UNIVERSITE PARIS I PANTHEON-SORBONNE
MEMOIRE DE MASTER 2 GEOGRAPHIE
Sous la direction de Marie Claire ROBIC
HUGUES PEUREY
Représentations nationales et territoriales dans la
géographie des Balkans de la première moitié du XXe
siècle, dualité professionnelle et engagement. L'exemple de deux
géographes français : Gaston Gravier (1886-1915) et Yves
Châtaigneau (1891-1969)
Juin 2008Les géographes, confrontés à
certains lieux, génèrent des savoirs scientifiques
spécifiques. Les éléments géographiques qui
caractérisent ces lieux, leur position dans des ensembles continentaux
et maritimes plus larges, les caractéristiques ethniques de leurs
populations, l'histoire même de ces populations qu'elle soit faite
d'unions bienheureuses ou de désunions fratricides orientent les travaux
des spécialistes.
De même que le lieu, objet d'étude, est un facteur
déterminant de la production d'un savoir savant, l'époque en est
un autre. Le géographe travaille sur un territoire qui se transforme au
gré des vicissitudes de l'histoire, vicissitudes dans lesquelles il peut
se trouver plongé.
Il y a donc une localisation spatiale et temporelle du savoir
géographique. Que des travaux scientifiques naissent là et non
ailleurs, à ce moment précis et non pas plus tard ou plus
tôt, n'est pas tout à fait fortuit.
Cette production scientifique, dès lors qu'elle s'attache
à peser sur le monde, entretient des relations d'interaction avec les
lieux d'où elle est issue et avec l'époque qui l'a
nécessairement marquée. Elle peut contribuer à changer les
premiers comme elle peut contribuer à apporter des
éléments de réponse aux problèmes de la seconde.
La réflexion sur un lieu et sur une production
géographique née de ce lieu passe, de ce fait, par l'étude
du trajet qui va des idées au lieu (Besse, 2004) de même
qu'elle passe par l'analyse des liens qui unit le discours savant à une
époque.
Appliquée à l'Europe des Balkans et à deux
moments différents du vingtième siècle, nous nous
proposons de la mettre en oeuvre à partir de l'étude de deux
géographes qui ont travaillé sur ce même espace, l'un avant
la première guerre mondiale et l'autre après. Il s'agit de Gaston
Gravier et d'Yves Châtaigneau.
Etablir un parallèle entre les écrits de ces deux
géographes revient d'abord à réfléchir sur le lieu
Balkans, à essayer de montrer en quoi ces espaces sont
producteurs de représentations territoriales et nationales
particulières et en quoi ces représentations diffèrent
selon le moment où elles ont été émises.
Ces moments sont des contextes qui sont à la fois
évènementiels et scientifiques et qui obligent à replacer
la production de ces deux auteurs non seulement dans les contingences
historiques mais aussi dans l'ensemble des travaux de leurs pairs.
Les représentations qui en sont issues ont, par ailleurs,
des effets sur le géographe lui même et sur sa façon
d'appréhender le monde. Elles peuvent le conduire à exercer
autrement sa réflexion, à aborder des domaines que l'on peut
penser extérieurs à son champ scientifique, à ajouter
à son travail de géographe des activités qui sortent du
cadre universitaire et finalement à entretenir une dualité ou
une ambiguïté sur sa fonction et sur sa personne.
Volcan Balkanique, Poudrière de l'Europe, Question
d'Orient, Imbroglio politico-national, les expressions ne manquent pas pour
caractériser la situation particulière des Balkans du
début du vingtième siècle confrontés à
l'instabilité, à l'ingérence des nations occidentales, aux
alliances et contre-alliances entre Etats, aux nationalismes locaux, aux
confrontations armées, aux multiples pourparlers et traités qui
en résultent, aux incessants changements de frontières.
Les géographes français qui s'y sont
intéressés n'ont pas pu ne pas en être marqués.
Dès lors, comment concevoir qu'ils aient pu se contenter de monographies
régionales dans le cadre d'une géographie d'inspiration
Vidalienne ?
Il existe une géographie politique des Balkans,
développée au début du siècle et qui se poursuit au
delà de la guerre, non dépourvue de parti pris il est vrai, mais
qui réfléchit au thème de la nation et à son
extension, aux rapports diplomatiques et politiques qu'entretiennent les Etats
et qui fait également la part belle aux analyses de
frontières.
Pour être tout à fait exact, c'est une
géographie historico-politique (ou une histoire
géographico-politique comme on voudra) tant il est vrai que ses auteurs
sont à la fois historiens et géographes comme le veut le
système de formation universitaire français. C'est aussi une
géographie incontournable dès lors qu'elle s'impose
d'emblée aux auteurs par la nature même du lieu qu'ils
étudient.
Parmi ces géographes marqués par le lieu
Balkans, Gaston Gravier et Yves Châtaigneau ne sont ni les seuls
ni même les plus importants. Certains prennent contact avec cet espace
par le biais des conflits armés. C'est le cas de Jean Brunhes qui lors
des guerres Balkaniques entreprend de réaliser des clichés
photographiques au titre de conseiller scientifique des Archives de la
Planète. C'est le cas de Jacques Bourcart et de Jacques Ancel qui
parcourent ce même espace lors de leur mobilisation dans l'armée
d'Orient durant la première guerre mondiale, Jacques Ancel étant
à la tête de la section des affaires politiques de l'Etat-major du
général Franchet d'Espérey. C'est aussi le cas de non
géographes comme Edmond Bouchié de Belle, combattant lui aussi de
l'armée d'Orient, mort à Skopje en 1918 et auteur d'un ouvrage
posthume sur la Macédoine et les Macédoniens. Jovan Cvijic,
chassé de Belgrade par la guerre et réfugié en France, est
lui aussi à citer qui, bien que de nationalité serbe, a des
attaches particulièrement fortes avec les géographes
français.
C'est ainsi que Michel Sivignon a pu parler d'une
« géographie de la guerre » (Sivignon, 2005)
traitant de thèmes politiques et militaires et induite à la fois
par les évènements marquants de l'époque et par les
caractéristiques des espaces sur lesquels ils se déroulent.
C'est bien à une géographie des besoins du
moment à laquelle on a affaire, une géographie ou
l'imprécision ethnique et par là même territoriale rend
nécessaire la contribution des géographes et des historiens,
constamment à l'écoute des mouvements de l'espace et du temps
dans une partie du monde particulièrement instable.
Que le lieu Balkans soit poudrière ou thermomètre
de l'Europe, il est terrain d'expérimentation d'une géopolitique
qui ne dit pas son nom et ceci avant même la première guerre
mondiale. L'abondance de la production écrite et cartographique qu'on y
trouve s'explique par le fait qu'il s'agit d'une terre encore peu connue mais
s'explique encore davantage par la nécessité dans laquelle se
trouvent les dirigeants des grandes puissances et des Etats balkaniques de
circonscrire au mieux territoires, peuples et frontières.
C'est ainsi que justifier la naissance d'une pensée
géopolitique française, après la grande guerre et dans le
cadre de l'Ecole française de géographie, par la participation de
nombreux géographes hexagonaux à la conférence de la paix
de 1919 et par la forte personnalité de Jacques Ancel, c'est oublier un
peu vite les travaux d'avant guerre des géographes (ou historiens)
spécialistes des Balkans, se réclamant de la même Ecole
mais séparant de manière nette leurs écrits de
géographie savante de leurs écrits géopolitiques.
Qu'après la guerre, l'Europe centrale et les Balkans
constituent un espace de réflexion géographique pour les
dirigeants européens et pour les géographes qui les conseillent
est une évidence tant est grande la volonté d'établir des
Etats viables et d'assurer une certaine stabilité internationale
garantissant la paix, il ne l'est pas moins pour l'avant-guerre, période
pendant laquelle on s'interroge aussi sur la définition que l'on peut
donner du concept de nation, sur les différents peuples qui vivent sur
cet espace, et sur les principes directeurs qui peuvent présider au
tracé des frontières. Les géographes y participent
pleinement.
I NOTES BIOGRAPHIQUES, PROBLEMATIQUE ET
METHODOLOGIE
1. Gaston Gravier (1886-1915) et Yves Châtaigneau
(1891-1969).
Gaston Gravier naît le 21 août 1886 à
Liffol-le-Grand (Vosges). Yves Châtaigneau est son cadet de cinq
ans : il naît le 22 septembre 1891 à Vouillé (Vienne).
Ils grandissent dans un même milieu social puisqu'ils ont
tous les deux un père instituteur. Ils bénéficient du
système scolaire méritocratique de la IIIe république en
poursuivant leurs études l'un au lycée de Nancy, l'autre à
celui de Poitiers. Leur milieu politique est républicain avec des
antécédents de participation élective pour Yves
Châtaigneau puisque son grand-père a été le premier
maire élu de la commune de la Chapelle-Montreuil en 1791.
Etudiant à l'université de Lille, G. Gravier a pour
professeur et ami Albert Demangeon. Il y apprend la langue russe et accepte
pour les vacances un préceptorat à Kharkov.
Y. Châtaigneau étudie à Paris, y
prépare une licence d'histoire-géographie en suivant les cours
d'Ernest Denis, de Charles Seignobos et surtout d'Emmanuel de Martonne qui lui
révèle sa vocation de géographe.
Tous les deux préparent un diplôme d'études
supérieures sur leur région natale. Gravier se consacre à
la Plaine Lorraine et Châtaigneau au massif ancien du Poitou. Deux
articles des Annales de Géographie sont issus de ces travaux et
publiés sous forme d'extraits (Annexe 1 n° 2 et Annexe 2 n° 1
). Le mémoire de Gaston Gravier est par la suite publié
intégralement à titre posthume en 1920 (Annexe 1, n° 10).
Yves Châtaigneau rédige un second mémoire
annexe sur la diplomatie Russe et la Bulgarie de 1875 à 1878.
En 1909, ayant échoué à l'agrégation,
G. Gravier se tourne délibérément vers les pays slaves et
accepte un poste de lecteur de français à l'université de
Belgrade qu'il conservera jusqu'à sa mort au champ d'honneur à
Souchez (Pas de Calais), le 30 mai 1915.
Yves Châtaigneau, pour sa part, bénéficie en
1914 d'une bourse Rothschild qui lui permet de préparer un voyage au
Monténégro. Mais la guerre éclate.
Il la fait de bout en bout courageusement et brillamment comme
aspirant puis sous-lieutenant puis lieutenant d'infanterie. Il est
blessé au fort de Vaux en 1916. L'année suivante, sa grande
connaissance des langues le fait affecter à une division
américaine avec laquelle il participe aux batailles de Cantigny
(où il est gazé en 1918), de Soissons, de Saint-Mihiel, de la
Meuse et de l'Argonne. Démobilisé en Mars 1919, il revient
titulaire de la légion d'honneur à titre militaire, de la croix
de guerre avec quatre citations françaises, de trois citations
américaines et de la Distinguished Service Cross.
Il se remet aux études et obtient l'agrégation
d'Histoire et de Géographie en 1919 (la mention mutilés
apparaît pour trois lauréats dont Yves Châtaigneau).
En 1919 il est nommé lecteur de français à
l'université de Belgrade c'est à dire au même poste que
Gaston Gravier dix ans auparavant (tous les deux y sont restés à
peu près la même durée : six années pour Gaston
Gravier, cinq pour Yves Châtaigneau) puis titulaire de la chaire de
Civilisation Française à cette même université.
La grande majorité des travaux de G. Gravier ont
été publiés avant guerre et tous ceux qui l'ont
été à titre posthume n'ont pas été
remaniés : il s'agit de son ouvrage sur les frontières
historiques de la Serbie1, paru en 1919, qui devait être sa
thèse secondaire pour le doctorat ès lettres, de son
mémoire de Diplôme d'Etudes Supérieures sur la Plaine de la
région vosgienne ainsi que de deux articles parus dans les Annales de
Géographie en 1921, fragments d'une étude restée
inachevée sur les régions naturelles de la Serbie et qui devait
constituer sa thèse principale.
A l'inverse, toute la production d'Yves Châtaigneau est
publiée après la guerre excepté son article sur
l'émigration vendéenne extrait de son Diplôme d'Etudes
Supérieures et paru en 1917.
2. Problématique et méthodologie.
Essayer de caractériser l'engagement de certains
géographes et de tenter d'expliquer des orientations intellectuelles ou
professionnelles hétérodoxes en cours de carrière est
à l'origine de ce travail d'étude. D'abord envisagé
seulement sur Yves Châtaigneau, il s'est élargi à Gaston
Gravier au vu de son implication particulière dans les Balkans.
Une mise en parallèle de ces deux géographes s'est
imposée dès lors qu'on s'est trouvé en présence de
deux auteurs qui ont travaillé sur le même espace et qui ont
occupé le même poste universitaire.
L'interrogation de départ a donc été de se
demander si les conditions de lieu et d'époque qui prévalent
à leur activité scientifique déterminent le type
d'engagement qui est le leur et la nature des écrits qu'ils
produisent.
1. L'ouvrage a été couronné en 1919 à
titre posthume par le prix Drouyn de Lhuys décerné par
l'Académie des Sciences Morales et Politiques.
Etant donné les particularités des Balkans,
l'analyse s'est portée essentiellement sur les représentations
nationales et territoriales, à la fois différentes ou
convergentes, que chacun de ces géographes pouvait se forger au contact
de cette région et aux analyses des frontières qu'ils ont pu
développer.
Dans un second temps, l'accent a été mis sur la
dualité intellectuelle qui caractérisent ces auteurs et la
séparation des supports éditoriaux qui préside à
cette dualité.
Il s'est agi tout d'abord de recenser tous les textes
écrits, de les confronter non seulement entre eux mais également
à la production contemporaine des autres spécialistes (pas
seulement de géographes mais aussi d'historiens ou d'ethnologues).
Les sources premières ont été maigres.
Concernant Gaston Gravier, la correspondance entre la famille Gravier et Albert
Demangeon conservée à la bibliothèque Mazarine a
été mise à contribution et a pu nous apporter des
précisions ponctuelles sur son travail et sa production. Nous en avons
tiré quelques extraits. Quant à Yves Châtaigneau, rien n'a
été trouvé aux Archives du Quai d'Orsay pour tenter de
caractériser son engagement diplomatique et politique après sa
carrière universitaire. Quelques documents ont été
trouvés à l'OURS (Office Universitaire de Recherche Socialiste)
mais datant d'une époque bien postérieure à celle qui nous
intéresse.
II LES REPRESENTATIONS NATIONALES
Nul n'est besoin de s'appesantir sur l'importance que revêt
l'idée de nation ou de groupes nationaux dans le cas des Balkans.
