2.2.3 - Réactions excessives et rentabilités
des titres
De Bondt et Thaler (1985-1987) sont à
l'origine d'un vaste courant de littérature, portant sur la mise en
évidence de réactions excessives des investisseurs sur les
marchés financiers.
Comme le montre Marie-Hélène B.M et
Patrick R (2004), la réaction rationnelle est vue comme une
révision des probabilités conforme à la règle de
bayes. Cette règle et ce phénomène sont liés, par
l'utilisation par les individus de l'heuristique de
représentativité.
Dans l'hypothèse ni le marché
sur-reagit11, la réaction contraire devrait être
prévisible et cette prévision peut se fonder sur les cours
passés [voir De Bondt et Thaler (1990) sur ce comportement
(sur-reaction) des analystes financiers].
Exemple :
Une entreprise A annonce un bénéfice plus
faible que celui anticipé par les investisseurs et que le cours de ses
acteurs baisse instantanément de 10 euros. Une fois que
l'hypothèse de sur-reaction est vérifiée, alors une part
de la baisse peut être attribuable à la sur-reaction et cette
part « excessive » devrait être corrigée
par une correction de sens opposé. Supposons maintenant que l'entreprise
A soit affectée par une deuxième, voir une troisième
information défavorable, la part de baisse
« excessive » augmente encore et la correction qui devrait
être opérée l'est également. Au cas où les
premiers ajustements de prix sont « rationnels », voir
insuffisants (sous-reaction), la série d'informations de même
nature peut conduire à des sur-réactions12.
L'heuristique de représentativité : c'est
la tendance à ne pas prendre en compte les informations sur les
probabilités d'événements. Les informations
stéréotypiques sont privilégiées. (Kahneman et
Tversky, 1973).
11. Sur le comportement (sur-reaction) des analystes
financiers, voir De Bondt et Thaler (1990).
12. Pour une description formelle, se référer au
chapitre 6 du document de la finance comportementale de
Marie-Hélène, Maxime et Patrick ROGER (2004), (p, 176-205).
C'est le cas, dans notre exemple, si cette succession
d'informations défavorables rend les investisseurs
particulièrement pessimistes (perception d'une tendance
baissière, par exemple). Un raisonnement inverse peut être tenu en
présence d'informations favorables.
Dans un tel contexte, si deux portefeuilles extrêmes
sont construits, le premier étant composé de titres dont la
rentabilité passée a été la plus faible
(portefeuille « perdant », noté P), le second de
titres dont la rentabilité passée a été
particulièrement élevée (portefeuille
« gagnant » noté G), l'hypothèse de
sur-reaction doit conduire à une correction à la hausse pour le
portefeuille perdant et à la baisse pour le portefeuille gagnant.
En d'autres termes, les mouvements extrêmes de prix dans
les périodes passées doivent être suivis de mouvements
correctifs dans le sens opposé. En outre, plus le mouvement initial est
fort, plus la correction doit être forte. L'hypothèse implicite
est que les entreprises dont les titres composent le portefeuille perdant ont
été l'objet d'informations défavorables à l'origine
d'une sous-évaluation colonnes (sur-reaction) et que cette sur-reaction
à la baisse devrait être corrigée à la hausse par
une réaction de même ampleur. Le raisonnement inverse peut
être tenu pour les titres des portefeuilles gagnants.
Le travail de De Bondt et Thaler (1985)
comprend les cotations mensuelles des titres du NYSE sur la période
allant de 1929 à 1982. La rentabilité du marché
(portefeuille de marché) à la date t est la moyenne
arithmétique des rentabilités de l'ensemble des titres
cotés sur le marché et est noté
rM,t .
1- La période est décomposée en 16
sous-périodes de 3 ans qui servent à la formation des
portefeuilles de titres (N= 1à 16). La période (I) va de janvier
1930 à décembre 1932, la période (XVI) de janvier 1975
à décembre 1977. Sur chacune de ces périodes, la
rentabilité cumulée en excès de la rentabilité du
marché (rentabilité résiduelle cumulée) est
calculée pour chacun des titres. Par exemple, pour la période I
et, pour un titre j, cette rentabilité peut s'écrire :
t = 36 t = 36
CUj1=? uj,t = ?
(rj,t- rM,t)
(12)
t =1 t = 1
Où t=1 correspondant à janvier
1930 et t=36 à décembre 1932. A la fin de chacune des
périodes de formation (décembre 1932, décembre 1935,...,
décembre 1977), les portefeuilles gagnants et perdants sont
composés.
Le portefeuille gagnant est composé des 35 titres dont
la rentabilité cumulée est la plus importante, le portefeuille
perdant est composé des 35 titres dont la rentabilité
cumulée est la plus faible. D'autres variantes peuvent être
testées en réduisant ou en augmentant le nombre de titres
sélectionnés (premier décile, par exemple).
