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Etre une femme en Algerie, action sociale

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par Liliane Mébarka GRAINE
Université Paris 8 - St Denis (93) - Doctorat en sociologie 2006
  

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REMERCIEMENTS

Dans l'espoir que ces quelques mots parviennent à exprimer tout ce dont je leur suis redevable, non moins que la profondeur de ma gratitude, je souhaite que se voient ici remerciés tout ceux qui ont contribué à l'achèvement de ce travail.

Madame Françoise DUROUX, pour sa direction attentive et pour son enseignement et recherches au sein de l'Institut des Études Féminines, de l'Université Paris 8,.

Les membres du jury qui ont bien voulu lire et critiquer ce travail,

Monsieur Aîssa Kadri, Professeur à I'Institut Maghreb-Europe (Univversité Paris 8), pour son généreux accueil du Groupe de recherche (GREIEC) auquel j'appartiens.

Madame Ruth Khon Canter (Présidente du Groupe de Recherches en Action Sociale, professeur en Sciences de l'Education) pour sa compréhension, et ses encouragements constants.

Monsieur Jacques ARDOINO, pour la convivialité de ses cours et la pertinence de ses conseils .

Monsieur Guy BERGER, professeur et secrétaire général du GREIEC, pour sa rigueur et son exigence, ainsi que pour l'indispensable animation de notre groupe de réflexion. . Nous ne pouvons nous passer de lui en toute circonstance : c'est notre ami et dirigeant.

Tous les professeurs qui m'ont encouragés à devenir " sujet-actrice".

Ce travail, bien sûr, n'aurait pas abouti sans la généreuse participation des femmes interrogées et je tiens à remercier ici : Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Malika, Leila, Melha, Katia, Djedjiga, Fariza, Khadidja, Chabha, Assia, E. F., E. K. pour leur contribution à ce travail mais aussi à la plus grande compréhension que j'ai pu avoir de la femme algérienne d'aujourd'hui.

J'adresse enfin un remerciement spécial à ma famille,

à mon fils qui a patiemment suivi mon travail et partagé ses enjeux,

à mes parents qui m'ont encouragée dans la voie du savoir, et de la citoyenneté

à mes soeurs, pour leur aide et pour la reprise du flambeau dans la lutte quotidienne pour les droits des femmes algériennes.

Que tous mes professeurs, qui m`ont encouragée à devenir "actrice", trouvent ici toute notre gratitude, avec nos respects.

Je tiens à rendre hommage à toutes les femmes qui luttent pour leur émancipation, à celles qui militent contre l'oppression et pour la liberté ainsi qu'à toutes les femmes meurtries dans leurs chairs et leurs âmes pour que vive une ALGÉRIE démocrate et libérale.

À la mémoire de toutes les victimes de la barbarie islamiste-intégriste, à ces victimes qui ont refusé de changer leurs vies, de se taire, de faire entendre leurs voix, de haïr et qui ont continué à transmettre le savoir, à renoncer à abdiquer, à écrire pour dire leur détermination. Étudier, écrire et travailler pour dire non à la terreur, pour dire que l'Algérie est debout !

Liliane Mébarka.

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS

INTRODUCTION

I- CADRE DE LA RECHERCHE

II- PROBLÉMATIQUE

III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES

IV- INVESTIGATIONS

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE I : LA FEMME ET LES TEXTES

I- LA PLACE DE LA FEMME DANS L'ISLAM

II-LES SOURCES ET LES NORMES DE LA LOI ISLAMIQUE

III- LA FEMME ET LA LÉGISLATION DE LA FAMILLE

IV- LA CITOYENNETÉ DES FEMMES ET L'ÉGALITÉ DES DROITS

V-LE TRAITEMENT INEGAL DES FEMMES

VI-LA CITOYENNETE DES FEMMES ET L'EGALITE DES DROITS

VII-ACCÈS À L'ÉGALITÉ DES CHANCES : PARTICIPATION DES FEMMES

CHAPITRE II : SPHÈRE PRIVÉE / SPHÈRE PUBLIQUE

I- L'ESPACE PRIVÉ / L'ESPACE PUBLIC

II- LA PLACE DE LA FEMME DANS LA STRUCTURE FAMILIALE

III- LA FEMME ET LA SEXUALITÉ

IV- LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE PRIVÉ

CHAPITRE III : LES FEMMES ET LA SCOLARISATION

I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON ÉVOLUTION

II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE ALGÉRIENNE

III- L'ÉDUCATION DE LA GENT FÉMININE DEPUIS L'INDÉPENDANCE

IV- DIFFÉRENCIATION DES TAUX DE SCOLARISATION

V- QUELQUES DONNÉES EN COMPARAISON AVEC LES PAYS VOISINS

CHAPITRE IV : LA FEMME ET LE TRAVAIL

I- LA FEMME / LA SOCIÉTÉ ET LE TRAVAIL

II- LE TRAVAIL SALARIÉ FÉMININ ET SON ÉVOLUTION

III- LA VIE FAMILIALE DES ALGÉRIENNES SALARIÉES

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE I : LA GRANDE KABYLIE

I- LES BERBÈRES ET LA GRANDE KABYLIE

II- L'ACCULTURATION

III- LES REVENDICATIONS ET LA LANGUE

IV- LES FEMMES KABYLES

CHAPITRE II : TRAVAIL DE TERRAIN
I- MÉTHODOLOGIE

II- PRÉ-ENQUÊTE

III- REMARQUES SUR LES ENTRETIENS

CHAPITRE III : ENTRETIENS AVEC LES KABYLES

I- ENTRETIENS
II- POINTS DE VUE
III- SYNTHÈSE DES ENTRETIENS

IV- ANALYSE ET CONCLUSION

CONCLUSION GÉNÉRALE

I- RÉALITÉ ALGÉRIENNE

II- RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES

III- POÈME : SILENCE ET PAROLE

BIBLIOGRAPHIE

LEXIQUE

ANNEXES

I- ANNEXE 1 : LE CODE DE LA FAMILLE

II- ANNEXE 2 :

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

Aucun problème, à mon avis, n'a été aussi préoccupant que celui de la (d'une) femme, notamment dans les pays arabo-musulmans. Les problèmes énormes et intenses qu'elle avait suscités dépassent de loin en complexité tous les autres problèmes sociaux. Depuis des années, les femmes sont une cible privilégiée pour tous ceux qui militent en faveur de la régression sociale : pourfendeurs de la protection sociale et du service public, défenseurs de la natalité par le biais du mariage et de la constitution de familles stables, promoteurs de l'ordre social, partisans du retour au foyer, intégristes...

La femme algérienne cherche, revendique son identité et sa place dans la société en disant : "Je suis une personne à part entière...".

Je vais essayer de montrer, sans polémique, la réalité intrinsèque d'un problème qui ne se laisse réduire à aucun autre plus légitime : la frustration des femmes n'est pas seulement une invention de bourgeoises ou d'intégristes ; l'opposition des hommes à une libération (qualifiée d'excessive) est plus profonde et parfois plus généralisée qu'on ne le croit, elle établit l'exigence féminine comme une exigence autonome qui n'est pas seulement réductible à des exigences plus vastes, lutte de classes, lutte nationale, lutte anti-terroriste, lutte anti-impérialiste... ; non que celles-ci soient de simples prétextes et de faux-semblants, leur dominance a été amplement prouvée dans l'histoire et les femmes y participent à part entière mais reparaissent toujours en-dessous, insolites et gênantes, il y a l'autre lutte, c'est-à-dire celle des femmes cherchant à gagner leur reconnaissance par le monde des hommes.

On peut se demander pourquoi cette lutte est si difficile dans un pays qui tire son prestige de la libération, libération nationale vécue comme histoire toujours présente et libération sociale proposée comme projet à réaliser. Bien entendu, il y a des raisons pour que toutes les libérations soient solidaires mais, souvent, la libération (ou ce qui est vécu comme telle) dans un secteur de relations sociales s'accompagne du maintien de la répression dans un autre secteur, voire de

l'apparition d'une autre répression d'autant plus forte qu'elle est perçue comme naturelle ou même pas perçue du tout. Mais justement, la situation féminine ne fait plus partie de ces zones sociales obscures où la répression refoule les exigences avant même qu'elles aient eu le temps de se former.

Faut-il alors incriminer l'archaïsme des moeurs des populations rurales qu'il convient de moderniser vigoureusement comme la Charte Nationale ou le Code de la Famille y appellent fréquemment en divers domaines ? Seulement, il n'est pas sûr que le mode de vie urbain et moderne soit le facteur de libération en soi ; on peut vraiment se demander si n'importe quelle urbanisation, n'importe quelle modernisation favorisent une émancipation ; de bons exemples ne manquent pas pour montrer soit la (ré)activation de valeurs répressives de la part du monde des hommes, soit l'existence de conditions matérielles retirant les femmes du réseau de relations sociales rurales qui leur assurait un minimum de communications pour les enfermer dans des conditions modernes souvent plus sévères que les conditions traditionnelles.

Reste l'effet de la colonisation si fortement souligné par Frantz Fanon. Il est vrai que l'idéologie implicite du colonialisme (plus d'ailleurs que ses doctrines officielles) a considéré l'oppression féminine comme la marque essentielle de la religion musulmane et une excellente justification de l'oeuvre bienfaisante de la conquête. Tout ceci est assez comique pour qui a en mémoire la situation des femmes au sein d'une bonne partie du groupe colonisateur, mais il est, en tout état de cause, important de noter que cette idéologie implicite a produit chez le groupe colonisé un discours explicite qui en prenait exactement le contre-pied. Les rapports hommes-femmes y étaient présentés comme un aspect secondaire des problèmes assaillant la société algérienne et, d'ailleurs, ces rapports étant excellents, toute revendication à ce sujet ne pouvait être que bourgeoise ou étrangère au génie profond du peuple.

Ces explications ne me paraissent guère satisfaisantes pour rendre compte du décalage entre les valeurs affirmées par les décalages politiques et les réalités de la condition féminine quotidienne. On peut hasarder l'hypothèse que c'est justement le changement accéléré (éducation massive y compris des filles, exigences d'emplois et de biens de consommation ainsi que d'information, urbanisation, etc.) emportant une société faiblement bourgeoise (au double sens de citadine et capitaliste) qui explique les résistances au changement. L'ambitieuse aventure dans laquelle l'Algérie est engagée, du fait entre autres de ses paris industriels, ne peut qu'engendrer un sentiment d'angoisse et de crise d'identité, même et peut-être surtout chez ceux qui en bénéficient. Toutes les techniques de reproduction (famille, mariage, comportement envers la natalité et les enfants) vont tenter de se figer pour que demeure, quelque part, un terrain ferme sur lequel la société civile puisse s'enraciner.

Or, ces techniques apparaissent comme très fortement tributaires d'une famille élargie inadaptée aux conditions de la vie urbaine actuelle. La famille conçue comme une association volontaire d'individus égaux, telle qu'on l'observe dans les pays développés, est certes souhaitée à la fois par la société politique - qui y voit une garantie de régulation sociale en période d'intense changement - et par la société civile - qui y voit une solution idéalement économique à ses problèmes matériels - mais, comme toute cellule sociale, elle ne s'improvise pas aisément en l'absence d'une société citadine assez ancienne et assez forte pour en répandre le modèle. Ceci impose, par conséquent, au régime politique d'opérer des choix fermes sur les instruments capables de promouvoir le modèle de famille adapté aux exigences d'un développement socio-capitaliste. De ces instruments (qu'ils concernent la famille, les lois, la religion ou d'autres aspects de la situation féminine), j'ai essayé de montrer comment, en Algérie, on peut être une femme qui construit la société.

Il est évident que le militantisme assume un rôle important car il constitue, en fait, les moteurs de l'évolution de la société. Remettant en cause les idées reçues, les analyses banales qui guident l'action quotidienne de l'homme en font ressortir les éléments-clefs sur lesquels l'action humaine peut agir pour construire des lendemains à la mesure de l'homme. Pourquoi ne pas utiliser la scientificité pour une conceptualisation des interprétations ?

Une autre raison tient à certaines préoccupations en matière de développement : celle-ci dépend à la fois de l'intervention de l'État et de l'adhésion des populations ; or, celle-ci existe comme on l'a fort bien dit "lorsque la masse des adultes (hommes et femmes) éprouvent avec force le besoin d'améliorer leur condition d'existence et sont prêts à y consacrer leurs efforts".

L'importance du facteur psychologique de volonté de promouvoir le changement est reconnue par expérience comme jouant un rôle très important dans le développement. Or, il nous semble que les femmes très désireuses de sortir de leur condition effacée peuvent aider puissamment à créer cette volonté de développement. Pourquoi, dès lors, les maintenir dans un rôle subordonné et un statut d'infériorité qui ne peuvent que retarder l'adaptation aux impératifs du développement qui requiert que toutes les forces du pays soient mobilisées sur cet objectif ?

D'où les questions : pourquoi cette situation inadaptée concernant la population féminine ? Et éventuellement : comment la modifier ?

Une autre raison, plus personnelle et aussi lointaine dans le temps, m'a orientée vers ce thème d'étude : j'ai intimement connu un certain nombre de femmes qui ont pris une part active à la lutte de Libération à l'intérieur du pays comme à l'extérieur, les moudjahidates ou membres de l'organisation civile du Front de Libération National (aujourd'hui, certaines sont au foyer ou en exil, d'autres sont de ferventes militantes d'associations ou députées). Ces moudjahidates et militantes exprimaient, à l'époque, la façon dont elles voyaient l'avenir de l'Algérie après l'indépendance et, notamment, la transformation de la condition féminine qui, pensaient-elles, pouvait être déjà posée comme un fait acquis. Elles envisageaient, certes, la nécessaire éducation du milieu féminin mais n'évaluaient pas exactement la force des "coutumes et préjugés" et la pression sociale qui allaient se révéler, par la suite, des obstacles tellement forts à l'entrée des femmes dans la "cité".

Les responsabilités et initiatives à prendre avaient introduit un tel changement dans leur vie qu'il leur semblait qu'il en était ainsi pour l'ensemble des femmes, celles-ci ayant eu, à un titre ou à un autre, à faire face à des situations nouvelles du fait des bouleversements apportés par la guerre de Libération.

Or, j'ai dû constater que les femmes, dans l'Algérie indépendante, ont été peu à peu repoussées, pour la plupart, vers le monde privé et le rôle traditionnel de la femme limité au foyer... alors que, pourtant, pendant la lutte, certaines d'entre elles avaient participé pleinement aux affaires publiques à divers titres, même politiques.

D'où le désir de comprendre à quoi était due cette sorte de mise à l'écart ? De plus, la profonde insatisfaction éprouvée par beaucoup de femmes et due à cette situation de retrait engageait à rechercher les processus pouvant assurer le passage d'une structure sociale à une autre, plus favorable à une participation de l'ensemble des femmes et non seulement de quelques individualités (aujourd'hui, on les entend crier au scandale par rapport à la situation du pays).

Par ailleurs, si les femmes algériennes sont très fortement participantes à la réalité nationale puisqu'on les considère même comme gardiennes de ses valeurs profondes, dans quelle mesure sont-elles alors participantes à l'édification collective du pays et même aux décisions qui fixent leur destin personnel ? Également, sont-elles partie prenante au même titre que les hommes ? L'accès à la modernité, par exemple, n'est-il pas moins aisé pour elles ? Bénéficient-elles des progrès du développement au même titre qu'eux ? Quand je parle de participation, j'entends par là son apport au développement, donc le degré d'engagement des femmes et le degré de justice sociale à son égard.

I- CADRE DE LA RECHERCHE

L'objet de cette recherche est, d'abord, d'étudier l'application du Code de la Famille algérien sur la femme algérienne en Algérie. Plus largement, elle se propose d'analyser, à travers le parcours social de la femme algérienne, de sa condition, la relation de cette dernière avec le Code de la Famille et l'impact de cette application sur le processus de la construction sociale.

Mon but est également d'étudier les rôles actuels de la femme afin de tenter d'expliquer ses aspirations dans une société où deux modèles antithétiques sont en présence. Dans cette optique, il m'a, en effet, semblé important de m'intéresser aux rôles de sexes actuels en postulant que les aspirations sont déterminées par rapport aux rôles actuels (vécus ou attendus) et aussi par rapport aux conflits qu'ils engendrent en fonction du système de valeurs valorisé.

Ma recherche s'inscrit dans la lignée de la pensée des travaux menés par Simone De Beauvoir, Germaine Tillion et C. Camelleri 1(*) sur le changement socioculturel en Algérie et ceux dirigés par P. H. Chombart De Lawe 2(*) sur les transformations de l'environnement, des aspirations et des valeurs. D'autres auteurs m'ont interpellée, inspirée, questionnée comme Georges Devreux, Pierre Bourdieu, Alain Touraine, Malek Chebel, Tassadit Yacine, Monique Gadant pour qui j'ai une forte pensée  (grâce à ses écrits, elle nous replonge dans les années de Boumédiène ; dommage qu'elle ne puisse plus être parmi nous pour voir, peut-être, l'évolution de l'Algérie. Qu'elle repose en paix !) ...

A- CHOIX DU THÈME

L'intérêt suscité par la remontée de l'intégrisme pour la question de la femme en Islam et, surtout, son statut juridique a donné naissance à une multitude d'ouvrages sur la question. En 1981, Christiane Souriau qualifiait déjà cette bibliographie sur l'Islam d'impressionnante 3(*). De part et d'autre, la question de la femme cristallise les discussions et l'Islam se réduit à cette seule question. Les intégristes en font leur cheval de bataille contre les moeurs occidentales et entendent confiner la femme à la maison ou derrière un voile qui protège "l'honneur" de la société musulmane. L'Occident et les associations féminines crient à l'atteinte aux droits de la femme en mettant au devant de la scène la question du voile islamique.

Mon attention a été retenue par l'aspect juridique de la situation de la femme algérienne, notamment en Grande Kabylie où les traditions ancestrales l'emportent beaucoup plus sur l'application de la Charia ou du Code de la Famille que j'expliquerai dans ma recherche. Mon étude s'inscrit également dans un vaste processus de conscientisation qui est le préalable à toute libération. Il s'agit de l'immense monde féminin, cette "dernière colonie de l'homme" 4(*), et, plus précisément, de la femme kabyle, algérienne, qui, s'il existe une échelle d'évaluation des libertés, serait assurément située bien bas.

Les musulmans (surtout les intégristes) veulent voiler la femme pour ne pas la dévoiler. Pourquoi ?

Aborder la société algérienne par le biais du voilement et du dévoilement de la femme est assez délicat et nous renvoie à plusieurs thèmes : à l'histoire, à l'Islam, à la famille, à l'espace privé et à l'espace public... Il s'agit, en l'occurrence, de l'angoisse du chercheur face à un matériel dont le questionnement renvoie à soi. C'est ce que G. Devreux désigne sous le terme de "contre-transfert social".

Dévoiler les femme algériennes et, par extension, les Kabyles, est une démarche qui n'est pas aisée pour une Algérienne en France quand on connaît le rôle qu'a joué le voile durant la colonisation et toute la stratégie élaborée par le colonisateur pour déchirer le voile, pénétrer le monde des femmes et les attirer à l'extérieur; ayant compris que s'il arrivait à les dévoiler, il réaliserait sa victoire définitive réfractaire à toute pénétration étrangère.

Cette première mise à distance a permis l'émergence d'un questionnement sur la femme et le processus de son existence et de sa construction comme corollaire pour être un point d'étude d'une thèse de troisième cycle. 

Un autre aspect a attiré mon attention car on n'a jamais autant parlé de langues et d'identités en Algérie qu'aujourd'hui, notamment en Kabylie. Pourquoi donc cette problématique revêt-elle une acuité particulière dans cette région ? Sans doute parce que des crises majeures s'y manifestent et mettent en question la légitimité d'une affirmation identitaire monovalente dont le contenu est uniformément universel. Crise de l'État-Nation-Parti qui n'est pas en mesure d'offrir un langage cohérent à ses citoyens et de leur garantir une certaine modernité. Crise de la modernité elle-même, laquelle est mise en cause par certains en raison de son caractère étranger et, enfin, crise des sexes où l'émancipation féminine interpelle l'identité masculine. À ces multiples formes de crise, s'ajoutent des mutations sociales fulgurantes qui, en bousculant certaines traditions, constituent une forme de crise.

Ces crises ont incontestablement des effets perturbateurs. Comment ne pas constater qu'elles ont des répercussions sur la conception de l'identité ? Comment ne pas comprendre qu'on s'accroche davantage à la vision homogénéisante et uniformisante de la langue ? Dans un contexte où l'on confond, voire où l'on feint de confondre unité/unicité, universalité/uniformité et langue unique/langue commune, tout ce qui est de l'ordre de la différence est plutôt bâillonné.

1- RAISONS PERSONNELLES

Le choix du sujet de cette thèse est dû à mon propre parcours. Les réflexions sur ma vie passée me viennent en tête : jusqu'où est allé mon engagement de mère, de militante, d'enseignante et de femme algérienne ? Qu'ai-je réellement fait pour mon pays, ma famille, pour l'école et pour les femmes en étant militante des droits des femmes ? Quel est le moteur de ma vie et quel fil conducteur relie mes actions aujourd'hui? Je ne peux que m'interroger...

Je fus marquée par une double éducation religieuse : musulmane et chrétienne. Un point commun reliait celles-ci : le dévouement, l'amour de son prochain, la justice... On me rappelait aussi trop souvent ma position en tant que fille, femme et épouse (avec les contraintes dues au sexe dit "faible"). Si je respectais ces enseignements, je n'en étais pas moins révoltée, je sentais à quel point mon statut de femme me couperait "les ailes".

J'ai vécu ma vie d'étudiante dans une certaine gaieté, un désir de connaissances malgré un rejet progressif du religieux (ayant une double culture franco-berbère). À cette époque, il m'est apparu, dans ma culture, l'inégalité flagrante entre les sexes, femme j'étais... et femme je resterais et je devrais me battre. Je sentais que le combat serait rude et l'avenir me l'a, hélas !, démontré mille fois...

Un fait marquant dans ma vie : mon divorce. À partir de cette période, j'ai réellement pris conscience du Code de la Famille : je l'ai subi ! J'ai enfin réalisé que, toute ma vie, je serai mineure pour la société algérienne. Depuis, j'ai voulu bouleverser le monde en m'engageant dans le monde associatif pour les droits des femmes...

Je me questionne en disant : est-il possible de mener à bien mon sujet de thèse en fonction de mes acquis, de mes préoccupations et des grandes lignes de mes réflexions  ? Quelles sont mes implications ?

Il est, en effet, intéressant et difficile de construire un espace de théories permettant, le temps d'une distance salutaire, de comprendre pour soi et avec les autres, les enjeux d'un engagement, d'une lutte et des échanges.

Au-delà de ma volonté amenée par tout ce qui la précède (une histoire, une expérience, des drames, des événements), au-delà d'un voeu ouvert sur l'avenir, il me reste un thème qui me tient à coeur : celui des femmes ; lucidement, patiemment, il a pris le prétexte d'une démarche universitaire pour travailler mes implications, disons plutôt ma façon d'être.

Il me semble que l'analyse de ses propres implications est un bon antidote au volontarisme borné exigé par toute une armée d'experts et de technocrates ; elle permet d'accéder à une compréhension de ses engagements, eux-mêmes liés à des positions, à des statuts, à des appartenances multiples, dans des contextes sociaux qui n'inscrivent pas leurs actes dans la durée du projet ou qui rejettent purement ; elle invite à réfléchir sur la "conséquence de ses actes".

Mon travail n'est pas facile car il suppose que nous nous attaquons à des routines ou que nous dénonçons ce qui existe. Or, c'est quand on commence à dénoncer les allants de soi, à dévoiler les "non-dit" que la lutte s'incarne et prend corps. Encore faut-il que notre lutte soit mise en perspective pour la penser et en tirer, pour soi et pour les autres, les conséquences (recherche impliquée).

J'ai essayé de montrer qu'il n'y a pas de lutte ex-nihilo. La lutte nous fait prendre la mesure souvent douloureuse du politique et de l'institution. Il n'y a pas d'inscription en dehors des institutions. À cet égard et pour cause, ma thèse est pleine d'institutions de toutes sortes : l'institution du mariage, de la famille, l'institution religieuse, la langue, l'État, l'école... Par sensibilité, c'est cette dimension qui m'a frappée dans mon parcours, dans celui des autres femmes avec lesquelles j'ai eu des entretiens ou que j'ai connues, comme si les institutions, celles qui nous ont façonnées et qui façonnent le destin, imposaient la nécessité de mieux connaître, à travers mon histoire et mon expérience, comme celles des femmes algériennes.

Mais, du coup et dans le même temps, on peut se demander s'il est possible de découvrir l'institution autrement que par "affrontement" ? Et, à partir de son expérience, peut-on élucider de manière abstraite, désincarnée, par un acte de connaissance objective et rationnelle ? Peut-on analyser les institutions sans agir et "militer" ? Mais alors, qu'est-ce que militer ? Qu'est-ce que l'analyse militante ? Est-ce une forme d'analyse qui, loin de s'aveugler elle-même (totalitarisme, volontarisme) en procédant par affirmations / réductions, introduirait de la relativité, de l'intelligence, de la conscience et finalement de la démocratie ? Voilà d'autres questions que je me pose dans le cadre de ma recherche.

S'agissant de ces dimensions, l'historien Pierre Nora écrivait que :

"Aucune activité intellectuelle n'est sans doute aussi dépendante que l'histoire des raisons qui poussent à s'y intéresser, des conditions de son élaboration, de ses lieux d'épanouissement, des circonstances, de sa production, de ses enracinements psychiques et biographiques".

Très jeune, je ne comprenais pas pourquoi les femmes se voilaient lorsqu'elles sortaient ? Pourquoi les hommes les dévoilaient dans la rue ? Une de mes soeurs avait une institutrice qui se voilait, arrivée à l'intérieur de l'école, c'était une autre femme ! À mon interrogatoire, elle m'a répondu que "c'était la tradition, pour ne pas attirer les hommes ; pour son mari : c'était le voile et le travail ou la maison...". Pourquoi se voilent-elles pour se rendre sur l'espace public ?

Dans cette distance extérieure, le voilement et le dévoilement de la femme algérienne s'imposent comme un phénomène dont le mouvement est en relation avec les grandes ruptures d'équilibre social. Chaque fois qu'il y a une rupture dans la continuité de l'histoire telle que la colonisation ou la décolonisation, le renversement d'un État, la révolution islamique, il y a un retentissement au niveau de la femme. Certains vont la voiler, d'autres vont la dévoiler. À quel moment intervient l'une ou l'autre séquence ? Quel est la fonction et le sens de ce phénomène ? Je crois que le voilement de la femme a un sens caché, occulte et, précisément pour cela, important.

Le voile dans la société algérienne, et musulmane en général, fait partie d'un système cohérent. Y toucher, le questionner implique le questionnement de la structure d'ensemble qui le sous-tend et, par conséquent, exige du chercheur le recours aussi bien à la dimension historique que sociologique. Je suis, me semble-t-il en présence d'un fait social total au sens où l'entend Marcel Mauss 5(*).

L'élément féminin dans les sociétés musulmanes, par son caractère caché, occulte, voilé, infiltre tout l'ensemble et apparaît en filigrane aussi bien dans le comportement quotidien du particulier - son honneur et sa dignité sont largement tributaires du comportement de ses femmes (sa femme, ses filles, ses soeurs, ses cousines...) qui peuvent l'élever aux yeux de la société par un comportement fait de

réserve et d'effacement ou le rabaisser en contrevenant aux coutumes - que dans les décisions prises à l'échelle nationale, en effet, malgré les options modernistes des gouvernants, leur silence ou leur malaise dans le traitement de toute question concernant la multiplicité de ses incidences.

La femme semble détenir ou être garante de l'honneur de la nation, de la société ou tout simplement de la famille. Dès lors, son immobilisation ou son voilement devient une nécessité car, dès qu'elle bouge, elle menace les valeurs ancestrales qui constituent le groupe. Pour comprendre le voilement, il va falloir "dénuder les fondations de notre propre société. Il est présent dans la structure même de cette société endogame et tribale" 6(*).

Est-ce que le voilement ou le dévoilement est un véritable problème qui mérite réflexion ou n'est-ce qu'une gageure, conséquence de notre occidentalisation? La femme algérienne peut-elle être autrement que voilée actuellement et, après tout, ne serait-elle pas qu'un vestige de l'Histoire de la femme, un mouvement attardé lié à notre sous-développement ? Il n'y avait donc plus qu'à laisser faire l'histoire et les choses suivront inéluctablement leurs cours vers une évolution pleine et complète de la femme comme partout ailleurs.

Mais, si je reprends ce qu'a écrit Germaine Tillion sur cette société, je me rends compte, encore une fois, que ce n'est qu'un refus déguisé d'aborder le sujet, et ceci est en rapport avec toute l'angoisse qui lui est liée :

"N'oublions pas que l'évolution urbaine est plus ancienne dans le levant méditerranéen que partout ailleurs...depuis le néolithique" 7(*).

"Si, d'un côté, l'Algérie socialiste avec ses plans d'industrialisations lourdes... vers l'avenir, l'Algérie islamique, par contre, regarde vers le passé pour renforcer les traditions arabes : les femmes actuellement encouragées à porter le voile pour bien marquer l'intention de l'Algérie de vouloir choisir une voie de développement qui ne soit pas entachée d'occidentalisme" 8(*).

Une société des plus avancées s'est figée, sous quelle fascination ou quelle emprise ? Mon objectif n'est pas d'approfondir l'origine de la stagnation, ni les multiples facteurs qui sont nécessairement entrés en jeu. Je limiterai mon étude à l'élucidation d'une de ces causes de retard qui est, à mon sens, la mise à l'écart de la moitié féminine de la population. Cette mise à l'écart se traduit par la persistance du voile qui, à lui seul, suffit à caractériser la société musulmane comme étant celle qui voile ses femmes.

Le voile n'est-il pas une forme d'identité nationale ? Qu'est ce qu'une identité féminine ou des identités ?

Pour un pays nouvellement indépendant, la définition ou la redéfinition d'une identité nationale ne va pas de soi sur le plan idéologique comme sur le plan existentiel, quelles que soient les proclamations officielles qui se veulent contradictoires. Aussi, les mots qui servent à dire l'appartenance ethnique, l'appartenance culturelle, l'appartenance nationale, sont-ils un des lieux privilégiés de figements identitaires, d'ambiguïtés et de conflits sur le sens, reconduits consciemment ou non dans les productions discursives ? Repérables dans les textes fondateurs de l'État qui vient de se constituer, ces antagonistes, feutrés à l'écrit, s'exhibent ouvertement en interaction verbale dans les propos de la vie quotidienne. Ils perturbent fortement le déroulement du dire lorsque des interlocutrices sont sollicitées pour parler de ce sujet brûlant.

Dans l'Algérie d'aujourd'hui, plus de trente ans après l'indépendance, la question du contenu de l'identité nationale se pose en termes d'urgence existentielle. Les tensions politiques récentes que connaît ce pays exacerbent le malaise. Les entretiens que j'ai conduits ont pour objet de cerner les difficultés éprouvées par des locutrices pour parler de leur algérianité. Par rapport à quelles mêmes et à quelles autres sont-elles en mesure de se positionner lorsqu'elles se proposent de mettre en mots ce que signifie pour elles : "être algérienne, une femme" ? Dans un débat de ce type, je suis directement impliquée.

Il est important de souligner que la situation linguistique (arabe - kabyle - français) actuelle de l'Algérie, tiraillée entre une politique unificatrice volontariste et une réalité plurielle, est une des causes majeures des distorsions qui m'ont amenée à constater des revendications légitimes. Dans ces conditions, il est à la fois difficile et périlleux de se positionner dans sa parole, ses mêmes et ses autres tout autant que de se positionner soi-même, en tant que même et en tant qu'autre. Parmi les interlocutrices interviewées, certaines vivent dans une impasse, prises entre une pluralité impossible à assumer et une unicité impossible à vivre.

Après avoir pris du recul dans mon engagement avec mon pays et avec les associations féminines pour l'abrogation du Code de la Famille, je me pose beaucoup de questions sur le choix du thème de ma thèse : Qu'est-ce que je recherche et qu'est-ce que je ne connaisse pas ? Qu'est-ce qui est pertinent pour ma recherche ? J'ai trouvé opportun de définir, dans un premier temps, les notions qui existent dans le sujet énoncé. Quels sens et quelles représentations que je donne à chaque terme de ce sujet d'étude ?

2- QU'EST-CE QU'ÊTRE UNE FEMME EN ALGÉRIE ?

C'est quoi être une femme ? Ce n'est pas la même chose si je dis c'est quoi être femme ? "Être une femme", expression dans ma langue maternelle qui veut dire qu'on est bien sûr de sexe féminin mais également une femme capable d'assumer son rôle de femme, être capable d'affronter le monde extérieur, de concilier travail domestique et travail rémunéré, être capable de remplacer un chef de famille dans plusieurs domaines sans oublier la protection de "son honneur et du nom qu'on porte".

Être une femme veut également dire qu'on peut remplacer un homme : être dedans et dehors. L'expression utilisée également dans ce pays est "une femme et demi" pour exprimer la comparaison avec l'homme. Dans ces termes, cela me renvoie à plusieurs domaines concernant l'inégalité et la différence (des sexes, des chances, des positions...). L'inégalité et la différence engendrent des processus dans la construction sociale.

ÊTRE : je le définis comme exister, être reconnu, être présent, c'est le moi et le nous. Tout cela me conduit à définir les concepts de l'identité, de soi, de la tradition/modernité, du matriarcat/patriarcat... Mon sujet me renvoie également à l'oeuvre de Simone de Beauvoir, "Le deuxième sexe", j'adhère à ce qu'elle énonce et où je me reconnais dans ma prise de conscience et de la définition de l'être.

La femme est un être de culture entièrement façonné par son éducation. N'est-elle pas la semblable de l'homme qu'il convient de traiter comme compagne ? Ou bien est-elle toujours l'autre, marquée de l'indestructible signe de la différence qui suscite, d'abord de la part de l'homme, le désir et la crainte ? Dans un cas, l'égalité va de soi, mais dans le second, elle est plus difficile à réaliser. L'égalité reconnue et acceptée est plus une belle idée mais n'est-elle pas aussi une utopie? La différence fait mauvais ménage avec l'égalité. Qu'on déplore ou non, elle s'accompagne dans nos esprits d'une évaluation marquée des signes "plus et moins". Et comme l'homme a toujours été regardé comme étalon-or de l'humanité, la femme, considérée dans son altérité, n'a pas cessé de souffrir.

C'est dire à quel point la définition de la femme est lourde de conséquences psychologiques et sociales, morales et politiques. Selon que l'on accorde la prééminence à la nature et à la physiologie ou à la culture et à l'éducation, c'est le statut des femmes qui change du tout au tout. Il n'y va pas seulement de leur bonheur et de leur destin mais aussi, inséparables, de leur être et de leur reconnaissance.

Depuis des millénaires, l'histoire des femmes est jalonnée par toutes les injustices que l'oppression des hommes a pesé sur elles. Les hommes de bonne foi ne le nient pas mais cela n'implique pas qu'ils puissent être objectifs.

L'ALGÉRIE, c'est mon pays, ma patrie, je suis citoyenne de cette contrée, de cette partie du continent africain. Ma citoyenneté n'est pas reconnue comme elle devrait l'être, dans le sens profond de sa définition. Comment est-on citoyen? Comment le devient-on ? Comment définit-on la citoyenneté dans un pays en quête d'identité, à la recherche d'un changement politique, de mentalités et de démocratie ? Je reste très attachée à cette partie de la terre avec toutes ses valeurs, sa beauté, ses paradoxes et ses contradictions. L'Algérie... Proche... Liens d'amour et de haine qui nous unissent à jamais (Français et Algériens). Aujourd'hui et depuis plus de quatre générations, nos parents, nos collègues, nos amis, nos amours ont été confrontés à la traversée de la Méditerranée. Les douleurs, les impasses, les violences, les espoirs et les plaisirs d'ici et de là-bas passent par la mer et se rejoignent. Ces allers - retours sont ferments de luttes et d'échanges.

3- CONSTRUCTION SOCIALE

Comment construit-on une société ? Quels sont les éléments qui régissent une société ? Comment une femme peut-elle oeuvrer pour la construction de sa société ? Qu'est-ce qu'une construction sociale, comment la définit-on ?

Des initiatives collectives de femmes (les associations de femmes comme Femmes en Détresse, Femmes Démocrates Algériennes, Mouvement National des Femmes Rurales, Comité National des Associations s'occupant de la Famille, etc.), dont les buts consistent dans le changement de l'environnement social et culturel où elles vivent, sont des composantes essentielles de la situation féminine. Ces initiatives sont révélatrices de la résistance que les femmes algériennes exercent pour affirmer leur subjectivité par rapport à la domination masculine qui se sert de la religion, de la culture traditionnelle et de certains repères de la rationalisation occidentale pour les inférioriser par rapport aux hommes.

Elles sont aussi révélatrices de la capacité des femmes de formuler des projets d'amélioration de leur situation, de poursuivre des objectifs pour changer leur condition et même de préfigurer des alternatives individuelles et collectives à la domination dont elles essaient de se libérer. Ces initiatives ont pour rôle d'assurer la défense de la spécificité féminine qui résiste à l'emprise masculine sur la vie sociale. Elles ont aussi pour tâche la poursuite de certains changements sociaux et culturels qui pourraient permettre d'assurer aux femmes cette défense face à la tradition.

Cependant, le problème du dépassement de cette tradition ne trouve pas sa solution dans la poursuite d'une rationalisation de la vie sociale inspirée du modèle occidental qui peut être source d'autres formes de domination, différentes des formes traditionnelles mais non pour autant négligeables.

Les initiatives collectives sont les moyens les plus directs qui permettent aux femmes d'intervenir sur plusieurs aspects et à des différents niveaux de la vie sociale (le Code de la Famille, droit au logement et au travail...). Elles leur permettent de revendiquer l'amélioration de leurs conditions dans le contexte "du cadre normatif qui règle l'organisation sociale où les rapports d'autorité sont cachés par la prééminence des modèles de relations humaines indépendantes" 9(*).

La construction de la société ne peut se faire sans mouvement. Les femmes algériennes considèrent que le mouvement ne peut exister sans une société civile laquelle ne peut se construire en suivant les modèles occidentaux de la modernité, de la rationalisation de l'économie et de la politique. Elles abordent, de cette manière, la question de la difficulté d'adopter ce modèle lui aussi en crise. Cette crise se répercute aujourd'hui dans des aspects importants tels celui de la définition des voies de développement et de la construction de la nation qui est en crise parce que cette entité n'est plus un organisme susceptible d'intégrer les différents intérêts dans une perspective de progrès et d'amélioration de la vie collective de la population du territoire. La crise, dans tous ses aspects, touche également la dignité des femmes, l'identité nationale et la mobilisation des ressources...

La modernité caractérisée par la rationalisation voulue comme prédominante dans la formation de la vie sociale est en crise. La construction d'un mouvement en Algérie ne peut que tenir compte de cette crise quand il se situe dans le contexte de la construction civile ; une construction qui a commencé réellement depuis seulement une douzaine d'années et qui a eu le féminisme comme l'un de ses protagonistes. La guerre de libération n'a pas permis aux femmes de se construire et de s'imposer après l'indépendance (malgré leur participation). Le syndicalisme n'a pas été, pour sa part, un autre protagoniste de cette construction.

Aujourd'hui, par ailleurs, la situation a changé par rapport à la situation initiale parce que d'autres acteurs sociaux (associations, partis politiques démocrates, artistes, journalistes, écrivains...) interviennent aussi dans cette construction. Celle-ci se définit, en effet, d'une manière plus explicite qu'auparavant car des acteurs sociaux, ayant comme contexte de leur formation l'appareil d'État, se constituent aussi du côté dirigeant. Ces acteurs sont bien représentés (autrefois militants dans la clandestinité ou ayant fait de la prison pour outrage à l'État) par certains des interlocuteurs. Ce sont des dirigeants qui commencent à agir comme acteurs sociaux tout en restant liés à l'État et à la responsabilité de poursuivre ses politiques. Ces acteurs sont des constructeurs de la société civile comme le sont également les acteurs populaires.

C'est ainsi qu'a commencé la construction de la société civile en Algérie. Elle est l'oeuvre d'acteurs collectifs (les différents soulèvements des jeunes et des femmes en 1980 et le 05 octobre 1988) dirigeant (création du multipartisme en 1989) et appartenant au peuple qui ont commencé à ouvrir le champ des rapports sociaux et à construire des actions modernisatrices ainsi que des conflits (les partis islamiques comme le F.I.S.) qui ont poussé l'État algérien a apporter des modifications dans sa Constitution et à continuer à se concerter pour amender et abroger le Code de la Famille.

En effet, les actions des mouvements de femmes ont commencé à définir la construction de cette société civile par la lutte pour l'abrogation du Code de la Famille. Elles l'ont fait d'une manière originale en suscitant la question de la naissance d'acteurs sociaux autonomes mais aussi celle du rapport à établir entre les composantes de la vie civile d'une société qui, à leur avis, n'était pas simplement à moderniser. Le mouvement des femmes avait, en effet, nié l'existence d'une exclusivité du contenu de la modernisation, les femmes se sont focalisées sur le Code de la Famille qu'elles trouvent infâme, archaïque et préhistorique.

Au temps du féminisme, l'action de l'U.N.F.A. (qui était membre du F.L.N., Parti unique de l'Algérie de 1962-1987) ne se limitait pas, par ailleurs, à poursuivre des alternatives aux archaïsmes. Cette action était, au contraire, soucieuse d'entreprendre des chemins pour indiquer le contenu autonome d'une culture féminine susceptible de représenter des alternatives à la domination exercée sur les femmes. Ces alternatives n'auraient pas dû être assimilables aux acquis ni aux projets de modernisation favorables aux femmes (comme le stipule la Constitution et la Charte Nationale : l'école obligatoire pour tous, l'égalité au travail...). Elles auraient dû, en effet, se distinguer de cette modernisation que les femmes ne voulaient pas récuser mais qu'elles proposaient de dépasser.

Un tel dépassement aurait dû permettre aux femmes de poursuivre, de façon autonome, leurs objectifs de construction d'une nouvelle société où la ségrégation féminine ne serait plus qu'un souvenir mais il s'agissait de construire leur vie en valorisant leurs connotations culturelles qui sont différentes de celles des hommes, il s'agissait de poursuivre ce projet dans un contexte qui aurait conduit à l'ouverture de la construction d'une société civile en Algérie.

La tentative de relance (depuis 1989) du projet de construction sociale (abrogation du Code de la Famille, refonte du système scolaire, de l'appareil judiciaire, du système économique... ) se retrouve, en effet, face à deux questions. La première est celle d'un pouvoir politique qui n'a pas abandonné ses méthodes répressives. La deuxième est celle des dangers venant d'une fermeture culturelle exprimée par l'intégrisme pour échapper à la domination occidentale et tenter de construire une certaine cohérence là ou surgissent les incohérences de la crise des anciennes perspectives de la modernisation.

En effet, cette tentative de relance du mouvement des femmes (l'U.N.F.A. a été écartée et de nouvelles associations de femmes sont sur le terrain) ne se trouve pas seulement confrontée aux problèmes qui surgissent dans le contexte local (terrorisme, abus de pouvoir, problèmes économiques, système scolaire malade...), elle doit aussi tenir compte du contexte de globalisation de la société qui oblige le mouvement à faire face à la domination de ceux qui contrôlent les traitements et la diffusion des informations (Gouvernement, intégristes... ).

La construction du mouvement des femmes se réfère à la fois à la définition de la spécificité féminine dans le contexte de la formation de la société civile en Algérie et à l'affirmation de la particularité culturelle algérienne. Cette dernière surgit, pour sa part, comme une question importante au moment de la crise du modèle classique de la modernisation universaliste et face à l'emprise des contrôleurs du traitement et de la diffusion des informations sur la vie sociale qui se globalise.

Le mouvement des femmes (les militantes des droits des femmes) pense que la construction de la société civile ne peut se faire sans la formation de relations entre les acteurs qui définissent et contrôlent l'espace autonome de leurs confrontations sociales. De cette manière, toutes les femmes sollicitées ou interrogées ont des positions convergentes sur cette question de la construction de la société civile. Il n'en est pas de même lorsqu'elles abordent la question des relations à construire entre la spécificité féminine et la particularité culturelle algérienne dans le contexte de globalisation de la vie sociale. Elles font face à différentes questions et à des thèmes liés au Code de la Famille, à la question de la religion (situation oblige : le F.I.S., le HAMAS, la NAHDA, le terrorisme...), à la démocratie, au culturel (la revendication berbère), à l'éducation et à l'économique (travail, adhésion à la politique...).

La convergence autour de la question de la construction de la société civile n'empêche pas l'apparition de différences importantes au sein des femmes. En effet, chacune accorde une priorité à celle définie par les autres. Par conséquent, la relance de l'action des femmes se développe par une convergence entre les positions des composantes (sociale, politique, culturelle, universalisme) qui restent différentes entre elles.

Certaines femmes rencontrées et interviewées sont soucieuses de relier l'universalisme à la spécificité culturelle locale, tout au moins à la spécificité algérienne si ce n'est à la spécificité arabo-musulmane. Cette exigence est ressentie d'autant plus que la rupture qui avait été exercée par les premières féministes face aux traditions culturelles algériennes, arabes et même musulmanes n'intéressent plus les nouvelles générations de filles... Certaines femmes essaient de construire et de maîtriser un rapport entre la modernisation de leur comportement et la tradition, dans la conduite en famille comme dans leurs relations sociales plus larges.

Des chercheurs et des universitaires algériens travaillent sur des notions scientifiquement universelles mais cela n'empêche pas qu'elles prennent une signification différente de part et d'autre de la Méditerranée. Par exemple, quand ces femmes parlent de subjectivation, elles voient la référence du Nord mais elles voient aussi qu'en Algérie, cela les pousse à avoir une réaction qui est celle de dire qu'elles en ont assez de cette dimension, que c'est peut-être celle qui les a étouffées en plus de la Charia. Elles pensent qu'elles n'avanceront pas en utilisant des formules qui n'ont pas le même contenu, la même définition.

E.F.(*) , professeur à l'université d'Alger dit que l'universalisme est en crise en Occident, mais cette crise est aussi alimentée par ce qui se passe en Algérie et dans les pays où l'intégrisme se manifeste. Est-ce que l'Algérie passera par une étape historique où l'universalisme triomphera pour pouvoir un jour être en mesure de voir ses limites, ses défauts ? Ou, comme elle souligne : " Mais il n'y a pas de segmentation du monde.... (...), nous la vivons d'une manière ou d'une autre. Alors, tout le monde est concerné... Car, bien que le choix universaliste ne conduise pas une femme à renier la spécificité féminine, il la détache de la culture locale et des implications subjectives qu'elle peut avoir auprès des femmes. Au contraire, l'enfermement dans la culture locale pourrait conduire les actions à se bloquer et à rester coincées dans le piège du traditionalisme et de la ségrégation de la femme.

(...) L'Europe est arrivée à l'universalisme essentiellement à travers le rationalisme...(...). Il y a eu dans la civilisation arabo-musulmane le mouvement humaniste des Mo`tazilas qui a reconsidéré la raison humaine par rapport au sacré. Par exemple, ils se sont attaqués aux problèmes du Coran. Ils ont dit que ce n'était pas une parole éternelle mais quelque chose qui se soumet au temps et à l'espace.

La modernité est la seule voie possible. Une fois cette démarche adoptée, là on pourra poser tous les problèmes de la spécificité algérienne et celle des femmes en étant plus à l'aise. D'autant plus qu'il n'y a pas, de ce point de vue, de véritable dualité entre spécificité et universalisme. La spécificité culturelle algérienne peut se combiner avec le rationalisme et l'universalisme. Ce que veulent les femmes, ce n'est pas un compromis ou un simple mélange entre spécificité et universalisme. Il s'agit, plutôt, d'une démarche.

Le rapport entre spécificité et universalisme, qui est à la base du modèle des explications des actions des femmes et des définitions, se définit ainsi. Cette explication consiste à dire que le propre du mouvement des femmes algériennes est de s'opposer à une modernisation imposée et à une tradition obscurantiste. L'opposition à cette modernisation découle de l'exigence même de construire l'autonomie d'un acteur social face à un État volontariste qui veille à maintenir le contrôle du processus de développement.

L'opposition à la tradition est celle qui vise à combattre l'infériorisation consacrée par le biais des interprétations conservatrices de la religion et de la femme dans la société algérienne et arabo-musulmane en général. Cette opposition à l'obscurantisme définit, par ailleurs, la différence qui passe entre la référence aux particularités féminines et algériennes et l'enfermement dans le fondement de la tradition. Cette référence veut être, en effet, un instrument de la résistance à exercer contre les impositions culturelles venant de la modernisation classique mais aussi contre les impositions par les acteurs dirigeants qui contrôlent tout dans le contexte de la globalisation de la vie sociale actuelle.

Le propre du mouvement des femmes (associations, comités, indépendantes, etc.) n'est pas seulement de poursuivre une telle opposition culturelle. Il consiste aussi dans la construction d'un projet d'alternative culturelle consacré aux perspectives d'avancement de la femme dans la société algérienne et arabo-musulmane. Ce projet couvre trois aspects principaux de l'action des femmes.

q Le premier consiste à l'abrogation du Code de la Famille afin que la femme soit une femme, une personne majeure responsable de ses actes, avec des droits, citoyenne à part entière, il lui permettra la construction d'un acteur collectif féminin capable d'intervenir dans la construction de la société.

q Le deuxième concerne la formation d'une action capable d'intervenir dans la construction de nouveaux circuits institutionnels permettant de parvenir à la confrontation entre les intérêts et les propositions culturelles d'acteurs dirigeants et populaires parmi lesquels les femmes considèrent avoir leur place.

q Le troisième concerne la construction et la maîtrise d'une relation entre spécificité féminine, spécificité culturelle algérienne et universalisme. Une construction et une maîtrise nécessaires si l'on veut atteindre l'objectif de l'affirmation des femmes dans la société où elles ne seront pas soumises aux hommes et où elles pourront poursuivre la formation de leur action par une voie culturelle autonome et par la voie de la démocratie et de la liberté.

La construction sociale en Algérie passera par le mouvement des femmes et de toute la société civile. La construction du mouvement des femmes en Algérie a traversé plusieurs passages. Le premier a été celui lié à la libération nationale, le deuxième celui de la tentative de développement commencée avec la décolonisation, et le troisième a été celui de la construction d'une action autonome des femmes au cours des années quatre vingt. Dans cette avant-dernière période, l'action des femmes a été la base de la formation de l'un des acteurs qui a commencé avec le syndicalisme et qui est arrivé, aussi avec des acteurs dirigeants (partis politiques militants dans la clandestinité jusqu'à 1989), à la construction d'une première ébauche de société civile.

Par la suite, ce mouvement de femmes s'est transformé en associations autonomes et en réseaux de relations entre anciennes militantes. Ensemble, aujourd'hui, elles tentent de maintenir une relance commune de revendications, de transformations face aux changements dans la vie sociale du pays malgré les oppositions de certaines femmes musulmanes intégristes. Toutes ces femmes solidaires sont aussi directement impliquées dans la définition des contenus de l'antagonisme culturel de l'action qui consistent dans la poursuite de l'affirmation de l'autonomie féminine face à la prédominance masculine dans la tradition mais aussi dans la modernisation de la vie sociale.

Aujourd'hui, malgré les convergences, les dangers qu'elles encourent avec l'intégrisme (menaces de mort, enlèvements, viols, tortures, assassinats...), toutes les femmes veulent construire la société chacune à sa manière, touchées dans leur dignité, leur amour propre et leur chair : elles veulent le changement en bravant les interdits et les tabous... !

4- LA RÉSISTANCE DU CODE DE LA FAMILLE AU CHANGEMENT

Le Code de la Famille en Algérie, mais aussi dans la plupart des pays islamiques, est resté le seul domaine qui échappe au droit moderne et où le droit musulman subsiste encore et conserve son empire.

"Les continents délaissés par la loi de l'Islam au cours du XIX ème et du XX ème siècles ne se comptent plus ... le droit musulman a été évincé selon un processus qui a pu varier ... qui a abouti à la consécration d'un droit moderne" 10(*).

Pourquoi l'Islam, qui a pourtant délaissé les autres domaines de droit, persiste-t-il à trouver dans le statut personnel son dernier refuge ? Car si le fondamentalisme durcit son langage envers les femmes, le discours religieux officiel n'est guère différent à ce niveau-là. Si, socialement, il y a une certaine tolérance due plus aux changements économiques qu'à une réelle volonté d'améliorer la situation de la femme, la situation juridique de la femme ne résulte pas du discours intégriste mais trouve ses assises dans les textes du Code de la Famille né après l'indépendance et qui n'a subi aucun changement. Les dernières réformes apportées au Code de la Famille enregistrent un pas timide vers l'amélioration du statut de la femme mais il n'y a toujours pas la volonté politique affirmée pour que la femme soit égale en droit à l'homme.

Beaucoup d'études se sont intéressées au code du statut personnel, notamment, de la femme musulmane. Il nous a semblé donc important d'étudier comment est résolue la contradiction entre un droit algérien où la femme a un statut dépendant de celui du Coran et une pratique judiciaire algérienne où l'égalité de l'homme et de la femme est un principe fondamental du Coran.

5- LE JURIDIQUE COMME MOYEN DE LUTTE POUR L'AMÉLIORATION DE LA FEMME

La question de savoir si le droit doit jouer le rôle d'un levier de changement de la société continue de partager les tenants de telle ou telle position. Sans prétendre répondre à la question, la présente étude tend à comprendre le rôle que joue le droit de la famille dans la vie des femmes algériennes et kabyles en Algérie car, si ce droit est tellement défendu par le décideur politique d'une part et les mouvements intégristes d'autre part, c'est qu'il représente un enjeu déterminant dans la démocratisation de la société.

Dans ce domaine, l'Algérie n'est-elle pas en train de céder le terrain à un Code de la Famille qui ne respecte pas le droit de la femme au moment où elle met la guerre civile au devant de la scène médiatique (événements de 1992-2002) et lutte pour une démocratie libre ?

Le droit international privé est, dans sa majorité, de caractère coutumier et la pratique qui est en train de s'installer en droit international privé français est celle qui, au nom du principe de la nationalité des lois personnelles, admet la polygamie et la répudiation du moment qui concernent des non nationaux.

Traiter ce sujet avec tous les événements qui secouent l'Algérie présente d'autant plus d'intérêt que les études qui ont abordé le problème ont surtout apporté des analyses juridiques et l'intérêt serait donc de rapprocher des analyses fournies par les entretiens.

L'application du Code de la Famille à la femme algérienne dans un pays musulman crée tout de même d'énormes difficultés pour son existence et sa reconnaissance. En effet, la femme algérienne a évolué et aspire à un changement. Aujourd'hui, elle se trouve dans un milieu différent, accède plus ou moins à l'espace public, apprécie la modernité et veut bénéficier de la liberté. Dans ce nouvel environnement, comment la femme algérienne réagit-elle à l'application d'un droit de la famille qui ne correspond pas au vécu social ? L'examen du comportement de la femme dans divers espaces et institutions (privé/public, famille, école, travail, etc.) pourrait donner des éléments de réponses.

La déclaration des Droits de l'Homme proclame l'égalité des citoyens devant la loi et leur égale admissibilité à toutes les dignités, places et emplois publics selon leurs capacités et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents... La voix des femmes s'est fait entendre avec force, tout particulièrement, en Occident et il n'est plus à démontrer qu'il n'y a plus de développement durable possible sans leur participation en qualité d'actrices à part entière dont les droits sont indissociables de tous les autres. Ce n'est pas le cas en Algérie.

Mes préoccupations rejoignent celles de beaucoup de mes compatriotes (femmes au foyer, paysannes, enseignantes, juristes, médecins, secrétaires, militantes et même nos grands-mères...), soucieuses de l'instruction et de l'éducation de leurs enfants, du devenir et de l'avenir de ce pays qui est le nôtre.

Dans un premier temps, l'étude sera générale, les spécificités seront axées sur les femmes kabyles, algériennes afin de rester dans mon sujet. Ainsi découleront les concepts.

B- FÉMINISME / FÉMININ / FEMME

En Europe (au nord), le féminisme a opéré une critique radicale de la famille et de la séparation des espaces privé et public. Il a repensé les termes de la différence sexuelle, dit les limites de la conquête des droits et la " neutralisation " de la féminité sous prétexte d'égalité.

En Algérie (au sud), la revendication des femmes se polarise, au contraire, sur la conquête de l'égalité avec les hommes. C'est sur cette base que doit se faire leur entrée dans l'espace public. La morale de l'homme s'y oppose, la religion sacralise ces interdits. La classe dirigeante s'appuie sur cet ensemble de valeurs et cherche dans le nationalisme la caution idéologique qui rendrait acceptable le changement, à condition d'en préserver les femmes. Comment affrontent-elles le monde du travail, la vie syndicale et associative ? Quelles sont leurs stratégies face au mariage, à la dot ? Si les traditions sont en crise, quelles recompositions sont à mettre à l'oeuvre ?

Le combat féministe a trouvé une légitimité nouvelle en s'inscrivant dans le combat pour la justice sociale, la citoyenneté et les libertés démocratiques. La question de la citoyenneté doit-elle être abordée avant la question de l'appartenance à la catégorie femme ? Le lieu de naissance n'est-il pas un événement fortuit ? En quoi le concept de citoyenneté dépasse-t-il le fait d'être né quelque part ? L'exercice de la citoyenneté exigerait de se positionner en tant qu'individu(e), sans se laisser détourner par les intérêts du pouvoir (État, parti, patron, mari...) et le titre de citoyenne ne suffit pas. Il faut le charger du contenu politique.

Kristeva appelle à "la logique de l'identification et non pas au sein de celle de la différence. Exclu du discours masculin, il milite pour gagner une place dans l'espace de ce discours pour se retrouver emprisonné dans son cercle" 11(*).

La résistance de la femme, selon Derrida, ne pourrait être effective que si elle renonce à l'usage des catégories et des mécanismes du logocentrisme. Par conséquent, cette résistance ne pourrait avoir qu'une fonction négative et non positive, rejetant ainsi tout ce qui définit la femme comme chose structurée et chargée de sens dans une société donnée. Autrement dit, il s'agit moins de dire ce qui serait le statut de la femme que de dire comment ce statut a été structurellement et socialement édifié.

Le terrain de la recherche et du savoir pourrait constituer le champ le plus approprié à l'émergence d'une telle résistance. Aussi diverse que soit l'investigation dans les domaines du savoir : pensée islamique, anthropologie, histoire, sociologie, etc., cette investigation serait la voie qui nous guiderait vers la déconstruction des catégories masculines et féminines et de tout ce qui les charge de sens, tels que les langages, les pratiques, les attitudes et les habitudes socioculturellement acquises.

Le contexte spatial et social nous montre qu'au niveau du vécu, il serait erroné de parler de la condition de la femme algérienne comme s'il s'agissait d'une entité. Les catégories de femmes dans la société algérienne sont diverses par la diversité des contextes dans lesquels elles se trouvent. Les différences géographiques, spatiales, ethniques et géographico-culturelles (marabout, arabe, kabyle, chaoui, chleh, etc.). Opter pour une approche monographique ne voudrait nullement dire dissoudre ou noyer le phénomène local du fait féminin. Le contexte de la Grande Kabylie en Algérie m'offre un cadre de réflexion sur sa particularité.

Dans ce contexte, le statut de la femme, sous certains aspects, reflète ce qui existe ailleurs, c'est-à-dire qu'il correspond globalement à un modèle que l'on retrouve un peu partout en Algérie. Mais, sous d'autres aspects, il a sa particularité, véritable reflet d'un climat culturel, de contraintes environnementales et de conditions socio-économiques. Ce qui reviendrait à dire qu'il n'y a pas de femmes isolées de leurs sociétés locales à qui il faudrait appréhender le statut.

Être une femme tout en traitant le sujet "femme représente un atout mais aussi un handicap" comme le dit Malika. Un atout parce que la femme vit le fait d'être femme, il la touche dans son corps, dans sa différence et dans l'expérience qu'elle fait de la féminité dans son vécu quotidien. "C'est un atout !", dira-t-on. Toutefois, il pourrait représenter un handicap dans la mesure où la femme est directement impliquée dans la réaction qui suscite la féminité dans une société masculine.

1- UNE FEMME / FEMME

Comment peut-on, en effet, pratiquer démocratiquement l'égalité sans respecter les différences ? Le postulat de la nécessaire égalité entre toutes et tous pose un problème à ce titre : il suppose un modèle unique à égaler ou une soumission du sujet à l'objet unique qui sert de mesure.

q DÉFINITION

Pour savoir ce qu'est une femme, selon Monique Rémy12(*), la réponse pourrait être celle du "devenir". Dans un processus de devenir femme, on peut dire que le devenir, étant le processus du désir, ne peut être que minoritaire (socialement), quel que soit le nombre d'individus concernés puisqu'il se dresse contre la majorité comme état de pouvoir et de domination.

Il m'est apparu également que l'histoire d'un peuple, d'une région est nécessaire pour retracer le parcours et la condition de la femme afin de mieux cerner le changement/permanence et la tradition/modernité ainsi que la lutte qu'elle a menée et qui fait qu'aujourd'hui, elle revendique sa place véritable dans sa société et sa famille. On peut envisager la femme d'un triple point de vue de mode : mode d'être, de paraître et d'exister qui sont, en effet, trois dimensions caractéristiques de l'être humain 13(*).

2- L'HOSTILITÉ ENVERS LE SEXE FÉMININ

Lorsque nous attribuons aux autres des sentiments personnels négatifs, le plus souvent, nous faisons une projection. C'est un mécanisme inconscient par l'ego et même des individus très équilibrés n'en sont pas exempts.

Le mécanisme de projection, c'est-à-dire d'attribution aux autres de nos propres impulsions hostiles. La fille est moins désirée que le garçon et, souvent, elle ne l'est pas du tout, et aussi que sa valeur sociale est considérée comme inférieure à celle du garçon, mais il ne sied pas d'exprimer ces sentiments négatifs qui heurtent cet autre préjugé tenace qui veut qu'on aime ses enfants.

Gianini Belloti, dans son livre (Du côté des petites filles, 1981) montre, de façon claire et irréfutable, les racines de l'inégalité entre hommes et femmes. Dès sa naissance, la petite fille est traitée différemment du petit garçon ; dès la maternelle, elle est enfermée dans un rôle écrit à l'avance.

"Aucune preuve ne permet de soutenir l'hypothèse selon laquelle les comportements différenciés pour les deux sexes sont innés, à cet égard, l'hypothèse contraire, qui considère que ces comportements sont le fruit de conditionnements sociaux et culturels auxquels les enfants sont soumis dès la naissance, reste aussi valable".

Il est possible de modifier les causes sociales et culturelles qui seraient à l'origine des différences entre les sexes, comme le cas de l'Algérie, la situation que j'aborderai tout le long de la recherche. Mais, avant d`essayer de les changer, il est nécessaire de les connaître.

"Malgré la certitude scientifique de la responsabilité paternelle dans la détermination du sexe de l'enfant à naître... voit dans la femme la responsable et ceci en bien ou en mal1(*). "Ma femme m'a donné un beau garçon ", "ma femme ne sait faire que des filles", "ma femme n'est pas capable de faire un garçon"...".


"Si les ressemblances dominaient entre l'homme et la femme et si la valeur sociale attribuée au sexe féminin était égale à celle attribuée au sexe masculin, l'identification de la petite fille au père serait comme anormale. "1(*).

On voit bien que la petite fille, à cause du lien affectif qui l'attache à sa mère et parce qu'elle se reconnaît comme semblable, est poussée à la choisir comme modèle à en devenir la fidèle reproduction. Le comportement de la mère, ses réactions, le rapport entre elles deux, le rapport de la mère avec chaque membre de la famille, sont les indices des valeurs auxquelles la mère elle-même se soumet. À travers le processus inconscient d'identification, c'est tout ce qu'est profondément la mère qui se transmet et qui est intériorisé par la petite fille.

"Dans une culture patriarcale qui pose comme valeurs essentielles, d'une part, la suprématie de l'individu de sexe masculin et, d'autre part, l'infériorité de l'individu de sexe féminin, il est compréhensible que la remise en question du prestige de l'homme soit rigoureusement interdite, cela pourrait entraîner un effritement fatal de son pouvoir"14(*). .

Quant au préjugé selon lequel tout est parfait dans le corps de l'homme sur le plan de la procréation, c'est particulièrement clair en cas de stérilité dans le couple car tous les examens médicaux sont effectués sur la femme, c'est seulement quand ceux-ci ont donné des résultats négatifs, et encore pas toujours, que l'homme, rétif et humilié, accepte de s'y soumettre à son tour.

3- PRÉFÉRENCE ENVERS LE SEXE MASCULIN EN ALGÉRIE

On ne saurait dire combien il est pénible aux Algériens d'avoir de nombreuses filles, notamment en Kabylie. Les filles sont plus nombreuses dans certaines familles (on fait beaucoup d'enfants dans l'espoir d'avoir des mâles, des héritiers). Ils allèguent des motifs qui semblent plausibles. Ils savent que les filles, à leur mariage, causent un préjudice aux affaires domestiques par le fait qu'on leur prépare un trousseau et qu'elles lèsent, en quelque sorte, le foyer. Mais, le plus important dans la société kabyle, c'est l'honneur en préservant sa virginité.

"(...) Au contraire, personne ne jubile. L'enfant attendu, le préféré, l'objet de tous les souhaits reste toujours le garçon... " 1(*).

Le fait est que, si la réalité sociale change avec une rapidité toujours croissante, les structures psychologiques de l'homme changent avec une lenteur extrême. On attend de la femme qu'elle soit objet et elle est considérée pour ce qu'elle donnera.

La naissance d'un garçon, surtout s'il est le premier né, représente pour l'homme l'apothéose, le triomphe : si la procréation d'un enfant donne à l'homme la preuve réconfortante de sa virilité, la naissance d'un fils est ressentie comme l'expression complète, parfaite, suprême de sa propre puissance. L'aspiration la plus commune actuellement est de n'avoir que deux enfants, le premier étant un garçon, le second, une fille. Le garçon est désiré pour le prestige que sa naissance confère à la famille, pour l'autorité qu'il aura à l'intérieur et à l'extérieur de celle-ci, pour ce qu'il réalisera.

4- PROBLÈME DE LA FEMME

La position de la femme est liée à celle de l'homme mais elle est si différente, en réalité, dans son aspect. La femme n'est ni "supérieure", ni "inférieure", ni "égale" à l'homme. Elle devrait être son complément. On pourrait en trouver l'origine dans un complexe sexuel. La libido peut expliquer bon nombre de ces terminologies "émancipatrices" de la femme, notamment dans les pays musulmans modernisés.

La femme algérienne veut "jeter le voile" ? Elle veut participer à la politique ? Elle veut aller au cinéma, travailler ou s'instruire ? Il ne s'agit pas de poser de telles questions "pour" la femme mais pour la liberté de l'individu.

La condition actuelle de la femme en Algérie est là pour en témoigner. Par conséquent, il faut considérer sa "condition" dans l'ensemble des conditions qui commandent à une civilisation, à sa durée. S'agit-il, en particulier, de donner à la femme algérienne la même liberté que sa soeur européenne ?

La toilette est un indice certain de la position de la femme dans une société. Le sens esthétique et éthique d'un milieu s'exprime dans la forme qu'il met à "l'éternel féminin". La toilette, en Europe, au début du siècle, a jeté la "gaine" étriquée et serrée qui enfermait et étouffait le corps. Et en libérant ses formes, la femme libérait sa façon de voir. Aujourd'hui, une certaine image de la femme très dénudée, très érotisée, fait le jeu d'un extrémisme qui trouve là l'argument idéal pour "enfermer" sous le voile la femme réasservie. La femme européenne ne révèle plus le "sens" féminin mais le "sexe" féminin.

Les dictatures qui ne disent pas leurs noms, les intégrismes de tous les bords, les commandos misérables avec ou sans cagoules, les Rambos nationalistes de toutes sortes qui sont autant de manifestations d'un esprit mafieux et /ou totalitaire, trouvent leurs complices dans les démocraties occidentales d'Europe et d'Amérique. Toutes alliances passées avec de telles forces mettent à mal les droits des femmes et rabattent sur elles la loi des silences dans les États comme dans les quartiers.

Le mouvement des femmes algériennes pour l'acquisition ou la défense de leurs droits ne date pas d'aujourd'hui. Il a pris plusieurs formes. Des révoltes sporadiques aux mouvements actifs, il a toujours existé.

II- PROBLÉMATIQUE

De quoi parle-t-on au juste lorsqu'on évoque l'Algérie ? A-t-on tout simplement une impression de l'Algérie singulière ? Celle-ci existe-t-elle réellement ? Y a-t-il plutôt différentes représentations de l'Algérie où chacun, selon ses croyances et convictions, s'en construit sa propre vision ? Certes, il y a l'Algérie confisquée par la politique politicienne qui a fait dresser des murailles empêchant dialogue et communication, mais il existe aussi d'autres visions de l'Algérie : celles des usagers, des femmes, des artistes, des écrivains, des linguistes, bref, celles de l'intellectuel collectif... Ce sont ces visions qui fructifient les possibilités d'échanges et créent cet espace de convivialité qu'est l'Algérie à laquelle on aspire.

C'est vrai que, dans la conjoncture actuelle, parler d'espace convivial à propos de l'Algérie relève peut-être de l'utopie mais cela importe peu car l'utopie s'avère légitime puisque tournée vers le futur. L'Algérie reste à faire en tenant compte des différences. Les aspects de la dialectique singulier / pluriel indispensable, à notre sens, à la vision que l'on se fait de l'Algérie, doivent être développés car ils ne sont pas, sans doute, sans rapport avec la conception des identités.

Cette étude interroge les rapports sociaux dans lesquels s'insère la relation entre deux sexes dans un contexte donné ainsi que le discours véhiculé par les gens sur les rapports sociaux et sur les pratiques culturelles dans le but de déplacer le discours sur les femmes d'un discours critique référentiel et de passion à un discours critique qui a pour objet de "déconstruire" les catégories socioculturelles qui ont forgé les statuts du masculin et du féminin. Des interrogations se profilent alors à travers la crise que traverse l'Algérie. De par son histoire et sa situation actuelle, on constate, en effet, que les relations entre hommes et femmes sont entrées dans une phase nouvelle, ambiguë et complexe.

Bien que cette étude se veuille une contribution modeste, elle soulève implicitement, et parfois explicitement, quelques questions théoriques sur le statut du féminin, sur le terrain tortueux de la réalité sociale. Comment cerner le rapport au sein duquel se construisent les statuts ? S'il s'agit d'un rapport de pouvoir, par quels mécanismes se renouvelle-t-il ? Quelles sont les stratégies du contre-pouvoir ?

Tout le long de cette recherche, un questionnement m'a accompagnée : devrait-on bâtir, sur le terrain théorique, sa réflexion sur la question de la femme ? Autrement dit, comment parler de ce sujet tout en adoptant un ton froid, sans investir sa propre passion de femme ?

À ces questions théoriques s'ajoutent d'autres d'ordre empirique auxquelles la recherche sur la femme devrait faire face. Sur le plan du constat empirique, pourrait-on parler de la femme algérienne comme phénomène uniforme ? Il faut souligner que les notions de "fait féminin", de "condition de femme algérienne", de "musulmane" ou de "femme kabyle, algérienne et musulmane" soulèvent quelques problèmes sur le terrain. Il suffit de se référer au sens commun et aux différentes régions de la société algérienne pour se rendre compte que la femme est multiple. L'appartenance à une classe, à un espace géographique, à une variante culturelle forge et forme les dimensions de sa multiplicité.

Les réalités sociales nous révèlent que la "misère dont les femmes souffrent" est relative et nous contraignent à avoir un penchant pour un discours universel sur elles, à utiliser le discours misérabiliste, militant dans son contenu, qui a sa cible en Algérie : le droit. Seul le Code de la Famille, "cette citadelle incontournable", uniformise la condition féminine et se protège par le silence des responsables pour se rendre opaque au changement.

Jusqu'à présent, on peut dire que tout change sauf la loi. Celle-ci a édifié un modèle de femmes, d'hommes et de rapports pour les figer à jamais dans un cadre juridique. Immuable, insensible au temps, à l'évolution de la société, au changement politique et à l'émergence de la femme active sur la scène du travail et de la compétence, etc., le système juridique reflète une image et une seule, celle de la femme, et codifie la suprématie du mâle. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les articles du Code de la Famille en Algérie pour se rendre compte de cette évidence.

Le féminisme gagne donc sa légitimité de l'existence de sa cible qui est la loi et les hommes politiques. Ce féminisme, quoique légitime sur la scène des conflits idéologico-politiques, a des limites.

En voulant réduire la diversité dans la condition féminine, sur le plan conceptuel, le discours féministe fait alliance, malgré lui, avec celui du droit. Seuls, les articles du Code de la Famille traitent le fait féminin comme un fait unidimensionnel dans la mesure où ils nous livrent un cadre, un statut uniforme de l'institution familiale. Le discours féministe parle de la femme algérienne au singulier alors que la réalité du vécu des femmes est multiple et hétérogène. Il serait évident, mais important, de répéter que la condition de la femme riche, instruite et citadine n'est pas semblable à celle de la femme appartenant à la classe moyenne urbaine ou encore à celle de la femme rurale, de surcroît analphabète. Il faudrait noter aussi que les catégories sociales ont connu un changement dans le temps.

Depuis l'indépendance, le changement a touché l'économie, l'éducation, les moeurs et les comportements. Le vécu des femmes se diversifie donc en fonction du temps, de l'espace, de l'aire culturelle et du niveau socio-économique. Ceux-ci constituent des variables importantes dont il faudrait tenir compte dans toute réflexion sur le statut social de la femme comme phénomène relativisé.

La confusion est souvent répandue entre deux notions liées à l'identité : la différence et l'altérité. Comment faire pour que l'altérité ne soit pas perçue comme une étrangeté et que la différence ne soit pas assimilée à l'inégalité ? À notre sens, on ne peut valoriser la diversité sans rompre avec les thèses homogénéisantes...

Quelles réponses apporter aux antagonismes idéologiques et identitaires ? Quel regard porter sur les variétés minorées ? Comment lire le passé ? Comment concilier tradition et exigences de la vie moderne en termes de changement et de transformation du réel ?

Dans un contexte politique et social où, de part et d'autre, la tendance est au repli sur soi, quel sera l'avenir de l'Algérie ? J'ai essayé, dans cette recherche, de mettre l'accent sur un problème crucial : l'absence de démocratisation à laquelle fait face l'Algérie. Ce problème s'y pose avec une acuité telle que les autres questions lui sont incontournablement liées. Ma thèse affirme que les revendications à l'existence et à la reconnaissance de soi, de son statut, de sa citoyenneté, des langues... sont des revendications de la démocratie qui doivent être entendues comme telles dans le cadre de la liberté de tout citoyen. 

Les discours dominants portant sur le Code de la Famille et sur le plurilinguisme en Algérie ont coutume de passer sous silence les éléments d'émancipation de la femme et de la question berbère.

La femme algérienne est en marche. Mais où va-t-elle ? L'itinéraire et le but de son "émancipation" ne sont pas, que nous sachions, encore désignés parce que notre société n'a pas que son préjugé mais son empirisme aussi.

Comment donc ne pas s'interroger sur les droits et la place des femmes avec ses ambiguïtés et ses paradoxes ? Comment donc ne pas s'interroger sur l'égalité et la différence à propos de l'accès aux sphères publiques et politiques ? ...

Ma recherche consiste à comprendre et à analyser les difficultés et les obstacles que les femmes rencontrent dans leur vie quotidienne. Comment les femmes accèdent-elles au changement de leur vie en préservant les traditions ? Comment accèdent-elles ou n'accèdent-elles pas à la citoyenneté, aux études, au marché du travail ? ...  Qu'est-ce que nous savons de la place d'une femme dans une société d'hommes et qu'est-ce que nous ne savons pas encore aujourd'hui ? Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui en Algérie ?

Par ses contenus, par son thème même, mon travail s'inscrit aussi dans les courants d'analyse qui n'évacuent pas le sujet dans la construction de l'objet.

De cette manière, j'ai réalisé des entretiens sur trois générations de femmes quelles que soient leurs positions sociales (une grand-mère, une mère, une fille), je relate la situation de la femme algérienne entre le changement (évolution, modernisme) et le permanent (conformisme, traditionalisme), des parcours qui participent au même souci épistémologique tenant les bouts d'un processus où se mêlent les dimensions personnelle et sociale de la recherche en les distinguant. Mon travail consiste donc à faire des repérages avec les dimensions du temps, de l'histoire et de la mémoire.

Analyser la condition des femmes algériennes, leurs positions dans la société, c'est interroger leur culture, leur histoire... mais aussi la culture et l'histoire passée de ce pays profondément machiste. Il est indéniable que la construction d'une société se fera par et avec la femme. Comment ?

La problématique de cette recherche se définit ainsi par :

q La structure familiale et la sphère publique ;

q Le droit et la religion (Islam) ;

q Les enjeux politiques et le pouvoir (qui s'enchevêtrent avec les sphères publique et privée ainsi que le politique) ;

q La revendication de l'identité.

La famille et le statut de la femme sont au centre des problèmes posés par notre recherche d'une synthèse entre le changement et le permanent.

q Quel est le statut de la femme dans le discours coranique ?

q Quelle est la situation juridique actuelle des femmes en Algérie ?

q Quel est le contenu du discours islamique actuel au sujet de la femme ?

q Quels sont les enjeux du combat entre islamistes et modernistes au sujet du statut de la femme et du Code de la Famille ?

Pour comprendre la place de la femme dans l'Islam, il faut situer théoriquement le rôle attribué par l'Islam à la femme et l'interprétation donnée du Coran par la société actuelle. Parallèlement, nous avons essayé de cerner le rapport de l'Islam et de la tradition à la femme dans le maintien de la cohésion sociale prise progressivement par la femme vis-à-vis des rôles qui définissent la tradition et / ou l'Islam dans la remise en question de cette cohésion.

Le thème étant vaste, ma réflexion s'est orientée également vers les relations d'identités masculines et féminines dans leurs interrelations.

L'analyse de fragments de la biographie des femmes kabyles relèvera les tensions et interactions complexes au sein desquelles les identités se constituent ainsi que les différentes interprétations auxquelles donnent lieu des références culturelles partagées, obligeant le chercheur à concilier plusieurs thématisations différentes de l'identité puisqu'il faudra, tour à tour, envisager l'identité comme une ressource (ensemble de références légitimantes mobilisables à l'occasion d'une action ou pour accompagner un comportement) et comme le produit précaire d'interactions. Ce sera, du même coup, l'occasion de montrer la complexité des formes d'hybridation entre ce qu'on a coutume d'appeler la tradition et la modernité et d'exemplifier l'enchevêtrement hiérarchique des identités individuelles ou collectives.

La famille algérienne est longtemps demeurée comme en dehors du temps, figée dans des structures anciennes pendant toute la période coloniale. Cet équilibre s'est brusquement écroulé après l'indépendance. Depuis lors, tout un ensemble d'éléments (familial, social, politique et économique) convergents bouleversent la société algérienne. Ces bouleversements sont d'autant plus importants pour les vieilles structures familiales car la famille se sent déstructurée et ne peut s'empêcher de lutter pour maintenir la cohérence du vieil abri protecteur et sécurisant. Dans cette perspective, la question brûlante reste celle de la femme.

Le Code de la Famille, réforme du statut de la femme et de la loi religieuse (Charia), relève de sa compétence.

La vertu de la femme ainsi que son rôle de mère, d'épouse soumise à son mari et aussi à l'autorité de tous les mâles de la famille, ne cautionnent-ils pas la rigueur de l'État national en l'enracinant dans le sacré (religion et traditions) puisque la permanence de la condition féminine est justifiée par l'appartenance à l'arabo-islamisme ? À l'État revient la définition de la femme et des normes de son individualisation, il concrétise ainsi son emprise sur le corps et l'esprit.

L'entrée des femmes dans la vie sociale, politique et professionnelle rencontre, en effet, une très grande opposition masculine confortée par l'idéologie officielle. C'est à partir de cette analyse que nous avons abordé l'éducation des filles et leur scolarité. Entre féminité et masculinité figure une nette opposition qu'un auteur a, par le raccourci, appelée une "guerre des femmes". Ce qui n'est malheureusement pas plus une simple métaphore quand on sait l'effroyable répression que subissent les femmes dans cette "guerre intérieure" par les groupes islamistes.

C'est entre l'affirmation d'un principe d'égalité et le constat de la réalité des différences qui caractérisent la situation concrète des hommes et des femmes dans notre société qu'on peut situer les interrogations essentielles.

L'égalité formelle ne serait-elle qu'illusion face à ce qu'il y a d'irréductible dans la différence qui structure la relation entre les sexes ?

Faudrait-il choisir entre un modèle égalitaire négateur de la différence et un modèle respectueux d'une spécificité compatible avec l'égalité, refusant une hiérarchisation des sexes ?

Entre ces deux pôles, les contributions que nous rassemblerons s'attachent à analyser les tensions et les contradictions qui sont inhérentes aux contradictions pratiques entre les idéaux et la réalité.

Nombre d'analyses empiriques dans le champ du politique et de l'éducation démontrent la persistance et la résurgence des inégalités dans ces différents champs mais aussi la complexité d'un processus où, en raison même de la transformation des rapports sociaux de sexe, des catégories qui permettent de penser et de mesurer l'égalité et la différence entre les sexes (égalité, famille, éducation, travail, par exemple) sont en profonde mutation.

Repenser l'égalité, réanalyser la différence, mettre en scène leurs dialectiques, leurs contradictions, leurs compromis, situer la liberté au regard de l'égalité et de la différence, voilà des points qui sont au centre de nos interrogations et de notre problématique.

Quelle est la place de la femme en Algérie ? Certains affirmeront qu'elle tend à disparaître depuis la montée de l'intégrisme musulman, cependant, nier "la marche des femmes" dans ce pays c'est, tout d'abord, méconnaître la réalité et, surtout, se laisser abuser par la reconnaissance d'une situation socio-politique conjoncturelle. C'est à cette autre question d'actualité que j'ai tenté de répondre en faisant le trait d'union entre le passé et le présent de ces femmes ainsi qu'entre le permanent et le changement. Certains aspects de la vie de ces femmes forment une vaste mosaïque de réalités, le but recherché dans le processus de leur évolution demeure fondamentalement le même.

Les femmes sont de plus en plus présentes dans l'édification de cette société, même si leurs aspirations sont souvent en opposition avec les intérêts idéologiques du pouvoir. Elles acquièrent leur force des contradictions même de ce pouvoir qui prône un discours égalitaire.

Les femmes qui veulent prendre en main leur destin sont partout : étudiantes, travailleuses, mères au foyer, citadines ou issues du monde rural. Désormais, leur détermination freine toute volonté de les exclure de la vie sociale et l'État, même s'il essaie, ne peut changer le cours de leur histoire.

C'est cette lutte, parfois invisible, du monde des femmes que fera apparaître cette étude. Ces femmes ne veulent pas être ce qu'elles ont été. Elles perçoivent enfin le rôle déterminant qu'elles ont à prendre au sein d'une société qui les cantonne autour d'un statut de "mineures".

Le choix d'une frange de femmes (citadines / rurales, milieu différent / même famille...) résulte de la volonté d'étudier la problématique féminine dans un contexte socioculturel différent du contexte occidental. Il découle aussi du désir de l'insérer dans un univers au sein duquel la religiosité, d'une part, et la tradition, d'autre part, ont créé un vécu quotidien qui maintient la femme dans le cadre de la famille et limite ses activités.

Étant donné les évolutions ou les régressions en matière de statut, il est apparu nécessaire de saisir leur pleine signification, de les restituer dans une perspective historique et dans le cadre des structures sociales au sein desquelles ces femmes s'insèrent. Afin de ne pas limiter l'étude et l'analyse entreprises aux domaines juridique et politico-historique, des entretiens et des discussions portant sur la condition actuelle des rurales et des citadines kabyles m'ont permis de compléter la partie théorique.

Ceci a eu pour résultat de mieux cerner l'image que les femmes se font d'elles-mêmes et de leurs aspirations pour l'avenir.

Étant moi-même Algérienne, femme, mère, enseignante, militante, je suis partie prenante sur les thèmes apparus essentiels du point de vue de la participation politique des femmes, de l'approche religieuse de l'Islam, du niveau de scolarisation, du degré d'isolement, des freins et stimulants opposés par notre société, du rôle du gouvernement dans l'insertion dans la vie politique et économique, de la façon d'appréhender le statut juridique et la manière dont on envisage de transformer notre société.

Ces hypothèses, qui constituent les axes fondamentaux autour desquels s'est articulée ma recherche, m'a amenée aux déductions concernant les points suivants.

A- RELIGION / CODE DE LA FAMILLE

Il existe aujourd'hui, en matière religieuse, une interprétation différente du Coran qu'il soit vu par les hommes (utilisé pour le pouvoir, pour l'asservissement de la femme, etc.) ou bien par les femmes qui l'utilisent comme un facteur dynamisant à la participation à la vie politique et économique du pays.

Les hommes ne connaissent pas réellement les textes de la religion. Ils les confondent entre les croyances, les traditions et la religion : les rapports entre la tradition prophétique (hadiths), les textes du Coran et le Code de la Famille sont confondus. Les femmes sont conscientes que les articles du Code de la Famille sont basés sur la Charia.

B- ESPACE PRIVÉ / SCOLARITÉ

Par rapport aux générations précédentes qui étaient maintenues à la maison, les jeunes filles aujourd'hui - souvent poussées par leurs mères - ont accès à la scolarisation qui leur permet de couper l'isolement qui les rendait dépendantes des hommes. C'est un atout pour leur participation à une vie politique mais c'est surtout un bond en avant pour leur émancipation.

C- IDENTITÉ

La perte de l'identité causée par divers facteurs, la population algérienne est en quête. Ceci ne se fait pas sans angoisse : que lui a apporté la scolarisation, la religion d'aujourd'hui, l'apprentissage de la politique ? Les femmes se rendent compte qu'elles sont bafouées et les premières victimes de cette situation. En effet, la société leur impose, ainsi qu'à leur corps défendant, un rôle précis : celui de gardienne des valeurs traditionnelles et familiales qui les confinent à la maison.

La crise identitaire définit diverses situations individuelles et de groupe qui, en dehors de tout déterminisme, provoquent une confusion dans les limites subjectives du moi en altérant le sentiment d'une unité et d'une continuité. La situation d'acculturation est favorable à l'émergence du conflit identitaire. D'ailleurs, la question de l'identité berbère est posée en termes de reconnaissance d'une histoire expoliée. Les Kabyles protestent contre une arabisation totale qui fait des femmes les premières analphabètes (incapables de lire un document en arabe, de comprendre une émission ou un discours à la télévision...).

Les causes énumérées ci-dessus ont orienté ma recherche vers le Code de la Famille et les problèmes soulevés par son application. Le champ est vaste et nécessite une approche à la fois sociale et juridique pour traiter les problèmes que l'application du Code de la Famille soulève pour la femme en tenant compte du climat social et politique et les perspectives de l'avenir de l'Algérie.

III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES

Il me semble opportun d'indiquer comment j'ai conduit notre travail : les problèmes généraux et un certain nombre de questions ont été relevés lors de mon travail de DEA que j'ai repris en l'approfondissant car il n'était qu'exploratoire ; il a suscité d'autres interrogations, d'abord, sur la définition du sujet lui-même. Pour pouvoir répondre à la question, j'ai dû me référer à des penseurs et écrivains européens qui ont alimenté ma réflexion sur "Qu'est-ce qu'une femme ? ".

Quels sont les fondements théoriques de ma recherche ? Quels sont les aspects à traiter : le discours sur les femmes ou la réalité des femmes ? Il est évident que la réflexion sur ce sujet fait usage d'outils conceptuels et analytiques de différentes théories classiques et modernes. Elle emprunte des démarches ou des

approches élaborées dans le champ du savoir des sciences humaines et sociales. Elle se caractérise aussi par le fait de l'interdisciplinarité relevant de l'histoire, de la sociologie, de l'anthropologie, de la démographie, des sciences politiques et juridiques, de l'économie...

L'investigation a révélé, d'une part, de nouveaux problèmes en identifiant le travail des femmes et une nouvelle dimension du rapport de pouvoir au sein de l'économie domestique et, d'autre part, de la macro-économique.

Sur le plan sociologique et anthropologique, un aspect mérite une profonde investigation, celui de l'acceptation de l'ordre des choses établi par la tradition. Ces femmes subissent, de plus, le poids de la culture dans leur vécu.

1- Les femmes ne se complaisent plus dans le rôle dominé de femme confinée au foyer entièrement dépendante des hommes de la famille que la société continue à leur impartir. Il me semble même qu'au-delà des différences de condition de vie, un même élan vers la libération personnelle anime les femmes d'aujourd'hui. Aussi, une question se pose, à savoir : à quel degré et de quelle façon ce rôle ancien est-il rejeté par les femmes pour un autre rôle les rendant partie prenante du projet commun à titre analogue à celui des hommes ? Cela m'amène à ma deuxième hypothèse.

2- Les femmes, lorsqu'elles atteignent un certain niveau de conscience, de formation et d'instruction ont, sans doute, le désir de participer à l'édification nationale (l'économie de l'Algérie). Cette question est d'importance car toutes les études actuelles basées sur l'expérience suggèrent que la participation féminine est une nécessité pour le développement. D'un point de vue psychologique, c'est souvent par l'éducation des femmes plus que par celle des hommes qu'on peut obtenir un changement dans les attitudes et les comportements favorables à l'adaptation au monde moderne. Donc, cette formation et cette participation des femmes doivent exister, il doit y avoir la possibilité de les augmenter lorsqu'elles existent déjà ou de les obtenir dans le cas contraire.

Ces deux hypothèses - le refus par les femmes de leur ancien statut et la participation féminine souhaitée ou voulue par au moins une partie des femmes - se sont affermies au cours des entretiens (faits en DEA) de telle façon qu'il a semblé nécessaire de les vérifier. Cela fut fait par d'autres entretiens et des lectures portant sur des questions déterminantes : tout d'abord, "les sorties féminines" (bain, visites, coiffeuse...) pour contrôler le peu de rapports que les femmes disaient avoir avec l'extérieur et le peu d'échange entre elles, même en monde féminin ; puis, les aspirations et le problème du travail féminin notamment pour contrôler la soif, exprimée par certaines, de participer d'une façon ou d'une autre au monde extra-familial, à la vie publique.

Le refus de demeurer à la fois originelle d'effacement et en dehors de tout réseau de relations interpersonnelles élargies et le désir concomitant de prendre en main, en liaison avec d'autres, leur propre destin et le destin collectif, ont été confirmés pour toute une fraction de la population féminine beaucoup plus largement que nous ne le pensions au départ ; l'étude sociologique montre qu'il y a un désir très net de participation interpersonnelle sociale, voire politique, surtout avec tous les événements que traverse l'Algérie.

Quant aux conclusions qui se sont dégagées de l'ensemble de mon travail de DEA, elles pourraient se formuler ainsi : les femmes ressentent très fortement l'état de transition dans lequel se trouve l'Algérie car, plus que d'autres, elles ont intérêt au changement défini, elles pourraient ainsi collaborer efficacement aux mutations nécessaires. D'où, la participation des femmes à la vie politique et sociale n'est pas impossible puisque les motivations existent (parfois très fortement) chez les individualités conscientes et dans tous les milieux et âges. Le désir d'intégration dans la société apparaît clairement en termes de révolte.

La tradition et les changements se concentrent sur l'interprétation de l'Islam qui agit comme une barrière dans le processus de développement social. À la lecture des textes officiels (Charte Nationale, Constitution, Coran...), on pourrait penser que la femme algérienne participe activement à la vie sociale et politique de son pays. Or, on est bien obligé de constater, au contraire, que la participation féminine à la vie sociale et politique est très minime en Algérie ; la réalité sociale fait apparaître un très grand décalage entre le droit et le fait, entre les principes et leur application pratique. Cela semble anormal et anachronique principalement divers raisons que l'on verra tout le long de cette étude. Juste, quelques exemples pour montrer qu'elles existent et qu'on les rencontre, mais très vite on constate qu'elles sont à part : pas de femmes dans les cafés, les stades, les cinémas, bien peu dans les rues ou au marché et très souvent voilées et n'apparaissant que rarement au repas familial si un hôte est présent et, tout de suite, on pressent une mise à part, un rejet vers le "le monde des femmes".

Quels sont les éléments nouveaux de l'expérience du travail féminin rémunéré et peut-elle introduire la logique des rapports hommes/femmes en Algérie ? Quels mécanismes la famille va-t-elle développer pour intégrer cet élément étranger à sa logique ? Comment, en retour, l'accès au travail va-t-il influer cette logique ?

L'intériorisation de cette logique constitue un élément fondamental dans le processus de socialisation de l'individu. Cela explique que la famille (lieu privilégié de ces rapports) joue un rôle décisif dans le maintien ou la transformation de l'ordre établi. De manière précise, en Algérie, le problème de l'organisation et, partant, celui des rapports entre les sexes (sans exclure d'autres) constitue en ce moment un enjeu d'une importance capitale. Pour preuve, on remarquera qu'il a fallu attendre vingt deux ans après l'indépendance de l'Algérie (soit de 1962 à 1984) pour qu'un Code de la Famille ait pu être promulgué, aujourd'hui contesté par la majorité des femmes.

Ce climat de tension extrême que suscite tout débat relatif à la famille est significatif de la complexité de l'enjeu et devient lourd de sens lorsqu'on le confronte aux "transformations radicales" que l'Algérie se propose d'entreprendre dans les domaines économique et social. Comment envisager l'un sans l'autre ? Donc, ce qui en constitue la complexité, c'est le statut de la femme. Il est clair, cependant, que poser le problème seulement en termes de statut de la femme revient à le tronquer d'une dimension essentielle : ce statut est indissociable de celui de l'homme ; il n'y a pas un problème féminin mais un problème de rapport entre les sexes. C'est sur la nature de ce rapport qu'il faudra s'interroger.

J'ai essayé de percer le mythe du travail libérateur. Le travail et les études constituent deux volets que l'on présente comme des "leitmotivs" dans le discours moderniste sur "l'émancipation de la femme". Si le statut de la jeune fille scolarisée est potentiellement porteur de changement, il n'en demeure pas moins que ses potentialités deviennent nulles si le passage par l'école ne débouche pas sur un emploi salarié. Il faut rappeler que l'école ne fait qu'entrouvrir la porte sur l'extérieur, celle-ci étant prête à se refermer à la moindre faille. Donc, le travail de la femme se situe dans un rapport continuel de subversion / neutralisation.

Ma recherche consiste à travailler sur trois générations de femmes en Algérie : grand-mère, mère, fille. Des thèmes seront abordés après l'étude des concepts-clefs tels que : la place de la femme dans l'Islam, la femme et la sexualité, la femme et la loi...

A- AU NIVEAU DU CODE DE LA FAMILLE

L'égalité des sexes consacrée par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'est à ce jour, tout comme d'autres droits, qu'un cadre d'application et c'est cette application qui pose problème. Entre "dire" et "faire" interviennent tous les rapports conflictuels que génère la confrontation des concepts traditionalistes imprégnés de religiosité rigide avec de nouvelles idées prônant, justement, la suppression de cette rigidité comme exigence si la société aspire à rejoindre l'humanité en marche vers le XXI ème siècle. Les traditions doivent nous servir de repères socioculturels et non de bitte d'amarrage ; nous devons sortir du port d'attache pour voguer vers de nouveaux horizons.

J'ai décidé de faire connaître le Code de la Famille avant d'aborder son application. Le problème que j'ai rencontré dès le départ est d'étudier le Code de la Famille sans étudier le droit musulman, vu que ce dernier constitue la source essentielle du premier. Mais, comme le sujet n'est ni d'étudier le droit musulman, ni le Coran, une telle étude aurait peut-être élargi le sujet mais risquerait de créer une confusion entre le droit musulman et le Code de la Famille qui, tout en puisant dans le droit musulman, reste différent car considéré comme un droit positif.

Le Code de la Famille reflète-t-il une réalité sociale ? Comment réagit la société algérienne à ce code, et les femmes particulièrement ? Quelle est la position de la société civile (partis politiques, associations...) par rapport à ce code ? Ce sont là les questions que nous nous sommes posées et auxquelles nous nous efforcerons de répondre.

B- AU NIVEAU DE LA FEMME ALGÉRIENNE

Comment réagit la femme algérienne à son environnement social ? Quelles sont ses relations avec les institutions, son entourage familial : son mari, ses enfants et sa belle-famille ? Y a-t-il prise de conscience des références juridiques ? On peut formuler à cet égard plusieurs hypothèses.

C- AU NIVEAU DES INSTITUTIONS

Le problème de la femme est-il une préoccupation majeure pour les différents gouvernements ? Plusieurs propositions d'amendements du Code de la Famille ont été proposées par des associations, l'État reporte la question. Les hommes algériens ne veulent pas déroger leurs traditions, leurs acquis et leur pouvoir...

En Algérie, l'Islam est religion d'État et le Code de la Famille est régi sur la base du Coran. Or, les textes de la Constitution stipulent que les droits sont égaux à tout citoyen : il y a paradoxe.

IV- INVESTIGATIONS

Mon objet de recherche a été déterminé en plusieurs étapes. La première étape était de me positionner par rapport au sujet. Ensuite, il m'a semblé important de choisir des textes relatifs au Coran et au Code de la Famille et de montrer les droits qu'on attribue aux femmes, la notion d'obligations dans la sphère privée.

Pourtant, la sphère privée concerne la personne, son espace, sa vie avec ses familiers et les relations de son choix circonscrits et préservés par la loi. La maison, la famille coïncident avec le privé or, la famille appartient à une entité, à la cité... L'organisation sociale en Algérie ne peut séparer la notion privé/public, un dualisme. Cette dichotomie privé/ public a sa dynamique propre et persiste dans la vie des femmes...

Comme le souligne Pierre Bourdieu, la maison kabyle, véritable microcosme, s'organise selon un ensemble d'oppositions : le haram (péché) s'oppose à nif (l'honneur sacré), comme le féminin au masculin, la femme à l'homme, le dedans au dehors, la tradition à la modernité...

"L'opposition entre le monde de la vie féminine et le monde de la cité des hommes repose sur les mêmes principes que les deux systèmes d'opposition qu'elle oppose" 14(*).

La distinction entre vie privée et vie publique correspond, pour certains des entités distinctes et séparées, faute de quoi, on retombe dans le pouvoir, dans l'autorité de l'État ; or, l'État algérien a promulgué le Code de la Famille que beaucoup de femmes refusent ou luttent pour son abrogation...

À la base de ce travail, il y avait mon mémoire de DEA sur la Femme algérienne où ma problématique était posée en termes de permanent / changement. Les conclusions qui se sont dégagées nous ont permis de développer mes investigations en donnant la parole aux femmes. Les histoires de vie sont riches en recherche théorique, elles sont également sources d'interrogations sur divers concepts.

Ma recherche s'est basée sur des thèmes d'actualité de l'Algérie d'aujourd'hui.

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE I

LA FEMME ET LES TEXTES

"Dans ces États, les capacités des femmes ne sont pas reconnues, utilisées surtout pour la procréation, elles sont avant tout au service de leurs maris et reléguées à l'éducation des enfants. Cela réduit à néant l'espoir d'une activité professionnelle, les femmes ne sont tenues capables d'aucune vertu humaine. Il arrive souvent qu'elles ressemblent à des plantes. Le fait que, dans ces États, elles soient un fardeau pour les hommes est une des raisons de la pauvreté de ces États" 15(*).

LA BATAILLE AUTOUR DU CODE DE LA FAMILLE

Le thème "femmes" et les textes institutionnels m'interpellent en ce début de siècle, période de mondialisation des marchés, de développement, de connaissance, de communication, d'extension, d'informatisation et de réaffirmation des identités.

La réflexion sur le religieux n'est pas l'apanage des seuls théologiens ou de la gent masculine. L'Islam, en tant que religion, oriente la vie du musulman, organise la communauté sur les bases de l'égalité, de la justice et de la dignité. On peut étudier le "Texte Sacré", interroger les diverses interprétations et analyser les pratiques sociale qu'ils engendrent. Dans les sociétés musulmanes, les transformations profondes qui ont eu lieu fin de XIX ème siècle ont touché (et continuent encore en ce nouveau siècle) différents aspects de l'organisation sociétale.

Cependant, la famille algérienne, en tant qu'institution sociale de base, n'a subi que peu de changements. Les lois qui la régissent demeurent d'inspiration religieuse alors que celles qui organisent les autres domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle sont d'inspiration laïque. Ce paradoxe tend à introduire une fissure dans la société, les femmes en sont les plus affectées.

L'interférence du religieux et du politique est un moyen de contrôler la vie de la femme, de dresser des limites entre le dit et le non dit. Les frustrations, les anxiétés psychologiques se multiplient, l'anxiété est souvent transférée ou projetée dans le religieux. La pesanteur du religieux et du social sur le statut de la femme demeure manifeste quand on se penche sur le Code de la Famille.

En Algérie, le contenu du Code de la Famille reste la loi la plus fidèle à la Charia. C'est le texte qui a le plus résisté aux principes fondamentaux d'égalité, à ceux de l'universalité des Droits humains comme nous le verrons dans cette étude.

Les femmes musulmanes ont joué un rôle cardinal dans le soutien et le renforcement des changements introduits par l'Islam dans la société arabe. Elles ont lutté avec les différents moyens dont elles disposaient pour asseoir leur place dans la société musulmane. L'Islam les a reconnues en tant que personnes, il a défendu leurs intérêts, il les a protégées de l'exploitation dont elles étaient l'objet durant la période préislamique. De leur côté, les femmes étaient très vigilantes sur leur participation effective dans la dynamique sociale, sur l'amélioration de leur condition et le changement de leur statut. Elles formulaient leurs revendications, les présentaient et les discutaient avec le Prophète. Elles ont même demandé à ce que le Prophète leur réserve particulièrement un jour pour les informer sur les affaires religieuses et publiques.

Aucun sujet ne représentait un tabou pour elles. Elles abordaient avec le Prophète des questions très pertinentes relatives au dogme et à sa pratique, aux relations familiales, aux conflits conjugaux et à la participation des femmes aux affaires publiques. Le Prophète a toujours insisté sur le respect de la femme. Il offrait le meilleur exemple dans son comportement avec ses propres épouses à l'égard desquelles il était toujours à l'écoute, ne les réprimait jamais et les laissait s'exprimer librement.

Il est vrai, néanmoins, qu'au contact des civilisations différentes, les Arabes musulmans (mais pas eux exclusivement) cherchent à éviter une promiscuité de nature à gêner les femmes, considérées avant tout comme mères, épouses, soeurs ou filles. La préoccupation majeure à cet égard semble être la perte de l'identité personnelle pour se préoccuper et préserver l'identité sociale, ce qui explique la prohibition de liens matrimoniaux avec les non musulmans. Ainsi, pensait-on, l'ordre social serait préservé.

Il y a un réflexe de défense légitime sachant que même l'Europe occidentale actuelle (donc, quelques siècles plus tard) a opté sensiblement pour la même attitude. De fait :

"La condition de l'occidentale est restée pratiquement inchangée pendant des millénaires : il n'y a guère de différence fondamentale entre la condition de l'Athénienne du IV ème siècle avant J. C. et celle de la Française du XIX ème siècle" 16(*).

Dans le même ordre d'idées, l'auteur souligne qu'au Moyen-Orient, les théologiens, réunis en concile, refusaient à la femme non seulement le droit au plaisir mais la chargeait des travaux les plus asservissants pour un salaire dérisoire (inférieur de moitié à celui des hommes 2(*)). Cette situation a perduré puisque, dans sa version originale, le Code Civil frappe la femme d'incapacité.

La question de la femme dont la pierre d'angle philosophique semble être le fameux : "Inna-r-rijâla qawwâmûn 'alâ-n-nisâ'" 3(*), soit la prééminence de l'homme consacrée par la Charia.

À ce sujet, deux courants contemporains se partagent la pensée : d'une part, les "fondamentalistes" (les salafistes) qui prônent "le retour aux sources" (Al-Asâla), processus devant aboutir à ancrer durablement le statut de la femme aux origines de l'Islam dans la tradition des ancêtres et, d'autre part, les "réformistes" avec notamment Mohamed Abdou, Djamel El Afghani, Rachid Ridha, Tahar Haddad et Qasim Amin qui préfèrent parler d'émancipation de la femme dans un esprit religieux se situant loin de l'ordre patriarcal.

Cette querelle juridique et politique que est loin de s'estomper, a fortiori en Algérie où le Code de la Famille a fait couler beaucoup d'encre. Du régime de Boumédiène à Mohamed Boudiaf (période du socialisme à la création de multipartisme, c'est-à-dire de 1965-1992), de "l'autogestion" à celui du "libéralisme", le dossier relatif à la condition de la femme fut des plus délicats. Quelle a été l'ambiance générale du pays à cet égard ?

Depuis l'Indépendance, des droits élémentaires en termes de "droit" ou "d'usage" tels que la liberté de circuler, consommer dans les cafés, aller au cinéma ou autres lieux publics, sont réduits à la portion congrue. Soucieux de "draguer" littéralement les mieux qualifiés des traditionalistes, le Pouvoir a intégré dans sa stratégie la répression policière. Citons à titre d'exemple la "campagne d'assainissement" de 1979 avec le harcèlement des couples pour atteinte aux moeurs ?

Le marasme culturel, malgré le "débat sur la culture" en 1981, n'a pas bougé d'un iota. Le "modèle occidental de consommation" (électroménager, audiovisuel, meubles, vêtements, denrées alimentaires et loisirs) a envahi les têtes des Algériens sans moyen de le contrecarrer puisque la pénurie des biens de consommations cantonne les gens à se satisfaire d'un "meilleur" à venir, d'où, peut-être, le slogan que la rue a traduit par "pour une vie ailleurs".

De plus, la croissance démographique non maîtrisée qui, outre qu'elle obère de façon certaine le développement socio-économique, ne libère pas les mentalités des pesanteurs historiques. Il faut ajouter à cela le caractère moralisateur des supports pédagogiques (livres) dans l'enseignement ainsi que les "prêches" de certains maîtres des écoles (voire des collèges et des lycées), l'université étant devenue, hélas depuis longtemps, le théâtre d'affrontements physiques entre "francisants" et "arabisants", entre "progressistes" et "traditionalistes", beaucoup plus que des lieux de savoir scientifiques et de débats d'idées. Par ailleurs, prendre comme chef d'illustration un secteur jugé émancipateur (le travail) permet de constater l'une des contradictions sociales les plus aberrantes.

L'égalité des sexes, consacrée par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'est à ce jour, tout comme d'autres droits, qu'un cadre d'application. Et c'est cette application qui pose problème. Entre "dire" et "faire" interviennent tous les rapports conflictuels que génère la confrontation des concepts traditionalistes imprégnés de religiosité rigide avec ces nouvelles idées, prônant cette rigidité comme exigence si la société aspire à rejoindre l'humanité en marche vers ce XXI ème siècle. Les traditions doivent nous servir de repères socioculturels et non de bitte d'amarrage.

La patriarcalité n'a cessé d'exister durant deux mille ans d'histoire avant que les luttes des femmes n'aboutissent. Déclarer le 8 mars Journée mondiale de la Femme crée une polémique quant aux autres jours de l'année ! En Algérie, quel sens prend le 8 mars, jour qui compte une demi-journée chômée et payée pour les femmes avec, pour certaines d'entre elles, l'occasion de humer un léger air de fête en se faisant offrir, sinon en s'offrant, quelques fleurs ! Le décor est planté pour une journée symbolique qui revêt plus des airs de fête traditionnelle que l'allure d'une lutte universelle.

Depuis les années 70 à nos jours, bien des batailles ont été menées suite à des tentatives d'instauration d'un Code de la Famille basé sur la Charia. Les lois civiles n'étaient apparemment pas aptes à codifier la famille et la femme, et ce durant l'année 84, dans un climat de montée du mouvement démocratique en tentant le démantèlement de l'opposition.

La fin de la décennie 80 annonçait bien des changements : le multipartisme est en bonne voie et les revendications sociales, s'aiguisant pourtant dans certaines constances, restent incontournables et le Code de la Famille y est inscrit. L'histoire du mouvement féminin en tant que mouvement de masse est encore à venir, non point qu'il n'y ait pas eu de luttes mais la structuration de ce mouvement est encore récente et la régression continue des droits de la femme sur le plan juridique a renforcé un statut informel traditionnel fortement réactionnaire au sein de toute la société. Aujourd'hui, passons sur le ronron de la télévision algérienne qui n'en finit pas de conter dans la langue et le langage officiel : "la participation de la femme à la libération aux côtés de son frère l'homme".

Il apparaît que, durant la guerre de libération autant que dans l'après-guerre, au sein du pouvoir autant que dans le mouvement d'opposition, le statut de la femme a toujours occupé le second plan. La lutte des femmes, née au sein des mouvements d'opposition, ne s'en est pas détachée, recréant ainsi des schémas du parti unique, de ses organisations de masse fractionnant ainsi les luttes axées sur un seul projet. Tout cela dans un contexte d'évolution de la loi des priorités (économique, politique, sécuritaire) qui ont, durant des décennies, éclipsé la revendication sociale. L'abrogation du Code de la Famille, devenue un pôle rassembleur de l'opposition démocratique, a permis une décantation entre associations du pouvoir et mouvance islamique d'une part, autour de l'amendement du code et les associations de l'opposition démocratique d'autre part.

Les ateliers initiés par le gouvernement en avril 1996 pour impulser les amendements ont été à l'origine d'une division au sein des associations qui se sont positionnées pour l'abrogation : certaines ont répondu à l'urgence d'amendements immédiats de certains articles discriminatoires en attendant de reprendre la lutte pour l'abrogation de celles (associations) qui refusent de s'inscrire dans la logique d'amendement d'un code qui doit disparaître. La loi des priorités sévit encore et la réorganisation des revendications sociales autour d'une opposition qui s'impose en tant qu'alternative est encore loin devant.

Plus globalement, c'est toute la classe politique qui sort affaiblie de dix années de guerre fratricide dans une société où l'ensemble des problèmes se pose avec la même urgence : statut des femmes, place de la religion, question des langues et donc d'identité, passage à l'économie de marché, chômage, pauvreté, rôle de l'école, etc. ; des problèmes jusqu'alors contenus par la dictature de l'armée et du parti unique.

La société d'aujourd'hui est ailleurs. Elle élabore des stratégies complexes pour sa survie physique et matérielle, puisant tantôt dans les valeurs de l'Islam, tantôt dans celles de l'Occident, ce qui n'est pas sans incidence sur le rôle et le statut des femmes dans les familles algériennes. Bien entendu, l'ensemble de ces changements rend encore plus caduc le Code de la Famille posé comme une camisole de force sur la liberté des femmes, ce qui continue d'arranger l'écrasante majorité des hommes algériens, y compris les plus modernistes.

Mais, d'autres modèles sont nés véhiculés de façon concurrente et puissante par les mosquées ou par les programmes de télévision reçus de l'étranger via le satellite (antennes paraboliques qui ont poussé comme des champignons vers 1989). Ces modèles, rejetés ou adoptés, ont marqué cette nouvelle jeunesse qui rappelle aux dirigeants du Mouvement des Femmes qu'elles ont vieilli au moins autant que leur mode de séduction de la société.

I - LA PLACE DE LA FEMME DANS L'ISLAM

- Sous la terreur, des thèses divergentes s'élaborent

La société algérienne est confrontée à une mutation extrêmement rapide et à des bouleversements sanglants. La profondeur de la prégnance de l'islamisme radical, devenu discours collectif non seulement moral mais totalitaire, explique tout, justifie tout pour ceux qui se disent "justiciers".

La non moins grande imprégnation des acquis - travail, instruction, choix personnel du mariage, recherche de la dignité - que l'on pourrait voir comme la résultante d'un mouvement féministe sert pourtant d'égal repoussoir aux femmes islamistes qui prêchent une religion pure et dure. Il est paradoxal de voir que des voilées veulent être des propagatrices actives de la religion mais aussi des femmes qui réussissent à la fois leur vie professionnelle et conjugale, des femmes libres et épanouies !

Surgit une majorité de figures religieuses mais aussi des modèles de femmes, autrefois occultés, venant des sociétés musulmanes telles Aïcha (la femme du Prophète), Zaineb ; épanouies professionnellement, les femmes des mondes de la politique et du spectacle font l'objet d'un unanime rejet.

Des femmes détournent la confrontation homme / femme à leur profit, ne voient aucun empêchement à entrer en compétition avec l'univers masculin et se démarquent donc de la société traditionnelle, d'ailleurs condamné par l'islamisme. Le projet de l'État islamique vise à modeler les individus en empêchant les champs de la modernité : conquérir tout le pays et ordonner l'uniformisation (un modèle de vie identique à tous).

Or, dans cet objectif, et ce n'est pas une des moindres interrogations qu'il pose, l'obsession de l'émergence du féminin est constante. Ce n'est pas seulement que la femme est vue comme un danger potentiel, un risque toujours renouvelé de fitna (désordre), c'est que le féminin pourrait fonder l'ordre du monde.

Les sociétés musulmanes, marquées par une profonde crise de la pensée et un formidable retour religieux, amorcent, à leur façon, après l'histoire inaboutie du nationalisme arabe, un tournant. Ce faisant, elles dérangent, notamment l'Occident dont elles ont une représentation très critique, elles s'affirment "comme une authentique voix du Sud" confrontée à la domination du Nord. Elles interpellent l'universel.

Le rationnel perd toute force d'ordonnancement d'un réel devenu terrifiant. L'émotionnel y prend de la place, beaucoup de place. La mort est là, présente, prête à surgir, à emporter des êtres chers, des inconnus, de simples citoyens qui font souvent les pages d'un journal du matin. Au fil des jours, ces citoyens sans nom et sans âge, en un mot sans histoire, rejoignent la rubrique des faits divers. Parfois, le signe de reconnaissance est un uniforme : un gendarme, trois policiers, une militante, une lycéenne...

Les femmes ont été les premières victimes du terrorisme. La purification par le feu a été le premier acte de terrorisme islamiste. Rappelons qu'à Ouargla (ville du sud algérien) où, par le feu, on a appliqué le châtiment à une femme décrétée "de mauvaises moeurs". Son enfant, âgé de trois ans, a été sacrifié sur l'autel de la haine. Ce passage à l'acte (première trace d'un processus violent qui tend à briser toute volonté, toute différence, toute opposition) nourrit ce sentiment que toute agression contre les femmes annonce une régression sociale par rapport aux acquis de la femme des années 70 -80.

D'autres ont subi la même loi, la loi de la mort. Des intellectuels, des journalistes, des poètes, des chanteurs... Hommes aux idéaux humanistes, chantres de l'Algérie plurielle. Hommes de paroles, repères d'identité et d'identification. Hommes libres, généreux, qui assumaient la partie féminine de leur société. Ce fut décidé par des bourreaux et exécuté par de jeunes gens. Ignorant la vie, ils ont opté pour la semence de la barbarie. Leur héros crie au "djihâd" (guerre sainte) et appelle au sang au nom de l'Islam et d'Allah (Dieu). La rumeur continue, la rumeur se fait sentence, la loi s'énonce contre les femmes. L'ordre qui s'annonce s'édifie sur la répression des femmes. Le pouvoir des ténèbres s'empare des pensées et des actes. Il instaure son hégémonie : la terreur de figurer sur la liste des condamnés...

Reste l'exil pour rejoindre d'autres diasporas. Rester. Mais encore ? Impuissance devant un monde qui surgit la nuit et qui tue. Résister. Se maintenir en vie. Tenter de mettre de la distance entre soi et la terreur pour ne pas sombrer dans le délire. Garder sa tête pour penser, pour communiquer. Assumer le quotidien. Comprendre pour écrire, pour donner sens... Tout ceci est banalisé avec le jeu de la mort.

Cet ensemble de points de vue renvoie à l'acceptation, la sélection, le rejet que l'on peut actualiser devant un discours qui tend à dominer le champ social. Les réponses que l'on peut obtenir indiquent des prises de positions, des opinions, des élaborations intellectuelles, c'est-à-dire des représentations sociales. Autrement dit, les réponses formulées à propos d'un questionnement autour des thèses islamistes relatives aux statuts et rôles sociaux féminins sont révélatrices d'élaborations. Et ce sont les phénomènes que je tenterai de cerner tout le long de cette recherche.

La dépendance féminine constitue la base d'équilibre de la famille musulmane car elle conditionne la femme dans un rôle de mère dévouée, humble mais aussi transmettrice des valeurs. Elle doit avoir la foi, un bon caractère, mais aussi être belle, vierge, féconde. De plus, elle doit respecter un ensemble de normes qui règlent sa conduite tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de sa maison. Nous sommes donc en présence d'un système qui privilégie le collectif sur l'individuel, l'objectif sur le subjectif, sur le moi, sur le soi, la maîtrise sur l'excès . Dans cette logique, la structure du pouvoir est très stricte et fonctionne sur la base d'un système d'opposition : affirmation / exclusion, sacré / souillure, honneur / veulerie...