Innombrables sont les articles scientifiques ou pseudo-scientifiques
consacrés à ce thème particulièrement avant la
première guerre mondiale. La question macédonienne en
particulier est l'objet de toutes les attentions dès lors qu'elle
constitue un enjeu majeur entre les peuples balkaniques et qu'elle pose le
problème des critères linguistiques, religieux, historiques qui
d'emblée se posent lorsqu'on veut établir la
réalité existentielle d'une nation ou au contraire la nier. Cette
question est d'ailleurs l'objet d'une guerre cartographique dont a
rendu compte Georges Prélélakis (Prévélakis,
2000).
1. La nation chez Gaston Gravier
Lorsque Gaston Gravier arrive à Belgrade en 1909,
l'annexion de la Bosnie-Herzégovine par l'Autriche-Hongrie vient de se
produire (1908) et les deux guerres Balkaniques de 1912-1913 dans lesquelles la
Serbie sera bientôt impliquée sont imminentes. Les tensions sont
fortes avec le grand voisin qu'est l'Empire d'Autriche-Hongrie.
Les guerres Balkaniques :
Après l'annexion de la Bosnie-Herzégovine par
l'Empire d'Autriche-Hongrie, la Serbie menacée d'encerclement cherche
des alliances dans les Balkans notamment vers la Bulgarie, la Grèce et
le Monténégro. Elle entend également combattre le
mouvement national Albanais soutenu par Vienne et susceptible de
déboucher sur la création d'une Grande Albanie sur le flanc sud
de la Serbie. La première guerre balkanique (octobre- décembre
1912) aboutit à la victoire de la coalition des forces balkaniques et
à la défaite rapide de l'Empire Ottoman dans cette région
du monde. La Serbie accroît son territoire (voir la carte de l'annexe 3)
et son prestige en libérant des populations serbes de la tutelle
ottomane. Son armée pénètre en Albanie mais ne peut
empêcher la création d'un Etat Albanais voulu par
l'Autriche-Hongrie et acceptée par les puissances européennes.
Mais les conflits entre les alliés balkaniques au sujet de la
délimitation des frontières conduisent à la
deuxième guerre balkanique (juin-août 1913) : la Bulgarie,
encouragée par l'Autriche-Hongrie, entreprend une attaque surprise
contre la Serbie et la Grèce. Elle est battue très rapidement.
Comme la plupart de ses contemporains travaillant sur l'espace
des Balkans, Gaston Gravier « se frotte » à la
grande variété des cultures des Balkans, tente de comprendre la
distribution géographique complexe de ces peuples plus
entremêlés que séparés. Il en vient naturellement
à s'interroger sur les critères à utiliser pour
définir ces groupes nationaux. L'ethnicité s'impose à
lui.
Même s'il n'y a pas de réflexion d'ensemble de
Gaston Gravier, on peut relever des éléments
d'interprétation dans l'article intitulé L'Albanie et ses
limites (Annexe 1 n° 18). L'indépendance acquise et la
formation en cours de ce pays en 1912-1913 le conduit à la fois à
essayer de caractériser ce qui constitue la nationalité Albanaise
et à essayer d'en délimiter les contours afin de proposer des
frontières aussi précises que possibles.
Ni la langue, ni la religion, ni le type physique ne permettent
d'individualiser une entité Albanaise. Alors que la langue est le
critérium fondamental utilisé par les ethnographes des Balkans en
particulier par ceux (et il en fait partie) qui veulent voir s'affirmer une
nationalité yougoslave, il considère que la langue des Albanais
est presque toute entière faite d'emprunts aux différents peuples
avec qui ils ont vécu. Il mentionne que les Albanais sont
partagés entre trois religions et qu'en ce qui concerne les types
physiques, l'incertitude est générale.
Il est à remarquer que concernant l'utilisation de ce
dernier critère dans la détermination ethnique, c'est une opinion
unanimement partagée par tous les géographes qu'il ne sert
pas à grand chose : Yves Châtaigneau ne fait aucune mention des
résultats d'études anthropologiques, Emile Haumant lui consacre
une quinzaine de lignes dans son article La nationalité
serbo-croate, Jacques Ancel développe davantage, dans Peuples
et Nations des Balkans, les analyses de l'anthropologue Eugène
Pittard mais en arrive finalement à la même conclusion que Gaston
Gravier. Jean Brunhes et Camille Vallaux consacrent plus de trois pages et
surtout quatre cartes à ces mêmes analyses dans La
Géographie de l'Histoire pour conclure au relativisme de la notion
de race.
Malgré tout, les termes de race, de sang
(particulièrement les expressions frères de race,
frères de sang) sont souvent employés par Gaston Gravier
et nettement plus fréquents que les termes de nation ou de
nationalité. L'approche ethnique de la nation par laquelle il ne nie pas
le principe biologique de filiation montre que, pour lui, il est
prématuré d'en concevoir une approche politique dans une
région où les identités nationales sont encore fluides et
en voie de formation.
En effet, même à interroger les Albanais
eux-mêmes, dit Gaston Gravier, on ne peut en dégager une
conscience nationale. L'identité albanaise est floue, l'organisation
d'un plébiscite serait vain et l'application du droit des peuples ne
serait que l'application d'un droit fictif.
Cette opinion se fait encore plus nette dans ses articles de
presse où les Albanais sont considérés comme masse
anarchique au degré de culture inférieur, sans passé, sans
maturité politique, sans unité de religion, ni de langue,
dénués de tout sentiment national et donc incapables de se
gouverner eux-mêmes. Ce qui lui fait rajouter que la création de
l'Albanie est une « pierre d'achoppement préparée par
l'Autriche sur la route des Serbes » (sous entendu sur la route de
l'Adriatique) et qu'il vaudrait mieux pour éviter des soucis à
l'Europe entière que les Serbes soient les tuteurs des Albanais.
Le contraste est d'ailleurs saisissant avec ce que peut
écrire Jacques Ancel en 1930 de l'Albanie de l'époque :
En 1913, apparaît sinon un Etat solide, au moins une
nation solidaire.(Ancel 1930 réédition 1992, p.169), phrase
suivie d'un développement historique qui légitime la
création de l'Etat Albanais.
Gaston Gravier reprend ici la position générale de
l`intelligentsia serbe, notamment de Jovan Cvijic, intelligentsia elle
même influencée par la pensée française. Michel Roux
explique cette vision négative des Albanais par la distance
ethno-culturelle ressentie par les occidentaux à leur égard. Pour
autant, il est difficile de démêler ici ce qui est du ressort
d'une analyse scientifique qui se voudrait impartiale et ce qui est de l'ordre
de l'engagement politique aux côtés des Serbes. Ce qui est
sûr, c'est que pour Gaston Gravier, la transformation d'une ethnie en
nation est le résultat d'un processus historique
d'élévation vers un plus haut degré de civilisation et
qu'en ce qui concerne les Albanais il récuse pour eux à la fois
le terme de nation mais également celui d'ethnie. Court en filigrane une
idée qui revient à dire que l'on va créer un Etat pour une
nation qui n'existe pas.
Indépendamment de la position pro-serbe qu'adopte Gaston
Gravier et des considérations générales sur
l'immaturité et la violence du peuple albanais, les analyses
développées montrent qu'il y a un hiatus historique
entre la volonté des occidentaux de créer des entités
politiques conçues sur le modèle de l'Etat nation et
l'ethnogenèse en cours dans la région des Balkans. La
construction de cadres territoriaux nationaux peut être
considérée comme prématurée dans des espaces
multi-ethniques à peine délivrés du joug ottoman et sur
lesquels vivent des populations dénuées de toute conscience
nationale. L'anachronisme des deux processus est donc également spatial.
Georges Prévélakis propose de le qualifier d'atopisme
(Prévélakis, 2000)
Il reste que, pour Gaston Gravier, la stabilisation des Balkans
passe par la suppression des injustices faites aux serbes et par la
réalisation d'une entité serbe y compris au détriment des
peuples aux identités floues. C'est la raison pour laquelle on peut
considérer qu'il contribue à alimenter les problèmes
spécifiques des Balkans.
2. La nation chez Yves Châtaigneau
Lorsque Yves Châtaigneau arrive à Belgrade en 1919
pour y occuper le poste de lecteur de français, le contexte est
radicalement différent de celui qu'a pu connaître son
prédécesseur Gaston Gravier dix ans auparavant. La
conférence de la Paix se termine. Les travaux du comité
d'études sont en cours ou arrivent à terme. Les pourparlers pour
l'établissement des frontières se poursuivent encore pendant
plusieurs années mais le fait est là : les traités de
paix de 1919 en consacrant la défaite des Empires centraux et en faisant
triompher le principe des nationalités façonnent une carte de
l'Europe qu'il est peu orthodoxe, tout au moins en France, de remettre en
cause. Ceci est d'autant plus vrai que de nombreux géographes
français ont participé à son élaboration et que
plusieurs d'entre eux ont été marqués par la dureté
des combats.
Passé les dix premières années
d'après-guerre, il est d'ailleurs significatif que la production
géographique sur les Balkans décline et, excepté Jacques
Ancel, peu d'auteurs après 1930 ne se penchent sur le problème
des nationalités, ni sur celui des frontières établies.
Chez Yves Châtaigneau, ancien combattant de la guerre, il y
a un principe acquis sur lequel on ne peut revenir : l'unité
nationale yougoslave. Son article sur la Yougoslavie dans les Annales de
Géographie s'ouvre ainsi :
La Yougoslavie est née de la réalisation d'une
idée nationale. En 1918, les Serbes, les Croates et les Slovènes
de la monarchie dualiste secouaient le joug allemand et magyar et se
réunissaient spontanément à leurs frères de race,
les Serbes de la Serbie indépendante. (Annexe 2, n° 2, p.
81)
Et encore dans la Géographie Universelle :
L' unité du sentiment national yougoslave ne saurait
être compromise par ce mélange d'allogènes. Elle repose
trop solidement sur la foi profonde d'un peuple en sa destinée.
Déjà, en 1807, César Berthier consul de France en
Dalmatie, pouvait écrire que, bien que privés de tout lien
politique, serbes et croates continuaient, en raison de l'esprit qui les
animaient, à former un corps de nation. (Annexe 2, n° 16, p.
415)
La volonté de croire en une Yougoslavie forte et solide et
qui ne peut rien craindre d'un affaiblissement de la solidarité interne
de ses membres est constante dans les écrits d'Yves Châtaigneau.
Non qu'il ne méconnaisse certains facteurs de division
comme la variété des confessions religieuses ou le morcellement
politique qui ont pu à un moment gêner les relations entre les
groupes slaves mais il est davantage soucieux de l'attitude que peuvent adopter
les éléments allogènes au pays (Allemands, Magyars,
Roumains, Turcs et Albanais...) dont il dit pourtant qu'ils ne constituent que
12 % de la population.
Sans dénier le droit à l'existence des
macédoniens 2 il considère que les habitants de la
Macédoine font partie de la Yougoslavie puisqu'ils y ont
intérêt : celle-ci défend leur territoire, met en
valeur les terres, crée des débouchés et assure à
tous la prospérité matérielle. C'est ce que recherchent
les habitants précise-t-il.
2. La langue macédonienne apparaît de manière
indépendante non pas dans son article des Annales de Géographie
sur la Yougoslavie mais dans les chapitres de la Géographie Universelle.
Il est à noter que dans l'Atlas Vidal-Lablache la Macédoine est
partagée ethnographiquement entre les lanques bulgare, serbe et
grecque.
Il se félicite de la réforme agraire qui a
libéré les paysans d'une antique servitude féodale, de
l'installation de colons venus de l'Ouest, du recul des Turcs et des Albanais
dans la composition de la population.3
Il en ressort que l'unité slave incarnée dans une
Yougoslavie puissante et démocratique doit être en mesure de
transcender les particularismes locaux. C'est la raison pour laquelle il ne
considère pas les Tchèques, Slovaques ou Ukrainiens vivant en
Yougoslavie comme de véritables allogènes de même que les
Macédoniens vivant en Grèce sont des éléments
avancés de la nation yougoslave. Tout laisse penser qu'à une
unité yougoslave indéfectible vient s'associer un désir de
pan-slavisme.
Malgré tout, il ne peut pas faire l'impasse d'une
définition de la nation yougoslave. Il retient trois critères
déterminant une même race yougoslave : la langue,
les traits psychiques et certains faits historiques :
En dehors de la langue, les Yougoslaves ont beaucoup de
traits psychiques communs : finesse de pensée, délicatesse
de sentiment, faculté d'émotion, imagination artistique,
sensibles aussi bien dans leur vie publique que dans leur vie privée.
Ces affinités linguistiques et psychiques devaient faire naître la
conscience d'une unité nationale qui se développa en trois phases
successives.(Annexe 2, n° 2, p.100).
Les trois phases historiques dont il est question reprennent des
éléments exposés par Jovan Cvijic avant la guerre :
d'abord les mouvements métanastasiques, ensuite l'uniformisation de la
langue serbo-croate qui donne naissance à un mouvement littéraire
transformé progressivement en un courant politique qu'on peut appeler le
Yougoslavisme et enfin les luttes communes d'abord contre les Turcs puis la
participation à la première guerre mondiale.
Yves Châtaigneau est donc dans une géographie du
fait acquis et de la fin de l'Histoire. La question yougoslave est
résolue, le cadre yougoslave mis en place en 1919 est le meilleur
possible pour les slaves du sud. Il convient de ne rien évoquer qui
pourrait le remettre en cause, ni la rivalité serbo-croate, ni surtout
tous les irrédentismes possibles qu'ils soient albanais,
macédonien ou croate 4. C'est la raison pour laquelle les
« omissions » d'Yves Châtaigneau sont en
général plus significatives que ses écrits.
3. Aux dires de nombreux observateurs et de géographes
dont Jacques Ancel, il y a dans ces années de l'entre-deux-guerres une
serbisation accélérée de la Macédoine Yougoslave,
une colonisation des terres ainsi qu'une répression envers toute
velléité de revendication proprement macédonienne.
4. Précisons qu'à l'époque où Yves
Châtaigneau décrit la Yougoslavie, il y a des actions
irrédentistes parfois violentes de la part d'organisations nationales
slaves que ce soit l'ORIM (Organisation Révolutionnaire
Intérieure Macédonienne) ou les Oustachis croates. Voir à
ce sujet le chapitre la question macédonienne in Les Balkans
face à l'Italie de Jacques Ancel (Ancel, 1928).
Plus nuancée paraît être la position de Jean
Brunhes lorsqu'il insiste davantage sur le caractère politique et donc
fortuit du yougoslavisme. Le facteur race, dit-il, est utilisé
comme un prétexte pour légitimer le regroupement des
peuples : on le voit bien avec le cas des Bulgares qui, au début du
XXe siècle, étaient partie prenante de cette construction
politique parce que cela correspondait alors aux conceptions politiques
dominantes mais qui en furent exclus après la guerre pour des
questions de rivalité, d'opposition politique ou guerrière avec
les autres peuples slaves.
