VIII) Les quatre erreurs roumaines à
éviter au Sénégal ?
Il existe de plus en plus de pays africains qui choisissent la
démocratie et les élections libres comme mécanisme de
légitimation du pouvoir politique et l'ouverture de leurs marchés
à la concurrence. La Roumanie a commencé une transition similaire
il y a presque deux décennies, lorsque Nicolae
Ceausescu, l'ancien dictateur communiste, a été
chassé du pouvoir. Dans ce processus complexe, il est souvent plus
difficile d'identifier les bonnes décisions que d'éviter les
mauvaises. Les barrières à l'encontre des exilés ont
privé la Roumanie de ressources considérables en termes de
capital financier, humain, relationnel et d'image à l'étranger.
Ø « Le quasi-monopole public de
l'information »
Malgré le caractère anti-communiste du
soulèvement populaire de 1989, les premières élections
« libres » de 1990 et 1992 ont été gagnées par
les anciens détenteurs du pouvoir (le second échelon du parti
communiste). Cela a été possible par le contrôle
étatique de la télévision et de la radio publiques, les
seules ayant une couverture nationale, y compris dans les régions
rurales où vivait environ 50% de la population. Les chaînes TV et
les radios privées étaient inexistantes, au début, et trop
faibles, ensuite, pour contrebalancer la propagande officielle qui
présentait les partis réformateurs comme des traîtres
à la solde de l'étranger. La presse écrite
bénéficiait d'une liberté absolue quant au contenu, mais
le pouvoir contrôlait les fabriques de papier, les imprimeries et les
circuits de diffusion. La première vraie alternance du pouvoir - en 1996
- a été possible seulement après le développement
de chaînes TV par câble et de radios privées, ainsi que de
circuits alternatifs de diffusion de journaux. L'impact a été
visible, surtout dans les milieux urbains, tandis que la population rurale
était victime de la même désinformation.
Donc de ce point de vue le Sénégal
éviterait de monopoliser l'information publique qui effectivement
pourrait entrer dans le cadre d'une bonne promotion dans les échanges
bilatéraux entre les deux pays. Les structures de communication
présentes au deux niveaux doivent jouir d'une totale autonomie pour
assurer leurs rôles. La communication de ce point de vue jouant un
rôle assez déterminant devrait être un vecteur de
consolidation des atouts communs et non pas de source de conflits
Ø « L'échec d'une
réforme morale inachevée »
Il est difficile de dire si cette erreur est la cause ou la
conséquence des erreurs précédentes. Quoi qu'il en soit,
ses effets sur la société roumaine sont sous-estimés. Les
anciens « poètes de cour » de Ceausescu sont sénateurs.
Certains de ses anciens ministres, députés, hauts fonctionnaires
et les membres de la Securitate sont devenus propriétaires des
entreprises étatiques lors de privatisations louches. Les noms des
collaborateurs de la
« Securitate » (les «
informateurs ») sont rendus publics, de manière sélective,
lorsqu'ils gênent le pouvoir, tandis que les autres subissent un chantage
indirect. Selon une loi boiteuse, ils n'ont pas le droit d'occuper certaines
fonctions publiques, mais cette interdiction ne s'applique pas à leurs
anciens supérieurs directs (les officiers de la Securitate) ou indirects
(les hauts responsables du parti communiste). Les retraites de ces anciens
privilégiés du régime sont 10 à 20 fois
supérieures aux retraites des anciens prisonniers politiques.
L'échec de la réforme morale transparaît même dans le
langage : on parle « d'anciens propriétaires » et non de
« propriétaires de droit » lorsque l'on se
réfère à ceux qui ont vu leurs avoirs confisqués
par les communistes. Cela est symptomatique également pour l'erreur
suivante.
La corrélation mise à ce niveau est soutenue par
l'idée mise en garde des autorités Sénégalaises sur
la menace que peut constituer ce problème au niveau du changement des
comportements et points de vue pour une meilleure perception des relations
entre le peuples roumains et sénégalais. Une des principales
stratégies de communication développées dans ce document
est une campagne de relations publiques dans un contexte international pour
créer un rapprochement entre les deux publics. Ceci permettra de mieux
se connaitre du point de vue culturel, politique et, engendrera en même
temps un regain d'intérêts pour les investisseurs et acteurs
diplomatiques à mieux se cantonner sur de bonnes relations.
