REMERCIEMENTS
Dans l'espoir que ces quelques mots parviennent à
exprimer tout ce dont je leur suis redevable, non moins que la profondeur de ma
gratitude, je souhaite que se voient ici remerciés tout ceux qui ont
contribué à l'achèvement de ce travail.
Madame Françoise DUROUX, pour sa direction
attentive et pour son enseignement et recherches au sein de l'Institut des
Études Féminines, de l'Université Paris 8,.
Les membres du jury qui ont bien voulu lire et critiquer
ce travail,
Monsieur Aîssa Kadri, Professeur à I'Institut
Maghreb-Europe (Univversité Paris 8), pour son généreux
accueil du Groupe de recherche (GREIEC) auquel j'appartiens.
Madame Ruth Khon Canter (Présidente du Groupe de
Recherches en Action Sociale, professeur en Sciences de l'Education) pour sa
compréhension, et ses encouragements constants.
Monsieur Jacques ARDOINO, pour la convivialité de
ses cours et la pertinence de ses conseils .
Monsieur Guy BERGER, professeur et secrétaire
général du GREIEC, pour sa rigueur et son exigence, ainsi que
pour l'indispensable animation de notre groupe de réflexion. . Nous ne
pouvons nous passer de lui en toute circonstance : c'est notre ami et
dirigeant.
Tous les professeurs qui m'ont encouragés à
devenir " sujet-actrice".
Ce travail, bien sûr, n'aurait pas abouti sans la
généreuse participation des femmes interrogées et je tiens
à remercier ici : Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Malika, Leila, Melha,
Katia, Djedjiga, Fariza, Khadidja, Chabha, Assia, E. F., E. K. pour leur
contribution à ce travail mais aussi à la plus grande
compréhension que j'ai pu avoir de la femme algérienne
d'aujourd'hui.
J'adresse enfin un remerciement spécial à ma
famille,
à mon fils qui a patiemment suivi mon travail et
partagé ses enjeux,
à mes parents qui m'ont encouragée dans la
voie du savoir, et de la citoyenneté
à mes soeurs, pour leur aide et pour la reprise du
flambeau dans la lutte quotidienne pour les droits des femmes
algériennes.
Que tous mes professeurs, qui m`ont encouragée
à devenir "actrice", trouvent ici toute notre gratitude, avec nos
respects.
Je tiens à rendre hommage à toutes les
femmes qui luttent pour leur émancipation, à celles qui militent
contre l'oppression et pour la liberté ainsi qu'à toutes les
femmes meurtries dans leurs chairs et leurs âmes pour que vive une
ALGÉRIE démocrate et libérale.
À la mémoire de toutes les victimes de la
barbarie islamiste-intégriste, à ces victimes qui ont
refusé de changer leurs vies, de se taire, de faire entendre leurs voix,
de haïr et qui ont continué à transmettre le savoir,
à renoncer à abdiquer, à écrire pour dire leur
détermination. Étudier, écrire et travailler pour dire non
à la terreur, pour dire que l'Algérie est debout !
Liliane Mébarka.
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
I- CADRE DE LA RECHERCHE
II- PROBLÉMATIQUE
III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES
IV- INVESTIGATIONS
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE I : LA
FEMME ET LES TEXTES
I- LA PLACE DE LA FEMME DANS L'ISLAM
II-LES SOURCES ET LES NORMES DE LA LOI ISLAMIQUE
III- LA FEMME ET LA LÉGISLATION DE LA FAMILLE
IV- LA CITOYENNETÉ DES FEMMES ET
L'ÉGALITÉ DES DROITS
V-LE TRAITEMENT INEGAL DES FEMMES
VI-LA CITOYENNETE DES FEMMES ET L'EGALITE DES DROITS
VII-ACCÈS À L'ÉGALITÉ DES CHANCES
: PARTICIPATION DES FEMMES
CHAPITRE II : SPHÈRE PRIVÉE /
SPHÈRE PUBLIQUE
I- L'ESPACE PRIVÉ / L'ESPACE PUBLIC
II- LA PLACE DE LA FEMME DANS LA STRUCTURE FAMILIALE
III- LA FEMME ET LA SEXUALITÉ
IV- LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE PRIVÉ
CHAPITRE III : LES FEMMES ET LA SCOLARISATION
I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON
ÉVOLUTION
II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE ALGÉRIENNE
III- L'ÉDUCATION DE LA GENT FÉMININE DEPUIS
L'INDÉPENDANCE
IV- DIFFÉRENCIATION DES TAUX DE SCOLARISATION
V- QUELQUES DONNÉES EN COMPARAISON AVEC LES PAYS
VOISINS
CHAPITRE IV : LA FEMME ET LE TRAVAIL
I- LA FEMME / LA SOCIÉTÉ ET LE TRAVAIL
II- LE TRAVAIL SALARIÉ FÉMININ ET SON
ÉVOLUTION
III- LA VIE FAMILIALE DES ALGÉRIENNES
SALARIÉES
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE I : LA GRANDE KABYLIE
I- LES BERBÈRES ET LA GRANDE KABYLIE
II- L'ACCULTURATION
III- LES REVENDICATIONS ET LA LANGUE
IV- LES FEMMES KABYLES
CHAPITRE II : TRAVAIL DE TERRAIN
I- MÉTHODOLOGIE
II- PRÉ-ENQUÊTE
III- REMARQUES SUR LES ENTRETIENS
CHAPITRE III : ENTRETIENS AVEC LES
KABYLES
I- ENTRETIENS
II- POINTS DE VUE
III- SYNTHÈSE DES ENTRETIENS
IV- ANALYSE ET CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
I- RÉALITÉ ALGÉRIENNE
II- RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES
III- POÈME : SILENCE ET PAROLE
BIBLIOGRAPHIE
LEXIQUE
ANNEXES
I- ANNEXE 1 : LE CODE DE LA FAMILLE
II- ANNEXE 2 :
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
Aucun problème, à mon avis, n'a
été aussi préoccupant que celui de la (d'une) femme,
notamment dans les pays arabo-musulmans. Les problèmes énormes et
intenses qu'elle avait suscités dépassent de loin en
complexité tous les autres problèmes sociaux. Depuis des
années, les femmes sont une cible privilégiée pour tous
ceux qui militent en faveur de la régression sociale : pourfendeurs
de la protection sociale et du service public, défenseurs de la
natalité par le biais du mariage et de la constitution de familles
stables, promoteurs de l'ordre social, partisans du retour au foyer,
intégristes...
La femme algérienne cherche, revendique son
identité et sa place dans la société en
disant : "Je suis une personne à part
entière...".
Je vais essayer de montrer, sans polémique, la
réalité intrinsèque d'un problème qui ne se laisse
réduire à aucun autre plus légitime : la frustration
des femmes n'est pas seulement une invention de bourgeoises ou
d'intégristes ; l'opposition des hommes à une
libération (qualifiée d'excessive) est plus profonde et parfois
plus généralisée qu'on ne le croit, elle établit
l'exigence féminine comme une exigence autonome qui n'est pas seulement
réductible à des exigences plus vastes, lutte de classes, lutte
nationale, lutte anti-terroriste, lutte anti-impérialiste... ; non
que celles-ci soient de simples prétextes et de faux-semblants, leur
dominance a été amplement prouvée dans l'histoire et les
femmes y participent à part entière mais reparaissent toujours
en-dessous, insolites et gênantes, il y a l'autre lutte,
c'est-à-dire celle des femmes cherchant à gagner leur
reconnaissance par le monde des hommes.
On peut se demander pourquoi cette lutte est si difficile dans
un pays qui tire son prestige de la libération,
libération nationale vécue comme histoire toujours
présente et libération sociale proposée comme projet
à réaliser. Bien entendu, il y a des raisons pour que toutes les
libérations soient solidaires mais, souvent, la libération (ou ce
qui est vécu comme telle) dans un secteur de relations sociales
s'accompagne du maintien de la répression dans un autre secteur,
voire de
l'apparition d'une autre répression d'autant plus forte
qu'elle est perçue comme naturelle ou même pas perçue du
tout. Mais justement, la situation féminine ne fait plus partie de ces
zones sociales obscures où la répression refoule les exigences
avant même qu'elles aient eu le temps de se former.
Faut-il alors incriminer l'archaïsme des moeurs des
populations rurales qu'il convient de moderniser vigoureusement comme la Charte
Nationale ou le Code de la Famille y appellent fréquemment en divers
domaines ? Seulement, il n'est pas sûr que le mode de vie urbain et
moderne soit le facteur de libération en soi ; on peut
vraiment se demander si n'importe quelle urbanisation, n'importe quelle
modernisation favorisent une émancipation ; de bons exemples ne
manquent pas pour montrer soit la (ré)activation de valeurs
répressives de la part du monde des hommes, soit l'existence de
conditions matérielles retirant les femmes du réseau de relations
sociales rurales qui leur assurait un minimum de communications pour les
enfermer dans des conditions modernes souvent plus sévères que
les conditions traditionnelles.
Reste l'effet de la colonisation si fortement souligné
par Frantz Fanon. Il est vrai que l'idéologie implicite du colonialisme
(plus d'ailleurs que ses doctrines officielles) a considéré
l'oppression féminine comme la marque essentielle de la religion
musulmane et une excellente justification de l'oeuvre bienfaisante de la
conquête. Tout ceci est assez comique pour qui a en mémoire la
situation des femmes au sein d'une bonne partie du groupe colonisateur, mais il
est, en tout état de cause, important de noter que cette
idéologie implicite a produit chez le groupe colonisé un discours
explicite qui en prenait exactement le contre-pied. Les rapports hommes-femmes
y étaient présentés comme un aspect secondaire des
problèmes assaillant la société algérienne et,
d'ailleurs, ces rapports étant excellents, toute revendication à
ce sujet ne pouvait être que bourgeoise ou étrangère au
génie profond du peuple.
Ces explications ne me paraissent guère satisfaisantes
pour rendre compte du décalage entre les valeurs affirmées par
les décalages politiques et les réalités de la condition
féminine quotidienne. On peut hasarder l'hypothèse que c'est
justement le changement accéléré (éducation massive
y compris des filles, exigences d'emplois et de biens de consommation ainsi que
d'information, urbanisation, etc.) emportant une société
faiblement bourgeoise (au double sens de citadine et capitaliste) qui explique
les résistances au changement. L'ambitieuse aventure dans laquelle
l'Algérie est engagée, du fait entre autres de ses paris
industriels, ne peut qu'engendrer un sentiment d'angoisse et de crise
d'identité, même et peut-être surtout chez ceux qui en
bénéficient. Toutes les techniques de reproduction (famille,
mariage, comportement envers la natalité et les enfants) vont tenter de
se figer pour que demeure, quelque part, un terrain ferme sur lequel la
société civile puisse s'enraciner.
Or, ces techniques apparaissent comme très fortement
tributaires d'une famille élargie inadaptée aux conditions de la
vie urbaine actuelle. La famille conçue comme une association volontaire
d'individus égaux, telle qu'on l'observe dans les pays
développés, est certes souhaitée à la fois par la
société politique - qui y voit une garantie de régulation
sociale en période d'intense changement - et par la
société civile - qui y voit une solution idéalement
économique à ses problèmes matériels - mais,
comme toute cellule sociale, elle ne s'improvise pas aisément en
l'absence d'une société citadine assez ancienne et assez forte
pour en répandre le modèle. Ceci impose, par conséquent,
au régime politique d'opérer des choix fermes sur les instruments
capables de promouvoir le modèle de famille adapté aux exigences
d'un développement socio-capitaliste. De ces instruments (qu'ils
concernent la famille, les lois, la religion ou d'autres aspects de la
situation féminine), j'ai essayé de montrer comment, en
Algérie, on peut être une femme qui construit la
société.
Il est évident que le militantisme assume un rôle
important car il constitue, en fait, les moteurs de l'évolution de la
société. Remettant en cause les idées reçues, les
analyses banales qui guident l'action quotidienne de l'homme en font ressortir
les éléments-clefs sur lesquels l'action humaine peut agir pour
construire des lendemains à la mesure de l'homme. Pourquoi ne pas
utiliser la scientificité pour une conceptualisation des
interprétations ?
Une autre raison tient à certaines
préoccupations en matière de développement : celle-ci
dépend à la fois de l'intervention de l'État et de
l'adhésion des populations ; or, celle-ci existe comme on l'a fort
bien dit "lorsque la masse des adultes (hommes et femmes) éprouvent
avec force le besoin d'améliorer leur condition d'existence et sont
prêts à y consacrer leurs efforts".
L'importance du facteur psychologique de volonté de
promouvoir le changement est reconnue par expérience comme jouant un
rôle très important dans le développement. Or, il nous
semble que les femmes très désireuses de sortir de leur condition
effacée peuvent aider puissamment à créer cette
volonté de développement. Pourquoi, dès lors, les
maintenir dans un rôle subordonné et un statut
d'infériorité qui ne peuvent que retarder l'adaptation aux
impératifs du développement qui requiert que toutes les forces du
pays soient mobilisées sur cet objectif ?
D'où les questions : pourquoi cette situation
inadaptée concernant la population féminine ? Et
éventuellement : comment la modifier ?
Une autre raison, plus personnelle et aussi lointaine dans le
temps, m'a orientée vers ce thème d'étude : j'ai
intimement connu un certain nombre de femmes qui ont pris une part active
à la lutte de Libération à l'intérieur du pays
comme à l'extérieur, les moudjahidates ou membres de
l'organisation civile du Front de Libération National (aujourd'hui,
certaines sont au foyer ou en exil, d'autres sont de ferventes militantes
d'associations ou députées). Ces moudjahidates et
militantes exprimaient, à l'époque, la façon dont elles
voyaient l'avenir de l'Algérie après l'indépendance et,
notamment, la transformation de la condition féminine qui,
pensaient-elles, pouvait être déjà posée comme un
fait acquis. Elles envisageaient, certes, la nécessaire éducation
du milieu féminin mais n'évaluaient pas exactement la force des
"coutumes et préjugés" et la pression sociale qui
allaient se révéler, par la suite, des obstacles tellement forts
à l'entrée des femmes dans la "cité".
Les responsabilités et initiatives à prendre
avaient introduit un tel changement dans leur vie qu'il leur semblait qu'il en
était ainsi pour l'ensemble des femmes, celles-ci ayant eu, à un
titre ou à un autre, à faire face à des situations
nouvelles du fait des bouleversements apportés par la guerre de
Libération.
Or, j'ai dû constater que les femmes, dans
l'Algérie indépendante, ont été peu à peu
repoussées, pour la plupart, vers le monde privé et le rôle
traditionnel de la femme limité au foyer... alors que, pourtant, pendant
la lutte, certaines d'entre elles avaient participé pleinement aux
affaires publiques à divers titres, même politiques.
D'où le désir de comprendre à quoi
était due cette sorte de mise à l'écart ? De plus, la
profonde insatisfaction éprouvée par beaucoup de femmes et due
à cette situation de retrait engageait à rechercher les processus
pouvant assurer le passage d'une structure sociale à une autre, plus
favorable à une participation de l'ensemble des femmes et non seulement
de quelques individualités (aujourd'hui, on les entend crier au scandale
par rapport à la situation du pays).
Par ailleurs, si les femmes algériennes sont
très fortement participantes à la réalité nationale
puisqu'on les considère même comme gardiennes de ses valeurs
profondes, dans quelle mesure sont-elles alors participantes à
l'édification collective du pays et même aux décisions qui
fixent leur destin personnel ? Également, sont-elles partie
prenante au même titre que les hommes ? L'accès à la
modernité, par exemple, n'est-il pas moins aisé pour elles ?
Bénéficient-elles des progrès du développement au
même titre qu'eux ? Quand je parle de participation, j'entends par
là son apport au développement, donc le degré d'engagement
des femmes et le degré de justice sociale à son égard.
I- CADRE DE LA RECHERCHE
L'objet de cette recherche est, d'abord, d'étudier
l'application du Code de la Famille algérien sur la femme
algérienne en Algérie. Plus largement, elle se propose
d'analyser, à travers le parcours social de la femme algérienne,
de sa condition, la relation de cette dernière avec le Code de la
Famille et l'impact de cette application sur le processus de la construction
sociale.
Mon but est également d'étudier les rôles
actuels de la femme afin de tenter d'expliquer ses aspirations dans une
société où deux modèles antithétiques sont
en présence. Dans cette optique, il m'a, en effet, semblé
important de m'intéresser aux rôles de sexes actuels en postulant
que les aspirations sont déterminées par rapport aux rôles
actuels (vécus ou attendus) et aussi par rapport aux conflits qu'ils
engendrent en fonction du système de valeurs valorisé.
Ma recherche s'inscrit dans la lignée de la
pensée des travaux menés par Simone De Beauvoir, Germaine Tillion
et C. Camelleri 1(*) sur le
changement socioculturel en Algérie et ceux dirigés par P. H.
Chombart De Lawe 2(*) sur
les transformations de l'environnement, des aspirations et des valeurs.
D'autres auteurs m'ont interpellée, inspirée, questionnée
comme Georges Devreux, Pierre Bourdieu, Alain Touraine, Malek Chebel, Tassadit
Yacine, Monique Gadant pour qui j'ai une forte pensée (grâce
à ses écrits, elle nous replonge dans les années de
Boumédiène ; dommage qu'elle ne puisse plus être parmi nous
pour voir, peut-être, l'évolution de l'Algérie. Qu'elle
repose en paix !) ...
A- CHOIX DU THÈME
L'intérêt suscité par la remontée
de l'intégrisme pour la question de la femme en Islam et, surtout, son
statut juridique a donné naissance à une multitude d'ouvrages sur
la question. En 1981, Christiane Souriau qualifiait déjà cette
bibliographie sur l'Islam d'impressionnante 3(*). De part et d'autre, la question de la femme
cristallise les discussions et l'Islam se réduit à cette seule
question. Les intégristes en font leur cheval de bataille contre les
moeurs occidentales et entendent confiner la femme à la maison ou
derrière un voile qui protège "l'honneur" de la
société musulmane. L'Occident et les associations
féminines crient à l'atteinte aux droits de la femme en mettant
au devant de la scène la question du voile islamique.
Mon attention a été retenue par l'aspect
juridique de la situation de la femme algérienne, notamment en Grande
Kabylie où les traditions ancestrales l'emportent beaucoup plus sur
l'application de la Charia ou du Code de la Famille que j'expliquerai
dans ma recherche. Mon étude s'inscrit également dans un vaste
processus de conscientisation qui est le préalable à toute
libération. Il s'agit de l'immense monde féminin, cette
"dernière colonie de l'homme" 4(*), et, plus précisément, de la femme
kabyle, algérienne, qui, s'il existe une échelle
d'évaluation des libertés, serait assurément située
bien bas.
Les musulmans (surtout les intégristes) veulent voiler
la femme pour ne pas la dévoiler. Pourquoi ?
Aborder la société algérienne par le
biais du voilement et du dévoilement de la femme est assez
délicat et nous renvoie à plusieurs thèmes : à
l'histoire, à l'Islam, à la famille, à l'espace
privé et à l'espace public... Il s'agit, en l'occurrence, de
l'angoisse du chercheur face à un matériel dont le questionnement
renvoie à soi. C'est ce que G. Devreux désigne sous le terme de
"contre-transfert social".
Dévoiler les femme algériennes et, par
extension, les Kabyles, est une démarche qui n'est pas aisée pour
une Algérienne en France quand on connaît le rôle qu'a
joué le voile durant la colonisation et toute la stratégie
élaborée par le colonisateur pour déchirer le voile,
pénétrer le monde des femmes et les attirer à
l'extérieur; ayant compris que s'il arrivait à les
dévoiler, il réaliserait sa victoire définitive
réfractaire à toute pénétration
étrangère.
Cette première mise à distance a permis
l'émergence d'un questionnement sur la femme et le processus de son
existence et de sa construction comme corollaire pour être un point
d'étude d'une thèse de troisième cycle.
Un autre aspect a attiré mon attention car on n'a
jamais autant parlé de langues et d'identités en Algérie
qu'aujourd'hui, notamment en Kabylie. Pourquoi donc cette problématique
revêt-elle une acuité particulière dans cette région
? Sans doute parce que des crises majeures s'y manifestent et mettent en
question la légitimité d'une affirmation identitaire monovalente
dont le contenu est uniformément universel. Crise de
l'État-Nation-Parti qui n'est pas en mesure d'offrir un langage
cohérent à ses citoyens et de leur garantir une certaine
modernité. Crise de la modernité elle-même, laquelle est
mise en cause par certains en raison de son caractère étranger
et, enfin, crise des sexes où l'émancipation féminine
interpelle l'identité masculine. À ces multiples formes de crise,
s'ajoutent des mutations sociales fulgurantes qui, en bousculant certaines
traditions, constituent une forme de crise.
Ces crises ont incontestablement des effets perturbateurs.
Comment ne pas constater qu'elles ont des répercussions sur la
conception de l'identité ? Comment ne pas comprendre qu'on s'accroche
davantage à la vision homogénéisante et uniformisante de
la langue ? Dans un contexte où l'on confond, voire où l'on feint
de confondre unité/unicité, universalité/uniformité
et langue unique/langue commune, tout ce qui est de l'ordre de la
différence est plutôt bâillonné.
1- RAISONS PERSONNELLES
Le choix du sujet de cette thèse est dû à
mon propre parcours. Les réflexions sur ma vie passée me viennent
en tête : jusqu'où est allé mon engagement de mère,
de militante, d'enseignante et de femme algérienne ? Qu'ai-je
réellement fait pour mon pays, ma famille, pour l'école et pour
les femmes en étant militante des droits des femmes ? Quel est le moteur
de ma vie et quel fil conducteur relie mes actions aujourd'hui? Je ne peux que
m'interroger...
Je fus marquée par une double éducation
religieuse : musulmane et chrétienne. Un point commun reliait celles-ci
: le dévouement, l'amour de son prochain, la justice... On me rappelait
aussi trop souvent ma position en tant que fille, femme et épouse (avec
les contraintes dues au sexe dit "faible"). Si je respectais ces enseignements,
je n'en étais pas moins révoltée, je sentais à quel
point mon statut de femme me couperait "les ailes".
J'ai vécu ma vie d'étudiante dans une certaine
gaieté, un désir de connaissances malgré un rejet
progressif du religieux (ayant une double culture franco-berbère).
À cette époque, il m'est apparu, dans ma culture,
l'inégalité flagrante entre les sexes, femme j'étais... et
femme je resterais et je devrais me battre. Je sentais que le combat serait
rude et l'avenir me l'a, hélas !, démontré mille
fois...
Un fait marquant dans ma vie : mon divorce. À partir de
cette période, j'ai réellement pris conscience du Code de la
Famille : je l'ai subi ! J'ai enfin réalisé que, toute ma vie, je
serai mineure pour la société algérienne. Depuis, j'ai
voulu bouleverser le monde en m'engageant dans le monde associatif pour les
droits des femmes...
Je me questionne en disant : est-il possible de mener à
bien mon sujet de thèse en fonction de mes acquis, de mes
préoccupations et des grandes lignes de mes réflexions ?
Quelles sont mes implications ?
Il est, en effet, intéressant et difficile de
construire un espace de théories permettant, le temps d'une distance
salutaire, de comprendre pour soi et avec les autres, les enjeux d'un
engagement, d'une lutte et des échanges.
Au-delà de ma volonté amenée par tout ce
qui la précède (une histoire, une expérience, des drames,
des événements), au-delà d'un voeu ouvert sur l'avenir, il
me reste un thème qui me tient à coeur : celui des femmes ;
lucidement, patiemment, il a pris le prétexte d'une démarche
universitaire pour travailler mes implications, disons plutôt ma
façon d'être.
Il me semble que l'analyse de ses propres implications est un
bon antidote au volontarisme borné exigé par toute une
armée d'experts et de technocrates ; elle permet d'accéder
à une compréhension de ses engagements, eux-mêmes
liés à des positions, à des statuts, à des
appartenances multiples, dans des contextes sociaux qui n'inscrivent pas leurs
actes dans la durée du projet ou qui rejettent purement ; elle invite
à réfléchir sur la "conséquence de ses
actes".
Mon travail n'est pas facile car il suppose que nous nous
attaquons à des routines ou que nous dénonçons ce qui
existe. Or, c'est quand on commence à dénoncer les allants de
soi, à dévoiler les "non-dit" que la lutte s'incarne et
prend corps. Encore faut-il que notre lutte soit mise en perspective pour la
penser et en tirer, pour soi et pour les autres, les conséquences
(recherche impliquée).
J'ai essayé de montrer qu'il n'y a pas de lutte
ex-nihilo. La lutte nous fait prendre la mesure souvent douloureuse du
politique et de l'institution. Il n'y a pas d'inscription en dehors des
institutions. À cet égard et pour cause, ma thèse est
pleine d'institutions de toutes sortes : l'institution du mariage, de la
famille, l'institution religieuse, la langue, l'État, l'école...
Par sensibilité, c'est cette dimension qui m'a frappée dans mon
parcours, dans celui des autres femmes avec lesquelles j'ai eu des entretiens
ou que j'ai connues, comme si les institutions, celles qui nous ont
façonnées et qui façonnent le destin, imposaient la
nécessité de mieux connaître, à travers mon histoire
et mon expérience, comme celles des femmes algériennes.
Mais, du coup et dans le même temps, on peut se demander
s'il est possible de découvrir l'institution autrement que par
"affrontement" ? Et, à partir de son expérience, peut-on
élucider de manière abstraite, désincarnée, par un
acte de connaissance objective et rationnelle ? Peut-on analyser les
institutions sans agir et "militer" ? Mais alors, qu'est-ce que
militer ? Qu'est-ce que l'analyse militante ? Est-ce une forme d'analyse qui,
loin de s'aveugler elle-même (totalitarisme, volontarisme) en
procédant par affirmations / réductions, introduirait de la
relativité, de l'intelligence, de la conscience et finalement de la
démocratie ? Voilà d'autres questions que je me pose dans le
cadre de ma recherche.
S'agissant de ces dimensions, l'historien Pierre Nora
écrivait que :
"Aucune activité intellectuelle n'est sans doute
aussi dépendante que l'histoire des raisons qui poussent à s'y
intéresser, des conditions de son élaboration, de ses lieux
d'épanouissement, des circonstances, de sa production, de ses
enracinements psychiques et biographiques".
Très jeune, je ne comprenais pas pourquoi les femmes se
voilaient lorsqu'elles sortaient ? Pourquoi les hommes les dévoilaient
dans la rue ? Une de mes soeurs avait une institutrice qui se voilait,
arrivée à l'intérieur de l'école, c'était
une autre femme ! À mon interrogatoire, elle m'a répondu que
"c'était la tradition, pour ne pas attirer les hommes ; pour son
mari : c'était le voile et le travail ou la maison...".
Pourquoi se voilent-elles pour se rendre sur l'espace public ?
Dans cette distance extérieure, le voilement et le
dévoilement de la femme algérienne s'imposent comme un
phénomène dont le mouvement est en relation avec les grandes
ruptures d'équilibre social. Chaque fois qu'il y a une rupture dans la
continuité de l'histoire telle que la colonisation ou la
décolonisation, le renversement d'un État, la révolution
islamique, il y a un retentissement au niveau de la femme. Certains vont la
voiler, d'autres vont la dévoiler. À quel moment intervient l'une
ou l'autre séquence ? Quel est la fonction et le sens de ce
phénomène ? Je crois que le voilement de la femme a un sens
caché, occulte et, précisément pour cela, important.
Le voile dans la société algérienne, et
musulmane en général, fait partie d'un système
cohérent. Y toucher, le questionner implique le questionnement de la
structure d'ensemble qui le sous-tend et, par conséquent, exige du
chercheur le recours aussi bien à la dimension historique que
sociologique. Je suis, me semble-t-il en présence d'un fait social
total au sens où l'entend Marcel Mauss 5(*).
L'élément féminin dans les
sociétés musulmanes, par son caractère caché,
occulte, voilé, infiltre tout l'ensemble et apparaît en filigrane
aussi bien dans le comportement quotidien du particulier - son honneur et sa
dignité sont largement tributaires du comportement de ses femmes (sa
femme, ses filles, ses soeurs, ses cousines...) qui peuvent l'élever aux
yeux de la société par un comportement fait de
réserve et d'effacement ou le rabaisser en contrevenant
aux coutumes - que dans les décisions prises à l'échelle
nationale, en effet, malgré les options modernistes des gouvernants,
leur silence ou leur malaise dans le traitement de toute question concernant la
multiplicité de ses incidences.
La femme semble détenir ou être garante de
l'honneur de la nation, de la société ou tout simplement de la
famille. Dès lors, son immobilisation ou son voilement devient une
nécessité car, dès qu'elle bouge, elle menace les valeurs
ancestrales qui constituent le groupe. Pour comprendre le voilement, il va
falloir "dénuder les fondations de notre propre
société. Il est présent dans la structure même de
cette société endogame et tribale" 6(*).
Est-ce que le voilement ou le dévoilement est un
véritable problème qui mérite réflexion ou n'est-ce
qu'une gageure, conséquence de notre occidentalisation? La femme
algérienne peut-elle être autrement que voilée actuellement
et, après tout, ne serait-elle pas qu'un vestige de l'Histoire de la
femme, un mouvement attardé lié à notre
sous-développement ? Il n'y avait donc plus qu'à laisser faire
l'histoire et les choses suivront inéluctablement leurs cours vers une
évolution pleine et complète de la femme comme partout ailleurs.
Mais, si je reprends ce qu'a écrit Germaine Tillion sur
cette société, je me rends compte, encore une fois, que ce n'est
qu'un refus déguisé d'aborder le sujet, et ceci est en rapport
avec toute l'angoisse qui lui est liée :
"N'oublions pas que l'évolution urbaine est plus
ancienne dans le levant méditerranéen que partout
ailleurs...depuis le néolithique" 7(*).
"Si, d'un côté, l'Algérie socialiste
avec ses plans d'industrialisations lourdes... vers l'avenir, l'Algérie
islamique, par contre, regarde vers le passé pour renforcer les
traditions arabes : les femmes actuellement encouragées à porter
le voile pour bien marquer l'intention de l'Algérie de vouloir choisir
une voie de développement qui ne soit pas entachée
d'occidentalisme" 8(*).
Une société des plus avancées s'est
figée, sous quelle fascination ou quelle emprise ? Mon objectif n'est
pas d'approfondir l'origine de la stagnation, ni les multiples facteurs qui
sont nécessairement entrés en jeu. Je limiterai mon étude
à l'élucidation d'une de ces causes de retard qui est, à
mon sens, la mise à l'écart de la moitié féminine
de la population. Cette mise à l'écart se traduit par la
persistance du voile qui, à lui seul, suffit à
caractériser la société musulmane comme étant celle
qui voile ses femmes.
Le voile n'est-il pas une forme d'identité nationale ?
Qu'est ce qu'une identité féminine ou des identités ?
Pour un pays nouvellement indépendant, la
définition ou la redéfinition d'une identité nationale ne
va pas de soi sur le plan idéologique comme sur le plan existentiel,
quelles que soient les proclamations officielles qui se veulent
contradictoires. Aussi, les mots qui servent à dire l'appartenance
ethnique, l'appartenance culturelle, l'appartenance nationale, sont-ils un des
lieux privilégiés de figements identitaires,
d'ambiguïtés et de conflits sur le sens, reconduits consciemment ou
non dans les productions discursives ? Repérables dans les textes
fondateurs de l'État qui vient de se constituer, ces antagonistes,
feutrés à l'écrit, s'exhibent ouvertement en interaction
verbale dans les propos de la vie quotidienne. Ils perturbent fortement le
déroulement du dire lorsque des interlocutrices sont sollicitées
pour parler de ce sujet brûlant.
Dans l'Algérie d'aujourd'hui, plus de trente ans
après l'indépendance, la question du contenu de l'identité
nationale se pose en termes d'urgence existentielle. Les tensions politiques
récentes que connaît ce pays exacerbent le malaise. Les entretiens
que j'ai conduits ont pour objet de cerner les difficultés
éprouvées par des locutrices pour parler de leur
algérianité. Par rapport à quelles mêmes et
à quelles autres sont-elles en mesure de se positionner
lorsqu'elles se proposent de mettre en mots ce que signifie pour elles :
"être algérienne, une femme" ? Dans un débat de ce
type, je suis directement impliquée.
Il est important de souligner que la situation linguistique
(arabe - kabyle - français) actuelle de l'Algérie,
tiraillée entre une politique unificatrice volontariste et une
réalité plurielle, est une des causes majeures des distorsions
qui m'ont amenée à constater des revendications légitimes.
Dans ces conditions, il est à la fois difficile et périlleux de
se positionner dans sa parole, ses mêmes et ses autres
tout autant que de se positionner soi-même, en tant que
même et en tant qu'autre. Parmi les interlocutrices
interviewées, certaines vivent dans une impasse, prises entre une
pluralité impossible à assumer et une unicité impossible
à vivre.
Après avoir pris du recul dans mon engagement avec mon
pays et avec les associations féminines pour l'abrogation du Code de la
Famille, je me pose beaucoup de questions sur le choix du thème de ma
thèse : Qu'est-ce que je recherche et qu'est-ce que je ne connaisse pas
? Qu'est-ce qui est pertinent pour ma recherche ? J'ai trouvé opportun
de définir, dans un premier temps, les notions qui existent dans le
sujet énoncé. Quels sens et quelles représentations que je
donne à chaque terme de ce sujet d'étude ?
2- QU'EST-CE QU'ÊTRE UNE FEMME EN
ALGÉRIE ?
C'est quoi être une femme ? Ce n'est pas la même
chose si je dis c'est quoi être femme ? "Être une femme",
expression dans ma langue maternelle qui veut dire qu'on est bien sûr de
sexe féminin mais également une femme capable d'assumer son
rôle de femme, être capable d'affronter le monde extérieur,
de concilier travail domestique et travail rémunéré,
être capable de remplacer un chef de famille dans plusieurs domaines sans
oublier la protection de "son honneur et du nom qu'on porte".
Être une femme veut également dire qu'on peut
remplacer un homme : être dedans et dehors. L'expression utilisée
également dans ce pays est "une femme et demi" pour exprimer la
comparaison avec l'homme. Dans ces termes, cela me renvoie à plusieurs
domaines concernant l'inégalité et la différence (des
sexes, des chances, des positions...). L'inégalité et la
différence engendrent des processus dans la construction sociale.
ÊTRE : je le définis comme exister, être
reconnu, être présent, c'est le moi et le nous. Tout cela me
conduit à définir les concepts de l'identité, de soi, de
la tradition/modernité, du matriarcat/patriarcat... Mon sujet me renvoie
également à l'oeuvre de Simone de Beauvoir, "Le
deuxième sexe", j'adhère à ce qu'elle énonce
et où je me reconnais dans ma prise de conscience et de la
définition de l'être.
La femme est un être de culture entièrement
façonné par son éducation. N'est-elle pas la semblable de
l'homme qu'il convient de traiter comme compagne ? Ou bien est-elle toujours
l'autre, marquée de l'indestructible signe de la différence qui
suscite, d'abord de la part de l'homme, le désir et la crainte ? Dans un
cas, l'égalité va de soi, mais dans le second, elle est plus
difficile à réaliser. L'égalité reconnue et
acceptée est plus une belle idée mais n'est-elle pas aussi une
utopie? La différence fait mauvais ménage avec
l'égalité. Qu'on déplore ou non, elle s'accompagne dans
nos esprits d'une évaluation marquée des signes "plus et
moins". Et comme l'homme a toujours été regardé comme
étalon-or de l'humanité, la femme, considérée dans
son altérité, n'a pas cessé de souffrir.