1- LE STATUT DES FEMMES DANS LE DISCOURS CORANIQUE

Le discours religieux sur la femme musulmane est multiple et varié. Il oscille entre le rejet, la réclusion du sexe féminin et son acceptation relative ou sa prise en considération en tant qu'être humain à part entière. Cependant, depuis des siècles, les femmes ont constitué une obsession pour l'ordre et la stabilité politique. Elles ont toujours été l'objet de discours moralisateurs. Certaines fatwas, consultations juridiques qui ont prévalu en Algérie depuis quelques années, sont très explicites en la matière. Elles traduisent le transfert d'un malaise d'une société en confrontation avec des problèmes d'ordre économique, politique, social et culturel sur les femmes.

Depuis la promulgation des partis politiques islamiques (1989), les femmes, objet de discours religieux lors des prêches dans les mosquées, sont désignées comme responsables de la crise des valeurs. Les victimes des moralistes sont les femmes dont le corps est décrié comme sujet de perdition et de séduction des hommes, aussi faut-il le contrôler, réprimer ses désirs, l'isoler et le cacher par de multiples voiles. Cacher la femme s'opère sous différentes formes y compris la laisser dans l'ignorance. L'accès des femmes (en général), musulmanes (en particulier) à l'instruction était très limité, bien qu'on ne trouve aucun texte dans le Coran ou la sunna qui prive la femme de l'éducation. Les fouqahas qui prônaient l'instruction de la femme l'ont cantonnée dans l'enseignement du Coran et des préceptes de la religion.

Dans les années 1920 au Maghreb, M. Mahdi El Hajoui, inspiré par ce qui se passait en Europe sur l'enseignement obligatoire pour les deux sexes et par référence aux sources authentiques du Coran et de la sunna, revendiquait l'éducation des filles. Il rencontra beaucoup de résistances au début de la part des Oulémas et des hommes politiques. Pourtant, l'éducation qu'il proclamait ne devait pas dépasser l'enseignement primaire car dit-il :

"On n'a pas besoin de femmes juge, écrivain ou médecin, il ne faut pas qu'elles soient concurrentes des hommes ou leurs égales. De plus, elles ne peuvent pas voyager à l'extérieur pour continuer leurs études..." 17(*).

Certes, à l'époque, le dévoilement des femmes et leur accès à la sphère publique ne posait pas de problèmes vu le respect des traditions, rares étaient les femmes qui accédaient à ces revendications. El Hajoui considérait le dévoilement comme une fitna et une atteinte à l'ordre familial. Il critiqua le modèle de la femme française et remit en question la libération de la femme arabe telle qu'elle était revendiquée par ses confrères arabes.

Tout le Maghreb (y compris l'Algérie) paraît ainsi très conservateur, le religieux est mis au service de la tradition. Les conceptions masculines sur l'émancipation des femmes restent encore timides. C'est avec Allal El Fassi 18(*) que le mouvement prendra un essor et une progression plus rapide.

En effet, le discours sur la spécificité et l'universalité des Droits Humains est prédominant dans les pays musulmans, plus particulièrement quand il s'agit du statut de la femme, noyau central du discours identitaire. Les fondamentalistes contemporains sont focalisés sur la spécificité contre l'universalité. Ils se sont alliés, durant les différentes conférences et rencontres, en refusant le principe d'égalité et en le remplaçant par celui d'équité.

Tous les discours ont un point commun : c'est la réclusion plus ou moins accentuée de la femme, son maintien sous l'autorité masculine et le rejet du principe d'égalité entre les sexes considéré comme importé et non convenant dans une société musulmane. D'ailleurs, l'accès des femmes à la sphère publique et leur participation à la gestion des affaires d'un pays semble une anomalie alors que l'Islam n'a jamais interdit à la femme d'accéder à n'importe quel poste de responsabilité, il suffit qu'elle soit instruite, formée et apte à l'assumer.

Si les interprétations de certains fouqahas ont contribué à la claustration des femmes, d'autres interprétations ont ouvert les portes à l'Idjtihâd pour accorder à la femme la place qui lui revient dans les champs économique, politique, social et familial. D'autres tendances islamistes semblent plus conscientes du rôle des femmes dans la politique et la nécessité de leur représentativité à toutes les échelles de la vie publique.

Dans le combat qui les oppose aux intégristes, certains musulmans modernistes se plaisent à souligner que la révélation coranique affirme l'égalité spirituelle de l'homme et de la femme et que, au regard de la condition féminine d'avant la prédication (Djâhiliya), l'Islam a incontestablement amélioré sa situation (par exemple : reconnaissance de l'égalité spirituelle des sexes, autonomie financière de l'épouse, droit à l'héritage, limitation et réglementation sévère de la polygamie, droit au douaire...).

Il suffit donc, aux yeux de ces modernistes qui sont partisans d'un modèle islamique des droits de l'homme, d'adapter simplement les textes religieux aux nécessités de l'heure et de les compléter pour parvenir à une réelle émancipation féminine.

À l'inverse, pour certains courants laïques et pour l'immense majorité des Occidentaux, l'Islam est une religion particulièrement sexiste ; l'infériorité intolérable de la femme dans les sociétés musulmanes, depuis quatorze siècles, en est la démonstration la plus éclatante. Il convient de nuancer ces deux positions en tenant compte des remarques.

Dans le contexte spécifique qui était celui de l'Arabie du VII ème siècle, l'Islam a certainement provoqué des changements profonds dans les mentalités et dans les structures sociales. De manière parfois ambiguë, le Prophète Mohammad a cherché une relative amélioration de la condition féminine.

Cependant, entre l'affirmation de ces principes et leur inscription dans le droit et surtout dans les faits, il y a incontestablement un hiatus que n'ont comblé ni les théologiens, ni les simples croyants (marqués par les structures élémentaires de la parenté propre à la région), ni les responsables politiques (étroitement soumis aux injonctions des théologiens-juristes, partisans d'un contrôle étroit de la femme et de son infériorisation).

Il faut, cependant, tenir compte du fait que la condition féminine a souvent été réglée par des coutumes locales (souvent préexistantes) étrangères aux normes juridiques et aux valeurs spirituelles de la religion musulmane. Ainsi, dans toute l'aire méditerranéenne, le contrôle de la sexualité des femmes s'intégrait dans des stratégies classiques de domination et dans le code de l'honneur, en vigueur encore aujourd'hui. En Algérie, le droit musulman s'est accommodé avec le droit coutumier algérien.

La femme a, partout, fait l'objet de stratégies de la part des hommes qui ont le monopole du contrôle de la circulation des biens1(*) et elle a été soumise à des rapports d'échange et de force entre familles, clans ou tribus. Mais, si l'éthique islamique a tenté de diffuser une conception novatrice porteuse d'émancipation, elle n'a pas modifié de manière significative cet état de choses et s'est accommodée de ces structures anciennes. Le texte coranique lui-même, d'où sont extraits les codes sacralisés et figés par les théologiens constitutifs du corpus du droit musulman, porte les marques des structures et des conceptions de l'époque antéislamique, contribuant ainsi à reproduire le statut d'infériorité de la femme.

J'ai été inspiré par plusieurs exemples pris dans le Coran (et cités par Boudhiba « La sexualité dans l'Islam » :

q Appréhension de la femme comme bien familial et assignation de celle-ci à la fonction procréatrice au profit du seul lignage masculin (Coran IV / 3) ;

q Ségrégation entre les sexes et enfermement des femmes (Coran XXXIII / 59) ;

q Autorisation de la polygamie (Coran IV / 3) ;

q Autorisation de la pratique de la répudiation (Coran II / 226-232) ;

q Soumission des femmes à la tutelle masculine en vertu de la prééminence reconnue des hommes sur les femmes (Coran IV / 38) ;

q Inégalité devant l'héritage (Coran IV / 12).

Le Coran indique clairement que les hommes doivent se prémunir contre les femmes, prévenir leur indocilité ou châtier leur désobéissance par l'admonestation, la relégation, voire les châtiments corporels (Coran IV / 38).

Certes, des innovations ont été apportées comme la condamnation du meurtre des fillettes à la naissance (Coran XVI / 60-61), l'abolition de l'obligation pour une veuve d'épouser le frère de son mari (Coran IV / 23) ; la stricte réglementation de la polygamie autorisée mais limitée par l'obligation d'un traitement égal des épouses (Coran IV / 3). Mais, ces innovations restent bien au-delà d'une véritable émancipation et d'une réelle égalité matrimoniale et sociale. Et on le voit d'une manière générale : les versets du Coran consacrent explicitement la prééminence de l'homme (père, mari, tuteur...) sur la femme en matière de vie conjugale, sociale et professionnelle bien que le discours coranique insiste sur l'égalité sur le plan matrimonial et, plus généralement, sur le plan social.

2- LES DROITS ET OBLIGATIONS DES ÉPOUX DANS LE CORAN

Le mari est appelé à respecter ses devoirs envers sa femme :

q Il doit cohabiter avec sa femme ;

q Il doit consommer le mariage et ne pas cesser, par la suite, de s'acquitter de son devoir conjugal ;

q Il doit s'abstenir de tout mauvais traitement à l'égard de son épouse ;

q Il doit subvenir à l'entretien de son épouse ;

q S'il a plusieurs femmes, il doit procéder à un partage égal des nuits ;

q Il doit autoriser son épouse à recevoir la visite de son père, de sa mère et, d'une manière générale, de tout parent à un degré prohibé, de même qu'à visiter ces personnes. De surcroît, le mari ne peut obliger sa femme à vivre sous le même toit que sa propre famille à lui (fait non respecté).

Parallèlement aux devoirs imposés au mari, la femme doit respecter cinq obligations :

q La femme doit obéissance à son mari ;

q La femme doit habiter au domicile conjugal ;

q La femme doit être fidèle au mari ;

q La femme peut, le cas échéant, être obligée de vaquer elle-même aux soins du ménage ;

q La femme peut disposer, dans l'intérêt exclusif d'un tiers et par donation entre vifs ou cautionnement, de plus du tiers de ses biens sans l'assentiment du mari.

Ces droits et devoirs ne sont pas appliqués à la lettre par les Algériens (ne font toujours pas référence au Coran mais surtout aux traditions). On constatera qu'il y a des similitudes avec le Code de la Famille...

3- LE VOILE : POLÉMIQUE ET DISCOURS

Dès qu'on parle de la femme et de l'Islam, on aborde les questions du voile et de la mixité qui ont amené à des prises de position, à des conflits, etc.

Le discours sur le voile est multiple, vieux et très actuel. Les connotations et les résonances risquent donc d'être denses et complexes. L'approche de la question de la femme voilée / dévoilée, du féminin "dévoilable" et "indévoilable" se veut anthropologique et psychologique. Elle tend surtout vers un essai de compréhension par rapport à plusieurs axes. Le voile est une relation au corps, la mixité est une relation à soi et à l'autre sexe. Le voile serait un langage et le corps porteur de symboles. Le voile, en tant que pratique vestimentaire, s'intègre dans un processus socio-religieux et culturel qui lui donne son sens complet.

Seulement, différentes interprétations attestent que le voile a été recommandé et non imposé. C'est une pratique qui permettait de distinguer les musulmanes ou de conditions libres (des "hourra") des non musulmanes, des "djawârîs" (esclaves) et des prostituées. C'est une affirmation de l'identité, elle avait comme fonction de protéger durant cette phase où les structures de l'Islam se mettaient en place et où les non-croyants cherchaient à humilier les musulmans en portant atteinte à leurs femmes. On peut se demander que représente de nos jours le voile d'une musulmane au sein d'une société de musulmans ? Cependant, le port actuel du voile atteste-t-il le retour au religieux ou est-il l'expression d'une société en crise ? Les déficits politique, économique, la perte des valeurs et des repères ont donné au voile d'autres significations : le voile couverture de l'identité, le voile auto-affirmation de soi, le voile cache misère, le voile concession, le voile peur, le voile enfermement, le voile séparation et le voile manipulation islamique.

Les penseurs de la renaissance avaient mené une campagne contre le voile, les mouvements nationalistes ont accepté, approuvé et encouragé le dévoilement des femmes (comme Charaoui, Nawel Saddaoui, Kasmi Amin, et Tahar Haddad... ). Les islamistes prônent, actuellement, le voile en tant que vêtement qui traduit l'appartenance à un groupe, qui exprime une idéologie et une façon de se démarquer des autres, les non islamistes.

À mon sens, le voilement et le dévoilement sont différents dans la réflexion. Pour les femmes voilées, il exprime différentes significations : d'ordre religieux, de pudeur, d'affirmation de soi, d'obligation familiale (répression familiale pour recouvrir la liberté et sortir du ghetto familial), de déséquilibre psychologique profond. C'est un enjeu identitaire et psychologique...

II- LES SOURCES DE LA LOI ISLAMIQUE

Voyons les sources de la loi islamique, les quatre principales bases de l'Islam, qui ont permis d'édifier les règles d'application de l'Islam.

1- LE SOURCES

LE CORAN

Il est de révélation divine, dicté au Prophète Mohammad. Ce livre sacré a permis d'écarter certaines coutumes pré-islamiques, d'en conserver d'autres et d'établir un code des valeurs musulmanes. Mon sujet n'est pas d'étudier le Coran mais d'en retenir quelques versets, à mon sens, significatifs pour montrer que le Code de la Famille s'est basé et a été calqué sur des textes Coraniques.

En matière de mariage, par exemple, le Coran ordonne que seule l'épouse, et non son père ou un autre homme de la famille, reçoive la dot (mahr) de son mari. "Donnez leurs douaires à vos femmes, spontanément" 19(*). La femme devient une partenaire légale dans le contrat de mariage plutôt qu'un objet bon pour la vente. La polygamie illimitée a été restreinte et le nombre des femmes limité à quatre.

Toutefois, une recommandation finale demandait que le mari qui ne pensait pas pouvoir traiter équitablement chacune de ses femmes devrait n'en épouser qu'une seule à la fois.

"... Epousez donc celles des femmes qui vous seront plaisantes par deux, par trois, par quatre mais si vous craignez de n'être pas équitables, prenez une seule ou des concubines" 20(*).

"... Vous ne pourrez être équitables entre vos femmes même si vous le désirez" 21(*).

En matière de divorce, de manière à donner aux époux une possibilité de réconciliation, une importante réforme coranique instaure une période d'attente de trois mois ou jusqu'à ce que l'épouse accouche de son enfant pour que son mari puisse divorcer d'elle.

" Pour celles de vos femmes qui désespèrent d'être menstruées, si vous avez des doutes, leur période d'attente sera de trois mois. Pour celles qui n'ont pas leurs menstrues : même délai. Pour celles qui sont enceintes, le terme de leur période d'attente sera leur accouchement" 22(*).

Un autre verset coranique dit :

"Ne les (femmes) expulsez pas de leurs foyers à moins d'une faute grave établie".

Ce verset est bafoué. Il n'y a là rien "a priori", à l'homme le droit ou le pouvoir de répudier librement sa conjointe. Au contraire, la condition non équivoque mise au divorce (l'établissement de la faute) semble restreindre singulièrement sa liberté en cette matière.

En effet, on ne saurait concevoir "l'établissement de la faute" dans les prérogatives d'un conjoint ; il serait, dans ce cas, le principe d'un arbitrage pour établir précisément la faute et prononcer, en conséquence et s'il y a lieu, "l'expulsion". Évidemment, il ne faudrait pas tomber dans le travers contraire : maintenir coûte que coûte une union impossible.

Le Coran a modifié le système agnatique (qui veut dire descendant d'un même ancêtre masculin) en introduisant la loi sacrée de l'héritage. Il est donc la plus importante des sources de la loi. Il faut pourtant signaler que les diverses interprétations de ses versets apportent des arguments tant aux partisans de l'émancipation féminine qu'aux intégristes les plus sévères.

- LA SUNNA (ou la tradition du Prophète)


La deuxième source de la loi musulmane concerne les faits, gestes et déclarations du Prophète pendant sa vie. Le compte exact de ces traditions (Hadiths) ne s'est terminé qu'au milieu du IX ème siècle.

Qu'elles soient de la ville ou de la campagne, toutes les femmes ont en commun de se référer à la tradition de l'Islam historique (la Sunna) et d'obéir à des traditions coutumières. Par leur mode de vie, elles ont, à travers le gynécée et la maternité, assuré la transmission d'une façon de penser et se comporter. La femme est définie, dès le début de sa vie, comme un être dépendant donc plus faible et inférieur à l'homme. Cette discrimination sexuelle est fondée sur une préférence divine en faveur de l'homme quant au devoir de subvenir aux besoins de la femme mais aussi de la corriger lorsque nécessaire.

"Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu'Allah a préféré certains d'autres que vous à certains autres et du fait que (les hommes) font dépense sur leurs biens (en faveur de leurs femmes)... Celles dont vous craignez l'indocilité, admonestez-les ! Reléguez-les dans les lieux où elles couchent ! Frappez-les ! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus contre elles de voie (de contrainte) ! Allah est auguste et grand" 23(*).

- IDJMÂ` (consensus)

Cette source juridique peut être définie comme étant l'accord unanime de la Oumma (la très haute instance musulmane). Le Coran, parole divine, est l'unique source d'obligation, la Sunna ne fait que nous informer au sujet des règles différentes, règles que Dieu nous impose. Quant à l'Idjmâ`, il ne fait qu'expliciter la Sunna.

- QIYÂS (raisonnement analogique)

Cette troisième source de loi permet d'émettre des jugements personnels limités en se référant à une autre situation dont la solution se trouve soit dans le Coran, soit dans la sunna (Hadiths ou Traditions). Parmi les usages les plus anciens du Qiyâs se trouvait celui de la fixation de la dot minimale. Un exemple d'analogie de la situation a été établi entre la perte de la virginité en raison du mariage et la pénalité coranique pour le vol égale l'amputation de la main... La virginité de la femme est considérée comme aussi importante pour elle que la main pour un homme, d'où l'analogie établie.

B- LES NORMES DE L'ISLAM PAR RAPPORT AUX FEMMES

Quelles sont les normes que la petite fille, puis la femme, doit respecter tout au long de sa vie ? Son arrivée est acceptée mais sans enthousiasme, contrairement à la naissance d'un petit garçon. Très vite, des rôles distincts seront enseignés au frère et à la soeur.

La fillette apprend qu'elle est avant tout dépendante de son corps dont elle peut user par séduction pour obtenir ce qu'elle veut, mais dont elle doit aussi avoir honte. Elle est considérée comme impure, elle devra tout au long de sa vie, et même après la mort, être purifiée grâce à une conduite irréprochable et à l'action de Dieu. Elle apprend dès l'âge de six à neuf ans les fondements de son rôle de ménagère et d'humble complément de l'homme.

L'homme a le monopole des attentions sexuelles de sa femme, de son travail et de celui de ses filles... Le mari doit subvenir matériellement à leurs besoins, s'en occuper et les protéger contre le reste du monde.

Les qualités de la femme complètent celles de l'homme : elle doit être humble, obéissante, loyale et différente. Sa place dans le monde est le reflet de sa position de gardienne... La confirmation primordiale de la valeur d'une femme s'exprime à travers les biens matériels qu'elle obtient.

La deuxième étape importante de la femme est le mariage. La fille devient majeure uniquement par le mariage avec préservation de sa virginité et doit être pubère. Le mariage ne peut se conclure qu'avec le consentement du tuteur légal (père ou un proche parent mâle, si celui-ci est décédé). Elle ne peut épouser un non musulman alors que l'homme peut se marier avec une étrangère de confession différente.

"Ne donnez point vos filles en mariage aux associateurs avant qu'ils ne croient ! Certes, un esclave croyant est meilleur qu'un associateur, même si celui-ci vous plaît" 24(*).

C- COMPRÉHENSION DE L'ISLAM

Lorsque qu'on parle de la femme en Islam, j'essaie de faire une approche normative, c'est-à-dire par rapport aux textes et préceptes de la religion musulmane. Sans trop m'étaler sur une littérature disponible à qui veut "l'éplucher", je ne peux simplement affirmer que la religion musulmane, en matière culturelle, oblige la femme, tout comme l'homme, de s'acquitter de ses obligations et que tout devoir accompli (ou non) est sanctionné de manière égale. Quant à la problématique de la femme dans l'Islam, elle est surtout posée lorsqu'il s'agit de l'activité sociale en terme de "sens féminin" et non en terme de "sexe féminin".

Pour pouvoir étudier de la manière la plus objective possible la question féminine dans les sociétés musulmanes, il faut se débarrasser des critères établis en dehors de celles-ci puis rétablir les critères déterminés par l'Islam et dont la variation de forme n'est autre que l'adaptation des sociétés pré-islamiques aux préceptes de l'Islam. Succinctement, l'Islam (en tant que religion) a débarrassé des sociétés pré-islamiques les idées qui font de la femme un "objet" ou, à défaut, un être accidentel et non désirable qui, lorsqu'il n'est pas systématiquement éliminé, est considéré comme un mal nécessaire que l'on doit souvent cacher. Au contraire de cela, l'Islam a introduit des idées nouvelles :

q La femme est une créature humaine ayant une perception de la vie différente de celle de l'homme mais complémentaire ;

q Elle est la garante des relations familiales (la notion de famille et des relations de familles est une des notions sacro-saintes en Islam et dont sa permanisation est un devoir religieux) ;

q Elle est dépositaire de la bonne éducation et des bonnes moeurs.

De cela découlent les droits de la femme à savoir (succinctement) :

q Droit à l'héritage (les Kabyles refusent d'appliquer) ;

q Droit à la propriété ;

q Droit à l'indépendance dans la gestion et la jouissance de ses biens même mariée (l'épouse de Mohammad était la première à appliquer cette Sunna) ;

q Droit à la consultation dans toute affaire "publique" quand celle-ci est soumise à consultation "populaire"...

Qu'en est-il de cela dans les autres pays musulmans comme la Turquie (pays musulman laïque), l'Arabie Saoudite (pays pratiquant à la lettre la charia), l'Iran (pats musulman de doctrine chiite) ? Ces trois pays musulmans ont des pratiques identiques vis à vis de la femme

L'objectivité veut que la réalité soit vue en face. En effet, la quasi-totalité des sociétés musulmanes, durant la longue période du déclin de la civilisation, tout en s'éloignant des vraies valeurs et des normes musulmanes, a laissé la place de la résurgence des valeurs aux survivances des valeurs antéislamiques conjuguées à celles des valeurs de l'Islam, donnant lieu à des valeurs de troisième type c'est-à-dire des valeurs païennes colorées d'Islam (que l'on retrouve dans certaines pratiques de diverses régions d'Algérie).

À titre indicatif, les regroupements autour du tombeau d'un saint ou d'une source dont on vante les bienfaits sont essentiellement des regroupements "féminins" à travers lesquels la femme affirme son existence en tant que telle et existence de son monde. Vénérer un saint ou une grosse pierre d'une montagne est interdit dans l'Islam. De par cette conjugaison de deux types de valeurs contradictoires, tout en étant gardienne des valeurs religieuses, la femme s'était construit un monde propre à elle et s'était éloignée du sens "féminin" qui détermine son rôle complémentaire de celui de l'homme.

Ainsi, deux mondes cohabitaient au sein des sociétés musulmanes dont la stagnation était le seul ciment qui les unissait. Et, en parallèle de la période de déclin, survenait la période des conquêtes de l'Occident sur les sociétés musulmanes.

II- LA FEMME ET LA LÉGISLATION DE LA FAMILLE

1- L'ÉVOLUTION HISTORIQUE DE L'INSTITUTION FAMILIALE

Trois périodes ont marqué l'évolution de l'institution familiale algérienne :

la conquête musulmane ou la période pré-coloniale, la période coloniale et la période qui suivit l'indépendance nationale : 1962 25(*).

Durant la période pré-coloniale, la famille algérienne était influencée par la religion musulmane et principalement par le droit malékite (cette doctrine s'est répandue en Espagne musulmane, elle tire son nom de son fondateur Mâlik Ibn Anas, né à Médine (717-795 de l'Hégire) et un des grands imams de l'Islam. Il faut savoir que les quatre écoles : malékite, hanbalite, chafi`ite et hanafite sont le résultat de la division du sunnisme (qui se différencie du chi`isme) sauf pour les Turcs et leurs descendants vivant en Algérie qui étaient régis par le droit hanafite. Les sources de la loi musulmane qui constitue le " fiqh" (Charia) ont régi les chapitres du statut juridique de la famille, c'est-à-dire en ce qui concerne le mariage et sa dissolution, le régime de la puissance paternelle, les questions relatives aux successions, etc.

Durant la seconde période et au début de l'occupation française, les Français n'ont pas touché à l'institution familiale algérienne, notamment au statut familial (convention du 05 juillet 1830), par la suite, leurs interventions successives concernaient aussi bien l'organisation de la justice musulmane (décrets du 10 septembre 1866, du 31 décembre 1866 et du 17 avril 1889) que l'état civil des indigènes musulmans d'Algérie (loi du 23 mars 1882).

D'ailleurs, les interventions de la jurisprudence et du législateur français étaient si profondes qu'un observateur français, M. Morand cité par G. Benmelha,26(*), témoigna ce qui suit :

"De tous les pays musulmans gouvernés par une puissance chrétienne, l'Algérie est peut-être celui sur lequel s'est abattue le plus lourdement la main du vainqueur car la France ne s'est pas bornée à exiger des vaincus la reconnaissance de sa souveraineté, elle a entrepris de les gouverner et s'est efforcée de leur imposer ses institutions (...)".

Le législateur français s'est, par la suite, carrément inspiré de la réglementation métropolitaine pour modifier quelques chapitres du statut familial. Il s'agit de la tutelle des mineurs (loi du 11 juillet 1957), de la formation du mariage et de sa dissolution (loi du 11 juillet 1957 et décret du 17 septembre 1959). Pour sa part, la jurisprudence française a modifié également le cadre de la famille algérienne en posant de nouveaux principes en matière de contrainte matrimoniale (djabr) et de garde d'enfants (hadâna). Ainsi, au terme de plus de cent trente ans de régime colonial, la famille algérienne a perdu en partie son empreinte islamique malékite.

Enfin, au début de la troisième période qui commença juste après 1962, l'État algérien s'est retrouvé devant un vide juridique, dans la mesure où un certain nombre de lois et de décrets régissant le statut familial étaient d'inspiration française.

La première réponse du législateur algérien était d'abord de reconduire les textes de loi du 11 juillet 1957 relatifs à la tutelle des mineurs et à la formation du mariage et sa dissolution - textes de loi qui ne vont pas à l'encontre de la souveraineté nationale (loi algérienne du 13 décembre 1962) -, ensuite, d'adopter une nouvelle loi votée par l'Assemblée Nationale Algérienne et relative à l'âge minimum au mariage (loi Khémisti 1963). Dans les années qui suivirent, en dépit des efforts fournis par le législateur en matière de codification du droit de la famille, il était très difficile de déterminer l'appartenance juridique de la famille algérienne dans la mesure où il fallait tenir compte à la fois de la Charia et des aspirations modernistes.

2- LE CADRE JURIDIQUE

Depuis l'indépendance nationale, plusieurs tentatives ont eu lieu pour promulguer le Code de la Famille : 1963-1964, 1966, 1973 et 1981. Toutes ces tentatives ont échoué face aux résistances des adeptes de la Charia, d'une part, et des rénovateurs, d'autre part. Lors des travaux préparatoires du Code de la Famille algérienne, le président de l'Assemblée Populaire Nationale rappelait que cet important projet de loi doit être conforme à notre religion et à nos traditions nationales, il doit également être adapté aux réalités sociales actuelles et à la société socialiste que nous voulons édifier telle que définie par la Charte Nationale et la Constitution 27(*).

On voit bien, à travers ce discours, que le souci majeur du législateur est d'arriver à forger - non sans difficulté - un Code de la Famille qui tienne compte des aspirations d'une société nouvelle mais, en même temps, sans trahir les préceptes de l'Islam puisque le peuple algérien est un peuple musulman et l'Islam est la religion d'État 28(*). Ce n'est que le 09 juillet 1984 que la loi relative au Code de la Famille fut promulguée. On note une légère évolution en ce qui concerne :

- l'âge au mariage fixé à 18 ans révolus (art. 7),

- du tuteur (père, proche parent ou walî en l'absence de l'un ou de l'autre) ne pouvant imposer le mariage ou s'y opposer (art. 17),

- l'épouse pouvant entamer une procédure de divorce au cas où son mari viendrait à se remarier : polygamie (art. 8).

L'évolution concerne également le divorce 29(*) : divorce intervenant après consentement mutuel des conjoints (art. 48). Les changements apportés par le législateur ne sont pas du goût de tous les observateurs, plus particulièrement en ce qui concerne le sort réservé à la femme.

Pour Hélène Vandevelde :

"Le droit joue contre les femmes algériennes puisque la condition féminine se résume à : une fille soumise à son père, une épouse obéissant à son mari, une mère liée à son foyer..." 30(*).

Saléha Boudéfa trouve que le nouveau Code de la Famille a :

"Pour souci de ne pas provoquer une rupture d'avec les valeurs et conceptions traditionnelles. Le code reprend même certains stéréotypes concernant la femme : source de "danger" pour la société, force capable de bouleverser l'ordre social, (...) si elle n'est pas encadrée par un ensemble de valeurs défensives 31(*) (...) Le nouveau code accorde très peu d'importance à l'enjeu que représente, aujourd'hui, la condition féminine ; cette dernière est inscrite dans le cadre d'une politique générale de développement de la société et aucun statut ne lui est conféré (...) " 32(*).

3- LE CODE DE LA FAMILLE DE 1984

Le Code algérien de la Famille de 1984, au centre des développements (à l'instar de la plupart des codes de statut personnel des pays arabo-islamiques), peut s'analyser comme la "référence structurante de la hiérarchisation des sexes en tant que valeur constituante de l'identité masculine". Quand nous disons identités, nous l'employons expressément au pluriel car nul ne peut penser l'articulation de la loi à la société concrète dans le seul champ de l'analyse juridique. On aboutirait à l'illusion entretenue dans la relation entre identités masculines et féminines par la construction d'un objet abstrait, c'est-à-dire identité au sens essentialiste que nous développerons dans le champ théorique en singularisant parfaitement et totalement des traits d'appartenance objective à des collectivités de subjectivisme.

"La loi est vécue par des identifications diverses se confortant ou se confrontant à l'ordre symbolique... en Algérie... Nous pourrions dire, en paraphrasant Hegel, que nous sommes en présence d'une crise de "l'identité de l'identité". C'est l'identité en tant que modèle, loi de référence structurante, qui est délégitimée, défaite" 33(*).

Il serait alors d'un grand intérêt d'interroger les causes de cette crise, d'en situer les lieux et les manifestations, d'examiner le conflit des représentations et la position des acteurs, notamment des femmes. La situation de l'Algérie est, à cet égard par la violence et la "radicalité", exemplaire. J'aborderai les divers aspects.

Le droit, norme positive dans la société, participe à des productions symboliques qui déterminent, dans toute culture, la place des sujets. Analysé de ce point de vue, le Code algérien de la Famille de 1984 prescrit les catégories légales d'identification qui désignent aux sexes les places nommées (ordre dans la généalogie), prescrites ou interdites. Cette dimension institutionnelle est donc une surface de projection des identifications. Tout le Code de la Famille se présente comme un ensemble de structures de la parenté fondant la filiation légitime.

a - DATES ESSENTIELLES À L'ABOUTISSEMENT D'UN CODE

- 1962

L'Algérie en tant que département français était géré par le code civil Napoléon et le droit coutumier par certaines jurisprudences (comme le mariage, le divorce...). L'Algérie de 1962 estimait, au lendemain d'une guerre de libération longue et meurtrière, avoir d'autres urgences que de légiférer rapidement sur le statut de la famille et celui de la femme au sein de cette famille. La question avait été débattue au cours de cette guerre comme en témoignent certains écrits de militants comme, par exemple, l'ex-ministre de la culture Ahmed Taleb Ibrahimi 34(*).

L'idée de légiférer un code conforme aux traditions arabo-musulmanes et à l'option socialiste, pour emprunter le langage de l'époque, n'est pas enterré pour autant. C'est alors que commence la longue marche vers le code actuel dans une société traversée par des contradictions. L'analyse des tentatives successives qui en résultent fait apparaître une clôture progressive sur les solutions classiques du fiqh malikite, leurs auteurs semblent ne pas avoir mesuré les évolutions réelles de la société algérienne depuis plusieurs décennies et même avant l'indépendance 35(*).

Le contenu traditionnel du droit musulman en la matière, ce que l'on appelle, en langage "colonisé", le "statut personnel", n'y est que partiellement traité. On en reste, en effet, aux conditions et effets du mariage et de sa dissolution et à la filiation, laissant de côté successions, testaments, donations et biens de mainmorte (waqf ou habûs), un avant-projet qui, à l'exception de quelques innovations reprises de la loi Khemisti de 1963, ne renouvelle guère les solutions du fiqh malikite.

- 1964

Le premier essai se situe début 1964 avec la mise en place, par le Ministère de la Justice, de commissions chargées d'élaborer un code. Très vite surgissent les contradictions d'ordre idéologique qui opposent, au sein même des commissions de travail, des " révolutionnaires" partisans d'une égalité absolue entre hommes et femmes et des " conservateurs" défenseurs du droit musulman en tant que reflet de l'identité nationale. Les premiers veulent organiser une famille et parlent de libération de la femme sans se référer à une éthique religieuse. Les seconds trouvent leur inspiration dans la rigueur islamique du réformiste badissien 36(*). En fait, le ton a été donné par le ministre de la justice : "Les commissions qui étudient le Code de la Famille, déclare-t-il, ne sauraient perdre de vue que l'Islam est la religion de l'État37(*). Les divergences sont telles que la tentative tourne court et le projet est enterré.

-1966

La question resurgit début 1966 lorsque la presse annonce un séminaire de formation organisé par le Ministère de la Justice, il est :

"Destiné à donner à nos magistrats une connaissance générale des nouveaux codes algériens, à savoir le Code de la Famille, le Code Pénal et le Code de Procédure Pénale..." 38(*).

Puis, c'est au tour du Président Boumédiène de déclarer, le 8 mars de la même année, dans son discours pour la Journée de la femme : "Le code qui est appelé à paraître est celui de la préservation du droit de la femme et de la famille algérienne". Le Ministère de la Justice va pourtant démentir l'existence de ce code qui, de fait, ne dépasse pas le stade de l'avant-projet. Le texte circule, néanmoins, dans le pays puisqu'il est reproduit en 1967 par Fadéla M'rabet dans un ouvrage qui fit alors grand bruit 39(*), et l'opinion publique se mobilise.

Le silence qui suit n'interrompt, cependant pas, le parcours souterrain de la recherche, comme en témoignent quelques discours officiels. Ainsi, le ministre de la Justice, ouvrant en mai 1968 le colloque maghrébin sur "L'instabilité de la famille et le droit de l'enfant au Maghreb", évoque "Le Code de la Famille que nous élaborons patiemment depuis plusieurs années... ". Il en donne les objectifs en accord avec le thème du colloque 40(*), un colloque houleux, troublé déjà par une présence islamiste véhémente et musclée.

- 1969

La question resurgit en octobre avec la mise en place annoncée par le très officiel (seul journal à l'époque, émanant du parti unique) El-Moudjahid, d'une commission "dont la mission est d'étudier et de confectionner le projet du Code de la Famille (...). Un premier rapport devra être déposé ainsi qu'un avant-projet de texte avant le 31 janvier 1970" 41(*)

"Le ton général en a été donné peu avant, lors des "journées d'études de la magistrature" (22-25 octobre 1969) : Assurer la stabilité de la famille (...), restituer au mariage son caractère de lien quasi indissoluble dans l'intérêt des enfants, ...par l'organisation d'un régime de tutelle uniforme où la mère pourrait jouer un rôle primordial... " 42(*).

Mais le stade du discours ne paraît pas dépasser cela et le silence retombe pour être de nouveau interrompu, semble-t-il, vers 1973.

- 1979 - 1981

C'est à la fin des années 70, après la mort du Président Boumédiène (décembre 1979), que le courant refait définitivement surface avant d'aboutir à la promulgation du code actuel. Deux avant-projets vont se succéder rédigés par une commission du Ministère de la Justice, le premier vers 1980 et le second en 1981. Bien que "confidentiels", ils n'en circulent pas moins dans un certain public, notamment celui des militantes féministes, anciennes moudjâhidâtes, collectifs d'avocats et autres groupements qui s'activent à les divulguer et vont, par tous les moyens disponibles à l'époque, s'efforcer de mobiliser l'opinion en vue d'un débat public.

La presse "unique" elle-même publie des courriers de lecteurs qui reflètent assez bien les diverses tendances de la société algérienne et les contradictions auxquelles elle est confrontée depuis l'indépendance. Mais ce sont surtout les élites du nord du pays qui se mobilisent sans toujours mesurer l'état réel d'une majorité importante de femmes algériennes.

Le débat qui va progressivement s'instaurer est crucial car il touche au projet de société jamais défini depuis 1962. Quels doivent être le statut et la place de la religion dans un pays qui aspire à la modernité tout en refusant d'y perdre son âme ? Plus encore en 1966, ces deux avant-projets sont massivement inspirés du fiqh malikite sans pourtant en conserver les garde-fous essentiels. Ils en confirment la dimension patriarcale et inégalitaire et ne correspondent nullement aux options du document de référence idéologique de l'époque : la Charte nationale mise en oeuvre par la Constitution votée la même année.

Charte et Constitution sont indubitablement d'inspiration égalitaire et socialiste même si elles affirment leur fidélité à la dimension islamique de la personnalité algérienne, donc la Charte définit les lignes majeures : islamisme et arabité. L'Islam y est de nouveau déclaré religion de l'État. Définition ambiguë, s'il en fut, comme le montre bien la diversité des interprétations de ce principe et des revendications que son application suscite dès le début des années 80.

Cependant, le statut des personnes en reste le domaine d'application privilégié. De fait, les quelques règles juridiques explicites du Coran confirmées et complétées par la tradition prophétique (sunna) ne concernent-elles pas justement le mariage et sa dissolution ainsi que les successions ? Elles sont dominées par l'inégalité de principe entre homme et femme, également déclarée par le Coran à propos "des droits de chacun dans le mariage et dans la répartition des successions" 43(*).

La comparaison des points les plus litigieux de chacun des avant-projets entre eux permet de faire apparaître les lignes générales de l'évolution jusqu'à l'adoption du code de 1984. Une évolution qui se caractérise par le renforcement progressif de l'opinion "patriarcale" et, tout d'abord, du mariage. Sans doute les trois avant-projets intègrent-ils les règles posées par la loi Khemisti de 1963 sur l'échange des consentements, la fixation d'un âge minimum et l'obligation d'inscrire l'acte de mariage à l'état civil. Ils interdisent aussi la "contrainte matrimoniale", prérogative que le fiqh malikite concède au tuteur sur ses enfants, garçons ou filles. Quant à la tutelle matrimoniale imposée à la femme, même majeure, elle est conservée en 1966 (art. 18). Le texte de 1979 ne la maintient que dans le cas du mariage d'une mineure (art. 16). Mais elle réapparaît dans sa formulation traditionnelle en 1981 : "La charge de marier la femme incombe à son tuteur matrimonial..." dont la désignation s'inspire des principes du fiqh malikite, explicitement en 1966 (art. 17), implicitement en 1981 (art. 8).

La direction de la famille est confiée par les trois avant-projets au mari qui en est déclaré le chef. Quelques minces ouvertures sur une réalité "conjugale" différente apparaissent dans le texte de 1976, elles y font au mari un devoir "d'exercer cette fonction dans l'intérêt du ménage et des enfants". Bien plus, et c'est là une innovation certaine, "la femme concourt avec le mari à assurer la direction morale et matérielle de la famille, à élever les enfants et à préparer leur établissement" (art. 40). Mais, ces limitations d'une autorité quasi souveraine disparaissent de l'avant-projet de 1981. Le devoir d'obéissance, déjà imposé à l'épouse en 1966, est restitué dans le contexte patriarcal institutionnalisé par le fiqh. Se conformant aux usagers, elle doit accorder à son mari les regards qui lui sont dus en sa qualité de chef de famille et, sans réciprocité pour sa propre famille, respecter ses parents et ses proches qui représentent l'agnation de son époux (art. 34).

La polygamie demeure tout au long de l'évolution mais ce n'est pas à proprement parler une "permission" puisqu'elle est inscrite au titre des "empêchements" qu'une dispense peut écarter. L'organisation et les limitations qui lui sont imposées en 1966 rappellent d'assez près celles du code irakien. Ainsi, l'autorisation du juge est requise sous peine de sanctions pénales (prison ou amende) - et civiles - dont la nullité du second mariage non autorisé (66 / art. 31, 33 et 34).

En 1979, c'est sous peine de nullité que le remariage d'un homme déjà marié est soumis à l'autorisation motivée du juge (77 / art. 15). Mais, la sanction pénale prévue en 1966 disparaît. La rigueur s'atténue encore en 1981 puisque le contrôle du juge n'est plus explicitement requis, de même que disparaît la menace de nullité (81 / art. 4). Bien plus, ce texte reprend à son compte le devoir du "partage des nuits" organisé avec une grande minutie par toutes les écoles du fiqh (81 / art. 32). Un autre verrou sauté : c'est la disposition qui permettait en 1966 (66 / art. 20) d'inscrire dans le contrat de mariage une "clause de monogamie". Ce silence est lourd de risques. En effet, bien inscrite dans la plupart des contrats algériens anciens 44(*), cette clause est considérée comme nulle par la doctrine dominante, à l'exception du fiqh hanbalite.

Les trois avant-projets conservent sans changement deux autres caractéristiques du mariage musulman. L'obligation pour le mari de verser un douaire (mahr) à son épouse demeure un élément fondamental du mariage (66 / art. 21-25 ; 79 / art. 18-22 ; 81 / art. 13-16). Par ailleurs, il reste toujours interdit à la femme d'épouser un non musulman (66 / art. 32 ; 79 / art. 13 ; 81 / art. 27).

Qu'en est-il de la répudiation  / divorce, autre point particulièrement sensible pour la stabilité de la famille autant que la situation de l'épouse ?

Le passage de la répudiation privée à la dissolution judiciaire est annoncé dès 1966. Mais, en dehors d'une disparition en 1979, la répudiation (talâq) reste une prérogative exclusive du mari (66 / art. 46 ; 81 / art. 44). Le texte de 1979 innove, cependant, par rapport au fiqh puisqu'il donne aux deux époux, à égalité, le droit de demander le divorce moyennant des réparations civiles le cas échéant (79 / art. 51). S'agit-il de l'ouverture de la répudiation à la femme ou plutôt d'une innovation adaptée à la réalité sociale et offrant à l'homme le thalât, ce divorce judiciaire ouvert à l'épouse par le fiqh malikite sous un certain nombre de conditions ? Reste que le mari semble ici ne plus se voir reconnaître le droit exclusif à la répudiation unilatérale que lui avait conservé l'avant-projet de 1966.

L'avant-projet de 1981 le restaure dans ce droit quitte, en cas d'abus, à payer, sous forme de dommages et intérêts, à l'épouse victime (art. 44). L'innovation s'arrête là puisqu'on ne retrouve plus les clauses communes aux deux époux définies en 1966 (art. 46) et en 1979 (art. 49-50) : le consentement mutuel, l'adultère, la condamnation pour infraction contre la famille ou pour mauvaises moeurs, les excès, sévices et injures personnels (79 / art. 50). Les conditions du divorce à la demande de la femme, selon les modalités du fiqh malikite (talâq) sont conservées et le texte de 1981 restaure le divorce avec compensation (talâq al-khul`), procédure empruntée au fiqh hanafite qui permet à la femme d'obtenir que son mari la répudie judiciairement moyennant une "rançon" (khul`) pour le prix de sa liberté (81 / art. 46).

Quant à la procédure du divorce, si les avant-projets de 1966 (art. 47-61) et de 1979 (art. 53-64) l'organisent avec une certaine minutie, le texte de 1981 garde le silence sur la question, en dehors de quelques brèves indications relatives au rôle du juge et à celui des arbitres suggérés par le Coran (Coran IV, verset 35), (79 / art. 57 ; 81 / art. 46). Les effets de la dissolution pour les époux et leurs enfants ne comportent guère de nouveauté par rapport au fiqh. Pour déterminer le délai de viduité, les textes de 1966 et 1979 prennent quelques libertés par rapport au fiqh (66 / art. 62-67 ; 79 / art. 71-72) en ne conservant qu'une computation mathématique. En 1981, on retrouve la notion de "périodes de pureté menstruelle", objet de tant d'arguties de la part du fiqh. Le but de la computation est double : elle permet de limiter le risque de confusion de paternité et le délai obligatoire au mari d'entretenir son épouse divorcée, l'entretien comportant la pension alimentaire (66 / art. 56 ; 79 / art. 69 ; 81 / art. 46) et le logement (79 / art. 69 ; 81 / art.50).

La garde des enfants mineurs reste tributaire du fiqh malikite. C'est la mère qui en est la première attributaire jusqu'à un certain âge : 15 ans en 1979 (art. 73) et 10 ans en 1981 (art. 53). L'évolution sur ce point bien particulier n'est nullement neutre, elle reflète assez bien le sens des codifications. La tutelle (wilâya) des enfants du couple appartient de plein droit au père tant qu'il est vivant (79 / art. 135 ; 81 / art. 76). S'il meurt, il peut être remplacé par la mère, à moins qu'il n'ait pris la précaution de désigner un tuteur testamentaire (79 / art. 136 ; 81 / art.76). Le fiqh donnait priorité au grand-père, tuteur des enfants de ses fils pré-décédés.

Reste la question si délicate du droit successoral et de ses annexes : testaments, donations et habûs ou waqf. En la matière, toutes les écoles de fiqh puisent directement à la source coranique. Les avant-projets de 1979 et 1981 ne font pas exception à la règle et conservent la division entre héritiers à quote-part (ashâb al-furûd), des femmes et quelques hommes, et héritiers par "agnation" (ashâb), des hommes et quelques femmes qu'ils "agnatisent". Ils gardent également intact le privilège de masculinité selon lequel, à vocation successorale analogue, l'homme bénéficie toujours d'une part double de celle de la femme.

Ces avant-projets constituent une préhistoire révélatrice du chemin parcouru pour arriver au Code de la Famille de 1984. Les très rares accrocs à la tradition patriarcale consolidée par le fiqh malikite n'ont nullement réussi à renouveler des principes souvent peu en accord avec la situation effective d'une partie de la société algérienne. La couleur est annoncée dès l'exposé des motifs de l'avant-projet de 1981. Ses auteurs disent s'être fondés sur la Charte Nationale et sur la Constitution, ainsi que sur les sources classiques du droit en Islam - Coran, tradition du Prophète (sunna), consensus (Idjmâ`), analogie (Qiyâs) et effort d'interprétation (idjtihâd) ; ils y joignent le fiqh et plusieurs codes déjà en vigueur dans certains pays musulmans, des références tout à fait contradictoires par les options que chacune représente. Manque, cependant, la référence explicite à l'application de la Charia. C'est le Code de la Famille qui l'exprimera.

La lecture des divers avant-projets élaborés depuis 1966 a permis de relever quelques-unes des contradictions majeures d'un système juridique soumis à des idéologies fondamentalement différentes. L'une privilégie la notion de "droit révélé" ou Charia avec laquelle, après bien des évolutions, on a fini, au XX ème siècle, par confondre le fiqh, du moins en ce qui concerne le statut des personnes. L'autre, s'appuie sur la raison humaine indépendante. Ces contradictions, bien qu'elles aient suscité les mises en garde des militantes féministes, ne semblent point avoir gêné dans leur option de fond.

Elles ont mis en place un système dans une société qui n'a plus rien à voir avec celle des premiers siècles de l'Islam, au risque des injustices auxquelles le Coran, prédication marquée par la recherche de justice sociale (`adl), avait voulu remédier à l'époque de sa réception par le Prophète Mohammad. L'expression "statut personnel" disparaît et c'est un "Code de la Famille" qui est voté en 1984 par une Assemblée nationale qui confirme et renforce la tendance vers la traditionalisation 45(*) et soulève la contestation véhémente du mouvement féministe algérien déçu par l'inaction de l'U.N.F.A. (Union Nationale des femmes algériennes émanant du F.L.N.). C'est même à cette époque que ce mouvement commence à se structurer.

Les anciennes moudjâhidâtes (combattantes), s'appuyant sur la moralité des héroïnes de la guerre de libération sont les premières à s'engager publiquement dans la bataille. Le 28 octobre 1981, elles osent affronter les traditions, les hommes, l'État et la police en "descendant dans la rue" et en organisant un sit-in devant le siège de l'Assemblée nationale où elles réclament d'être reçues pour faire valoir leur argumentation qu'elles appuient sur l'institutionnel de l'avant-projet au regard du principe d'égalité totale de tous les citoyens. Le mouvement est vite rejoint par d'autres militantes. Un "comité d'action issu du rassemblement" s'organise et lance un appel à la résistance. La mobilisation est telle que l'on croit, un moment, avoir remporté la victoire.

- 1982

En 1982, le chef de l'État, Chadli Bendjedid, prend l'initiative de retirer du bureau de l'Assemblée nationale (A.P.N.) l'avant-projet en cours de discussion.

- 1984

Et en avril 1984, lorsque la presse commence à parler des débats de l'Assemblée sans informer pour autant de leur contenu, il a été filtré sur la question de la vision que l'on doit avoir de l'Islam :

"Une vision moderniste de la religion, de la tolérance, de la justice et du progrès ou alors interpréter le dogme religieux de façon restrictive en ignorant les mutations réelles qui se déroulent autour de nous ?".

Modernistes et conservateurs seraient unis par "le Coran qui constitue l'instrument essentiel de l'élaboration de la loi dans ses grandes lignes" tout en différant "au niveau des nuances et de la façon dont sont interprétés le Coran et la sunna" 46(*).

Une lecture attentive du code adopté et promulgué en juin de la même année 47(*) permet de constater que l'on a finalement privilégié l'option conservatrice dans la forme et le fond. Ses rédacteurs (de la science fuqaha) utilisent même un langage directement puisé dans la tradition du fiqh. Ils reprennent presque mot pour mot les formulations du Coran et de la sunna. Le texte en reçoit une forme désuète qui s'accorde mal avec les options "modernistes" choisies par l'Algérie en d'autres secteurs et accentue l'ambiguïté du texte.

Lors de la présentation à la presse le 18 juin 1984, le ministre de la Justice s'efforce d'expliquer que le code représente le choix de l'Algérie pour un projet de société gouverné par "une morale socialiste qui respecte les valeurs arabo-islamiques du peuple algérien" 48(*). On retrouve ici un principe posé par le discours politique de l'époque : parmi les comportements étrangers à la société algérienne et représentatifs d'une certaine modernité, refuser "ceux qui portent atteinte à notre morale car ils sont contraires aux enseignements de notre religion et remettent en cause notre identité culturelle" 49(*).

L'équilibre entre modernité et respect des traditions n'est nullement atteint comme le fait apparaître l'étude du texte car on a peu mis en oeuvre une valeur coranique fondamentale, la justice à l'égard des personnes, des femmes en particulier. La famille n'est pas sauvée de la crise dans laquelle elle est plongée 50(*).

Un Code de la Famille réglementant tout le processus matrimonial a été adopté le 9 juin 1984 et se trouve aujourd'hui fortement contesté par les associations de femmes et par toutes les forces progressistes algériennes qui le considèrent comme anticonstitutionnel du fait qu'il institutionnalise la supériorité de l'homme sur la femme. Il est nécessaire de montrer, justement, en procédant au démontage de ses articles fondamentaux.

III- CONTENU DU CODE DE LA FAMILLE

Le 9 juin 1984, l'Assemblée Populaire Nationale algérienne adopte, à huit-clos, le Code de la Famille. Cette assemblée, essentiellement masculine, est constituée d'un parti unique, le F.L.N. Ce code, inspiré de la Charia (loi islamique) réglemente le statut personnel de la femme et ses relations avec l'homme au sein de la famille. Il considère toute femme algérienne, quel que soit son pays de résidence.

Ce code ne reconnaît aucun droit à la femme, l'asservissant entièrement à son rôle de reproductrice et d'éducatrice. Il la maintient dans un état d'infériorité et institutionnalise sa minorité à vie. La femme est enfermée dans la famille par filiation, elle est propriété du père ou, à défaut, du tuteur matrimonial (frère, oncle). Puis, par mariage, elle passe sous l'autorité de son mari qui doit subvenir à ses besoins mais il dispose de sa vie. Seul le père ou le tuteur décide de son mariage.

Une musulmane n'a pas le droit d'épouser un non musulman ; par contre, un musulman peut épouser une non musulmane. La dissolution du mariage est aisée pour l'homme qui peut, à tout moment, répudier son épouse et contracter jusqu'à quatre mariages selon ses moyens financiers. Par contre, la demande de divorce est excessivement difficile à obtenir pour la femme qui doit fournir des preuves sur l'infidélité et les fautes de son mari ou racheter sa liberté en versant une somme d'argent, le "khol`". Le divorce met la femme dans une situation catastrophique tant sur le plan matériel que moral. C'est le cas où le Code de la Famille est le plus injuste et préjudiciable pour la femme.

Ce code, au lieu de protéger la femme, la livre à toutes incertitudes. Il est totalement en opposition avec les droits humains fondamentaux tels qu'ils sont consignés dans les textes internationaux et également en contradiction avec la constitution de l'État algérien qui garantit les droits entre les hommes et les femmes.

Les luttes autour du Code de la Famille et aussi autour de l'école, lieu de dressage idéologique, est en fait une lutte entre l'ordre familial ancien et l'ordre politique nouveau, donc, entre le droit naturel (présenté comme religieux) et le droit civil. Voilà le véritable enjeu.

La sphère publique, obéissant à l'ordre ancien à travers l'adoption du Code de la Famille, s'est introduite dans la sphère privée en essayant de replâtrer son écroulement produit par l'environnement socio-économique et, de ce fait, a réduit à néant la possibilité de mettre en place un État démocratique.

La démocratie fait émerger l'individu et s'adresse à lui alors que, auparavant, le politique était géré par le chef de tribu charismatique et s'adressait au groupe. C'est pourquoi aujourd'hui, en Algérie, on se trouve dans une situation ambiguë où la constitution s'adresse à des citoyens et des citoyennes et le Code de la Famille adopté avant la Constitution de février 1989 s'adresse à des familles et à leurs chefs.

La famille se trouvant à la jonction du public et du privé, les conservateurs luttent contre le contrôle de l'État démocratique qui s'accroît par sa gestion de la démographie donc de la sexualité, des lignages, des transmissions de patrimoines, des structures de pouvoir à l'intérieur de la famille, en cherchant à séparer la reproduction de l'espèce de la sexualité et des fantasmes qui sont liés à cette dernière. Mais, par ailleurs, ces mêmes conservateurs somment l'État de gérer la vie spirituelle des individus en faisant de l'Islam une religion de l'État alors que la meilleure façon de faire triompher leur conception de l'Islam eut été, pour les associations religieuses, d'en délester ce dernier alors que prôner une séparation de l'État et de la religion est encore la meilleure façon de préserver la religion qui ne pourra plus noyer dans les considérations temporelles.

Mieux encore, il devait exister, comme dans d'autres pays musulmans, plusieurs Codes de la Famille selon le rite que pratiquent les candidats au mariage. Un Code Civil pourrait aussi être élaboré et proposé comme l'une des formes d'union proposée par l'État aux citoyens qui auraient, dès lors, le libre choix de décisions.

Dès l'indépendance de l'Algérie en 1962, alors que de nombreuses femmes avaient participé à la guerre et, de ce fait, avaient acquis une certaine émancipation, les courants religieux et conservateurs défendent une conception rétrograde de la famille et de la femme. Ils proposent l'adoption d'un Code de la Famille. Les anciennes "moudjâhidâtes" ainsi que les étudiantes, enseignantes et militantes politiques manifestent violemment contre un code qui ne respecterait pas l'égalité des sexes. 1965, 1971 et 1981 seront les étapes importantes de cette opposition, avec des manifestations dans les rues.

Cependant, la crise économique et morale des années 1980 favorise la progression des courants islamistes. Les intégristes invoquent avec succès, même auprès des femmes, que le choix du socialisme a entraîné le peuple algérien dans la dépravation et a éloigné les femmes de leur mission naturelle de procréatrices et d'éducatrices. Pour eux, l'égalité des droits entre hommes et femmes est une "aberration" qu'ils combattent.

Après l'adoption du code, des mouvements féministes vont voir le jour. En 1988, il existe une trentaine d'associations féminines qui vont former un collectif, la Coordination des femmes. Cette coordination va dénoncer les points les plus cruciaux de ce code : les modalités de conclusion du mariage, le divorce, le droit au travail, la légalisation de la polygamie. Parallèlement, en décembre 1989, plus de 100 000 femmes vont participer à une manifestation pour le maintien du Code de la Famille. Malgré les divergences entre les femmes elles-mêmes et malgré le déchaînement de violence dont elles font l'objet, de très nombreuses femmes vont continuer à s'opposer à ce code, bien souvent au risque de leur vie. Le gouvernement algérien reste sourd à leurs revendications. En avril 1996, le ministre de la Solidarité et de la Famille s'engage vaguement à entreprendre une révision du Code de la Famille.

En mars 1997, à quelques semaines des élections législatives, treize associations lancent un appel pour l'amendement de ce code et l'abrogation de vingt-deux de ses articles, elles comptent recueillir un million de signatures. La révision demandée porte essentiellement sur l'abolition de la polygamie, la suppression du tuteur matrimonial pour la femme majeure, l'annulation du "khol`" (rachat de la liberté) pour la femme désirant divorcer, l'attribution du logement conjugal au parent qui a la garde des enfants. De son côté, la section des femmes de l'Association Orientation Religieuse et Réforme (émanation du mouvement HAMAS : parti politique islamique modéré) lance un appel pour recueillir trois millions de signatures pour le maintien du Code de la Famille. Cette collecte de signatures sera sans doute plus facile pour les femmes islamistes que pour les femmes progressistes qui sont plus isolées et disposent de moins de moyens. Quant au gouvernement, il renvoie cette question au parlement qui sera issu des élections législatives de juin 1997.

Une pétition intitulée "un million de signatures pour le droit des femmes dans la famille" visait la renégociation, avec le pouvoir, du statut de la femme : c'est un échec cuisant. Elle a été initiée par un collectif de 14 associations de femmes, à l'occasion de la Journée de la Femme, le 8 mars 1997. Le contexte politique est important : pour tenter de reconstruire la légitimité des institutions mise à mal depuis 1992, le président Zéroual organise quatre scrutins : l'élection présidentielle en 1995, le référendum constitutionnel en 1996, les élections législatives et municipales en 1997. Le vote des femmes est donc un véritable enjeu de campagne.

Les dirigeantes du Mouvement des Femmes appartiennent souvent à la génération de l'après-indépendance. Elles se recrutent dans les élites francophones de l'opposition laïque mais des femmes proches du pouvoir les rejoignent aussi. Farouchement opposées au projet islamiste en général et au F.I.S. en particulier, elles ont activement contribué à médiatiser l'image de l'islamisme "ennemi des femmes, barbare et moyenâgeux". Au niveau national, mais surtout international, leur discours est une aubaine pour le régime algérien car il justifie, après coup, l'annulation du processus électoral et la stratégie du tout sécuritaire qui entraîne une militarisation sans précédent de la société algérienne.

Considérant que les succès remportés par l'armée sur la rébellion islamiste sont aussi les leurs, ces associations de femmes attendent en retour non plus l'abrogation du Code de la Famille mais la renégociation du droit des femmes dans la famille. Pour elles, l'État doit rompre l'ambivalence : d'une part, il reconnaît aux femmes des droits constitutionnels (droit de vote, au travail, abolition de toutes les discriminations) mais, d'autre part, il dénie aux femmes leurs droits dans la famille.

La pétition de 1997 était donc un test et un pari. Le régime algérien était-il prêt à soutenir cette démarche ? Et la société qui, hier encore, votait massivement pour les islamistes, était-elle enfin acquise aux valeurs de l'égalité entre les sexes ?

Le collectif proposait 22 amendements du Code de la Famille autour des articles de loi jugés les plus discriminatoires à l'égard des femmes, l'objectif étant d'ouvrir le débat sur des propositions alternatives. "L'espoir est permis", disent-elles puisque le Premier ministre déclare la révision du Code de la Famille et que le sujet n'est plus tabou.

Seule la presse privée francophone soutient le collectif en publiant, chaque jour, un talon-réponse d'adhésion à la pétition. Selon le Quotidien d'Oran (à l'ouest de l'Algérie), le nombre de signatures n'a pas atteint la barre des 50 000. Cet échec s'explique, sans doute, par une certaine candeur des initiatrices de la pétition qui, dans leur enthousiasme anti-islamiste, ont oublié le caractère profondément conservateur de toute dictature auquel l'Algérie ne fait pas exception, un régime dont le socle idéologique reste profondément arabo-musulman.

Le collectif invoque le climat sécuritaire et les massacres horribles qui l'ont amené à taire ses revendications car l'ordre des priorités était basculé. D'autres observatrices estiment que le Mouvement des Femmes né dans les années 80, toutes tendances confondues, est arrivé aux limites de son efficacité et de ses contradictions. Impliquées dans les luttes partisanes sous la pression des événements, ces différentes associations sont perçues comme des coquilles vides dispersées dans des luttes de leadership.

Les femmes algériennes ont toujours eu un rôle au moment des crises traversées par l'Algérie : elles ont participé aux guerres d'invasion et d'indépendance ainsi qu'aux événements du 5 octobre 1988. De 1988 à 1992, un mouvement démocratique est né, il luttait pour revendiquer la citoyenneté des femmes et montrer que l'on voulait appartenir à un pays moderne, une volonté qui était éloignée de tout sentiment ou position anti-islamiques. Ce mouvement fut étranglé.

Aujourd'hui, 5 % des femmes travaillent en Algérie : une minorité vit dans la modernité, une minorité encore peut, par exemple, poursuivre de longues études. Est-ce aussi difficile de lutter pour obtenir légitimement sa citoyenneté ? Qui continue cette lutte alors qu'elle n'a pas le droit à la parole ? Il ne s'agit que d'une minorité d'expression et d'action mais, d'aucune manière, d'une minorité d'opinion. Combien sont-elles à dire "NON" à la polygamie, aux conséquences du divorce... ?

Le Code de la Famille est, en ce moment, amendé par le parlement algérien alors que seule une abrogation de ce code est acceptable. La question de la femme est restée en suspens depuis des décennies et le reste encore aujourd'hui. Il semble que ce problème crucial pour l'avenir de la femme en Algérie et pour la société algérienne tout entière soit de nouveau mis en exergue. Cependant, même si la mise en place d'une véritable démocratie est la condition sine qua non pour qu'un contre-pouvoir puisse s'exercer, il faut regretter qu'une action forte de pression sur le gouvernement algérien n'ait pas lieu en Algérie (parce qu'elle est impossible) mais en France où l'on peut agir plus librement, où l'on sait combien ont été difficiles les combats des femmes pour garantir toutes les libertés (comme la lutte pour l'avortement) et où l'on sait combien, aujourd'hui, l'égalité entre les femmes et les hommes n'existe pas dans les faits.

1 -DES EXEMPLES D'ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE

(VOIR ANNEXES I : Code de la Famille)

D'une manière générale, à deux exceptions près, le texte institutionnalise simplement la famille organisée par le fiqh à partir de la lettre du Coran, une famille "légitime" au sens de la Charia, c'est-à-dire exclusivement fondée sur le mariage, une famille de type patriarcal basée sur le respect des solidarités agnatiques et des hiérarchies où la femme est traitée comme mineure permanente. Les prérogatives traditionnelles du père et du mari y sont peu détaillées. L'autorité du mari en tant que chef de famille reste entière. La femme a le devoir de lui obéir et de lui accorder les égards dus à son rang de chef de famille (art. 39).

La pratique montre que ce devoir est assorti pour le mari du droit d'interdire à son épouse l'exercice d'une profession. Sans doute l'épouse peut-elle se protéger contre ce risque en faisant inscrire dans le contrat de mariage une clause l'autorisant à "sortir travailler" (art. 35). Mais, c'est insuffisant. C'est pourquoi le "droit inconditionnel" au travail est l'une des revendications des militantes qui insistent pour que soit ainsi protégée une pratique de plus en plus courante. Des études ont montré que le travail salarié de l'épouse à l'extérieur du foyer met la prééminence masculine hautement en péril 51(*).

La fidélité, devoir légal, semble poser, en droit musulman classique, deux questions : la première est de savoir l'intérêt du devoir de fidélité pour le mari lorsque la polygamie lui est permise ? La seconde pose le problème du caractère du devoir de fidélité en droit musulman classique. Autrement dit, la fidélité est-elle une obligation réciproque ou, au contraire, pèse-t-elle unilatéralement sur la femme ?

Le rapport entre le devoir de fidélité des époux et la permission polygamique pose en Islam la triple question de savoir : si la fidélité est exclusive comme l'entend la législation occidentale ou si, au contraire, la fidélité s'impose au mari vis-à-vis de ses différentes épouses. Enfin, faut-il nier pareille obligation pour le mari car elle ne présente aucun intérêt en dehors du mariage monogamique ?

La notion de réciprocité dans les droits et devoirs du mariage ne peut s'entendre selon la tradition comme une égalité entre le mari et la femme. Comparée à la notion actuelle de fidélité, cette obligation semble écartée en droit musulman. Il n'y a pas de "respect d'un double engagement vis-à-vis du conjoint". Le problème, en tout cas, n'a pas pu se poser aux premiers légistes puisque l'homme peut avoir jusqu'à quatre épouses à la fois, sans compter un certain nombre de concubines. Il va donc de soi que l'obligation de fidélité ne présente aucun intérêt pour le mari si ce n'est qu'il doit se limiter à quatre épouses. Le concept de fidélité n'aurait donc aucun sens dans un pareil contexte. La réponse à la dernière question relative au caractère de fidélité paraît donc aller de soi en droit classique.

La vertu sexuelle de la femme demeure, en Islam, identifiée à l'honneur familial, d'où l'importance que revêt la claustration des femmes. Dans le mariage, cela pose concrètement le problème de la fidélité conjugale. Au regard de la femme, le Prophète semble avoir régler la question lorsqu'il a déclaré :

"O Hommes, vous avez des droits sur vos femmes et vos femmes ont des droits sur vous. Leur devoir est de ne point souiller votre lit par l'adultère ; si elles le transgressent, Dieu vous autorise à ne plus cohabiter avec elles".

Il n'est donc pas douteux que la fidélité soit un devoir pour la femme. Sa violation ne peut que tomber sous le coup de la loi civile (répudiation) et pénale (lapidation, flagellation). Au regard du mari, le devoir de fidélité pèse indiscutablement sur la femme mais la question de savoir si le mari aussi y est tenu s'est posée.

"Il vous est permis d'épouser les filles honnêtes des croyants et de ceux qui ont reçu les écritures avant vous, pourvu que vous leur donniez leur récompense. Vivez chastement avec elles en vous gardant de la débauche et sans prendre de concubines ".

Certains auteurs ont déduit de ce verset que le musulman marié ne pouvant prendre de concubines serait tenu du devoir de fidélité envers la femme épousée. L. Milliot récuse cette argumentation et propose que la traduction du verset soit rectifiée, notamment à la fin où il y est dit : "Vivez chastement avec elles (...) et ne les prenez pas pour concubines".

Le verset n'impose pas le devoir de fidélité à l'homme, il lui recommande de vivre légitimement avec sa ou ses femmes dans le mariage. Le mari n'est pas tenu du devoir de fidélité envers son épouse, deux arguments peuvent nous interpeller. Il existe dans la loi musulmane un seul terme pour désigner les relations illicites : "az-zinâ" ou "fornication". L'acte est sanctionné surtout si l'auteur est marié.

La loi musulmane règle minutieusement les conditions et les conséquences de l'adultère de la femme mariée qui revêt un aspect particulier en droit musulman classique, connu sous le vocable de "li`âne" ou "serment d'anathème". Il entraîne deux conséquences : d'une part, la dissolution du mariage et, d'autre part, le désaveu de l'enfant conçu ou déjà né. Cette situation se réalise dans certaines circonstances lorsque la femme a été surprise en flagrant délit d'adultère ou lorsque, durant le mariage, elle a été violée et qu'une grossesse s'ensuive ou encore si elle accouche alors que le mari sait ne pas être l'auteur de la grossesse.

Comment décliner la paternité qui incombe au mari en vertu de la présomption légale "l'enfant appartient au lit" ou "al-walad li-l-firâche" ? L'unique sorte de désaveu de paternité reconnue par la loi musulmane, c'est le li`âne. Pour être légalement admis à prononcer la formule, le mari doit être musulman et sain d'esprit. Lorsque la procédure est engagée, le juge vérifie la recevabilité de la prétention et le mari est invité à prononcer le li`âne dans une mosquée devant des témoins. Le juge prononce ensuite la dissolution du mariage. En droit malékite, la femme convaincue d'adultère se trouve à jamais interdite à son mari. Nous constatons que la loi musulmane ne dit rien de l'adultère du mari si ce n'est qu'il encourt la peine de flagellation. Quant au droit positif, il établit une certaine discrimination entre l'adultère de l'homme et celui de la femme.

En réprimant sévèrement la "fornication" (az-zinâ), le Coran, renforcé par la sunna, interdit absolument les relations sexuelles hors mariage. C'est pourquoi, comme le fiqh, le Code de la Famille ne prend aucune disposition concernant les mères célibataires et leurs enfants alors qu'il s'agit d'un vrai problème de société (surtout que, depuis les événements, leur nombre n'a pas cessé d'augmenter : depuis 1992, plus de 8 000 femmes ont été violées, certaines se sont retrouvées enceintes ...). L'adoption palliative utilisée, en fait, par bien des personnes est même formellement interdite (art. 46).

Le code innove, cependant, avec l'institution de la kafâla ou "recueil légal" comme substitut de l'adoption interdite par la lettre du Coran (XXXIII, 4-5) dans l'intérêt des enfants sans famille.

"L'innovation, résultat de l'action conjuguée des associations de postulants à l'adoption, est à mettre à l'actif d'un véritable effort d'acculturation du droit musulman aux besoins actuels de la société, effort réussi d'idjtihâd qui mérite d'être relevé" 52(*).

Les aménagements modernistes concernant la kafâla et la tutelle légale prennent en compte des besoins réels de la société algérienne. Quel que soit son âge, la femme ne peut jamais se marier de sa propre autorité, c'est à son "tuteur matrimonial" (walî) qu'incombe la responsabilité (yatawallâ) de la marier. Sans doute les prérogatives données au tuteur par le fiqh sont-elles quelque peu réduites puisque la traditionnelle "contrainte matrimoniale" (djabr) est désormais interdite (art. 13) mais, ce tuteur n'étant pas autrement défini, il convient, pour sa désignataire, de s'en référer à la Charia (la charge devrait en être dévolue au plus proche parent agnat de la femme : son père, son oncle, mais aussi son fils lorsqu'elle se remarie après un divorce ou un veuvage), comme l'indique clairement l'article 222 53(*).

Cette disposition, qui maintient la femme dans une minorité permanente, surprend dans un pays où celle-ci jouit des même droits politiques et civiques que l'homme et accède effectivement à de hautes fonctions d'autorité dans le gouvernement, la magistrature, la fonction publique, l'entreprise, etc.

Quant à la polygamie, elle reste maintenue non plus comme un empêchement dont on peut être dispensé mais comme une permission réglementée par la Charia (art. 8 et 37). Sans doute la première épouse doit-elle être consultée mais elle ne saurait s'opposer à l'exercice par le mari d'une prérogative que lui accorde la lettre même du Coran en l'assortissant d'une condition d'équité laissée à l'appréciation du croyant (Coran, IV, 2 et 129) ; sa seule ressource est le divorce avec tous les aléas que comporte cette solution (art. 53). Il faut rappeler que sur le terrain, il y a beaucoup d'abus, la pratique judiciaire montre que les hommes (maris) multiplient des manoeuvres dilatoires sans être empêchés pour autant de se remarier, à la différence de l'épouse exclue d'un éventuel "droit à la polyandrie" (art. 30). Nul ne paraît se préoccuper de l'interdiction faite aux hommes par le Coran de retenir les femmes veuves ou répudiées par contrainte (Coran II, 231) !

L'organisation du divorce reste tributaire des principes élaborés par le fiqh qui donne prééminence à l'homme sur la femme, les causes sont définies par le Code de la Famille (art. 48) et le mari conserve son droit exclusif à la répudiation. Sa décision s'impose au juge avec une innovation puisque celui-ci peut infliger des dommages et intérêts (très souvent maigres, l'équivalent de deux mois de salaire) au mari (art. 52). Certaines causes peuvent évoquer comme le "refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois" (art. 5, alinéa 3 ; Coran II, 226). Les preuves sont souvent délicates à rapporter.

Les causes de divorce / répudiation qui installent femmes et familles dans un statut de grande précarité sont vivement contestées par les militantes. La précarité de la situation des divorcées / répudiées est accentuée par le fait que le droit au logement qui leur est reconnu lorsqu'elles ont la garde des enfants est complètement vidé de son contenu par la restriction qu'y met le code : "Est exclu de la décision le domicile conjugal s'il est unique" (art. 52). L'application constante de ce texte, dans un contexte de crise aiguë de logement, a jeté à la rue bon nombre de femmes accompagnées de leurs enfants. La situation est d'autant plus dramatique que, conformément à la philosophie générale de la répudiation dans le fiqh, les jugements de divorce ne sont pas susceptibles d'appel sauf leurs aspects matériels (art. 57). La situation n'est guère plus brillante en ce qui concerne les droits pécuniaires.

On peut relever dans le code d'autres reprises du Coran (mot pour mot) : par exemple, pour la formulation des empêchements de mariage où l'on retrouve l'expression coranique des "femmes prohibées" (muharramât) pour l'homme (Coran, IV, 23-24), c'est donc bien encore l'homme qui se marie tandis que la femme est mariée ; de même pour le "livre des successions" dont tout le chapitre est consacré aux "héritiers à parts" déterminés et qui reprend la liste coranique (Coran, IV, 11-12).

Le Code de la Famille montre clairement ce renforcement de la famille par le contrôle strict de la femme et le caractère plus que démesuré du pouvoir accordé aux hommes sur elles. Les articles suivants sont, à nos yeux, les plus significatifs de la place accordée à la femme à l'intérieur de la famille et du renforcement de la famille patriarcale tribale.

Les articles 2, 8, 9, 11, 12, 14, 19, 36, 37, 38, 39, 48, 52, 53, 54, 62, 65, 66... Ces articles sont extraits du Code de la Famille qui s'apparente très fort au Code de l'indigénat.

2- ÉTUDE/ANALYSE DU CODE DE LA FAMILLE

En Algérie, comme dans tous les États maghrébins ayant constitutionnalisé la religion, le Code de la Famille promulgué le 9 juin 1984, vingt-deux ans après l'indépendance, est fondé sur une lecture interprétative des principes de la Charia. Il rattache l'organisation des relations matrimoniales et parentales au type de la famille agnatique des civilisations patrilinéaires ; il est décrit par les spécialistes 54(*) comme le texte le plus régressif dans la législation algérienne et le plus discriminatoire à l'égard des Algériennes.

Les circonstances de sa discussion à l'Assemblée Populaire Nationale et sa promulgation ne sont pas neutres. En effet, c'est dans une situation de malaise social et économique sans précédent, dans le tourbillon d'une crise identitaire dont le paroxysme a favorisé la montée de l'islamisme et dans le contexte d'une répression massive des militantes de mouvements féministes et d'opposition - entre autres, trois femmes du Comité d'Action contre le Code ont été incarcérées - que ce code a été adopté. Ceci a eu lieu en dépit de la réprobation exprimée lors des discussions et des débats de 1980 à 1984. Les sept femmes députées à l'Assemblée Nationale et les deux femmes ministres du gouvernement en place se sont ralliées au mouvement de protestation mené par les féministes, les moudjâhidâtes (combattantes de la lutte d'indépendance) et des milliers de femmes au foyer ou de travailleuses 55(*).

Ce code donnerait force de loi au droit musulman dans une interprétation équivoque des principes de la Charia et du fiqh et dans un esprit réducteur de l'adaptation de l'Islam (idjtihâd) 56(*) au contexte moderne des relations humaines. Il est en contradiction quasi-totale aussi bien avec la Constitution Algérienne qu'avec les instruments et normes internationales ratifiées par l'Algérie.

Par ailleurs, parmi les quelques aspects positifs de ce code, il y a :

q La fixation de l'âge légal du mariage à 18 ans pour les femmes et à 21 ans pour les hommes, ce qui est conforme à la recommandation des Nations Unies de 1965 qui fixe l'âge minimum à 15 ans (art. 7).

q L'égalité entre les deux époux dans le consentement au mariage, malgré l'obligation de la présence d'un tuteur matrimonial pour la femme (père, parent proche ou juge) (art. 9). Ceci atténuerait du sens de l'égalité si le législateur algérien n'avait pas prévu des dispositions à travers l'article 12 empêchant le père de s'opposer au mariage de sa fille.

q L'article 36 du code des droits et devoirs réciproques pour la sauvegarde des liens conjugaux et les devoirs de la vie commune. Prise dans l'absolu, cette disposition est certes non discriminatoire mais elle perd de son contenu dans la mesure où l'article 19 du même texte donne la primauté dans la relation matrimoniale non seulement à l'homme sur son épouse, mais aussi à la parenté du mari sur celle de la femme. La réciproque n'étant pas de rigueur, les droits et devoirs réciproques semblent ambigus et plutôt discriminatoires !

q L'une des seules dispositions du code totalement égalitaires est celle relative à la liberté et à la maîtrise de l'épouse, et de la femme en général, de ses revenus propres et de son patrimoine (art. 38). Cette disposition, qui est confirmée aux instruments internationaux sur l`élimination des discriminations et sur l'égalité des droits, est fondée sur les principes de la Charia instituant la capacité légale de la femme et sa liberté de gérer ses biens.

Enfin, la tendance à l'inégalité et à la discrimination prédomine dans la quasi-totalité des dispositions du Code de la Famille algérien. L'institution du tuteur matrimonial quel que soit l'âge, le niveau d'instruction et l'activité économique de la femme sont mis en vigueur à travers l'article 11 du Code de la Famille algérien. Par ailleurs, le maintien de la polygamie sous condition de l'acceptation de l'épouse précédente et du traitement équitable entre les épouses (art. 8) constitue un élément d'inégalité entre les sexes. Et ce d'autant plus que la prééminence de l'autorité masculine comme chef de famille est établie dans la relation conjugale (art. 39).

L'inégalité devant la dissolution du mariage est abordée sous forme de la répudiation déclarée devant le tribunal (art. 48). Bien que le divorce par consentement mutuel soit réintroduit par l'article 52, il reste toujours en faveur de l'homme puisque le domicile conjugal lui est dévolu et que l'épouse est tenue de restituer sa dot dans le cas où elle abandonnerait le domicile conjugal, quelles que soient les circonstances.

Après le divorce et dans le cas où la mère qui a acquis le droit de garde des enfants mineurs se remarie, elle est déchue de ce droit. Ceci est en contradiction avec le Code Civil algérien (art. 467), avec la Constitution ainsi qu'avec les principes du droit universel. L'inégalité des droits est, par ailleurs, instituée par des dispositions régissant la relation parentale dans laquelle la filiation légitime est exclusivement paternelle (art. 41.1), la filiation maternelle est de fait interdite. La tutelle sur les enfants est du ressort exclusif du père. La mère d'enfants mineurs, comme partout au Maghreb, n'acquiert cette tutelle qu'en cas de décès ou d'incapacité du père. Le système successoral, qui occupe une place importante dans ce code, ouvre le droit d'héritage aux Algériennes de façon inégalitaire du fait qu'un homme reçoit le double de ce que reçoit une femme.

Enfin et pour conclure ce tableau qui démontre que la loi algérienne régissant le statut des femmes dans la famille est inégalitaire, il est opportun de rappeler la remarque de N. Saadi qui dit : " Ces droits sont appliqués par les Algériens sans faire référence au Coran mais par respect des traditions" 57(*)

a- LE MARIAGE

Aujourd'hui, le mariage s'analyse en un ensemble de liens mutuels entre deux individus amenés à partager une commune destinée. Le mari demeure chef de famille mais les rapports d'autorité et de dépendance tendent à s'affaiblir pour céder le pas aux rapports de réciprocité. On assiste alors a une redistribution des pouvoirs et des fonctions au sein du ménage. Cette conception tend à s'élargir pour devenir la base du nouvel équilibre conjugal.

Ainsi, en matière de mariage - outre l'interdiction faite à la musulmane de se marier avec un non musulman car les enfants suivent la religion de leur père - et comme dans tous les pays de culture musulmane, le Code de la Famille stipule que le consentement de la femme est subordonné à celui du tuteur matrimonial, en l'occurrence le plus proche parent mâle (art. 11). Le père a, en outre, le droit d'empêcher le mariage de la fille vierge mineure ou majeure "si tel est son intérêt" (art. 12).

L'art. 39 prévoit qu'institutionnellement, on doit également lui rappeler sa conduite comme à une petite fille alors que cette dernière est préparée par l'éducation traditionnelle. Le principe selon lequel le mari est le chef consacré par la loi (art. 39) et la doctrine islamique est maintenu par le Code de la Famille. En maintenant cette qualité du mari, la loi reconnaît que l'association conjugale a besoin d'une direction, elle est assurée par le mari. La qualité de chef de famille comporte, bien sûr, la puissance maritale et le devoir d'obéissance que la femme lui doit dans certaines limites.

Par ailleurs, la qualité de chef de famille implique aussi l'idée que le mari a la responsabilité morale de la direction du ménage en dernier ressort. C'est à la femme de s'incliner en cas de conflit. Le mari commande, mais il agit "dans l'intérêt de la famille". C'est ce que décide l'article 36 -1- relatif aux obligations des époux dont celles de sauvegarder les liens conjugaux et de contribuer à la sauvegarde des intérêts de la famille. La qualité de chef de famille reconnue au mari n'est plus l'ancienne puissance lui appartenant sur sa femme et ses enfants, c'est une fonction sociale fondée sur l'affection, elle ne lui est accordée que dans l'intérêt de la famille.

Nouveau concept emprunté au droit français (ancien art. 213 du Code Civil français), la notion d'intérêt du ménage va permettre, pour freiner l'autorité maritale, de faire jouer la théorie de l'abus de droit jusque-là peu ou pas utilisée dans les conflits conjugaux. Dans ce cas, la question ne représentera plus grand intérêt car la répudiation perd de son caractère discrétionnaire et domestique. Il n'appartient plus au mari de "répudier" mais au Juge de "prononcer le divorce".

L'article 36 du Code de la Famille opère, en quelque sorte, un certain bouleversement dans la répartition traditionnelle des fonctions au sein du ménage. En limitant les pouvoirs du mari, la loi a élargi le champ d'action offert à la femme. Afin qu'une véritable association conjugale soit instaurée, il était nécessaire d'équilibrer les obligations personnelles de chaque conjoint pesant jusqu'alors lourdement sur la femme. "La femme contribue à la protection des enfants et à leur saine éducation...". La possibilité est accordée à la mère, en cas d'abandon de famille ou de disparition du mari, d'obtenir un jugement l'autorisant à signer tout document administratif concernant l'enfant (art. 63). Elle peut, enfin, être tutrice de plein droit en cas de décès du mari.

L'article 48 confirme que la dissolution du mariage peut intervenir "par la volonté de l'époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l'épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54". Ce sont des conditions très restrictives. Alors que le droit de répudiation existe sans contrainte pour les hommes, la femme peut emprunter deux voies : le divorce judiciaire (art. 53) ou la répudiation moyennant une compensation financière (art. 54).

L'assistance conjugale est un devoir qui consiste à donner des soins attentifs, à apporter une aide morale et matérielle, un réconfort 58(*). S'agissant d'une obligation de faire, le devoir d'assistance s'exécutera d'une manière insensible dans le mariage. L'assistance relève de sentiments affectifs, c'est un domaine peu juridique à l'instar du devoir de secours et on n'y accède qu'en cas de conflit conjugal. Relevant de sentiments d'affection, elle s'exécute en nature par l'aide et le dévouement que le conjoint apporte à l'autre en cas de maladie, d'infirmité...

Sous cet angle, elle est réciproque. Sous l'angle de l'assistance ménagère quotidienne, la réciprocité semble peu marquée. En effet, la loi musulmane fait obligation à l'épouse de vaquer aux soins du ménage et des enfants. Cette forme d'assistance, la tenue du foyer, est généralement analysée comme une fonction principale de l'épouse. C'est la seule expression d'assistance conjugale que la femme puisse apporter en permanence. En raison de son caractère, la doctrine refuse à l'épouse le droit de réclamer un salaire pour ce travail.

Les codes modernes font de l'assistance conjugale un devoir réciproque, ce qui ne manquera pas d'entraîner une nouvelle distribution des rôles et fonctions dans le ménage. L'assistance évolue en même temps que le statut social de la femme. S'il demeure des femmes asservies au service des maris, assaillies par les travaux ménagers en raison d'une certaine suprématie maritale, dans d'autres couples, en revanche, la fonction d'assistance sous ses aspects tend à devenir ambivalente. Les tâches domestiques sont souvent partagées et ne relèvent absolument pas de l'assistance féminine.

b- LA DOT

Définir la dot dans le monde arabo-musulman, c'est la différencier du douaire qui représente, en Occident, des biens paraphernaux accompagnant la future mariée et offerts par les donneurs. En Orient musulman, ces biens sont offerts à la jeune fille à marier par les preneurs et viennent s'ajouter au trousseau et autres biens mobiliers que les donneurs octroient à leur fille. Dans les deux cas, ce sont des biens qui aident le futur couple à s'installer et, éventuellement, à se stabiliser.

La dot remplit des fonctions diverses dans les pays musulmans :

q Sacrée dans le texte coranique, elle reste, aujourd'hui encore, une condition de validité et un effet du mariage dans tous les codes de statuts personnels, même les plus novateurs (Tunisie) ;

q Moyen de faire valoir, elle consacre la hiérarchie sociale et évite toute mésalliance ;

q Elle peut paraître en dehors de sa faculté sacrée et de son exigence à la validité du mariage et elle est consistante comme une garantie matérielle pour l'épouse.

Quant à son contenu, il peut se chiffrer à des millions (dans certaines régions en Algérie comme à Oran ou Tlemcen) comme il peut avoir une valeur symbolique ou une valeur représentative d'un don (comme de vingt centimes par exemple) comme le font les confréries des marabouts ou les Kabyles. Par la diversité de ses fonctions, elle semble être un régulateur social, économique, culturel et politique.

Considérant l'ampleur du sujet, je n'aborderai pas la relation entre la dot et la virginité mais on peut signaler plusieurs types de dots tels que :

q La dot déterminée ou musâwama dont le contenu et la délivrance sont connus dès la signature du contrat de mariage (basé sur la séparation des biens) ;

q La dot différée ou mu'akhkhar, dont le contenu est connu et la délivrance est différée dans le temps (lorsque la femme divorce, elle demande cette somme : c'est un gage de scurité);

q La dot de parité ou mahr al mith`, que le Code de la Famille reprend sans en connaître les tenants et les aboutissants.

Dans la famille traditionnelle, l'épouse musulmane n'exerce pas de profession rémunérée. Sa fortune ne peut provenir que de deux sources : la dot que son mari lui verse lors de la conclusion du mariage et les biens que sa famille lui remet, qu'il s'agisse du trousseau proprement dit ou d'une fortune personnelle (rarement). Quant au mariage, il fait mettre à la charge du mari l'obligation de répondre aux besoins de subsistance de son épouse quel que soit son degré de richesse.

La dot n'est pas une particularité typique du droit musulman, elle est une condition de validité du mariage qu'il régit, il s'agit d'accorder une importance considérable à la dot non pas en tant que convention matrimoniale mais en tant que condition du mariage lui-même. La dot forme donc un élément essentiel du mariage, mais la question s'est posée de savoir s'il s'agissait d'une condition de validité du contrat de mariage ou d'un élément dont le défaut ne porterait aucune atteinte à l'existence du contrat. C'est la question qui divise la doctrine islamique quant à la nature de la dot qui demeure donc controversée. En revanche, son régime ne varie que très sensiblement d'un rite à l'autre.

La dot, appelée également "mahr", constitue, en droit musulman, un don nuptial stipulé généralement dans le contrat de mariage. Dans le système musulman, elle forme la masse des valeurs fournies par le mari à la femme. Dans la dot, on a cru voir la contrepartie fournie par le mari en échange de la personne (de la femme) car "mahr" désignait le prix d'achat de la femme en Arabie préislamique. Est-ce que la dot est le prix de vente de la femme ? La majorité des doctrines soutiennent l'idée selon laquelle la dot n'est qu'un effet du mariage, seuls les malékites affirment que la dot est une condition du mariage, à défaut de quoi, le contrat de mariage serait nul.

Le législateur algérien attache un respect au rite malékite en la matière car il dispose que le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints, la présence du tuteur matrimonial et de deux témoins ainsi que la constitution d'une dot (art. 9). La dot est donc une condition de formation du mariage. Elle était envisagée comme une garantie pour l'épouse contre les abus du mari : mesure dissuasive, mais aussi moyen de réparation en cas de rupture du mariage puisqu'elle se transforme en don de consolation.

La dot est désormais un élément symbolique du mariage : l'hommage rendu par le mari à sa future épouse sous forme d'un présent de valeur. Elle va même au-delà de cette signification puisque, généralement versée avant le mariage, elle remplit une fonction sociale dans l'intérêt exclusif du nouveau ménage : subvenir aux premières nécessités d'installation du couple. La dot va-t-elle servir à payer en partie le trousseau apporté par la femme ? Quelle que soit la consistance de la dot qui demeure régie par les moeurs et les coutumes, elle est une condition du mariage en Algérie dont le défaut entraîne la nullité.

La jurisprudence française en Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) a été formelle à cet égard. Ainsi, un ancien arrêt de la Cour de Cassation dispose expressément que : "Le paiement de la dot est un des éléments substantiels du mariage" 59(*).

L'article 14 du Code de la Famille précise que la dot est ce qui est versé à la future épouse... Cette dot lui revient en toute propriété et, très souvent, elle la reverse aux parents pour couvrir les frais du mariage.

Aucun texte ne précise un montant maximum ou minimum de la dot. Toutefois, le Prophète va laisser entendre que la dot pouvait consister en un objet symbolique : "Présente un anneau de fer", a-t-il répondu à un indigent qui se plaignait de ne pouvoir payer de dot 60(*). Cheikh Mahmoud Chaltout, célèbre juriste, explique à cet égard que : "L'élévation du montant de la dot est contraire à l'intérêt des femmes car les jeunes ne seraient pas encouragés à la demande en mariage" 61(*) (valable encore aujourd'hui en Algérie).

Alors que la condition précaire de la femme musulmane ne soulève pas les passions (même chez les femmes elles-mêmes), le problème des dots excessives attire la faveur des deux sexes dans tout le Maghreb où les pratiques ont dépassé toutes les proportions imaginables. Dans certaines régions d'Algérie comme Tlemcen, Constantine... , la fille n'est accordée en mariage qu'au plus offrant. Les familles se livrent à de véritables transactions en contrepartie d'une dot élevée, la femme devra offrir un trousseau d'une aussi grande valeur.

Il arrive que le montant (de la dot) soit inestimable et ne soit même pas discuté. Il est laissé à l'appréciation et à la générosité de la famille du fiancé. Mais il arrive aussi que, sans scrupules, les pourparlers soient engagés afin de s'accorder sur le montant de la dot. Tout s'évalue en argent et si les négociations n'aboutissent pas, il est très aisé de rompre une union sur le point de naître.

Signalons que le trousseau est une pratique qui s'est constituée en marge du droit. Elle ne trouve en fait sa source ni dans le Coran, ni dans la Sunna. Cette pratique immémoriale a pris aujourd'hui figure d'institution ancrée dans les milieux sociaux. Les parents de la femme ont une obligation morale de lui fournir un trousseau, la dot doit être versée par le futur époux. Si le trousseau et la dot sont joints, ils doivent être obligatoirement proportionnés, faute de quoi, la mariée ne serait pas à l'abri de reproches de la part de sa belle-famille.

Le trousseau offert par le père apparaît comme une donation. Il est soumis à toutes les règles qui régissent les libéralités. Pour les malékites et les hanbalites, la donation est irrévocable en vertu d'un hadith qui affirme que : "Aucun donateur n'a le droit de révoquer sa libéralité, sauf le père". Si la donation est faite en faveur du mariage (dot du fils, trousseau de la fille), elle aura un caractère synallagmatique : le donateur a gratifié son descendant dans le but que ce dernier soit marié, si le mariage est conclu, le but est atteint.

L'article 211 du Code de la Famille est demeuré fidèle à cette règle :

Le trousseau n'est qu'une forme de convenance et pour réagir contre ces pratiques excessives, l'article 18 décide que :

"L'époux n'est pas fondé à exiger de sa future un apport quelconque de meubles, literie, effets vestimentaires en contrepartie du sadâq offert".

Obligatoirement dotée par son mari, la femme aura aussi droit à l'entretien, quelle que soit sa fortune.

Ces droits sont appliqués par les Algériens sans faire référence au Coran mais par respect des traditions.

À cela vient s'ajouter le versement d'une dot qui, matériellement et définitivement, marque de son sceau l'infériorité de la femme. De là découle le droit de l'époux à la polygamie et à la répudiation. Toutes ces dispositions ont été proposées comme fondamentalement islamiques par les membres de l'Assemblée Populaire Nationale. Or, selon les chercheurs en sciences islamiques, tel qu'El Assiouty 62(*), il semblerait que la dot et la polygamie soient des survivances pré-islamiques. Aussi retrouvons-nous la dot chez tous les pays historiques :

"C'est le "mohar" des hébreux, le mariage "arsha", "ashoura", dans l'Inde brahmanique, le mariage par achat, la seule forme de mariage connue en Grèce homérique, le mariage compta, le "mundr", "gabe" ou "méta" chez les Germains, le "mahr" des Arabes djahilites" 63(*).

Le versement d'une dot, lors du mariage, doit être compris dans le cadre de la dialectique du don et du contre-don propre aux sociétés traditionnelles où l'exogamie était la pratique dominante. Dans la Mecque préislamique, le mariage est exogamique, c'est-à-dire qu'il s'effectue de groupement à groupement (famille, clan, tribu) par un échange ne pouvant que très difficilement être simultané, le versement d'une contre-valeur s'impose bien moins comme un prix quelconque que comme une indemnité pour la perte provisoire que subit le groupe, en attendant la contre-prestation que présente la cession d'une autre femme, livrée en contre-échange.

c- LA POLYGAMIE

En permettant d'assurer une large progéniture, elle constituait une solution aux problèmes de main-d'oeuvre et de mortalité infantile : survivance préislamique et biblique,

"La polygamie est une institution qui remonte à la civilisation de l'agriculture et de l'élevage" 64(*).

Il est vrai que le Coran autorise la polygamie, mais il impose également au mari d'avoir un comportement équitable envers ses épouses ; et on lit ceci :

"Vous ne serez jamais capables d'agir équitablement à l'égard de vos femmes, quand bien même vous le désireriez ardemment".4(*)

Or, le Code de la Famille maintient la polygamie "si les conditions d'équité entre les épouses sont réunies" et si la première épouse est consentante. Au regard de cette disposition de l'article 37, on se demande pourquoi le législateur n'a pas cru bon de préciser quel motif de remariage peut être considéré comme acceptable par la justice ? Qu'appelle-t-il les conditions d'équité qui doivent être réunies par le mari pour que son remariage soit autorisé ? Il eut été plus simple d'en dresser une liste qui soit suffisamment lourde pour faire de la polygamie un acte impossible. Par contre, il s'agit ici d'autoriser la femme à demander le divorce si elle refuse le remariage de son époux comme si cela était une solution. Est-ce cela qu'on appelle réunir les conditions d'équité ?

Si la première épouse, pour diverses raisons surtout économiques, ne peut demander le divorce, elle se trouve acculée à jouer le rôle de maman de son époux. Il faut supposer, en effet, que l'épouse entretient des rapports mère / fils avec son mari pour imaginer qu'elle puisse tolérer son remariage, sans trop de dégâts psychiques. Dans un pays comme l'Algérie où un véritable culte est voué à la jalousie masculine, où il est, par conséquent, possible de mesurer la valeur affective de la relation conjugale, l'institution de la polygamie suppose ceci : ou bien la femme est supposée incapable de ressentir la jalousie donc de l'amour aussi, ou bien l'homme est décidé à passer outre. Dans les deux cas, même s'ils se trouvent souvent amalgamés, le mépris de la femme est flagrant. Et pour cela, la polygamie est d'une cruauté illimitée.

L'article 8, qui concerne la polygamie, précise que si les épouses précédentes ne consentent pas au remariage du mari, elles peuvent demander le divorce. Le consentement des épouses n'est donc pas une condition nécessaire puisqu'elles ne peuvent pas empêcher le remariage. Le mari est seulement tenu de les informer. En cas de décès du mari, s'il y a une descendance, la veuve n'a droit qu'au huitième de ce que laisse son mari alors que le veuf a droit au quart (art. 145 et 146) et, en matière de succession, "au partage, l'héritier mâle reçoit une part de succession double de celle de l'héritière" (art. 172).

En fait, le mari acquiert le droit à la polygamie et à la répudiation par l'obligation d'entretien qu'il doit à son épouse. Ainsi, ce qui est considéré comme étant un privilège accordé à la femme représente, si on y regarde de plus près, une perte pour elle. Motif d'un chantage éhonté qui touche à la dignité même de la femme, l'obligation faite au mari d'entretenir sa femme se retourne contre cette dernière comme un boomerang. En effet, en échange de cet entretien, la femme doit céder une partie de ses droits, à commencer par sa liberté de mouvement. Elle doit, par exemple, demander à son mari l'autorisation de rendre visite à sa famille et ce droit de regard la met dans la même position que ses enfants. Ecartée des responsabilités sociales, elle se voit transformée en enfant incapable de se contrôler elle-même et ignorant les dangers réels ou fictifs de la rue.

Le rôle de la femme-enfant se trouve, dès lors, être le deuxième rôle que doit jouer la femme, après celui de la mère. Quant à l'homme, grâce à un nouveau renversement de la situation, l'entretien de sa femme le valorise socialement et sa femme lui doit sa reconnaissance. Au regard de ce processus, je constate que nous sommes loin de la fameuse libération de la femme en raison du droit qu'elle a de se faire verser une dot par son époux. Appréhendée dans sa signification historique, on peut comprendre que, dans une Arabie où dominait le mode de vie tribal et où la pratique de l'exogamie était la pratique dominante, la perte d'un membre du groupe soit compensée par un don.

Mais aujourd'hui, le processus de mise en place d'une société moderne étant en voie de réalisation, la signification de la dot doit changer. En effet, le mariage n'est plus un échange entre groupes socio-économiques vivant en autorail et dans lesquels le départ d'une femme peut-être considéré comme la perte d'une force de travail pour une famille. Le mariage revêt une nouvelle signification, celle de l'union légalisée entre deux individus dans le but de créer une famille.

d- LE DIVORCE ET SES CONSÉQUENCES

Le problème du divorce est, lui aussi, une des plaies de la société algérienne contemporaine. Alors que, selon les chiffres, leur nombre va en croissant d'année en année, le Code de la Famille a proposé de perpétuer les facilités de rupture du lien conjugal.

Dans l'Islam, deux formes de répudiation sont prévues et, pour chacun des cas, il est exigé la prononciation rituelle. Dans le premier cas, la répudiation est révocable (talâq radj`î) : il est accordé au mari quelques mois de réflexion avant que le divorce ne devienne effectif. Dans le second cas, la troisième répudiation est considérée comme irrévocable : réépouser une femme répudiée trois fois est strictement interdit par la religion musulmane sauf si elle a, entre-temps, contracté mariage avec un tiers (El Mouhallal : rendre la femme licite).

Conformément à l'article 37, la femme qui fuit un époux violent, par exemple, pour se réfugier chez ses parents peut être ainsi considérée comme ayant abandonné le domicile conjugal. Cette cohabitation forcée doit subsister même durant la période précédant un divorce sur l'initiative de l'épouse. Quelle que soit l'attitude du mari, celle-ci doit continuer à vivre avec lui sous le même toit jusqu'à la prononciation du divorce au risque de devenir "coupable" d'abandon du domicile conjugal et de voir le divorce prononcé à ses torts.

Dans la procédure de répudiation par compensation, la femme achète sa propre répudiation à son époux. Alors que n'importe quelle femme a le droit, en théorie, d'y recourir, certains juges soumettent, semble-t-il, cette sorte de "rachat" à l'autorisation préalable du mari qui peut ne pas l'accorder. Beaucoup de femmes ne peuvent racheter leur liberté car il leur est demandé des sommes faramineuses afin de les dissuader de leur demande de divorce. Ainsi, leur divorce reste en suspens (ni divorce, ni entretien du mari et, bien sûr, sans pension alimentaire) : cela peut durer plusieurs années (sans pouvoir également se remarier : leur vie de femme s'arrête !). De son côté, le mari qui veut répudier son épouse se contente de manifester sa volonté devant le tribunal qui est obligé de prononcer le divorce.

Si le divorce peut avoir un effet dramatique sur le devenir social et affectif de la femme (la prostitution devient de plus en plus importante), il a un effet dramatique, aujourd'hui, sur le développement de l'enfant. En effet, dans la société

traditionnelle, l'enfant n'est pas pris en charge uniquement par sa mère, tous les membres de la famille élargie, tantes et grands-mères, interviennent dans son éducation.

L'article 87 confie au seul père la tutelle des enfants mineurs. Celle-ci ne peut être exercée par la mère qu'après le décès de l'époux. Même en cas de divorce et même si la garde des enfants échoit à la mère, le père conserve seul la tutelle. Cette disposition, comme on le verra plus loin, peut avoir des conséquences dramatiques si le père disparaît dans des circonstances inconnues. On assiste alors à un blocage total du cours normal des affaires familiales : allocations familiales non versées, situations scolaires bloquées...

Il faut rappeler qu'un enfant ne peut sortir du territoire algérien sans l'autorisation de son père ou du procureur (ou juge) quelle que soit la situation (parents séparés ou divorcés, parents de mariage mixtes...).

En cas de séparation des parents, le droit de "hadâna" (droit de la mère à garder son enfant), la solidarité communautaire et la conception "humaniste" des relations sociales viennent tempérer un tant soi peu les retombées psychoaffectives du divorce sur l'enfant. Ce dernier, pouvant continuer à circuler entre les deux familles qui l'accueillent avec une tendresse égale, voit normalement son père. Le divorce étant une pratique courante, le groupe, en prenant en charge l'enfant, rend cette séparation moins dramatique.

En ce sens, le divorce n'est pas considéré tout à fait comme un drame, la femme pouvant facilement se remarier, plusieurs fois même, à condition de respecter le délai de trois mois imposé par la religion entre deux mariages successifs. Les facilités du mariage et du divorce impriment, il est vrai, au mariage et à la famille qui en résulte un caractère d'instabilité, lequel peut devenir dangereux pour l'équilibre des parents et des enfants. Ce d'autant plus que la famille n'est pas celle fondée par les deux époux et leurs enfants, mais comprenant également les ascendants et descendants de l'époux. Et parfois, ceux de l'épouse. Cette dernière, hantée par l'obsession du divorce, considère sa présence dans sa belle-famille à la limite comme provisoire et continue à entretenir des relations privilégiées avec sa propre famille. Ce n'est souvent que lorsqu'elle aura marié son fils qu'elle commencera à s'identifier aux intérêts de son époux, le fils jouant le rôle de protecteur de la mère contre les vexations qu'elle aurait à subir de son père.

Mais, l'industrialisation et l'urbanisation font éclater progressivement la cellule familiale traditionnelle qui a tendance à se transformer en famille nucléaire se réduisant au couple et à ses enfants (voir chapitre espace privé/public) et ceci constitue une donnée qui semble irréversible. En effet, en raison de cette évolution, les statuts et les rôles assignés à l'homme et à la femme sont en mutation rapide. Les relations familiales et, plus particulièrement, les relations entre couple et leurs parents respectifs ont changé.

Les grands-parents acceptent de plus en plus difficilement de prendre en charge les enfants du couple divorcé. La femme divorcée ne peut plus retourner aussi aisément chez ses parents, ni se remarier facilement. En raison de l'exiguïté des logements et leur rareté, en raison du changement de société qui s'opère.

Le divorce devient maintenant un vrai drame social. La femme répudiée, selon les formes traditionnelles, même si elle a une formation universitaire, a des difficultés énormes à se faire accepter socialement. Vit-elle seule ? Voilà la traditionnelle qualification de prostituée qui la guette : la société hantée par l'idée de la prostitution n'imagine même pas la possibilité d'une relation amicale entre un homme et une femme.

Les raisons du divorce ont tendance à devenir multiples : la cohabitation avec la belle-famille est de plus en plus refusée par la jeune épouse. Si celle-ci est obligatoire, ce qui est souvent le cas en raison de la tradition et parfois de la simple crise de logement qui sévit en Algérie,. La tutelle de la belle-mère est refusée de façon de plus en plus systématique par la belle-fille, même lorsqu'elle est analphabète car elle tient à fonder une famille dont elle sera membre à part entière. Cette affirmation de sa dignité, qui est aussi un refus des anciennes modalités de vie, constitue souvent pour la femme un motif de divorce.

Une autre raison de divorce est constituée par l'exercice d'une activité salariée qu'exigent un nombre croissant de femmes. Le mari, obéissant au système de valeurs traditionnelles, considère l'apport d'un salaire par son épouse et sa fréquentation d'un milieu professionnel à composition essentiellement masculine comme une atteinte à son honneur, à sa "masculinité" pour tout dire. L'honneur d'un homme n'est-il pas constitué autour de l'obligation que lui pose la société d'entretenir sa femme? Ne lui fait-elle pas croire à la fidélité de sa femme ? Doit-il croire seulement à la soumission de sa femme, laquelle est basée sur sa dépendance économique ?

La société lui enseigne que la femme, incapable de se contrôler elle-même n'est fidèle que par peur et non par choix. La femme mariée, si elle exerce une activité salariée, se trouve la dépositaire de l'honneur de son mari qu'elle doit défendre contre une opinion sociale tatillonnée. Lourde charge qui amène certaines travailleuses à ne jamais adresser la parole à leurs collègues masculins en dehors du travail.

En outre, la situation est aggravée pour la femme répudiée qui n'a pratiquement jamais droit au logement car l'article 52 ne lui permet pas de garder le domicile conjugal, s'il est unique. Il est évident qu'il eut suffit d'écrire que la femme divorcée ayant la garde des enfants n'a pas droit au logement et les choses auraient été plus claires quand on sait que l'Algérien moyen a, parfois, un logement. Quant aux cas extrêmement rares, on pourrait créer des dispositions particulières les concernant.

L'article 52 prévoit que le domicile conjugal revient à l'homme après le divorce même si la femme a la garde des enfants (sa voisine tunisienne garde toujours le logement conjugal). Si aucun tuteur n'accepte de l'accueillir, elle n'a droit à un logement fourni par l'ex-mari que selon les possibilités de ce dernier. Elle risque donc de se retrouver à la rue avec ses enfants alors que le mari conserve l'ancien domicile conjugal. Qu'elle ait été répudiée sans appel ou contrainte à racheter sa liberté, le statut social de la femme se trouve changé, accompagné du regard traditionnellement péjoratif porté sur "la divorcée". Résulte de cette séparation une instabilité économique pour une majorité de femmes analphabètes et jusque-là sans emploi, des femmes et leurs enfants se retrouvent à la rue tandis que le mari jouit seul ou avec une autre épouse du logement conjugal.

Cette façon de présenter les choses est d'autant plus choquante qu'elle se trouve en retrait avec les dispositions du Code Civil lui-même qui stipule dans son article 467 que :

"En cas de divorce, le juge peut désigner l'époux qui bénéficie du droit au bail, compte tenu des charges par lui assumées, notamment la garde des enfants".

La jurisprudence établie par la Cour Suprême donne le droit au logement à la mère qui a la garde de plus de deux enfants (en réalité même avec 8 enfants, la mère se retrouve à la rue ou chez ses parents). Si elle a plusieurs enfants à charge, seul le juge de la Cour Suprême peut apporter son appréciation.

On se demande comment on peut attendre d'une mère qui a plusieurs enfants à charge et à laquelle le droit au logement n'a pas été assuré de pouvoir respecter les dispositions de l'article 62. Il suffit que le père démontre que la mère n'a pas les moyens d'entretenir ses enfants, ce qui est généralement très facile, pour que la garde lui soit retirée, sachant que les pensions alimentaires sont dérisoires (200 dinars par enfant, soit l'équivalent 17 euro par mois).

Or, l'expulsion de l'épouse répudiée ou divorcée de son domicile est contraire à l'esprit du Coran. N'y est-il pas dit ceci :

"Ne les sortez de leurs maisons que si elles commettent un acte immoral prouvé. Là sont les limites de Dieu et celui qui transgresse les limites de Dieu, se fait justice à lui-même" 65(*).

Voilà donc un verset du Coran qui aurait pu donner matière à réflexion à nos députés, alors qu'ils se réclament à corps et à cris de l'Islam. En fait, les droits retirés à la femme ne l'ont été qu'au nom de la tradition, de la politique et de la toute bête crise de logement.

Le seul point qui reste plus ou moins positif dans ce code demeure le droit donné à la jeune épouse de se marier avec l'homme de son choix même si son tuteur matrimonial s'y oppose, comme le prévoit l'Islam. Mais le législateur s'est cru obligé de rajouter une petite phrase sublime qui annule ce que l'article 12 vient de poser : "Si celui-ci (le mariage) lui est profitable".

Avant d'achever cette réflexion, il faut faire référence à l'article 39 qui stipule que l'homme peut exiger de sa femme qu'elle allaite ses enfants. On hésite entre le rire et la colère qui finit par l'emporter vu le caractère loufoque de cette proposition. Les députés avaient-ils poussé leur misogynie jusqu'à dépouiller la femme de l'instinct maternel ? Face à cet obscurantisme triomphant, on ne peut que rester songeur et comprendre enfin où l'extrémisme religieux a pu commencer à faire son nid.

On pourrait continuer longuement cette énumération des dispositions du Code de la Famille mais inutilement, tant il est clair qu'il a été réalisé pour défendre les intérêts de l'époux au détriment de ceux de l'enfant et de sa mère. La loi n'est que l'expression, sous forme schématique, d'une réalité sociale et il eut été inconvenant d'imaginer qu'on pouvait y trouver autre chose que ce qu'on a trouvé. Mais ceux qui se battent aujourd'hui pour la mise en place d'un État de droit doivent se rendre compte que la réforme du Code de la Famille n'est pas un cadeau à faire à la femme par bonté mais bel et bien le premier acte politique réel qui engage tout l'avenir d'une société.

La réforme de l'école, qui doit apprendre aux enfants les paradigmes fondamentaux de la modernité qui sont : tolérance, civisme et égalité devant la loi, fait partie de cette bataille qui, si elle n'est pas gagnée aujourd'hui et vite, risque d'être perdue pour très longtemps.

Le Code de la Famille montre clairement ce renforcement de la famille par le contrôle strict de la femme et le caractère plus que démesuré du pouvoir accordé aux hommes sur elle. Les quelques articles choisis sont ceux qui, à mes yeux, sont les plus significatifs de la place accordée à la femme à l'intérieur de la famille et du renforcement de la famille patriarcale tribale.

En signant puis en ratifiant, en 1996, la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, le gouvernement algérien avait émis des réserves qui découlent du Code de la nationalité mais surtout du Code de la Famille en vigueur.

Comme à d'autres occasions, et notamment devant d'autres mécanismes de l'O.N.U., le rapport algérien énonce, d'entrée de jeu, les articles de la Constitution qui posent l'égalité entre les sexes et ajoute que :

" (...), la loi algérienne veille à ce que dans aucun domaine de la vie il n'y ait de distinction entre l'homme et la femme qui jouissent ainsi d'une totale égalité en droits et en devoirs" (page 14 du rapport algérien, in La Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de 1996).

Cet énoncé n'a en fait aucune portée réelle en raison de la réserve formulée par l'Algérie concernant l'article 2 de la constitution qui exige notamment, faut-il le rappeler, de :

"Prendre toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes".

En effet, si l'Algérie n'avait pas formulé cette réserve, elle serait tenue de réviser très substantiellement voire d'abroger le Code de la Famille qui organise, d'une manière on ne peut plus claire, l'infériorité juridique de la femme. Les autorités semblent, d'ailleurs, tout à fait conscientes de cela puisque le rapport officiel stipule que :

En l'état, force est de constater que la législation algérienne, et plus particulièrement le Code de la Famille, organise sur plusieurs points la subordination légale des femmes algériennes et entrave la jouissance de leurs droits. D'ailleurs, le Code de la Famille viole de nombreuses dispositions de la Convention et notamment les articles 2, 15 et 16. Il faut, enfin, relever que dans l'attente de l'adoption par l'Assemblée Populaire Nationale du projet d'amendements, l'article 39 du Code est en contradiction flagrante avec l'article 5 de la Convention pour lequel l'Algérie n'avait pas émis de réserve.

À travers cette étude du Code de la Famille, j'ai essayé de montrer comment cette lutte politique, qui se déroulait, continue aujourd'hui au sein de l'A.P.N. (Assemblée Populaire Nationale) d'un État de droit.

3- COMPROMIS ET RÉSISTANCE

"L'adoption de ce texte vise à la correction des dysfonctionnements apparus tout au long de la mise en oeuvre du Code de la Famille et à donner un sens plus concret au principe de l'égalité des droits de l'Homme et de la Femme que la Constitution a consacré dans l'intérêt de la famille, de la société et dans la fidélité à nos principes et à nos valeurs spirituelles et civilisationnelles authentiques".

C'est en ces termes que l'ancien Président Liamine Zéroual (1979-1990) a annoncé, dimanche 24 mai 1988, l'adoption en Conseil des ministres du projet de texte portant amendement du Code de la Famille. Il a ajouté que :

"La condition de la femme s'est améliorée depuis la lutte de libération nationale. Il reste que sa promotion constante exige encore des efforts... Cette promotion est loin d'être subordonnée uniquement à un quelconque effort de modernisation de notre arsenal juridique qu'elle ne l'est de certaines pratiques et pesanteurs sociales encore persistantes".

En prononçant ces mots, l'ex-président a montré qu'il était conscient que la question de la femme en Algérie continuera encore longtemps à soulever les passions.

Les débats autour du Code de la Famille datent d'avant l'indépendance. Ils se sont poursuivis par la suite, revenant régulièrement à chaque changement de conjoncture politique. On peut affirmer que l'histoire de l'Algérie indépendante a vibré régulièrement au rythme de ses femmes, prouvant ainsi que, d'une part, la société algérienne est encore à la recherche de son identité et que, d'autre part, ce sont les femmes qui marqueront de leurs empreintes cette identité. Même si les pouvoirs publics ne cessent de répéter que leur principal souci est d'assurer une plus grande harmonisation de la famille dans la société, c'est toujours autour de la place de la femme dans cette société que s'articulent, inévitablement, les débats.

Entre les différentes positions qui se sont exprimées, le gouvernement semble avoir opté pour une attitude de juste milieu. Le R.C.D. (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), le F.F.S. (Front des Forces Socialistes) et le M.D.S. (mouvement pour la Démocratie Sociale, communiste) sont pour l'abrogation pure et simple de ce code et son remplacement par des lois civiles tirant leur source du droit positif. Les partis islamistes, le M.S.P. (Mouvement de la Société pour la Paix, membre de la coalition gouvernementale) ou NAHDA (dans l'opposition), sont farouchement opposés à cette idée. Pire, ces derniers estiment que le code actuel est encore en deçà des exigences de la Charia.

Quant au F.L.N., qui était l'unique parti existant en Algérie au moment de l'adoption du code en 1984, il a rallié les positions dominantes au sein du gouvernement. Il faut bien admettre que, tout en ne donnant pas totalement satisfaction aux revendications des féministes, le gouvernement a tenté, dans les amendements qu'il propose et chaque fois que possible, d'introduire des notions allant dans le sens de plus de liberté pour les femmes et supprimant les archaïsmes flagrants que comporte le code. L'abrogation pure et simple de l'article 39 en est un exemple.

C'est en vertu de cet article qu'un mari peut aujourd'hui interdire à son épouse de travailler. Les rédacteurs des amendements ont même renversé la tendance en ajoutant un alinéa à l'article 37 qui stipule :

"Le mari est tenu de faire preuve de prévenance à l'égard de son épouse et préserver son honneur et sa dignité".