L'exemple souligne le caractère fluide ou temporaire des
regroupements en question et le fait que les nécessités ou les
opportunités politiques peuvent, au gré des
évènements, renforcer les affinités ethniques ou au
contraire les briser.(Brunhes et Vallaux, 1921, p.643).
Et pourtant ! Dans le même ouvrage, 80 pages avant, il
utilise préférentiellement les arguments ethniques sans
évoquer le caractère mouvant des cohésions
humaines :
Oui, l'Empire serbe et la civilisation serbe ont
déterminé, puis fixé, puis renforcé le type
physique des serbes en l'associant à un très beau type moral, et
en unissant, par-dessus tout, ceux qui se rattachaient à ce double type
physique et moral par le lien indissoluble d'une langue commune.
Aujourd'hui encore, malgré toutes les vicissitudes de
l'empire serbe, malgré les Turcs, les Hongrois et les Autrichiens,
malgré les séparations politiques et les conversions religieuses
forcées, il existe treize à quatorze millions
(en italique dans le texte) d'êtres humains qui parlent la
même langue et qui sont unis par les mêmes douleurs historiques et
les mêmes espoirs politiques enfin réalisés. (Brunhes
et Vallaux, 1921, p.577, note n° 2).
L'explication est simple : le deuxième texte est une
quasi-reprise des premières phrases de la préface de Jean Brunhes
au précis d'histoire serbe paru en 1917 (Brunhes, 1917). Les
circonstances de la guerre ainsi que le type de support dans lequel il
écrit le conduisent à défendre un point de vue plus ferme
sur la création d'une Grande Serbie fondée sur un regroupement
ethnique qu'il considère indiscutable.
3. La démocratie et la nation
Malgré tout, la conception de la nation chez Gaston
Gravier et Yves Châtaigneau est bien la même. Elle ne
diffère pas sensiblement de cette conception française issue
d'une longue lignée d'historiens qui passe par Michelet et Ernest Renan
et qui considère que l'unité d'un peuple est faite d'un sentiment
collectif né des mêmes traditions historiques, d'une même
suite d'évènements illustres ou malheureux, lesquels font
naître une communauté morale.
C'est d'ailleurs Ernest Renan (cité lui même par
Jovan Cvijic le 14 juillet 1925 dans un article de Pravda, l'un des
grands quotidiens de Belgrade) que reprend Yves Châtaigneau lors de
l'hommage à son maître serbe en géographie (Annexe 2,
n° 15).
En théorie, l'assentiment du peuple est donc le meilleur
indice possible de l'existence d'une nation. Gaston Gravier en réfute
l'emploi pour les Albanais et Emile Haumant en fait de même pour les
Macédoniens, considérant qu'un sentiment d'unité n'est ni
unanime, ni constant chez eux.
Un plébiscite peut donc s'avérer inutile lorsque la
population n'a pas atteint un certain degré de maturité politique
mais il peut également se révéler factice. Prenant
l'exemple du résultat surprenant du plébiscite de Carinthie en
1920 par lequel la majorité slovène a voté son
rattachement à l'Autriche, Yves Châtaigneau reprenant les propos
de Jacques Ancel l'explique par la peur de la population vis à vis de
leurs maîtres allemands et par l'assujetissement à un
régime militaire, bureaucratique et clérical (Annexe 2,
n° 24, p. 73).
Certain du résultat à venir, Jovan Cvijic, expert
de la délégation serbe, démissionne pour marquer son
désaccord avec cette solution et Emmanuel de Martonne,
délégué français, ne peut masquer son amertume
à l'issue d u vote :
Ce résultat couronne l'oeuvre de germanisation
systématiquement entreprise depuis cinquante ans dans la Carinthie
méridionale, conduite par des sociétés puissantes que la
propagande slovène avait commencé seulement à combattre
dans les dernières années (cité par E .
Boulineau, 2001b, p. 182).
Soulignant ce que le politique peut avoir d'influence sur une
conscience nationale en formation, Emmanuel de Martonne considère que la
consultation du peuple ne peut être faite que dans des conditions de
maturité politique que, seul, peut préparer le régime
démocratique. C'est la raison pour laquelle, outre le rattachement aux
frères de race, Gaston Gravier ne cesse de légitimer les
annexions de la Serbie d'avant-guerre par le caractère
démocratique du régime.
Les régimes oppresseurs sont dans l'impossibilité
de créer une conscience commune et donc de susciter l'adhésion
sincère des populations. La convergence des géographes
français est donc générale sur cette idée que la
conscience nationale d'un peuple, fondée sur une identité
ethnique, ne peut s'épanouir réellement qu'après un long
temps de maturation historique et dans le cadre de structures
démocratiques. En ce sens, à part la Serbie, ni l'une ni l'autre
de ces conditions ne se retrouvent dans la situation contemporaine des
populations balkaniques.
4. Les identités floues
Les « identités floues » sont au coeur
de la problématique des Balkans. Dans les écrits de Gaston
Gravier deux peuples relèvent de cette catégorie : les
Albanais et les Macédoniens.
Que ces deux peuples localisés aux frontières de la
Serbie puissent être assimilés et par conséquent puissent
permettre d'agrandir le territoire du pays est une possibilité
fréquemment évoquée. Sans aller jusqu'à
préconiser la solution d'un départ provoqué de ces
populations, pratique qui, à l'époque dans les Balkans, n'est pas
rare pour assurer l'adaptation de la réalité ethnique aux
nouvelles frontières des pays (et qu'on pourrait appeler nettoyage
ethnique pour faire court), Gaston Gravier espère une capture
identitaire aussi bien pour les Albanais que pour les Macédoniens.
L'assimilation qu'il prévoit sur le long terme est
facilitée dans son esprit par l'absence de conscience nationale, de
dignité morale, de fermeté de caractère qui
caractérisent ces peuples. Les conquérir et leur assurer un
régime démocratique d'ordre et de paix, c'est les lier de
façon durable au peuple serbe. Même s'il prévoit que le
processus sera plus difficile pour les Albanais que pour les
Macédoniens, il utilise un argument pour les premiers qui mérite
commentaire : arguant du fait que les populations albanaises du Kosovo, du
Haut-Vardar et de la Métohija, à l'origine serbes, ont
été albanisées et islamisées, il préconise
une même action en sens inverse considérant que l'identité
se fonde sur les racines culturelles originelles :
En retour, il n'est pas hasardeux de prévoir que
mainte famille, maint village ayant conservé le souvenir du passé
reviendra de soi-même à la religion, à la langue des
ancêtres, reprendra les vieilles marques nationales, au contact de ceux
qui en font revivre les gloires disparues.(Annexe 1, n° 18, p.
428)
Gaston Gravier a donc bien conscience que l'identité des
populations est changeante et qu'une propagande dans un sens ou dans un autre
peut amener des modifications dans une identité nationale ni stable, ni
définitive.
Le fait n'est pas isolé puisque Emile Haumant reprend le
même argument dans son article sur la nationalité
serbo-croate et Adrien d'Arlincourt l'exprime en termes plus
littéraires lorsqu'il évoque l'échec des politiques
d'hellénisation des populations albanaises dans la région de
Corytza :
Mais on ne délaie pas ainsi les nationalités,
pas plus qu'on apprivoise définitivement les animaux sauvages. Quelque
choyé qu'il soit, le loup domestiqué redevient, un jour, loup. Le
naturel reparaît. Ainsi en est-il des hellénisés qui,
poussés, il faut l'avouer, par des conseilleurs qui sont aussi des
payeurs, reprennent conscience de leur moi ethnique, ennemis
devenus de leurs anciens mentors. (D'Arlincourt, 1914, p. 60).
C'est ainsi que profitant de ces identités
« floues » que l'on est dans l'incapacité de
déterminer sur la base d'une consultation des populations
elles-mêmes, Gaston Gravier et Emile Haumant, s'éloignent de la
conception française de l'idée de nation pour se rapprocher d'une
conception culturelle plus proche de la conception germanique. Ils participent
d'une légitimation des politiques propagandistes et, ce faisant,
alimentent ce qui fait en grande partie l'instabilité des Balkans :
les multiples revendications territoriales sur des espaces peuplés de
populations dont l'identité est difficile à
caractériser.
Rien n'est plus frappant à cet égard que la carte
réalisée par Michel Roux dans son ouvrage Les Albanais en
Yougoslavie (Roux, 1992) où sont représentées les
aires maximales revendiquées par les différents pays balkaniques.
Encore une fois, la Macédoine est bien au coeur de ces revendications
territoriales :
Notons également que si de manière
générale, le critère religieux n'apparaît qu'au
second plan derrière la race et la langue, il fait logiquement
un retour en force chez les populations à identité floue. C'est
ainsi que Lucien Gallois reprenant les travaux de Jovan Cvijic indique que les
slaves macédoniens se disent et se sentent simplement chrétiens,
la religion leur tenant lieu de nationalité, ce qui fait dire à
de nombreux auteurs que la nationalité que ces peuples adopteraient
serait celle de ceux qui les délivreraient de la tutelle turque (que ce
soit des serbes, des bulgares ou des grecs). Ceci explique aussi que les
propagandes nationales s'exercent souvent sur ces populations par le biais des
Eglises ou des écoles religieuses (en particulier l'Exarchat
bulgare).
Mais l'identité religieuse elle même reste
floue : Jean Brunhes raconte que des villages entiers passent d'une
religion à une autre et que, lors de la conquête du Kosovo par les
Serbes, les Albanais se font chrétiens pour avoir le droit de porter un
fusil car les Serbes rendent les armes à ceux qui se font
baptiser !
D'identité religieuse, il est également question,
mais pour une raison différente, lorsque Gaston Gravier évoque
les départs de populations slaves musulmanes vers la Turquie (et non la
Serbie) lors de l'annexion de la Bosnie-Herzégovine par
l'Autriche-Hongrie. Passant d'une domination à une autre et pour
être plus précis d'une domination musulmane à une
domination chrétienne sans pour autant être réunis à
des frères de langue, les départs montrent que l'identité
religieuse l'emporte sur l'identité linguistique chez ces migrants.
Enfin, quelques réticences peuvent se percevoir ça
et là quant à la réussite de l'assimilation des musulmans
à un ensemble yougoslave. Toutes se trouvent, de manière
significative, dans la production d'avant-guerre et jamais dans celle de
l'après-guerre, un peu chez Emile Haumant et davantage chez Gaston
Gravier qui décrit la mentalité des slaves musulmans du Sandzak
de Novi Pazar comme foncièrement anti-nationale.
III LES REPRESENTATIONS TERRITORIALES
1. Le territoire et la nation
Comment ces auteurs articulent-ils la conception qu'ils se font
de la nation et le territoire qu'ils étudient ? Y a-t-il
interaction entre l'une et l'autre ?
Dans la problématique qui est la leur, le territoire est
souvent désigné sous l'expression « géographie
du pays ». En quoi « la géographie du
pays » favorise-t-elle ou défavorise-t-elle la cohésion
d'un groupe ?
Reprenant l'idée selon laquelle les Albanais ont une
identité floue, Gaston Gravier invoque la participation de la
géographie à cette indétermination et considère la
physionomie du terrain comme élément explicatif : le
morcellement physique est à la base de l'étrécissement
des horizons de l'Albanais qui quitte rarement sa vallée et ne peut
donc avoir le sens d'aucune unité. Il est aussi à l'origine des
attitudes les plus diverses des Albanais lors des guerres :
certains d'entre eux peuvent combattre aux côtés des Turcs
alors que d'autres soutiennent les Serbes ou les Monténégrins en
fonction des vallées ou des régions d'où ils sont issus.
Venant après des développements conséquents sur l'absence
d'unité religieuse et l'absence de conscience nationale des Albanais, on
serait tenté d'y voir une tentative d'explication globale qui tourne au
déterminisme et qui tente de justifier une position idéologique
de départ.
Si le compartimentage est donc mis à contribution, il est
un autre argument qui est utilisé : celui de la
discontinuité spatiale. Appliqué aux Koutso-valaques (Roumains de
Macédoine), Gaston Gravier explique l'absence d'identité
nationale qui les caractérise par le fait qu'ils se répartissent
en îlots épars, dispersés parmi les autres peuples et qu'un
sentiment d'unité ne peut émerger que s'il y a un territoire de
dimension telle qu'il puisse être pris en considération.
L'argument consiste donc à dire que ne peut être
considéré comme nation qu'un groupe qui pourrait
matériellement se constituer en Etat (ou disposant d'un territoire
pouvant faire l'objet de négociations entre Etats) et reviendrait
à nier le fait qu'un groupe ayant conscience de son unité
(linguistique ou religieuse comme c'est le cas des juifs ou des tziganes)
puisse exister en dehors de tout territoire. Cet argument d'appropriation de
l'espace qui fonde l'Etat-Nation constitue un apport occidental plus ou moins
étranger aux conceptions de la nation chez des populations balkaniques
longtemps soumises au joug ottoman et incapables de se déterminer par
rapport à un attachement territorial. Il génère
inévitablement antagonismes et tensions dès lors que chaque
« nation » veut se doter d'un territoire exclusif, lequel
est forcément difficile à circonscrire.
Chez Yves Châtaigneau, la volonté de faire
intervenir la réalité géographique est également
présente mais vise à faire en sorte qu'elle vienne au secours de
l'unité yougoslave et la justifie. Les deux mots de
complémentarité et de solidarité sont alors mis à
contribution pour suggérer (beaucoup plus que pour expliquer)
qu'à la solidarité des régions naturelles de la
Yougoslavie correspond une solidarité nationale. Un extrait de la
conclusion de son article sur la Yougoslavie mérite d'être
mentionné à ce propos :
La Yougoslavie se distingue par son unité et sa
vitalité, malgré les circonstances historiques qui ont
séparé ses habitants au cours des siècles. Elle est
peuplée d'une même race et ne compte pas en réalité
un dixième d'allogènes. Elle est formée de régions
naturelles différentes d'individualités historiques,
variées par leurs ressources, mais solidaires les unes des autres.
(Annexe 2, n° 2, p. 109-110)
Yves Châtaigneau considère donc que des
régions très différentes peuvent être solidaires
parce que leurs ressources se complètent mutuellement.
C'est la reprise des arguments de Cvijic qui les avait
considérablement plus développés dans un ouvrage
publié sous pseudonyme en 1915, intitulé l'unité
Yougoslave et dans lequel il insistait sur les voies de passage comme
éléments de rapprochement des populations.
Sans que les faits de circulation ne soient mentionnés
comme ciment de cette solidarité, c'est aussi la reprise des conceptions
de Vidal de la Blache, mis en pratique par Emmanuel de Martonne dans la
configuration des « espaces solidaires » en Roumanie dans
le cadre de son travail d'expertise à la conférence de la paix
(Boulineau, 2001a).
