuxième partie, elle a du savoir faire avec ses contraintes:
« c'est sur que j'aurais bien aimé aller au cirque d'hiver, mais
j'habite à Calais, faut que je trouve quelqu'un qui puisse s'occuper de
mes enfants le temps que leur père rentre du boulot... et surtout c'est
pas donné une place de concert [...] en fait mes priorités sont
ailleurs, elles sont dans le bien être de mes enfants, dans leur
scolarité et dans ma vie de famille ». De même, Elodie (20
ans) sait garder ses limites, et ne va aux concerts que sous certaines
conditions: « j'ai fait les Francos [Francofolies de La Rochelle] parce
qu'après, je remontais facilement en vacances en Bretagne. Pour
Nîmes je suis partie plusieurs jours, aie pu profiter de la
Méditerranée, désormais à chaque fois il y a des
raisons autres que lui qui me font me décider à aller "loin" de
chez moi ». La vie de famille doit donc être conciliée avec
l'envie de voir Mika, même si cela est surtout apparu chez
Béatrice (42 ans), qui a ces contraintes (nous avions vu
précédemment que les autres membres interrogés avaient la
vingtaine, et étaient célibataires, facilitant beaucoup la
possibilité de s'investir dans la passion): «l'an dernier enfin en
2008 plutôt, ma fille est venue avec moi à Arras et mon mari a
posé son 4 mai pour que je puisse aller a Liévin, et il va
même s'occuper de la fille de nos copains», et aussi pour Sylvie (42
ans): « il ne voulait pas que tout cet argent dépensé
compromette nos projets et/ou nous empêche de faire des trucs
prévus [...] le sujet de conflit en fait est plus financier qu'autre
chose ! ». Cependant, en règle générale, les proches
restent assez compréhensifs vis-à-vis de la passion, sans
être non plus trop concernés: « on en parle avec ma fille.
Elle aime bien mais elle n'est pas fan. Avec mon mari je lui parle de quelques
trucs mais bon pareil, il écoute, ça lui plait mais sans plus
» (Béatrice, 42 ans). A l'inverse, Déborah (23 ans): «
en fait, mon père trouve ça plutôt drôle! Et aime
bien ce coté modo du forum, montage sur scène avec Mika, il en
parle même à ses collègues! ». Même si chez
cette dernière, sa mère a eu du mal à la comprendre au
début: « ma mère ne m'a pas trop soutenue non plus [...]
elle a du mal à comprendre tout ça ! Pourquoi j'ai besoin de
tant de concerts et c'est du coté financier que ça bloque, car je
suis étudiante et donc toujours dépendante de mes parents...
[...] ma mère est même allée jusqu'à me demander si
j'étais amoureuse de Mika !! », il s'agit surtout de petites
plaisanteries: « si je me fait chambrer par ma famille ?!! euhhh oui
!». Il en va de même pour les autres membres du forum: « mes
collègues suivent mes aventures avec attention, mes amis aussi et ...ma
famille aussi! [...] personne ne m'a jamais rien reproché, comme je t'ai
dit ça les amuse plutôt et après ils me demandent des
comptes rendus. Ils vivent l'aventure par procuration ». « Ils savent
que j'ai du recul donc ça va, ça se passe bien », mais
Elodie (20 ans), a quand même une petite anecdote sur ses amis de fac:
« je me rappelle qu'on parlait de lui parce qu'il passait dans un bar sur
MCM, et je disais que j'allais à Strasbourg, et que je doutais d'aimer
le nouveau spectacle. Et un ami qui me sort en rigolant : ouais, t'as quand
même acheté la place. Donc je me fais chambrer, oui! ». Il en
va de même pour Sylvie (42 ans), qui explique: « J'ai eu droit aux
sarcasmes de mon mari qui me traitait de midinette, qui rigolait ! [...] Sinon
j'ai un collègue au boulot qui m'appelle Mika, quasi plus jamais par mon
prénom !!! ».
Lucinda (24 ans), travaillant dans une école, a
préféré ne mettre au courant qu'un seul de ses
collègues, et quand elle m'a expliqué pourquoi, j'ai vite compris
en effet qu'avoir la réputation d'être ''la fan de Mika''
auprès de pré-adolescents ne serait pas une bonne idée:
« je veux pas qu'ils le sachent, parce que si je veux m'absenter pour quoi
que ce soit, ils vont me saouler. Et puis je bosse dans un collège, si
les élèves l'apprennent je suis foutue! ».
