Elites urbaines et politique locale au Cameroun. Le cas de Bayangam( Télécharger le fichier original )par Paul NUEMBISSI KOM Université Yaoundé II SOA - Master en sciences politiques 2007 |
SECTION II : LA PROBLÉMATIQUE DE L'ÉTUDEDepuis le retour en 1990 du multipartisme et de la démocratisation, l'on note une nouvelle orientation dans les rapports entre chefs traditionnels et élites urbaines à l'ouest du Cameroun. En effet, Jean Pierre Warnier déjà en 1993 relevait la présence et la visibilité au village des « néo-notables » en quête de communauté et de légitimité. L'on a vu des « migrants enrichis », résident en ville « réinventer la chefferie » en l'investissant (Warnier, 1993 : 220). La libéralisation politique a donné prétexte à certains de ces magnats pour bousculer les chefs soucieux de s'arc-bouter sur leurs privilèges compulsifs des arènes municipales (Mouiche, 2005).
Même si l'action des élites urbaines en direction de leurs villages n'est pas une nouveauté consécutive aux années 1990 (Kengne Fodouop, 2003), c'est « l'élargissement de la classe politique dans les rangs du RDPC » aux principaux hommes d'affaires bamiléké qui a accéléré leur engagement. En effet, ayant longtemps affirmé leur attachement à leurs régions d'origines par un volume important d'investissement, ces élites s'efforcent maintenant de convertir leur surface financière et économique en dividende politique. Les exemples sont légions : Fotso Victor à Bandjoun, Kadji Defosso à Bana, Njele François à Bandja, feu Tchanque Pierre à Bazou, etc. (Mouiche, 2005,2002). C'est ainsi qu'à Bayangam, village objet de cette étude, deux faits marquants permettent de nous introduire commodément dans cette ambiance politique très animée. En 1994, lors de la cérémonie d'installation du premier sous-préfet du nouvel arrondissement de Bayangam, la tension entre les élites urbaines, les élites du terroir et les populations sont déjà manifestes. Le Journal de Douala décrit une scène assez significative à cet égard : « Le 13 janvier dernier (1994) était un grand jour pour les populations du jeune arrondissement de Bayangam...ces populations ont tenu à célébrer cet événement historique dans la joie, et cela malgré une campagne de démobilisation orchestrée contre son principal artisan, le célèbre homme d'affaires, André Sohaing, par une clique de personnes, toutes originaires de Bayangam et considérées jusque-là comme des dignes notables. Ces oiseaux de mauvais augures étaient poussés en sous-main par Jacques Kago Lele, appuyés par Kom Jean, pourtant vice-président départemental RDPC du Koung-khi, et par Fotso Henri, président de la sous- section de Bayangam. Au centre de tout ce beau monde, le chef supérieur, S. M. Pouokam jouait les détonateurs, se comportant comme le chef de file de ce clan qui voulait nuire à la bonne organisation mise en place par M. Sohaing André avec l'approbation des autorités administratives. Et pourtant, en sa qualité d'auxiliaire de l'Administration, il se devait de jouer un rôle de modérateur. Peut-être que le chef craindrait pour son trône ? ... » (Le Journal de Douala, n° 55 du 17 février 1994, p. 4) En 2002, lors des élections municipales, la confrontation entre les acteurs s'est souvent soldée par des affrontements physiques entre candidats. C'est ainsi que des « bagarres » entre les divers protagonistes ont été relevées dans divers bureaux de votes5(*), et témoignent si besoin en était de ce que les élites urbaines (hauts fonctionnaires, hommes d'affaires, enseignants...) s'impliquent beaucoup dans la politique au village. En effet, dans son rapport général sur les élections législatives et municipales de 2002, l'Observatoire National des Elections (ONEL) révélait que : « les autorités administratives ont beaucoup de mal à résister à l'influence et à la pression des élites extérieures dont l'immixtion intéressée dans les affaires du « village » est de plus en plus décriée et néfaste pour le déroulement serein des élections ».
C'est dans cette perspective que se pose la problématique de la libéralisation politique comme principe actif de l'investissement des élites urbaines dans les arènes politiques rurales. La problématique théorique à partir de laquelle s'ordonne les rapports élites urbaines et politique locale, dans le cadre de cette étude, s'inscrit ainsi à la fois dans l'universelle et dans l'indigène.
La problématique universelle instituée est celle de la structure du pouvoir dans les collectivités locales. Elle a partie liée avec la question « qui gouverne ? » Dahl (1979), Ngayap (1983.). Il s'agit dès lors de savoir qui détient le pouvoir dans l'arène politique rurale de Bayangam. Mieux y a t-il pluralisme ou polyarchie des catégories dirigeantes à Bayangam ? Quelles sont les ressources et les stratégies des acteurs en présence ? La problématique indigène renvoie quant à elle à la logique `'bigmaniaque'', c'est-à-dire l'obsession que certaines élites ont de s'ériger en figure dominante et incontestée écrasant tout challenger en vertu des capacités supérieures de redistribution. Cette perspective permet ainsi de s'interroger sur l'hypothèse de l'hégémonie politique à Bayangam. Autrement dit, y- a - t'- il bigmanisme politique à Bayangam ? * 5 Source : entretien. |
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