De même, la présentation des mouvements
métanastasiques et des types psychiques dans la partie introductive des
Pays Balkaniques de la Géographie Universelle Vidal/Gallois n'est pas
fortuit et relève du même souci. Dans l'esprit de Cvijic, les deux
phénomènes, intimement liés, expliquent la formation de la
conscience nationale des slaves du sud. Le premier processus correspond
à de vastes mouvements migratoires de populations slaves qui
opère un brassage au gré des flux et reflux des empires ottoman
et austro-hongrois et d'où sont sortis des « types
psychiques ». Ceux-ci sont divers mais sont tous la
déclinaison d'une seule et même ethnie, celle des slaves du sud et
donc manifestent de la réalité de l'unité slave.
On pourrait être tenté de dire qu'aux faits de
circulation invoqués par Vidal de la Blache ou Emmanuel de Martonne se
substituent des faits de migration invoqués par Cvijic et repris par une
grande partie des géographes français dont Yves
Châtaigneau.
Mais l'opinion la plus nuancée est bien celle d'Emile
Haumant. S'interrogeant sur ce qui fait l'identité serbo-croate et le
rapprochement possible des deux branches slaves, il considère que la
géographie peut aussi bien partager que réunir en fonction des
circonstances : telle barrière montagneuse peut se
révéler infranchissable pour deux groupes nationaux
différents à une certaine époque ou au contraire
constituer un espace refuge commun pour ces mêmes groupes à une
autre époque.
Dans son compte rendu de l'ouvrage de Gaston Gravier sur les
frontières historiques de la Serbie, il affirme que du point de vue
géographique la Yougoslavie est le prolongement naturel de la
Serbie : ce sont les mêmes montagnes, les mêmes
vallées, les mêmes plaines. Le cadre est commun à toutes
les populations qui y vivent et personne ne s'y trompe puisque les limites les
plus contestées du nouvel Etat ne sont pas des limites
intérieures mais les frontières maritimes qui sont justement les
mieux marquées. En même temps il admet que ce cadre
géographique est fragmenté en une multitude de compartiments, que
ces compartiments sont à l'origine de différences humaines,
lesquelles, exploitées de façon insidieuse, peuvent alimenter les
rivalités à l'intérieur du pays. Le territoire, lui, est
une donnée objective qui peut réunir ou différencier mais
non désunir. La géographie n'est donc pas en
cause dit-il (Haumant, 1919, p. 147). C'est donc bien ce que font les
hommes de leurs différences qui est en cause c'est à dire la
mauvaise volonté qu'ils ont à les accepter.
Et il lance un appel aux géographes (et indirectement
à Yves Châtaigneau) :
Pour montrer que cette fragmentation n'est pas un obstacle
à l'unité nationale, il faudrait une nouvelle étude,
à la fois historique et géographique, qui serait la suite de
celle de Gravier. Nous souhaitons qu'elle soit l'oeuvre du successeur qu'il
aura à l'Université de Belgrade. (Haumant, 1919, p.147).
Ce qui rapproche Haumant de Châtaigneau, c'est bien que le
nouvel Etat groupant les populations slaves est présenté comme
intangible.
De ce point de vue, le plus « vidalien » des
géographes des Balkans se révèle être Jacques Ancel.
Il explique l'unité de civilisation balkanique par la communauté
des genres de vie c'est à dire en grande partie par le caractère
rural commun aux différentes nations et par les types d'associations
géographiques qu'on y trouve partout (association villes/campagnes,
plaines/montagnes...)
Pour lui, les genres de vie sont le ferment de coagulation
nationale. Ils font fi des limites linguistiques et des frontières
politiques et le morcellement physique de l'espace n'empêche pas
qu'une telle unité de civilisation terrienne et démocratique
doit conduire à une union.(Ancel, 1930 réédition
1992, p. 205).
La géographie, seule, étant évidemment
impuissante à rendre compte des nations, il est significatif que Jacques
Ancel (mais Yves Châtaigneau, Emile Haumant et Gaston Gravier le font
également à leur manière) en appelle à la
démocratie selon la tradition française.
Sa définition géographique de la nation
mérite qu'on la cite :
N'y a-t-il pas entre la terre et l'homme des liens
permanents, qui expliquent, en partie, cette agglutination inconsciente ?
Ce sont ces liens naturels, qu'après Vidal de la Blache les
géographes nomment les « genres de vie ». Un genre
de vie commun peut créer une union dans un petit cadre. Ici il s'agit
moins de genres de vie communs que de genres de vie différents, qui se
juxtaposent dans une civilisation spéciale. Une nation est une
combinaison harmonieuse de genres de vie. (Ancel, 1930a, p.108).
Ces liens entre l'homme et la terre sont repris par Jean Brunhes
et Camille Vallaux mais dans un sens différent. Selon eux, les
migrations intenses des Balkans n'ont pas permis le développement
suffisant d'un attachement (qu'ils qualifient de mystique) au sol,
nécessaire pour y engendrer des formes d'Etat. Il y a eu ballottement de
la population qui, non définitivement ancrée au sol, n'a pas fait
naître ce sentiment de cohésion qui peut résulter de la vie
en commun sur une même terre.
On le voit : alors que la plupart des géographes
comme Gaston Gravier et Yves Châtaigneau sont dans la lignée de
Cvijic et prennent en compte les conséquences
« psychiques » des migrations en tant
qu'éléments fédérateurs, Jean Brunhes et Camille
Vallaux en voient plutôt des conséquences territoriales
désagrégatrices. Les uns défendent l'idée de la
formation d'un sentiment national dans l'extra-territorialité, les
autres introduisent le territoire comme élément indispensable
à cette formation, ce qui leur fait dire que si les groupes ethniques
sont encore en flottement dans les Balkans, c'est que la cohésion
entre les hommes semble plus dépendre de leurs affinités
ethniques ou politiques que de leur implantation terrestre.(Brunhes et
Vallaux, 1921, p. 655).
La cohésion d'un groupe est, selon Brunhes et Vallaux, un
élément forgé à partir des passions historiques et
de l'attachement viscéral à un lieu de vie. C'est donc bien dans
l'opposition ou dans la conjonction de ces deux facteurs, autrement dit dans la
combinaison de l'histoire et de la géographie, que peut naître ou
se disloquer une nation. L'union trop éphémère des groupes
humains avec le sol des Balkans explique donc leur état
d'adolescence.
2. Les frontières
Les frontières ne sont pas un sujet neuf pour les
géographes du début du XXe siècle. La géographie
historique en avait fait un de ses sujets favoris sinon le premier. La
particularité essentielle de l'espace des Balkans durant la
période concernée, c'est qu'il en favorise l'étude :
sur son sol se dessinent successivement de nombreux tracés et de non
moins nombreuses rectifications s'opèrent, généralement
par compromis, après des guerres et des traités.
Tout ceci a comme un avant goût d'après guerre et de
ce point de vue, il y a bien un parallèle entre le développement
des réflexions sur les groupes nationaux et celui d'une production sur
les frontières.
Dans son unique ouvrage Les frontières historiques de
la Serbie, Gaston Gravier n'échappe pas au parti pris, ni à
la tendance naturelle qui consiste à utiliser les critères qui
l'arrangent le mieux dans la justification des frontières de la Serbie.
Tout en condamnant le principe des frontières naturelles qui ne sert
en fait qu'à mieux déguiser les intérêts en jeu
(Annexe 1, n°1, p.147), il déplore la méconnaissance du
terrain de ceux qui sont appelés à se prononcer sur les
tracés et le mépris des diplomates vis à vis du voeu des
populations.
Pour autant, les réflexions en fin d'ouvrage se
démarquent singulièrement de la reconnaissance du droit des
peuples dès l'instant où cela ne concerne pas l'idée
nationale serbe. Conditions naturelles et souvenirs historiques sont
appelés à la rescousse pour justifier l'expansion de la Serbie
vers le sud notamment le rattachement du Kosovo et de la Macédoine et la
mission nationale d'affranchissement qu'elle entend poursuivre ne sert
qu'à mieux cacher la volonté plusieurs fois
réitérée de voir la Serbie s'offrir un
débouché sur la mer. Prenant conscience d'ailleurs de sa position
intellectuellement délicate, voici ce qu'il écrit à propos
des macédoniens :
Seule, la dernière annexion peut laisser craindre une
disproportion, mais il faut se rappeler la puissance des moyens d'assimilation
dont disposent les peuples d'aujourd'hui (école, armée, journal,
livre...). L'état si arriéré des nouveaux territoires
aide, d'autre part, à comprendre mieux encore combien la force de
résistance, à supposer qu'il s'en rencontrât une, se
trouvera réduite au minimum.(Annexe 1, n° 1, p.157)
Les frontières sont ici justifiées par la puissance
d'assimilation de l'Etat notamment par la vertu politique de
l'égalité dispensée par la démocratie et
réalisée entre anciens et nouveaux sujets. Elle l'est
aussi par les départs provoqués par l'annexion elle
même : Gaston Gravier rappelle que chaque extension de territoire
pris sur la Turquie est suivi d'un exode des Musulmans habitant le pays, ceci
pour des raisons agraires essentiellement.
Ainsi, tandis que la Serbie agrandissait son territoire, la
nationalité serbe se constituait. Elle se livrait à un travail
incessant d'épuration et d'assimilation.(Annexe 1, n° 1,
p.159)
Assimilation, épuration... après conflit
armé et sur fond de marchandages politiques entre Etats Balkaniques et
puissances occidentales : quoi de plus significatif dans la constitution des
frontières des Balkans que ces deux processus qui se font au
détriment des groupes nationaux ?
En ce sens, Gaston Gravier est bien dans la lignée de
Cvijic dont Michel Roux (Roux, 1992, p.184) rappelle, en ce qui concerne
l'Albanie, la propension à utiliser différents arguments en
fonction du projet d'extension territorial voulu : soit on invoque le
principe de la défense stratégique du pays, soit celui des
intérêts commerciaux, soit celui de l'unité
géographique ou économique des régions, soit celui des
droits historiques.
Et ce sont bien ces derniers droits, indépendamment de
toute composition ethnique, qu'avance Jean Brunhes pour justifier de l'annexion
du Kosovo par la Serbie après les guerres balkaniques :
Lorsqu'on parcourt le vieux pays serbe récemment
reconquis, la terre du Kossovo, la vieille terre des vieux monastères du
XIVe siècle, on ne peut s'empêcher de songer à la
reconquête de la Terre de France par Jeanne d'Arc sur les Anglais. Ce
n'est pas une conquête, c'est une reprise du patrimoine religieux et
national. (Brunhes, 1917, p. 24)
Il n'est pas jusqu'au droit du vainqueur qui ne soit
évoqué par Gaston Gravier lorsqu'il s'agit, en 1913, de tracer
des frontières pour l'Albanie : il importe, dit-il, de tenir compte
de l'effort accompli par le vainqueur (en l'occurrence la Serbie) et que lui
revienne des bénéfices territoriaux. L'Albanie ne doit être
constituée que d'Albanais de vraie roche, ce qui revient
à dire que les territoires de population mixte doivent être
intégrés à la Serbie.
Tous ces géographes pourraient être contredits par
Jacques Ancel lorsque celui-ci conclue dans sa Géographie des
frontières qu'« il n'y a pas de problèmes de
frontières. Il n'est que des problèmes de nations ».
Encore faut-il trouver des nations constituées. Et c'est bien là
le problème des Balkans.
En 1919, pour Yves Châtaigneau la situation est
différente. Il s'agit d'entériner les choix frontaliers
effectués par la conférence de la paix de 1919. Cette attitude
est partagée par la grande majorité des géographes
français de l'entre-deux-guerres d'abord parce que beaucoup d'entre eux
y ont participé et ensuite parce qu'il ne peut y avoir de nostalgie vis
à vis d'Empires centraux oppresseurs mais bien davantage un attachement
réel aux nouvelles nations issues de la guerre. La nouvelle Europe est
la solution la moins mauvaise au problème des nationalités, elle
apporte aux peuples anciennement soumis à la fois la libération
nationale et la démocratie. La remettre en cause c'est jouer un jeu
dangereux, celui d'un retour à la guerre dont personne ne veut.
Tout au plus peut-on signaler les réticences d'un Henri
Hauser qui souligne que la proximité géographique des peuples
n'est pas synonyme d'un « vouloir vivre
ensemble » :
La naissance de Etats nationaux a compliqué la carte
culturelle de l'Europe. Les Slaves de l'Ouest, les Tchèques, ont toutes
leurs aspirations tournées vers l'occident. En est-il de même des
Balkaniques ? Chez les Slaves du Sud, malgré l'unité
yougoslave, n'y a-t-il pas conflit entre l'européenne Zagreb et
l'orientale Belgrade ? (Hauser, 1926, p.684-685)
De même pour un observateur journaliste comme F. Delaisi
les traités de l'après-guerre ne débouchaient sur aucune
solution satisfaisante ni du point de vue des nationalités, ni du point
de vue de l'efficacité économique :
Dès lors, deux alternatives s'imposaient aux auteurs
du traité de Versailles : ou tracer les frontières selon les
limites ethnographiques et faire des Etats viables ; ou élargir les
limites selon les besoins économiques et y enfermer des populations de
nationalités diverses. On appliqua la première méthode aux
ennemis (Autriche, Hongrie, Bulgarie), la seconde aux amis (France,
Tchécoslovaquie, Pologne, Serbie, Italie). Dans les deux cas, on obtint
les plus fâcheux résultats.(Delaisi, 1925, p.446)
Réflexion qui peut faire dire, qu'en effet, les Etats
vaincus dont on a cherché à limiter l'étendue
présentent finalement une plus grande homogénéité
nationale que les « Etats-enfants » de l'espace
balkanique.
Jacques Ancel a également des réticences vis
à vis de certaines frontières comme celle entre l'Albanie et la
Yougoslavie qu'il considère établie à partir de
marchandages politiques entre grandes puissances, lesquelles ont
été incapables de constater la langue maternelle (Ancel,
1938, p. 121), ont refusé toute collaboration des indigènes et
ont utilisé le principe des lignes naturelles.
En réalité, surtout pour les Balkans où
beaucoup de marges floues en matière ethnique ne se prêtent
guère à une démarcation linéaire entre Etats, les
frontières ont été le résultat de longs pourparlers
et rarement celui de l'application première du principe des
nationalités. Mais pouvait-il en être autrement ?
Dès lors qu'il est impossible ou très difficile de
tracer des limites linguistiques, d'autres critères ont prévalu
(intérêts stratégiques des Etats, solidarité
économique des régions, débouché maritime, voies
ferrées) et malgré les efforts consentis, on a obtenu dans ces
zones ethniquement mêlées des cotes mal taillées et des
compromis jamais entièrement satisfaisants pour tout le monde. Cela ne
pouvait donner lieu qu'à des rancoeurs ainsi qu'à de multiples
revendications notamment chez les pays
« révisionnistes ».