On peut donc voir la difficile cohabitation entre
l'identité professionnelle, et celle de la passion: «Le moi
passionné doit apprendre à composer avec d'autres moi tout aussi
réels: moi professionnel, moi conjugal, moi construit par d'autres
passions, d'autres goûts, etc47(*)».
Mais il est arrivé dans l'un de mes entretiens que ce
soit des fans trop investis qui viennent faire prendre conscience que cette
personne ne voulait pas en être. Elodie (20 ans) suite à une
mauvaise expérience, a vu le comportement de certains fans qui l'ont
marqué: « c'était en février 2008, quand il avait
fait une after [à Londres] et que ça avait tourné à
ce que des sangsues le collent alors qu'il avait prévu de faire le tour
de la salle. et que nous avions fini, avec entre autres lulu, à papoter
avec Luke, Andy, Chérisse, Saranayde48(*)... pendant que les autres se poussaient pour avoir
leur photo avec Mika. J'ai trouvé ça irrespectueux pour lui et
pour les gens qui étaient là, qu'elles apprennent à se
tenir. Le respect entre fan et artiste est quelque chose auquel je tiens et je
trouve qu'un fan irrespectueux est vite pathétique et tout simplement
à claquer ».
A la suite de cela, elle a préféré
assister à moins de concerts, car cela « entraîne le
côtoiement de ces fans vraiment trop hardcore à mon goût, et
je ne sais pas, ça m'a "calmée" [...] l'ambiance parfois tendue
entre fans, surtout pendant la queue, influe sur l'appréciation de la
journée, globalement, et donc sur le concert, c'est lié à
mon avis. C'est comme si tu devais passer la journée avec ta tête
à claque préférée à 5 mètres de toi,
tu ne profites pas à fond parce qu'à un moment, cette personne va
t'exaspérer ». De plus, elle ne souhaite pas participer à
cette image de fan, ou « plutôt d'y être associée car
c'est une attitude qui m'irrite tellement je trouve ça irrespectueux
surtout quand il s'agit d'artistes qui ont de bonnes relations avec l'ensemble
de leurs fans et parce que les gens des fan- clubs qui me connaissent
même rien qu'en me voyant poster comprennent bien que je ne suis pas
comme ça ».
Dans cette dernière partie, nous pouvons donc dire que
la dernière étape dans la carrière du fan de Mika consiste
à se considérer en tant que tel, mais surtout à s'affirmer
comme tel aux yeux des autres. Le fan en effet ne peut plus renier cette
identité, du fait de son implication importante pour sa passion. Ainsi,
s'il n'est pas difficile de se rendre compte que l'on devient fan, notamment du
fait de son intérêt pour l'artiste, et des comportements qui
confirment celui-ci, il devient beaucoup plus compliqué de s'affirmer
comme tel au regard d'autrui. Ainsi, le fan entre dans une double
présentation de soi affirmée-mitigée, affirmée aux
yeux de ses proches et de la communauté, mitigée vis-à-vis
des autres. En effet, si pour l'entourage, l'activité du fan est
considérée comme acceptée, même si elle n'est pas
toujours normalisée, il n'en reste pas moins que pour la plupart des
individus, cette activité soit stigmatisée et perçue comme
déviante, car non associée aux profils que j'ai pu
étudier. Être fan est vu de façon souvent caricaturale,
comme une identité uniquement valable pour certaines catégories
de personnes, pour l'essentiel des enfants ou des adolescentes, s'identifiant
à l'idole. Autant de stéréotypes nuisant aux fans dans
leur ensemble, qui adoptent ainsi des stratégies de présentation
de soi.
De même, afin de justifier leur activité
jugée déviante, ils vont se distancier de la passion, notamment
en prenant du recul sur celle-ci, et se démarquant de cette façon
de cette catégorie de fans stéréotypée, qui elle
étant consacrée entièrement à l'objet de sa
passion, ne possède plus ce recul nécessaire pour laisser de la
place aux autres identités de l'individu existantes. Un certain
paradoxe a pu ici être observé, puisque de la même
manière que les fans interrogées se sentaient indirectement
stigmatisés par les individus en général, ils reproduisent
le comportement de ces individus en stigmatisant à leur tour la
même catégorie de personnes. Il existerait ainsi deux
catégories de fans, dont l'une ne ferait pas forcément de la
majorité, mais qui représente la figure la plus courante du fan
''aliéné'', et dont on cherche à se distinguer.