C'est dire à quel point la définition de la
femme est lourde de conséquences psychologiques et sociales, morales et
politiques. Selon que l'on accorde la prééminence à la
nature et à la physiologie ou à la culture et à
l'éducation, c'est le statut des femmes qui change du tout au tout. Il
n'y va pas seulement de leur bonheur et de leur destin mais aussi,
inséparables, de leur être et de leur reconnaissance.
Depuis des millénaires, l'histoire des femmes est
jalonnée par toutes les injustices que l'oppression des hommes a
pesé sur elles. Les hommes de bonne foi ne le nient pas mais cela
n'implique pas qu'ils puissent être objectifs.
L'ALGÉRIE, c'est mon pays, ma
patrie, je suis citoyenne de cette contrée, de cette partie du continent
africain. Ma citoyenneté n'est pas reconnue comme elle devrait
l'être, dans le sens profond de sa définition. Comment est-on
citoyen? Comment le devient-on ? Comment définit-on la
citoyenneté dans un pays en quête d'identité, à la
recherche d'un changement politique, de mentalités et de
démocratie ? Je reste très attachée à cette partie
de la terre avec toutes ses valeurs, sa beauté, ses paradoxes et ses
contradictions. L'Algérie... Proche... Liens d'amour et de haine qui
nous unissent à jamais (Français et Algériens).
Aujourd'hui et depuis plus de quatre générations, nos parents,
nos collègues, nos amis, nos amours ont été
confrontés à la traversée de la
Méditerranée. Les douleurs, les impasses, les violences, les
espoirs et les plaisirs d'ici et de là-bas passent par la mer et se
rejoignent. Ces allers - retours sont ferments de luttes et
d'échanges.
3- CONSTRUCTION SOCIALE
Comment construit-on une société ? Quels
sont les éléments qui régissent une
société ? Comment une femme peut-elle oeuvrer pour la
construction de sa société ? Qu'est-ce qu'une construction
sociale, comment la définit-on ?
Des initiatives collectives de femmes (les associations de
femmes comme Femmes en Détresse, Femmes Démocrates
Algériennes, Mouvement National des Femmes Rurales, Comité
National des Associations s'occupant de la Famille, etc.), dont les buts
consistent dans le changement de l'environnement social et culturel où
elles vivent, sont des composantes essentielles de la situation
féminine. Ces initiatives sont révélatrices de la
résistance que les femmes algériennes exercent pour affirmer leur
subjectivité par rapport à la domination masculine qui se sert de
la religion, de la culture traditionnelle et de certains repères de la
rationalisation occidentale pour les inférioriser par rapport aux
hommes.
Elles sont aussi révélatrices de la
capacité des femmes de formuler des projets d'amélioration de
leur situation, de poursuivre des objectifs pour changer leur condition et
même de préfigurer des alternatives individuelles et collectives
à la domination dont elles essaient de se libérer. Ces
initiatives ont pour rôle d'assurer la défense de la
spécificité féminine qui résiste à l'emprise
masculine sur la vie sociale. Elles ont aussi pour tâche la poursuite de
certains changements sociaux et culturels qui pourraient permettre d'assurer
aux femmes cette défense face à la tradition.
Cependant, le problème du dépassement de cette
tradition ne trouve pas sa solution dans la poursuite d'une rationalisation de
la vie sociale inspirée du modèle occidental qui peut être
source d'autres formes de domination, différentes des formes
traditionnelles mais non pour autant négligeables.
Les initiatives collectives sont les moyens les plus directs
qui permettent aux femmes d'intervenir sur plusieurs aspects et à des
différents niveaux de la vie sociale (le Code de la Famille, droit au
logement et au travail...). Elles leur permettent de revendiquer
l'amélioration de leurs conditions dans le contexte "du cadre
normatif qui règle l'organisation sociale où les rapports
d'autorité sont cachés par la prééminence des
modèles de relations humaines indépendantes" 9(*).
La construction de la société ne peut se faire
sans mouvement. Les femmes algériennes considèrent que le
mouvement ne peut exister sans une société civile laquelle ne
peut se construire en suivant les modèles occidentaux de la
modernité, de la rationalisation de l'économie et de la
politique. Elles abordent, de cette manière, la question de la
difficulté d'adopter ce modèle lui aussi en crise. Cette crise se
répercute aujourd'hui dans des aspects importants tels celui de la
définition des voies de développement et de la construction de la
nation qui est en crise parce que cette entité n'est plus un organisme
susceptible d'intégrer les différents intérêts dans
une perspective de progrès et d'amélioration de la vie collective
de la population du territoire. La crise, dans tous ses aspects, touche
également la dignité des femmes, l'identité nationale et
la mobilisation des ressources...
La modernité caractérisée par la
rationalisation voulue comme prédominante dans la formation de la vie
sociale est en crise. La construction d'un mouvement en Algérie ne peut
que tenir compte de cette crise quand il se situe dans le contexte de la
construction civile ; une construction qui a commencé réellement
depuis seulement une douzaine d'années et qui a eu le féminisme
comme l'un de ses protagonistes. La guerre de libération n'a pas permis
aux femmes de se construire et de s'imposer après l'indépendance
(malgré leur participation). Le syndicalisme n'a pas été,
pour sa part, un autre protagoniste de cette construction.
Aujourd'hui, par ailleurs, la situation a changé par
rapport à la situation initiale parce que d'autres acteurs sociaux
(associations, partis politiques démocrates, artistes, journalistes,
écrivains...) interviennent aussi dans cette construction. Celle-ci se
définit, en effet, d'une manière plus explicite qu'auparavant car
des acteurs sociaux, ayant comme contexte de leur formation l'appareil
d'État, se constituent aussi du côté dirigeant. Ces acteurs
sont bien représentés (autrefois militants dans la
clandestinité ou ayant fait de la prison pour outrage à
l'État) par certains des interlocuteurs. Ce sont des dirigeants qui
commencent à agir comme acteurs sociaux tout en restant liés
à l'État et à la responsabilité de poursuivre ses
politiques. Ces acteurs sont des constructeurs de la société
civile comme le sont également les acteurs populaires.
C'est ainsi qu'a commencé la construction de la
société civile en Algérie. Elle est l'oeuvre d'acteurs
collectifs (les différents soulèvements des jeunes et des femmes
en 1980 et le 05 octobre 1988) dirigeant (création du multipartisme en
1989) et appartenant au peuple qui ont commencé à ouvrir le champ
des rapports sociaux et à construire des actions modernisatrices ainsi
que des conflits (les partis islamiques comme le F.I.S.) qui ont poussé
l'État algérien a apporter des modifications dans sa Constitution
et à continuer à se concerter pour amender et abroger le Code de
la Famille.
En effet, les actions des mouvements de femmes ont
commencé à définir la construction de cette
société civile par la lutte pour l'abrogation du Code de la
Famille. Elles l'ont fait d'une manière originale en suscitant la
question de la naissance d'acteurs sociaux autonomes mais aussi celle du
rapport à établir entre les composantes de la vie civile d'une
société qui, à leur avis, n'était pas simplement
à moderniser. Le mouvement des femmes avait, en effet, nié
l'existence d'une exclusivité du contenu de la modernisation, les femmes
se sont focalisées sur le Code de la Famille qu'elles trouvent
infâme, archaïque et préhistorique.
Au temps du féminisme, l'action de l'U.N.F.A. (qui
était membre du F.L.N., Parti unique de l'Algérie de 1962-1987)
ne se limitait pas, par ailleurs, à poursuivre des alternatives aux
archaïsmes. Cette action était, au contraire, soucieuse
d'entreprendre des chemins pour indiquer le contenu autonome d'une culture
féminine susceptible de représenter des alternatives à la
domination exercée sur les femmes. Ces alternatives n'auraient pas
dû être assimilables aux acquis ni aux projets de modernisation
favorables aux femmes (comme le stipule la Constitution et la Charte Nationale
: l'école obligatoire pour tous, l'égalité au travail...).
Elles auraient dû, en effet, se distinguer de cette modernisation que les
femmes ne voulaient pas récuser mais qu'elles proposaient de
dépasser.
Un tel dépassement aurait dû permettre aux femmes
de poursuivre, de façon autonome, leurs objectifs de construction d'une
nouvelle société où la ségrégation
féminine ne serait plus qu'un souvenir mais il s'agissait de construire
leur vie en valorisant leurs connotations culturelles qui sont
différentes de celles des hommes, il s'agissait de poursuivre ce projet
dans un contexte qui aurait conduit à l'ouverture de la construction
d'une société civile en Algérie.
La tentative de relance (depuis 1989) du projet de
construction sociale (abrogation du Code de la Famille, refonte du
système scolaire, de l'appareil judiciaire, du système
économique... ) se retrouve, en effet, face à deux questions. La
première est celle d'un pouvoir politique qui n'a pas abandonné
ses méthodes répressives. La deuxième est celle des
dangers venant d'une fermeture culturelle exprimée par
l'intégrisme pour échapper à la domination occidentale et
tenter de construire une certaine cohérence là ou surgissent les
incohérences de la crise des anciennes perspectives de la
modernisation.
En effet, cette tentative de relance du mouvement des femmes
(l'U.N.F.A. a été écartée et de nouvelles
associations de femmes sont sur le terrain) ne se trouve pas seulement
confrontée aux problèmes qui surgissent dans le contexte local
(terrorisme, abus de pouvoir, problèmes économiques,
système scolaire malade...), elle doit aussi tenir compte du contexte
de globalisation de la société qui oblige le mouvement à
faire face à la domination de ceux qui contrôlent les traitements
et la diffusion des informations (Gouvernement, intégristes... ).
La construction du mouvement des femmes se
réfère à la fois à la définition de la
spécificité féminine dans le contexte de la formation de
la société civile en Algérie et à l'affirmation de
la particularité culturelle algérienne. Cette dernière
surgit, pour sa part, comme une question importante au moment de la crise du
modèle classique de la modernisation universaliste et face à
l'emprise des contrôleurs du traitement et de la diffusion des
informations sur la vie sociale qui se globalise.
Le mouvement des femmes (les militantes des droits des femmes)
pense que la construction de la société civile ne peut se faire
sans la formation de relations entre les acteurs qui définissent et
contrôlent l'espace autonome de leurs confrontations sociales. De cette
manière, toutes les femmes sollicitées ou interrogées ont
des positions convergentes sur cette question de la construction de la
société civile. Il n'en est pas de même lorsqu'elles
abordent la question des relations à construire entre la
spécificité féminine et la particularité culturelle
algérienne dans le contexte de globalisation de la vie sociale. Elles
font face à différentes questions et à des thèmes
liés au Code de la Famille, à la question de la religion
(situation oblige : le F.I.S., le HAMAS, la NAHDA, le terrorisme...), à
la démocratie, au culturel (la revendication berbère), à
l'éducation et à l'économique (travail, adhésion
à la politique...).
La convergence autour de la question de la construction de la
société civile n'empêche pas l'apparition de
différences importantes au sein des femmes. En effet, chacune accorde
une priorité à celle définie par les autres. Par
conséquent, la relance de l'action des femmes se développe par
une convergence entre les positions des composantes (sociale, politique,
culturelle, universalisme) qui restent différentes entre elles.
Certaines femmes rencontrées et interviewées
sont soucieuses de relier l'universalisme à la
spécificité culturelle locale, tout au moins à la
spécificité algérienne si ce n'est à la
spécificité arabo-musulmane. Cette exigence est ressentie
d'autant plus que la rupture qui avait été exercée par les
premières féministes face aux traditions culturelles
algériennes, arabes et même musulmanes n'intéressent plus
les nouvelles générations de filles... Certaines femmes essaient
de construire et de maîtriser un rapport entre la modernisation de leur
comportement et la tradition, dans la conduite en famille comme dans leurs
relations sociales plus larges.
Des chercheurs et des universitaires algériens
travaillent sur des notions scientifiquement universelles mais cela
n'empêche pas qu'elles prennent une signification différente de
part et d'autre de la Méditerranée. Par exemple, quand ces femmes
parlent de subjectivation, elles voient la référence du Nord mais
elles voient aussi qu'en Algérie, cela les pousse à avoir une
réaction qui est celle de dire qu'elles en ont assez de cette dimension,
que c'est peut-être celle qui les a étouffées en plus de la
Charia. Elles pensent qu'elles n'avanceront pas en utilisant des
formules qui n'ont pas le même contenu, la même définition.
E.F.(*) , professeur à l'université d'Alger dit
que l'universalisme est en crise en Occident, mais cette crise est aussi
alimentée par ce qui se passe en Algérie et dans les pays
où l'intégrisme se manifeste. Est-ce que l'Algérie passera
par une étape historique où l'universalisme triomphera pour
pouvoir un jour être en mesure de voir ses limites, ses défauts ?
Ou, comme elle souligne : " Mais il n'y a pas de segmentation du
monde.... (...), nous la vivons d'une manière ou d'une autre.
Alors, tout le monde est concerné... Car, bien que le choix
universaliste ne conduise pas une femme à renier la
spécificité féminine, il la détache de la culture
locale et des implications subjectives qu'elle peut avoir auprès des
femmes. Au contraire, l'enfermement dans la culture locale pourrait conduire
les actions à se bloquer et à rester coincées dans le
piège du traditionalisme et de la ségrégation de la
femme.
(...) L'Europe est arrivée à l'universalisme
essentiellement à travers le rationalisme...(...). Il y a eu
dans la civilisation arabo-musulmane le mouvement humaniste des
Mo`tazilas qui a reconsidéré la raison humaine par
rapport au sacré. Par exemple, ils se sont attaqués aux
problèmes du Coran. Ils ont dit que ce n'était pas une parole
éternelle mais quelque chose qui se soumet au temps et à
l'espace.
La modernité est la seule voie possible. Une fois cette
démarche adoptée, là on pourra poser tous les
problèmes de la spécificité algérienne et celle des
femmes en étant plus à l'aise. D'autant plus qu'il n'y a pas, de
ce point de vue, de véritable dualité entre
spécificité et universalisme. La spécificité
culturelle algérienne peut se combiner avec le rationalisme et
l'universalisme. Ce que veulent les femmes, ce n'est pas un compromis ou un
simple mélange entre spécificité et universalisme. Il
s'agit, plutôt, d'une démarche.
Le rapport entre spécificité et universalisme,
qui est à la base du modèle des explications des actions des
femmes et des définitions, se définit ainsi. Cette explication
consiste à dire que le propre du mouvement des femmes algériennes
est de s'opposer à une modernisation imposée et à une
tradition obscurantiste. L'opposition à cette modernisation
découle de l'exigence même de construire l'autonomie d'un acteur
social face à un État volontariste qui veille à maintenir
le contrôle du processus de développement.
L'opposition à la tradition est celle qui vise à
combattre l'infériorisation consacrée par le biais des
interprétations conservatrices de la religion et de la femme dans la
société algérienne et arabo-musulmane en
général. Cette opposition à l'obscurantisme
définit, par ailleurs, la différence qui passe entre la
référence aux particularités féminines et
algériennes et l'enfermement dans le fondement de la tradition. Cette
référence veut être, en effet, un instrument de la
résistance à exercer contre les impositions culturelles venant de
la modernisation classique mais aussi contre les impositions par les acteurs
dirigeants qui contrôlent tout dans le contexte de la globalisation de la
vie sociale actuelle.
Le propre du mouvement des femmes (associations,
comités, indépendantes, etc.) n'est pas seulement de poursuivre
une telle opposition culturelle. Il consiste aussi dans la construction d'un
projet d'alternative culturelle consacré aux perspectives d'avancement
de la femme dans la société algérienne et arabo-musulmane.
Ce projet couvre trois aspects principaux de l'action des femmes.
q Le premier consiste à l'abrogation du Code de la
Famille afin que la femme soit une femme, une personne majeure responsable de
ses actes, avec des droits, citoyenne à part entière, il lui
permettra la construction d'un acteur collectif féminin capable
d'intervenir dans la construction de la société.
q Le deuxième concerne la formation d'une action
capable d'intervenir dans la construction de nouveaux circuits institutionnels
permettant de parvenir à la confrontation entre les
intérêts et les propositions culturelles d'acteurs dirigeants et
populaires parmi lesquels les femmes considèrent avoir leur place.
q Le troisième concerne la construction et la
maîtrise d'une relation entre spécificité féminine,
spécificité culturelle algérienne et universalisme. Une
construction et une maîtrise nécessaires si l'on veut atteindre
l'objectif de l'affirmation des femmes dans la société où
elles ne seront pas soumises aux hommes et où elles pourront poursuivre
la formation de leur action par une voie culturelle autonome et par la voie de
la démocratie et de la liberté.
La construction sociale en Algérie passera par le
mouvement des femmes et de toute la société civile. La
construction du mouvement des femmes en Algérie a traversé
plusieurs passages. Le premier a été celui lié à la
libération nationale, le deuxième celui de la tentative de
développement commencée avec la décolonisation, et le
troisième a été celui de la construction d'une action
autonome des femmes au cours des années quatre vingt. Dans cette
avant-dernière période, l'action des femmes a été
la base de la formation de l'un des acteurs qui a commencé avec le
syndicalisme et qui est arrivé, aussi avec des acteurs dirigeants
(partis politiques militants dans la clandestinité jusqu'à 1989),
à la construction d'une première ébauche de
société civile.
Par la suite, ce mouvement de femmes s'est transformé
en associations autonomes et en réseaux de relations entre anciennes
militantes. Ensemble, aujourd'hui, elles tentent de maintenir une relance
commune de revendications, de transformations face aux changements dans la vie
sociale du pays malgré les oppositions de certaines femmes musulmanes
intégristes. Toutes ces femmes solidaires sont aussi directement
impliquées dans la définition des contenus de l'antagonisme
culturel de l'action qui consistent dans la poursuite de l'affirmation de
l'autonomie féminine face à la prédominance masculine dans
la tradition mais aussi dans la modernisation de la vie sociale.
Aujourd'hui, malgré les convergences, les dangers
qu'elles encourent avec l'intégrisme (menaces de mort,
enlèvements, viols, tortures, assassinats...), toutes les femmes veulent
construire la société chacune à sa manière,
touchées dans leur dignité, leur amour propre et leur chair :
elles veulent le changement en bravant les interdits et les tabous... !
4- LA RÉSISTANCE DU CODE DE LA FAMILLE AU
CHANGEMENT
Le Code de la Famille en Algérie, mais aussi dans la
plupart des pays islamiques, est resté le seul domaine qui
échappe au droit moderne et où le droit musulman subsiste encore
et conserve son empire.
"Les continents délaissés par la loi de
l'Islam au cours du XIX ème et du XX ème
siècles ne se comptent plus ... le droit musulman a été
évincé selon un processus qui a pu varier ... qui a abouti
à la consécration d'un droit moderne" 10(*).
Pourquoi l'Islam, qui a pourtant délaissé les
autres domaines de droit, persiste-t-il à trouver dans le statut
personnel son dernier refuge ? Car si le fondamentalisme durcit son langage
envers les femmes, le discours religieux officiel n'est guère
différent à ce niveau-là. Si, socialement, il y a une
certaine tolérance due plus aux changements économiques
qu'à une réelle volonté d'améliorer la situation de
la femme, la situation juridique de la femme ne résulte pas du discours
intégriste mais trouve ses assises dans les textes du Code de la Famille
né après l'indépendance et qui n'a subi aucun changement.
Les dernières réformes apportées au Code de la Famille
enregistrent un pas timide vers l'amélioration du statut de la femme
mais il n'y a toujours pas la volonté politique affirmée pour que
la femme soit égale en droit à l'homme.
Beaucoup d'études se sont intéressées au
code du statut personnel, notamment, de la femme musulmane. Il nous a
semblé donc important d'étudier comment est résolue la
contradiction entre un droit algérien où la femme a un statut
dépendant de celui du Coran et une pratique judiciaire algérienne
où l'égalité de l'homme et de la femme est un principe
fondamental du Coran.
5- LE JURIDIQUE COMME MOYEN DE LUTTE POUR
L'AMÉLIORATION DE LA FEMME
La question de savoir si le droit doit jouer le rôle
d'un levier de changement de la société continue de partager les
tenants de telle ou telle position. Sans prétendre répondre
à la question, la présente étude tend à comprendre
le rôle que joue le droit de la famille dans la vie des femmes
algériennes et kabyles en Algérie car, si ce droit est tellement
défendu par le décideur politique d'une part et les mouvements
intégristes d'autre part, c'est qu'il représente un enjeu
déterminant dans la démocratisation de la
société.
Dans ce domaine, l'Algérie n'est-elle pas en train de
céder le terrain à un Code de la Famille qui ne respecte pas le
droit de la femme au moment où elle met la guerre civile au devant de la
scène médiatique (événements de 1992-2002) et lutte
pour une démocratie libre ?
Le droit international privé est, dans sa
majorité, de caractère coutumier et la pratique qui est en train
de s'installer en droit international privé français est celle
qui, au nom du principe de la nationalité des lois personnelles, admet
la polygamie et la répudiation du moment qui concernent des non
nationaux.
Traiter ce sujet avec tous les événements qui
secouent l'Algérie présente d'autant plus d'intérêt
que les études qui ont abordé le problème ont surtout
apporté des analyses juridiques et l'intérêt serait donc de
rapprocher des analyses fournies par les entretiens.
L'application du Code de la Famille à la femme
algérienne dans un pays musulman crée tout de même
d'énormes difficultés pour son existence et sa reconnaissance. En
effet, la femme algérienne a évolué et aspire à un
changement. Aujourd'hui, elle se trouve dans un milieu différent,
accède plus ou moins à l'espace public, apprécie la
modernité et veut bénéficier de la liberté. Dans ce
nouvel environnement, comment la femme algérienne réagit-elle
à l'application d'un droit de la famille qui ne correspond pas au
vécu social ? L'examen du comportement de la femme dans divers espaces
et institutions (privé/public, famille, école, travail, etc.)
pourrait donner des éléments de réponses.
La déclaration des Droits de l'Homme proclame
l'égalité des citoyens devant la loi et leur égale
admissibilité à toutes les dignités, places et emplois
publics selon leurs capacités et sans autre distinction que celles de
leurs vertus et de leurs talents... La voix des femmes s'est fait entendre
avec force, tout particulièrement, en Occident et il n'est plus à
démontrer qu'il n'y a plus de développement durable possible sans
leur participation en qualité d'actrices à part entière
dont les droits sont indissociables de tous les autres. Ce n'est pas le cas en
Algérie.
Mes préoccupations rejoignent celles de beaucoup de mes
compatriotes (femmes au foyer, paysannes, enseignantes, juristes,
médecins, secrétaires, militantes et même nos
grands-mères...), soucieuses de l'instruction et de l'éducation
de leurs enfants, du devenir et de l'avenir de ce pays qui est le
nôtre.
Dans un premier temps, l'étude sera
générale, les spécificités seront axées sur
les femmes kabyles, algériennes afin de rester dans mon sujet. Ainsi
découleront les concepts.
B- FÉMINISME / FÉMININ /
FEMME
En Europe (au nord), le féminisme a opéré
une critique radicale de la famille et de la séparation des espaces
privé et public. Il a repensé les termes de la différence
sexuelle, dit les limites de la conquête des droits et la
" neutralisation " de la féminité sous
prétexte d'égalité.
En Algérie (au sud), la revendication des femmes se
polarise, au contraire, sur la conquête de l'égalité avec
les hommes. C'est sur cette base que doit se faire leur entrée dans
l'espace public. La morale de l'homme s'y oppose, la religion sacralise ces
interdits. La classe dirigeante s'appuie sur cet ensemble de valeurs et cherche
dans le nationalisme la caution idéologique qui rendrait acceptable le
changement, à condition d'en préserver les femmes. Comment
affrontent-elles le monde du travail, la vie syndicale et associative ?
Quelles sont leurs stratégies face au mariage, à la dot ? Si
les traditions sont en crise, quelles recompositions sont à mettre
à l'oeuvre ?
Le combat féministe a trouvé une
légitimité nouvelle en s'inscrivant dans le combat pour la
justice sociale, la citoyenneté et les libertés
démocratiques. La question de la citoyenneté doit-elle être
abordée avant la question de l'appartenance à la catégorie
femme ? Le lieu de naissance n'est-il pas un événement
fortuit ? En quoi le concept de citoyenneté dépasse-t-il le
fait d'être né quelque part ? L'exercice de la
citoyenneté exigerait de se positionner en tant qu'individu(e), sans se
laisser détourner par les intérêts du pouvoir (État,
parti, patron, mari...) et le titre de citoyenne ne suffit pas. Il faut le
charger du contenu politique.
Kristeva appelle à "la logique de l'identification
et non pas au sein de celle de la différence. Exclu du discours
masculin, il milite pour gagner une place dans l'espace de ce discours pour se
retrouver emprisonné dans son cercle" 11(*).
La résistance de la femme, selon Derrida, ne pourrait
être effective que si elle renonce à l'usage des
catégories et des mécanismes du logocentrisme. Par
conséquent, cette résistance ne pourrait avoir qu'une fonction
négative et non positive, rejetant ainsi tout ce qui définit la
femme comme chose structurée et chargée de sens dans une
société donnée. Autrement dit, il s'agit moins de dire ce
qui serait le statut de la femme que de dire comment ce statut a
été structurellement et socialement édifié.
Le terrain de la recherche et du savoir pourrait constituer le
champ le plus approprié à l'émergence d'une telle
résistance. Aussi diverse que soit l'investigation dans les domaines du
savoir : pensée islamique, anthropologie, histoire, sociologie, etc.,
cette investigation serait la voie qui nous guiderait vers la
déconstruction des catégories masculines et féminines et
de tout ce qui les charge de sens, tels que les langages, les pratiques, les
attitudes et les habitudes socioculturellement acquises.
Le contexte spatial et social nous montre qu'au niveau du
vécu, il serait erroné de parler de la condition de la femme
algérienne comme s'il s'agissait d'une entité. Les
catégories de femmes dans la société algérienne
sont diverses par la diversité des contextes dans lesquels elles se
trouvent. Les différences géographiques, spatiales, ethniques et
géographico-culturelles (marabout, arabe, kabyle, chaoui,
chleh, etc.). Opter pour une approche monographique ne voudrait
nullement dire dissoudre ou noyer le phénomène local du fait
féminin. Le contexte de la Grande Kabylie en Algérie m'offre un
cadre de réflexion sur sa particularité.
Dans ce contexte, le statut de la femme, sous certains
aspects, reflète ce qui existe ailleurs, c'est-à-dire qu'il
correspond globalement à un modèle que l'on retrouve un peu
partout en Algérie. Mais, sous d'autres aspects, il a sa
particularité, véritable reflet d'un climat culturel, de
contraintes environnementales et de conditions socio-économiques. Ce qui
reviendrait à dire qu'il n'y a pas de femmes isolées de leurs
sociétés locales à qui il faudrait appréhender le
statut.
Être une femme tout en traitant le sujet "femme
représente un atout mais aussi un handicap" comme le dit Malika. Un
atout parce que la femme vit le fait d'être femme, il la touche dans son
corps, dans sa différence et dans l'expérience qu'elle fait de la
féminité dans son vécu quotidien. "C'est un atout
!", dira-t-on. Toutefois, il pourrait représenter un handicap dans la
mesure où la femme est directement impliquée dans la
réaction qui suscite la féminité dans une
société masculine.
1- UNE FEMME / FEMME
Comment peut-on, en effet, pratiquer démocratiquement
l'égalité sans respecter les différences ? Le
postulat de la nécessaire égalité entre toutes et tous
pose un problème à ce titre : il suppose un modèle
unique à égaler ou une soumission du sujet à l'objet
unique qui sert de mesure.
q DÉFINITION
Pour savoir ce qu'est une femme, selon Monique
Rémy12(*), la
réponse pourrait être celle du "devenir". Dans un
processus de devenir femme, on peut dire que le devenir, étant le
processus du désir, ne peut être que minoritaire (socialement),
quel que soit le nombre d'individus concernés puisqu'il se dresse contre
la majorité comme état de pouvoir et de domination.
Il m'est apparu également que l'histoire d'un peuple,
d'une région est nécessaire pour retracer le parcours et la
condition de la femme afin de mieux cerner le changement/permanence et la
tradition/modernité ainsi que la lutte qu'elle a menée et qui
fait qu'aujourd'hui, elle revendique sa place véritable dans sa
société et sa famille. On peut envisager la femme d'un triple
point de vue de mode : mode d'être, de paraître et d'exister
qui sont, en effet, trois dimensions caractéristiques de l'être
humain 13(*).
2- L'HOSTILITÉ ENVERS LE SEXE FÉMININ
Lorsque nous attribuons aux autres des sentiments personnels
négatifs, le plus souvent, nous faisons une projection. C'est un
mécanisme inconscient par l'ego et même des individus très
équilibrés n'en sont pas exempts.
Le mécanisme de projection, c'est-à-dire
d'attribution aux autres de nos propres impulsions hostiles. La fille est moins
désirée que le garçon et, souvent, elle ne l'est pas du
tout, et aussi que sa valeur sociale est considérée comme
inférieure à celle du garçon, mais il ne sied pas
d'exprimer ces sentiments négatifs qui heurtent cet autre
préjugé tenace qui veut qu'on aime ses enfants.
Gianini Belloti, dans son livre (Du côté des
petites filles, 1981) montre, de façon claire et
irréfutable, les racines de l'inégalité entre hommes et
femmes. Dès sa naissance, la petite fille est traitée
différemment du petit garçon ; dès la maternelle, elle est
enfermée dans un rôle écrit à l'avance.
"Aucune preuve ne permet de soutenir l'hypothèse
selon laquelle les comportements différenciés pour les deux sexes
sont innés, à cet égard, l'hypothèse contraire, qui
considère que ces comportements sont le fruit de conditionnements
sociaux et culturels auxquels les enfants sont soumis dès la naissance,
reste aussi valable".
Il est possible de modifier les causes sociales et culturelles
qui seraient à l'origine des différences entre les sexes, comme
le cas de l'Algérie, la situation que j'aborderai tout le long de la
recherche. Mais, avant d`essayer de les changer, il est nécessaire de
les connaître.
"Malgré la certitude scientifique de la
responsabilité paternelle dans la détermination du sexe de
l'enfant à naître... voit dans la femme la responsable et ceci en
bien ou en mal1(*).
"Ma femme m'a donné un beau garçon ", "ma
femme ne sait faire que des filles", "ma femme n'est pas capable de
faire un garçon"...".
"Si les ressemblances dominaient entre l'homme et la femme
et si la valeur sociale attribuée au sexe féminin était
égale à celle attribuée au sexe masculin, l'identification
de la petite fille au père serait comme anormale. "1(*).
On voit bien que la petite fille, à cause du lien
affectif qui l'attache à sa mère et parce qu'elle se
reconnaît comme semblable, est poussée à la choisir comme
modèle à en devenir la fidèle reproduction. Le
comportement de la mère, ses réactions, le rapport entre elles
deux, le rapport de la mère avec chaque membre de la famille, sont les
indices des valeurs auxquelles la mère elle-même se soumet.
À travers le processus inconscient d'identification, c'est tout ce
qu'est profondément la mère qui se transmet et qui est
intériorisé par la petite fille.
"Dans une culture patriarcale qui pose comme valeurs
essentielles, d'une part, la suprématie de l'individu de sexe masculin
et, d'autre part, l'infériorité de l'individu de sexe
féminin, il est compréhensible que la remise en question du
prestige de l'homme soit rigoureusement interdite, cela pourrait
entraîner un effritement fatal de son pouvoir"14(*). .
Quant au préjugé selon lequel tout est parfait
dans le corps de l'homme sur le plan de la procréation, c'est
particulièrement clair en cas de stérilité dans le couple
car tous les examens médicaux sont effectués sur la femme, c'est
seulement quand ceux-ci ont donné des résultats négatifs,
et encore pas toujours, que l'homme, rétif et humilié, accepte de
s'y soumettre à son tour.
3- PRÉFÉRENCE ENVERS LE SEXE MASCULIN
EN ALGÉRIE
On ne saurait dire combien il est pénible aux
Algériens d'avoir de nombreuses filles, notamment en Kabylie. Les filles
sont plus nombreuses dans certaines familles (on fait beaucoup d'enfants dans
l'espoir d'avoir des mâles, des héritiers). Ils allèguent
des motifs qui semblent plausibles. Ils savent que les filles, à leur
mariage, causent un préjudice aux affaires domestiques par le fait qu'on
leur prépare un trousseau et qu'elles lèsent, en quelque sorte,
le foyer. Mais, le plus important dans la société kabyle, c'est
l'honneur en préservant sa virginité.
"(...) Au contraire, personne ne jubile. L'enfant attendu,
le préféré, l'objet de tous les souhaits reste toujours le
garçon... " 1(*).
Le fait est que, si la réalité sociale change
avec une rapidité toujours croissante, les structures psychologiques de
l'homme changent avec une lenteur extrême. On attend de la femme qu'elle
soit objet et elle est considérée pour ce qu'elle donnera.
La naissance d'un garçon, surtout s'il est le premier
né, représente pour l'homme l'apothéose, le
triomphe : si la procréation d'un enfant donne à l'homme la
preuve réconfortante de sa virilité, la naissance d'un fils est
ressentie comme l'expression complète, parfaite, suprême de sa
propre puissance. L'aspiration la plus commune actuellement est de n'avoir que
deux enfants, le premier étant un garçon, le second, une fille.
Le garçon est désiré pour le prestige que sa naissance
confère à la famille, pour l'autorité qu'il aura à
l'intérieur et à l'extérieur de celle-ci, pour ce qu'il
réalisera.
4- PROBLÈME DE LA FEMME
La position de la femme est liée à celle de
l'homme mais elle est si différente, en réalité, dans son
aspect. La femme n'est ni "supérieure", ni
"inférieure", ni "égale" à l'homme. Elle
devrait être son complément. On pourrait en trouver l'origine dans
un complexe sexuel. La libido peut expliquer bon nombre de ces terminologies
"émancipatrices" de la femme, notamment dans les pays musulmans
modernisés.
La femme algérienne veut "jeter le voile" ?
Elle veut participer à la politique ? Elle veut aller au cinéma,
travailler ou s'instruire ? Il ne s'agit pas de poser de telles questions
"pour" la femme mais pour la liberté de l'individu.
La condition actuelle de la femme en Algérie est
là pour en témoigner. Par conséquent, il faut
considérer sa "condition" dans l'ensemble des conditions qui
commandent à une civilisation, à sa durée. S'agit-il, en
particulier, de donner à la femme algérienne la même
liberté que sa soeur européenne ?
La toilette est un indice certain de la position de la femme
dans une société. Le sens esthétique et éthique
d'un milieu s'exprime dans la forme qu'il met à "l'éternel
féminin". La toilette, en Europe, au début du siècle,
a jeté la "gaine" étriquée et serrée qui
enfermait et étouffait le corps. Et en libérant ses formes, la
femme libérait sa façon de voir. Aujourd'hui, une certaine image
de la femme très dénudée, très
érotisée, fait le jeu d'un extrémisme qui trouve là
l'argument idéal pour "enfermer" sous le voile la femme
réasservie. La femme européenne ne révèle plus le
"sens" féminin mais le "sexe" féminin.