Ainsi, pour la pratique de la polygamie qui, sans être abolie, deviendra quasiment impossible. Elle sera désormais soumise à autorisation du juge, lequel devra tenir compte, d'une part, de la capacité de l'époux à assurer une équité totale dans son comportement envers ses épouses. En proposant cet amendement, le gouvernement se met à l'abri des critiques des islamistes. Il peut, en effet, arguer du fait qu'il ne fait que se conformer aux préceptes du Coran, lesquels insistent sur la notion d'équité que doit assurer le mari envers ses épouses.

Les plus grands changements concernent le divorce. Parmi les amendements avancés, celui de l'article 53 permettra aux femmes de demander le divorce "pour impossibilité de vie commune et d'entente". Cette nouvelle disposition rendra les époux presque égaux devant le divorce. Autre nouveauté au sujet de la tutelle (article 65)

Le gouvernement tente, par ces amendements et au risque de déplaire à ses partenaires de la coalition gouvernementale, de ratisser large. De cette manière, il donne des gages aux femmes - nombreuses - qui ont voté pour lui et il assure, par ailleurs, tous ceux qui avaient exprimé leurs appréhensions devant l'entrée des islamistes au gouvernement.

Pour ne pas trop heurter ses alliés, il s'est bien gardé du reste d'apporter un quelconque correctif concernant l'héritage, lesquels comportent des inégalités et des archaïsmes flagrants. Certaines féministes ne comptent pas, quant à elles, faire l'impasse sur ces "oublis".

Opposant les modernistes laïques aux conservateurs proches des islamistes, le Code de la Famille a toujours servi de monnaie d'échange, voire de moyen de chantage entre ces groupes. Il a, en vérité, souvent servi d'exutoire à d'autres problèmes politiques. C'est ainsi qu'en 1972, le président Boumédiène avait relégué cette question aux oubliettes afin de faire passer sa réforme agraire à laquelle les conservateurs étaient farouchement opposés. Dans une société qui reste, malgré tout, profondément attachée aux valeurs traditionnelles et à laquelle le discours moderniste post-indépendance n'a pas apporté tout le bien-être promis

Or, s'il est difficile d'en appeler aux valeurs traditionnelles lorsqu'il s'agit d'économie ou de progrès technique, le domaine privé familial reste la proie facile de toutes les théories rétrogrades. C'est pourquoi, prenant le relais des conservateurs de l'ex-parti unique, les islamistes ont choisi comme terrain de prédilection pour leur propagande la place de la femme dans la société. Car il faut bien admettre que les tenants du retour aux valeurs traditionnelles s'appuient sur une réalité sociale : sur une population de trente millions d'âmes, près de 40 % sont analphabètes, dont la majorité sont des femmes. Pour cette catégorie de la population, ces valeurs traditionnelles sont le seul refuge vers lequel elle se tourne lorsqu'elle n'a plus de repères ou que les autres discours lui deviennent étrangers.

Si l'on ajoute à cela le fait que nombre de femmes citadines et cultivées sont acquises aux idées islamistes, il reste très peu de place pour celles qui prônent des lois civiles tirant leur source du droit positif. Il est aussi vrai que, dans la perception de beaucoup d'Algériens - pas forcément islamistes -, la lutte des femmes pour l'égalité des droits reste assimilée à un avatar du colonialisme et à un mimétisme des femmes occidentales. Pour eux, le retour à la tradition est la dernière étape de la "décolonisation  des mentalités" longtemps réclamée - avant et après l'indépendance - par de nombreux Algériens.

Les promoteurs du texte revendiquaient, pour leur part, un droit de la famille "nationale", "décolonisée" et tirant ses sources de l'identité algérienne. Mais les dirigeants du pays de l'époque le rejetèrent d'autant plus facilement que la première constitution algérienne (1963) affirmait, dans son article 12, l'égalité des sexes.

Les femmes, encore dans l'ambiance "révolutionnaire" d'alors, ne s'étaient pas laissées faire. Des mouvements de protestations avaient vu le jour dans les universités, les lycées, les lieux de travail. C'est surtout par pragmatisme que les autorités d'alors n'ont pas cédé aux pressions des conservateurs. L'exode massif des colons au lendemain de l'indépendance exigeait, pour les remplacer, d'utiliser toutes les potentialités disponibles.

Les femmes, et pas seulement pour les emplois subalternes d'entretien et autres, représentaient à cet égard une source considérable de main-d'oeuvre. Les écoles, les hôpitaux, les administrations, les usines, etc. avaient employé un nombre important d'entre elles. Aujourd'hui, on peut dire que c'est encore le pragmatisme qui guide l'action du gouvernement. En effet, si la proportion des femmes travailleuses par rapport à la population active reste faible (elle est passée de 8 % en 1987 à 14 % aujourd'hui), elle est tout de même constituée essentiellement de cadres hautement qualifiées dont il serait difficile de se passer. Dans deux secteurs au moins, l'enseignement et la santé, elles sont majoritaires y compris aux postes les plus élevés.

Par ailleurs, la détérioration de la situation économique, d'une part, ainsi qu'une réelle prise de conscience, d'autre part, font que la condition des femmes a pris aujourd'hui une toute autre tournure. Elles arrivent de plus en plus à grignoter des espaces de liberté. Si, jusqu'au milieu des années 1980, les travailleuses étaient en majorité des diplômées qui occupaient des postes de cadres, aujourd'hui, on les retrouve à tous les niveaux de la hiérarchie et, notamment, à des emplois habituellement réservés aux hommes. Il n'est plus rare de voir des jeunes femmes tenir des commerces . Ce qui, il n'y pas si longtemps encore, était perçu par la société comme une honte pour la famille. De même, les emplois qu'elles exercent à domicile (couture, coiffure, confection de gâteaux ou de plats cuisinés, etc.) participent pour une bonne part dans l'économie informelle, par définition difficile à mesurer mais bel et bien croissante : par choix ou nécessité.

4 - LE PROJET D'AMENDEMENTS : QUELQUES RETOUCHES

Mis en chantier, notamment, du fait de l'adhésion de l'Algérie à la Convention, le projet d'amendement du Code de la Famille algérien constitue-t-il une véritable avancée dans la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes ?

Le projet d'amendement déposé par le Gouvernement en janvier 1999 prévoit en l'état l'amendement des articles 8, 9, 12, 37, 38, 40, 52, 52 bis, 53, 63, 65, 65 bis, 73, 80, 120, 169, 170 et 212 d'un texte qui en compte 222.

Sur quatre points, cet avant-projet de loi pourrait constituer une avancée plus ou moins notable. Ainsi, la femme divorcée ayant obtenu la garde de ses enfants serait assurée du "maintien au domicile conjugal" ou de la fourniture, par l'ex-mari "d'un logement décent". Une nouvelle justification, "l'impossibilité de vie commune et d'entente" s'ajouterait aux motifs légitimes de divorce pour la femme et devrait lui permettre d'échapper à l'exigence redoutable de la preuve d'une faute "grave" du mari. En troisième lieu, un amendement prévoit l'ajout d'un paragraphe disposant "qu'il peut avoir procédé après autorisation du juge à une saisie sur salaire de l'époux ou sur ses biens", disposition d'une importance capitale pour la femme démunie de ressources et ayant la charge de ses enfants. Cependant, comme pour le deuxième amendement projeté, l'efficacité d'une telle disposition dépendra de l'interprétation qui en sera faite par les juges.

Enfin, l'amendement projeté de l'article 8 devrait protéger théoriquement les femmes contre le recours à la polygamie. Celle-ci ne serait plus autorisée que :

"Au moyen d'une autorisation délivrée par le juge, si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies et après consentement préalable des précédentes et futures épouses".

D'autres amendements constituent, de prime abord, un progrès mais leur mise en oeuvre pourrait être lente et difficile. Mais alors que, dans le Code en vigueur, le père peut s'opposer au mariage de sa fille, l'avant-projet prévoit que le juge peut l'ordonner si tel est le désir de la fille en question et si le tuteur est présent lors de la conclusion du mariage. On peut se demander comment cette dernière obligation sera remplie par le tuteur qui vient justement de s'opposer au mariage ?

On ne parlera même pas ici des simples modifications de pure forme consistant, par exemple, à remplacer l'expression "le mari est tenu d'agir en toute équité envers ses épouses", par une autre formulation tout à fait équivalente (art. 37). L'abrogation de l'article 39 du Code de la Famille lève la contradiction relevée plus haut avec l'article 5 de la Convention et débarrasse la législation algérienne d'une disposition particulièrement choquante qui maintenait clairement la femme dans un statut de subordination par rapport à son mari.

Au total, on ne peut que déplorer le caractère mesuré des avancées contenues dans cet avant-projet de loi amendant le Code de la Famille. À supposer qu'il soit adopté rapidement, le Code de la Famille "rénové" maintiendra la subordination des femmes sur au moins quatre questions essentielles : la répudiation, la tutelle des enfants, la présence d'un tuteur lors du mariage (même si c'est un juge) et la polygamie qui reste possible même si elle est juridiquement contrôlée.

Les autorités algériennes invoquent l'état des mentalités pour refuser de considérer une abrogation pure et simple du Code et n'envisagent pas, d'évidence, une levée à moyen terme des réserves émises lors de la signature de la Convention. Cette levée ainsi que la publication du texte de la Convention dans le journal officiel permettraient aux femmes algériennes qui le souhaitent d'invoquer ce texte devant les juridictions nationales. Les autorités algériennes manifesteraient ainsi leur volonté d'adopter des mesures appropriées pour :

"Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel (...) en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières (...) qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou la supériorité de l'un ou l'autre sexe (...)".

Les spécificités ne peuvent pas non plus dégager l'État de ses responsabilités : contenu de l'éducation et des valeurs qu'elle véhicule. Les corps organisés comme la justice, l'administration, la police, la santé sont autant d'acteurs qui participent activement à déterminer le climat de violence ou de non-violence à l'égard des femmes.

IV- LA CITOYENNETÉ DES FEMMES ET L'ÉGALITÉ

DES DROITS

En Algérie, l'évolution de la question féminine puise ses origines dans la dialectique qui s'établit entre le positivisme juridique et l'action collective d'une composante sociale qui, à force d'avoir participé aux mouvements nationaux d'indépendance au même pied d'égalité avec les hommes..., se découvre l'ambition de promouvoir sa condition de vie en conformité avec les principes élémentaires de liberté, de citoyenneté et des droits de l'homme 66(*).

Le positivisme juridique qui caractérise les pays du Maghreb n'est pas toujours l'émanation d'une réalité sociale conflictuelle porteuse de changements structurels, il est souvent le fait d'impératifs économiques ou politiques recourant aux formes modernes de la rationalité.

Aujourd'hui, au nom de ce positivisme juridique et par volontarisme politique, la femme se trouve enfermée dans des schémas imposant la négation permanente du caractère multidimensionnel de sa condition et de son statut. La problématique définie vers les années soixante-dix à partir de l'approche des besoins essentiels (ou besoin humain fondamental) et du nouvel ordre économique international (N.O.E.I.) 67(*) illustre bien cette vision partielle qui dénote, en fait, une incapacité des États à percevoir la femme comme un vecteur primordial de développement et de progrès social.

Cette approche sera, d'ailleurs, mise en cause quant à l'utilité de ses principes pour les femmes du fait :

"Qu'ils se cantonnent aux aspects légaux, politiques et institutionnels des inégalités sans faire mention des changements d'attitudes qui restent nécessaires" 68(*).

Le concept de "l'intégration des femmes au développement", dont l'émergence coïncide avec la proclamation par les Nations Unies de la décennie de la femme lors de la Conférence mondiale de Mexico (1975), permettait d'espérer encore une fois la fin des inégalités avec l'entrée en force des femmes dans l'économie de marché.

En Algérie, comme partout dans le monde, la question de la nature même du développement n'était posée que dans un cadre restrictif de la croissance économique. Toute vision féministe du développement était considérée comme marginale et irréaliste. La situation des femmes au plan économique allait en empirant, d'autant que le travail n'était pas toujours reconnu dans les statistiques et dans les comptabilités nationales.

La santé, l'éducation et l'emploi des femmes ont certes été considérés par les planificateurs et les décideurs algériens comme des objectifs et des investissements à long terme et d'intérêt national. Ceci explique les progrès remarquables. Néanmoins, le déficit social qui s'est accumulé au détriment des femmes dans les domaines économiques et politiques n'est plus à démontrer.

Vingt ans après la proclamation de la décennie mondiale de la femme, le triptyque "Égalité, Développement et Paix", qui a fait office de slogan lors de la Conférence Internationale des Femmes de 1995 à Beijing (Chine), prouve que le débat reste d'actualité et dénote d'une évolution lente de la condition féminine mondiale. Mais, s'il est évident que "l'égalité des chances entre hommes et femmes ne se rencontre dans aucune société actuelle" comme l'affirme le P.N.U.D. 69(*), il est encore plus difficile d'affirmer que les droits des femmes algériennes seraient des acquis irréversibles.

En effet, une adhésion Internationale autour des valeurs avancées depuis les Conférences de Vienne, de Copenhague et du Caire semble être acquise : la Conférence de Vienne a fait triompher le principe de l'universalité des droits de l'homme et celle du Caire a valorisé celui de la spécificité des cultures. Après Beijing, c'est la dialectique de ces deux termes qu'il faut faire jouer 70(*).

Est-il opportun d'aborder le débat sur les droits de citoyenneté des femmes en Algérie selon cette approche ? En tout état de cause, la spécificité des femmes algériennes ne peut être appréhendée sous le seul angle culturel. La condition des femmes ainsi que leur participation aux processus de développement seront appréhendées à partir des éléments d'information et d'analyse fournis par le rapport mondial sur le développement humain de l'année 1995 et à partir de la documentation existante sur les pays concernés.

A- DU CONTEXTE D'EXCLUSION ET D'ÉGALITÉ DES DROITS

"L'exclusion" est un des thèmes qui est au centre des débats internationaux. En effet, la société moderne est globalisante et tout ce qui n'entre pas dans le système est considéré comme marginal et, par conséquent, rejeté vers les périphéries.

Qu'il prenne la forme de ségrégation, de discrimination, de non-intégration ou de crise identitaire (comme en Kabylie), le problème de l'exclusion est plus ou moins présent à tous les niveaux des hiérarchies sociétaires et sociales. C'est à juste titre qu'Alain Touraine affirme :

" (...) Le problème d'aujourd'hui n'est pas l'exploitation mais l'exclusion, par conséquent, le problème concret est de créer les instruments et les formes d'action politique qui permettent une intégration sociale..." 71(*).

Au risque de verser dans la masse des communautés mondiales périphériques, l'Algérie se développe et se modernise de plus en plus. Mais la modernité dans cette région ne s'opère pas toujours dans une intégration symbiotique des principes et des pratiques puisant sa double source à la fois dans sa culture humaine universelle et dans sa sub-culture locale.

En ce début du XXI ème siècle, l'Algérie vit "le passage des sociétés verticales à des sociétés horizontales" 72(*). Mais, à la différence des sociétés post-modernes, la société algérienne est jeune et n'a pas encore l'expérience d'une transition achevée entre l'État de droit et la démocratie : la société civile est embryonnaire, le multipartisme effectif est récent ou factice, la culture participative et le respect de la différence se réduiraient à des discours élitistes ou officiels.

Vers les années soixante-dix, la prise de conscience de cette situation ne pouvait s'opérer, en premier, qu'au sein des élites intellectuelles, comme ce fut le cas au début du siècle et à une certaine période de l'occupation coloniale des pays maghrébins. Encore une fois, l'auto-conscience s'est effectuée à cette époque en comparaison avec ce qui constitue un modèle de progrès et de modernité, à savoir l'Occident. Mais, à la différence du passé, les femmes sont plus nombreuses à revendiquer des droits et cette fois-ci, leurs aspirations ne sont plus portées seulement par des hommes réformateurs 73(*).

Depuis, à potentialités égales avec les hommes, les femmes aspirent peu à peu à des opportunités en rapport, au moins, avec leurs expectations et l'approche de la question s'est peu à peu modifiée :

"L'approche purement juridique comme, d'ailleurs, l'approche strictement culturaliste ou développementaliste classique seraient trop réductionnistes" 74(*).

Le problème de la discrimination envers les femmes est complexe et il serait erroné de chercher une solution partielle au seul aspect législatif du phénomène.

La dialectique entre ces deux pôles caractérise, sous des formes nuancées et diverses, les législations maghrébines en matière d'égalité des droits. La conviction que le développement durable des sociétés ne peut se réaliser que sous la condition principale de la promotion de la condition féminine impose donc de considérer l'égalité des droits comme absolue.

Ce principe est fondé aussi bien sur les droits des femmes dans la cité que sur leurs droits en tant que personnes humaines. C'est donc par référence aux normes internationales consacrées en la matière qu'il s'agit de voir dans quelle mesure les cadres législatifs de l'Algérie ont intégré des droits. Quelques éléments essentiels permettent de tirer l'énoncé, loin d'être exhaustif, de la signification de la notion d'égalité des droits telle que reconnue et admise par le cadre législatif de l'Algérie. Ces éléments sont reconstitués à partir :

q De l'engagement de l'État vis-à-vis des ratifications des principaux instruments Onusiens relatifs aux droits de l'Homme et à la non-discrimination ;

q Des droits constitutionnels ;

q Des cadres législatifs algériens relatifs aux statuts de la famille.

B- RATIFICATION DES PRINCIPAUX INSTRUMENTS INTERNATIONAUX RELATIFS À L'ÉGALITÉ DES DROITS

Si la quasi-totalité des États maghrébins adhèrent, ratifient et incluent dans leurs législations beaucoup de Traités, Chartes et Déclarations relatifs aux droits de l'Homme en général, ils formulent toutes les réserves à l'encontre des normes internationales consacrées au droit de la femme. Parfois, ils les rejettent purement et simplement et cela est significatif de l'ambivalence juridique des cadres législatifs maghrébins. Cette ambivalence s'exprime à travers des engagements contradictoires ou plus ou moins nuancés vis-à-vis des instruments internationaux proclamant l'égalité des droits entre les sexes. Et parmi les principaux instruments universels relatifs aux droits de l'Homme, généralement admis, on cite :

q La Déclaration Universelle sur les Droits de l'Homme (1948) ;

q Le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) ;

q La Déclaration relative à l'article 41 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entrée en vigueur en 1979 ;

q La Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes adoptée en 1967.

D'autres instruments juridiques ont été adoptés à l'occasion de la décennie de la femme. Malgré leur caractère juridique non obligatoire, les instruments afférents à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ont été déterminants dans l'adhésion des États maghrébins aux normes des Nations Unies sur les droits des femmes. D'ailleurs, la convention Internationale de Copenhague de 1979 relative à l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes est un repère intéressant pour apprécier la place du principe d'égalité des droits dans les cadres législatifs maghrébins.

L'Algérie fait partie des quarante et un pays membres de l'O.N.U. qui n'ont ni signé ni accédé à la Convention de Copenhague. Il est significatif que la Tunisie, unique pays arabo-musulman à avoir promulgué un code de statut personnel relativement égalitaire (en 1956) par rapport aux autres codes maghrébins, soit classée en tête des pays maghrébins ayant ratifié (avec réserves).

L'absence de l'Algérie sur la liste des pays ayant ratifié la convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes est tout aussi révélatrice des entraves juridiques dont sont victimes les Algériennes. La dite convention aurait été soumise au débat lors d'une séance à l'Assemblée Nationale après les élections présidentielles en vue d'une ratification assortie de réserves. Encore une fois, la reconnaissance de l'égalité de jure en Algérie est au centre des luttes que mènent les femmes et pour lesquelles elles ont payé un lourd tribu dans leur combat séculaire pour la liberté et la démocratie.

Les amendements des dispositifs antérieurs du code électoral (suppression du vote par procuration) ont enfin permis aux Algériennes de récupérer un droit confisqué et de l'exercer pleinement. En effet, les dernières élections présidentielles de novembre 1995 ont été marquées par une participation massive des femmes qui ont exprimé, à cette occasion, leur refus de tout système politique totalitaire.

Seul point positifn à titre d'exemple, la convention de l'UNESCO de 1960 contre la discrimination dans l'enseignement a bénéficié de l'adhésion de la signature des quatre États maghrébins considérés. Ils ont aussi adhéré à la convention des Nations Unies sur la suppression de la traite des être humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui de 1949.

Concernant les conventions adoptées par les Nations Unies sur la nationalité de la femme mariée (1957), sur le consentement au mariage et sur l'enregistrement des mariages (1962), les informations disponibles révèlent que ces normes font généralement l'objet de résistance de la part des pays maghrébins soit sous forme de réserve soit sous forme de rejet. Seule la convention de 1962 sur le consentement au mariage, sur l'âge du mariage et l'enregistrement des mariages aurait été ratifiée par la Tunisie. Ceci pourrait s'expliquer par l'existence d'un code de statut personnel moins infériorisant que celui de l'Algérie ou des pays voisins (Maroc, Mauritanie).

Parmi les principales conventions de l'O.I.T.75(*) relatives aux droits des femmes travailleuses et ratifiées par les autres pays maghrébins, je citerai : :

q Les conventions relatives au travail de nuit des femmes, notamment les conventions n° 04 de 1919, n° 41 (révisée) de 1934 et n° 89 (révisée) de 1948 ;

q La convention n° 11 sur le droit d'association (agriculture) de 1921 ;

q La convention n° 19 sur l'égalité de traitement (accidents du travail) de 1925 ;

q La convention n° 29 sur le travail forcé de 1930 ;

q La convention n° 111 concernant la discrimination (emplois et professions) de 1958 ;

q La convention n° 122 sur la politique de 1964 ;

q La convention n° 103 sur la protection de la maternité (révisée) de 1956 ;

q La convention n° 156 sur les travailleuses ayant des responsabilités familiales de 1981 entrée en vigueur en 1983.

D'autres conventions de l'O.I.T. protégeant les femmes travailleuses, notamment les mineures, et certaines autres permettant la liberté d'association et le droit syndical et par extension aux femmes ont été ratifiées par l'Algérie :

q La convention de l'O.I.T. portant sur la protection de la maternité n° 3 de 1919 ;

q La convention n° 138 sur l'âge minimum de 1973. La ratification de l'Algérie à cette convention est signifiante par son adhésion à l'ensemble des normes limitant l'âge minimum du travail indifféremment des secteurs d'activités professionnelles ;

q La convention n° 06 sur le travail de nuit des enfants (industrie) de 1919, ratifiée par l'Algérie en 1962, la Tunisie en 1959 ;

q La convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948, ratifiée par l'Algérie en 1962 ;

q La convention de l'O.I.T. n° 100 relative à l'égalité des rémunérations de 1951 ;

q La convention n° 105 sur l'abolition du travail forcé de 1957, ratifiée en 1969 ;

q La convention n° 142 sur la mise en valeur des ressources humaines 1975 n'a pas bénéficié des ratifications de l'Algérie en 1984 ni de la Tunisie en 1989. Ceci traduit les efforts déployés par ces deux pays en politique de formation et de l'emploi.

L'examen de l'État de ratification des conventions de l'O.I.T. par l'Algérie autorise à tirer un bref énoncé :

q Au lendemain de l'indépendance, l'État algérien manifeste plus de volontarisme juridique en faveur des droits des femmes travailleuses qu'à l'heure actuelle. La crise économique internationale et ses répercussions sur la condition de travail et sur les marchés de l'emploi, en général, relèguent au second plan les questions spécifiques aux travailleuses. Le nombre de conventions de l'O.I.T. en la matière ratifiées au-delà des années quatre-vingt en témoigne ;

q L'Algérie adhère plus facilement aux normes protégeant les femmes travailleuses et notamment celles abolissant le travail des filles mineures.

Les instruments découlant des instances régionales comme la Ligue Arabe, l'ALESCO, l'Organisation de la Conférence Islamique... dont les teneurs sont parfois basées sur des fondements immuables dits de la Charia s'interposent aux principes d'égalité des droits de non-discrimination entre les sexes. En fait, s'agissant de la femme, la réalité immuable des débats théologiques engendre des situations juridiques ambivalentes, contradictoires et souvent intolérantes.

C- L'OPPRESSION DES FEMMES ALGÉRIENNES

Les femmes algériennes dénoncent l'oppression lors de diverses rencontres organisées par les associations et lors de mes entretiens. Elles s'expriment dans différents domaines tant sur le plan socio-économique, politique qu'idéologique, du travail, de l'école, des instances politiques et des mass médias.... Elles dénoncent également l'infamie du Code de la Famille qui institutionnalise la minorité à vie des femmes. Elles dénoncent ainsi les points suivants.

1- DANS LE DOMAINE POLITIQUE

q L'insuffisance voire l'absence de représentativité dans les institutions politiques ;

q L'Assemblée Populaire Communale ( mairies) ;

2- AU PLAN JURIDIQUE

Le fait que, bien qu'elles soient majeures pénalement et vont en prison au même titre que les hommes pour tout délit, le Code de la Famille les confine, par ailleurs, dans un statut de mineure à vie. La minorité de la femme est consacrée par le Code de la Famille.

3- DANS LE DOMAINE DE L'ENSEIGNEMENT

q L'utilisation de l'école comme outil idéologique déformant et dévalorisant l'image de la femme (l'exemple des manuels scolaires reproduisant systématiquement les rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes) ;

q La discrimination liée au sexe dans la scolarité (moyenne de passage plus élevée pour les filles), dans la pratique sportive rendue facultative pour les filles et à travers les campagnes contre la mixité ;

q La ségrégation dans l'orientation scolaire et professionnelle ;

q Le refus de scolarisation des petites filles dans les campagnes.

4- DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL

q Les campagnes de propagande visant à faire croire qu'elles volent l'emploi aux hommes et sont la cause du chômage ;

q Les licenciements et mutations abusifs, les carrières gelées (pas de promotion), la remise en cause de leur compétence par des grèves orchestrées dans différents secteurs (enseignement, santé...) visant à les exclure du monde du travail ;

q L'utilisation du principe de la retraite anticipée systématisée comme moyen d'exclusion des femmes du travail ;

q Le travail au noir des femmes et des enfants ;

q L'absence d'infrastructures de prise en charge des enfants (crèches, garderies...) entravant leur liberté d'exercice du droit au travail.

D- ÉGALITÉ DES DROITS À TRAVERS LES CONSTITUTIONS

On a vu la question de la femme face au code de la famille et ce paragraphe démontre l'opposition face à la Constitution. La Charte des Nations Unies, les instruments internationaux des Droits de l'Homme ainsi que toutes les normes universelles y afférant, provenant des institutions et organisations spécialisées et intergouvernementales de l'O.N.U. posent le principe de la condamnation de toutes les formes de discrimination 76(*) et engagent les États à inscrire dans leur constitution nationale ou dans d'autres dispositions législatives l'application effective du dit principe 77(*).

La norme internationale relative aux droits des femmes consacre trois principes importants "la liberté, l'égalité et la non-discrimination". Ce sera donc par référence à ces normes que sera cernée la teneur du principe d'égalité entre hommes et femmes dans les constitutions.

1- LA CONSTITUTION ALGÉRIENNE

La Constitution garantit à tous les citoyens sans distinctions :

q Le droit à l'éducation et au travail ;

q La liberté de circuler dans tout le pays (pour les femmes sans être accompagnées d'un tuteur...) ;

q La liberté d'association (depuis le 5 octobre 1989) et la liberté d'adhésion à toute organisation syndicale (autre que l'U.G.T.A. émanant du Parti unique : le F.L.N.) ;

q La liberté d'opinion, de réunion et d'expression sous toutes ses formes (depuis seulement 1989, avec la recrudescence du terrorisme, les actions sont limitées...) ;

L'élément fondamental qui singularise la Constitution algérienne et qui permet de comprendre et d'interpréter la notion d'égalité des droits et le concept de citoyenneté des femmes tels qu'admis par les législateurs est la proclamation de l'Islam comme religion d'État.

Ce dénominateur commun aux Etats maghrébins, à savoir l'inexistence de la séparation entre le pouvoir politique et la religion, fait que les questions d'égalité des droits soient encore des sujets de débats conflictuels entre l'universalité et la spécificité des "droits au féminin".

Par contre la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination n'a pas été, à ce jour, publiée dans le journal officiel algérien. De ce fait, en dépit de la décision du Conseil Constitutionnel du 20 août 1989 qui pose le principe de primauté des conventions internationales sur le droit interne, le texte de la Convention n'est toujours pas opposable devant les juridictions nationales. La non-publication de la convention CEDAW révèle les réticences des autorités à en voir appliquer les dispositions les plus favorables aux droits des femmes et permet, en pratique, à certains juges de s'abriter derrière ce fait pour ne pas s'y référer.

Par ailleurs, il est choquant de constater que le rapport algérien n'aborde pas la question de la violence à l'encontre des femmes. Les Recommandations générales 12 et 19 du Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes encouragent pourtant les États à inclure ce sujet dans leurs rapports.

Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur les causes profondes du conflit en cours en Algérie et sur son évolution, il est absolument indéniable que les femmes ont été, de manière de plus en plus systématique, victimes de la violence politique que connaît le pays. Cette violence s'ajoute à d'autres formes de violences domestiques et sociales que les autorités ne peuvent méconnaître, ce qui engage leur responsabilité à plusieurs niveaux.

En conclusion on peut noter à l'exception de certaines dispositions impératives, le code de 1984, à l'instar de toute loi, ne s'applique effectivement que lorsque surgissent les conflits qui peuvent diviser les familles. Mais, c'est alors qu'apparaît l'injustice de ses dispositions si l'on n'a pas pris soin de s'en prémunir en temps utile par contrat subterfuge juridique. Le plus grand reproche que l'on puisse faire au Code de la Famille est d'avoir organisé et figé des statuts et des rôles selon un modèle qui ne correspond pas au pluralisme de la société algérienne. Le mouvement féminin "laïciste" préconise et lutte pour la promulgation d'un "code civil totalement indépendant de toute option confessionnelle" 78(*).

Des groupes de travail inter-associatif et des collectifs se sont constitués en quête d'un consensus pour adapter le code à la réalité plurielle avec 22 propositions et certaines associations féminines proches des islamistes se sont opposées au changement car "la Charia est intouchable". Actuellement, des amendements sont discutés à l'Assemblée mais sans résultats.

Est-ce que, dans le futur, le statut de la femme changera ? Dissociera-t-on la religion de la législation ?

CHAPITRE II

ESPACE PRIVÉ / ESPACE PUBLIC

"La répartition des femmes et des hommes entre un espace domestique et un espace public, avec des rôles spécifiques et des prérogatives prédéfinies, est probablement un des clivages les plus anciennement constitués et un des tous premiers facteurs de l'oppression féminine traditionnelle" 79(*).

Cette dichotomie a été observée aussi bien par les anthropologues étudiant des sociétés traditionnelles que par les historiens de l'Antiquité.

Dans la société algérienne contemporaine, on retrouve cette division traditionnelle entre les hommes et les femmes. Malgré les changements importants qui sont intervenus depuis plus d'une décennie, qui rendent formellement possible l'accès des femmes à la sphère politique et à la plupart des lieux où s'élabore et se décide tout ce qui concerne la collectivité, elles restent massivement sous-représentées dans la vie associative, syndicale, politique et, de manière générale, dans tous les lieux de pouvoir. On ne peut, en effet, que constater la perpétuation de l'hégémonie masculine sur la vie publique.

La position de la femme reste moindre que celle des hommes : comme si la femme ne pouvait avoir d'existence que par l'homme dans le cercle étroit où, par conjoncture universelle, les hommes l'ont enfermée.

Pourquoi faut-il parler du combat féministe et de l'émancipation de la femme, sinon pour dénoncer un ghetto moral ?

La société algérienne se caractérise par une ségrégation sexuelle de l'espace. L'espace privé est considéré comme féminin et séparé de l'espace public classé comme masculin, bien que la dichotomie espace privé / espace public ait été remise en question par de nombreux anthropologues féministes en arguant qu'elle ne tient pas compte de la dynamique de l'interaction sociale.

La dichotomie privé / public a trait aux relations entre individus et non pas seulement au partage géographique de l'espace entre les hommes et les femmes en relation avec la division du travail. Les espaces sont donc classés comme privés ou publics en fonction des personnes présentes et des activités qui s'y déploient. L'espace intérieur est plus souvent privé et associé aux activités féminines et aux relations intimes. L'espace extérieur est majoritairement public et réservé aux activités politique, économique, juridique et religieuse dans lesquelles les hommes jouent un rôle prépondérant. Mais, dans la dynamique de la pratique sociale, on assiste quotidiennement à des interprétations.

La place normative d'une femme algérienne est au foyer domestique. Si elle veut se rendre dehors, elle est censée se "voiler", c'est-à-dire se soustraire aux regards des hommes, se rendre invisible. Cette règle est inhérente à la classification de l'espace et à la conception sous-jacente de la sexualité active et séduirait inéluctablement les hommes. Donner libre cours aux femmes aboutit à un désordre social (fitna) craint par les hommes et désapprouvé par l'Islam. Pour prévenir les femmes de détourner les hommes de leurs devoirs conjugaux et religieux, les hommes ont créé des institutions culturelles qui légitiment la domination masculine.

I- SPHERE PRIVÉE / SPHERE PUBLIQUE

Pour tout Algérien, la famille représente la référence suprême, le pôle de ses horizons intérieurs, le lieu d'ancrage de ses racines. C'est dire de quelle essentielle valeur elle est investie. Dans le triangle (dans toute culture) que compose l'ensemble : la société, la famille et l'individu, la famille est, en Algérie, au centre du triangle, elle englobe le Tout, renvoie au Tout, reflète le Tout.

C'est en cela que mon approche sur la femme algérienne se doit d'être initiée par la famille parce qu'en Algérie, davantage qu'ailleurs, la famille est au centre de toutes intimités. Elle en est le lieu même et le sens profond, en est transmis par la femme. Un proverbe kabyle dit : "La femme est le pilier central de la maison, l'homme en est la poutre maîtresse". Ou encore : "L'homme est la lampe du dehors, la femme, la lampe du dedans". C'est la femme qui donne vie et prospérité à la maison, qui la "remplit" comme disent les ruraux. C'est la femme qui en est l'âme et le coeur. La maison et la femme sont liées entre elles par un rapport étroit d'analogie symbolique. L'une ne peut se comprendre hors de l'autre. Elles s'expliquent mutuellement.

Aujourd'hui encore dans l'Algérie actuelle, serait-il illusoire et faux de penser appréhender de l'intérieur les problèmes complexes qu'affrontent quotidiennement les femmes algériennes si l'on n'a pas, au préalable, tenté de saisir le sens profond dont est chargée la famille ? Dans l'Algérie d'hier, la famille, c'est la grande famille patriarcale. Groupant dans la même demeure trois ou quatre générations d'individus, elle est "l'alpha et l'oméga de tout le système : groupe primaire, modèle structural de tout groupement possible" 1(*).

La division de l'espace social en sphère domestique, royaume des femmes, et sphère commune, empire des hommes, est un résultat de la dynamique qui limite les rapports sexuels au cadre familial et à des fins de procréation. Une femme s'aventurant dans le domaine des hommes transgresse la morale et provoque ces derniers suscitant en eux l'idée de plaisir sexuel. 

La rue est masculine en Algérie parce que la société est structurée par l'ordre familial réservant l'espace de la rue aux hommes. Les femmes tolérées dans ce dernier sont des femmes âgées, faisant des courses, se rendant à leur travail ou en revenant. La jeune femme, dans la rue, est "excusée" si elle est accompagnée de l'un de ses parents, de ses enfants ou d'une autre personne plus âgée qu'elle ou si elle sort pour étudier. Autrement dit, une jeune femme seule en ville est suspecte, elle est sortie de son espace "nature", la sphère familiale. Si elle a pu sortir sans raison valable, c'est que sa famille n'a pas suffisamment d'autorité sur elle et donc que c'est une famille à l'honneur douteux ou bien une famille où il n'y a ni père, ni frères... Le regard porté sur elle la réduit à un sexe. Elle n'est donc pas considérée comme un individu social mais comme un corps, un élément incontrôlé de la civilisation (familiale) qui s'est échappé de la nature. C'est donc une femme "émancipée" que l'on peut solliciter sans souiller l'honneur de quelqu'un.

L'organisation de la société, en termes de ségrégation, de frontières, d'interdits, etc., repose sur les normes de régulation et des valeurs fondatrices de l'ordre moral. La modernisation qu'a introduit l'échange marchand et l'urbanisation contreviennent à l'organisation spatiale où déploie cet ordre moral, désormais transgressé par deux éléments perturbateurs : l'anonymat et la femme.

Agressée par la rue, la famille ou par les institutions, la femme ne peut se plaindre car sa plainte n'est pas recevable dans un milieu qui la considère comme fautive en premier. La moralité de la rue a incité certaines femmes à porter le hidjâb (tenue islamique). Le projet de l'Islam politique est de gérer la collectivité nationale non pas comme une société moderne à travers l'espace public à formaliser mais plutôt comme une communauté familiale structurée autour des devoirs de l'individu envers le groupe.

A- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (autrefois)

Dans la pensée traditionnelle algérienne, la maison constitue le monde de l'intérieur, du secret, de l'intimité, de la pénombre auquel elle se rattache symboliquement en s'opposant au monde de l'extérieur, du public, du social, de la lumière. À travers les murs aveugles de la maison, rien ne transpire vers l'extérieur de son intimité intérieure et profonde. Entre l'extérieur et son intimité, la maison aménage un espace-tampon où sont reçus des visiteurs qui ne doivent pas pénétrer plus avant, où s'attardent les autres, pendant que les femmes font disparaître tout ce qui ne doit pas être saisi par un regard étranger.

La pudeur de ce qui se passe à l'intérieur (de la maison comme de l'individu) constitue une valeur fondamentale de l'éthique algérienne. Il ne s'agit pas là de pudibonderie mais de la pudeur de ces choses profondes (que beaucoup qualifie souvent "d'incommunicables") qui doivent demeurer au chaud de l'être, à l'ombre de la maison sous peine de perte de sens, d'érosion de matière. Une forme de pudeur qui consiste aussi en une esthétique du regard. Dans la pensée traditionnelle algérienne, le regard n'est pas neutre. Il est porteur d'influences, chargé de pouvoir, parfois de malédiction, le "mauvais oeil" n'étant que l'exemple limite de cette symbolique du regard. Ne dit-on pas, partout ailleurs, qu'un regard peut-être "charmeur", "envoûtant", "pénétrant" ? Le regard posé sur les choses de l'intérieur est transgression. En surprenant, d'une certaine manière, il prend, il s'approprie.

Il serait erroné de penser que la maison est fermée à l'extérieur et au regard, se repliant sur elle-même, dans la seule intention de cacher ses femmes. Il est établi que la femme et la maison sont toutes deux

"Symboliquement rattachées au monde du dedans, de l'intérieur et de l'ombre et se situent l'une par rapport à l'autre dans une relation d'analogie" 80(*).

Alors que, de façon opposée et complémentaire, l'homme se situe dans une relation d'analogie symbolique avec l'extérieur, la lumière, le public et le social. Au terme de cette conception du monde, la maison constitue le domaine privilégié de la femme tandis que la rue, la place publique, le marché, l'extérieur, le social constituent le domaine privilégié de l'homme qui n'est autorisé qu'à de brèves apparitions à l'intérieur de sa propre maison : pour y prendre ses repas et dormir. Ceci ne signifie pas pour autant que la maison soit la prison de la femme.

En milieu paysan, multiples et divers sont les lieux (aux champs, dans les bois, à la source ou fontaine, aux pâturages...) où elle passe le plus clair de son temps. La maison n'a pas pour fonction d'enfermer la femme. À la campagne, les femmes ne se déplacent jamais voilées. Chacun y connaît tout le monde. Tous les habitants d'un même village sont unis par une trame très dense de relations parentales tissées tout au long des siècles. Ils observent, en outre, les règles codifiant la hiérarchie des espaces publics et privés qui évitent aux femmes des rencontres très malvenues.

À l'opposé, la ville n'offre pas les mêmes garanties car l'espace citadin constitue un espace essentiellement public. J'entends par-là qu'il est fréquenté par les hommes qui ne sont d'aucune manière apparentés aux femmes qu'ils pourraient rencontrer. Pire, il est sillonné par les gens venus d'ailleurs, des étrangers qu'on ne peut nommer et qui constituent l'extérieur de l'extérieur.

Ainsi, la maison comme la femme se trouvent protégées par un double et symétrique rempart de pudeur. La pudeur des gens de l'intérieur qui n'ont pas à extérioriser ce qui doit demeurer caché et celle des gens de l'extérieur qui n'ont pas à surprendre l'intimité domestique. Ce double rempart confirme le caractère sacré et inviolable de la demeure, son "horma" (honneur et respect liés à la maison et aux femmes). L'espace est, en effet, conçu comme essentiellement sacré à différents niveaux de la réalité.

La maison est singulièrement "habitée" par les esprits invisibles qui peuplent l'univers. Ils deviennent, ici, ses esprits tutélaires, ses gardiens invisibles qui la protègent en l'assurant de leur bienveillance. Surtout, ils traduisent la sacralité essentielle de la maison. En retour, les habitants (les femmes surtout) doivent les reconnaître et les honorer de simples et multiples gestes quotidiens qui réaffirment, avec les rites.

La violation de la "horma" (caractère diversement sacré) de la maison constitue l'un des actes les plus graves qui puisse être commis. Elle peut être le fait de gens de l'intérieur (c'est-à-dire les femmes) mais surtout de gens de l'extérieur (c'est-à-dire les hommes extérieurs à la grande maison, même s'ils lui sont apparentés). C'est aux hommes de la maison qu'il appartient de veiller au respect de leur horma et d'en assurer la défense. Il en va de l'honneur.

La conduite impudique des femmes, c'est-à-dire non conforme à l'éthique traditionnelle de pudeur et de réserve, constitue déjà une atteinte à la "horma" en ce sens qu'elle expose à l'extérieur ce qui doit demeurer à l'intérieur. L'adultère, le viol et les relations sexuelles prénuptiales en sont la violation suprême car ce sont des transgressions de la sexualité conjugale qui constitue ce qu'il y a de plus intime, de plus réservé et de plus caché, de plus socialement dense aussi, liée directement à l'obsédante pérennité du lignage. Quel qu'en soit le motif, un homme qui s'introduit dans une demeure sans y être expressément invité, en la présence ou en l'absence des femmes, commet une profanation à la "horma" presque aussi grave que celle de l'adultère.

Dans tous ces cas de violation, l'atteinte ne peut être lavée que dans le sang. C'est seulement à ce prix que sera rétabli le cercle sacré et intangible qui protège la maison et les femmes. L'homme extérieur est d'abord considéré comme le sujet responsable du crime et devra le payer de sa vie. Les femmes fautives d'adultère ne sont, elles, que l'objet de cette violation au même titre que la demeure dans laquelle pénètre l'intrus car seul l'extérieur peut agir sur l'intérieur et lui porter atteinte. L'homme devra donc payer le terrible affront de son sang (code coutumier).

Quant à la femme fautive, le droit coutumier est, à son égard, moins précis et surtout moins homogène, variant selon les régions. Souvent l'adultère est assimilée au viol même s'il y a eu consentement de la femme, ce qui atténue le déshonneur de la famille victime. Le mari reste alors libre de son attitude. Pour le moins, il répudie la femme. Il peut aller jusqu'à la tuer mais ce n'est pas systématique. Tandis que l'homme, considéré comme le réel auteur du crime, aura, dans tous les cas, à subir la vengeance des hommes de la maison s'exerçant avec l'assentiment, voire sous la pression, du village tout entier et légalisé par le droit coutumier.

B- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (aujourd'hui)

Considérables sont les mutations subies par la société algérienne dans son ensemble et par la famille en particulier : bouleversements de l'époque coloniale sapant les bases de l'organisation traditionnelle et déchirant l'identité, puis mutations induites par le nécessaire développement du pays. Tous ces changements n'ont pas atteint les différentes régions d'Algérie uniformément le pays.

Certaines régions de montagnes ou de steppes arides (telles les Aurès, l'Ouarsenis, la Petite Kabylie et quelques villages de la Grande Kabylie...) commencent seulement à sortir de leur isolement ressenti comme une douloureuse marginalisation. Aussi, jusqu'à ces dernières années, les populations de certains villages ou bourgs éloignés continuèrent-elles à vivre selon les formes traditionnelles d'organisation et de relations sociales. Tandis que dans les grandes métropoles urbaines comme Alger, Constantine, Annaba, Oran, Tizi-Ouzou, où les mutations sont anciennes et profondes, parler de processus de changement apparaît totalement anachronique car c'est une situation d'ores et déjà fondamentalement modifiée, sinon bouleversée, que vit quotidiennement l'Algérien des grandes villes.

Les milieux sociaux qui ont subi les plus profondes mutations sont ceux des cadres supérieurs et moyens : hauts fonctionnaires, responsables d'organismes d'État, membres des professions libérales, cadres administratifs et techniques, universitaires, enseignants. Il est bien évident qu'il s'agit d'un milieu économiquement favorisé. On comprend que le paramètre économique soit essentiel dans l'accès au processus de changement. Il n'est toutefois pas exclusivement déterminant.

L'ancienne aristocratie algérienne, appelée communément les "grandes familles citadines" (à ne pas confondre avec l'ensemble des citadins de souche) et qui constitue la classe économiquement privilégiée, demeure très attachée au système familial traditionnel. Du moins reste-t-elle très largement fidèle aux anciennes stratégies matrimoniales et, à un moindre degré, au principe patriarcal regroupant toutes les familles des fils dans la grande maison du père. En dépit du fait que, de par sa "citadineté" et de par sa position sociale et économique, cette aristocratie a été plutôt influencée par les modèles étrangers plus enclins aux changements, tout porte à penser que la pérennité est, ici, le résultat d'une volonté de défense de privilèges communs, volonté d'autant plus aiguë que la politique algérienne cherche à la combattre.

Dans les montagnes (comme en Grande Kabylie) et les hauts plateaux, les changements ont pénétré les maisons par l'intermédiaire des gros bourgs environnants où se rendaient les jeunes à l'affût de nouveautés. Fiers et heureux, ceux-ci ont ramené dans les maisons de pierres les premiers éléments de confort, objets dérisoires mais chargés de signification nouvelle : marmites et casseroles modernes, chauffage à gaz butane et, surtout, le modeste réchaud circulaire à gaz, la fameuse "tabouna" (trépied), qui allait bientôt trôner dans toutes les demeures en supprimant l'essentiel des pénibles corvées de bois. De nouveaux modèles ont commencé alors à filtrer à travers les murs de pierre et de terre. Ils étaient véhiculés par les hommes qui se rendaient fréquemment dans les villes proches où tout les attirait et les intriguait. Ils étaient aussi apportés par les émigrés et encore par ceux qui, poussés hors du village par le mouvement de l'exode rural, y revenaient régulièrement en visite... Les changements se sont accélérés...

Jusqu'alors, les villages étaient restés tels qu'ils avaient toujours été, avec leurs maisons serrées les unes contre les autres au flanc ou sur la crête des montagnes. Aucune habitation en ciment. Aujourd'hui, rares sont les maisons traditionnelles encore habitées (ne seront pas détruites). À l'intérieur des anciens villages, mais aussi sur de nouveaux sites éparpillés alentour, ont poussé des dizaines de constructions en "dur", toutes grises de leur béton brut. Ainsi, sous l'impulsion du changement, les antiques bourgs ont-elles littéralement explosé, familles projetées à leur périphérie. Ces nouvelles maisons de ciment, de fer et de béton (où le gaz a remplacé le bois et, tout récemment, les paraboles font leur entrée dans les foyers avec des programmes de télévisions étrangères), de quel éclatement plus intime sont-elles issues et quelles mutations provoquent-elles au sein même de l'ancienne grande famille ?

C- NOUVEAUX ESPACES DOMESTIQUES RURAUX

L'architecture extérieure et les matériaux modernes utilisés dans les nouvelles constructions rurales aient, comme première finalité, exprimé également une organisation intérieure différente s'inspirant des nouveaux principes architecturaux urbains.

Mais, parallèlement, cet ordonnancement de la maison traduit certaines tendances nouvelles qui agitaient souterrainement et confusément la grande famille. La nouvelle architecture induit d'autres changements au sein de la famille qui, à son tour, réagira sur l'ordonnancement de la maison. Ainsi s'engage tout un processus cumulatif d'interactions de la maison sur la famille et vice-versa.

Le travail de la terre est partout l'objet d'une dévalorisation croissante. Les jeunes filles quittent leurs villages pour étudier en ville afin d'aboutir à un emploi (elles trouveront toujours un parent pour les héberger). Le salaire immédiat de la fréquentation de la "ville" constitue des attraits non négligeables. Mais ce "simple" changement induit en cascade toute une série de mutations cumulatives atteignant la famille et la maison. Simultanément, l'accès au salariat induit la fragmentation et la séparation des activités des membres de la grande famille qui, jadis, n'avaient qu'une occupation : la culture des terres léguées par les ancêtres. Il en résulte la perte de l'ancienne cohésion familiale qui se dilue lentement dans une manière d'habitude là où il y avait, jadis, nécessité et volonté de cohésion.

Dans tout ce contexte, des tensions diverses agitent la famille. Les fils, occupés à des activités salariales différentes, en retirent des revenus inégaux rendant la mise en commun des ressources moins facile qu'à l'époque où tous travaillaient ensemble les terres ancestrales. Des conflits, de plus en plus fréquents, surgissent entre belles-soeurs pour l'utilisation de la part commune et s'enveniment de jalousie quant aux dépenses personnelles de chacun des couples. La mésentente aboutit à la création de cuisines séparées, sombres réduits concrétisant l'apparition du foyer conjugal qui se substitue à l'ancien foyer commun, âme et coeur de la grande famille.

Malgré tous ces changements, la nouvelle maison rurale s'ouvre peu sur l'extérieur, reproduisant l'ancien sentiment de pudeur envers le monde du dedans. Tandis que dans les nouveaux ensembles urbains perdure l'ancienne attitude de réserve. Le visiteur qui s'annonce s'éloigne largement du seuil afin que son regard ne puisse pénétrer l'intimité domestique. Le vestibule prend le sens de la traditionnelle "sqîfa" (espace situé immédiatement après le seuil, séparant de l'extérieur le monde domestique intime). S'il n'a pas été prévu par les architectes, il est aménagé par les usagers eux-mêmes.  

Ainsi faut-il comprendre la répugnance des hommes à demeurer chez eux lors de leurs moments de loisirs. Reproduisant à leur insu les anciens schémas traditionnels, leur réservant le domaine public et les excluant du domaine domestique, les hommes préfèrent déambuler à pied ou en voiture, parfois accompagnés de leurs enfants, discuter avec des collègues ou des amis autour d'une table de café et ne rentrer à la maison que pour le dîner. Il ne faut pas croire que l'épouse est toujours tenue, dans ces mêmes moments, à rester chez elle. Selon ses disponibilités, elle va en visite chez des amies ou parentes ou bien sort en ville avec une de ses voisines faire quelques menus achats.

Cependant, ces emplettes sont davantage loisir qu'obligation car l'approvisionnement régulier du foyer est généralement assuré par les hommes. Rares sont les Algériennes qui ont à s'occuper du marché hebdomadaire. Non pas que les femmes, comme autrefois leurs aïeules, aient l'"interdiction" de se rendre au marché, jadis domaine exclusivement masculin mais, pour les Algériens, c'est là une façon commode et conforme de décharger partiellement leurs femmes des obligations domestiques tout en perpétuant et en reproduisant, à leur insu, l'attitude traditionnelle de relation privilégiée avec l'extérieur et le social. Ce comportement est beaucoup moins anodin qu'il paraît. Il montre simultanément la pérennité de certaines pratiques, la fidélité aux horizons intérieurs et la possibilité de les adapter au nouveau contexte car c'est bien cette adaptation qui pose généralement problème.

Au fond, tout se passe comme si les êtres, gardant intacts au fond d'eux-mêmes leurs paysages intimes, se sentaient impuissants à les restituer dans ces nouveaux espaces, si différents de ceux qui les ont composés. Comme si le monde avait changé mais pas la lumière, pas le regard, et qu'on en soit perdu, qu'on ne sache plus bien où et comment poser le passé, les habitudes chères, les attachements indéfectibles.

Dans cette difficile rencontre des fidélités enracinées et des changements voulus, le voile ancestral a pratiquement disparu du paysage urbain. Seules certaines vieilles femmes et quelques jeunes paysannes perdues dans la Grande Cité où les projette l'exode rural s'enveloppent encore dans le traditionnel "haïk blanc" d'Alger ou la "melaya noire" de Constantine. Sans excentricité toutefois, les toilettes, pour être élégantes, n'en demeurent pas moins discrètes et souvent classiques, préservant la pudeur à laquelle, comme les hommes, les femmes algériennes demeurent profondément attachées. Certes, le voile prend une récente revanche avec le hidjâb des intégristes (vêtement très enveloppant comportant un long foulard) mais aussi une signification plus large.

D- RITES DE PASSAGE

Le passage de l'intérieur vers l'extérieur se marque donc par un rite : la femme se voile ou marche la tête baissée en ayant une tenue correcte. L'espace extérieur, étant défini comme public et masculin, se voit menacé dans son essence par la venue des femmes qui, d'habitude, sont associées à la vie privée. Les femmes ne peuvent y accéder qu'en se rendant invisibles. Elles se conforment aux règles de conduite et de comportement en vigueur. L'infraction à ces règles constitue une menace pour les prérogatives de pouvoir des hommes.

C'est dans cette perspective qu'il faut considérer des luttes, des ruptures parfois violentes autour de la question du voile et de la liberté de circulation des femmes (heurts entre frères et soeurs, menaces de mort des islamistes...). En envahissant la territorialité masculine, ces femmes remettaient en cause le pouvoir établi des hommes. La domination masculine ne s'exprime donc pas seulement par l'accès à un espace plus étendu mais aussi par la défense de cet espace. Des étudiantes, des travailleuses n'étaient pas des prostituées, elles enfreignaient seulement les règles spatiales : après dix huit heures trente, les femmes désertent les rues et ne sortent à l'extérieur qu'accompagnées d'un homme, même d'un petit frère.

Le passage de l'extérieur vers l'intérieur par un homme est également ritualisé. Lorsqu'un homme veut rentrer chez lui et qu'il craint d'y trouver des visites féminines, il est tenu d'annoncer son arrivée en élevant la voix ou en heurtant la porte (quelle que soit la manière : il y a toujours un signal). Il ne fait rien d'autre que de s'étaler dans l'espace. À l'intérieur, les femmes s'activent aussitôt pour servir leurs hommes. L'homme ne dispose que d'un espace limité. Il doit tout mettre en oeuvre pour éviter de croiser les autres femmes ; par sa seule présence, une partie de sa maison est devenue publique.

De même, si l'homme se fait accompagner par un ami, il se signale également avant d'entrer. Les hommes se mettront alors dans la pièce destinée à l'accueil des invités et se feront servir par la personne âgée de la famille ou de la petite fille de la maison. L'épouse, la fille aînée ne paraîtront jamais devant l'étranger. Il n'est cependant pas fréquent qu'un homme transforme sa maison en lieu public. Les affaires publiques, pour lui, se déroulent dans la mosquée, dans la rue ou au café.

On peut dire que les femmes en Algérie ne peuvent quitter le foyer domestique qu'avec l'accord de leurs maris et ce seulement pour se rendre au bain maure ou au tombeau d'un saint. "Ces lieux sont, par essence, classés comme privés parce que l'on reconnaît un caractère sacré et les femmes y sont sous la protection divine" 81(*).

Dans la pratique, les femmes disposent de marges de manoeuvre pour décider quand, avec qui et où elles se rendent au-dehors. À l'extérieur, elles observent toutefois strictement l'étiquette spatiale. Elles font des courses dans le quartier en longeant les murs et en se rendant directement au but. Il ne sied pas de s'attarder dans la rue, ni de regarder ostensiblement autour d'elles. Dans la sphère publique, une femme ne doit pas se faire remarquer, elle baisse la voix et le regard et se garde de rire. En revanche, les hommes peuvent s'attarder sans motifs et lancer des regards à tous les passants.

E- LA TENUE

Ce n'est pas seulement par la circulation dans l'espace mais aussi par la façon dont on se tient assis ou debout que les gens expriment leur position sociale par rapport à d'autres. Selon Goffman, "dans les sociétés occidentales, les hommes occupent plus d'espace que les femmes" 82(*)..

Un homme véritable est grand et large, une femme honorable est discrète et petite.. La femme se met en valeur en accentuant sa docilité. Le couple idéal dans nos sociétés est composé d'un époux plus grand et généralement plus âgé. Les mécanismes de sauvegarde de la domination masculine sont culturellement sanctionnés.

Dans la plupart des foyers, on aime bien s'asseoir par terre. S'il est permis à l'homme d'étirer ses jambes et d'appuyer ses coudes contre un support, la femme garde ses jambes sous elle et reste assise le dos tout droit. Le jeans et certaines tenues modernes empêchent les jeunes femmes de s'asseoir comme il faut, elles n'ont plus de quoi se couvrir les jambes. Elles sont souvent critiquées par leurs mères et mettent finalement des robes larges à la maison. Le vêtement permettant aux jeunes femmes des mouvements plus larges est rejeté avec des arguments symboliques qui contribuent implicitement à légitimer l'apanage spatial des hommes.

Lorsque le mobilier moderne existe dans un foyer (chaises, fauteuil, lit avec sommier, etc.), celui-ci sera occupé par un homme de la maison. La construction symbolique prime ici sur les considérations d'ordre pratique. Bien que le repas soit servi sur une table basse, l'homme le mangera de sa position assise sur la chaise. L'occupation dominante de l'espace exprime bien sa position sociale par

rapport aux femmes et aux autres membres de la famille..

L'utilisation de l'espace est modelée par les rapports de pouvoir entre les acteurs sociaux et permet de les reproduire. On s'aperçoit effectivement que les rapports de pouvoir sont renforcés par l'intériorisation des règles de l'utilisation de l'espace par les catégories sociales subordonnées. Il est alors lieu de se demander pourquoi ces codes ne sont pas contestés ? Pour cela, il faut se concentrer sur les transgressions et analyser dans quelle mesure celles-ci constituent une menace pour l'ordre social. Une catégorie de femmes qui transgressent les codes spatiaux de conduite féminine sont les femmes libres, les prostituées et les danseuses de cabarets, des jeunes filles révoltées.

F- VOILER OU DÉVOILER LA FEMME

Dévoiler la femme en Algérie, faire tomber cette barrière qui sépare les hommes des femmes, n'aurait pas été une démarche plus aisée. Traiter une question telle que le voile constitue, même à l'heure actuelle, un point chaud en Algérie. Aucun des deux espaces n'est suffisamment neutre pour permettre d'aborder une telle problématique avec suffisamment de sérénité. En fait, ce ne sont pas ces espaces, en tant que tels, qui sont à considérer ou à incriminer mais c'est notre propre angoisse qui a été déclenchée. Il s'agit donc de notre "contre-transfert" 83(*) par rapport à notre recherche qui a été analysé à travers notre lutte (et notre engagement dans l'associatif) qui s'est faite le porte-parole de ce que signifiaient pour nous le voile et la perspective du dévoilement.

À travers ma propre expérience, j'ai constaté qu'en dehors de sa dimension sociale, le voile a un impact au niveau psychologique. D'autre part, être étranger aiguise la vue comme cela affine l'ouïe et c'est dans cette distance extérieure que le voilement et le dévoilement de la femme algérienne s'imposent comme un phénomène dont le mouvement est en relation avec les grandes ruptures d'équilibre social. Chaque fois qu'il y a une rupture dans la continuité de l'histoire tels que la colonisation ou la décolonisation, le renversement d'un État, la révolution islamique, il y a un retentissement au niveau de la femme. Certains vont la dévoiler, d'autres vont la voiler.

Ce petit point de cette recherche va consister à essayer de comprendre cette société lorsqu'elle voile ou dévoile ses femmes. À quel moment intervient l'une ou l'autre séquence ? Et enfin quels sont la fonction et le sens de ce phénomène ? Car il me semble que le voilement de la femme a un sens caché, occulté et, précisément pour cela, important.

Le voile dans la société algérienne, et arabe en général, fait partie d'un système cohérent. Y toucher, le questionner implique le questionnement de la structure d'ensemble qui le sous-tend et, par conséquent, exige du chercheur le recours aussi bien "à la dimension historique, sociologique, que psychologique". Nous sommes donc "en présence d'un fait social total" au sens où l'entend Marcel Mauss 84(*).

L'élément féminin dans les sociétés musulmanes infiltre, par son caractère caché, occulté et voilé, tout l'ensemble et apparaît en filigrane aussi bien dans le comportement quotidien du particulier - son honneur et sa dignité sont largement tributaires du comportement de ses femmes (sa femme, ses filles, ses soeurs, ses cousines...) qui peuvent l'élever aux yeux de la société par un comportement fait de réserve et d'effacement ou le rabaisser en contrevenant aux coutumes - que dans les décisions prises à l'échelle nationale. En effet, malgré les options modernistes des gouvernants, leur silence ou leur malaise dans le traitement de toute question concernant la femme signifie la complexité du problème et la multiplicité des ses incidences.

La femme semble détenir ou être la garante de l'honneur de la nation, de la société ou tout simplement de la famille. Dès lors, son immobilisation ou son voilement devient une nécessité car, dès qu'elle bouge, elle menace les valeurs ancestrales qui constituent le groupe. Pour comprendre le voilement, il va donc falloir "dénuder les fondations de notre propre société" 85(*). Il est présent dans la structure même de cette société endogame et tribale.

Étymologiquement, le voile signifie, en algérien, le "haïk", le "hidjâb", autrement dit protection. Les femmes kabyles ne se voilent pas au sens de se couvrir totalement mais se protègent par le port du foulard et de la "fouta" (morceau de tissu à rayures qui noue la taille et qui doit cacher les genoux, Les couleurs de la fouta sont identiques dans toute la Kabylie, c'est à dire : marron / orange / noir pour tous les jours et orange vif / jaune... pour les événements).

Or, les protecteurs de la femme sont en premier lieu sa parenté mâle. Le premier voile de la femme est présent dans ce tissu serré constitué par le père, les oncles, les frères et les cousins. Il est présent dans ce lien mystique qui les unit les uns aux autres. Ils ont le même ancêtre, le même sang coule dans leurs veines et ils luttent contre le même ennemi. Le voile est encore présent dans cette volonté antique de "vivre entre soi", sous le même toit, dans le même village et surtout "garder les filles de la famille pour les garçons de la famille, du village ou de sa région" et, ainsi, l'honneur est sauf. Il s'agit bien sûr de l'honneur des hommes qui serait atteint si on touchait à la femme de leur groupe.

Lorsque la femme algérienne se dévoila durant la guerre d'indépendance et participa au mouvement de libération, plusieurs observateurs étrangers proclamaient son évolution fulgurante et considéraient le fait comme un acquis fondamental, un point de non-retour. Les mêmes personnes, qui venaient retrouver l'Algérie libre, sont surprises par ses efforts considérables mais ils sont encore plus surpris par ce frein souterrain, incident, insidieux qui se présente sous la forme de femmes encore voilées dont le nombre s'est accru dans certaines régions et dont le voile s'est fait plus austère sur certaines femmes.

Le voile islamique (du modèle iranien et afghan) a remplacé le voile traditionnel algérien c'est-à-dire le haïk (voile blanc à l'Ouest et au centre de l'Algérie), la melaya (voile noir à l'Est), la fouta (chez les Berbères) ...

"C'est encore cette contrariété chronique, le vieux réflexe est toujours à l'oeuvre. Nous sommes toujours dans la république des cousins, mais alors pour quand la république des citoyens ?", nous dirait G. Tillion.

Je pense que le voilement comme le dévoilement sont profondément inscrits dans la structure de cette société. L'apparition de l'un ou de l'autre phénomène doit toujours être interprétée en fonction du contexte historique ou politique.

Dans sa préface à l'oeuvre de M. Mauss, Lévi-Strauss dit que :

"Nous ne pouvons jamais être sûrs d'avoir atteint le sens et la fonction d'une institution si nous ne sommes pas en mesure de revivre son incidence sur une conscience individuelle (...), toute interprétation doit faire coïncider l'objectivité de l'analyse historique ou comparative avec la subjectivité de l'expérience vécue" 86(*).

À travers mes entretiens, j'ai essayé de mesurer l'impact de cette institution sur les comportements. Ce serait un truisme que de dire : le voile ne contribue guère à la rencontre de l'homme et de la femme. Cependant, le moins banal est que l'évitement qui concernait l'étranger au groupe familial finit par s'étendre aux hommes de la famille et aboutit à une sorte de clivage à l'intérieur d'un même groupe familial. Ainsi, dans une même famille, nous voyons cohabiter deux mondes parallèles, ce qui n'est pas sans incidence au niveau de la structure des personnalités de ceux qui vivent cette réalité.

C'est par l'intermédiaire de l'éducation que la famille va intervenir activement pour développer chez ses enfants, garçons et filles, des attitudes qui vont dans le sens de leur exclusion mutuelle et du renforcement de la barrière qui les sépare. Ainsi, pour la fille, lorsque le voile apparaît dans sa vie, il n'est que l'aboutissement d'un long processus de nivellement et d'effacement de toute agressivité et positivité en elle.

L'attitude de la femme dévoilée en Algérie est frappante. Pour comprendre le processus de dévoilement, il serait intéressant de citer des propos assez significatifs des femmes interrogées sur cette question : "Je suis déshabillée ou même je me sens dénudée", dira la femme qui se libère de son voile, ou d'emprunter des passages de l'oeuvre d'Assia Djebbar dans Femmes "d'Alger dans leur appartement" :

"Le corps avance hors de la maison et, pour la première fois, il est ressenti comme "exposé" à tous les regards : la démarche devient raidie, le pas hâtif, l'expression du regard contractée (...), ne plus l'avoir, c'est être totalement exposée" 87(*).

Ceci, bien sûr, j'ai pu le percevoir (ou du moins sans les analyser avant les événements d'Algérie) qu'en voyant une autre catégorie de dévoilées, celles qui n'ont jamais porté le voile et celles qui s'inventent un nouveau voile (à l'Iranienne). "On ne peut être à la fois dans le paysage et en avoir la vue" 88(*), c'est là que prend tout son sens la notion de "report" de G. Devereux qu'il définit comme étant :

"L'influence subjective ou objective d'expectatives et aussi d'expériences antérieurement vécues avec une autre tribu, sur l'attitude adoptée envers la tribu présentement étudiée" 89(*).

Cette mise à distance à permis l'émergence d'un questionnement sur la femme algérienne et le processus de son être et de sa construction. Et c'est à ce moment-là qu'apparut la dimension contre-transférentielle. Pour s'en rendre compte, J.-Bernard. Pontalis a écrit :

"On ne peut parler du contre-transfert en vérité, mais on peut le rendre sensible avec le tact. Le mot tact évoquera ici moins une discrète circonspection que la sensibilité à une surface ! Cette sensibilité est d'abord méconnaissable par les formes qu'elle revêt, qui sont : soit éluder la question, soit ajourner son abord... " 90(*).

Mais ce genre d'étude ayant une limite dans le temps, il a bien fallu se pencher à un moment donné sur le problème soulevé et, à ce moment-là, d'autres manifestations se sont fait jour, heureusement consignées ou enfouies dans le subconscient : l'impression que ce phénomène de dévoilement n'a aucune impertinence. La compréhension du processus de voilement ou de dévoilement a toujours été un sujet qui questionne.

G- FEMME ALGÉRIENNE, GARDIENNE DE LA TRADITION

Les femmes ont été sacrées par les hommes politiques et par une frange d'intellectuels "gardiennes des traditions", puis ils ont manipulé ces traditions pour freiner toute évolution. Le maintien du rôle traditionnel de la femme a hypothéqué l'avenir car c'est aux femmes que revient le pouvoir de façonner les hommes. En effet, soumises à un dressage qu'elles ont intériorisé, elles forment ainsi la "chaîne de transmission" de la tradition. Elles vont véhiculer l'archaïsme, élever leurs enfants selon les schémas traditionnels et poser ainsi les bases de l'intégrisme. C'est ce que la société attend d'elles.

Jusqu'à présent, la modernité prônée par les intellectuels a eu des contours bien flous. En effet, on reste prudent de parler d'un milieu intellectuel algérien qui prônerait l'ensemble des valeurs du modernisme sur le plan politique, économique et intellectuel débouchant sur une émancipation de la femme. Les intellectuels prodiguent de grands discours modernistes mais continuent à avoir des comportements des plus rétrogrades envers leurs femmes et soeurs. Ils renvoient à leurs fils cette image du modèle autoritaire masculin sur les femmes comme le note très justement Ghita El Khiat-Bennani :

"Les hommes arabes ne veulent pas renoncer aux privilèges qu'ils détenaient autrefois et exigent des femmes qu'elles soient modernes à leur place quand besoin est, traditionnelles quand ils peuvent en tirer plaisir, qu'elles soient actives quand ils peuvent en tirer gloire et profit, (...) qui peut faire fantasmer un homme qui n'a pas grand chose à partager réellement avec une femme" 91(*).

Les intellectuels se sont accommodés jusque-là du sexisme qui privilégie la loi des mâles. Tournés vers l'Occident, ils adhèrent aux idées progressistes, prônent la modernité tout en brandissant la banderole : "touche pas à ma femme". Captives de leur propre culture, n'ayant pas les moyens de sortir de leur situation de soumission, les femmes ont éduqué les garçons de façon à ce qu'ils disposent d'elles. Conscientes de ce boulet qu'elles traînent dès leur plus jeune âge, elles veulent un changement.

II- LA PLACE DE LA FEMME DANS LA STRUCTURE FAMILIALE

Le développement en Algérie est conçu comme processus de réalisation d'un nouveau type de société, donc de socialité, à travers le projet de mise en place d'une société qui se voudrait moderne et démocratique. En discontinuité avec le modèle de la société traditionnelle, le nouveau modèle qui se met en place tend à la définition des rôles et des statuts des individus, ainsi qu'à celle des rapports entre groupes et entre acteurs sociaux par l'élaboration d'une législation abstraite et écrite.

D'autre part, l'industrialisation, l'urbanisation et la scolarisation constituent autant de facteurs participant à une transformation en profondeur de la structure de la société algérienne. Le processus de dégradation de la structure familiale patriarcale et la transformation des rapports traditionnels de pouvoir qui en ont résulté constituent les indicateurs d'une crise de légitimité de la société traditionnelle, crise introduite déjà par la colonisation. Il faut dire que cette légitimité avait été en partie reconstruite durant la guerre de libération.

Replacée dans ce cadre qui insiste surtout sur les mutations sociales, l'analyse de la femme algérienne s'avère très complexe. En effet, "la confusion entre religion et système de valeurs de la société traditionnelle caractérise déjà tout le bassin méditerranéen" 92(*) et plus particulièrement l'Algérie. Une analyse compliquée de la pratique de l'Islam, en général, devient encore plus réelle quand il s'agit d'étudier le rapport femme / Islam, d'autant plus que les problèmes des femmes se différencient de ceux des hommes ou s'y opposent presque terme à terme en raison de la séparation des sexes, base de la structure même de la société traditionnelle.

A- LE CADRE FAMILIAL

Étudier la famille algérienne exige une investigation à partir de plusieurs approches distinctes et cependant complémentaires :

q Une approche juridico-religieuse car il s'agit d'une famille régie depuis plusieurs siècles par le droit musulman. En Islam, il est difficile de dissocier le droit (fiqh) de la religion (dîn) : le fiqh est une partie intégrante du dîn ;

q Une approche sociologique d'autant plus qu'on fait appel de plus en plus à des disciplines telles que l'histoire, l'ethnologie et la démographie ;

q Une approche microsociologique, en ce sens qu'elle privilégie des interactions dans la famille : rôles conjugaux, pouvoir, conflits...

Durant ces dernières décennies, il y eut quelques travaux concernant la sociologie de la famille algérienne. Les auteurs de ces travaux se sont intéressés :

- Soit à l'étude des caractéristiques sociologiques : taille du groupe domestique, structure et relations de parenté (L. Debzi, R. Descloitres, 1963 ; R. Bazagana, A. Sayad, 1974 ; C. Lacoste-Dujardin, 1976 ; M. Boutefnouchet, 1979),

- Soit à des thèmes démographiques : l'âge au mariage, la polygamie et la fécondité (M. et F. Von Allmen-Joray, 1971 ; L. Tabha, 1972 ; J. Vallin, 1973 ; J. Vallin et D. Tabutin, 1973 ; J. Vallin et G. Négadi, 1973 ; D. Tabutin, 1974 ; M. Garenne, 1979 - sous l'égide de l'I.N.E.D. -, de même que M. Von Allmen, 1974 ; M. Khelladi, 1982 - sous l'égide de l'Institut National d'Études et d'Analyses pour la Planification, ex. A.A.R.D.E.S.- Alger).

Quelques brèves définitions sont, à ce stade, nécessaires.

q La première, sociologique et le plus souvent retenue, présente de manière générale la famille comme l'institution fondamentale qui comprend un ou plusieurs hommes vivant maritalement avec une ou plusieurs femmes, leurs descendants vivants et, parfois d'autres parents ou des domestiques 93(*).

q La seconde correspond plus à la famille algérienne et est empruntée à L. Debzi et R. Descloitres (1962, p. 29). Il s'agit d'un groupe domestique appelé "`âila"(famille en langue arabe) constitué de proches parents qui forment une entité socio-économique fondée sur des rapports d'obligation mutuelle : dépendance et assistance. L'article 55 de la Constitution algérienne (1989) stipule que la famille est la cellule de base de la société. Elle bénéficie de la protection de l'État et de la société.

B- LES CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES DE LA FAMILLE ALGÉRIENNE

La famille algérienne traditionnelle est une famille étendue qui rassemble les caractéristiques sociologiques propres au bassin méditerranéen.

1- LA FAMILLE : UN GROUPE COMPLEXE

D'aucuns s'accordent à dire que la taille du groupe domestique traditionnel était grande et qu'on y trouvait plusieurs générations : parents, enfants, ascendants et collatéraux. Néanmoins, aucun document officiel d'archives ne permet de donner avec exactitude la taille de ce groupe et prouver aussi que c'est ce type de famille qui prédominait réellement.

M. Boutefnouchet 94(*), qui défend lui-même l'idée de la grande famille algérienne, a procédé par questionnaire et a fait appel à la mémoire des sujets interrogés, démarche toutefois légitime pour un sociologue non-historien. D'après son enquête 95(*) réalisée à Alger, Oran et Annaba, la proportion des familles restreintes est sensiblement égale à celle des familles composées : respectivement 51,3 % et 48,7 % 96(*). De nos jours, même si la famille algérienne ne regroupe plus la même prétendue quantité de générations, elle n'a pas vu pour autant sa taille se réduire de façon considérable pour passer d'une famille étendue à une famille restreinte.

T. Lauras-Locoh va également dans le même sens puisqu'elle constate, en comparant les données issues des recensements de 1966 et 1977, que la taille des ménages algériens passe de 5,9 à 6,6 personnes. Elle rejette aussi bien l'idée d'une nucléarisation de la famille algérienne que de la famille africaine en général. Selon elle, c'est plutôt vers une famille nucléaire élargie avec un noyau familial central autour duquel s'agrègent d'autres membres de la famille plus éloignés que s'acheminent les arrangements domestiques 97(*).

La raison souvent invoquée pour expliquer le phénomène de non-nucléarisation de la cellule familiale en Algérie ou dans d'autres pays musulmans, comme le Maroc, est l'insuffisance de logements. On peut citer quelques illustrations pour le cas de l'Algérie. Ainsi, un jeune ménage cohabite avec les parents même après le mariage. Dans les grandes métropoles, les familles accueillent un parent venu d'une autre ville, d'un autre village pour qu'il puisse exercer sur place une activité professionnelle. En cas de travail à l'extérieur d'une mère de famille et d'un manque d'équipements socio-collectifs (crèches, garderies), on accueille volontiers les grands-parents ou une tante pour garder les petits enfants.

Au manque de logements s'ajoute incontestablement une autre raison de non-nucléarisation de la famille algérienne : le recul de l'âge au mariage. En effet, les jeunes adultes sont parfois obligés de vivre chez leurs parents en raison du prolongement de leurs études ou du chômage. Cela étant, il convient de signaler que le maintien des groupes domestiques complexes ne signifie en rien le maintien d'une situation antérieure (traditionnelle) : c'est au contraire un signe de crise économique et sociale 98(*).

2- UNE STRUCTURE FAMILIALE PATRIARCALE

La forme d'organisation familiale traditionnelle était le patriarcat : seul le père ou l'aïeul était dépositaire de l'autorité ; la femme, pour sa part, était totalement soumise. La structure était agnatique puisque la filiation était patrilinéaire et allait de père en fils. Le mariage était endogame : on se mariait avec la fille de l'oncle paternel. Il convient de remarquer que ce type de mariage (endogame ou mariage parallèle, côté agnat) ne correspond pas tellement au système berbère (kabyle) où l'on se marie plutôt avec des partenaires issus de la parenté maternelle. La structure était caractérisée également par l'indivision : les biens étaient inséparables et se transmettaient de père en fils ; les filles, quant à elles, quittaient le domicile familial à leur mariage.

Ces dernières décennies, l'Algérie, comme beaucoup d'autres pays sous-développés, n'a pas échappé à différentes mutations : exode rural, effets de l'industrialisation, etc. Ces mutations ont affecté également l'organisation familiale. L'enquête de M. Boutefnouchet 99(*) montre que le patriarcat ne revêt plus la même forme et n'est que symbolique. Le père, et encore moins le grand-père, n'est plus le seul dépositaire de l'autorité comme naguère, les décisions sont prises en concertation avec la mère salariée ou avec les enfants devenus jeunes adultes.

L'épouse exige de plus en plus de relation avec sa famille d'origine et les enfants ne sont plus obligés de se conformer, en matière de choix de conjoints, à la règle de "la République des cousins" qui consiste, selon G. Tillion 100(*), à se marier avec la fille de l'oncle paternel. Enfin, l'indivision connaît l'évolution la plus importante : le patrimoine indivis agraire existe de moins en moins, les enfants, descendants mâles, quittent la terre et émigrent le plus loin possible à la recherche d'un emploi salarié.

3- LE SYSTÈME MATRIMONIAL

Le témoignage ethnographique "Permet d'affirmer que le bédouin répugne à l'idée de marier sa fille en dehors du cercle de la parenté agnatique" 101(*).

À l'origine de ce refus, il semble qu'il y ait les fréquentes dissensions qui opposent les uns aux autres, les membres d'une même tribu et parfois d'un même clan.

"Donner sa fille en dehors de son groupe, c'est la couper de ses liens très étroits qu'elle a tissés avec les membres de sa "Osra" (famille), (...) et la livrer à un autre groupe, tout aussi compact, qui ne l'intégrera jamais ou l'incorporera mais au prix d'une annihilation de tout ce qui faisait sa vie relationnelle jusqu'alors" 102(*).

Il ne me semble pas qu'il y ait exagération lorsqu'on voit ce genre de survivances, même actuellement, au niveau des grandes familles citadines, donc éloignées des conditions de vie hostile de la montagne mais qui gardent malgré tout cet esprit de clan, ce mépris et cette hostilité à l'égard de tout ce qui n'est pas le groupe d'appartenance. Un exemple concret : un mariage entre une Kabyle et un Arabe (d'une autre région de l'Algérie) sera un désastre (même un déshonneur) pour les donneurs ou les preneurs (belles-familles et le village). Combien de couples se sont vus confisquer leur bonheur (unions refusées, drames...) au nom d'une tradition, pas d'unions hors de la famille, du village ou de sa région...

Dans un tel régime matrimonial, les véritables protecteurs de la femme sont les agnats, c'est pourquoi le mariage en dehors du groupe est d'autant plus désavoué que les preneurs nomadisent loin du secteur fréquenté par les donneurs. D'autre part, étant donné la solidarité qui existe à l'intérieur de chaque groupe et l'esprit belliqueux des Algériens qui les rend prompts à s'élever les uns contre les autres, prendre une femme d'un groupe étranger devient dangereux pour les preneurs et humiliant pour les donneurs.

On peut déjà tirer un certain nombre de conclusions dont la plus déterminante est que les caractéristiques de la vie des montagnards kabyles favorisent la cohésion du groupe. Ce qui donne naissance à ce que G. Devereux appelle:

"Une Gemeinschaft : une communauté à solidarité organique qui se meut au même diapason. Toute atteinte portée à l'un de ses membres est ressentie par l'ensemble et provoque la réaction du tout".

Dès lors, les Kabyles montagnards, avec des règles rigides et si prompts à répondre à l'appel du sang, le faisaient d'autant plus lorsqu'on touchait à ce qu'ils considèrent comme étant l'élément le plus faible, le plus central du groupe : la femme. Ils seront donc le bouclier, le premier voile de la femme dans le sens d'une protection (Hidjâb).

4- DES LIENS DE PARENTÉ CONSERVÉS

Dans la famille algérienne traditionnelle, le réseau de parenté était très vaste et se prolongeait sur plusieurs parentales : primaire, secondaire, maternelle ou par alliance, par lignage...

Désormais, le dialogue est plus libre entre les conjoints :

"Il a tendance à l'être aussi entre père et fille, de même qu'entre frère et soeur" (N. Virgin, 1986, p.80).

Par ailleurs, les relations inter familiales se renforcent en direction de la parentale par alliance (oncle maternel), parfois aux dépens de la filiation agnatique (oncle paternel). Ce dernier, oncle paternel, se substitue de moins au père, comme le voulait l'idéologie traditionnelle, de même que ses enfants ne jouissent plus du statut privilégié de frères et soeurs.

Quelques remarques sont à signaler pour mieux comprendre la famille algérienne. Celle-ci est un élément important par rapport au sujet de cette recherche. Il n'y a pas une spécificité de la famille algérienne. Celle-ci est influencée aussi bien par la culture musulmane : droit malékite, par l'espace méditerranéen : système patriarcal, que par une série de changements et de bouleversements qui affectent les pays sous-développés dans leur ensemble : exode rural, croissance démographique, crise de logement, etc.

La famille algérienne ne trouve pas sa place dans la conception sociologique traditionnelle qui répertoriait les groupes domestiques selon leur taille pour aboutir à une classification simple de type "famille étendue", "famille nucléaire". La famille algérienne s'explique moins par sa dimension que par sa nature, ses fonctions et ses nouveaux liens avec le groupe de parenté. Elle est prise dans un mouvement dialectique.

Et pour reprendre l'expression de T. Lauras-Locoh à propos de la famille africaine, je dirai que la famille algérienne "fait du neuf avec du vieux". On observe, en effet, l'apparition de familles "composées" ou à mi-chemin entre élargies et restreintes, le maintien des comportements d'entraide et de solidarité entre générations, la persistance de l'idéal de forte fécondité et bien d'autres comportements que l'on s'attendait à voir disparaître. La famille algérienne résistera au changement. Le changement touche difficilement quelques aspects de la vie familiale, en particulier ceux qui relèvent des relations inter-sexuelles.

5- LE FOYER CONJUGAL ET LES RELATIONS

La timide, difficile et conflictuelle apparition du foyer conjugal au sein de la grande famille a abouti, depuis longtemps, dans les milieux urbains, à la reconnaissance de la famille conjugale, occupant un logement différent de celui du couple des aïeux et ceux des frères. Cette rupture de l'espace familial induit une rupture de la prégnance familiale, permettant certaines innovations quant au rythme de vie, au contenu et à la forme des fréquentations, surtout quant à une façon différente de vivre le couple et son intimité.

L'autonomie spatiale permet au couple (plus ou moins, selon les individus, les familles et les milieux) de se soustraire à l'autorité du père et à l'influence de la mère. Les rôles sociaux, les prérogatives et les responsabilités des parents, des couples et des fils sont distribués en fonction des finalités, des situations et de différents critères. Toutefois, dans les classes moyennes et populaires des villes, la crise du logement rend difficile le total éclatement de la grande famille. Un fils marié doit souvent attendre de nombreuses années avant d'entrer en possession de son propre logement. Il en résulte qu'au foyer des parents, demeurent, pour une durée variable, outre les enfants célibataires, un ou deux fils mariés. C'est là une situation devenue anachronique et péniblement subie. Les difficultés et les conflits qu'elle engendre sont d'une rare acuité.

En milieu rural, les problèmes se posent en d'autres termes : moins l'impossibilité matérielle de l'édification de nouveaux logements (en auto-construction) que l'attachement persistant des fils au modèle traditionnel. Quoi qu'il en soit, même lorsque la situation sociale et économique de la famille permet à chaque fils de vivre dans son propre logement, la mère ira nécessairement, à la mort du père, habiter chez l'un de ses fils mariés.

Quant à la famille des milieux des cadres, elle semblerait peu se distinguer de la famille occidentale de par son mode de vie, son organisation et ses aspirations. On pourrait même conclure à des différences plus importantes entre l'ancienne famille traditionnelle et celle des sphères intellectuelles qu'entre celle-ci et la famille occidentale, c'est-à-dire l'ampleur des mutations qui ont transformé les structures familiales. Pour autant, cette similitude, aussi fondée soit-elle par certains aspects, demeure à la superficie des êtres et des faits.

La réalité de la famille et de la femme algérienne révèle des ambiguïtés importantes, des équivoques souvent difficiles à concilier. Contradictions entre les changements voulus et les nécessités assumées de la vie moderne à laquelle les Algériens exigent de participer et entre leur héritage auquel ils ne pourraient totalement renoncer sans devoir s'amputer de leurs racines ni renier leurs horizons intérieurs. Cette complexité aussi difficile à vivre soit-elle, collectivement et individuellement, est cependant source de grande richesse.

Les couples algériens "modernes" aspirent à une "vie familiale" (au sens conjugal ou en bonne intelligence avec eux-mêmes et leurs enfants, attentifs à leur scolarité, leur évolution, leur intégration dans la société, préoccupés de leur avenir). Dans leurs rapports, les époux se montrent soucieux de la qualité affective de leur vie, s'efforcent à la communication et tentent d'établir des rapports non seulement de respect mais aussi de confiance réciproque, d'affection et d'amour, même si le mot est rarement prononcé. Il est bien évident que cette vision de la pratique de la famille s'accommoderait difficilement de la polygamie. Effectivement, celle-ci, de plus en plus rare en milieu urbain, n'existe quasiment plus dans les sphères précitées.

Toutefois, cet idéal de relation conjugale n'apparaît pas incompatible avec les principes éthiques traditionnels de prudence et de réserve, bien enracinés et persistants, et dont la mise en pratique s'atténue, bien sûr, de toute l'importance des changements assumés et de la valeur accordée à l'existence intrinsèque du couple et de sa vie intime. Ainsi, n'est-il pas imaginable que les jeunes époux s'interdisent, comme jadis, de s'adresser la parole, de se regarder en face, etc. ? Tous ces comportements extrêmes ont disparu ou presque, du moins ne persistent-ils que dans les milieux populaires, souvent marginalisés et dont l'accès au changement est récent.

Chez les jeunes couples, la réserve et la pudeur constituent davantage un état d'esprit visant à préserver leur intimité, leurs affections et le respect mutuel qu'ils se vouent. Un époux évitera de parler de sa femme en public mais il le fera avec ses amis, il ne confiera pour autant rien, ou presque, de sa relation affective. S'il le faisait, son attitude serait considérée comme déplacée, irrespectueuse envers sa femme et gênerait donc son interlocuteur. Tous ces comportements ont une finalité proche de celle qui prévalait en milieu traditionnel. Les femmes parlent plus facilement de leur vie de couple, de leur intimité dans un cercle d'amies ou dans un groupe de femmes.

Aujourd'hui comme hier, mais sur un mode différent, ce qui relève de l'intérieur, de l'intime, de la maison, doit être protégé de l'extérieur, du public, du social et surtout du regard extérieur. C'était là le sens du voile traditionnel. Mais c'est là aussi la finalité première des actuelles conduites de réserve et de pudeur constituant à voiler, à protéger du regard extérieur ce qui concerne l'intimité, la vie affective. De nos jours, c'est essentiellement par l'Islam qu'est justifié et renforcé ce refus du regard porté et c'est en référence à l'Islam aussi qu'est légitimée cette pérennité de l'éthique de la réserve et de la pudeur.

"Suprême et intangible légitimation plaçant ces anciennes valeurs populaires sous l'égide de la religion. Certes, l'éthique traditionnelle se situait avec le sacré dans une relation singulièrement dense. Mais ce "sacré essentiel", fondement des anciennes cultures populaires, n'ose plus avouer des continuités aléatoires dans le monde actuel" 103(*).

De nos jours, le sacré est sommé de se confondre avec l'Islam en tant que force unificatrice visant à rassembler les hommes de toutes les régions dans une même communauté de croyants. À l'opposé, le "sacré essentiel" des cultures populaires est frappé par l'idéologie dominante de l'arabo-islamisme, d'un rejet dubitatif accusé de dispersion, voire de division, trop enraciné qu'il est de manière dense dans chaque terroir. En se plaçant sous l'égide de l'Islam, la reconduite de certaines valeurs de l'éthique familiale veut éviter l'inconfort du porte-à-faux entre le passé et le présent, échapper au malaise engendré par la reproduction de conduites coupées de leurs logiques internes.

Toute la société incite le jeune foyer à une procréation rapide et répétitive. Les parents du mari, mais aussi de la femme, assaillent le couple d'allusions d'abord discrètes puis de plus en plus pressantes, au fur et mesure que les mois passent sans apporter la nouvelle tant attendue de la première grossesse. Les collègues, les voisins, les amis sont eux aussi à l'affût de l'événement. La jeune femme, qui craint toujours la menace de la stérilité (l'ancienne malédiction), se trouve prise au piège de cette espérance collective et pressante, de ces regards lourds d'attente et d'interrogations. À moins, cas fréquent, qu'elle ne soit la première à désirer la venue de l'enfant qui lui garantira, non plus tant comme jadis sa place dans la société, le lien conjugal.

Plus ou moins ouvertement, selon les milieux, on souhaite un garçon en première naissance. Même dans les sphères intellectuelles où on n'osera pas avouer un tel désir, les couples chez qui la naissance d'une première fille est accueillie avec une joie aussi totale que celle d'un garçon demeurent, sinon rares, du moins minoritaires. Ailleurs, la préférence pour une primogéniture masculine est nettement exprimée par le mari et la femme formule, au secret d'elle-même, le même souhait.

La situation devient critique, sinon dramatique, lorsque se succèdent dans le nouveau foyer les naissances d'une fille. Les naissances se multiplient alors jusqu'à obtenir celle du petit mâle tant désiré. En milieu paysan, cet ensemble de conduites aboutit à une réelle augmentation du nombre d'enfants par famille. La situation est identique dans les milieux urbains marginalisés (provenant essentiellement de l'exode rural) où les maisons de huit enfants à dix ne sont pas rares. Dans les sphères intellectuelles, pourtant conscientes du problème démographique qui se pose à l'Algérie, exceptionnels sont les couples qui se limitent à deux enfants. Ils préfèrent en avoir trois pour le moins, plus souvent quatre à cinq.

Dans les milieux populaires des grandes villes, dans les milieux religieux et ruraux, c'est l'Islam qui constitue la première et ultime justification de la procréation : légitimation d'un principe fondamental de l'éthique traditionnelle par substitution de l'argument religieux à une finalité à caractère social devenue inopérante. L'avortement est donc interdit.

À la légitimation religieuse s'ajoutent d'autres justifications se voulant rationalisantes et qui ont cours surtout chez les cadres. Elles sont d'abord d'ordre affectif : "Une famille nombreuse est une famille vivante et puis la maison ne se videra jamais, il y aura toujours un enfant avec nous" ; "Il y a une part d'égoïsme chez les parents qui refusent à un enfant la compagnie de plusieurs frères et soeurs*" ; ou revendiquant une logique d'ordre économico-humaniste : "Nous avons les moyens d'élever confortablement trois ou cinq enfants et de leur offrir une bonne éducation, nous devons le faire" 104(*).

Cet ensemble d'attitudes relatives à la fécondité et à l'enfantement apparaît surtout difficilement conciliable avec les ambitions nouvelles de la famille et de la femme ainsi qu'avec la crise actuelle du pays (terrorisme, cherté de la vie, dévaluation de la monnaie algérienne).

Presque tous les couples pratiquent plus ou moins bien l'espacement des naissances en utilisant différents moyens contraceptifs modernes, quel que soit le milieu (malgré les pénuries des contraceptifs répétitifs). La femme, qui aspire à une vie sociale et professionnelle active en même temps qu'à une relation conjugale de qualité, est consciente que la responsabilité de plusieurs enfants constitue un frein important à l'accomplissement de ses desseins.

Dans les centres urbains, la vie quotidienne avec ses multiples et lancinantes difficultés a tôt fait saper les volontés les plus solidement arrimées. Dans ces conditions, la femme est souvent obligée d'abandonner une profession à travers laquelle elle arrivait à réaliser une part de ses aspirations. Engluée dans les innombrables tâches de la vie domestique auxquelles l'homme, par conformité culturelle, participe peu ou pas du tout, son horizon se ferme lentement. Elle en éprouvera une secrète amertume qu'elle avouera difficilement et qui rejaillira fatalement sur la qualité de sa relation conjugale. Cependant, ses enfants, qui l'entourent bruyamment et affectueusement, satisfont en elle des aspirations et des besoins authentiques qu'elle ne pourrait sacrifier sans déchirement. C'est là une contradiction fondamentale et complexe à laquelle chaque femme algérienne se trouve confrontée.

6- RÔLES DE LA FILLE/BRU/MERE ET DE LA MERE ÂGEE

Les deux rôles qui nous intéressent sont ceux de la bru et de la mère âgée. Le cas de cette dernière est tout à fait particulier dans la culture arabo-musulmane. Signalons que mon intention est de faire un parcours sommaire concernant le rôle familial de la femme car il n'est pas question de représenter les différents domaines que recouvre l'organisation domestique, encore moins d'évoquer la participation respective du mari et de la femme dans chacun de ces domaines.

L'attachement des mères au modèle de la femme unique responsable de la tenue du foyer, même si elle doit, comme l'homme, exercer une activité professionnelle à l'extérieur, est encore tenace puisque seule une minorité des mères interviewées s'inquiètent d'impliquer également les garçons dans les travaux domestiques. Et lorsqu'elles le font, elles ne leur demandent qu'une contribution symbolique et occasionnelle : mettre le couvert, faire quelques courses, ranger de temps en temps leur chambre et, exceptionnellement, faire la vaisselle. Mais on est loin de la situation qui prévalait dans leur jeunesse.

Toutes les femmes analphabètes qui ont des frères ou des enfants scolarisés, plus ou moins longtemps, devaient rester à la maison pour aider aux travaux agricoles et ménagers. Les autres, qui sont scolarisées, pour la plupart tenues - avant de préparer leurs devoirs - d'assurer une partie des travaux domestiques et, pour certaines, de servir leurs frères pendant que ces derniers jouaient dehors ou se détendaient devant la télévision. Seules quelques-unes (parmi les mieux dotées culturellement et professionnellement) ont eu elles-mêmes des mères- et parfois des pères - suffisamment clairvoyants face aux changements socio-économiques pour être moins conformistes et adopter une attitude éducative mieux adaptée à la nouvelle situation à un moment où la pression à la conformité au modèle dominant était encore importante.

a- RÔLE DE LA FILLE/ BRU/MÈRE

La question qui s'impose est d'une cruelle simplicité: "comment peut-on être une femme algérienne ?".

"Mais, je suis Algérienne ! Je suis la fille de..., la bru de..., la mère de..., demain la belle-mère de...

Non seulement on peut être algérienne mais encore, on peut l'être bien. On peut survivre et même vivre, lutter et même rire. Il me suffit de jeter un regard rétrospectif sur ma propre vie pour comprendre que toutes ces femmes qui ont vécu et qui vivent encore en Algérie - puisqu'il s'agit bien de cela - représentent, prises dans leur ensemble, une force extraordinaire, une force consciente de ses pouvoirs, pleine de possibilités et de perspectives. Déjà en action. Malheureusement, ces femmes prises individuellement sont engluées dans leurs vies familiales, sentimentales et, dès la naissance, dans un périmètre, un espace dûment signifié, décrit, limité.

Les rares pionnières ont dû, il y a seulement une génération ou deux, tout inventer, sortir des chemins battus, se faire montrer du doigt, se voir rejetées parfois. Rien ne les préparait à cette révolution de chaque jour, dans une vie enfin choisie où elles ne voulaient plus baisser la tête et obéir. Du spartakisme féminin, en quelque sorte, car, avant d'être une femme, l'Algérienne vit des années petite et adolescente en tant que fille, un destin lourd et d'avance tracé.

Toutes les filles qui continuent leurs études ont de la chance, les autres sont déjà bien programmées pour être des épouses honorables : modestes, obéissantes et bonnes maîtresses de maison. La marge de manoeuvre d'une petite fille désirant, plus ou moins confusément, sortir du chemin tracé est évidemment très étroite. Cette détermination - pourtant forte - à vivre sa propre vie, imprimera à son âme un très fort complexe de culpabilité. Même en cas de réussite, elle aura toujours l'impression d'avoir failli à ses premiers devoirs.

Cette fillette devient jeune fille et va bientôt passer du giron de sa mère - socialement - à celui de sa belle-mère, dans le cas d'une exogamie normale. Obéissante et modeste, elle devra continuer d'obéir et d'être modeste. Sortie d'une famille où elle était entourée, limitée par un père, une mère, des frères et des soeurs; elle entrera dans une famille semblable où elle aura à servir et à respecter des personnages différents dans les mêmes rôles : le beau-père, la belle-mère, les belles-soeurs et les beaux-frères.

Et les personnages masculins de sa nouvelle maison jouent exactement le même rôle que ceux qu'elle a "abandonnés" : ils ont toujours raison ! Sa vie n'a pas changé sur le plan individuel même si le mariage - dans de bonnes conditions "d'honneur"- représente aux yeux de tous une promotion sociale. Sa vie s'est même compliquée parce qu'elle entretient avec l'un des hommes de la maison, c'est-à-dire son mari, des relations intimes dont elle n'avait qu'une idée vague et sans doute erronée quand elle était jeune fille. Cet homme, qui est son époux, est le fils d'une femme qu'il aime et respecte en premier : sa mère. La fille est devenue femme : elle patiente.

Alors, la nouvelle épousée patiente et travaille. Elle sait qu'elle reste l'étrangère et le restera jusqu'à ce qu'elle ait fait ses preuves : la naissance de plusieurs garçons. Elle reste en principe modeste et travailleuse en attendant d'être enfin entourée par une armée de mâles, grandissant en âge et en nombre, avant de pouvoir elle-même s'exprimer. Pour l'heure, elle continue de baisser la tête devant sa belle-mère et elle peut même entrer dans cette attitude "servile" du véritable respect et d'une grande affection. La belle-mère est le véritable chef de la maison intra-muros. Elle cumule les rôles de surveillante, de régisseur, de refuge, courroie de transmission des us et coutumes, enfin d'alliée objective du pouvoir masculin et sa représentante.

Quant au "mari-fils de l'autre", s'il fait couple, ce n'est pas avec sa femme, c'est avec sa mère. Depuis toujours. Il reste immature car la mère prend toutes les décisions internes. De plus, il vit à l'extérieur de la maison . En effet, il parle à sa mère, il conte à sa mère, il demande ses conseils ou son avis à sa mère. Cette triade "mère-fils-bru" est largement déséquilibrée en défaveur de la bru. Dans ce rapport très dense mère-fils, elle reste le témoin exclu. Et, dans la journée, tout en s'adonnant à ses multiples tâches ménagères ou d'éducation des enfants, elle doit feindre l'indifférence vis-à-vis d'un homme auquel elle est liée par l'état civil, qu'elle l'aime ou qu'elle le déteste.

La jeune bru qui vit avec sa belle-famille va ligoter ses garçons dans un amour absolu et craintif qu'ils lui porteront toujours. Au détriment, plus tard, de leurs épouses. La malédiction est ainsi sans cesse renouvelée. Il faut dire que l'idée de couple est tout à fait neuve. Cette unité d'amour était parfaitement inconnue au sein de la tribu et elle commence, après l'éclatement de celle-ci pour cause de modernisation, à s'imposer de façon très timide. Pourrait-on dire alors que le seul couple d'amour traditionnellement reconnu est celui que forment la mère et le fils ?

La mère régnante se sait unique. Ses enfants, filles et garçons, la savent unique. C'est une qualité absolue qu'aucune bru, même affectionnée et respectée par sa belle-famille, ne peut neutraliser. Chez la belle-famille, précisément, elle est ressentie comme pièce interchangeable ! En système traditionnel, elle pouvait être brutalement répudiée si elle déplaisait à la Reine Mère et remplacée quelques jours plus tard. Une pondeuse s'en va, une pondeuse s'en vient. Elle se trouvera "marâtre" avant même d'être mère : elle a à s'occuper immédiatement des enfants de la bru précédente qui n'ont pu suivre leur mère. Le cas de répudiation pour cause de stérilité (réelle ou supposée) est tellement connu que je n'y insisterai pas.

Depuis quelques années cependant, les épouses demandent et obtiennent le divorce pour cause de "mamisme" (comme disent certains juges : "divorce pour incompatibilité d'humeur avec la famille", comme si la belle-mère représentait la famille ou que le divorce dépendait de l'entente avec elle. En Algérie, on divorce beaucoup à cause de la belle-mère.

L'exercice du pouvoir est un art difficile et subtil qui demande une grande sérénité et beaucoup de désintéressement. Tout se passe comme si cette Reine Mère prenait sa revanche par le pouvoir sur une enfance inexistante et une adolescence pleine de devoirs et de travaux, deux stades de la vie où elle n'a jamais pu s'exprimer. La situation de mère l'a, par la suite, accablée dans la lourdeur et la multiplicité des tâches. Et elle a patienté, comme sa bru le fait devant elle, en attendant le moment d'imposer sa propre volonté.

Si la bru est une étrangère à la région, avec un passé inconnu, une famille lointaine et une culture différente. Elle fait ce qu'elle peut par amour, pour se fondre dans le décor mais elle tient à son mari et elle le fait savoir. Comment deviner si elle résistera jusqu'au bout ou bien si elle attend l'occasion de tirer son époux en dehors de la famille pour raisons professionnelles, par exemple ?

Depuis les indépendances, quelques cas de couples heureux émergent et qui représentent un grand espoir de changement (rarement avec la bénédiction de la belle-mère. En système traditionnel, la Reine Mère peut se mettre à apprécier sa bru pour ses qualités propres parce qu'elle aime son fils comme une mère et veut le voir content, heureux. La triade s'en trouve équilibrée et chaque protagoniste y trouve ce qu'il est en droit d'espérer mais, en général, c'est l'éclatement de la tribu qui a permis la création du couple d'amour ainsi que l'exode rural, les appartements citadins et exigus, la scolarisation efficace des filles, l'ouverture à la modernité... La belle-mère n'est plus physiquement présente même si, parfois, elle vient et s'impose, téléphone ou envoie des émissaires pour exprimer sa volonté. Par ailleurs, le couple marié se choisit de plus en plus avant les épousailles et c'est en tant que tel qu'il affrontera éventuellement la belle-famille.

Dans les familles où il y a plusieurs garçons, le dernier, marié ou pas, se devra de rester avec ses vieux parents. La belle-mère, malmenée par cette ouverture au monde des uns et des autres qu'elle vit sans doute comme une trahison, se consolera ainsi : elle exercera son pouvoir sur la dernière bru mais rares sont les mères et les belles-mères qui se remettent en question.

Il y a même des mères plus révolutionnaires que leurs filles ou que leurs petites-filles ! Elles ont fait la révolution, voyagé, choisi leur amoureux à une époque où cela ne se faisait pas. Ou bien, elles se sont mises à réfléchir après leur mariage et renié le rôle d'outil de transmission de la volonté des hommes. Alors, elles se sont mises à construire leur vie et à aider leurs enfants dans ce sens, quel que soit leur sexe. Dans ce cas le problème se situe dans la libération de l'homme et de son émancipation et pour dans une société mature où les soeurs, les mères et les épouses, sans oublier les collaboratrices, sont des personnes responsables, libres, capables de faire la même réflexion et le même travail que les hommes : en un mot, des citoyennes !

- LA BRU

Une fois mariée, la règle voulait que la jeune fille ou la jeune femme n'appartienne plus à sa propre famille mais à celle de ses beaux-parents à qui elle doit se soumettre : épouse fidèle et soumise à son mari, bru passive et résignée devant sa belle-mère et respectueuse à l'égard de tous les autres membres de sa belle-famille. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la formule reproductrice-ménagère, loin de dévaloriser la femme, pouvait parfois jouer en sa faveur. La femme savait bien d'ailleurs - l'éducation reçue chez ses propres parents la préparait également - qu'en se conformant à la règle idéologique traditionnelle, elle assurerait sa future "réussite sociale".

On comprendra d'autant mieux l'importance que revêt l'aptitude à la procréation dans le groupe domestique traditionnel mais aussi le souhait de voir naître des garçons si l'on se souvient qu'il s'agit là d'une famille agnatique où l'héritage se transmet de père en fils en raison du patrimoine indivis. Cela étant, plus la femme avait des garçons, plus elle renforçait son statut et consolidait sa position dans le dispositif familial. De plus, si, selon beaucoup d'observateurs, ce sont les maris qui revendiquent des garçons, il convient d'ajouter que ces garçons représentent un facteur de stabilité et d'assurance vieillesse pour leur mère.

A. Boudhiba note, à propos de la femme musulmane, que :

"Il est tout à fait normal que, frustrée de tant de joies, (...), la femme reporte sur ses enfants son trop-plein affectif (...). Certes, une fois devenus grands, les garçons assureront la descendance de la famille (...) ... la protéger durant sa vieillesse et même jusqu'à la fin de ses jours" 105(*).

Si la fonction "reproductrice" relève de l'aptitude physiologique et véhicule, pour quelques esprits, une valeur sacro-sainte, la seconde fonction, "ménagère", nécessite simplement une capacité à entretenir convenablement un foyer. Cette capacité doit évidemment être acquise dans la famille d'origine. Une fois mariée, la femme sait que le ménage, la cuisine et les enfants représenteront son lot quotidien. Il est important d'ajouter que, même de nos jours, le rôle de la ménagère algérienne n'a pas changé : les activités sont souvent accomplies de façon archaïque, en raison d'un équipement médiocre ou d'un manque d'équipement électroménager.

Il est un dernier point qui concerne la bru. Il s'agit de son pouvoir de décision. Manifestement, la femme ne pouvait prendre de décision sans avoir recours à son mari ou à sa belle-mère ; or, ces derniers temps, de plus en plus de chercheurs prétendent le contraire et défendent la thèse "d'un pouvoir implicite" ou "d'un contre-pouvoir féminin dans le groupe familial traditionnel" 106(*).

b- LA MÈRE ÂGÉE : ACTEUR SOCIAL ET PRINCIPAL

En milieu traditionnel, en dépit des conditions dans lesquelles elle vivait - mariage précoce, nombreuse et éreintante progéniture, interminables travaux domestico-ménagers, résignation et soumission à la belle-mère -, la femme savait que sa trajectoire sociale varierait. Elle savait qu'à son tour, elle deviendrait grand-mère respectée et vénérée mais aussi détentrice de pouvoir. C'est une fin de parcours ou un aboutissement commun vers lequel convergent les femmes lorsqu'elles ont eu des garçons, en particulier. Ceci prouve qu'en milieu algérien comme dans les milieux arabo-musulmans 107(*) ou même en Calabre : Italie du sud 108(*), "vieillesse rime avec valorisation sociale et trop plein affectif ".

D. Behnam souligne que :

"Si, en Occident, la vieillesse représente le troisième âge de la vie et coïncide avec la retraite(...), dans la vision africaine, basée sur une conception de vie éternelle, la vieillesse est définie en tant que continuité de la vie".

Les personnes âgées sont privilégiées en tant que lien entre les enfants et les ancêtres disparus. T. Lauras-Locoh remarque également qu'en Afrique - y compris au Maghreb -, "entretenir des personnes âgées correspond à une norme d'éducation que nul ne peut transgresser" 109(*).

La mère âgée, contrairement à la bru qui demeure sous l'emprise du mari et de la belle-mère, se sent totalement libre et éprouve une sécurité remarquable. Elle jouit, en raison du respect qui lui est dû, d'une très grande autonomie. Il lui arrive de sortir de la maison et de se déplacer dans l'espace extérieur qui fut naguère réservé exclusivement aux hommes (de s'asseoir sur les lieux publics ou devant la maison, de faire les courses).

La mère âgée a la possibilité de se déplacer sans difficulté. Elle devient alors une sorte de médiateur entre les différentes familles, surtout en matière d'épousailles. Elle est capable de dénicher la jeune fille mariable et le père ne fait qu'examiner ses propositions. À l'intérieur du groupe domestique, elle détient un pouvoir de décision que nul ne peut contester. Ainsi, elle devient conseillère privilégiée auprès de son fils et oeuvre pour la soumission future de ses petites filles. Bref, elle est à la convenance de la société traditionnelle : jeune, elle a intériorisé les obligations qui lui ont été imposées et accepté les valeurs masculines comme imminentes ; âgée, elle préfère, en dépit des droits qu'elle a acquis et du statut qui lui est conféré, pérenniser l'hégémonie masculine.

"D'aucuns estiment que le pouvoir que la femme âgée détient est autre que celui des hommes qui lui serait délégué. Aussi est-il ambigu. Et l'on parle de femmes patriarcales ou bien de matriarcat au service d'un patriarcat" 110(*).

Face à la position pour le moins privilégiée qu'accorde la culture arabo-musulmane à la femme âgée, A. Boudhiba a tenté d'apporter quelques réponses. Selon cet auteur,

"Le pouvoir de la femme âgée ne serait que le revers de son impuissance sociale, tandis que sa valorisation tient, pour sa part, à l'extrême pudeur des hommes envers leur mère par survivance de leur désir maternel inconscient". Il parle "du culte de la mère dans les sociétés arabo-musulmanes" 111(*).

Néanmoins, il nous faut remarquer que la relation privilégiée mère-enfant, et plus précisément mère-fils, n'est pas propre aux milieux musulmans et méditerranéens mais se retrouve dans d'autres sociétés comme le souligne B. Marbeau-Cleirens, psychanalyste française, montre combien

"Les hommes sont envahis aussi bien par un attachement et une fascination à l'égard de leur mère que par une faiblesse, une angoisse, voire une terreur" 112(*).

Ce qui est sûr, enfin, c'est que, en Algérie, la mère âgée occupe une position prestigieuse dans le dispositif familial traditionnel. Ceci est la preuve de la pluralité et de la diversité des statuts et des rôles que la société prescrit à la femme depuis sa naissance jusqu'à sa mort. À ce propos, Breteau et Zagnoli, en étudiant le statut de la femme dans deux communautés rurales méditerranéennes, en Calabre et au nord-est Constantinois (Algérie), remarquent que :

"Dans les deux cultures, le devenir de l'homme et celui de la femme connaissent des destins... relativement communs, divergent ...à un moment de la vie pour s'engager, plus tard, dans une large convergence de type asymptotique, (...). Ce mouvement divergent-convergent est dû aux variations de la trajectoire sociale qu'effectue la femme(...): alors qu'un homme, (...) demeure fondamentalement un homme, la femme est donnée comme un être à phases, un être à métamorphoses" 113(*).

À l'instar de ces deux auteurs, on peut noter que, si l'itinéraire existentiel de l'homme est linéaire, celui de la femme connaît des retournements. Ce qui permet alors de parler "d'unicité" de l'homme et de "multiplicité" de la femme.

La représentation, ou les représentations, en tant que modèles intériorisés que le sujet construit dans son environnement est intéressant à voir...

"Ces modèles sont utilisables par l'individu en tant que sources d'information et instruments de régulation et de planification de ses conduites" 114(*).

Il s'agit d'un phénomène mental ou cognitif individuel et non d'un phénomène collectif. Dans ce deuxième cas, on parle plus précisément de "représentation sociale" : forme de "connaissance élaborée et partagée par un groupe social et lui servant de codes de conduite" 115(*).

En travaillant sur l'imaginaire arabo-musulman, je me suis rendue compte que les défauts de la mère sont souvent déplacés sur la belle-mère. Les contes populaires, les romans, les rêves, les imaginaires saisonniers, les expressions proverbiales : tout ce dispositif de contrôle extériorise et illustre la tendance qui consiste à surcharger la marâtre, belle-mère acariâtre, qui est censée nourrir, à l'égard des enfants de son mari ou de sa soeur, une passion meurtrière, passion qui a d'ailleurs inspiré les tragiques de tous les temps.

La mère algérienne est, de ce point de vue, le premier paraphe de savoir qu'un garçon puisse identifier dans ses premiers tâtonnements, elle est aussi un pôle de stabilité de ses émois. Mais, dans la mesure où, par sa force intrinsèque, elle inquiète les hommes, ces derniers chercheront par tous les moyens "à la réduire ou à la nier, d'où l'angoisse et la misogynie" 116(*).

Dans ce domaine, les textes arabes, et algériens en particulier, sont très éloquents :

"La misogynie y est cultivée comme une vertu de premier plan, presque comme une distinction phallocratique que ni les théologiens, ni les savants, ni même les poètes (censés être plus ouverts à l'écoute de l'autre et en particulier à la femme, la dulcinée, la muse - encore des représentations) ne remettront en question" 117(*).

La fille et la mère sont des normes familiales de transmissions et de mutations dans la famille algérienne, c'est-à-dire, et d'une certaine façon, de s'instrumenter elle-même pour se transformer en l'un des moyens par lequel s'exerce la loi du père (chef de famille) dont elle est pourtant la première victime expiatoire. C'est à ce deuxième niveau proprement sociologique et éducatif que des chercheurs réservent quelques remarques pour faire le point sur cette question qu'ils appellent "les modèles féminins de construction identitaire".

C- MODÈLES FÉMININS D'ASSIGNATION IDENTITAIRE EN ALGÉRIE

Disons, que les modèles qui intègrent un code de valeurs formé autour de notions éducatives clés, ayant pour objectif principal la reproduction d'un modèle féminin, sont construits sur la base de prénotions sociales et éducatives qui résument une certaine idée partagée de l'ontologie. J'illustre ici mon propos à partir d'une seule valeur éducative mais fondamentale, en l'occurrence, la notion de "hachma". Norme éducative très différenciatrice des sexes, cette notion signifie d'abord "pudeur, modestie, réserve" et tient à la fois du sens mythique - elle résume la qualité fondamentale de l'idéal féminin tel que collectivement fantasmé - et de l'impératif religieux catégorique 118(*).

L'éducation de la fille en milieu algérien s'instruit essentiellement de ces représentations normatives aux confins du mystique et, pour autant que celles-ci font de la sexualité de la femme un élément essentiel dans l'organisation de la vie en société, on peut en déduire, en bonne logique, que la notion de "hachma" signifie d'abord pudeur et, plus précisément, pudeur sexuelle. C'est ce qui explique que l'obligation faite à la femme de voiler à l'homme les parties sexuellement suggestives de son corps constitue un impératif catégorique explicite, c'est-à-dire en somme une "doxa", un indiscuté.

A. Demeerseman (1967) écrit que "La notion de "hachma" signifie pudeur, mais... elle veut dire aussi réserve et même honte (`ayb)". Celle-ci renvoie, écrit à son tour L. de Premare (1975), au "sentiment d'angoisse et de la culpabilité devant la faute ou le déshonneur" 119(*). Donc, de même qu'elle traduit un sentiment de honte éprouvé devant un acte, un geste ou une attitude répréhensibles, "la hachma" peut suggérer aussi l'interdit associé à toute action jugée honteuse (`ayb) car moralement proscrite (harâm).

Replacé dans cette logique socio-religieuse, le culte de l'honneur dans la famille algérienne va ainsi représenter pour la mère le pôle de référence de sa stratégie éducative à l'égard des enfants de sexe féminin. Mais le succès de celle-ci reste, cependant, tributaire de l'observation scrupuleuse d'un certain nombre de conduites qui supposent toutes une soumission illimitée (tâ`a) à l'autorité parentale. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les signes indiciels de la réussite de cette éducation peuvent fort bien résumer, chez la fille, un tableau d'allure phobique : peur panique du père et du représentant de l'autorité en général, timidité excessive devant l'étranger et, surtout, angoisse expectante face à la perspective d'une faute toujours possible.

On aura compris que, dans ce registre de phobie, mère et fille en Algérie subissent de concert la permanence d'une violence symbolique, résidu normalisé de la culture phallocentrique car si la mère est bien la force disciplinante en tant qu'elle est l'assignation principale des normes éducatives de la fille, elle est aussi et, en contrepoint de cette fonction de pouvoir dont elle tire maints bénéfices secondaires, la première victime de la norme masculine face à laquelle son attitude paraît, pourtant, toujours paradoxale, mitigée : alors même qu'elle en conçoit l'abus et l'hégémonie traditionnels, elle en devient le vecteur essentiel dans sa transaction éducative avec la fille comme si sa propre identité ne pouvait finalement s'exercer que dans une forme socialisée et sexuellement différenciée d'identification passive à l'agresseur, soit aux normes sociales et religieuses, au mari, au fils etc. et dont elle s'érige en police de la loi.