CONCLUSION
Être fan ne peut se résumer aux
pré-notions que nous pouvons avoir, tant le processus qui amène
les individus à le devenir, mais aussi à se considérer
comme tel est complexe. En effet, le fan ne le devient pas comme ça, du
jour au lendemain, même si la découverte de l'artiste peut donner
une impression de « coup de foudre », et de soudaineté.
Les résultats de cette recherche ont montré que
certaines étapes semblent participer à la construction de la
carrière du fan. En effet, parmi les personnes interrogées, des
similitudes sont apparues dans cette construction. Ainsi, en réponse
à notre question de départ portant sur les étapes de la
carrière d'un fan de Mika, nous ne pouvons y répondre de
manière déterminée, tant les expériences de fans
sont propres à chacun, renvoyant ainsi aux théories de la
réception. Chaque fan s'empare de la musique pour participer à la
construction de son identité, il y a une diversité de
manières de vivre la passion: si n'importe qui peut aimer Mika, on
n'aime pas n'importe comment. Il subsiste des manières
différentes d'aimer, et donc des comportements différents pour
manifester cette passion, même si certains déterminismes sociaux
peuvent influencer ces comportements (notamment la situation familiale et
professionnelle, ainsi que l'âge).
Néanmoins, nous avons pu voir que certaines situations
se recoupaient dans les carrières de fan, et notamment une qui est
apparue importante: le rapport aux autres fans. Si le point de départ de
la carrière reste évidemment le rapport à l'artiste, il
n'en demeure pas moins que l'amitié liée avec les semblables est
un facteur de continuation de la carrière. Même si quelquefois, le
fan ressent une baisse de la passion pour diverses raisons, les liens
crées permettent un maintien empêchant la disparition totale de
celle-ci. Le forum de fans est alors apparu comme ressource dans la
normalisation de la passion, et comme lieu d'entre-soi. La passion, loin
d'être vécue comme activité solitaire éloignant des
proches, puisqu'en s'échappant pour un temps de la famille, c'est pour
se retrouver avec d'autres fans.
L'apport de Mika pour les fans est ainsi double: en
même temps qu'il leur a permis de s'épanouir à travers les
différentes expériences apportées (s'éloigner des
difficultés de la vie quotidienne, mais aussi s'extérioriser
notamment par rapport au fait d'avoir la possibilité de monter sur
scène), il aura apporté des interactions entre fans créant
des amitiés qui ne sont plus simplement liées à Mika, ces
fans se rencontrant en dehors des concerts.
Mais s'il est facile de s'assumer dans un entre-soi où
l'on n'est pas jugé (sauf exceptions irréductibles aux groupes
sociaux existants), cela devient plus complexe lorsque l'activité est
perçue comme déviante aux yeux de la majorité. Des
stratégies de présentation de soi apparaissent, les fans ayant
conscience de la mauvaise interprétation possible de leur passion. De
plus, les fans se distancient de cette passion, en prenant du recul par rapport
à celle-ci, et en ne se définissant pas seulement à
travers cette identité.
Le fan n'est donc pas nécessairement « fanatique
». Il peut certes laisser entrevoir certains comportements déviants
(l'investissement et l'importance accordés à Mika peut sembler
surprenant pour certains), mais ils ont une capacité de réflexion
sur leurs propres actions les amenant à avoir une attitude rationnelle.
Contrairement à la vision de Pierre Bourdieu où le fan est vu
comme dominé, consommant les produits les moins légitimes de la
culture populaire, et renforçant sa position dans l'acharnement à
consommer tous les objets se rapportant à l'idole, cette recherche
à permis de voir que ce n'était pas le cas. En effet, les
dépenses étant consacrées essentiellement aux concerts, et
non aux objets finançant l'industrie du star-system.
Davantage dans un rapport au genre, il aurait
été intéressant de voir les expériences des fans
hommes de Mika. En effet, ne voulant pas choisir moi-même les personnes
interrogées et ayant proposé à ceux qui le souhaiteraient
de faire un entretien, je n'ai pas eu l'occasion d'interroger des hommes.
Ainsi, nous pourrions aller plus loin en attirant l'attention sur le rapport
entre le regard d'autrui et l'expérience propre de ces fans, qui doivent
se confronter à un double préjugé: celui concernant les
fans, et le fait que Mika soit vu à la fois comme un « chanteur
pour filles et pour homosexuels », du fait de sa voix ''haut
perchée'', et de son apparence extravagante.