2- Les rentabilités cumulées moyennes (CAR) de
chacun des portefeuilles construits sont alors calculés pour les 36 mois
suivant la période de formation13. Cette nouvelle
période ainsi définie est appelée période de test.
A titre d'exemple, pour la période (I) la date de formation des
portefeuilles est le 31 décembre 1936. La période de test est la
période allant de janvier 1933 à janvier 1936. Les
rentabilités cumulées moyennes sont alors construites pour chacun
des mois (t=1 à 36) et pour chacun des portefeuilles. Nous les noterons
CARG,I,t pour les portefeuilles gagnants et
CARP,I,t pour les portefeuilles perdants.
3- Enfin, en utilisant les résultats obtenus sur les 16
périodes, la moyenne globale des rentabilités en excès de
la rentabilité du marché peut être calculée pour le
portefeuille gagnant (ACARG,t) et pour le portefeuille perdant (
ACARP,t).
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13. Les auteurs précisent que les conclusions de leur
article ne sont pas affectées par le choix d'un modèle
d'équilibre (CAPM, par exemple) pour le calcul des rentabilités
résiduelles (ou « anormales »), ni par le choix du
mois de décembre comme période de formation des portefeuilles.
Le tableau 8 illustre cette relation. La colonne DF contient
la durée de la période de formation et les colonnes PG et PP
contiennent respectivement les rentabilités anormales cumulées
moyenne des portefeuilles gagnants et perdants à la fin de la
période de formation. On peut noter que la ligne « 3
ans » correspond à la procédure d'estimation
initiale.
Les colonnes ? (t) offrent la différence de
rentabilité cumulée moyenne entre le portefeuille perdant et
gagnant t mois après la période de formation (? (t)=
ACARp,t - ACARg,t). Enfin, les statistiques de
student sont données entre parenthèses. Les résultats
obtenus semblent confirmer l'hypothèse de réactions excessives et
ce phénomène est connu sous le nom d'inversion de long terme
(long term reversal) 14.
Tableau 8 : Résultats obtenus pour trois
durées de formation différentes.
DF
|
Titres
|
PG
|
PP
|
? (1)
|
? (12)
|
? (18)
|
? (24)
|
? (36)
|
5 ans
3 ans
2 ans
|
50
35
35
|
1,463
1,375
1,130
|
-1,194
-1,064
-0,857
|
0,070
(3,13)
0,105
(3,29)
0,062
(2,91)
|
0,156
(2,04)
0,054
(0,77)
-0,006
(-0,16)
|
0,256
(3,17)
0,167
(1,51)
0,136
(2,02)
|
0,196
(2,15)
0,181
(1,71)
0,101
(1,41)
|
0,230
(2,07)
0,246
(2,20)
|
Source : De Bondt et Thaler (1985)15
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14. Les auteurs montrent que ces résultats ne sont pas
attribuables au risque systématique de ces portefeuilles.
15. Ce tableau est extrait du document finance comportementale
de Marie-Hélène, Maxime MERLI & Patrick ROGER (2004), (p,
87)
D'après les auteurs, pour une période de
formation de trois ans, un portefeuille composé des titres les moins
rentables présente en moyenne sur la moitié du dernier
siècle une rentabilité résiduelle cumulée de
l'ordre de 19,6%, 3ans après sa formation. A l'opposé, le
portefeuille gagnant présente une rentabilité résiduelle
cumulée à l'ordre de 19,6%, 3 ans après sa formation.
A l'opposé, le portefeuille gagnant présente une
rentabilité cumulée négative après se formation. La
différence de rentabilité moyenne entre ces deux portefeuilles
vaut 24,6% données dans la dernière colonne, ligne
« 3 ans » du tableau ci-dessus.
On peut noter que, sur le court terme, un effet Momentum
(hausse suivie d'une hausse et baisse suivie d'une baisse) est
généralement mis en évidence par les études
empiriques. En particulier, Jegadeesh et Titman (1993) ont
étudié le comportement en données mensuelles de l'ensemble
des titres cotés du NYSE sur la période 1965-1989, ont classant
les titres par déciles en fonction de leurs performances sur une
période de 6 mois (le premier décile est par exemple,
constitué des 10% de titres les plus rentables).
En étudiant le comportement de chacun de ces
déciles sur la période de 6 mois suivant la formation des
portefeuilles, les auteurs montrent que les portefeuilles composées des
titres appartenant aux premiers déciles «
surperforment » les portefeuilles composées des 10% des titres
les moins performants, de 10% en moyenne et en base annuelle16.
Enfin, dans le même esprit, certaines études
remettent en cause la capacité du marché financier à
intégrer « correctement » et en temps réel
certaines informations, c'est le cas par exemple de Lkenberry et al,
(1995) par les rachats d'actions ou encore de Bernard et
Thomas (1989) pour les annonces de bénéfices.
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16. Fama et French (1996) reviennent sur ces anomalies et
semblent en mesure d'expliquer (à partir du modèle à trois
facteurs) l'inversion de long terme mais non l'effet Momentum de court
terme.
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