Les dictatures qui ne disent pas leurs noms, les
intégrismes de tous les bords, les commandos misérables avec ou
sans cagoules, les Rambos nationalistes de toutes sortes qui sont autant de
manifestations d'un esprit mafieux et /ou totalitaire, trouvent leurs complices
dans les démocraties occidentales d'Europe et d'Amérique. Toutes
alliances passées avec de telles forces mettent à mal les droits
des femmes et rabattent sur elles la loi des silences dans les États
comme dans les quartiers.
Le mouvement des femmes algériennes pour l'acquisition
ou la défense de leurs droits ne date pas d'aujourd'hui. Il a pris
plusieurs formes. Des révoltes sporadiques aux mouvements actifs, il a
toujours existé.
II- PROBLÉMATIQUE
De quoi parle-t-on au juste lorsqu'on évoque
l'Algérie ? A-t-on tout simplement une impression de l'Algérie
singulière ? Celle-ci existe-t-elle réellement ? Y a-t-il
plutôt différentes représentations de l'Algérie
où chacun, selon ses croyances et convictions, s'en construit sa propre
vision ? Certes, il y a l'Algérie confisquée par la politique
politicienne qui a fait dresser des murailles empêchant dialogue et
communication, mais il existe aussi d'autres visions de l'Algérie :
celles des usagers, des femmes, des artistes, des écrivains, des
linguistes, bref, celles de l'intellectuel collectif... Ce sont ces visions qui
fructifient les possibilités d'échanges et créent cet
espace de convivialité qu'est l'Algérie à laquelle on
aspire.
C'est vrai que, dans la conjoncture actuelle, parler d'espace
convivial à propos de l'Algérie relève peut-être de
l'utopie mais cela importe peu car l'utopie s'avère légitime
puisque tournée vers le futur. L'Algérie reste à faire en
tenant compte des différences. Les aspects de la dialectique singulier /
pluriel indispensable, à notre sens, à la vision que l'on se fait
de l'Algérie, doivent être développés car ils ne
sont pas, sans doute, sans rapport avec la conception des identités.
Cette étude interroge les rapports sociaux dans
lesquels s'insère la relation entre deux sexes dans un contexte
donné ainsi que le discours véhiculé par les gens sur les
rapports sociaux et sur les pratiques culturelles dans le but de
déplacer le discours sur les femmes d'un discours critique
référentiel et de passion à un discours critique qui a
pour objet de "déconstruire" les catégories
socioculturelles qui ont forgé les statuts du masculin et du
féminin. Des interrogations se profilent alors à travers la crise
que traverse l'Algérie. De par son histoire et sa situation actuelle, on
constate, en effet, que les relations entre hommes et femmes sont
entrées dans une phase nouvelle, ambiguë et complexe.
Bien que cette étude se veuille une contribution
modeste, elle soulève implicitement, et parfois explicitement, quelques
questions théoriques sur le statut du féminin, sur le terrain
tortueux de la réalité sociale. Comment cerner le rapport au sein
duquel se construisent les statuts ? S'il s'agit d'un rapport de pouvoir,
par quels mécanismes se renouvelle-t-il ? Quelles sont les
stratégies du contre-pouvoir ?
Tout le long de cette recherche, un questionnement m'a
accompagnée : devrait-on bâtir, sur le terrain
théorique, sa réflexion sur la question de la femme ?
Autrement dit, comment parler de ce sujet tout en adoptant un ton froid, sans
investir sa propre passion de femme ?
À ces questions théoriques s'ajoutent d'autres
d'ordre empirique auxquelles la recherche sur la femme devrait faire face. Sur
le plan du constat empirique, pourrait-on parler de la femme algérienne
comme phénomène uniforme ? Il faut souligner que les notions
de "fait féminin", de "condition de femme
algérienne", de "musulmane" ou de "femme kabyle,
algérienne et musulmane" soulèvent quelques problèmes
sur le terrain. Il suffit de se référer au sens commun et aux
différentes régions de la société algérienne
pour se rendre compte que la femme est multiple. L'appartenance à une
classe, à un espace géographique, à une variante
culturelle forge et forme les dimensions de sa multiplicité.
Les réalités sociales nous
révèlent que la "misère dont les femmes
souffrent" est relative et nous contraignent à avoir un penchant
pour un discours universel sur elles, à utiliser le discours
misérabiliste, militant dans son contenu, qui a sa cible en
Algérie : le droit. Seul le Code de la Famille, "cette citadelle
incontournable", uniformise la condition féminine et se
protège par le silence des responsables pour se rendre opaque au
changement.
Jusqu'à présent, on peut dire que tout change
sauf la loi. Celle-ci a édifié un modèle de femmes,
d'hommes et de rapports pour les figer à jamais dans un cadre juridique.
Immuable, insensible au temps, à l'évolution de la
société, au changement politique et à l'émergence
de la femme active sur la scène du travail et de la compétence,
etc., le système juridique reflète une image et une seule, celle
de la femme, et codifie la suprématie du mâle. Il suffit de jeter
un coup d'oeil sur les articles du Code de la Famille en Algérie pour se
rendre compte de cette évidence.
Le féminisme gagne donc sa légitimité de
l'existence de sa cible qui est la loi et les hommes politiques. Ce
féminisme, quoique légitime sur la scène des conflits
idéologico-politiques, a des limites.
En voulant réduire la diversité dans la
condition féminine, sur le plan conceptuel, le discours féministe
fait alliance, malgré lui, avec celui du droit. Seuls, les articles du
Code de la Famille traitent le fait féminin comme un fait
unidimensionnel dans la mesure où ils nous livrent un cadre, un statut
uniforme de l'institution familiale. Le discours féministe parle de la
femme algérienne au singulier alors que la réalité du
vécu des femmes est multiple et hétérogène. Il
serait évident, mais important, de répéter que la
condition de la femme riche, instruite et citadine n'est pas semblable à
celle de la femme appartenant à la classe moyenne urbaine ou encore
à celle de la femme rurale, de surcroît analphabète. Il
faudrait noter aussi que les catégories sociales ont connu un changement
dans le temps.
Depuis l'indépendance, le changement a touché
l'économie, l'éducation, les moeurs et les comportements. Le
vécu des femmes se diversifie donc en fonction du temps, de l'espace, de
l'aire culturelle et du niveau socio-économique. Ceux-ci constituent des
variables importantes dont il faudrait tenir compte dans toute réflexion
sur le statut social de la femme comme phénomène
relativisé.
La confusion est souvent répandue entre deux notions
liées à l'identité : la différence et
l'altérité. Comment faire pour que l'altérité ne
soit pas perçue comme une étrangeté et que la
différence ne soit pas assimilée à
l'inégalité ? À notre sens, on ne peut valoriser la
diversité sans rompre avec les thèses
homogénéisantes...
Quelles réponses apporter aux antagonismes
idéologiques et identitaires ? Quel regard porter sur les
variétés minorées ? Comment lire le passé ? Comment
concilier tradition et exigences de la vie moderne en termes de changement et
de transformation du réel ?
Dans un contexte politique et social où, de part et
d'autre, la tendance est au repli sur soi, quel sera l'avenir de
l'Algérie ? J'ai essayé, dans cette recherche, de mettre l'accent
sur un problème crucial : l'absence de démocratisation à
laquelle fait face l'Algérie. Ce problème s'y pose avec une
acuité telle que les autres questions lui sont incontournablement
liées. Ma thèse affirme que les revendications à
l'existence et à la reconnaissance de soi, de son statut, de sa
citoyenneté, des langues... sont des revendications de la
démocratie qui doivent être entendues comme telles dans le cadre
de la liberté de tout citoyen.
Les discours dominants portant sur le Code de la Famille et
sur le plurilinguisme en Algérie ont coutume de passer sous silence les
éléments d'émancipation de la femme et de la question
berbère.
La femme algérienne est en marche. Mais où
va-t-elle ? L'itinéraire et le but de son "émancipation"
ne sont pas, que nous sachions, encore désignés parce que notre
société n'a pas que son préjugé mais son empirisme
aussi.
Comment donc ne pas s'interroger sur les droits et la place
des femmes avec ses ambiguïtés et ses paradoxes ? Comment donc ne
pas s'interroger sur l'égalité et la différence à
propos de l'accès aux sphères publiques et politiques ? ...
Ma recherche consiste à comprendre et à analyser
les difficultés et les obstacles que les femmes rencontrent dans leur
vie quotidienne. Comment les femmes accèdent-elles au changement de leur
vie en préservant les traditions ? Comment accèdent-elles ou
n'accèdent-elles pas à la citoyenneté, aux études,
au marché du travail ? ... Qu'est-ce que nous savons de la place
d'une femme dans une société d'hommes et qu'est-ce que nous ne
savons pas encore aujourd'hui ? Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui
en Algérie ?
Par ses contenus, par son thème même, mon travail
s'inscrit aussi dans les courants d'analyse qui n'évacuent pas le sujet
dans la construction de l'objet.
De cette manière, j'ai réalisé des
entretiens sur trois générations de femmes quelles que soient
leurs positions sociales (une grand-mère, une mère, une fille),
je relate la situation de la femme algérienne entre le changement
(évolution, modernisme) et le permanent (conformisme, traditionalisme),
des parcours qui participent au même souci épistémologique
tenant les bouts d'un processus où se mêlent les dimensions
personnelle et sociale de la recherche en les distinguant. Mon travail consiste
donc à faire des repérages avec les dimensions du temps, de
l'histoire et de la mémoire.
Analyser la condition des femmes algériennes, leurs
positions dans la société, c'est interroger leur culture, leur
histoire... mais aussi la culture et l'histoire passée de ce pays
profondément machiste. Il est indéniable que la construction
d'une société se fera par et avec la femme. Comment ?
La problématique de cette recherche se définit
ainsi par :
q La structure familiale et la sphère publique ;
q Le droit et la religion (Islam) ;
q Les enjeux politiques et le pouvoir (qui
s'enchevêtrent avec les sphères publique et privée ainsi
que le politique) ;
q La revendication de l'identité.
La famille et le statut de la femme sont au centre des
problèmes posés par notre recherche d'une synthèse entre
le changement et le permanent.
q Quel est le statut de la femme dans le discours coranique ?
q Quelle est la situation juridique actuelle des femmes en
Algérie ?
q Quel est le contenu du discours islamique actuel au sujet
de la femme ?
q Quels sont les enjeux du combat entre islamistes et
modernistes au sujet du statut de la femme et du Code de la Famille ?
Pour comprendre la place de la femme dans l'Islam, il faut
situer théoriquement le rôle attribué par l'Islam à
la femme et l'interprétation donnée du Coran par la
société actuelle. Parallèlement, nous avons essayé
de cerner le rapport de l'Islam et de la tradition à la femme dans le
maintien de la cohésion sociale prise progressivement par la femme
vis-à-vis des rôles qui définissent la tradition et / ou
l'Islam dans la remise en question de cette cohésion.
Le thème étant vaste, ma réflexion s'est
orientée également vers les relations d'identités
masculines et féminines dans leurs interrelations.
L'analyse de fragments de la biographie des femmes kabyles
relèvera les tensions et interactions complexes au sein desquelles les
identités se constituent ainsi que les différentes
interprétations auxquelles donnent lieu des références
culturelles partagées, obligeant le chercheur à concilier
plusieurs thématisations différentes de l'identité
puisqu'il faudra, tour à tour, envisager l'identité comme une
ressource (ensemble de références légitimantes
mobilisables à l'occasion d'une action ou pour accompagner un
comportement) et comme le produit précaire d'interactions. Ce sera, du
même coup, l'occasion de montrer la complexité des formes
d'hybridation entre ce qu'on a coutume d'appeler la tradition et la
modernité et d'exemplifier l'enchevêtrement hiérarchique
des identités individuelles ou collectives.
La famille algérienne est longtemps demeurée
comme en dehors du temps, figée dans des structures anciennes pendant
toute la période coloniale. Cet équilibre s'est brusquement
écroulé après l'indépendance. Depuis lors, tout un
ensemble d'éléments (familial, social, politique et
économique) convergents bouleversent la société
algérienne. Ces bouleversements sont d'autant plus importants pour les
vieilles structures familiales car la famille se sent
déstructurée et ne peut s'empêcher de lutter pour maintenir
la cohérence du vieil abri protecteur et sécurisant. Dans cette
perspective, la question brûlante reste celle de la femme.
Le Code de la Famille, réforme du statut de la femme et
de la loi religieuse (Charia), relève de sa
compétence.
La vertu de la femme ainsi que son rôle de mère,
d'épouse soumise à son mari et aussi à l'autorité
de tous les mâles de la famille, ne cautionnent-ils pas la rigueur de
l'État national en l'enracinant dans le sacré (religion et
traditions) puisque la permanence de la condition féminine est
justifiée par l'appartenance à l'arabo-islamisme ? À
l'État revient la définition de la femme et des normes de son
individualisation, il concrétise ainsi son emprise sur le corps et
l'esprit.
L'entrée des femmes dans la vie sociale, politique et
professionnelle rencontre, en effet, une très grande opposition
masculine confortée par l'idéologie officielle. C'est à
partir de cette analyse que nous avons abordé l'éducation des
filles et leur scolarité. Entre féminité et
masculinité figure une nette opposition qu'un auteur a, par le
raccourci, appelée une "guerre des femmes". Ce qui n'est
malheureusement pas plus une simple métaphore quand on sait l'effroyable
répression que subissent les femmes dans cette "guerre
intérieure" par les groupes islamistes.
C'est entre l'affirmation d'un principe
d'égalité et le constat de la réalité des
différences qui caractérisent la situation concrète des
hommes et des femmes dans notre société qu'on peut situer les
interrogations essentielles.
L'égalité formelle ne serait-elle qu'illusion
face à ce qu'il y a d'irréductible dans la différence qui
structure la relation entre les sexes ?
Faudrait-il choisir entre un modèle égalitaire
négateur de la différence et un modèle respectueux d'une
spécificité compatible avec l'égalité, refusant une
hiérarchisation des sexes ?
Entre ces deux pôles, les contributions que nous
rassemblerons s'attachent à analyser les tensions et les contradictions
qui sont inhérentes aux contradictions pratiques entre les idéaux
et la réalité.
Nombre d'analyses empiriques dans le champ du politique et de
l'éducation démontrent la persistance et la résurgence des
inégalités dans ces différents champs mais aussi la
complexité d'un processus où, en raison même de la
transformation des rapports sociaux de sexe, des catégories qui
permettent de penser et de mesurer l'égalité et la
différence entre les sexes (égalité, famille,
éducation, travail, par exemple) sont en profonde mutation.
Repenser l'égalité, réanalyser la
différence, mettre en scène leurs dialectiques, leurs
contradictions, leurs compromis, situer la liberté au regard de
l'égalité et de la différence, voilà des points qui
sont au centre de nos interrogations et de notre problématique.
Quelle est la place de la femme en Algérie ? Certains
affirmeront qu'elle tend à disparaître depuis la montée de
l'intégrisme musulman, cependant, nier "la marche des femmes"
dans ce pays c'est, tout d'abord, méconnaître la
réalité et, surtout, se laisser abuser par la reconnaissance
d'une situation socio-politique conjoncturelle. C'est à cette autre
question d'actualité que j'ai tenté de répondre en faisant
le trait d'union entre le passé et le présent de ces femmes ainsi
qu'entre le permanent et le changement. Certains aspects de la vie de ces
femmes forment une vaste mosaïque de réalités, le but
recherché dans le processus de leur évolution demeure
fondamentalement le même.
Les femmes sont de plus en plus présentes dans
l'édification de cette société, même si leurs
aspirations sont souvent en opposition avec les intérêts
idéologiques du pouvoir. Elles acquièrent leur force des
contradictions même de ce pouvoir qui prône un discours
égalitaire.
Les femmes qui veulent prendre en main leur destin sont
partout : étudiantes, travailleuses, mères au foyer, citadines ou
issues du monde rural. Désormais, leur détermination freine toute
volonté de les exclure de la vie sociale et l'État, même
s'il essaie, ne peut changer le cours de leur histoire.
C'est cette lutte, parfois invisible, du monde des femmes que
fera apparaître cette étude. Ces femmes ne veulent pas être
ce qu'elles ont été. Elles perçoivent enfin le rôle
déterminant qu'elles ont à prendre au sein d'une
société qui les cantonne autour d'un statut de
"mineures".
Le choix d'une frange de femmes (citadines / rurales, milieu
différent / même famille...) résulte de la volonté
d'étudier la problématique féminine dans un contexte
socioculturel différent du contexte occidental. Il découle aussi
du désir de l'insérer dans un univers au sein duquel la
religiosité, d'une part, et la tradition, d'autre part, ont
créé un vécu quotidien qui maintient la femme dans le
cadre de la famille et limite ses activités.
Étant donné les évolutions ou les
régressions en matière de statut, il est apparu nécessaire
de saisir leur pleine signification, de les restituer dans une perspective
historique et dans le cadre des structures sociales au sein desquelles ces
femmes s'insèrent. Afin de ne pas limiter l'étude et l'analyse
entreprises aux domaines juridique et politico-historique, des entretiens et
des discussions portant sur la condition actuelle des rurales et des citadines
kabyles m'ont permis de compléter la partie théorique.
Ceci a eu pour résultat de mieux cerner l'image que les
femmes se font d'elles-mêmes et de leurs aspirations pour l'avenir.
Étant moi-même Algérienne, femme,
mère, enseignante, militante, je suis partie prenante sur les
thèmes apparus essentiels du point de vue de la participation politique
des femmes, de l'approche religieuse de l'Islam, du niveau de scolarisation, du
degré d'isolement, des freins et stimulants opposés par notre
société, du rôle du gouvernement dans l'insertion dans la
vie politique et économique, de la façon d'appréhender le
statut juridique et la manière dont on envisage de transformer notre
société.
Ces hypothèses, qui constituent les axes fondamentaux
autour desquels s'est articulée ma recherche, m'a amenée aux
déductions concernant les points suivants.
A- RELIGION / CODE DE LA FAMILLE
Il existe aujourd'hui, en matière religieuse, une
interprétation différente du Coran qu'il soit vu par les hommes
(utilisé pour le pouvoir, pour l'asservissement de la femme, etc.) ou
bien par les femmes qui l'utilisent comme un facteur dynamisant à la
participation à la vie politique et économique du pays.
Les hommes ne connaissent pas réellement les textes de
la religion. Ils les confondent entre les croyances, les traditions et la
religion : les rapports entre la tradition prophétique
(hadiths), les textes du Coran et le Code de la Famille sont
confondus. Les femmes sont conscientes que les articles du Code de la Famille
sont basés sur la Charia.
B- ESPACE PRIVÉ /
SCOLARITÉ
Par rapport aux générations
précédentes qui étaient maintenues à la maison, les
jeunes filles aujourd'hui - souvent poussées par leurs mères -
ont accès à la scolarisation qui leur permet de couper
l'isolement qui les rendait dépendantes des hommes. C'est un atout pour
leur participation à une vie politique mais c'est surtout un bond en
avant pour leur émancipation.
C- IDENTITÉ
La perte de l'identité causée par divers
facteurs, la population algérienne est en quête. Ceci ne se fait
pas sans angoisse : que lui a apporté la scolarisation, la religion
d'aujourd'hui, l'apprentissage de la politique ? Les femmes se rendent compte
qu'elles sont bafouées et les premières victimes de cette
situation. En effet, la société leur impose, ainsi qu'à
leur corps défendant, un rôle précis : celui de gardienne
des valeurs traditionnelles et familiales qui les confinent à la maison.
La crise identitaire définit diverses situations
individuelles et de groupe qui, en dehors de tout déterminisme,
provoquent une confusion dans les limites subjectives du moi en altérant
le sentiment d'une unité et d'une continuité. La situation
d'acculturation est favorable à l'émergence du conflit
identitaire. D'ailleurs, la question de l'identité berbère est
posée en termes de reconnaissance d'une histoire expoliée. Les
Kabyles protestent contre une arabisation totale qui fait des femmes les
premières analphabètes (incapables de lire un document en arabe,
de comprendre une émission ou un discours à la
télévision...).
Les causes énumérées ci-dessus ont
orienté ma recherche vers le Code de la Famille et les problèmes
soulevés par son application. Le champ est vaste et nécessite une
approche à la fois sociale et juridique pour traiter les
problèmes que l'application du Code de la Famille soulève pour la
femme en tenant compte du climat social et politique et les perspectives de
l'avenir de l'Algérie.
III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES
Il me semble opportun d'indiquer comment j'ai conduit notre
travail : les problèmes généraux et un certain nombre
de questions ont été relevés lors de mon travail de DEA
que j'ai repris en l'approfondissant car il n'était qu'exploratoire ; il
a suscité d'autres interrogations, d'abord, sur la définition du
sujet lui-même. Pour pouvoir répondre à la question, j'ai
dû me référer à des penseurs et écrivains
européens qui ont alimenté ma réflexion sur "Qu'est-ce
qu'une femme ? ".
Quels sont les fondements théoriques de ma
recherche ? Quels sont les aspects à traiter : le discours sur
les femmes ou la réalité des femmes ? Il est évident
que la réflexion sur ce sujet fait usage d'outils conceptuels et
analytiques de différentes théories classiques et modernes.
Elle emprunte des démarches ou des
approches élaborées dans le champ du savoir des
sciences humaines et sociales. Elle se caractérise aussi par le fait de
l'interdisciplinarité relevant de l'histoire, de la sociologie, de
l'anthropologie, de la démographie, des sciences politiques et
juridiques, de l'économie...
L'investigation a révélé, d'une part, de
nouveaux problèmes en identifiant le travail des femmes et une nouvelle
dimension du rapport de pouvoir au sein de l'économie domestique et,
d'autre part, de la macro-économique.
Sur le plan sociologique et anthropologique, un aspect
mérite une profonde investigation, celui de l'acceptation de l'ordre des
choses établi par la tradition. Ces femmes subissent, de plus, le poids
de la culture dans leur vécu.
1- Les femmes ne se complaisent plus dans le
rôle dominé de femme confinée au foyer entièrement
dépendante des hommes de la famille que la société
continue à leur impartir. Il me semble même qu'au-delà des
différences de condition de vie, un même élan vers la
libération personnelle anime les femmes d'aujourd'hui. Aussi, une
question se pose, à savoir : à quel degré et de quelle
façon ce rôle ancien est-il rejeté par les femmes pour un
autre rôle les rendant partie prenante du projet commun à titre
analogue à celui des hommes ? Cela m'amène à ma
deuxième hypothèse.
2- Les femmes, lorsqu'elles atteignent un
certain niveau de conscience, de formation et d'instruction ont, sans doute, le
désir de participer à l'édification nationale
(l'économie de l'Algérie). Cette question est d'importance car
toutes les études actuelles basées sur l'expérience
suggèrent que la participation féminine est une
nécessité pour le développement. D'un point de vue
psychologique, c'est souvent par l'éducation des femmes plus que par
celle des hommes qu'on peut obtenir un changement dans les attitudes et les
comportements favorables à l'adaptation au monde moderne. Donc, cette
formation et cette participation des femmes doivent exister, il doit y avoir la
possibilité de les augmenter lorsqu'elles existent déjà ou
de les obtenir dans le cas contraire.
Ces deux hypothèses - le refus par les femmes de leur
ancien statut et la participation féminine souhaitée ou voulue
par au moins une partie des femmes - se sont affermies au cours des entretiens
(faits en DEA) de telle façon qu'il a semblé nécessaire de
les vérifier. Cela fut fait par d'autres entretiens et des lectures
portant sur des questions déterminantes : tout d'abord, "les sorties
féminines" (bain, visites, coiffeuse...) pour contrôler le
peu de rapports que les femmes disaient avoir avec l'extérieur et le peu
d'échange entre elles, même en monde féminin ; puis, les
aspirations et le problème du travail féminin notamment pour
contrôler la soif, exprimée par certaines, de participer d'une
façon ou d'une autre au monde extra-familial, à la vie
publique.
Le refus de demeurer à la fois originelle d'effacement
et en dehors de tout réseau de relations interpersonnelles
élargies et le désir concomitant de prendre en main, en
liaison avec d'autres, leur propre destin et le destin collectif, ont
été confirmés pour toute une fraction de la population
féminine beaucoup plus largement que nous ne le pensions au
départ ; l'étude sociologique montre qu'il y a un
désir très net de participation interpersonnelle sociale, voire
politique, surtout avec tous les événements que traverse
l'Algérie.
Quant aux conclusions qui se sont dégagées de
l'ensemble de mon travail de DEA, elles pourraient se formuler ainsi : les
femmes ressentent très fortement l'état de transition dans lequel
se trouve l'Algérie car, plus que d'autres, elles ont
intérêt au changement défini, elles pourraient ainsi
collaborer efficacement aux mutations nécessaires. D'où, la
participation des femmes à la vie politique et sociale n'est pas
impossible puisque les motivations existent (parfois très fortement)
chez les individualités conscientes et dans tous les milieux et
âges. Le désir d'intégration dans la société
apparaît clairement en termes de révolte.
La tradition et les changements se concentrent sur
l'interprétation de l'Islam qui agit comme une barrière dans le
processus de développement social. À la lecture des textes
officiels (Charte Nationale, Constitution, Coran...), on pourrait penser que la
femme algérienne participe activement à la vie sociale et
politique de son pays. Or, on est bien obligé de constater, au
contraire, que la participation féminine à la vie sociale et
politique est très minime en Algérie ; la
réalité sociale fait apparaître un très grand
décalage entre le droit et le fait, entre les principes et leur
application pratique. Cela semble anormal et anachronique principalement divers
raisons que l'on verra tout le long de cette étude. Juste, quelques
exemples pour montrer qu'elles existent et qu'on les rencontre, mais
très vite on constate qu'elles sont à part : pas de femmes
dans les cafés, les stades, les cinémas, bien peu dans les rues
ou au marché et très souvent voilées et n'apparaissant que
rarement au repas familial si un hôte est présent et, tout de
suite, on pressent une mise à part, un rejet vers le "le monde des
femmes".
Quels sont les éléments nouveaux de
l'expérience du travail féminin rémunéré et
peut-elle introduire la logique des rapports hommes/femmes en
Algérie ? Quels mécanismes la famille va-t-elle
développer pour intégrer cet élément
étranger à sa logique ? Comment, en retour, l'accès
au travail va-t-il influer cette logique ?
L'intériorisation de cette logique constitue un
élément fondamental dans le processus de socialisation de
l'individu. Cela explique que la famille (lieu privilégié de ces
rapports) joue un rôle décisif dans le maintien ou la
transformation de l'ordre établi. De manière précise, en
Algérie, le problème de l'organisation et, partant, celui des
rapports entre les sexes (sans exclure d'autres) constitue en ce moment un
enjeu d'une importance capitale. Pour preuve, on remarquera qu'il a fallu
attendre vingt deux ans après l'indépendance de l'Algérie
(soit de 1962 à 1984) pour qu'un Code de la Famille ait pu être
promulgué, aujourd'hui contesté par la majorité des
femmes.
Ce climat de tension extrême que suscite tout
débat relatif à la famille est significatif de la
complexité de l'enjeu et devient lourd de sens lorsqu'on le confronte
aux "transformations radicales" que l'Algérie se propose
d'entreprendre dans les domaines économique et social. Comment envisager
l'un sans l'autre ? Donc, ce qui en constitue la complexité, c'est
le statut de la femme. Il est clair, cependant, que poser le problème
seulement en termes de statut de la femme revient à le tronquer d'une
dimension essentielle : ce statut est indissociable de celui de
l'homme ; il n'y a pas un problème féminin mais un
problème de rapport entre les sexes. C'est sur la nature de ce rapport
qu'il faudra s'interroger.
J'ai essayé de percer le mythe du travail
libérateur. Le travail et les études constituent deux volets que
l'on présente comme des "leitmotivs" dans le discours
moderniste sur "l'émancipation de la femme". Si le statut de la
jeune fille scolarisée est potentiellement porteur de changement, il
n'en demeure pas moins que ses potentialités deviennent nulles si le
passage par l'école ne débouche pas sur un emploi salarié.
Il faut rappeler que l'école ne fait qu'entrouvrir la porte sur
l'extérieur, celle-ci étant prête à se refermer
à la moindre faille. Donc, le travail de la femme se situe dans un
rapport continuel de subversion / neutralisation.
Ma recherche consiste à travailler sur trois
générations de femmes en Algérie : grand-mère,
mère, fille. Des thèmes seront abordés après
l'étude des concepts-clefs tels que : la place de la femme dans
l'Islam, la femme et la sexualité, la femme et la loi...
A- AU NIVEAU DU CODE DE LA FAMILLE
L'égalité des sexes consacrée par la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'est à ce jour,
tout comme d'autres droits, qu'un cadre d'application et c'est cette
application qui pose problème. Entre "dire" et "faire"
interviennent tous les rapports conflictuels que génère la
confrontation des concepts traditionalistes imprégnés de
religiosité rigide avec de nouvelles idées prônant,
justement, la suppression de cette rigidité comme exigence si la
société aspire à rejoindre l'humanité en marche
vers le XXI ème siècle. Les traditions doivent nous
servir de repères socioculturels et non de bitte d'amarrage ; nous
devons sortir du port d'attache pour voguer vers de nouveaux horizons.
J'ai décidé de faire connaître le Code de
la Famille avant d'aborder son application. Le problème que j'ai
rencontré dès le départ est d'étudier le Code de la
Famille sans étudier le droit musulman, vu que ce dernier constitue la
source essentielle du premier. Mais, comme le sujet n'est ni d'étudier
le droit musulman, ni le Coran, une telle étude aurait peut-être
élargi le sujet mais risquerait de créer une confusion entre le
droit musulman et le Code de la Famille qui, tout en puisant dans le droit
musulman, reste différent car considéré comme un droit
positif.
Le Code de la Famille reflète-t-il une
réalité sociale ? Comment réagit la société
algérienne à ce code, et les femmes particulièrement ?
Quelle est la position de la société civile (partis politiques,
associations...) par rapport à ce code ? Ce sont là les questions
que nous nous sommes posées et auxquelles nous nous efforcerons de
répondre.
B- AU NIVEAU DE LA FEMME
ALGÉRIENNE
Comment réagit la femme algérienne à son
environnement social ? Quelles sont ses relations avec les institutions, son
entourage familial : son mari, ses enfants et sa belle-famille ? Y a-t-il prise
de conscience des références juridiques ? On peut formuler
à cet égard plusieurs hypothèses.
C- AU NIVEAU DES INSTITUTIONS
Le problème de la femme est-il une préoccupation
majeure pour les différents gouvernements ? Plusieurs
propositions d'amendements du Code de la Famille ont été
proposées par des associations, l'État reporte la question. Les
hommes algériens ne veulent pas déroger leurs traditions, leurs
acquis et leur pouvoir...
En Algérie, l'Islam est religion d'État et le
Code de la Famille est régi sur la base du Coran. Or, les textes de la
Constitution stipulent que les droits sont égaux à tout citoyen :
il y a paradoxe.
IV- INVESTIGATIONS
Mon objet de recherche a été
déterminé en plusieurs étapes. La première
étape était de me positionner par rapport au sujet. Ensuite, il
m'a semblé important de choisir des textes relatifs au Coran et au Code
de la Famille et de montrer les droits qu'on attribue aux femmes, la notion
d'obligations dans la sphère privée.
Pourtant, la sphère privée concerne la personne,
son espace, sa vie avec ses familiers et les relations de son choix
circonscrits et préservés par la loi. La maison, la famille
coïncident avec le privé or, la famille appartient à une
entité, à la cité... L'organisation sociale en
Algérie ne peut séparer la notion privé/public, un
dualisme. Cette dichotomie privé/ public a sa dynamique propre et
persiste dans la vie des femmes...
Comme le souligne Pierre Bourdieu, la maison kabyle,
véritable microcosme, s'organise selon un ensemble d'oppositions : le
haram (péché) s'oppose à nif (l'honneur
sacré), comme le féminin au masculin, la femme à l'homme,
le dedans au dehors, la tradition à la modernité...
"L'opposition entre le monde de la vie féminine et
le monde de la cité des hommes repose sur les mêmes principes que
les deux systèmes d'opposition qu'elle oppose" 14(*).
La distinction entre vie privée et vie publique
correspond, pour certains des entités distinctes et
séparées, faute de quoi, on retombe dans le pouvoir, dans
l'autorité de l'État ; or, l'État algérien a
promulgué le Code de la Famille que beaucoup de femmes refusent ou
luttent pour son abrogation...
À la base de ce travail, il y avait mon mémoire
de DEA sur la Femme algérienne où ma problématique
était posée en termes de permanent / changement. Les conclusions
qui se sont dégagées nous ont permis de développer mes
investigations en donnant la parole aux femmes. Les histoires de vie sont
riches en recherche théorique, elles sont également sources
d'interrogations sur divers concepts.
Ma recherche s'est basée sur des thèmes
d'actualité de l'Algérie d'aujourd'hui.
PREMIÈRE
PARTIE
CHAPITRE I
LA FEMME ET LES TEXTES
"Dans ces États, les capacités des femmes ne
sont pas reconnues, utilisées surtout pour la procréation, elles
sont avant tout au service de leurs maris et reléguées à
l'éducation des enfants. Cela réduit à néant
l'espoir d'une activité professionnelle, les femmes ne sont tenues
capables d'aucune vertu humaine. Il arrive souvent qu'elles ressemblent
à des plantes. Le fait que, dans ces États, elles soient un
fardeau pour les hommes est une des raisons de la pauvreté de ces
États" 15(*).
LA BATAILLE AUTOUR DU CODE DE LA
FAMILLE
Le thème "femmes" et les textes
institutionnels m'interpellent en ce début de siècle,
période de mondialisation des marchés, de développement,
de connaissance, de communication, d'extension, d'informatisation et de
réaffirmation des identités.
La réflexion sur le religieux n'est pas l'apanage des
seuls théologiens ou de la gent masculine. L'Islam, en tant que
religion, oriente la vie du musulman, organise la communauté sur les
bases de l'égalité, de la justice et de la dignité. On
peut étudier le "Texte Sacré", interroger les diverses
interprétations et analyser les pratiques sociale qu'ils engendrent.
Dans les sociétés musulmanes, les transformations profondes qui
ont eu lieu fin de XIX ème siècle ont touché
(et continuent encore en ce nouveau siècle) différents aspects de
l'organisation sociétale.
Cependant, la famille algérienne, en tant
qu'institution sociale de base, n'a subi que peu de changements. Les lois qui
la régissent demeurent d'inspiration religieuse alors que celles qui
organisent les autres domaines de la vie politique, économique, sociale
et culturelle sont d'inspiration laïque. Ce paradoxe tend à
introduire une fissure dans la société, les femmes en sont les
plus affectées.
L'interférence du religieux et du politique est un
moyen de contrôler la vie de la femme, de dresser des limites entre le
dit et le non dit. Les frustrations, les anxiétés
psychologiques se multiplient, l'anxiété est souvent
transférée ou projetée dans le religieux. La pesanteur du
religieux et du social sur le statut de la femme demeure manifeste quand on se
penche sur le Code de la Famille.
En Algérie, le contenu du Code de la Famille reste la
loi la plus fidèle à la Charia. C'est le texte qui a le
plus résisté aux principes fondamentaux d'égalité,
à ceux de l'universalité des Droits humains comme nous le verrons
dans cette étude.