Ce cadre de réflexion demanderait néanmoins un
travail de recherche plus complexe, puisqu'il mobilise différentes
spécialités de la sociologie, du fait qu'il interroge à la
fois la question des fans et tout ce qui s'y rapporte (le rapport à
l'identité et à l'expérience en tant que fan), mais aussi
les rapports de genre, les fans étant vus comme surtout femmes ou jeunes
filles, d'autant plus ici que Mika est catalogué comme chanteur gay,
donc supposé attirer davantage la gent féminine et/ou les
homosexuels.
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages et articles:
- Becker Howard (1985), Outsiders. Études de
sociologie de la déviance, Paris, Éditions A.- M
Métailié
- Bourdieu Pierre (1979), La distinction, Paris,
Minuit
- Hennion Antoine (2009), Réflexivités.
L'activité de l'amateur, Réseaux 2009/1,
N° 153, p. 55-78
- Kaufmann Jean-Claude (2007), L'enquête et ses
méthodes. L'entretien compréhensif, Paris, Armand Colin
- Le Bart Christian (2000), Les fans des Beatles.
Sociologie d'une passion, Presses universitaires de Rennes.
- Le Guern Philippe (2002), "En être ou pas : Le
fan-club de la série Le Prisonnier. Une enquête par
observation", dans Le Guern Philippe (dir.), Les cultes médiatiques.
Culture fan et oeuvres cultes, Presses Universitaires de Rennes,
(177-215)
- Le Guern P., « No matter what they do, they can never
let you down...» Entre esthétique et politique :
sociologie des fans, un bilan critique, Réseaux 2009/1,
N° 153, (19-54)
- Morin Edgar (1962), L'esprit du temps, Paris,
Armand Colin.
- Muggleton David (2002), "Individualité distinctive et
affiliation subculturelle", dans Glevarec Hervé, Macé Eric,
Maigret Eric (dir.), Cultural studies. Anthologie, Paris, Armand Colin
(232-250).
- Segré Gabriel (2007), Au nom du King. Elvis, les
fans et l'ethnologue, Aux lieux d'être.
Site internet:
Http://mikawebsiteforum.com
ANNEXES
GUIDE D'ENTRETIEN
Question de départ: Quelles sont les différentes
étapes de la carrière d'un fan de Mika? Comment se construit
l'identité du fan, et comment ce statut intervient dans la vie
quotidienne de l'individu et dans la définition qu'il se donne?
I/ Découverte du chanteur:
- contexte: quand, comment, sur quel support, vu seul
ou à plusieurs,...
- première impression: tout de suite
aimé, pas du tout, indifférence,...
- écoutes ultérieures: hasard,
recherche de cette écoute,...
II/ Devenir fan: à partir de quand se
considère t-on comme fan?
- Choix de l'artiste: pourquoi Mika? Qu'a t-il de
différent? (éventuellement: as tu été fan d'autres
artistes et en quoi le fait d'être fan de Mika est-il différent
d'un autre chanteur, acteur,...?)
Réflexion plus large sur ces raisons: lien avec vie
personnelle, identification au chanteur, ou à sa vie,...
- Marqueurs déclencheurs: comment expliques-tu
le fait d'avoir évolué vers ce statut de fan? Recherche
d'éléments marquants (1er concert, achat du 1er cd, inscription
au forum, recherche biographique ou d'informations liées à son
actualité,...) et témoignage d'anecdotes.
- Question des motivations: qu'est-ce qui te pousse
à faire tout ce que tu fait « pour lui », à
dépenser du temps, de l'argent, de l'énergie,... pour Mika?
Comment est-ce que tu expliques le fait de t'investir pour quelqu'un dont, au
final, n'est pas un proche au sens strict?
- Savoir être fan: apprentissage des bonnes
façons de se comporter, par lesquelles le fan peut s'identifier et
être identifié comme tel.
Définition personnelle de fan, reconnaissance
éventuelle dans cette définition.
=> Est-ce qu'aujourd'hui, tu te considères comme fan
à part entière? Si c'est le cas, en quoi est-ce que tu te
considères comme fan, et pas comme simplement
« amateur » de sa musique?
Qu'est-ce qui, selon toi, te distinguerait de quelqu'un qui
apprécierait juste Mika? Qu'est ce qu'il faudrait faire/avoir pour
être considéré comme un « vrai »
fan?
III/ Expérience de fan:
- rapport à soi:
- Qu'apprécies-tu dans sa musique et/ou dans sa
personne?
- qu'est ce que Mika a éventuellement modifié
dans ta vie pour que tu en devienne fan? Qu'est ce que Mika t'a apporté?
Qu'est ce que te fait le fait d'être fan de Mika? Qu'est ce que ça
t'apporte au quotidien?