Aussi, la mère en Algérie acquiert-elle, en cette occurrence, la fonction peu enviable d'instrument de la norme (hachma et notions corrélatives) et dont le véritable objet - on l'aura compris - est de l'installer dans un mouvement dialectique d'échange et de reproduction symbolique (à travers l'éducation qu'elle reçoit et qu'elle donne à son tour) et qui a pour effet d'inhiber sa féminité c'est-à-dire, en fin de compte, de verrouiller sa sexualité. Dignité, honneur, pudeur et surtout respect absolu de l'ordre et de l'autorité masculine ne représentent-ils pas dans la culture musulmane les principaux fondements d'un système éducatif dont l'objet véritable est d'inféoder la femme à l'homme ?

Ces valeurs et bien d'autres s'acquièrent tôt dans la vie de la petite fille et si leur didactique se fait selon une évolution linéaire, celle-ci reste, cependant, courte en ceci que la puberté et l'adolescence ne sont guère conçues comme phases du développement (et cela que l'on se place d'un point de vue génétique ou psychanalytique) mais correspondent, précisément, à son aboutissement. En conséquence de quoi, la pratique sociale traditionnelle ne justifie l'existence de la jeune fille que par une seule finalité, celle de son mariage et, autant que possible, de son mariage précoce car ne fait vraiment honneur au groupe que la jeune fille (`adrâ') qui convole, très tôt, en justes noces, moment essentiel du processus éducatif grâce auquel la fille peut enfin espérer réaliser sa complétude narcissique, c'est-à-dire son accomplissement total.

Dans cet ordre d'idées, le tabou de la virginité qui a marqué l'histoire de l'humanité est encore très prégnant en Algérie et quelles que soient la teneur et l'intensité des changements socioculturels qui s'y jouent, le mythe est toujours là, culturellement invariant et psychologiquement envahissant.

Je peux dire, pour terminer, un mot de l'éducation religieuse à laquelle la mère soumet sa fille : en tant que support du système de représentation du groupe qui y puise l'essentiel de ses modèles éducatifs, l'éducation religieuse a pour fonction psychologique d'initier précocement la fille à un faisceau d'interdits dont l'intériorisation procède d'une représentation manichéenne du bien et du mal. D'ailleurs, à l'appui de cette éducation religieuse prévaut une référence constante tant aux textes de la loi coranique qu'aux modèles féminins islamiques. Les femmes du Prophète sont la référence que la tradition évoque volontiers pour vanter les mérites d'une femme accomplie.

Parallèlement, les légendes et les pratiques magiques qui impressionnent l'imaginaire de la petite fille sont régulièrement contées dans le même but éducatif d'évitement phobique de toutes les tentations futures, en particulier celles à coloration sexuelle et que la tradition réprime. Il serait pourtant réducteur de considérer que ces notions de "hachma" (pudeur), de "`ayb" (honte) etc. recouvrent exclusivement les représentations collectives des conduites féminines. Les garçons sont aussi intimement concernés mais dans une perspective de rôles et de conduites différente.

La pudeur et la honte sont, en effet, des sentiments indissociables des attitudes que doit manifester un jeune homme respectueux des usages : lorsqu'il croise, par exemple, une jeune femme, il doit veiller à ne pas l'indisposer en évitant de porter sur elle un regard insistant et indiscret. En contrepartie de cette conduite d'évitement, il peut s'attendre à ce que les autres se comportent de même à l'égard de sa mère ou de sa soeur.

Contrairement aux stéréotypes répandus quant à l'excès de pudeur de la fille algérienne par opposition à la trop grande virilité dont ferait preuve le garçon, il y a une troisième notion, intermédiaire celle-là, qui borne les limites à ne pas transgresser. Cette dernière notion est celle du "nîf" ou de "kdâr" que traduisent respectivement les termes d'honneur et de respect. L'honneur familial comporte aussi bien la défense de l'intimité (horma) du groupe restreint que celle du groupe élargi (le voisinage, la communauté ...). Respecter la pudeur d'autrui c'est travailler, dans un système d'échanges symboliques, au respect de la sienne propre.

L'autorité que doivent exercer les aînés (pères, frères, cousins... ) sur les plus jeunes, et sur les filles en particulier, ne doit en aucun cas souffrir d'équivoque ni être contestée alors même qu'elle peut être parfaitement contestable. Telle est la règle sans laquelle les mécanismes de reproduction des valeurs familiales risquent d'être gravement altérés avec, pour corollaire, les dangers qu'une telle situation ferait encourir à la cohésion et à la solidarité familiales. L'autorité du groupe revient au patriarche et, à sa mort, au plus âgé de ses enfants ; mais, souvent, c'est au plus capable que reviendra cette autorité, ce qui ne va pas sans conflits. En effet, le statut de chef de famille n'étant pas institué, c'est le plus fort qui va le prendre de fait.

III - LA FEMME ET LA SEXUALITÉ

A- ENTRE TABOUS ET PERVERSIONS

On constate que la problématique de la sexualité commence, ces dernières années, à revêtir une importance particulière dans le cadre des recherches et des études engagées autour d'elle.

"Plus la contrainte religieuse est grande, plus le refoulement sexuel est accru (...). L'enthousiasme religieux qui insiste à châtier toute contravention au nom de la religion est toujours motivé par des pulsions sexuelles..." 120(*).

Cette problématique est prise dans sa particularité spécifique ou considérée sous l'angle de ses rapports avec d'autres phénomènes sociaux à partir d'une vision socio-idéologique donnée. Il est certainement inutile d'affirmer que beaucoup d'ouvrages littéraires ayant abordé la question sexuelle, dans sa forme ou dans son fond, ont toujours été prohibés et considérés comme des tabous qui nécessiteraient une autopsie.

En Algérie, des ouvrages (des disques ou cassettes) ont fait l'objet de saisie ou encore d'interdits de paraître sur la base de reliquats culturels et d'arrières plans sociologiques dont la concrétisation effective se traduit toujours par la langue de la réprimande "réglementaire" et de la répression "légitime".

Partant de cette incompatibilité discordante entre le tabou sexuel et l'acte littéraire s'y rapportant, il est utile de faire l'approche de la nature de la problématique de la sexualité en posant, de prime abord, les questions suivantes : Pourquoi cette sexualité ? Pourquoi l'intérêt porté sur elle ? Pourquoi se cantonne-t-on précisément dans cette partie interdite du discours du soi intime ? Pourquoi aussi l'aborde-t-on avec beaucoup de circonspection et de méfiance à chaque fois qu'on tente de reconnaître en elle un aspect fondamental de notre personnalité, une composante essentielle de notre développement psychologique et une nécessité de notre croissance biologique ? Pourquoi et comment est-elle masquée et travestie dans son contenu ou encore occultée dans son essence ? Est-elle une exception tout à fait différente des autres phénomènes humains ? Est-ce que le bannissement de la sexualité du champ des connaissances est dû à sa nature objective ou bien à la subjectivité du chercheur ou encore à d'autres formes de censure ?

La plupart des religions ont proclamé, sans équivoque, l'infériorité de la femme en l'inculpant du péché mortel (le péché du corps) autour duquel elles ont tramé une quantité de mythes et de superstitions qui confèrent à l'acte sexuel toutes sortes de sacrilèges et de qualificatifs infâmes et qui n'était admis, désormais, que dans les limites du mariage sacré "ou légitime".

B- L'AMOUR ET LA SEXUALITÉ

J'aborde ici les notions d'amour et de sexualité véhiculés par un biais que nous procurent les pratiques éducatives. Leur dureté et leur mise en oeuvre ne peuvent qu'impressionner durablement tout individu et inhiber en lui tout désir de transgression. Il est permis de dire d'emblée que l'éducation sexuelle en tant que telle est inexistante en Algérie. L'éducation de l'enfant incombe principalement à la mère, accessoirement aux autres femmes de la maison, mais en aucun cas au père. Ce dernier est seulement dressé en permanence par la mère comme une menace. De fait, le père n'intervient qu'en dernier recours et seulement pour infliger le châtiment qui se joue comme un drame. Les parents ne jouent aucun rôle dans l'éducation sexuelle de leurs enfants, celle-ci se fait plus tard entre garçons ou entre filles, en passant par l'observation des animaux. Au bout du compte, la fille retient surtout qu'elle doit sauvegarder sa virginité.

Cette obsession de la virginité hante les esprits en permanence ; les propos des femmes montrent à quel point la fille est un sujet d'angoisse : " La fille fait notre tourment depuis sa naissance jusqu'au jour de son mariage. C'est comme une bombe...". La relation imaginaire entre sexualité et sang virginal interdit à la fille pubère de parler de ses premières règles à sa mère et la conduit à se confier aux jeunes filles plus âgées. La menstruation est liée à la saleté corporelle puisqu'on la désigne par le verbe "laver" (en kabyle et en arabe dialectal) et impose une distanciation par rapport aux lieux et aux rites sacrés, l'interdit du jeûne durant le mois de Ramadan et l'abstinence des relations sexuelles. Les règles éducatives ont pour but de faire du garçon, un garçon doué des trois qualités fondamentales que sont l'honnêteté, l'esprit de famille et le désintérêt pour les femmes et la sexualité et de la fillette, une femme obéissante, soumise, polie, respectueuse et surtout effacée. Cette attitude sévère n'a d'autre but que de faire intérioriser à l'enfant l'interdit de la sexualité et aussi l'idée que celle-ci n'est pas son affaire mais celle de la société.

Le mariage est l'institution qui canalise les pulsions sexuelles. On payait (et encore parfois aujourd'hui) de sa vie toute union sexuelle extra-conjugale, du moins pour ce qui concerne les femmes. Le déshonneur du père par sa fille est plus dramatique de tous. Il l'est bien plus que celui du mari trompé car, si l'épouse n'est qu'une alliée qu'on peut renvoyer chez elle en faisant retomber la honte sur la famille, la fille est une personne de la lignée et sa faute en "éclabousse" tous les membres. G. Devereux, à partir du travail devenu classique de C. I. Lévi-Strauss 121(*) sur l'échange et la circulation des femmes et l'analyse d'un cas clinique, a montré que "le possesseur" d'une femme (père, frère, mari) ne peut concéder à un autre homme qu'au prix d'un "contre-don" symétrique, selon la loi du talion : oeil pour oeil, femme pour femme.

Les rites complexes de la cérémonie du mariage ont pour but moins d'allier deux familles que de nier l'hostilité qu'engendre la cession d'une famille. "Être l'objet du coït souille l'honneur de la femme, mais encore plus, et même d'abord, celui des hommes de sa famille" car, du point de vue fantasmatique, "faire l'amour avec une femme, c'est le faire avec son époux, son père, ses frères ; c'est les dégrader, les châtrer, les féminiser"(1). Le fait que sa fille, sa soeur ou son épouse couche avec un autre homme est vécu par "le propriétaire" comme une agression homosexuelle venant de cet homme. Ce que la société réglemente "concerne non les rapports entre hommes et femmes mais les rapports des hommes entre eux puisque les transactions se font entre hommes : les femmes en constituent simplement l'objet" 122(*).

Chaque homme et chaque femme vivent, non dans l'expectative de connaître l'amour, mais dans celle du mariage, institution à laquelle on ne saurait échapper. On a dit que le célibat représente un grand malheur pour la famille. L'union matrimoniale fait d'une pierre deux coups puisqu'elle permet non seulement la procréation nécessaire à la pérennité de la famille, du clan mais également la canalisation des pulsions sexuelles d'une manière réglementaire conforme à l'idéal social.

La langue peut renseigner sur les concepts pouvant s'apparenter à ce que l'on nomme "le sentiment amoureux", si toutefois un tel sentiment est conceptualisant dans une société foncièrement basée sur les rapports communautaires niant l'individu. La morale courante ne permet pas d'exprimer le frissonnement intime que peuvent communiquer les êtres et les choses au moi sensible de l'individu. L'émotion et le bouleversement intérieur demeurent secrets car ils paraissent dérisoires au regard des valeurs collectives.

Les Kabyles n'accordent qu'une place marginale au sentiment amoureux ou, plutôt, pour parler comme G. Devereux 123(*), l'item culturel "amour" n'appartient pas au courant principal de la culture. Cette formulation a le mérite de ne pas limiter l'analyse des données sociologiques à leurs fonctions explicites et tient compte des contradictions inhérentes à tout système ; en outre, elle laisse supposer que ce sentiment spécifiquement humain existe d'une manière ou d'une autre dans toutes les sociétés humaines, lesquelles doivent nécessairement lui offrir une "niche" dans laquelle il peut s'insérer.

L'amour dans la culture kabyle, s'il n'est pas ouvertement valorisé comme peut l'être d'autres sentiments plus "nobles", n'en constitue pas moins un idéal individuel. Ces deux matrices mutuellement contradictoires se complètent car elles actualisent cette ambivalence fondamentale envers ce sentiment lorsqu'il survient chez un membre d'une famille à laquelle il pose problème face à la société. L'amour, parce qu'il renvoie à la liberté sexuelle, cristallise l'agressivité normalement refoulée des membres de l'entourage vis-à-vis de leurs propres ascendants qui les en ont frustrés et qu'ils refusent à leur tour d'accorder à l'un des leurs.

Le négativisme social de la magie féminine émerge clairement sous ses deux aspects puisque, soit qu'elle suscite l'amour, état fortement condamné et lui-même conçu comme "désordre" s'apparentant à la folie, soit qu'elle le détruise dans sa légitimité, elle tend à saper la structure sociale dans sa reproduction. Si la magie est le secret de la parole féminine, la parole magique serait-elle une parole amoureuse ?

"Les conduites magiques ne répondent pas à une motivation amoureuse et l'érotisme exprimé dans les rites n'est qu'un moyen et non une fin.

(...). La motivation essentielle opérant dans la magie négative (celle qui sépare les couples) est incontestablement la jalousie. (...). C'est à coups d'ensorcellement et de désensorcellement que les femmes règlent leur vie sociale et relationnelle" 124(*).

La jalousie est organisée dans un ensemble de valeurs et de normes et, en tant que telle, est une composante implicite des rapports familiaux et villageois. La magie de l'amour en tant que pouvoir féminin s'applique au domaine le plus intime de la vie, justifiant ainsi son investissement par les femmes. Cette magie féminine, transmise par voie féminine et s'adressant à une clientèle féminine, refait le monde de telle façon qu'il fonctionne à sens inverse : la femme active s'oppose à l'homme passif sur lequel elle agit à sa guise ; capable de lui insuffler l'amour et la haine, il ne possède aucune arme pour se défendre. Si les représentations structurales du monde ont pour point initial la séparation des contraires que l'action humaine tente de réunir par des rites pour assurer son renouvellement, la magie d'amour, elle, permet non seulement d'unir mais aussi de désunir, donc de manipuler le monde.

La transgression des tabous inhérents à la magie constitue, en quelque sorte, sa raison d'être où les femmes trouvent leur revanche dans une société qui les conçoit dangereuses. Si les croyances magico-religieuses sont les mêmes pour tous les membres d'un groupe donné, elles demeurent seulement des croyances pour la plupart des membres de ce groupe. Ce qui différencie la magicienne des autres membres de sa communauté, c'est qu'elle a transformé ces croyances en expérience. La femme se sent continuellement observée par les autres et ne peut échapper à cette tyrannie du regard. De son point de vue, cette observation constante ne peut se motiver que par un sentiment jaloux et la préméditation d'un mauvais coup magique qui sera porté contre elle. Les Kabyles croient aux esprits, aux génies et autres êtres surnaturels mais ne racontent pas qu'ils ont vérifié leur existence tangible.

L'homosexualité féminine, bien qu'il soit difficile d'affirmer son existence réelle, ne laisse subsister aucun doute quant à la présence de fantasmes s'y afférant. On la perçoit à travers le langage et les expressions des femmes lorsque celles-ci se trouvent entre elles. La société algérienne ne laisse pas à l'individu la liberté de choisir son objet d'amour, celui-ci est amené à n'aimer que lui-même. La femme kabyle, dans sa quête d'amour qu'elle souhaiterait trouver chez son mari, est loin de répondre à un quelconque attachement pour lui. Son besoin est moins d'aimer que d'être aimée. Elle veut faire que "son mari l'aime comme elle s'aime elle-même"125(*). L'amour véritable, elle le développera plus tard pour ses enfants (mâles) desquels elle ne parviendra jamais vraiment à se détacher ni à accepter qu'ils portent leur affection sur ses futurs brus.

La sexualité de la femme est complètement niée. Sa sexualité et son sexe n'existent que pour la jouissance de l'homme. Le rôle qui lui est imposé dans l'acte de l'amour est essentiellement passif. Selon le discours masculin, les sexes ne sont pas égaux, il y a un sexe fort et un sexe faible. Dans le discours féminin, les femmes se décrivent comme une race de géantes butant quotidiennement et directement contre les "monstres" destructeurs que sont le chômage, la pauvreté et le travail dégradant. Le rapport des sexes est toujours inextricablement et inconditionnellement lié au rapport de classes (les intellectuels, les analphabètes...).

Toute une littérature maghrébine traite du problème de la sexualité. A. Boudhiba 126(*) a placé la sexualité dans la vision islamique. Pour lui, c'est une "synthèse harmonieuse et un ajustement permanent de la jouissance et de la foi". Il s'agit d'une étude approfondie et non exhaustive, à mon avis, dans laquelle le concept est confronté avec les comportements conscients et observés hier et aujourd'hui. Dans son article "Virginité et Patriarcat", Fatima Mernissi 127(*) analyse les contradictions internes des relations hommes / femmes, contradictions nécessaires aux privilèges de l'homme maghrébin mais qui peuvent pousser la femme à lutter sans relâche en ayant recours à des pratiques telles la virginité artificielle, par exemple.

Ce thème a aussi été approfondi dans l'ouvrage de A. Gaudio et R. Pelletier 128(*) qui nous apportent quelque lumière sur la place de la femme dans l'interprétation de la loi coranique : de la réclusion féminine au mariage forcé, du port du voile à la virginité obligatoire, du harem à la peine de mort pour adultère. D'après mes entretiens et les diverses discussions avec les femmes durant mes séjours en Algérie que les pratiques magiques et la sorcellerie ne sont pas absentes dans les rapports sexuels des Algériens dans la mesure où elles sont une arme qui contribue, pour certaines femmes, à acquérir une place dans l'acte de l'amour, afin d'être considérée et respectée.

C- LE TABOU DE LA VIRGINITÉ

Dans le milieu algérien, la vie sexuelle est canalisée vers le mariage. Tout projet sexuel en dehors des liens sacrés du "nikâh" est considéré comme "zinâ" (prostitution) et donc illicite. Le mariage, quant à lui, est centré sur la virginité de la jeune fille, signe et symbole de l'honneur même de la fille et de sa famille. La société patriarcale a dicté aux jeunes filles qu'elles doivent rester vierges jusqu'au mariage. La perte de la virginité est un délit honteux qui ne peut être "lavé que dans le sang", comme on dit dans les pays arabo-musulmans, en général.

Si la virginité est une règle de morale que seules les filles doivent respecter, les mères, de leur côté, défendent ce "privilège" en surveillant étroitement leurs filles. La mère, responsable de l'éducation de ses filles, marquée par l'éducation qu'elle a subie elle-même, conditionnée à voir dans la virginité le seul trésor de toute jeune fille, perpétue la tradition en veillant jalousement sur la virginité de ses filles. Privée de sa liberté quant à son propre corps, la mère ne peut que priver les autres de cette liberté. Inconsciemment donc, elle refuse à ses filles ce que la société lui a refusé.

"... L'éducation des filles dans les familles (...) qu'elles se tiennent à bonne distance de l'homme et on leur inculque de prendre garde et de ne pas s'exposer au danger en croyant aux subterfuges employés par les hommes" 129(*).

Les femmes perpétuent la tradition concernant la virginité et confirment que l'hymen de la jeune Algérienne est l'affaire du groupe auquel elle appartient. Toujours exposé au regard et au jugement des autres, l'individu algérien n'a de signification que dans le corps social. Son individualité, sa personnalité sont catégorisées au sein d'ensembles organisés. Dans une société patriarcale conservatrice, la revendication d'une identité originale est conçue comme une affirmation de soi, une revendication de sa différence.

Or, pour la société algérienne, la seule image positive consiste à adopter des comportements conformistes qui, seuls, peuvent permettre la valorisation et la reconnaissance sociales. Conditionnée à vivre selon l'image que la société leur impose, les jeunes filles répondent, en grande partie, aux attentes du groupe.

"Passivement à des actes aliénants comme le fait d'accepter des visites médicales pour rassurer la mère sur l'état de leur hymen... Cette situation montre que les jeunes filles sont obligées..." 130(*).

Dans les opérations d'éducation de la fille travaillent tous à faire naître en elle une angoisse particulière bien connue des ethnologues et psychanalystes. R. Toualbi dans sa thèse a dit : «l'angoisse du tabou de la virginité».

" (...) , quel que soit le niveau socio-économique et d'instruction atteint par nos enquêtées (jeunes filles), l'obligation de la virginité, impliquant l'interdit de la sexualité pré-conjugale, occupe une place centrale dans leurs représentations et dans leurs appréhensions régulièrement dysphoniques, portant sur la sexualité et ses avatars... " 131(*).

L'un des buts essentiels de l'éducation de la fille en milieu algérien est de la préparer tôt aux sacres du mariage en la fixant, dès l'orée de sa vie, sur la crainte obsessionnelle de la perte de la virginité, tabou dont la mère est l'assignataire principale. Dès lors que cet incident forme tout un sécable d'une représentation communautaire du code de l'honneur (horma), il est, à ce titre, collectivement investi d'une valeur située aux confins du mystique si bien que, pleinement enserrée dans ce registre symbolique, la jeune fille n'ignore pas qu'elle est la dépositaire d'un impératif catégorique essentiel : c'est dans le rituel d'offrande, soit à proprement parler dans la blessure subie, que s'accomplissent en dernière instance l'acte purificateur et l'agrégation sociale mettant fin aux épreuves de socialisation de la femme en Algérie.

La mère, qui entretient dans ce registre particulier un rapport quasi- symbiotique avec la fille, y puise, à son tour et comme par ricochet, un motif insigne de glorification personnelle, l'assentiment du groupe - et elle le sait - lui étant également en cette occasion destiné. Il s'agit donc bel et bien d'une "mise à l'épreuve" solennelle dans laquelle sont évalués, au moyen du respect dévolu à un tabou - celui de la virginité -, les mérites éducatifs de l'endogroupe, ici véhiculés par le personnage central : la mère. De là vient l'angoisse dont celle-ci fait preuve, au lendemain des noces, dans sa quête toujours anxieuse d'indices visuels confirmant a posteriori le respect de ce tabou.

Ce rituel persiste tant et si bien, en Algérie et qu'au Maroc, qu'il revêt, dans certaines de ces régions, un niveau d'ostentation tel que L. de Premare (1973) se dit frappé par :

"L'apparente contradiction d'une attitude collective, qui entoure habituellement la jeune fille sur la vierge du "voile de la honte", centre l'éducation de la fillette sur la pudeur et la réserve et qui, cette nuit-là, semble au contraire exposer l'intimité de l'épouse aux regards de l'entourage" 132(*).

Ce constat peut, en effet, intriguer celui qui s'en tient à une lecture de surface mais cette contradiction disparaît aussitôt la question de la virginité replacée dans le contexte réel qui est le sien, le contexte psychologique et symbolique proprement dit. Disons que, pour autant qu'elle s'apparente comme ici à un exhibitionnisme sexuel, la publicité entourant la défloration nuptiale correspond en réalité, dans l'économie des échanges symboliques intergroupes, à une double nécessité : d'une part, au besoin de confirmation des qualités morales et sociales de la famille de la jeune fille et dont "la marque de fabrique" 133(*) est, pour ainsi dire, reconnue ce jour-là et, d'autre part, à l'obligation faite au groupe étranger contractant de confirmer publiquement son assentiment quant à l'alliance ainsi réalisée.

L'obsession des mères algériennes à vouloir préserver à tout prix l'intégrité physique de leurs filles est-elle, dans ce registre paranoïaque, parfaitement compréhensible comme l'est non moins leur propension à s'entourer, à cet effet, de mesures conjuratoires et de protections diverses. La plus connue au Maghreb est celle de la "ferrure" (R'bît en arabe). Rituel magique dont le principe général est d'induire l'inhibition sexuelle sur le couple, la ferrure s'accomplit invariablement aux détours d'un cérémonial dont les maîtres d'oeuvre sont de vieilles femmes à la réputation bien établie. Ce n'est que quelques jours avant les noces que la mère fait lever le sortilège et que l'inhibition est sensée disparaître. La clinique psychopathologique nous en révèle l'incidence formée pour l'essentiel d'impuissance psychosexuelle chez l'homme et de frigidité chez la femme134(*).

Cette pathologie circonstancielle me paraît résulter de l'aptitude de certains sujets (hommes et femmes) à "subjectiver" cette croyance qui fonctionne alors selon les principes de la pensée magique : le sortilège sitôt connu ou pressenti, il se produit sur le couple une sorte d'équivalence symbolique entre l'intention et l'action, l'interdit et l'empêchement, processus inconscients qui vont mettre en branle les mécanismes habituels inhibiteurs de la sexualité 135(*). Les symptômes cliniques de cette action sont maintenant bien connus : ils se résument à un défaut d'érection chez l'homme et à un vaginisme de type hystérique chez la femme.

Si le tabou de la virginité peut paraître aujourd'hui en passe d'être relégué à l'arrière plan des préoccupations conscientes des jeunes en milieu urbain, il n'en reste pas moins qu'il continue de peser d'un poids important sur leurs représentations inconscientes de la sexualité.

"Les conduites de dénégation et de rationalisation qu'il persiste à produire dans leurs propos mitigés autour de cette question ou le recours en plus signalé à la chirurgie réparatrice de l'hymen indiquent, à ne pas s'y tromper, la persistance voire la résurgence du tabou dans les conduites et représentations collectives" 136(*).

Voilà là un bel exemple de discordance entre, d'une part, la représentation culturelle de l'identité et la pratique et, d'autre part, de conduites de novation qui, pour autant qu'elles sont réellement désirées, sont inconsciemment verrouillées par une culpabilité sous-jacente de dénaturation identitaire. A l'approche du mariage certaines jeunes filles vont se refaire l'hymen à un prix exorbitant chez les chirurgiens (interdit par la loi mais bon nombre de chirurgiens pratiquent ce genre d'interventions).

Il me semble pouvoir dire, pour terminer, que l'un des aspects essentiels de l'éducation de la fille en Algérie tourne autour de la thématique sexuelle et de ses interdits. Le respect du tabou de la virginité représente, sans aucun doute, l'un des éléments fondamentaux de cette éducation et qu'il cristallise, tant d'angoisse et de fantasmes collectifs, mais il serait faux de croire qu'il est seul à le faire. La sexualité n'acquiert, en Algérie, cette valeur mythique dans les représentations collectives qu'en tant qu'elle forme une partie insécable d'un tout culturel sanctifié car tirant sa source d'un dogme religieux plus ou moins bien vécu, plus ou moins interprété.

D'autres valeurs aussi importantes que la sexualité, telles que le code de l'honneur, la solidarité familiale, l'organisation des rapports inter-sexuels, etc., intègrent ce "sanctuaire" culturel qui a pour effet, au plan psychologique, de restreindre considérablement la marge de liberté laissée à la mère comme à la fille d'inscrire leurs trajectoires vitales dans une perspective autonome, moderniste.

À ce sujet, les observations pour l'Algérie ont rejoint conjointement celles de D. Jeambar 137(*) pour la Tunisie et de S. Naâmane-Guessous 138(*) pour le Maroc et montrent à quel point le tabou de la virginité a la vie dure au Maghreb. Ni le facteur temps, ni les processus de changement socioculturels qui travaillent cette région du monde ne semblent avoir réussi, jusque-là, à réduire la charge symbolique que ce tabou exerce sur les représentations collectives.

Dès lors, les attitudes culturelles cessent d'être modernistes, éclectiques ou ambivalentes mais se transforment brutalement en conduites de sacralisation de l'ancien régime qui sert de matrice à la formation d'une identité originelle pure, et débarrassée de toute aspérité culturelle novatrice.

Dans la mesure où leur système de représentation apparaît régulièrement coincé entre des sollicitations culturelles contradictoires, leur adaptation psychosociale est, de ce fait, plus laborieuse et, sans doute, plus incertaine. Enfin et compte tenu de l'enrichissement actuel de la société algérienne vers un traditionalisme plus affirmé, il est à craindre que des groupes de jeunes ne s'en laissent finalement convaincre, le retour vers les origines culturelles pouvant représenter pour eux l'issue la moins pénible, en termes psychologiques, à la résolution des contradictions véhiculées par l'hétérogénéité culturelle.

Bien différentes me sont apparues, de ce point de vue, les attitudes féminines qui relèvent du même niveau d'acculturation. Je dirai que, dans l'ensemble, celles-ci s'expriment autour de motivations lancinantes et compulsives où un fort désir de changement apparaît souvent en réaction à un sentiment de " victimisation" et de persécution. La condition féminine négativement appréhendée dans des rapports d'inféodation culturelle à l'autorité masculine explique une bonne part des conduites auto-dépressives et suscite, en compensation, la détermination des filles à lutter contre la suprématie sociale de l'homme. Dans la logique conflictuelle de cette relation inter-sexuelle, les conduites féminines s'insinuent, dans bien des cas, sous la forme de manifestations réactionnelles où les attitudes de protestation, de rejet et de défi prévalent pour afficher un modernisme outrancier.

Si nous voulions schématiser à l'excès, nous dirions que les jeunes filles sont capables d'exprimer, dans une même unité de temps, des conduites à la fois traditionalistes et modernistes (comme Malika, Chabha ou Melha...), un tel syncrétisme de valeurs correspondant à l'attitude la plus fonctionnelle dans le traitement des situations de crise qui les interpellent.

Ce revirement est justement en train de se produire avec les classes moyennes de la société algérienne dont l'alignement inattendu des positions sur celles résolument traditionalistes des classes populaires laisse le chercheur perplexe.

La fixation de plus en plus perceptible des classes moyennes dans une sorte de traditionalisme culturel de désespoir apparaît, en outre, en concomitance avec l'émergence dans la société du fondamentalisme religieux. Ne peut-on alors penser que celui-ci est venu à point nommé pour combler un "vide" culturel et idéologique laissé par le biculturalisme, lequel révèle ainsi ses limites - voire sa faillite - à organiser là où il existe, un modèle socioculturel stable et fonctionnel ? Car, à bien y regarder, l'islamisme algérien pourrait fort bien traduire le symptôme le plus visible

Rappelons qu'en Algérie où, du fait de la forte montée de l'islamisme, la question culturelle et identitaire a pris une tournure dramatique, ce sont surtout les femmes et les mères qui portent ensemble la revendication d'une société de progrès et de liberté. Ce n'est donc pas par hasard si, dans la hiérarchie de leurs exigences, c'est encore le "Code de la Famille" porteur de graves disparités inter-sexuelles qui recueille les scores les plus accablants de leurs récriminations.

La raison en est que les femmes, qui ne sont pas dupes d'appartenir à une société aux valeurs versatiles, savent aussi que celle-ci est en état de trop grave dérèglement pour qu'elle puisse correctement les défendre. Elles prennent d'autant plus conscience de la nécessité de s'organiser et de lutter qu'elles pressentent obscurément que, pour elles, il s'agit véritablement du combat de la dernière chance !

Mais la question n'est pourtant pas aussi simple. Diversement appréhendée selon un système de représentation propre à chaque groupe social - lorsque le même groupe n'en renferme pas plusieurs à la fois -, l'identité en Algérie, et comme sans doute ailleurs dans le reste des pays du Maghreb, n'est pas de forme moniste ! Nous voulons dire qu'à la culture démocratique légitimement revendiquée

par ses chantres habituels, il faudra aussi songer à ajouter le poids réel de celle à caractère ontologique, c'est-à-dire islamique qui représente aujourd'hui une partie non négligeable de la revendication d'autres femmes, algériennes et maghrébines.

D- SEXUALITÉ, VIRILITÉ ET FÉMINITÉ

Pour certaines femmes, la virilité et la féminité ont des connotations négatives parce que chargées de préjugés. Les définitions sont faussées par les réalités sociales. Elles sont institutionnalisées pour préserver la société de tous les maux. Parmi les plus graves : la femme dont le pouvoir maléfique est capable d'annihiler l'homme, la société et la religion. Ainsi, la virilité et la féminité dans l'imaginaire algérien sont synonymes de supériorité et d'infériorité. Ce genre de discours instaure la séparation des sexes, mettant ainsi l'homme à l'abri des dangers inhérents à la femme et à son pouvoir de séduction qui est si considérable.

La virilité et la féminité, telles qu'on les comprend et qu'on les explique dans la société algérienne, servent à asservir la femme par un système d'exploitation injuste qui vise non seulement le côté juridique mais aussi sexuel. Cette double exploitation maintient la femme dans un état d'infériorité par rapport à son compagnon.

En Algérie, la virilité est assimilée à la force, à la rigueur, à la violence, parfois à l'intelligence. La féminité est assimilée à la soumission, à la honte, à l'effacement, parfois à la beauté. La première condition à remplir par un individu pour être accepté par le groupe est d'être "un homme", c'est-à-dire sans faiblesse par rapport aux femmes. La conviction religieuse, le savoir, la compétence et l'honnêteté ne viennent qu'en seconde position.

Malika, Katia, Melha, Chabha témoignent d'une situation dramatique où la femme est prise au piège du discours masculin, coincée entre un modernisme sans âme et un traditionalisme sans âge. Cette situation installe toute l'Algérie dans des conduites conflictuelles et des structures ambivalentes et l'individu se trouve placé dans une situation de changement et / ou d'évolution culturels, à la fois engagé dans le temps du progrès et bloqué dans les normes et activités antérieures.

Chabha dénonce les rapports de force instaurés entre les sexes. La polygamie, l'héritage, la répudiation... font la fierté des mâles qui vantent leur propre virilité. Cloîtrée dans sa maison, cachée derrière un voile (l'épouse, la mère...), la femme est privée de tout critère d'évaluation et de jugement quant à la valeur réelle de l'homme. Pour elle, tout homme est naturellement viril du fait de sa condition biologique. Il est homme, donc viril. C'est pour cette raison que le mâle algérien (arabo-musulman, en général) préfère une épouse vierge à une femme expérimentée, plus à même de saisir les points forts et les points faibles de l'homme.

"Cela explique pourquoi les femmes divorcées et les veuves n'ont qu'une valeur réduite sur le marché du mariage" 139(*).

Souvent, la virilité est assimilée à l'agression verbale ou physique de toute femme qui s'aventure dans les espaces qui ne lui sont pas réservés. La plupart des femmes s'élève contre cette injustice. Le témoignage que rapporte Naoual El Saadaoui sur les années quarante au Caire reste toujours d'actualité dans la majorité des pays arabo-musulmans. Elle écrit ceci à ce propos :

"La ségrégation entre hommes et femmes était si stricte qu'une femme qui avait l'audace de sortir de sa maison devait s'attendre à être malmenée par les hommes. (...). " 1

"Enfermées dans des préjugés sociaux, la virilité et la féminité confinent les femmes dans des limites très strictes et entourent le monde masculin (... )" 140(*).

À travers la littérature arabe, il ressort que les rapports à la femme étaient empreints de moins d'agressivité et que les hommes admettaient l'existence du désir sexuel aussi bien chez l'homme que chez la femme. "Les mille et une nuits" sont une longue succession d'amours ardentes, de séductions et de belles femmes n'obéissant, à aucun moment, aux valeurs morales ni aux lois religieuses. Il me semble que l'ambivalence de l'homme par rapport à la femme (peur/désir) provient du fait que le mâle viril est misogyne, que la féminité en Algérie est le problème de toute société fondée sur le patriarcat et la division en classes est caractérisée par d'immenses écarts entre les différents groupes sociaux.

"La société algérienne réserve à une minorité le droit de jouir d'une grande liberté sexuelle et des plaisirs de la vie ; les autres, hommes et femmes, sont contraints de se plier à un code moral (et à des traditions très strictes) qui, souvent, ne leur permet de choisir qu'entre l'abstinence et la mauvaise conscience " 141(*).

Concernant les jeunes filles (interviewées ou les autres), leur expérience sexuelle est pauvre ou inexistante. Conditionnées à faire abstraction de leur corps et à renoncer à leurs désirs, elles grandissent dans la haine du corps et dans le refoulement.

Dans le milieu kabyle, ou tout simplement en Algérie, tout est mis en oeuvre pour nier la sexualité de l'individu. L'éducation basée sur la répression est une institution destinée à dresser le sujet en vue de lui faire intérioriser les normes de la société dans la négation de sa personnalité et de son individualité. Malgré la part de liberté que Malika, Melha, Chabha, Katia... ont acquise, elles demeurent, sur le plan sexuel, conditionnées par les conduites sociales et les traditions.

Comme F. Mernissi le souligne dans son ouvrage :

"Sous l'Islam, (...) la sexualité est présentée comme obéissant à des règles. Le code unique et spécifique de la loi islamique proscrit la fornication qui est considérée comme un crime. Pourtant, ce qui est curieux dans la sexualité musulmane en tant que sexualité civilisée est la contradiction fondamentale entre la sexualité de la femme et celle de l'homme : s'il est vrai que promiscuité et laxisme sont la marque d'un certain barbarisme, alors la seule sexualité qui ait été civilisée par l'Islam est celle de la femme. " 142(*).

La vie sexuelle du sujet est fondamentalement influencée par celle de son entourage. La maman de Khadidja, Fariza, paraît être une figure sexuelle négative puisqu'elle représente le triomphe de l'ordre sur le désordre. La sexualité, surtout celle de la femme, est considérée comme un danger car la femme est l'incarnation et le symbole du désordre, elle est fitna, la polarisation de l'incontrôlable, la représentation des dangers destructeurs de la sexualité. En fait, ce n'est pas la sexualité qui est attaquée dans le milieu arabo-musulman, mais la femme : force destructrice de l'ordre social.

E- LES PROSTITUÉES : FEMMES LIBRES

"La transgression rend les normes apparentes. Les réactions émotionnelles engendrées par les transgressions servent à confirmer la règle. Autrement dit, ce qui est spatialement et socialement périphérique, est symboliquement central" 143(*).

Les prostituées se meuvent dans l'espace public d'une façon qui est associée au comportement masculin. Elles se tiennent dans la rue et voyagent passablement afin d'éviter de rencontrer des hommes de leur famille en travaillant. Elles adoptent des symboles du groupe dominant ; par ce moyen, elles revendiquent du pouvoir.

On peut se demander dans quelle mesure elles dérangent la hiérarchie sociale et spatiale entre les genres et si elles défient l'ordre social établi qui sanctionne l'inégalité entre les hommes et les femmes ?

Les prostituées s'approprient les codes du comportement masculin : elles se tiennent plus larges, elles empruntent l'espace public sans gêne, elles fument et boivent en public, elles voyagent ; bref, elles sont visibles et audibles.

Curieusement, on observe, en Algérie, que les prostituées, lorsqu'elles adoptent les symboles qui donnent du prestige aux hommes, ne jouissent pas d'un respect similaire. Au contraire, elles sont stigmatisées et socialement rabaissées. Leur statut social ne coïncide pas avec leur statut économique. Une jeune prostituée peut gagner autant qu'un professeur universitaire mais elle n'aura jamais un statut social.

Les prostituées et les danseuses de cabarets, tout en transgressant les codes de la bienséance féminine, contribuent à confirmer la norme. Elles sont, en quelque sorte, un mal nécessaire pour apprendre aux femmes honorables à se contenir dans l'espace qui leur est culturellement assigné car, si le femmes se hasardent au-delà des limites de leur genre, elles se font traiter de filles de moeurs légères ou de...

Sur ce point , les femmes "libres" se sont appropriées des codes spatiaux masculins. De ce fait, elles pourraient déranger la hiérarchie entre les genres. Mais, l'inversion symbolique fait que les symboles qui accroissent la virilité des hommes diminuent la respectabilité des femmes. Les femmes qui transgressent les codes sont déclassées et stigmatisées. Par peur d'être associée à elles, toute femme algérienne soucieuse de sa respectabilité observera la conduite et le comportement corporels et spatiaux qui sont considérés comme bienséants dans son contexte culturel. L'imitation du comportement "masculin" des prostituées, des femmes "libres" n'est donc nullement subversif mais sert, en fin de compte, à maintenir la domination masculine et le statu quo.

Il faut signaler que beaucoup de femmes fument (mais jamais en public), sortent, voyagent, ce n'est pas pour autant qu'elles sont considérées comme des femmes légères : on les classe parmi les femmes modernes, généralement, elles ont atteint un niveau d'études supérieurs et travaillent (souvent ont des postes assez élevés).

IV- LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE PRIVÉ

A- LES CONDITIONS DE VIE DES FEMMES CLOÎTRÉES AU FOYER

Les femmes représentent la majorité écrasante de la population féminine adulte. En 1996, sur plus de 8,27 millions de femmes âgées de plus de 16 ans, environ 6,02 millions (soit 72,74 %), étaient considérées par l'Organisation Nationale de la Santé (O.N.S.) comme femmes au foyer. Ces 8,27 millions de femmes adultes se répartissent ainsi :

Répartition de la population féminine âgée de 16 ans et plus selon la situation matrimoniale (en millions) 144(*)

CATÉGORIE

EFFECTIFS

%

Mariées

4 336

52,42

Célibataires

3 069

37,11

Divorcées / séparées

171

2,07

Veuves

695

8,40

TOTAL

8 271

100

Il est ironique que les statisticiens de l'O.N.S. présentent les femmes au foyer, qui consacrent plus de 16 heures par jour à leurs tâches domestiques, comme des "inactives". Aujourd'hui, face à 5,08 millions de personnes occupées (4,33 millions hommes et 625 000 femmes), 6,41 millions de femmes sont à l'oeuvre dans leurs foyers respectifs. La plupart d'entre elles se lèvent les premières et se couchent les dernières chaque jour.

La plupart de ces femmes au foyer ne bénéficient pas de certaines facilités de la vie moderne. Elles ne quittent le domaine privé que pour des visites familiales, mariages ou circoncisions, accompagnées de leurs maris, de leurs fils ou filles ou de leurs belles-mères. Il faut ajouter à cela la corvée de l'eau (par manque d'eau en Algérie, des coupures d'eau sont quotidiennes, parfois pour trois jours). Les femmes cloîtrées ressentent fortement cet "emprisonnement" inacceptable et humiliant. 

"La claustration", rapporté par Hélene Vandevelde-Baillière, dont se plaignent souvent les femmes, signifie être tenue enfermée dans la maison ou, lorsqu'il est obligatoire de sortir ou que l'on y est autorisée pour un acte précis, cette sortie est surveillée et contrôlée. La femme qui est tenue cloîtrée ne pourra donc jamais sortir seule :

"Les femmes sortent en groupes par famille ou la belle-mère accompagnant sa belle-fille, à moins que ce soit le mari (à défaut, le fils aîné) ; les femmes âgées seulement peuvent aller et venir relativement librement. Il y a une sorte de non-confiance radicale envers la femme ; s'y ajoutent l'idée de la protection dont elle aurait besoin et l'idée encore persistante qu'une femme d'un certain rang ne doit pas avoir de charges à l'extérieur, donc n'a pas à sortir" 145(*).

Ainsi, les femmes cloîtrées au foyer vivent pratiquement dans un isolement quasi-complet et rationnellement injustifiable. Les résultats de recherche de Vandevelde-Baillière montrent que la moitié de la population féminine ne bénéficie même pas des sorties quasi-obligatoires trois fois par an, et assez peu de rapports de voisinage libres : ceux-ci ne sont admis que lorsque les voisins sont membres de la même grande famille, on comprend alors que les femmes puissent employer des termes aussi forts que "prisonnière" ou "enterrée vivante" pour définir leur propre situation et que la satisfaction des quelques jeunes femmes libres d'aller et venir soit si vive.

Elles sont devenues le modèle à suivre pour les autres, notamment les jeunes à qui "la claustration apparaît alors comme insupportable et qui luttent pour s'en affranchir" 146(*). Dès lors, les grossesses, par exemple, deviennent des événements qui meublent leur morne vie. En effet, elles constituent la seule période où les femmes bénéficient de quelques égards attentionnés de la part du mari, de la belle-famille, des parents et enfin de la société néopatriarcale. Souvent d'ailleurs, les femmes, accouchant dans les centres médicaux, espèrent prolonger leur séjour médical en ces lieux. Elles avouent aux sages femmes qu'elles préfèrent demeurer au centre médical où elles peuvent se reposer et changer de cadre plutôt que de rentrer au foyer où leurs tâches et leur claustration les attendent de nouveau. Sans doute, ces femmes préfèrent-elles rester à l'hôpital en raison de l'exiguïté de l'espace domestique engendré par la crise de l'habitat. Ce qui fait que la majorité des femmes au foyer vivent dans une sorte "d'univers concentrationnaire" 147(*).

En somme, la condition de la femme dans la société algérienne contemporaine ne milite pas en faveur d'une limitation par l'auto-règlementation des naissances. Par exemple, le taux de fécondité pour les femmes en âge de procréer (de 15 à 49 ans) était de 250 pour 2 000, ce qui signifie qu'une femme en âge de procréer sur quatre était enceinte et une deuxième allaitait. Mais comment, s'interroge le Dr Jacqueline Des Forts, "une femme qui n'a pas été à l'école et qui ne sort jamais de chez elle peut-elle remplir sa vie autrement que par sa fécondité ?". L'enquête démographique de 1968-1970 montrait déjà qu'avant le débat de "l'ère de la contraception médicale en Algérie ce qui est universellement reconnu, plus une femme est instruite et moins elle a d'enfants 2(*)".

En 1986, le taux de fécondité s'élevait à 9 enfants, et baissait à 7 enfants en 1992. Ce qui explique que, durant les premières décennies de l'indépendance, l'Algérie a connu une moyenne annuelle de croissance démographique de 3,2 %, l'un des taux les plus élevés du monde.

Au 1er janvier 1998, la population algérienne totale a atteint plus de 29,3 millions de personnes contre 8,4 millions à la veille du déclenchement de la Révolution du 1er novembre 1954. Cette croissance démographique galopante a induit des effets dans tous les domaines de la vie sociale du pays, en particulier sur la demande de logement, de l'éducation, de la formation, de l'emploi, de la nutrition, de la santé...

Les détenteurs du pouvoir et leurs fouqahas, qui s'acharnent à ériger la Charia en obstacle bloquant l'évolution de la femme, sont en partie responsables de cette croissance vertigineuse de la population car ils ont réussi à réduire les femmes à de simples machines à produire des enfants. Pour eux, la fonction de la gent féminine est de :

"Procréer, materner, allaiter... accumulant les grossesses à une fréquence rapprochée, allaitant pendant longtemps (deux ans voire plus), la grande multipare est une femme qui, à la fleur de l'âge, vers trente ans, apparaît vieille physiologiquement, épuisée déjà sur les plans nutritionnel et somatique..." 148(*).

La fréquence des anémies parfois sévères et des carences nutritionnelles a été relevée dans plusieurs études.

"De plus, la multipare est fragilisée aux infections et grossesses diverses. Or, en réalité, la grande multiparité a un impact profond sur les conditions de la maternité... " 149(*) .

La surmortalité maternelle est due au mariage précoce et aux premiers rapports sexuels sans contraceptifs qui entraînent de nombreuses grossesses successives. En effet, de 1962 à 1996, le nombre moyen d'enfants par femme s'élevait à sept. Les fréquences des accouchements sont aussi :

"Des facteurs de risque de cancer du col de l'utérus. Il s'agit du cancer le plus fréquent chez les femmes du Tiers-Monde. Les décès causés par ce type de cancer devraient être comptabilisés en tant que mortalité maternelle à long terme. En Algérie, entre 1966 et 1975, sur 19 884 cas de cancers diagnostiqués dans les laboratoires d'Alger, Oran et Constantine, 3 002 étaient des cancers du col de l'utérus et le taux d'incidence annuelle, c'est-à-dire le nombre annuel de nouveaux cas, était estimé à 80 pour 100 000 femmes âgées de 50 à 60 ans (presque 1 %)" 150(*).

Cette présentation des faits nous amène encore une fois à avancer que la domination masculine est contraignante pour les femmes algériennes et des pays arabes, ceci parce qu'il n'y a pas d'État de droit, ce qui signifie que même les hommes ne sont pas des citoyens à part entière. La lutte des femmes, pour être efficace, ne devrait pas, du reste, avoir pour cible les hommes en général mais le régime qui, enraciné dans la force et non le droit, perpétue la domination masculine dans ses traits les plus archaïques.

Présenter la domination masculine comme une contradiction politique opposant des hommes oppresseurs à des femmes opprimées procède à une confusion méthodologique qui donne à tout conflit un contenu politique. Cette confusion mène à une impasse parce que politiser la revendication féminine revient à la stériliser en en faisant un courant politique parmi d'autres, ce qu'elle n'est précisément pas. Lui donner une spécificité politique n'offre, en outre, aucune perspective au combat des femmes pour une égalité juridique dans la citoyenneté. Le but du combat des femmes en Algérie n'est pas de conquérir le pouvoir mais d'acquérir la citoyenneté dans le cadre d'un État de droit.

La citoyenneté est déniée aussi bien aux femmes qu'aux hommes. Le Code de la Famille n'est pas un instrument qui empêche seulement les femmes d'être citoyennes, il est la négation même de l'État de droit et de la citoyenneté en général. Il est l'expression de la résistance de la sphère domestique à la régulation juridique de l'État.

En conclusion à ce chapitre, le régime en Algérie n'a aucun intérêt à une évolution comme il n'a pas intérêt à la reconnaissance d'une sphère privée qui affirme l'autonomie de l'individu, car celle-ci aurait entraîné la revendication de la liberté politique dans l'espace public. Il y a une dialectique des espaces privé et public qui façonne l'un et l'autre et qui veut que l'un n'aille pas sans l'autre. Or, la juridiction des rapports familiaux (mariage, divorce, héritage, adoption...) marque la reconnaissance de l'espace privé dans lequel l'individu, sujet de droit, est protégé par la puissance publique.

L'existence d'un espace privé suppose que la sphère domestique soit régie par le droit étatique et non par la conscience religieuse, ce qui implique que l'autorité publique trouve sa finalité dans la protection de l'individu par le droit. L'espace privé (à ne pas confondre avec la sphère domestique ou même celle de l'intimité) n'est pas un lieu topographique, il est l'interaction avec autrui dans tous les aspects de la vie sociale, à l'exception de ceux qui impliquent la lutte politique pour la conquête du pouvoir. L'espace privé est une construction juridico-idéologique constitutive de l'espace public où se manifestent les comportements privés et où s'exercent les libertés civiques d'individus appréhendés dans leur abstraction universelle.

L'espace public quant à lui, il ne s'oppose pas à l'espace privé, au contraire, il se structure autour de lui pour assurer la liberté de conscience individuelle de chacun. Sans espace privé, il n'y a pas d'espace public et sans celui-là, il n'y a pas de libertés publiques à préserver dans celui-ci. Ce qui constitue fondamentalement l'espace public, ce qui lui est constitutif, ce qui est, dirions-nous, sa finalité, c'est la sphère privée, son autonomie morale et sa liberté de conscience.

CHAPITRE III

LA FEMME ET LA SCOLARISATION

I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON ÉVOLUTION

La politique éducative de l'Algérie indépendante a-t-elle réussi à mettre fin à la ségrégation et à la discrimination pratiquées par la société algérienne contre le sexe féminin ?

A- LA FAIBLE SCOLARISATION DES FILLES DANS L'ALGÉRIE TRADITIONNELLE

La société algérienne traditionnelle ne semble pas avoir favorisé la scolarisation des filles. Cependant, de rares femmes lettrées ont été signalées ici et là dans le passé lointain et récent de l'Algérie. Par exemple, Bédjaïa a connu une poétesse nommée Aïcha Bent Omar El Hosseïni qui a vécu au XIV ème siècle.

Durant le XV ème et le XVI ème siècles dans la société rurale, "la femme, non seulement jouit d'une grande liberté, mais exerce souvent une grande autorité" 151(*).

L'école de type moderne a été introduite par les français pour les besoins de la colonisation. En effet, quatre écoles coloniales en faveur des jeunes filles musulmanes ont été installées vers 1850. Le but avoué était d'enseigner l'arabe, le français et les travaux manuels (couture, broderie, cuisine, etc.). Consciente que la finalité réelle de cet enseignement était de diffuser un mode de vie et de pensée qui lui était étranger, la population refusait d'y envoyer les fillettes. Néanmoins, à long terme, l'école coloniale a fini par en attirer un nombre quand bien même limité.

Ainsi, "en 1887, plus de 910 filles fréquentaient l'école primaire dont 234 à l'école maternelle. L'effectif féminin est ensuite passé à 1 090 en 1891" 152(*).

Cependant, la plupart d'entre elles étaient des orphelines abandonnées dont l'éducation a été confiée à des religieuses missionnaires. Une fois livrées à elles-mêmes, ces filles n'ont pu être intégrées ni à la société colonisée, ni à la société colonisatrice. En effet, "faute de mariage, certaines de ces pionnières de l'éducation coloniale ont été contraintes à la prostitution" 2(*).

En dépit d'une résistance obstinée contre l'envoi des filles à l'école coloniale, on y trouvait 2 667 en 1907 contre 30 661 garçons. En 1939-40, le nombre des élèves algériens inscrits dans les écoles primaires et maternelles aurait été de 114 000 dont 22 000 fillettes 3(*). Pendant la première moitié du XX ème siècle, l'évolution des effectifs féminins s'est avérée très lente. En 1954, le nombre de filles n'a atteint que 76 610 et celui des garçons 218 000, de plus, 952 filles et 5 308 garçons seulement poursuivaient des études secondaires dans les établissements coloniaux. À l'université, il n'y avait que 19 étudiantes contre 570 étudiants. Trois d'entre elles poursuivaient des études en droit, trois en sciences, trois en pharmacie, cinq en médecine et huit en lettres.

L'une des raisons de l'opposition des parents à l'envoi de leurs filles à l'école durant la période coloniale a été décrite par la romancière Assia Djebbar dans un texte autobiographique :

"Dès le premier jour où une fillette "sort" pour apprendre l'alphabet, les voisins prennent le regard matois de ceux qui s'apitoient dix ou quinze ans à l'avance : sur le père audacieux, sur le frère inconséquent. Le malheur fondra immanquablement sur eux. Toute vierge savante saura écrire, écrira à coup sûr "la" lettre. Viendra l'heure pour elle où l'amour qui s'écrit est plus dangereux que l'amour séquestré...

Pour combattre la misogynie omniprésente au sein de la société algérienne colonisée d'alors, le Cheikh Ben Badis, qui était beaucoup plus en avance que ses disciples bornés et figés, a eu la perspicacité d'affirmer : "éduquer un homme, c'est éduquer un seul individu ; éduquer une femme, c'est éduquer toute une famille". Et les écoles qu'il a fondées étaient mixtes, ouvertes à la jeune fille algérienne. Le Cheikh était convaincu que la mixité finira, tôt ou tard, par persuader les garçons, les futurs hommes que les filles, les femmes de demain, ne sont ni "les filles du diable" (Iblîs), ni "les soeurs de Satan" (Chaytân), mais leurs véritables partenaires ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs, c'est-à-dire égaux.

Et, grâce à l'intelligence de Ben Badis, les écoles libres musulmanes créées et organisées par l'association des Oulémas ainsi d'autres associations privées à travers tout le territoire ont été fréquentées graduellement par des milliers de jeunes élèves filles et garçons puisque la plupart de ces "Médrsas" étaient mixtes. Cette éducation visait, non seulement à contrecarrer le processus d'acculturation, mais à répandre la culture arabo-musulmane dans le pays.

D'après les organisateurs de cet enseignement, la connaissance de la langue arabe, de l'histoire, des institutions et des doctrines théologiques musulmanes ainsi que l'étude systématique du Coran et du hadith permettent aux jeunes filles, comme aux jeunes gens, de sauvegarder les traditions arabo-musulmanes. Ainsi, l'idée du droit des filles à l'éducation a donc été admise par les représentants réformistes de l'orthodoxie musulmane. Cet état de fait a facilité aux filles, après l'indépendance, un accès relatif à l'école, malgré la persistance de préjugés populaires.

Néanmoins, les femmes algériennes étaient, durant la période de colonisation, doublement opprimées et exploitées par le colonialisme français qui a non seulement dépossédé la majorité du peuple algérien de ses moyens de subsistance mais il a aussi imposé à ses membres le statut de l'indigénat déniant aux deux sexes, femmes et hommes, les droits civils les plus élémentaires par leurs propres familles (pères, frères, époux) au nom des saintes traditions berbéro-arabes et islamiques quasi-esclavagistes.

En effet, l'inégalité entre les femmes et les hommes colonisés se reflétait par les taux différentiels d'analphabétisme puisque ce dernier touchait, en 1948, plus de 90 % des adultes masculins et féminins, bien que la proportion des femmes fut beaucoup plus élevée : 98 % (selon les statistiques officielles datées du premier novembre 1961), l'effectif des enfants scolarisés ne s'élevait qu'à 306 737 sur un total de 2,4 millions d'enfants de 6 à 14 ans d'âge scolaire (soit 12,7 %). Ce qui a rendu la tâche des autorités de l'Algérie post-indépendance extrêmement difficile.

En 1958, le taux d'analphabétisme s'élevait à 89 % contre environ 60 % en 1830. Les femmes étaient plus affectées par ce fléau social, aggravé par le système colonial, que les hommes : seules 4,5 % d'entre elles savaient lire et écrire ! Sur 773 971 fillettes âgées de six à treize ans, seules 82 879 (soit 10,7 %) étaient scolarisées dans le primaire, représentant une fille pour trois garçons. La proportion des filles dans les collèges et les lycées ne s'élevait qu'à 14,4 %. Sur les 589 étudiants inscrits dans les universités, il n'y avait que 22 étudiantes.

B- L'ÉCOLE ET L'ACCULTURATION

L'école coloniale en Kabylie a été introduite dès 1850 afin de planifier l'acculturation 153(*) des populations hostiles de cette région. Les Jésuites et par la suite les Pères Blancs (1872) firent de l'enseignement la pièce maîtresse de l'apostolat.

En 1885, une section École Normale fut créée avec l'espoir d'en faire une pépinière d'instituteurs kabyles. Dès 1883, une partie de la Bible avait été traduite en kabyle sous le titre Bibli a Kabyli 154(*). Ces initiatives se faisaient avec l'accord de l'autorité militaire supérieure qui y voyait une "action salutaire (...) dans la conquête morale du peuple" 155(*).

Cependant, il ne faut pas se leurrer car le fameux privilège scolaire dont aurait bénéficié la Kabylie ne concernait, en réalité, que quelques centres urbains et les agglomérations des gros villages. C'était une infime minorité d'enfants qui était touchée (filles et garçons).

"La réussite scolaire relativement plus élevée tient plus à des déterminations socioculturelles internes qu'à une politique scolaire française... " 156(*).

Cette appropriation de la culture de l'autre déclenche immédiatement le phénomène de l'acculturation. L'école reste le pilier central de tout projet d'acculturation.

II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE ALGÉRIENNE

Dès l'indépendance, l'école algérienne, qui s'était donnée pour objectif la scolarisation totale, a été confrontée à un phénomène de déperdition scolaire (ou échec) d'une importance considérable. Ceci constitue un élément d'interrogation et d'interpellation. l'Algérie a subi, plus peut-être que la métropole (la France), les rigueurs de la norme culturelle et linguistique. En Algérie, l'échec, en regard aux ambitions de la politique scolaire, est réel et s'explique par deux catégories de facteurs aggravants : le multilinguisme et la situation historico-économique.

Une économie scolaire marquée par le boom démographique avec, comme conséquence, l'instauration de la double vacation (école à mi-temps permettant au même enseignant d'assurer la responsabilité de deux classes) ou des classes surchargées (jusqu'à 48 élèves). Or, le modèle de l'école héritée et la très forte demande scolaire consécutive à la politique scolaire totale se traduisent par de nombreux problèmes pédagogiques. ; ainsi, pour remplir son contrat social, l'institution académique se doit de former en hâte un corps enseignant sur le tas (moniteurs, instructeurs...) se contentant d'un personnel peu qualifié.

Pour l'élève algérien, le français est à la fois une langue étrangère et une langue "algérienne", c'est l'objectif à atteindre quand bien même il est difficilement maîtrisable pour les élèves sortant du cycle obligatoire. L'arabe, quant à lui, est revendiqué au titre de la culture et de l'histoire, au nom de l'efficacité aussi dans la mesure où il n'engendre guère de difficultés scolaires, il demeure fonctionnellement un appui à la langue prédominante dans l'accession sociale.

De nombreux travaux consacrés à l'étude des manuels scolaires fabriqués par l'I.P.N. (Institut Pédagogique National) ont été effectués par les chercheurs algériens. Tous soulignent que ces outils de travail de nos élèves offrent malheureusement une image souvent dévalorisée de la femme. Il y a, en effet, comme le disent Christine Achour et Dalila Morsly 157(*) :

"(...) Instance sur une conception traditionnelle du rôle de la femme, sur les activités qu'elle peut ou doit exercer, sur la fonction dans la société (...), c'est-à-dire que les manuels enfoncent les mêmes clous que les parents, la famille et l'environnement".

Il est à se demander conséquemment si cela n'entraîne pas inéluctablement l'intériorisation de cette image chez nos élèves.

Par ailleurs, les mères surmenées par l'ampleur des tâches ménagères ne peuvent assumer les besognes matérielles qu'au détriment de leurs missions d'éducatrices et rejettent les enfants vers les dangers de la rue. Devant cela et dans la plupart des cas, le père, confronté à des difficultés économiques, n'assume pas le rôle qui lui est dévolu, il se limite à assurer la nourriture quotidienne et le logement et se désintéresse du travail scolaire de ses enfants.

L'école algérienne est en crise. Le système de l'école fondamentale est un échec (instauré en Allemagne pour les enfants en difficulté). Aujourd'hui, on a encore opté à un autre modèle. Que peut-on faire avec des enfants (filles ou garçons) qui ont été témoins de l'assassinat de leurs parents, de leurs institutrices ? Que peut-on faire avec des enfants qui banalisent la mort et la côtoient ? Que deviendra cette jeunesse demain ?

A- LES FILLES ET LA SCOLARISATION EN ALGÉRIE

Parmi les facteurs importants de changement du rapport de domination/relégation existant entre hommes et femmes en Algérie, on peut parler du travail salarié et de la scolarisation. Parce qu'elle donne le moyen d'affronter correctement la vie publique, parce qu'elle lui donne la possibilité de s'ouvrir sur de nouveaux horizons lui permettant de dépasser les limites de son vécu quotidien au foyer, la scolarisation est un élément fondamental dans la constitution par la femme d'une image positive d'elle-même. D'une certaine manière, on peut parler d'une certaine dignité et d'une intégration sociale acquises par la femme lorsqu'elle est au moins capable de comprendre les prix affichés, une adresse, de lire un journal, de suivre un film à la télévision ou d'écrire une lettre ou une requête.

La scolarisation avancée jusqu'à un niveau moyen ou supérieur constitue, par les débouchés culturels et professionnels qu'elle ouvre, un élément plus important pour l'émancipation des femmes qui se trouvent ainsi mieux armées pour lutter pour l'acquisition de leurs droits. L'éclatement de la cellule familiale traditionnelle, la participation à la guerre de Libération nationale, les exemples de réussite sociale et l'élévation du niveau sociale des femmes cadres supérieures, l'élévation du niveau de vie ont été, en Algérie, des éléments importants qui ont eu pour conséquence un accroissement certain de la scolarisation des femmes. En effet, une des causes de cette entrée en masse des femmes à l'éclatement des structures familiales est jointe à l'exode vers les villes.

Éloignés des contrôles sociaux familiaux et tribaux, tous les parents installés en ville envoient leurs filles à l'école et à leur permettent de prolonger leur cursus scolaire.

L'école produit une fissure dans l'imaginaire social ancien basé sur la séparation des sexes et leur éducation différenciée dans la mesure où garçons et filles y accèdent sur la même base et les mêmes critères et y reçoivent le même traitement. Il est vrai que la séparation des sexes, malgré la mixité de l'école, n'y a pas encore été tout à fait éliminée. Ainsi, assis sur les mêmes bancs de classe, garçons et filles, lorsqu'ils sortent dans la cour de récréation, se séparent dans les jeux et un contrôle très strict est organisé par les membres des deux sous-groupes sur leurs rapports mutuels. Les maîtres d'école, eux-mêmes éduqués dans cet esprit ou craignant les familles, ne font aucun effort pédagogique pour mettre un terme à ces pratiques.

Ce qu'on peut finalement constater, c'est que l'école a déjà commencé un travail de sape profond des rapports existants en Algérie entre hommes et femmes. Mais, on ne peut se contenter de compter sur ce phénomène pour qu'il puisse mener tout seul à bien cette tâche énorme et nécessaire.

B- STRATÉGIES À L'ACCÈS DES FILLES À L'INSTRUCTION

L'accès des filles à l'instruction semble bien être le changement qui ébranle "le modèle de la répartition inégalitaire des rôles" 158(*). Qu'elles en soient conscientes ou non, toutes les mères accordent, dans leur démarche éducative, la même importance aux études des filles qu'à celles des garçons sans toutefois perdre de vue leur rôle "maternel" et "domestique". Plus des trois quarts d'entre elles se préoccupent autant ("sinon plus", précisent quelques-unes) de la réussite scolaire de leurs filles que de celle de leurs fils.

La discrimination qui transparaît à travers le discours des autres se manifeste rarement au niveau d'un traitement différentiel (âge à la première inscription, choix de l'établissement, soutien scolaire, etc.), elle apparaît plutôt au niveau de l'attitude et seulement lorsqu'il y a un échec massif des garçons. La discrimination entre l'appréciation de la réussite scolaire des frères et celle des soeurs, lorsqu'elle se manifeste, a tendance à baisser avec l'élévation du niveau d'instruction de la mère. Dans l'ensemble, les mères - même celles qui travaillent à l'extérieur - prennent sur elles toutes les corvées ménagères pour laisser une grande disponibilité à leurs filles.

La majorité des mères exige de leurs filles la réussite scolaire plus que l'aide ménagère : c'est leur satisfaction première. La réussite des filles est tellement investie qu'elle entraîne également un relâchement dans la surveillance habituelle dont elles faisaient généralement l'objet. Au fur et à mesure que leur réussite scolaire s'affirme, une plus grande liberté et une confiance certaine leur sont accordées dans leurs déplacements, surtout lorsque le motif des sorties a trait, directement ou indirectement, aux études (bibliothèques, excursions ou voyages d'études, ciné-clubs, préparation des examens chez des amies, etc.). Pour les études, certaines mères vont jusqu'à accepter que leurs filles reçoivent chez elles des camarades garçons.

Le cheminement vers un traitement plus égalitaire lorsqu'il s'agit de la préparation du capital scolaire des filles en fait un processus qui n'a fait que s'accentuer par rapport à la génération des mères. Il est, sans doute, à l'origine de la tendance observée actuellement à l'équilibre entre les effectifs masculins et féminins dans les établissements scolaires et universitaires. L'accélération du processus est soulignée par les mères elles-mêmes qui, en parlant de leur démarche éducative actuelle, font état des discriminations qu'elles ont vécues de "leur temps" et qu'on ne peut plus se permettre de nos jours, disent-elles.

La différence la plus importante notée par les mères elles-mêmes - aussi bien celles qui exercent une activité professionnelle que celles qui se consacrent uniquement au foyer - réside dans la priorité accordée dans leur démarche éducative à la préparation des filles à l'exercice d'une profession par rapport à la préparation à leurs rôles d'épouses et de mères. La plupart d'entre elles posent la fin des études comme préalable au mariage alors qu'elles ont le sentiment que, de leur temps, elles étaient perçues comme une charge délicate à manier et un sujet de préoccupation pour leurs parents tant qu'elles n'étaient qu'un moyen d'augmenter leurs chances de faire un bon mariage.

C- À UN NIVEAU D'ÉTUDES ÉGAL, UN STATUT PROFES-SIONNEL ÉGAL

Le statut professionnel de la femme est déterminant mais pas dans toutes les situations. Plus précisément, il agit sur la fécondité lorsque la femme est de faible niveau scolaire. Ainsi, au niveau scolaire égal (primaire), presque 7 femmes salariées sur 10 ont zéro à 2 enfants (66,7 %), alors que les femmes au foyer ont pour la plupart 3 enfants et plus (87 %). Cela veut dire qu'à défaut d'instruction scolaire, c'est l'activité professionnelle à l'extérieur qui constitue une nouvelle ressource, une possibilité d'ouverture vers le monde extérieur.

Désormais, l'espace extérieur, l'exercice d'un métier, la connaissance de collègues, etc. sont autant d'éléments qui permettent à la femme de se réaliser et de ne plus voir, dans sa progéniture comme autrefois, l'unique moyen de s'épanouir. L'instruction scolaire agit, à son tour, sur le taux de fécondité chez les femmes inactives uniquement. Plus ces dernières ont été à l'école et moins nombreuse est leur progéniture.

III- L'ÉDUCATION DE LA GENT FÉMININE DEPUIS L'INDÉPENDANCE

Malgré un effort méritoire, les autorités de l'Éducation Nationale de l'État indépendant n'ont pu accueillir que 707 530 élèves dans les écoles primaires dont 282 842 filles (soit 25,9 %). Entre 1962 et 1980, la politique du Gouvernement algérien s'est axée sur la généralisation de l'enseignement. Dans le primaire, le nombre d'enfants scolarisés a atteint 2 884 084 en 1977-78 dont 1 181 756 filles (soit 40,96 %). Dans le secondaire, celui-ci est passé de 51 014 en 1962 dont 14 246 filles à 741 961 en 1977-78dont 264 828 filles. Ces chiffres globaux appellent un certain nombre de remarques. Le tableau suivant résume l'évolution du taux de scolarisation des garçons et des filles entre 1965-66 et 1991-92.

Évolution comparée du taux réel de scolarisation des garçons et des filles 159(*)

ANNÉE

GARÇONS

FILLES

TOTAL

1965-66

57,7

32,9

45,4

1970-71

70,4

43,9

57,3

1975-76

89,1

61,4

75,5

1980-81

88,4

67,3

78,0

1985-86

92,3

72,25

82,2

1991-92

94,16

79,52

86,99

En général, le taux de scolarisation des filles dans les enseignements primaire et secondaire a augmenté pendant cette période ; cependant, celui des garçons semble croître beaucoup plus rapidement. Mais cette inégalité entre les deux sexes change, toutefois, d'une région à l'autre.

Quand on examine la proportion respective des filles et des garçons scolarisés, on constate que l'effectif féminin représente 60,4 % et l'effectif masculin 84,4 % pour l'année 1977-78. Quantitativement parlant, on s'aperçoit, certes, que la scolarisation féminine connaît un essor significatif. Néanmoins, la situation sociale des filles est plus sombre que les chiffres ne l'indiquent car, la sélection scolaire mise à part, elles doivent subir une sélection sociale. Comment ? Les filles, estimées en âge de se marier, doivent être cloîtrées, voilées, se préparant ainsi à la vie conjugale en attendant de rejoindre leurs futurs foyers.

Les autres, forcées à participer aux tâches domestiques une fois rentrées de l'école - car là est leur véritable rôle -, négligent ainsi les devoirs et les travaux scolaires personnels. Cette dualité entre l'ambition d'atteindre un niveau élevé d'instruction et celle de se préparer à devenir femme au foyer a, que de fois, été la raison de l'échec scolaire qui constitue, pour les parents et le milieu social, le meilleur argument à la claustration de la fille.

Le taux de scolarisation des filles diffère entre les régions rurales et urbaines. Dans la wilâya d'Alger où le degré d'urbanisation de la population est très élevé, ce taux atteint le record de 93,5 % durant l'année scolaire 1977-78. Dans les grandes métropoles comme Tizi-Ouzou, Annaba, Constantine, Blida, et Oran, il est supérieur à 80 %. Il n'en reste pas moins que 21 wilâyas sur 31 ont un taux inférieur à 60 % 160(*). L'extrême cas est représenté par la wilâya de Djelfa (hauts plateaux, limite du Sahara) qui n'a que 26,7 % de filles scolarisées contre 55 % de garçons.

Évolution des effectifs féminins entre 1981-82 et 1996-97 161(*)

RENTRÉE SCOLAIRE

1981-82

1991-92

1996-97

Effectif global

4 319 360

6 590 132

7 293 189

Dont filles

1 789 360

2 947 776

3 417 879

%

41,43

44,73

48,15

Enseignement primaire : 1ère à 6ème AF

3 178 912

4 357 352

4 674 947

Dont filles

1 338 761

1 965 859

2 164 303

%

42,11

45,12

46,29

Enseignement moyen : 7ème à 9ème AF

891 452

1 490 035

1 762 761

Dont filles

355 543

629 824

804 070

%

39,88

42,27

45,61

Enseignement secondaire

248 996

742 745

855 481

Dont filles

95 029

352 093

449 506

%

38,16

47,40

52,54

Ce tableau résume l'évolution quantitative des filles inscrites dans les écoles fondamentales et les établissements de l'enseignement secondaire, montre finalement que ces "femelles", considérées jadis par les mâles comme "inférieures" psychologiquement et biologiquement, ont réussi à rattraper et à dépasser les garçons. Ainsi, entre 1981-82 et 1996-97, les filles ont fini par conquérir l'enseignement secondaire grâce à leur ténacité et leurs efforts soutenus. Leur nombre est passé de 95 029 (soit 38,16 %), à 449 506 (soit 52,54 %). Cela représente un accroissement de plus de 270 % tandis que le nombre de garçons n'a connu qu'une augmentation de 154 %.

Les filles semblent avoir relevé le défit lancé par les intégristes qui ont voulu les ramener au domaine privé pour les cloîtrer. Pendant la décennie 1980, le nombre de filles scolarisées en 1ère année n'a cessé de diminuer au fur à mesure qu'elles avançaient dans leur cursus scolaire. Cependant, depuis le début des années 90-98 (en dépit des menaces et des exécutions perpétrées par le F.I.D.A., l'A.I.S. et le G.I.A.), leur taux de participation au niveau du cycle secondaire a progressé rapidement. En effet, une enquête statistique effectuée par le Ministère de l'Éducation Nationale (1996-97) a révélé que dans 45 wilâyas du pays, le taux de redoublement des garçons est supérieur à celui des filles aux trois niveaux de l'enseignement primaire, moyen et secondaire 162(*). Ce tableau confirme cette évolution.

Taux de redoublement au niveau de l'enseignement primaire et moyen en 1996-97 (en %)

ANNÉE

1e

2e

3e

4e

5e

6e

7e

8e

9e

Filles

8,58

6,89

7,10

6,95

6,65

10,48

9

9,14

27,58

Garçons

11,88

10,70

12,11

12,44

12,66

18,97

----

20,52

32,90

À l'exception du niveau de la Terminale, de nombreuses filles - en raison de leur âge précoce (par rapport aux garçons) - sont autorisées par les autorités à redoubler parce qu'elles présentent de meilleures garanties de réussite au baccalauréat après un redoublement. Le taux de redoublement des garçons au niveau de l'enseignement secondaire confirme l'avancée prodigieuse des filles à l'exception de l'année "Terminale".

TABLEAU N° b : Taux d'abandon au niveau de l'enseignement secondaire en 1996-97 (%)

ANNÉE

1ère AS

2 ème AS

3 ème AS

Filles

7,31

6,97

32,50

Garçons

15,05

15,38

38,63

La détermination des filles de s'émanciper relativement par l'éducation/formation qui constituent la condition sine qua non de leur libération s'est traduite par leur taux élevé de réussite à l'examen de baccalauréat. En effet, le tableau n° c montre qu'en dépit des préjugés initiaux qui leur ont créé d'énormes difficultés, les filles sont plus compétitives et beaucoup plus studieuses que les garçons.

TABLEAU N° c :

FILIÈRE

Présents

dont filles

Admis

dont filles

% Réussite

dont filles

Lettres et sciences humaines

Total

73 426

11 066

69 %

Filles

46 013

7 532

Lettres et sciences islamiques

Total

15 377

3 359

59 %

Filles

8 951

1 987

Lettres et langues

Etrangères

Total

7 048

1 995

70 %

Filles

----

----

Sciences de la nature

et de la vie

Total

125 772

36 260

56,5 %

Filles

----

20 475

Sciences exactes

Total

22 995

7 179

41,12 %

Filles

9 858

2960

Ce qui représente 55,30 % de l'ensemble des élèves du secondaire. En d'autres termes, les filles sont beaucoup plus motivées et volontaires pour réussir que les garçons. Si cette tendance persiste, la majorité des étudiants des universités et des grandes écoles sera constituée par des filles.

L'effectif féminin dans l'enseignement supérieur a augmenté rapidement entre 1962 et 1979. De 1 851 étudiantes durant 1966-67, il atteint 12 677 en 1978-79 et plus de 100 000 en 1992-93. La proportion des jeunes filles poursuivant des études supérieures semble stagner par rapport à l'ensemble. Depuis 1973-74, les effectifs féminins dans les établissements universitaires ne représentent chaque année que 23 % du total des inscrits. Mais, en 1978-79, le nombre d'étudiantes inscrites dans différentes filières a augmenté de 4,4 % par rapport à l'année précédente.

Selon le bulletin statistique du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique :

"Compte tenu de la stabilité des effectifs globaux durant ces dernières années, ce résultat traduit une légère amélioration de la proportion des jeunes filles par rapport au total des inscrits à l'université. Cette légère amélioration en question représente un simple relèvement de l'ordre de 1,3 points" 163(*).

Un grand nombre d'étudiantes ne terminent pas leurs études universitaires. Les raisons de l'abandon sont multiples mais elles tournent, pour la plupart, autour de contraintes socioculturelles et familiales.

L'étudiante vit le paradoxe entre un mode estudiantin mixte où elle est en permanente interaction avec les hommes et un monde familial où, non seulement elle ne doit pas souvent mentionner le fait qu'elle étudie avec les garçons (bien que cela se sache), mais où elle doit se cacher parfois des yeux des étrangers qui viennent à la maison. Que de fois certaines étudiantes poursuivant leurs études dans les métropoles où elles habitent des cités universitaires, qui leur permettent une certaine indépendance et liberté, doivent retourner aux traditions séculaires en revenant au lieu de résidence de leurs parents dans les petites villes ou campagnes. Du vêtement à l'attitude, elles doivent tout réadapter, sinon elles peuvent être considérées comme des filles de "moeurs douteuses", ce qui explique que certaines rumeurs font de l'université et des cités universitaires des endroits à déconseiller aux filles, ceci pour des fins claires : la perpétuation de la claustration des filles par phobie du déshonneur.

Une fois admises à l'université, les étudiantes algériennes sont surtout attirées par les Sciences Médicales, les Sciences Sociales et les Lettres et les Sciences Juridiques et Politiques. En effet, quand on examine la proportion des étudiantes par rapport à l'effectif général des inscrits, on constate qu'un faible pourcentage choisit de poursuivre des études en sciences exactes et engineering. Comme le note le bulletin statistique n° 8 du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique :

"On peut constater que les filières où les jeunes filles sont fortement représentées restent : les sciences médicales avec 33,4 % au total et les sciences sociales et lettres avec près de 32 % " 164(*).

Si l'on s'interroge sur la raison de ces choix, on ne peut omettre de mentionner la ségrégation sexuelle. A priori, la relation n'est pas apparente, pourtant elle existe. Les métiers de médecin, de juriste (surtout avocate ou juge), d'enseignante ou de psychologue sont des professions considérées socialement compatibles avec les tâches féminines. Une femme à qui on apprend à s'occuper de la reproduction familiale et des soins des enfants peut exercer ces métiers : elle ne se déplacera pas beaucoup car elle aura un cadre de travail généralement fixe (hôpital, cabinet, école ou lycée) mais répondant à certaines de ces obligations domestiques et au prestige social. Étant donné ce dernier, et dans le cadre d'une stratégie matrimoniale, celle-ci aura de fortes chances de s'élever dans la hiérarchie sociale par un "bon mariage".

Or, l'ingénierie, les sciences exactes pour ne citer que cela, demandent une concentration continue et n'ont pas grand rapport avec la vie du foyer. La femme qui suivra ces branches aura failli à son propre rôle. C'est pour cette raison que le choix des filières se fait dans ce sens-là, sauf quelques exceptions qui confirment la règle. Dans certains cas, les parents poussent ou obligent leurs filles à choisir ces branches sous la menace de les cloîtrer à la maison. De nos jours, les données ont été légèrement modifiées. Le nombre de filles dans les branches scientifiques a augmenté mais sans perspectives d'emploi.

Les efforts du développement socio-économique planifié ont nécessité la formation d'une force de travail qualifiée. Durant la décennie 1967-77, les effectifs de personnes poursuivant des études et stages dans les centres spécialisés de formation professionnelle sont passés de 5 630 en 1967 dont 300 filles à environ 20 000 en 1978dont 2 700 filles. Cependant, dans les Instituts de Technologie de la Santé Publique et les Écoles paramédicales - secteur social qui a attiré dans tous les pays un très grand nombre de femmes -, les effectifs des stagiaires ont évolué en faveur de la population féminine. En effet, le nombre de ceux-ci dans les établissements de la santé publique a augmenté de 1 086 en 1967 dont 240 filles à près de 6 500 en 1978parmi lesquelles figurent 3 500 filles. Le taux des filles stagiaires s'est donc accru de 22,22 % à 53,84 %.

Globalement, durant la période 1967-1978, l'effectif des diplômés de tous les systèmes de formation professionnelle totalisa 229 470 personnes dont environ 6 500 filles seulement. Cela a amené les auteurs d'un document officiel à avancer : "ce qui nous donne un taux de féminité de l'ordre de 4 %, taux très faible eu égard à la population algérienne scolarisée" 165(*).

En somme, le paradoxe de l'Algérie réside dans le fait qu'elle a le taux le plus élevé de la scolarisation des filles dans le monde arabe. Mais, elle a le taux le plus bas d'activité féminine. En effet, la part de la femme dans la force de travail dans six pays arabes a évolué de la manière suivante entre les années 1996 et le début des années 1998 :

La part de la femme dans la force de travail dans un monde arabe 166(*)

PAYS

Année

%

Année

%

Egypte

1966

4,2

1983

5,9

Kuwaït

1970

5,2

1980

10,7

Syrie

1970

10,0

1979

8,0

Liban

1970

9,5

1975

9,7

Yémen (Sud)

1975

5,6

1979

8,0

La proportion des femmes occupées (âgées de 15 à 65 ans) dans les pays développés, membres de l'O.C.D.E., passe de 45 % en 1960 à 52 % en 1980. Or, en Algérie, jusqu'en 1991, le taux brut d'activité des hommes était de 40,93 % et celui des femmes ne s'élevait qu'à 3,64 % !

L'écrivain marocaine, Fatima Mernissi, a eu raison de déclarer que les peuples arabes aujourd'hui ne comptent pas 200 millions (1995) mais seulement 100 millions car la population féminine n'en représente qu'une moitié paralysée par les traditions archaïques. La société néopatriarcale arabo-islamique lui paraît comme une entité composée de mâles.

"Le système tout entier a été, organisé de façon à permettre aux hommes, dans la société, de disposer de la moitié féminine de la population comme ils le feraient avec leurs autres possessions... " 167(*).

A- L'EFFECTIF FÉMININ DANS l'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN 1992-93 (en graduation)

À la rentrée universitaire 1992-93, le nombre des étudiantes a progressé de 88 883 en 1991-92 à 102 245 en 1992-93, soit un accroissement de 15,1 % par rapport à l'ensemble des inscrits en graduation, l'effectif qui représentait 40,2 % en 1991-92 a atteint 42 % en 1992-93. Elles se répartissent ainsi : 86,6 % étaient inscrites dans le cycle long et 13,4 % dans le cycle court (le niveau 5 qui forme des techniciens supérieurs en 2 ans).

TABLEAU N° I : Structure des étudiantes inscrites en graduation par filière et par niveaux d'études en 1992-93 168(*)

FILIÈRE

Niv. 6

Niv. 5

Niv. 4

%

Sciences exactes

9 164

8 406

9 164

9,0

Sciences appliquées

903

----

903

0,9

Technologie

18 183

8 406

26 589

26,0

Sciences médicales

10 934

----

10 934

10,7

Sciences vétérinaires

1 519

110

1 629

1,6

Sciences de la nature

6 785

1 387

8 172

8,0

Sciences de la terre

1 969

207

2 176

2,1

Sciences économiques

5 092

2 614

7 706

7,5

Sciences commerciales

866

554

1 420

1,4

Sciences juridiques

7 484

----

7 484

7,3

Sciences politiques

655

----

655

0,6

Sciences de l'information

906

----

906

0,9

Sciences sociales

7 913

454

8 367

8,2

Sciences islamiques

1 946

----

1 946

1,9

Lettres arabes

4 832

----

4 832

4,7

L.V. étrangères

8 511

----

8 511

8,3

Interprétariat

851

----

851

0,8

On remarque une hausse des inscriptions dans les filières de technologie cycle court qui voient leurs parts par rapport à l'ensemble des inscrites en graduation évoluer entre 1991-92 et 1992-93 de 7,5 % à 8,2 %. Ce tableau 1 indique qu'une légère augmentation a eu lieu en technologie (n° 6 et 5) passant de 25,1 % à 26 % entre 1991-92 et 1992-93, tandis que les parts des sciences exactes et sciences médicales ont connu un net recul baissant de 9,9 % et 12,7 % en 1991-92 à 9 % et 10,7 % en 1992-93 respectivement.

Cependant, 46,6 % des étudiantes de l'enseignement étaient inscrites dans trois grandes filières scientifiques et technologiques : technologie et sciences appliquées (26,9 %), sciences médicales (10,7 %) et sciences exactes (9 %). Ce progrès quantitatif prodigieux a été accompagné par l'arrêt du développement économique et social du pays par le régime du Président Chadli Bendjedid et ses collaborateurs prédateurs. Aujourd'hui, la plupart des diplômées de l'enseignement supérieur sont condamnées au chômage !

IV- DIFFÉRENCIATION DES TAUX DE SCOLARISATION

En effet, le recensement de 1987 a révélé l'accès différentiel à la scolarisation entre les filles et les garçons (âgés de 5 à 18 ans) à l'échelle nationale. Le tableau suivant résume cet état de choses.

Le taux de scolarisation différentielle entre les filles et les garçons

GROUPES D'ÂGES FILLES GARÇONS

10 ans 77,62 93,49

11 ans 73,86 92,22

12 ans 70,73 90,96

13 ans 65,47 87,36

14 ans 58,36 80,72

15 ans 53,35 71,70

16 ans 43,35 60,34

17 ans 33,89 46,92

18 ans 26,22 39,20

Ces inégalités sont plus accentuées dans le monde rural que dans les centres urbains. L'accès différentiel à l'instruction entre les deux sexes a entraîné des taux d'analphabétisme discriminatoires. En effet, en 1989, le taux d'analphabétisme était comme suit :

Les taux d'analphabétisme des femmes et des hommes comparés 169(*)

GROUPES D'ÂGES HOMMES FEMMES

10 - 19 ans 5,8 21,85

20 - 59 ans 44,4 65,97

60 ans 92,5 98,28

Les résultats de ces deux tableaux montrent la discrimination entre les filles et les garçons en raison de leurs sexes, ce qui les relègue à occuper une position inférieure dans la société particulièrement en tant que femmes au foyer. Ainsi, presque 100 % des garçons sont scolarisés dès l'âge de six ans contre 80 % des filles. Ce décalage persiste et s'aggrave encore dès l'âge de 12 ans, âge à partir duquel le nombre de filles qui fréquentent l'école diminue considérablement. Un tel phénomène s'explique principalement par deux facteurs essentiels :

q Le facteur distance : dès l'achèvement du cycle fondamental (de 6 à 15 ans), les filles sont orientées vers des établissements secondaires (et même moyens) éloignés de leurs domiciles entre lesquels n'existe aucun moyen de transport ;

q Le facteur culturel : les parents interviennent eux-mêmes dans le processus d'arrêt des études de leurs filles en raison d'appréhensions, de craintes exprimées ou ressenties à l'endroit (imaginaire), à l'honneur de la famille par la "faiblesse naturelle de la fille... " 170(*).

En effet, il suffit qu'une fille parle à un garçon pour que ses parents (le frère ou le père), avertis par des informateurs, l'obligent à ne plus sortir sans voile. En d'autres termes, ils la forcent à arrêter son instruction et la cloîtrent.

N'Fissa Zerdoumi a remarqué que :

Le voile qu'on impose encore à la petite fille de douze ans sur une grande partie du territoire algérien est comparable à la muselière qu'on met au chien pour l'empêcher de mordre. C'est le témoignage de la méfiance foncière dont elle est l'objet de la part de ses parents avant que le mari ne prenne le relais.

L'O.N.S. a révélé, en 1996, que l'analphabétisme touche encore 21,65 % des hommes et 43,02 % des femmes soit 4,11 millions de femmes âgées de 16 ans et plus. Les filles qui n'ont pas fréquenté l'école et celles qui ont été scolarisées pendant quelques années puis retirées du système éducatif finissent, en général, par être cloîtrées dans le domaine privé. Leurs mères les préparent alors pour remplir un jour leur fonction essentielle de génitrice, de ménage... au foyer.

A- L'ÉCOLE PAUPÉRISÉE

La croissance démesurée et désordonnée des effectifs et l'arabisation hâtive et mal préparée sont déterminantes dans la décomposition du système d'éducation et de formation mais elles n'en sont pas les seuls facteurs. On pourrait exposer en détail la faillite ou plutôt la liquidation de l'enseignement technique alors même "qu'on glorifiait cette formation" 171(*). Partie avec de belles ambitions et des orientations pleinement justifiées, l'Algérie, là encore, gaspille ses chances, mine ses potentialités et crée des situations sociales explosives.

Le système éducatif, non seulement n'utilise pas ses atouts, mais il suscite le plus fort potentiel d'antagonismes sociaux. Il détruit virtuellement des générations. Le message éducatif est réduit. Il est déformé parce qu'on a confié sa conception à des démagogues et à des falsificateurs. On accumule les erreurs scientifiques, les trucages de l'histoire, les visions réductrices, les préceptes pseudo-religieux...

Les anecdotes sont légion 172(*). La doctrine religieuse, souvent simpliste et déformée, envahit l'enseignement. On distille l'intolérance et le rejet des autres, quand ce n'est pas la haine 173(*). Dans ce flot de dérèglements, il y a évidemment des îlots de salubrité : des maîtres et des professeurs tentent de lutter, mais ils sont très minoritaires, des établissements réussissent à conserver un certain niveau grâce aux efforts de leurs dirigeants et ils sont assaillis par les parents en quête de débouchés pour leurs enfants.

Aujourd'hui, l'école algérienne rejette à la rue les garçons et confine les filles à la maison aux tâches ménagères. À peine un tout petit pourcentage 174(*) des enfants scolarisés dans le premier cycle franchirait l'obstacle du baccalauréat (11 %). Comment empêcher cette jeunesse, véritable graine d'insatisfaits, de se laisser séduire par ceux qui leur proposent la révolte contre l'injustice ?

Le nombre et l'arabisation se sont confortés mutuellement dans cette dynamique d'autodestruction. Le système éducatif produit maintenant en Algérie, comme on le sait, une grande masse de jeunes qui ne sont formés ni en arabe ni en français. À quoi s'ajoute l'amertume liée à la proximité géographique et médiatique de la France et de l'Europe en général ? Une petite élite, celle des fils de "nomenklaturistes" et de riches, qui sont souvent les profiteurs du désordre et de la corruption, tire son épingle du jeu grâce aux cours particuliers, à l'expatriation des enfants ou au choix des meilleurs établissements.

V- QUELQUES DONNÉES EN COMPARAISON AVEC LES PAYS VOISINS

En Algérie, l'instruction est pratiquement le capital le plus important dont disposent les femmes. Le principe de l'égalité sexuelle dans le droit à l'instruction est proclamé dans l'article 50 de la Constitution Algérienne. Les textes organisant le système éducatif garantissent l'instruction et son obligation sans discrimination de sexe durant les neuf années de l'enseignement fondamental (c'est-à-dire du primaire au collège).

Au plan juridique strict, les textes algériens, dont l'ordonnance de 1976 sur l'organisation de l'éducation et de la formation, sont conformes aux principaux instruments internationaux et, notamment, à la Convention Internationale des droits de l'enfant de novembre 1989 dans son chapitre "éducation". Les données disponibles révèlent des progrès réalisés dans les taux d'alphabétisation des femmes adultes et particulièrement dans les taux d'instruction des filles dans les différents cycles de scolarisation.

L'alphabétisation des femmes par rapport aux hommes ne dépasse pas le taux de 30 % en 1970 alors qu'en 1992, la population des femmes alphabétisées par rapport aux hommes a plus que doublé. Par ailleurs, au début de l'indépendance, les femmes alphabétisées ne faisaient partie que des familles aisées et cultivées, alors qu'en 1992, l'alphabétisation des adultes concerne plus de 45 % des Algériennes. En Kabylie, entre 1939 et 1968, beaucoup de villageoises étaient alphabétisées grâce aux missionnaires (soeurs blanches et pères blancs) notamment à Beni-Yenni (notre village natal, celui de l'écrivain Mouloud Mammeri), aux Ouadhias, à Michelet, à Aït-Hichem, à Beni-Douala... L'évolution des taux d'analphabétisme qui interviennent à partir des années soixante-dix signale une régression plus rapide chez les femmes jeunes (15-24 ans) en faveur du milieu urbain par rapport au milieu rural.

La comparaison des taux bruts d'alphabétisation des femmes maghrébines en 1992 fait ressortir un retard plus accentué chez les Marocaines et les Mauritaniennes par rapport à leurs voisines Tunisiennes et Algériennes qui se situent au-dessus de la moyenne des pays arabes, laquelle est de l'ordre de 40,7 % et en dessous du seuil des pays en développement qui est de l'ordre de 59,3 %. Ceci s'explique par l'importance des dépenses publiques en matière d'éducation plus soutenue en Tunisie et en Algérie qu'au Maroc et en Mauritanie.

Des données sur l'instruction des femmes et des filles sont assez révélatrices du développement des potentialités culturelles et éducatrices. Les taux de scolarisation des populations féminines au Maghreb sont de 60 % (en 1992), tous niveaux confondus, ils classent l'Algérie (pour les 6-11 ans : 85 %, pour les 12-17 ans : 79 % et pour les 18-24 ans : 60 %) et la Tunisie à égalité, puis vient le Maroc avec 35 %. En Mauritanie, par contre, seulement 27 % des femmes sont scolarisées.

L'évolution en croissance de la scolarisation des filles dans les différents cycles ainsi que les taux de scolarisation des populations féminines témoignent d'une réduction progressive des inégalités sociologiques. Toutefois, les disparités sexuelles persistent au fur à mesure que l'on monte dans la pyramide des âges. Les disparités sont plus accentuées en milieu rural et en fin de cycle secondaire.

À titre d'exemple, en 1992, dans le cycle primaire, on comptait :

q Algérie : 92 filles pour 100 garçons ;

q Tunisie : 90 filles pour 100 garçons ;

q Maroc : 71 filles pour 100 garçons ;

q Mauritanie : 76 filles pour 100 garçons.

Dans le cycle secondaire, les disparités entre sexes s'accentuent et donnent pour 1992 :

q Algérie : 78 filles pour 100 garçons ;

q Tunisie : 70 filles pour 100 garçons ;

q Mauritanie : 57 filles pour 100 garçons.

Dans le cycle supérieur, les écarts entre les sexes s 'accentuent durant le parcours scolaire entre les cycles primaire et supérieur :

q 47 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons en Mauritanie ;

q 28 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons en Algérie ;

q 22 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons en Tunisie ;

q 09 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons pour le Maroc.

Les déperditions scolaires féminines semblent plus importantes en Mauritanie, en Algérie et en Tunisie qu'au Maroc.

Ces données autorisent à dire qu'à partir de l'âge de 15 ans (fin de l'enseignement de base) et après la puberté des filles, les disparités entre les sexes se manifestent par un contrôle social et familial plus grand, a fortiori en cas d'insuffisance des résultats scolaires.

En Algérie, la pression démographique et le rejet scolaire lors du passage de la 9e année fondamentale (fin de la troisième des collèges) au cycle secondaire favorisent davantage les garçons que les filles.

Toutefois, les menaces, la situation sécuritaire et les pressions pour la séparation des sexes subies durant les années 1990-2000 ne sont pas faites pour encourager les études. Globalement, et malgré les potentialités éducatives et culturelles considérables, les filles algériennes ne jouissent pas d'une égalité de facto en conformité avec l'égalité de jure proclamée par la législation nationale relative au droit culturel. La réduction des écarts entre les sexes dans l'enseignement de base est présente en Algérie. Dans l'ensemble des pays maghrébins, les inégalités sociologiques s'accentuent avec l'âge, cependant, le Maroc est mieux loti en ce qui concerne la réduction des inégalités au niveau de l'enseignement secondaire.

Les évolutions des indicateurs sur la santé et l'éducation des femmes s'accompagnent de plus grandes opportunités dans les sphères publiques de la société. Elles se traduisent par une libération plus grande par rapport aux fonctions domestiques, en particulier pour les femmes âgées de 15 à 19 ans sous réserve de pouvoir poursuivre une scolarité et/ou une formation sans interruption. Le mariage et les charges familiales semblent constituer une entrave à l'égalité des chances dans les domaines économiques et publics.

CHAPITRE IV

LA FEMME ET LE TRAVAIL

I - LA FEMME / LA SOCIÉTÉ ET LE TRAVAIL

Pour comprendre la place occupée par le travail féminin dans la société algérienne, il faut partir de l'hypothèse selon laquelle à chaque forme d'organisation économique correspondent des formes spécifiques d'organisation de la famille que nous avons vu précédemment. La paupérisation de la société traditionnelle, la guerre de libération nationale et la scolarisation des filles ont déclenché un processus : trois éléments d'éclatement de la cellule familiale patriarcale, la venue de la femme au travail étant une donnée qui bouleverse la structure de la société traditionnelle. Une femme qui est en mesure de subvenir à ses besoins économiques est une femme déjà potentiellement libre, qui peut s'opposer avec beaucoup de chances de réussir au rôle qui lui est traditionnellement réservé.

La scolarisation des filles ouvre une brèche sur l'extérieur. L'école, porteuse de projets et de désirs multiples, a contribué à ce que le destin familial n'apparaisse plus comme inéluctable. La confrontation des deux univers (école et famille) est source de déchirements, d'instabilité pour la femme, une situation souvent traumatisante.

Le travail féminin est à considérer comme problématique, comme se situant dans une constante relation de subversion/neutralisation face à la logique patriarcale qui régit les rapports entre les sexes. Soutenir le contraire reviendrait à s'enfermer dans une approche économiste, donc mécaniste de la réalité sociale ; or, il est évident que cette réalité est très complexe et que les phénomènes y sont toujours très médiatisés. Comme cette référence aux changements intervenus dans l'économique, toute nécessaire qu'elle soit, s'avère insuffisante, c'est toute l'épaisseur, toute l'opacité du social qu'il nous faudra interroger.

Il est important d'analyser les incidences que le travail féminin rémunéré peut avoir sur le rapport entre l'espace privé et l'espace public et la manière dont se déroule sur le terrain de ces espaces la relation de subversion / neutralisation. Il est nécessaire de s'interroger sur ce que peut représenter pour les femmes cette possibilité d'accès à l'espace public, sur la manière dont se situe le travail féminin dans cette relation entre espace privé/espace public. C'est essentiellement l'accès des femmes à l'espace public qui semble pouvoir avoir un sens sociologique. Le travail féminin est un lieu charnière car il représente un lieu de chevauchement de deux espaces, il relève aussi du privé qui ne se réduit pas à la simple dimension économique mais met en jeu toutes les données (matérielles, mais surtout du symbolique).

Plus que le fait de sortir, ce que le travail des femmes introduit entre ces deux espaces, c'est une interpénétration régulière et répétitive, c'est cette régularité qui pourrait être porteuse d'effets nouveaux. En dehors des barrières culturelles et psychologiques à la promotion sociale de la femme, il y a également les barrières qui caractérisent le malaise de la société moderne. Le travail féminin est encore une bataille dure, une bataille menée contre toute une série de blocages où le sentiment de l'honneur masculin occupe la place centrale.

En effet, les femmes devenues travailleuses salariées (même si leur nombre est minime) se trouvent soumises à deux systèmes de normes, celui de la société industrielle au travail et celui de la société traditionnelle au foyer. Ceci peut expliquer le développement croissant des psychonévroses féminines en Algérie.

D'après les expériences de Pavlov,

"La maladie psychique s'installe par le biais de certains mécanismes, (...). La névrose serait due à l'incompatibilité entre la pression sociale et les possibilités étant le résultat de l'histoire spécifique de chaque individu, certains résistant moins que d'autres au conditionnement social" 175(*).

Tout ceci, me semble-t-il, s'explique par les incohérences idéologiques nées du passage d'un mode de production à un autre, c'est-à-dire d'anciennes formes de rapports de domination existant entre hommes et femmes à de nouvelles relations entre ces derniers. Cette phase transitoire nécessite tout un travail d'éducation basé sur l'obligation de dépasser les anciennes valeurs morales tel que le sentiment de l'honneur qui n'a plus sa raison d'être étant donné que les anciennes structures sociales. Ceci doit permettre la légitimation de nouvelles pratiques, surtout relativement à la place de la femme, dans la société nouvelle du point de vue du droit au travail, de la formation professionnelle, de l'accès aux postes de responsabilité, de la liberté de choisir son conjoint, de voyager, etc.

La destruction progressive des liens communautaires traditionnels qui aboutit à la famille nucléaire fait peser sur la femme travailleuse salariée le poids du travail domestique et du travail professionnel. Les décompensations sont particulièrement nettes et fréquentes dans les grandes villes où les possibilités de travail de la femme sont plus aisées et plus nombreuses.

Le travail à domicile n'est pas reconnu même si la femme se fait payer pour les services rendus (exemple des couturières, des femmes qui confectionnent des gâteaux, des poteries, des couvertures ou celles qui roulent du couscous). L'élévation du niveau de vie pousse, dans beaucoup de cas, des femmes à chercher une activité salariée à l'extérieur de leur domicile. Les maris qui aident leurs épouses à la maison sont considérés comme des faibles (par rapport à leur famille ou même leurs femmes).

Les femmes qui choisissent de faire une carrière professionnelle ne sont pas des "superwomen" en mal d'action. Si elles vivent à 100 à l'heure, ce n'est pas par obsession mais tout simplement parce qu'elles ne s'accommodent pas de facilités ou de demi-mesures, souvent, le choix s'impose comme une raison de vivre. Chercher le paradoxe dans ce monde dit évolué où la femme continue de subir dans le silence et la terreur tant d'injustices ! Les femmes sont battues, mutilées, violées, ne pouvant disposer de leur salaire, réduites au silence parce qu'elles sont femmes.

A- SITUATION INTERCULTURELLE

Le travail salarié des femmes a enraciné des transformations au niveau familial, les hommes et les femmes ont dû adopter de nouveaux rôles pour répondre aux nouvelles conditions de vie. Souvent, ces rôles sont en contradiction avec le système de valeurs traditionnel et avec le code du statut personnel qui puisent leurs fondements dans la religion musulmane. La territorialité sexuelle (espace domestique - espace public) ne pouvait plus être respectée. Les changements socio-économiques ont été également accompagnés par l'introduction des valeurs de la culture occidentale industrielle. Celles-ci sont véhiculées principalement par l'instruction.

"Elle a seulement atteint les jeunes générations qui, par-là même, se sont trouvées investies "de l'intérieur" par les valeurs, modèles et normes de la culture occidentale (...) lorsqu'elles ont reçu une instruction suffisante pour opérer une mise en question sérieuse des anciennes représentations" 176(*).

La situation interculturelle relative aux rôles de sexe est définie par deux éléments déterminants qui sont :

q Les changements socio-économiques et, partant, le travail salarié des femmes qui entraînent une transformation des rôles de sexe en contradiction avec le système de valeurs traditionnel;

q L'introduction d'un nouveau système de valeurs, véhiculé principalement par l'instruction et qui s'oppose aux modèles de la culture arabo-musulmane. Il y a divorce entre les situations vécues et les images de référence.

B- DIFFICULTÉS D'ACCEPTATION DU TRAVAIL FÉMININ

La colonisation et la politique d'industrialisation lancée par le gouvernement ont largement participé à la destruction des formes collectives de production familiales. La séparation du lieu de production et du lieu de résidence, le salariat, l'apparition d'un marché de travail... ont été quelques-uns des éléments qui ont participé à faire éclater progressivement la structure familiale traditionnelle. Aussi bien en ville qu'à la campagne, les femmes commencent à se présenter sur le marché du travail. Ce processus, qui n'est qu'à son début, nous donne une idée des lignes générales de l'évolution de la famille algérienne.

L'identité de l'homme dans la société traditionnelle se constitue autour de sa capacité à prendre en charge économiquement sa famille.

"Dans ce contexte, l'accès de la femme au marché du travail, sera perçu comme une démission du mari et un affaiblissement de son pouvoir, d'autant que ce pouvoir est défini en termes de contrôles et de droit de commander" 177(*).

Un homme dont la fille ou l'épouse ou la soeur exerce une activité salariée "n'est plus un homme", pour reprendre une opinion populaire courante. Être un homme, c'est donc disposer d'un pouvoir absolu sur les femmes, ce pouvoir étant lui-même conditionné par l'entretien économique de ces mêmes femmes. La femme vient-elle à vouloir participer à l'activité économique pour des raisons multiples et c'est l'identité même de l'homme qui s'en trouve menacée. Ne plus dominer mais établir des apports de respect mutuel et de reconnaissance totale et entière de l'autre, au lieu et place d'être perçu comme l'accès à des formes supérieures des relations humaines, est considéré comme une déchéance et une démission de l'homme.

On se demande où la peur de l'expression totale et entière de la personnalité de la femme va-t-elle chercher ses justifications irrationnelles ? Une femme qui travaille parce que n'étant plus dans l'obligation de dépendre économiquement de l'homme est plus à même d'entretenir avec ce dernier des relations d'égalité plus humaines et, certainement, plus épanouissantes pour les deux.

Ignorante de ses droits encore, le rôle de la femme au travail supposant à lui seul tout un apprentissage, elle demeure l'intruse qui subira toutes les vexations réservées aux femmes qui ont désobéi à la norme sociale.

Les hommes auxquels j `ai demandé leur opinion sur le travail féminin me disent leur étonnement à voir les femmes exiger de travailler :

"On ne comprend pas que les femmes veuillent travailler. Auparavant, elles ne subissaient que l'autorité du mari, actuellement, elles doivent subir également l'autorité de la hiérarchie professionnelle. On avoue que tout cela nous étonne car elles assument une double journée...".

Ce type de remarque explique, de mon point de vue, l'absence totale de compréhension de la place du travail féminin dans la société. Pourquoi l'autorité de l'époux serait-elle à mettre sur le même niveau que l'autorité hiérarchique ? Du reste, si les rapports entre époux sont de type affectif, on ne doit plus parler d'autorité. Si, par contre, l'époux exerce un rôle de commandement, on ne doit plus parler d'affection. Par ailleurs, les rapports de travail sont de "type rationnel légal" 178(*), codifiés par un contrat et une législation du travail. Ce genre de réflexion milite, à mon avis, pour la mise en place d'une législation qui codifie les nouveaux rapports d'égalité entre époux où les rapports de domination seraient à jamais exclus car étant indignes d'une société qui se veut démocratique. Mais, ceci ne sera possible que lorsqu'on cessera de considérer qu'échanger son autorité contre la satisfaction d'un besoin économique sera un déshonneur 179(*).

Un dicton populaire ne dit-il pas : "Il vaut mieux passer devant son ennemi affamé que nu", étant entendu que la faim peut se cacher et non la nudité (perte de l'honneur). La préservation de l'honneur passerait donc avant la satisfaction de la faim. En plus de la notion d'autorité qu'on retrouve dans la société traditionnelle, il y a aussi celle de la nécessité de dominer sa faim pour être un homme, ceci caractérisant une société pauvre où les ressources sont rares. Or, la lutte pour le développement économique est, aujourd'hui, un choix politique fait par l'Algérie et il n'y a aucune honte à ce que les femmes y participent comme elles ont participé hier à la lutte de libération nationale.

D'autre part, la seule raison économique ne peut être l'explication du droit au travail que réclament les femmes. Pour une femme, travailler, c'est également s'épanouir, sortir du monde clos de la maison et de ses tâches ennuyeuses et monotones, échanger son travail contre un salaire qui la valorise, participer à l'oeuvre d'édification d'une société moderne, s'insérer socialement pour ne pas rester marginale. Les femmes qui travaillent dans divers secteurs, notamment industriels, subissent des vexations, des pressions et des harcèlements sexuels qu'elles passent sous silence par peur de perdre leurs emplois ou de se retrouver à la maison. Pourtant, l'article 8 du statut général du travailleur doit prévoir ce genre de situation très courante quand il stipule :

"La loi garantit la protection du travailleur dans l'exercice de ses fonctions ou l'accomplissement de ses tâches contre toute forme d'outrage, de diffamation, de menace, de pression ou de tentative visant à l'inféoder".

En effet, les hommes étant toujours prisonniers de l'ancienne représentation de leurs rapports aux femmes, le travail féminin est encore une bataille dure, bataille menée par les femmes seules contre toute une série de blocages où le sentiment de l'honneur masculin occupe la place centrale.

C- DYSFONCTIONS CARACTÉRISANT LA SOCIÉTÉ DE TRANSITION

Quels sont les effets des dysfonctionnements caractérisant la société de transition sur le travail féminin ?

La destruction progressive des liens communautaires traditionnels qui aboutissent à la famille nucléaire fait peser sur la femme travailleuse salariée le poids du travail domestique et du travail professionnel. L'épouse se trouve aujourd'hui souvent responsable de l'ensemble de ces tâches. Parallèlement, la femme se met à prendre en charge une série de démarches administratives : le paiement des factures, l'accompagnement des enfants chez le médecin, etc. Ceci n'est nullement accompagné par le développement de l'utilisation d'appareils électroménagers qui pourraient rendre les tâches domestiques plus aisées ou de crèches et de garderies d'enfants.

D'autre part, les modes de consommation n'ont pas varié, les femmes continuant à préparer des conserves, des confitures et des repas nécessitant une longue et minutieuse préparation, l'utilisation de repas tout prêts étant pratiquement inexistante. Ainsi, outre les tâches professionnelles, les femmes qui travaillent s'occupent de certaines tâches du mari et du ménage. C'est pourquoi, "la double journée" dénoncée par les femmes travailleuses dans les sociétés industrielles, est en Algérie plus lourde qu'ailleurs.

M. Boucebci note, dans son étude Travail féminin et décompensation psychiatrique, que :

"Il faut noter que les villes représentent le milieu le plus pathogène, compte tenu des problèmes liés :

q À la difficulté d'être une femme vécue comme émancipée par les autres ;

q Aux difficultés dues à l'éloignement très fréquent entre le lieu de travail et l'habitat ;

q Aux contradictions entre la nécessité d'aller travailler et celle d'assurer son rôle de mère d'une famille souvent nombreuse ;

q Aux aléas propres au type de travail qu'elle assure;

q Aux différents stress d'une vie moderne et trépidante à laquelle elle n'a, dans la plupart des cas, pas été préparée.

Ces éléments pathogènes sont majorés par l'absence ou l'insuffisance de structures sociales destinées à aider la femme qui travaille" 180(*).

Partant de ceci, Boucebci nous dresse un tableau des aspects cliniques, des décompensations névrotiques des femmes travailleuses : crises expresso-émotives et crises nécropathiques, réactions dépressives, réactions suicidaires, mélancolie... Les pourcentages sont effarants : 56 % d'états névrotiques et 35 % d'états psychotiques, le reste variable 181(*).

Comment les femmes pourraient-elles participer à l'effort de développement économique alors qu'elles restent exclues de l'activité de production ? D'autre part, pourquoi en seraient-elles exclues ? Combien même le travail domestique serait considéré comme indirectement productif dans la mesure où il participe à reproduire la force de travail du mari et des enfants, il ne permet pas l'insertion sociale réelle de la femme en raison de la séparation des foyers qui n'autorise pas la prise de conscience réelle des problèmes sociaux que seule la participation à l'activité directe de production et le rassemblement de nombreux travailleurs dans le milieu unique de travail.

Notons que le vieux mépris des discussions féminines qui se limiteraient aux vêtements et au maquillage, résultat de cet enfermement du foyer, est fait par ceux-là mêmes qui s'opposent au travail féminin.

L'élévation du niveau de vie pousse, dans beaucoup de cas, des femmes à rechercher une activité salariée pour participer aux dépenses du foyer, le seul salaire du mari devenant rapidement insuffisant. D'autre part, beaucoup de femmes veuves ou divorcées se trouvent dans l'obligation de travailler pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Notons également le nombre important de femmes issues d'une famille nombreuse et qui doivent travailler pour aider le père chômeur, sous-payé ou à la retraite. Beaucoup de jeunes filles exercent une activité salariée et l'arrêtent au moment du mariage, le but étant de se constituer un trousseau.

E- POSTES DE TRAVAIL OCCUPÉS PAR LES FEMMES EN ALGÉRIE

Les postes de travail occupés par les femmes varient selon le niveau scolaire ou de qualification qu'elles ont obtenu et l'offre de travail qui leur est faite. Ainsi, à la base, on trouve les ouvrières, veuves, divorcées, femmes d'ouvriers ou de chômeurs. La disparition progressive des métiers traditionnels de fileuses, accoucheuses, guérisseuses, masseuses (dans les bains maures)... se fait au profit du poste de travail dont l'organisation est basée sur une législation du travail et où ces femmes sont assurées d'avoir un salaire stable et divers avantages sociaux comme les allocations familiales, la sécurité sociale, la pension de vieillesse.

Néanmoins, la majorité d'entre elles ne bénéficient même pas du SMIG ; certaines sont classées vacataires des années durant, ne sont pas touchées par les augmentations du salaire de base et ne perçoivent aucune sorte de primes ; d'autres font l'objet de licenciements arbitraires et subissent toutes les vicissitudes de l'instabilité de l'emploi ; d'autres encore, malgré le principe énoncé par la Charte Nationale : "Travail égal, salaire égal", continuent à percevoir un salaire inférieur à celui de l'homme qui occupe la même fonction qu'elles.

Ainsi, dans l'échelle de classification des postes de travail, les femmes de ménage sont généralement classées à l'échelle 01 alors que les laveurs de vitres et les agents de service sont à l'échelle 02, étant entendu que ces métiers sont réservés aux hommes ; d'autre part, les postes de responsabilité dans ces métiers sont l'apanage des hommes. Ceci en ce qui concerne les travailleuses qui se trouvent au niveau le plus bas de l'échelle de classification des postes de travail. Au niveau moyen, les femmes occupent plus particulièrement les métiers paramédicaux, ceux du secrétariat et de l'enseignement où les possibilités de formation professionnelle ou de promotion sont les plus réduites. Quant au niveau supérieur, les femmes sont professeurs, chercheurs, chargées d'études, médecins, juristes, etc.

F- COMPORTEMENTS DES HOMMES VIS-À-VIS DES TRAVAILLEUSES

En tout état de cause et dans la grande majorité des cas, les femmes restent cantonnées dans les métiers dits féminins, ceci étant d'autant plus étonnant qu'en règle générale, les femmes sont relativement plus diplômées que les hommes. D'autre part, notons la difficulté que rencontre la femme à se donner une identité nouvelle de femme travailleuse. Ceci vient du fait que la jeune femme qui exerce une activité salariée n'a d'autre image d'identification que sa propre mère analphabète dans la très grande majorité des cas. Ceci constitue, pour elle, un handicap énorme, car elle doit créer de toutes pièces un comportement nouveau.

L'ouvrière se trouve, par exemple, très nettement désavantagée par rapport à son collègue masculin. Si tous les deux, issus de la campagne, doivent apprendre des notions d'efficacité, de régularité, de productivité, de rentabilité, de temps, d'utilité de chaque geste propre aux modalités industrielles de production, l'homme le fait beaucoup plus rapidement car il a déjà vécu dans la vie publique et a déjà eu l'occasion de participer directement à des activités de production et de commercialisation. La femme, dont toute l'éducation a consisté à lui faire plier le corps, à s'humilier, à se taire, à répéter les mêmes gestes, dont les connaissances se limitent à la vie domestique, qui se déplace dans l'espace limité de la maison, est nettement plus handicapée. Elle doit apprendre à vivre dans un lieu public, un lieu de production de surcroît, sérier ses gestes, les rendre utiles, s'insérer dans la hiérarchie. Et ceci n'est pas simple du tout car il demande toute une mutation psychique assez douloureuse.