Yves Châtaigneau adopte la position du pays
« satisfait » qu'est le royaume des Serbes, Croates et
Slovènes de même qu'il adopte la position générale
de la diplomatie française qui est de défendre le statu-quo en
matière de frontières. Parce qu'il considère
l'unité yougoslave comme acquise, il s'interdit de remettre en cause ses
limites dès lors que l'injustice envers le nouvel Etat n'est pas trop
flagrante.
Or, il est une injustice qu'il soulève dans plusieurs
articles. C'est celle de la frontière Ouest avec l'Italie qui prive la
Yougoslavie des ports de Trieste et de Fiume, qui n'a été
établie que pour satisfaire les demandes stratégiques de l'Italie
et surtout qui abandonne 500000 yougoslaves à la domination
étrangère. La frontière ne tient donc aucun compte de la
nationalité des habitants et la formulation qu'il utilise mérite
d'être signalée tant elle est rare chez cet auteur :
Un noyau allogène aussi farouchement attaché
à sa nationalité n'est pas annexé sans
inconvénient. Sa perte sera vivement ressentie en Yougoslavie où
il eût été, comme le fut l'Alsace dans la vie
française, un élément d'ordre et
d'équilibre.(Annexe 2, n° 2, p. 96)
La même argumentation se retrouve chez Jacques Ancel,
lequel précise que la responsabilité en repose en partie sur la
politique étrangère de la Yougoslavie inspirée de
l'élément serbe, lequel est bien plus soucieux du Sud du pays que
de l'Ouest.
Cela dit, considérant comme la plupart des
géographes de l'époque, que le découpage de l'Europe
d'après guerre répond mieux que les anciens Empires aux
conditions géographiques, il affirme que les traités de
1919-1923 sont une revanche de la Géographie sur
l'Histoire.(Ancel, 1930a, p.1).
IV DUALITE ET ENGAGEMENT
1. Gaston Gravier et Yves Châtaigneau, géographes
classiques
Il y a pas d'écrits théoriques de Gaston Gravier,
ni d'Yves Châtaigneau. Tout au plus, peut-on relever pour ce dernier un
article intitulé Les tendances actuelles de l'Ecole
géographique française écrit en 1925 dans geografski
vestnik, revue slovène qui vient à peine de naître et dont
c'est le deuxième numéro. Probablement destiné à
donner un aperçu d'ensemble de la géographie universitaire
française à un nouveau public étranger, il y fait un
panégyrique de l'Ecole dont il est issu.
L'introduction est significative du ton général de
l'article :
Son fondateur et son chef actuel (de l'Ecole
géographique française) Paul Vidal de la Blache et Emmanuel
de Martonne sont les égaux des mathématiciens Henri
Poincaré et Painlevé, du philosophe Bergson, des physiciens
Langevin, Jean Perrin, Curie et Branly, des géologues Termier et Kilian,
de l'historien Seignobos. Tous ces savants ont su s'élever au dessus du
domaine particulier de leurs recherches et de leur science à une
conception philosophique qui en fait les maîtres de la pensée
française contemporaine. (Annexe 2, n° 5, p.81)
Outre une présentation élogieuse de la vie et des
oeuvres de Vidal de la Blache, auteur présenté à la fois
comme scientifique et artiste, on y retrouve la conception possibiliste de la
géographie Vidalienne :
Les phénomènes humains ne sont pas
considérés uniquement comme le reflet des faits physiques.
Ceux-ci ne leur offrent que des cadres « possibles » parmi
lesquels l'homme se meut et auxquels il s'adapte à son gré,
orienté, mais libre de réagir. (Annexe 2, n° 5,
p.86)
Yves Châtaigneau s'en tiendra à cette conception
jusqu'au bout puisqu'il utilise le mot même de possibilisme en 1947 dans
une lettre liminaire à l'Atlas de la mutualité agricole en
Algérie.
On peut également relever une définition de la
géographie qu'il écrit en 1968 (soit un an avant son
décès) dans un compte-rendu d'ouvrages (Annexe 2, n° 25).
Définition 5 dont on peut dire qu'elle reprend le diptyque
description/explication qui fait la base même de la géographie
classique et qui forge le paradigme du mixte mis en lumière par M.C.
Robic (Robic, 1991).
L'absence de formalisation théorique chez ces deux
auteurs, leur engouement pour une géographie de « plein
vent » où l'observation in situ prime tout, la démarche
idiographique qui les caractérisent permettent donc de les situer, tout
au moins pour leurs écrits de géographie savante, dans le champ
classique de la discipline.
Plusieurs extraits peuvent être cités à cet
égard :
Dans une lettre datée du 2 janvier 1906, Gaston Gravier
écrit à Albert Demangeon :
Enfin à tout cela (Gaston Gravier vient
d'indiquer de nombreuses références bibliographiques)
j'ajoute les quelques observations que je pourrais faire, le sac au dos,
tandis que les camarades chantent à gorge
déployée.
Albert Demangeon parlant de Gaston Gravier :
Dans ces voyages, il aimait aussi l'imprévu, le
pittoresque : le départ de grand matin, à pied ou à
cheval, escorté le plus souvent d'un guide nécessaire dans les
régions qui manquent de routes ; l'étude du terrain
exploré, l'enquête chez l'habitant. (Demangeon, 1915,
p.456).
5. Science à la fois descriptive et explicative
qui cherche à mettre en lumière l'extension des
phénomènes superficiels de notre terre et leurs rapports locaux,
éclaircit à la lumière des données naturelles
permanentes l'aménagement d'espaces en pleine évolution.
Rendant hommage à Jovan Cvijic et à ses
méthodes d'investigation, Yves Châtaigneau écrit :
L'étude sur le terrain était poussée
à fond par Jovan Cvijic. On ne saurait retrouver ni dans les nombreux
travaux qu'il laisse, ni à aucun moment de son enseignement,
d'exposé qui ne soit le résultat direct d'observations
personnelles. Il voyageait une grande partie de l'année à pied ou
à cheval. (Annexe 2, n° 15)
Et plus loin, il précise :
Il procéda toujours du particulier au
général. Les lois auxquelles sont soumis les groupements humains
se dégageaient elles-mêmes des détails qu'il
observait.
Les articles qu'ils écrivent dans les Annales de
Géographie sont conformes au déroulé des monographies
régionales tel qu'on le retrouve dans la géographie classique
avec une présentation première des éléments
physiques suivie de celle des éléments humains, le glissement de
l'une à l'autre s'effectuant au niveau de l'étude de la
végétation et des cultures. Ce déroulé est moins
systématique chez Gaston Gravier que chez Yves Châtaigneau avec
une présentation souvent plus succincte des éléments
physiques. La codification de cette gestion spatiale de la production
géographique est maximale dans les passages de la Géographie
Universelle sur les Pays Balkaniques.
De fait, les chapitres rédigés par Yves
Châtaigneau sont un calque de ceux réalisés par Emmanuel de
Martonne pour le volume traitant de l'Europe Centrale. On retrouve le
même découpage en Etats-Nations (La Yougoslavie puis l'Albanie
puis....), le même partage entre la géographie
générale introductive et la géographie régionale
dont les grands ensembles sont de nature géomorphologique (comme le
montrent les cartes qui sont des croquis géologiques), la même
structure fragmentée à l'extrême entre de multiples
sous-ensembles soit thématiques, soit géographiques, soit
constitués par un mixte des deux (Orain, 2000 et 2001). C'est un
déroulé récurrent, le fameux plan à tiroirs,
particulièrement marqué dans la présentation de la vie
économique de chaque pays.
2. La séparation des supports éditoriaux
Alors que les géographes allemands n'hésitent pas
à intégrer l'élément politique dans leur
démarche scientifique quitte à dévier, dans l'entre deux
guerres, vers une Geopolitik qui se veut l'instrument d'une domination
politique et militaire de l'Etat, les géographes français de la
première moitié du XXe siècle se refusent à le
faire en considérant que science et politique doivent rester
séparées :
L'universitaire français redoute de se perdre, en
laissant « sa » science, la science, qui rêve de
schémas intemporels, être polluée par les contingences
humaines (Moreau-Defarges, 1994, p.200)
Comment concevoir que des auteurs qui sont à la fois
historiens et géographes et qui travaillent sur l'espace des Balkans
puissent se contenter d'une géographie non pas a-temporelle car
l'histoire y a sa part mais d'une géographie dégagée des
rapports de force internes et externes et des tensions qui résultent des
politiques d'Etat ou des réactions des peuples ? Bref, comment
peuvent-ils se contenter d'une géographie aseptisée ?
Tout montre, qu'au contraire, ils ne s'en contentent pas mais que
la ligne éditoriale des revues de géographie les contraignent
à cette séparation. Lucien Gallois, lui même, demandait aux
géographes de ne pas dépasser les limites strictes imparties
à la discipline dans les articles prévus pour les Annales.
Plusieurs raisons peuvent être émises à ce
sujet. La première est un problème de légitimation de la
discipline : science nouvelle, la géographie pour être
considérée comme telle, doit s'en tenir à une attitude
impartiale, ne pas prêter le flan à polémiques et faire la
preuve de son sens de la rigueur et du raisonnement. Ce n'est pas par hasard si
la « description raisonnée » est alors la formule
consacrée pour désigner la démarche géographique.
La géographie doit se révéler scientifiquement
irréprochable. Or, rien n'est plus controversé que les positions
politiques. Jacques Ancel, dans son ouvrage La Macédoine,
étude de colonisation européenne ne se déclare-t-il
pas interdit d'aborder les questions politiques qui peuvent prêter
à polémiques ? (Ancel, 1930b, p.321)
L'argument est d'ailleurs utilisé avant la guerre par
Camille Vallaux pour rejeter la géographie politique de Ratzel (Arrault,
2007, p.288). Il l'est aussi dans l'entre-deux-guerres, pour combattre la
Geopolitik allemande au milieu d'autres raisons plus théoriques que
développe Jacques Ancel.
En effet, aux yeux des géographes français et
notamment d'Albert Demangeon et d'Yves Marie Goblet, les géographes
allemands étaient sortis du domaine de la science (Robic et
Rössler, 1996a, p.144-146)
La deuxième raison est un problème de
délimitation de la discipline. Il convient d'attribuer à la
géographie un domaine spécifique et comment le faire si elle
traite de tout ? Dégager un pré carré à la
géographie c'est évidemment refuser les empiétements des
autres disciplines et donc les analyses politiques surtout si elles sont de
parti pris.
Que l'on retrouve des développements de type
« vidalien » dans les articles géopolitiques de
Gaston Gravier et d'Yves Châtaigneau ne contredit pas la
réalité d'une séparation des supports éditoriaux
dans la mesure où l'inverse n'est pas vrai. Seul le domaine de la
description des frontières, abordé dans des articles de
monographies régionales aussi bien pour Gravier que pour
Châtaigneau échappe à la règle, encore faut-il dire
que la présentation en question se limite à une brève
introduction à la description de la région sans analyse
approfondie des tiraillements entre Etats qui peuvent en résulter (ou
alors elle s'inscrit comme c'est le cas pour Yves Châtaigneau dans des
articles qui doivent faire le point sur les redécoupages
réalisés en Europe à la sortie des traités de
paix)
A cet égard, est-ce de la géographie
politique ou un élément d'étude qui existe
traditionnellement depuis fort longtemps dans la géographie
historique ?
Les seules exceptions notables sont les écrits de Camille
Vallaux et de Jean Brunhes. Contrairement à ce que peut affirmer Michel
Sivignon (Sivignon, 2005) les réflexions politiques sur les Balkans
transmises oralement par Jean Brunhes dans ses cours au Collège de
France sont marquées du sceau de la publication dès 1914 d'abord
dans la Revue de Géographie Annuelle puis reprises après la
guerre dans l'ouvrage qu'il a cosigné avec Camille Vallaux, La
Géographie de l'Histoire. Il n'y a donc pas seulement communication
verbale. En revanche il est vrai que les écrits de géographie
sont consacrés au « noyau » du paradigme de
l'époque qui est la relation de l'homme au milieu physique. Dès
que l'on s'écarte de ce noyau, on écrit donc dans des supports
autres que ceux dévolus à la géographie. C'est ce qui
permet de dire que la naturalisation de la géographie établie par
le paradigme vidalien et lui même centré sur le questionnement des
rapports homme/nature a eu tendance à réduire chez les
géographes les réflexions d'ordre politique ou social.
Il est à remarquer également qu'Emmanuel de
Martonne, expert géographe et « traceur de
frontières » au comité d'études pour la
conférence de la paix a complètement « omis »
de signaler dans sa liste « Titres et Travaux », les
ouvrages ou articles consacrant ce rôle politique, comme s'il
considérait que ces écrits étaient à retrancher de
son oeuvre scientifique (Hallair, 2005). Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si
la plupart des géographes ayant participé à ce
comité d'études ont été particulièrement
discrets sur cette expérience.
Gaston Gravier et Yves Châtaigneau suivent donc ce
schéma qui va les amener à séparer les deux domaines. Dans
le cas de Gravier, la séparation n'est pas double mais triple. Il y a
dans sa production, des articles qui relèvent de la géographie
régionale classique et qui paraissent dans deux types de support :
les Annales de Géographie et le Bulletin de la société
serbe de Géographie, des articles de type politique
étrangère qui paraissent dans la Revue de Paris et dans Questions
Diplomatiques et Coloniales et enfin des articles d'actualité qui
paraissent dans la presse qu'elle soit quotidienne ou mensuelle, plus
exactement dans les journaux Le Figaro et Le Temps et dans
Correspondance d'Orient. La transition entre la première
catégorie et la seconde se fait par le Bulletin de la
Société de Géographie Commerciale de Paris dont l'unique
article recensé de Gaston Gravier traitant de l'émancipation
économique de la Serbie peut être qualifié de
mi-géographique mi-politique.
Il y a une gradation dans ces articles. Si ceux parus dans les
revues de géographie classique peuvent être
considérés comme « apolitiques », ceux des
revues de politique étrangère sont déjà de parti
pris et ceux parus dans la presse sont engagés voire
délibérément polémiques.
Pour Yves Châtaigneau, deux types de support sont
utilisés, les Annales de Géographie et La Vie des Peuples, revue
spécialisée dans le domaine politique et littéraire, selon
la même séparation entre domaine
« géographique » et domaine
« politico-diplomatique ». Dans la seconde revue, Y.