Les femmes musulmanes ont joué un rôle cardinal
dans le soutien et le renforcement des changements introduits par l'Islam dans
la société arabe. Elles ont lutté avec les
différents moyens dont elles disposaient pour asseoir leur place dans
la société musulmane. L'Islam les a reconnues en tant que
personnes, il a défendu leurs intérêts, il les a
protégées de l'exploitation dont elles étaient l'objet
durant la période préislamique. De leur côté, les
femmes étaient très vigilantes sur leur participation effective
dans la dynamique sociale, sur l'amélioration de leur condition et le
changement de leur statut. Elles formulaient leurs revendications, les
présentaient et les discutaient avec le Prophète. Elles ont
même demandé à ce que le Prophète leur
réserve particulièrement un jour pour les informer sur les
affaires religieuses et publiques.
Aucun sujet ne représentait un tabou pour elles. Elles
abordaient avec le Prophète des questions très pertinentes
relatives au dogme et à sa pratique, aux relations familiales, aux
conflits conjugaux et à la participation des femmes aux affaires
publiques. Le Prophète a toujours insisté sur le respect de la
femme. Il offrait le meilleur exemple dans son comportement avec ses propres
épouses à l'égard desquelles il était toujours
à l'écoute, ne les réprimait jamais et les laissait
s'exprimer librement.
Il est vrai, néanmoins, qu'au contact des civilisations
différentes, les Arabes musulmans (mais pas eux exclusivement) cherchent
à éviter une promiscuité de nature à gêner
les femmes, considérées avant tout comme mères,
épouses, soeurs ou filles. La préoccupation majeure à cet
égard semble être la perte de l'identité personnelle pour
se préoccuper et préserver l'identité sociale, ce qui
explique la prohibition de liens matrimoniaux avec les non musulmans. Ainsi,
pensait-on, l'ordre social serait préservé.
Il y a un réflexe de défense légitime
sachant que même l'Europe occidentale actuelle (donc, quelques
siècles plus tard) a opté sensiblement pour la même
attitude. De fait :
"La condition de l'occidentale est restée
pratiquement inchangée pendant des millénaires : il n'y a
guère de différence fondamentale entre la condition de
l'Athénienne du IV ème siècle avant J. C. et
celle de la Française du XIX ème siècle"
16(*).
Dans le même ordre d'idées, l'auteur souligne
qu'au Moyen-Orient, les théologiens, réunis en concile,
refusaient à la femme non seulement le droit au plaisir mais la
chargeait des travaux les plus asservissants pour un salaire dérisoire
(inférieur de moitié à celui des hommes 2(*)). Cette situation a
perduré puisque, dans sa version originale, le Code Civil frappe la
femme d'incapacité.
La question de la femme dont la pierre d'angle philosophique
semble être le fameux : "Inna-r-rijâla qawwâmûn
'alâ-n-nisâ'" 3(*), soit la prééminence de l'homme
consacrée par la Charia.
À ce sujet, deux courants contemporains se partagent la
pensée : d'une part, les "fondamentalistes" (les
salafistes) qui prônent "le retour aux sources"
(Al-Asâla), processus devant aboutir à ancrer durablement
le statut de la femme aux origines de l'Islam dans la tradition des
ancêtres et, d'autre part, les "réformistes" avec
notamment Mohamed Abdou, Djamel El Afghani, Rachid Ridha, Tahar Haddad et Qasim
Amin qui préfèrent parler d'émancipation de la femme dans
un esprit religieux se situant loin de l'ordre patriarcal.
Cette querelle juridique et politique que est loin de
s'estomper, a fortiori en Algérie où le Code de la
Famille a fait couler beaucoup d'encre. Du régime de
Boumédiène à Mohamed Boudiaf (période du socialisme
à la création de multipartisme, c'est-à-dire de
1965-1992), de "l'autogestion" à celui du
"libéralisme", le dossier relatif à la condition de la
femme fut des plus délicats. Quelle a été l'ambiance
générale du pays à cet égard ?
Depuis l'Indépendance, des droits
élémentaires en termes de "droit" ou "d'usage"
tels que la liberté de circuler, consommer dans les cafés, aller
au cinéma ou autres lieux publics, sont réduits à la
portion congrue. Soucieux de "draguer" littéralement les mieux
qualifiés des traditionalistes, le Pouvoir a intégré dans
sa stratégie la répression policière. Citons à
titre d'exemple la "campagne d'assainissement" de 1979 avec le
harcèlement des couples pour atteinte aux moeurs ?
Le marasme culturel, malgré le "débat sur la
culture" en 1981, n'a pas bougé d'un iota. Le "modèle
occidental de consommation" (électroménager, audiovisuel,
meubles, vêtements, denrées alimentaires et loisirs) a envahi les
têtes des Algériens sans moyen de le contrecarrer puisque la
pénurie des biens de consommations cantonne les gens à se
satisfaire d'un "meilleur" à venir, d'où,
peut-être, le slogan que la rue a traduit par "pour une vie
ailleurs".
De plus, la croissance démographique non
maîtrisée qui, outre qu'elle obère de façon certaine
le développement socio-économique, ne libère pas les
mentalités des pesanteurs historiques. Il faut ajouter à cela le
caractère moralisateur des supports pédagogiques (livres) dans
l'enseignement ainsi que les "prêches" de certains maîtres
des écoles (voire des collèges et des lycées),
l'université étant devenue, hélas depuis longtemps, le
théâtre d'affrontements physiques entre "francisants" et
"arabisants", entre "progressistes" et
"traditionalistes", beaucoup plus que des lieux de savoir
scientifiques et de débats d'idées. Par ailleurs, prendre comme
chef d'illustration un secteur jugé émancipateur (le travail)
permet de constater l'une des contradictions sociales les plus aberrantes.
L'égalité des sexes, consacrée par la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'est à ce jour,
tout comme d'autres droits, qu'un cadre d'application. Et c'est cette
application qui pose problème. Entre "dire" et "faire"
interviennent tous les rapports conflictuels que génère la
confrontation des concepts traditionalistes imprégnés de
religiosité rigide avec ces nouvelles idées, prônant cette
rigidité comme exigence si la société aspire à
rejoindre l'humanité en marche vers ce XXI ème
siècle. Les traditions doivent nous servir de repères
socioculturels et non de bitte d'amarrage.
La patriarcalité n'a cessé d'exister durant deux
mille ans d'histoire avant que les luttes des femmes n'aboutissent.
Déclarer le 8 mars Journée mondiale de la Femme crée une
polémique quant aux autres jours de l'année ! En
Algérie, quel sens prend le 8 mars, jour qui compte une
demi-journée chômée et payée pour les femmes avec,
pour certaines d'entre elles, l'occasion de humer un léger air de
fête en se faisant offrir, sinon en s'offrant, quelques fleurs ! Le
décor est planté pour une journée symbolique qui
revêt plus des airs de fête traditionnelle que l'allure d'une lutte
universelle.
Depuis les années 70 à nos jours, bien des
batailles ont été menées suite à des tentatives
d'instauration d'un Code de la Famille basé sur la Charia. Les
lois civiles n'étaient apparemment pas aptes à codifier la
famille et la femme, et ce durant l'année 84, dans un climat de
montée du mouvement démocratique en tentant le
démantèlement de l'opposition.
La fin de la décennie 80 annonçait bien des
changements : le multipartisme est en bonne voie et les revendications
sociales, s'aiguisant pourtant dans certaines constances, restent
incontournables et le Code de la Famille y est inscrit. L'histoire du mouvement
féminin en tant que mouvement de masse est encore à venir, non
point qu'il n'y ait pas eu de luttes mais la structuration de ce mouvement est
encore récente et la régression continue des droits de la femme
sur le plan juridique a renforcé un statut informel traditionnel
fortement réactionnaire au sein de toute la société.
Aujourd'hui, passons sur le ronron de la télévision
algérienne qui n'en finit pas de conter dans la langue et le langage
officiel : "la participation de la femme à la libération aux
côtés de son frère l'homme".
Il apparaît que, durant la guerre de libération
autant que dans l'après-guerre, au sein du pouvoir autant que dans le
mouvement d'opposition, le statut de la femme a toujours occupé le
second plan. La lutte des femmes, née au sein des mouvements
d'opposition, ne s'en est pas détachée, recréant ainsi des
schémas du parti unique, de ses organisations de masse fractionnant
ainsi les luttes axées sur un seul projet. Tout cela dans un contexte
d'évolution de la loi des priorités (économique,
politique, sécuritaire) qui ont, durant des décennies,
éclipsé la revendication sociale. L'abrogation du Code de la
Famille, devenue un pôle rassembleur de l'opposition démocratique,
a permis une décantation entre associations du pouvoir et mouvance
islamique d'une part, autour de l'amendement du code et les associations de
l'opposition démocratique d'autre part.
Les ateliers initiés par le gouvernement en avril 1996
pour impulser les amendements ont été à l'origine d'une
division au sein des associations qui se sont positionnées pour
l'abrogation : certaines ont répondu à l'urgence d'amendements
immédiats de certains articles discriminatoires en attendant de
reprendre la lutte pour l'abrogation de celles (associations) qui refusent de
s'inscrire dans la logique d'amendement d'un code qui doit disparaître.
La loi des priorités sévit encore et la réorganisation des
revendications sociales autour d'une opposition qui s'impose en tant
qu'alternative est encore loin devant.
Plus globalement, c'est toute la classe politique qui sort
affaiblie de dix années de guerre fratricide dans une
société où l'ensemble des problèmes se pose avec la
même urgence : statut des femmes, place de la religion, question des
langues et donc d'identité, passage à l'économie de
marché, chômage, pauvreté, rôle de l'école,
etc. ; des problèmes jusqu'alors contenus par la dictature de
l'armée et du parti unique.
La société d'aujourd'hui est ailleurs. Elle
élabore des stratégies complexes pour sa survie physique et
matérielle, puisant tantôt dans les valeurs de l'Islam,
tantôt dans celles de l'Occident, ce qui n'est pas sans incidence sur le
rôle et le statut des femmes dans les familles algériennes. Bien
entendu, l'ensemble de ces changements rend encore plus caduc le Code de la
Famille posé comme une camisole de force sur la liberté des
femmes, ce qui continue d'arranger l'écrasante majorité des
hommes algériens, y compris les plus modernistes.
Mais, d'autres modèles sont nés
véhiculés de façon concurrente et puissante par les
mosquées ou par les programmes de télévision reçus
de l'étranger via le satellite (antennes paraboliques qui ont
poussé comme des champignons vers 1989). Ces modèles,
rejetés ou adoptés, ont marqué cette nouvelle jeunesse qui
rappelle aux dirigeants du Mouvement des Femmes qu'elles ont vieilli au moins
autant que leur mode de séduction de la société.
I - LA PLACE DE LA
FEMME DANS L'ISLAM
- Sous la terreur, des thèses divergentes
s'élaborent
La société algérienne est
confrontée à une mutation extrêmement rapide et à
des bouleversements sanglants. La profondeur de la prégnance de
l'islamisme radical, devenu discours collectif non seulement moral mais
totalitaire, explique tout, justifie tout pour ceux qui se disent
"justiciers".
La non moins grande imprégnation des acquis - travail,
instruction, choix personnel du mariage, recherche de la dignité - que
l'on pourrait voir comme la résultante d'un mouvement féministe
sert pourtant d'égal repoussoir aux femmes islamistes qui prêchent
une religion pure et dure. Il est paradoxal de voir que des voilées
veulent être des propagatrices actives de la religion mais aussi des
femmes qui réussissent à la fois leur vie professionnelle et
conjugale, des femmes libres et épanouies !
Surgit une majorité de figures religieuses mais aussi
des modèles de femmes, autrefois occultés, venant des
sociétés musulmanes telles Aïcha (la femme du
Prophète), Zaineb ; épanouies professionnellement, les femmes des
mondes de la politique et du spectacle font l'objet d'un unanime rejet.
Des femmes détournent la confrontation homme / femme
à leur profit, ne voient aucun empêchement à entrer en
compétition avec l'univers masculin et se démarquent donc de la
société traditionnelle, d'ailleurs condamné par
l'islamisme. Le projet de l'État islamique vise à modeler les
individus en empêchant les champs de la modernité :
conquérir tout le pays et ordonner l'uniformisation (un modèle de
vie identique à tous).
Or, dans cet objectif, et ce n'est pas une des moindres
interrogations qu'il pose, l'obsession de l'émergence du féminin
est constante. Ce n'est pas seulement que la femme est vue comme un danger
potentiel, un risque toujours renouvelé de fitna
(désordre), c'est que le féminin pourrait fonder l'ordre du
monde.
Les sociétés musulmanes, marquées par une
profonde crise de la pensée et un formidable retour religieux, amorcent,
à leur façon, après l'histoire inaboutie du nationalisme
arabe, un tournant. Ce faisant, elles dérangent, notamment l'Occident
dont elles ont une représentation très critique, elles
s'affirment "comme une authentique voix du Sud" confrontée
à la domination du Nord. Elles interpellent l'universel.
Le rationnel perd toute force d'ordonnancement d'un
réel devenu terrifiant. L'émotionnel y prend de la place,
beaucoup de place. La mort est là, présente, prête à
surgir, à emporter des êtres chers, des inconnus, de simples
citoyens qui font souvent les pages d'un journal du matin. Au fil des jours,
ces citoyens sans nom et sans âge, en un mot sans histoire, rejoignent la
rubrique des faits divers. Parfois, le signe de reconnaissance est un uniforme
: un gendarme, trois policiers, une militante, une lycéenne...
Les femmes ont été les premières victimes
du terrorisme. La purification par le feu a été le premier acte
de terrorisme islamiste. Rappelons qu'à Ouargla (ville du sud
algérien) où, par le feu, on a appliqué le châtiment
à une femme décrétée "de mauvaises
moeurs". Son enfant, âgé de trois ans, a été
sacrifié sur l'autel de la haine. Ce passage à l'acte
(première trace d'un processus violent qui tend à briser toute
volonté, toute différence, toute opposition) nourrit ce sentiment
que toute agression contre les femmes annonce une régression sociale par
rapport aux acquis de la femme des années 70 -80.
D'autres ont subi la même loi, la loi de la mort. Des
intellectuels, des journalistes, des poètes, des chanteurs... Hommes aux
idéaux humanistes, chantres de l'Algérie plurielle. Hommes de
paroles, repères d'identité et d'identification. Hommes libres,
généreux, qui assumaient la partie féminine de leur
société. Ce fut décidé par des bourreaux et
exécuté par de jeunes gens. Ignorant la vie, ils ont opté
pour la semence de la barbarie. Leur héros crie au
"djihâd" (guerre sainte) et appelle au sang au nom de l'Islam et
d'Allah (Dieu). La rumeur continue, la rumeur se fait sentence, la loi
s'énonce contre les femmes. L'ordre qui s'annonce s'édifie sur la
répression des femmes. Le pouvoir des ténèbres s'empare
des pensées et des actes. Il instaure son hégémonie : la
terreur de figurer sur la liste des condamnés...
Reste l'exil pour rejoindre d'autres diasporas. Rester. Mais
encore ? Impuissance devant un monde qui surgit la nuit et qui tue.
Résister. Se maintenir en vie. Tenter de mettre de la distance entre soi
et la terreur pour ne pas sombrer dans le délire. Garder sa tête
pour penser, pour communiquer. Assumer le quotidien. Comprendre pour
écrire, pour donner sens... Tout ceci est banalisé avec le jeu de
la mort.
Cet ensemble de points de vue renvoie à l'acceptation,
la sélection, le rejet que l'on peut actualiser devant un discours qui
tend à dominer le champ social. Les réponses que l'on peut
obtenir indiquent des prises de positions, des opinions, des
élaborations intellectuelles, c'est-à-dire des
représentations sociales. Autrement dit, les réponses
formulées à propos d'un questionnement autour des thèses
islamistes relatives aux statuts et rôles sociaux féminins sont
révélatrices d'élaborations. Et ce sont les
phénomènes que je tenterai de cerner tout le long de cette
recherche.
La dépendance féminine constitue la base
d'équilibre de la famille musulmane car elle conditionne la femme dans
un rôle de mère dévouée, humble mais aussi
transmettrice des valeurs. Elle doit avoir la foi, un bon caractère,
mais aussi être belle, vierge, féconde. De plus, elle doit
respecter un ensemble de normes qui règlent sa conduite tant à
l'intérieur qu'à l'extérieur de sa maison. Nous sommes
donc en présence d'un système qui privilégie le collectif
sur l'individuel, l'objectif sur le subjectif, sur le moi, sur le soi, la
maîtrise sur l'excès . Dans cette logique, la structure du pouvoir
est très stricte et fonctionne sur la base d'un système
d'opposition : affirmation / exclusion, sacré / souillure, honneur /
veulerie...
1- LE STATUT DES FEMMES DANS LE DISCOURS
CORANIQUE
Le discours religieux sur la femme musulmane est multiple et
varié. Il oscille entre le rejet, la réclusion du sexe
féminin et son acceptation relative ou sa prise en considération
en tant qu'être humain à part entière. Cependant, depuis
des siècles, les femmes ont constitué une obsession pour l'ordre
et la stabilité politique. Elles ont toujours été l'objet
de discours moralisateurs. Certaines fatwas, consultations juridiques
qui ont prévalu en Algérie depuis quelques années, sont
très explicites en la matière. Elles traduisent le transfert d'un
malaise d'une société en confrontation avec des problèmes
d'ordre économique, politique, social et culturel sur les femmes.
Depuis la promulgation des partis politiques islamiques
(1989), les femmes, objet de discours religieux lors des prêches dans les
mosquées, sont désignées comme responsables de la crise
des valeurs. Les victimes des moralistes sont les femmes dont le corps est
décrié comme sujet de perdition et de séduction des
hommes, aussi faut-il le contrôler, réprimer ses désirs,
l'isoler et le cacher par de multiples voiles. Cacher la femme s'opère
sous différentes formes y compris la laisser dans l'ignorance.
L'accès des femmes (en général), musulmanes (en
particulier) à l'instruction était très limité,
bien qu'on ne trouve aucun texte dans le Coran ou la sunna qui prive
la femme de l'éducation. Les fouqahas qui prônaient
l'instruction de la femme l'ont cantonnée dans l'enseignement du Coran
et des préceptes de la religion.
Dans les années 1920 au Maghreb, M. Mahdi El Hajoui,
inspiré par ce qui se passait en Europe sur l'enseignement obligatoire
pour les deux sexes et par référence aux sources authentiques du
Coran et de la sunna, revendiquait l'éducation des filles. Il
rencontra beaucoup de résistances au début de la part des
Oulémas et des hommes politiques. Pourtant, l'éducation
qu'il proclamait ne devait pas dépasser l'enseignement primaire car
dit-il :
"On n'a pas besoin de femmes juge, écrivain ou
médecin, il ne faut pas qu'elles soient concurrentes des hommes ou leurs
égales. De plus, elles ne peuvent pas voyager à
l'extérieur pour continuer leurs études..." 17(*).
Certes, à l'époque, le dévoilement des
femmes et leur accès à la sphère publique ne posait pas de
problèmes vu le respect des traditions, rares étaient les femmes
qui accédaient à ces revendications. El Hajoui considérait
le dévoilement comme une fitna et une atteinte à l'ordre
familial. Il critiqua le modèle de la femme française et remit en
question la libération de la femme arabe telle qu'elle était
revendiquée par ses confrères arabes.
Tout le Maghreb (y compris l'Algérie) paraît
ainsi très conservateur, le religieux est mis au service de la
tradition. Les conceptions masculines sur l'émancipation des femmes
restent encore timides. C'est avec Allal El Fassi 18(*) que le mouvement prendra un
essor et une progression plus rapide.
En effet, le discours sur la spécificité et
l'universalité des Droits Humains est prédominant dans les pays
musulmans, plus particulièrement quand il s'agit du statut de la femme,
noyau central du discours identitaire. Les fondamentalistes contemporains sont
focalisés sur la spécificité contre l'universalité.
Ils se sont alliés, durant les différentes conférences et
rencontres, en refusant le principe d'égalité et en le
remplaçant par celui d'équité.
Tous les discours ont un point commun : c'est la
réclusion plus ou moins accentuée de la femme, son maintien sous
l'autorité masculine et le rejet du principe d'égalité
entre les sexes considéré comme importé et non convenant
dans une société musulmane. D'ailleurs, l'accès des femmes
à la sphère publique et leur participation à la gestion
des affaires d'un pays semble une anomalie alors que l'Islam n'a jamais
interdit à la femme d'accéder à n'importe quel poste de
responsabilité, il suffit qu'elle soit instruite, formée et apte
à l'assumer.
Si les interprétations de certains fouqahas
ont contribué à la claustration des femmes, d'autres
interprétations ont ouvert les portes à l'Idjtihâd
pour accorder à la femme la place qui lui revient dans les champs
économique, politique, social et familial. D'autres tendances islamistes
semblent plus conscientes du rôle des femmes dans la politique et la
nécessité de leur représentativité à toutes
les échelles de la vie publique.
Dans le combat qui les oppose aux intégristes, certains
musulmans modernistes se plaisent à souligner que la
révélation coranique affirme l'égalité spirituelle
de l'homme et de la femme et que, au regard de la condition féminine
d'avant la prédication (Djâhiliya), l'Islam a
incontestablement amélioré sa situation (par exemple :
reconnaissance de l'égalité spirituelle des sexes, autonomie
financière de l'épouse, droit à l'héritage,
limitation et réglementation sévère de la polygamie, droit
au douaire...).
Il suffit donc, aux yeux de ces modernistes qui sont partisans
d'un modèle islamique des droits de l'homme, d'adapter simplement les
textes religieux aux nécessités de l'heure et de les
compléter pour parvenir à une réelle émancipation
féminine.
À l'inverse, pour certains courants laïques et
pour l'immense majorité des Occidentaux, l'Islam est une religion
particulièrement sexiste ; l'infériorité
intolérable de la femme dans les sociétés musulmanes,
depuis quatorze siècles, en est la démonstration la plus
éclatante. Il convient de nuancer ces deux positions en tenant compte
des remarques.
Dans le contexte spécifique qui était celui de
l'Arabie du VII ème siècle, l'Islam a certainement
provoqué des changements profonds dans les mentalités et dans les
structures sociales. De manière parfois ambiguë, le Prophète
Mohammad a cherché une relative amélioration de la condition
féminine.
Cependant, entre l'affirmation de ces principes et leur
inscription dans le droit et surtout dans les faits, il y a incontestablement
un hiatus que n'ont comblé ni les théologiens, ni les
simples croyants (marqués par les structures élémentaires
de la parenté propre à la région), ni les responsables
politiques (étroitement soumis aux injonctions des
théologiens-juristes, partisans d'un contrôle étroit de la
femme et de son infériorisation).
Il faut, cependant, tenir compte du fait que la condition
féminine a souvent été réglée par des
coutumes locales (souvent préexistantes) étrangères aux
normes juridiques et aux valeurs spirituelles de la religion musulmane. Ainsi,
dans toute l'aire méditerranéenne, le contrôle de la
sexualité des femmes s'intégrait dans des stratégies
classiques de domination et dans le code de l'honneur, en vigueur encore
aujourd'hui. En Algérie, le droit musulman s'est accommodé avec
le droit coutumier algérien.
La femme a, partout, fait l'objet de stratégies de la
part des hommes qui ont le monopole du contrôle de la circulation des
biens1(*) et elle a
été soumise à des rapports d'échange et de force
entre familles, clans ou tribus. Mais, si l'éthique islamique a
tenté de diffuser une conception novatrice porteuse
d'émancipation, elle n'a pas modifié de manière
significative cet état de choses et s'est accommodée de ces
structures anciennes. Le texte coranique lui-même, d'où sont
extraits les codes sacralisés et figés par les théologiens
constitutifs du corpus du droit musulman, porte les marques des structures et
des conceptions de l'époque antéislamique, contribuant ainsi
à reproduire le statut d'infériorité de la femme.
J'ai été inspiré par plusieurs exemples
pris dans le Coran (et cités par Boudhiba « La
sexualité dans l'Islam » :
q Appréhension de la femme comme bien familial et
assignation de celle-ci à la fonction procréatrice au profit du
seul lignage masculin (Coran IV / 3) ;
q Ségrégation entre les sexes et enfermement
des femmes (Coran XXXIII / 59) ;
q Autorisation de la polygamie (Coran IV / 3) ;
q Autorisation de la pratique de la répudiation
(Coran II / 226-232) ;
q Soumission des femmes à la tutelle masculine en
vertu de la prééminence reconnue des hommes sur les femmes (Coran
IV / 38) ;
q Inégalité devant l'héritage (Coran IV
/ 12).
Le Coran indique clairement que les hommes doivent se
prémunir contre les femmes, prévenir leur indocilité ou
châtier leur désobéissance par l'admonestation, la
relégation, voire les châtiments corporels (Coran IV / 38).
Certes, des innovations ont été apportées
comme la condamnation du meurtre des fillettes à la naissance (Coran XVI
/ 60-61), l'abolition de l'obligation pour une veuve d'épouser le
frère de son mari (Coran IV / 23) ; la stricte
réglementation de la polygamie autorisée mais limitée par
l'obligation d'un traitement égal des épouses (Coran IV /
3). Mais, ces innovations restent bien au-delà d'une
véritable émancipation et d'une réelle
égalité matrimoniale et sociale. Et on le voit d'une
manière générale : les versets du Coran consacrent
explicitement la prééminence de l'homme (père, mari,
tuteur...) sur la femme en matière de vie conjugale, sociale et
professionnelle bien que le discours coranique insiste sur
l'égalité sur le plan matrimonial et, plus
généralement, sur le plan social.
2- LES DROITS ET OBLIGATIONS DES ÉPOUX DANS
LE CORAN
Le mari est appelé à respecter ses devoirs
envers sa femme :
q Il doit cohabiter avec sa femme ;
q Il doit consommer le mariage et ne pas cesser, par la
suite, de s'acquitter de son devoir conjugal ;
q Il doit s'abstenir de tout mauvais traitement à
l'égard de son épouse ;
q Il doit subvenir à l'entretien de son épouse
;
q S'il a plusieurs femmes, il doit procéder à
un partage égal des nuits ;
q Il doit autoriser son épouse à recevoir la
visite de son père, de sa mère et, d'une manière
générale, de tout parent à un degré prohibé,
de même qu'à visiter ces personnes. De surcroît, le mari ne
peut obliger sa femme à vivre sous le même toit que sa propre
famille à lui (fait non respecté).
Parallèlement aux devoirs imposés au mari, la
femme doit respecter cinq obligations :
q La femme doit obéissance à son mari ;
q La femme doit habiter au domicile conjugal ;
q La femme doit être fidèle au mari ;
q La femme peut, le cas échéant, être
obligée de vaquer elle-même aux soins du ménage ;
q La femme peut disposer, dans l'intérêt
exclusif d'un tiers et par donation entre vifs ou cautionnement, de plus du
tiers de ses biens sans l'assentiment du mari.
Ces droits et devoirs ne sont pas appliqués à la
lettre par les Algériens (ne font toujours pas référence
au Coran mais surtout aux traditions). On constatera qu'il y a des similitudes
avec le Code de la Famille...
3- LE VOILE : POLÉMIQUE ET
DISCOURS
Dès qu'on parle de la femme et de l'Islam, on aborde
les questions du voile et de la mixité qui ont amené à des
prises de position, à des conflits, etc.
Le discours sur le voile est multiple, vieux et très
actuel. Les connotations et les résonances risquent donc d'être
denses et complexes. L'approche de la question de la femme voilée /
dévoilée, du féminin "dévoilable" et
"indévoilable" se veut anthropologique et psychologique. Elle
tend surtout vers un essai de compréhension par rapport à
plusieurs axes. Le voile est une relation au corps, la mixité est une
relation à soi et à l'autre sexe. Le voile serait un langage et
le corps porteur de symboles. Le voile, en tant que pratique vestimentaire,
s'intègre dans un processus socio-religieux et culturel qui lui donne
son sens complet.
Seulement, différentes interprétations attestent
que le voile a été recommandé et non imposé. C'est
une pratique qui permettait de distinguer les musulmanes ou de conditions
libres (des "hourra") des non musulmanes, des
"djawârîs" (esclaves) et des prostituées. C'est une
affirmation de l'identité, elle avait comme fonction de protéger
durant cette phase où les structures de l'Islam se mettaient en place et
où les non-croyants cherchaient à humilier les musulmans en
portant atteinte à leurs femmes. On peut se demander que
représente de nos jours le voile d'une musulmane au sein d'une
société de musulmans ? Cependant, le port actuel du voile
atteste-t-il le retour au religieux ou est-il l'expression d'une
société en crise ? Les déficits politique,
économique, la perte des valeurs et des repères ont donné
au voile d'autres significations : le voile couverture de l'identité, le
voile auto-affirmation de soi, le voile cache misère, le voile
concession, le voile peur, le voile enfermement, le voile séparation et
le voile manipulation islamique.
Les penseurs de la renaissance avaient mené une
campagne contre le voile, les mouvements nationalistes ont accepté,
approuvé et encouragé le dévoilement des femmes (comme
Charaoui, Nawel Saddaoui, Kasmi Amin, et Tahar Haddad... ). Les islamistes
prônent, actuellement, le voile en tant que vêtement qui traduit
l'appartenance à un groupe, qui exprime une idéologie et une
façon de se démarquer des autres, les non islamistes.
À mon sens, le voilement et le dévoilement sont
différents dans la réflexion. Pour les femmes voilées, il
exprime différentes significations : d'ordre religieux, de pudeur,
d'affirmation de soi, d'obligation familiale (répression familiale pour
recouvrir la liberté et sortir du ghetto familial), de
déséquilibre psychologique profond. C'est un enjeu identitaire et
psychologique...
II- LES SOURCES DE LA LOI
ISLAMIQUE
Voyons les sources de la loi islamique, les quatre principales
bases de l'Islam, qui ont permis d'édifier les règles
d'application de l'Islam.
1- LE SOURCES
LE CORAN
Il est de révélation divine, dicté au
Prophète Mohammad. Ce livre sacré a permis d'écarter
certaines coutumes pré-islamiques, d'en conserver d'autres et
d'établir un code des valeurs musulmanes. Mon sujet n'est pas
d'étudier le Coran mais d'en retenir quelques versets, à mon
sens, significatifs pour montrer que le Code de la Famille s'est basé et
a été calqué sur des textes Coraniques.
En matière de mariage, par exemple, le Coran ordonne
que seule l'épouse, et non son père ou un autre homme de la
famille, reçoive la dot (mahr) de son mari. "Donnez leurs
douaires à vos femmes, spontanément" 19(*). La femme devient une
partenaire légale dans le contrat de mariage plutôt qu'un objet
bon pour la vente. La polygamie illimitée a été
restreinte et le nombre des femmes limité à quatre.
Toutefois, une recommandation finale demandait que le mari qui
ne pensait pas pouvoir traiter équitablement chacune de ses femmes
devrait n'en épouser qu'une seule à la fois.
"... Epousez donc celles des femmes qui vous seront
plaisantes par deux, par trois, par quatre mais si vous craignez de
n'être pas équitables, prenez une seule ou des concubines"
20(*).
"... Vous ne pourrez être équitables entre
vos femmes même si vous le désirez" 21(*).
En matière de divorce, de manière à
donner aux époux une possibilité de réconciliation, une
importante réforme coranique instaure une période d'attente de
trois mois ou jusqu'à ce que l'épouse accouche de son enfant pour
que son mari puisse divorcer d'elle.
" Pour celles de vos femmes qui désespèrent
d'être menstruées, si vous avez des doutes, leur période
d'attente sera de trois mois. Pour celles qui n'ont pas leurs menstrues :
même délai. Pour celles qui sont enceintes, le terme de leur
période d'attente sera leur accouchement" 22(*).
Un autre verset coranique dit :
"Ne les (femmes) expulsez pas de leurs foyers
à moins d'une faute grave établie".
Ce verset est bafoué. Il n'y a là rien "a
priori", à l'homme le droit ou le pouvoir de répudier
librement sa conjointe. Au contraire, la condition non équivoque mise au
divorce (l'établissement de la faute) semble restreindre
singulièrement sa liberté en cette matière.
En effet, on ne saurait concevoir "l'établissement
de la faute" dans les prérogatives d'un conjoint ; il serait, dans
ce cas, le principe d'un arbitrage pour établir
précisément la faute et prononcer, en conséquence et s'il
y a lieu, "l'expulsion". Évidemment, il ne faudrait pas tomber
dans le travers contraire : maintenir coûte que coûte une union
impossible.
Le Coran a modifié le système agnatique (qui
veut dire descendant d'un même ancêtre masculin) en introduisant la
loi sacrée de l'héritage. Il est donc la plus importante des
sources de la loi. Il faut pourtant signaler que les diverses
interprétations de ses versets apportent des arguments tant aux
partisans de l'émancipation féminine qu'aux intégristes
les plus sévères.
- LA SUNNA (ou la tradition du
Prophète)
La deuxième source de la loi musulmane
concerne les faits, gestes et déclarations du Prophète pendant sa
vie. Le compte exact de ces traditions (Hadiths) ne s'est
terminé qu'au milieu du IX ème siècle.
Qu'elles soient de la ville ou de la campagne, toutes les
femmes ont en commun de se référer à la tradition de
l'Islam historique (la Sunna) et d'obéir à des
traditions coutumières. Par leur mode de vie, elles ont, à
travers le gynécée et la maternité, assuré la
transmission d'une façon de penser et se comporter. La femme est
définie, dès le début de sa vie, comme un être
dépendant donc plus faible et inférieur à l'homme. Cette
discrimination sexuelle est fondée sur une préférence
divine en faveur de l'homme quant au devoir de subvenir aux besoins de la femme
mais aussi de la corriger lorsque nécessaire.
"Les hommes ont autorité sur les femmes du fait
qu'Allah a préféré certains d'autres que vous à
certains autres et du fait que (les hommes) font dépense sur
leurs biens (en faveur de leurs femmes)... Celles dont vous craignez
l'indocilité, admonestez-les ! Reléguez-les dans les lieux
où elles couchent ! Frappez-les ! Si elles vous obéissent, ne
cherchez plus contre elles de voie (de contrainte) ! Allah est auguste
et grand" 23(*).
- IDJMÂ` (consensus)
Cette source juridique peut être définie comme
étant l'accord unanime de la Oumma (la très haute
instance musulmane). Le Coran, parole divine, est l'unique source d'obligation,
la Sunna ne fait que nous informer au sujet des règles
différentes, règles que Dieu nous impose. Quant à
l'Idjmâ`, il ne fait qu'expliciter la Sunna.
- QIYÂS (raisonnement analogique)
Cette troisième source de loi permet d'émettre
des jugements personnels limités en se référant à
une autre situation dont la solution se trouve soit dans le Coran, soit dans la
sunna (Hadiths ou Traditions). Parmi les usages les plus
anciens du Qiyâs se trouvait celui de la fixation de la dot
minimale. Un exemple d'analogie de la situation a été
établi entre la perte de la virginité en raison du mariage et la
pénalité coranique pour le vol égale l'amputation de la
main... La virginité de la femme est considérée comme
aussi importante pour elle que la main pour un homme, d'où l'analogie
établie.