D'autre part, elle se trouve soumise à des pressions sociales très fortes - le rôle de femme travailleuse étant un rôle nouveau -, pressions venant aussi bien de sa famille (qu'elle soit jeune fille, femme divorcée ou veuve) que du quartier où elle réside. L'ancien respect dû à la fille du quartier semble ne plus s'appliquer. Mais, dans cet environnement, même l'attitude du milieu féminin est ambivalente : à une admiration sans limites pour cette femme qui a osé "relever la tête" et réaliser les espoirs secrets des non-travailleuses.

Cependant, ne plus être une simple génitrice, un objet de marchandage lors de l'établissement des alliances matrimoniales, aide énormément la femme travailleuse à s'adapter à cet univers de travail, lequel devient parfois, un moyen de libération. et lui donne ainsi une vision de son utilité sociale par opposition à l'impression d'inutilité de son existence ressentie par la femme non-travailleuse.

Elle a un salaire qui valorise son travail et, pour la première fois de sa vie, sa sueur est récompensée et lui permet de ne plus éduquer ses enfants dans la perspective qu'ils lui viendront plus tard en aide matériellement. Ceci a une conséquence très importante dans l'évolution psychoaffective de la femme algérienne. Elle a une propriété : sa force de travail et son salaire alors qu'auparavant, elle possédait au mieux son linge et pouvait être répudiée sur une simple saute d'humeur de son mari... Si elle fait l'expérience de l'humiliation du travail à la chaîne, elle découvre aussi la force de l'union entre femmes qui peut faire fonctionner ou bloquer toute une chaîne de production alors que la vie domestique oppose les femmes dans une compétition stérile.

Quant à la femme travailleuse exerçant une activité intellectuelle et qui a dû suivre plusieurs cursus (employée de bureau ou cadre), son éducation scolaire l'a plus ou moins préparée à affronter la vie publique. Cependant, elle rencontre un problème réel quant à la reconnaissance effective de ses compétences. D'ailleurs, une femme est généralement à un poste inférieur à celui qu'elle peut valablement occuper car il est encore difficile, pour l'homme algérien, de reconnaître la compétence réelle d'une femme au niveau du travail. Quand elle est mariée, le problème est encore plus ardu. Son mari ne comprend pas qu'ayant eu tous les deux une journée épuisante, il est normal que, revenus à peu près à la même heure au foyer, il doit l'aider dans les travaux domestiques qui sont aussi fatigants que les travaux de bureau. Si cela arrive, il le fait comme s'il s'agissait d'un simple service rendu à sa femme.

Quand on pose la question aux hommes sur cette situation, ils répondent :

"On veut bien aider nos femmes, parfois, quand elles sont malades ou fatiguées... nous pouvons préparer des frites ou une omelette... mais il ne faut pas que cela devienne une obligation, une habitudes, sinon... et puis, c'est une obligation pour la femme... c'est naturel...".

Pourquoi la femme pourrait-elle être travailleuse, mère et ménagère et l'homme ne serait-il que travailleur ? La femme serait-elle supérieure ? Ils répondent : "Les femmes, quand elles sont aidées par leurs maris, c'est une faiblesse...". C'est, par conséquent, toujours l'obsession de faiblesse qui motive l'homme, la société imposant à l'homme d'être toujours fort, transformant ainsi le foyer conjugal en un champ de bataille à moins que les hommes ne veuillent participer aux travaux domestiques, simplement en raison de leur paresse et parce qu'il y a toujours une femme disponible pour faire leur travail à leur place.

Tous ces aspects font que la femme manifeste, généralement, peu d'ambition au travail : comment en serait-il autrement quand les activités domestiques lui consomment toute son énergie ? Mais, ce refoulement se traduit par la frustration qui a des conséquences directes sur sa productivité au travail et une certaine agressivité inconsciente vis-à-vis de son époux et de ses propres enfants.

Le travail fait entrer les femmes dans un processus qui accentue les contradictions entre les sexes. En fait, les femmes sont constamment perçues dans le monde du travail comme une infraction à la règle de la distinction des sexes et de la séparation des espaces. Elles sont là où elles ne devraient pas être. Le "mais vous êtes des hommes !" est un compliment pour une femme qui exerce un emploi plus au moins prestigieux. C'est aussi une manière de lui dire qu'elle est là où elle ne devrait pas être, qu'on ne distingue plus les hommes des femmes.

Ainsi, moins une femme peut être reconnue comme femme dans le travail ou dans l'espace public en général, plus elle inquiète les hommes, plus elle-même expérimente l'injustice qu'elle subit comme être sexuée. Ramenée sans cesse à son être naturel, elle souhaite être reconnue comme être humain neutre.

"(...) La situation de la femme est devenue tellement insoutenable qu'elle pose le problème du droit à la simple considération que peut exiger un être humain" 182(*).

Le travail rompt avec la règle coranique légitimant la domination des femmes par leur entretien. L'apport du salaire remet en cause la hiérarchie entre les sexes, les représentations de l'autorité et de l'honneur. Accepté comme une nécessité économique qui ne peut s'avouer comme telle car elle est honteuse (sortir pour "faire de l'argent", c'est se prostituer) ou loué par les progressistes comme moyen de libération, le travail des femmes met toujours mal à l'aise 183(*). Afin de se protéger de toutes les transgressions qu'il entraîne, il déclenche chez les hommes une surenchère d'autorité, voire d'agressivité compensatrice, il entraîne moins un accroissement des droits des femmes qu'une multiplication de ses devoirs. De plus, elle se sent culpabilisée comme mère et épouse.

Parlant de cette culpabilisation et des effets pathologiques qu'elle entraîne, Houria Sahli (psychiatre) souligne la difficulté existentielle qui est liée aussi bien à l'acceptation du conformisme (qui aliène) qu'à son refus (qui marginalise) :

"Nous sommes toutes des équilibristes sur la corde raide qui sépare la conformité de la marginalité ; or, nous ne le voulons ni l'une ni l'autre et nous sommes épuisées de la tension que crée la corde raide" 184(*).

Tout se passe comme si la femme qui travaille, surtout si son métier lui donne du prestige ou de l'autorité, et exige un savoir qui lui laisse espérer avec un certain poids dans la société, était contrainte à nier elle-même son propre travail et les effets positifs qu'elle peut en attendre. Si elle a déjà beaucoup de mal à se faire valoir dans la sphère professionnelle, elle ne tire aucun prestige social de sa compétence et de sa valeur professionnelle (par contre, elle peut en tirer une valeur marchande, exiger une dot importante).

En dehors de son travail, dans ses relations avec les hommes, elle reste une femme, la fille d'un tel. La non-mixité n'en est pas ébranlée. Si les espaces ne sont pas séparés, les conversations le restent ; il en est des spécifiques aux hommes par nature (la politique, par exemple) et pour lesquelles une femme ne peut, par nature, avoir aucune compétence. C'est un véritable effet de déréalisation de l'existence sociale de la femme instruite.

"Dans le cas du travail féminin, (...) on prescrit qu'il lui faudra s'effectuer de manière à ne mettre nullement en question les rôles spécifiquement assignés à celle-ci (d'épouse, de mère, de maîtresse de maison) et plus encore les valeurs d'"honneur"...(...), l'idéal étant que l'entourage de la travailleuse ne s'aperçoive pas qu'elle exerce une profession, ne sente aucune différence entre elle et la femme au foyer" 185(*).

Le problème fondamental que rencontre le changement de statut de la femme est son caractère transgressif et de violation des règles sacrées de l'honneur transposées dans la société islamique en règles religieuses. La transgression est d'autant plus forte que la femme exerce une profession prestigieuse. L'autorité dont elle menace de s'investir la transforme en homme. C'est donc elle qui subit le plus grand effort de déréalisation. Face à cette transgression, c'est la société tout entière qui est devant la nécessité de recomposer ses règles de vie, faire du nouveau avec de l'ancien, redéfinir les codes de différenciation entre les sexes sans lesquels il n'y a plus de société mais un mélange de pur et d'impur.

G- LES SECTEURS D'ACTIVITÉS FÉMININS ET LES CHIFFRES

"Sur une population de 26 millions de personnes (28,9 millions à l'heure actuelle), la population active est de 5 891 000, soit un taux d'activité de 24 % inégalement réparti selon le sexe car il est de 43 % pour les hommes et de 4 % pour les femmes qui sont techniciennes de la santé (44,5 %), enseignantes (38 %) et employées d'administration (18 % )" 186(*).

Le secteur public englobe 85, 9 % et le secteur privé 14 %. Il reste évident que les préjugés constituent l'un des principaux facteurs explicatifs de cette situation. Nonobstant l'appel fait par l'ensemble des textes à caractère doctrinal (les différentes chartes de l'Algérie indépendante) et à caractère juridique (les différentes constitutions et lois) sur la participation de la femme à l'édification du pays, peu de femmes ont accédé à des postes de commande de la vie publique : ministres, députés, ambassadrices, P.D.G. de sociétés, même si certains métiers, réservés jusque-là aux hommes (armée, douane et police), ont commencé à être investis par les femmes ("les femmes ont subi le baptême de feu", comme disent certains responsables).

D'ailleurs, il est caractéristique d'observer que près de la moitié de la population active féminine est constituée par des femmes divorcées, séparées et veuves. La demande féminine d'emploi prendra une part de plus en plus importante. Elle est estimée à 220 000 entre 1985 et 1989, à 348 950 entre 1990 et 1994, à 538 550 entre 1995 et 2000 ; soit un total de 1 108 300.

La vision déterministe de l'économie ne saurait, à elle seule, expliquer cette situation car le facteur sociologique s'y adjoint, tel un frère siamois, par la tentative de mettre fin à "l'idéologie patriarcale" à travers la scolarisation de la gent féminine qui doit, sans conteste, "négocier" en permanence son rôle dans la vie sociale.

II- LE TRAVAIL SALARIÉ FÉMININ ET SON ÉVOLUTION

Le travail salarié féminin a commencé, en Europe, avec l'émergence du capitalisme. En Algérie, durant la période d'accumulation primitive du capital, les Français ont, non seulement exproprié des terres, mais aussi libéré une force de travail dont le développement de la colonisation avait fort besoin. La paupérisation des populations rurales et urbaines a contraint beaucoup de chefs de famille à vendre leur force de travail, d'abord, au pays et, ensuite, en Europe afin qu'ils puissent subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Ce même phénomène de paupérisation et les effets désintégrateurs résultants a provoqué le processus de prolétarisation des femmes algériennes.

A- L'APPARITION ET LE DÉVELOPPEMENT DU SALARIAT FÉMININ

À partir de la fin du XIX ème siècle, un prolétariat rural aussi bien qu'urbain a pris naissance en Algérie. Son nombre s'est accru progressivement au courant du XIX ème siècle. En 1925, les femmes employées dans le secteur industriel totalisaient 25 291 dont 24 557 dans l'industrie textile 187(*). En outre, plusieurs milliers d'entre elles travaillaient comme cuisinières ou femmes de ménage chez la bourgeoisie autochtone et surtout européenne ou en tant qu'ouvrières chez les grands propriétaires terriens.

J.-P. Charnay, qui a étudié les conflits maritaux en Algérie entre 1900 et 1954, a remarqué que :

"Les travaux agricoles autorisent une plus grande liberté, encore que certaines vendangeuses travaillent, un bout du haïk retenu entre les dents pour cacher leur visage".

À la ville, la femme de ménage que les Européens appellent la "mauresque", plus vulgairement la "Fatma", est souvent une paysanne récemment arrivée de la campagne car les citadines, si elles sont de familles pauvres mais "honorables", ne se "placent" pas chez l'Européen, elles effectuent divers travaux (tissage, cuisine...) pour les riches familles musulmanes : femmes de ménage, ouvrières agricoles..., vendangeuses, cueillette des olives, des oranges, récoltes des fleurs à parfum 188(*). En dépit du manque chronique d'emploi, ce prolétariat féminin a continué d'augmenter durant les années 1930 et 1940 et le début des années 1950.

TABLEAU N° 1 : Modification du taux d'activité entre 1954 et 1966 189(*)

 

1954

1966

ÂGES

HOMMES

FEMMES

HOMMES

FEMMES

15-19

60,1

42,0

65,7

3,7

20-24

98,8

42,1

93,4

3,6

25-29

99,0

42,7

96,2

2,6

30-34

98,4

42,3

96,0

2,4

35-39

98,4

42,1

96,0

2,5

40-44

99,2

42,9

94,9

2,9

45-49

98,1

43,1

93,5

3,0

50-54

97,7

44,5

90,4

3,3

55-59

96,1

41,9

85,5

3,2

60-64

95,8

40,0

73,8

2,6

65-69

92,1

34,4

45,8

2,0

70 et plus

70,7

7,8

32,1

1,4

En 1954, le nombre des femmes occupées a été évalué à 1 110 400 comparé à 2 142 417 hommes. Le taux apparemment élevé de la participation des femmes aux activités économiques est dû au fait que la population féminine agricole a été considérée comme occupée. Quand les femmes n'ont pas été incluses dans la catégorie "aides familiales" de l'agriculture dans le recensement de 1966, leur taux d'activité a très nettement baissé.

Le tableau n° 2, ci-après, illustre la décroissance du taux d'activité entre 1954 et 1966 due au fait que les autorités algériennes ne comptaient plus les femmes comme "aides familiales du secteur agricole traditionnel parmi la population active". En 1966, les ménagères et aides familiales rurales étaient classées dans la catégorie des "inactives".

En excluant ces aides familiales du secteur agricole, le taux d'activité par sexe et groupe d'âge a évolué entre 1950 et 1970 de la manière suivante :

TABLEAU N° 2 : Taux d'activité de la population par sexe et groupe d'âge entre 1950 et 1970 190(*)

 

1950

1954

1960

1963

1970

H

F

H

F

H

F

H

F

H

F

10-14

28,87

2,15

24,44

1,90

20,00

1,65

17,38

1,48

14,75

1,31

15-19

78,21

2,60

74,11

2,71

70,00

2,22

65,99

2,82

61,98

2,81

20-24

95,00

2,40

94,90

2,63

94,79

2,85

93,38

2,98

91,96

3,68

25-44

92,14

2,40

94,90

2,49

96,17

2,58

95,94

2,63

95,71

2,68

45-54

9,47

3,30

95,41

3,20

94,34

3,10

94,10

3,09

93,77

3,08

55-64

94,50

3,20

91,95

3,13

89,40

3,05

88,18

2,95

86,95

2,44

64 et plus

71,45

1,90

63,38

1,75

55,30

1,60

51,91

1,46

48,51

1,31

On constate la faiblesse frappante du nombre de femmes salariées. Cependant, un très léger accroissement du taux d'activité féminine pour les groupes d'âge de 15 à 44 ans a eu lieu, d'une date à une autre.

Selon un document officiel, cette "évolution est le résultat de l'instruction des femmes, l'urbanisation et le processus de développement". Or, si on examine la réalité de près, on relèvera l'ambiguïté du discours officiel qui semble bien intentionné mais creux 191(*). Le taux global officiel de la croissance de l'emploi féminin n'était que de 0,7 % en 11 ans et de 7,6 % entre 1977 et 1982. Mais, étant donné la croissance démographique de la population féminine, cela indique non seulement une stagnation générale, mais aussi une régression évidente.

En Algérie, comme dans beaucoup de pays, la majorité des femmes est concentrée dans les secteurs non productifs. En 1966, 62,2 % des femmes étaient employées dans les services, passant à 75 % en 1977 et 79 % en 1982.

Selon les résultats d'une enquête réalisée en 1982 par l'O.N.S., en cinq années, l'effectif féminin employé dans le secteur des services fournis à la collectivité (administration, enseignement, santé, etc.), a plus que doublé (+ 11,2 %). C'est ainsi qu'en 1982, nous enregistrons 71 605 enseignantes, soit un taux de féminisation de la profession de 35,8 % et 14 897 comme personnel médical et paramédical, soit un taux de féminisation de 35,3 %. Pour les autres services, l'augmentation est de 51,8 % (banques, assurances, hôtellerie, coiffures, etc.).

B- LA STAGNATION DE L'EMPLOI FÉMININ DURANT LES DEUX PREMIÈRES DÉCENNIES DE L'INDÉPENDANCE

Même si les données statistiques ne reflètent que la moitié des femmes réellement occupées, étant donné le fait qu'un très grand nombre d'employeurs privés ne déclarent point leurs employées, la participation de la femme dans l'économie nationale demeure très faible. En effet, en 1982, 83,4 % des femmes étaient occupées dans le secteur étatique(contre 78,7 % en 1977) 192(*).

Contrairement à ce que nous pouvons espérer et malgré deux décennies de développement économique et social, l'évolution quantitative de l'emploi féminin entre 1966, 1977 et 1982 est demeurée très insignifiante. Pendant ce temps, la population totale, où les femmes représentent 50,3 %, a augmenté de 5 millions. Ce faible taux de participation dans la vie active pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'avenir du développement socio-économique du pays qui possède l'un des taux les plus élevés de croissance démographique dans le monde. La population occupée résidente, pendant la moitié de l'année 1967, a été estimée à 2,3 millions de personnes et de 3,5 millions à la même période en 1978.

Ces faibles taux d'activités s'expliquent par la jeunesse de la population et la très faible participation des femmes à la vie active. "Cette situation entraîne la lourde charge de quatre personnes inactives en moyenne en 1978 par actif (4,5 en 1967)" 193(*). La création de l'emploi a progressé pendant toute cette période. Durant le plan triennal 1967-1969, une moyenne annuelle d'environ 89 000 postes de travail a été créée ; pour le premier plan quadriennal 1970-1973, elle était de 99 000 et pour le second plan quadriennal de 1974-1977, de 120 000.

Selon l'O.N.S., le nombre de personnes employées est passé de 1 720 000 en 1965 à 2 830 000 en 1978 et à 4 137 7365 (dont 365 094 femmes) en 1987, soit une augmentation de près de 1 110 000 ou 64,5 % entre 1966 et 1978.

L'effectif des femmes officiellement employées n'a subi qu'un accroissement de 47 786 entre 1966 et 1977, ajouté aux 42 000 partiellement occupées, et de 106 553 entre cette dernière date et 1982. En effet, le nombre de femmes occupées est passé de 94 511 lors du recensement de 1966 à 138 234 lors de celui de 1977, soit des taux d'accroissement annuels moyens de 3,5 % entre 1966 et 1977 et de 10,2 % entre 1977 et 1987 194(*).

En outre, même quand les femmes surmontent les oppositions tacites ou ouvertes, officielles ou familiales pour travailler, une fois employées, elles subissent une discrimination au niveau des salaires qui sont généralement inférieurs à ceux des hommes. Ainsi, en 1973, le salaire moyen des femmes était de 750 dinars, tandis que le salaire moyen des hommes était de 898 dinars 195(*).

La pratique discriminatoire implicite ou explicite à l'encontre de l'emploi de la femme est révélée par le taux très élevé du chômage parmi les cadres féminins. En effet, en 1993, sur les demandes d'emploi non satisfaites, on relève 154 cadres dont 95 femmes, soit 61,6 % des candidats au travail 196(*). Cela est grave dans un pays qui est caractérisé par un besoin pressant de cadres techniques. Le recensement de 1987 révélera l'aggravation du chômage parmi les femmes. En effet, le nombre de femmes à la recherche d'un emploi est estimé à plus de 85 000 au milieu de l'année 1989 (dont 12 000 ayant déjà travaillé).

Quant aux catégories socioprofessionnelles les plus féminisées, il y a les Techniciens de la Santé (44,5 % de femmes soit 28 782), les enseignants du fondamental (38 % de femmes, soit 98 089), les employés administratifs (8 % de femmes, soit 70 769). Les cadres supérieurs (17,7 % de femmes, soit 25 484)... 197(*). Cela est dû à l'amélioration de la qualification de la main-d'oeuvre féminine.

Les femmes hautement qualifiées rencontrent beaucoup plus de difficultés à obtenir des emplois adéquats.

"( ...), le problème du chômage existe. Lorsqu'il y a un emploi, faut-il l'attribuer à l'homme ou à la femme ? Faut-il laisser l'homme à la maison et permettre à la femme de travailler ? C'est là le problème" 198(*).

L'arrêt de l'effort d'investissement par le régime de Bendjedid (1979-92) a eu, pour conséquence immédiate, l'augmentation rapide du taux de chômage parmi les jeunes et les diplômés des deux sexes, mais particulièrement les jeunes femmes. La plupart des jeunes femmes possédant des diplômes en sciences sociales ne trouvent plus d'emploi, surtout celles qui n'ont pas de "cooptation". Selon un document officiel, le nombre de femmes qui se présentent sur le marché du travail s'accroît à un rythme élevé, proche de 10 % par an, leur nombre passera à plus de 400 000 en 1984, les catégories d'emplois recherchés se situant de plus en plus à des niveaux de qualification moyens et supérieurs en raison des effets des premières vagues importantes de sorties du système d'éducation et de formation 199(*).

C- LES CARACTÉRISTIQUES DU TRAVAIL FÉMININ DE CE III ème MILLÉNAIRE

Les caractéristiques essentielles du travail féminin en Algérie, à l'orée du troisième millénaire, ont été façonnées par l'ensemble de tous les facteurs précités. Et pour mieux apprécier la situation actuelle du travail féminin, un regard rétrospectif est nécessaire.

En effet, la structure de l'activité féminine entre 1982 et 1990 a évolué ainsi :

TABLEAU N°3 : Évolution de la structure d'activité féminine entre 1982 et 1990 (en %) 200(*)

SECTEUR

1982

1987

1990

Agriculture

3,4

2,7

3,8

Industriel

14,3

12,4

11,0

BTP

1,5

3,4

3,7

Transport en commun

3,3

2,5

2,8

Commerce

2,5

3,4

4,6

Administration

64,7

64,3

67,5

Autres services

8,8

5,4

6,6

Non déclarées

1,8

5,9

6,6

TOTAL

100

100

100

La forte concentration de l'emploi féminin (plus des deux tiers) dans l'administration publique (principalement l'enseignement et la santé) révèle des "préférences" selon le sexe. Les femmes sont cantonnées dans certains secteurs dits "féminins". Cette situation est essentiellement due à des pesanteurs sociologiques, culturelles et psychologiques. "L'intégration de la femme algérienne" à laquelle ont appelé les auteurs de la Charte de 1976 ne s'est pas réalisée. En effet, au début de 1996, c'est-à-dire 20 ans après, le nombre de femmes algériennes a été estimé à plus de 14,03 millions, représentant 49,32 % de la population totale de l'Algérie, dont 51,31 % en milieu urbain et 48,69 % en milieu rural.

La structure de cette population féminine par situation individuelle révèle le faible taux d'activité des femmes durant les trente quatre dernières années. Le nombre total de la population occupée est passé de plus de 2,46 millions en 1960 dont 627 419 femmes (y compris 500 000 aides familiales) à 1,75 millions (dont seulement 90 500 femmes, les aides familiales non comprises) en 1996 et atteignant 4,53 millions en 1991 (dont 360 380 femmes).

TABLEAU N° 7 : Répartition de la population féminine occupée par branches d'activité 201(*)

SECTEUR

1960

1966

1991

Agriculture et pêche

500 650

19 800

7 590

Industrie extractive

325

300

38 240

Industrie manufacturière

15 185

13 200

38 240

Hydrocarbures et autres industries

----

----

2 670

B.T.P.

3 150

500

6 430

Electricité et gaz, eau, ...

975

400

----

Commerce, banque, assurance

24 361

3 600

13 970

Transport, entrepôts et communication

4 192

2 200

----

Services - Administration

68 447

47 600

254 260

Activités rurales désignées

10 134

2 900

29 430

Autres

----

----

----

TOTAL GÉNÉRAL

627 419

90 500

360 380

En 1995, la population féminine active, qui représentait alors 16,5 % de la population totale occupée, était concentrée essentiellement dans trois secteurs : l'éducation nationale : 172 102 femmes sur 459 378 (soit 38 %), la santé publique : 69 631 femmes sur 180 140 (soit 37 %) et l'administration : 26 % du total.

Les statistiques du Ministère de l'Éducation Nationale indiquent que les enseignantes sont toujours moins nombreuses que les enseignants, même dans les deux premiers cycles de l'école fondamentale. En effet, sur 170 956 enseignants, les enseignantes ne comptent que 78 515 (soit 44,7 %). Elles constituent une part importante du corps enseignant dans onze wilâyas : Alger (83 %), Annaba (77 %), Oran (76,45 %), Constantine (63 %), Boumerdès (63 %), Aïn Temouchent (62 %), Blida (60 %), El Tarf (59,3 %), Sidi-Bel-Abbès (59 %) et Tizi-Ouzou (57 %).

Dans l'école moyenne (ou le 3ème palier de l'école fondamentale), les femmes représentent 47,52 % du corps enseignant. Elles sont aussi majoritaires dans quinze wilâyas : les mêmes que pour les premiers paliers en ajoutant Skikda (52 %), Guelma (51 %), Mascara (51 %) et Souk Ahras (51 %).

Les femmes ne représentent encore que 40,85 % des professeurs du cycle de l'enseignement secondaire. Cependant, les femmes-professeurs sont majoritaires dans six wilâyas du Nord : Alger (70 %), Tipaza (55 %), Constantine (53 %), Annaba (53 %), Souk Ahras (52 %) et Boumerdès (51 %).

Globalement, la fonction enseignante exercée au niveau du Ministère de l'Éducation Nationale est remplie par 44,96 % femmes-enseignantes. Donc, elles ne constituent pas encore la majorité du corps enseignant

Quant aux domaines de gestion et de contrôle administratif et pédagogique, les femmes sont toujours subordonnées aux ordres des mâles dont la majorité est bourrée de préjugés misogynes. Ils ne ratent jamais l'occasion d'expurger tout manuel, chapitre ou texte sous une forme ou une autre : sexualité, problèmes spécifiques de la femme, Sida, planning familial. Par exemple, un manuel d'anglais préparé par une équipe de femmes travaillant dans l'Institut Pédagogique National a été expurgé de plusieurs sections jugées indécentes (Lâ yadjûz !) par des patrons mâles.

En effet :

q Sur 2 019 inspecteurs et conseillers pédagogiques intervenant dans les trois paliers de l'école fondamentale, seulement 83 sont des femmes ;

q Sur un effectif global de 49 inspecteurs, seulement 8 sont des femmes ;

q Sur les 390 inspecteurs pédagogiques, administratifs et de gestion intervenant dans les établissements d'enseignement secondaire, seulement 28 sont des femmes ;

q Sur 13 775 chefs d'établissements primaires, seulement 880 sont des femmes ;

q Sur les 3 005 directeurs qui gèrent les écoles fondamentales 202(*), seulement 213 sont des femmes ;

q Sur les 1 071 proviseurs des lycées de l'enseignement secondaire, seulement 93 sont des femmes ;

q Le sommet de la hiérarchie (de l'ensemble du personnel d'orientation scolaire et professionnelle) chargée du suivi psychopédagogique et de l'orientation des élèves est constitué par un effectif global de 599 cadres dont naturellement 322 femmes (soit 54 %).

Une telle situation caractérisée par des inégalités flagrantes a amené un haut fonctionnaire consciencieux à dire, dans un rapport officiel, que :

"Même si la participation de la femme dans les corps de métiers liés à l'enseignement est relativement importante, elle reste limitée dans les petites villes et les zones rurales. D'autre part, tous les postes de responsabilité, qu'ils soient pédagogues, administratifs ou de contrôle restent majoritairement occupés par les hommes".

Au 31 décembre 1995, sur les 1 395 904 fonctionnaires de la fonction publique, 359 952 étaient des femmes (soit 26 % des effectifs globaux). Elles occupaient 71 464 postes d'encadrement (soit 29 %), 167 915 postes de "maîtrise" (soit 34 %) et 120 573 postes d'exécution (soit 19 %).

De nombreuses professions de la santé publique sont "féminisées". En effet, en 1996, le taux de féminisation de ces professions a atteint 51,1 % ; pour les médecins, il était de 36 % chez les hospitalo-universitaires, 46 % chez les médecins spécialistes et 48,6 % chez les généralistes. Le taux de féminisation des chirurgiens-dentistes s'est élevé à 64,4 % et celui des pharmaciens à 65,4 %.

En somme, les femmes occupées sont concentrées essentiellement dans le secteur tertiaire : 28 % dans l'enseignement, 24 % employées de bureau, secrétaires ou vendeuses, 12 % de manoeuvres n'ayant aucune qualification (femmes de ménage) et 6 % comme ouvrières. Cette répartition selon le niveau d'instruction montre que, sur l'ensemble des femmes occupées, 86 % ont au moins un niveau d'instruction élémentaire, 41 % un niveau secondaire et 22 % un niveau universitaire. La part des femmes occupées ayant un niveau secondaire ou supérieur est relativement plus élevée que celle des hommes (15,67 % contre 25,87 %). Par conséquent, les femmes occupées sont généralement celles qui possèdent un niveau de qualification élevé. Ce dernier a donc influé favorablement sur le degré de participation de la femme à la vie active.

En outre, l'emploi des femmes salariées est surtout un phénomène urbain. En effet, les villes offrent beaucoup plus de possibilités à l'insertion professionnelle que les collectivités rurales. Par exemple, la wilâya d'Alger regroupe à elle seule 21,7 % des emplois féminins (soit 1/5), suivie de la Wilâya d'Oran et de la Wilâya de Constantine.

L'accroissement de l'emploi féminin a pratiquement doublé entre 1991 et 1996 passant de 360 380 à 625 000 en l'espace de cinq ans. Cela est dû à l'augmentation des femmes au foyer partiellement occupées. En 1995, leur nombre a atteint 170 000 femmes (soit plus de 2,6 %). Comme les 97 % des 95 % des femmes salariées sont centrées dans le secteur public, l'impact de l'ajustement structurel exigé par le F.M.I., qui a entraîné d'innombrables compressions de l'emploi et des licenciements, a affecté terriblement les femmes actives. En effet, en 1996, la répartition de la population féminine âgée de 16 ans et plus, selon la situation individuelle, était la suivante :

En effet, le chômage féminin a enregistré une forte croissance depuis l'aggravation de la crise multidimensionnelle actuelle. Le nombre de femmes chômeuses est passé de 106 000 en 1991 à 250 000 en 1995 et à 363 000 en 1996. Cette tendance fâcheuse a eu pour conséquence l'augmentation du taux de chômage féminin. Celui-ci a atteint 38,4 % contre 20,4 % en 1992. Il a frappé plus durement la tranche d'âge des 20-24 ans avec un taux de 44,26 % !

Ainsi, la majorité entrant dans le marché de travail est constituée d'étudiantes diplômées (62,4 %) et, hélas, de femmes au foyer (22,7 %). Étant donné la baisse vertigineuse du pouvoir d'achat des salariés, d'innombrables familles ne peuvent plus vivre du seul salaire du chef de ménage.

La population féminine âgée de 16 ans et plus, selon la situation matrimoniale, se répartit en 1996 comme suit :

TABLEAU N°4 : Répartition des femmes selon la situation matrimoniale 203(*)

SITUATION INDIVIDUELLE

EFFECTIFS

%

Mariées

4 336 000

52,42

Célibataires

3 069 000

37,11

Divorcées / séparées

1 000

2,07

Veuves

695 000

8,40

TOTAL

8 271 000

100

Quant à la population active féminine âgée entre 16 et 59 ans, elle a été estimée à 973 000 au 31 mars 1996 et le nombre de femmes inactives à plus de 6,41 millions ! La situation matrimoniale des femmes occupées âgées de 16 ans et plus était, en 1996, la suivante :

D- LES PROBLÈMES DES TRAVAILLEUSES

TABLEAU N° 6 : La structure d'activité féminine en 1996 selon la situation matrimoniale (en %) 204(*)

Veuves

8

13,3 %

Divorcées

18

30,0 %

Mariées

11

18,3 %

Célibataires

23

38,3 %

Les "femmes sans hommes", selon l'adapte expression de Willy Jansen 205(*), qui sont les célibataires, les divorcées et les veuves, constituent ensemble la plus grande proportion des travailleuses (81,3 %) contre 18,7 % des femmes mariées. Cette grande proportion des travailleuses célibataires a amené Faouzi Adel à penser que :

"L'emploi féminin est, en grande partie, déterminé par le projet matrimonial. Si on met en relation l'emploi féminin avec les groupes d'âge, on se rend compte que 58 % environ des femmes qui travaillent sont concentrées dans la catégorie d'âge de 20 à 29 ans. Au-delà, la chute est vertigineuse : 15,2 % pour les 30-34 ans et 7,9 % pour les 35-

39 ans. La seule explication plausible réside dans le fait que la majorité d'entre elles travaille dans l'attente du mariage puisque cette catégorie d'âge correspond, en gros, à l'âge du mariage des femmes" 206(*).

Ceci est dû à la conception prévalante de la fonction reproductrice de la femme mariée dans la société algérienne qui se traduit par l'hostilité des hommes à sa présence dans le domaine public.

E- LE TRAVAIL FÉMININ À DOMICILE

Il semble que de tels conflits ont induit des milliers de femmes à recourir de plus en plus au travail à domicile. À l'origine, les travailleuses à domicile étaient appelées par l'O.N.S. : "femmes partiellement occupées". Leur nombre est passé de 42 153 en 1977 à 66 000 en 1982, à 180 000 en 1985, baissant à 145 000 en 1989, s'élevant à près de 178 000 en 1990 et atteignant 181 400 en 1991.

Des enquêtes officielles de 1990 et 1991 révèlent que les travailleuses à domicile sont estimées à 99 % des femmes. Les femmes mariées en représentent 69 % et plus de 79 % d'entre elles sont âgées de plus 24 ans (chez la femme algérienne, l'âge moyen au mariage oscillait en 1991 entre 24 et 25 ans) 207(*).

Abdelkader Lakdjaa a expliqué cette situation ainsi :

"Comme chez les femmes chômeurs chez lesquelles l'attitude face au travail salarié à l'extérieur se révèle dépendre du statut matrimonial, chez les travailleuses à domicile, le croisement âge/situation matrimoniale semble aller dans le sens de l'hypothèse de la division du travail inspiré de la division des espaces : les femmes mariées se consacrent au travail à domicile et les jeunes filles célibataires se risquent dans le travail salarié à l'extérieur" 208(*).

Les résultats d'une enquête en 1985 209(*) montrent que le mariage d'une jeune femme peut conduire soit à une cessation de son activité rémunérée, soit au blocage de son accès à l'emploi dans le domaine public. En effet, à la question "pensez-vous travailler après le mariage ?", seules 28 % des femmes âgées de plus de 16 ans avaient répondu par "oui".

"Cette stratégie des femmes, qui se replient au domaine privé où elles deviennent des travailleuses à domicile, est due (pour 71,6 % des enquêtes) à une meilleure rémunération de leur activité".

Les autres raisons découlent en ligne droite du refus de l'organisation du travail salarié officiel : le travail à domicile est jugé plus pratique (64 % en 1991), il facilite la garde des enfants (47,3 %), il s'explique par l'opposition familiale au travail à l'extérieur (32,5 %)... A contrario, des motifs plus objectifs et plus déterminants en apparence ne sont pas avancés avec force : le chômage comme cause du travail à domicile (12 % en 1991), l'absence de local (4 %) et même le handicap physique (1 %)...

Ce refus du travail salarié à l'extérieur semble devoir s'expliquer, pour un homme, par la perception qu'en ont les femmes travailleuses à domicile comme inintéressant, assimilé à une corvée, ressenti comme morne, répétitif, ennuyeux, le plus souvent sans rapport avec les connaissances acquises. Le travail informel, sous sa forme de travail à domicile, doit alors répondre positivement à cette recherche d'indépendance, valorisation de l'individu qui effectue un travail complet et non plus seulement des tâches parcellisées, possibilité de planifier son temps, exprimer sa personnalité, ses goûts, ses capacités et ses possibilités, enfin de parler d'égal à égal avec le donneur d'ouvrage 210(*).

En dépit de leur participation à la libération de la nation entre 1954 et 1962, les Algériennes continuent d'être marginalisées et opprimées par les hommes qui invoquent la Charia pour les subordonner et les dominer.

Le travail féminin à domicile pourrait-il contribuer à améliorer la condition infâme des femmes algériennes ou, au contraire, à l'aggraver ?

III- LA VIE FAMILIALE DES ALGÉRIENNES SALARIÉES

L'Algérie connaît de nouveau des événements douloureux : crises politique, économique et sociale. La condition féminine dans ce pays retient particulièrement l'attention de nombreux observateurs. S'il est vrai que le problème de la femme algérienne ne s'est jamais posé avec autant d'acuité, il convient de préciser que ce problème n'est pas récent. Ce serait occulter une partie de l'histoire et surtout ignorer la complexité du statut de la femme dans la culture arabo-musulmane et même méditerranéenne que de réduire l'analyse du problème de la femme algérienne à une dimension conjoncturelle.

Quoi qu'il en soit, rien n'empêchera la condition sociale de la femme algérienne de poursuivre son évolution. C'est là un processus socio-historique indéniable auquel la femme ne pourra échapper. Il n'est qu'à voir des indicateurs tels que la scolarisation massive des filles, l'arrivée des femmes sur le marché du travail, leur participation - cependant encore timide - à la vie politique pour ne pas récuser l'idée d'un changement affectant l'élément féminin.

Il n'est pas question de mener une réflexion sur divers domaines à la fois, ce qui risquerait de paraître assez général et ferait perdre de la profondeur à l'étude. Je me limiterai au changement dans le cadre de la famille.

Une particularité a attiré mon attention en parcourant un certain nombre de travaux :

q D'une part, l'usage fréquent que font certains auteurs maghrébins du couple tradition/modernité : la première notion faisant référence à un respect des valeurs locales et à une pratique de modèles de conduite anciens, la seconde étant comprise comme une imitation d'un univers différent, occidental en l'occurrence, et non comme une ouverture et un changement d'esprit.

q D'autre part, le fait de prétendre que la confrontation de ces deux entités conduit inexorablement à un conflit de valeurs, il n'y a pas obligatoirement antinomie : la tradition sans cesse renouvelée intègre constamment des existants nouveaux 211(*).

Mon avis est que les phénomènes sociaux que l'on se propose d'étudier sont suffisamment complexes pour ne pouvoir être appréhendés d'une manière aussi simplificatrice que bipolaire. D'ailleurs, je n'ai pas fait de cette bipolarité un cadre de référence. Le risque aura été un certain amalgame entre le couple tradition/modernité et le couple femme au foyer/femme salariée, le pas aura été vite franchi.

A- LE RÔLE FAMILIAL DE LA FEMME TRAVAILLEUSE

Il s'agit de traiter de la relation entre le travail féminin salarié et la vie familiale. L'Algérie, aux caractéristiques économiques et sociologiques totalement différentes de celles des pays industrialisés : le phénomène de l'introduction de la femme dans la vie active y est beaucoup moins important, la division sexuelle du travail au sein de la famille demeure des plus rigides, etc.

C'est donc tout en tenant compte de la spécificité économique, sociologique et culturelle du contexte local que je me suis posée des questions tournant autour de la redéfinition des rôles familiaux. Et afin de pouvoir répondre à toutes les questions, il fallait inévitablement procéder à un choix méthodologique concernant aussi bien l'approche que les variables à circonscrire.

Quant aux différentes variables ou composantes du rôle familial, je ai retenu que l'exécution des tâches ménagères (préparation des repas, vaisselle, etc.) : même en Occident, la "répartition est normative et inégale" 212(*). Que dire alors de la famille algérienne ?

Quant à l'approche, elle se veut obligatoirement empirique. En outre, elle met l'accent exclusivement sur la femme : je veux prouver la redéfinition de son rôle familial tout en laissant exceptionnellement de côté le rôle du mari. Ce procédé peut paraître tronqué aux yeux d'un observateur averti mais, à mon sens, c'est une démarche qui permet de mettre en avant la "une femme " car la redistribution des rôles entre les conjoints est difficile à démontrer 213(*) puisque la logique qui veut que la conquête par la femme d'un nouveau territoire implique ipso facto le retrait du mari n'est pas toujours vraie : le mari algérien est connu pour tenir honorablement à ses acquis. Aussi, une tentative d'explication d'une redistribution des rôles conjugaux risque d'occulter ou de rendre insignifiante toute évolution du rôle de la femme - comparativement à celui du mari dans des domaines comme l'autorité décisionnelle, la gestion du budget, etc. -.

D. Behnam souligne, à propos de l'évolution des rôles masculins et féminins au sein de la famille musulmane, que :

"L'homme, pilier de la famille, a su conserver encore, comme d'ailleurs dans d'autres civilisations, sa position centrale et ses droits privilégiés au sein de la famille, il est le lien entre les membres de la famille, entre la lignée et la société. Mais ce sont surtout le statut et le rôle de la femme qui ont connu des modifications" 214(*).

C- DES FEMMES SALARIÉES DÉPOSITAIRES DE L'AUTORITÉ

Le fait que la femme exerce ou non une activité professionnelle à l'extérieur peut s'avérer un critère déterminant. Je ne cesserai de faire appel à ce critère professionnel supposé explicatif et ce pour le restant de l'analyse. Cela étant, le travail salarié permet-il réellement à la femme d'exercer une plus grande autorité au sein du couple et dans quels domaines ?

Les informations recueillies montrent une importante marge de manoeuvre chez les salariées (actives) par rapport aux femmes au foyer. Néanmoins, pas dans tous les domaines. Les salariées sont plus nombreuses à exercer une influence au même titre et plus que le mari. Il convient de signaler que le nombre de femmes inactives est très important et non négligeable.

Ceci montre que, dans le domaine de l'éducation des enfants, les femmes au foyer ont aussi leur mot à dire. Cela relève évidemment de leur rôle expressif ; étant au foyer, elles sont plus disponibles et y consacrent certainement un plus gros budget-temps. Rappelons aussi que les femmes voient en leurs enfants une forme d'investissement affectif en vue de jours meilleurs.

En ce qui concerne les grosses dépenses, les salariées sont presque deux fois plus nombreuses que les non salariées à décider au même titre et plus que le mari : 73,3 % contre 44,4 %, c'est le résultat du travail à l'extérieur. Suite à sa participation financière, la femme salariée voit son autorité grandir dans le domaine de la gestion du budget familial. Sa participation à la gestion des dépenses ne résulte plus, comme on le prétend pour la famille traditionnelle, d'une confiance qu'on lui accorde en raison de sa sagesse ou de son talent de gestionnaire, mais représente un acquis irréversible, un droit que nul ne peut aujourd'hui lui contester. Il faut souligner que la prise de décision pour les sorties et visites familiales reste faible même chez les salariées. Il s'agit d'une décision plus difficile à prendre.

D'ailleurs, C. Bouatta 215(*) observe aussi que les femmes salariées (48 %), à défaut de décider de sortir librement, informent leur mari. Cette nuance est importante à souligner. Elle montre que la femme arrive, malgré tout, à négocier avec son mari. Ce dernier finit par céder même si l'objet des tractations porte sur la répartition sexuelle de l'espace géographique. Aussi, le fait que la femme conclut un accord avec son conjoint peut avoir un sens : elle le rassure et lui fait preuve de "fidélité", ceci pour dissiper tout soupçon, sans quoi, quitter le domicile conjugal sans le lui demander peut représenter, dans l'esprit du mari, une atteinte à son honneur. On peut confirmer l'incidence du statut professionnel : les salariées augmentent leur pouvoir dans le couple.

2- LES CONSÉQUENCES DE LA RÉDUCTION DU TAUX DE FÉCONDITÉ

La femme consolide sa position auprès de son mari et de ses beaux-parents, sans oublier le rang auquel elle accédera une fois devenue "mère âgée". Qu'en est-il des sujets interrogés ? Leur comportement en matière d'autorité dans le couple dépend-il du nombre de leurs enfants ? Est-il vrai que plus ce dernier est élevé, plus elles assoient leur autorité et ont leur mot à dire?

L'analyse des résultats ne montre pas de différence au sein du groupe des salariées. En revanche, des écarts significatifs concernent les femmes au foyer. Pour ces dernières, si l'hypothèse d'une relation entre le nombre d'enfants et le pouvoir de décision est vraie, il convient néanmoins de remarquer que les résultats ne suivent pas le pronostic attendu mais prennent une allure inverse : moins elles ont d'enfants et plus elles voient leur autorité grandir, et non le contraire.

q Les femmes ayant moins de trois enfants (78,6 %) sont plus nombreuses à décider pour l'éducation des enfants que celles qui ont trois enfants et plus (53,4 %) ;

q Elles sont presque deux fois plus nombreuses à avoir leur mot à dire en ce qui concerne les grosses dépenses (60,7 %) ;

Tels qu'on les découvre, ces résultats ne corroborent pas la thèse répandue en Algérie, comme dans maints pays musulmans, selon laquelle une nombreuse progéniture entraîne inévitablement une plus grande affirmation de la femme et, par la suite, un plus grand pouvoir dans la sphère domestique. Cette thèse, si chère à l'idéologie traditionnelle, est-elle moins valable aujourd'hui en raison des diverses mutations qu'est en train de subir la cellule familiale ou d'un changement des mentalités individuelles ? Là n'est peut-être pas la réponse.

Il est plus prudent de chercher l'explication dans l'organisation même du temps de travail de la femme et plus exactement dans l'inadéquation entre la charge de travail que représentent pour elle ses innombrables tâches domestico-ménagères et le budget-temps insuffisant dont elle dispose quotidiennement. Cette inadéquation est parfois si flagrante que décider risque de devenir pour la femme une tâche supplémentaire. Si c'est le cas, alors elle préfère que ce soit son mari ou même une tierce personne (parents, beaux-parents) qui s'en charge. Si bien qu'on ne doit plus parler d'une réelle absence de pouvoir chez la femme au foyer ayant trois, quatre, cinq enfants et plus mais plutôt d'une délégation volontaire de son autorité décisionnelle vers d'autres membres de la famille en vue d'une répartition plus équitable des responsabilités familiales.

Les femmes interrogées - actives et inactives - prennent plus de décision lorsqu'il s'agit des activités relevant de la sphère domestique : éducation des enfants et gestion du budget. Lorsqu'il est question de sortir pour rendre visite à des parents ou des amies, elles s'en remettent à leurs maris ; ce dernier indicateur est différent et relève de la sphère hors-foyer. Cette dichotomie pouvoir féminin à l'intérieur du foyer / pouvoir des hommes à l'extérieur n'a cessé de resurgir tout au long de la lecture des données chiffrées.

Quant aux croisements effectués :

q Le travail salarié de la femme augmente incontestablement son influence dans le couple.

q Il y a une tendance à ce que le pouvoir des salariées uniquement soit lié à la nature de la résidence : celles qui habitent en résidence néolocale détiennent une plus grande autorité.

q Le nombre d'enfants est lié exclusivement au comportement des femmes au foyer et, contrairement à ce que nous supposions, moins elles ont d'enfants et plus grande semble leur influence.

La représentation chez la femme du modèle de répartition des rôles conjugaux explique seulement le comportement des femmes inactives : les sujets qui pensent à une division non traditionnelle des rôles participent plus à la décision.

En dépit de leur appartenance à une même génération, les salariées se conduisent différemment. Il y a une classification ou une sorte de hiérarchie quant à l'accession à l'univers masculin. De toutes les femmes qui ont la possibilité de quitter le domicile - en raison de leur activité professionnelle -, ce sont les moins jeunes, quadragénaires, qui se chargent des affaires extra-familiales. Ceci représente une évolution dans un milieu social où la tradition est de vigueur et où toute redéfinition des rôles masculins et féminins risque de porter ombrage.

À ce sujet, N. Chellig n'hésite pas à parler carrément d'angoisse vécue par les hommes quand "les femmes, ... les faibles parmi les faibles, pénètrent dans ce qu'ils pensaient être leur espace : la rue, le travail". Elle ajoute qu'"un sexisme virulent apparaît afin que l'ancienne dichotomie soit de nouveau absolue ..." 216(*).

Il y a dans l'argument de Chellig une part de vérité car, hormis le fait qu'il existe des femmes qui ne se plaignent pas de leur rôle traditionnel, il arrive assurément que les hommes, de leur côté, résistent à toute intégration des femmes dans l'univers masculin. Les femmes se retrouvent, par moments, devant un réel dilemme : rester au foyer et pâtir de leur isolement ou sortir à l'extérieur pour faire des courses, travailler, etc., avec tous les risques d'agaceries et de paroles importunes. Il convient de signaler que ces risques existent. Même voilées, les femmes ne sont pas toujours à l'abri des regards indiscrets.

En interrogeant des hommes sur ce que représente pour eux la femme voilée, N. Allami a recueilli un témoignage :

"Elle crée une ambiance sexuelle... Dehors, (...) rien ne (nous) fait barrage. Quand, en plus, la femme est totalement voilée, c'est-à-dire qu'elle n'a qu'un oeil pour la guider, elle est terriblement attirante" 217(*).

N. Allami remarque que le voile consacre son règne sur la scène du fantasme. M. Chebel note, à juste titre, que :

"Ce n'est pas le vêtement lui-même qui change de nature, c'est la nature de la relation qui lui est appliquée qui se transforme et qui, parfois, se pervertit. Dans le domaine érotique, et compte tenu de l'état actuel des mentalités en terre d'Islam, le voile est un vêtement polysémique : il est sensuel pour les uns, protecteur pour les autres..." 218(*).

Tous statuts confondus, un sujet sur deux participe à l'exécution des tâches hors-foyer touchant de près les enfants (achats de vêtements, se rendre à l'école...). En revanche, la proportion des femmes que j'ai interrogées diminue sensiblement lorsqu'il s'agit des autres préoccupations (courses de ménages courantes, se rendre dans une administration...) : respectivement, un sujet sur trois et moins d'un sujet sur quatre. Là aussi, nous sommes amenée à faire une distinction entre deux groupes d'indicateurs en dépit du critère initial "hors-foyer".

Il n'existe pas de différence entre les pourcentages obtenus par les salariées et les femmes au foyer pour tous les items concernant la variable dépendante. La non-ingérence des beaux-parents est générale. Cela est probablement dû à un phénomène sociologique qui dépasse le seul paramètre inhérent au travail de la femme.

Il s'agit vraisemblablement de la preuve même de l'évolution de l'idéologie familiale. Alors, contrairement à l'archétype familial, il s'opère aujourd'hui un transfert de pouvoir. Les conjoints en sont dépositaires, évidemment, à partir du moment où les décisions à prendre les concernent directement. Il faut ajouter que le transfert de pouvoir se passe souvent sans heurts : les parents acceptent les nouvelles règles de jeu.

S'il y a des femmes qui se sentent libres d'administrer leur foyer, ce sont d'abord celles qui ont la possibilité de vivre en famille restreinte et échappent donc à la structure familiale patriarcale. Ce constat prouve que, dans une pareille situation, le fait d 'exercer une activité professionnelle importe peu : le statut de salariées n'a aucun effet. C'est plutôt le fait de s'isoler pour s'éloigner le plus possible de la résidence patrilocale, autrement dit des parents de l'époux, qui s'avère être un facteur déterminant.

Il faut rappeler que d'autres auteurs ont fait allusion à ce phénomène de prise de distance par l'équipe conjugale, phénomène qui mérite d'être qualifié de stratégie d'éloignement résidentiel. C'est, en tout cas, ce qui semble ressortir de toute une série de témoignages recueillis par C. Bouatta. On en a pour exemple celui, non moins éloquent, d'une salariée de niveau scolaire moyen qui dit :

"Avant, on vivait tous ensemble et ça ne marchait pas bien parce qu'ils (parents du mari) avaient tendance à se mêler de tout. Maintenant, ils ne se mêlent plus des questions privées" 219(*).

Résumons :

q De manière générale, peu nombreux sont les beaux-parents qui se mêlent des affaires du couple conjugal. Ce phénomène est général et ne touche pas uniquement les familles à deux carrières. Ceci infirme l'hypothèse selon laquelle l'immixtion est plus grande lorsque la bru reste au foyer.

q Seul le type de résidence explique l'ingérence de la belle-famille. Aussi bien pour les actives que pour les inactives, les parents du mari interviennent beaucoup moins quand le couple vit seul en résidence néolocale. À signaler également le même comportement quand la belle-fille est salariée et habite chez ses propres parents (résidence matrilocale).

q L'âge de la femme n'a aucun lien avec l'ingérence des beaux-parents. Rappelons que c'est ce à quoi j'ai abouti en essayant d'expliquer le pouvoir de décision de la femme. La raison se trouve vraisemblablement dans la relative homogénéité démographique des personnes interrogées. Le niveau scolaire de la femme n'est pas lié à la variable "intervention".

Il convient de souligner que d'autres chercheurs aboutissent à des constats totalement différents. Pour C. Bouatta 220(*), les femmes algériennes de niveau primaire, plus que leurs compatriotes de niveau moyen et supérieur, accordent un rôle plus important aux beaux-parents. Naturellement, cette conclusion rejoint la mienne pour diverses raisons.

En conclusion, je peux dire que toute l'organisation du travail est à revoir, tout le système juridique aussi, par un travail d'éducation profond. On constate aujourd'hui, souvent, malgré les changements observés dans les rapports entre jeunes, que peu de choses ont changé dans le fond : de nombreuses femmes vont à l'école et même à l'université, exercent une activité salariée, choisissent, parfois, leur futur époux mais, dans le fond, les changements demeurent superficiels. Si la femme est souvent celle qui aspire au changement car c'est elle qui y trouve le plus à gagner, il n'en est pas autant pour son partenaire.

CHAPITRE V

LA FEMME ET LA POLITIQUE

I - L'ALGERIE ET LES FEMMES

Est-ce mieux ou pire qu'avant ? C'est souvent en ces termes qu'on pose le problème de la femme en Algérie. Comme si l'indépendance constituait, en quelque sorte, un degré zéro, comme si elle était riche (par quel miracle ?) de toutes les potentialités. Sans doute en recèle-t-elle, et des fondamentales, mais si elle promet un avenir autre, elle n'en porte pas moins le poids du passé et du présent.

Le discours politique, quelle que soit sa couleur : étatique, pro-étatique, de gauche ou encore islamique, soulève stratégiquement la question du rôle que joue la femme dans la société. Ce rôle est évoqué à propos de toutes les questions se rapportant à l'éducation, à la religion, à la modernité, au développement, à la démocratisation, et au pouvoir. Mouvements féministes contemporains et partis politiques de différents bords politiques plaident, pour des raisons stratégiques différentes, pour la participation de la femme dans la vie politique.

Toutefois, tout discours sur les femmes n'est pas forcément un discours féministe dans le sens actif et positif du terme. Dans bien des discours, la femme pourrait se trouver, selon une volonté et une stratégie politique données, soit au coeur du politique, soit en dehors.

Parler de l'émancipation de la femme algérienne est un sujet qui a provoqué déjà tant de querelles, soulevé tant de passions, tellement le problème est compliqué et complexe pour une société occidentalisée et évoluée. Ces dernières années, beaucoup d'articles, de reportages, de publications d'ouvrages ont été publiés. Doit-on s'intéresser davantage à la réalité des "hommes algériens", lesquels demeurent complètement indifférents à la situation pénible des femmes... ?

La brèche ouverte sur l'extérieur, c'est aussi la scolarisation des filles. L'école porteuse de projets et de désirs multiples a contribué à ce que le destin familial n'apparaisse plus comme inéluctable. La confrontation des deux univers est source de déchirements, d'instabilité, c'est pour la femme une situation souvent traumatisante. Si la femme peut franchir le seuil de la maison, la rue demeure le lieu privilégié des hommes.

Dans l'Algérie nouvelle, la violence des regards, des mots, des attitudes, le harcèlement continuel, incitent même quelques femmes à reprendre le voile. Rempart fragile du corps en danger. Mais là encore, cette violence n'est que mépris : elle est aussi, dans sa forme extrême, l'expression de la rage de vivre cette infinie distance entre les hommes et les femmes au milieu de cette atmosphère de répression sexuelle et affective.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à sortir et à travailler, surtout dans les zones urbaines, même si le taux d'activité de la population féminine reste l'un des plus faibles du monde (3 %). Mais cela ne reflète pas la réalité du travail des femmes qui ne relève pas toujours du salariat. Ainsi, dans les régions agricoles, elles assurent l'essentiel des travaux, surtout depuis que les hommes ont immigré à la ville ou à l'étranger.

Le pouvoir politique doit faire face à une contradiction sociale difficile à gérer : l'activité des femmes est indispensable à l'économie nationale, mais elle ne doit pas menacer l'équilibre familial :

"L'intégration de la femme algérienne dans le circuit de la production doit tenir compte des contraintes inhérentes au rôle de la mère de famille et celui de l'épouse dans la construction du foyer familial... Ainsi, l'État doit-il encourager la femme à occuper des postes de travail qui répondent à ses aptitudes et à ses compétences... Bref, faire en sorte que le travail de la femme soit un facteur de cohésion familiale et sociale" 221(*).

Comment, autant infantilisées, des femmes pourraient-elles participer activement à la vie politique, si pauvre soit-elle ? Malgré les discours sur "Les femmes algériennes citoyennes à part entière", elles sont souvent absentes de la vie publique. Très souvent à la campagne, les hommes votent à la place des femmes de la famille, ce qui arrive également en ville, sans que les autorités s'en inquiètent.

Les candidats aux élections présidentielles, législatives ou cantonales ont une organisation presque exclusivement masculine (sauf en 1992 pour les élections législatives avec le multipartisme...). Les très rares candidatures de femmes sont peu retenues, d'où une impressionnante sous-représentation des femmes : 1 % en milieu rural et 3 % dans les grandes villes. Il s'agit le plus souvent du traditionnel domaine concédé aux femmes. Celui de l'assistance sociale. En 1982, et pour la première fois, une femme a été nommée secrétaire d'État aux Affaires sociales, au moment même où se développait la lutte contre l'avant-projet du Code de la Famille.

L'inefficacité de l'Union Nationale des Femmes Algériennes (U.N.F.A.), organisation de masse largement dépendante du parti unique, laisse vacant le terrain de lutte en politique pour la libération des femmes. Quand, parfois, elles tentent des incursions dans les villages pour mobiliser les femmes sur certains problèmes, les portes restent closes, sous surveillance masculine car, dès qu'une voix s'élève contre cette oppression, il est aussitôt fait référence à "la tradition arabo-islamique" au nom de l'amalgame : "se révolter contre cette tradition, c'est trahir l'indépendance chèrement acquise..." .

Le nationalisme algérien (et sa misogynie), dans un pays où les blessures de la déculturation coloniale sont encore vives, joue sur la culpabilité comme sur du velours... L'adoption de la technologie occidentale ne serait-elle pas, non plus, une trahison de ces mêmes idéaux arabo-islamiques ? Un tel amalgame n'a pourtant pas encore été formulé, preuve que la tradition est bien une arme contre les femmes, une arme idéologique d'immobilisme.

La modernité reste problématique et renvoie à une dynamique du changement. Concernant l'Algérie, elle est inséparable des tensions liées au passé colonial qui fait de l'Europe un centre de modernité. Devenue mythe de référence, elle est désirée et repoussée en même temps car il y va de l'identité. Les femmes sont au coeur de la dialectique tradition/continuité/changement.

La référence à la modernité a une valeur descriptive. Elle n'est pas prise comme une norme à partir de laquelle une situation serait érigée en un modèle et servirait de mesure au progrès des unes, à l'archaïsme des autres.

Comme le dit Rédha Malek :

" (...), la modernité est de plus en plus un processus de compromis, de transactions entre les pluralités, la relativité des systèmes. Comme telle, la modernité est ouverte à tous les flux et à tous les revirements : ceux des fascismes comme ceux des intégrismes. En ce sens, la multiplicité de ces "néo-ismes" est le dernier des avatars de la modernité, l'indication de la persistance d'un seuil minimum de modernité" 222(*).

L'attitude des femmes islamistes est, à cet égard, édifiante. Manipulées plutôt qu'associées à la modernisation, elles trouvent dans l'Islam la contre-idéologie la plus mobilisatrice pour faire d'elles les actrices qu'elles n'ont jamais été. Et il s'agit souvent de femmes qui, au sein même du mouvement islamiste, mènent une lutte rampante ponctuée de mots d'ordre féministes s'attaquant au sexisme ambiant et à la discrimination dont elles sont l'objet. La présence de femmes voilées dans les universités, les rues, au travail, au volant des voitures ou encore aux postes de commandement interpelle et incite à la réflexion sur la flexibilité. Ce qui, par ailleurs, n'enlève rien à son caractère totalitaire.

La crise est dans son fond ce double mouvement d'une histoire qui se construit et d'une certitude qui se défend. Chaque jour, un pan de la société est touché par la modernité en marche qui débusque un à un les absolus. Rien de total ni de final n'est jamais acquis : ni la démocratie, ni la science, ni la technique, ni les idéologies qui les explicitent (positivisme, économisme, libéralisme, marxisme) ne prétendent plus sérieusement être des valeurs absolues même si, parfois, elles sont vécues comme telles. Les croyances qui tenaient les gens au chaud et qui maintenaient les solidarités perdent de plus en plus leur adéquation au réel. La crise est multiforme parce que la modernité touche, à des moments et à des rythmes inégaux, les divers secteurs de la société.

L'État et les organisations politiques ont voulu le développement pour rattraper l'Europe, entrer dans la modernité en important des usines de hautes technologies. Le nationalisme situe les femmes du côté de la permanence, hors de l'histoire, travailleuses, combattantes si nécessaire mais, avant tout, mères et épouses. Les femmes ne sont jamais à leur place et constamment culpabilisées : trop archaïques ou trop modernes.

L'Islam intégriste et nationaliste d'aujourd'hui fait, partout dans le monde, de la réclusion des femmes un principe fondamental. Le voile est le substitut de l'impossible renfermement. Dans l'espace public, il souligne la nécessaire clôture des femmes, terre des hommes. La violence du conflit aujourd'hui suggère la force de l'enjeu. C'est pourquoi, quels que soient les enjeux de la laïcité, prompte elle aussi à faire de la différence des sexes une question d'ordre moral, elle offre infiniment plus de liberté. On ne saurait pour autant l'absoudre complètement. La république a été en France identique, notamment dans la sphère politique.

L'émigration, l'urbanisation facilitent-elles le changement ? À travers quels chemins les femmes disent-elles aujourd'hui leurs soucis de définir leur identité ?

II- PRISE DE CONSCIENCE DES FEMMES ?

Les combats que la femme algérienne a menés à travers l'histoire ont fait l'objet d'innombrables articles et ouvrages. Les travaux vont de la Kahina, héroïne berbère qui s'opposa aux Arabes au VII ème siècle, jusqu'au rôle des femmes durant la lutte de libération (1954-1962), en passant par d'illustres combattantes comme Lalla Fatma N'Soumer et Lalla Khadidja bent Belkacem qui ont participé, au milieu du XIX ème siècle, à "l'insurrection contre l'occupation française" 223(*).

Il faut signaler, cependant, qu'on relève des versions différentes selon les récits. La fiction dépasse parfois la réalité. Ainsi, à propos de la Kahina, n'a-t-on pas parlé - écrivains français, qui plus est - de "Déborah berbère", de "Jeanne d'Arc du Maghreb" ? 224(*). La Kahina lança et dirigea une armée contre l'envahisseur dans les Aurès en battant les troupes de Hassan en 688. C'est donc une femme qui, comme l'écrit G. Camps :

"Exerça directement le commandement ; cette capacité à conduire des troupes vers le combat et vers la victoire fait d'elle "la seule autorité de fait dans toute l'Afrique du Nord" " 225(*).

Fatma N'Soumer organisa la résistance contre l'occupant français en Kabylie et, en 1854, 1855 et 1857, mena et gagna plusieurs batailles contre l'armée française qui tentait de pacifier les montagnes et villages de Kabylie. De nombreuses femmes sont à ses côtés dans la lutte et la suivront lors de son incarcération.

Deux figures berbères, donc, qui sont à la fois deux combattantes et deux chefs. Pour les femmes qui luttent aujourd'hui, elles représentent et illustrent la capacité des Algériennes à assumer leurs responsabilités historiques, leurs rôles dans la société. Les noms criés de ces héroïnes et le symbole qu'elles portent assurent, eux aussi, la légitimité du combat actuel des femmes. La continuité est affirmée avec ces combattantes du passé : le combat des associations se trouve ainsi inscrit dans une profondeur historique. Ces figures érigées en mythes permettent d'établir une filiation : "nous sommes les filles", "nos aînées", "nous sommes les héritières". Les militantes se choisissent des mères combatives, fortes.

La question des origines est posée en filigrane dans cette entreprise d'édification d'un panthéon-femmes contestant implicitement l'autre origine officiellement déclarée par le discours officiel depuis l'indépendance : l'origine arabe. Par conséquent, cette référence permet d'élargir l'identité femme à la dimension berbère. Le mouvement féminin se trouve ainsi relié à une revendication démocratique de la reconnaissance de la langue et de la culture berbères.

Quant aux Algériennes qui ont réellement pris les armes, il s'agit, selon Djamila Amrane (1981) - sur la base des données statistiques issues du fichier des anciens combattants - et de N. Benallègue (1983) d'un mythe reposant sur quelques cas individuels : Ouréda Meddad, Hassiba Ben Bouali... Monique Gadant n'hésite pas à parler d'exploitation par les Algériens de l'image des héroïnes algériennes de la guerre de libération aux yeux de l'opinion internationale 226(*). Et Mohamed Harbi d'ajouter qu'en réalité, les femmes n'étaient même pas acceptées par les hommes au maquis, elles étaient même jugées de "moeurs légères" (1979 - 1980).

L'idée d'émanciper la femme algérienne remonte aux années trente (1925-1930) et émane du Moyen Orient, soit des milieux réformistes égyptiens d'Al Azhar, soit de la Turquie kémaliste. Mais, les propositions émanant du Moyen Orient comme celles des Cheikhs d'Al Azhar : suppression de la polygamie, disparition du voile..., étaient rejetées par l'association des Oulémas algériens et, à leur tête, son fondateur Ben Badis. Pour ces Oulémas, l'évolution de la femme algérienne doit se faire dans les strictes limites de la tradition.

Après les années trente, les partis nationalistes de l'époque, comme le communiste algérien (P.C.A.) et l'union démocratique du manifeste algérien (U.D.M.A.) - parti fondé par Ferhat Abbas et plus crédible aux yeux de l'opinion publique - "demanderont des droits pour la femme et discuteront la question du voile" 227(*).

En 1962, fut créée l'Union Nationale des Femmes Algériennes (U.N.F.A.) : Organe fondé par le parti unique (F.L.N.) et ayant pour mission de promouvoir et de codifier l'émancipation de la femme. Cette instance politique n'a jamais réussi à avoir un nombre important d'adhérentes et a été carrément rejetée par les femmes algériennes. Ces dernières ont eu la certitude que l'U.N.F.A. ne les aidera pas à résoudre leurs problèmes 228(*).

En plus, l'U.N.F.A. a placé les femmes devant une situation contradictoire puisqu'elles devaient choisir entre deux statuts incompatibles : militantes et citoyennes à part entière ou femmes, épouses et soeurs. D'ailleurs, les résultats obtenus par H. Vandevelde, il y a déjà quelques années, montrent clairement qu'à peine une femme sur cinq (1/5) souhaitait être inscrite à l'U.N.F.A. ou à tout autre organisme de masse. Aussi, la proportion diminuait jusqu'à atteindre une sur huit (1/8) quand il s'agissait de femmes issues du milieu rural. Le désintérêt des femmes pour le militantisme est dû, selon les répondantes, au fait que la politique est très compliquée et n'est pas l'affaire des femmes 229(*).

Aujourd'hui, si des textes officiels - droit de vote pour la femme, scolarisation obligatoire des filles, etc. - montrent une évolution et une émancipation en cours, il en est d'autres, en revanche, qui, au vu de quelques chapitres du nouveau Code de la Famille, sont loin de promouvoir la femme au rang d'acteur. Cela est à l'image de la contradiction et de la complexité dans lesquelles évolue, de nos jours, la société algérienne dans son ensemble.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que toute tentative d'émancipation doit composer avec une tradition toujours en vigueur. Une tradition qui, comme dans tous les pays musulmans, est sévère pour la femme car elle puise son essence dans un fiqh (droit) dont les textes se prêtent parfois à une interprétation misogyne et contraire à l'esprit du dîn (religion) 230(*). A. Adam l'a noté dans un de ses articles sur le Maghreb indépendant où, dit-il, les difficultés qui résultent du changement viendraient impérativement des liens indûment établis entre certaines attitudes purement sociologiques et l'Islam lui-même 231(*).

A- MOUVEMENTS DES FEMMES EN ALGÉRIE

Lorsque, à la fin du XIX ème siècle, le monde arabe tenta de relever le défi que lui imposait le système colonial et de définir les termes de son entrée dans la modernité, le mouvement de la Renaissance islamique (NAHDA) pensait pouvoir dissocier les moeurs de l'évolution technique et scientifique : "prendre à l'Occident la science et la technique et garder nos moeurs", c'est accepter le progrès en adaptant les changements que l'Occident apportait de l'extérieur ; c'est essayer d'imposer des limites à cette culture étrangère.

Avant la guerre de libération existaient, à l'intérieur du mouvement national, "L'Association des Femmes Musulmanes d'Algérie" proche du P.P.A. (Parti du Peuple Algérien) et "l'Union des Femmes d'Algérie".

Et pendant la guerre de libération, on retrouve une participation effective et multiforme des femmes algériennes. Il est des moments où ce sont elles qui ont marqué, de manière décisive, le cours de l'histoire comme dans les manifestations du 11 décembre 1960. Si on regarde les photos ou les documentaires filmés d'archives, on remarque que les manifestations étaient quasiment peuplées de femmes et d'enfants.

1- PÉRIODES ALLANT DE 1962 À NOS JOURS

Si l'histoire des luttes reste à écrire, on peut retenir les éléments suivants : des révoltes sporadiques aux mouvements actifs de refus jusqu'à l'organisation collective, la lutte des femmes a toujours existé sous différentes formes et le combat est permanent.

q Avant la guerre de libération, à travers l'Association des Femmes d'Algérie et l'Union des femmes d'Algérie.

q Pendant la guerre de libération, participation effective et multiforme des Moudjâhidâtes et de toutes les femmes qui, dans l'anonymat, ont marqué de manière décisive le cours de l'histoire particulièrement lors des manifestations du 11 décembre 1960.

q Au lendemain de l'indépendance, les revendications des femmes contre la mise en place du Code de la Famille se justifiaient par cette légitimité historique.

Ø De 1963 à 1981, les luttes des femmes prirent plusieurs formes :

q Contre toute codification des relations familiales : 1963, 1973, 1979 et 1981 date à laquelle les manifestations des femmes aboutirent au retrait momentané du Code de la Famille (22/01/82).

q Autour d'une réflexion sur la condition des femmes (ciné-clubs, collectifs...).

q Autour des revendications socioprofessionnelles (commissions femmes-travailleuses, syndicats...).

Ainsi, vingt ans après l'indépendance, les femmes ont ressenti la nécessité de revendiquer leurs droits sans justification ni conditions préalables.

Ø La période 1980-1988 est marquée par deux événements :

q Adoption du Code de la Famille (juin 1984).

q Organisation autonome du mouvement associatif des femmes à partir de 1985. L'extraordinaire mouvement d'octobre va cristalliser la radicalisation du mouvement des femmes et s'exprimer par la création de nombreuses associations et collectifs au niveau national.

Au lendemain de l'indépendance, les luttes des femmes ont pris aussi plusieurs formes entre 1963 et 1998 :

En 1981, malgré le système du parti unique et son monopole total sur le droit à l'expression et à l'organisation, elles ont bravé l'interdit en sortant manifester dans la rue leur refus que le Code de la Famille soit adopté par l'A.P.N. (Assemblée Populaire Nationale) : le 28 octobre, le 16 novembre, le 13 décembre et le 23 décembre. Ces manifestations, ajoutées à la lettre ouverte au Président des moudjâhidâtes (anciennes combattantes) sur le thème, ont abouti au retrait momentané de ce texte le 22 janvier 1982.

À partir de 1976, les femmes travailleuses ont créé à l'intérieur du syndicat les "commissions des femmes travailleuses" afin de poser leurs problèmes socioprofessionnels spécifiques : égalité devant la promotion, droit au logement au même titre que leurs collègues hommes, jardins d'enfants, crèches, cantines scolaires pour leurs enfants, etc.

En 1978, à Oran (à l'ouest de l'Algérie) et à Alger (la capitale), sont nés des groupes de réflexions et de sensibilisation sur la condition féminine : le "G.R.F.A." (Groupe de Recherches sur la Femme Algérienne) et le "ciné-club féminin" à Alger. Ces groupes étaient informels, non reconnus par l'État, mais ils ont fini par se constituer en association en 1985 en dehors de l'Union Nationale des Femmes Algériennes qui a perdu toute crédibilité.

La période allant de 1982 à 1988 est marquée par l'adoption du Code de la Famille en juin 1984 dans une conjoncture très fortement marquée par la répression (des dizaines d'arrestations en décembre 1983...) et au mépris de deux décennies de mobilisations des femmes.

Après les "soulèvements" d'octobre 1988 et à la faveur de la nouvelle constitution de 1989, de nombreux collectifs et associations de femmes sont nés au niveau du pays. Très vite, les femmes ont été confrontées à une remise en cause systématique et organisée de leurs droits constitutionnels élémentaires. Des prêches haineux, des articles dignes de l'inquisition, des interdictions du sport féminin avec fermetures de salles de sport pour filles, menaces de mort contre des enseignantes et autres professions libérales, incendies de domiciles de veuves, de divorcées ou de militantes... sont devenus des pratiques courantes.

Aujourd'hui, le terrorisme et les blocages de l'administration ne facilitent pas le travail des associations autonomes qui ont considérablement limité leurs actions et leurs activités. À toutes ces pressions intolérables, vient s'ajouter le problème de l'éparpillement...

Ø Depuis 1990 :

Les femmes ont très vite été confrontées à une remise en cause systématique et organisée de leurs droits constitutionnels et élémentaires. Partout, des forces, qui utilisent l'Islam à des fins politiques de prise de pouvoir, orchestrent la violence verbale et/ou physique contre les femmes. Dans la rue, à la mosquée, à l'école, dans les médias écrits et audiovisuels, à l'assemblée, sur les lieux de travail...., l'étau se resserre sur les femmes. À partir de 1992 et de la généralisation du terrorisme à toute la société, les marges de travail se sont réduites considérablement. Le blocage de l'administration ne facilite pas le travail des associations de femmes qui ont été contraintes soit à l'exil, soit à la quasi-clandestinité.

La période 1991-1994

Les agressions physiques sont devenues une pratique courante (émergence de groupes intégristes). C'est dire que l'essentiel du travail du mouvement des femmes de novembre 89 à décembre 92 a consisté à riposter à la violence. La constitution d'une association (SOS Femmes en détresse) pour venir en aide aux femmes en détresse (mères célibataires, femmes battues, violées, sans toit...) a révolutionné les mentalités (elles avaient plusieurs chalets où elles hébergeaient toutes ces femmes). D'autres associations sont venues alléger le travail de SOS Femmes en Détresse.

2- LA SITUATION DES FEMMES DEPUIS 1992 : FEMMES VIOLÉES

Plus que jamais interpellé sur le sort des femmes violées par les terroristes intégristes, l'État ne semble pas se préoccuper de ce dossier. Près de 8 000 femmes livrées à elles-mêmes continuent de vivre le calvaire. Rejetées par le milieu familial, objet tantôt de sarcasme et tantôt de compassion de la part de la société, ignorées par les pouvoirs publics, les femmes violées par les terroristes, qui comptent par milliers pendant ces années de braise, ont connu et continuent de subir les affres de l'enfer sur terre.

Sans foyer, sans ressources et ne jouissant d'aucune prise en charge psychologique efficiente, leur réinsertion dans la société n'a jamais dépassé le stade des pieux. Ces femmes qui n'ont ni voulu ni choisi cette souillure de leurs corps et âmes tombent facilement dans les rets de la folie et de la prostitution. À Larbâa, Médéa, Aïn Defla, Chlef, etc., villes martyres et cibles de choix des actions terroristes, les jeunes filles sont nombreuses à porter encore le voile non tant par conviction mais bien plus par crainte d'un enlèvement, surtout à la tombée de la nuit. Il demeure, néanmoins, toujours un climat d'insécurité malgré la recrudescence du terrorisme, la peur et l'angoisse hantent toujours les esprits.

Les associations de familles des victimes du terrorisme avancent le chiffre supérieur à 8 000 femmes violées par les groupes armés durant ce qu'on appelle la décennie de l'Algérie (1992-2001). Cette statistique reste évidemment loin de la réalité pour deux raisons fondamentales : les familles préfèrent taire aux services concernés ces drames de peur d'être accusées de complicité. En outre, les femmes enlevées ou assassinées ne sont pas comptabilisées parmi les victimes de viols collectifs, y compris quand le fait est avéré. Les autorités, embarrassées par ce problème, taisent la question.

Des réponses lapidaires, notamment du Ministère de l'intérieur, traduisent en fait clairement le peu d'intérêt qu'accordent les pouvoirs publics au traitement de cette question, manifestement gênante pour eux. Le constat est simple. Rien n'a été fait, en dehors de l'ouverture d'un seul centre d'accueil pour tout le pays (à Bou-Ismaïl, situé à 40 km de la capitale Alger) par Madame l'ex-ministre de la Solidarité et de la Famille. Un centre qui reste désespérément vide, ces femmes, quand elles franchissent le cap de la confidence, souhaitent une aide plus discrète, à l'abri des regards inquisiteurs. Une aide qui préserve leur dignité de femme et de citoyenne.

Il est important de relever que les personnes ayant subi des abus sexuels ne sont pas assimilées à des victimes du terrorisme, bien que meurtries dans leur chair et dans leur âme. Elles n'ont pas le droit, par conséquent, à une réparation matérielle et morale (allocation versée par l'Etat à d'autres victimes).

Aucun des gouvernements qui se sont succédés depuis le début de la violence des intégristes politiques n'a encore moins le sens de l'humanisme de se pencher sérieusement sur ces tragédies, préférant, au contraire, les ignorer superbement. La législation en vigueur en la matière ne s'adapte pas à ces situations. En temps "ordinaire", un cas de viol est immédiatement déclaré par la victime ou un de ses proches aux services de sécurité avec dénonciation de l'auteur de l'acte. Sinon, la procédure judiciaire a peu de chance d'aboutir. Or, comment une femme enlevée par des individus, violée par plusieurs d'entre eux et ayant réussi à s'échapper quelques jours ou quelques mois plus tard, peut-elle suivre le cheminement réglementaire ?

"Leur donner un statut de victimes de viol, c'est les assimiler à des prostituées", lâche une fois un haut fonctionnaire, harcelé sur cette question par des associations féminines. "C'est une aberration", répondent-elles ! Elles ont trouvé le mot juste pour susciter la compassion des fonctionnaires des Administrations, lesquels ont accepté d'occulter le viol pour ne déclarer qu'une incapacité physique. Grâce à leur détermination, quelques victimes du "mariage de jouissance" (c'est ainsi que les intégristes justifient le viol) ont pu, malgré tout, bénéficier d'une petite pension selon le taux d'incapacité.

Selon la présidente du centre d'écoute d'El Biar à Alger :

"Ceux qui ont tué, violé ont droit aujourd'hui, grâce à la loi sur la concorde civile, à la réinsertion, mais pas leurs victimes, c'est un non-sens !".

Elles sont nombreuses les naufragées (plus de 8 000) à avoir été violées dans les maquis islamistes, martyrisées, à jamais blessées, reniées par leurs familles, elles attendent que leurs cas soient pris en charge par les institutions de l'État. Et durant ces huit années de violence, presque rien n'a été entrepris pour assister psychologiquement ces victimes. À ce sujet, les psychiatres sont unanimes : si les pouvoirs publics ne réagissent pas en mettant en place, au plus vite, des structures adaptées de prise en charge, ils auront à gérer, dans quelques années, une société délirante, hystérique et violente.

Mais ne sommes-nous pas déjà là ? Des centaines de femmes violées se retrouvent enceintes (il est difficile de donner des chiffres). Que deviennent les enfants nés de ces viols? L'avortement, même dans des cas particuliers comme le viol commis par les terroristes, n'est pas encore toléré et permis. À la demande de certaines associations, notamment l'association Djazaïrouna, l'ex-ministre de la Solidarité et de la Famille n'a pas trouvé mieux que de se référer au Haut Conseil Islamique pour une fatwâ. Celui-ci hésite, tergiverse. Entre-temps, le Ministre de la santé, Yahia Guidoum, intervient en proposant ce genre de cas dans le cadre de l'avortement thérapeutique.

Toutefois, cette directive n'a jamais été suivie d'une réglementation protégeant les médecins de représailles. La majorité d'entre eux refusent d'accéder à la demande de certaines femmes. Courageux et d'une compassion rare à l'égard du drame de ces victimes, certains gynécologues ont pourtant franchi le pas. Plus d'une centaine de jeunes filles ont pu couper le cordon ombilical avec un passé tragique.

En revanche, l'on ne connaît pas vraiment le sort des enfants nés de ce genre de situations. On soupçonne certaines familles de les avoir carrément étouffés à la naissance. La solution pour les autres était de les faire adopter par des proches dans une discrétion aussi totale que celle dans laquelle s'est déroulée la grossesse. D'autres enfants ont été placés dans des pouponnières et chez des familles d'accueil. Un véritable parcours de combattant. Il est difficile, en effet de faire adopter des bébés nés d'une telle tragédie. D'un côté, on se retrouve devant le problème de la mère qui refuse que son nom figure sur la fiche d'état civil du nourrisson de crainte d'être poursuivie par la justice pour complicité avec les terroristes et, de l'autre, les familles candidates à une adoption redoutent que, plus tard, le père terroriste réclame l'enfant.

Il n'existe aucune évaluation officielle du nombre d'enfants nés dans les maquis. L'association des familles des victimes et des ayants droit affirme, néanmoins, que l'État se penche sur le cas de près de 3 000 naissances dans ces conditions particulières en vue de leur régularisation.

III - LE SALUT VIENDRAIT-IL DES FEMMES

En continuant à travailler et en envoyant les enfants à l'école, les femmes bravent quotidiennement la mort, elles marquent ainsi leur opposition à la violence. Elles doivent désormais lutter non seulement pour leurs droits mais également pour leur survie. Dans les villes comme dans les campagnes, elles souffrent en silence, elles pleurent l'époux, le frère, le fils et elles souffrent dans leur chair car les viols, bien que courants, sont tus.

Dans les grandes villes, elles essaient de résister à la peur et se mobilisent contre le terrorisme. Certes, certaines manifestations ont été de fines manipulations politiques du pouvoir et de certains partis mais leur présence sert de caution à l'option moderniste qu'ils défendent sans, pour autant, rien enlever à l'acte de résistance de ses participantes.

Dès 1992, au lendemain de l'arrêt du processus démocratique, un comité de femmes démocrates est créé regroupant plusieurs associations féminines.

Les femmes vont également militer en force au sein du "Comité national pour la sauvegarde de l'Algérie (C.N.S.A.)" et participer en masse aux diverses manifestations pour la démocratie et la tolérance. Leur nombre est impressionnant lors de la marche du 2 janvier 1992. La marche contre le terrorisme du 22 mars 1993 rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes, dont un tiers sont des femmes. La deuxième manifestation contre le terrorisme du 22 mars 1994 a été qualifiée de rassemblement de femmes car leur nombre était important. Elles n'ont pas manqué de marquer la journée internationale de la femme durant toutes ces dernières années éprouvantes. En pleine psychose d'assassinats à Alger, bousculant la tradition, elles suivent les cortèges funéraires et assistent aux enterrements. Ce n'est qu'après une forte pression des femmes que, le 8 mars 1994, le ministre du Travail et des Affaires Sociales déclarait que l'État avait pris les dispositions réglementaires pour la protection des victimes du terrorisme et la prise en charge de leurs problèmes ou des ayants droit.

Cependant, il faut relever que toutes les femmes n'adhèrent pas aux idées d'émancipation de la femme. En effet, certaines portent le hidjâb et militent dans les mouvements islamistes. Mais, ce sont surtout dans les milieux urbains que les femmes constituent le terrain le plus favorable pour le mouvement intégriste, elles sont frustrées car elles ont conscience de la modernité sans en avoir les avantages. Elles n'ont donc rien à perdre et prennent ainsi leur revanche par rapport à celles qui, à leurs yeux, ont acquis leur liberté. Mais, toutes celles qui ont reçu une instruction restent attachées à certains acquis.

A - DISCOURS DE FEMMES, DE MILITANTES

Le discours sur les femmes modèles pose des questions : Qu'est-ce qui se dit ici ? Ces filles qui poursuivent des études supérieures et aspirent, on l'a vu, à une vie professionnelle réussie ne peuvent-elles, de ce fait, s'identifier à leurs mères ? Quels sont, à présent, les modèles évoqués par le discours des associations de femmes ?

Citons quelques extraits de ce discours revendicatif au sens strict produit dans des conjonctures bien déterminées :

"Nous, Algériennes, héritières de la Kahina, de Fatma N'Soumer et Hassiba Ben Bouali, appelons..." 232(*).

"De plus, Monsieur le Président, notre histoire regorge de femmes-symboles, motifs de notre fierté pour les femmes algériennes et celles du reste du monde. Et, à supposer que nous soyons subitement en mal d'identification, la Kahina, Fatma N'Soumer, Hassiba Ben Bouali et tant d'autres sont des trésors d'inspiration" 233(*).

"Nous ne permettrons pas que le sang versé par Hassiba Ben Bouali et ses campagnes soit oublié..." 234(*). 

"Nos aînées, moudjâhidâtes...".

"Chkoun hna ? Bnât Hassiba", slogan chanté en arabe dans les marches, meetings... et signifiant: "Qui sommes-nous ? Les filles de Hassiba".

Comme on le voit, on retrouve, de nouveau mais de façon beaucoup plus récurrente, la référence à la guerre de libération et aux combattantes de la révolution. Cette référence peut apparaître comme une référence obligée. En réalité, la guerre de libération en Algérie est, pour différentes raisons, un véritable enjeu symbolique :

q La guerre de libération et l'indépendance sont des événements fortement gratifiants dont les Algériens ont tiré beaucoup de fierté dans la mesure où ils avaient le sentiment de naître à la citoyenneté algérienne.

q Les pouvoirs qui se sont succédés depuis l'indépendance ont tous assis leur légitimité autour de cette guerre et, ce faisant, se sont emparés de cet événement glorieux, l'édifiant en mythe.

q Toutes les forces se sont affrontées autour de ce mythe de sorte qu'avec l'émergence du pluripartisme, s'ouvre un débat acharné sur "les vrais et les faux fils de Novembre", sur "le véritable esprit de Novembre..." 235(*).

Il semble qu'aucune légitimité ne puisse se construire en dehors de ce mythe. Les associations de femmes revendiquent, elles aussi, une part de ce mythe en se donnant comme modèle les moudjâhidâtes, d'autant plus que l'histoire qui s'écrit autour de cet événement fondateur a tendance à oublier les femmes.

Tout ceci est fort bien résumé par M. Gadant :

"C'est aussi parce que les femmes savent que les moudjâhidâtes ont été constituées en valeurs de légitimation par le pouvoir et que cette valeur fonctionne socialement qu'elles se réfèrent aux moudjâhidâtes..." 236(*).

La référence aux moudjâhidâtes permet, d'une part, de légitimer le mouvement des femmes contre le pouvoir qui promulgue le Code de la Famille, c'est-à-dire à minorer les femmes, négligeant ce qu'il leur doit et, d'autre part, d'empêcher la récupération islamiste en dressant contre l'image des combattantes de la foi celle des combattantes de la libération.

Parmi ces combattantes de libération, Hassiba Ben Bouali tient, c'est évident, une place privilégiée. Hassiba Ben Bouali naquit en 1938, elle devait avoir 16 ou 17 ans quand elle commença à participer à la guérilla urbaine dans la Casbah d'Alger. Elle milita aux côtés de Yacef Saadi et Djamila Bouhired, fut recherchée par la police dès octobre 1956 et condamnée par contumace en mars 1957. Elle fut tuée pendant la célèbre bataille d'Alger le 8 octobre 1957. Est-ce cet itinéraire assez extraordinaire qui fait d'elle l'héroïne privilégiée du discours des femmes ? C'est une possibilité qui mériterait d'être davantage creusée par un examen plus rigoureux d'un certain nombre d'autres faits : par exemple, les médias de l'époque n'ont-ils pas contribué à l'instauration du mythe ?

Fatma N'Soumer, elle, organisa la résistance contre l'occupant français en Kabylie. En 1854, 1855 et 1857, elle mena et gagna plusieurs batailles contre l'armée française qui tentait de pacifier les montagnes et les villages de Kabylie. De nombreuses femmes étaient à ses côtés dans la lutte et la suivirent lors de son incarcération.

La Kahina lança et dirigea une armée contre l'envahisseur dans les Aurès en battant les troupes de Hassan en 688. C'était donc une femme qui, comme l'écrit G. Camps :

"Exerça directement le commandement ; cette capacité à conduire des troupes vers le combat et vers la victoire fait d'elle la seule autorité de fait dans toute l'Afrique du Nord" 237(*).

Deux figures berbères érigées en mythes, à la fois héroïnes, combattantes et chefs ; elles représentent et illustrent, pour les femmes qui luttent aujourd'hui, la capacité des Algériennes à assumer leurs responsabilités historiques et leurs rôles dans la société. Leurs noms criés et le symbole qu'elles portent assurent, eux aussi, la légitimité du combat actuel des femmes. La continuité est affirmée avec ces combattantes du passé : le combat des associations se trouve ainsi inscrit dans une profondeur historique. Les militantes se choisissent des mères combatives, fortes.

IV- LA FEMME ET LA POLITIQUE APRÈS 1992

Comme nous le rappelle Moscovi 238(*) :

"La relation de l'homme et de la femme apparaît, ici, primordiale. Prototype et idéal de toutes les autres relations, elle permet de juger le niveau auquel est arrivée la société humaine".

C'est pourquoi, l'État algérien, si son projet réel est de faire de la société algérienne une société moderne, doit penser à transformer, dans un sens positif, le statut actuel de la femme. Et pourtant, on constate que la femme n'est aujourd'hui, en Algérie, l'objet ou le sujet d'aucune politique d'émancipation réelle.

Peu de femmes occupent des postes de députés à l'Assemblée Populaire Nationale et seulement quelques-unes sont responsables à des postes politiques importants. Toutes ces femmes participent à la vie politique mais elles n'ont pas le poids pour l'élaboration des décisions politiques et leur application. Leur nombre, peu important, pourrait ne pas être considéré, on rétorquait qu'il n'y a rien à changer du jour au lendemain... Mais, le Code de la Famille, la lutte contre la mixité et la violence dont les femmes sont souvent victimes nous prouvent que, loin d'évoluer ou même seulement de stagner, le statut de la femme tend à régresser. Nous pouvons donc dire clairement qu'il n'y a aucune politique de la femme.

Les partis politiques (les démocrates) se sont rapprochés des associations de femmes constituées officiellement après octobre 1988 - lesquels ont été les premiers à avoir le merveilleux courage de s'opposer à ce qu'il y a de plus obscur et de plus rétrograde dans notre société - et leur ont donc montré la véritable voie à suivre. Qu'on laisse le gouvernement essayer de résoudre les problèmes économiques en élaborant de merveilleux modèles monétaires. Le problème est ailleurs : il est dans la résolution des problèmes identitaires et linguistiques. Ce peuple, qui est parmi les peuples qui ont le plus souffert au monde, qui n'a plus de langue pour s'exprimer, dont on a manipulé l'identité, dont beaucoup n'ont plus d'espace pour manger, dormir et se reproduire, est un peuple qui ne répondra à aucune incitation politique. Il n'est pas dupe quand on offre sa femme en otage pour qu'il accepte de nouveaux sacrifices économiques.

Depuis 1988, de nouvelles associations de femmes se sont constituées du fait qu'elles ont des propositions concrètes, rivées sur la vie quotidienne, et ont pu, pour la célébration du 8 mars 1995, rassembler plus de 15 000 femmes (et plus, selon certaines estimations) dans une manifestation monstre dans la rue (et dans plusieurs wilâyas) contre les menées rétrogrades et la violence extrémiste dont elles sont quotidiennement l'objet, chose dont l'U.N.F.A. n'a pas été capable depuis 1962.

Seules, sans aucun voile ni protection masculine, elles ont affronté les aléas de la rue dont nul ne pouvait, a priori, prévoir la réaction. Donnant des leçons de courage politique au gouvernement, elles ont été les premières à dénoncer publiquement les programmes qui pénalisent les femmes. Les premières, elles ont réussi, lors d'une rencontre à la fin de l'année 1989, à créer une coordination entre les diverses associations de femmes pour proposer un programme d'action commun, sans aucune concession à l'association des femmes intégristes.

Ceci augure de la création d'une organisation nationale autonome et démocratique des femmes, d'un journal posant leurs problèmes... Depuis 1995, une maison des associations s'est construite en 18 mois (opérationnelle avant la finition des travaux) à Alger grâce au Comité National des associations s'occupant de la famille (dont j'étais membre actif) et l'aide des organisations non gouvernementales françaises (Emmaeüs, France-Liberté, Secours Populaire, etc.) et à la C.E.E. Des maisons de la femme se sont créées dans plusieurs wilâyas (départements). Ces lieux permettent aux femmes de se retrouver, de discuter, de s'éduquer, de se former (couture, cours de tous types : alphabétisation, droit, gymnastique, remise en forme, exploitation de leur savoir-faire...).

Ceci est le meilleur objectif que s'est donné le Comité du fait que les femmes cloîtrées dans leurs domiciles ne peuvent, comme les hommes, se rendre dans les lieux publics pour s'y distraire et débattre de leurs problèmes car, dans ce pays, elles subissent doublement la crise économique en tant que citoyennes et en tant que femmes.

Pour conclure, je peux dire que peu de femmes algériennes accèdent à des postes de responsabilité importants (aucune femme n'est nommée ambassadrice, consul ou préfet...). La politique demeure une chasse gardée des hommes. Dans une société par essence phallocentrique et par-delà les compétences, l'on ne confie pas, sans une certaine démagogie, les rênes du pouvoir à une femme.

Mme Mahdjouba Chebha a créé la surprise en se présentant aux élections présidentielles de novembre 95 (première candidate dans l'histoire de l'Algérie de notre siècle). Son programme n'a pas séduit, elle n'a guère fait le poids devant les autres candidats mais, il n'en demeure pas moins qu'elle a brisé un sacré tabou en briguant le poste de présidente de la République algérienne. Après les élections, Mme Mahdjouba s'est complètement effacée de la scène politique, à croire que son ambition se limitait finalement à une candidature sans issue.

Actuellement, les femmes qui investissent le champ politique se limitent à quelques personnalités connues : Khalida Messaoudi, ministre de la communication et de la culture ; une autre femme a intégré le nouveau gouvernement , Mme Rabéa Mechermène qui est la locataire du Ministère de la Solidarité en remplacement du Secrétariat d'État chargé de la solidarité et de la famille. Mme Leïla Aslaoui avait été la seule à avoir fait parler d'elle en démissionnant du gouvernement précédent afin de protester contre le rapprochement qui se dessinait, à l'époque, entre le pouvoir et le parti dissout. Elle n'a jamais caché son hostilité vis-à-vis de l'islamisme intégriste...

Ces femmes ministres, confinées dans des missions d'ordre social, n'ont jamais fait vague durant leurs mandats.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE I

LA GRANDE KABYLIE

Mon travail de terrain s'est effectué à Tizi-Ouzou, capitale de la Grande Kabylie. La Kabylie correspond à une aire géographique et linguistique. Elle trouverait sa genèse dans une dynamique historico-culturelle que l'on retrouve chez plusieurs groupes de la Méditerranée. Pour cela, il est nécessaire d'en connaître la situation géo-historique, socio-économique et ses particularités par rapport aux autres régions d'Algérie. Ces explications abrégées sur l'identité des berbères et l'acculturation se retrouvent dans les histoires de vie. Les femmes interviewées se sentent algériennes mais également berbères plus précisément berbères kabyles.

I- LES BERBÈRES ET LA GRANDE KABYLIE

A- DESCRIPTION DE LA GRANDE KABYLIE

La Kabylie est cette aire berbérophone (dont la langue mère est le berbère). Scindée en deux (Petite Kabylie et Grande Kabylie) à l'époque coloniale, la Kabylie dépendait principalement des départements avoisinants (Alger, Constantine, Annaba...).

En 1974, une nouvelle organisation territoriale la découpe en trois Wilâyas (départements) : Bédjaïa, Bouira et Tizi-Ouzou, trio auquel s'ajoutera, en 1984, une autre wilâya, celle de Boumerdès dont dépendront désormais certaines régions rattachées auparavant à la wilâya d'Alger.

B- TIZI-OUZOU, CAPITALE DE LA GRANDE KABYLIE

Tizi-Ouzou, capitale de la Grande Kabylie (à 100 km d'Alger), se situe au pied du massif du Djurdjura dont l'altitude augmente, d'ouest en est, de 600 mètres pour atteindre le point culminant de 2 308 m appelé Lalla Khadidja (nom d'une femme). La mer (Tigzirt-sur-mer) se situe à 35 km de Tizi-Ouzou. On reconnaît de loin les cimes de ce massif calcaire qui brillent au soleil grâce à des neiges persistant, quelquefois, jusqu'au mois de mai.

Du point de vue administratif, elle fut un département pendant la colonisation française (1830-1962), elle forme, depuis l'indépendance, la troisième wilâya (département) de la nation. Avec ses 60 000 km² de superficie, elle représente 12 à 18 % de la population algérienne, laquelle était estimée, en 1985, à 21 510 000 d'habitants. Grâce à une population démographique galopante, elle atteignait, en 1998, plus de 3,8 millions d'habitants.

C- APERÇU HISTORICO-GÉOGRAPHIQUE DE LA BERBÉRO-PHONIE

L'origine du mot berbère a donné lieu à de nombreuses controverses. Les Berbères se désignaient par le terme Imazighen (singulier : Amazigh) qui signifie les "Hommes libres" ou les "Nobles guerriers". Les Kabyles méconnaissent leurs origines historiques car ce n'est pas ce qui est écrit qui guide leur vie mais ce qu'ils reçoivent de leur groupe par transmission humaine orale grâce aux femmes.

Les théories qui expliquent l'histoire de l'Algérie ont traditionnellement reposé sur les nombreuses invasions et migrations de l'Afrique du Nord. Leurs idéologies ont été reprises suivant le courant du contexte politique et spirituel dans lequel elles se sont développées : les Berbères ont été juifs, ensuite chrétiens à l'époque romaine, puis musulmans depuis la conquête arabe. Il est exact que d'illustres personnages ont incarné ces convictions nouvelles, dont les plus connus sont certainement Saint-Augustin pour la religion chrétienne et Ibn Khaldoun pour l'arabe. Dans le même sens, la rébellion des Berbères, et surtout des berbérisants, est idéalisée dans le personnage de La Kahina (reine des Berbères) qui opposa résistance aux forces des conquérants arabes.

Les Kabyles étaient des paysans sédentaires et guerriers mais, avec le temps, ils délaissèrent comme tous les Algériens leurs villages et leurs montagnes pour s'installer dans les grandes agglomérations comme Tizi-Ouzou. Ils se nourrissaient de céréales (orge, blé) et des légumes de leurs jardins potagers. Ce sont aussi de grands arboriculteurs en raison de la nature de leur sol. Les olives et les figues constituaient un élément de base de leur alimentation. L'industrie se limitait à l'artisanat, notamment celle des armes, du bois, du tissage et de la bijouterie.

D- ORIGINES DES BERBÈRES

Les diverses origines données aux Berbères nous font remonter jusqu'à Hérodote qui en fait des tribus indo-européennes venues des plateaux d'Asie Mineure. En effet, les Berbères seraient les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noé. Leur aïeul se nomme Mazigh.

Le terme "kabyle" est la forme européanisée de l'arabe qbayl (tribus, singulier : qabîla). Cette dénomination a été introduite par les voyageurs européens 239(*). De nos jours encore en Algérie, seuls en usent les sujets s'exprimant en français. L'arabophone dira bled leqbayel (pays des tribus, zwawa en Oranie). Quant aux Kabyles eux-mêmes, ils emploient un terme du très ancien fond berbère : "Tamourth", la terre natale, la patrie, le pays. Cependant, toutes ces affirmations ne sont, en fait, que des hypothèses.

E- IDÉOLOGIES DES KABYLES

Depuis plus d'un demi-siècle, une idée circule tentant de se frayer un chemin difficile, portée tour à tour par des individus et de petits groupes souvent migrants et originaires de la Grande Kabylie. Cette idée exprime une Algérie algérienne, une Algérie arabo-berbère qui remet en cause la définition exclusive de ce pays comme Nation arabo-musulmane.

Porté par une jeunesse entièrement formée par le système socio-éducatif étatique mis en place après l'indépendance, ce mouvement a réussi à faire la jonction entre la Grande Kabylie et la Petite Kabylie, à établir des ponts entre migrants et autochtones et à réconcilier deux générations séparées par la guerre. La langue kabyle, longtemps refoulée et repliée sur ses franges rurales, se propage et s'affirme pour la première fois dans les villes. Cette revendication est traversée par de multiples contradictions. Elle est encore à la recherche d'un projet culturel cohérent acceptable par les deux populations berbérophones non-kabyles et les arabophones.

F- LES VILLAGES KABYLES

Le village traditionnel de la Kabylie se présente sous l'apparence d'une tâche compacte et homogène. Avec leurs toits le plus souvent à tuiles rondes de couleur rouge, les villages épousent la forme du terrain et se confondent avec le paysage. On accède difficilement aux villages haut perchés d'autant qu'aucune indication ne précise comment y parvenir. On peut seulement lire, quelquefois, à l'entrée des plus grands villages leurs noms en lettres latines ou arabes et, depuis "le printemps berbère", en tifinar, écriture berbère quasi-inconnue de la majorité de la population kabyle qui ne l'écrit pas.

Il y a, en Kabylie, une grande mobilité des femmes dans le village traditionnel et seuls les hommes doivent respecter l'interdit consistant à ne pas le dépasser s'ils ne sont pas accompagnés et non-résidents. Le village dans la société traditionnelle était alors une cité entièrement occupée dans la journée par les femmes qui s'affairaient constamment dans les maisons mais aussi se déplaçaient dans les jardins ainsi que dans les champs et pour aller chercher l'eau à la fontaine. La femme kabyle trouve toujours une aide dans une maison voisine pour la garde d'un enfant, d'un malade, pour la récolte de fruits, pour les préparatifs des festivités...

Les femmes étaient responsables de la production comme de la reproduction qui relevait du domaine domestique. Mais, en plus, le travail n'était jamais antinomique de la vie privée ni séparé de la vie des loisirs. Toute l'existence de la femme kabyle suivait un rythme saisonnier en corrélation avec le temps sidéral (préparer la galette, chercher l'eau à la fontaine, récolter les fruits et les olives, sécher fruits et légumes...).

La division du travail entre sexes existe bien en Kabylie mais que certains travaux incombent aux femmes et d'autres aux hommes, cela ne sous-entend pas le pouvoir ou la domination des uns sur les autres. En effet, même si les travaux sont partagés entre les genres, ceux-ci restent alternatifs et interdépendants et ne visent, réunis ensemble, que la subsistance du groupe familial. Le partage du travail

réunit aussi les hommes et les femmes ensemble dans une même activité : par exemple, le pressoir de l'huile autour duquel hommes et femmes collaborent à une même activité mais chacun a son propre travail. Nous rappelons que la production de l'huile d'olive kabyle se fait en famille et qu'il n'existe qu'une très faible production industrielle à l'échelle nationale.

Le respect des valeurs de cette société établies dans le domaine familial et transmises par les femmes va se poursuivre dans la vie communautaire villageoise. Il se reflétera dans son institution unique et suprême qui est la "Tadjemâ`at" : assemblée villageoise réglant les litiges et tout ce qui a trait à la vie collective du village... qu'on appelle le droit coutumier. Même les immigrés en France perpétuent cette loi en s'organisant en comité de village. En faisant valoir leur solidarité à leur village d'origine, ils ne pourront pas être exclus du clan du village.

Le village kabyle est entièrement occupé par des habitants qui forment une grande famille. Tous sont socialement liés dans les rapports consanguins mais aussi d'aide mutuelle. La famille kabyle n'est pas restreinte au couple et à ses enfants.

La notion kabyle de l'être humain uni à d'autres, en particulier aux ancêtres disparus, contredit celle de la société moderne dans laquelle l'individu isolé, seul et sans famille se suffit à lui-même. C'est donc à partir de la famille et non à partir de l'individu que j'ai décrit dans le chapitre espace public/privé. La vie en groupe va se refléter aussi bien dans les travaux individuels que collectifs, dans leurs rites et dans la pratique de l'entraide ainsi que dans l'infrastructure du village.

Le culte de la famille et des ancêtres caractérise les liens humains que les Kabyles vivaient selon la continuité de la vie de leurs parents dans la retransmission de leurs savoirs et coutumes. Il ne s'agit pas de simple vénération mais de poursuivre leurs vies passées au travers de leurs descendances. Cet esprit qui unifie le passé au futur et à la mort se prolonge dans la récitation des contes et légendes mythiques. Il est exprimé dans tous les domaines de la vie quotidienne (que les femmes perpétuent).

"Les mères kabyles sont l'élément conservateur, par excellence, de la civilisation du verbe et de la culture de la terre natale dans laquelle elles seules représentent le fondement de la vie en famille" 240(*).

La femme kabyle incarne le mythe de la création en illustrant (dans ses travaux de poterie ou de tissage) le fait essentiel et capital que c'est elle qui façonne magiquement le monde de la nature et des humains.

Si quelques paragraphes sont consacrés à la Kabylie, c'est parce qu'il se dit toutes sortes de choses, en France, sur cette "Suisse de l'Algérie" où tout serait différent du reste du pays. Les femmes, notamment, y seraient plus libres, plus instruites et émancipées qu'ailleurs (du fait de l'implantation d'importants missionnaires de pères blancs et de soeurs blanches...). La preuve, vous dira-t-on, c'est qu'elles ne sont pas voilées mais gardent leurs filles pour les hommes de la famille.

Une manière, explique Germaine Tillion, de préserver à la fois "la pureté de la race", "l'honneur de la tribu" et "de conserver son patrimoine" puisque le douaire donné à la jeune fille par son futur mari restera de toutes façons dans la famille en cas de répudiation.

G- L'ORGANISATION SOCIALE

Les Kabyles vivaient jadis dans les villages (Tuddar) coiffant les crêtes des montagnes pour se défendre contre l'ennemi. Les Kabyles avaient une assemblée ou siégeaient les hommes : Tadjmâ`at. Hanoteau et Letourneux, dans La Kabylie et les coutumes kabyles, font une description minutieuse de cette institution :

"(...) Les séances de la djemâ`a sont généralement très longues. L'habitude de la vie parlementaire a donné naissance, chez les Kabyles, à une sorte d'éloquence verbeuse qui saisit toutes les occasions de se produire. (...)" 241(*).

La tribu est formée de plusieurs villages formant une unité politique et administrative complète, un corps qui a sa propre autonomie. Ce sont de véritables villages républicains. Comme l'a écrit Alexis de Tocqueville (1847) :

"Chez les Kabyles, la forme de la propriété et l'organisation du gouvernement sont aussi démocratiques que l'on puisse l'imaginer" 242(*).

L'organisation socio-politique du monde kabyle se caractérise par un ensemble de cercles concentriques sans pour autant déboucher sur une centralisation du pouvoir. Laarche (tribu) et taqbilt (confédération) sont les derniers maillons de cette organisation socio-politique. Cette forme d'organisation a repris son cours depuis début 2001 (les émeutes en Kabylie).

Aujourd'hui, avec les perturbations (depuis les émeutes de mai-juin 2001) que connaît la Kabylie, les djemâ`a reviennent, s'organisent, se concertent. Les jeunes refusent la présence de la gendarmerie dans leurs villages alors, ils se réfèrent aux décisions de l'Assemblée des villages (Comité des djemâ`a).

J'ai exprimé une importante remarque à ce mouvement (qui est entrain de s'essouffler), lors d'une rencontre à Paris avec un des représentant de ce Mouvement à Beur FM (radio communautaire): c'est d'avoir exclu les femmes de leur Mouvement. Il m'a été répondu « qu'il faut protéger nos femmes..., nos réunions se terminent tard..., le terrorisme...». Probablement, leur combat est légitime mais ils reproduisent un schéma clanique qui perpétuent les traditions avec de nouvelles idées... Pourtant plusieurs jeunes filles étaient déterminées à les rejoindre mais ils les refusent...

II- L'ACCULTURATION

L'acculturation est d'intensité variable allant du simple vernis de civilisation occidentale ou arabe à la transformation psychologique profonde faisant que les intéressés disent : "nous les Kabyles, nous les Arabes...". Cependant, c'est une évolution difficile à cerner quant à sa réalité profonde et, dans tous les cas de figures, très lente. Prosaïquement, elle représente les changements socioculturels entraînés par le contact prolongé entre des groupes et des sociétés différentes.

L'acculturation, vue dans le chapitre : "La femme et la scolarisation" 243(*), renvoie aussi à l'introduction de l'école dans son acceptation scientifique et occidentale. On dit même qu'avant la colonisation, l'Algérie était plus alphabétisée (en arabe) que la France 244(*) car l'éducation passait par les mosquées, les zaouia ou confréries maraboutiques et les centres d'études islamiques, là où l'enseignement était aussi le véhicule d'un savoir être.

"Le savoir inclut la sagesse ; il n'est pas morcelé, c'est un savoir global comme celui évoqué dans la Grèce antique" 245(*).

Cependant, il est certain que l'écrit n'était pas l'apanage de toute la société kabyle. Les femmes kabyles, qui ont eu la chance de fréquenter l'école, lisent en français et parlent le kabyle à la maison.

III- LES REVENDICATIONS ET LA LANGUE

A- RÉALITÉS LINGUISTIQUES

Le tamazight (le berbère) est une langue parlée en Afrique du Nord par les autochtones (Imazighen 246(*)). Le berbère est donc issu du chamito-sémitique qui comprend, outre le sémitique (phénicien, arabe, hébreu...), l'égyptien (et sa forme moderne, le copte) et le couchitique (Éthiopie, Somalie). En ce qui concerne son écriture (Tifinagh), le premier document daté avec précision est un bilingue : c'est une dédicace à Massinissa, roi berbère en 139 avant J. C. La langue tamazight actuelle est à la fois une et multiple. La langue ne se comprend pas toujours d'une région à une autre, l'existence de plusieurs variantes sont dues au cloisonnement géographique, l'immensité du territoire, les vicissitudes de l'histoire, etc.

Actuellement, les Algériens dans la vie quotidienne de tous les jours ? La réalité linguistique actuelle atteste de l'utilisation de quatre importantes langues : le tamazight (berbère), le français, l'arabe scolaire et beaucoup plus l'arabe maghrébin lequel n'est, en réalité, que le résultat de l'interaction des langues précédemment citées.

À ce propos, Mouloud Mammeri disait que :

"L'arabe algérien est une langue qui, structurellement, est un berbère habillé avec des mots, (...) les gens qui parlent arabe actuellement sont des Berbères qui sont historiquement arabisés (...)., il y a des confluences extraordinaires" 247(*).

B- AFFIRMATION IDENTITAIRE ET PRATIQUES LINGUISTIQUES EN KABYLIE

Ce point de ma recherche se propose de montrer le lien entre l'autovalorisation sociale des Kabyles et l'émergence de leur affirmation identitaire. La revendication berbère ayant réalisé une avancée politique certaine.

Le rapport du Kabyle à soi et, par la suite, à sa langue sera transformé progressivement par l'apparition, au début du siècle, d'un phénomène socio-économique nouveau : l'émigration en France qui vient amplifier de manière fulgurante celle plus ancienne à l'intérieur du pays. Elle est le résultat de la paupérisation de la Kabylie et de l'Algérie de manière générale.

L'émigration interne et externe a métamorphosé le mode de subsistance des Kabyles, il passe du maigre revenu de parcelles de terre montagneuse au salariat plus lucratif, plus régulier et plus stable. Les incidences socioculturelles de ce nouvel idéal économique sont considérables :

q Le contact avec la société industrielle a bouleversé leur échelle des valeurs sociales. À la précarité de la vie agricole, il préfère l'emploi rétribué régulièrement ;

q La valorisation du travail salarié va entraîner celle de l'école. Boudée au début de son implantation à la fin du siècle dernier, elle est maintenant avidement recherchée.

q Les implications de la scolarisation seront multiples. Au plan socio-économique, elle a produit une couche de lettrés composée d'instituteurs, d'employés des administrations (postes, mairies, services sociaux, etc.), d'ouvriers spécialisés et de bon nombre de médecins et d'avocats.

L'école et l'émigration introduiront dans l'ambiance sociale de la région des valeurs universelles de modernité telles que la laïcité, les droits de l'homme et, de manière générale, l'esprit républicain qui se répandront petit à petit et se grefferont sur le vieux socle culturel traditionnel.

Il est à noter que beaucoup de femmes kabyles, n'ayant pas fréquenté l'école, ne savent pas s'exprimer en arabe et se plaignent de ne pouvoir suivre des émissions à la télé ou à la radio diffusées pratiquement en arabe littéral... (quelques progrès ont été fait mais c'est minime...).

"Ainsi, l'autovalorisation sociale, née d'une conjoncture socio-économique favorable en Kabylie, sous-tend la revendication identitaire actuelle. La berbérité est en passe de recevoir, au plan politique, la consécration constitutionnelle en tant qu'un des piliers sur lesquels repose l'identité algérienne, aux côtés de l'arabité et de l'islamité" 248(*).

Bien que, sur le terrain de la pratique linguistique également, on enregistre une évolution de l'attitude des berbérophones et des arabophones des régions de Kabylie en faveur du berbère, les progrès de cette langue, sur ce plan, demeurent timides et sont loin d'être à la mesure de son succès politique.

IV- LES FEMMES KABYLES

Les femmes kabyles seraient "plus libres que les femmes arabes, exerceraient un véritable matriarcat... ". Qu'en est-il vraiment ? Un examen plus approfondi des traditions kabyles amène à nuancer largement ces affirmations mais aussi à constater que, aujourd'hui, jeunes ou plus âgées, en Kabylie ou dans d'autres régions, ces femmes partagent, à des degrés divers, une même aspiration : se libérer de la tutelle masculine.

Il est certain que, depuis quelques décennies et en dépit des considérables transformations qui ont affecté la société kabyle comme la société algérienne tout entière, le statut des femmes n'a encore que peu changé. N'est pas exclue, cependant, toute réalité de changements au féminin ; seulement, ils sont plus discrets et, surtout, moins officiels qu'au masculin.

Si aujourd'hui, l'équilibre démographique entre hommes et femmes tend à revenir à des proportions plus normales, les changements s'accélèrent pourtant encore du fait de l'émigration des femmes elles-mêmes - depuis 1975 et le "regroupement familial" - sous l'influence grandissante de la circulation désormais générale et rapide des personnes et des idées grâce au développement des multiples moyens de communication et d'information. Une jeune fille kabyle d'aujourd'hui, dans un village d'aujourd'hui, a tous les moyens de connaître d'autres modèles de vie que celui de ses mères et, a fortiori, de ses grands-mères ; elle a aussi d'autres aspirations, d'autres besoins.

Comment n'en serait-il pas autrement à l'heure où, tous, hommes et femmes d'Algérie, en dépit - et peut-être même en raison - des difficultés actuelles, expriment des revendications à une vie meilleure. De sorte qu'aujourd'hui, l'insatisfaction naisse, grandisse et se développe. Les femmes elles-mêmes viennent à concevoir la possibilité de changements dans leur vie et certaines vont jusqu'à traduire dans les faits ou exprimer leurs aspirations à davantage de "participation à la société" en dehors du seul cadre domestique. Jeunes ou plus âgées, elles manifestent aussi de plus en plus souvent une volonté croissante d'indépendance, d'émancipation de la tutelle masculine, de ces traditions patriarcales qui persistent encore profondément dans les esprits.

"Car la société kabyle demeure héritière de ses traditions, société patriarcale comme partout au Maghreb, pourtant ici, à idéal démocratique et égalitariste, mais entre hommes seulement" 249(*).

Certes, on a longtemps glosé, un peu à tort et à travers, sur les prétendus avantages ou désavantages du statut et du rôle des femmes kabyles comparés à ceux des autres Algériennes. Mais la question est demeurée en suspens.

"Pour certains auteurs, la "question de la femme kabyle", tantôt elle est jugée plus libre, moins opprimée que la "femme arabe", tantôt, au contraire, davantage opprimée par des règles sociales plus rigides. Nombre de ces interprétations ont ainsi prétendu ériger les femmes de la Kabylie en "modèle" de liberté, tentatives qui s'inscrivent dans une ethno-politique de division qui, pendant la colonisation, tenta d'opposer les "Kabyles" et les "Arabes" " 250(*).