Est ce qu'aujourd'hui, avec la découverte de Mika, tu
te voit différemment? Si c'est le cas, en quoi est ce que tu penses
avoir « changé » et comment, qu'est ce qui a permis
ce changement?
- Lien avec famille: Est ce que tu penses que le fait
que tu sois devenu fan de Mika aie pu avoir une origine dans le style de
musique que tu écoutes, ou les chansons que ta famille t'a fait
découvrir? (ou même dans l'origine familiale, rapport avec capital
culturel).
- comportement du fan:
- Qu'est ce que tu fais quand tu écoutes Mika?
(fredonnes, tapes le rythme, chantes, tu travailles, écoute
attentive...en fonction du contexte)
Qu'est ce que te fait Mika, quand tu l'écoutes, ou
à la tv,...? Ressenti, émotions,...
- travail de présentation de soi:
stratégies utilisées sur la scène sociale par le fan.
Question d'assumer son statut de fan dans diverses sphères sociales
(travail,...), négociation permanente des différentes
identités (emploi occupé, rôle familial, être
fan,...) et influence du statut de fan dans la vie quotidienne.
- « consommations »: achats cd,
concerts, objets dérivés, recherche d'informations,...
- rapport à autrui: - proches, famille,
collègues,...: conversations, avis, influence, réactions,...
- autres fans: Qu'est ce
qui t'a poussé à t'inscrire au forum? Échanges,
« entre-soi » possible, tensions éventuelles,
sentiment d'appartenance à un groupe,... Quelle importance de
l'existence de cette communauté et d'y appartenir pour le fan?
Éléments biographiques: âge, sexe, lieu
d'habitation, situation familiale, profession, niveau d'études.
PRESENTATION DES PERSONNES
INTERROGEES
-Sylvie: membre depuis le 08/11/2007. 42 ans, mariée,
infirmière, et possède un niveau Bac +5.
- Aurélie: membre du forum depuis le 11/04/2007. 28 ans,
habite Orléans, célibataire, travaille à Amazon.fr au
service informatique et est titulaire d'une licence d'anglais.
- Delphine: membre depuis le 05/04/2007. 29 ans, habite
Angoulême, célibataire, est monitrice d'auto-école, est
titulaire d'un bac littéraire et d'un diplôme dans le tourisme
(secteur aérien).
- Béatrice: membre depuis le 12/12/2008. 42 ans, habite
Guemps, mariée, 3 enfants, est décoratrice sur bois, et est
titulaire d'un brevet professionnel de préparatrice en pharmacie.
- Déborah: membre depuis le 13/10/2007. 23 ans, habite St
Malo, en couple, est étudiante en management de la culture et du
patrimoine, et possède un niveau Bac +5.
- Elodie: membre depuis le 16/08/2007. 20 ans, habite Nancy,
célibataire, est étudiante, pigiste et bénévole en
salle de concert, est actuellement en L3 de culture et communication
spécialité connaissance des métiers de l'information.
- Lucinda: membre depuis le 13/05/2007. 24 ans, habite Brou sur
Chantereine, célibataire, est étudiante en sciences humaines et
salariée dans un collège, possède un niveau Bac +3.
* 1 Voir ici l'ouvrage d'Edgar
Morin (1962), L'esprit du temps, Paris, Armand Colin.
* 2 C'est le cas dans de
nombreux ouvrages de Gabriel Segré (voir bibliographie), portant
notamment sur les fans d'Elvis Presley, où il propose une
«recomposition du religieux», à travers une analogie entre le
culte à Elvis, et les cultes religieux.
* 3 Cette image du fan en
quête d'identité, car n'ayant pas une vie stable, et vu comme un
déséquilibré, est souvent reprise dans les films et
ouvrages.
* 4 Faire partie de ce forum, et
donc y participer régulièrement durant mon temps libre, m'a fait
indirectement faire de l'observation participante pour mon TER, puisque j'ai
plusieurs fois eu l'occasion de confirmer sur ce site internet ce qui a
été dit dans les entretiens.
* 5 Becker Howard (1985),
Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris,
Éditions A.- M Métailié
* 6 Becker (1985), op. Cit., p.
126.
* 7 Le Guern Philippe (2002),
"En être ou pas : Le fan-club de la série Le Prisonnier.
Une enquête par observation", dans Le Guern Philippe (dir.), Les
cultes médiatiques. Culture fan et oeuvres cultes, Presses
Universitaires de Rennes, (177-215)
* 8 Howard Becker fait une
analyse plus précise du concept de déviance, et de la
création sociale de la déviance dans son ouvrage
Outsiders (1985).