Châtaigneau y prend simultanément l'habit de l'expert en relations
internationales et celui du spécialiste d'économie
financière. Il se fait à la fois l'historien quasi contemporain
de questions diplomatiques sensibles et le conseiller de dirigeants en mal
d'informations dans des domaines aussi divers que les taux de change, la
législation fiscale, le tracé des futures voies ferrées,
les emprunts d'Etat, la balance commerciale. Ces articles n'ont pas de
structure : il n'y a pas d'introduction, ni de conclusion, aucune partie
n'est perceptible dans le corps du texte sous forme de titre. Le style est
plutôt informatif et peut ressembler au style utilisé pour
l'écriture d'un rapport administratif dont la
technicité s'appuie sur de nombreuses informations chiffrées. On
serait amener à dire que c'est tout à fait le genre de documents
qu'un gouvernement attend d'un haut fonctionnaire.
La formation de géographe d'Yves Châtaigneau peut y
transparaître notamment lorsqu'il critique les tracés
prévus du futur transdinarique et lorsqu'il propose d'autres
tracés susceptibles d'être plus appropriés aux
caractéristiques des territoires. Aucune proposition n'est d'ailleurs
envisagée sans son coût financier, lequel est mis en regard avec
l'utilité du projet :
Le tracé préparé ne traverse sur un
tiers de sa longueur que des régions karstiques, dépourvues
d'industries et où la densité de population n'atteint pas 30
habitants au km2. Il ne se justifie pas par sa valeur stratégique, car
il impose à l'Etat la couverture de déficits d'exploitation
qu'aucun rapport de budget ne pourra prévoir avec exactitude. Il ne
traverse aucune ville de population supérieure à 10000 habitants.
Or, toute voie ferrée doit traverser des villes et des zones
susceptibles de fournir du trafic sinon dans le présent, du moins dans
l'avenir. Même celles établies en Lorraine, sur la demande de
l'Etat-major Allemand, avant 1914, obéissaient à ce
principe. (Annexe 2, n° 14, p.1159)
La séparation de deux domaines, l'un académique et
scientifique et l'autre politico-diplomatique et engagé ne semble pas
avoir posé de problèmes à ces auteurs. Ceux-ci peuvent
s'éloigner du domaine scientifique sans dommages : il suffit de ne
pas l'exposer et de ne pas le revendiquer dans le milieu universitaire. Pas de
tiraillement, ni d'écartèlement chez eux, on serait plutôt
amené à parler de schizophrénie intellectuelle.
Le contenu de la correspondance entre Gaston Gravier et Albert
Demangeon illustre cette séparation : alors que les avancées ou
les difficultés dans la production des écrits de type
géographique (ou historique) sont mentionnées dans le
détail, rien n'est dit ou presque de la production
« géopolitique » qui ne relève ni du
jugement, ni du domaine du maître.
3. L'engagement national de Gaston Gravier
En même temps que d'être géographe, Gaston
Gravier est journaliste. Il est employé par les journaux pour être
un observateur de la vie Serbe. Correspondant particulier est
l'expression qui revient le plus souvent en tête d'articles qui,
chronologiquement, s'inscrivent tous dans la période la plus
troublée qu'il a pu connaître : les guerres Balkaniques. Il a
d'ailleurs suivi la progression de l'armée Serbe lors de la
deuxième guerre notamment sur les terres albanaises. Il n'est pas anodin
de signaler à ce sujet que Jacques Ancel a été
également journaliste en assumant pendant plusieurs années la
direction de la politique étrangère d'un grand quotidien
d'information, en l'occurrence au journal L'Information
(Péchoux et Sivignon, 1996) et qu'Albert Mousset, historien
spécialiste du monde slave et auteur de nombreux articles sur la
Yougoslavie, y était également rédacteur.
Probablement le poste de Lecteur de Français que Gaston
Gravier occupe à l'Université lui permet d'être à un
bon poste d'observation. Il est fin connaisseur de la presse locale dont il
reprend analyses et inquiétudes et tous les domaines sont bien sûr
abordés : situation militaire, vie politique, colonisation des
territoires conquis, rachat des voies ferrées par l'Etat Serbe,
création de l'Albanie etc.
Outre les articles de presse, ses articles
« géopolitiques » sont très souvent
marqués du sceau de l'actualité d'une part parce que l'expansion
de la Serbie vers le sud le conduit à établir un diagnostic de la
situation des nouveaux territoires du pays, d'autre part parce la
défense des intérêts serbes lui impose de réagir.
L'exemple le plus probant est son article intitulé La Question
agraire en Bosnie-Herzégovine paru en 1911 soit trois ans
après l'annexion de la région par l'Autriche-Hongrie et un an
après les soulèvements durement réprimés des
paysans bosniaques par les autrichiens.
L'étude essentiellement juridique qu'il y développe
dénonce la dégradation de la condition des paysans soumis
à un antique régime féodal ainsi que le
développement de la colonisation autrichienne injuste dans ses
modalités vis à vis des éléments serbes. Il en
arrive ainsi à y condamner à la fois l'héritage turc et la
domination récente de l'empire des Habsbourg, ceci pour laisser entendre
que le meilleur statut possible de la région est le rattachement
à la Serbie.
De fait, certaines positions sont récurrentes dans ces
écrits d'actualité : il souhaite la libération et la
réunion de toute la race serbe, la disparition de l'oppression
qu'exercent Italiens et Autrichiens sur les minorités slaves, la
réalisation de l'unité Yougoslave à partir du rameau
serbe, le refus d'une Albanie indépendante création artificielle
des Autrichiens, la condamnation de la germanisation et de la magyarisation de
la Bosnie-Herzégovine, l'accès à l'Adriatique
indispensable pour la Serbie.
Le style est souvent lyrique et enthousiaste notamment lorsque
sont évoqués les (re)conquêtes de l'armée serbe sur
des lieux historiques considérés comme lieux de gloire nationale.
Il est parfois dans l'identification à la cause serbe comme peut le
montrer le passage suivant :
L'Adriatique n'a jamais rien eu d'autrichien. C'est depuis
Napoléon seulement et la dislocation des provinces Illyriennes que la
côte Dalmate fait partie de l'Empire. Auparavant Trieste seule avec un
fragment de littoral relevait de ses possessions. Mais nous et
notre puissance sommes nés sur la côte. Scutari
fut notre première capitale. Durazzo fut, un temps,
notre ville. Depuis Alessio vers le Nord toutes les
églises bordant le littoral sont nôtres.
(Annexe 1, n° 22, c'est nous qui soulignons)
Comparé aux écrits de Jean Brunhes et de Camille
Vallaux, qui relatent avec émotion certains faits vécus lors des
guerres balkaniques (migrations de réfugiés, maisons
brûlées ou abandonnées, camps de regroupement), ce qui
frappe chez Gaston Gravier, c'est le peu d'évocation des
conséquences humaines qu'elles peuvent entraîner. De fait, la
population civile n'est guère présente dans ces écrits de
« période chaude ».
Il en appelle souvent à l'action et agit lui
même.
A la base des propositions qu'il émet, on trouve toujours
des préoccupations politiques. Il lance un appel à la
conquête des provinces serbes d'Autriche-Hongrie, message qu'on peut
qualifier d'appel aux armes puisqu'il qualifie l'Empire des Habsbourg de
Nouvelle Turquie (Annexe 1, n°1, p.161). Il énumère
les mesures d'organisation économique, administrative ou religieuse qui
doivent être mis en oeuvre dans les nouveaux territoires conquis par la
Serbie en 1913. Il considère qu'il faut entreprendre la conquête
démographique de Trieste et Fiume. Il demande à la presse de se
consacrer davantage aux éléments de rapprochement de toutes les
nations slaves du sud et moins à ceux qui alimentent les divisions
intestines entre croates et serbes. Il dénonce le régime
répressif des journaux en Bosnie-Herzégovine alors occupée
par L'Autriche-Hongrie. Il présente même un véritable
programme de guerre culturelle qui sera en partie réalisé et qui
est dirigé contre l'influence autrichienne en Serbie :
création d'écoles et de lycées français,
prospectus, affiches, fondation d'une librairie exclusivement française,
agent sur place qui orienterait les étudiants vers les
universités françaises...etc..
C'est un militant de la cause serbe et tout laisse penser qu'il
se fait journaliste et géopoliticien en grande partie pour les besoins
de la cause.
Pour lui, il y a une alliance de nature entre les yougoslaves et
les français, ce qui lui fait dire qu'avec un tel programme culturel et
face au danger de l'expansion germanique, nous serons mieux armés
pour cette lutte commune (Annexe 1, n° 14)
Il paye de sa personne puisque son travail de rapprochement
intellectuel entre la Serbie et la France trouve son point d'aboutissement dans
certaines réalisations : fondation en 1911 avec l'appui de Monsieur
Descos, ministre de France à Belgrade, d'une société
littéraire française qui organise des cours en français et
qui crée des filiales dans plusieurs villes serbes, recrutement de
conférenciers (dont René Pinon) venus de France, envoi de jeunes
étudiants serbes dans les universités françaises.
Percevant le danger, l'Autriche-Hongrie a même tenté de
l'acheter.
Reprenant les propos de Claire Gravier dans une longue lettre
qu'elle lui a adressée datée du 18 octobre 1915, voilà ce
qu'écrit Albert Demangeon dans la notice nécrologique qu'il
a consacré à Gaston Gravier :
De cette ambition l'Autriche avait si bien le sentiment qu'en
1913 elle lui avait fait offrir, avec des émoluments triples de ceux
qu'il recevait à Belgrade, un poste dans l'une des universités de
la monarchie. A ses yeux, accepter eût été
trahir.(Demangeon, 1915, p.457).
Le degré de confiance et d'engagement est tel que le
gouvernement serbe accepte qu'il travaille sur des archives secrètes
pour son ouvrage les frontières historiques de la Serbie
de même qu'il demande au gouvernement français par
l'intermédiaire d'Albert Demangeon de le faire revenir en Serbie alors
qu'il est sur le front en France (Wolff, 2005 p. 528 et correspondance Claire
Gravier/Albert Demangeon).
Chaque article géopolitique ou d'actualité qu'il
écrit peut donc être vu à travers le prisme des
intérêts de son pays d'adoption mais aussi à travers les
jeux d'influence et les particularités géopolitiques
européennes de l'avant-guerre. Gaston Gravier n'échappe
évidemment ni à son époque, ni au lieu qu'il étudie
et dans lequel il vit. Son nationalisme est vraisemblablement un nationalisme
de transfert ou de communion.
Né en Lorraine, non loin de la frontière allemande
et des « provinces perdues » dans un milieu d'instituteurs
qui est celui des « hussards noirs de la
République » à une époque où
l'enseignement en général et celui de la géographie en
particulier est destiné à fortifier le patriotisme des
écoliers, il a lié son nationalisme originel à celui, plus
intellectuel, qu'il a pu développer pour sa patrie d'adoption dans une
même hostilité à l'égard de l'ennemi
germanique :
Il pensait que la France aurait un jour à se battre
pour la Serbie ; il associait ces deux patries l'une à l'autre, et
il préparait peut-être son esprit à cette idée que,
si jamais il mourrait dans la guerre qu'il prévoyait, il tomberait en
les défendant toutes deux. (Demangeon, 1915, p. 457).
Le 29 octobre 1914, Gaston Gravier écrit à Albert
Demangeon :
C'est d'une tranchée en 1ere de ligne que je vous
écris à l'adresse que me communique ma femme. Après la
campagne de Lorraine, c'est depuis un mois la campagne du Nord. Vous pensez
comme je suis heureux de pouvoir ainsi défendre tour à tour mon
pays d'origine et mon pays d'adoption.
4. La serbophilie des géographes français.
Les relations historiques étroites entre la Serbie et la
France constituent bien évidemment une explication à la
serbophilie ou à la yougoslavophilie des géographes
français. Sans remonter loin dans le temps et sans entrer dans des
développements conséquents, rappelons simplement qu'en 1878 au
congrès de Berlin, l'extension vers le sud de la Serbie est obtenue avec
l'appui de la France. C'est Gaston Gravier lui même qui cite une phrase
de Ristic, délégué serbe au congrès de
Berlin :
Si mes faibles tentatives procurent quelques avantages
à la Serbie, celle-ci les devra au noble appui que la France a toujours,
et dans cette circonstance également, prêté à mon
pays. (Annexe 1, n° 19 p. 420)
Rappelons également que l'anti-germanisme virulent qui
caractérise la France de la fin du XIXe siècle et du début
du XXe siècle pousse les gouvernements à entretenir des relations
avec les Russes et avec leurs protégés que sont les Serbes. Les
deux systèmes d'alliances que sont la Triple Entente et la Triplice se
mettent en place. La Serbie est naturellement conduite à être
l'alliée de la France, à recevoir des armes françaises
pour équiper son armée (elle choisit le canon de 75 en 1907) sans
pour autant qu'il y ait d'alliance militaire entre les deux pays. Pierre
1er de Serbie est francophile, ardent partisan de l'alliance avec la
Russie et la France.
Du point de vue financier les relations sont fortes entre les
deux pays surtout à partir du moment où l'Autriche-Hongrie
organise une guerre économique envers la Serbie (« guerre des
cochons » de 1906-1911). De grands emprunts sont émis en
France et la banque franco-serbe accroît son importance au
détriment des intérêts autrichiens (Poidevin, 1964).
Du point de vue intellectuel, il y a de forts liens
d'universités à universités et on assiste à un
éveil des sentiments pro-serbes notamment à l'occasion des
guerres balkaniques, sentiments qui touchent une grande partie des
universitaires historiens et géographes tels Jean Brunhes, Ernest Denis,
Emmanuel de Martonne, Emile Haumant.
Mais c'est surtout la grande guerre qui fait naître un
véritable engouement pour la Serbie (Bariety, 2000, p.308). Les
combats héroïques des Serbes au début du conflit, leurs
malheurs par la suite, la lutte commune à partir de l'intervention de
l'armée d'Orient, tout cela explique la publication d'un certain nombre
d'écrits très favorables à la Serbie parmi lesquels on
peut citer l'ouvrage d'Ernest Denis intitulé La Grande Serbie
publié en 1915 ou la longue préface de Jean Brunhes au
précis d'histoire serbe publié en 1917 (Brunhes, 1917),
préface qu'il signe « un vieil ami de la Nation
Serbe ».
Jean Jacques Becker rappelle à cette occasion qu'en dehors
des Belges, les seuls étrangers à qui furent
dédiées des journées de quêtes nationales furent les
serbes.(Becker, 2001, p.7)
Le royaume des Serbes, Croates et Slovènes puis la
Yougoslavie à partir de 1929 continuent d'être le point d'appui de
la politique balkanique de la France après la guerre.