En réalité, les contradictions sont telles que toute la bibliographie ne permet pas d'éclaircir la question. Ce n'est apparemment pas le moindre paradoxe que la littérature de l'époque coloniale - qui se diserte, par ailleurs, quant à la société kabyle, ses us et coutumes, etc. - ne concerne que très partiellement et tout à fait incomplètement les femmes alors même que de gros volumes ont pu être consacrés à certaines autres Algériennes en particulier, par ailleurs, aussi berbérophones : les Aurasiennes ou les Mozabites (femmes du Mzab) 251(*). Il a fallu attendre les publications de Camille Lacoste-Dujardin et Germaine Laoust-Chantraux, pour en disposer en 1990.

L'essentiel n'est pas de reprendre ici la condition des femmes puisqu'elle a déjà été décrite dans la première partie mais de fournir juste quelques réflexions sur les spécificités des femmes kabyles et le processus d'émancipation de la femme.

La société kabyle (algérienne) a subi, en vingt ans, des mutations gigantesques: urbanisation massive, destruction des structures familiales traditionnelles, scolarisation massive avec comme corollaire une scolarisation inédite des filles et, à l'arrivée, également inédite des femmes dans la vie publique. Même si elles y sont encore largement minoritaires, leur présence a totalement perturbé l'image que les Algériens se faisaient d'eux-mêmes. Et, durant toutes ces années de mutation, il n'y eut aucun lieu, si ce n'est peut-être la mosquée, où les individus pouvaient exprimer leur malaise. La réflexion du citoyen de base n'était alors plus alimentée que par les débats dans ces lieux de socialisation habituels : famille, travail, quartier, café, les Djemâa... Les femmes, quelle que soit la région (Kabylie, l'Oranie, l'Algérois...) sont devenues la cause de tous les maux.

Les Algériens sont obligés d'intégrer cette présence nouvelle de la femme, celle-ci ne peut plus retourner aux temps révolus de sa mère. En dépit de toutes les pressions, l'avenir de l'Algérie ne se fera pas sans elle. Les partis dits démocrates et les partis islamistes ne pourront pas construire une société en contournant la question de la femme. La manipulation de la cause féminine par le pouvoir et certains partis, d'une part, et les assassinats des femmes, d'autre part, sont l'illustration de l'importante place qu'elles occupent.

CHAPITRE II

TRAVAIL DE TERRAIN

I- MÉTHODOLOGIE

L'observateur étranger, de passage en Algérie, ne peut manquer d'être frappé par la diversité des paysages notamment des femmes dont l'aspect peut paraître disparate et contradictoire : des femmes voilées (voile blanc ou tchador) dans la rue ou au marché, tenant l'invariable couffin à la main (prétexte pour sortir parfois) ou bien des femmes conduisant une voiture ou allant à pied au travail, très à l'aise dans les vêtements européens ou traditionnels (robe kabyle par exemple).

Autant d'images dont l'apparence contrastée, hétérogène voire baroque est, en fait, le signe d'un changement qui est, indéniablement, en train de s'opérer dans la société algérienne. Mais quels sont les termes de ce changement ? Tout se joue, semble-t-il, dans une dualité temporelle : images du passé qu'évoqueraient les femmes voilées et images du présent que donneraient les femmes travaillant à l'extérieur du foyer.

Au-delà des entrelacs d'aires culturelles auxquels les images renvoient, peut-on se demander comment cette dualité est vécue au plus profond d'elles-mêmes, chez les femmes ? Y a-t-il une discontinuité ou, au contraire, une identité profonde des deux termes ?

"État de ce qui évolue, se modifie, ne reste pas identique" ; cette définition du changement 252(*) indique-t-elle qu'il est le signe d'une mue ou, au contraire, d'une simple mutation en surface, d'une transposition de différents éléments en présence ? Comment ? Pourquoi et vers quoi tend le processus de changement de la femme, constaté au niveau social ?

J'ai essayé de chercher ce processus en interrogeant l'image que la femme a, inconsciemment, d'elle-même en tant que femme, espace imaginaire tout indiqué pour une projection de l'image féminine dont il me semble de saisir l'évolution. Un travail sur la femme algérienne, kabyle me paraît très vaste dans la mesure où chaque thème (l'Islam, le statut, l'identité...) nécessite une étude profonde, complète et indépendante que je n'ai pu approfondir.

Il m'est apparu, dès lors, intéressant d'apporter une contribution à mon étude du phénomène changement / permanent par une recherche sur trois générations de femmes dont la tranche d'âge varie de 17 à 77 ans, soit de milieu différent, soit au sein d'une même famille (jeune fille, mère, grand-mère), citadine ou rurale. Le choix de cette frange de groupes (citadines / rurales, milieu différent / même famille...) résulte de la volonté d'étudier la problématique féminine dans un contexte socioculturel différent du contexte occidental. Il découle aussi du désir de l'insérer dans un univers au sein duquel la religiosité, d'une part, et la tradition, d'autre part, ont créé un vécu quotidien qui maintient la femme dans le cadre de la famille et limite ses activités aux seuls travaux domestiques.

II- PRÉ-ENQUÊTE

Cette recherche a évidemment des limites, ne serait-ce que par les critères qui ont présidé à la constitution des entretiens. Ceux-ci ne prétendent pas être représentatifs de toute la population féminine algérienne et kabyle.

Mon étude a commencé, dans un premier temps, par mes convictions les plus intimes, conquises progressivement mais fermement au fil des années. Convictions que les femmes ont un minimum à défendre et que ce minimum est vital pour nous-même. J'ai tenu un journal où j'inscrivais tout : convictions, notions acquises, préjugés, pensées, expériences, idées, citations... Il m'était indispensable de retracer tout cela pour comprendre les femmes algériennes et kabyles, à travers mon implication... C'était tellement évident pour moi. J'ai été étudiante, femme au foyer subissant le Code de la Famille, ensuite femme travailleuse, militante, aujourd'hui doctorante. Je pensais que la tâche serait facile.

Donc, au-delà des situations particulières et des expériences de chacune et parce qu'elles souffrent toutes de cette insoutenable infériorisation sociale, injustice suprême et intolérable à nos yeux, les femmes ne peuvent que se trouver dans une révolte et dans un refus de cette injustice, qu'elles ne peuvent se retrouver que dans une complicité et une solidarité, agissantes comme on dit ou, plutôt, comme on disait. Car je parlai, bien sûr, des femmes engagées dans un désir de changer les choses, des femmes militantes, de toutes celles qui se sont battues dans ce pays. Je n'ignorai pas, par ailleurs, la complexité et la diversité des paroles, des attitudes ou des aspirations que les femmes peuvent avoir.

Conviction donc qu'une concordance de rêves, de projets, était possible, évidente même. Tout n'était donc qu'une question de langage à trouver, d'expériences à échanger, de méthodes de luttes à inventer, d'argumentations à déployer. Conviction énergiquement optimiste, née d'un sentiment naturellement hostile à l'injustice, nourrie d'utopie marxisto-humaniste, soutenue par une foi inébranlable en l'efficacité de la conscientisation, une foi inébranlable dans la force de la raison (qu'y a-t-il de plus raisonnable que l'égalité entre les hommes et les femmes ?) devant laquelle tout être, homme ou femme, qui en était doué, devait nécessairement s'incliner.

Tout cela me faisais imaginer les femmes algériennes marchant vers la fin de leur "indignité", vers la fin de cette absence d'être dans laquelle on les faisait survivre. Comme les femmes de mai 68, en France, je cultivais un "rêve d'unanimisme communautaire" 1(*). Egalité entre hommes et femmes, entre Algériens et Algériennes : instaurer ou ré-instaurer cette égalité. Retrouver cet intermède heureux de l'histoire de l'humanité où les hommes et les femmes vivaient en harmonie ; époque bénie où :

"Hommes et femmes se partagent la terre et le ciel, non plus selon l'ancien schéma de la séparation des pouvoirs spécifiques à l'Un et à l'Autre, mais dans l'optique où l'on ne peut se passer de l'Autre pour l'accomplissement d'une tâche" 2(*).

Telles me paraissaient être les quelques lignes essentielles de cette recherche, mes convictions, mes implications... Bien sûr, restait une question de taille : Comment faire aboutir un tel projet ? Au-delà des réactions ponctuelles contre certaines dispositions ou certaines décisions institutionnelles, contre certains discours, au-delà des stratégies de résistance que les femmes pouvaient imaginer pour échapper aux diverses discriminations qu'elles vivaient, il m'apparaissait que la bataille devait se situer au niveau de quelque chose de plus fondamental : les représentations, celles des femmes. Seul un travail profond sur les imaginaires pouvait conduire à une mutation

Parallèlement à la tenue de mon journal, j'ai commencé une recherche bibliographique. De nombreuses consultations de bulletins signalétiques, de fichiers de diverses bibliothèques (INRP, CNDFP, Paris VIII, Institut du Monde Arabe, librairies universitaires algériennes, de discussions (l'oralité), d'échanges...) tant à Paris qu'en Algérie, surtout à Tizi-Ouzou, ont été, pour moi, d'une grande aide quoique la majorité des ouvrages traitant de la femme algérienne sont écrits par des occidentaux.

Pour mieux gérer ma recherche bibliographique, les échanges se sont effectués entre étudiants d'où l'émergence d'un groupe de travail. Avec ce dernier, nous avons échangé nos convictions, nos idées, nos écrits, des livres et des documents. Nous utilisions les nouveaux moyens de communications. Ce réseau m'a personnellement permis de mieux cerner mon étude, mes concepts, plus scientifiquement.

Le regard, le témoignage et les impressions d'un français ou d'une française (ou autre) sur la situation de la femme algérienne étaient importants pour moi. C'est une présence donc des femmes (ou des hommes) dans mon univers. Présence, timide encore, certes, mais qui en tant que telle dit déjà qu'en dépit des freins encore nombreux, les femmes de ce pays existent et sont décidées à s'exprimer.

Donc, en premier lieu, je me suis basée sur mes convictions, ma révolte, mes lectures et sur les données de notre mémoire de DEA, afin de dégager une problématique de recherche. Et, dans un second temps, j'ai effectué une pré-enquête (avec mon groupe de travail, mes amis, mes contacts en Algérie, plus précisément à Tizi-Ouzou en Grande Kabylie...).

Pourquoi avoir choisi comme terrain l'Algérie et, particulièrement, la Kabylie ? C'est dans cette région d'Algérie que je me suis investie totalement, le lieu que je connais, qui m'a apporté beaucoup d'éléments sur la condition de la femme algérienne, sa place dans la société, son rapport avec les hommes, avec autrui, avec l'Islam, son rapport avec l'espace public et avec les autres institutions, son rapport à son propre corps. Elle est, dans tout cela, en perpétuel conflit entre deux modes de références : le traditionnel et le moderne. Et j'ai vécu ce conflit avec un autre regard que les femmes que j'ai interviewées et c'est ce regard, cette vision qui m'importe.

La possibilité pour moi d'effectuer une pré-enquête auprès de femmes immigrées en France me paraît biaisée à cause du contexte social, du cadre de la quotidienneté, des conditions de vie avec tous les facteurs d'immigration, d'acculturation... Et aussi, les moyens psychologiques dont disposent les femmes en France sont totalement différents de la société d'origine. Alors, j'ai préféré traiter la femme algérienne dans son contexte, sa propre société, de l'observer de près, de l'écouter et d'être en contact direct avec elle dans sa quotidienneté. L'histoire de vie d'une femme, c'est l'histoire au féminin de l'Algérie, qu'importe son nom : Malika, Chabha, Zohra, Ghenounouche, Ouerdia, Djedjiga, Assia... ? J'ai eu cette possibilité de rapporter leurs paroles, leurs vécus, leurs histoires... Une, toutes sont des femmes algériennes qui manifestent une volonté de vivre dans une Algérie meilleure, une Algérie libre et démocratique.

Ne les appelle-t-on pas femme-courage ? À l'indépendance (1962), elles ont été écartées de la vie de la cité sans raison, peut-être parce qu'elles sont femmes ? Pourtant, les "décideurs", les responsables politiques, les autres ne manquent jamais de rendre hommage à leur courage. Comment pourraient-ils faire autrement alors que même à travers l'Algérie, des lycées, des écoles, des rues portent le nom de centaines d'héroïnes tombées au champ d'honneur par choix ? Mais, pour que cette reconnaissance ponctuelle eut un sens, il eut fallu les associer à part entière dans la gestion des affaires publiques. Il eut fallu ne pas permettre, en 1984, la naissance de la loi "infâme" qu'est le Code de la Famille comme disent la majorité des femmes.

Comment, dès lors, imaginer des femmes victimes du terrorisme, telles Fatma A., Malika B., Fatiha C., etc., violées, égorgées... sous les yeux horrifiés de leurs familles ou de leurs camarades parce qu'elles ont refusé de renoncer à leurs activités professionnelles, au hidjâb, à l'université, à l'école, au mariage de jouissance... Ce sont quelques noms de femmes anonymes parmi tant d'autres. La liste est longue... mais aucune illusion n'est permise : ces résistantes sont oubliées sitôt enterrées. Elles le demeureront à jamais.

En attendant, les mots courage, bravoure... ne sont que des mots. Des mots qui tuent et font souffrir les uns, donnent bonne conscience aux autres, ceux qui conjoncturellement s'inclinent devant le courage des femmes algériennes pour mieux les mépriser et les humilier. De tels hommages laissent de marbre les féministes algériennes parce que leurs aînées, combattantes d'hier, leur ont appris que le courage c'est de dire et de faire les choses au moment où elles doivent être dites et faites, au moment où les circonstances l'exigent. Après, c'est trop tard. C'est là leur seul "héroïsme", leur unique choix.

Face à l'intégrisme islamiste, elles savaient, en 1990, qu'elles allaient tout perdre : certains acquis arrachés, le droit d'exister comme femme. Quel autre choix leur restait-il que celui de se battre au péril de leurs vies ou celles de leurs proches ?

Comme disent certaines femmes :

"Mourir, ce n'est pas tout perdre, mourir ce n'est pas perdre l'Algérie. Nous refusons de retourner à la maison, de nous soumettre à la loi du diktat et de la terreur, que la bête immonde a reculé".

Est-ce surprenant ? Ne sont-elles pas aussi les filles de ces combattantes de l'ombre que furent leurs mères ? Leurs mères leur ont inculqué la force de se battre, la force de croire, d'espérer, de vivre mieux qu'elles en acquérant le savoir, de vivre pour s'exprimer, pour exister et être une femme.

III- REMARQUES SUR LES ENTRETIENS

Après une longue absence, que vais-je trouver dans ce pays déchiré par le terrorisme, par la perte de l'espoir... ? Mon regard changera-t-il ? Qu'adviendra-t-il de mes idées de militante... ? N'étais-je pas une intégriste moi-même, à ma manière, en voulant unifier les modes de vie et de pensées ? Que vais-je entendre que je ne connaissais déjà ?

Lors de mes entretiens et de ma recherche, je n'étais qu'une étudiante préparant sa thèse malgré un âge avancé (que d'exclamations, de félicitations et d'étonnements !... En Kabylie, les femmes de plus 45 ans sont déjà vieilles, peut-être belles-mères ou grands-mères..., donc plus libres... mais pas étudiantes !).

Je disposais d'une semaine pour mon premier séjour en Algérie. J'ai donc joint l'utile à l'agréable en menant de front retrouvailles et entretiens. Mon premier séjour coïncida avec la fête religieuse de la rupture du jeûne (Ramadan) : l'Aïd Esseghir. Je savais que les opportunités étaient fort nombreuses pour rencontrer des femmes de tous âges, surtout chez mes parents (ou ailleurs) qui recevaient beaucoup à cette occasion. J'ai profité des deux questions qui revenaient souvent : "Que fais-tu à Paris ?" ; "Qu'est-ce que tu étudies ?", pour lancer le débat. Je parlais brièvement de ma filière, de Paris, je m'étalais davantage plus sur mon sujet de recherche qui les intéressait beaucoup.

C'était une stratégie pour pouvoir les écouter, connaître leurs avis, leurs pensées... Leur donner la parole pour avoir une technique, du matériau pour mon étude. Ainsi, le débat était lancé autour d'un café, de gâteaux. Elles étaient contentes qu'en France, on s'intéresse à leur sort notamment les femmes âgées à qui j'ai expliqué grosso modo ce qu'est une recherche, comme si j'allais apporter une réponse à leur attente ! C'est leur façon à elles de contribuer à l'évolution de leur situation, selon leurs dires. Les discussions, les échanges sur les points cités de mon sujet et les entretiens se sont déroulés à Tizi-Ouzou chez mes parents, à l'université de Tizi-Ouzou et chez des particuliers (familles)...

Il est indispensable, pour obtenir un dialogue fructueux, de s'impliquer tout en demeurant suffisamment neutre afin de ne pas influencer les réponses (ce que je n'ai pas réussi avec mon premier entretien à l'université avec Leïla) et de permettre que s'établisse la communication par un échange de vue réciproque susceptible d'entraîner une connaissance mutuelle et non unilatérale. Le contact s'est avéré d'une bonne qualité.

Dans l'ensemble, les femmes d'âges et de milieux très différents ont très rapidement manifesté beaucoup d'intérêt pour mon sujet. Certains thèmes fondamentaux sont apparus à travers quelques questions de base, il s'agit de ceux portant sur la participation des femmes dans le politique (vu la situation critique de l'Algérie.), sur les difficultés rencontrées par les Algériennes dans leur société, sur leur statut juridique, sur la place de la femme dans l'Islam et sur la position des hommes en matière d'émancipation de la femme et surtout de leur être, de leur reconnaissance, de leur existence...

Et lors de mon deuxième séjour, j'ai effectué quelques entretiens au siège de la commission sociale du Croissant Rouge algérien de Tizi-Ouzou (équivalent de la Croix Rouge française). À chaque séjour, je profitais pour réaliser des entretiens.

Lors d'un voyage en Tunisie (décembre 2000), j'ai fait un saut en Algérie pour d'autres entretiens, pour vérifier mes propos, mes remarques et, surtout, discuter avec les femmes pour voir leur évolution ; d'autant plus qu'en Tunisie, j'ai été frappée par la liberté des femmes, par leur émancipation (pays arabe voisin) et ce que les hommes tunisiens pensaient à ce sujet. Que d'étonnement et de stupéfactions !... Les hommes tunisiens envient les hommes algériens et approuvent le Code de la Famille algérien car les Tunisiennes sont libres et émancipées depuis 1956 (par le Président Bourguiba).

En Algérie, j'ai enfin pu rencontrer des enseignantes et des syndicalistes de Tizi-ouzou pour m'informer de l'état de l'école algérienne. C'était important pour moi d'être autorisée à effectuer ces échanges officiellement. L'école, lieu privilégié de l'appropriation et de la transmission du savoir. Mais l'école algérienne est malade et nécessite des changements. Pourquoi avoir choisi ces lieux ? Je ne pouvions faire autrement (raisons sécuritaires et temps limité, certains étaient programmés par des intermédiaires). J'ai saisi toutes les opportunités et mon dictaphone était toujours à portée de main afin de ne rater aucune occasion en rassurant l'auditoire de ma discrétion et l'anonymat de mon matériau (leurs paroles) de travail. Très souvent, le débat était favorisé par la situation de retrouvailles, de convivialité et de curiosité.

Ainsi je créais un climat de sympathie avec les interlocutrices en expliquant, avec clarté et enthousiasme, les objectifs de ma recherche. En les mettant dans ce climat de confiance et de sécurité, elles se sont exprimées librement, à coeur ouvert et elles ont même abordé leur sexualité, sujet tabou en Algérie. On les sent directement concernées par ce sujet et elles ont plein de choses à dire, trop bafouées dans leur droits : elles en parlent facilement, c'est très important pour elles car elles expriment ce qu'elles refoulent depuis longtemps. Elles aiment qu'on les écoute car la prise de parole au milieu d'un auditoire ne leur est pas réservée comme à la gent masculine, aux intellectuels, aux politiques, aux militants(es)...

Ce qui a frappé mon entourage, c'est l'écoute particulière que j'avais pour chacune. Elles étaient étonnées de non attitude calme, réceptive et un peu passive car, de nature, j'étais plutôt bavarde, moraliste, révoltée, imposante (par mes idées) par rapport aux droits des femmes. "Est-ce que Paris t'a calmée ?", disaient les unes, "Es-tu en train de changer ? ", "L'université de Paris parle-t-elle de nous ? ", disaient d'autres.

Je voulais surtout les écouter, prendre du recul avec mon militantisme, oublier pour un moment que j'étais algérienne, enfin, rester en posture d'apprentie-chercheur. Bien que ma position de femme ne me fasse pas oublier mon statut juridique et ma place dans la société. On ne peut pas se défaire de sa nature et de ce que l'on a bâti durant plusieurs années.

Certaines m'ont dit que leur lutte continue à travers mon sujet de thèse, dans l'écriture, bien que je ne sois plus le terrain, je reviens avec un peu de scientificité et de maturité. J'étais pour m'approprier leurs savoirs, leurs dires et leurs pensées que j'ai exploités à notre retour à Paris.

Le troisième jour de mon premier séjour, je me suis rendue à l'université en prenant, au préalable, la précaution de confirmer mes rendez-vous avec le département des sciences économiques et celui de Tamazigh (étude de la langue Berbère) pour réaliser mes nos entretiens. La ville fourmillait de policiers, de CRS, beaucoup d'uniformes... J'avais peur et pas rassuré mais j'ai pu enregistré mes entretiens pour en savoir plus sur les femmes universitaires et salariées de l'université...

Pour pouvoir franchir le barrage de contrôle à l'entrée de l'université, J'ai dû exhiber ma carte d'étudiante car toute personne étrangère à la cité du savoir était interdite d'accès. Il faut noter que la tenue vestimentaire (le paraître) était importante, de ce fait, j'ai dû l'améliorer plus que de coutume : une autre stratégie pour avoir plus de prestance. En Algérie, "l'habit fait le moine". Ainsi, j'ai pu entrer dans l'enceinte de l'université et, surtout, convaincre ma peur et mon angoisse.

D'autres courts séjours m'ont permis de réaliser les autres entretiens. Les excuses de retrouver ce pays ne manquaient pas (événements heureux ou malheureux, maladie des parents...) et je ne connaissais pas toujours les personnes avant de les rencontrer, certaines étaient d'anciennes connaissances. Les rendez-vous et les accords de principes étaient pris avant mon arrivée. Vu la situation sécuritaire du pays, la méfiance était de rigueur et les dates de mon arrivée n'étaient jamais précisées ou communiquées. Lors des entretiens, la convivialité s'installait et les échanges étaient toujours fructueux.

Après les entretiens, j'avais l'impression que ma question de départ (selon la grille d'entretien que je me suis fixée) n'était pas respectée car il fallait tout le temps relancer les personnes par de brèves questions. J'aurais voulu avoir plus d'entretiens mais je n'arrivais pas à séjourner plus d'une semaine à Tizi-Ouzou.

Ces deux dernières années, Tizi-Ouzou a connu de graves émeutes concernant la revendication de la langue tamazight comme langue nationale (plus d'un millier de blessés et plusieurs morts).

CHAPITRE III

ENTRETIENS AVEC LES KABYLES

I- ENTRETIENS

A- LEILA, LA DACTYLOGRAPHE

Leïla, 23 ans, est dactylographe, timide, célibataire vivant chez ses parents. Issue d'une famille nombreuse et pas très aisée, elle travaille pour aider sa famille et pour préparer son trousseau (achat de bijoux, de toilettes, de literie...).

L'entretien se déroule dans son bureau qu'elle partage avec d'autres collègues qui étaient absentes : c'était son choix. Lorsque nous lui avons expliqué le sujet, elle a accepté le jeu. Leïla a demandé que nous lui posions des questions bien ciblées (entretien directif). Nous la sentions bloquée, elle nous reprenait en arabe car nous la questionnions en français et en kabyle. Leïla est arabisante (scolarité et formation en arabe) et, chez elle, elle parle kabyle et arabe dialectal.

- Que faites--vous ?

- Je travaille comme secrétaire-dactylo à l'université de Tizi-Ouzou.

- Qu'est-ce que pour vous être une femme en Algérie ? Qu'est-ce que ça représente pour vous ?

- C'est difficile, c'est une lutte pour être une femme (en langue kabyle), oui, c'est difficile.

- Comment difficile ?

- Euh ! C'est difficile !

- Vous auriez voulu être un homme ?

- Non.

- Vous vous plaisez d'être femme, d'être née femme. Votre statut de femme algérienne, est-ce qu'il vous convient ? Vous connaissez le Code de la Famille ?

- Oui.

- Est-ce qu'il répond à vos attentes ?

- Normalement.

- Le statut vous plaît-il (en langue kabyle) ?

- Oui, bien sûr.

- Rien ne vous dérange dans votre statut, dans le Code de la Famille ?

- Non.

- Connaissez-vous vos droits (en langue kabyle) ?

- Oui, bien sûr.

- Avez-vous déjà voté ?

- Oui.

- Plusieurs fois ?

- Deux fois.

- Est-ce que vous étiez heureuse de voter ?

- Non, comme ça, c'est pour la forme et aussi pour dire que j'ai voté, c'est tout.

- Vous sentez-vous citoyenne algérienne ?

- Puisque l'Algérie est perdue, donc j'ai voté comme ça.

- Le fait de travailler est une forme de liberté ou autre chose ?

- Le fait de travailler m'apporte ma place.

- Avoir une place (traduction en langue kabyle) ?

- Bien sûr, je préfère travailler en ayant des droits.

- Que souhaitez-vous à une femme en Algérie ?

- Je souhaite que la femme algérienne sorte travailler, même mariée.

- Souhaiteriez-vous avoir beaucoup d'enfants ? Et combien ?

- Non. Je souhaiterai en avoir deux ou trois et pas un. Je veux deux garçons et une fille.

- C'est important les garçons pour vous ?

- Oui, c'est pour l'héritage.

- Avez-vous des frères ?

- Oui, bien sûr, mais on est nombreuses, les filles : 7 filles.

- En avez-vous beaucoup (garçons) ?

- Deux.

- Est-ce qu'ils sont considérés dans la famille à égalité par rapport à vous ?

- Oui.

- Est-ce que l'éducation des garçons et des filles est la même ?

- Oui, c'est la même dans ma famille mais ma mère et mes grandes soeurs les gâtent plus.

- Demain, allez-vous élever vos enfants à égalité entre filles et garçons ?

- Bien sûr, au même titre et la même chose.

- Si vous avez trois filles, allez-vous avoir un quatrième pour avoir un garçon ?

- Non, trois c'est trois. Pas plus.

Suite à quelques réponses, notamment sur le choix du sexe et du nombre d'enfants qu'elle souhaiterait mettre au monde, elle nous répond :

- J'aimerai avoir deux garçons d'abord, ensuite une fille.

- Pourquoi d'abord deux garçons ?

- Les garçons, c'est mieux !

- Pourquoi c'est mieux ?

- Parce qu'il se débrouille mieux, il est plus libre... son nom reste et puis c'est mieux...

- C'est mieux comment ?

- Il sera considéré, plus respecté, plus gâté... Euh !

- Comment gâté et respecté ?

- Tu vois, comme ça, ma belle-famille me donnera plus de considération et mon mari m'aimera plus, tu sais, dans les familles algériennes, c'est comme ça, surtout pour le nom et moi, je serai bien vue...

- Quel nom ? Comment vous serez bien vue ?

- Pour que le nom reste car la femme change de nom, car elle se marie. Et puis, ta belle-famille te considère, t'aime plus quand tu as un garçon...

J'ai riposté à la fin de l'entretien (qui a duré 25 minutes) en la traitant de "gourde". Je me suis emportée, j'ai failli à ma mission. Pourquoi cette attitude ? Parce qu'elle venait de produire le schéma d'un discours que je refusais d'entendre. J'ai senti que mon entretien était raté et que je n'avais pas respecté ma grille d'entretien, de mon engagement de chercheur. On retrouvait la militante et non l'étudiante telle que je m'étais présentée. Après avoir repris mes esprits, je l'ai remerciée sans m'excuser pour cette réflexion. Avait-elle saisi mon comportement ? Je ne le saurai jamais.

Je pensais, au départ, que je n'avais pas besoin de la relancer par d'autres questions. Je m'étais fixée qu'une seule question : "Qu'est-ce qu'être une femme en Algérie ?" et faire des relances...

Les questions qui ont suivi n'étaient pas programmées, ne faisaient pas partie de ma préparation. J'étais déstabilisée et j'ai improvisé les questions. J'avais pourtant guidé Leïla en lui expliquant au départ mon travail, ma question. Est-ce que Leïla a été déstabilisée devant un petit micro ? Le lieu était-il adéquat ? Par la suite, j'ai essayé de la faire parler pour meubler le temps qui m'était donné et faire du remplissage. J'avais l'impression de me comporter comme un reporter-journaliste (questions-réponses) à l'affût d'informations. J'étais malheureuse et surtout déçue de mon attitude et de ma prestation.

Lorsque j'ai fait part de mon désarroi au responsable qui a programmé l'entretien, il m'a répondu que "Ce n'était pas grave,... C'est cela le travail d'un débutant !". J'ai failli abandonné alorzs, j'ai rencontré Malika.

B- MALIKA

Malika, 25 ans, célibataire, est étudiante en Sciences Économiques à l'université de Tizi-Ouzou. Elle habite la cité universitaire, ses parents sont dans un village à 30 km de Tizi-Ouzou. Elle réside à la « cité universitaire filles » de Tizi-Ouzou.

Ayant raté mon premier entretien, j'ai demandé à être seule avec l'interviewée. Une petite salle près du bureau du responsable était libre et après un commun accord, j'ai demandé à l'occuper d'être plus tranquille et de ne pas être perturbée par le va-et-vient. En reprenant un peu mes esprits suite à l'échec du premier entretien, j'ai repris la question de départ.

- Qu'est-ce qu'être une femme pour vous ?

- Être une femme, c'est tout un honneur d'être une femme. Être une femme, c'est d'abord un combat pour la vie et pour l'avenir de la femme surtout algérienne et être une femme n'est pas facile surtout dans une société dans laquelle on vit actuellement.

- Justement, j'allais vous poser la question. Je repose la question : être une femme en Algérie, ça représente quoi ?

- Une femme en Algérie, c'est la plus grande malchance qu'un être humain peut avoir en tant que femme.

- Pourquoi ?

- Parce que c'est une société qui est construite sur des lois d'hommes et c'est toute l'éducation que la femme algérienne reçoit depuis sa naissance jusqu'à la fin de ses jours, jusqu'à sa mort. C'est toujours comme un axe d'orientation : l'homme toujours. C'est ce qui a retardé mon mariage, à cause de cette vision que j'ai.

- Comment ?

- Ben, c'est beaucoup plus ma conception par rapport au mariage. C'est que si on se marie, c'est pour être mieux, dans une situation meilleure. Sinon, il vaut mieux être célibataire et assumer ses responsabilités jusqu'au bout. Euh ! J'aurai aimé avoir un seul enfant et je préfère que ça soit une fille. Justement, beaucoup de mes compatriotes m'ont dit : "Je souhaiterai avoir un garçon". Il y a une autre qui m'a dit : "J'irai jusqu'à ce que j'aie un garçon !"...

- Vous êtes d'accord ?

- Non, moi je ne suis pas d'accord. Moi, je préfère avoir une fille parce que par rapport à la nature. Moi, je vis dans une famille assez nombreuse. Il y a des garçons, des filles qui sont mariés. La nature veut que la fille soit plus sensible que le garçon quelle que soit leur éducation. Même éducation pour le garçon et la fille. Mais la fille reste toujours sensible et plus proche de ses parents. D'abord, j'ai confiance en cela, c'est que la fille sera plus proche de moi par rapport à un garçon. Et le garçon va être très difficile pour l'éduquer parce qu'à un certain âge, il échappe à l'éducation de la mère et du père. Donc là, la fille n'échappe pas. Souvent, la fille n'échappe pas à l'éducation des parents et, dans un autre sens, je veux avoir une fille, c'est pour qu'elle ait ce que je n'ai jamais pu faire. Je lui donnerai la liberté de s'exprimer, de choisir sa vie, sa voie quoi !

Ensuite, on a aborde la place de la femme dans notre société. Elle fronce les sourcils, sourit et enchaîne sur la question en se balançant un peu sur elle-même.

- Quelle est la place de la femme dans notre société ? Ah ! Oui, une femme, la place de la femme : tant que la femme n'a pas de place, on n'évoluera jamais, ça, c'est grosso modo. Le statut qu'offre le Code de la Famille... c'est là le problème ! Le Code de la Famille a été fait par rapport aux lois d'hommes. Ce sont les hommes qui l'ont fait. C'est automatiquement en leur faveur, ça, c'est évident. Entre autre, ils disent que ce sont des articles qu'ils tirent de la Charia : ça, c'est faux et n'est pas vrai. S'ils prétendent que c'est par la Charia que viennent les articles, ça, c'est pas juste. Et le Code de la Famille, il est temps ou jamais de le changer parce que si la femme algérienne ne participe pas pour l'évolution du pays, qu'elle soit économique ou sociale, parce que tout doit passer par la femme finalement, parce que la femme, c'est les enfants, c'est l'éducation de toute une génération. Tant que ça ne change pas, non, à mon avis, on évoluera jamais et, par rapport au Code de la Famille, c'est nul (3 fois).

- Dans la sphère publique ?

- C'est-à-dire, plus précisément, quand je parle de la sphère publique, c'est le travail, la rue... Sa place, c'est quoi ? Euh ! Actuellement, la femme algérienne n'a pas la place qu'elle mérite dans notre société ; ça, c'est d'abord primo et si on trouve des femmes qui ont leur place, c'est parce qu'elles se sont battues pour cela et ce n'était pas facile. En général, elle n'a pas la place qu'elle mérite actuellement ni dans la rue, ni dans la famille, ni dans les institutions, ni à l'école, ni dans nulle part, nulle part.

- Une femme dans la rue ?

- C'est-à-dire femme dans la rue, moi je comprendrai le comportement des autres par rapport à la femme, à l'extérieur de son foyer, à l'extérieur de sa propre famille et le comportement, je dirai, est très dégradé. Les événements que vit l'Algérie en ce moment, c'est-à-dire politiques surtout, oui politiques, puis avec la nouvelle conjoncture puisqu'on le répète souvent : la position de la femme par rapport à la Charia Islamia, par rapport à toutes les menaces qu'ont reçues les femmes, croyez-vous que la femme retrouvera sa place telle que certaines l'ont combattue dans les années 70 pour avoir sa place à l'université ? Entre nous, le combat de la femme a beaucoup diminué ces dernières années. Après tout, la femme est sensible et faible physiquement, oui. C'est parce qu'elle est menacée, mais le combat a diminué de beaucoup parce qu'on a tous un intérêt, quelque part, à défendre tout comme le peuple algérien, même les hommes, le combat des hommes a également diminué. Donc, tout est relatif. Comme le combat en Algérie a diminué, donc le combat de la femme a diminué aussi ! Mais ça ne va pas la faire sortir de sa crise qu'elle vit actuellement. Son combat, ça reste beaucoup à faire mais elle va construire le pays. Et la construction sociale passe par la femme.

- La construction sociale passe par la femme ?

- Ben, si on lui accorde la contribution qu'elle mérite oui, oui, oui. Parce que ce pays-là, son vrai problème par rapport à toute l'analyse que j'ai effectuée, je suis dans un Institut de Sciences Économiques, donc automatiquement, on a à faire à l'étude de l'homme, de l'être humain, de la société, etc. La base du problème de notre pays, c'est l'éducation (2 fois) et, comme l'éducation c'est le rôle principal de la femme, le jour où on lui accordera ce rôle principal et on le respectera tel quel, effectivement, on va sortir de la crise. Je reviens à l'éducation. L'éducation : c'est tout le comportement qu'un être humain peut acquérir de la société, ce qui n'est pas inné.

Et la femme étant l'être sensible, l'être affectueux qui ne fait pas de mal, etc. Comme je crois qu'un penseur a dit : "Le jour où la femme gouvernera le monde, il n'y aura pas de guerres", il n'y aura pas tout cela. Donc, si on arrive à éduquer une génération d'enfants, la fille respectera le garçon, le garçon respectera sa soeur, sa femme, ses enfants et, le jour où les gens arriveront à s'aimer, à se comprendre, à se respecter et tout ceci passera par la femme, bien sûr, son éducation à elle, dans ce cas-là, on arrivera à une certaine évolution. On dit que le chômage en Algérie est dû à l'activité de la femme. Du tout ! Non ! Comment peut-on remplacer une femme médecin par un chômeur qui n'a pas de niveau, mais c'est pas possible. Non, au contraire, c'est la non-participation de la femme qui fait cela.

Je suis en Sciences Économiques et, selon les chiffres récents et les statistiques que j'ai eues, il y aurait une population active féminine de plus en plus nombreuse chez elle ou à l'extérieur. Pourquoi ? Parce que... vous allez me permettre d'aborder un autre sujet qui est l'obsession sexuelle dans ce pays. On recrute une femme et pas un homme parce que le directeur va voir la photo de la recrue, c'est par rapport à ça. C'est pour ça que le nombre des femmes actives a augmenté tout simplement. Ce n'est pas pour une certaine compétence. C'est par rapport à une certaine frustration et une certaine obsession dans notre société. En ce qui concerne le travail non reconnu, il permet d'aider le pouvoir d'achat du ménage et d'avoir des économies pour s'acheter ce qu'elle veut (bijoux, aider à la préparation du trousseau pour les filles, pouvoir donner de l'argent de poche aux enfants : chose que le père de famille ne fera pas).

- La femme kabyle a une particularité dans son organisation ?

- La femme kabyle, par rapport à la femme algérienne en général, ben oui effectivement, elle a sûrement quelques particularités par rapport à la femme algérienne en général. La femme kabyle ne vit pas le même problème qu'une femme de l'Est ou de l'Ouest. On remarque d'ailleurs que la femme kabyle est un peu plus libre (entre parenthèses bien sûr), ce n'est pas ce qu'elle mérite non plus. Il reste beaucoup à faire quand même. La femme kabyle vit toujours le MÊME (elle articule lentement le mot, en le reprenant et en l'épelant) calvaire. Elle assume plusieurs tâches : à l'extérieur et dans son foyer. En l'absence de son mari, elle doit le remplacer. Vous savez, en Kabylie, beaucoup d'hommes immigrent en France ou travaillent dans les grandes villes. Donc, les femmes deviennent chefs de famille neuf ou onze mois dans l'année. Elles gardent le lien avec le mari par les consignes. Elles sont conditionnées par l'environnement social, elles vivent selon les codes du voisinage, de la famille et du village. Elles vivent pour les gens, font les choses pour plaire à l'entourage : même chose pour leur vie professionnelle.

Aujourd'hui, en tant qu'étudiante, et je suis en fin de ma formation, j'aurai dû parler en premier de l'étudiante et de son esprit. L'esprit de l'étudiante Tizi-Ouzienne, de Kabylie puisque nous sommes en Kabylie, j'aurai voulu, parce que j'ai eu plus d'échos sur les étudiantes d'Alger, de Blida, qui ont une autre conception. C'est complètement autre chose, pourquoi ? Parce que l'étudiante à Alger : c'est généralement, elle se trouve à Alger dans un certain milieu, donc le même milieu universitaire, n'est pas très différent de son milieu quotidien, ce qui n'est pas le cas ici à Tizi-Ouzou. Donc, l'étudiante universitaire, je parle spécialement en général de l'étudiante de notre Institut parce que je ne fréquente pas beaucoup les autres Instituts. Mais je trouve qu'elle est étudiante physiquement et par son certificat de scolarité. Spirituellement, son esprit, il reste tout de même cette femme kabyle arriérée, conditionnée par l'homme, etc. Elle reste tout de même, c'est-à-dire que le système éducatif a fait en elle beaucoup (en kabyle). Les études supérieures n'arrivent pas à enlever ces idées.

L'étudiante, ici en Kabylie, est touchée par le conditionnement, les moeurs et par les traditions. Ah ! Beaucoup (3 fois, elle hoche la tête). Par exemple, je vous donnerai un simple exemple d'avoir un copain, un petit ami, etc. La majorité des étudiantes refusent d'avoir deux ou trois copains. C'est-à-dire que je sors avec un garçon, ça ne me dérange pas de le quitter si ça ne marche pas entre nous et automatiquement, je connaîtrai quelqu'un d'autre, c'est ça la vie. L'étudiante kabyle n'accepte pas ça, au bout du deuxième ou du troisième petit ami, il faut qu'elle s'accroche coûte que coûte, sinon que dira-t-on ?

- Des qu'en dira-t-on ?

- Oui, il y a encore les qu'en dira-t-on... YA HASSERA 1(*) (3 fois). Non, ça a beaucoup changé. L'université reste tout de même, il y a toujours des qu'en dira-t-on, des traditions, des coutumes, il y a beaucoup. Avant, moi, je croyais que l'étudiante entrée dans l'enceinte de sa vie d'étudiante s'est débarrassée de ces moeurs. Non et non ! De ces habits traditionnels, physiquement et moralement. Non, comme je l'ai dit, étudiante juste pour son certificat de scolarité. Par exemple, rare bien sûr, il y a toujours des exceptions dans la vie, les exceptions, ce sont elles qui confirment la règle en général. Donc, il y a toujours des exceptions. Par exemple, le comité d'Institut, le comité de défense, on ne trouve pas de filles. Généralement, j'y suis moi, j'ai ma camarade de temps en temps avec moi. Mais, on ne trouve pas de filles, c'est-à-dire qu'on est là et qu'on est dirigée et orientée par les garçons. Ce sont eux qui prennent le combat, la fille ne se trouve jamais dans un comité pour dire non aux garçons, c'est faux ce que vous dites. Non, ce n'est pas comme ça qu'on agit parce qu'elle a toujours tendance à comprendre que le syndicalisme, que la défense etc., qu'elle est derrière et eux, ils sont toujours devant. Elle n'est jamais présente dans la vie estudiantine, dans la vraie vie d'étudiante. Elles font peut-être quelques actions au niveau des cités de jeunes filles, c'est parce qu'elles sont entre filles. Donc, elles gardent toujours au fond d'elles-mêmes cet esprit de laisser les hommes faire.

L'étudiante algérienne kabyle de demain ne va pas changer l'école aussitôt. Mais, grâce à une minorité justement, cela peut se faire. Et une minorité ne peut pas avancer vraiment rapidement, c'est qu'il faut vraiment du temps pour cette minorité avec tous les efforts qu'elles vont faire, ça ne sera pas facile, elles doivent tenir le coup. Si la majorité des filles ont le même esprit que cette minorité, il y a encore de l'espoir. Je peux vous dire que mon estimation pourrait aller dans dix ans, mais étant donné que c'est une minorité, c'est-à-dire 1 % à 2 %, je n'exagère pas, c'est la vérité. Je vois dans notre Institut, donc il faut attendre cinquante ans. Avec tout ce qui se passe, il n'y a pas d'espoir, surtout ces dernières années. Il fut un temps avec la multiplication des universités, le nombre excessif d'étudiants, notamment l'augmentation des effectifs des femmes fréquentant la cité du savoir, l'Algérie changera, les mentalités évolueront...

Malheureusement, les choses régressent et les femmes se complaisent dans leur enfermement, de leur vie de dominées et dirigées. Elles acceptent les traditions, les reproduisent à leur tour. Qu'elles soient universitaires ou pas, le schéma se reproduit. Nous acceptons la modernisation car elle facilite la vie comme les appareils électroménagers... mais nous ne sommes pas modernes car nos esprits, nos mentalités ne changent pas. Les événements ont bloqué l'évolution. C'est dommage que des gens qui ont oeuvré pour la démocratie, le changement des mentalités, pour la modernité et surtout les droits de l'homme, sans oublier les droits des femmes...

Le deuxième entretien m'a redonné confiance car je m'attendais pas à ce que l'on me présente une fervente militante de l'université. C'est le responsable du personnel qui a choisi les interviewées. Comment les a-t-il choisies ? J'ai appris que ces femmes étaient disponibles et surtout assidues à l'université (il les a averti une heure avant mon arrivée, comme je n'avais pas annoncé la date exacte de mon arrivée). L'entretien a duré 90 minutes (temps fixé avant l'entretien).

Malika est "doyenne de la faculté" de Tizi-Ouzou comme elle le dit. Universitaire depuis plus de dix ans, elle vient de soutenir son magistère et souhaite avoir un poste d'assistante de cours. A la cité elle se sent libre loin des contraintes familiales et du village. Malika est responsable du comité de défense de l'université (depuis les événements, plusieurs villages, chaque groupe, chaque unité structurée par des bénévoles se protègent du terrorisme en créant des comités de défense), auparavant, elle a participé à plusieurs activités au sein de l'université. J'ai eu aucun mal à la faire parler. Elle était plus ou moins cohérente dans ses propos avec un enchaînement mais elle ne développait pas son analyse.

C'est un entretien non-directif avec une question de base : "Être une femme en Algérie". Je l'ai laissée parler en la relançant brièvement. Je crois que si elle n'avait pas été demandée en urgence, elle aurait pris davantage de temps. Tout de suite, on s'aperçoit que c'est une habituée des entretiens mais elle se perd dans ses explications.

Sa conception par rapport au mariage est que :

- La femme s'unit pour être mieux car, pour sa vie maritale, elle doit être le complément (de son conjoint) du fait qu'elle se trouve à deux pour former qu'une unité (le couple), pour pouvoir faire face à la quotidienneté. Si la femme ne trouve pas sa complémentarité, il vaut mieux rester célibataire... Être une femme est un honneur, une lutte, car elle se trouve dans une société d'hommes faite par des hommes... Le changement de la situation de la femme se fera par elle-même et la politique. Pourquoi elle ? Parce que c'est elle qui éduque ses enfants, garçons et filles doivent être élevés de la même manière et ne pas faire du favoritisme. Elle ne doit pas perpétrer le poids de la tradition...

Dès le début, je l'ai senti passionnée, et ce sujet lui tenait à coeur mais elle n'arrivait pas s'exprimer correctement, à aller au fond de ses pensées. Le mélange français-kabyle-arabe aurait été plus favorable. Je ne voulais surtout pas l'interrompre pour lui dire de finir ses phrases, ses pensées dans la langue qu'elle voulait : je l'ai laissée s'exprimer. J'ai respecté la durée programmée pour cet entretien.

C- ZOHRA, LA RÉVOLTÉE

Zohra, 50 ans, est femme de service à l'université de Tizi-Ouzou (elle s'occupe de l'entretien des salles et des bureaux), divorcée avec sept enfants (six filles et un garçon) dont l'aînée est parvenue à devenir inspectrice de police et qui a abandonné, depuis peu, sa carrière parce qu'elle est devenue soeur musulmane (pratiquante extrémiste) et porte le voile à l'Afghane (corps, mains couverts et visage caché par un voile grillagé).

Zohra avait arrêté de travailler quand sa fille a été engagée dans la police mais elle a repris son emploi car elle s'est révoltée par rapport à sa fille. Pour prouver son mécontentement, elle a repris sa fonction (fière d'avoir gagné sa vie sans l'aide de sa famille). Après son divorce, son mari n'a jamais versé de pension alimentaire. Ses parents ne pouvaient subvenir aux besoins de ses enfants, elle se "bat seule avec la vie depuis plus de 24 ans". Elle refuse le foulard islamique et garde sa tenue traditionnelle (robe kabyle et un fichu sur la tête qu'elle met dans la rue).

Zohra est Kabyle, musulmane pratiquante, gardienne de ses valeurs et de ses traditions et refuse cet Islam. Certaines de ses collègues ont été assassinées ou égorgées parce qu'elles ont emprunté le chemin de l'université afin de subvenir aux besoins de leurs enfants. Elle a élevé ses six filles dans le respect, la dignité et la tolérance et a fait d'énormes sacrifices pour que celles-ci puissent accéder à des études poussées, au travail et avoir des activités extra-scolaires (le sport, la musique).

- Je n'ai pas eu le temps de vivre pour moi. Je veux que mes filles soient libres et libérées... travailler à l'extérieur, vivre leur temps, choisir leurs époux. Moi, le mien, je l'ai connu que le jour du mariage. Il était exigeant, dur, pas un compliment, voulait beaucoup de garçons : il me rappelait trop mon père, le même caractère ! Le seul garçon que j'ai eu, il ne l'a pas connu car au début, il nous a ignorés, j'avais beaucoup de filles, aujourd'hui, il est décédé. Tu sais, il s'est remarié deux mois après notre séparation pour me narguer... Il nous a jetés dehors et après, il nous a oubliés et mes parents n'ont rien pu faire à cause du nîf. La famille ne m'a pas fait de cadeaux, tu sais ce qu'est une divorcée chez nous... Ah ! Hé ! Les hommes ! ...

Mon garçon, je ne l'ai pas gâté, bien qu'il porte le prénom de son père comme la coutume l'exige. Il fallait être dure avec lui car la vie qui l'attend ne lui fera pas de cadeaux, il doit faire face au travail, trouver lui-même une femme, peut-être un appartement bien que, s'il veuille dans un premier temps, il peut habiter chez moi mais les filles d'aujourd'hui n'aime pas les belles-mères, être un homme dehors, surtout dans ce pays... Les filles, c'est autre chose mais, au fond, quand tu vois bien les choses, toutes ces générations, qui ont compris mieux la vie que nous, savent ce qu'elles veulent, cherchent une vie meilleure et surtout moderne. Ce n'est pas comme nous. Les jeunes de ce pays étudient mais qu'est-ce que l'État leur offre ? C'est dur pour eux, je les vois à l'université, parfois quand j'entends ce qu'ils disent : ça fait peur pour leur avenir. Avec l'arabe à l'école, où peuvent-ils aller ? Les autres pays évoluent et ils veulent que nos enfants soient médiocres.

- Ils, c'est qui ?

- Comment qui, tu ne le sais pas, l'État ! La Houkouma 253(*), c'est l'armée, c'est eux qui dirigent ce pays et leurs enfants sont à l'étranger, dans les grandes universités..., étudient dans les langues modernes, pas en arabe ; l'arabe qu'on entend à la télévision, tu crois qu'on le comprend ? On n'est pas Égyptiens et la Mecque appartient à tous les musulmans. D'accord, on est musulmans, Kabyles, pas des sauvages et les Français nous ont laissé l'instruction. Nos enfants, les nôtres, font leur possible avec ce que leur offre l'État (El Houkouma)... Pour revenir, les jeunes filles, c'est encore plus dur. Nous, les vieilles, notre temps est passé, on va vers la mort, c'est ça notre destin, mais on essaie de les pousser pour avoir une vie mieux que la nôtre surtout elles, qu'elles font des études. Tu sais, les études donnent du travail et un avenir pour les filles...

Elle soupire en frottant ses mains et lève les bras vers le ciel et récite un poème... Zohra est consciente de sa situation, accorde beaucoup d'importance à l'éducation, à l'instruction de ses enfants, notamment, celles de ses filles. Marquée par son divorce : elle en veut aux hommes, à sa famille et à ses beaux-parents. Elle s'inquiète du devenir de la jeunesse, accuse le Pouvoir, l'État. Elle définit l'État par le mot "El Houkouma" qui veut dire ceux qui commandent. La question de la langue est évoquée. Pour elle l'arabe n'est pas une langue véhiculaire. Ce n'est pas une langue du savoir. Elle l'utilise pour réciter ses prières (langue du Coran). Elle revendique son appartenance à l'Islam mais ne se sent pas Arabe, elle n'appartient pas au monde arabe. Elle est Kabyle.

Le mot État revient souvent, il est la cause de tous ses malheurs. J'ai senti qu'elle voulait aborder plus profondément le thème sur l'État et sa politique mais elle s'est retenue pour rester dans le sujet que je lui ai présenté. Je ne l'ai pas interrompue. Ne voyant pas venir mes questions, elle reprend alors sur son histoire de vie.

- Quand je suis née, ma mère était malheureuse, elle a beaucoup pleuré, j'étais sa quatrième fille et mon père lui en voulait d'avoir eu que des filles. À ma naissance, mon père a décidé de se fâcher, il ne lui parlait pas et s'est enfermé sur lui-même. Mes grands-parents paternels préparaient en douce la répudiation de ma mère. Ils attendaient sa guérison comme si elle était malade ! Ah ! Mon Dieu ! Ma mère n'était pas malade, son tort était d'avoir des filles. Sur ce point, j'en voulais à mon père. Car c'est Dieu qui donne les filles.

Grâce aux sages du village, on habitait tous avec toute la famille de mon père, soit 18 personnes. On habitait au village à 15 kilomètres de Tizi-Ouzou, ma mère n'a pas été renvoyée chez ses parents. Onze mois après, il y a eu la naissance de mon petit frère. C'était le Dieu de la maison, gâté, tout pour lui. D'autres frères sont nés et l'écart se creusait entre les filles et les garçons. J'en voulais à ma mère de faire cette différence entre les filles et les garçons. Surtout qu'elle a vécu des choses... Enfin, j'acceptais cette situation. C'est le mektoub (le destin) et on acceptait notre condition sans parler. À l'époque, une fille n'était jamais la bienvenue, pas une fête pour elle si ce n'est qu'au mariage et elle ne sera reconnue dans son foyer qu'en ayant des mâles qui transmettront le nom... À mon tour, j'ai connu la même chose.

Zohra m'a beaucoup marquée mais je n'ai exprimé ni notre approbation, ni mes sentiments. Je suis grêlée par son discours, son franc parlé, sa détermination ; peut-être parce que c'est le discours d'une femme en souffrance mélangé de féminisme. Elle refuse la situation de permanence qui réduit la femme à être soumise à tout : à la famille, au conditionnement social. Elle attend le changement dans le "sens positif" comme elle le dit.

- C'est quoi le changement ?

- Changer les mentalités, pouvoir sortir sans voir le regard des autres se poser sur vous comme une bête sauvage, pouvoir recevoir qui l'on veut sans avoir peur des qu'en dira-t-on. Tu sais quand on est une divorcée, on fait attention aux qu'en dira-t-on. Ah ! Ce sont d'abord les femmes qui parlent : elles ont du pouvoir, surtout avec leurs langues. Moi, j'aimerai avoir des femmes dans le pouvoir politique, dans le pouvoir du travail et de travailler... Peu de femmes sont responsables dans le travail. Je ne veux pas qu'on enferme les femmes dans un habit, au foyer, pour prétexte de les mettre à l'abri du regard de l'autre... Heureusement qu'en ville, les choses sont moins difficiles et puis tu peux trouver du travail, du moins pour notre génération car les jeunes d'aujourd'hui n'acceptent pas n'importe quel travail, d'ailleurs, il n'y a pas de travail malgré qu'ils fassent des études. C'est El Houkouma qui veut ça. Puis avec le terrorisme, tout a changé. Je m'inquiète pour les jeunes, un jour, ils feront la guerre à la Houkouma. Ils ont marre de tout, je parle avec eux à l'université ou dans le quartier...

Vous voyez ma fille, elle était inspectrice de police, je me suis sacrifiée pour qu'elle fasse des études et choisir son métier. Aujourd'hui, c'est une soeur musulmane. Je suis contre tout cela : sa tenue, "le niqâb". Tu ne crois pas que Dieu a dit qu'il faut se cacher et porter même des gants pour que les hommes ne vous voient pas. Le jour où elle a décidé de s'habiller comme ça, je me suis fâchée et, pendant plus de 6 mois, je ne lui ai pas parlé. Elle a arrêté de travailler car dans la police, on ne l'accepte pas comme ça et puis elle ne veut plus voir les hommes, ils représentent le mal, la mauvaise intention. Depuis, je suis triste.

Avant, elle était ma fierté, pourtant je me suis sacrifiée pour mes filles. C'est vrai, elle nous a obtenu un grand logement de l'État. Les hommes la respectaient... Je ne comprends pas comment une fille qui aime les joies de la vie change comme ça... Moi qui suis pour la libération de la femme, je veux qu'on change le Code de la Famille, toutes ces lois contre nous, ma fille fait le contraire... Elle a rejoint le groupe de femmes islamistes... Elle continue à sortir, je ne lui pose pas de questions... Je ne peux la renier, c'est ma fille... Pourtant, les paroles des gens m'arrivent aux oreilles. Je fais la sourde oreille aux qu'en dira-t-on... Si tu écoutes les gens, tu finiras par te mettre la corde au cou... J'ai assez souffert comme ça... Et puis, on ne peut mettre sa fille à la porte...

Tout se mélange aujourd'hui : l'Islam, les lois, les traditions... Enfin, je sais qu'il faut plusieurs années pour que ce pays change. Il faut changer les mentalités surtout des hommes. Si El Houkouma impose des lois en faveur des femmes, eh bien, nous ne nous soumettrons pas aux hommes. On fera comme en Tunisie et on ne mélangera pas la religion et les lois. Il faut vivre avec son temps. Dieu a dit "instruisez-vous et suivez la science"...

Cet entretien a duré une heure. Au fait, elle a abordé les questions essentielles. Zohra s'est exprimée en kabyle mélangé de français qu'elle a appris depuis qu'elle travaille. Elle ne sait pas lire, ses filles, des étudiantes, lui lisent le courrier ou les papiers qu'elle reçoit. Elle est révoltée contre sa fille qui a certainement rejoint le G.I.A. Elle ne le dit pas mais, à travers son récit et ses expressions, il fallait le comprendre. Elle est pour l'évolution des femmes. La religion, pour elle, c'est une affaire personnelle. Comme elle le souligne "Quand on meurt, personne ne rentre avec vous dans le trou, nous donnons des comptes seuls et seulement à Dieu, notre âme est entre les mains de Dieu...".

J'entendais beaucoup de bruits de pas et je n'étais pas très rassurée dans l'enceinte de la faculté de Tizi-Ouzou. Une manifestation se préparait. Les C.R.S. anti-émeutes étaient devant les grilles de l'université. Mes entretiens pouvaient se multiplier et être plus longs mais j'ai préféré arrêter là. Pour moi, l'essentiel est d'entendre plusieurs femmes dans la cité du savoir qui se dit en toujours en mouvement.

Tous les grands changements culturels et politiques sont nés dans les universités en Algérie. Les premières manifestations (après l'indépendance) ont éclaté dans les universités et se sont propagées ensuite dans la rue (à la faculté centrale d'Alger, de Ben-Aknoun, le mouvement berbère à la faculté de Tizi-Ouzou). Bien des courants de pensées, des idéologies ont pris le point de départ dans les universités, renforcés par l'extérieur, surtout du monde artistique, littéraire... Qu'en est-il aujourd'hui de l'université de Tizi-Ouzou qui est perpétuellement en grève ? Là n'est pas question d'étude.

Un peu déçue, peut-être parce que je voulais rencontrer d'autres femmes qui ne sont pas venues au rendez-vous, sauf Madame E. F., professeur. Cependant, pour l'instant, je n'étais pas en phase de réflexion ou de compréhension mais dans celle de l'écoute et dans la collecte d'informations qui empêche toute attitude d'analyse.

D- GHENIMA ET GHENOUNOUCHE, LES DEUX AMIES

L'entretien s'est déroulé chez Ghenima, une femme que j'avais rencontrée auparavant chez mes parents. Elle a refusé l'entretien dans la maison paternelle. Elle a préféré que cela se passe chez elle autour d'un café, de gâteaux et de beignets kabyles qu'elle allait confectionner spécialement pour moi. Elle est connue pour ses dons culinaires. Je n'ai pas décliné l'invitation pour l'après- midi de la veille de notre départ.

Je me suis rendue chez Ghenima, de milieu plus ou moins aisé. Ghenima, 67 ans, est mère de deux filles (une dentiste, l'autre chercheur à l'institut Pasteur d'Alger) et de six garçons et grand-mère de quinze petits-enfants. Elle parle français, kabyle et arabe dialectal algérien et marocain. Elle a poursuivi ses études jusqu'au certificat de fin d'études en clôturant sa scolarité par deux années d'école ménagère au Maroc où son père était instituteur. Ses frères ont poussé davantage leurs études (un journaliste, un ingénieur et un haut fonctionnaire).

Elle était heureuse de savoir lire et écrire par rapport aux femmes de son âge. Elle a toujours été femme au foyer. Quand elle habitait à Oran (Ouest algérien, à 400 km d'Alger), elle mettait le haïk, allait voir sa famille rarement : tous les 4 ans ou plus. Elle ne sortait jamais, même pour faire des courses (les Kabyles ne sortaient pas dans les régions étrangères à la Kabylie), ne voyait que des membres de la famille de passage à Oran pour se rendre au Maroc (Le Maroc est à 5 heures de route en voiture). Bien sûr, elle cohabitait avec toute la belle-famille (plus de 20 personnes).

Son mari lui achetait en cachette des revues féminines pour avoir des modèles de coutures et de nouvelles recettes. Pour se consoler, elle se remémorait les années passées au Maroc quand son père l'emmenait au cinéma, au parc et les années de sa brève scolarité. Mais, elle s'estimait heureuse par rapport à ses cousines ou autres femmes durant son adolescence. Pendant ses temps libres, elle cousait. C'est une très bonne couturière et jusqu'à présent, elle coud des merveilles à ses filles et belles-filles (robes de soirées, prêt à porter...). Ghenima n'a pu sortir et s'habiller librement que lorsque ses enfants sont devenus grands. Elle s'est coupée les cheveux et n'a ôté son voile que lorsqu'elle a habité seule avec ses enfants.

Son amie, Ghenounouche, était présente et a accepté l'entretien. Elle a 65 ans, veuve depuis huit mois, son mari était menuisier. Elle n'a jamais été à l'école, elle parle français et kabyle. Depuis peu, elle s'est mise à apprendre à lire en français en prenant des cours privés. Elle ne veut pas que sa belle-famille sache qu'elle s'est mise à l'apprentissage de la lecture (alphabétisation). Elle a toujours voulu apprendre à lire et a vu la nécessité depuis le décès de son mari, surtout pour les papiers. Elle le fait pour ne pas être à la merci des autres, surtout lorsqu'elle doit régler des situations administratives.

Elle vit seule et "ne veut pas embêter ses enfants" à qui elle rend visite deux fois l'an. Ses quatre enfants, tous mariés (deux filles et deux garçons), vivent tous à l'étranger. Ghenounouche est grand-mère de quatre petits-enfants. Ses deux filles se sont mariées avec des non-musulmans (catholiques), l'un est français, l'autre Italien. Elle est fière d'avoir contribué au bonheur de ses filles.

"Le mariage de mes filles s'est déroulé sans heurts ni problèmes. Pour narguer ma belle-famille, je leur ai montré les photos de mariage où mon mari était présent, heureux, à notre retour de l'étranger" (...).

Pour elle, "l'émancipation doit dépasser les frontières et il faut changer la mentalité des jeunes et ces derniers doivent apprendre à leurs aînés l'évolution et accepter le changement. Le permanent ne fait que bloquer les choses".

- Vois-tu, j'en veux à mon père de ne m'avoir pas envoyée à l'école.

- Pourquoi ?

- J'aurai connu mes droits, mais j'ai beaucoup appris avec mes enfants et j'ai évolué avec eux, bien sûr mon mari a suivi, il n'avait pas le choix. Comme toutes les Kabyles, j'ai porté la tenue traditionnelle, mais dès que mes enfants ont grandi, je m'habille à la française, je sors pour faire les courses... J'ai appris à me débrouiller seule car je savais que les enfants allaient vivre leurs vies ailleurs qu'auprès de moi...

Ghenima riposte :

- Je n'ai jamais voulu que mes belles-filles habitent avec moi malgré l'espace que j'ai dans la villa. Je n'ai pas envie que ma vie passée se renouvelle. Elles sont libres. Lorsqu'on se retrouve ensemble, on est heureux, on blague, on discute de tout : politique, sexualité mais pas devant le papa pour certaines choses. Mes enfants se sont toujours confiés à moi. À l'époque où je ne sortais pas, ils me rapportaient les nouvelles de l'extérieur, me lisaient les journaux...

Elles étaient très détendues. Je suis restée à leur diapason. L'atmosphère était si agréable qu'elles ont commencé à raconter des blagues salées et, par la suite, ont enchaîné plus sérieusement sur des thèmes tels que la sexualité, l'homosexualité, la prostitution, les maladies transmises sexuellement. Elles m'ont avoué qu'elles parlaient de cela sans difficulté avec leurs enfants depuis qu'ils sont devenus majeurs et matures et qu'elles ont pris de l'âge. Elles leur ont même donné des conseils pour leurs premières relations amoureuses et sexuelles.

- Tu sais, dans notre société, une femme ne peut pas demander à son mari de faire l'amour quand elle a envie ou lui donner un baiser (dit Ghenounouche).

- L'avez-vous demandé ?

- Oui ! Mais pas étant jeune mariée mais, après, lorsqu'on a évolué, lorsqu'on a pris de l'âge, après tant d'années de mariage, on va pas faire les hypocrites. Tu sais, même les femmes ont des envies. Chez nous, la femme subit et ne demande rien...

- Pourtant, on dit que la femme perd sa libido après la ménopause !

- C'est pas qu'on la perd, c'est que nos femmes n'osent pas demander ou séduire leurs maris d'une manière. Alors, par le manque, elles transposent dans l'affection de leurs enfants ainsi, elles deviennent possessives et sont jalouses de leurs brus. C'est çà, ce n'est pas la perte de la libido mais le manque d'amour de leurs maris, les voyant se détourner d'elles, vont chercher ailleurs. Elles sont frustrées. La frustration, c'est le problème de tous les Algériens, même les jeunes, dans tous les domaines et surtout de l'amour... (répond Ghenima).

- Tu sais, lorsqu'on s'est mariée, on ne connaissait pas notre mari, on ne l'a jamais vu, non ! C'était la découverte, le cadeau-surprise. On était jeune et ignorante, on acceptait tout ce qu'on nous imposait, heureusement que le mien n'était pas moche. D'ailleurs, celui de Ghenounouche est aussi beau...

Il faut dire que la nuit de noce, c'est un viol assisté par la famille ! On vous force... pour montrer la virilité pour l'homme et, pour la jeune femme, qu'elle a conservé sa virginité. Aujourd'hui, c'est une question que je ne poserai pas, à aucun jeune, chacun est libre de disposer de son corps. Je n'assiste jamais à ce rituel, tu sais celui de montrer le lendemain la chemise de nuit pleine de sang. Les gens sont bêtes car une fille déflorée pour ne pas dire violée n'a pas systématiquement du sang, mais vas-y faire comprendre cela aux autres... La virilité ce n'est pas ça, le sérieux d'une femme ne passe pas par un hymen intact...

Dans le temps, les hommes et les femmes pensaient que plus tu fais des enfants, plus tu avais de la considération. Or, les couples s'ignorent dans la journée. C'est-à-dire que, durant la journée, le mari n'adresse même pas la parole à sa femme, il la considère comme une étrangère, il s'adresse à sa mère ou à ses soeurs. S'il veut quelque chose, il s'adressera à sa mère ou à sa soeur. Quant aux enfants, ils ne les prendront pas dans leurs bras, ni les embrasseront devant leurs parents, à part de temps en temps si c'est un garçon. L'homme ne montrera jamais ses sentiments envers sa femme devant la famille, alors les bisous... Ha ! Ha ! (Elles rient aux éclats...).

J'étais heureuse de me retrouver avec ces femmes car nous avons passé un agréable après-midi et, en plus, je suis revenue avec du matériau. Bien sûr, elles m'ont demandé d'effacer certains passages. Mon magnétophone est resté allumé tout le long de nos conversations. J'ai enregistré trois cassettes de 90 minutes et, avec elles, j'ai abordé tous les sujets de mon étude.

Ghenima et Ghenounouche sont des femmes qui évoluent avec leur temps et l'évolution de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Elles avouent que si elles devaient faire un retour dans le temps avec la mentalité qu'elles ont aujourd'hui, elles n'auraient pas accepté la situation où elles étaient. Elles remettent cela sur le compte de l'ignorance, de la timidité, de la tradition et du manque d'informations. Elles auraient souhaité qu'il y ait des femmes comme Khalida Messaoudi (actuelle ministre de la communication et a repris son nom de jeune fille : Khalida Toumi) ou d'autres militantes. Depuis la création du multipartisme, elles votent, se rendent dans le meeting des démocrates. Pour elles, seuls les démocrates sortiront de l'impasse l'Algérie. Je pense que ces femmes sont "les femmes en marche"et elles m'ont beaucoup appris.

J'ai revu Ghenounouche une année après, elle revenait du Sénégal où elle avait rejoint sa fille qui était en vacances avec son mari. Elle voyage régulièrement grâce à ses enfants. Ghenounouche était épanouie, elle allait seule pour régler ses papiers puisqu'elle sait lire maintenant.

- Tu sais, je suis contente de ce que j'ai fait après la mort de mon mari. Je ne suis plus tributaire des autres, au début, c'était difficile, j'avais de la volonté. Je voulais même passer mon permis de conduire, mes enfants m'ont dissuadée car ils avaient peur pour moi, je ne vois pas très bien. Peut-être qu'ils ne voulaient pas des cancans, alors j'ai vendu la voiture de mon mari, avec cet argent, j'ai retapé notre maison à Beni-Yenni... (maison au village) pour que mes petits-enfants puissent venir profiter du grand air de la montagne kabyle, pendant les vacances. Yanis, mon petit-fils voyage seul. Il préfère la Kabylie que le centre de loisirs de Paris (XVII). Ils ont décidé d'apprendre le kabyle. Est-ce que c'est à cause des informations qu'ils entendent ou c'est leurs parents qui leur parlent de leur identité cachée, je crois qu'il m'a dit qu'à l'école, ils étudient des "langues minoritaires". Tu sais comme je te l'ai déjà dit : avec les enfants, on apprend toujours. Avant, c'était mes enfants qui m'apprenaient des choses, aujourd'hui, ce sont mes petits-enfants. L'éducation ne se termine jamais, même lorsqu'on est vieux. Maintenant, je leur lis même des histoires, on s'échange des informations. Mes petits-enfants sont heureux que je sache lire, ils me montrent leurs livres, des choses sur l'ordinateur. Non, je ne vais pas me mettre à l'informatique...

Tu sais, je suis grand-mère de nouveau, ma fille, l'Italienne, a eu un petit garçon, Lorenzo. J'aurai voulu qu'elle ait une petite fille... Tu sais, les mamies italiennes sont comme chez nous, elles aiment les garçons, l'essentiel c'est qu'elle soit heureuse, d'ailleurs, je dois repartir à Noël à Milan voir mon petit-fils, ensuite on ira tous en Guadeloupe, pour une semaine...

- Ghenounouche, tu es vraiment coquette !

- Ah ! Merci, c'est gentil, vois-tu, ce n'est pas parce que je suis veuve que je vais me laisser aller. Comme je te l'ai déjà dit, je veux profiter de la vie, je me maquille, je m'habille et quand il y a des occasions, je vais à des spectacles... Tu sais, on ne fera pas revivre les morts, je ne vais pas pleurer sur mon sort. La vie est tellement dure et avant, on a tellement manqué de choses qu'il faut rattraper le temps... Mes enfants approuvent ce que je fais, c'est l'essentiel...

E- CHABHA, LA JOURNALISTE

Chabha, 45 ans, journaliste, elle est célibataire, de parents immigrés, ayant fait ses études à Paris. Elle vit seule.

Cet entretien s'est réalisé lors d'un autre séjour en Algérie. Il s'est déroulé chez les parents de Chabha dans leur nouvelle maison, à la sortie de Tizi-ouzou. Elle se sent plus à l'aise dans la maison paternelle, notamment dans la cuisine car, au salon, des invités ou autres personnes pouvaient nous interrompre. Ses parents reçoivent beaucoup de monde. Elle ne pouvait nous donner rendez-vous dans un café, cela ne se fait pas, surtout dans une petite ville. Je respecte la décision et l'environnement social des interviewées...

J'étais à l'aise et surtout confiante parce que j'ai appris que Chabha était journaliste. Par contre, je ne savais rien d'elle, ni pour quel journal elle travaille, ni quelles sont les rubriques qu'elle traite. Je sais seulement qu'elle a un appartement à Alger où elle vit seule, elle fait la navette entre Alger et Tizi-Ouzou, le week-end, lorsqu'elle est de repos. Sa famille reste discrète dans ce domaine. Les personnes qui la connaissent la trouvent très effacée, très observatrice et surtout très attentive. Elle parle peu de son travail lorsqu'elle vient chez ses parents, elle est très respectueuse envers les autres et ne sort pas beaucoup à Tizi-Ouzou, hormis dans le cadre de son travail...

L'entretien est non-directif, relancé par quelques questions.

- Chabha, pouvez-vous me parler de la femme algérienne, de son statut, de sa place ?

- La femme algérienne, c'est une vaste question ! Hé !

Chabha sourit avec un air évasif qui en dit long sur notre questionnement et demande une longue réflexion. Sur-le-champ, je me suis dis que c'est, peut-être, un sujet qu'elle a dû traiter dans son parcours professionnel mais avec plus de précision ? Peut-être qu'elle essaie de trouver une méthodologie ou des sous-thèmes ? Une multitude d'idées me sont passées par la tête car je n'ai pas été assez explicite.

Après quelques minutes de réflexion, voyant que Chabha ne répondait pas à ma question, j'ai repris en reformulant autrement. Il faut avouer que, face à la journaliste, je ne savais pas comment m'y prendre. Je ne voulais ni la guider ni trop parler. En fait, j'attendais beaucoup de cet entretien car Chabha vit en Algérie dont elle connaît plusieurs périodes. Chabha a demandé que je la tutoies afin de me mettre à l'aise, elle a compris que j'attendais beaucoup d'elle.

- La première problématique donc se pose par rapport au Code de la Famille. Ensuite, quel est le statut de la femme algérienne ? Est-ce que la femme algérienne évolue ou régresse par rapport à l'Islam, dans la sphère privée (ou dans l'espace domestique) et publique ? Comment est-on une femme en Algérie ? Comment évolue-t-elle dans la société ? Comment peut-elle construire la société ? Je ne sais pas comment tu procèdes. Mais, si on parle d'un parcours personnel, je ne peux parler des autres d'un point de vue méthodologique.

- Je voudrais avoir ton avis.

- Si c'est mon itinéraire personnel, il me semble à la fois significatif d'un parcours très individuel et représentatif des grandes problématiques du fait que je suis journaliste. J'ai de la chance d'avoir accès à la sphère publique dans ma vie personnelle. Je ne pense pas avoir des conflits par rapport à ces hommes-là. Je le ressens comme tel, je me sens une femme libre en phase avec tous les questionnements de mon époque. Je m'explique : c'est-à-dire que je suis rentrée dans la presse il y a vingt ans, donc c'est vrai qu'on n'était pas beaucoup de femmes dans ce parcours-là ; ça me semble intéressant d'en parler. On était deux ou trois journalistes femmes dans les années 70 dans un quotidien national où quand même l'accès à des fonctions de responsabilité était comme très sévère, très sélectif, etc. J'ai exercé un métier pas féminin du tout, pas comme l'enseignement ou certaines professions considérées comme plus accessibles aux femmes. Le journalisme n'était pas accessible aux femmes de ma génération. Globalement, on était, entre les années 70 et 80, deux femmes. Grosso modo, deux femmes dont l'une sortie des sciences politiques et moi de l'université. Je n'ai jamais rencontré de difficultés liées à ma condition féminine dans l'exercice de ma profession.

- Tu n'as jamais eu de problèmes avec tes collègues hommes ?

- Non ! Alors, il y a deux niveaux de problèmes, c'est-à-dire à la fois en tant que journaliste, c'est-à-dire en reportages, en enquêtes sur le terrain dans la société algérienne, je n'ai jamais été prise à partie ou refusée ou récusée en tant que femme parce que j'ai eu des souvenirs extraordinaires de mes déplacements sur le terrain, dans l'intérieur du pays, donc en dehors d'Alger, de la capitale. J'ai pu voyager, me déplacer. J'ai circulé en bus, en avion, j'ai dormi dans des endroits reculés (rire), donc fais des choses, je veux dire du même ordre que mes collègues masculins sans jamais que ça me pose problème au niveau contact avec les populations, y compris les villages les plus reculés. Je tiens à le dire car c'est très important pour moi dans mon expérience. Je n'ai jamais été abordée ; pour eux, j'étais journaliste, donc le contact était a priori très simple, très facile, très spontané ; ça dépend du rapport personnel qu'on établit avec les gens.

Donc, autant de ce point de vue-là, je considère que c'est une expérience extraordinaire qui m'a beaucoup apporté autant dans ma vie que dans la structure, j'allais dire strictement professionnelle et hiérarchique. C'est évident que, pour les gens de ma génération dans la quarantaine, les femmes n'avaient pas accès aux postes de responsabilité politiques, c'est-à-dire je ne peux pas être rédactrice en chef. J'ai été rédactrice en chef mais adjointe, disons à partir des années 91 et 92, c'est-à-dire à un moment historique très précis. Donc, j'ai pu accéder à un poste de responsabilité officiel parce que j'ai exercé, donc assumé, des postes de responsabilité, des postes d'encadrement, donc chef de service etc.

Mais, c'est à la reconnaissance de mon statut, l'accès à des postes d'encadrement et surtout en rubrique politique parce qu'il y a les rubriques féminines. Donc, les journalistes femmes qui ont été recrutées une dizaine d'années après moi étaient orientées d'office vers la rubrique dite féminine, c'est-à-dire la rubrique "société". Mais, les rubriques politiques : politique étrangère, politique nationale, il n'y avait pratiquement pas de femmes dans les rubriques reportages politiques, de guerre, etc. L'accès était très difficile, ça j'en ai souffert : autant je n'ai pas souffert de mon statut de femme dans la pratique de mon métier, je veux dire dans des déplacements, dans des reportages, le fait que je sois femme ne m'a pas empêchée d'exercer mon métier de journaliste au même titre qu'un homme.

Maintenant, à l'intérieur d'une entreprise, c'est évident que c'était verrouillé parce que j'étais femme et que bon, on ne confiait pas des responsabilités aux femmes dans les rubriques dites nobles, notamment les rubriques politiques et les rubriques de grands reportages, bien qu'on fasse exactement le même boulot. Enfin bon, ça aussi, moi j'en ai beaucoup souffert ; ça s'est débloqué au début des années 90. Moi, je pense que ça correspond, il y a conjonction de plusieurs facteurs politiques, économiques et sociologiques, donc à trois niveaux parce que j'ai pu, en 1992, accéder au statut de rédactrice en chef, pas évident à gérer notamment avec les hommes parce que, sur 150 éléments masculins, il y avait une dizaine de femmes au maximum dans les débuts des années 90, donc ça ne s'est pas toujours très bien passé et ensuite, il y a eu une évolution. Moi, j'ai pu constater, ce qui est intéressant, c'est qu'au début des années 90, il y a eu un bouleversement très frappant, c'est-à-dire qu'il y a eu une entrée massive des femmes dans ce secteur-là. Moi, je suis très frappée par ça. Donc, je vois aujourd'hui qu'il y a une féminisation d'un secteur qui était très masculin.

- Tu l'expliques par quoi ?

- Je me l'explique parce que c'est une donnée mondiale. C'est à la fois une particularité de l'Algérie et ce n'est pas particularisme d'Algérie. C'est un peu ce qui s'est passé dans les pays européens. Quand on voit, par exemple, dans la guerre du Golf, de plus en plus de femmes envoyées spéciales sur le terrain, des tâches que refusaient les hommes donc, ça a permis aux femmes aussi d'accéder à des postes qui étaient strictement réservés aux hommes. Et je ne pense pas que la scolarité joue sur la réussite des femmes.

- Ou alors par courage ?

- Non, pas dans ce secteur-là parce que je veux dire le taux de scolarisation est exactement identique pour les gens de ma génération. À mon époque, on recrutait très peu les femmes parce qu'on disait qu'elles n'acceptaient le travail de nuit, les missions, les reportages, donc ça suppose un absentéisme familial, etc. Il y a donc une pression familiale par rapport à ce type de métier. Ce qui n'est pas le cas pour l'enseignement, par exemple, je veux dire des professions accessibles aux femmes.

- Les horaires ?

- Le fait de partir en mission, c'était inconcevable pour certaines femmes. Moi, j'ai le souvenir d'une femme journaliste, ça m'a beaucoup marquée, qui donc avait fait l'école de journalisme (ce n'est pas mon cas), donc prédestinée à entrer dans le journalisme. Elle a fait son stage, elle devait être recrutée dans un journal et elle ne l'a pas fait parce qu'il y avait une pression familiale type : "il n'est pas question d'abord, c'est un milieu exclusivement masculin, quoi d'autres, une femme journaliste au milieu de 150 bonhommes... ; ça donc... ". La famille ne concevait pas la chose et elle a cédé à la pression familiale, la pression notamment conjugale, c'est-à-dire le mari n'acceptait pas qu'elle ait des contacts avec les hommes et notamment des déplacements. Et alors, ça se traduisait au niveau de l'entreprise dans laquelle je travaillais, pour ma part, j'allais dire par des consignes de recrutements, c'est-à-dire que la direction hésitait à recruter des femmes en disant :

1- Les femmes n'acceptaient pas le travail posté de nuit.

2- Elles ont des gosses donc elles sont amenées à s'absenter.

3- On ne peut pas leurs confier des tâches que les hommes acceptent plus facilement.

- Le statut de célibataire a joué un grand rôle dans la confiance que te réservent tes collègues hommes ?

- Je dis non et c'est à double tranchant parce que c'est plutôt dans la relation qu'on a avec soi-même, avec le travail. C'est-à-dire que moi, j'ai plus misé enfin sur ma carrière que la construction d'une vie familiale ou de la construction d'un foyer... Mais, c'est évident que, dans mon milieu professionnel, rares étaient les mariages de journalistes, c'est quasiment irrésistible, donc, je veux dire moi, j'avais un milieu très traditionnel dans le milieu masculin. Dans quel sens ? Je m'explique : ce sont des gens qui peuvent partir en missions, rentrer très tard le soir et très absents sur le plan familial, mais avec des épouses soit cloîtrées (épouses choisies par la famille) ou des cas grotesques, des cas de double vie, c'est-à-dire des gens... Bref !

Puis, les autres situations plus répandues, c'est-à-dire que les journalistes chefs de famille avec des femmes qui ont une activité professionnelle mais classique de type enseignantes qui assurent, en fait, le gros des responsabilités familiales. C'est un milieu, par exemple, où les hommes boivent beaucoup, entrent très tard le soir, ça c'est connu. Ou la vie au bas de la socialisation est très très importante. Il y a parfois des mariages, je dirai, modernes, non décidés par la famille. Mais en gros, c'est la femme qui assumait le gros des responsabilités : suivi des enfants... Et l'homme peut se permettre de rentrer à quatre heures du matin, d'aller tuer sa crise avec un rédacteur en chef ou avec les gens de l'imprimerie car c'est une corporation qui a ses habitudes un peu comme les médecins. Je trouve que c'est intéressant car dans ce secteur, il y a une entrée massive des femmes à partir des années 90. Même en ce moment, on assiste à une féminisation de ce secteur.

- Le Code de la Famille, justement vu par les journalistes, est-ce qu'on en parle ?

- Si on en parle puisqu'ils écrivent dessus ou qui sont suivis par des journalistes. Maintenant, entre suivre des dossiers, aller suivre des débats en tant que journaliste, écrire là-dessus dans son propre vécu : il y a toujours des démonstrations dichotomiques. Ce n'est pas parce qu'on se retient ou on est contre grosso modo. Ce sont des milieux libéraux dans le secteur où je bosse. Ce n'est pas les journaux où les gens sont a priori anti - Code de la Famille, sont éditoriaux virulents, donc les hommes et pas les femmes qui écrivent sur ça, ce sont les hommes, ce sont des éditoriaux politiques mais ça ne les empêche pas de pratiquer à nouveau ce Code de la Famille, on n'est pas à une contradiction près.

- Et la place de l'Islam par rapport à la vie des femmes ?

- Moi, je n'ai pas de problème avec l'Islam. C'est les hommes qui interprètent les textes et les écrits. Selon les familles, on applique ce qui arrange le plus. Je pense que c'est tout. Les Kabyles sont plus conditionnés par leurs us, leurs coutumes, leurs traditions et leurs croyances que par l'Islam. Moi, je suis issue d'une famille où on ne m'a pas conditionnée par rapport à une pratique religieuse. Je pense que beaucoup de Kabyles ne connaissent pas le Coran en dehors des grands principes (la prière, le ramadan, le pèlerinage, la charité...), notamment chez les femmes illettrées, les générations avant nous. Autrefois, les femmes ne fréquentaient pas les mosquées et, en Kabylie, les écoles coraniques n'étaient pas nombreuses (sauf dans les zaouias, chez les marabouts), comment veux-tu que les femmes puissent connaître les textes sacrés ? Comme je l'ai déjà dit, le Kabyle est musulman à sa manière, le seul reproche à faire sur leurs pratiques : c'est l'héritage appliqué aux femmes.

Un autre point que je voulais rajouter à propos de la revendication de la langue amazigh, tout à fait légitime. L'État a falsifié l'histoire algérienne, on impose à nos mères une langue qui n'est pas la leur, c'est trompeur car, en Kabylie, pratiquement tout le monde parle le kabyle et peu l'arabe dialectale algérien : arrêtons de nous moquer du monde et répondons aux revendications des Kabyles. Si la Kabylie se soulève, les autres vont suivre. Il y a matière sur le plan des réformes et de la législation comme le Code de la Famille, le chômage, l'école... pour le gouvernement.

Pause café, sa maman (Ouerdia) rentre dans la cuisine et propose de répondre également à mes questions. J'ai accepté sa proposition mais après sa fille. Je rappelle que l'entretien se déroule chez Ouerdia (les parents de Chabha) à 3 km de Tizi-Ouzou dans une maison superbe, surtout moderne. Leur ancienne maison (traditionnelle) est en ruine, située au village (à 10 km de Tizi-Ouzou).

- C'est comme une liberté déjà. La seconde liberté est personnelle et elle est critique. Moi, ce que je peux en dire... parce qu'il ne faut pas mélanger un bon sens. Le Code de la Famille et l'Islam : ce que je vais dire risque d'outrager beaucoup de gens.

- Vas-y !

- Je suis très provocatrice, c'est-à-dire que le Code de la Famille, à mon sens, dans le contexte parce que j'ai suivi des débats depuis le début des années 80 de cette question. J'ai eu la chance d'être dans un journal qui, en 1982, il faut lui rendre justice au directeur qui, aujourd'hui, a eu le courage politique d'ouvrir, dans l'une des colonnes du journal El Moudjahid à l'époque, un débat de société sur le Code de la Famille, sur les réalités politiques du gouvernement qui en avait sur ce dossier. J'ai vécu le débat de 1982 au moment où on en avait discuté. J'ai une seconde mouture de l'actuel code de l'information qui a été votée comme après la première mouture... eh !

Je pense que c'est l'aboutissement d'un rapport de force politique parce que c'est vrai qu'il y avait un espace de vide juridique au niveau des droits de la famille en Algérie, comment dire, entre les droits coutumiers, donc on a pondu un texte, une sorte de compromis révélateur des rapports de forces politiques dans les périodes : début des années 80, ensuite les années 90 où il était adopté par l'Assemblée Nationale, eh ! C'est une sorte de compromis pas favorable aux femmes, je veux dire des courants des conservateurs, je veux dire donc un code de l'attente de certains courants féministes ou d'une partie de fraction sociologique, quoi... d'une personne de la société algérienne parce qu'il y a, à la fois, à mon sens, cette énorme masse de femmes algériennes, comment dire qui n'ont même pas une seule information, de toute façon qui n'ont déjà même pas accès aux droits. En termes de recours donc, ça peut être pour certaines catégories sociologiques, c'est comment dire, à un moment la possibilité d'avoir de ce fait recours à un texte de lois qui n'existe pas parce que le gîte, c'est toujours dangereux. Maintenant, il est représentatif des rapports de forces politiques à la fois dans la société, des rapports de forces contre la société dont je fais partie à réclamer légitimement. C'est ça la désolation.

Mais d'autres courants de la société ne posent pas de problèmes comme moi je pourrais les poser. J'ai un truc tout simple, si on discute du Code de la Famille. Moi, je suis très heurtée par deux questions fondamentales dans le Code de la Famille deux, trois points : d'abord, la question de l'héritage, de la succession, de la tutelle des enfants et l'autorisation de travail. Ça me semble aberrant qu'une femme, imagine : moi je travaille, j'ai une totale autonomie par rapport à mon milieu familial et puis, du jour au lendemain, je veux me marier, il me faut l'autorisation de mon père alors que je suis majeure et vaccinée. Il me faut un tuteur : ça me semble complètement aberrant. Donc, à leur issu, si ça se négocie bien dans la sphère privée, c'est-à-dire qu'il y a une bonne entente entre la fille et le père ou la fille et ses oncles ou disons que ça peut se régler, ça peut se négocier de marier juste pour la femme. Mais il suffit qu'il y ait un conflit dans la sphère privée et là, le recours à l'État qui est censé arbitrer de manière équitable et juste des conflits entre les individus. Il n'est pas évident parce que ça ne cadre pas du tout avec le vécu.

De mon expérience, moi je ne dois pas d'être ou vivre loin de ma famille, être indépendante et puis, du jour au lendemain, je demande l'autorisation à mon père pour me marier, ça déjà c'est une aberration mais c'est vrai qu'il faut être honnête intellectuellement et reconnaître que ça se pose que pour une minorité de gens parce qu'il y a des couches sociales où le problème n'est pas posé comme ça. C'est-à-dire que c'est acquis que naturellement, on trouve naturel. On ne peut pas se marier en dehors du consentement parental, mais le problème se pose quand il y a conflit dans la sphère privée. Comme un état arbitre de conflits privés, alors ça donne des situations complètement...

Moi, je me rappelle une situation accablante où l'État était très en avant sur la scolarisation des filles. Les familles faisaient de la résistance et on n'envoyait pas sa fille à l'école. Or, l'école est obligatoire, alors les parents, à juste titre, philosophique, s'y plient à la tradition. Mais quelle tradition ? ... Moi, je ne suis pas d'accord avec ça. Ils peuvent dire oui, mais c'est une mission de l'État dans la sphère privée parce qu'il touche au droit de père sur un enfant mineur, de décider du sort d'une vie d'un point de vu philosophique dans l'absolu, dans la réalité du code de la fillette. Mais dans l'absolu, c'est vrai que ça pose un problème. Oui, cet État qui s'immisce dans la vie privée, il n'a pas à arbitrer un conflit privé. Le père et la mère sont responsables de leur enfant quand il est mineur et l'État est en avance par rapport à la société sur la question de la scolarisation des fillettes, sur les questions comme le mariage, la succession ; on voit qu'il y a des déphasages mais réels de plus en plus forts par rapport au bouleversement aujourd'hui de la société algérienne. Ça, ça ne cadre pas parce qu'on est passé de la famille au cercle de la famille ; enfin, de la communauté à l'individu. En gros, c'est une résolution dans notre société donc la famille élargira la famille mononucléaire.

Donc, pour un couple, imaginons du jour au lendemain, comment dire, la succession, elle va au hasard et l'épouse là-dedans, elle n'a le droit à rien. Après avoir, je veux dire, mener une vie de couple à deux ou à gérer ses biens et un capital de travail de manière, j'allais dire, consensuelle au niveau du couple. Mais le Code de la Famille dit qu'il y a un tiers de la succession et puis, la fille n'a pas droit à la même part d'un garçon. Pour moi, ça pose un sacré problème et même qui peut aboutir à des drames dans les familles. Il existe même des situations confuses, potentiellement conflictuelles par ce qui était valable il y a des siècles me semble complètement ahurissant, ce qui a été une évolution à un moment dur dans l'histoire du monde musulman. Il y a donc des régions comme la Kabylie où on a fait un droit coutumier, sinon pragmatique.

On va se dire d'un point de vue strictement pratique, le fait qu'un Code de la Famille, ce soit quand même une protection pour les femmes, victimes du droit coutumier qu'en deçà du droit musulman. Y compris des cas courants du droit musulman : Malikite, Hanafite, etc. Mais c'est pareil, il y a toujours les micro-situations dans la société kabyle. Les femmes n'hésitent plus du tout : le droit musulman. Les quatre courants du droit musulman sont une protection dans ces cas-là, mais ils ne sont pas non plus une protection dans la mesure où, aujourd'hui, il n'est pas en phase ou la jurisprudence n'est pas en phase avec les évolutions sociologiques. Donc maintenant, c'est pour cela que je dis c'est pour avoir un débat sur là-dessus. Il faut carrément être très conscient que c'est carrément l'aboutissement d'un rapport de forces politiques en deçà parfois des transformations des sociétés algériennes.

- Y a-t-il transformation de la société algérienne ?

- Oui forcément, d'un point de vue strictement économique, l'emploi féminin, la scolarisation, l'évolution etc. Elle est flagrante parce que ce que j'ai vu moi dans la sphère strictement journalistique, cette entrée massive des femmes y compris l'accès même très limité des postes de responsabilité, c'est carrément une donnée des années 90. La scolarisation, c'est comme un facteur important. Moi, je vois à mon échelle ce qui était inconcevable pour ma génération, en Kabylie, c'est carrément largement admis aujourd'hui du fait que, sur un échantillon de la population dans un village, par exemple le mien : toutes mes cousines, en gros, nièces, Na ! Na ! Na ! Et bien, elles vont à l'école. Elles peuvent faire des études supérieures mais sans s'éloigner du milieu familial, ce qui était totalement inadmissible pour les filles de ma génération. Moi, autant je suis une exception qui confirme la règle, autant ce n'est pas du tout le cas quinze ans après.

Là, je crois qu'il y a alors des contraintes économiques qui font que les familles comprennent de plus en plus la nécessité de se protéger en permettant à la fille, à leur fille, d'acquérir un bagage intellectuel et donc de les doter d'un plus parce que le capital alliance matrimoniale... il subit aussi. Autrefois, la fille était mariée à l'un de ses cousins, enfin elle a des alliances liées à bien des vies, etc. Des alliances matrimoniales qui sont le capital de la famille. Aujourd'hui, ça ne fonctionne plus donc les critères : beauté, capital financier. Maintenant, c'est le capital étude. C'est d'ailleurs l'une des observations que j'ai faites. Mais, ce qui est facile de constater ou d'observer : c'est qu'en l'espace de quinze ans, les mêmes familles qui jugent comme une apostasie (rire) je veux dire pour des femmes comme moi, de faire des études alors qu'aujourd'hui, au contraire, on voit que ces familles soutiennent les études de leur fille.

- Y a-t-il évolution ou régression ? La politique et les femmes ?

- Moi, je ne crois pas à des évolutions comme ça. Je pense qu'il y a toujours à séparer l'instance politique de l'instance sociologique parce qu'il y a les pesanteurs sociologiques. On peut aussi voter des lois révolutionnaires qui ne seront pas forcément mises en pratique dans la société. L'avantage est de voter des lois plus positives concernant les droits des femmes. C'est-à-dire que les femmes ont le droit à ces recours au niveau juridique. Mais, ça ne veut pas dire que dans la société se résoudra le problème de la femme... Je crois que je vais m'arrêter là, sinon, il nous faudrait plus de temps, plus de cassettes. Si tu reviens une autre fois, je te consacrerai plus de temps. Maintenant, je laisse place à ma chère mère, elle a beaucoup de choses à te dire. Elle relativise et positive les choses.

F- OUERDIA, LA MAMAN DE CHABHA

Ouerdia, 64 ans, à la retraite, est mère de 4 filles et un garçon (Chabha est l'aînée). Elle n'a jamais fréquenté l'école mais a appris à lire et à écrire aux cours du soir en France, elle vit actuellement en Kabylie (depuis sa retraite). Son mari s'était installé en France en 1950. Après plusieurs réunions familiales, elle l'a rejoint avec ses 3 filles (les deux autres enfants sont nés en France).

J'ai rencontré Ouerdia lors d'un enterrement où je représentais ma mère malade. Même si on ne connaît pas la famille du défunt, il faut s'y rendre pour que les autres vous voient... C'est un devoir ou une coutume (ou une habitude) de l'organisation villageoise ? Lors de ces regroupements (enterrements, mariages...), les femmes sont séparées des hommes. Le mort est allongé à même le sol, au milieu des femmes qui le pleurent et le veillent. Ces cérémonies sont des lieux de rencontres où les femmes discutent, arrangent des mariages, échangent des nouvelles, se plaignent... : elles n'attendent que ces moments même s'il faut pleurer à chaudes larmes. Tous les événements (heureux ou malheureux) sont attendus pour se montrer, pour voir les autres, discuter, pour médire et critiquer.

Ce n'est pas par compassion que j'ai accepté de représenter ma mère mais par nostalgie, égoïsme, par le désir de rencontrer des personnes ? Je ne connaissais pas le défunt, ni sa famille, juste de nom. J'ai été assaillie de questions. J'ai parlé de mon sujet... Ouerdia m'a invitée chez elle afin de réaliser mes entretiens avec sa fille. Elle connaissait ma famille. Elle m'a bien reçue comme si j'étais une copine de ses filles ou par hospitalité ? Or, Chabha, je ne l'avais jamais rencontrée (pas avant mon entretien)...

L'entretien se passe toujours dans la cuisine pour être plus tranquille. Avant de nous asseoir, je lui fais des compliments sur sa maison (pour nos mères, c'est le signe de réussite, de modernité...) et je rappelle le sujet.

- Oui, tu m'en as déjà parlé et j'ai proposé à ma fille aînée de répondre à tes questions ensuite, je me suis dit pourquoi pas moi pour faire la comparaison. La comparaison avec les jeunes filles kabyles. C'est bien de faire parler des vieilles comme moi. Je suis surtout contente que tu parles de la femme kabyle. Tu peux me tutoyer. Alors, je te parle de ma vie, des femmes kabyles. Tu vois cette maison : c'est plusieurs années de sacrifices. Avant, on habitait au village, dans une maison de l'ancien temps, c'est-à-dire une grande pièce qui nous servait de tout, en haut on posait nos provisions, en bas (adaynin), il y avait les animaux comme la chèvre qui nous donne du lait pour nous faire vivre. Il y avait deux moutons qu'on engraissait pour les sacrifier une fois l'an. Ce n'est pas la vie moderne. Un coin cuisine avec un kanoun pour cuire les aliments ou la galette, de l'autre côté, il y avait le métier à tisser car il fallait savoir très jeune faire des burnous et des couvertures.

L'hiver est rude en Kabylie et la femme devait penser à tout : cueillir ses olives pour l'huile, le jardin pour avoir des légumes et faire sécher des choses pour les provisions d'hiver. La femme kabyle a toujours travaillé à l'extérieur comme dans les champs, penser à l'hiver, faire les courses, penser à se réchauffer en cherchant du bois, aller chercher de l'eau à la fontaine car on n'avait pas d'eau courante à la maison, sortir les animaux et les entretenir et surtout s'occuper des enfants et des vieux.

- Des vieux ?

- Oui ! Les vieux, les beaux-parents. Quand tu te maries, tu quittes tes parents, ta famille, pour t'occuper de ta nouvelle famille. On ne fait pas de calcul. Il faut dire qu'on se marie très jeune, à 13 ou 15 ans sans le déclarer aux Français, c'est-à-dire à la mairie. Tout ça, c'est l'ancien temps. Maintenant, je vais te parler de moi et, en même temps, de la situation de la femme kabyle comme je la vois moi... Je parle le français comme les immigrés, du français kabylisé et arabisé...

Ouerdia éclate de rire. Elle se moque d'elle-même mais dit qu'elle est une femme moderne qui a évolué avec son temps et surtout avec ses enfants. Elle a les cheveux coupés, s'habille à la Française, les traits marqués par la souffrance. Elle déforme un peu le français, avec un accent d'immigré. Je lui ai suggéré de choisir son style, je n'impose rien : juste l'écouter et l'enregistrer.

- Donc, je me suis mariée très jeune à 16 ans et j'ai eu deux fausses couches tardivement (7mois) avant Chabha, c'était des garçons. Si j'ai perdu ces bébés c'est à cause de malnutrition et des tâches difficiles (c'était pendant la guerre). Je devais me lever de bonne heure, pétrir 7 à 10 galettes, donner à manger aux animaux domestiques, faire à manger, cuire les galettes, nettoyer, aller chercher de l'eau à la fontaine... On était nombreux chez ma belle-famille (beaux-parents, belles-soeurs, oncles de mon mari, neveux...), au moins 20 personnes. Il y avait une grande pièce où les femmes se partageaient les tâches et une chambre personnelle pour chaque famille. Les grands enfants ne dorment plus avec les parents : ils dorment chez la vieille, oui avec la belle-mère. C'est elle qui dirige tout sans toucher à rien : elle était le chef, elle remplaçait mon beau-père en son absence. Et puis, il y a des choses que le beau-père, il ne se mêlait pas, donc, c'est le rôle de la belle-mère de faire des remarques aux femmes, même aux hommes de la maison. Elle veillait au fonctionnement et à l'harmonie de la famille. On l'aimait, on la respectait, par moment, on ne pouvait dire ce que l'on pensait, c'était dur.

- Mon mari, lorsqu'il écrivait une lettre de France, c'est à elle qu'on la lisait et devant toute la famille. On était sous ses ordres et sous sa protection. Elle se privait pour que tout le monde puisse manger. Bien sûr, je ne pouvais dire qu'il me manquait ou que je montre que je suis attachée à lui. Mon mari appartenait à tout le monde surtout à sa mère. Enfin, c'était comme ça et on ne se plaignait pas. Euh ! La vie était dure, on était pauvre, on vivait des ressources de nos pauvres terres et des salaires de mon mari et de mon beau-frère qui travaillaient en France. J'étais jeune, il fallait également sortir dans les champs et accomplir des tâches selon les saisons (récoltes de fruits, ramassage d'olives, du bois...). Surtout, il ne fallait pas se plaindre sinon tu peux recevoir une raclée des beaux-parents.

Ma belle-mère commandait à la maison, donnaient des ordres, on ne ripostait jamais, c'était ainsi pas autrement : c'était un vrai chef. Mon beau-père ne bronchait pas devant elle. Concernant les questions importantes relatives aux sorties, décisions à l'extérieur, c'était lui... Eh ! Oui pour l'honneur, le nîf : c'était lui ! Tu sais, quand tu deviens vieille, chez les Kabyles, tout le monde te respecte, tu as de la valeur aux yeux des autres, tu es la mère de tous. La femme retrouve de la dignité et de la considération et de la liberté. Euh, quelle liberté ! Plutôt des responsabilités, mais on a plus la force. On devient vielle et surtout considérée dès que tu deviens belle-mère ou mère de grands enfants. À 40 ans, tu peux être grand-mère et tu peux être considérée, personne ne peut te montrer du doigt. Tu deviens plus libre.

Dans ce temps, il y avait une bonne ambiance, on rigolait, on se racontait des histoires à la fontaine lorsqu'on allait chercher de l'eau dans nos cruches. Avec rien du tout on était content, heureux. On se contentait de peu. Remarque, on n'avait ni électricité au village, ni télé, ni de gaz de ville, sans eau courante... enfin, sans commodités de la ville d'aujourd'hui. Et puis, avant, il faisait très froid, il neigeait beaucoup, plus que maintenant ! Notre village était bien exposé au froid. On était insouciant de notre situation. On ne se révoltait pas. Mon mari vivait en France et moi je vivais chez mes beaux-parents alors que la génération d'aujourd'hui n'aurait pas accepté cette situation. Chaque femme dans la maison (construite à l'ancienne) connaissait son rôle, on ne se disputait jamais, mais on se jalousait. Je n'aurais jamais pensé que je connaîtrais une autre vie que cela. Malgré les difficultés, on était heureux : personne ne se plaignait.

Lorsque mes enfants sont arrivés au monde, les problèmes commençaient. Pourquoi je ne donnais pas de mâles, de garçons, à ma belle-famille. Les relations devenaient difficiles. Je suis allée chez mes parents. Ma belle-mère voulait que je sois répudiée par mon beau-père (homme de la maison, le patriarche), mes parents sont intervenus en proposant d'attendre le retour de France du mari pour prononcer la répudiation devant la Djemâ`a. Je me retrouve avec ma mère et sa belle-famille, c'était la guerre et mon père, vava M., était au maquis. Il a rejoint le F.L.N. (l'armée algérienne l'A.L.N. pour l'indépendance du pays).

Mon mari ne pouvait pas rentrer au pays (à cause de la guerre). En fait, de son côté, il participait à cette résistance avec l'A.L.N.-immigration. Je me suis retrouvée à participer à aider les maquisards, à leur faire à manger, à transporter des armes d'un point à un autre..., à notre façon, nous étions des moudjâhidâtes. C'était une période difficile mais on était solidaires, ma belle-famille emmenait mes filles chez elle pour les occasions. Ils avaient peur des répressions des colons français, des viols. Par mon courage, ils ont manifesté de la compassion et nos liens se sont consolidés. On habitait le même village. Dans le temps, on ne se mariait qu'entre nous. L'histoire du divorce était oubliée. On s'occupait de la libération du pays et de notre quotidienneté. Dans les réunions du village (les Djemâ`as), les décisions de protection des personnes en danger étaient prises. En l'absence de mon mari et de mon père, ma mère me représentait. Il y avait une démocratie et une organisation qu'on retrouve dans les administrations françaises. L'argent envoyé par nos immigrés était partagé entre les villageois et les maquisards et les femmes sans mari n'étaient pas oubliées. Il y avait aussi de la méfiance à cause des mouchards, des harkis. Je n'étais pas malheureuse.

En 1962, j'ai envoyé Chabha à l'école, je voulais qu'elle s'instruise, qu'elle ne soit pas ignorante comme moi. Certes, je me suis instruite par les aléas de la vie sans lire et écrire. Mes autres filles sont encore jeunes. Comme j'en voulais à ma mère de ne m'avoir pas envoyée chez les "soeurs blanches" pour apprendre à lire et apprendre la couture, je me suis acharnée sur ma fille pour qu'elle étudie. Tu sais, on avait les écoles ménagères tenues par les marabouts français, c'est-à-dire les soeurs blanches.

- Les missionnaires ?

- Oui, certains parents avaient peur qu'on devienne des chrétiennes, parce qu'il y a des Kabyles qui se sont convertis. Les jeunes de cette époque ne pensaient pas à la religion, on n'en parlait même pas, ce n'est pas comme maintenant. Après l'indépendance, mon mari rentre au pays en vacances. Il est déçu de me retrouver chez mes parents, alors des tractations se sont faites avec les familles et les sages de la Djemâ`a ont pu annuler ma répudiation. Reconnue combattante de l'A.L.N.-F.L.N. par les autorités algériennes, j'ai servi mon pays, j'ai mis ma vie en danger, j'ai porté des armes, j'ai donné des ordres à des hommes, j'ai caché des dirigeants politiques, j'ai hébergé des hommes (moudjâhidînes)... et mon destin, mon avenir de femme, je n'avais pas le droit à la parole : ce sont les autres qui décident pour moi... Pour mes filles, j'ai attendu la décision. Pendant la guerre on avait de la considération, après, on était réduite à rien. Pourtant nous avons contribué à la Libération de ce pays, nous avons affronté l'ennemi, nous avons laissé de côté nos moeurs...

- Mon mari avait décidé qu'après ses vacances, je retournerai chez mes parents pour préparer mon départ vers la France. Encore une décision qui avait outré tout le monde. Il fallait que j'attende mon mari, au village. Qu'une femme ne doit pas s'exiler. Il n'y avait que les hommes qui partaient. Leur fils tant attendu n'avait plus de considération à leurs yeux. Il ne fallait pas que je sois civilisée. Il comprenait mieux l'inscription de ma fille à l'école car il pensait que j'avais tout préparé. Cette préparation s'est faite par le contact que j'avais avec des fellagas. J'ai laissé le temps s'écouler, j'ai laissé les gens s'enivrer de cette libération, des nouveautés. D'autres filles de la famille ont rejoint l'école alors que j'ai été critiquée quand j'ai mis la mienne. Je suis soumise mais je voulais une évolution pour mes filles. Le combat commençait. J'ai dû réapprendre à me soumettre. J'étais redevenue une femme au foyer avec ma tenue traditionnelle : une fouta (tissu qui recouvre la taille, signe de respect et de voilement chez les Kabyles) et la robe kabyle qui recouvre les genoux. Nos robes n'étaient pas longues comme celles des Arabes. On s'y fait vite par l'environnement. On oublie vite que nous avons été des combattantes en contact avec les hommes.

- Quelques années passèrent, à la mort de mon père, mon mari nous embarqua à Paris où il avait acheté un petit bar restaurant. J'ai compris pourquoi il n'envoyait pas beaucoup d'argent et surtout ne venait pas nous voir : il travaillait beaucoup mais c'est moins difficile qu'en Kabylie. Mon départ, je l'ai su après, à l'époque, les femmes n'étaient pas mises au secret des projets de leurs maris : elles subissent sans discuter, ni poser de questions ; c'était l'affaire des hommes...

Arrivée à Paris avec ma robe kabyle, il fallait réapprendre la vie, la modernité, elle était trop difficile à acquérir. Moi, j'ai connu la cuisson au feu de bois, ensuite la cuisinière au gaz butane. Pas de chauffage, étendre mon linge à l'air libre. Ma montagne me manquait. J'étais désemparée alors qu'on m'appelait la courageuse. Je voulais repartir, les histoires, les conflits me manquaient : c'était trop difficile de passer d'un monde vers un autre. Petit à petit, je me suis faite. Il faut avouer que mon mari était patient, il m'a aidée. D'autant plus que je lui ai donné un fils. Alors, il m'a inscrite à l'école des adultes dans le quartier pour apprendre le français et à compter. J'ai appris à lire un peu et à écrire mon nom, à compter. Remarque, je savais déjà compter. Tu sais cela, on l'apprend lorsqu'on faisait le partage de la semoule, des fruits, de l'huile... dans les grandes familles.

- Le partage ?

- Oui, il fallait partager le manger, la récolte des olives, compter les frères moudjâhidînes, leurs tenues à réparer, les armes... tu sais, la guerre nous a obligées à apprendre. J'ai appris à vivre une autre vie. Au début, mon mari faisait toutes les démarches mais, par manque de temps, il m'a obligée à sortir et mes enfants m'ont aidée même si je ne parlais pas bien français. J'avais des voisines Algériennes mais je ne les comprenais pas : elles parlaient l'arabe. D'ailleurs, même maintenant, je comprends rien à la télévision algérienne. On est Kabyle, Algérienne mais pas Arabe. D'ailleurs, on n'a pas les mêmes traditions, la même façon de voir les choses, alors avec leurs tenues islamiques, on a l'impression qu'on n'est pas du même pays. Cela, c'est un autre problème. Avec toutes les rencontres que je faisais, je me posais beaucoup de questions...

Mon mari a fait faillite car il continuait à envoyer de l'argent à sa famille (ma belle-mère était décédée) alors, j'ai commencé à faire des ménages ensuite, je me suis retrouvée dame de service dans un centre pour handicapés. Encore un monde que je découvrais, chez nous, ces malheureux, on les cachait... J'ai continué à travailler dans ce centre jusqu'à ma retraite mais j'allais chaque vacances en Algérie. Je ne peux me couper de mes racines malgré mon évolution. Et depuis nos deux retraites, nous sommes revenus, mon mari et moi, finir nos jours ici. Mes deux filles et mon fils unique sont restés en région parisienne, une autre est partie vivre en Amérique et Chabha a choisi de vivre en Algérie après ses études à l'université. C'est là qu'elle a évolué, qu'elle a son avenir et puis elle a bon boulot. En France, c'est difficile...

Excuse-moi, j'ai parlé de ma vie mais pas de la condition des femmes. Je me suis oubliée. Remarque, ma vie ressemble à celle des femmes kabyles, au lieu de partir en France, elles sont parties dans les grandes villes.

- Tu peux continuer.

- Ah bon, alors, je continue. Vois-tu, je me suis jurée de donner la liberté à mes filles bien que je gâte mon fils, d'ailleurs, il habite toujours chez moi en France. Il n'a pas le droit de commander ses soeurs et il respecte leurs choix, leurs modes de vie, leur liberté. Je lui ai appris à respecter la vie des femmes. Il fait le Ramadan mais vit comme tous les jeunes Français. J'aimerai qu'il épouse une Kabyle mais on ne peut pas commander. Il a fini son doctorat à 27 ans et maintenant, il doit penser à sa vie professionnelle après, ça sera le mariage. Avant de mourir, j'aimerai voir son enfant, une fille ou un garçon, cela n'a pas d'importance.

Les filles je les ai laissées partir, d'ailleurs, j'ai été critiquée au village. Mais ils peuvent parler. Ce qui me touche, c'est que Chabha ne soit pas mariée et peut-être que je ne verrai jamais mon gendre ou son enfant, elle n'en aura jamais à cause de son âge. Elle a sa voiture, son appartement à Alger, on ne lui dit rien. Son père me dit : "C'est le garçon que j'aurai dû avoir, elle se débrouille tellement que je ne peux rien lui dire et notre honneur, elle a su le garder alors, le reste, c'est sa vie". On est fier d'elle mais elle n'a pas de chance du côté des hommes. Tu sais aujourd'hui, il y a beaucoup de filles qui ont fait des études et ne sont pas mariées. Tu sais, au fond, vaut mieux la liberté que d'obéir à un mari... mais il leur manque quelque chose à ces célibataires intelligentes qui ont su égaler les hommes, c'est ça la vie.

- Aujourd'hui, la liberté passe par les études et le travail des femmes. Elles ont leurs mots à dire mais leur vie de femmes est sacrifiée. Quand on est une femme d'extérieur, tu ne peux pas accepter de te soumettre à un homme sauf par respect pour ton entourage. Heureusement que les choses ont changé bien que le Code de la Famille ne veuille pas bouger. Il n'est pas de notre époque, ni de votre génération, il s'applique à la nôtre. Le Code de la Famille a été fait pour le siècle dernier pas pour ce nouveau siècle. Tu sais, l'Islam est déformé par les hommes car ils ont rien compris. Ils l'interprètent à leur manière. L'Islam donne la liberté à la femme. La femme mariée est libre dans sa sexualité. L'homme a des devoirs envers la femme pas seulement de lui faire des enfants. Elle a des droits même dans sa sexualité...

- Quels droits ?

- Une femme peut gérer ses biens, elle a droit à l'héritage. Moi, quand mon père est mort, moi et ma soeur, on a rien eu sauf 10 litres d'huile d'olive par an et des couvertures que j'ai tissées. Mes frères, eux, ils ont pris les terres, la maison. Moi, je voulais construire ma maison sur les terres de mon père, mes frères se sont opposés mais je ne leur en veux pas. C'est normal, je ne peux ramener un étranger sur leurs terres. Mon mari, bien qu'il soit du village, pour l'héritage : c'est un étranger.

Tout à l'heure, on parlait de sexualité, les filles doivent arriver vierges lors de la nuit de noce, crois-tu que moi, je vais vérifier cela auprès de mes filles ? D'ailleurs, j'ai horreur de ce rituel, c'est-à-dire montrer la chemise de nuit pleine de sang pour prouver la virginité de la femme, ça regarde le couple, c'est leur problème. C'est vrai que l'Islam interdit les relations sexuelles en dehors du mariage. Cela est valable dans l'ancien temps parce qu'on se mariait jeune. Aujourd'hui, comment voulez-vous découvrir cela quand on se marie à 30 ans ? Enfin, certes, il faut se protéger, ne pas faire des enfants pour les abandonner ou détruire une famille. Je suis libérale, je ne pose pas de questions à mes filles, je leur dis seulement de ne pas me ramener des bâtards. Je ne veux pas de cela et je ne veux pas être le sujet de conversation de ma famille ou des voisins. Aujourd'hui, il y a des moyens et les filles sont instruites. C'est pour cette raison que je parlais de détruire une famille. Tu sais, l'honneur et le nîf kabyle, c'est important.

Le chef de famille ne doit pas avoir honte de ses enfants, des bêtises qu'ils ont commises. Le Kabyle est capable de tuer sa fille pour ce genre de chose, pour laver l'honneur de la famille et tout le monde le félicitera de son geste. Alors, pourquoi en arriver là, quand la pilule existe et que la discrétion se fait, alors si tu flirtes, ne le fais pas en public. Les mauvaises langues peuvent facilement détruire le bonheur de toute une famille. Être montré du doigt, dans son village ou dans sa ville : c'est terrible. C'est pour cela que nous, mères de famille, on harcèle nos filles sur cette question. Ce n'est pas pour les empêcher de vivre avec leur temps mais c'est pour éviter le commérage. Moi-même, quand Chabha est rentrée à l'école, je ne cessais de la mettre en garde contre les hommes. Peut-être c'est pour cela qu'elle a voulu être mieux qu'un homme. Je l'ai compris bien plus tard lorsque je discutais avec le psychologue du centre où je travaillais.