* 9 Le Guern P., « No
matter what they do, they can never let you down...» Entre
esthétique et politique : sociologie
des fans, un bilan critique, Réseaux
2009/1, N° 153, (19-54), p.24.
* 10 Le Bart Christian (2000),
Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion, Presses universitaires
de Rennes.
* 11
Http://mikawebsiteforum.com
* 12 Voir présentation
des personnes interrogées en annexe.
* 13 Kaufmann Jean-Claude
(2007), L'enquête et ses méthodes. L'entretien
compréhensif, Paris, Armand Colin, p. 11.
* 14 Voir annexe: guide
d'entretien
* 15 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 114
* 16 Le Bart (2000), op. Cit.
p. 25.
* 17
Http://www.mikasounds.com
* 18 Le Bart (2000), op. cit.,
p. 25-26.
* 19 Hennion Antoine,
Réflexivités. L'activité de l'amateur,
Réseaux 2009/1, N° 153, p. 55-78.
* 20 Le Bart (2000), op. Cit
* 21 Becker (1985), op. Cit.,
p.53-54.
* 22 Le Guern Philippe (2002),
op. Cit., p.189.
* 23 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 95.
* 24 Il s'agit des initiales du
forum du MikaWebSite: http://mikawebsiteforum.com
* 25 Becker (1985), op. Cit.,
p.205
* 26 Initiales du forum
anglais: MikaFanClub
* 27 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 114
* 28 Le Bart (2000), op.
Cit.
* 29 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 81
* 30 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 117
* 31 Le titre est repris
à David Muggleton, dans son ouvrage cité ci-dessous, qui pose
cette question: « Comment se fait-il qu'une identité de groupe
puisse être, en même temps, affirmée et mitigée?
».
* 32 Muggleton David (2002),
"Individualité distinctive et affiliation subculturelle", dans Glevarec
Hervé, Macé Eric, Maigret Eric (dir.), Cultural studies.
Anthologie, Paris, Armand Colin (232-250), p. 234
* 33 Il a établit dans
son ouvrage Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion
(2000), trois formes stigmatisées de la passion: groupies,
collectionneurs et imitateurs, et trois formes nobles: créateurs,
érudits, et esthètes.
* 34 ''Extended Play''. Il
s'agit d'un format entre l'album et le single, sorti courant 2009 en attendant
la sortie de son deuxième album The Boy who knew too much,
contenant un livret de 68 pages, et quatre chansons.
* 35 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 185. Nous pouvons d'ailleurs rattacher cela au besoin de reconnaissance vu
dans la deuxième partie de cette recherche, où le fan essaie
durant un instant d'être autre chose qu'un fan parmi tant d'autres.
* 36 Le nombre de concerts
explique en effet le peu de dépenses concernant les objets
dérivés, puisqu'à titre d'exemple, Delphine a
déjà assisté à presque 30 concerts de Mika depuis
2007.
* 37 Hennion (2009), op. Cit.,
p.74.
* 38 Hennion (2009), op. Cit.,
p.74.
* 39 « je pense que les
filles qui investissent dans les concerts sont en majorité jeunes,
habitant pas trop loin de Paris et qui sont célibataires. Elles ont du
temps pour elles »
* 40 Au sens de Christian Le
Bart
* 41 Tout d'abord,
et ce pour éviter de mauvaises interprétations, je
préfère expliquer le choix du titre. Ici, le fan ne renie pas son
identité. La posture du fan est mitigée
dans le sens où les fans ne se définissent pas seulement en tant
que tel, et ne souhaitent pas être associés à une
minorité qui participe à la stigmatisation du plus grand
nombre.
* 42 Même si, nous le
verrons, le comportement de certains fans reste stigmatisé, car
considéré comme trop excessif. Émergera ainsi l'image
stéréotypée du fan.
* 43 Becker (1985), op. Cit.,
p.55.
* 44 Nous pouvons ici reprendre
le raisonnement d'Howard Becker, qui avait fait un tableau résumant les
types de comportements déviants: Becker (1985), op. Cit., p.43.
* 45 Cela peut aussi expliquer
pourquoi les fans préfèrent parler de leur passion principalement
avec leurs proches.
* 46 Le Guern (2002), op. Cit.
p.189.
* 47 Le Bart (2000), op. Cit.,
p. 221.
* 48 Membres du groupe jouant
avec Mika.
|
|