B- LES NORMES DE
L'ISLAM PAR RAPPORT AUX FEMMES
Quelles sont les normes que la petite fille, puis la femme,
doit respecter tout au long de sa vie ? Son arrivée est acceptée
mais sans enthousiasme, contrairement à la naissance d'un petit
garçon. Très vite, des rôles distincts seront
enseignés au frère et à la soeur.
La fillette apprend qu'elle est avant tout dépendante
de son corps dont elle peut user par séduction pour obtenir ce qu'elle
veut, mais dont elle doit aussi avoir honte. Elle est considérée
comme impure, elle devra tout au long de sa vie, et même après la
mort, être purifiée grâce à une conduite
irréprochable et à l'action de Dieu. Elle apprend dès
l'âge de six à neuf ans les fondements de son rôle de
ménagère et d'humble complément de l'homme.
L'homme a le monopole des attentions sexuelles de sa femme, de
son travail et de celui de ses filles... Le mari doit subvenir
matériellement à leurs besoins, s'en occuper et les
protéger contre le reste du monde.
Les qualités de la femme complètent celles de
l'homme : elle doit être humble, obéissante, loyale et
différente. Sa place dans le monde est le reflet de sa position de
gardienne... La confirmation primordiale de la valeur d'une femme s'exprime
à travers les biens matériels qu'elle obtient.
La deuxième étape importante de la femme est le
mariage. La fille devient majeure uniquement par le mariage avec
préservation de sa virginité et doit être pubère. Le
mariage ne peut se conclure qu'avec le consentement du tuteur légal
(père ou un proche parent mâle, si celui-ci est
décédé). Elle ne peut épouser un non musulman alors
que l'homme peut se marier avec une étrangère de confession
différente.
"Ne donnez point vos filles en mariage aux associateurs
avant qu'ils ne croient ! Certes, un esclave croyant est meilleur
qu'un associateur, même si celui-ci vous plaît"
24(*).
C- COMPRÉHENSION DE L'ISLAM
Lorsque qu'on parle de la femme en Islam, j'essaie de faire
une approche normative, c'est-à-dire par rapport aux textes et
préceptes de la religion musulmane. Sans trop m'étaler sur une
littérature disponible à qui veut "l'éplucher",
je ne peux simplement affirmer que la religion musulmane, en matière
culturelle, oblige la femme, tout comme l'homme, de s'acquitter de ses
obligations et que tout devoir accompli (ou non) est sanctionné de
manière égale. Quant à la problématique de la femme
dans l'Islam, elle est surtout posée lorsqu'il s'agit de
l'activité sociale en terme de "sens féminin" et non en
terme de "sexe féminin".
Pour pouvoir étudier de la manière la plus
objective possible la question féminine dans les sociétés
musulmanes, il faut se débarrasser des critères établis en
dehors de celles-ci puis rétablir les critères
déterminés par l'Islam et dont la variation de forme n'est autre
que l'adaptation des sociétés pré-islamiques aux
préceptes de l'Islam. Succinctement, l'Islam (en tant que religion) a
débarrassé des sociétés pré-islamiques les
idées qui font de la femme un "objet" ou, à
défaut, un être accidentel et non désirable qui, lorsqu'il
n'est pas systématiquement éliminé, est
considéré comme un mal nécessaire que l'on doit souvent
cacher. Au contraire de cela, l'Islam a introduit des idées nouvelles :
q La femme est une créature humaine ayant une
perception de la vie différente de celle de l'homme mais
complémentaire ;
q Elle est la garante des relations familiales (la notion de
famille et des relations de familles est une des notions sacro-saintes en Islam
et dont sa permanisation est un devoir religieux) ;
q Elle est dépositaire de la bonne éducation et
des bonnes moeurs.
De cela découlent les droits de la femme à
savoir (succinctement) :
q Droit à l'héritage (les Kabyles refusent
d'appliquer) ;
q Droit à la propriété ;
q Droit à l'indépendance dans la gestion et la
jouissance de ses biens même mariée (l'épouse de Mohammad
était la première à appliquer cette Sunna) ;
q Droit à la consultation dans toute affaire
"publique" quand celle-ci est soumise à consultation
"populaire"...
Qu'en est-il de cela dans les autres pays musulmans comme la
Turquie (pays musulman laïque), l'Arabie Saoudite (pays pratiquant
à la lettre la charia), l'Iran (pats musulman de doctrine chiite) ? Ces
trois pays musulmans ont des pratiques identiques vis à vis de la
femme
L'objectivité veut que la réalité soit
vue en face. En effet, la quasi-totalité des sociétés
musulmanes, durant la longue période du déclin de la
civilisation, tout en s'éloignant des vraies valeurs et des normes
musulmanes, a laissé la place de la résurgence des valeurs aux
survivances des valeurs antéislamiques conjuguées à celles
des valeurs de l'Islam, donnant lieu à des valeurs de troisième
type c'est-à-dire des valeurs païennes colorées d'Islam (que
l'on retrouve dans certaines pratiques de diverses régions
d'Algérie).
À titre indicatif, les regroupements autour du tombeau
d'un saint ou d'une source dont on vante les bienfaits sont essentiellement des
regroupements "féminins" à travers lesquels la femme
affirme son existence en tant que telle et existence de son monde.
Vénérer un saint ou une grosse pierre d'une montagne est interdit
dans l'Islam. De par cette conjugaison de deux types de valeurs
contradictoires, tout en étant gardienne des valeurs religieuses, la
femme s'était construit un monde propre à elle et s'était
éloignée du sens "féminin" qui détermine
son rôle complémentaire de celui de l'homme.
Ainsi, deux mondes cohabitaient au sein des
sociétés musulmanes dont la stagnation était le seul
ciment qui les unissait. Et, en parallèle de la période de
déclin, survenait la période des conquêtes de l'Occident
sur les sociétés musulmanes.
II- LA FEMME ET LA
LÉGISLATION DE LA FAMILLE
1- L'ÉVOLUTION HISTORIQUE DE L'INSTITUTION
FAMILIALE
Trois périodes ont marqué l'évolution de
l'institution familiale algérienne :
la conquête musulmane ou la période
pré-coloniale, la période coloniale et la période qui
suivit l'indépendance nationale : 1962 25(*).
Durant la période pré-coloniale, la famille
algérienne était influencée par la religion musulmane et
principalement par le droit malékite (cette doctrine s'est
répandue en Espagne musulmane, elle tire son nom de son fondateur
Mâlik Ibn Anas, né à Médine (717-795 de
l'Hégire) et un des grands imams de l'Islam. Il faut savoir que les
quatre écoles : malékite, hanbalite, chafi`ite et hanafite sont
le résultat de la division du sunnisme (qui se différencie du
chi`isme) sauf pour les Turcs et leurs descendants vivant en Algérie qui
étaient régis par le droit hanafite. Les sources de la loi
musulmane qui constitue le " fiqh" (Charia) ont
régi les chapitres du statut juridique de la famille,
c'est-à-dire en ce qui concerne le mariage et sa dissolution, le
régime de la puissance paternelle, les questions relatives aux
successions, etc.
Durant la seconde période et au début de
l'occupation française, les Français n'ont pas touché
à l'institution familiale algérienne, notamment au statut
familial (convention du 05 juillet 1830), par la suite, leurs interventions
successives concernaient aussi bien l'organisation de la justice musulmane
(décrets du 10 septembre 1866, du 31 décembre 1866 et du 17 avril
1889) que l'état civil des indigènes musulmans d'Algérie
(loi du 23 mars 1882).
D'ailleurs, les interventions de la jurisprudence et du
législateur français étaient si profondes qu'un
observateur français, M. Morand cité par G. Benmelha,26(*), témoigna ce qui suit :
"De tous les pays musulmans gouvernés par une
puissance chrétienne, l'Algérie est peut-être celui sur
lequel s'est abattue le plus lourdement la main du vainqueur car la France ne
s'est pas bornée à exiger des vaincus la reconnaissance de sa
souveraineté, elle a entrepris de les gouverner et s'est efforcée
de leur imposer ses institutions (...)".
Le législateur français s'est, par la suite,
carrément inspiré de la réglementation
métropolitaine pour modifier quelques chapitres du statut familial. Il
s'agit de la tutelle des mineurs (loi du 11 juillet 1957), de la formation du
mariage et de sa dissolution (loi du 11 juillet 1957 et décret du 17
septembre 1959). Pour sa part, la jurisprudence française a
modifié également le cadre de la famille algérienne en
posant de nouveaux principes en matière de contrainte matrimoniale
(djabr) et de garde d'enfants (hadâna). Ainsi, au terme
de plus de cent trente ans de régime colonial, la famille
algérienne a perdu en partie son empreinte islamique malékite.
Enfin, au début de la troisième période
qui commença juste après 1962, l'État algérien
s'est retrouvé devant un vide juridique, dans la mesure où un
certain nombre de lois et de décrets régissant le statut familial
étaient d'inspiration française.
La première réponse du législateur
algérien était d'abord de reconduire les textes de loi du 11
juillet 1957 relatifs à la tutelle des mineurs et à la formation
du mariage et sa dissolution - textes de loi qui ne vont pas à
l'encontre de la souveraineté nationale (loi algérienne du 13
décembre 1962) -, ensuite, d'adopter une nouvelle loi votée par
l'Assemblée Nationale Algérienne et relative à l'âge
minimum au mariage (loi Khémisti 1963). Dans les années qui
suivirent, en dépit des efforts fournis par le législateur en
matière de codification du droit de la famille, il était
très difficile de déterminer l'appartenance juridique de la
famille algérienne dans la mesure où il fallait tenir compte
à la fois de la Charia et des aspirations modernistes.
2- LE CADRE JURIDIQUE
Depuis l'indépendance nationale, plusieurs tentatives
ont eu lieu pour promulguer le Code de la Famille : 1963-1964, 1966, 1973 et
1981. Toutes ces tentatives ont échoué face aux
résistances des adeptes de la Charia, d'une part, et des
rénovateurs, d'autre part. Lors des travaux préparatoires du Code
de la Famille algérienne, le président de l'Assemblée
Populaire Nationale rappelait que cet important projet de loi doit être
conforme à notre religion et à nos traditions nationales, il doit
également être adapté aux réalités sociales
actuelles et à la société socialiste que nous voulons
édifier telle que définie par la Charte Nationale et la
Constitution 27(*).
On voit bien, à travers ce discours, que le souci
majeur du législateur est d'arriver à forger - non sans
difficulté - un Code de la Famille qui tienne compte des aspirations
d'une société nouvelle mais, en même temps, sans trahir les
préceptes de l'Islam puisque le peuple algérien est un peuple
musulman et l'Islam est la religion d'État 28(*). Ce n'est que le 09 juillet
1984 que la loi relative au Code de la Famille fut promulguée. On note
une légère évolution en ce qui concerne :
- l'âge au mariage fixé à 18 ans
révolus (art. 7),
- du tuteur (père, proche parent ou walî
en l'absence de l'un ou de l'autre) ne pouvant imposer le mariage ou s'y
opposer (art. 17),
- l'épouse pouvant entamer une procédure de
divorce au cas où son mari viendrait à se remarier : polygamie
(art. 8).
L'évolution concerne également le divorce
29(*) : divorce
intervenant après consentement mutuel des conjoints (art. 48). Les
changements apportés par le législateur ne sont pas du goût
de tous les observateurs, plus particulièrement en ce qui concerne le
sort réservé à la femme.
Pour Hélène Vandevelde :
"Le droit joue contre les femmes algériennes
puisque la condition féminine se résume à : une fille
soumise à son père, une épouse obéissant à
son mari, une mère liée à son foyer..."
30(*).
Saléha Boudéfa trouve que le nouveau Code de la
Famille a :
"Pour souci de ne pas provoquer une rupture d'avec les
valeurs et conceptions traditionnelles. Le code reprend même certains
stéréotypes concernant la femme : source de "danger"
pour la société, force capable de bouleverser l'ordre social,
(...) si elle n'est pas encadrée par un ensemble de valeurs
défensives 31(*) (...) Le nouveau code accorde très peu
d'importance à l'enjeu que représente, aujourd'hui, la condition
féminine ; cette dernière est inscrite dans le cadre d'une
politique générale de développement de la
société et aucun statut ne lui est conféré
(...) " 32(*).
3- LE CODE DE LA FAMILLE DE 1984
Le Code algérien de la Famille de 1984, au centre des
développements (à l'instar de la plupart des codes de statut
personnel des pays arabo-islamiques), peut s'analyser comme la
"référence structurante de la hiérarchisation
des sexes en tant que valeur constituante de l'identité
masculine". Quand nous disons identités, nous l'employons
expressément au pluriel car nul ne peut penser l'articulation de la loi
à la société concrète dans le seul champ de
l'analyse juridique. On aboutirait à l'illusion entretenue dans la
relation entre identités masculines et féminines par la
construction d'un objet abstrait, c'est-à-dire identité au sens
essentialiste que nous développerons dans le champ théorique en
singularisant parfaitement et totalement des traits d'appartenance objective
à des collectivités de subjectivisme.
"La loi est vécue par des identifications diverses
se confortant ou se confrontant à l'ordre symbolique... en
Algérie... Nous pourrions dire, en paraphrasant Hegel, que nous sommes
en présence d'une crise de "l'identité de
l'identité". C'est l'identité en tant que modèle, loi
de référence structurante, qui est
délégitimée, défaite" 33(*).
Il serait alors d'un grand intérêt d'interroger
les causes de cette crise, d'en situer les lieux et les manifestations,
d'examiner le conflit des représentations et la position des acteurs,
notamment des femmes. La situation de l'Algérie est, à cet
égard par la violence et la "radicalité", exemplaire.
J'aborderai les divers aspects.
Le droit, norme positive dans la société,
participe à des productions symboliques qui déterminent, dans
toute culture, la place des sujets. Analysé de ce point de vue, le Code
algérien de la Famille de 1984 prescrit les catégories
légales d'identification qui désignent aux sexes les places
nommées (ordre dans la généalogie), prescrites ou
interdites. Cette dimension institutionnelle est donc une surface de projection
des identifications. Tout le Code de la Famille se présente comme un
ensemble de structures de la parenté fondant la filiation
légitime.
a - DATES ESSENTIELLES À L'ABOUTISSEMENT
D'UN CODE
- 1962
L'Algérie en tant que département
français était géré par le code civil
Napoléon et le droit coutumier par certaines jurisprudences (comme le
mariage, le divorce...). L'Algérie de 1962 estimait, au lendemain
d'une guerre de libération longue et meurtrière, avoir d'autres
urgences que de légiférer rapidement sur le statut de la famille
et celui de la femme au sein de cette famille. La question avait
été débattue au cours de cette guerre comme en
témoignent certains écrits de militants comme, par exemple,
l'ex-ministre de la culture Ahmed Taleb Ibrahimi 34(*).
L'idée de légiférer un code conforme aux
traditions arabo-musulmanes et à l'option socialiste, pour emprunter le
langage de l'époque, n'est pas enterré pour autant. C'est alors
que commence la longue marche vers le code actuel dans une
société traversée par des contradictions. L'analyse des
tentatives successives qui en résultent fait apparaître une
clôture progressive sur les solutions classiques du fiqh
malikite, leurs auteurs semblent ne pas avoir mesuré les
évolutions réelles de la société algérienne
depuis plusieurs décennies et même avant l'indépendance
35(*).
Le contenu traditionnel du droit musulman en la
matière, ce que l'on appelle, en langage "colonisé", le
"statut personnel", n'y est que partiellement traité. On en
reste, en effet, aux conditions et effets du mariage et de sa dissolution et
à la filiation, laissant de côté successions, testaments,
donations et biens de mainmorte (waqf ou habûs), un
avant-projet qui, à l'exception de quelques innovations reprises de la
loi Khemisti de 1963, ne renouvelle guère les solutions du
fiqh malikite.
- 1964
Le premier essai se situe début 1964 avec la mise en
place, par le Ministère de la Justice, de commissions chargées
d'élaborer un code. Très vite surgissent les contradictions
d'ordre idéologique qui opposent, au sein même des commissions de
travail, des " révolutionnaires" partisans d'une
égalité absolue entre hommes et femmes et des
" conservateurs" défenseurs du droit musulman en tant que
reflet de l'identité nationale. Les premiers veulent organiser une
famille et parlent de libération de la femme sans se
référer à une éthique religieuse. Les seconds
trouvent leur inspiration dans la rigueur islamique du réformiste
badissien 36(*).
En fait, le ton a été donné par le ministre de la justice
: "Les commissions qui étudient le Code de la Famille,
déclare-t-il, ne sauraient perdre de vue que l'Islam est la
religion de l'État" 37(*). Les divergences sont telles que la tentative tourne
court et le projet est enterré.
-1966
La question resurgit début 1966 lorsque la presse
annonce un séminaire de formation organisé par le
Ministère de la Justice, il est :
"Destiné à donner à nos magistrats
une connaissance générale des nouveaux codes algériens,
à savoir le Code de la Famille, le Code Pénal et le Code de
Procédure Pénale..." 38(*).
Puis, c'est au tour du Président
Boumédiène de déclarer, le 8 mars de la même
année, dans son discours pour la Journée de la femme
: "Le code qui est appelé à paraître est celui de
la préservation du droit de la femme et de la famille
algérienne". Le Ministère de la Justice va pourtant
démentir l'existence de ce code qui, de fait, ne dépasse pas le
stade de l'avant-projet. Le texte circule, néanmoins, dans le pays
puisqu'il est reproduit en 1967 par Fadéla M'rabet dans un ouvrage qui
fit alors grand bruit 39(*), et l'opinion publique se mobilise.
Le silence qui suit n'interrompt, cependant pas, le parcours
souterrain de la recherche, comme en témoignent quelques discours
officiels. Ainsi, le ministre de la Justice, ouvrant en mai 1968 le colloque
maghrébin sur "L'instabilité de la famille et le droit
de l'enfant au Maghreb", évoque "Le Code de la Famille que nous
élaborons patiemment depuis plusieurs années... ". Il
en donne les objectifs en accord avec le thème du colloque 40(*), un colloque houleux,
troublé déjà par une présence islamiste
véhémente et musclée.
- 1969
La question resurgit en octobre avec la mise en place
annoncée par le très officiel (seul journal à
l'époque, émanant du parti unique) El-Moudjahid, d'une
commission "dont la mission est d'étudier et de confectionner le
projet du Code de la Famille (...). Un premier rapport devra
être déposé ainsi qu'un avant-projet de texte avant le 31
janvier 1970" 41(*).
"Le ton général en a été
donné peu avant, lors des "journées d'études de la
magistrature" (22-25 octobre 1969) : Assurer la stabilité
de la famille (...), restituer au mariage son caractère de lien
quasi indissoluble dans l'intérêt des enfants, ...par
l'organisation d'un régime de tutelle uniforme où la mère
pourrait jouer un rôle primordial... " 42(*).
Mais le stade du discours ne paraît pas dépasser
cela et le silence retombe pour être de nouveau interrompu, semble-t-il,
vers 1973.
- 1979 - 1981
C'est à la fin des années 70, après la
mort du Président Boumédiène (décembre 1979), que
le courant refait définitivement surface avant d'aboutir à la
promulgation du code actuel. Deux avant-projets vont se succéder
rédigés par une commission du Ministère de la Justice, le
premier vers 1980 et le second en 1981. Bien que "confidentiels", ils
n'en circulent pas moins dans un certain public, notamment celui des militantes
féministes, anciennes moudjâhidâtes, collectifs
d'avocats et autres groupements qui s'activent à les divulguer et vont,
par tous les moyens disponibles à l'époque, s'efforcer de
mobiliser l'opinion en vue d'un débat public.
La presse "unique" elle-même publie des
courriers de lecteurs qui reflètent assez bien les diverses tendances de
la société algérienne et les contradictions auxquelles
elle est confrontée depuis l'indépendance. Mais ce sont surtout
les élites du nord du pays qui se mobilisent sans toujours mesurer
l'état réel d'une majorité importante de femmes
algériennes.
Le débat qui va progressivement s'instaurer est crucial
car il touche au projet de société jamais défini depuis
1962. Quels doivent être le statut et la place de la religion dans un
pays qui aspire à la modernité tout en refusant d'y perdre son
âme ? Plus encore en 1966, ces deux avant-projets sont massivement
inspirés du fiqh malikite sans pourtant en conserver les
garde-fous essentiels. Ils en confirment la dimension patriarcale et
inégalitaire et ne correspondent nullement aux options du document de
référence idéologique de l'époque : la Charte
nationale mise en oeuvre par la Constitution votée la
même année.
Charte et Constitution sont indubitablement d'inspiration
égalitaire et socialiste même si elles affirment leur
fidélité à la dimension islamique de la
personnalité algérienne, donc la Charte définit les lignes
majeures : islamisme et arabité. L'Islam y est de nouveau
déclaré religion de l'État. Définition
ambiguë, s'il en fut, comme le montre bien la diversité des
interprétations de ce principe et des revendications que son application
suscite dès le début des années 80.
Cependant, le statut des personnes en reste le domaine
d'application privilégié. De fait, les quelques règles
juridiques explicites du Coran confirmées et complétées
par la tradition prophétique (sunna) ne concernent-elles pas
justement le mariage et sa dissolution ainsi que les successions ? Elles
sont dominées par l'inégalité de principe entre homme et
femme, également déclarée par le Coran à propos
"des droits de chacun dans le mariage et dans la répartition des
successions" 43(*).
La comparaison des points les plus litigieux de chacun des
avant-projets entre eux permet de faire apparaître les lignes
générales de l'évolution jusqu'à l'adoption du code
de 1984. Une évolution qui se caractérise par le renforcement
progressif de l'opinion "patriarcale" et, tout d'abord, du mariage.
Sans doute les trois avant-projets intègrent-ils les règles
posées par la loi Khemisti de 1963 sur l'échange des
consentements, la fixation d'un âge minimum et l'obligation d'inscrire
l'acte de mariage à l'état civil. Ils interdisent aussi la
"contrainte matrimoniale", prérogative que le fiqh
malikite concède au tuteur sur ses enfants, garçons ou filles.
Quant à la tutelle matrimoniale imposée à la femme,
même majeure, elle est conservée en 1966 (art. 18). Le texte de
1979 ne la maintient que dans le cas du mariage d'une mineure (art. 16). Mais
elle réapparaît dans sa formulation traditionnelle en 1981 :
"La charge de marier la femme incombe à son tuteur
matrimonial..." dont la désignation s'inspire des principes du
fiqh malikite, explicitement en 1966 (art. 17), implicitement en 1981
(art. 8).
La direction de la famille est confiée par les trois
avant-projets au mari qui en est déclaré le chef. Quelques minces
ouvertures sur une réalité "conjugale" différente
apparaissent dans le texte de 1976, elles y font au mari un devoir
"d'exercer cette fonction dans l'intérêt du
ménage et des enfants". Bien plus, et c'est là une
innovation certaine, "la femme concourt avec le mari à assurer la
direction morale et matérielle de la famille, à élever les
enfants et à préparer leur établissement" (art. 40).
Mais, ces limitations d'une autorité quasi souveraine disparaissent de
l'avant-projet de 1981. Le devoir d'obéissance, déjà
imposé à l'épouse en 1966, est restitué dans le
contexte patriarcal institutionnalisé par le fiqh. Se
conformant aux usagers, elle doit accorder à son mari les regards qui
lui sont dus en sa qualité de chef de famille et, sans
réciprocité pour sa propre famille, respecter ses parents et ses
proches qui représentent l'agnation de son époux (art. 34).
La polygamie demeure tout au long de l'évolution mais
ce n'est pas à proprement parler une "permission" puisqu'elle
est inscrite au titre des "empêchements" qu'une dispense peut
écarter. L'organisation et les limitations qui lui sont imposées
en 1966 rappellent d'assez près celles du code irakien. Ainsi,
l'autorisation du juge est requise sous peine de sanctions pénales
(prison ou amende) - et civiles - dont la nullité du second mariage non
autorisé (66 / art. 31, 33 et 34).
En 1979, c'est sous peine de nullité
que le remariage d'un homme déjà marié est soumis à
l'autorisation motivée du juge (77 / art. 15). Mais, la sanction
pénale prévue en 1966 disparaît. La rigueur
s'atténue encore en 1981 puisque le contrôle du juge n'est plus
explicitement requis, de même que disparaît la menace de
nullité (81 / art. 4). Bien plus, ce texte reprend à son compte
le devoir du "partage des nuits" organisé avec une grande
minutie par toutes les écoles du fiqh (81 / art. 32). Un autre
verrou sauté : c'est la disposition qui permettait en 1966 (66 / art.
20) d'inscrire dans le contrat de mariage une "clause de monogamie".
Ce silence est lourd de risques. En effet, bien inscrite dans la plupart des
contrats algériens anciens 44(*), cette clause est considérée comme
nulle par la doctrine dominante, à l'exception du fiqh
hanbalite.
Les trois avant-projets conservent sans changement deux autres
caractéristiques du mariage musulman. L'obligation pour le mari de
verser un douaire (mahr) à son épouse demeure un
élément fondamental du mariage (66 / art. 21-25 ; 79 / art.
18-22 ; 81 / art. 13-16). Par ailleurs, il reste toujours interdit
à la femme d'épouser un non musulman (66 / art. 32 ; 79 /
art. 13 ; 81 / art. 27).
Qu'en est-il de la répudiation / divorce, autre
point particulièrement sensible pour la stabilité de la famille
autant que la situation de l'épouse ?
Le passage de la répudiation privée à la
dissolution judiciaire est annoncé dès 1966. Mais, en dehors
d'une disparition en 1979, la répudiation (talâq) reste
une prérogative exclusive du mari (66 / art. 46 ; 81 / art. 44). Le
texte de 1979 innove, cependant, par rapport au fiqh puisqu'il donne
aux deux époux, à égalité, le droit de demander le
divorce moyennant des réparations civiles le cas échéant
(79 / art. 51). S'agit-il de l'ouverture de la répudiation à la
femme ou plutôt d'une innovation adaptée à la
réalité sociale et offrant à l'homme le
thalât, ce divorce judiciaire ouvert à l'épouse
par le fiqh malikite sous un certain nombre de conditions ? Reste que
le mari semble ici ne plus se voir reconnaître le droit exclusif à
la répudiation unilatérale que lui avait conservé
l'avant-projet de 1966.
L'avant-projet de 1981 le restaure dans ce
droit quitte, en cas d'abus, à payer, sous forme de dommages et
intérêts, à l'épouse victime (art. 44). L'innovation
s'arrête là puisqu'on ne retrouve plus les clauses communes aux
deux époux définies en 1966 (art. 46) et en 1979 (art. 49-50) :
le consentement mutuel, l'adultère, la condamnation pour infraction
contre la famille ou pour mauvaises moeurs, les excès, sévices et
injures personnels (79 / art. 50). Les conditions du divorce à la
demande de la femme, selon les modalités du fiqh malikite
(talâq) sont conservées et le texte de 1981 restaure le
divorce avec compensation (talâq al-khul`), procédure
empruntée au fiqh hanafite qui permet à la femme
d'obtenir que son mari la répudie judiciairement moyennant une
"rançon" (khul`) pour le prix de sa liberté (81
/ art. 46).
Quant à la procédure du divorce, si les
avant-projets de 1966 (art. 47-61) et de 1979 (art. 53-64) l'organisent avec
une certaine minutie, le texte de 1981 garde le silence sur la question, en
dehors de quelques brèves indications relatives au rôle du juge et
à celui des arbitres suggérés par le Coran (Coran IV,
verset 35), (79 / art. 57 ; 81 / art. 46). Les effets de la dissolution pour
les époux et leurs enfants ne comportent guère de
nouveauté par rapport au fiqh. Pour déterminer le
délai de viduité, les textes de 1966 et 1979 prennent quelques
libertés par rapport au fiqh (66 / art. 62-67 ; 79 / art.
71-72) en ne conservant qu'une computation mathématique. En 1981, on
retrouve la notion de "périodes de pureté menstruelle",
objet de tant d'arguties de la part du fiqh. Le but de la computation
est double : elle permet de limiter le risque de confusion de paternité
et le délai obligatoire au mari d'entretenir son épouse
divorcée, l'entretien comportant la pension alimentaire (66 / art. 56 ;
79 / art. 69 ; 81 / art. 46) et le logement (79 / art. 69 ; 81 / art.50).
La garde des enfants mineurs reste tributaire du fiqh
malikite. C'est la mère qui en est la première attributaire
jusqu'à un certain âge : 15 ans en 1979 (art. 73) et 10 ans en
1981 (art. 53). L'évolution sur ce point bien particulier n'est
nullement neutre, elle reflète assez bien le sens des codifications. La
tutelle (wilâya) des enfants du couple appartient de plein droit
au père tant qu'il est vivant (79 / art. 135 ; 81 / art. 76). S'il
meurt, il peut être remplacé par la mère, à moins
qu'il n'ait pris la précaution de désigner un tuteur
testamentaire (79 / art. 136 ; 81 / art.76). Le fiqh donnait
priorité au grand-père, tuteur des enfants de ses fils
pré-décédés.
Reste la question si délicate du droit successoral et
de ses annexes : testaments, donations et habûs ou
waqf. En la matière, toutes les écoles de fiqh
puisent directement à la source coranique. Les avant-projets de 1979 et
1981 ne font pas exception à la règle et conservent la division
entre héritiers à quote-part (ashâb
al-furûd), des femmes et quelques hommes, et héritiers par
"agnation" (ashâb), des hommes et quelques femmes
qu'ils "agnatisent". Ils gardent également intact le
privilège de masculinité selon lequel, à vocation
successorale analogue, l'homme bénéficie toujours d'une part
double de celle de la femme.
Ces avant-projets constituent une préhistoire
révélatrice du chemin parcouru pour arriver au Code de la Famille
de 1984. Les très rares accrocs à la tradition patriarcale
consolidée par le fiqh malikite n'ont nullement réussi
à renouveler des principes souvent peu en accord avec la situation
effective d'une partie de la société algérienne. La
couleur est annoncée dès l'exposé des motifs de
l'avant-projet de 1981. Ses auteurs disent s'être fondés sur la
Charte Nationale et sur la Constitution, ainsi que sur les sources classiques
du droit en Islam - Coran, tradition du Prophète (sunna),
consensus (Idjmâ`), analogie (Qiyâs) et effort
d'interprétation (idjtihâd) ; ils y joignent le
fiqh et plusieurs codes déjà en vigueur dans certains
pays musulmans, des références tout à fait contradictoires
par les options que chacune représente. Manque, cependant, la
référence explicite à l'application de la Charia.
C'est le Code de la Famille qui l'exprimera.
La lecture des divers avant-projets élaborés
depuis 1966 a permis de relever quelques-unes des contradictions majeures d'un
système juridique soumis à des idéologies fondamentalement
différentes. L'une privilégie la notion de "droit
révélé" ou Charia avec laquelle,
après bien des évolutions, on a fini, au XX ème
siècle, par confondre le fiqh, du moins en ce qui concerne le
statut des personnes. L'autre, s'appuie sur la raison humaine
indépendante. Ces contradictions, bien qu'elles aient suscité les
mises en garde des militantes féministes, ne semblent point avoir
gêné dans leur option de fond.
Elles ont mis en place un système dans une
société qui n'a plus rien à voir avec celle des premiers
siècles de l'Islam, au risque des injustices auxquelles le Coran,
prédication marquée par la recherche de justice sociale
(`adl), avait voulu remédier à l'époque de sa
réception par le Prophète Mohammad. L'expression "statut
personnel" disparaît et c'est un "Code de la Famille" qui
est voté en 1984 par une Assemblée nationale qui confirme et
renforce la tendance vers la traditionalisation 45(*) et soulève la
contestation véhémente du mouvement féministe
algérien déçu par l'inaction de l'U.N.F.A. (Union
Nationale des femmes algériennes émanant du F.L.N.). C'est
même à cette époque que ce mouvement commence à se
structurer.
Les anciennes moudjâhidâtes
(combattantes), s'appuyant sur la moralité des héroïnes de
la guerre de libération sont les premières à s'engager
publiquement dans la bataille. Le 28 octobre 1981, elles osent affronter les
traditions, les hommes, l'État et la police en "descendant dans la
rue" et en organisant un sit-in devant le siège de
l'Assemblée nationale où elles réclament d'être
reçues pour faire valoir leur argumentation qu'elles appuient sur
l'institutionnel de l'avant-projet au regard du principe
d'égalité totale de tous les citoyens. Le mouvement est vite
rejoint par d'autres militantes. Un "comité d'action issu du
rassemblement" s'organise et lance un appel à la résistance.
La mobilisation est telle que l'on croit, un moment, avoir remporté la
victoire.
- 1982
En 1982, le chef de l'État, Chadli Bendjedid, prend
l'initiative de retirer du bureau de l'Assemblée nationale (A.P.N.)
l'avant-projet en cours de discussion.
- 1984
Et en avril 1984, lorsque la presse commence à parler
des débats de l'Assemblée sans informer pour autant de leur
contenu, il a été filtré sur la question de la vision que
l'on doit avoir de l'Islam :
"Une vision moderniste de la religion, de la
tolérance, de la justice et du progrès ou alors
interpréter le dogme religieux de façon restrictive en ignorant
les mutations réelles qui se déroulent autour de nous ?".
Modernistes et conservateurs seraient unis par "le Coran
qui constitue l'instrument essentiel de l'élaboration de la loi dans ses
grandes lignes" tout en différant "au niveau des nuances et de
la façon dont sont interprétés le Coran et la sunna"
46(*).
Une lecture attentive du code adopté et
promulgué en juin de la même année 47(*) permet de constater que l'on a
finalement privilégié l'option conservatrice dans la forme et
le fond. Ses rédacteurs (de la science fuqaha) utilisent
même un langage directement puisé dans la tradition du
fiqh. Ils reprennent presque mot pour mot les formulations du Coran et
de la sunna. Le texte en reçoit une forme désuète
qui s'accorde mal avec les options "modernistes" choisies par
l'Algérie en d'autres secteurs et accentue l'ambiguïté du
texte.
Lors de la présentation à la presse le 18 juin
1984, le ministre de la Justice s'efforce d'expliquer que le code
représente le choix de l'Algérie pour un projet de
société gouverné par "une morale socialiste qui
respecte les valeurs arabo-islamiques du peuple algérien" 48(*). On retrouve ici un principe
posé par le discours politique de l'époque : parmi les
comportements étrangers à la société
algérienne et représentatifs d'une certaine modernité,
refuser "ceux qui portent atteinte à notre morale car ils sont
contraires aux enseignements de notre religion et remettent en cause notre
identité culturelle" 49(*).
L'équilibre entre modernité et respect des
traditions n'est nullement atteint comme le fait apparaître
l'étude du texte car on a peu mis en oeuvre une valeur coranique
fondamentale, la justice à l'égard des personnes, des femmes en
particulier. La famille n'est pas sauvée de la crise dans laquelle elle
est plongée 50(*).
Un Code de la Famille réglementant tout le processus
matrimonial a été adopté le 9 juin 1984 et se trouve
aujourd'hui fortement contesté par les associations de femmes et par
toutes les forces progressistes algériennes qui le considèrent
comme anticonstitutionnel du fait qu'il institutionnalise la
supériorité de l'homme sur la femme. Il est nécessaire de
montrer, justement, en procédant au démontage de ses articles
fondamentaux.