Aujourd'hui, il ne faut pas que la vie de nos filles soit effacée. Les femmes existent en tant qu'être humain. Elles ne doivent pas se battre pour arriver comme l'homme. Il faut les prendre à leur juste valeur, pas parce qu'elles sont femmes, pour leurs compétences, pour leurs sentiments, pour ce qu'elles sont : pas des objets que l'on achète. Au départ, il faut faire des quotas, moitié hommes, moitié femmes en politique, dans les postes de travail... Pour changer les mentalités, il faut changer les textes, le droit de la famille. On ne jette pas une femme dehors comme une malpropre et l'homme peut le faire autant qu'il veut en se mariant à 4 femmes s'il le veut. Les temps ont changé. L'homme n'a pas le droit de divorcer pour un oui, pour un nom : les femmes ne sont pas des objets. On ne doit pas lui arracher, après un divorce, ses enfants sous prétexte que le garçon, à partir de 10 ans, doit être élevé par son père. Mais c'est fou, débile. Le changement de lois obligera nos hommes à se soumettre, ils ne pourront désobéir aux lois. Si nos hommes n'ont pas changé, c'est que la loi est avec eux et pour eux, alors on peut pas changer, ni évoluer : alors on continuera à vivre comme dans l'ancien temps.

Mes deux filles ont choisi librement leurs maris : un Américain et un juif tunisien, un séfarade. Je les aime comme mes enfants. Je ne me suis pas opposée à leurs unions. Je vais te dire la vérité, j'avais peur qu'ils soient Arabes... Remarque, je ne veux que leur bonheur. Elles font comme elles le désirent. Comment voulez-vous imposer une vie comme celle qu'on a eu à une fille majeure, de 25-35 ans ? Moi, je suis pour la modernité, pour l'évolution des femmes, pour des lois comme en Tunisie. Bourguiba leur a donné la liberté par leur Code de la Famille et nous, en Algérie, ils veulent qu'on vive comme au temps du Prophète. Donc pour être une femme, il faut changer les lois ainsi, elle aura ses droits. Et l'Islam n'a pas dit de retourner en arrière, il faut aller devant et qu'on arrête de nous imposer des lois islamiques qui sont mal lues, leur interprétation.

Les femmes doivent toutes étudier et travailler, l'Algérie est riche, il y a du travail pour tous les jeunes. Pour nous faire oublier qu'ils ont volé le pays, ils nous mettent l'intégrisme avec des jeunes désoeuvrés. Ces intégristes n'ont rien à perdre : pas de boulot, pas de maison, pas de femmes, alors ils s'accrochent à un Islam de l'ancien temps. L'Islam n'a pas dit de violer les femmes ou de les tuer. Tout cette situation, c'est la faute de l'état même de notre langue : le kabyle, ils veulent nous l'enlever. Comment veux-tu que les gens évoluent ? On s'occupe du problème de la femme au lieu de s'occuper à faire avancer le pays. On n'a pas beaucoup de femmes dans la politique. Comme elles ne sont pas nombreuses, elles ne peuvent, à elle seules, changer le Code de la Famille, les mentalités... C'est dommage que des gens soient morts pour rien.

Enfin, je crois que j'ai trop parlé. Je peux rajouter cela, tant qu'il y aura ces gros bonnets, l'armée, rien ne changera en Algérie. Je plains les jeunes et les femmes. La vie est devenue trop dure pour tout le monde, hommes et femmes. Il faut changer tout le système. Heureusement qu'en Kabylie, les parents, pas tous, ont compris que leurs filles ont évolué et acceptent le changement, que leurs filles essaient de retrouver leur place grâce aux études et au travail pour celles qui ont la chance d'en avoir.

L'entretien a duré un peu plus de 90 minutes. Certains passages n'ont pas été transcrits. Il faut avouer que Ouerdia avait beaucoup de choses à dire. Elle est révoltée par la situation du pays. Marquée par la guerre, elle en veut à l'État, au système politique. Tous les maux des femmes proviennent du système. Elle est nostalgique. Malgré les difficultés du temps de la guerre (1954-1962), elle s'est construite durant cette période : "J'ai appris à compter les armes, les tenues des moudjâhidînes (des combattants)". Nationaliste, elle a cru à l'évolution de son pays. Ouerdia revendique son identité de femme, son identité nationale, sa langue, "J'avais peur qu'il soit Arabe...".

Malgré des moments de mélancolie par l'évocation du passé, Ouerdia savait plaisanter, rire et rappeler quelques expressions qui nous ont permis de plaisanter.

G- MELHA, INGÉNIEUR EN GÉNIE CIVIL

Melha, 36 ans, Ingénieur d'État en Génie Civil, est célibataire et habite chez ses parents. Melha vit et travaille à Tizi-Ouzou (Kabylie). Elle est issue d'une famille nombreuse : ils sont 10 enfants (6 filles et 4 garçons), tous universitaires (l'aîné psychologue, la cadette professeur, la troisième esthéticienne (après un diplôme universitaire), le quatrième et le septième ingénieurs (en froid, en pétrochimie) et les autres sont biologistes, institutrice et professeur de sport. Ses parents, n'ayant pas fait de longues études, se sont donnés les moyens pour que leurs enfants aient des cursus universitaires élevés et qu'ils devinent des diplômés. Comme le répète souvent Melha : 

- Papa n'aime que les jeunes avec des titres ! Je crois que si mes belles-soeurs n'avaient pas des diplômes, il ne leur aurait pas accordé de la considération. Si elles n'étaient pas diplômées, il dirait qu'elles ont des pois chiches dans la tête. Mes trois belles-soeurs sont dans la médecine : la femme de l'aîné est pédiatre, la femme du septième enfant est pharmacienne, la femme du dernier est médecin. D'ailleurs, il encourage la dernière à poursuivre sa spécialité. Il adore ses belles-filles, les invite souvent à manger afin qu'elles ne se fatiguent pas trop. De surcroît, il leur a fait construire de beaux pavillons à chacune sur ses terres. Il dit : "Vous, mes filles, vous appartiendrez à vos maris et vos belles-familles qui feront la même chose. Elles portent mon nom, elles me donnent de beaux petits-enfants et elles rendent heureux mes fils, alors, il faut les gâter surtout quand on a les moyens..., elles sont respectueuses envers tout le monde. Je vais les aider à ouvrir leur cabinet comme j'ai aidé S. pour son officine...".

J'ai rencontré Melha au Croissant Rouge où elle milite. La présidente de la commission sociale a préparé le rendez-vous. J'ai connu Melha lors des émeutes d'octobre 88, elle était secouriste et elle avait une lourde mission : ramasser et soigner les blessés du soulèvement des jeunes. Entre-temps, elle a suivi son chemin et a dirigé une association. Ensuite, on s'est perdues de vue. Elle était contente de me revoir...

- Que faites-vous ?

- Je suis Ingénieur en Génie Civil, spécialisée en béton armé. Je travaille dans un bureau d'études en tant que chef de projet dans le service dit "service suivis et réalisations de tout ouvrage". Je dois dire que j'ai choisi ce métier pour un peu contrer l'homme car, à la fin de mon cursus secondaire, c'est-à-dire après le bac, tout le monde (père, mère, amis, etc.) pensait que j'allais poursuivre des études en médecine (le rêve de mon père que je n'ai pu réaliser) mais, mon choix a été fait sans demander l'avis de quiconque. Moi, je me voyais déjà sur un chantier de construction en train de diriger des techniciens au milieu des hommes. Je dois dire que j'ai toujours préféré la compagnie des hommes que celle des femmes depuis déjà mon enfance.

Cela me réjouit de vous parler de ça car, une fois que j'étais inscrite en première année à l'institut de Génie Civil, mon père me disait quel serait le métier que j'exercerai plus tard et quels étaient les débouchés de cette branche. Et bien sûr, je lui donnais des explications ou, mieux encore, des détails concernant le métier que j'allais exercer à la fin de mon cursus universitaire. Je le sentais très sceptique à l'idée de me voir au milieu des hommes, en même temps, je le sentais fier de la réussite au bac de sa fille. C'était très important pour moi, je voulais absolument lui prouver que, quel que soit le cursus suivi, l'essentiel est d'avoir un diplôme qui me servirait dans la vie professionnelle.

- Qu'est-ce pour vous être une femme ?

- Être une femme : cela veut dire beaucoup de choses. C'est vaste comme question, c'est-à-dire que tout dépend où vous situez la femme. Je ne peux parler au nom des autres femmes. En tout cas, pour moi, être une femme est un long combat, un combat continuel. Pour être plus claire, c'est une lutte sans relâche à condition de résister à certains obstacles, à l'adversité et à tout ce qui directement touche les agissements ou comportements de la femme en général. Que ce soit dans le milieu familial, dans la société ou encore mieux, dans le milieu professionnel.

En d'autres termes, c'est une lutte sur un parcours très difficile qu'offre la vie à la femme en général. N'a-t-on jamais dit que "la vie n'est pas un long fleuve tranquille ?", une expression que je considère applicable à tout individu pas uniquement à la femme ou aux femmes. La femme ne peut être reconnue que par le mari ou le père. Si elle veut avoir sa place dans cette société d'hommes (pourtant, les femmes sont plus nombreuses que les hommes : 4 pour un homme), il faut qu'elle étudie pour occuper l'espace public d'abord par le travail. Une travailleuse, une femme de l'extérieur à l'opposé d'une femme d'intérieure, peut activer dans la société civile, dans le monde associatif et politique. Celles qui travaillent sont plus indépendantes, plus libres malgré les aléas de leur condition et de leur vie.

L'indépendance financière d'une femme peut changer sa condition sociale et son affirmation dans sa famille ou dans la société. Ensuite, c'est à elle de s'imposer, de lutter pour avoir sa place. La liberté d'une femme est un long combat, il est quotidien. Je préfère être soumise par mon père (ça se discute...) que par un homme de ma génération. Je ne pourrai pas me rabaisser. Je considère les homes comme mes égaux, pas supérieurs. Comme je l'ai déjà dit, il n'y a que mon père qui peut me faire baisser les yeux ou accepter la soumission mais papa me connaît, il rit aux éclats quand je parle de la condition des femmes. Parfois, nos discussions vont loin. Sur certains points, il me prend toujours pour sa petite fille, je lui dis toujours ce que je pense. D'ailleurs, il me dit souvent : "tu ne trouveras jamais un mari avec tes idées...".

- C'est ce qui retarde votre mariage ?

- Ha, ha, ha (rires), c'est une question impertinente dans la mesure où il s'agit là de ma vie privée. Mais, puisque vous êtes vous-même une femme, je répondrai à votre question. Si, aujourd'hui, je ne suis pas, du moins pas encore, mariée parce que, d'abord, je n'ai pas trouvé le bon élément, à savoir un homme (car je ne suis pas homosexuelle) qui m'accepte telle que je suis avec ma propre personnalité, mes habitudes extérieures au milieu familial, mon mode de vie, mon travail, en gros : ma liberté. Sinon, c'est un choix personnel. On dit souvent que le mariage c'est la corde au cou, je ne suis pas de cet avis car, avant de se marier, il faut faire des concessions. Ce qui ne se fait pas chez nous en Algérie. On a tendance à dire qu'il faut se marier pour ne pas donner l'occasion aux langues venimeuses de jaser sur vous. Nous sommes en l'an 2000, à mon sens, il faut plutôt dire changeons les mentalités de notre société que ce soit dans le domaine politique, économique ou social.

En Algérie, la femme n'a pas encore tout à fait les droits qu'elle revendique. Dès l'instant où elle connaît ses droits, je crois que c'est un pas vers l'avant et il est vrai que, par rapport à d'autres pays civilisés comme la France, la femme algérienne n'a pas encore avancé sauf dans le domaine où on lui donne le droit à l'instruction. N'allons pas chercher des exemples car il existe une infinité de femmes algériennes qui, grâce aux études, ont pu atteindre une part de leurs objectifs. Prenons mon cas comme exemple, c'est-à-dire que, malgré les idées saugrenues de la mentalité algérienne, en général, j'essaie du mieux que je peux pour briser certains tabous qui me paraissent néfastes et rétrogrades pour la femme et surtout dans notre société parce que cela ne va pas au profit de notre évolution et de notre développement que ce soit intellectuel ou autres. Ceci dit, pour mieux cerner le problème existentiel, à savoir celui de la femme, il convient de faire, d'une part, chemin arrière pour optimiser la place qu'occupait la femme au fil du temps jusqu'à nos jours, d'autre part, rechercher la problématique que pose la femme aujourd'hui et qui s'impose par son évolution, son intelligence et son arrogance vis-à-vis des hommes. Le statut qu'offre le Code de la Famille est à discuter et à revoir. Il est infâme.

- Vous plaît-il ?

- Il ne me plaît absolument pas. Le Code de la Famille a été instauré par des hommes, comment voulez-vous qu'il convienne à ce que je suis, c'est-à-dire une femme laïque. Si je crois le Larousse, le mot "LAÏQUE" veut dire séparer la religion de la politique. De ce fait, le statut de la femme en Algérie s'est basé surtout sur des versets du Coran : La CHARIA. En aucun cas ce code ne convient généralement à la femme. Au contraire, il a été établi par des hommes et cela ne fait aucun doute qu'il va contre la femme pour son émancipation et son évolution dans le développement politique, socio-économique et culturel.

Justement, on est appelé à parler du politique. Les choses sont liées. Le Code de la Famille / La famille / l'Islam / Le politique / L'école / Le travail : c'est une boucle, une spirale ou un enchaînement, de sa place dans la sphère privée vers la sphère publique et de sa place à partir de la sphère publique vers la sphère privée. Le Code de la Famille n'adresse aucun avantage à la femme algérienne en général. Il doit être revu et de ce fait abrogé du fait qu'il n'offre aucune liberté et aucun droit à la femme qui lui permettent de se défendre en cas de divorce ou encore pour la succession sans oublier la polygamie. Il faut toujours se référer à la CHARIA qui donne avantage à l'homme. Forcément, la liaison entre la famille, le politique et l'Islam est très Forte. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il n'y a aucune possibilité de modification de ce code qui est établit par des députés, donc des politiques 254(*).

- A-t-elle une place dans la sphère publique ou privée ?

- De nos jours, je dirai que la femme algérienne peut avoir une place que ce soit dans la sphère publique ou privée, mais à condition de se battre et d'aller jusqu'au bout de ses projets. Moi, personnellement, j'estime que si la femme algérienne a pu acquérir une place dans la sphère privée, il n'est pas nécessairement évident qu'elle en ait une dans la sphère publique. Dans la sphère privée, la femme est confrontée beaucoup plus à un milieu familial qui peut être très fermé ou, au contraire, plus ou moins ouvert. Pour approfondir ces deux contextes (c'est-à-dire milieu fermé ou milieu ouvert et qui me fait penser aussi dedans / dehors), la femme a toujours été suivie, orientée et dirigée soit par ses parents, soit par un membre très proche de sa famille (oncle ou tante) vers ce qu'elle doit choisir son avenir, la femme doit impérativement réagir vite et doit se donner elle-même des droits que certaines lois lui ont attribués, bien que ces dernières ne favorisent pas tellement ou, du moins, ne l'aident pas beaucoup à améliorer sa situation. Elle n'a pas droit à certaines décisions qui reviennent en général à l'homme, sauf pour l'éducation de ses enfants ou, mieux encore, pour les tâches ménagères.

Ceci ne veut pas dire qu'elle n'a pas sa place dans la sphère publique. De nos jours, avec la scolarisation des filles qui arrivent au niveau universitaire et même plus, nous trouvons des femmes dans certains domaines de travail auxquels elles n'avaient pas accès il y a quelques années de ça ou encore interdits aux femmes. Comme dans le domaine de la politique, elle essaie de se donner une place en s'imposant avec ses propres capacités, son acharnement dans le travail, sa compétence et son sérieux. Malgré qu'elle soit parfois dénigrée dans ce domaine, elle est tout de même soutenue par des hommes.

Certes, ces derniers utilisent la femme à des fins personnelles ou politiques mais, la femme algérienne arrive parfois à s'imposer par sa conviction de réussite et sa volonté d'améliorer sa situation professionnelle qui est liée à sa situation sociale ou privée. Dans d'autres domaines de travail tel que l'enseignement, je crois qu'elle s'est déjà offerte une bonne place car il faut dire que, ces deux dernières décennies, on aperçoit plus de femmes que d'hommes dans le domaine de l'éducation. On trouve également de plus en plus de femmes dans le domaine médical, paramédical, etc. Cela prouve que la femme algérienne ne se restreint pas à ce qu'on lui propose, c'est plutôt un choix personnel qu'elle fait sans pour autant gêner la mentalité de la société qui, jusqu'à nos jours, n'a pas tellement changé malgré tous les efforts que fournissent certaines femmes pour essayer de bannir cette satanée mentalité.

L'une des raisons pour lesquelles la femme algérienne n'arrive pas à pouvoir changer certaines habitudes : c'est la religion. Et quand je dis religion, cela veut dire la religion musulmane. Quand je parle de cette religion, cela ne veut pas dire que je suis contre la religion, mais ce sont les hommes qui l'interprètent à leur façon et à leur avantage. Il est vrai que l'Islam n'interdit pas à la femme de travailler, par exemple, ni d'avoir une certaine liberté et la femme musulmane, en général, reste toujours sous l'emprise soit de ses parents ou de son mari, ce qui est contradictoire par rapport à ce que lui apporte cette religion. Les choses ont évolué, il faut donc vivre avec le progrès et être surtout tolérants.

- Aimeriez-vous avoir des enfants plus tard ?

- C'est beau d'avoir des enfants, mais il faut les prendre totalement en charge. Comme toute femme de mon âge, oui, je souhaiterai avoir des enfants mais pas beaucoup. Tout au plus deux, sinon un seul. Je ne veux pas devenir comme ces poules pondeuses qui se retrouvent avec une smala d'enfants dont elles ne peuvent s'en occuper. Il faut dire aussi certaines sont obligées soit par leur mari, soit par leurs parents de faire plusieurs enfants et ce pour pouvoir avoir un mâle parmi ces derniers. Par ailleurs, pour une femme qui travaille, il n'est pas facile de faire beaucoup d'enfants car il faut, non seulement s'occuper de leur éducation, mais aussi suivre leur scolarité et ce tout en travaillant à l'extérieur. C'est-à-dire que, dans ce cas, la femme doit assurer une double journée : son rôle de mère et de femme travailleuse (salariée).

De toute façon, la vie est tellement chère que certains n'osent pas s'aventurer à concevoir beaucoup d'enfants. Comme dirait mon père : "Pour concevoir plusieurs enfants, il faut s'assurer que ces derniers ne manqueront de rien. Et avec la cherté de la vie, si c'était à refaire, je n'aurai jamais fait autant d'enfants. DIEU merci, j'ai assuré mon rôle de père, j'ai pu subvenir aux besoins de tous mes enfants et j'en suis fier". Aujourd'hui, il ne comprend pas comment des couples qui ont eu la chance d'aller à l'école et de comprendre mieux certaines choses, notamment la contraception, arrivent malgré le coût de la vie à faire beaucoup d'enfants dont ils n'assurent même pas l'éducation, parfois ne les connaissent pas (par manque de communication).

- Comment voyez-vous l'avenir ?

- Il faut plusieurs années pour que l'Algérie puisse retrouver la stabilité. L'Algérienne nécessite un changement de mentalité ; pour accepter des droits égaux à une femme, il faut compter deux à trois générations. La crise économique, l'intégrisme qu'a connu l'Algérie a réveillé des consciences. Les femmes, après être longtemps bernées par des discours de socialisme, d'unité nationale, d'une meilleure vie... ont pris leur destin entre leurs mains mais c'est un grand travail en amont, dans la sphère privée... Il ne faut pas oublier tout le travail du mouvement féminin qui ont payé de leur vie. On croit que ce mouvement des femmes stagne depuis la crise, c'est une erreur ! Beaucoup de femmes travaillent à l'ombre, chacune avec son arme : par l'écrit (depuis une dizaine d'années, des écrits journalistiques, littéraires, sociologiques apparaissent dans le pays ou à l'étranger...), des associations de femmes naissent (même les mères, les épouses de terroristes se sont organisées...), le changement s'opère déjà dans la famille.

C'est les femmes qui vont changer la société et la reconstruire car ce sont elles qui perpètrent les traditions. Le Code de la Famille est rejeté par la majorité des femmes, notamment sur les modalités du divorce (pension alimentaire insuffisante, demande de la garde du domicile...) et sur certains points du droit à l'héritage... Une autre revendication importante, celle de la reconnaissance langue berbère (amazigh). Une revendication légitime d'autant plus que la majorité des femmes kabyles ne parlent pas l'arabe et ne comprennent pas les émissions de télévisions. Les événements de la Kabylie suscitent des questionnements sur le devenir de cette région. En conclusion, je dirai qu'il reste un grand effort et travail du coté des hommes et des politiques.

H- KATIA

Katia m'a été présentée par mon fils qui était en vacances en Algérie. L'entretien se déroule chez mes parents. Katia a 18 ans, lycéenne et se prépare au bac maths afin de devenir ingénieur. De famille aisée (père homme d'affaires, mère au foyer mais libre de ses mouvements), elle a été élevée dans un esprit de liberté, aime la musique moderne, la mode...

Katia est libérale et libérée. Elle invite facilement des copains à la maison (cas pas très courant en Algérie). Katia organise facilement des petites fêtes entre copains et copines et ses parents n'y trouvent aucun inconvénient. Elle conduit comme sa mère sa propre voiture. Katia veut vivre sa vie et se préoccupe peu de son entourage. C'est une jeune fille qui peut ressembler à n'importe quelle adolescente française. Elle est pleine de vie, insouciante de la situation du pays, se réconfortant dans son bien-être. Pour elle, la politique ne peut se faire qu'avec des gens libérés et tolérants.

- Aimerais-tu avoir des enfants plus tard ?

- Je n'y pense même pas mais je suis contre toutes ces femmes qui font beaucoup d'enfants. Elles creusent davantage leurs tombes... Elles se fatiguent plus, passent leur temps à pouponner, à laver, à faire le ménage, elles ne vivent pas. Elles se plaignent toujours. De nos jours, les enfants ça coûtent chers. Quand on est nombreux, la femme n'a pas le temps de tous les écouter, d'être attentive à leurs problèmes. Voyez-vous, on est deux filles à la maison et maman a du temps à nous consacrer et elle profite de sa vie.

- Et l'Islam ?

- Je crois en Dieu mais je ne suis pas pratiquante. L'Islam, je l'ai appris à l'école pas avec mes parents. Depuis que le terrorisme sévit, je rejette cette forme de religion. La religion, ce n'est pas ça... Il y a tellement de gens qui meurent qu'on finit par ne pas y penser. Il faut s'amuser, danser, aller à la plage..., tous ce que les intégristes n'aiment pas, quoi ; au moins, si on se fait assassiner, on aura profité de la vie. Et puis il faut s'éclater...

- Et l'avenir des femmes ?

- Bof, je ne sais pas, mais avec les nouvelles générations, il y aura des bornées et des libérales. Vous avez vu toutes ces femmes en hidjâb (tchador), elles se cachent derrière leurs voiles, elles nous font la morale, elles cachent des choses, elles veulent qu'on les dévoile, du moins que les hommes les dévoilent : moralement et physiquement... À longueur de journées, elles disent : "Dieu a dit ça, le Coran dit ça...", je crois que chacun interprète l'Islam... Nous sommes plus au XIV ème siècle, il faut vivre son temps... Je n'ai rien contre l'Islam, je suis contre l'intégrisme, la hogra (le mépris). Notre génération est sacrifiée. Nous sommes nés et vivons avec le mouvement berbère, la guerre civile, les grèves de ceci ou du cartable qui a duré une année scolaire... Enfin, nous sommes nés dans une guerre civile, toujours en mouvements, dans la violence. C'est pour ça que je parle de génération sacrifiée...

Parler d'avenir, euh ! Pour parler de l'avenir, il faut parler de notre identité en premier. Mais quelle identité ? Je dirai qu'il y a plusieurs identités : mon moi, l'identité féminine, l'identité nationale, l'identité berbère... Et nous, les jeunes, quel sera notre avenir dans ce déchirement, cette dictature ? Moi, à la rigueur, je peux finir mes études ou ma vie à l'étranger, mais les autres ? Toutes ces lycéennes, ces étudiantes auront-elles du travail ou elles finiront comme nos mères : mariage, gosses, le ménage, la belle-mère... Très souvent, j'évite d'y penser mais, au lycée, mes camarades en parlent : elles ont peur de l'avenir, on s'accroche toutes aux études, mais ce n'est pas facile.

- Et l'école ?

- Justement, je voulais parler de l'école. Qu'est-ce qu'on apprend ? Rien de spécial. C'est incohérent, l'histoire est falsifiée, les classes sont surchargées, entre parenthèse, on est 49 par classe, c'est beaucoup pour des classes d'examens. Les cours ne sont plus adaptés aux programmes... Et l'arabe ? Où est-ce qu'il peut nous mener ? Ce n'est pas une langue scientifique. Moi je fais des mathématiques en arabe et à la fac les formations scientifiques sont enseignées en Français. Alors comment fait-on? À la maison, les gens parlent le kabyle et le français ou l'arabe algérien. Vous trouvez ça déroutant. Les programmes télés sont en arabe littéraire et on ne comprend rien, surtout nos vieux. Tout est à refaire. C'est pour ça que les jeunes ne font pas de projets. Tout le monde veut partir à l'étranger, surtout en France car on comprend la langue. D'ailleurs à Tizi, tout le monde est parabolé (cablé via le satellite). On reçoit et on regarde les programmes de télé français. Comment voulez-vous que les jeunes ne rêvent pas d'être à l'étranger ? Il n'y a pas d'avenir à part si tu es bien placé.

- Bien placé ?

- Oui ! Pistonné. Combien de jeunes qui finissent leurs études et ne trouvent pas de travail, surtout les filles ? Je connais des médecins, des ingénieurs, des techniciens au chômage, des "hististes", ceux qui tiennent les murs comme on les appelle. Alors les filles, c'est pire. Elles repartent à la case de départ : à la maison, dans leur village à s'occuper des frères, des olives et des champs, quoi, vers la prison. Fini la vie d'étudiante, de liberté. Elles deviennent comme leurs mères. D'ailleurs, elles attendent que le mariage et exigent des hommes avec appartement et gros salaire. Elles finissent soient vielles filles ou elles se marient avec des commerçants, très souvent avec des hommes qui n'ont pas fait de longues études ou avec des jeunes dont les parents sont aisés et qui vivent au crochet de leurs parents même mariés, c'est-à-dire sous la botte d'un ignorant et des beaux-parents. C'est dur pour une universitaire.

Bon, c'est un choix, je préfère rester vielle fille que d'épouser un vieux ou un fils dépendant de ses parents. Aujourd'hui, nos jeunes filles rêvent d'une vie à l'Européenne. Elles souhaitent toutes se marier, une fois mariées, elles sont déçues, alors elles divorcent. Comme on dit chez nous : "Les gâteaux et les klaxons c'est en été et l'avocat en hiver". Il y a beaucoup de divorces en Algérie. Mais le Code de la Famille n'avantage pas les divorcées, d'ailleurs toutes les femmes. Alors, vaut mieux rester chez ses parents si on n'a pas trouvé son idylle. J'ai un petit ami, mais je ne parle pas de mariage, bof, j'ai le temps d'y penser.

Pour revenir à votre sujet, aujourd'hui pour être une femme en Algérie, il faut se sentir citoyen à part entière, c'est-à-dire il faut qu'on ait nos droits. Or, quels sont les droits qu'on nous donne ? Celui d'étudier et de subir et de se taire. Comment voulez-vous construire une société si on nous prive de nos droits élémentaires ! Tous les Algériens sont privés de liberté. On est privé de liberté d'expression, de travail, de parler notre langue maternelle, etc. Il faut changer tout le système. Avec tous les problèmes que nous crée l'État, les hommes algériens se contentent de leurs anciennes traditions, il faut évoluer. Faire évoluer les mentalités des hommes d'abord de l'État. On nous prend pour des incapables, pour des enfants soi-disant pour nous protéger. L'État prétend protéger les jeunes, les femmes, les parents nous confinent dans des traditions et nous dans tout cela ? Pour cette société d'hommes, tout ce système, ce code ça les arrange. On sera toujours des mineures. On va se battre pour changer cela. De toute façon, on n'a rien à perdre.

Notre avenir est foutu pour la plupart de notre génération, à part quelques exceptions. Certaines jeunes filles adhèrent à des associations, à des comités d'étudiants pour faire bouger les choses. Les choses ne bougent pas, ce n'est pas pour demain. Certains vont sacrifier leur vie pour une Algérie meilleure. Les jeunes (femmes et hommes) qui sont montés au maquis (les terroristes) sacrifient leur vie car ils savent qu'ils n'ont rien à perdre, manque de travail et de logement, ils ont trouvé une idéologie. Les berbéristes aussi offrent leur vie, leur temps pour la reconnaissance de la langue berbère. Ils ont sacrifié toute une année scolaire de tout un département, l'année blanche en 1994-1995. Durant une année, on n'a pas fréquenté l'école pour cause de grève.

Comment voulez-vous évoluer ? C'est triste pour notre génération. L'avenir pour les femmes ou les jeunes, c'est catastrophique mais on réussira grâce à notre détermination. On a essayé de lever plusieurs tabous sauf celui de la sexualité. C'est la propriété des hommes. Mais bon ! Il faut commencer par les choses élémentaires comme la liberté d'expression, le travail. Il y a beaucoup à faire, à nous les jeunes de provoquer pour bannir toutes les traditions allant à l'encontre de la liberté des femmes et le politique. Il faut aussi que ces vieux généraux qui gouvernent le pays disparaissent du système. Pour conclure, je dirai que c'est un problème politique. Si on impose des lois pour la liberté des femmes, les Algériens respecteront les femmes et l'accepterons comme leur égale.

L'entretien a duré 90 minutes.

I- DJEDJIGA, FARIZA ET KHADIDJA (Grand-mère / mère / fille)

Djedjiga, 70 ans, est la maman de Fariza et la grand-mère de Khadidja. Femme au foyer et veuve depuis 20 ans, elle a élevé sept enfants. Son mari était absent (émigré en France).

L'entretien se déroule chez Fariza qui habite un grand appartement (F6) dans une cité à la nouvelle ville (Tizi-Ouzou), c'est-à-dire en dehors du centre ville. C'est sa voisine qui a arrangé le rendez-vous. La voisine, je la connaissais et je l'ai rencontrée dans la rue. Comme elle était heureuse de me revoir. Je lui ai brièvement parlé de mon projet de thèse et de mon souhait de rencontrer des femmes appelées les "soeurs musulmanes" (des femmes pratiquantes, portant le hidjâb, le voile islamique) et que je ne disposais pas de beaucoup de temps vu nos brefs séjours. C'était chose facile pour elle, donc je lui ai communiqué notre numéro de téléphone.

Deux jours après, j'ai reçu la confirmation : le rendez-vous était pris pour le lendemain après-midi. Je l'ai remerciée comme si elle m'avait sauvé la vie car par les temps qui couraient (vu la question sécuritaire, les Algériens et surtout les islamistes : tous étaient méfiants...), il était difficile de demander des rendez-vous à des femmes sans les connaître... Le rendez-vous était pris pour le lendemain à 14 h 30, après la prière du vendredi (prière sacrée qui a lieu à 12 h 30 et qui s'effectue à la mosquée). J'ai pris entre-temps des informations sur la famille mais j'ignorais que j'allais rencontrer la mère, la fille et la petite fille réunies.

À ma grande surprise, toute la famille était là, habillée en tenue de prière. On m'a dirigée vers le salon arabe. La surprise était grande, avec tout l'environnement : habillement et décoration de la maison. Les murs étaient tapissés de cadres de versets coraniques, des lampes représentant des mosquées, des tapisseries venues de la Mecque, etc. Des questions trottaient dans ma tête... vais-je entendre que parler que de l'Islam ? ...

La grand-mère était vêtue d'une djellaba et de chaussures blanches, les hommes en kamis (une longue robe de couleur unie avec des fentes sur les cotés), les femmes et les jeunes filles en hidjâb... J'étions seule à être habillée à l'Européenne... J'avais pris la précaution de m'habiller sobrement (pantalon et blazer) pour ne pas choquer...

Après avoir embrassé les femmes, j'ai salué à distance les hommes (car les fanatiques ne touchent pas la main des étrangères, tout simplement des femmes). Je me suis présentée et j'ai expliqué la raison de ma venue. Je n'ai pas échappé à l'interrogatoire d'ordre privé. En fait, il savait qui j'étais, comment s'appelle mon père, mes activités avant mon installation en France. J'étais tendue, le père me gênait un peu. Cela m'indisposait qu'ils parlent de moi alors que j'avais un autre objectif. Il fallait mettre toute cette famille en confiance et aboutir à la mission que je me suis fixée. Petit à petit, l'atmosphère s'est détendue. Hospitalité oblige, je voyais un plateau qui arrivait sur la table (café, gâteaux... ).

Djedjiga m'a détendue en me rassurant qu'ils étaient comme tous les Algériens qui posent des questions sur la famille, sur la France et qu'ils étaient heureux de me recevoir. Le père s'est adressé à moi dans un parfait français en français, connaisseur des cursus universitaires. Il m'a donné quelques recommandations sur la méthodologie et a entamé le sujet sur l'Islam. Ensuite, il a pris ensuite congé et a dit : "ma place n'est pas auprès des femmes, je vous laisse entre vous, certainement vous avez des choses à vous dire". Il a demandé à ses autres enfants de nous laisser seules...

1- DJEDJIGA (la grand-mère)

- Je suis une femme qui n'a jamais été à l'école mais mon vécu m'a appris énormément de choses et aujourd'hui, j'ai encore beaucoup à apprendre malgré ma vieillesse. Je remercie DIEU de m'avoir laissé mes facultés mentale et physique bien que j'aies un problème de santé car j'ai une insuffisance cardiaque mais le progrès de la médecine me permet de continuer à vivre et ce, avec l'aide de DIEU : "DIEU nous a créés pour vivre les joies et les malheurs". Il est vrai que ma croyance et ma foi en DIEU m'aident à surmonter certains problèmes, surtout concernant mes enfants que j'ai dû continuer à élever seule après la disparition de mon mari. En fait, je souhaitais de tout coeur, faisais même des prières pour que mes enfants travaillent bien à l'école pour qu'ils puissent, plus tard, gagner bien leur vie. Je dois vous avouer que j'ai réussi à bien les élever mais concernant leur scolarité, c'était vraiment médiocre.

J'ai marié ma première fille à l'âge de 18 ans car elle ne voulait plus poursuivre ses études malgré mes encouragements. Et à cet âge, j'estimais qu'il était temps pour elle de se caser. La seule chose que je tolérais à mes enfants que ce soit un garçon ou une fille, c'est leur libre choix de leur futur conjoint, surtout les filles. Sachant que mes parents m'ont mariée à un homme que j'ai connu que le jour du mariage et je refusais d'imposer ça à mes enfants. J'ai vécu tout le temps en famille (beaux-parents, beaux-frères et belles-soeurs). Aujourd'hui, je remercie DIEU de nous avoir permis d'évoluer un peu pour nous libérer. Actuellement, la fille a le droit d'aller à l'école, de sortir, de travailler, de s'habiller, de communiquer avec le monde entier, de voyager seule sans être accompagnée, etc. Je ne démens pas que nous avons oublié nos valeurs traditionnelles concernant, par exemple, le mariage. On permet à la fille ou au garçon de choisir l'homme ou la femme de sa vie à condition que ça soit d'un bon parti ou issu de grandes familles connues.

Je suis devenue avec le temps une femme très tolérante. J'ai toujours laissé mes filles sortir avec des amies mais pas avec les garçons par crainte des représailles ou qu'on dise du mal d'elles. Je savais qu'elles fréquentaient des garçons puisqu'elles se confiaient beaucoup à moi et je leurs donnais des conseils. D'ailleurs, je continue toujours à le faire car elles ont besoin de mon expérience et elles ne doivent pas se soumettre totalement à leurs maris. J'ai de bonnes relations avec tout le monde (voisins, cousins et cousines, tantes et oncles, ma belle-famille, mes gendres et mes belles-filles) et comme je suis très vivante : j'aime chanter les anciennes chansons en toutes circonstances, raconter les blagues et nos vieilles aventures avec tout le monde. Sans ça, je crois que je n'aurai jamais réussi à surmonter plusieurs obstacles. Ce qui permet de dire cela, c'est qu'aujourd'hui, je suis respectée par les grands et les petits (femmes, hommes, garçons et filles) et on m'honore à toutes circonstances (mariage, fête ou décès).

À présent, je souhaiterai vous raconter une anecdote. Je me suis retrouvée dans une fête familiale : il s'agit du mariage du plus jeune beau-frère à ma fille aînée qu'elle a marié, c'est-à-dire que c'est ma fille qui a présenté l'actuelle épouse de ce beau-frère. Sachez que chez nous, les festivités de mariage se préparent au moins un mois à l'avance. Donc, on a chargé ma fille d'assurer tout le travail durant toute la célébration du mariage à commencer d'abord par arranger la maison où a eu lieu le mariage. C'est la maison des beaux-parents de ma fille qui sont décédés il y a quelques années de ça. Ma fille aînée s'est chargée de préparer les gâteaux, ensuite, préparer le repas du mariage car, chez nous, quand un garçon se marie, on fait une grande fête. Il y a beaucoup d'invités, ça dépasse parfois les quatre cents personnes, allant des fois jusqu'à mille invités comme le veut la tradition d'une famille kabyle musulmane pratiquante.

Le jour de la fête, on sépare bien sûr les femmes des hommes, c'est-à-dire que les femmes mangent seules et les hommes également parce qu'il y a toujours des étrangers à la famille parmi les hommes. On ne doit pas se montrer la tête découverte devant ces étrangers. C'est normal, c'est la religion qui exige ça des femmes : "ESSOUTRA". Bref, une fois que tous les étrangers seraient repartis chez eux, nous les femmes, nous nous mettons avec les hommes de la famille pour célébrer une tradition qui s'est imposée à nous depuis des siècles à savoir mettre le "HENNÉ" au futur marié. En général, on choisit très souvent une personne âgée pour le faire et, bien sûr, pendant que cette dernière s'occupe du marié, elle chante des poèmes et bien de belles choses pour l'avenir du futur couple, les autres femmes répètent derrière la dame qui met le henné. Ensuite, on met une autre musique et tout le monde se met à chanter, à danser et à se défouler au maximum et ce jusqu'à une heure tardive de la nuit parfois allant jusqu'à l'aube. Le lendemain, tout le monde se prépare pour aller chercher la mariée...

Je n'arrivais pas à l'arrêter. Elle pensait que je devais décrire dans un mariage traditionnel. Je l'ai laissée me raconter ce mariage (du beau-frère à sa fille) car je savais qu'elle aborderait la virginité, la sexualité et la virilité de l'homme. C'est un sujet qui passionne les femmes lorsqu'une occasion se présente (il y a toujours une meneuse qui lance des pics pour lancer et ouvrir le débat). Les personnes d'un certain âge abordent ce sujet tabou plus facilement avec humour ou parfois par des expressions poétiques (avec de allusions rythmées).

- Tu sais, cette mariée était belle et instruite. Elle est ingénieur mais que Dieu soit avec elle, elle est très pratiquante, va à la mosquée, met le Hidjâb. Ainsi, elle est protégée. Sa nuit de noce s'est bien passée

- Comment bien passée ?

- Ah, tu veux qu'on parle de ça, alors on y va (tout le monde éclate de rire), Khadidja, va jeter un coup d'oeil pour voir si personne nous écoute, comme tu le sais, c'est un sujet qu'on peut parler qu'entre femmes. Pourquoi les Français veulent savoir ça ? Ah ! Leurs filles vont vite vers ça !

- Comment elles vont vite vers ça ?

- Parce que ce n'est pas comme nos traditions et nos moeurs. Et on dit que les Françaises sont des femmes très chaudes, qu'elles n'attendent pas le mariage pour consommer leurs noces comme à l'accoutumée. Je suis sûre que les générations précédentes, à savoir leurs ancêtres, étaient comme nous. C'est-à-dire que l'homme doit demander une fille au mariage et sort avec elle une fois que les choses seraient officialisées. Aujourd'hui, je comprends que les filles âgées de 15 ans et plus veulent coucher avec des garçons, c'est normal mais chez nous, une fois qu'une fille perd sa virginité, on la bannit de la famille, personne ne l'épouse et ses parents la mettent à la rue car c'est déjà péché d'après la religion et ce n'est pas toléré par nos coutumes. On dit une femme qui est vierge jusqu'à son mariage est la plus belle femme et honore sa famille. De ce fait, elle peut s'imposer une fois qu'elle est chez son mari qui ne risque pas de dire des méchancetés sur elle à leurs familles ou encore à leurs enfants.

2- FARIZA (la mère)

- Si vous me le permettez, je vous appellerai par votre prénom. Fariza, vous êtes donc la fille de Djedjiga, vous avez sept enfants comme votre mère, 4 filles et 3 garçons et Khadidja est votre aînée. Vous êtes femme au foyer mais vous avez été scolarisée jusqu'à 16 ans. Comment voyez-vous aujourd'hui l'évolution de la femme algérienne en général et de la femme kabyle en particulier?

- Je vais parler de moi ou je parle des autres femmes?

- C'est comme vous voulez.

- Et bien, je préfère parler de moi car je ne peux pas dire grand chose des autres femmes que je côtoie. Vous savez, les femmes que je connais ne me confient pas beaucoup leurs secrets sauf l'une d'entre elles, à savoir ma voisine que vous connaissez et qui vient du fin fond des montagnes de la Kabylie, je vous parlerai d'elle plus tard. À vrai dire, pour ce qui est de mon cas, je dirai que si je devais tout refaire, je crois que d'abord, je n'aurai pas eu autant d'enfants et j'aurai fait des études plus poussées. Aujourd'hui, je le regrette beaucoup car je m'aperçois que je suis une femme qui aimerait sortir librement, c'est-à-dire faire mes courses de tous les jours, accompagner mes enfants à l'école et surtout, une fois mes tâches conjugales et ménagères accomplies, je serais sortie me promener ou aller rendre visite à de la famille ou à des amies ou encore faire du shopping sans demander à mon mari de m'accompagner en voiture dans la mesure où c'est proche de mon domicile.

Sachez que j'ai été habituée à une certaine liberté quand je vivais chez mes parents. Mais avec le mariage, je me rends compte que le mariage ne devait pas avoir lieu avant 24 ou 25 ans aussi bien pour la fille que pour le garçon. Si je n'ai pas été loin dans mes objectifs, c'est moi qui l'ai voulu. D'abord, je ne voulais pas faire beaucoup d'études. Comme toute jeune fille de mon époque, je voulais me marier avec l'homme que j'aimais. Bien que j'aies été mal accueillie dans ma belle-famille, n'empêche que je me tapais toutes les tâches ménagères chez mes beaux-parents. On vivait tous dans la même maison, j'ai cinq belles soeurs (les trois premières étaient déjà mariées quand je suis arrivée dans cette famille), deux beaux-frères, mon beau-père et bien sûr ma belle-mère. Je faisais à manger à tout ce monde, je repassais les affaires de mes beaux-parents, de mes beaux-frères et de mon mari : j'avais des journées très chargées. La vie d'une femme, d'une bru ou une belle-fille : c'est le ménage, de faire des garçons, d'obéir à son mari et d'accepter tout de sa belle-famille surtout les critiques, pour cela, il faut mettre de côté son coeur (rester de pierre), son amour propre...

J'ai connu mon mari quand j'avais 16 ans, c'était un voisin. Au départ, on se fréquentait et on sortait en cachette, pour que personne ne nous voie. Je me rappelle comme aujourd'hui, on se donnait rendez-vous toujours à la même place, loin du quartier où on habitait, chacun de son côté. Parfois, il m'emmenait à la forêt comme ça personne ne nous y voyait, parce qu'il suffit qu'une personne nous voie ensemble et sinon les mauvaises langues commencent à faire leur travail, les nouvelles sont colportées et avant que je n'arrive à la maison, tout le monde le saura, alors j'ai pris beaucoup de précautions. Vous savez, une femme n'a pas le droit d'aimer un homme : l'amour est interdit dans notre société !

À l'époque, je n'en avais pas encore parler de ce garçon, qui est aujourd'hui mon mari, à ma mère car il n'était pas question d'en parler au père, ça aurait été un déshonneur dans ma famille mais pas dans celle de mon amoureux car lui était considéré comme un homme qui a droit à tout et ça se passe bien. Maintenant, je paie les conséquences, j'ai choisi le mariage croyant que j'allais enfin avoir plus de liberté mais je m'aperçois que c'est le contraire. En tout cas, je conseille à toutes les jeunes filles de ne pas se précipiter de se marier mais de faire d'abord des études dans la mesure des possibilités intellectuelles de chacune, travailler par la suite et penser au mariage plus tard.

- Vous a-t-on obligée à porter le hidjâb ?

- Quand j'étais chez mes parents, je ne portais pas le hidjâb et même après le mariage. J'étais plutôt très coquette. Bien après quelques années de mon mariage, j'ai commencé à faire la prière et mon mari m'a conseillée de le porter car j'ai été en pèlerinage à la Mecque : c'est obligatoire d'après la religion. Il est vrai que j'aime bien m'habiller et me montrer vis-à-vis des femmes de mon âge. Et ceci pour dire que tout va bien et aussi pour ne pas donner l'occasion aux gens de jaser sur ma famille et moi.

3- KHADIDJA (la fille)

L'entretien a eu lieu en présence de sa maman et de ses soeurs. Sa grand-mère s'était retirée. Khadidja est pratiquante, porte le voile (hidjâb) depuis quatre ans par conviction (ou par contrainte, je ne le saurais pas). Khadidja, 18 ans, est lycéenne, excellente élève, elle souhaite s'inscrire l'année prochaine à l'université de droit (Tizi-Ouzou).

- Pourquoi portes-tu le voile ?

- C'est une obligation pour une musulmane de se voiler, de se cacher à l'abri des hommes sauf de son père, de son oncle et de son mari. Il faut garder son corps pour soi ou pour son futur époux. Il est écrit dans le Coran que la fille doit commencer à cacher ses formes dès sa puberté, c'est-à-dire à partir du moment où la fille commence à avoir un peu de poitrine. À ce propos, le Coran l'exige car il estime qu'une femme qui montre ses formes ou encore met des habits provocants (c'est-à-dire sans hidjâb) déstabilise physiquement l'homme qui doit forcément accomplir des tâches qui sont peut-être importantes que ce soit dans le domaine professionnel ou autre. C'est l'une des raisons essentielles pour lesquelles le Coran rend le port du "hidjâb" obligatoire. À cet effet, le Coran ne tolère pas à la femme de se munir d'habits légers et provoquants mais ne l'interdit pas face à son mari. Cela s'appelle "Essoutra".

- Personne ne vous a demandé de porter le hidjâb ?

- Non, personne ! Ma famille est pratiquante, je priais très jeune et on m'a enseigné et expliqué l'Islam objectivement, personne ne m'a obligée à porter le "hidjâb". Je l'ai décidé toute seule, à ma puberté, surtout que je suis forte et grande de taille, mes grosses formes se sont vite faites remarquées, alors j'ai tout de suite pris la décision en demandant à ma mère d'en avoir un à ma taille. Mes parents ne m'ont rien dit : c'était ma décision et j'ai honoré ma famille, mon père est président d'un parti politique que tu connais. Je ne suis plus dévisagée par les hommes. Je suis à l'aise et fière d'être soeur musulmane comme me surnomment mes camarades. Ces filles se prennent pour des occidentales, des Françaises ! Elles les imitent en reniant leurs traditions, c'est honteux (`ayb). Elles finiront plus tard par comprendre car l'Algérie est un pays musulman. Tout Algérien doit suivre la Charia, la Sunna. C'est ainsi !

- C'est cela être une femme en Algérie pour vous ?

- Une femme doit d'abord obéissance à ses parents, à ses proches et à son mari. Elle doit s'instruire et préserver son honneur. Une femme doit évoluer en fonction des versets coraniques, c'est-à-dire qu'elle a le droit d'aller à l'école et de travailler dans n'importe quel domaine mais tout en respectant les exigences de la religion musulmane. Cela ne veut pas dire qu'elle a le droit de se prostituer par exemple ou qu'elle doit de se dévêtir devant les hommes. Une femme doit bien s'occuper de son foyer et, parallèlement, peut dans ce cas travailler à l'extérieur si elle le souhaite avec le consentement soit de son tuteur à savoir son père, son frère, son oncle ou son mari. De ce fait, elle évolue et apprend à marcher dans le droit chemin de l'émancipation et du développement du pays que ce soit dans le domaine politique, économique, social ou culturel.

La religion n'interdit aucun de ces contextes. Cela va aussi bien à la femme qu'à l'homme. Il est vrai que certaines décisions sont prises en priorité par l'homme, ceci n'est pas valable dans tous les domaines. Je peux vous citer un exemple qu'est la polygamie. D'après l'Islam, l'homme a droit à la polygamie à condition qu'il obtienne le consentement de toutes les femmes qu'il veut épouser (il peut épouser quatre femmes), qu'il puisse satisfaire et subvenir aux besoins de toutes ses femmes. Il est vrai qu'il existe des domaines de travail qui facilitent à la femme musulmane de concilier foyer et travail comme l'enseignement où la femme a des avantages tel que l'éducation de ses enfants et les emplois du temps qui lui permettent de s'occuper de son foyer. Il y a également la médecine qui lui permet de travailler à temps partiel, etc.

- Aimerais-tu travailler ?

- Une bonne musulmane peut travailler, elle ne le fera que par nécessité ou parce qu'elle a fait de longues études. La femme du Prophète, Khadidja, était commerçante et elle gérait ses biens. La religion n'empêche pas la femme d'être à l'extérieur à condition qu'elle ait accompli son devoir de femme à l'intérieur de la maison soit de ses parents ou de son mari. Vous savez que je poursuis mes études pour qu'un jour, je puisse travailler et non rester à la maison comme ma mère et ma grand-mère qui n'ont pas fait d'études et qui n'ont jamais travaillé en dehors de leur foyer conjugal. Parfois, elles s'abrutissent en restant à la maison, elles n'apprennent rien hormis la couture, la cuisine, le ménage, le tricot, etc. Moi, j'ai envie d'évoluer et de connaître le monde extérieur.

- Que veux-tu exercer comme métier après tes études ?

- Je vais faire des études de droit donc, je souhaiterai, avec l'aide de DIEU, devenir AVOCATE, pour défendre les droits des femmes et des hommes tout en respectant la religion. Ce n'est pas facile car bientôt, je vais me marier.

Sa mère intervient :

- Je souhaite que tu changes d'avis car si tu te maries bientôt, adieu les études... La femme de ton oncle était déjà à la faculté en troisième année ingénieur, elle avait déjà été orientée dans sa spécialité. Elle a choisi de travailler en laboratoire pour éviter les hommes... Toi, tu parles déjà de mariage, tu es trop jeune, tu vas le regretter après...

Elles se regardent et Khadidja poursuit pour éviter toute discussion :

- Mais mon fiancé est prêt à m'aider à poursuivre mes études sans pour autant avoir des conséquences fâcheuses sur notre vie conjugale comme ce qu'a fait mon oncle paternel et sa femme. Mon fiancé a un appartement et je n'aurai pas les obligations qu'avait ma mère, c'est-à-dire les beaux-parents, le manger à midi... Ceci n'est pas interdit par la religion. On peut être mariée et en même temps faire n'importe quelles études, il faut seulement donner son temps au travail à l'extérieur et s'occuper de son foyer. On peut concilier les deux à condition de bien s'organiser et d'assumer toutes les responsabilités malgré toutes les difficultés que la femme peut rencontrer. À mon sens, c'est à ce moment-là qu'elle doit prouver qu'elle est capable de tout faire dans la vie sans pour autant dépasser les prérogatives que lui autorise la religion de prendre.

- Que veux-tu dire par prérogatives ?

- Je veux dire par-là que la femme, en général, doit se limiter aux exigences de la religion à savoir le port du "hidjâb", c'est primordial surtout si elle est appelée à travailler en présence des hommes, son comportement vis-à-vis des autres, c'est-à-dire qu'elle doit donner une image exemplaire digne d'une femme musulmane avec toutes les qualités requises pour qu'on ne la dénigre pas et qu'on la sous-estime pas parce qu'elle fait partie du sexe faible. Certains hommes ne comprennent pas réellement l'Islam, ils ne font que l'interpréter à leurs manières.

Il faut dire aussi qu'il existe certaines traditions qui sont interdites par la religion musulmane comme quand on parle de la vie sexuelle d'un couple, ceci est péché car elle concerne uniquement le couple : c'est leur problème. Personne ne doit s'immiscer dans la vie privée de quiconque. Les mauvaises langues sont bannies par la religion. Quand vous lisez le Coran, ça vous paraît difficile à respecter. En réalité, il donne beaucoup de liberté à la femme. Moi personnellement, je ne trouve pas de contradictions dans cette religion qui est celle de mes parents et mes ancêtres et cela ne m'a pas empêchée de sortir ou encore mieux d'aller à l'école, d'avoir des amies, de parler librement aux gens, etc., sans aucune arrière pensée. Ce qui peut être gênant pour certaines femmes, c'est l'habit qu'exige l'Islam à la femme. Dans mon entourage, j'entends souvent les femmes ou les filles de mon âge parler d'habits, de fringues et de chiffons. Cela ne m'intéresse pas, ce n'est pas ça qui permettra à la femme de s'émanciper mais c'est ce qu'il y a dans ses méninges et dans sa tête.

- Connais-tu le Code de la Famille ?

- Oui, il reprend les devoirs et les obligations du Coran, c'est normal : nous sommes musulmans. En fait, dans la pratique, les gens, les juges n'appliquent pas la "Charia". Si on la respecte, en pratique, un homme par exemple ne prend pas une autre épouse sans le consentement de sa femme. S'il la répudie, il doit lui offrir un logement, ne pas la renvoyer chez ses parents ou la mettre à la rue comme ça se fait dans notre pays. Les pensions alimentaires ne doivent pas être maigres comme ça se pratique. L'homme doit subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants.

Alors, l'histoire de l'héritage, les Kabyles sont les premiers à ne rien donner à leurs filles. Il y a beaucoup à dire des Kabyles, pas tous, car je suis Kabyle moi-même. Ils ne respectent pas l'Islam, surtout les montagnards. Peut-être que c'est dû aux "papasses" quoi, les soeurs blanches et les pères blancs quoi, des chrétiens qu'il y avait dans les villages, ils avaient leurs écoles et pratiquement beaucoup les fréquentaient et puis ces "papasses" savaient faire. D'ailleurs, plusieurs familles se sont converties. C'est pour ça qu'on retrouve des Kabyles chrétiens avec des traditions algériennes, quoi. Un mélange de religion chrétienne et de traditions kabyles...

Je reviens à l'héritage, mon père qui est l'aîné de sa famille, lorsque mes grands-parents sont morts, il a partagé équitablement les biens entre ses frères et soeurs, même des terres. D'ailleurs, à Tizi, tout le monde a parlé de ce partage. Certains ont dit que mon père était fou d'avoir favorisé ses soeurs alors qu'elles étaient mariées. Mon père est un bon musulman, comme il est instruit, il a compris que la femme est un être humain avec ses besoins et ses prérogatives. Je m'entends bien avec lui et on discute beaucoup.

Concernant le travail et la politique, ce n'est pas au Code de la Famille qu'il faut se référer mais à la constitution. L'Islam autorise la femme à travailler. Il faut se référer à Khadidja, la femme du Prophète, elle participait à des réunions. La constitution donne des droits égaux entre hommes et femmes. Une femme musulmane peut devenir ministre.

- Tu voudrais des enfants ?

- Oui ! Pas comme ma mère ou les femmes de son âge. J'aimerais avoir trois enfants, pas plus et le plus tard possible, une fois le diplôme en poche. L'Islam a dit de "faire des enfants que lorsque vous pouvez les assumer". Que j'aies des filles ou des garçons, c'est la même chose. On accepte le don de Dieu, l'essentiel est de bien les éduquer. Dieu n'a pas dit de faire beaucoup d'enfants et d'avoir une préférence pour le garçon. Bon, c'est bien d'avoir un garçon, les filles, certes, sont proches de leurs parents. De nos jours, on ne peut assumer plus de trois enfants. Les gens qui ont beaucoup d'enfants ne peuvent faire face et les laissent très jeunes dans la rue. Ils n'ont pas le temps de s'occuper d'eux, ni de communiquer... Ils leur donnent juste des ordres comme j'en vois.

La vie moderne ne nous le permet pas. Pourquoi vous souriez ? J'ai parlé de modernité, pourquoi ? Parce que je porte le "hidjâb" et que je suis pratiquant ? Rien n'empêche l'un et l'autre. La modernité, c'est quoi ? C'est de suivre les occidentaux ? Non ! Même le Coran a dit "Suivez la science, informez-vous et instruisez-vous...". La modernité nous permet d'avancer et que le pays évolue et se développe. À notre siècle, il faut vivre avec toutes les commodités, avancer dans les technologies, avoir un bon système scolaire, de santé, d'inventer des choses...

- L'avenir des femmes ?

- Les femmes évoluent bien grâce aux études. Dans certains secteurs, on trouve beaucoup de femmes comme l'enseignement, la santé. Mais il faut changer les mentalités. Lorsque l'Algérie fera la différence entre la politique et la religion, l'Algérie avancera. La religion musulmane n'empêche pas les femmes d'évoluer si réellement on suit le Coran comme je l'ai dit. Les Français nous ont laissé une division qui fait qu'aujourd'hui, on s'entre-tue. L'Islam n'empêche pas la modernité. Les femmes en "hidjâb" peuvent travailler, suivre des études, occuper des postes importants, conduire une voiture... Tant qu'on ne changera pas, on ne peut pas évoluer.

La femme a un pouvoir qu'elle ignore. Ce pouvoir qu'elle utilisera d'abord chez elle, dans sa famille, ensuite, dans son environnement, c'est-à-dire à l'école, dans son travail... La femme peut changer la société, dommage, elle continue à reproduire ses croyances, ses traditions et le résultat, on voit que la société a de la "hogra", aucun respect envers elle. Certes, le gouvernement ne nous aide pas, ça lui plaît qu'on soit divisés : islamistes, berbéristes, communistes, FLNnistes... Tout ça l'arrange. Il faut évoluer avec son temps, l'Islam est évolutif, il n'est pas contre la démocratie, contre les femmes : c'est les gens qui l'interprètent mal et ils trouvent leur compte. Je comprends les gens qui montent au maquis. Ils se soulèvent contre l'État et les mécréants...

Khadidja aime la lecture et toutes ses références se rapportent à l'Islam. Elle dit qu'elle lit en moyenne deux livres par semaine malgré la préparation de son Bac. Elle est inscrite à la bibliothèque.

J- ASSIA, LA SYNDICALISTE

Assia, 48 ans, est professeur d'anglais dans un collège du centre-ville de Tizi-Ouzou, divorcée, mère d'une fille de 21 ans, elle a dû travailler jeune malgré un début de brillantes études. Ainsi, à 20 ans, elle a rejoint l'école normale pour y suivre 2 années de formation. Après le décès de son père, elle a dû subvenir aux besoins de sa famille (sa mère, ses quatre soeurs et son frère unique). Sa mère étant gravement malade, elle lui a promis que toutes ses soeurs iraient loin dans leurs études. Sa maman avait beaucoup de remords... mais il fallait que son aînée se sacrifie...

- Qu'est-ce qu'une femme en Algérie  ?

- La constitution garantit les droits tant à l'homme qu'à la femme sans aucune discrimination. Sur le marché du travail, elle perçoit absolument le même salaire que l'homme qui exerce le même travail qu'elle. Dans le choix des postes de travail, la discrimination est flagrante (peu de femmes en politique, aux postes de commande tels que : PDG, Ministres, tout poste stratégique dans les entreprises, etc.). Certaines femmes refusent elles-mêmes de tels postes par peur des responsabilités : peur d'échouer et de ne pas être à la hauteur, peur de ne pas pouvoir allier travail responsable et contraintes familiales (éducation des enfants, prise en charge du ménage etc.), peur d'affronter le refus du père ou tuteur. Elles préfèrent les métiers qui obtiennent l'adhésion de toute la famille et qui concilient son rôle de femme, mère et fonctionnaire (ces emplois sont ceux qui, même s'ils sont sous-payés, présentent certains avantages, congés payés, proximité du domicile, etc.). En conclusion, la femme répond plus à des considérations domestiques et pratiques plutôt qu'à des enjeux culturels épanouissants et autres.

La femme algérienne est très ouverte à l'universalité mais souffre du carcan instauré par l'homme, l'homme, enfin, n'est pas émancipé et ne conçoit pas la parité entre lui et la femme. Le patriarcat l'arrange dans la mesure où il confine la femme à un degré de "chose" qui ne pense pas et qui n'a aucun pouvoir de décision. Néanmoins, le travail féminin la libère petit à petit et lui confère un statut de "citoyenne". Si je ne gagnais pas ma vie, je n'aurais personnellement jamais réussi à habiter seule ni a militer dans un syndicat. Mon travail m'a libérée financièrement et m'a permis d'échapper au joug de la famille (j'ai longtemps habité avec les miens).

La femme, lorsqu'elle est assez forte pour s'imposer, est respectée et considérée au même titre que l'homme (exemple : j'ai toujours été élue à la tête du syndicat dans ma commune et mon élection a permis à d'autres femmes d'adhérer massivement au syndicat (plus de mille femmes dans ma commune). En fin de compte, la présence d'une femme à la tête d'un syndicat rassure-t-elle l'homme au point où il permet à sa femme ou soeur d'y adhérer ? Cette présence rassure-t-elle aussi la femme qui est aux prémices d'une démocratie balbutiante et encore mal comprise ?

- Quelle est sa place dans la structure familiale?

- La femme algérienne occupe le deuxième plan dans la famille quand il s'agit de décisions importantes, de prises en charges financières (achats, paiements de factures, constructions, achat de voiture, mariage des enfants, enterrement etc.). Elle ne peut même pas se marier en l'absence du père ou du tuteur (dû au Code de la Famille). Certaines femmes ne perçoivent même pas leur salaire qui est réquisitionné par le mari ou le père, voir même le frère (c'est l'écrasante majorité). Certaines femmes se rebiffent, luttent contre cet état de faits, certaines vont jusqu'à divorcer, au risque d'être reniées par les proches et au risque de perdre la garde de leurs enfants. En Algérie, l'éducation des enfants est du seul ressort de la femme. L'homme juge et condamne : uniquement quand les enfants sont bien élevés, c'est grâce à l'homme, quand les enfants tournent mal, c'est de la faute de la mère. La maman éduque mais n'a pas le droit de prendre des décisions concernant cette éducation, elle applique ce qu'exige d'elle le père ou le mari.

- L'instruction, l'enseignement des femmes en Algérie ?

- Du temps du président Boumédiène et de la décision de démocratiser l'école, la fille avait le droit à l'enseignement au même titre que le garçon car l'école est obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans révolus. Cependant, avec l'inflation et la précarisation des familles, les parents démunis choisissent qui de leurs enfants ira à l'école et qui deviendra ouvrier simple. Comme par hasard, c'est toujours la fille qui est choisie pour faire des stages pour des métiers féminins comme la couture, la coiffure, la broderie... Le terrorisme a encore aggravé l'analphabétisation des filles dans les zones à risque où les parents préfèrent les garder à la maison par mesure de sécurité. Le nombre de diplômés est à peu près le même pour les filles et pour les garçons. Certaines associations tentent de s'occuper des femmes et de les sensibiliser pour qu'elles arrachent leurs droits dans un cadre organisé. Beaucoup reste à faire car les mentalités sont réticentes et pas du tout prêtes à accepter la femme aux côtés de l'homme.

- Qu'elle sera l'avenir de la femme en Algérie ?

- Avec l'ouverture de l'Algérie vers l'universalisme, la science et la culture, avec le refus de la femme de se plier à l'intégrisme et à l'obscurantisme, avec la prise de conscience des femmes face à leurs droits, face aux médias (parabole, Internet...), l'avenir de la femme algérienne est entre ses mains. Elle doit être maîtresse de son destin et ne doit pas attendre que l'homme le lui trace. L'évolution de la femme s'inscrit dans la durée, son émancipation positive ne doit pas être tributaire de l'aval de l'homme. Elle doit avoir son propre cachet garantissant son identité, sa spécificité de femme différente de l'homme mais jamais inférieure à lui.

- C'est le mot de la fin ?

- Vous savez, je n'ai pas eu de problèmes majeurs. Je peux dire que je suis une femme algérienne qui a su me prendre en main et surtout donner un sens à ma vie. Ma priorité était l'éducation et l'évolution de ma fille et mon engagement dans ma vie professionnelle et syndicale. Je n'ai pas trouvé mon bonheur dans le mariage puisque j'ai demandé le divorce au bout de deux années de vie commune. D'ailleurs, je ne le regrette pas et je suis même comblée : j'ai eu une fille et mes soeurs et mon frère sont universitaires (pédiatre, avocate, biologiste et maître de conférence à l'université d'Alger, ingénieur en pétrochimie). Je peux rajouter que, certes, la vie ne m'a pas tellement gâtée. J'ai consacré ma vie de femme à la famille, aux problèmes des autres... La préparation au sacrifice (se sacrifier pour les parents, pour ses frères, pour la famille, pour les autres, pour sa patrie : c'est une devise d'une musulmane) est partie intégrante de l'éducation d'une fillette algérienne de surcroît kabyle. On doit se contenter de cela et se taire.

Je pense qu'une fille ou une femme ne réfléchit pas sur sa vie, sur ses sentiments surtout pour une divorcée. Une divorcée ou une veuve doit oublier sa vie de femme, se faire petite devant sa famille, ne pas perdre de vue son nîf et sa horma (honneur). D'autant plus que ce n'est plus une vierge, une femme plus facilement séduisable. Donc, il faut prouver constamment son sérieux (comment expliquer cela, car ce mot je ne l'aime pas, c'est le mot utilisé par les conservateurs et les analphabètes). Je dirai plutôt prouver qu'on est une femme capable de réussir sans mari, d'affronter les aléas de la vie sans mâle, de réunir les capacités d'un homme et d'une femme, d'être à la fois le père et une mère, d'être une femme respectable... sinon, c'est une tare, une bombe à retardement...

J'ai dû être tout ceci pour mériter le respect de mes collègues. Je n'attends pas des reconnaissances. Mon combat n'est pas envers les hommes mais vers les mentalités, contre les inégalités, pour une réforme des systèmes scolaires car notre école est clochardisée, malade. Chacun de nous doit se sentir citoyen et participer à la vie citoyenne et ne pas cautionner la régression, le manque de dialogue. Un autre point, le combat des a`rrouch (le mouvement des citoyens kabyles) dont j'adhère à leur combat.

L'entretien a duré 45 minutes, elle n'avait pas assez de temps, une réunion l'attendait. Il s'est déroulé chez elle, c'était son choix. Pour la contacter, J'ai dû aller à l'Académie (rectorat) de Tizi-Ouzou où elle faisait un sit-in pour protester contre certaines mesures de l'Éducation Nationale concernant la fermeture de certaines classes, surcharge des classes (jusqu'à 50 élèves par classe), des attributions abusives de logements de fonction, des cartes scolaires déviées et concentration de structures : certaines écoles étant détruites ou fermées pour causes sécuritaires... Elle était contente d'avoir un entretien de ce type.

J`ai connu Assia lors des journées d'informations sur le syndicalisme. Elle était membre fondatrice du premier syndicat autonome (national) des travailleurs de l'enseignement fondamental : le S.A.T.E.F. (après celui émanent du parti unique, l'U.G.T.A.). Je connaissais son attachement à l'école républicaine et à son combat sur l'égalité des chances pour tous. Assia mentionne peu les différentes tentatives d'évincement de ses collègues (hommes). Elle était la seule femme à rester dans ce syndicat, plusieurs femmes ont abandonné leurs postes et leur combat pour plusieurs raisons : intimidations, réunions à des heures trop tardives, insécurité, trop de déplacements, lassitude (combat sans issue...). Assia n'a jamais perdu l'espoir même si le Ministère de l'Éducation Nationale et les rectorats ne répondent pas aux revendications ou aux doléances du S.A.T.E.F. Elle reste toujours aussi passionnée malgré les années difficiles.

Elle m'a remerciée de mener un autre combat que le sien. Elle m'a avoué que, durant les deux premières années du S.A.T.E.F., elle souhaitait que nous rejoignions le groupe et ne comprenait pas que des enseignantes ne soient pas aussi mobilisées et engagées.

C'est une femme que j'ai longtemps admirée mais la crédibilité du syndicalisme autonome, personne n'y croyait, du moins nous l'assimilions aux activités du parti unique peut-être par ignorance ou par rejet d'un certain fonctionnement étatique.

II- POINTS DE VUE

Il y a des événements propres aux femmes, il se passe quelque chose qui les concerne particulièrement et qu'il faut écrire, souligner et exploiter. La place faite aux femmes y a été variable en fonction des représentations des hommes, de l'histoire, de la politique et du temps. Aujourd'hui, les femmes sont à l'ordre du jour, dans et hors des institutions. Est-il vraiment légitime, utile et sans danger d'isoler dans le champ de la recherche le concept féminin porteur, à première vue, d'infériorité ou d'exclusion ?

Je dirais que, la femme étant strictement contenue dans les rôles fixés par l'idéologie dominante, celle d'une société masculine, l'évocation d'une femme ou du féminin sous la plume de plusieurs acteurs se bornait à refléter sa subordination aux impératifs du temps. Les investigations, les entretiens, les débats entrepris dans le milieu féminin en Algérie (à Tizi-Ouzou, plus précisément), ont jeté un éclairage nouveau sur des situations et m'ont permis de pondérer, d'une nouvelle façon, les comportements des problèmes abordés. Il apparaît aussi que le vécu collectif, social et individuel façonne une vision de la condition féminine, des freins comme stimulants à son évolution.

Pour Ghenima, Ghenounouche et Zohra, les interprétations du Coran et de la religion apparaissent comme un obstacle à leur émancipation. Zohra, Malika, Melha, Leïla et Assia considèrent qu'il aurait seulement lieu de se débarrasser de certaines interprétations préjudiciables à la valorisation de leur rôle. La quête d'une identité culturelle apparaît comme un domaine important de reconnaissance et de personnalité. La société leur impose un rôle précis : gardiennes des valeurs traditionnelles et familiales qui les confinent à la maison.

Malika, Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Melha, Djedjiga, Assia, Katia et les autres considèrent que l'État a une politique attentiste et contradictoire. En effet, le pouvoir politique est influencé par l'évolution du rapport de forces entre les intégristes et les progressistes. Toutes les femmes, quel que soit leur âge, leur situation, souhaitent être reconnues comme des femmes responsables et intellectuellement capables. Elles sont aussi unies devant le danger intégriste qui les menace. La situation de transition qui est la leur les expose à des retours en arrière douloureux.

L'impact de la scolarisation sur les perspectives qui s'offrent aux femmes est perçu également de façon différente. Malika, Chabha, Leïla, Melha, Assia, Khadidja ont compris l'importance de leurs études sur l'évolution de leur statut. Malika, universitaire et libre, dira "que les études libèrent la femme du poids de la tradition". Ghenima a pu se perfectionner en couture et en tricot à l'aide des revues qu'on lui achetait en cachette et elle a pu suivre la scolarité de ses enfants. Elle a continué son apprentissage en lisant les cours de ses enfants (le médecin et la dentiste), surtout de médecine. Toutes souhaitent changer la mentalité masculine et les traditions retardataires, bien que Leïla, Fariza et les autres femmes avec qui nous avons discuté reproduisent ce schéma par l'éducation : préférence du garçon. Toutes les femmes et les quelques hommes avec qui j'ai discuté ont tous dit que "le changement viendra par les femmes en Algérie". Comment ? Par les études, par le militantisme, par l'écrit, par le fait d'occuper l'espace public... !

La question du matriarcat est souvent revenue dans les discussions. La mère, par manque d'affection et de communication avec son mari, la femme les projette sur les fils. Ainsi, elle obtient un pouvoir qu'elle n'a jamais eu qu'elle exerce à la maison sur ses brus. Zohra, Djedjiga, Ouerdia, Ghenima et Ghenounouche ont souffert du pouvoir de leurs belles-mères et refusent ce système. Toutes ces femmes ne portent-elles pas la marque d'une certaine inhibition et d'une acceptation de fait de la société patriarcale ? Les Algériennes tendent à déprécier le politique, à valoriser le social et l'informel, intériorisant ainsi les normes traditionnelles. Le rôle de la mère reste traditionnel. Le travail reste, pour elle, une forme de liberté et d'indépendance, un contact avec le dehors et d'indépendance financière.

Lors d'un bref séjour, j'ai également discuté avec des jeunes filles, des adolescentes de 15 à 18 ans et des jeunes hommes de 16 à 24 ans. Ils m'ont exprimé leur désarroi, leur incertitude de l'avenir (tous veulent fuir et s'installer à l'étranger), du malaise politique, du problème identitaire et surtout des problèmes de leur scolarité... Cependant, parmi tous les entretiens que j'ai eus, j'ai retenu une dizaine, le reste m'a servi pour vérifier ma théorie. Les femmes ont répondu à mes questions en kabyle ou un mélange de kabyle-français-arabe.

III- SYNTHÈSE DES ENTRETIENS

À mon retour à Paris, les enregistrements, je les ai écoutés à plusieurs reprises ont fait réagir en moi bien des choses. Ils ont été révélateurs et ont suscité beaucoup de sentiments et surtout d'idées à travailler plus profondément et des thèmes auxquels je n'avais pas pensé. Même si ces entretiens ont été faits dans un désordre et empressement, il en est sorti des sous-thèmes à étudier.

A- CONTRAINTES SOCIALES ET CRISES IDENTITAIRES

La vie de ces femmes peut être résumée à partir des axes suivants :

q Leur enfance et leur éducation ;

q Les images identificatoires : celle du père, celle de la mère ;

q Leur statut de fille au sein de la famille ;

q Le rôle de l'école dans sa personnalité et l'espace publique ;

q Leur rapport à la religion ;

q La conception de la virilité et de la féminité ;

q Leur vie sexuelle.

Cette attitude serait une forme d'identification par laquelle une partie de l'individu adopte l'identité d'une "personnalité" qui n'est pas la sienne. Il s'agit habituellement d'une identification partielle qui se limite à l'adoption de comportements dont la personne n'est pas convaincue.

Cette "double identité" semble bien être, chez les interviewées, un moyen d'empêcher une identification totale avec le père ou la mère et donc une perte irrémédiable de leur propre identité / enfant modèle. Ces femmes semblent avoir exprimé dans leur enfance une soumission totale aux désirs et aux attentes des parents. Leur "moi intérieur" et secret révélait la vraie nature des femmes à l'extérieur, dans l'opposition, la contestation et l'agressivité chaque fois qu'il s'agissait des problèmes concernant le statut de la femme.

Elles confirment dans leur conviction le changement du comportement maternel après la naissance d'un premier garçon, à savoir que sans pénis, l'individu n'est pas reconnu en tant que personne. Le changement d'attitude des mères vis-à-vis de leurs filles vient du fait que ces dernières ne pouvaient être un "objet satisfaisant" pour elles puisqu'elles représentent une menace et non une assurance. Comme elles sont un objet non satisfaisant pour la mère aussi bien sur le plan sexuel que sur le plan moral et social, celle-ci transfère tout son amour sur le garçon qui, lui, représente une image à la fois satisfaisante et sécurisante pour la mère (et pour le père). L'aptitude de la mère à rejeter la fille et à préférer le garçon donne aux nouvelles générations le sentiment d'être abandonnées de tous, d'être vieilles. La relation conflictuelle avec la mère ou la belle-mère est nettement exprimée dans la haine et dans la rupture.

L'image des aînées est une image négative et non identificatoire, mais c'est une figure très importante dans leur vie puisqu'elle représente l'image de la femme traditionnelle. En effet, les aînées se sont mariées très jeunes à des hommes plus âgés qu'elles ne connaissaient pas avant et qui sont devenus un peu le substitut du père par leur statut et par leur autorité. Le mariage est considéré comme une passation de pouvoir du père au mari. Ce dernier se substitue au père en tant qu'agent d'autorité. Cette substitution est définitive puisque le mariage fait de la femme la propriété du mari. L'image du père (et même celle de tous les mâles de la famille) est d'emblée projetée sur le mari qui représente la nouvelle image incarnant l'autorité, la force et la protection. Investi en tant que chef de famille, le mari devient le prolongement de l'image paternelle. Son âge lui confère l'autorité nécessaire au maintien de la supériorité masculine.

Ce que m'ont dit ces jeunes filles me donne une idée assez précise du statut de la jeune fille au sein de sa famille. La situation des filles arabo-musulmanes, en général, est réduite à une lente annihilation, à une destruction de leurs personnalités et de leurs identités. Melha, Malika, comme la majorité des filles, ont vécu la haine du mâle et la ségrégation des sexes.

Zohra, Ouerdia... refusées par le père, rejetées par la mère, elles font l'apprentissage de l'asservissement dans une famille et une société où l'enfant de sexe féminin est agressé dans son corps de fille et dans sa personnalité de fille. Très tôt, elles ont le sentiment que leur venue dans ce monde n'est pas la bienvenue. La naissance d'un garçon dans la famille est la preuve flagrante de cette discrimination sexuelle. Si le changement du comportement paternel soulage un peu la situation familiale, il a également accusé le fossé qui existait déjà entre la fille et son père, consciente que ce changement était une atteinte supplémentaire à son identité de fille et à sa personnalité. Le rejet de la mère n'a fait qu'accentuer le sentiment d'abandon chez la jeune fille.

Certaines mères ont creusé la distance entre leurs filles et l'autre sexe. Le fils, qui a comblé toutes les attentes d'autrefois en la vengeant du mari absent et également de la belle-famille insatisfaisante, est devenu "l'Homme" pour la mère. Celle-ci, par son comportement envahissant, "fixera" son fils à elle de façon indélébile donnant naissance à la méfiance entre les sexes. Le lien de l'enfance unira à jamais la mère et le fils qui, plus tard, ne peut éprouver que des sentiments ambivalents pour cette même mère mais aussi pour toute autre femme qui n'est pas sa mère.

"... les femmes n'épousent jamais que les fils des autres femmes. D'où les conflits belles-mères / belles-filles autour du même homme et elles lâchent le combat du passé pour celui de l'avenir" 255(*).

La mère, en tant que prototype de celle qui ne donne plus et ne reçoit plus, qui demeure froide et indifférente, fait naître chez sa fille le sentiment douloureux que sa vie n'a pas de sens puisqu'elle ne compte plus pour personne, surtout pour la mère gratifiante d'autrefois.

Melha, Chabha, poussées à devenir "quelqu'un" par rancune et par esprit de vengeance, elles ont réussi brillamment leurs études, créant par leurs propres actes une identité pour soi-même qu'elles se sont acharnées à faire reconnaître par les autres au lieu d'être ce qu'autrui leur dit qu'elles sont. Chabha et Melha se sont efforcées de n'être que ce qu'elles ont voulu qu'elles soient. Ainsi, l'identité de soi s'est réalisée à partir d'une redéfinition des autres.

B- LE RÔLE DE L'ÉCOLE DANS LA PERSONNALITÉ DES INTERVIEWÉES

Dans les aspects de l'identité scolaire à l'école maternelle, Liliane Lurcat écrit que :

"Devenir un écolier, c'est acquérir des particularités au cours de la scolarisation (...)...même si les destinées scolaires comportent une large détermination sociale" 256(*).

Les particularités acquises par ces femmes tout au long de leur scolarité les ont aidées à se réaliser en fonction d'un projet d'existence à la fois personnel et collectif. Chez le sujet, le sentiment d'identité a émergé de l'interaction entre son expérience personnelle et la relation établie avec les membres de la famille et les enseignants, en relation avec la situation de formation de groupe, en rupture avec le quotidien familial. L'école est apparue comme l'élément révélateur de cette recherche identitaire de la femme puisque :

"La recherche de l'identité peut apparaître comme un processus de défense contre l'angoisse, comme une limite à des expériences peu sécurisantes" 257(*).

Les images familiales et les valeurs ambiantes sont mises à l'épreuve dans les rapports que les femmes établissent avec leur environnement et leurs proches. Elles jugent et condamnent leur culture, rejettent les images identificatoires familiales et manifestent leur désir d'être comme les autres. La réaction des mères nous paraît être une preuve qu'en Kabylie, ce sont les femmes qui se chargent de faire respecter la morale sociale, elles sont les farouches gardiennes des traditions.

Même si l'école apparaît comme l'institution type de changement, il arrive que l'identité personnelle d'une femme s'affirme à travers ou dans des choix et des visées confisquées au conformisme et au conditionnement des institutions.

"Dans un modèle inspiré du courant fonctionnaliste (Claparède), l'enfant n'agit pas par ordre (...), il puise son savoir dans les expériences qu'ils suscitent, ce qui, pense-t-on, le libère de la tradition et du conformisme, et ses initiatives sont validées ou invalidées par les faits, ce qui le libère du dogmatisme" 258(*).

Dans le discours de ces femmes, nous relevons des signes d'individualisme évidents. Même si l'éducation n'est pas fondée sur la désintégration du moi, elles arrivent à dépasser les obstacles qui s'opposent à l'affirmation de leurs identités. Pour échapper à la déstructuration de leurs identités, Ouerdia, Melha, Malika et Assia trouveront des modèles en d'autres personnes, en rupture avec les images familiales et les modèles sociaux. La perte des repères habituels, ressentis comme hostiles, provoque chez le sujet une plus grande réceptivité aux nouveaux stimuli. Cette situation suscite chez ces femmes un conflit d'appartenance entre deux groupes aux références contradictoires, avec dévalorisation de l'un et valorisation de l'autre.

Dans leurs quêtes identitaires, elles ne recherchent pas à renier leurs origines ni à effacer une mémoire collective. Ce qu'elles recherchent, c'est une reconnaissance de soi par les leurs, la reconnaissance de leur unicité et de leur spécificité. Dans la tentative de se reconnaître/être reconnue, elles ont tendance à exprimer leur volonté de faire comme les pays développés. Comment produire une identité personnelle à travers des mécanismes d'imitation ? Dans la perspective de certaines femmes, l'imitation n'est pas négative. Elle est, au contraire, un moyen favorisant la production et l'affirmation de l'identité. À travers les autres, elles trouvent leurs modèles et construisent leurs identités à l'image de ceux et de celles qui ont exercé une action sur elles, action positive puisqu'il ne s'agit pas de contrainte ni de pression mais de choix. Elles refusent d'être comme telle mère ou telle soeur...

Pour ces femmes, l'école est signifiante parce qu'elle leur a donné accès à une identité qui la signifie aux yeux d'autrui. Elles ont compris très tôt que l'enseignement pouvait, seul, constituer un facteur déterminant pour le développement de leur l'affirmation et de leur personnalité. L'école a été vitale car elle leur a évité les dangers qui menaçaient la déstructuration de leurs identités à cause du sentiment d'infériorité que leurs familles ont développé chez elles depuis leur naissance. L'école leur a légué un important sentiment de confiance en soi, ce qui les a aidées à dépasser l'aliénation en rétablissant l'équilibre qui faisait défaut au moi personnel. Cette réalisation de soi a été possible grâce à l'efficacité personnelle qui, à travers une compétence scolaire, a repoussé les conflits et a amené les autres à reconnaître le sujet dans ses réalisations et dans la révélation de son identité.

Persuadée que seule l'autonomie financière peut contribuer à la liberté totale ou partielle de la femme grâce aux études poussées, Melha s'acharne à continuer à évoluer professionnellement dans ce but. Le rôle social qu'elle est appelée à jouer va structurer son identité puisque :

"Les individus jouent les rôles non seulement de la manière prescrite mais de manière à se faire exister en tant que dépassant des rôles qui ne leur permettent pas, tels qu'ils sont, de totaliser leurs expériences" 259(*).

Les expériences des femmes leur donnent l'impression d'être distantes de la manière dont les autres femmes se perçoivent.

"Elles croient s'écarter du modèle théorique de l'existence d'une norme relative à la représentation de soi dans un groupe impliquant l'analyse des processus de conformité et de déviance à la norme" 260(*).

C- FÉMINITÉ, VIRILITÉ ET RELIGION

La religion est toujours appréhendée comme un sujet délicat, ambigu. Trois sujets sur quatre ne respectent pas l'esprit de la religion islamique. Chabha tout comme Melha et Malika se sentent musulmanes bien que, dans la pratique, elles soient loin de répondre à l'image du vrai croyant. Le respect de la religion n'empêche pas le sujet de juger et de critiquer cette religion. De leurs enfances et de leurs scolarités coraniques, Leïla et Khadidja ne retiennent que la peur et les châtiments multiples dont elles ont fait l'objet. "Je faisais ce qu'on me demandait parce que l'idée qu'on me représentait sur les châtiments divins était telle que j'avais une peur obsessionnelle de l'au-delà". Cette peur conditionne les comportements des enfants et les oblige à se conformer aux normes de la société.

La religion serait un moyen de soumettre l'individu au choix de la conduite majoritaire, impliquant le refoulement des désirs individuels et des choix personnels. Dans le milieu algérien, l'individu ne peut être que membre du groupe, c'est-à-dire intégré dans une structure qui ne peut se maintenir qu'en assurant la régulation des activités de ses membres. Les rudiments de connaissances qu'elles ont, en matière de religion, ne sont pas en mesure de sécuriser leurs croyances. Très tôt, dans l'évolution du sujet, la construction de son identité s'est réalisée dans des situations bloquées qui ne permettent aucun apport personnel, aucun jugement et aucune critique parce que les modalités mises en oeuvres par l'enseignement religieux sont médiatisées par un discours immuable et sacré.

Au niveau de leur apprentissage en matière de religion, Katia, et Leïla relèvent des lacunes dues essentiellement à l'absence d'explication du côté des adultes. Ces derniers avaient un seul souci : amener les enfants à les imiter dans leurs pratiques. Or, l'atmosphère de peur dont on entoure les pratiques religieuses conditionne chez ces jeunes femmes le développement d'automatisme qui, en contact avec une culture, aboutit à une atrophie du Surmoi.

L'école correspond à une phase décisive dans la formation de la personnalité. Elle adopte une attitude plus active, plus critique vis-à-vis des modalités culturelles et des conduites sociales qui ne la signifient pas positivement et ne lui permettent ni d'affirmer son unicité dans le monde, ni de développer une identité personnelle authentique.

Cette attitude du sujet, qui saisit toutes les occasions en classe pour critiquer et condamner les contradictions sociales, entre dans un processus de "réalisation de soi". La prise de conscience des tensions culturelles permet à ces femmes de se réaliser en tant qu'être "unique" au contact de l'expérience et de l'existence au sein de sa société. L'école sera pour Leïla, Melha, Katia... une expérience qui va les confirmer positivement dans leur développement et les fera évoluer vers une plus grande autonomie dans leur affirmation de soi.

"Pour les femmes, le discours religieux reste une expérience incomplète et inachevée. Elles envisagent de compléter leur instruction religieuse plus tard. Ceci montre que l'acceptation de ses limites est une condition préalable à l'achèvement de ce que la personne est en voie de devenir" 261(*).

À travers l'expérience personnelle qu'elles vivent, elles réussissent à établir des rapports fondés sur l'estime et la valorisation. Et dans ces nouveaux rapports, elles estiment nécessaire de réviser et de compléter leurs connaissances en matière de religion.

Dans une tradition qui interdit à l'individu de porter tout jugement sur les valeurs sociales et religieuses, les discours de ces femmes conduisent ces dernières à une organisation nouvelle des valeurs morales impliquant une autonomie relative de la conscience morale du sujet. Cette démarche implique la formation d'un système de référence pouvant servir de point de repère pour évaluer les conduites des uns et des autres et pour régler les siennes propres.

Tout au long de leur développement, ces femmes ont tenté d'acquérir progressivement leur autonomie affective, intellectuelle et morale. La réussite de cette attitude se traduit par la valorisation et par la famille. Si l'organisation des personnalités de ces dernières est tributaire de leur passé (compte tenu de l'histoire affective, morale et intellectuelle qu'elles ont vécue suivant une méthode et des techniques traditionnelles), elle l'est aussi de leur présent et de leur avenir. Les personnalités de Ouerdia, Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Assia, Melha... sont en perpétuelle formation, en perpétuelle "mouvance". Comme l'explique Pierre Tap,

"La quête de l'identité trace un itinéraire, elle est la recherche d'un programme de vie (...)" 262(*).

Pour certaines femmes, la virilité et la féminité ont des connotations négatives parce que chargées de préjugés. Les définitions sont faussées par les réalités sociales. Elles sont institutionnalisées pour préserver la société de tous les maux. Parmi les plus graves : la femme dont le pouvoir maléfique est capable d'annihiler l'homme, la société et la religion. Ainsi, la virilité et la féminité dans l'imaginaire algérien sont synonymes de supériorité et d'infériorité. Ce genre de discours instaure la séparation des sexes, mettant ainsi l'homme à l'abri des dangers inhérents à la femme et à son pouvoir de séduction qui est si considérable que, s'il succombe.

La virilité et la féminité, telles qu'on les comprend et qu'on les explique dans la société algérienne, servent à asservir la femme par un système d'exploitation injuste qui vise non seulement le côté juridique mais aussi sexuel. En Algérie, la virilité est assimilée à la force, à la rigueur, à la violence, parfois à l'intelligence. La féminité est assimilée à la soumission, à la honte, à l'effacement, à la beauté. La première condition à remplir par un individu pour être accepté par le groupe est d'être " homme ", c'est-à-dire sans faiblesse par rapport aux femmes. La conviction religieuse, le savoir, la compétence et l'honnêteté ne viennent qu'en seconde position.

Comme Malika, Katia, Melha, Chabha et Assia témoignent d'une situation dramatique où la femme est prise au piège du discours masculin, coincée entre un modernisme sans âme et un traditionalisme sans âge. Cette situation installe toute l'Algérie dans des conduites conflictuelles et des structures ambivalentes et l'individu se trouve placé dans une situation de changement et/ou d'évolution culturelle, à la fois engagé dans le temps du progrès et bloqué dans les normes et activités antérieures.

Chabha dénonce les rapports de force instaurés entre les sexes. La polygamie, l'héritage, la répudiation... font la fierté des mâles qui vantent leur propre virilité. Cloîtrée dans sa maison, cachée derrière un voile, la femme (l'épouse, la mère...) est privée de tout critère d'évaluation et de jugement quant à la valeur réelle de l'homme. Pour Chabha, tout homme est naturellement viril du fait de sa condition biologique. Il est homme, donc viril.

C'est pour cette raison que le mâle algérien (arabo-musulman, en général) préfère une épouse vierge à une femme expérimentée, plus à même de saisir les points forts et les points faibles de l'homme. Cela explique pourquoi les femmes divorcées et les veuves n'ont qu'une valeur réduite sur le marché du mariage 263(*). Souvent, la virilité est assimilée à l'agression verbale ou physique de toute femme qui s'aventure dans les espaces qui ne lui sont pas réservés. La plupart des femmes s'élèvent contre cette injustice. Enfermées dans des préjugés sociaux, la virilité et la féminité confinent les femmes dans des limites très strictes et entourent le monde masculin.

Il me semble que l'ambivalence de l'homme par rapport à la femme (peur/désir) provient du fait que le mâle est viril et misogyne. La féminité en Algérie est le problème de toute société fondée sur le patriarcat et la division en classes est caractérisée par d'immenses écarts entre les différents groupes sociaux.

D- LA SEXUALITÉ

Dans la société algérienne, les coutumes et les traditions en usage prescrivent toutes sortes de limites à la vie sexuelle dans la vie de tous les jours. Comme la plupart des jeunes algériens(nes), les femmes vivent dans une société qui stigmatise la sexualité et en fait quelque chose d'impur et d'avilissant. La sexualité est réduite à un simple instinct animal à l'origine d'une souillure dangereuse pour le vrai croyant qui ne doit pas confondre l'amour physique avec l'amour de Dieu et l'amour maternel.

Concernant la majorité des femmes comme Khadidja, Leïla, Melha..., leurs expériences sexuelles sont inexistantes. Conditionnées à faire abstraction de leurs corps et à renoncer à leurs désirs, elles grandissent dans la haine du corps et dans le refoulement. La conduite de Khadidja et Leïla, quant à leur propre virginité, nous permet de croire qu'elles adoptent et revendiquent même les particularités de leur société. Pour conserver la tradition, l'Islam : "une femme est une personne qui garde sa virginité".

Dans le milieu kabyle, tout est mis en oeuvre pour nier la sexualité de l'individu. L'éducation, basée sur la répression, est une institution destinée à dresser le sujet en vue de lui faire intérioriser les normes de la société dans la négation de sa personnalité et de son individualité. Malgré la part de liberté que Malika, Melha ou Chabha ont acquise, elles demeurent, sur le plan sexuel, conditionnées par les conduites sociales et les traditions.

"Sous l'Islam (...), la sexualité est présentée comme obéissant à des règles. Le code unique et spécifique de la loi islamique proscrit la fornication qui est considérée comme un crime.264(*).

La vie sexuelle du sujet est fondamentalement influencée par celle de l'entourage. La femme paraît être une figure sexuelle négative puisqu'elle représente le triomphe de l'ordre sur le désordre. En fait, ce n'est pas la sexualité qui est attaquée dans le milieu arabo-musulman, mais la femme : force destructrice de l'ordre social. Non seulement les femmes sont considérées comme étant en dehors de l'humanité mais, de surcroît, comme une menace pour celle-ci. La méfiance musulmane à l'égard de tout engagement hétérosexuel va se traduire par la ségrégation sexuelle et ses corollaires : le mariage arrangé, le rôle important que joue la mère dans la vie du fils et la fragilité du lien matrimonial (révélée par les institutions que sont la répudiation et la polygamie).

Dans le milieu algérien, la vie sexuelle est canalisée vers le mariage. Tout projet sexuel en dehors des liens sacrés du Nikâh (mariage) est considéré comme zinâ (prostitution) et donc illicite. La société patriarcale a dicté aux jeunes filles (Khadidja, Leila) qu'elles doivent rester vierges jusqu'au mariage. Melha malgré son indépendance est toujours vierge. Si la virginité est une règle de morale que seules les filles doivent respecter, les mères, de leur côté, défendent ce "privilège" en surveillant étroitement leurs filles. Privée de sa liberté quant à son propre corps, la mère ne peut que priver les autres de cette liberté. Inconsciemment donc, elle refuse à sa fille ce que la société lui a refusé.

Dans une société patriarcale conservatrice, la revendication d'une identité originale est conçue comme une affirmation de soi, une revendication de sa différence. Or, pour la société, la seule image positive consiste à adopter des comportements conformistes qui, seuls, peuvent permettre la valorisation et la reconnaissance sociales.

Conditionnées à vivre selon l'image que la société lui impose, Leila, Khadidja répondent en grande partie, aux attentes du groupe. Le rapport qu'elles ont avec leurs propres corps confirment cette idée. Elles réussiront des actes personnalisants. Mais de même, elles réagissent passivement à des actes aliénants comme le fait d'accepter des visites médicales pour rassurer leurs mères sur l'état de leurs hymens. Cette situation montre que Khadidja (ou les autres célibataires) est obligée, dans sa quête d'une reconnaissance sociale de son identité personnelle, de "jouer" dans cet équilibre difficile et précaire entre comportements différenciateurs où se joue, de la façon la plus claire - et la plus dramatique -, la question des rapports entre l'image propre et la reconnaissance sociale de soi et, par conséquent, la question de l'identité tout à la fois personnelle et sociale 265(*).

Persuadée que seule l'autonomie financière peut contribuer à la liberté totale ou partielle de la femme, Melha s'acharne à évoluer vers ce but. Le rôle social qu'elle est appelée à jouer va structurer son identité puisque :

"Les individus jouent les rôles non seulement de la manière prescrite mais de manière à se faire exister en tant que dépassant des rôles qui ne leur permettent pas, tels qu'ils sont, de totaliser leurs expériences266(*).

Les expériences de Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Djedjiga et de Fariza leur donnent l'impression d'être distantes de la manière dont les autres femmes se perçoivent.

"Elles croient s'écarter du modèle théorique de l'existence d'une norme relative à la représentation de soi dans un groupe impliquant l'analyse des processus de conformité et de déviance à la norme" 267(*).

Or, la conduite de Khadidja et de Leila, quant à leur propre virginité nous permet de croire qu'elles adoptent et revendiquent même les particularités de leur société. Pour conserver la reconnaissance du groupe, ces jeunes filles conservent ce qui fait d'elles l'être humain, une femme et une personne : sa virginité.

E- LE CAPITAL SCOLAIRE

Qu'elles en soient conscientes ou non, toutes les mères accordent dans leur démarche éducative la même importance aux études des filles qu'à celles des garçons, sans toutefois perdre de vue leur rôle maternel et "domestique". La majorité d'entre elles, se préoccupent autant ("sinon plus", précisent quelques-unes) de la réussite scolaire de leurs filles que de celle de leurs fils. Les femmes actives sont, d'ailleurs, conscientes de l'importance de leur capital scolaire. Grâce à celui-ci, elles peuvent jouir d'une plus grande liberté, de s'investir dans des projets, de se projeter dans l'avenir... Comme le répète souvent les femmes (tous les parents, surtout les personnes privées de scolarité) : "L'instruction est une valeur sacrée, celui qui ne sait pas lire et écrire ne peut rien faire dans la vie "" l'instruction est la porte qui ouvre toutes les autres portes".

IV- ANALYSE ET CONCLUSION

La nature de mon terrain, en tant que lieu privé, ne me permettait pas d'utiliser une méthode directive rigide, alors j'ai opté pour une méthode plus souple de type ethnologique. Mon expérience sur le terrain m'a prouvé la richesse de récolter l'information par le biais de l'observation participante, de l'entretien non directif et de la conversation spontanée. L'utilisation de cette méthode correspond bien plus à un comportement et à une coopération du groupe qu'à une technique bien précise. La raison en est que, comme le souligne, R. Creswell :

"Il n'existe pas une attitude générale à adopter et à appliquer sur un terrain. Chaque situation demande une réponse spécifique à la nature du champ empirique" 268(*).

Je me suis rendue compte que, grâce à l'observation participante (vu l'échec du premier entretien), j'ai pu obtenir des informations auxquelles je n'aurais pu accéder par la méthode directive de type questionnaire. Si j'avais dirigé les entretiens de manière trop rigide, je me serais heurtée à un blocage qui aurait appauvri nos informations.

Ainsi, les informations se sont accumulées le plus possible en observant, en écoutant et en inventoriant l'espace. Cette recherche d'informations m'a permis d'obtenir une somme de connaissances sur mon champ d'étude et d'en dégager ses caractéristiques et ses spécificités. Je me suis aperçue, en poursuivant ma collecte de données, que l'apport du terrain débordait le cadre dans lequel j'avais fixé ma problématique, ce qui m'a amenée à sa remise en question et à sa refonte, comme le souligne Albert Brimo dans son ouvrage 269(*).

L'observation des différentes données recueillies à l'aide des entretiens chez les femmes appelle immédiatement une remarque : ces données sont contradictoires. De quoi s'agit-il ? D'une contradiction dans la valorisation de l'image féminine : en effet, on observe, d'une part, celles dont l'affirmation est timide ou commence à peine et, d'autre part, une forte valorisation de l'image masculine qui est dominante. D'un côté, une prégnance des traditions et, de l'autre, une attirance incontestable vers ce qu'il est convenu d'appeler la modernité.

Il semble bien que la valorisation de ces images masculine et féminine (cette dernière est celle des nouveaux rôles sociaux de la femme), qui sont projetées chez les sujets, s'inscrive dans deux visions du monde radicalement opposées : les deux s'entrecroisent sans se superposer et elles interférent sans cesse, devenant par-là source de conflit. Conflit est effectivement le maître-mot qui ressort de l'analyse des données car ce qui fait problème n'est pas tant la présence simultanée des termes opposés que le sentiment de leur incompatibilité, voire leur exclusion, chez les femmes. L'image féminine est bien en train de changer mais en prenant la forme d'un conflit, c'est ce mot-clé de voûte qui a subordonné notre réflexion.

Si la guerre de libération a contribué à faire accepter la femme combattante responsable et adulte, la tradition et la vie de tous les jours la confinent dans son rôle biologique. Gardienne du foyer, elle doit être voilée, vivre sous l'autorité des mâles. A chaque fois que l'on parle du droit de la femme, à travailler, à choisir, ... , il se développe des fantasmes particuliers de peur d'une femme, "toute puissance" qui serait destructrice et mettrait en péril l'organisation sociale traditionnelle à laquelle "s'accroche" nombre d'hommes ou de femmes.

Aussi, les freins à l'émancipation de la femme sont-ils nombreux. Le groupe veille et contrôle les attitudes, les modèles et une situation d'inégalité par l'éducation différente donnée aux filles et aux garçons (au garçon on susurre : "tu as tous les droits", à la fille : "ton rôle est d'obéir"), par les manuels scolaires (où la femme est le plus souvent représentée comme passive et traditionnelle) et par une dévalorisation permanente de tout ce qui est féminin.

Le groupe tente de freiner l'émancipation de la femme malgré l'affirmation par les textes fondamentaux de l'égalité des sexes et malgré l'apport des mass médias qui clament le rôle prépondérant de la femme dans le foyer, dans l'éducation, dans la production. Tandis que l'Algérienne se forge une nouvelle image de la femme : adulte et non plus mineure et sous tutelle. Ces sollicitations continuelles, support d'idées nouvelles propres à notre époque, contribuent à développer chez elle de nouvelles aspirations.

Dans le cadre de ma recherche, j'ai essayé de connaître les aspirations de ces femmes, de quels types sont-elles et quelles en sont les implications. Il m'est apparu alors que la femme reflétait les contradictions de la société. Ainsi, les femmes interrogées :

q Refusent de porter le voile mais acceptent de le porter en certaines circonstances si on le leur imposait ;

q Estiment que les études sont primordiales pour la fille mais font plus cas de celles du garçon ;

q Acceptent le travail à l'extérieur de la maison mais tolèrent plus facilement si c'est pour des raisons financières ;

q Ne sont plus favorables au mariage avec le cousin, préfèrent choisir elles-mêmes leurs conjoints et les connaître avant de les épouser mais avec, toutefois, l'accord des parents ;

q Acceptent le principe de la dot et de la cérémonie traditionnelle du mariage et considèrent comme importante la virginité au mariage mais refusent de vivre chez les beaux-parents ;

q Veulent avoir avec leurs maris des rapports égalitaires, basés sur la confiance et la fidélité mais acceptent, cependant, une attitude respectueuse envers le mari ;

q Estiment important d'avoir des enfants mais veulent limiter le nombre et jugent que leurs maris sont concernés par leurs accouchements ;

q Préfèrent le garçon à la fille mais désirent élever leurs enfants selon d'autres modèles que ceux employés avec elles ;

q Revendiquent la notion de responsabilité du couple face à la gestion du ménage, à l'éducation des enfants et leur conception mais pensent, toutefois, que la part de responsabilité de la femme est plus importante ;

q Revendiquent pour une amélioration du droit au divorce et rejettent polygamie et répudiation mais sont bien plus sévères pour l'infidélité de la femme que celle de l'homme ;

q Estiment que les hommes ont des privilèges qu'elles jugent injustes mais reconnaissent à l'homme des qualités qu'elles n'ont pas ;

q Redoutent d'être femmes, condition qu'elles estiment dévalorisante et dévalorisée, auraient souhaité mener une autre vie et souhaitent autre chose pour leurs filles mais gardent, cependant, l'espoir que la condition de la femme ira en s'améliorant grâce aux associations, aux militantes et aux nouvelles génération.

La femme actuelle aspire donc à la modernité et à des aspirations de type émancipateur. Elle porte ses aspirations vers les études, le choix du conjoint, du nombre de ses grossesses, de la non-cohabitation avec la belle-famille, la vie en couple, le droit au divorce équitable, la liberté de sortie et l'espoir d'un meilleur statut.

Face aux aspirations émancipatrices, des idées contradictoires subsistent, des compromis se créent et l'ambiguïté se retrouve. Ainsi, la femme continue à estimer l'homme supérieur à elle, estime que sa place à elle est au foyer et si elle a de l'instruction, elle tolère le travail, juge qu'avoir des enfants est très important dans un foyer... Tout se passe comme si les femmes revendiquaient une conception nouvelle et compensaient la transformation de certains rôles en insistant sur le maintien d'autres rôles sous une forme traditionnelle.

Le type de femme qui s'est dégagé au terme de mes entretiens était la "femme en marche" mais, en même temps, la femme "attente et compromis". Ouverte au changement, cette femme est encore liée au groupe, à la tradition, à des schémas traditionnels. Les nouveaux rôles sont, en fait, indéfinis, incertains et provoquent l'insécurité. Les rôles traditionnels, par contre, bien définis, sont plus sécurisants et la femme "s'accroche" encore à eux. Le rôle, qui répond au désir du groupe (socialement désirable) et au consensus général, est un élément de détente et d'apaisement.

Ces femmes s'opposent donc aux transformations totales et trop brusques, celles qui les entraîneraient vers une situation insécurisante. Elles optent pour la sauvegarde des principales valeurs traditionnelles contre un assouplissement de certains aspects de leurs vies. Elles acceptent la supériorité masculine mais refusent les marques extérieures de cette supériorité ; estiment la virginité est importante mais exigent de connaître leurs maris avant le mariage... Elles réclament un autre type de mari, non autoritaire, plus amical, plus tendre...

Tout se passe comme si, dans cette organisation sociale en changement, existaient des soupapes de sûreté, des processus de modération qui permettent à la société de rester toujours en équilibre et de se maintenir. La société accepte certaines innovations qui ne la mettent pas en péril et maintiennent, par ailleurs, certaines valeurs traditionnelles fortes, inchangées. Il me semble alors qu'il y a, chez la femme, en même tant qu'un désir de changement, une résistance à ce changement, cette résistance étant d'abord interne, liée aux barrages intérieurs, à ses schémas éducatifs et ensuite externe dans la mesure où le milieu freine ce désir. Le conflit entre ces deux tendances, désir de changement et résistance au changement, se manifeste par les clivages qui s'opèrent entre les différentes opinions.

Les aspirations exprimées par les femmes sont, cependant, difficilement réalisables compte tenu des freins imposés par la société. En effet, dans la vie quotidienne, l'arrêt des études de la fille est chose courante, le droit de contrainte matrimoniale du père est tout puissant, la vie cloîtrée est habituelle, la soumission au mari est la règle. Il existe donc souvent une trop grande distance entre ce à quoi rêvent ces femmes et la réalité de leurs vies. Leur situation est encore le plus souvent traditionnelle et leurs aspirations trop hautes par rapport à la réalité sociale, ceci crée un climat de frustration et ce vécu conflictuel conduit souvent à des réactions pathologiques.

Au cours de ma recherche, j'ai relevé une augmentation du nombre des "états dépressifs" et suicidaires qui est, en particulier, une donnée nouvelle (due aussi à la situation désastreuse du pays, c'est une autre donnée et un autre problème qui touche les deux sexes).

Ces états dépressifs de la femme sont, le plus souvent, déclenchés par une intolérance à la frustration liée à cet important hiatus entre les aspirations et les possibilités offertes par la réalité sociale. Les patientes ne peuvent se soumettre à la norme sociale ou bien supportent difficilement leur situation du fait de l'idéalisation de leurs aspirations. Ces aspirations induisent une demande, une revendication qui apparaît comme inadéquate au milieu social, lequel agresse encore plus les sujets en les isolant et les traitant d'êtres à part. Leur seuil de tolérance est alors abaissé et ceux-ci, plus sensibles à la frustration, basculent plus facilement vers une réaction pathologique qu'un sujet aux aspirations adéquatement adaptées à la réalité. Les mécanismes de défense contre la frustration sont, d'une manière générale, autopunitifs, les sujets se punissant d'avoir des idées si différentes de celles du groupe et se forçant à rentrer dans le rang le plus souvent aux prix d'une dépression.

Le schéma d'organisation favorisant chez les femmes ces réactions pathologiques est le plus souvent le suivant :

q Les jeunes femmes aspirent à un niveau européen, leurs aspirations étant cultivées par les mass média, les études poussées, les influences... ;

q Elles tentent de réaliser leurs aspirations et se heurtent à des échecs, du fait, d'une part, de l'organisation sociale et, d'autre part, d'elles-mêmes (barrages internes) ;

q Elles essuient l'agressivité de la part de la famille et du milieu social ;

q L'échec et le sentiment de culpabilité de transgression favorisent l'apparition et l'organisation d'une vie dépressive...

Il apparaît donc que la distance entre les aspirations et la situation réelle est un agent pathogène, générateur de conflit, qui peut conduire à la pathologie. Cet aspect est de première importance chez la femme algérienne contemporaine. Le processus de régulation de la société traditionnelle est de moins en moins efficace. La femme actuelle est angoissée par le changement. Elle vit des situations peu sécurisantes et continuellement ambiguës. Cette ambiguïté de statut et de rôle est un facteur important intervenant dans la pathologie.

L'idée d'une libération des femmes par le travail et le savoir apparaît, souvent, dans les discussions mais elle reste soumise à des restrictions nombreuses. Et souvent, l'impression qui se dégage des points de vue énoncés, divers dans la formulation mais qui restent pour l'essentiel identiques, est que la femme, quelle que soit sa position dans la hiérarchie du travail et dans l'échelle sociale, n'est jamais tout à fait prise au sérieux car, on le lui dit implicitement, le pouvoir qui lui est accordé ne menace en rien l'édifice bâti par les hommes. Alors, souvent, on se complaît dans l'évocation de grandes figures féminines du passé, modèles insaisissables qui fuient à l'infini et se dissolvent dans la représentation d'un prestige à la mesure des seules héroïnes légendaires. Le présent ne propose que des velléités d'actions féminines progressistes vite dénoncées, vite étouffées.

En dehors des barrières culturelles et psychologiques à la promotion sociale de la femme, il y a également les barrières qui caractérisent le malaise de la société moderne. En effet, la civilisation actuelle, essentiellement matérialiste, valorise presque exclusivement le rationalisme et l'affairisme. Or, il est vrai qu'en général, la femme algérienne ne se retrouve pas et ne s'accomplit pas pleinement dans cette voie car, tandis que l'homme accepte plus facilement l'abrutissement, l'absence de sentiments, la froideur et le désaccord, la femme dépense de l'énergie pour alimenter, par l'expression, une vie intérieure à laquelle elle tient plus que l'homme et dont elle ressent plus l'importance pour l'équilibre de l'individu (à raison, d'ailleurs, puisque c'est ce qui donne sens à la vie). Or, cette dépense d'énergie n'est pas comptabilisée et n'a pas de voie de valorisation réelle dans la société actuelle. Elle reste intériorisée.

Par ailleurs, on pourrait rattacher la plupart des maux de la société moderne à cet excès de rationalisme qui tend à envisager la vie de l'être humain et qui l'aliène. Les conséquences de ce système sur l'équilibre de l'individu sont évidemment néfastes. Il en résulte :

q La soumission aux besoins de la machine sociale extrêmement complexe ;

q La frustration des besoins spirituels (amour, fraternité, harmonie, contemplation, etc.) qui n'ont que très peu de place dans la société actuelle ;

q L'asservissement aux besoins matériels secondaires créés de toutes pièces par la technologie au service de l'argent de plus en plus dépendant ;

q L'angoisse créée par le conflit entre les tendances diversifiées à l'extrême par et pour le système (on a toujours trop à faire).

Si j'ai mis l'accent, pour finir, sur des problèmes plus généraux qui semblent un peu dévier mon thème central, c'est parce que la femme est un élément dans un ensemble écologique complexe qu'il s'agit, à long terme, de transformer à la base afin d'aboutir à une libération totale et une harmonie réelle entre les deux sexes. Il va sans dire que cette conclusion un peu pompeuse ne doit pas minimiser l'importance de la résolution des problèmes plus terre à terre d'égalité juridique.

La lutte des femmes commence dans la famille, peut, cependant, se prolonger par un militantisme (comme Malika, Melha) idéologique et politique pour un statut social plus libre. Mais, la révolution n'est pas simple. Elle doit, en fait, livrer un combat elle-même encore plus acharné que sa lutte idéologique. Ce principe est vrai, d'ailleurs, pour toute lutte révolutionnaire car la dimension intellectuelle de l'homme n'est pas superposée avec son histoire. Il est d'abord la résultante du système contre lequel il lutte et doit lutter contre lui-même.

À travers toutes ces rencontres et ces entretiens, j'ai appris à écouter les femmes, à les connaître, à comprendre le cheminement, à accepter leur idée, leur mode de vie que le mien. Avec cette distance et ce recul, j'ai du respect pour toutes les histoires de vie et de trajectoire.

Par ailleurs, cette recherche m'a également permis de comprendre l'Islam et j'avoue que j'avais beaucoup de préjugés. J'ai apprécié mon appropriation du savoir et du respect à la différence.

Toute femme est dépositaire d'une pépite d'or authentique qui lui permet d'illuminer la vie humaine, la sienne et celle de l'homme, à condition qu'elle veuille bien se donner la peine de la révéler. "Toute femme est enceinte d'un soleil". Une compréhension intime, originelle permet à la femme d'accéder au coeur d'elle-même, à son essence, à une émanation d'ordre subtil. Cette essence féminine se communique par une vibration de vie et d'âme qui parle directement à la nature de l'homme et le polarise vitalement, affectivement et spirituellement.

La flèche du développement de la femme ne va pas seulement à l'intérieur dans l'affirmation de son identité. Au moment où les valeurs ont besoin de refleurir dans les déserts du confort et du stress, un visage de femme se dessine en pointillé dans le schéma du futur, il inspire et introduit les changements de valeurs dans la civilisation.

Ce centre peut se définir à la manière de Jung comme la mise en résonance avec  ce "soi" qui est connaissance, transcendance et totalité. Pour l'atteindre, il faut traverser les couches du "moi" et cesser de s'identifier à sa personnalité. C'est le travail long et complexe de la réalisation de soi. Les multiples sources d'excitation nerveuse, de sollicitations et de distractions de notre civilisation rendent plus que jamais nécessaire ce recentrage que toute l'éducation, puis toutes les nécessités sociales, tendent à nous faire perdre. Les religions tombent en lambeaux usés et la morale chancelle faute de bases. Crise de valeurs. Il faut tout réinventer, ou plutôt tout retrouver, à partir d'une authenticité interne.

Déjà, le combat féministe paraît d'arrière-garde et les femmes actuelles sentent d'instinct, sans même y réfléchir, que cette étiquette ne sert pas leur séduction. La "revendication a une odeur d'esclave et la femme d'aujourd'hui s'affirme comme conquérante", pourtant, chaque femme porte en elle les stigmates de la longue histoire de la femme et, en une seule vie, doit retraverser plusieurs étapes. La mémoire et la conscience sont des atouts précieux pour connaître et éviter des écueils déjà connus.

Je n'ai peut-être plus besoin d'être féministes mais le besoin d'être "acteur", féminine et de mieux cerner et affirmer les valeurs féminines. Le rôle de la femme n'est pas de revendiquer un droit ou une liberté dont nul n'aurait dû penser à la priver : elle crée, elle affirme, elle avance... Le partage des rôles est-il inéluctable? Des milliers d'années de civilisation ont achoppé sur ces questions. La négation ou l'usurpation des rôles ont entraîné des dépenses infinies d'énergie, des souffrances et des errances qui continuent d'alimenter tous les jeux.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Depuis l'origine de la civilisation, la formation de l'État et la stratification sociale, et d'après Simone de Beauvoir, la plupart des :

"Législateurs, prêtres, philosophes, écrivains, savants se sont acharnés à démontrer que la condition subordonnée de la femme était voulue dans le ciel et profitable à la terre. Les religions forgées par les hommes reflètent cette volonté de domination... Ils ont mis la philosophie, la théologie à leur service " 270(*).

Le philosophe Platon a remercié les Dieux de l'avoir gratifié par deux méfaits : de l'avoir créé, d'abord, libre et non-esclave et, ensuite, homme et non-femme. Il a fallu attendre l'arrivée de Diderot et Stuart Mill pour faire accepter l'idée de la femme comme étant un être humain !

I - RÉALITÉ ALGÉRIENNE

Réalité vaste, complexe, foisonnante, l'Algérie est aussi (et pour l'étranger, d'abord) un symbole. C'est là simultanément sa conquête et son fardeau. Prétendre ne rien trahir ni rien omettre des multiples perspectives serait, dès lors, bien téméraire.

Aussi, cette recherche n'a-t-elle nullement eu la prétention d'appréhender ce pays dans son exhaustivité ni dans ses quantifications si propices, par ailleurs, aux illusions du savoir et à la reproduction des stéréotypes.

L'intention, ici, était précisément de recenser les clichés falsifiés, les images figées hors du réel. Je me refuse à entretenir la trop abondante imagerie de l'Algérie en me gardant du regard extérieur qui enferme l'Autre en deçà de lui-même.

Au contraire, j'ai tenté de proposer de l'Algérie une approche de l'intérieur et sur le monde du sensible : comprendre les logiques internes spécifiques en discernant les ambiguïtés et les contradictions inévitables engendrées par le choc des temps différents ; se garder de confondre ambiguïté et incohérence ; ne pas s'arrêter à la superficie des être et des choses en ne les voyant pas seulement par "l'écorce" et aller aux racines en suivant des cheminements, des continuités, en découvrant les paysages intimes, les horizons intérieurs qui composent la trame cachée de l'être.