Ø « Le non-respect des droits de
propriété »
Avant la deuxième guerre mondiale, la Roumanie
était un pays prospère, avec un taux de croissance
élevé et un revenu par habitant proche de la moyenne
européenne. Les communistes ont nationalisé (confisqué)
les entreprises et collectivisé les terres. Après l'effondrement
de la planification centralisée, tout naturellement, certaines
propriétés auraient pu et dû être restituées
à leurs titulaires de droit. Après une opposition farouche au
début, puis maintes tergiversations, ce processus n'est toujours pas
achevé. De même, la privatisation des entreprises fondées
par l'Etat a été retardée, ce qui a
généré d'autres pertes. Certains directeurs de ces
entreprises vendaient leur production à bas prix vers des entreprises
privées (qu'ils détenaient directement ou par personnes
interposées) et la revendaient ensuite au prix réel de
marché. L'exemple le plus connu est celui du « combinat »
sidérurgique de Galati, qui enregistrait des pertes d'environ 1 million
de dollars par jour avant la privatisation, mais a fait un profit de 1 million
de dollars par jour dès la première année après la
privatisation. Une ouverture plus rapide de l'économie aurait
évité le gaspillage de dizaines de milliards de dollars. La
Roumanie a été hésitante dans la restitution, la
définition et le respect uniforme des droits de propriété.
Les entrepreneurs roumains et les investisseurs étrangers ont
été découragés : pourquoi faire des efforts et
assumer des risques si l'ont n'est pas certain d'en bénéficier ?
Quelle confiance peut-on avoir dans un Etat qui refuse de corriger les
injustices passées ? Un tel environnement engendre la passivité,
la mauvaise gestion voire la destruction des ressources. Comme le remarquait
Hernando de Soto, l'incertitude concernant les droits de
propriété transforme les ressources existantes en « capital
mort » et empêche la création de richesses
supplémentaires. Cette erreur est une des plus graves, car, outre les
destructions matérielles, elle a retardé la reconstruction
économique et morale du pays.
Ainsi, dans le but de rapprocher le Sénégal et
la Roumanie dans un dialogue ouvert permettant l'éclosion
d'opportunités d'affaires, le droit de propriété joue un
rôle majeur dans l'établissement d'une confiance réciproque
entre les deux pays. Aussi bien dans le système diplomatique
qu'économique, les deux parties sont appelées à
gérer des propriétés étrangères. C'est le
cas d'un investisseur roumain au Sénégal ou inversement. Le non
respect des propriétés ne contribue certainement pas à une
bonne relation entre ces deux pays et sera effectivement une source de conflits
qui peut tenir d'une manière radicale l'image et les relations d'entente
entre les deux pays.
Ø « L'inflation et le contrôle
des prix »
Les prix, dans l'économie communiste, n'avaient aucune
signification : pour avoir un vrai prix, il faut des droits de
propriété et un marché libre, choses impensables dans le
système de l'époque. Le contrôle des prix par les
autorités communistes avait pour conséquence des magasins
littéralement vides. Après 1989, les prix ont été
libéralisés, mais pas tous et pas immédiatement. Sous
prétexte de « protection sociale », certains prix ont
été contrôlés, subventionnés, etc. Les prix
ont continué d'envoyer des signaux erronés aux entrepreneurs et
aux consommateurs roumains, sans pour autant aider les plus démunis. Au
lieu de s'attaquer aux vraies causes de l'inflation - l'émission
excédentaire de monnaie - les autorités ont
préféré en combattre les symptômes. La solution du
conseil monétaire (pratiquée avec succès par l'Estonie et
la Bulgarie, par exemple), ou l'utilisation d'une monnaie extérieure
stable, ont été rejetées par les autorités.
Résultat : la Roumanie a mis 10 à 15 ans de plus que les autres
pays de l'Europe centrale et orientale pour résoudre, au moins
partiellement, le problème de la stabilité monétaire. Cela
fait 10 à 15 ans de souffrances pour les plus vulnérables et pour
la classe moyenne, qui ont vu leurs revenus et leurs économies
anéantis par l'inflation. Certaines de ces erreurs ont été
corrigées en partie par la suite, mais leurs conséquences sont
irréparables : le temps perdu ne reviendra pas. Cela est évident
dans le décalage qui sépare encore la Roumanie des autres pays
ex-communistes qui ont évité beaucoup de ces erreurs et ont
choisi la voie de la transition rapide par des réformes radicales. Les
réformes récentes - privatisation du système bancaire et
de presque toutes les grandes entreprises d'Etat, l'introduction en 2005 d'un
impôt unique sur le revenu de 16% et la réduction de l'impôt
sur le profit de 25% à 16%, la privatisation partielle des retraites,
etc. - vont dans la bonne direction. Avec beaucoup d'efforts, les Roumains
pourront un jour récupérer les décalages existants, mais
rien ne peut effacer les souffrances inutiles infligées à la
population par une classe politique qui n'a pas tenu compte des lois
économiques élémentaires. Si les réformateurs
africains en tiraient les quelques enseignements, ces souffrances n'auront pas
été complètement vaines.
« Radu Nechita Maître de Conférences en
sciences économiques à l'université de Cluj-Napoca en
Roumanie. Avec la collaboration de www.UnMondeLibre.org
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