III- CONTENU DU CODE DE LA FAMILLE
Le 9 juin 1984, l'Assemblée Populaire Nationale
algérienne adopte, à huit-clos, le Code de la Famille. Cette
assemblée, essentiellement masculine, est constituée d'un parti
unique, le F.L.N. Ce code, inspiré de la Charia (loi islamique)
réglemente le statut personnel de la femme et ses relations avec l'homme
au sein de la famille. Il considère toute femme algérienne, quel
que soit son pays de résidence.
Ce code ne reconnaît aucun droit à la femme,
l'asservissant entièrement à son rôle de reproductrice et
d'éducatrice. Il la maintient dans un état
d'infériorité et institutionnalise sa minorité à
vie. La femme est enfermée dans la famille par filiation, elle est
propriété du père ou, à défaut, du tuteur
matrimonial (frère, oncle). Puis, par mariage, elle passe sous
l'autorité de son mari qui doit subvenir à ses besoins mais il
dispose de sa vie. Seul le père ou le tuteur décide de son
mariage.
Une musulmane n'a pas le droit d'épouser un non
musulman ; par contre, un musulman peut épouser une non musulmane. La
dissolution du mariage est aisée pour l'homme qui peut, à tout
moment, répudier son épouse et contracter jusqu'à quatre
mariages selon ses moyens financiers. Par contre, la demande de divorce est
excessivement difficile à obtenir pour la femme qui doit fournir des
preuves sur l'infidélité et les fautes de son mari ou racheter sa
liberté en versant une somme d'argent, le "khol`". Le divorce
met la femme dans une situation catastrophique tant sur le plan matériel
que moral. C'est le cas où le Code de la Famille est le plus injuste et
préjudiciable pour la femme.
Ce code, au lieu de protéger la femme, la livre
à toutes incertitudes. Il est totalement en opposition avec les droits
humains fondamentaux tels qu'ils sont consignés dans les textes
internationaux et également en contradiction avec la constitution de
l'État algérien qui garantit les droits entre les hommes et les
femmes.
Les luttes autour du Code de la Famille et aussi autour de
l'école, lieu de dressage idéologique, est en fait une lutte
entre l'ordre familial ancien et l'ordre politique nouveau, donc, entre le
droit naturel (présenté comme religieux) et le droit civil.
Voilà le véritable enjeu.
La sphère publique, obéissant à l'ordre
ancien à travers l'adoption du Code de la Famille, s'est introduite dans
la sphère privée en essayant de replâtrer son
écroulement produit par l'environnement socio-économique et, de
ce fait, a réduit à néant la possibilité de mettre
en place un État démocratique.
La démocratie fait émerger l'individu et
s'adresse à lui alors que, auparavant, le politique était
géré par le chef de tribu charismatique et s'adressait au groupe.
C'est pourquoi aujourd'hui, en Algérie, on se trouve dans une situation
ambiguë où la constitution s'adresse à des citoyens et des
citoyennes et le Code de la Famille adopté avant la Constitution de
février 1989 s'adresse à des familles et à leurs chefs.
La famille se trouvant à la jonction du public et du
privé, les conservateurs luttent contre le contrôle de
l'État démocratique qui s'accroît par sa gestion de la
démographie donc de la sexualité, des lignages, des transmissions
de patrimoines, des structures de pouvoir à l'intérieur de la
famille, en cherchant à séparer la reproduction de
l'espèce de la sexualité et des fantasmes qui sont liés
à cette dernière. Mais, par ailleurs, ces mêmes
conservateurs somment l'État de gérer la vie spirituelle des
individus en faisant de l'Islam une religion de l'État alors que la
meilleure façon de faire triompher leur conception de l'Islam eut
été, pour les associations religieuses, d'en délester ce
dernier alors que prôner une séparation de l'État et de la
religion est encore la meilleure façon de préserver la religion
qui ne pourra plus noyer dans les considérations temporelles.
Mieux encore, il devait exister, comme dans d'autres pays
musulmans, plusieurs Codes de la Famille selon le rite que pratiquent les
candidats au mariage. Un Code Civil pourrait aussi être
élaboré et proposé comme l'une des formes d'union
proposée par l'État aux citoyens qui auraient, dès lors,
le libre choix de décisions.
Dès l'indépendance de l'Algérie en 1962,
alors que de nombreuses femmes avaient participé à la guerre et,
de ce fait, avaient acquis une certaine émancipation, les courants
religieux et conservateurs défendent une conception rétrograde de
la famille et de la femme. Ils proposent l'adoption d'un Code de la Famille.
Les anciennes "moudjâhidâtes" ainsi que les
étudiantes, enseignantes et militantes politiques manifestent violemment
contre un code qui ne respecterait pas l'égalité des sexes. 1965,
1971 et 1981 seront les étapes importantes de cette opposition, avec des
manifestations dans les rues.
Cependant, la crise économique et morale des
années 1980 favorise la progression des courants islamistes. Les
intégristes invoquent avec succès, même auprès des
femmes, que le choix du socialisme a entraîné le peuple
algérien dans la dépravation et a éloigné les
femmes de leur mission naturelle de procréatrices et
d'éducatrices. Pour eux, l'égalité des droits entre hommes
et femmes est une "aberration" qu'ils combattent.
Après l'adoption du code, des mouvements
féministes vont voir le jour. En 1988, il existe une trentaine
d'associations féminines qui vont former un collectif, la Coordination
des femmes. Cette coordination va dénoncer les points les plus cruciaux
de ce code : les modalités de conclusion du mariage, le divorce, le
droit au travail, la légalisation de la polygamie. Parallèlement,
en décembre 1989, plus de 100 000 femmes vont participer à une
manifestation pour le maintien du Code de la Famille. Malgré les
divergences entre les femmes elles-mêmes et malgré le
déchaînement de violence dont elles font l'objet, de très
nombreuses femmes vont continuer à s'opposer à ce code, bien
souvent au risque de leur vie. Le gouvernement algérien reste sourd
à leurs revendications. En avril 1996, le ministre de la
Solidarité et de la Famille s'engage vaguement à entreprendre une
révision du Code de la Famille.
En mars 1997, à quelques semaines des
élections législatives, treize associations lancent un appel
pour l'amendement de ce code et l'abrogation de vingt-deux de ses articles,
elles comptent recueillir un million de signatures. La révision
demandée porte essentiellement sur l'abolition de la polygamie, la
suppression du tuteur matrimonial pour la femme majeure, l'annulation du
"khol`" (rachat de la liberté) pour la femme désirant
divorcer, l'attribution du logement conjugal au parent qui a la garde des
enfants. De son côté, la section des femmes de l'Association
Orientation Religieuse et Réforme (émanation du mouvement HAMAS :
parti politique islamique modéré) lance un appel pour recueillir
trois millions de signatures pour le maintien du Code de la Famille. Cette
collecte de signatures sera sans doute plus facile pour les femmes islamistes
que pour les femmes progressistes qui sont plus isolées et disposent de
moins de moyens. Quant au gouvernement, il renvoie cette question au parlement
qui sera issu des élections législatives de juin 1997.
Une pétition intitulée "un million de
signatures pour le droit des femmes dans la famille" visait la
renégociation, avec le pouvoir, du statut de la femme : c'est un
échec cuisant. Elle a été initiée par un collectif
de 14 associations de femmes, à l'occasion de la Journée de la
Femme, le 8 mars 1997. Le contexte politique est important : pour tenter de
reconstruire la légitimité des institutions mise à mal
depuis 1992, le président Zéroual organise quatre scrutins :
l'élection présidentielle en 1995, le référendum
constitutionnel en 1996, les élections législatives et
municipales en 1997. Le vote des femmes est donc un véritable enjeu de
campagne.
Les dirigeantes du Mouvement des Femmes appartiennent souvent
à la génération de l'après-indépendance.
Elles se recrutent dans les élites francophones de l'opposition
laïque mais des femmes proches du pouvoir les rejoignent aussi.
Farouchement opposées au projet islamiste en général et au
F.I.S. en particulier, elles ont activement contribué à
médiatiser l'image de l'islamisme "ennemi des femmes, barbare et
moyenâgeux". Au niveau national, mais surtout international, leur
discours est une aubaine pour le régime algérien car il justifie,
après coup, l'annulation du processus électoral et la
stratégie du tout sécuritaire qui entraîne une
militarisation sans précédent de la société
algérienne.
Considérant que les succès remportés par
l'armée sur la rébellion islamiste sont aussi les leurs, ces
associations de femmes attendent en retour non plus l'abrogation du Code de la
Famille mais la renégociation du droit des femmes dans la famille. Pour
elles, l'État doit rompre l'ambivalence : d'une part, il reconnaît
aux femmes des droits constitutionnels (droit de vote, au travail, abolition de
toutes les discriminations) mais, d'autre part, il dénie aux femmes
leurs droits dans la famille.
La pétition de 1997 était donc un test et un
pari. Le régime algérien était-il prêt à
soutenir cette démarche ? Et la société qui, hier encore,
votait massivement pour les islamistes, était-elle enfin acquise aux
valeurs de l'égalité entre les sexes ?
Le collectif proposait 22 amendements du Code de la Famille
autour des articles de loi jugés les plus discriminatoires à
l'égard des femmes, l'objectif étant d'ouvrir le débat sur
des propositions alternatives. "L'espoir est permis", disent-elles
puisque le Premier ministre déclare la révision du Code de la
Famille et que le sujet n'est plus tabou.
Seule la presse privée francophone soutient le
collectif en publiant, chaque jour, un talon-réponse d'adhésion
à la pétition. Selon le Quotidien d'Oran (à l'ouest de
l'Algérie), le nombre de signatures n'a pas atteint la barre des 50 000.
Cet échec s'explique, sans doute, par une certaine candeur des
initiatrices de la pétition qui, dans leur enthousiasme anti-islamiste,
ont oublié le caractère profondément conservateur de toute
dictature auquel l'Algérie ne fait pas exception, un régime dont
le socle idéologique reste profondément arabo-musulman.
Le collectif invoque le climat sécuritaire et les
massacres horribles qui l'ont amené à taire ses revendications
car l'ordre des priorités était basculé. D'autres
observatrices estiment que le Mouvement des Femmes né dans les
années 80, toutes tendances confondues, est arrivé aux limites de
son efficacité et de ses contradictions. Impliquées dans les
luttes partisanes sous la pression des événements, ces
différentes associations sont perçues comme des coquilles vides
dispersées dans des luttes de leadership.
Les femmes algériennes ont toujours eu un rôle au
moment des crises traversées par l'Algérie : elles ont
participé aux guerres d'invasion et d'indépendance ainsi qu'aux
événements du 5 octobre 1988. De 1988 à 1992, un mouvement
démocratique est né, il luttait pour revendiquer la
citoyenneté des femmes et montrer que l'on voulait appartenir à
un pays moderne, une volonté qui était éloignée de
tout sentiment ou position anti-islamiques. Ce mouvement fut
étranglé.
Aujourd'hui, 5 % des femmes travaillent en Algérie :
une minorité vit dans la modernité, une minorité encore
peut, par exemple, poursuivre de longues études. Est-ce aussi difficile
de lutter pour obtenir légitimement sa citoyenneté ? Qui continue
cette lutte alors qu'elle n'a pas le droit à la parole ? Il ne s'agit
que d'une minorité d'expression et d'action mais, d'aucune
manière, d'une minorité d'opinion. Combien sont-elles à
dire "NON" à la polygamie, aux conséquences du
divorce... ?
Le Code de la Famille est, en ce moment, amendé par le
parlement algérien alors que seule une abrogation de ce code est
acceptable. La question de la femme est restée en suspens depuis des
décennies et le reste encore aujourd'hui. Il semble que ce
problème crucial pour l'avenir de la femme en Algérie et pour la
société algérienne tout entière soit de nouveau mis
en exergue. Cependant, même si la mise en place d'une véritable
démocratie est la condition sine qua non pour qu'un
contre-pouvoir puisse s'exercer, il faut regretter qu'une action forte de
pression sur le gouvernement algérien n'ait pas lieu en Algérie
(parce qu'elle est impossible) mais en France où l'on peut agir plus
librement, où l'on sait combien ont été difficiles les
combats des femmes pour garantir toutes les libertés (comme la lutte
pour l'avortement) et où l'on sait combien, aujourd'hui,
l'égalité entre les femmes et les hommes n'existe pas dans les
faits.
1 -DES EXEMPLES
D'ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE
(VOIR ANNEXES I : Code de la Famille)
D'une manière générale, à deux
exceptions près, le texte institutionnalise simplement la famille
organisée par le fiqh à partir de la lettre du Coran,
une famille "légitime" au sens de la Charia,
c'est-à-dire exclusivement fondée sur le mariage, une famille de
type patriarcal basée sur le respect des solidarités agnatiques
et des hiérarchies où la femme est traitée comme mineure
permanente. Les prérogatives traditionnelles du père et du mari y
sont peu détaillées. L'autorité du mari en tant que chef
de famille reste entière. La femme a le devoir de lui obéir et de
lui accorder les égards dus à son rang de chef de famille (art.
39).
La pratique montre que ce devoir est assorti pour le mari du
droit d'interdire à son épouse l'exercice d'une profession. Sans
doute l'épouse peut-elle se protéger contre ce risque en faisant
inscrire dans le contrat de mariage une clause l'autorisant à
"sortir travailler" (art. 35). Mais, c'est insuffisant. C'est pourquoi
le "droit inconditionnel" au travail est l'une des revendications des
militantes qui insistent pour que soit ainsi protégée une
pratique de plus en plus courante. Des études ont montré que le
travail salarié de l'épouse à l'extérieur du foyer
met la prééminence masculine hautement en péril 51(*).
La fidélité, devoir légal, semble poser,
en droit musulman classique, deux questions : la première est
de savoir l'intérêt du devoir de fidélité pour le
mari lorsque la polygamie lui est permise ? La seconde pose le
problème du caractère du devoir de fidélité en
droit musulman classique. Autrement dit, la fidélité est-elle une
obligation réciproque ou, au contraire, pèse-t-elle
unilatéralement sur la femme ?
Le rapport entre le devoir de fidélité des
époux et la permission polygamique pose en Islam la triple question de
savoir : si la fidélité est exclusive comme l'entend la
législation occidentale ou si, au contraire, la fidélité
s'impose au mari vis-à-vis de ses différentes
épouses. Enfin, faut-il nier pareille obligation pour le mari car elle
ne présente aucun intérêt en dehors du mariage
monogamique ?
La notion de réciprocité dans les droits et
devoirs du mariage ne peut s'entendre selon la tradition comme une
égalité entre le mari et la femme. Comparée à la
notion actuelle de fidélité, cette obligation semble
écartée en droit musulman. Il n'y a pas de "respect d'un
double engagement vis-à-vis du conjoint". Le problème, en
tout cas, n'a pas pu se poser aux premiers légistes puisque l'homme peut
avoir jusqu'à quatre épouses à la fois, sans compter un
certain nombre de concubines. Il va donc de soi que l'obligation de
fidélité ne présente aucun intérêt pour le
mari si ce n'est qu'il doit se limiter à quatre épouses. Le
concept de fidélité n'aurait donc aucun sens dans un pareil
contexte. La réponse à la dernière question relative au
caractère de fidélité paraît donc aller de soi en
droit classique.
La vertu sexuelle de la femme demeure, en Islam,
identifiée à l'honneur familial, d'où l'importance que
revêt la claustration des femmes. Dans le mariage, cela pose
concrètement le problème de la fidélité conjugale.
Au regard de la femme, le Prophète semble avoir régler la
question lorsqu'il a déclaré :
"O Hommes, vous avez des droits sur vos femmes et vos
femmes ont des droits sur vous. Leur devoir est de ne point souiller votre lit
par l'adultère ; si elles le transgressent, Dieu vous autorise à
ne plus cohabiter avec elles".
Il n'est donc pas douteux que la fidélité soit
un devoir pour la femme. Sa violation ne peut que tomber sous le coup de la loi
civile (répudiation) et pénale (lapidation, flagellation). Au
regard du mari, le devoir de fidélité pèse
indiscutablement sur la femme mais la question de savoir si le mari aussi y est
tenu s'est posée.
"Il vous est permis d'épouser les filles
honnêtes des croyants et de ceux qui ont reçu les écritures
avant vous, pourvu que vous leur donniez leur récompense. Vivez
chastement avec elles en vous gardant de la débauche et sans prendre de
concubines ".
Certains auteurs ont déduit de ce verset que le
musulman marié ne pouvant prendre de concubines serait tenu du devoir de
fidélité envers la femme épousée. L. Milliot
récuse cette argumentation et propose que la traduction du verset soit
rectifiée, notamment à la fin où il y est dit : "Vivez
chastement avec elles (...) et ne les prenez pas pour
concubines".
Le verset n'impose pas le devoir de fidélité
à l'homme, il lui recommande de vivre légitimement avec sa ou ses
femmes dans le mariage. Le mari n'est pas tenu du devoir de
fidélité envers son épouse, deux arguments peuvent nous
interpeller. Il existe dans la loi musulmane un seul terme pour désigner
les relations illicites : "az-zinâ" ou "fornication".
L'acte est sanctionné surtout si l'auteur est marié.
La loi musulmane règle minutieusement les conditions et
les conséquences de l'adultère de la femme mariée qui
revêt un aspect particulier en droit musulman classique, connu sous le
vocable de "li`âne" ou "serment d'anathème". Il
entraîne deux conséquences : d'une part, la dissolution du mariage
et, d'autre part, le désaveu de l'enfant conçu ou
déjà né. Cette situation se réalise dans certaines
circonstances lorsque la femme a été surprise en flagrant
délit d'adultère ou lorsque, durant le mariage, elle a
été violée et qu'une grossesse s'ensuive ou encore si elle
accouche alors que le mari sait ne pas être l'auteur de la grossesse.
Comment décliner la paternité qui incombe au
mari en vertu de la présomption légale "l'enfant appartient
au lit" ou "al-walad li-l-firâche" ? L'unique sorte de
désaveu de paternité reconnue par la loi musulmane, c'est le
li`âne. Pour être légalement admis à
prononcer la formule, le mari doit être musulman et sain d'esprit.
Lorsque la procédure est engagée, le juge vérifie la
recevabilité de la prétention et le mari est invité
à prononcer le li`âne dans une mosquée devant des
témoins. Le juge prononce ensuite la dissolution du mariage. En
droit malékite, la femme convaincue d'adultère se trouve
à jamais interdite à son mari. Nous constatons que la loi
musulmane ne dit rien de l'adultère du mari si ce n'est qu'il encourt la
peine de flagellation. Quant au droit positif, il établit une certaine
discrimination entre l'adultère de l'homme et celui de la femme.
En réprimant sévèrement la
"fornication" (az-zinâ), le Coran, renforcé par
la sunna, interdit absolument les relations sexuelles hors mariage.
C'est pourquoi, comme le fiqh, le Code de la Famille ne prend aucune
disposition concernant les mères célibataires et leurs enfants
alors qu'il s'agit d'un vrai problème de société (surtout
que, depuis les événements, leur nombre n'a pas cessé
d'augmenter : depuis 1992, plus de 8 000 femmes ont été
violées, certaines se sont retrouvées enceintes ...). L'adoption
palliative utilisée, en fait, par bien des personnes est même
formellement interdite (art. 46).
Le code innove, cependant, avec l'institution de la
kafâla ou "recueil légal" comme substitut de
l'adoption interdite par la lettre du Coran (XXXIII, 4-5) dans
l'intérêt des enfants sans famille.
"L'innovation, résultat de l'action
conjuguée des associations de postulants à l'adoption, est
à mettre à l'actif d'un véritable effort d'acculturation
du droit musulman aux besoins actuels de la société, effort
réussi d'idjtihâd qui mérite d'être
relevé" 52(*).
Les aménagements modernistes concernant la
kafâla et la tutelle légale prennent en compte des
besoins réels de la société algérienne. Quel que
soit son âge, la femme ne peut jamais se marier de sa propre
autorité, c'est à son "tuteur matrimonial"
(walî) qu'incombe la responsabilité
(yatawallâ) de la marier. Sans doute les prérogatives
données au tuteur par le fiqh sont-elles quelque peu
réduites puisque la traditionnelle "contrainte matrimoniale"
(djabr) est désormais interdite (art. 13) mais, ce tuteur
n'étant pas autrement défini, il convient, pour sa
désignataire, de s'en référer à la Charia
(la charge devrait en être dévolue au plus proche parent agnat de
la femme : son père, son oncle, mais aussi son fils lorsqu'elle se
remarie après un divorce ou un veuvage), comme l'indique clairement
l'article 222 53(*).
Cette disposition, qui maintient la femme dans une
minorité permanente, surprend dans un pays où celle-ci jouit des
même droits politiques et civiques que l'homme et accède
effectivement à de hautes fonctions d'autorité dans le
gouvernement, la magistrature, la fonction publique, l'entreprise, etc.
Quant à la polygamie, elle reste maintenue non plus
comme un empêchement dont on peut être dispensé mais comme
une permission réglementée par la Charia (art. 8 et 37).
Sans doute la première épouse doit-elle être
consultée mais elle ne saurait s'opposer à l'exercice par le mari
d'une prérogative que lui accorde la lettre même du Coran en
l'assortissant d'une condition d'équité laissée à
l'appréciation du croyant (Coran, IV, 2 et 129) ; sa seule ressource est
le divorce avec tous les aléas que comporte cette solution (art. 53). Il
faut rappeler que sur le terrain, il y a beaucoup d'abus, la pratique
judiciaire montre que les hommes (maris) multiplient des manoeuvres dilatoires
sans être empêchés pour autant de se remarier, à la
différence de l'épouse exclue d'un éventuel "droit
à la polyandrie" (art. 30). Nul ne paraît se
préoccuper de l'interdiction faite aux hommes par le Coran de retenir
les femmes veuves ou répudiées par contrainte (Coran II, 231) !
L'organisation du divorce reste tributaire des principes
élaborés par le fiqh qui donne prééminence
à l'homme sur la femme, les causes sont définies par le Code de
la Famille (art. 48) et le mari conserve son droit exclusif à la
répudiation. Sa décision s'impose au juge avec une innovation
puisque celui-ci peut infliger des dommages et intérêts
(très souvent maigres, l'équivalent de deux mois de salaire) au
mari (art. 52). Certaines causes peuvent évoquer comme le "refus de
l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre
mois" (art. 5, alinéa 3 ; Coran II, 226). Les preuves sont souvent
délicates à rapporter.
Les causes de divorce / répudiation qui installent
femmes et familles dans un statut de grande précarité sont
vivement contestées par les militantes. La précarité de la
situation des divorcées / répudiées est accentuée
par le fait que le droit au logement qui leur est reconnu lorsqu'elles ont la
garde des enfants est complètement vidé de son contenu par la
restriction qu'y met le code : "Est exclu de la décision le domicile
conjugal s'il est unique" (art. 52). L'application constante de ce texte,
dans un contexte de crise aiguë de logement, a jeté à la rue
bon nombre de femmes accompagnées de leurs enfants. La situation est
d'autant plus dramatique que, conformément à la philosophie
générale de la répudiation dans le fiqh, les
jugements de divorce ne sont pas susceptibles d'appel sauf leurs aspects
matériels (art. 57). La situation n'est guère plus brillante en
ce qui concerne les droits pécuniaires.
On peut relever dans le code d'autres reprises du Coran (mot
pour mot) : par exemple, pour la formulation des empêchements de mariage
où l'on retrouve l'expression coranique des "femmes prohibées"
(muharramât) pour l'homme (Coran, IV, 23-24), c'est donc bien
encore l'homme qui se marie tandis que la femme est mariée ; de
même pour le "livre des successions" dont tout le chapitre est
consacré aux "héritiers à parts" déterminés
et qui reprend la liste coranique (Coran, IV, 11-12).
Le Code de la Famille montre clairement ce renforcement de la
famille par le contrôle strict de la femme et le caractère plus
que démesuré du pouvoir accordé aux hommes sur elles. Les
articles suivants sont, à nos yeux, les plus significatifs de la place
accordée à la femme à l'intérieur de la famille et
du renforcement de la famille patriarcale tribale.
Les articles 2, 8, 9, 11, 12, 14, 19, 36, 37, 38, 39, 48, 52,
53, 54, 62, 65, 66... Ces articles sont extraits du Code de la Famille qui
s'apparente très fort au Code de l'indigénat.
2- ÉTUDE/ANALYSE DU CODE DE LA
FAMILLE
En Algérie, comme dans tous les États
maghrébins ayant constitutionnalisé la religion, le Code de la
Famille promulgué le 9 juin 1984, vingt-deux ans après
l'indépendance, est fondé sur une lecture interprétative
des principes de la Charia. Il rattache l'organisation des relations
matrimoniales et parentales au type de la famille agnatique des civilisations
patrilinéaires ; il est décrit par les spécialistes
54(*) comme le texte le
plus régressif dans la législation algérienne et le plus
discriminatoire à l'égard des Algériennes.
Les circonstances de sa discussion à l'Assemblée
Populaire Nationale et sa promulgation ne sont pas neutres. En effet, c'est
dans une situation de malaise social et économique sans
précédent, dans le tourbillon d'une crise identitaire dont le
paroxysme a favorisé la montée de l'islamisme et dans le contexte
d'une répression massive des militantes de mouvements féministes
et d'opposition - entre autres, trois femmes du Comité d'Action contre
le Code ont été incarcérées - que ce code a
été adopté. Ceci a eu lieu en dépit de la
réprobation exprimée lors des discussions et des débats de
1980 à 1984. Les sept femmes députées à
l'Assemblée Nationale et les deux femmes ministres du gouvernement en
place se sont ralliées au mouvement de protestation mené par les
féministes, les moudjâhidâtes (combattantes de la
lutte d'indépendance) et des milliers de femmes au foyer ou de
travailleuses 55(*).
Ce code donnerait force de loi au droit musulman dans une
interprétation équivoque des principes de la Charia et
du fiqh et dans un esprit réducteur de l'adaptation de l'Islam
(idjtihâd) 56(*) au contexte moderne des relations humaines. Il est en
contradiction quasi-totale aussi bien avec la Constitution Algérienne
qu'avec les instruments et normes internationales ratifiées par
l'Algérie.
Par ailleurs, parmi les quelques aspects positifs de ce code,
il y a :
q La fixation de l'âge légal du mariage à
18 ans pour les femmes et à 21 ans pour les hommes, ce qui est conforme
à la recommandation des Nations Unies de 1965 qui fixe l'âge
minimum à 15 ans (art. 7).
q L'égalité entre les deux époux dans le
consentement au mariage, malgré l'obligation de la présence d'un
tuteur matrimonial pour la femme (père, parent proche ou juge) (art. 9).
Ceci atténuerait du sens de l'égalité si le
législateur algérien n'avait pas prévu des dispositions
à travers l'article 12 empêchant le père de s'opposer au
mariage de sa fille.
q L'article 36 du code des droits et devoirs
réciproques pour la sauvegarde des liens conjugaux et les devoirs de la
vie commune. Prise dans l'absolu, cette disposition est certes non
discriminatoire mais elle perd de son contenu dans la mesure où
l'article 19 du même texte donne la primauté dans la relation
matrimoniale non seulement à l'homme sur son épouse, mais aussi
à la parenté du mari sur celle de la femme. La réciproque
n'étant pas de rigueur, les droits et devoirs réciproques
semblent ambigus et plutôt discriminatoires !
q L'une des seules dispositions du code totalement
égalitaires est celle relative à la liberté et à la
maîtrise de l'épouse, et de la femme en général, de
ses revenus propres et de son patrimoine (art. 38). Cette disposition, qui est
confirmée aux instruments internationaux sur l`élimination des
discriminations et sur l'égalité des droits, est fondée
sur les principes de la Charia instituant la capacité
légale de la femme et sa liberté de gérer ses biens.
Enfin, la tendance à l'inégalité et
à la discrimination prédomine dans la quasi-totalité des
dispositions du Code de la Famille algérien. L'institution du tuteur
matrimonial quel que soit l'âge, le niveau d'instruction et
l'activité économique de la femme sont mis en vigueur à
travers l'article 11 du Code de la Famille algérien. Par ailleurs, le
maintien de la polygamie sous condition de l'acceptation de l'épouse
précédente et du traitement équitable entre les
épouses (art. 8) constitue un élément
d'inégalité entre les sexes. Et ce d'autant plus que la
prééminence de l'autorité masculine comme chef de famille
est établie dans la relation conjugale (art. 39).
L'inégalité devant la dissolution du mariage est
abordée sous forme de la répudiation déclarée
devant le tribunal (art. 48). Bien que le divorce par consentement mutuel soit
réintroduit par l'article 52, il reste toujours en faveur de l'homme
puisque le domicile conjugal lui est dévolu et que l'épouse est
tenue de restituer sa dot dans le cas où elle abandonnerait le domicile
conjugal, quelles que soient les circonstances.
Après le divorce et dans le cas où la
mère qui a acquis le droit de garde des enfants mineurs se remarie, elle
est déchue de ce droit. Ceci est en contradiction avec le Code Civil
algérien (art. 467), avec la Constitution ainsi qu'avec les principes du
droit universel. L'inégalité des droits est, par ailleurs,
instituée par des dispositions régissant la relation parentale
dans laquelle la filiation légitime est exclusivement paternelle (art.
41.1), la filiation maternelle est de fait interdite. La tutelle sur les
enfants est du ressort exclusif du père. La mère d'enfants
mineurs, comme partout au Maghreb, n'acquiert cette tutelle qu'en cas de
décès ou d'incapacité du père. Le système
successoral, qui occupe une place importante dans ce code, ouvre le droit
d'héritage aux Algériennes de façon inégalitaire du
fait qu'un homme reçoit le double de ce que reçoit une femme.
Enfin et pour conclure ce tableau qui démontre que la
loi algérienne régissant le statut des femmes dans la famille est
inégalitaire, il est opportun de rappeler la remarque de N. Saadi qui
dit : " Ces droits sont appliqués par les Algériens sans
faire référence au Coran mais par respect des traditions"
57(*).
a- LE MARIAGE
Aujourd'hui, le mariage s'analyse en un ensemble de liens
mutuels entre deux individus amenés à partager une commune
destinée. Le mari demeure chef de famille mais les rapports
d'autorité et de dépendance tendent à s'affaiblir pour
céder le pas aux rapports de réciprocité. On assiste alors
a une redistribution des pouvoirs et des fonctions au sein du ménage.
Cette conception tend à s'élargir pour devenir la base du nouvel
équilibre conjugal.
Ainsi, en matière de mariage - outre l'interdiction
faite à la musulmane de se marier avec un non musulman car les enfants
suivent la religion de leur père - et comme dans tous les pays de
culture musulmane, le Code de la Famille stipule que le consentement de la
femme est subordonné à celui du tuteur matrimonial, en
l'occurrence le plus proche parent mâle (art. 11). Le père a, en
outre, le droit d'empêcher le mariage de la fille vierge mineure ou
majeure "si tel est son intérêt" (art. 12).
L'art. 39 prévoit qu'institutionnellement, on doit
également lui rappeler sa conduite comme à une petite fille alors
que cette dernière est préparée par l'éducation
traditionnelle. Le principe selon lequel le mari est le chef consacré
par la loi (art. 39) et la doctrine islamique est maintenu par le Code de
la Famille. En maintenant cette qualité du mari, la loi
reconnaît que l'association conjugale a besoin d'une direction, elle est
assurée par le mari. La qualité de chef de famille comporte, bien
sûr, la puissance maritale et le devoir d'obéissance que la femme
lui doit dans certaines limites.
Par ailleurs, la qualité de chef de famille implique
aussi l'idée que le mari a la responsabilité morale de la
direction du ménage en dernier ressort. C'est à la femme de
s'incliner en cas de conflit. Le mari commande, mais il agit "dans
l'intérêt de la famille". C'est ce que décide
l'article 36 -1- relatif aux obligations des époux dont celles de
sauvegarder les liens conjugaux et de contribuer à la sauvegarde des
intérêts de la famille. La qualité de chef de famille
reconnue au mari n'est plus l'ancienne puissance lui appartenant sur sa femme
et ses enfants, c'est une fonction sociale fondée sur l'affection, elle
ne lui est accordée que dans l'intérêt de la famille.
Nouveau concept emprunté au droit français
(ancien art. 213 du Code Civil français), la notion
d'intérêt du ménage va permettre, pour freiner
l'autorité maritale, de faire jouer la théorie de l'abus de droit
jusque-là peu ou pas utilisée dans les conflits conjugaux. Dans
ce cas, la question ne représentera plus grand intérêt car
la répudiation perd de son caractère discrétionnaire et
domestique. Il n'appartient plus au mari de "répudier" mais au Juge de
"prononcer le divorce".
L'article 36 du Code de la Famille opère, en quelque
sorte, un certain bouleversement dans la répartition traditionnelle des
fonctions au sein du ménage. En limitant les pouvoirs du mari, la loi a
élargi le champ d'action offert à la femme. Afin qu'une
véritable association conjugale soit instaurée, il était
nécessaire d'équilibrer les obligations personnelles de chaque
conjoint pesant jusqu'alors lourdement sur la femme. "La femme contribue
à la protection des enfants et à leur saine
éducation...". La possibilité est accordée à
la mère, en cas d'abandon de famille ou de disparition du mari,
d'obtenir un jugement l'autorisant à signer tout document administratif
concernant l'enfant (art. 63). Elle peut, enfin, être tutrice de plein
droit en cas de décès du mari.
L'article 48 confirme que la dissolution du mariage peut
intervenir "par la volonté de l'époux, par consentement
mutuel des deux époux ou à la demande de l'épouse dans la
limite des cas prévus aux articles 53 et 54". Ce sont des
conditions très restrictives. Alors que le droit de répudiation
existe sans contrainte pour les hommes, la femme peut emprunter deux voies : le
divorce judiciaire (art. 53) ou la répudiation moyennant une
compensation financière (art. 54).
L'assistance conjugale est un devoir qui consiste à
donner des soins attentifs, à apporter une aide morale et
matérielle, un réconfort 58(*). S'agissant d'une obligation de faire, le devoir
d'assistance s'exécutera d'une manière insensible dans le
mariage. L'assistance relève de sentiments affectifs, c'est un domaine
peu juridique à l'instar du devoir de secours et on n'y accède
qu'en cas de conflit conjugal. Relevant de sentiments d'affection, elle
s'exécute en nature par l'aide et le dévouement que le conjoint
apporte à l'autre en cas de maladie, d'infirmité...
Sous cet angle, elle est réciproque. Sous l'angle de
l'assistance ménagère quotidienne, la réciprocité
semble peu marquée. En effet, la loi musulmane fait obligation à
l'épouse de vaquer aux soins du ménage et des enfants. Cette
forme d'assistance, la tenue du foyer, est généralement
analysée comme une fonction principale de l'épouse. C'est la
seule expression d'assistance conjugale que la femme puisse apporter en
permanence. En raison de son caractère, la doctrine refuse à
l'épouse le droit de réclamer un salaire pour ce travail.
Les codes modernes font de l'assistance conjugale un devoir
réciproque, ce qui ne manquera pas d'entraîner une nouvelle
distribution des rôles et fonctions dans le ménage. L'assistance
évolue en même temps que le statut social de la femme. S'il
demeure des femmes asservies au service des maris, assaillies par les travaux
ménagers en raison d'une certaine suprématie maritale, dans
d'autres couples, en revanche, la fonction d'assistance sous ses aspects tend
à devenir ambivalente. Les tâches domestiques sont souvent
partagées et ne relèvent absolument pas de l'assistance
féminine.
b- LA DOT
Définir la dot dans le monde arabo-musulman, c'est la
différencier du douaire qui représente, en Occident, des biens
paraphernaux accompagnant la future mariée et offerts par les donneurs.