L'influence de Jovan Cvijic dans la serbophilie des
géographes français est également fondamental. Ses
rapports sont profonds avec la France. Contraint de fuir son pays en 1915, il
donne, en pleine guerre, des conférences à la Sorbonne en
1917-1918 à l'instigation de Vidal de la Blache et du recteur Louis
Liard. Il fait partie de la délégation officielle des Serbes,
Croates et Slovènes à la conférence de la paix, il y
côtoie Emmanuel de Martonne et se lie d'une amitié
particulière avec Ernest Denis (qui fut le professeur d'Yves
Châtaigneau) avec qui il fonde l'institut d'études slaves à
Paris en 1924. Il enseigne de nouveau en France en 1924-1925.
Son ouvrage principal La péninsule balkanique,
étude de géographie humaine est publié en
français avant de l'être en serbe, nombreux sont ses articles
publiés en français (ce qui ne l'empêche pas aussi
d'écrire en allemand) et certains de ses ouvrages sont repris ou
résumés notamment dans les Annales de Géographie par
Lucien Gallois et Emile Haumant. D'abord spécialiste de
géomorphologie, il s'oriente à partir de 1902 vers la
géographie humaine puis s'engage dans des écrits d'ordre plus
politique lorsqu'en 1908 l'Autriche-Hongrie annexe la
Bosnie-Herzégovine.
Par son action et surtout par ses écrits, il soutient la
cause serbe, entreprend une véritable croisade contre les
prétentions autrichiennes en Serbie et élabore une conception
unitaire d'un futur Etat des Slaves du sud centré sur sa partie
orientale c'est à dire essentiellement sur la dépression
moravo-vardarienne. Il est donc un des instigateurs d'une Yougoslavie où
l'élément serbe est appelé à dominer.
Cvijic a été un conseiller très
écouté lors de la conférence de la paix lorsqu'il s'est
agi de tracer les frontières des nouveaux Etats en Europe.
Les géographes français adoptent à la fois
les conclusions scientifiques de Cvijic (par exemple les « types
psychiques des populations ou les mouvements métanastasiques) mais ils
adoptent aussi son « projet politique ».
Voici ce que peut écrire Gaston Gravier dans son article
sur la région de la Choumadia :
Le pays par sa position, de même que par son histoire
et son peuplement, constitue le coeur de la Serbie actuelle. Là
convergent, se renforcent les traits les plus caractéristiques de la
nature du pays, tous les éléments divers, toutes les faces
vivantes du peuple serbe. Après avoir joué le rôle de
creuset élaborateur de la nationalité, cette région,
expression la plus vivante de la conscience nationale et du royaume, influe au
loin dans tous les sens. Dans la langue du pays,
« sumadinac » représente le serbe le plus pur ;
c'est presque un titre de noblesse parmi tous les autres membres de la
race. (Annexe 1, n° 11, p. 272)
Dans plusieurs de ces articles de presse, Gaston Gravier
espère manifestement des serbes qu'ils soient les artisans de
l'unité yougoslave en considérant que le haut degré de
civilisation qu'ils ont atteint ainsi que la conscience plus
élevée qu'ils peuvent avoir de l'unité nationale les
prédestinent non seulement à délivrer leurs
frères de race mais également à être
l'élément moteur de cette réalisation.
Yves Châtaigneau, pour sa part, reprend l'idée que
la Serbie a été pour la Yougoslavie ce que le Piémont a
été pour l'unité italienne et rajoute qu'elle
était prête à combattre tandis que les croates
négociaient et que les slovènes tiraient le meilleur parti d'une
situation de fait. (Annexe 2, n° 2, p.98).
On retrouve ici l'idée, fréquemment
évoquée par Cvijic, que la légitimité d'une
position dominante accordée aux serbes dans la construction d'un Etat
des slaves du sud vient de ce qu'ils ont accédé à leur
propre indépendance pendant que les autres peuples slaves
s'accommodaient plus ou moins du joug étranger.
On pourrait également citer des écrits de Jean
Brunhes allant dans le même sens notamment dans la préface du
Précis d'Histoire Serbe (Brunhes, 1917).
Concernant la question macédonienne, il est
intéressant de noter que la position de Gaston Gravier est plus
serbophile que la position de Cvijic lui même. Tout en penchant pour un
rattachement de la Macédoine à la Serbie, la probité
scientifique de Cvijic, l'analyse rigoureuse et objective qu'il
développe lui fait prendre une position modérée en la
matière. Sa « création » d'une
catégorie ethnique regroupant les slaves macédoniens (qui selon
lui pouvaient s'assimiler aussi bien à la Serbie qu'à la
Bulgarie) le prouve et est vraisemblablement guidée par un souci de
neutralité lié à sa propre nationalité. On peut
ainsi comprendre que le citoyen français qu'est Gaston Gravier,
dégagé de ces scrupules, ait pu prendre une position plus
tranchée.
La yougoslavophilie de l'après guerre est moins
prégnante que la serbophilie des années de guerre et d'avant
guerre. On peut néanmoins la percevoir à travers le compte rendu
d'une excursion interuniversitaire organisée en Yougoslavie en 1929,
dans lequel sont mis en avant les réalisations modernes de la
colonisation yougoslave au Kosovo. (Larnaude, 1930 et Sivignon, 2005).
5. L'engagement diplomatique et politique d'Yves
Châtaigneau
L'année 1924 marque en tournant dans la carrière
d'Yves Châtaigneau. Il quitte le milieu universitaire et n'y reviendra
plus. Sans que l'on puisse dire si les deux articles géopolitiques
écrits pour la revue « la Vie des Peuples » sont des
rapports recyclés (rien n'a été trouvé en ce sens),
il est probable que ces productions ont eu une incidence sur la volonté
du Quai d'Orsay de s'attacher ses services.
Toujours est-il qu'Yves Châtaigneau est appelé au
ministère des Affaires Etrangères en tant que chef de section au
Service des OEuvres Françaises à l'Etranger (SOFE), service qui
naît en janvier 1920 de la réorganisation de la Propagande
Française à l'issue de la première guerre mondiale. Yves
Châtaigneau s'y consacre aux questions cinématographiques,
à la radiodiffusion, aux relations culturelles entre la France et
l'étranger. Dans les dix années qui suivent, il écrit
pourtant encore quatre articles de géographie, il participe à la
Géographie Universelle et livre même en 1938 un compte-rendu
d'ouvrage pour les Annales de Géographie. Tout semble donc indiquer
qu'il ait eu une activité de géographe parallèlement
à son travail de haut fonctionnaire.
En 1936, sa carrière s'élargit : il est
associé à la politique gouvernementale en étant
appelé auprès de Léon Blum, lequel cherche un
chargé de mission issu du Quai d'Orsay pour l'analyse des questions
internationales. Il est donc intégré à
« l'Equipe » du Secrétariat Général du
Gouvernement que dirige Jules Moch. Il signe sous son nom dans ces
années 1936-1938 des conventions internationales sous l'égide de
la Société des Nations concernant l'emploi de la
radiodiffusion dans l'intérêt de la paix (23 septembre 1936
à Genève) et sur la circulation internationale des films
ayant un caractère éducatif (12 septembre 1938).
En 1937, il succède à Jules Moch comme
Secrétaire Général à la présidence du
Conseil. C'est un poste important et récent puisque le
Secrétariat Général a été créé
par P. E. Flandin en 1935 et qu'il s'agit d'assurer la coordination des
ministres, de donner au président du Conseil la documentation
nécessaire à la prise de décision et de suivre les travaux
législatifs. Le Secrétaire Général assiste aux
conseils de cabinet et aux conseil des ministres. Dans cette fonction, Yves
Châtaigneau participe à d'importantes réformes.
Son engagement politique date de cette période du Front
Populaire. Jules Moch indique qu'il est homme de gauche mais non
socialiste (Moch, 1976) mais qu'il le devient au contact du plus
gauchiste de « l'Equipe » du Secrétariat
Général : Marceau Pivert.6
En effet, Yves Châtaigneau adhère au parti
socialiste SFIO en 1937. Il participe à la revue orientée
à gauche L'Homme Réel dont le sous-titre est Revue
Mensuelle du Syndicalisme et de L'Humanisme sans pourtant y formuler
aucune de ses convictions politiques. Le seul texte qui témoigne de cet
engagement est une intervention au cours du colloque sur Léon Blum
chef de gouvernement organisé par la fondation nationale des
sciences politiques sous la direction de René Rémond et Pierre
Renouvin en 1965. Voici comment il raconte certains de ses souvenirs :
Pendant les grèves de juin 1936, je m'arrêtais
régulièrement devant le chantier du musée d'art moderne
qui était en construction à ce moment là, et je parlais
avec les grévistes. Les deux tiers de mes interlocuteurs
n'étaient pas syndiqués, mais les uns comme les autres me
disaient : « ce qu'il y a de changé, c'est que nous avons
un gouvernement avec lequel nous pouvons causer, et nous savons que ce
gouvernement ne prendra pas de mesures de répression contre les
grévistes ».
6. Marceau Pivert (1895-1958) est le principal dirigeant du
courant révolutionnaire au sein de la SFIO dans les années 30. Il
représente le courant marxiste dans la tradition du Guesdisme. Il
crée la Gauche Révolutionnaire (GR) en 1935 qui regroupe les
militants de la SFIO les plus à gauche. Exclu du parti en 1938, il fonde
le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (P.S.O.P.). Il s'est toujours
intéressé aux méthodes de propagande
cinématographiques et a supervisé la production de plusieurs
films militants.
Je trouve ce détail essentiel parce que c'est une
marque de confiance envers le gouvernement, avec lequel on discutera
d'ailleurs, mais marque de confiance absolue, il n'y a pas d'esprit
révolutionnaire, c'est plutôt un esprit socialiste. Lénine
disait que pour faire une révolution il faut la complicité de la
classe paysanne : il n'y avait pas de complicité de la classe
paysanne pour faire une révolution en France ; et d'autre part
Lénine disait qu'il faut une volonté agissante pour qu'une
révolution impose ses formes : il n'y avait pas non plus de
volonté agissante prête à entamer une
révolution. (Rémond, 1967, p. 102-103).
S' il est possible d'établir un lien, aussi ténu
soit-il, entre l'expérience d'Yves Châtaigneau dans les Balkans et
son orientation professionnelle vers la diplomatie, il est clair qu'en revanche
son engagement politique en est complètement séparé.
D'autres raisons y concourent que ce soit l'origine familiale, le vécu
de la guerre ou les rencontres de circonstances.
L'attachement d'Yves Châtaigneau à cette zone de
l'Europe ne se traduit par la suite que par quelques compte-rendus d'ouvrages
(Annexe 2, n° 25), des articles sur la littérature yougoslave
(Annexe 2, n° 18 et n° 21), des textes introductifs à des
romans ou à des ouvrages touristiques (Annexe 2, n° 17 et n°
32) ou à un glossaire assez bref de termes géographiques (Annexe
2, n° 11).
Il est vrai que sa brillante carrière diplomatique
l'éloigne de cette région de même qu'elle le conduit
à renforcer son engagement politique à mesure des postes de plus
en plus importants qu'on lui confie. En 1942, il démissionne de son
poste de ministre plénipotentiaire en Afghanistan, intègre les
Forces Françaises Libres en 1943 puis devient Gouverneur
Général de l'Algérie (1944-1948) et enfin ambassadeur de
France à Moscou (1948-1952). Son action, surtout en Algérie, y
est aussi importante que controversée.
CONCLUSION
Carrefour géopolitique avant même le XXe
siècle, y compris dans les représentations mentales des
occidentaux, les Balkans sont, de par leur histoire, le lieu de croisement de
politiques d'expansion, de volontés impérialistes et d'intrigues
internationales. Associé à la complexité ethnique qu'on y
trouve, c'est ce qu'on pourrait appeler prosaïquement un « coin
chaud ».
Un tel espace a été le siège d'études
géopolitiques avant même que le terme ne soit utilisé dans
la géographie française.
Néanmoins, les géographes qui s'y sont
consacrés se réclament de la géographie classique et
continuent d'écrire des articles conformes à l'exercice canonique
de la monographie régionale d'inspiration vidalienne. C'est le cas de
Gaston Gravier et d'Yves Châtaigneau. Ce l'est nettement moins de Jacques
Ancel qui s'en dégage beaucoup plus et qui présente une
production plus hétérodoxe où il n'y a pas de
véritable séparation entre les écrits
géographiques/historiques et les réflexions politiques.
Quant à l'engagement qui peut en résulter, il
conduit à une bivalence intellectuelle ou professionnelle qu'on retrouve
de manière nette chez Gaston Gravier et Jean Brunhes. Le cas de ce
dernier est intéressant à double titre et mériterait
une étude à lui tout seul.
Durant les guerres balkaniques, il écrit deux lettres
(elles sont reproduites dans sa préface au Précis d'Histoire
Serbe, (Brunhes, 1917)), l'une au ministre de la guerre Alexandre
Millerand en novembre 1912 et l'une au ministre des affaires
étrangères Stéphen Pichon en mai 1913. Ce sont des lettres
présentant les situations politiques des pays et des régions
qu'il traverse et qui suggèrent à ses destinataires des
positionnements possibles de la diplomatie française.
Surtout, le cas de Jean Brunhes illustre de manière
successive l'engagement « national » auprès des
Serbes avant et pendant la guerre et l'engagement
« pacifiste » qui suit le conflit et qui trouve son axe de
référence dans l'action de la Société des
Nations.
Ceci permet de dire, de façon toute prosaïque, que
les géographes n'échappent ni aux lieux sur lesquels ils
travaillent, ni à leur époque. Ils en adoptent les courants
dominants.
Avant la guerre, les représentations nationales que
développe Gaston Gravier et les autres géographes
français, insistent à juste titre sur le caractère mouvant
des identités sur une zone où la domination ottomane n'a pas fait
oeuvre d'assimilation. Sur ces territoires découverts et
convoités où les sentiments nationaux sont en devenir et non
encore formés, l'analyse des occidentaux se fait à l'aune du
cadre national qui est le leur, fondé sur des limites
frontalières précises, une volonté de vivre ensemble et
une entité politique de préférence démocratique.
Ceci peut expliquer en partie la préférence que les
français accordent à la Serbie qui est de ce point de vue le pays
des Balkans qui correspond le mieux à ces structures et qui leur
ressemble le plus.
Mais ce cadre est généralement inadapté aux
Balkans et l'appropriation territoriale qui en résulte est difficile
dans la mesure où les populations non constituées en groupes ni
cohérents, ni stables, ignorantes des frontières, ne peuvent se
sentir concernées par un cadre rigide complètement
étranger à leur histoire. Ces populations deviennent un enjeu
pour les jeunes Etats balkaniques, enjeu auquel participent les
géographes français puisque ceux-ci s'engagent et prennent parti
comme on a pu le constater pour Gaston Gravier et Jean Brunhes.