C'est la terre et c'est le monde paysan qui composent, en Algérie, les profondeurs de l'être. Ce sont les intérieurs du pays qui modèlent, chez les Algériens, leur réalité et leur personnalité. C'est là aussi, dans les intérieurs du pays, qu'elle trouva refuge durant les temps sombres de la colonisation. C'est là qu'elle s'affirma et s'imposa.

Au-delà de la diversité des terroirs et des espaces qui composent ce vaste pays, au-delà de la diversité des modes culturels qui organisent ensemble le champ culturel algérien, complexe, certes, mais étonnement riche d'héritages autant que de potentialités, se dégage le fonds commun et s'affirme l'unité algérienne.

Unité d'abord dans la conscience d'être algérien, dans l'identité nationale qui se superpose toujours à l'appartenance régionale. Unité également dans la communauté de nombreux points d'ancrage, de permanence héritée du passé. Similitude des références intangibles sur quoi s'est bâtie la personnalité, sur quoi, aussi, s'élaborent les aspirations nouvelles du changement.

Ces horizons intérieurs communs, pétris d'humus, j'ai tenté de les approcher au travers de plusieurs thèmes essentiels à la construction de la réalité algérienne ; des thèmes qui sont aussi le lieu de bien des interrogations des étrangers sur les Algériens : famille, femme, relation sociale, Islam, lois, identité... Au-delà des diversités régionales, au-delà des différences de conception et de vécu, pour tout Algérien, ces mots recouvrent les mêmes significations et vibrent des mêmes larges résonances.

Afin de rendre plus perceptibles permanences et changements, de mieux saisir l'imbrication du passé profond et du présent novateur qui composent ensemble l'Algérie d'aujourd'hui, j'ai circulé, sans rupture de l'un à l'autre, tout au long des différents thèmes abordés.

Peu de peuples ont, autant que le peuple algérien, le souci du regard d'autrui. L'Autre, jamais n'indiffère. Si, dans le système éthique traditionnel, les échanges d'honneur et les conduites de pudeur revêtent autant d'importance, c'est parce que le regard de l'Autre (groupe ou individu) est doté de valeurs et aussi de pouvoir. Face à autrui, c'est à une véritable symbolique du regard que se réfère l'Algérien. Le regard, porteur d'influences bénéfiques ou maléfiques, est en soi une puissance. Par-là, il peut être transgression, appropriation, dégradation. Et le voile dissimulant les femmes, autant que les hauts murs des maisons aveugles, constitue aussi l'expression de cette extrême sensibilité au regard d'autrui.

Que cette sensibilité ancrée au plus profond de l'être, n'ait perdu, de nos jours, de son acuité et acquis, au contraire, un surcroît de signification, ne devrait pas surprendre. Car elle s'est, ô! combien, accrue des enseignements d'une histoire tourmentée qui prouve aux Algériens que le regard extérieur d'autrui leur a attribué un être falsifié qui construit d'eux même une image déformée, dégradée, une image qui leur soit intelligible, étrangère, extérieure, une image qui dérive en jugement.

Dans l'histoire des relations de l'Occident avec le monde arabe, en général, et de la France avec l'Algérie, en particulier, il y a toujours et encore ce regard porté qui ne se départit jamais de son extériorité en déniant à l'Autre sa logique interne et spécifique. Retranché dans cette position extérieure si proche de l'accusation, on n'en finit pas de jauger l'Autre au moyen de références et de critères tout à fait particuliers mais parés des vertus de l'évidence et de l'universalité.

Aujourd'hui, en France, on a sur la question de l'Algérie une opinion bien arrêtée, étayée, croit-on, par une information, sinon une "expérience", du pays et des hommes. De ce peuple, l'Autre prétend tout connaître ; or, il fait à contresens car ce pseudo-savoir, moulé dans le cadre étriqué et déformant de l'ethnocentrisme, n'est qu'appropriation, exclusion de l'être hors de lui-même, réduction à un schéma préétabli et falsifié..

À la différence de l'Asie ou de l'Afrique, l'Algérie est simultanément trop proche de l'Autre (la France) et trop éloignée de la triple distance de l'Islam, de l'arabité et d'une "histoire commune". Histoire commune, certes, qui, selon l'euphémisme consacré, a tissé entre les deux pays des "liens nombreux" mais aussi histoire singulièrement lourde d'antagonismes multiples qui projettent l'Algérie au premier plan de la susceptibilité de l'Autre.

L'Algérien focalise sur lui l'hostilité fantasmée. Campé tout proche, face à l'Europe méridionale, face à la France, il est, tout à la fois, l'arabe, le musulman, aujourd'hui, il est le terroriste qui viole et égorge femmes et enfants... Pour tout cela, il est désigné aux mythes et aux phobies que l'on conjure par le mépris, la haine puis la guerre.

La question de la relation à l'Autre se pose avec acuité toute particulière avec l'immigration. Elle déborde alors largement le cadre de l'État et des principes éthiques ou philosophiques pour toucher d'abord et directement chaque individu. L'Algérie a toujours eu pour souci d'affirmer son identité et sa spécificité, diamétralement à la différence anecdotique où elle fut si longtemps réduite. D'où la forte tentation d'un radicalisme figé dans l'idéologie arabo-islamique.

L'essor du développement, dans les années soixante dix, cache mal les zones d'ombre : un environnement mental et culturel déphasé, un discours identitaire non intégré à la dynamique socio-économique, une direction politique où l'esprit de changement était contrecarré, sinon vidé de sa structure, par ses propres atermoiements. En confondant essence populaire (de la Révolution) et populisme, on a donné naissance à un laxisme destructeur. Sous prétexte de faire place aux gens de peuple, on a sous-estimé les dangers de l'incompétence, les ravages de l'inculture, les fascinations de l'embourgeoisement et l'arrivisme.

Si grave que puisse être le degré de détérioration atteint par le pays, il n'est pas de remède miracle. L'unique issue réside dans un immense afflux de rationalité et dans l'avènement d'hommes capables de l'incarner rigoureusement. Pédagogie à long terme qui exige, pour chaque secteur, rien moins que de vrais fondateurs.

Il est devenu traditionnel, à notre époque, que les pays qui naissent (ou qui renaissent) à l'indépendance, proclament solennellement leur adhésion à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et aux principes de la Charte des Nations Unies. L'Algérie y adhère mais la pratique est autre.

Des institutions démocratiques existent, elles sont même proliférantes. Il n'empêche qu'elles font penser à des décors vides, l'esprit démocratique n'a pas suivi. Il ne suffit pas de donner une constitution, d'instaurer le suffrage universel (incluant le vote des femmes et des jeunes à partir de dix huit ans), d'élire des assemblées, de convoquer des congrès, pour faire exister la démocratie.

Le mot "réforme" est à la mode (réforme du système scolaire, réforme de la Constitution, réforme du Code de la Famille...). Mais, la réforme des réformes, celle qui touche au destin de la raison dans nos sociétés, est réduite à la position congrue, abandonnée, au mieux, à une institution universitaire qui n'échappe pas elle-même aux affres de l'interrogation quant au sens de sa mission et à la nature de ses perspectives.

Le "découplage" entre concept politique et concept rationnel devient routine, déchirure ordinaire. Le premier régresse alors dans l'autoritarisme le plus traditionnel tandis que le second, pris dans le gel identitaire, dépérit. Une intelligentsia de puissante stature se trouve dans son ascension. Ce qui lui tient lieu d'ébauche vit, malgré le nombre, sa marginalité. L'exil n'est pas celle de la misère mais un refus désespéré de l'irrationnel. Par parenthèse, un signe infaillible : non seulement rien n'est fait pour retenir les cadres mais leur départ, à la limite, réjouit.

Allergique aux lumières, l'obscurantisme, envisageant la formation sous l'angle unique du quantitatif et de l'instrumental et faisant fi des principes de base qui doivent sous-tendre une pédagogie se voulant moderne (conscience critique, jugement libre, pensée autonome) a éducoloré le projet éducatif, stérilisé et falsifié sa relation à la modernité.

Corruption et démagogie constituent les symptômes classiques du dysfonctionnement de l'État algérien. Avant d'être des vices que la morale condamne, elles sont les sous-produits d'un management qui se définit. Dès lors, le salut ne réside pas dans la morale (ou la théologie) mais dans un retour au rationnel. Il ne s'agit pas de remplacer un régime immoral par un autre plus conforme à la morale en attendant qu'il dégénère à son tour.

L'histoire algérienne ne manque pas de femmes prestigieuses qui, à un moment de leur vie, ont joué un rôle. Femmes réelles, femmes légendaires et qui, par-delà le temps, sont devenues des femmes mythiques. Mais, hélas, elles ont été oubliées, effacées et, dans l'inconscient collectif, ne subsistent que des images fugitives.

Parler des femmes qui ont fait leur destin, c'est les rendre présentes à la conscience. Elles sont alors un modèle dynamisant qui peut déclencher, en chaque femme, un désir de valorisation. Des femmes cloîtrées, voyant les femmes des associations manifester, ont souvent dit qu'elles admiraient leur courage, leur combativité mais, hélas, qu'elles ne pouvaient en faire autant. Elles reconnaissent que cela leur donnait un peu d'espoir et surtout un meilleur moral pour affronter la grisaille quotidienne.

C'est encore à des femmes comme Tassadit Yacine, Fatima Mernissi, Assia Djebbar, Naoual Al Saadaoui... que nous devons ces résurrections dont nous avons toutes besoin. Modèle d'identification qu'il faudra dépasser pour mieux affirmer notre identité. Le modèle doit aider à structurer sa personnalité mais ne doit pas aliéner. Tout le monde ne peut être une Kahina, une Fatma N'Soumer, une Djamila Bouhired ou une Zohra Drif... mais leur destin a une valeur d'exemple qui peut donner un sens nouveau à la lutte des femmes. Toutes ces femmes qui ne sortent pas des contes des Mille et une nuit ont réellement existé et ont revendiqué des droits essentiels. La liste des femmes célèbres non seulement par leur beauté mais par leur intelligence serait trop longue.

Face à la colonisation française, ce sont encore des femmes qui font parler d'elles et, en particulier, Fatma N'Soumer. Ce qui frappe en elle, c'est la prise de conscience et non-sens affirmé du droit. Pieuse, patriote, intelligente, elle était un modèle de son vivant. Elle a organisé la résistance contre les troupes françaises. Elle a galvanisé les populations. Chef prestigieux, elle a combattu jusqu'au bout de ses forces. Femme du peuple amazigh, elle est entrée dans la légende comme tant de femmes.

Djamila Amrane, combattante de la révolution, a consacré un livre aux "bâtisseuses de la liberté" : Les femmes algériennes dans la guerre. Elle dit :

"L'engagement des militantes est peut-être le phénomène le plus extraordinaire et l'une des données décisives de la guerre d'Algérie. Rien pourtant ne laissait présager que l'Algérie des années 50, à la fois méditerranéenne, berbère, musulmane, colonisée et par-là même prisonnière d'un statut contraignant, puisse prendre part au combat (...).

La répression n'a pas fait de différence entre les sexes...Les prisons se sont remplies de femmes de tous âges... une maquisarde sur quatre est morte au combat" 1(*).

On ne peut s'incliner devant tant de souffrances. Ces femmes sont allées jusqu'au sacrifice suprême pour que L'Algérie soit libre. Des milliers de femmes sont des battantes : des Kahina, des Hassiba Ben Bouali et tant d'autres. Toutes issues de familles traditionnelles et qui, à un moment de leur existence, ont fait l'histoire et sont entrées dans l'histoire.

Et pour éclairer cet avenir dont parle la regrettée Anna Greki :

"Voilà Hassiba Boulmerka, notre championne olympique du 5 000 m portant haut l'honneur et l'espoir des femmes algériennes" 2(*).

Elle a crié une phrase superbe, porteuse de promesses : "Oui, c'est ça, l'Algérie! ", l'Algérie des femmes courageuses porteuses d'un idéal de liberté. Par l'écriture, par la fiction, des femmes-écrivains ont donné une présence, une voix à ces femmes. Femmes prestigieuses, femmes d'engagement, chacune affirme son existence à sa manière.

Oui, ces femmes appartiennent à la mémoire collective : femmes réelles devenues femmes de légendes, elles ont été sublimées dans l'inconscient collectif. Ces femmes ont revendiqué leur espace, leur parole confisquée, leur histoire. Le temps de ces femmes est le temps de toutes les femmes. Nul n'a le droit de nous priver de ces emblèmes. Leur histoire rejoint la nôtre et nous devons les approprier non comme une image mythique et figée mais comme un exemple dynamisant, structurant notre identité. Elles ont été dans le temps et hors du temps.

Chaque vie de femmes est une histoire. Combien de fois n'ai-je pas entendu des femmes me dire : "Si je te racontais ma vie, il y aurait de quoi remplir plusieurs livres". Il n'y a donc là rien d'exceptionnel. La vie de chacune de ces femmes est, en fait, une histoire non de ce qu'elles ont fait et subi mais l'histoire de ce qu'elles n'ont pu dire, tout le non-dit porteur de révoltes profondes. Ces femmes m'ont encouragée dans ma recherche et m'ont demandée d'écrire ce qu'elles éprouvent...

Faut-il parler, dire, écrire ? N'y a-t-il pas là une nécessité vitale, nécessaire à l'équilibre ? Tout le monde ne peut pas écrire mais il y a toujours, à un moment ou à un autre, quelqu'un qui en sent le besoin et qui raconte... raconter sans fin... Et alors, se crée une sorte de solidarité, de communauté. Les autres femmes prennent alors conscience de leur condition. Est-ce un remède ? La communauté des malheurs peut-elle aider ? L'expérience des autres peut entraîner une réflexion sur soi, une compréhension des mécanismes qui, peu à peu, ont aliéné la femme.

Toute vie n'est pas forcément un échec mais il y a plusieurs façons d'assumer cet échec : soit il développe l'agressivité, soit, au contraire, il est porteur "d'une information qui a pour effet d'intégrer l'acte en question dans le système dynamique de la tâche à accomplir ou bien de l'en éliminer" 1(*).

Comment être soi-même avec les autres qui refusent que vous le soyez ? Le dilemme est terrible et souvent décourageant. N'y a-t-il donc pas d'issue ? Le silence dans lequel l'on "enferme" les femmes empêche tout dialogue et nie toute existence. Il faut parler. Comment l'Autre peut-il savoir, connaître vos pensées, vos besoins, vos souffrances, si vous n'en parlez pas ? Et cela est valable pour le partenaire. Les deux personnalités sont écartelées et il serait égoïste de croire que seule la femme subit le poids des contraintes sociales.

On peut dire que la domination masculine a forgé un type de femmes qui fait fonctionner le système de domination. Effacement du corps, effacement de l'intelligence, confiscation de la parole, sacralité de l'écrit ont complètement aliéné les femmes. Lorsqu'elles prennent conscience des conditions objectives de leur oppressions, elles ne peuvent rester indifférentes.

Avec la démocratie et la multiplication des associations qui investissent le champ social, on est interpellé par la charge explosive des discours féminins. S'il y a violence, c'est qu'il y a eu violence quelque part. Les femmes parlent, osent parler malgré les menaces de mort qui pèsent sur elles et s'installent dans la société civile (plus de dix députées à l'Assemblée Nationale, toutes issues du mouvement associatif). Leur présence dérange parce que cette image de femmes prenant la parole en public a peu existé. Mais peu à peu, l'image s'intègre et, à l'image de la femme silencieuse, soumise, se superpose l'image d'une femme militante.

Certes, les discours féminins sont porteurs de changements et la femme est ainsi un fil conducteur par lequel passe le transfert des signes, la mutation d'une identité car elle offre la possibilité de se confronter à la différence en soi et par rapport à l'autre.

"Avec la parole, une autre femme naît qui refuse les images, les symboles, le langage qui l'ont aliénée depuis des millénaires. Une femme sans voix est une marionnette. Elle n'existe pas. Elle n'a pas de réalité. La transgression est une victoire sur le tabou, "sur la peau tatouée" " 1(*).

Grâce à la force du verbe, la conscience identitaire donne présence à un corps, à une voix, à une personnalité totale. La prise de parole s'établit de nouveau et répond à un besoin sacré de la nature humaine.

La femme algérienne moderne existe et avance malgré les forces de régression. Elle n'est ni occidentalisée, ni mécréante : elle revendique seulement une existence à part entière. C'est un problème de dignité. "Maintenant n'est plus comme avant", disent certaines femmes interrogées.

II - RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES.

A - LA FEMME ET LES TEXTES

Ibn Rushd (1126-1189), l'un des plus grands philosophes et savants arabo-musulmans et le percuteur du rationalisme moderne, tenta de sauver l'exercice de la raison, de la science des fouqahas anti-rationalistes et des autocrates (ses oeuvres finissent au bûcher et lui fut condamné à l'exil). En effet, il a opéré une distinction entre la vérité religieuse basée sur la foi et la vérité scientifique qui ne peut être saisie que grâce à une démarche philosophique rationnelle. Pour lui :

"... Ce sont les théologiens qui "brouillent" les cartes en voulant à tout prix "interpréter" les textes révélés, mélangent (...), engendrant une multitude de sectes qui déchirent l'Islam,( ...) " 271(*).

Mais loin d'opposer la religion et la philosophie, Ibn Rushd démontre que l'une et l'autre, n'ayant ni les mêmes fins ni le même public qui empruntent des voies différentes, n'ont pas à être comparées, ni a fortiori opposées.

Les maîtres de l'ordre néopatriarcal n'ont jamais tenté de mettre à l'abri les fouqahas, les islamistes et leurs émirs égorgeurs, "l'usage de la raison", la pensée critique - qui est la négation des traditions -, la science et les femmes. Ces dernières sont pour eux la cause principale de tous les maux de la société algérienne. Ce qui a amené Mostefa Lacheraf à noter que l'Europe avançait, le monde musulman et l'Algérie ne cessaient de reculer,

"Pour, en définitive, se voir en cette fin du XX ème siècle, le dos au mur, frôlant par intégrisme interposé, "l'âge théologique" qui est synonyme, dans les faits cruels et primitifs vécus par l'Algérie depuis 1991, d'âge des cavernes" 1(*)

En Algérie, les pratiquants sont bien armés de hadiths (tradition, interprétation des paroles du Prophète), pour justifier l'asservissement de la femme. Cette conception de la femme est reprise par le sociologue Boutefnouchet, qui est membre du Conseil Supérieur Islamique, en 1979 dans son ouvrage sur la famille algérienne sans analyse critique. Pour lui, les rôles de la femme sont régis par les principes fondamentaux qui l'obligent à :

q "Préserver son intégrité physique et morale afin de rester pure et sa famille pure de toute souillure ;

q Assurer l'important fonctionnement et entretien de la famille où vivent plusieurs personnes ;

q Gérer les réserves alimentaires et leur préservation en les faisant durer plus longtemps que possible, faire la cuisine, laver le linge, élever les enfants ;

q Jouer son rôle de mère : en étant féconde, en donnant à sa fille la meilleure éducation et à son fils la plus grande affection et la meilleure protection maternelle" 2(*).

Pour Boutfenouchet, la femme algérienne ne doit être effectivement considérée que comme Algérienne conformément à son histoire, son expérience, sa situation et son projet.

Et notre "érudit" aborde deux problèmes fondamentaux de la Sociologie de la famille algérienne : l'apartheid sexuel et la claustration des femmes. Cependant, il ne les mentionne que pour réfuter la notion de :

"La femme algérienne cloîtrée parce qu'elle a souvent été utilisée par les féministes, terme que le sociologue ne peut utiliser du fait qu'il implique un jugement et le jugement, seule la loi du pays peut l'effectuer" 1(*).

Poulain de la Barre, le féministe français du XVII ème siècle, a déjà répondu à Boutefnouchet 1(*).

En 1986, dans Les Algériennes au quotidien, Souad Khodja écrit :

"... Non seulement les hommes ne veulent pas entendre parler de ce problème mais ils ne peuvent guère le disséquer de façon positive et impartiale, le sort intolérable des femmes étant tellement entré dans les moeurs, par le biais de coutumes millénaires, (...)"2(*).

L'ignorance des hommes de la souffrance des femmes constitue un élément même du problème féminin en Algérie. Jusqu'à la constitution d'associations féministes à partir de 1989, ce problème n'était posé "publiquement que par l'absence ou le silence de l'élément féminin". Cependant (et malgré l'hostilité des maîtres de l'ordre néopatriarcal et des législateurs), il est posé en privé par d'innombrables femmes de tous les âges et de tous les milieux et particulièrement par des jeunes filles et des jeunes femmes 272(*).

La Charia, telle qu'elle est comprise et interprétée, est en contradiction avec la notion de la modernité. Ainsi, la Charia, comme toutes les traditions des autres religions monothéistes, peut être interprétée et invoquée pour promouvoir l'émancipation et l'épanouissement des femmes ou pour les maintenir dans une condition dégradante qui rend leur existence sur terre mutilée.

La constitution garantie la liberté de la femme algérienne mais les maîtres de l'ordre néopatriarcal persistent à refuser de l'appliquer au statut personnel (Code de la Famille). Théoriquement, elle est non seulement l'égale de l'homme mais aussi une citoyenne libre de ses mouvements, responsable de son comportement et de ses actes. Cependant, en dépit de son droit à l'instruction dès l'âge scolaire (6 ans) et son droit au travail en tant qu'adulte en dehors du domaine privé où elle a été et continue d'être cloîtrée par les hommes au nom de la tradition, les pouvoirs publics font preuve d'inertie à son encontre.

La conquête de certains espaces publics par des jeunes filles et des femmes en même temps que des conséquences pointues sur leur existence et souvent aussi sur celles de leurs familles impliquent également des risques et des dangers. Car une société néopatriarcale est une "jungle" dominée par des hommes prédateurs

se plaçant au-dessus des lois et même de la morale publique et qui considèrent les femmes comme leur proie acquise. Ce qui explique l'apparition des grossesses hors mariage, des mères célibataires, du mariage tardif et du célibat des femmes en Algérie.

Les vigiles de l'ordre patriarcal et les défenseurs des patentés des traditions arabo-musulmanes, effrayés par l'évolution et l'émancipation de la femme parce qu'elle remet en cause à la fois "l'apartheid" sexuel et sa séquestration au foyer, au lieu de les protéger contre les prédateurs, s'acharnent à les rendre seules responsables de "fasâd" (ou la dissolution des moeurs) et à les désigner à la vindicte publique, s'appuyant pour cela sur des déclarations misogynes telle que celle-ci d'Ali Ibn Abu Taleb, le dernier des califes.

Cela explique, selon Jacques Berque : un fin observateur de la culture arabo-musulmane contemporaine, pourquoi la conception sociale populaire des arabo-musulmans ne considère "la femme que comme un être livré à ses seuls instincts, perfide envers les hommes, résidu des pêchés des démons". Et l'auteur ajoute que :

"Dans la famille n'est objet d'amour et de respect que la femme dont le statut maternel,... s'associe aussi à l'idée d'une désexualisation qui l'écartera désormais du préjugé de la "femme démon" ancré dans la tradition arabo-musulmane" 1(*).

En réalité, ce sont les hommes qui deviennent, dans une société patriarcale comme la société arabo-musulmane, esclaves de leurs instincts sexuels. Dès leur jeune âge, on leur inculque l'idée que les filles, qui ne sont qu'un objet sexuel, doivent être conquises et séduites à tout moment et partout. Mais on enseigne le contraire aux jeunes filles. Pour elles, les rapports sexuels hors mariage sont inconcevables. Une fois mariée, la jeune femme doit rester fidèle à son époux qui, lui, est autorisé par le Coran et la Charia à se marier avec quatre épouses et à avoir un nombre illimité de concubines. En un mot, ce sont les hommes qui sont "roués" et sexuellement immoraux, voire même débauchés en raison de leur socialisation primaire.

Aujourd'hui, beaucoup de fouqahas et d'islamistes préfèrent persécuter, voire même éliminer, les femmes pour les empêcher de s'émanciper, de s'instruire, de s'autonomiser et de s'autoriser à disposer d'elles-mêmes.

Mais, en dépit de ces pressions, beaucoup de progrès ont été réalisés. La conquête de certains espaces publics est irréversible. Ce qui représente un pas décisif vers une ultime libération de l'Algérie toute entière de l'ordre néopatriarcal "modernisé". L'instauration de cet ordre a tenu et continu de "tenir".

La plupart persistent à se laisser mentalement enfermer dans "une prison symbolique" tout en tenant leur rôle de "geôliers" des femmes libérés de leurs préjugés anti-féministes, agissent ensemble pour le changer. Car, sans une émancipation réelle de la femme algérienne, l'Algérie ne pourra jamais conquérir les moyens de sa liberté pleine et entière de sa prospérité et de sa présence effectuée dans le concert des nations modernes, indépendantes, démocratiques et dignes.

B - LES ASPIRATIONS DES FEMMES À LA MODERNITÉ ET AU PROGRÈS ET LEUR REJET DES INTERDITS

Les aspirations des femmes à la modernité et leur révolte contre le statu quo imposé par la société néopatriarcale ont été exprimées par les interviewées rencontrées ou dans l'excellente étude d'Hélène Vandevelde-Baillière montrent que les aspirations les plus fortes des femmes rurales, urbaines, lycéennes, étudiantes, travailleuses et femmes au foyer expriment le désir ardent de "sortir de leur condition actuelle" : désir de prendre en main leur destin elles-mêmes d'où cette soif d'apprendre et d'être plus libre... Il y a donc là une tendance unanime de la population féminine : la volonté de changement que l'on attend de soi-même et les connaissances à acquérir.

Pour les jeunes femmes ayant fait des études, l'accent est mis sur "avoir une activité professionnelle, sociale, politique". Elles veulent donc participer dans la vie publique en tant qu'agents sociaux (pour éviter le sort de leur mères : cloîtrées au foyer et condamnées par les hommes et les traditions aux travaux forcés domestiques à perpétuité !). Les autres acceptent leur destinée (mektoub : la fatalité) et souhaitent que les générations après elles aient une situation meilleure et relèvent le défi.

 

La prise de conscience de leur condition est telle que la majorité des femmes interrogées ont exprimé leur ardent désir d'être des femmes évoluées et modernes. Elles font la distinction entre la pratique religieuse et les prohibitions des fouqahas qui ont donné une mauvaise image de l'Islam, religion de tolérance et de miséricorde. La plupart d'entre elles considèrent comme fondamentales la pratique de la religion et la fonction féminine au sein de la famille. La famille est l'élément fort qui revient et pour laquelle elles acceptent leur résignation, le respect... Par contre, tous les interdits et tabous (absence de sortie, instruction limitée, mariage précoce, voile, effacement...) sont rejetés.

Les femmes ont pris conscience de leur mise à l'écart systématique et d'une volonté délibérée dans certains milieux conservateurs de recours à l'application de la Charia conçue par les fondamentalistes comme un puissant moyen pour entraver leur émancipation inéluctable. Ainsi, prises entre deux tendances contradictoires : d'une part, la leur, celle qui les pousse vers l'indépendance et la modernité et, d'autre part, l'emprise extérieure de la société qui cherche à les rendre plus soumises par diverses pressions faisant jouer le respect de la religion, l'honneur de la famille, les traditions saines en face de l'Occident utilisé comme la source de pollution mortelle de l'ordre néopatriarcal, les aspirations universelles à la liberté, à l'égalité, à la justice, à l'amour, au bonheur, à la dignité, au respect, à l'épanouissement de l'individu et à la transcendance de sa condition par la culture, l'art... car les us et coutumes berbères et arabo-islamiques emprisonnent les femmes préventivement à perpétuité.

En ce qui concerne le voile, qui est l'extension de la claustration de la femme au domaine public en tant que substitut symbolique des quatre murs entourant la demeure familiale, la majorité des femmes kabyles ne souhaitent pas être voilées. Quant à certaines jeunes, si elles se voilent (du moins portent le foulard islamique), c'est pour se protéger, pour qu'on ne les dévoile pas (dans leur fort intérieur), parfois par conviction religieuse ou parce que les membres de la famille sont des pratiquants fervents de l'Islam... Ce phénomène de conformisme social est expliqué par les femmes elles-mêmes : c'est le "qu'en dira-t-on" qui effraie beaucoup plus que le fait d'être dévoilée.

Pour contraindre les femmes à porter le voile islamique, les islamistes répandent dans toute l'Algérie que les femmes non-voilées ne sont pas sérieuses, qu'elles sont des mécréantes, des pro-européennes et seront exterminées. Beaucoup de jeunes femmes se sont mises à uniformiser leurs tenues (foulard cachant les cheveux et les oreilles, longues djellabas, pas de maquillage...). Tous les déplacements des femmes sont surveillés. Participent à cette surveillance, en dehors des parents, des frères, des cousins, des voisins, le quartier, les amis, les commères..., "Monstrueux gendarmes", selon l'expression d'Assia Djebbar, qui font et défont "les réputations".

C - DÉTERMINATION DES FEMMES À SORTIR DU DOMAINE PRIVÉ

En dépit des pressions sociales ambiantes, les femmes, en majorité écrasante, veulent se soustraire à cette condition carcérale de femmes enfermées au foyer et à l'isolement qui en découle. Pour s'en sortir, elles ne voient qu'un seul moyen : apprendre un métier ou étudier très dur pour décrocher les diplômes nécessaires leur permettant d'exercer une profession dans le domaine public. Le travail leur offre une certaine indépendante qui oblige les hommes à les laisser accéder à une place dans la société, susceptible de leur permettre enfin de s'imposer en tant qu'être humain.

Quel que soit leur âge, elles disent :

"... Je veux travailler, il n'y a pas que la maison, on n'apprend rien à la maison, je veux que ma fille réussisse dans ses études pour avoir une bonne place, il faut des femmes dans le gouvernement, dans les entreprises...., je ne veux pas que mes filles restent dans l'ignorance à reproduire ma vie, je les laisse sortir, le Code de la Famille doit changer...".

D- TÉNACITÉ DES FEMMES À AVOIR LEUR PLACE DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE

Les femmes ont pris conscience du fait que la société algérienne actuelle est organisée (ou plutôt mal organisée) par les hommes à leur détriment. Elle n'est pas formée en fonction des besoins féminins. Elle est structurée par et au profit des hommes.

E- DE LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT

Les détenteurs du pouvoir, les forces conservatrices n'ont pas cessé, depuis l'indépendance, de contrecarrer les aspirations les plus légitimes et les plus profondes des femmes. Le cas du rejet de loi portant sur le Code de la Famille actuel montre l'insensibilité des gouvernants au problème de la femme.

Néanmoins, les "mutations" admises, au lieu d'adopter une approche émancipatrice et innovatrice, justifiées par les lois conforme aux articles 29 et 31 de la Constitution en vigueur, les auteurs de cet avant-projet de loi ont préféré placer la famille algérienne hors du temps et de l'espace. Ce qui a réduit leurs amendements à quelques détails d'ordre technique.

Tout cela vise à "garantir le maximum de protection" à la famille. Hélas, cette "protection de la famille" en question a toujours été faite au détriment de la femme, condamnée ainsi par les sacro-saints us et coutumes "islamiques" non seulement aux travaux forcés à perpétuité, mais aussi maintenue dans une position d'infériorité où la polygamie, le tuteur (walî), l'obligation unilatérale de l'épouse de respecter son mari en sa qualité de chef de famille... violent le principe d'égalité entre les deux sexes.  

La Charia est-elle réellement compatible avec "la modernité" et ses exigences ? La modernité occidentale (à laquelle les sources arabo-musulmanes ont servi de fondement) est la résultante de la libération de la raison et de la science, de la tutelle de la foi et de la théologie sur laquelle les algériennes se basent.

F - LES FEMMES, LE FÉMINISME : QUEL AVENIR ?

Le mouvement féministe a très largement (avec quelques exagérations ? Un mal nécessaire ?) redéfini les identités féminines et masculines autour de nouveaux repères qui ne sont plus liés à la fécondité. Les relations au sein de la famille conjugale ont été réaménagées : droit au travail des femmes, partage des responsabilités et des tâches au sein du couple, protection de la famille monoparentale.

Beaucoup reste à faire, encore, pour aboutir à une famille conjugale débarrassée des résistances de la famille patriarcale. La lutte pour la parité dans le système de décision politique, par exemple, demeure encore un combat à gagner. L'État républicain cesserait alors d'être une sorte de super-famille patriarcale qu'il est encore de façon souterraine.

L'éclatement de la famille matrio-patriarcale en deux types de familles, néopatriarcale et néoconjugale, est signe de résistance ou même de régression à des formes atypiques qui ne peuvent survivre encore très longtemps. D'abord, la scolarisation et l'emploi féminins, ensuite, le développement d'un fort mouvement féministe et, enfin, l'existence minoritaire mais bien réelle de familles conjugales tracent les contours d'une mutation de la famille traditionnelle maghrébine vers une famille conjugale.

Les affrontements violents qui se déroulent actuellement ne seraient-ils finalement qu'un moyen de redéfinition des identités du père et du fils et, partant, de la belle-mère et de sa bru ? Ceci est, essentiellement, le contenu du combat du mouvement féministe algérien. Ne passe-t-il pas, d'abord, par la construction d'une nouvelle façon "d'être femme, algérienne?". Devenir un sujet autonome, naître des limbes du nous collectif, étouffant et régressif, cesser d'être mère de garçon/belle-mère pour devenir femme autonome, mère, citoyenne et travailleuse. La lutte politique pour une société moderne et républicaine devient, alors, un passage obligé.

C'est pourquoi, aujourd'hui, la résistance active à l'intégrisme et au conservatisme, l'amendement des articles les plus humiliants du Code de la Famille, l'assistance psychologique et juridique aux femmes victimes de violences et le développement d'un discours émancipateur des femmes deviennent les actions prioritaires à mener par les femmes démocrates et républicaines.

Dans la vision intégriste de la famille, il s'agirait de faire triompher la primauté de la relation affective privilégiée liant le fils et la mère. Le patrilinéaire, puni, d'une certaine façon, pour n'avoir pas su défendre son statut et son rôle de gardien de la tradition.

Ceci en vue d'empêcher la constitution et le renforcement des repères identitaires individuels structurant le sujet de droit et se trouvant donc à l'origine de la construction de toute société moderne. Ceci signifiant le passage d'une société féodale et tribale à une société républicaine basée sur la mise en place d'un État de droit et fondée sur les droits de l'homme. C'est cette problématique qui semble se cacher derrière les faux discours politiques, ne pouvant se dire clairement car irréalisable et inacceptable aussi bien de manière psychanalytique, sociologique et politique.

Cette résistance au changement traduit bien l'affrontement entre deux types de sociétés : une traditionnelle qui meurt et une moderne organisée autour du sujet de droit qui s'installe progressivement et sûrement car cela va dans le sens de l'histoire et de la normalité psychique.

F - PROGRÈS ET REMISE EN QUESTION

Féminin... Féminisme... Féminité... Ces mots martèlent un fait majeur qui marque la transformation de la société en ce XXI ème siècle. Je n'ai pas mesuré davantage l'incidence de cette révolution que celle de la révolution technologique qui a bouleversé le mode de vie et l'organisation sociale des algériennes.

L'arrivée des femmes dans le champ de la vie publique et la conquête de l'égalité, comme la révolution technologique, s'appellent des progrès. Mais, comme tout progrès, ils n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un projet humaniste. Un tel bouleversement crée des effets contraires que l'on appelle "crise" et c'est alors que les questions affluent. Existe-t-il une cause des femmes en Algérie ? Quel serait le destin de ces Algériennes ? Quelle relation construire avec les hommes ?

Oui, il existe une cause des femmes parce qu'elles ont une identité féminine. Leur premier combat politique vers l'égalité se mène en revendiquant leurs droits, l'uniformité avec les hommes. Il restera une autre étape qui sera la reconnaissance d'une différence entre les hommes et les femmes. L'un n'est pas l'autre. Certes, Simone de Beauvoir dit que : "on ne naît pas femme, on le devient", cela est valable pour les Algériennes pas pour les Occidentales. Mais il s'agit de retourner cette différence en force supplémentaire car les femmes y puiseront la capacité d'innover, de créer d'autres modèles de pouvoirs, de société, d'autres modes de vie. Il est de notoriété publique et universelle que les femmes sont le bras séculier du progrès et sont actrices de leur destin.

Les premières conquêtes des Algériennes ne se sont pas réalisées au nom des droits. Elles n'ont pas encore obtenu les lois escomptées, c'est pourquoi pour le moment, les femmes algériennes ne peuvent assumer leur féminité. Elles demandent aux hommes de les regarder comme une égale, pour cela, il faut changer les mentalités. Il existe une cause des femmes parce qu'elles sont opprimées, muselées par l'intégrisme, les conservateurs, cloîtrées par leurs hommes et leurs traditions.

L'avènement de la démocratie passe par les femmes, leurs promotions et l'éducation des enfants, par le contrôle de la natalité, par l'identité... Pourtant, avoir une identité signifie exister en dehors de son statut, c'est privilégier le paraître et son avenir... La consolidation de l'identité passe par une connaissance de soi, une capacité à vivre autonome, à trouver en soi les ressources pour continuer à progresser, à se développer... Le progrès ne peut s'inscrire que dans des projets. Or, les Algériennes doivent lutter pour progresser et évoluer.

La dialectique est le mouvement d'opposition de contraires en lutte dans la réalité naturelle et sociale pour donner un terme qui les réconcilie en les dépassant. La dialectique est le devenir même de la nature et de la société selon la loi des Oppositions successives et des Contradictions surmontées. Le mouvement de l'Esprit n'est que l'expression consciente d'elle-même, du mouvement des choses. Tout cela va être synthétisé par F. Engels dans ses fameuses quatre lois.

q La première, celle de l'Interaction, affirme :  "Tout est en liaison et en interaction" ;

q La seconde, celle du Mouvement dit : "Tout est mouvement et change" ;

q La troisième, celle de la Conversion par bonds : "les changements quantitatifs se transforment en changement qualitatif" ;

q La quatrième, enfin, celle de la Lutte des Contraires, affirme : "c'est cette lutte qui fait le mouvement".

Le sous-développement ne peut être réduit au seul état économique d'un pays et caractérisé par la pauvreté. Il concerne aussi et surtout les psychologies, les moeurs, les attitudes... c'est-à-dire les mentalités qui, d'ailleurs, ne sont pas semblables ou homogènes dans une même société mais majoritairement inadéquates à tout progrès humain. Cela va, je l'ai décrit, jusqu'à l'existence d'une véritable rationalité parallèle à la raison universelle et dont les performances sont insuffisantes aussi bien au niveau de la connaissance qu'à celui de l'action. Cette raison que certains auteurs ont appelée "paramagique" est une constituante majeure des mentalités dominantes en Algérie et dans le Tiers-Monde.

Mais, dans ces mentalités, on observe souvent l'absence ou la pauvreté des Valeurs et des Représentations du monde, celles qui sont nécessaires à la régulation sociale et au parfait discernement du Bien et du Mal. Autrement dit, il s'agit bien d'une déficience au niveau des morales et de la morale, règles de conduite qui régissent une société.

J'ai, dans ce travail, tenté de voir quels étaient les rapports possibles entre le sous-développement et l'état des mentalités en vigueur en Algérie d'aujourd'hui. J'ai pu, ensuite, décrire les nombreux caractères des mentalités observées, constituées par des croyances, des habitudes, des attitudes, des dispositions, des opinions, des préjugés, des idées, des valeurs et des représentations. Pour cela, j'ai volontairement procédé à de nombreux rappels de notions élémentaires, en vue d'éclairer les diverses problématiques posées. J'ai également poussé les descriptions et les comparaisons à leurs limites et cela dans un dessein purement rhétorique. J'ai retracé le vécu des femmes, de leur espace et celui du temps.

Aujourd'hui, avec le recul et l'éloignement, Je comprends un peu mieux les femmes algériennes, je les ai écoutées en acceptant leurs différences, elles n'ont pas besoin de moralistes (des intégristes ou de personnes comme moi ou de militante...) mais de personnes actives, de femmes de terrain, du concret (comme l'abrogation du Code de la Famille). À toutes les femmes (femmes militantes, intellectuelles, députées, écrivains) pour bien les représenter, leur donner la parole, de les faire exister, de ne pas brasser du vent ou d'ignorer leur condition car nous sommes des privilégiées, loin de leur réalité, disons plus occidentalisées. Ainsi disent-elles : « nous changerons notre situation, ouvrirons la voie aux générations futures pour construire la société de demain »..

Toute femme est dépositaire d'une pépite d'or authentique qui lui permet d'illuminer la vie humaine, la sienne et celle de l'homme, à condition qu'elle veuille bien se donner la peine de la révéler. "Toute femme est porteuse d'un soleil". Une compréhension intime, originelle permet à la femme d'accéder au coeur d'elle-même, à son essence, à une émanation d'ordre subtil. La flèche de développement de la femme ne va pas seulement de l'intérieur dans l'affirmation de son identité. Au moment où les valeurs ont besoin de refleurir dans les déserts du confort et du stress, un visage de femme se dessine en pointillé dans le schéma du futur, il inspire et introduit les changements de valeurs dans la civilisation.

Ce centre peut se définir à la manière de Jung comme la mise en résonance avec  ce "soi" qui est connaissance, transcendance et totalité. Pour l'atteindre, il faut traverser les couches du moi et cesser de s'identifier à sa personnalité. C'est le travail long et complexe de la réalisation de soi.

Les multiples sources d'excitation nerveuse, de sollicitations et de distractions de notre civilisation rendent plus que jamais nécessaire ce recentrage que toute l'éducation, puis toutes les nécessités sociales, tendent à nous faire perdre. Les religions tombent en lambeaux usés et la morale chancelle faute de bases. Crise de valeurs. Il faut tout réinventer, ou plutôt tout retrouver, à partir d'une authenticité interne.

Déjà, le combat féministe paraît d'arrière-garde et les femmes actuelles sentent d'instinct, sans même y réfléchir, que cette étiquette ne sert pas leur séduction. Chaque femme porte en elle les stigmates de la longue histoire de la femme et en une seule vie doit retraverser plusieurs étapes. La mémoire et la conscience sont des atouts précieux pour connaître et éviter des écueils déjà connus. Le rapport à l'homme est l'histoire principale qui se joue pour chaque femme, du père à l'amant, à l'époux, au fils, à l'ami, au collaborateur. Et ce rapport que chacune essaie de mener à bien à sa manière comporte un fond commun de luttes et de guerres qui est la racine de beaucoup de souffrances individuelles et sociales.

Toutes ces femmes kabyles qui disent "Nous n'avons peut-être plus besoin d'être féministes mais nous avons énormément besoin d'être féminines, de mieux cerner et affirmer nos valeurs féminines. Le rôle de la femme n'est pas de revendiquer un droit ou une liberté (et pourtant... la femme algérienne le fait) dont nul n'aurait dû penser à la priver : elle crée, elle affirme".

Le partage des rôles est-il inéluctable ? Des milliers d'années de civilisation ont achoppé sur ces questions. La négation ou l'usurpation des rôles ont entraîné des dépenses infinies d'énergie, des souffrances et des errances qui continuent d'alimenter tous les jeux.

La femme algérienne, aujourd'hui porte la trace de ces mutilations, elle se relève encore incertaine, tente de se persuader et de persuader son entourage de sa valeur mais elle n'a pas encore revivifié sa force intérieure. Elle doit se remettre en contact avec son creuset solaire. La femme soumise était le portique d'une civilisation du sacrifice, la femme algérienne d'aujourd'hui, ouvre sur une civilisation éclairée.

POÈME

SILENCE ET PAROLE

Cette poésie de Djoher Amhis 273(*) reflète nos pensées, nos convictions, notre lutte... et ce que toutes les femmes nous ont dit lors de nos rencontres, de nos discussions et de nos entretiens.

Cette femme écrivain a écrit ce que l'on a envie de crier fort.

Ne m'enfermez plus dans le passé colonial

Laissez-moi danser sans me dire que c'est de l'exhibitionnisme

Laissez-moi exprimer mes idées sans me parler de l'aliénation

Laissez-moi parler de moi, sans me dire : c'est tabou

Laissez-moi parler de mon pays sans me dire que c'est de l'exotisme

Laissez-moi ! Laissez-moi avec mon moi ! Avec mon moi retrouvé

Laissez-moi

Être

Être

Être

Laissez-moi chasser ce regard qui veut

Censurer

Aliéner

Étouffer

Tuer

Laissez-moi chasser ce regard qui empêche de vivre...

Être soi dans le présent

Être soi dans l'avoir

Être soi toujours...

Je n'ai plus besoin de personne pour prouver mon existence...

Je suis... je suis moi.

Je n'existe plus par rapport aux autres

Qu'ai-je à prouver ?

Et pourquoi prouverai-je ?

Quoi ? Au nom de quoi ?

Effacés les autres !

Être à nouveau ensemble

Je suis coincée dans une image

Je suis prisonnière d'un langage

Les mots m'empêchent d'exister

Les mots de domination

D'aliénation

De mort.

Femmes, vous ne marcherez plus sur vos larmes

Les larmes de l'injustice

Les larmes de la douleur

Les larmes de la mort

Femmes, vous essuierez vos larmes

Pour la paix

Pour la liberté

Pour l'amour

Femmes, vous pleurerez de joie

Pour la terre retrouvée

Pour la terre de vos enfants

Pour un avenir de bonheur

Ils m'ont dit des mots-prisons

Pour me fermer les yeux

Pour me fermer la bouche

Pour m'enfermer

Ils ont créé des mots nouveaux

Des mots à eux

Des mots-dicktat

Pour m'enfermer

Pour m'anéantir.

Ils ont nié les mots vrais

Les mots-vérité

Les mots authentiques.

Ils ont falsifié l'histoire

Ils ont étouffé la culture

Ils ont rejeté

L'histoire

La culture

L'identité

La personnalité

Mais,

Moi, je suis là avec mes mots-liberté,

Mes mots-vérité

Mes mots à moi

Mes mets-moi.

Djoher AMHIS,

Alger,

Septembre 1992.

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q MINAHEM G., "Les mutations de la famille et les modes de la force de travail", In Revue L'homme et la société, n° 51-54, janvier-décembre 1979, Paris.

q MOATASSIME Ahmed, "L'Islam et Développement", In Revue Tiers-Monde n° 92.

q PONTALIS J.B., "À partir du contre-transfert, le mort et le vif entrelacés", In Nouvelle Revue de Psychanalyse, Paris, n° 11, août 1975.

q PRUVOST Lucie, "Intégration familiale de l'enfant sans généalogie en Algérie et en Tunisie : kafâla ou adoption", In Recueil d'articles offert à BORMANS Maurice, édit. PISIA, Roma, Italie, 1996.

q RENAN E., "Explorations Scientifiques de l'Algérie, la Société Berbère", In La Revue Des Deux Mondes, Vol. CVII, 1er Septembre 1973.

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q SALMI Hamid,

Ø "Cousin, croyants ou citoyens, les Kabyles à la croisée des chemins", In Revue de l'Ethnopsychiatrie, n° 19, édit. La Pensée Sauvage, 1992.

Ø "Immigrés entre deux mondes", In Qui sommes-nous ?, édit. Découvertes Gallimard / édit. UNESCO, 1964, 1997.

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q THOMSON Anne, "La classification raciale de l'Afrique du Nord au début du XIX ème siècle", In Cahiers d'Études Africaines, n° 129, Paris, édit. EHESS, 1993.

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Ø "Face à l'exclusion", In Citoyenneté et urbanité, édit. Esprit, Paris, 1991.

Ø Ouvrage collectif, In Le Japon, le consensus : Mythe et réalités, édit. Economica, Paris, 1986.

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q ZEMZOUM Z., "De la continuité révolutionnaire ", In Revue Révolution Africaine, n° 884, 1982.

THÈSES

q ABDOULLAH El Yafi, La condition privée de la femme dans le droit de l'Islam, Thèse de doctorat 3 ème cycle ès-Droit, Paris, 1928.

q BOUATTA C., Attitudes et représentation des femmes algériennes concernant les rôles sociaux, où en est l'espace social, Thèse de doctorat 3 ème cycle, Paris X, 1986.

q BOUDHIBA Abdelwahab, Islam et Sexualité, Thèse de doctorat 3 ème cycle, Université Paris V, le 5 juin 1972.

q BOUTIRA M., Le pouvoir des femmes algériennes en milieu traditionnel, Thèse de doctorat 3 ème cycle Anthropologie africaine, Université Bordeaux 2, 1987.

q DENNAOUI Yahia, La famille musulmane dans certains codes contemporains (Ottoman, Syrien, Tunisien), Thèse de doctorat 3 ème cycle, Paris II, 1978.

q KANOUNI Amina, Expériences d'organisations féminines sur les lieux de travail, mémoire de D.E.A. en sociologie, Université d'Alger, 1983, ronéotypé.

q MORSLY Dalila, Histoires des langues en Algérie colonisée : le français, la réalité algérienne, Thèse d'État à l'Université René Descartes, Paris V, 1983.

q NAAMANE-GUESSOUS S., Au-delà de toute pudeur, Thèse de doctorat 3 ème cycle, Paris VIII, Saint-Denis, 1987.

q PICQ Françoise, Sur la théorie du droit maternel, Discours anthropologique et Discours Socialiste, Thèse de doctorat 3 ème cycle, Paris-Dauphine, octobre 1979.

q TOUALBI R., Modèles conjugaux et représentations culturelles des jeunes en Algérie. Contribution à la théorie du changement social, Thèse de doctorat d'État ès-Lettres et Sciences Humaines, Paris V, René Descartes, 1994.

q VANDEVELDE-DAILLIERE Hélène, Femmes algériennes à travers la condition féminine dans le constantinois depuis l`indépendance, Thèse de doctorat 3 ème cycle en Sciences Politiques, Alger, 1972.

RAPPORTS / REVUES

Q CHARTE DES NATIONS UNIES, Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, Articles 01, 13, 76.

q CHARTE NATIONALE ALGÉRIENNE de 1976, de 1986.

q CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE LA FEMME, "Vivre autrement", 5ème série, numéro bilan sur Beijing, 1995.

q CONFÉRENCE MONDIALE SUR L'EMPLOI DE L'O.I.T., 1976.

q DÉCLARATION DES DROITS DE L'ENFANT DE 1959.

q DÉCLARATION SUR L'ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION À L'ÉGARD DES FEMMES DE 1967.

q HISTORIA n° 613, janvier 1998.

q MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE, Bulletin statistique 1978 / 79, n° 18.

q MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE, K. Marx, Le système foncier en Algérie au moment de la conquête française, In Sciences Sociales, Revue trimestrielle, Alger, mai 1982.

q MINISTÈRE DE LA PLANIFICATION ET DE L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE,. Bilan de la Formation 1967 - 1978, ronéotypé, p. 46.

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q ONU ET RAPPORT PNUD, "Des femmes et les chiffres", 1995.

q PACTE RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIO-CULTURELS, 1991.

q RAPPORT de DEVAKI Jain, Institute Of Social Studies de New-Delhi, cité par Marilee Karl, dans "Les femmes et le développement rural", Articles sur le féminisme, France, 1989.

q RAPPORT DU CHEF DE L'ÉTAT ET SECRÉTAIRE DU PARTI, "V ème Congrès du F.L.N.", Alger, décembre 1983.

q RAPPORT III, "Liste des ratifications par convention en 1994", partie 5, BIT, Genève, 1995.

q RAPPORT MONDIAL SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN, "La persistance des inégalités dans le monde ", chapitre 2, édit. PNUD, 1995. 

q RAPPORT MONDIAL SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN, "Vers l'égalité des sexes", Chapitre 5, 1995.

q RAPPORT MONDIAL SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN de 1990 à 1995.

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q CASSATION CIVILE, Alger 4 février 1931 - RA 1931-2- 167.

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q PACTE INTERNATIONAL, Articles 01, 13, 76 de la Charte des Nations Unies.

q RAPPORT N° 27, "Les femmes arabes", In M.R.G.

q RAPPORT n° 27.

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Ø n° 11, édit. Edisud, Aix-en-Provence, Paris, 1992.

q EPHESIA, Collectif Recherches, "La place des femmes", édit. La Découverte, Paris, 1995.

q ESSAIS D'ETHNOPSYCHIATRIE GÉNÉRALE, Paris, 1957, 1977. 

COLLOQUES

q BOUDEFA Saléha, "Image de la femme dans les discours officiels", In "Femmes, familles et société au Maghreb", Journées d'études du 2, 3, 4/ 1987, Université d'Oran, 1988.

q BOUDIAF A., "Point relatif à la formation professionnelle au Maghreb", Documentation IMED / CEE.

q BOULILA, "Notes sur l'histoire des Kabyles", Fichier de Documentation Berbère, 1964.

q DOUARI A., "Plurilinguisme et identités au Maghreb", Journées scientifiques organisées par l'URESA 6065 du CNRS (convention entre les universités de Rouen et de Tizi-Ouzou), 02 et 03 mai 1996 à Mont-Aignan, 1988.  

q HADDAB Z., Collectif Maghreb-Égalité, "Cent mesures et dispositions. Pour une codification maghrébine égalitaire du statut personnel et du droit de la famille", Document élaboré en vue de la Conférence de Pékin de septembre 1995 et coédité en anglais et en arabe par la Friedrich Elbert Stiftung et l'Union européenne, avec le même groupe et sponsor, "Women in the Maghreb, Change and résistance".

q MORSLY D., Journal scientifique (UPRESSA 6065 du CNRS selon la convention des universités de Rouen et de Tizi-Ouzou) : "Le Plurilinguisme et identités au Maghreb ", le 2 et 3 mai 1996, Mont-Saint-Aignan, Sorbonne, 1988.

q TAYLOR Charles, "Les sources de l'identité moderne ", colloque sur "Identité et Modernité au Québec ", Faculté des Sciences Sociales Laval, Québec, 22 octobre 1993.

JOURNAUX

q EL DJAZAIRIA, Revue n° 64, Alger, spécial.

q EL MOUDJAHID, Quotidien National,

Ø 20-21 février 1966.

Ø 28 octobre 1969

Ø 30 novembre-1er décembre 1969.

Ø 20-21 avril 1984.

Ø 19 juin 1984.

Ø n° 5153, sous la rubrique : "Statut personnel", 1981.

q EL WATAN, Quotidien National du 17- 18 janvier 1998.

q JOURNAL OFFICIEL, article 2, "La loi sur l'Arabisation", Alger le 22 octobre 1990.

q JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE ALGÉRIENNE, Loi 84-11 du 9 juin 1984, "Le Code de la famille", Alger, 1984.

q LE MATIN, Quotidien national, "Les naissances au maquis", n° 2504 du mardi 23 mai 2000, Alger.

LEXIQUE

q `Â'ila : famille constituée des parents et des enfants.

q `Adl : justice sociale.

q `Adrâ' : jeune fille qui convole, très tôt, en justes noces.

q `Âqil : sage.

q `Attâren : colporteurs sillonnant les pays. Leur moyen de transport était le mulet.

q A`sam : corbeau au ventre blanc.

q Açaba : sous-clan, lignée.

q Adrum : quartier.

q Afrâd : les héritiers pour la plupart femmes ou parents par les femmes, appelés ainsi en vertu des réformes réalisées par le Prophète.

q Al-asâla : la filiation

q Al-Asâla : retour aux sources.

q Allah : Dieu.

q Al-walad li-l-firâch : les enfants du lit (les enfants légitimes).

q Amînes ou Mezwars : grands défenseurs (conseillers municipaux) maintenant l'ordre grâce à une transmission de codes oraux.

q An-nikâh : mariage.

q An-Nisâ' : les femmes.

q Ashâb : les héritiers mâles, parents par les mâles, appelés de la coutume immémoriale de l'Arabie.

q Axxam : ensemble de foyers englobant des parents jusqu'au cinquième degré.

q Az-zinâ : fornication.

q Badana : large groupement agnatique dont les membres sont issus d'un même ancêtre.

q Beyt : demeure.

q Bled lekbayel : pays des tribus chez les Arabes (zwawa en Oranie).

q Charia : droit musulman statuant, entre autres, juridiquement l'organisation familiale.

q Chaytâne : diable.

q Chouhadas : martyrs, combattants morts pour la religion ou pour la patrie.

q Çof : classement des individus en fonction d'une appartenance politique, clan.

q Djabr : contrainte matrimoniale.

q Djâhiliya : période pré-islamique (avant la révélation de l'Islam).

q Djemâ`a / Tadjemâ`at : assemblée villageoise.

q Djihâd : guerre sainte.

q Faqîh : théologien musulman (pluriel : Fouqahas).

q Fasâd : dissolution des moeurs.

q Fatwa : consultation juridique.

q Firâche : le lit.

q Fitna : désordre, rébellion.

q Fouta : morceau de tissu à rayures qui noue la taille et qui doit cacher les genoux, chez les femmes berbères.

q Hachma : pudeur, modestie, réserve.

q Hadâna : garde d'enfants mineurs.

q Hadiths : traditions prophétiques.

q Haïk : voile blanc traditionnel à l'Ouest et au centre de l'Algérie qui couvre la femme de la tête aux pieds.

q Hammams : bains maures. Aller au hammam est une tradition chez les femmes du Maghreb.

q Harâm : illicite, proscrit.

q Hogra : mépris.

q Horma : défense de l'intimité, respect de la pudeur d'autrui.

q Houkouma : l'Etat qui gouverne.

q Iblîs : Satan.

q Ibn al-`Amm : fils du frère du père.

q Idjmâ` : consensus, il explicite la Sunna.

q Idjtihâd : effort d'interprétation.

q Imazighen (singulier : Amazigh) : hommes libres, nobles guerriers.

q Imusnaouen : sages, anciens bardes semi-professionnels itinérants.

q Izlan (singulier : Izli) : expression lyrique de l'amour.

q Kafâla : recueil ou tuteur légal comme substitut de l'adoption interdite par la lettre du Coran.

q Kbayl (singulier : kabîla) : tribus.

q Kdâr : respect.

q Laarche : tribu.

q Li`âne : serment d'anathème, adultère.

q Mahr : la dot.

q Mahr al mith` : La dot de parité.

q Médersas : écoles.

q Mektoub : fatalité, destin.

q Melaya : voile noir à l'Est algérien.

q Mo`tazilas : mouvement humaniste dans la civilisation arabo-musulmane qui a reconsidéré la raison humaine par rapport au sacré.

q Moudjâhidâtes : combattantes.

q Moudjâhidînes : combattants.

q Mu'akhkhar : la dot différée ou dont le contenu est connu et la délivrance est différée dans le temps (la femme l'obtient en cas de divorce).

q Muharramât : femmes prohibées.

q Musâwama : la dot déterminée ou convenue.

q Nîf : l'honneur sacré, la fierté, mais aussi ce qui conforte l'image de l'homme : les femmes de la famille et de la tribu.

q Osra : famille.

q Oulémas : titre attribué aux savants en Islam.

q Oumma : nation, peuple.

q Qanouns : sortes de charges qui, bien que non écrites, représentent l'autorité temporelle et s'inspirent de la religion.

q Qiyâs : raisonnement analogique.

q R'bit : rituel magique dont le principe général est d'induire l'inhibition sexuelle sur le couple.

q Sadâq : dot.

q Sqîfa : espace couvert situé immédiatement après le seuil, séparant de l'extérieur le monde domestique intime de la maison.

q Sunna : traditions prophétiques, gestes et paroles du Prophète.

q Tâ`a : soumission illimitée, obéissance.

q Tabouna : modeste réchaud circulaire à gaz (trépied), petit kanoun

q Talâq : répudiation

q Talâq al-khul` : divorce avec compensation (le mari répudie sa femme, judiciairement, moyennant une "rançon" (khul`) pour le prix de sa liberté).

q Talâq radj`î : répudiation révocable (mais seulement pour les deux premières fois).

q Talâq thalât : divorce judiciaire ouvert à l'épouse par le fiqh malikite sous un certain nombre de conditions (après la troisième répudiation, le mari ne peut reprendre son ex-épouse que lorsqu'elle aura épousé un autre homme qui l'aura répudiée).

q Tamourth : la terre natale, la patrie, le pays.

q Taqbilt : confédération.

q Tchador : voile blanc.

q Thiroukza : code rigoureux de l'honneur consistant, en particulier, à préserver la terre et ses valeurs de la terre.

q Tifinagh (Tifinar) : écriture berbère quasi-inconnue de la majorité de la population kabyle qui ne l'écrit pas.

q Tiqsidin : les histoires.

q Tuddar : villages dans lesquels vivaient jadis les Kabyles.

q Walad : l'enfant (garçon ou fille).

q Walî : tuteur matrimonial mâle (père, oncle, frère, cousin, ...).

q Waqf (ou habûs) : donations et biens de mainmorte.

q Wilâya : la tutelle des enfants mineurs du couple.

q Zâwiyas : universités islamiques.

q A.A.R.D.E.S. : Association Algérienne pour la Recherche Démographique, Économique et Sociale.

q A.B. : Groupe de l'Académie Berbère.

q A.F.M.A. : Association des Femmes Musulmanes d'Algérie.

q A.L.N. : Armée de Libération Nationale.

q A.P.N. : Assemblée Populaire Nationale.

q C.E.D.A.W. : Comité sur l'Élimination de la Discrimination à l'Égard du travail, Convention qui propose des droits fondamentaux minimums à tous les pays.

q C.E.D.E.F. : Comité sur l'Élimination de la Discrimination à l'Égard des Femmes.

q C.N.S.A. : Comité National pour la Sauvegarde de l'Algérie.

q C.R.A.P.E. : Centre de Recherches Anthropologique, Préhistorique et Ethnographique.

q E.N.A. : Étoile Nord Africaine.

q E.N.T.V. : Télévision algérienne

q F.F.S. : Front des Forces Socialistes.

q F.I.S. : Front Islamique du Salut.

q F.L.N. : Front de Libération Nationale.

q G.R.F.A. : Groupe de Recherches sur la Femme Algérienne.

q H.C.A. : Haut Commissariat à l'Amazighité.

q I.N.E.D. : Institut National des Études Démographiques.

q I.P.N. : Institut Pédagogique National.

q M.D.S. : Mouvement pour la Démocratie Sociale.

q M.P.R. : Mouvement pour la République.

q M.S.P. : Mouvement de la Société pour la Paix, membre de la coalition gouvernementale.

q N.O.E.I. : Nouvel Ordre Economique International.

q NAHDA, HAMAS : Partis islamistes dit "modérés".

q NAHDA : Renaissance, mouvement réformiste prônant le changement social du Mechrek au Maghreb sur la base d'une interprétation actualisée de l'Islam aux exigences du monde moderne.

q O.N.G. : Organisations Non Gouvernementales.

q O.N.S. : Organisation Nationale de la Santé.

q P.A.G.S. : Parti de l'Avant Garde Socialiste.

q P.C.A. : Partis Communiste Algérien.

q P.P.A. : Parti du Peuple Algérien.

q P.T. : Parti des Travailleurs.

q R.C.D. : Rassemblement pour la Culture et la Démocratie.

q R.N.D. : Rassemblement National Démocratique.

q S.A.T.E.F. : Syndicat Autonome des Travailleurs de l'Enseignement Fondamental.

q T.T.P. : Test des Trois Personnages.

q U.D.M.A. : Union Démocratique du Manifeste Algérien (parti fondé par Ferhat Abbas).

q U.F.A. : Union des Femmes d'Algérie.

q U.N.F.A. : Union Nationale des Femmes Algériennes émanant du F.L.N.

ANNEXES

LES ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE

q ARTICLE 2 :

"La famille est la cellule de base de la société, elle se compose de personnes unies par les liens de mariage et par les liens de parenté".

q ARTICLE 8 :

"Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la Charia si le motif est justifié, les conditions de l'intention d'équité réunies et après information préalable des précédentes et future épouse. L'une et l'autre peuvent intenter une action judiciaire contre le conjoint en cas de dol ou demander le divorce en cas d'absence de consentement des futurs conjoints".

q ARTICLE 9 :

"Le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints, la présence du tuteur matrimonial et de deux témoins ainsi que la constitution d'une dot".

q ARTICLE 11 :

"La conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père, soit l'un de ses proches parents (de sexe masculin). Le juge est le tuteur matrimonial de la personne qui n'en a pas".

q ARTICLE 12 :

"Le tuteur matrimonial (walî) ne peut empêcher la personne placée sous sa tutelle de contracter mariage si elle le désire et si celui-ci est profitable. En cas d'opposition, le juge peut autoriser le mariage sous réserve des dispositions de l'article 9 de la présente loi. Toutefois, le père peut s'opposer au mariage de sa fille mineure si tel est l'intérêt de la fille".

q ARTICLE 14 :

"La dot est ce qui est versé à la future épouse en numéraire ou tout autre bien qui soit légalement licite. Cette dot lui revient en toute propriété et elle en dispose librement".

q ARTICLE 19 :

"Les deux conjoints peuvent stipuler dans le contrat de mariage toute clause qu'ils jugent utile à moins qu'elle ne soit contraire aux dispositions de la présente loi".

q ARTICLE 36 :

"Les obligations des deux époux sont les suivantes :

Ø Sauvegarder les liens conjugaux et les devoirs de vie commune ;

Ø Contribuer conjointement à la sauvegarde des intérêts de la famille, à la protection des enfants et à leur saine éducation ;

Ø Sauvegarder les liens de parenté et les bonnes relations avec les parents et les proches".

q ARTICLE 37 :

"Le mari est tenu de subvenir à l'entretien de l'épouse dans la mesure de ses possibilités, sauf lorsqu'il est établi qu'elle a abandonné le domicile conjugal, et d'agir en toute équité envers les épouses s'il en a plus d'une".

q ARTICLE 38 :

"L'épouse a le droit de visiter ses parents prohibés (que la femme ne peut épouser) et de les recevoir, conformément aux usages et aux coutumes ; de disposer de ses biens en toute liberté".

q ARTICLE 39 :

"L'épouse est tenue d'obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille ; d'allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire, de l'élever ; de respecter les parents de son mari et ses proches".

q ARTICLE 48 :

"Le divorce est la dissolution du mariage. Il intervient par la volonté de l'époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l'épouse, dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54".

q ARTICLE 52 :

"Si le juge constate que le mari a abusivement usé de sa faculté de divorce, il accorde à l'épouse le droit aux dommages et intérêts pour le préjudice qu'elle a subi.

Si le droit de garde lui est dévolu et qu'elle n'a pas de tuteur qui accepte de l'accueillir, il lui est assuré, ainsi qu'à ses enfants, le droit de logement selon les possibilités du mari.

Est exclu de la décision le domicile conjugal, s'il est unique. Toutefois, la femme divorcée perd ce droit une fois remariée ou convaincue de faute morale".

q ARTICLE 53 :

"Il est permis à l'épouse de demander le divorce pour les causes ci- après :

Ø Pour défaut de paiement de la pension alimentaire prononcée par le jugement à moins que l'épouse eût connu l'indigence de son époux au moment du mariage sous réserve des articles 78, 79 et 80 de la présente loi ;

Ø Pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage ;

Ø pour refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois ;

Ø Pour condamnation du mari à une peine infamante privative de liberté pour une période dépassant une année, de nature à déshonorer la famille et rendre impossible la vie en commun et la reprise de la vie conjugale ;

Ø Pour absence de plus d'un an sans excuse valable ou sans pension d'entretien ;

Ø Pour tout préjudice légalement reconnu comme tel, notamment par la violation des dispositions contenues dans les articles 8 et 37 ;

Ø Pour toute faute immorale, gravement répréhensible, établie".

q ARTICLE 54 :

"L'épouse peut se séparer de son conjoint moyennant réparation (khol`) après accord sur celle-ci. En cas de désaccord, le juge ordonne le versement d'une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité à l'époque du jugement".

q ARTICLE 62 :

"Le droit de garde (hadâna) consiste en l'entretien, la scolarisation et l'éducation d'enfant de sexe féminin jusqu'à l'âge de la capacité de mariage. Le juge prolonge cette période jusqu'à seize ans révolus pour l'enfant de sexe masculin placé sous la garde de sa mère si celle-ci ne s'est pas remariée. Toutefois, il sera tenu compte, dans le jugement mettant fin à la garde, de l'intérêt de l'enfant".

q ARTICLE 65 :

"Le droit de garde (hadâna) d'enfant de sexe masculin cesse à dix ans révolus et celle de l'enfant de sexe féminin à l'âge de la capacité de mariage. Le juge prolonge cette période jusqu'à seize ans révolus pour l'enfant du sexe masculin placé sous la garde de sa mère si celle-ci ne s'est pas remariée. Toutefois, il sera tenu compte, dans le jugement mettant fin à la garde, de l'intérêt de l'enfant".

q ARTICLE 66 :

"Le titulaire du droit de garde, se mariant avec une personne non liée à l'enfant par une parenté de degré prohibé, est déchu de son droit de garde. Celui-ci cesse également par renonciation tant que celle-ci ne compromet pas l'intérêt de l'enfant".

P L A N

REMERCIEMENTS 2

SOMMAIRE 4

INTRODUCTION 6

I- CADRE DE LA RECHERCHE 10

A- CHOIX DU THÈME 11

1- RAISONS PERSONNELLES 13

2- QU'EST CE QU'ÊTRE UNE FEMME EN ALGÉRIE ? 19

3- CONSTRUCTION SOCIALE 20

4- LA RÉSISTANCE DU CODE DE LA FAMILLE

AU CHANGEMENT 28

5- LE JURIDIQUE COMME MOYEN DE LUTTE POUR

L'AMÉLIORATION DE LA FEMME 29

B- FÉMINISME / FÉMININ / FEMME 31

1- UNE FEMME / FEMME 33

DÉFINITION 33

2- L'HOSTILITÉ ENVERS LE SEXE FÉMININ 34

3- PRÉFÉRENCE ENVERS LE SEXE MASCULIN EN ALGÉRIE 35

4- PROBLÈME DE LA FEMME 36

II- PROBLÉMATIQUE 37

A- RELIGION / CODE DE LA FAMILLE 46

B- ESPACE PRIVÉ / SCOLARITÉ/ESPACE PUBLIC  46

C- IDENTITÉ 46

III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES 47

A- AU NIVEAU DU CODE DE LA FAMILLE 51

B- AU NIVEAU DE LA FEMME ALGÉRIENNE 52

C- AU NIVEAU DES INSTITUTIONS 52

IV- INVESTIGATIONS 52

PREMIÈRE PARTIE 54

CHAPITRE I : LA FEMME ET LES TEXTES 55

I- LA PLACE DE LA FEMME DANS L'ISLAM 61

1- LE STATUT DES FEMMES DANS LE DISCOURS

CORANIQUE 64

2- LES DROITS ET OBLIGATIONS DES ÉPOUX DANS

LE CORAN 68

3- LE VOILE : POLÉMIQUE ET DISCOURS 69

A- LES SOURCES DE LA LOI ISLAMIQUE 70

1- Le CORAN 70

2- LA SUNNA (ou la tradition du Prophète) 72

3- QUIYÂS (raisonnement analogique) 73

4- IDJMÂ` (consensus) 73

B- LES NORMES DE L'ISLAM PAR RAPPORT AUX FEMMES 73

C- COMPRÉHENSION DE L'ISLAM 74

II- LA FEMME ET LA LÉGISLATION DE LA FAMILLE 76

1-L'EVOLUTION HISTORIQUE DE L'INSTITUTION FAMILIALE 76

2-LE CADRE JURIDIQUE 78

3-LE CODE DE LA FAMILLE DE 1984 80

a- DATES ESSENTIELLES A L'ABOUTISSEMENT D'UN CODE 81

III-CONTENU DU CODE DE LA FAMILLE 91

1- DES EXEMPLES D'ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE 96

2-ÉTUDE/ANALYSE DU CODE DE LA FAMILLE  102

a- LE MARIAGE 105

b- LA DOT 107

c- LA POLYGAMIE 112

d- LE DIVORCE ET SES CONSÉQUENCES 114

3- COMPROMIS ET RÉSISTANCE 122

4- LE PROJET D'AMENDEMENTS : QUELQUES RETOUCHES 126

III- LA CITOYENNETÉ DES FEMMES ET L'ÉGALITE DES DROITS 128

A- DU CONTEXTE D'EXCLUSION ET D'ÉGALITÉ DES DROITS 131

B- RATIFICATION DES PRINCIPAUX INSTRUMENTS

INTERNATIONAUX RELATIFS À L'ÉGALITÉ DES DROITS 133

C- L'OPPRESSION DES FEMMES ALGÉRIENNES 137

1- DANS LE DOMAINE POLITIQUE 137

2- AU PLAN JURIDIQUE 137

3- DANS LE DOMAINE DE L'ENSEIGNEMENT 137

4- DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL 138

D- ÉGALITÉ DES DROITS À TRAVERS LES CONSTITUTIONS 138

1- LA CONSTITUTION ALGÉRIENNE 139

2- LE DROIT DE CITOYENNETÉ 140

CHAPITRE II : SPHÈRE PRIVÉE / SPHÈRE PUBLIQUE 141

I- L'ESPACE PRIVÉ / L'ESPACE PUBLIC 142

A- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (autrefois) 144

B- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (aujourd'hui) 147

C- NOUVEAUX ESPACES DOMESTIQUES RURAUX 149

D- RITES DE PASSAGE 152

E- LA TENUE 153

F- VOILER OU DÉVOILER LA FEMME 154

G- FEMME ALGÉRIENNE GARDIENNE DE LA TRADITION 159

II- LA PLACE DE LA FEMME DANS LA STRUCTURE FAMILIALE 160

A- LE CADRE FAMILIAL 161

B- LES CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES DE LA

FAMILLE ALGÉRIENNE 162

1- LA FAMILLE : UN GROUPE DOMESTIQUE COMPLEXE 163

2- UNE STRUCTURE FAMILIALE PATRIARCALE 164

3- LE SYSTÈME MATRIMONIAL 165

4- DES LIENS DE PARENTÉ ENTRETENUS 166

5- LE FOYER CONJUGAL ET LES RELATIONS 168

6- RÖLE DE LA FILLE/BRU/MERE ET DE LA MERE AGEE 173

a-RÔLE DE LA FILLE / BRU / MÈRE 174

b-LA MÈRE ÂGÉE : ACTEUR SOCIAL ET PRINCIPAL 179

C- MODÈLES FÉMININS D'ASSIGNATION IDENTITAIRE

EN ALGÉRIE 183

III- LA FEMME ET LA SEXUALITÉ 187

A- ENTRE TABOUS ET PERVERSIONS 187

B- L'AMOUR ET LA SEXUALITÉ 188

C- LE TABOU DE LA VIRGINITÉ 194

D- SEXUALITÉ, VIRILITÉ ET FÉMINITÉ 201

E- LES PROSTITUEES : LES FEMMES LIBRES 204

IV - LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE PRIVÉ 206

CHAPITRE III : A FEMME ET LA SCOLARISATION 212

I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON ÉVOLUTION 212

A- LA FAIBLE SCOLARISATION DES FILLES DANS L'ALGÉRIE

TRADITIONNELLE 212

B- L'ÉCOLE ET L'ACCULTURATION 215

II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE ALGÉRIENNE 216

A- LES FILLES ET LA SCOLARISATION EN ALGÉRIE 218

B- STRATÉGIES À L'ACCÈS DES FILLES À L'INSTRUCTION 219

C- À UN NIVEAU D'ÉTUDES ÉGAL, UN STATUT PROFESSIONNEL

ÉGAL 221

III- L'ÉDUCATION DE LA GENT FÉMININE DEPUIS

L'INDÉPENDANCE 221

A- L'EFFECTIF FÉMININ DANS l'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

EN 1992/93 (en graduation) 229

IV- DIFFÉRENCIATION DES TAUX DE SCOLARISATION 231

A- L'ÉCOLE PAUPÉRISÉE 233

V- QUELQUES DONNÉES EN COMPARAISON AVEC

LES PAYS VOISINS 234

CHAPITRE IV: LA FEMME ET LE TRAVAIL 238

I- LA FEMME / LA SOCIÉTÉ ET LE TRAVAIL 238

A- SITUATION INTERCULTURELLE 241

B- DYSFONCTIONS CARACTÉRISANT LA SOCIÉTÉ DE

TRANSITION 244

C - POSTES DE TRAVAIL OCCUPÉS PAR LES FEMMES

EN ALGÉRIE 246

D- COMPORTEMENTS DES HOMMES VIS-À-VIS DES

TRAVAILLEUSES 247

E- LES SECTEURS D'ACTIVITÉS FÉMININS ET LES CHIFFRES 252

II- LE TRAVAIL SALARIÉ FÉMININ ET SON ÉVOLUTION 253

A- L'APPARITION ET LE DÉVELOPPEMENT DU SALARIAT

FÉMININ 253

B- LA STAGNATION DE L'EMPLOI FÉMININ DURANT LES DEUX

PREMIÈRES DÉCENNIES DE L'INDÉPENDANCE 257

C- LES CARACTÉRISTIQUES DU TRAVAIL FÉMININ DE CE III ème

MILLÉNAIRE 259

D- LES PROBLÈMES DES TRAVAILLEUSES 265

E- LE TRAVAIL FÉMININ À DOMICILE 266

III- LA VIE FAMILIALE DES ALGÉRIENNES SALARIÉES 268

A- LE RÔLE FAMILIAL DE LA FEMME TRAVAILLEUSE 270

B- DES FEMMES SALARIÉES DÉPOSITAIRES DE L'AUTORITÉ 271

1- LES CONSÉQUENCES DE LA RÉDUCTION DU TAUX DE

FÉCONDITÉ 272

CHAPITRE V : LA FEMME ET LA POLITIQUE 487

I- PRÉSENTATION DE L'ALGÉRIE 488

A- CONDITION DE LA FEMME ALGÉRIENNE 488

1- CONSCIENCE NATIONALE 489

2- LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE 490

II- PRISE DE CONSCIENCE DES FEMMES ? 498

A- APERÇU HISTORIQUE SUR LA CONDITION SOCIALE DE

LA FEMME 498

B- LA CONDITION DE LA FEMME DE L'ANTIQUITÉ AU

XX ème SIÈCLE 503

C- MOUVEMENTS DES FEMMES EN ALGÉRIE 505

D- PÉRIODES ALLANT DE 1962 À NOS JOURS 506

III- LA SITUATION DES FEMMES DEPUIS 1992 FEMMES VIOLÉES 509

IV- CHEMINEMENT POLITIQUE DE L'ALGÉRIE 503

A- HISTORIQUE ET SITUATION POLITIQUE DE L'ALGÉRIE 515

B- LA FAILLITE SOCIALE 518

C- LA TRAGÉDIE ÉDUCATIVE 519

D- UN BEL OUTIL DE FORMATION 520

E- UNE AMBITION SANS LIMITES 521

F- L'ARABISATION POLITISÉE 524

G- L'ÉCOLE CLOCHARDISÉE 526

V- LE TRAITEMENT INÉGAL DES FEMMES 528

A- SOUMISSION, RÉCLUSION ET ALIÉNATION 529

B- QUAND LES JEUNES SONT ABANDONNÉS 532

VI- SUR LES MAUVAIS CHEMINS DE L'HISTOIRE 533

A- DES RENDEZ-VOUS MANQUÉS 533

B- L'IMMENSITÉ DU GACHIS 534

C- TRAGIQUES CONTRETEMPS 536

D- UNE RESPONSABILITÉ COLLECTIVE 539

E- L'ILLUSION ISLAMISTE 541

VII- UN LONG PROCESSUS 542

A- LE SALUT VIENDRAIT-IL DES FEMMES 542

B- DISCOURS DE FEMMES, DE MILITANTES 545

C- LUTTE DES FEMMES 548

D- CIBLE SYMBOLIQUE OU MODERNITÉ AVORTÉE 549

VIII- LA FEMME ET LA POLITIQUE APRÈS LA LIBÉRATION 550

TROISIÈME PARTIE 559

CHAPITRE I : LA GRANDE KABYLIE 560

I- LES BERBÈRES ET LA GRANDE KABYLIE 560

A- DESCRIPTION DE LA GRANDE KABYLIE 560

B- TIZI-OUZOU, CAPITALE DE LA GRANDE KABYLIE 562

C- APERÇU HISTORICO-GÉOGRAPHIQUE DE LA

BERBÉROPHONIE 563

D- ORIGINES DES BERBÈRES 568

E- IDÉOLOGIES DES KABYLES 569

F- LES VILLAGES KABYLES 570

G- L'ORGANISATION SOCIALE 576

II- L'ACCULTURATION 578

III- LES REVENDICATIONS ET LA LANGUE 580

A- RÉALITÉS LINGUISTIQUES 580

B- AFFIRMATION IDENTITAIRE ET PRATIQUES LINGUISTIQUES

EN KABYLIE 582

C- PROBLÈMES LINGUISTIQUES 589

IV- LES FEMMES KABYLES 591

CHAPITRE II : TRAVAIL DE TERRAIN 595
I- MÉTHODOLOGIE 595

II- PRÉ-ENQUÊTE 596

III- REMARQUES SUR LES ENTRETIENS 601

CHAPITRE III : ENTRETIENS AVEC LES KABYLES 606

I- ENTRETIENS 606

A- LEÏLA, LA DACTYLOGRAPHE 606

B- MALIKA 611

C- ZOHRA, LA RÉVOLTÉE 619

D- GHENIMA ET GHENOUNOUCHE, LES DEUX AMIES 625

E- CHABHA, LA JOURNALISTE 631

F- OUERDIA, LA MAMAN DE CHABHA 642

G- MELHA, INGÉNIEUR EN GÉNIE CIVIL 654

H- KATIA 661

I- DJEDJIGA, FARIZA ET KHADIDJA (Grand-mère / mère / fille) 665

1- DJEDJIGA, la grand-mère 667

2- FARIZA, la mère 670

3- KHADIDJA, la fille 673

J- ASSIA, LA SYNDICALISTE 679

II- POINTS DE VUE 684
III- SYNTHÈSE DES ENTRETIENS 686

A- CONTRAINTES SOCIALES ET CRISES IDENTITAIRES 686

B- LE RÔLE DE L'ÉCOLE DANS LA PERSONNALITÉ DES

INTERVIEWÉES 689

C- FÉMINITÉ, VIRILITÉ ET RELIGION 693

D- LA SEXUALITÉ 698

E- LE CAPITAL SCOLAIRE 702

F- LE CONDITIONNEMENT 702

IV- ANALYSE ET CONCLUSION 703

CHAPITRE IV : LES CONCEPTS DÉGAGÉS DE L'ÉTUDE 714

I- CONCEPT DE L'IDENTITÉ 714

A- DÉFINITION 719

1- Identité 719

2- Identification 721

B- IDENTITÉ ALGÉRIENNE 723

C- CONSTRUCTION DE L'IDENTITÉ 730

II- CONCEPT DE MODERNITÉ / TRADITION 733

A- TRADITION ET MODERNITÉ EN ALGÉRIE 743

B- TRADITION ET MODERNISME 753

C- ISLAM ET TRADITION 753

D- MODERNITÉ OU DÉVELOPPEMENT 755

III- CONCEPT DE MATRIARCAT / PATRIARCAT 756

A- DÉFINITION ET ORIGINE 756

B- EN ALGÉRIE 758

IV- CONCEPT DE SOI 760

A- L'IDENTIQUE ET L'AUTHENTIQUE 767

CONCLUSION GÉNÉRALE 771

I- RÉALITÉ ALGÉRIENNE 771

II- RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES 786

A- LA FEMME ET LES TEXTES 786

B- LES ASPIRATIONS DES FEMMES À LA MODERNITÉ ET AU

PROGRÈS ET LEUR REJET DES INTERDITS 793

C- DÉTERMINATION DES FEMMES À SORTIR DU DOMAINE

PRIVÉ 795

D- TÉNACITÉ DES FEMMES À AVOIR LEUR PLACE DANS LA

SPHÈRE PUBLIQUE 796

E- DE LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT 796

F- LES FEMMES, LE FÉMINISME : QUEL AVENIR ? 798

G- PROGRÈS ET REMISE EN QUESTION 800

III- POÈME : SILENCE ET PAROLE 807

BIBLIOGRAPHIE 810

OUVRAGES 810

ARTICLES / PÈRIODIQUES 824

THESES 830

RAPPORTS / REVUES 831

COLLOQUES 834

JOURNAUX 835

LEXIQUE 836

* 1 C. CAMILLERI, Jeunesse et développement, édit. du C.N.R.S., Paris, 1969.

* 2 P. H. CHOMBART De LAUWE, Pour une sociologie des aspirations, édit. Denoël, Paris, 1969.

* 3 Christiane SOURIAU, Le Maghreb musulman en 1979, édit. du C.N.R.S., Paris, 1981.

* 4 Germaine TILLION, Le harem et les cousins, édit. Seuil, Paris, 1966, p. 199.

* 5 M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, édit. PUF, Paris, 1978, p. 147.

* 6 G. TILLION, Le harem et les cousins, op. cit., p. 11.

* 7 G. TILLION, op. cit., p. 184.

* 8 "Les femmes arabes", In M.R.G., Rapport n° 27, pp. 11-12.

* 9 Alain TOURAINE, La voix et le regard, Sociologie des mouvements sociaux, édit. Seuil, Paris, N. édit., 1993.

* E. F. n'a pas voulu que je cite son nom mais elle a publié ses propos dans un document de l'AFRISE.

* 10 Jean DEPREZ, Pérennité de l'Islam dans l'ordre juridique au Maghreb, Publication du C.N.R.S.M., 1981.

Le Matin, Quotidien national, "Les naissances au maquis", n° 2504 du mardi 23 mai 2000, Alger.

* 11 KRISTEVA, Le texte du roman, édit. Mouton, Paris, 1970.

* 12 Monique RÉMY, L'histoire des mouvements de femmes, édit. L'Harmattan, Paris, 1990.

* 13 Simone De BEAUVOIR, Le Deuxième Sexe, 2 vol., édit. Gallimard, Paris, 1949 ; édit. Flammarion,

* 1 Elena Gianini BELLOTI, Du côté des petites filles, édit. De Poche, Paris, 1981

* 2 Ibidem

* 1 Elena Gianini BELOTTI, op. cit., p. 25

* 14 Pierre BOURDIEU, Esquisse d'une théorie de la pratique, édit. Points-Seuil, Paris, 2000.

* 15 IBN ROCHD, dit Averroès, philosophe.

* 16 R. GUBBELS, Le travail au féminin, édit. Marabout, Paris, 1967, p. 23.

* 2 Ibidem

* 3 Expression arabe qui veut dire "Les hommes sont plus droits que les femmes".  

* 17 Mohamed Mahdi EL HAJOUI, La femme dans le droit musulman, imprimerie Dar Al Kitab, Casablanca, 1967.

* 18 Allal EL FASSI, L'autocritique, édit. du Parti du Leader de l'Indépendance, Rabat, Maroc, 1979.

* 1 Fethi BENSLAMA, La pensée à l'épreuve, édit. , ,199.

* 19 CORAN, Sourate IV, An-Nisâ' (Les Femmes), Verset 4.

* 20 Coran, sourate IV, op. cit., Verset 3.

* 21 Coran, sourate VI, Al-An`âm (Les Bestiaux), Verset 129.

* 22 Coran, sourate XV, Al-Hidjr (nom d'une région de l'Arabie préislamique), Verset 4.

* 23 Coran, sourate IV, op. cit., Verset 34.

* 24 Coran, Sourate II, Al-Baqara (La Vache), Verset 220.

* 25 G. BENMELHA, Eléments du droit algérien de famille, édit. O.P.U.- Publisud, 1985, pp. 17-22.

* 26 G. BENMELHA, "La famille algérienne entre le droit des personnes et le droit public", In Revue algérienne des sciences juridiques, politiques et économiques, Spécial 20ème année, Alger, 1982, p. 327.

* 27 El Djazairia, 1981, p. 36.

* 28 Constitution de 1976, article 2.

* 29 Titre II, chap. I.

* 30 Hélène VANDEVELDE-DAILLIERE, Malgré la tourmente, Paris, 1988, p. 24.

* 31 Saléha BOUDÉFA, "Image de la femme dans les discours officiels", In Femmes, familles et société au Maghreb, journées d'études du 2, 3 et 4 / 1987, Université d'Oran, 1988, pp. 261-286.

* 32 Op. cit., p. 206.

* 33 EPHESIA, La place des femmes, Collection Recherche, édit. La découverte, Paris, 1995.

* 34 Ahmed TALEB IBRAHIMI, Lettres de prison, 1957-1961, édit. SNED, Alger, 1965.

* 35 M. BORMANS, Statut personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours, édit. Mouton, 1977, pp. 521-529, In Documents sur la famille au Maghreb de 1940 à nos jours, Orient moderne, 59, pp. 1-5, 1979.

* 36 Sur la doctrine sociale des `Olamâs algériens, voir Ali MERAD, "Le réformiste musulman en Algérie de 1925 à 1940", In Essai d'histoire religieuse et sociale, édit. Mouton, Paris - La Haye, Mouton, 1967.

* 37 BORMANS, op. cit., p. 521.

* 38 El Moudjahid, Quotidien National, 20-21 février 1966.

* 39 Fadéla M'RABET, Les Algériennes, édit. Maspero, Paris, 1967, pp. 241-255, repris par BORMANS, In Documents, "Ce projet qui "n'existe pas" ...", pp. 311-320.

* 40 Actes de ce colloque du 8-10 mai 1968, In RASJEP, Alger, 1968, 4, pp.1047-1049.

* 41 El-Moudjahid, quotidien national, le 30 novembre-1er décembre 1969.

* 42 Journal El-Moudjahid, 28 octobre 1969.

* 43 Coran - II, op. cit., Verset 228, "Les hommes ont une prééminence sur les épouses".

- IV, op. cit., Verset 34 : "Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles... ".

- IV, Ibid, Verset 11, "Quant à vos enfants, Dieu vous ordonne d'attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles...".

* 44 Saadeddine BENCHENEB, "Un contrat de mariage algérois du début du XVIII ème siècle", In Annales de l'institut d'études Orientales d'Alger, n° 13, 1955, pp. 98-117.

* 45 El Moudjahid, Quotidien National, Alger, 20-21 avril 1984.

* 46 Z. GADOUCHE, "Code de la Famille, reflet de l'Algérie", In Algérie-Actualité, journal hebdomadaire du 10-16 mai 1984.

* 47 Journal Officiel de la République Algérienne, "Loi 84-11 du 9 juin 1984, Le Code de la Famille", Alger, 1984, p. 612.

* 48 El Moudjahid, Alger, 19 juin 1984.

* 49 Rapport du chef de l'État et secrétaire du Parti, V ème Congrès du F.L.N., Alger, décembre 1983.

* 50 Omar LARDJANE, "Identité collective et identité individuelle", In Élites et questions identitaires en Algérie, édit. Casbah, Alger, 1997, p. 19.

* 51 Dahbia ABROUS, L'honneur et le travail des femmes en Algérie, édit. L'Harmattan, Paris, 1989 ;

"L'honneur et l'argent des femmes en Algérie", In Peuples méditerranéens, 44-45, n° spécial, Les femmes et la modernité, 1988, pp. 49-165.

* 52 Lucie PRUVOST, "Intégration familiale de l'enfant sans généalogie en Algérie et en Tunisie: kafâla ou adoption", In Recueil d'articles offert à Maurice BORMANS, édit. PISIA, Roma, 1996, pp. 155-180.

* 53 Art. 222 : "En l'absence d'une disposition dans la présente loi, il est fait référence aux positions de la Charia".

* 54 Monique GADANT, Zakia DAOUD, Fatima MERNISSI, op. citées.

* 55 Zakia DAOUD, Féminisme et politique au Maghreb, édit. Eddif, Maroc, 1993 ; édit. Maisonneuve &Larose, Paris, 1993.

* 56 Interprétation animée d'un esprit réformateur des principes de l'Islam.

* 57 N. SAADI, La femme et la loi en Algérie, Collection Femme Maghreb 2000, édit. Le Fennec, Casablanca, 1991 ; édit. Bouchène, Alger, 1991.

* 58 H. MAZEAUD, Leçons de droit civil, T.I.N. n° 1079.

* 59 Cassation Civile, Alger, 4 février 1931 - RA 1931- 2 - 167.

* 60 El Yafi ABDOULLAH, La condition privée de la femme dans le droit de l'Islam, Thèse de Doctorat ès-Droit, Paris, 1928.

* 61 Cheikh CHALTOUT, cité par Yahia DENNAOUI, La famille musulmane dans certains codes contemporains (Ottoman, Syrien, Tunisien), Thèse de Doctorat, Paris II, 1978.

* 62 EL ASSIOUTY (ouvrage collectif), Le Maghreb musulman en 1980, édit. Du CNRS, Paris, 1981.

* 63 Ibid, p. 32

* 64 Ibidem, p. 34.

* 4 Sourate Ennissa (les femmes)

* 65 CORAN, Sourate n° 65, At-Talâq (le divorce), traduction Salah Eddine, édit. Dar Gharb El Islam, Bayrout (Liban), 1990.

* 66 Ibid, p. 20.

* 67 Concepts introduits à la Conférence Mondiale sur l'emploi de l'O.I.T., 1976.

* 68 Rapports de Jain DEVAKI, Institute of Social Studies de New-Delhi, cité par Marilee KARL In Les femmes et le développement rural, Articles sur le féminisme, France, 1989.

* 69 Rapport mondial sur le développement humain, Chapitre II, "La persistance des inégalités dans le monde", P.N.U.D., 1995

* 70 Z. BENROMDHANE, Dossier égalité et droit, Entre universalité et spécificité, Publication ENDA, Tunisie, Vivre autrement, 5ème série, numéro bilan sur Beijing, 1995.  

* 71 Alain TOURAINE, "Face à l'exclusion", In Citoyenneté et urbanité, édit. Esprit, Paris, 1991.

* 72 Alain TOURAINE, op. cit.

* 73 Penseurs réformateurs ayant mené des mouvements nationaux et de défense de la femme : Messali EL HADJ, Ferhat ABBAS, Mohamed Abdelhamid BOUDIAF (présidents ), de 1930 à 1960.

* 74 Akila BOUDIAF, op. cit.

* 75 Liste des ratifications par convention en 1994. Rapport III, partie 5, BIT, Genève, 1995.

* 76 Articles 01, 13, 76 de la Charte des Nations Unies, Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, déclaration des Droits de l'Enfant de 1959, Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de 1967.

* 77 Pacte International relatif aux droits économiques et socioculturels, 1991.

* 78 Z. HADDAB, Collectif Maghreb-Égalité, Cent mesures et dispositions. "Pour une codification maghrébine égalitaire du statut personnel et du droit de la famille" (Document élaboré en vue de la Conférence de Pékin de septembre 1995 et co-édité en anglais et en arabe par la Friedrich Elbert Stiftung et l'Union européenne), avec le même groupe et sponsor, "Women in the Maghreb, Change and resistance".

* 79 Pierre BOURDIEU, "La domination masculine", In Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 84, septembre 1990, p. 31.

* 1 Pierre BOURDIEU, "Sociologie de l'Algérie", In QSJ, édit. PUF, Paris, 1962.

* 80 Pierre BOURDIEU, "Sociologie de l'Algérie", édit. PUF, Paris, 1962.

* 81 Reysoo FENNEKE, Pèlerinages au Maroc : fête, politique et échange dans l'Islam populaire, édit. Neuchâtel / Institut d'ethnologie / Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1991.

* 82 Ervin GOFFMAN, Gender advertisements, New York, MacMillan, 1979.

* 83 Expression de G. DEVEREUX, In De l'angoisse à la méthode, édit. Flammarion, Paris, 1980.

* 84 M. MAUSS, op. cit.

* 85 G. TILLION, op. cit., p. 11.

* 86 C. I. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, op. cit., p. XXVI.

* 87 Assia. DJEBBAR, Femmes d'Alger dans leur appartement, édit. Des Femmes, Paris, 1979, p. 175.

* 88 G. DEVEREUX, op. cit., p. 201.

* 89 Ibidem, p. 307.

* 90 J.-B. PONTALIS, "À partir du contre-transfert, le mort et le vif entrelacés", In Nouvelle revue de psychanalyse, août 1975, n° 12, p. 73.

* 91 Ghita EL KHIAT-BENNANI, Le monde arabe au féminin, édit. L'Harmattan, Paris, 1985.

* 92 Germaine TILLION, op. cit.

* 93 E. WILLEMS, Dictionnaire de sociologie, adaptation française par Armand CUVILLIER, 2ème édit. M. Rivière, Paris, 1970, p. 106

* 94 M. BOUTEFNOUCHET, Les travailleurs en Algérie, Alger, édit. S.N.E.D., 1979.

* 95 Ibidem.

* 96 Op. cit., p. 127.

* 97 T. LAURAS-LOCOH, & P. CANTRELLE, "Facteurs culturels et sociaux de la santé en Afrique", Revue N° 10, édit. C.F.P.D., 1990, p. 536.

* 98 Martine SEGALEN, Mari et Femme dans la société paysanne, édit. Flammarion, Paris, 1981, p. 29.

* 99 M. BOUTEFNOUCHET, op. cit.

* 100 G. TILLION, op. cit.

* 101 J. CHELHOD, Introduction à la sociologie de l'Islam, de l'animisme à l'universalisme, édit. Besson-Chantemerle, 1958.

* 102 Ibidem.

* 103 Z. ZEMOUM, "De la continuité révolutionnaire", Revue Révolution Africaine, Hebdomadaire, n° 884, 1982.  

* 104 * N.B. : Toute jeune, j'ai toujours entendu ces phrases par des couples, par mes propres parents.

* 105 - A. BOUDHIBA, La sexualité en Islam, édit. PUF, Paris, 1975, 1977, p. 263.

- Yvonne CASTELLAN, Initiation à la psychologie sociale, édit. A. Colin, 7ème édit, 1986, p. 29.

* 106 - Amel RASSAM, Peoples and cultures of middle-East, Prentice-Hall, Angleterre, 1983.

- D. BEHNAM, "L'impact de la modernité sur la famille musulmane", In Familles musulmanes et modernité, le défi des traditions, édit. Publisud, Paris, 1986.

- M. BOUTIRA, 1987.

* 107 A. BOUDHIBA, op. cit.

* 108 C. H. BRETEAU, N. ZAGNOLI, op. cit.

* 109 T. LAURAS-LOCOH, op. cit., p. 535.

* 110 Ibid.

* 111 Ibidem.

* 112 B. MARBEAU-CLEIRENS,  Les mères imaginées : Horreur et vénération, Préface de Jacques BRIL, édit. Les Belles Lettres, Collection Confluents psychanalytiques, Paris, 1988.

* 113 BRETEAU et ZAGNOLI, 1989-1990, pp. 276-277.

* 114 D. MARTINS, 1991.

* 115 W. DOISE, A. PALMONARI, Étude des représentations sociales, édit. Delâchaux et Niestlé, Paris, 1986.

* 116 Malek CHEBEL, "Le maternel", In Femmes de Méditerranée, Paris, Karthala, 1995.

* 117 Ibidem.

* 118 CORAN, Sourate XXIX, Al-`Ankabût (L'Araignée), Verset 31.

Sourate XXXIII, op. cit., Verset 57.

* 119 L. DE PREMARE, La mère et la femme dans la société familiale traditionnelle au Maghreb, Bull. de Psycho. XXVIII 314, Paris, 1975.

* 120 Madani GUERSSI, "Abdelwahhab EL FAKIHI", traduction de l'arabe en français, Journal Le Chroniqueur du 22 au 28 Août 1991, Alger.

* 121 C. I. LEVI-STRAUSS, Les structures élémentaires de la parenté, édit. Mouton, Paris, 1947, 1981.

* 122 G. DEVEREUX, "Considérations ethnopsychanalytiques sur la notion de parenté", In Ethno-psychanalyse complémentaire, édit. Flammarion, Paris, 1957, 1972.

* 123 G. DEVREUX, "La psychanalyse instrument d'enquête ethnologique, Données de fait et implications théoriques", In Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, 1957, 1977, pp. 1-83. 

* 124 Titouh Tassadit YACINE, L'Izli ou l'amour chanté en kabyle, édit. de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 1988.

* 125 S. FREUD, "Pour introduire le narcissisme", In La vie sexuelle, édit. PUF, Paris, 1914, 1977, pp. 81-105.

* 126 A. BOUDHIBA, Islam et Sexualité, thèse de l'Université Paris V, le 5 juin 1972.

* 127 F. MERNISSI, "Virginité et Patriarcat", In revue LAMALIF, Maroc, janvier 1979.

* 128 A. GAUDIO et R. PELLETIER, Femmes d'Islam ou le sexe interdit, édit. Denoël, Paris, 1980.

* 129 Naoual EL SAADAOUI, Face cachée d'Ève. Les femmes dans le monde arabe, édit. Des Femmes, coll. "Pour chacune", Paris, 1982, p. 91.

* 130 J.-P. CODIOL, op. cit. , 1980.

* 131 R. TOUALBI, Modèles conjugaux et représentations culturelles des jeunes en Algérie, Thèse de Doctorat d'État ès-Lettres et Sciences Humaines, Paris, 1994.

* 132 L. De PREMARE, La mère et la femme dans la société familiale traditionnelle au Maghreb, édit. Bull. de Psycho. XXVIII 314, Paris, 1975, p. 91.

* 133 J.CAZENEUVE, Sociologie du rite, édit. PUF, Paris, 1971.

* 134 Mahmoud Boucebci, , Psychiatrie, société et développement, édit. SNED, Alger, 1979, 1982.

* 135 Mahmoud BOUCEBCI, ibidem.

* 136 Ibid.

* 137 D. JEAMBAR, La femme face au Coran, édit. Le Point N, Paris, 1989.

* 138 S. NAÂMANE-GUESSOUS, Au-delà de toute pudeur, Thèse de doctorat de 3ème cycle à Paris VIII.

* 139 Naoual EL SAADAOUI, op. cit., pp. 295-296.

* 140 Ibidem.

* 141 Ibidem, p. 298.

* 142 Fatima MERNISSI, op. cit., pp. 29-30.

* 143 Barbara BABCOK, "The reversible world : symbolic inversion", In Art and society, Ithaca : Cornell University Press, 1978.

* 144 Source : O.N.S., Femmes et activité, n° 254, 1er Trimestre 1996.

* 145 Hélène VANDEVELDE-BAILLIERE, Malgré la tourmente, Paris, 1994, p. 160.

* 146 Ibid.

* 147 Dr J. DESSFORTS, Le droit de vivre et de bien vivre pour celles qui donnent la vie : Femmes et développement, édit. CRASC, Alger, 1995, p. 105.

* 148 Docteur BOUCEBCI, psychiatre algérien, assassiné par les intégristes.

* 149 M. BOUCEBCI, Psychologie suicide en Algérie, Les temps Modernes, juillet-août, 1982, p. 204.

* 150 J. DESS FORTS, op. cit., p. 105.

* 151 DHINA, Les États de l'Occident musulman au XIII ème, XIV ème et XV ème siècles, édit. O.P.U., Alger, 1984, p. 111.

* 152 GORDON, p. 43.

* 2 Ibidem, p. 45

* 3 Ibidem .

* 153 "À force de tâter toutes les blessures de la différence, de vivre déchiré sur le tranchant qui césure le Nous des Autres, je finis par supporter avec peine d'être à la fois ceux-ci et ceux-là, au point d'être mal assuré de mon identité", Jean AMROUCHE, L'éternel Jugurtha, Marseille, 1985, cité par K. DIRECHE-SLIMANI.

* 154 "Bureaux Arabes", In Encyclopédie Berbère, n° 11, Paris, 1992.

* 155 Ibid.

* 156 Salem CHAKER, Imazighen Ass-a, (Les Berbères aujourd'hui), édit. Bouchène, Alger, 1990.

* 157 Christine ACHOUR et Dalila MORSLY, "La femme en images et en mots", In La femme et la culture, Revue El Djazairia, Alger.

* 158 Dorra DRAOUI-MAHMOUD, Triki HORCHANI-ZAMITI, Femmes diplômées : pratiques novatrices, édit. FNUAP et IREP, Tunis, 1994.

* 159 Source : Statistiques O.N.S., n° 35, p. 24.

* 160 Ministère de l'Éducation Primaire et Secondaire, Informations statistiques n° 16, mai 1978, pp. 18-27.

* 161 SOURCE : Ministère de l'Education Nationale.

* 162 Rapport officiel intitulé: "Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes de 1996".

En dépit de ses limites, ce rapport contient des informations statistiques sur le taux de scolarisation des filles et l'évolution de l'emploi féminin.

* 163 Bulletin statistique du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique n° 18, Alger, mars 1979.

* 164 Ibidem.

* 165 Ministère de la Planification et de l'Aménagement du Territoire, Bilan de la Formation 1967-1978, ronéotypé, p. 46.

* 166 SOURCE : B.I.T. Annuaire des statistiques du travail, Genève, 1980 et 1984.

* 167 F. MERNISSI, "Beyond the veil : male-female", In Modern Muslim Society, Cambridge, Mashenkman, Boston, 1975, p. 103.

* 168 SOURCE : Ministère de l'Éducation Nationale, données statistiques de la formation supérieure, 1992-1993, p. 28.

* 169 Source de M. OSMANI, "Rôle et situation de la femme algérienne", Quotidien National El Watan du 17-18 janvier 1998.

* 170 N'Fissa ZERDOUMI, Enfants à trier, l'éducation en milieu traditionnel algérien, préface de Maxime RODINSON, édit. Maspero, Paris, 1970, p. 218.

* 171 Elle s'explique, en partie, par l'arabisation quasi-impossible dans le technique, ce qui a favorisé la fuite de l'administration de l'éducation vers l'enseignement général.

* 172 On va jusqu'à enseigner aux enfants que le canal de Suez a été construit par Nasser. L'histoire des Arabes ne manque pourtant pas de grands hommes et d'actions d'éclat.

* 173 Dans une émission télévisée française, "Envoyé spécial", en 1994, l'écrivain Rachid Mimouni en a cité d'éclatantes illustrations.

* 174 4 % selon des études récentes du C.N.R.A.D.

* 175 Mahmoud BOUCEBCI, Psychiatrie, société, et développement, édit. SNED, 1979.

* 176 C. CAMILLERI, op. cit., p. 337.

* 177 C. CAMILLERI, Ibid.

* 178 F. MERNISSI, Identité culturelle et idéologie sexuelle, le cas du Maroc et de la Chine, 14 ème congrès international d'Alger, édit. OPU, Alger, 1978.

* 179 Ibidem.

* 180 Mahmoud BOUCEBCI, op. cit., p. 48.

* 181 Ibidem, p. 51.

* 182 Souad KHODJA, "Les femmes musulmanes algériennes et le développement", In Le Maghreb musulman en 1979, sous la direction de Christiane SOURIAU, édit. du CNRS, Paris, 1979.

* 183 Dahbia ABROUS, op. cit.

* 184 Houria SAHLI, "Qu'est-ce que la marginalité pour une femme dans notre société, un mal ou une alternative obligée à sa libération ?", In Actes des journées d'études psychiatriques, Alger, 1989.

* 185 C. CAMILLERI, "Transferts de représentations et besoins", In Peuples méditerranéens, Fin du national, n° 35-36, avril-septembre, 1986, p. 104.

* 186 Dahbia ABROUS, op. cit.

* 187 BENNOUNE, p. 20.

* 188 J.-P. CHARNAY, p.20.

* 189 SOURCE : O.N.S. : "Statistiques", n° 3, 1984.

* 190 SOURCE : Idem.

* 191 N. E. HAMMOUDA, L'activité féminine : un indicateur des mutations socio-économiques, O.N.S. "Statistiques", n° 3, avril-juin 1984, p. 29.

* 192 M.P.A.T, Avant-projet du bilan social 1967-1968, décembre 1979, p. 24.

* 193 O.N.S., Données statistiques, Emploi féminin : Évolution de l'activité féminine entre 1966 et 1989.

* 194 Ibid.

* 195 Ministère du Travail, op. cit., p. 84.

* 196 Ibidem, p. 24.

* 197 O.N.S., op. cit.

* 198 Président Houari Boumédiène, "Discours au congrès de l'U.N.F.A.., le 20 novembre 1966", cité par Paul BALTA et Claudine RULLEAU, In La stratégie de Boumédiène, éd. Sindbad, Paris, 1978, p. 140.

* 199 U.N.F.A, "La situation de la femme en Algérie", document communiqué à la Conférence Mondiale de la Décennie des Nations Unies pour la Femme (Copenhague, 14-30 juillet 1980).

* 200 SOURCE : O.N.S., 1992.

* 201 SOURCE : Divers, R.G.P.H.

* 202 L'école fondamentale est obligatoire pour tout enfant, c'est-à-dire de 6 à 14 ans : six années pour le primaire et trois années pour le collège. Cet enseignement, dont dépend l'école primaire et qui représente le collège, accueille les élèves de la 7 ème AF à la 9 ème AF.

* 203 SOURCE : Ibid.

* 204 Ibidem.

* 205 W. JANSEN, Women without men, Brill LEIDEN, 1987.

* 206 F. ADEL, "Femmes et mariage", In Actes de l'atelier, femmes et développement, Alger 18-21, octobre 1994, CRASC, Oran, 1995, pp. 68-69.

* 207 A. LAKDJAA, "Le travailleur informel : figure sociale", In Insaniyat, n° 1, printemps 1997, CRASC, pp. 20-42.

* 208 Ibidem.

* 209 Enquête du Ministère du travail confiée à l'Institut National de la Planification (Études Démographiques Économiques et Sociales) à Alger en 1985.

* 210 Ibidem, pp. 32-33.

* 211 M. CAHEN-KASRIEL, 1986, p. 25.

* 212 Dehbia ABROUS, op. cit.

* 213 D. BEHNAM, "L'impact de la modernité sur la famille musulmane", In Familles musulmanes et modernité, le défi des traditions, édit. Publisud, Paris, 1986, p. 46.

* 214 Ibid.

* 215 C. BOUATTA, op. cit., p. 180

* 216 N. CHELLIG, op. cit., p. 68.

* 217 N. ALLAMI, 1988, p. 160.

* 218 M. CHEBEL, op. cit., p. 652.

* 219 C. BOUATTA, op. cit., p. 124.

* 220 Ibidem., p. 123.

* 221 Monique GADANT, Les femmes et la modernité, édit. Peuples Méditerranéens, juillet-décembre 1988.

* 222 Rédha MALEK, op. cit.

* 223 Ibid.

* 224 G. CAMPS, op. cit.

* 225 Ibidem.

* 226 M. GADANT, op. cit., p. 30.

* 227 Ibid.

* 228 H. VANDEVELDE-DAILLIERE, op. cit.

* 229 Ibid, pp. 241 et 270.

* 230 Gabriel CAMPS, L'Afrique du Nord au féminin, édit. Perrin, Paris, 1992.

* 231 A. ADAM, 1975, p. 9.

* 232 Appel des femmes du 22 mars 1994.

* 233 Lettre des femmes au Président algérien, le 22 mars 1994.

* 234 Motion Association de Défense et Promotion des Droits des Femmes.

* 235 1er novembre 1954, date du déclenchement de la lutte armée.

* 236 Monique GADANT, Le nationalisme algérien et les femmes, édit. L'Harmattan, Paris, 1995.

* 237 G. Camps, op. cit.

* 238 MOSCOVI, "Hommes domestiques et hommes sauvages", coll. 10 / 18, Paris, 1974.

* 239 Anne THOMSON, "La classification raciale de l'Afrique du Nord au début du XIX ème siècle", In Cahiers d'Études Africaines, n° 129, Paris, édit. EHESS, 1993.

* 240 G. LAOUST-CHANTRAUX, Kabyles, côté des femmes, la vie féminine à Aït-Hichem de 1937 à 1939, édit. Edisud, Aix En Provence, 1966.  

* 241 HANOTEAU & LETOURNEUX, La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris, Tome II, 1893.

* 242 Cité par M. LOUNAOUCI, "État-Nation, la démocratie et la question berbère", In Tifinagh, n° 10, Rabat, 1997.

* 243 Voir la deuxième partie de ce présent travail, p. 313.

* 244 On estimait la population d'illettrés moins forte qu'en France où elle dépassait 40 % en 1830.

* 245 Hamid SALMI, op. cit.

* 246 Amazigh (sing.) : ce terme est employé par un certain nombre de groupes berbères pour se désigner eux-mêmes et qui signifierait homme libre, noble. Ce terme a été attesté dans l'antiquité, ainsi, on rencontre Maxyes chez Hérodote ; Mazaces, Mazices, Mazikes, Mazax, Mazazaces chez les auteurs de langue latine (Encyclopédie Berbère, n° 4, édit. Edisud, Aix-en-Provence, 1987).

* 247 A. DJAGHLOUL, "M. Mammeri ou le courage lucide d'un intellectuel marginalisé", In Awal, édit. Maison des Sciences de l'Homme, CERAM, Paris, p. 94.

* 248 Rabah KHAHLOUCHE, "Plurilinguisme et identités au Maghreb", In UPRESA 6065 du CNRS- Université de Tizi-Ouzou, édit. Publications de l'Université de Rouen, 1997.

* 249 C. LACOSTE-DUJARDIN, "Démocratie kabyle. Les Kabyles : une chance pour la démocratie en Algérie", In Hérodote, n°65-66, "Afriques noires, Afriques blanches", 2 ème et 3 ème trimestre 1992, pp. 63-74.

* 250 C. LACOSTE-DUJARDIN, "L'invention d'une ethno-politique : Kabylie 1844", In Hérodote, n° 42, "Géopolitique des langues", 3ème trimestre 1986, p. 109-126.

* 251 - C. LACOSTE-DUJARDIN, Bibliographie ethnologique de la Grande Kabylie, édit. Mouton, Paris - La Haye, 1962, p. 114,

- Mathéa GAUDRY, La femme Chawiia de l'Aurès, édit. Geuthner, 1929.

* 252 Dictionnaire Robert.

* 1 Les Cahiers du CRIF, "Le corps des femmes", édit. Complexes, Bruxelles, 1992.

* 2 E. BADINTER, L'un et l'autre, édit. Jacob, Points, Paris, 1986.

* 1 Expression qui exprime une nostalgie : oh !là, là !, oh ! là, là !

* 253 El Houkouma veut dire celui qui commande, mais ici l'expression (en arabe) désigne l'État.

* 254 Melha a insisté sur les mots "LAÏQUE" et "CHARIA". Elle a demandé que nous les mettions en majuscules. Deux mots qu'elle oppose et qui lui semblent être contradictoires et opposés à sa personnalité. Nous la relançons aussitôt.

* 255 B. MERLANT-GUYON, Évolution de la représentation de soi et mise en jeu de l'élaboration de l'identité dans une expérience de formation de groupe, sous la direction de P. TAP, Paris, 1980.

* 256 Liliane LUCRAT, 1980, pp. 357-360.

* 257 B. MERLANT-GUYON, op. cit., pp. 353-356.

* 258 Ibidem.

* 259 J. CURIE, "Les modèles de sujet dans l'analyse psychosociale", In Psychologie et Éducation, n° 250, n° 2, édit. C.N.R.S, 1976.

* 260 M. VANANDRUEL , Les représentations de soi majoritaires et minoritaires, sous la direction de P. TAP, pp. 191-193.

* 261 T. LAFFERIÈRE, sous la direction de P. TAP, pp. 255-257.

* 262 Pierre TAP, Masculin et féminin chez l'enfant, édit. Privat / Edisem, Toulouse, 1985, pp.  3-4.

* 263 N. EL SAADAOUI, op. cit., pp. 295-296.

* 264 F. MERNISSI, 1983, op. cit., pp.29-30.

* 265 J.-P. CODIOL, op., cit.

* 266 J.-P. CURIE, op. cit.

* 267 M. VANANDRUEL, op. cit.

* 268 R. CRESSWELL, Éléments d'ethnologie 1, édit. A. Colin, Paris, 1975.

* 269 Albert BRIMO, Méthodes des sciences sociales, édit. Mont Chrétien, Paris, 1972.

* 270 Simone DE BEAUVOIR, Le deuxième sexe, op. cit. p. 22.

* 1 EL MOUDJAHID, Quotidien National, n°5153, sous la rubrique : "Statut personnel", 1981.

* 2 À Barcelone en 1992, elle fut menacée par les terroristes islamistes pour la pratique du sport et pour sa présence dans les stades.

* 1 Raymond CARPENTIER, Essai sur l'ambiguïté de l'information.

* 1 Nadjet KHADDA, Écrivains maghrébins et modernité textuelle, édit. L'Harmattan, Paris, 1994.

* 271 IBN ROSHD, Fasl al-Maqâl (Discours décisif).

* 1 M. LACHEREF, "Réflexions culturelles et politiques sur la Société algérienne", Quotidien El Watan du 4 juin 1998.

* 2 M. BOUTEFNOUCHET, La famille algérienne, édit. SNED, Alger, 1979, pp. 71-73.

* 1 M. BOUTEFNOUCHET, La famille algérienne, op. cit., p. 70.

* 1 Cité par Simone DE BEAUVOIR, op. cit.

* 272 H. VANDEVELDE-BAILLERE, op. cit., p. 37.

* 1 M. AL QUANAWI, Kitâb fath ar-rahmâne, cité par A. BOUDHIBA, In La sexualité en Islam, édit. PUF, Paris, 1975, pp.145-146.

* 273 D. AMHIS, Silence et parole, édit. Orcyte, Alger, septembre 1992.






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