En Orient musulman, ces biens sont offerts à la jeune fille à
marier par les preneurs et viennent s'ajouter au trousseau et autres biens
mobiliers que les donneurs octroient à leur fille. Dans les deux cas, ce
sont des biens qui aident le futur couple à s'installer et,
éventuellement, à se stabiliser.
La dot remplit des fonctions diverses dans les pays musulmans
:
q Sacrée dans le texte coranique, elle reste,
aujourd'hui encore, une condition de validité et un effet du mariage
dans tous les codes de statuts personnels, même les plus novateurs
(Tunisie) ;
q Moyen de faire valoir, elle consacre la hiérarchie
sociale et évite toute mésalliance ;
q Elle peut paraître en dehors de sa faculté
sacrée et de son exigence à la validité du mariage et elle
est consistante comme une garantie matérielle pour l'épouse.
Quant à son contenu, il peut se chiffrer à des
millions (dans certaines régions en Algérie comme à Oran
ou Tlemcen) comme il peut avoir une valeur symbolique ou une valeur
représentative d'un don (comme de vingt centimes par exemple) comme le
font les confréries des marabouts ou les Kabyles. Par la
diversité de ses fonctions, elle semble être un régulateur
social, économique, culturel et politique.
Considérant l'ampleur du sujet, je n'aborderai pas la
relation entre la dot et la virginité mais on peut signaler plusieurs
types de dots tels que :
q La dot déterminée ou musâwama
dont le contenu et la délivrance sont connus dès la signature du
contrat de mariage (basé sur la séparation des biens) ;
q La dot différée ou mu'akhkhar, dont
le contenu est connu et la délivrance est différée dans le
temps (lorsque la femme divorce, elle demande cette somme : c'est un gage
de scurité);
q La dot de parité ou mahr al mith`, que le
Code de la Famille reprend sans en connaître les tenants et les
aboutissants.
Dans la famille traditionnelle, l'épouse musulmane
n'exerce pas de profession rémunérée. Sa fortune ne peut
provenir que de deux sources : la dot que son mari lui verse lors de la
conclusion du mariage et les biens que sa famille lui remet, qu'il s'agisse du
trousseau proprement dit ou d'une fortune personnelle (rarement). Quant au
mariage, il fait mettre à la charge du mari l'obligation de
répondre aux besoins de subsistance de son épouse quel que soit
son degré de richesse.
La dot n'est pas une particularité typique du droit
musulman, elle est une condition de validité du mariage qu'il
régit, il s'agit d'accorder une importance considérable à
la dot non pas en tant que convention matrimoniale mais en tant que condition
du mariage lui-même. La dot forme donc un élément essentiel
du mariage, mais la question s'est posée de savoir s'il s'agissait d'une
condition de validité du contrat de mariage ou d'un
élément dont le défaut ne porterait aucune atteinte
à l'existence du contrat. C'est la question qui divise la doctrine
islamique quant à la nature de la dot qui demeure donc
controversée. En revanche, son régime ne varie que très
sensiblement d'un rite à l'autre.
La dot, appelée également "mahr",
constitue, en droit musulman, un don nuptial stipulé
généralement dans le contrat de mariage. Dans le système
musulman, elle forme la masse des valeurs fournies par le mari à la
femme. Dans la dot, on a cru voir la contrepartie fournie par le mari en
échange de la personne (de la femme) car "mahr"
désignait le prix d'achat de la femme en Arabie préislamique.
Est-ce que la dot est le prix de vente de la femme ? La majorité
des doctrines soutiennent l'idée selon laquelle la dot n'est qu'un effet
du mariage, seuls les malékites affirment que la dot est une condition
du mariage, à défaut de quoi, le contrat de mariage serait
nul.
Le législateur algérien attache un respect au
rite malékite en la matière car il dispose que le mariage est
contracté par le consentement des futurs conjoints, la présence
du tuteur matrimonial et de deux témoins ainsi que la constitution d'une
dot (art. 9). La dot est donc une condition de formation du mariage. Elle
était envisagée comme une garantie pour l'épouse contre
les abus du mari : mesure dissuasive, mais aussi moyen de réparation en
cas de rupture du mariage puisqu'elle se transforme en don de consolation.
La dot est désormais un élément
symbolique du mariage : l'hommage rendu par le mari à sa future
épouse sous forme d'un présent de valeur. Elle va même
au-delà de cette signification puisque, généralement
versée avant le mariage, elle remplit une fonction sociale dans
l'intérêt exclusif du nouveau ménage : subvenir aux
premières nécessités d'installation du couple. La dot
va-t-elle servir à payer en partie le trousseau apporté par la
femme ? Quelle que soit la consistance de la dot qui demeure régie par
les moeurs et les coutumes, elle est une condition du mariage en Algérie
dont le défaut entraîne la nullité.
La jurisprudence française en Afrique du Nord
(Algérie, Maroc, Tunisie) a été formelle à cet
égard. Ainsi, un ancien arrêt de la Cour de Cassation dispose
expressément que : "Le paiement de la dot est un des
éléments substantiels du mariage" 59(*).
L'article 14 du Code de la Famille précise que la dot
est ce qui est versé à la future épouse... Cette dot lui
revient en toute propriété et, très souvent, elle la
reverse aux parents pour couvrir les frais du mariage.
Aucun texte ne précise un montant maximum ou minimum de
la dot. Toutefois, le Prophète va laisser entendre que la dot pouvait
consister en un objet symbolique : "Présente un anneau de
fer", a-t-il répondu à un indigent qui se plaignait
de ne pouvoir payer de dot 60(*). Cheikh Mahmoud Chaltout, célèbre
juriste, explique à cet égard que :
"L'élévation du montant de la dot est contraire à
l'intérêt des femmes car les jeunes ne seraient pas
encouragés à la demande en mariage" 61(*) (valable encore aujourd'hui en
Algérie).
Alors que la condition précaire de la femme musulmane
ne soulève pas les passions (même chez les femmes
elles-mêmes), le problème des dots excessives attire la faveur des
deux sexes dans tout le Maghreb où les pratiques ont
dépassé toutes les proportions imaginables. Dans certaines
régions d'Algérie comme Tlemcen, Constantine... , la fille n'est
accordée en mariage qu'au plus offrant. Les familles se livrent
à de véritables transactions en contrepartie d'une dot
élevée, la femme devra offrir un trousseau d'une aussi grande
valeur.
Il arrive que le montant (de la dot) soit inestimable et ne
soit même pas discuté. Il est laissé à
l'appréciation et à la générosité de la
famille du fiancé. Mais il arrive aussi que, sans scrupules, les
pourparlers soient engagés afin de s'accorder sur le montant de la dot.
Tout s'évalue en argent et si les négociations n'aboutissent pas,
il est très aisé de rompre une union sur le point de
naître.
Signalons que le trousseau est une pratique qui s'est
constituée en marge du droit. Elle ne trouve en fait sa source ni dans
le Coran, ni dans la Sunna. Cette pratique immémoriale a pris
aujourd'hui figure d'institution ancrée dans les milieux sociaux. Les
parents de la femme ont une obligation morale de lui fournir un trousseau, la
dot doit être versée par le futur époux. Si le trousseau et
la dot sont joints, ils doivent être obligatoirement
proportionnés, faute de quoi, la mariée ne serait pas à
l'abri de reproches de la part de sa belle-famille.
Le trousseau offert par le père apparaît comme
une donation. Il est soumis à toutes les règles qui
régissent les libéralités. Pour les malékites
et les hanbalites, la donation est irrévocable en vertu d'un
hadith qui affirme que : "Aucun donateur n'a le droit de
révoquer sa libéralité, sauf le père". Si la
donation est faite en faveur du mariage (dot du fils, trousseau de la fille),
elle aura un caractère synallagmatique : le donateur a gratifié
son descendant dans le but que ce dernier soit marié, si le mariage est
conclu, le but est atteint.
L'article 211 du Code de la Famille est demeuré
fidèle à cette règle :
Le trousseau n'est qu'une forme de convenance et pour
réagir contre ces pratiques excessives, l'article 18 décide que :
"L'époux n'est pas fondé à exiger de
sa future un apport quelconque de meubles, literie, effets vestimentaires en
contrepartie du sadâq offert".
Obligatoirement dotée par son mari, la femme aura aussi
droit à l'entretien, quelle que soit sa fortune.
Ces droits sont appliqués par les Algériens sans
faire référence au Coran mais par respect des traditions.
À cela vient s'ajouter le versement d'une dot qui,
matériellement et définitivement, marque de son sceau
l'infériorité de la femme. De là découle le droit
de l'époux à la polygamie et à la répudiation.
Toutes ces dispositions ont été proposées comme
fondamentalement islamiques par les membres de l'Assemblée Populaire
Nationale. Or, selon les chercheurs en sciences islamiques, tel qu'El Assiouty
62(*), il semblerait que
la dot et la polygamie soient des survivances pré-islamiques. Aussi
retrouvons-nous la dot chez tous les pays historiques :
"C'est le "mohar" des hébreux, le mariage
"arsha", "ashoura", dans l'Inde brahmanique, le mariage par
achat, la seule forme de mariage connue en Grèce homérique, le
mariage compta, le "mundr", "gabe" ou "méta"
chez les Germains, le "mahr" des Arabes djahilites" 63(*).
Le versement d'une dot, lors du mariage, doit être
compris dans le cadre de la dialectique du don et du contre-don propre aux
sociétés traditionnelles où l'exogamie était la
pratique dominante. Dans la Mecque préislamique, le mariage est
exogamique, c'est-à-dire qu'il s'effectue de groupement à
groupement (famille, clan, tribu) par un échange ne pouvant que
très difficilement être simultané, le versement d'une
contre-valeur s'impose bien moins comme un prix quelconque que comme une
indemnité pour la perte provisoire que subit le groupe, en attendant la
contre-prestation que présente la cession d'une autre femme,
livrée en contre-échange.
c- LA POLYGAMIE
En permettant d'assurer une large progéniture, elle
constituait une solution aux problèmes de main-d'oeuvre et de
mortalité infantile : survivance préislamique et biblique,
"La polygamie est une institution qui remonte à la
civilisation de l'agriculture et de l'élevage" 64(*).
Il est vrai que le Coran autorise la polygamie, mais il impose
également au mari d'avoir un comportement équitable envers ses
épouses ; et on lit ceci :
"Vous ne serez jamais capables d'agir équitablement
à l'égard de vos femmes, quand bien même vous le
désireriez ardemment".4(*)
Or, le Code de la Famille maintient la polygamie "si les
conditions d'équité entre les épouses sont
réunies" et si la première épouse est consentante. Au
regard de cette disposition de l'article 37, on se demande pourquoi le
législateur n'a pas cru bon de préciser quel motif de remariage
peut être considéré comme acceptable par la justice ?
Qu'appelle-t-il les conditions d'équité qui doivent être
réunies par le mari pour que son remariage soit autorisé ? Il eut
été plus simple d'en dresser une liste qui soit suffisamment
lourde pour faire de la polygamie un acte impossible. Par contre, il s'agit ici
d'autoriser la femme à demander le divorce si elle refuse le remariage
de son époux comme si cela était une solution. Est-ce cela qu'on
appelle réunir les conditions d'équité ?
Si la première épouse, pour diverses raisons
surtout économiques, ne peut demander le divorce, elle se trouve
acculée à jouer le rôle de maman de son époux. Il
faut supposer, en effet, que l'épouse entretient des rapports
mère / fils avec son mari pour imaginer qu'elle puisse tolérer
son remariage, sans trop de dégâts psychiques. Dans un pays comme
l'Algérie où un véritable culte est voué à
la jalousie masculine, où il est, par conséquent, possible de
mesurer la valeur affective de la relation conjugale, l'institution de la
polygamie suppose ceci : ou bien la femme est supposée incapable de
ressentir la jalousie donc de l'amour aussi, ou bien l'homme est
décidé à passer outre. Dans les deux cas, même s'ils
se trouvent souvent amalgamés, le mépris de la femme est
flagrant. Et pour cela, la polygamie est d'une cruauté
illimitée.
L'article 8, qui concerne la polygamie, précise que si
les épouses précédentes ne consentent pas au remariage du
mari, elles peuvent demander le divorce. Le consentement des épouses
n'est donc pas une condition nécessaire puisqu'elles ne peuvent pas
empêcher le remariage. Le mari est seulement tenu de les informer. En cas
de décès du mari, s'il y a une descendance, la veuve n'a droit
qu'au huitième de ce que laisse son mari alors que le veuf a droit au
quart (art. 145 et 146) et, en matière de succession, "au partage,
l'héritier mâle reçoit une part de succession double de
celle de l'héritière" (art. 172).
En fait, le mari acquiert le droit à la polygamie et
à la répudiation par l'obligation d'entretien qu'il doit à
son épouse. Ainsi, ce qui est considéré comme étant
un privilège accordé à la femme représente, si on y
regarde de plus près, une perte pour elle. Motif d'un chantage
éhonté qui touche à la dignité même de la
femme, l'obligation faite au mari d'entretenir sa femme se retourne contre
cette dernière comme un boomerang. En effet, en échange
de cet entretien, la femme doit céder une partie de ses droits, à
commencer par sa liberté de mouvement. Elle doit, par exemple, demander
à son mari l'autorisation de rendre visite à sa famille et ce
droit de regard la met dans la même position que ses enfants.
Ecartée des responsabilités sociales, elle se voit
transformée en enfant incapable de se contrôler elle-même et
ignorant les dangers réels ou fictifs de la rue.
Le rôle de la femme-enfant se trouve, dès lors,
être le deuxième rôle que doit jouer la femme, après
celui de la mère. Quant à l'homme, grâce à un
nouveau renversement de la situation, l'entretien de sa femme le valorise
socialement et sa femme lui doit sa reconnaissance. Au regard de ce processus,
je constate que nous sommes loin de la fameuse libération de la femme en
raison du droit qu'elle a de se faire verser une dot par son époux.
Appréhendée dans sa signification historique, on peut comprendre
que, dans une Arabie où dominait le mode de vie tribal et où la
pratique de l'exogamie était la pratique dominante, la perte d'un membre
du groupe soit compensée par un don.
Mais aujourd'hui, le processus de mise en place d'une
société moderne étant en voie de réalisation, la
signification de la dot doit changer. En effet, le mariage n'est plus un
échange entre groupes socio-économiques vivant en autorail et
dans lesquels le départ d'une femme peut-être
considéré comme la perte d'une force de travail pour une famille.
Le mariage revêt une nouvelle signification, celle de l'union
légalisée entre deux individus dans le but de créer une
famille.
d- LE DIVORCE ET SES CONSÉQUENCES
Le problème du divorce est, lui aussi, une des plaies
de la société algérienne contemporaine. Alors que, selon
les chiffres, leur nombre va en croissant d'année en année, le
Code de la Famille a proposé de perpétuer les facilités de
rupture du lien conjugal.
Dans l'Islam, deux formes de répudiation sont
prévues et, pour chacun des cas, il est exigé la prononciation
rituelle. Dans le premier cas, la répudiation est révocable
(talâq radj`î) : il est accordé au mari quelques
mois de réflexion avant que le divorce ne devienne effectif. Dans le
second cas, la troisième répudiation est considérée
comme irrévocable : réépouser une femme
répudiée trois fois est strictement interdit par la religion
musulmane sauf si elle a, entre-temps, contracté mariage avec un tiers
(El Mouhallal : rendre la femme licite).
Conformément à l'article 37, la femme qui fuit
un époux violent, par exemple, pour se réfugier chez ses parents
peut être ainsi considérée comme ayant abandonné le
domicile conjugal. Cette cohabitation forcée doit subsister même
durant la période précédant un divorce sur l'initiative de
l'épouse. Quelle que soit l'attitude du mari, celle-ci doit continuer
à vivre avec lui sous le même toit jusqu'à la prononciation
du divorce au risque de devenir "coupable" d'abandon du domicile
conjugal et de voir le divorce prononcé à ses torts.
Dans la procédure de répudiation par
compensation, la femme achète sa propre répudiation à son
époux. Alors que n'importe quelle femme a le droit, en théorie,
d'y recourir, certains juges soumettent, semble-t-il, cette sorte de
"rachat" à l'autorisation préalable du mari qui peut ne
pas l'accorder. Beaucoup de femmes ne peuvent racheter leur liberté car
il leur est demandé des sommes faramineuses afin de les dissuader de
leur demande de divorce. Ainsi, leur divorce reste en suspens (ni divorce, ni
entretien du mari et, bien sûr, sans pension alimentaire) : cela peut
durer plusieurs années (sans pouvoir également se remarier : leur
vie de femme s'arrête !). De son côté, le mari qui veut
répudier son épouse se contente de manifester sa volonté
devant le tribunal qui est obligé de prononcer le divorce.
Si le divorce peut avoir un effet dramatique sur le devenir
social et affectif de la femme (la prostitution devient de plus en plus
importante), il a un effet dramatique, aujourd'hui, sur le
développement de l'enfant. En effet, dans la société
traditionnelle, l'enfant n'est pas pris en charge uniquement
par sa mère, tous les membres de la famille élargie, tantes et
grands-mères, interviennent dans son éducation.
L'article 87 confie au seul père la tutelle des enfants
mineurs. Celle-ci ne peut être exercée par la mère
qu'après le décès de l'époux. Même en cas de
divorce et même si la garde des enfants échoit à la
mère, le père conserve seul la tutelle. Cette disposition, comme
on le verra plus loin, peut avoir des conséquences dramatiques si le
père disparaît dans des circonstances inconnues. On assiste alors
à un blocage total du cours normal des affaires familiales : allocations
familiales non versées, situations scolaires bloquées...
Il faut rappeler qu'un enfant ne peut sortir du territoire
algérien sans l'autorisation de son père ou du procureur (ou
juge) quelle que soit la situation (parents séparés ou
divorcés, parents de mariage mixtes...).
En cas de séparation des parents, le droit de
"hadâna" (droit de la mère à garder son enfant),
la solidarité communautaire et la conception "humaniste" des
relations sociales viennent tempérer un tant soi peu les
retombées psychoaffectives du divorce sur l'enfant. Ce dernier, pouvant
continuer à circuler entre les deux familles qui l'accueillent avec une
tendresse égale, voit normalement son père. Le divorce
étant une pratique courante, le groupe, en prenant en charge l'enfant,
rend cette séparation moins dramatique.
En ce sens, le divorce n'est pas considéré tout
à fait comme un drame, la femme pouvant facilement se remarier,
plusieurs fois même, à condition de respecter le délai de
trois mois imposé par la religion entre deux mariages successifs. Les
facilités du mariage et du divorce impriment, il est vrai, au mariage et
à la famille qui en résulte un caractère
d'instabilité, lequel peut devenir dangereux pour l'équilibre des
parents et des enfants. Ce d'autant plus que la famille n'est pas celle
fondée par les deux époux et leurs enfants, mais comprenant
également les ascendants et descendants de l'époux. Et parfois,
ceux de l'épouse. Cette dernière, hantée par l'obsession
du divorce, considère sa présence dans sa belle-famille à
la limite comme provisoire et continue à entretenir des relations
privilégiées avec sa propre famille. Ce n'est souvent que
lorsqu'elle aura marié son fils qu'elle commencera à s'identifier
aux intérêts de son époux, le fils jouant le rôle de
protecteur de la mère contre les vexations qu'elle aurait à subir
de son père.
Mais, l'industrialisation et l'urbanisation font
éclater progressivement la cellule familiale traditionnelle qui a
tendance à se transformer en famille nucléaire se
réduisant au couple et à ses enfants (voir chapitre espace
privé/public) et ceci constitue une donnée qui semble
irréversible. En effet, en raison de cette évolution, les statuts
et les rôles assignés à l'homme et à la femme sont
en mutation rapide. Les relations familiales et, plus particulièrement,
les relations entre couple et leurs parents respectifs ont changé.
Les grands-parents acceptent de plus en plus difficilement de
prendre en charge les enfants du couple divorcé. La femme
divorcée ne peut plus retourner aussi aisément chez ses parents,
ni se remarier facilement. En raison de l'exiguïté des logements et
leur rareté, en raison du changement de société qui
s'opère.
Le divorce devient maintenant un vrai drame social. La femme
répudiée, selon les formes traditionnelles, même si elle a
une formation universitaire, a des difficultés énormes à
se faire accepter socialement. Vit-elle seule ? Voilà la traditionnelle
qualification de prostituée qui la guette : la société
hantée par l'idée de la prostitution n'imagine même pas la
possibilité d'une relation amicale entre un homme et une femme.
Les raisons du divorce ont tendance à devenir multiples
: la cohabitation avec la belle-famille est de plus en plus refusée par
la jeune épouse. Si celle-ci est obligatoire, ce qui est souvent le cas
en raison de la tradition et parfois de la simple crise de logement qui
sévit en Algérie,. La tutelle de la belle-mère est
refusée de façon de plus en plus systématique par la
belle-fille, même lorsqu'elle est analphabète car elle tient
à fonder une famille dont elle sera membre à part entière.
Cette affirmation de sa dignité, qui est aussi un refus des anciennes
modalités de vie, constitue souvent pour la femme un motif de divorce.
Une autre raison de divorce est constituée par
l'exercice d'une activité salariée qu'exigent un nombre croissant
de femmes. Le mari, obéissant au système de valeurs
traditionnelles, considère l'apport d'un salaire par son épouse
et sa fréquentation d'un milieu professionnel à composition
essentiellement masculine comme une atteinte à son honneur, à sa
"masculinité" pour tout dire. L'honneur d'un homme n'est-il pas
constitué autour de l'obligation que lui pose la société
d'entretenir sa femme? Ne lui fait-elle pas croire à la
fidélité de sa femme ? Doit-il croire seulement à la
soumission de sa femme, laquelle est basée sur sa dépendance
économique ?
La société lui enseigne que la femme, incapable
de se contrôler elle-même n'est fidèle que par peur et non
par choix. La femme mariée, si elle exerce une activité
salariée, se trouve la dépositaire de l'honneur de son mari
qu'elle doit défendre contre une opinion sociale tatillonnée.
Lourde charge qui amène certaines travailleuses à ne jamais
adresser la parole à leurs collègues masculins en dehors du
travail.
En outre, la situation est aggravée pour la femme
répudiée qui n'a pratiquement jamais droit au logement car
l'article 52 ne lui permet pas de garder le domicile conjugal, s'il est unique.
Il est évident qu'il eut suffit d'écrire que la femme
divorcée ayant la garde des enfants n'a pas droit au logement et les
choses auraient été plus claires quand on sait que
l'Algérien moyen a, parfois, un logement. Quant aux cas
extrêmement rares, on pourrait créer des dispositions
particulières les concernant.
L'article 52 prévoit que le domicile conjugal revient
à l'homme après le divorce même si la femme a la garde des
enfants (sa voisine tunisienne garde toujours le logement conjugal). Si aucun
tuteur n'accepte de l'accueillir, elle n'a droit à un logement fourni
par l'ex-mari que selon les possibilités de ce dernier. Elle risque donc
de se retrouver à la rue avec ses enfants alors que le mari conserve
l'ancien domicile conjugal. Qu'elle ait été
répudiée sans appel ou contrainte à racheter sa
liberté, le statut social de la femme se trouve changé,
accompagné du regard traditionnellement péjoratif porté
sur "la divorcée". Résulte de cette
séparation une instabilité économique pour une
majorité de femmes analphabètes et jusque-là sans emploi,
des femmes et leurs enfants se retrouvent à la rue tandis que le mari
jouit seul ou avec une autre épouse du logement conjugal.
Cette façon de présenter les choses est d'autant
plus choquante qu'elle se trouve en retrait avec les dispositions du Code Civil
lui-même qui stipule dans son article 467 que :
"En cas de divorce, le juge peut désigner
l'époux qui bénéficie du droit au bail, compte tenu des
charges par lui assumées, notamment la garde des enfants".
La jurisprudence établie par la Cour Suprême
donne le droit au logement à la mère qui a la garde de plus de
deux enfants (en réalité même avec 8 enfants, la
mère se retrouve à la rue ou chez ses parents). Si elle a
plusieurs enfants à charge, seul le juge de la Cour Suprême peut
apporter son appréciation.
On se demande comment on peut attendre d'une mère qui a
plusieurs enfants à charge et à laquelle le droit au logement n'a
pas été assuré de pouvoir respecter les dispositions de
l'article 62. Il suffit que le père démontre que la mère
n'a pas les moyens d'entretenir ses enfants, ce qui est
généralement très facile, pour que la garde lui soit
retirée, sachant que les pensions alimentaires sont dérisoires
(200 dinars par enfant, soit l'équivalent 17 euro par mois).
Or, l'expulsion de l'épouse répudiée ou
divorcée de son domicile est contraire à l'esprit du Coran. N'y
est-il pas dit ceci :
"Ne les sortez de leurs maisons que si elles commettent un
acte immoral prouvé. Là sont les limites de Dieu et celui qui
transgresse les limites de Dieu, se fait justice à lui-même"
65(*).
Voilà donc un verset du Coran qui aurait pu donner
matière à réflexion à nos députés,
alors qu'ils se réclament à corps et à cris de l'Islam. En
fait, les droits retirés à la femme ne l'ont été
qu'au nom de la tradition, de la politique et de la toute bête crise de
logement.
Le seul point qui reste plus ou moins positif dans ce code
demeure le droit donné à la jeune épouse de se marier avec
l'homme de son choix même si son tuteur matrimonial s'y oppose, comme le
prévoit l'Islam. Mais le législateur s'est cru obligé de
rajouter une petite phrase sublime qui annule ce que l'article 12 vient de
poser : "Si celui-ci (le mariage) lui est profitable".
Avant d'achever cette réflexion, il faut faire
référence à l'article 39 qui stipule que l'homme
peut exiger de sa femme qu'elle allaite ses enfants. On hésite entre le
rire et la colère qui finit par l'emporter vu le caractère
loufoque de cette proposition. Les députés avaient-ils
poussé leur misogynie jusqu'à dépouiller la femme de
l'instinct maternel ? Face à cet obscurantisme triomphant, on ne peut
que rester songeur et comprendre enfin où l'extrémisme religieux
a pu commencer à faire son nid.
On pourrait continuer longuement cette
énumération des dispositions du Code de la Famille mais
inutilement, tant il est clair qu'il a été réalisé
pour défendre les intérêts de l'époux au
détriment de ceux de l'enfant et de sa mère. La loi n'est que
l'expression, sous forme schématique, d'une réalité
sociale et il eut été inconvenant d'imaginer qu'on pouvait y
trouver autre chose que ce qu'on a trouvé. Mais ceux qui se battent
aujourd'hui pour la mise en place d'un État de droit doivent se rendre
compte que la réforme du Code de la Famille n'est pas un cadeau à
faire à la femme par bonté mais bel et bien le premier acte
politique réel qui engage tout l'avenir d'une société.
La réforme de l'école, qui doit apprendre aux
enfants les paradigmes fondamentaux de la modernité qui sont :
tolérance, civisme et égalité devant la loi, fait partie
de cette bataille qui, si elle n'est pas gagnée aujourd'hui et vite,
risque d'être perdue pour très longtemps.
Le Code de la Famille montre clairement ce renforcement de la
famille par le contrôle strict de la femme et le caractère plus
que démesuré du pouvoir accordé aux hommes sur elle. Les
quelques articles choisis sont ceux qui, à mes yeux, sont les plus
significatifs de la place accordée à la femme à
l'intérieur de la famille et du renforcement de la famille patriarcale
tribale.
En signant puis en ratifiant, en 1996, la Convention sur
l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard
des femmes, le gouvernement algérien avait émis des
réserves qui découlent du Code de la nationalité mais
surtout du Code de la Famille en vigueur.
Comme à d'autres occasions, et notamment devant
d'autres mécanismes de l'O.N.U., le rapport algérien
énonce, d'entrée de jeu, les articles de la Constitution qui
posent l'égalité entre les sexes et ajoute que :
" (...), la loi algérienne veille à ce que
dans aucun domaine de la vie il n'y ait de distinction entre l'homme et la
femme qui jouissent ainsi d'une totale égalité en droits et en
devoirs" (page 14 du rapport algérien, in La Convention sur
l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de
1996).
Cet énoncé n'a en fait aucune portée
réelle en raison de la réserve formulée par
l'Algérie concernant l'article 2 de la constitution qui exige
notamment, faut-il le rappeler, de :
"Prendre toutes les mesures appropriées, y compris
les dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi,
disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une
discrimination à l'égard des femmes".
En effet, si l'Algérie n'avait pas formulé cette
réserve, elle serait tenue de réviser très
substantiellement voire d'abroger le Code de la Famille qui organise, d'une
manière on ne peut plus claire, l'infériorité juridique de
la femme. Les autorités semblent, d'ailleurs, tout à fait
conscientes de cela puisque le rapport officiel stipule que :
En l'état, force est de constater que la
législation algérienne, et plus particulièrement le Code
de la Famille, organise sur plusieurs points la subordination légale des
femmes algériennes et entrave la jouissance de leurs droits. D'ailleurs,
le Code de la Famille viole de nombreuses dispositions de la Convention et
notamment les articles 2, 15 et 16. Il faut, enfin, relever que dans l'attente
de l'adoption par l'Assemblée Populaire Nationale du projet
d'amendements, l'article 39 du Code est en contradiction flagrante
avec l'article 5 de la Convention pour lequel l'Algérie n'avait pas
émis de réserve.
À travers cette étude du Code de la Famille,
j'ai essayé de montrer comment cette lutte politique, qui se
déroulait, continue aujourd'hui au sein de l'A.P.N. (Assemblée
Populaire Nationale) d'un État de droit.
3- COMPROMIS ET RÉSISTANCE
"L'adoption de ce texte vise à la correction des
dysfonctionnements apparus tout au long de la mise en oeuvre du Code de la
Famille et à donner un sens plus concret au principe de
l'égalité des droits de l'Homme et de la Femme que la
Constitution a consacré dans l'intérêt de la famille, de la
société et dans la fidélité à nos principes
et à nos valeurs spirituelles et civilisationnelles
authentiques".
C'est en ces termes que l'ancien Président Liamine
Zéroual (1979-1990) a annoncé, dimanche 24 mai 1988, l'adoption
en Conseil des ministres du projet de texte portant amendement du Code de la
Famille. Il a ajouté que :
"La condition de la femme s'est améliorée
depuis la lutte de libération nationale. Il reste que sa promotion
constante exige encore des efforts... Cette promotion est loin d'être
subordonnée uniquement à un quelconque effort de modernisation de
notre arsenal juridique qu'elle ne l'est de certaines pratiques et pesanteurs
sociales encore persistantes".
En prononçant ces mots, l'ex-président a
montré qu'il était conscient que la question de la femme en
Algérie continuera encore longtemps à soulever les passions.
Les débats autour du Code de la Famille datent d'avant
l'indépendance. Ils se sont poursuivis par la suite, revenant
régulièrement à chaque changement de conjoncture
politique. On peut affirmer que l'histoire de l'Algérie
indépendante a vibré régulièrement au rythme de ses
femmes, prouvant ainsi que, d'une part, la société
algérienne est encore à la recherche de son identité et
que, d'autre part, ce sont les femmes qui marqueront de leurs empreintes cette
identité. Même si les pouvoirs publics ne cessent de
répéter que leur principal souci est d'assurer une plus grande
harmonisation de la famille dans la société, c'est toujours
autour de la place de la femme dans cette société que
s'articulent, inévitablement, les débats.
Entre les différentes positions qui se sont
exprimées, le gouvernement semble avoir opté pour une attitude de
juste milieu. Le R.C.D. (Rassemblement pour la Culture et la
Démocratie), le F.F.S. (Front des Forces Socialistes) et le M.D.S.
(mouvement pour la Démocratie Sociale, communiste) sont pour
l'abrogation pure et simple de ce code et son remplacement par des lois civiles
tirant leur source du droit positif. Les partis islamistes, le M.S.P.
(Mouvement de la Société pour la Paix, membre de la coalition
gouvernementale) ou NAHDA (dans l'opposition), sont farouchement opposés
à cette idée. Pire, ces derniers estiment que le code actuel est
encore en deçà des exigences de la Charia.
Quant au F.L.N., qui était l'unique
parti existant en Algérie au moment de l'adoption du code en 1984, il a
rallié les positions dominantes au sein du gouvernement. Il faut bien
admettre que, tout en ne donnant pas totalement satisfaction aux revendications
des féministes, le gouvernement a tenté, dans les amendements
qu'il propose et chaque fois que possible, d'introduire des notions allant dans
le sens de plus de liberté pour les femmes et supprimant les
archaïsmes flagrants que comporte le code. L'abrogation pure et simple de
l'article 39 en est un exemple.
C'est en vertu de cet article qu'un mari peut aujourd'hui
interdire à son épouse de travailler. Les rédacteurs des
amendements ont même renversé la tendance en ajoutant un
alinéa à l'article 37 qui stipule :
"Le mari est tenu de faire preuve de prévenance
à l'égard de son épouse et préserver son honneur et
sa dignité".
Ainsi, pour la pratique de la polygamie qui, sans être
abolie, deviendra quasiment impossible. Elle sera désormais soumise
à autorisation du juge, lequel devra tenir compte, d'une part, de la
capacité de l'époux à assurer une équité
totale dans son comportement envers ses épouses. En proposant cet
amendement, le gouvernement se met à l'abri des critiques des
islamistes. Il peut, en effet, arguer du fait qu'il ne fait que se conformer
aux préceptes du Coran, lesquels insistent sur la notion
d'équité que doit assurer le mari envers ses épouses.
Les plus grands changements concernent le divorce. Parmi les
amendements avancés, celui de l'article 53 permettra aux femmes de
demander le divorce "pour impossibilité de vie commune et
d'entente". Cette nouvelle disposition rendra les époux presque
égaux devant le divorce. Autre nouveauté au sujet de la tutelle
(article 65)
Le gouvernement tente, par ces amendements et au risque de
déplaire à ses partenaires de la coalition gouvernementale, de
ratisser large. De cette manière, il donne des gages aux femmes -
nombreuses - qui ont voté pour lui et il assure, par ailleurs, tous ceux
qui avaient exprimé leurs appréhensions devant l'entrée
des islamistes au gouvernement.
Pour ne pas trop heurter ses alliés, il s'est bien
gardé du reste d'apporter un quelconque correctif concernant
l'héritage, lesquels comportent des inégalités et des
archaïsmes flagrants. Certaines féministes ne comptent pas, quant
à elles, faire l'impasse sur ces "oublis".
Opposant les modernistes laïques aux conservateurs
proches des islamistes, le Code de la Famille a toujours servi de monnaie
d'échange, voire de moyen de chantage entre ces groupes. Il a, en
vérité, souvent servi d'exutoire à d'autres
problèmes politiques. C'est ainsi qu'en 1972, le président
Boumédiène avait relégué cette question aux
oubliettes afin de faire passer sa réforme agraire à laquelle les
conservateurs étaient farouchement opposés. Dans une
société qui reste, malgré tout, profondément
attachée aux valeurs traditionnelles et à laquelle le discours
moderniste post-indépendance n'a pas apporté tout le
bien-être promis
Or, s'il est difficile d'en appeler aux valeurs
traditionnelles lorsqu'il s'agit d'économie ou de progrès
technique, le domaine privé familial reste la proie facile de toutes les
théories rétrogrades. C'est pourquoi, prenant le relais des
conservateurs de l'ex-parti unique, les islamistes ont choisi comme terrain de
prédilection pour leur propagande la place de la femme dans la
société. Car il faut bien admettre que les tenants du retour aux
valeurs traditionnelles s'appuient sur une réalité sociale : sur
une population de trente millions d'âmes, près de 40 % sont
analphabètes, dont la majorité sont des femmes. Pour cette
catégorie de la population, ces valeurs traditionnelles sont le seul
refuge vers lequel elle se tourne lorsqu'elle n'a plus de repères ou que
les autres discours lui deviennent étrangers.