Après la guerre, on veut croire ou on fait semblant de
croire à la victoire de l'Etat-Nation dans les Balkans. La
défense des traités de paix et des frontières qui en
résultent s'inscrit dans un courant humaniste et pacifiste auquel ne
sont pas étrangers des géographes comme Yves Châtaigneau et
surtout Jean Brunhes. Dès lors, l'engagement n'est plus le même.
D'un appui accordé aux serbes, on passe à un engagement universel
fondé sur la défense de la paix par l'intermédiaire soit
d'une position politique plus ou moins internationaliste comme on peut le
deviner pour Yves Châtaigneau, soit par la volonté de donner
à la Société des Nations un rôle à la mesure
de ses ambitions comme dans le cas de Jean Brunhes.
ANNEXE 1
ECRITS DE GASTON GRAVIER
Ouvrage :
1. Les frontières historiques de la Serbie,
introduction par Emile Haumant, Paris, Armand Colin, 1919.
Articles de géographie :
2. La Plaine lorraine, Annales de Géographie,
Volume 19, n° 108, 1910, p. 440-455.
3. L'émancipation économique de la Serbie,
Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris,
Volume 33, n° 6, juin 1911, p. 417-431.
4. Le développement économique de la
Serbie, Annales de Géographie, Volume 21, n° 115, 1912, p.
50-56.
5. Le Sandzak de Novi Pazar, Annales de
Géographie, Volume 22, n° 121, 1913, p. 41-67.
6. Les relations entre le relief et les peuplements en
Sumadija (en langue serbe), Bulletin de la Société Serbe de
Géographie, Volume 2, 1913, p. 265-275.
7. Données statistiques sur la
Bosnie-Herzégovine, Annales de Géographie, Volume 22,
n° 126, 1913, p. 466-468.
8. La densité de la population en Serbie (en
langue serbe), Bulletin de la Société Serbe de Géographie,
Volume 3 et 4, 1914, p. 32-38.
9. Recensement préliminaire de la population dans les
nouveaux territoires serbes, Annales Géographie, Volume 23, n°
127, 1914, p. 87-89.
10. La plaine dans la région vosgienne, Bulletin
de la société de géographie de Lille, Tome 62, n° 4,
Oct-Nov-Dec 1920, p. 107-129, p. 141-164 et p. 217-246.
11. La Choumadia, Annales de Géographie, Volume
30, n° 166, 1921, p. 271-287.
12. La Choumadia, Annales de Géographie, Volume
30, n° 167, 1921, p. 351-361.
Articles de type géopolitique :
13. L'émigration des Musulmans de
Bosnie-Herzégovine, Revue de Paris, 1er janvier 1911, p.
213-224.
14. Notre influence chez les Yougo-Slaves et chez les Serbes
en particulier, L'Effort, n° 15, 8 février 1911.
15. La Vieille Serbie et les Albanais, Revue de Paris,
1er novembre 1911, p. 201-223.
16. La question agraire en Bosnie-Herzégovine,
Questions Diplomatiques et Coloniales, Tome 32, 1er décembre
1911, p. 668-682.
17. La presse Yougo-Slave, Questions Diplomatiques et
Coloniales, Tome 34, 1er juillet 1912, p. 13-17.
18. L'Albanie et ses limites, Revue de Paris,
1er et 15 janvier 1913, p. 200-224 et p. 433-448.
19. La nouvelle Serbie, Revue de Paris, 15 novembre
1913, p. 417-448.
Articles d'actualité :
20. Lettres de Serbie, Le Figaro du 2 novembre 1912,
n° 307.
21. Lettres de Serbie, Le Figaro du 4 novembre 1912,
n° 309.
22. L'Albanie, Le Figaro du 3 décembre 1912,
n° 338.
23. Lettre de Belgrade, Correspondance d'Orient du
1er septembre 1913, p. 208-211.
24. Lettre de Belgrade, Correspondance d'Orient du
1er octobre 1913, p. 299-301.
25. Lettre de Belgrade, Correspondance d'Orient du
1er novembre 1913, p. 385-388.
26. Lettre de Serbie, La Serbie et les chemins de
fer orientaux, Le Temps du 12 novembre 1913, n° 19123.
27. Lettre de Croatie, Le compromis croate-hongrois, Le
Temps du 11 décembre 1913, n° 19152.
28. Lettre de Bosnie, La situation politique en
Bosnie-Herzégovine, Le Temps du 11 janvier 1914, n° 19182.
29. Lettre de Serbie, Le peuplement des nouveaux
territoires, Le Temps du 9 avril 1914, n° 19270.
30. Lettre de Serbie, Le mouvement antiitalien chez les
Slaves du sud, Le Temps du 17 avril 1914, n° 19278.
31. Allemands et Serbes, article manuscrit non
publié, écrit en juillet 1914, destiné au journal Le Temps
et consultable dans la correspondance Gravier/Demangeon conservé dans le
fonds Demangeon/Perpillou de la bibliothèque Mazarine.
ANNEXE 2
ECRITS D'YVES CHATAIGNEAU
Articles de géographie :
1. L'émigration vendéenne, Annales de
Géographie, n° 144, 1917, p. 423-438.
2. La Yougoslavie, Annales de Géographie, n°
164, volume 30, 1921, p. 81-110.
3. La région karstique de la Romanija, Glasnik
Geografskog drustva, Tome 6, Belgrade, 1921, p. 97-101.
4. Les exportations yougoslaves par Salonique en 1923,
Annales de Géographie, n° 187, 1925, volume 34, p. 85.
5. Les tendances actuelles de l'école
géographique française, Geografski vestnik, n° 2, 1925,
p. 81-86.
6. La vallée du Vrbas, Bulletin de l'association
des géographes français, Juin 1927, n° 19, p. 38-40.
7. Le bassin de Sarajevo, Annales de Géographie,
n° 208, volume 37, 1928, p. 306-327.
8. L'avenir des pays sous-développés,
Revue La Nef, le progrès au service de l'homme, cahier n° 11,
décembre 1955, p. 194-206.
9. L'Algérie évolutive, Europe
France-Outre mer, l'Algérie d'aujourd'hui et de demain, n° 388,
juin 1962, p. 25-26.
10. Le développement de l'Algérie et l'apport
français, Tiers Monde, Problèmes de l'Algérie
indépendante, PUF, 1963, p. 197-207.
11. Quelques termes géographiques en
serbo-croate, Revue des études slaves, Mélanges André
Vaillant, Tome 40, 1964, p. 43-45.
12. L'avenir de la France et la région de demain,
Revue du Bas-Poitou et des provinces de l'ouest, n° 2, mars-avril 1965, p.
93-104.
Articles de type géopolitique :
13. Le règlement de la question Adriatique et le pacte
de Rome, La vie des peuples, n° 47, mars 1924, p. 662-668.
14. La situation financière en Yougoslavie, La
vie des peuples, n° 48, Avril 1924, p. 1152-1168.
Contribution :
15. En mémoire de Jovan Cvijic, Monde slave,
avril 1927, Félix Alcan, Paris.
16. Les pays Balkaniques (Yougoslavie, Albanie, Bulgarie,
Thrace turque), in Géographie Universelle, Tome VII,
Péninsules Méditerranéennes, Armand Colin, 1934, p.
395-511.
17. Visages de la Bulgarie, introduction
géographique p. 37-61, Paris, Seghers, 1968, réédition
1978.
Articles de type littéraire, artistique ou
politique :
18. L'oeuvre de Milan Vukasovic, L'homme réel,
Revue mensuelle du syndicalisme et de l'Humanisme, n° 41, mai 1937.
19. Georges Cyr et le mouvement dans la peinture, Les
lettres et les Arts, mai 1943.
20. BDPA et conseillers ruraux, Communauté et
continents, nouvelle revue française d'outre-mer, n° 3,
juillet-septembre 1959, p. 48-52.
21. Vue d'ensemble sur la littérature yougoslave,
Revue Europe, juillet-août 1965, p. 6-20.
22. Michel Chiha, ardent patriote libanais, l'Alliance
internationale, n° 50, mars 1966, Paris : cité
universitaire.
Comptes rendus :
23. Le problème Macédonien, compte rendu
de l'ouvrage d'Edmond Bouchié de Belle, La Macédoine et les
Macédoniens, Annales de Géographie, n° 177, volume 32, 1923,
p. 275-278.
24. Compte rendu de l'ouvrage de Jacques Ancel : Manuel
géographique de politique Européenne, Annales de
géographie, n°47, 1938, p. 72-74.
25. Comptes rendus de trois ouvrages d'André Blanc
(Géographie des Balkans, L'économie des Balkans, la Yougoslavie),
Revue des études slaves, Tome 47, 1968, p. 163-167.
Conférence de presse et discours :
26. Conférence de presse sur l'état des
réformes en Algérie, 28 mai 1946, Imprimerie Officielle,
1946.
27. Discours aux séances d'ouverture de la session
ordinaire de l'assemblée financière ou des
délégations financières, 3 décembre 1945, 21
novembre 1944 et 29 novembre 1946, Imprimerie Officielle du Gouvernement
Général de l'Algérie.
Textes officiels établis sur ordre :
28. Exposé sur la situation générale de
l'Algérie, Gouvernement Général de l'Algérie,
Imprimerie Officielle,1945, 1946, 1947, 1948.
29. Exposé de la situation générale des
territoires du sud de l'Algérie de 1930 à 1946, Gouvernement
Général de l'Algérie, Direction des territoires du sud,
Imprimerie Officielle, 1947.
Introduction, préface ou lettre liminaire :
30. L'essor de l'Algérie, introduction par Yves
Châtaigneau, Gouvernement général de l'Algérie,
1947.
31. Atlas de la mutualité agricole en Afrique du Nord,
Assurances, Crédit, Coopération, 1907-1947, lettre liminaire
d'Yves Châtaigneau, 1947.
32. Le sang impur, roman de Bora Stankovitch, Editions
du Pavois, préface d'Yves Châtaigneau, 1949.
33. Routes de France : la route de la vallée de
la Vienne, ouvrage de Paul Boisnier, préface d'Yves
Châtaigneau p. 1-2, Poitiers,1955.
ANNEXE 3
L' agrandissement des différents pays
balkaniques au détriment de l'Empire Ottoman est
représenté par le même figuré que le territoire
d'origine mais avec une trame plus lâche.
Source : Castellan G., 1991, Histoire des Balkans,
XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard.
ANNEXE 4
Source : Prévélakis G., 1994a, Les
Balkans, culture et géopolitique, Nathan, p. 126.
SOURCES
- Correspondance 1906-1917 entre la famille Gravier et Albert
Demangeon. Fonds Demangeon/Perpillou conservé à la
bibliothèque Mazarine.
BIBLIOGRAPHIE
- Ancel J., 1922, Les peuples des Balkans d'après
Eugène Pittard, Annales de Géographie, Volume 31, n°
169, p. 66-69.
- Ancel J., 1927, La montagne et l'unité de la
civilisation balkanique, Annales de Géographie, Volume 36, n°
199, p. 74-76.
- Ancel J., 1928, Les Balkans face à l'Italie,
Paris, Delagrave.
- Ancel J., 1930a réédition 1992, Peuples et
nations des Balkans, Armand Colin. Nouvelle édition
précédée d'une préface de Pierre George, Editions
du CTHS.
- Ancel J., 1930b, La Macédoine. Etude de colonisation
contemporaine, Paris, Delagrave.
- Ancel J., 1938, Géographie des
frontières, Paris, Gallimard.
- Arrault J. B., 2007, Penser à l'échelle du
Monde. Histoire conceptuelle de la mondialisation en géographie (fin du
XIXe siècle/entre-deux-guerres), thèse de doctorat de
géographie sous la direction de M. C. Robic, Université Paris
I.
- Bariety J., 2000, La France et la naissance du Royaume des
Serbes, Croates et Slovènes, 1914-1919, Relations Internationales,
n° 103, p. 307-327.
- Becker J. J., 2001, L'ombre du nationalisme serbe,
Vingtième siècle, Volume 69, n° 69, p. 7-30.
- Besse J. M., 2004, Le lieu en histoire des sciences,
hypothèses pour une approche spatiale du savoir géographique au
XVIe siècle, Mélanges de l'Ecole Française de Rome,
tome 116, p. 401-422.
- Bobev B. N., 1983, La France et les rapports
Albano-Yougoslaves (1919-1927) in La France et les Balkans dans les
années 20 du XXe siècle, colloques langues'o, p. 101-117.
- Boulineau E., 1996, La conception des frontières par
les géographes français et sa mise en application lors des
traités de paix de 1919-1920 sur l'Europe centrale et orientale,
Maîtrise de géographie sous la direction de V. Rey,
Université Paris I.
- Boulineau E., 2001a, Un géographe traceur de
frontières : Emmanuel de Martonne et la Roumanie, L'espace
géographique, n° 3.
- Boulineau E., 2001b, Les géographes et les
frontières austro-slovènes des Alpes orientales en
1919-1920, revue de géographie alpine, n° 4.
- Bourcart J., 1921, L'Albanie et les Albanais,
Paris.
- Brunhes J., 1913a, Ethnographie et géographie
humaine, L'Ethnographie, nouvelle série, p. 29-40.
- Brunhes J., 1913b, Du caractère propre et du
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l'école communale à la chaire en Sorbonne, l'itinéraire
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de Marie Claire Robic, Université de Paris I.TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION.......................................................................................2
I. NOTES BIOGRAPHIQUES, PROBLEMATIQUE ET
METHODOLOGIE ......................................................................................5
1.Gaston Gravier et Yves
Châtaigneau.....................................................5
2.Problématique et
méthodologie............................................................6
II LES REPRESENTATIONS
NATIONALES......................................................7
1.La nation chez Gaston
Gravier............................................................7
2.La nation chez Yves
Châtaigneau.........................................................10
3.La démocratie et la
nation.................................................................13
4.Les identités
floues........................................................................15
III LES REPRESENTATIONS
TERRITORIALES................................................17
1.Le territoire et la
nation....................................................................17
2.Les
frontières................................................................................21
IV DUALITE ET
ENGAGEMENT..................................................................25
1.Gaston Gravier et Yves Châtaigneau, géographes
classiques........................25
2.La séparation des supports
éditoriaux...................................................27
3.L'engagement national de Gaston
Gravier..............................................31
4.La serbophilie des géographes
français...................................................34
5.L'engagement diplomatique et politique d'Yves
Châtaigneau.......................37
CONCLUSION..........................................................................................39
ANNEXE 1. Ecrits de Gaston
Gravier.................................................................42
ANNEXE 2. Ecrits d'Yves
Châtaigneau..............................................................44
ANNEXE 3. Carte des Balkans à l'issue des guerres
balkaniques.................................46
ANNEXE 4. Carte de la formation territoriale de la
Yougoslavie.................................47
SOURCES ET
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................48
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