Si l'on ajoute à cela le fait que nombre de femmes
citadines et cultivées sont acquises aux idées islamistes, il
reste très peu de place pour celles qui prônent des lois civiles
tirant leur source du droit positif. Il est aussi vrai que, dans la perception
de beaucoup d'Algériens - pas forcément islamistes -, la lutte
des femmes pour l'égalité des droits reste assimilée
à un avatar du colonialisme et à un mimétisme des femmes
occidentales. Pour eux, le retour à la tradition est la dernière
étape de la "décolonisation des mentalités"
longtemps réclamée - avant et après l'indépendance
- par de nombreux Algériens.
Les promoteurs du texte revendiquaient, pour leur part, un
droit de la famille "nationale", "décolonisée"
et tirant ses sources de l'identité algérienne. Mais les
dirigeants du pays de l'époque le rejetèrent d'autant plus
facilement que la première constitution algérienne (1963)
affirmait, dans son article 12, l'égalité des sexes.
Les femmes, encore dans l'ambiance
"révolutionnaire" d'alors, ne s'étaient pas
laissées faire. Des mouvements de protestations avaient vu le jour dans
les universités, les lycées, les lieux de travail. C'est surtout
par pragmatisme que les autorités d'alors n'ont pas cédé
aux pressions des conservateurs. L'exode massif des colons au lendemain de
l'indépendance exigeait, pour les remplacer, d'utiliser toutes les
potentialités disponibles.
Les femmes, et pas seulement pour les emplois subalternes
d'entretien et autres, représentaient à cet égard une
source considérable de main-d'oeuvre. Les écoles, les
hôpitaux, les administrations, les usines, etc. avaient employé un
nombre important d'entre elles. Aujourd'hui, on peut dire que c'est encore le
pragmatisme qui guide l'action du gouvernement. En effet, si la proportion des
femmes travailleuses par rapport à la population active reste faible
(elle est passée de 8 % en 1987 à 14 % aujourd'hui), elle est
tout de même constituée essentiellement de cadres hautement
qualifiées dont il serait difficile de se passer. Dans deux secteurs au
moins, l'enseignement et la santé, elles sont majoritaires y compris aux
postes les plus élevés.
Par ailleurs, la détérioration de la situation
économique, d'une part, ainsi qu'une réelle prise de conscience,
d'autre part, font que la condition des femmes a pris aujourd'hui une toute
autre tournure. Elles arrivent de plus en plus à grignoter des espaces
de liberté. Si, jusqu'au milieu des années 1980, les
travailleuses étaient en majorité des diplômées qui
occupaient des postes de cadres, aujourd'hui, on les retrouve à tous les
niveaux de la hiérarchie et, notamment, à des emplois
habituellement réservés aux hommes. Il n'est plus rare de voir
des jeunes femmes tenir des commerces . Ce qui, il n'y pas si longtemps
encore, était perçu par la société comme une honte
pour la famille. De même, les emplois qu'elles exercent à domicile
(couture, coiffure, confection de gâteaux ou de plats cuisinés,
etc.) participent pour une bonne part dans l'économie informelle, par
définition difficile à mesurer mais bel et bien croissante : par
choix ou nécessité.
4 - LE PROJET D'AMENDEMENTS : QUELQUES
RETOUCHES
Mis en chantier, notamment, du fait de l'adhésion de
l'Algérie à la Convention, le projet d'amendement du Code de la
Famille algérien constitue-t-il une véritable avancée dans
la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes ?
Le projet d'amendement déposé par le
Gouvernement en janvier 1999 prévoit en l'état l'amendement des
articles 8, 9, 12, 37, 38, 40, 52, 52 bis, 53, 63, 65, 65 bis, 73, 80, 120,
169, 170 et 212 d'un texte qui en compte 222.
Sur quatre points, cet avant-projet de loi pourrait constituer
une avancée plus ou moins notable. Ainsi, la femme divorcée ayant
obtenu la garde de ses enfants serait assurée du "maintien au
domicile conjugal" ou de la fourniture, par l'ex-mari "d'un logement
décent". Une nouvelle justification, "l'impossibilité de
vie commune et d'entente" s'ajouterait aux motifs légitimes de
divorce pour la femme et devrait lui permettre d'échapper à
l'exigence redoutable de la preuve d'une faute "grave" du mari. En
troisième lieu, un amendement prévoit l'ajout d'un paragraphe
disposant "qu'il peut avoir procédé après autorisation
du juge à une saisie sur salaire de l'époux ou sur ses
biens", disposition d'une importance capitale pour la femme démunie
de ressources et ayant la charge de ses enfants. Cependant, comme pour le
deuxième amendement projeté, l'efficacité d'une telle
disposition dépendra de l'interprétation qui en sera faite par
les juges.
Enfin, l'amendement projeté de l'article 8 devrait
protéger théoriquement les femmes contre le recours à la
polygamie. Celle-ci ne serait plus autorisée que :
"Au moyen d'une autorisation délivrée par le
juge, si le motif est justifié, les conditions et l'intention
d'équité réunies et après consentement
préalable des précédentes et futures
épouses".
D'autres amendements constituent, de prime abord, un
progrès mais leur mise en oeuvre pourrait être lente et difficile.
Mais alors que, dans le Code en vigueur, le père peut s'opposer au
mariage de sa fille, l'avant-projet prévoit que le juge peut l'ordonner
si tel est le désir de la fille en question et si le tuteur est
présent lors de la conclusion du mariage. On peut se demander comment
cette dernière obligation sera remplie par le tuteur qui vient justement
de s'opposer au mariage ?
On ne parlera même pas ici des simples modifications de
pure forme consistant, par exemple, à remplacer l'expression "le
mari est tenu d'agir en toute équité envers ses
épouses", par une autre formulation tout à fait
équivalente (art. 37). L'abrogation de l'article 39 du Code de la
Famille lève la contradiction relevée plus haut avec l'article 5
de la Convention et débarrasse la législation algérienne
d'une disposition particulièrement choquante qui maintenait clairement
la femme dans un statut de subordination par rapport à son mari.
Au total, on ne peut que déplorer le caractère
mesuré des avancées contenues dans cet avant-projet de loi
amendant le Code de la Famille. À supposer qu'il soit adopté
rapidement, le Code de la Famille "rénové" maintiendra
la subordination des femmes sur au moins quatre questions essentielles : la
répudiation, la tutelle des enfants, la présence d'un tuteur lors
du mariage (même si c'est un juge) et la polygamie qui reste possible
même si elle est juridiquement contrôlée.
Les autorités algériennes invoquent
l'état des mentalités pour refuser de considérer une
abrogation pure et simple du Code et n'envisagent pas, d'évidence, une
levée à moyen terme des réserves émises lors de la
signature de la Convention. Cette levée ainsi que la publication du
texte de la Convention dans le journal officiel permettraient aux femmes
algériennes qui le souhaitent d'invoquer ce texte devant les
juridictions nationales. Les autorités algériennes
manifesteraient ainsi leur volonté d'adopter des mesures
appropriées pour :
"Modifier les schémas et modèles de
comportement socioculturel (...) en vue de parvenir à
l'élimination des préjugés et des pratiques
coutumières (...) qui sont fondés sur l'idée de
l'infériorité ou la supériorité de l'un ou l'autre
sexe (...)".
Les spécificités ne peuvent pas non plus
dégager l'État de ses responsabilités : contenu de
l'éducation et des valeurs qu'elle véhicule. Les corps
organisés comme la justice, l'administration, la police, la santé
sont autant d'acteurs qui participent activement à déterminer le
climat de violence ou de non-violence à l'égard des femmes.
IV- LA
CITOYENNETÉ DES FEMMES ET L'ÉGALITÉ
DES DROITS
En Algérie, l'évolution de la question
féminine puise ses origines dans la dialectique qui s'établit
entre le positivisme juridique et l'action collective d'une composante sociale
qui, à force d'avoir participé aux mouvements nationaux
d'indépendance au même pied d'égalité avec les
hommes..., se découvre l'ambition de promouvoir sa condition de vie en
conformité avec les principes élémentaires de
liberté, de citoyenneté et des droits de l'homme 66(*).
Le positivisme juridique qui
caractérise les pays du Maghreb n'est pas toujours l'émanation
d'une réalité sociale conflictuelle porteuse de changements
structurels, il est souvent le fait d'impératifs économiques ou
politiques recourant aux formes modernes de la rationalité.
Aujourd'hui, au nom de ce positivisme juridique et par
volontarisme politique, la femme se trouve enfermée dans des
schémas imposant la négation permanente du caractère
multidimensionnel de sa condition et de son statut. La problématique
définie vers les années soixante-dix à partir de
l'approche des besoins essentiels (ou besoin humain fondamental) et du nouvel
ordre économique international (N.O.E.I.) 67(*) illustre bien cette vision
partielle qui dénote, en fait, une incapacité des États
à percevoir la femme comme un vecteur primordial de développement
et de progrès social.
Cette approche sera, d'ailleurs, mise en cause quant à
l'utilité de ses principes pour les femmes du fait :
"Qu'ils se cantonnent aux aspects légaux,
politiques et institutionnels des inégalités sans faire mention
des changements d'attitudes qui restent nécessaires" 68(*).
Le concept de "l'intégration des femmes au
développement", dont l'émergence coïncide avec la
proclamation par les Nations Unies de la décennie de la femme lors de la
Conférence mondiale de Mexico (1975), permettait d'espérer encore
une fois la fin des inégalités avec l'entrée en force des
femmes dans l'économie de marché.
En Algérie, comme partout dans le monde, la question de
la nature même du développement n'était posée que
dans un cadre restrictif de la croissance économique. Toute vision
féministe du développement était considérée
comme marginale et irréaliste. La situation des femmes au plan
économique allait en empirant, d'autant que le travail n'était
pas toujours reconnu dans les statistiques et dans les comptabilités
nationales.
La santé, l'éducation et l'emploi des femmes ont
certes été considérés par les planificateurs et les
décideurs algériens comme des objectifs et des investissements
à long terme et d'intérêt national. Ceci explique les
progrès remarquables. Néanmoins, le déficit social qui
s'est accumulé au détriment des femmes dans les domaines
économiques et politiques n'est plus à démontrer.
Vingt ans après la proclamation de la décennie
mondiale de la femme, le triptyque
"Égalité, Développement et Paix", qui a fait
office de slogan lors de la Conférence Internationale des Femmes de 1995
à Beijing (Chine), prouve que le débat reste d'actualité
et dénote d'une évolution lente de la condition féminine
mondiale. Mais, s'il est évident que "l'égalité des
chances entre hommes et femmes ne se rencontre dans aucune
société actuelle" comme l'affirme le P.N.U.D. 69(*), il est encore plus difficile
d'affirmer que les droits des femmes algériennes seraient des acquis
irréversibles.
En effet, une adhésion Internationale autour des
valeurs avancées depuis les Conférences de Vienne, de Copenhague
et du Caire semble être acquise : la Conférence de Vienne a fait
triompher le principe de l'universalité des droits de l'homme et celle
du Caire a valorisé celui de la spécificité des cultures.
Après Beijing, c'est la dialectique de ces deux termes qu'il faut faire
jouer 70(*).
Est-il opportun d'aborder le débat sur les droits de
citoyenneté des femmes en Algérie selon cette approche ? En tout
état de cause, la spécificité des femmes
algériennes ne peut être appréhendée sous le seul
angle culturel. La condition des femmes ainsi que leur participation aux
processus de développement seront appréhendées à
partir des éléments d'information et d'analyse fournis par le
rapport mondial sur le développement humain de l'année 1995 et
à partir de la documentation existante sur les pays concernés.
A- DU CONTEXTE D'EXCLUSION ET
D'ÉGALITÉ DES DROITS
"L'exclusion" est un des thèmes qui est au
centre des débats internationaux. En effet, la société
moderne est globalisante et tout ce qui n'entre pas dans le système est
considéré comme marginal et, par conséquent,
rejeté vers les périphéries.
Qu'il prenne la forme de ségrégation, de
discrimination, de non-intégration ou de crise identitaire (comme en
Kabylie), le problème de l'exclusion est plus ou moins présent
à tous les niveaux des hiérarchies sociétaires et
sociales. C'est à juste titre qu'Alain Touraine affirme :
" (...) Le problème d'aujourd'hui n'est pas
l'exploitation mais l'exclusion, par conséquent, le problème
concret est de créer les instruments et les formes d'action politique
qui permettent une intégration sociale..." 71(*).
Au risque de verser dans la masse des communautés
mondiales périphériques, l'Algérie se développe et
se modernise de plus en plus. Mais la modernité dans cette région
ne s'opère pas toujours dans une intégration symbiotique des
principes et des pratiques puisant sa double source à la fois dans sa
culture humaine universelle et dans sa sub-culture locale.
En ce début du XXI ème siècle,
l'Algérie vit "le passage des sociétés verticales
à des sociétés horizontales" 72(*). Mais, à la
différence des sociétés post-modernes, la
société algérienne est jeune et n'a pas encore
l'expérience d'une transition achevée entre l'État de
droit et la démocratie : la société civile est
embryonnaire, le multipartisme effectif est récent ou factice, la
culture participative et le respect de la différence se
réduiraient à des discours élitistes ou officiels.
Vers les années soixante-dix, la prise de conscience de
cette situation ne pouvait s'opérer, en premier, qu'au sein des
élites intellectuelles, comme ce fut le cas au début du
siècle et à une certaine période de l'occupation coloniale
des pays maghrébins. Encore une fois, l'auto-conscience s'est
effectuée à cette époque en comparaison avec ce qui
constitue un modèle de progrès et de modernité, à
savoir l'Occident. Mais, à la différence du passé, les
femmes sont plus nombreuses à revendiquer des droits et cette fois-ci,
leurs aspirations ne sont plus portées seulement par des hommes
réformateurs 73(*).
Depuis, à potentialités égales avec les
hommes, les femmes aspirent peu à peu à des opportunités
en rapport, au moins, avec leurs expectations et l'approche de la question
s'est peu à peu modifiée :
"L'approche purement juridique comme, d'ailleurs,
l'approche strictement culturaliste ou développementaliste classique
seraient trop réductionnistes" 74(*).
Le problème de la discrimination envers les femmes est
complexe et il serait erroné de chercher une solution partielle au seul
aspect législatif du phénomène.
La dialectique entre ces deux pôles caractérise,
sous des formes nuancées et diverses, les législations
maghrébines en matière d'égalité des droits. La
conviction que le développement durable des sociétés ne
peut se réaliser que sous la condition principale de la promotion de la
condition féminine impose donc de considérer
l'égalité des droits comme absolue.
Ce principe est fondé aussi bien sur les droits des
femmes dans la cité que sur leurs droits en tant que personnes humaines.
C'est donc par référence aux normes internationales
consacrées en la matière qu'il s'agit de voir dans quelle mesure
les cadres législatifs de l'Algérie ont intégré des
droits. Quelques éléments essentiels permettent de tirer
l'énoncé, loin d'être exhaustif, de la signification de la
notion d'égalité des droits telle que reconnue et admise par le
cadre législatif de l'Algérie. Ces éléments sont
reconstitués à partir :
q De l'engagement de l'État vis-à-vis des
ratifications des principaux instruments Onusiens relatifs aux droits de
l'Homme et à la non-discrimination ;
q Des droits constitutionnels ;
q Des cadres législatifs algériens relatifs aux
statuts de la famille.
B- RATIFICATION DES PRINCIPAUX INSTRUMENTS
INTERNATIONAUX RELATIFS À L'ÉGALITÉ DES
DROITS
Si la quasi-totalité des États maghrébins
adhèrent, ratifient et incluent dans leurs législations beaucoup
de Traités, Chartes et Déclarations relatifs aux droits de
l'Homme en général, ils formulent toutes les réserves
à l'encontre des normes internationales consacrées au droit de la
femme. Parfois, ils les rejettent purement et simplement et cela est
significatif de l'ambivalence juridique des cadres législatifs
maghrébins. Cette ambivalence s'exprime à travers des engagements
contradictoires ou plus ou moins nuancés vis-à-vis des
instruments internationaux proclamant l'égalité des droits entre
les sexes. Et parmi les principaux instruments universels relatifs aux droits
de l'Homme, généralement admis, on cite :
q La Déclaration Universelle sur les Droits de l'Homme
(1948) ;
q Le Pacte International relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (1966) ;
q La Déclaration relative à l'article 41 du
Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entrée en
vigueur en 1979 ;
q La Déclaration sur l'élimination de la
discrimination à l'égard des femmes adoptée en 1967.
D'autres instruments juridiques ont été
adoptés à l'occasion de la décennie de la femme.
Malgré leur caractère juridique non obligatoire, les instruments
afférents à la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme ont été déterminants dans l'adhésion des
États maghrébins aux normes des Nations Unies sur les droits des
femmes. D'ailleurs, la convention Internationale de Copenhague de 1979 relative
à l'élimination de toutes formes de discrimination à
l'égard des femmes est un repère intéressant pour
apprécier la place du principe d'égalité des droits dans
les cadres législatifs maghrébins.
L'Algérie fait partie des quarante et un pays membres
de l'O.N.U. qui n'ont ni signé ni accédé à la
Convention de Copenhague. Il est significatif que la Tunisie, unique pays
arabo-musulman à avoir promulgué un code de statut personnel
relativement égalitaire (en 1956) par rapport aux autres codes
maghrébins, soit classée en tête des pays maghrébins
ayant ratifié (avec réserves).
L'absence de l'Algérie sur la liste des pays ayant
ratifié la convention sur l'élimination de toutes formes de
discrimination à l'égard des femmes est tout aussi
révélatrice des entraves juridiques dont sont victimes les
Algériennes. La dite convention aurait été soumise au
débat lors d'une séance à l'Assemblée Nationale
après les élections présidentielles en vue d'une
ratification assortie de réserves. Encore une fois, la reconnaissance de
l'égalité de jure en Algérie est au centre des luttes que
mènent les femmes et pour lesquelles elles ont payé un lourd
tribu dans leur combat séculaire pour la liberté et la
démocratie.
Les amendements des dispositifs antérieurs du code
électoral (suppression du vote par procuration) ont enfin permis aux
Algériennes de récupérer un droit confisqué et de
l'exercer pleinement. En effet, les dernières élections
présidentielles de novembre 1995 ont été marquées
par une participation massive des femmes qui ont exprimé, à cette
occasion, leur refus de tout système politique totalitaire.
Seul point positifn à titre d'exemple, la convention de
l'UNESCO de 1960 contre la discrimination dans l'enseignement a
bénéficié de l'adhésion de la signature des quatre
États maghrébins considérés. Ils ont aussi
adhéré à la convention des Nations Unies sur la
suppression de la traite des être humains et de l'exploitation de la
prostitution d'autrui de 1949.
Concernant les conventions adoptées par les Nations
Unies sur la nationalité de la femme mariée (1957), sur le
consentement au mariage et sur l'enregistrement des mariages (1962), les
informations disponibles révèlent que ces normes font
généralement l'objet de résistance de la part des pays
maghrébins soit sous forme de réserve soit sous forme de rejet.
Seule la convention de 1962 sur le consentement au mariage, sur l'âge du
mariage et l'enregistrement des mariages aurait été
ratifiée par la Tunisie. Ceci pourrait s'expliquer par l'existence d'un
code de statut personnel moins infériorisant que celui de
l'Algérie ou des pays voisins (Maroc, Mauritanie).
Parmi les principales conventions de l'O.I.T.75(*) relatives aux droits des
femmes travailleuses et ratifiées par les autres pays maghrébins,
je citerai : :
q Les conventions relatives au travail de nuit des femmes,
notamment les conventions n° 04 de 1919, n° 41
(révisée) de 1934 et n° 89 (révisée) de 1948
;
q La convention n° 11 sur le droit d'association
(agriculture) de 1921 ;
q La convention n° 19 sur l'égalité de
traitement (accidents du travail) de 1925 ;
q La convention n° 29 sur le travail forcé de
1930 ;
q La convention n° 111 concernant la discrimination
(emplois et professions) de 1958 ;
q La convention n° 122 sur la politique de 1964 ;
q La convention n° 103 sur la protection de la
maternité (révisée) de 1956 ;
q La convention n° 156 sur les travailleuses ayant des
responsabilités familiales de 1981 entrée en vigueur en 1983.
D'autres conventions de l'O.I.T. protégeant les femmes
travailleuses, notamment les mineures, et certaines autres permettant la
liberté d'association et le droit syndical et par extension aux femmes
ont été ratifiées par l'Algérie :
q La convention de l'O.I.T. portant sur la protection de la
maternité n° 3 de 1919 ;
q La convention n° 138 sur l'âge minimum de 1973.
La ratification de l'Algérie à cette convention est signifiante
par son adhésion à l'ensemble des normes limitant l'âge
minimum du travail indifféremment des secteurs d'activités
professionnelles ;
q La convention n° 06 sur le travail de nuit des enfants
(industrie) de 1919, ratifiée par l'Algérie en 1962, la Tunisie
en 1959 ;
q La convention n° 87 sur la liberté syndicale et
la protection du droit syndical de 1948, ratifiée par l'Algérie
en 1962 ;
q La convention de l'O.I.T. n° 100 relative à
l'égalité des rémunérations de 1951 ;
q La convention n° 105 sur l'abolition du travail
forcé de 1957, ratifiée en 1969 ;
q La convention n° 142 sur la mise en valeur des
ressources humaines 1975 n'a pas bénéficié des
ratifications de l'Algérie en 1984 ni de la Tunisie en 1989. Ceci
traduit les efforts déployés par ces deux pays en politique de
formation et de l'emploi.
L'examen de l'État de ratification des conventions de
l'O.I.T. par l'Algérie autorise à tirer un bref
énoncé :
q Au lendemain de l'indépendance, l'État
algérien manifeste plus de volontarisme juridique en faveur des droits
des femmes travailleuses qu'à l'heure actuelle. La crise
économique internationale et ses répercussions sur la condition
de travail et sur les marchés de l'emploi, en général,
relèguent au second plan les questions spécifiques aux
travailleuses. Le nombre de conventions de l'O.I.T. en la matière
ratifiées au-delà des années quatre-vingt en
témoigne ;
q L'Algérie adhère plus facilement aux normes
protégeant les femmes travailleuses et notamment celles abolissant le
travail des filles mineures.
Les instruments découlant des instances
régionales comme la Ligue Arabe, l'ALESCO, l'Organisation de la
Conférence Islamique... dont les teneurs sont parfois basées sur
des fondements immuables dits de la Charia s'interposent aux principes
d'égalité des droits de non-discrimination entre les sexes. En
fait, s'agissant de la femme, la réalité immuable des
débats théologiques engendre des situations juridiques
ambivalentes, contradictoires et souvent intolérantes.
C- L'OPPRESSION DES FEMMES
ALGÉRIENNES
Les femmes algériennes dénoncent l'oppression
lors de diverses rencontres organisées par les associations et lors de
mes entretiens. Elles s'expriment dans différents domaines tant sur le
plan socio-économique, politique qu'idéologique, du travail, de
l'école, des instances politiques et des mass médias.... Elles
dénoncent également l'infamie du Code de la Famille qui
institutionnalise la minorité à vie des femmes. Elles
dénoncent ainsi les points suivants.
1- DANS LE DOMAINE POLITIQUE
q L'insuffisance voire l'absence de
représentativité dans les institutions politiques ;
q L'Assemblée Populaire Communale ( mairies) ;
2- AU PLAN JURIDIQUE
Le fait que, bien qu'elles soient majeures pénalement
et vont en prison au même titre que les hommes pour tout délit, le
Code de la Famille les confine, par ailleurs, dans un statut de mineure
à vie. La minorité de la femme est consacrée par le Code
de la Famille.
3- DANS LE DOMAINE DE L'ENSEIGNEMENT
q L'utilisation de l'école comme outil
idéologique déformant et dévalorisant l'image de la femme
(l'exemple des manuels scolaires reproduisant systématiquement les
rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes) ;
q La discrimination liée au sexe dans la
scolarité (moyenne de passage plus élevée pour les
filles), dans la pratique sportive rendue facultative pour les filles et
à travers les campagnes contre la mixité ;
q La ségrégation dans l'orientation scolaire et
professionnelle ;
q Le refus de scolarisation des petites filles dans les
campagnes.
4- DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL
q Les campagnes de propagande visant à faire croire
qu'elles volent l'emploi aux hommes et sont la cause du chômage ;
q Les licenciements et mutations abusifs, les
carrières gelées (pas de promotion), la remise en cause de leur
compétence par des grèves orchestrées dans
différents secteurs (enseignement, santé...) visant à les
exclure du monde du travail ;
q L'utilisation du principe de la retraite anticipée
systématisée comme moyen d'exclusion des femmes du travail ;
q Le travail au noir des femmes et des enfants ;
q L'absence d'infrastructures de prise en charge des enfants
(crèches, garderies...) entravant leur liberté d'exercice du
droit au travail.
D- ÉGALITÉ DES DROITS À
TRAVERS LES CONSTITUTIONS
On a vu la question de la femme face au code de la famille et
ce paragraphe démontre l'opposition face à la Constitution. La
Charte des Nations Unies, les instruments internationaux des Droits de l'Homme
ainsi que toutes les normes universelles y afférant, provenant des
institutions et organisations spécialisées et
intergouvernementales de l'O.N.U. posent le principe de la condamnation de
toutes les formes de discrimination 76(*) et engagent les États à inscrire dans
leur constitution nationale ou dans d'autres dispositions législatives
l'application effective du dit principe 77(*).
La norme internationale relative aux droits des femmes
consacre trois principes importants "la liberté,
l'égalité et la non-discrimination". Ce sera donc par
référence à ces normes que sera cernée la teneur
du principe d'égalité entre hommes et femmes dans les
constitutions.
1- LA CONSTITUTION
ALGÉRIENNE
La Constitution garantit à tous les citoyens sans
distinctions :
q Le droit à l'éducation et au travail ;
q La liberté de circuler dans tout le pays (pour les
femmes sans être accompagnées d'un tuteur...) ;
q La liberté d'association (depuis le 5 octobre 1989)
et la liberté d'adhésion à toute organisation syndicale
(autre que l'U.G.T.A. émanant du Parti unique : le F.L.N.) ;
q La liberté d'opinion, de réunion et
d'expression sous toutes ses formes (depuis seulement 1989, avec la
recrudescence du terrorisme, les actions sont limitées...) ;
L'élément fondamental qui singularise la
Constitution algérienne et qui permet de comprendre et
d'interpréter la notion d'égalité des droits et le concept
de citoyenneté des femmes tels qu'admis par les législateurs est
la proclamation de l'Islam comme religion d'État.
Ce dénominateur commun aux Etats maghrébins,
à savoir l'inexistence de la séparation entre le pouvoir
politique et la religion, fait que les questions d'égalité des
droits soient encore des sujets de débats conflictuels entre
l'universalité et la spécificité des "droits au
féminin".
Par contre la Convention sur l'élimination de toutes
formes de discrimination n'a pas été, à ce jour,
publiée dans le journal officiel algérien. De ce fait, en
dépit de la décision du Conseil Constitutionnel du 20 août
1989 qui pose le principe de primauté des conventions internationales
sur le droit interne, le texte de la Convention n'est toujours pas opposable
devant les juridictions nationales. La non-publication de la convention CEDAW
révèle les réticences des autorités à en
voir appliquer les dispositions les plus favorables aux droits des femmes et
permet, en pratique, à certains juges de s'abriter derrière ce
fait pour ne pas s'y référer.
Par ailleurs, il est choquant de constater que le rapport
algérien n'aborde pas la question de la violence à l'encontre des
femmes. Les Recommandations générales 12 et 19 du Comité
sur l'élimination de la discrimination à l'égard des
femmes encouragent pourtant les États à inclure ce sujet dans
leurs rapports.
Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur les
causes profondes du conflit en cours en Algérie et sur son
évolution, il est absolument indéniable que les femmes ont
été, de manière de plus en plus systématique,
victimes de la violence politique que connaît le pays. Cette violence
s'ajoute à d'autres formes de violences domestiques et sociales que les
autorités ne peuvent méconnaître, ce qui engage leur
responsabilité à plusieurs niveaux.
En conclusion on peut noter à l'exception de certaines
dispositions impératives, le code de 1984, à l'instar de toute
loi, ne s'applique effectivement que lorsque surgissent les conflits qui
peuvent diviser les familles. Mais, c'est alors qu'apparaît l'injustice
de ses dispositions si l'on n'a pas pris soin de s'en prémunir en temps
utile par contrat subterfuge juridique. Le plus grand reproche que l'on puisse
faire au Code de la Famille est d'avoir organisé et figé des
statuts et des rôles selon un modèle qui ne correspond pas au
pluralisme de la société algérienne. Le mouvement
féminin "laïciste" préconise et lutte pour la
promulgation d'un "code civil totalement indépendant de
toute option confessionnelle" 78(*).
Des groupes de travail inter-associatif et des collectifs se
sont constitués en quête d'un consensus pour adapter le code
à la réalité plurielle avec 22 propositions et certaines
associations féminines proches des islamistes se sont opposées au
changement car "la Charia est intouchable". Actuellement, des
amendements sont discutés à l'Assemblée mais sans
résultats.
Est-ce que, dans le futur, le statut de la femme
changera ? Dissociera-t-on la religion de la législation ?
CHAPITRE II
ESPACE PRIVÉ / ESPACE PUBLIC
"La répartition des femmes et des hommes entre un
espace domestique et un espace public, avec des rôles spécifiques
et des prérogatives prédéfinies, est probablement un des
clivages les plus anciennement constitués et un des tous premiers
facteurs de l'oppression féminine traditionnelle" 79(*).
Cette dichotomie a été observée aussi
bien par les anthropologues étudiant des sociétés
traditionnelles que par les historiens de l'Antiquité.
Dans la société algérienne contemporaine,
on retrouve cette division traditionnelle entre les hommes et les femmes.
Malgré les changements importants qui sont intervenus depuis plus d'une
décennie, qui rendent formellement possible l'accès des femmes
à la sphère politique et à la plupart des lieux où
s'élabore et se décide tout ce qui concerne la
collectivité, elles restent massivement sous-représentées
dans la vie associative, syndicale, politique et, de manière
générale, dans tous les lieux de pouvoir. On ne peut, en effet,
que constater la perpétuation de l'hégémonie masculine sur
la vie publique.
La position de la femme reste moindre que celle des
hommes : comme si la femme ne pouvait avoir d'existence que par l'homme
dans le cercle étroit où, par conjoncture universelle, les hommes
l'ont enfermée.
Pourquoi faut-il parler du combat féministe et de
l'émancipation de la femme, sinon pour dénoncer un ghetto
moral ?
La société algérienne se
caractérise par une ségrégation sexuelle de l'espace.
L'espace privé est considéré comme féminin et
séparé de l'espace public classé comme masculin, bien que
la dichotomie espace privé / espace public ait été remise
en question par de nombreux anthropologues féministes en arguant qu'elle
ne tient pas compte de la dynamique de l'interaction sociale.
La dichotomie privé / public a trait aux relations
entre individus et non pas seulement au partage géographique de l'espace
entre les hommes et les femmes en relation avec la division du travail. Les
espaces sont donc classés comme privés ou publics en fonction des
personnes présentes et des activités qui s'y déploient.
L'espace intérieur est plus souvent privé et associé aux
activités féminines et aux relations intimes. L'espace
extérieur est majoritairement public et réservé aux
activités politique, économique, juridique et religieuse dans
lesquelles les hommes jouent un rôle prépondérant. Mais,
dans la dynamique de la pratique sociale, on assiste quotidiennement à
des interprétations.
La place normative d'une femme algérienne est au foyer
domestique. Si elle veut se rendre dehors, elle est censée se
"voiler", c'est-à-dire se soustraire aux regards des hommes, se
rendre invisible. Cette règle est inhérente à la
classification de l'espace et à la conception sous-jacente de la
sexualité active et séduirait inéluctablement les hommes.
Donner libre cours aux femmes aboutit à un désordre social
(fitna) craint par les hommes et désapprouvé par
l'Islam. Pour prévenir les femmes de détourner les hommes de
leurs devoirs conjugaux et religieux, les hommes ont créé des
institutions culturelles qui légitiment la domination masculine.
I- SPHERE PRIVÉE / SPHERE PUBLIQUE
Pour tout Algérien, la famille représente la
référence suprême, le pôle de ses horizons
intérieurs, le lieu d'ancrage de ses racines. C'est dire de quelle
essentielle valeur elle est investie. Dans le triangle (dans toute culture) que
compose l'ensemble : la société, la famille et l'individu, la
famille est, en Algérie, au centre du triangle, elle englobe le Tout,
renvoie au Tout, reflète le Tout.
C'est en cela que mon approche sur la femme algérienne
se doit d'être initiée par la famille parce qu'en Algérie,
davantage qu'ailleurs, la famille est au centre de toutes intimités.
Elle en est le lieu même et le sens profond, en est transmis par la
femme. Un proverbe kabyle dit : "La femme est le pilier central de la
maison, l'homme en est la poutre maîtresse". Ou encore :
"L'homme est la lampe du dehors, la femme, la lampe du dedans". C'est
la femme qui donne vie et prospérité à la maison, qui la
"remplit" comme disent les ruraux. C'est la femme qui en est
l'âme et le coeur. La maison et la femme sont liées entre elles
par un rapport étroit d'analogie symbolique. L'une ne peut se comprendre
hors de l'autre. Elles s'expliquent mutuellement.
Aujourd'hui encore dans l'Algérie actuelle, serait-il
illusoire et faux de penser appréhender de l'intérieur les
problèmes complexes qu'affrontent quotidiennement les femmes
algériennes si l'on n'a pas, au préalable, tenté de saisir
le sens profond dont est chargée la famille ? Dans l'Algérie
d'hier, la famille, c'est la grande famille patriarcale. Groupant dans la
même demeure trois ou quatre générations d'individus, elle
est "l'alpha et l'oméga de tout le système : groupe
primaire, modèle structural de tout groupement possible" 1(*).
La division de l'espace social en sphère domestique,
royaume des femmes, et sphère commune, empire des hommes, est un
résultat de la dynamique qui limite les rapports sexuels au cadre
familial et à des fins de procréation. Une femme s'aventurant
dans le domaine des hommes transgresse la morale et provoque ces derniers
suscitant en eux l'idée de plaisir sexuel.
La rue est masculine en Algérie parce que la
société est structurée par l'ordre familial
réservant l'espace de la rue aux hommes. Les femmes
tolérées dans ce dernier sont des femmes âgées,
faisant des courses, se rendant à leur travail ou en revenant. La jeune
femme, dans la rue, est "excusée" si elle est
accompagnée de l'un de ses parents, de ses enfants ou d'une autre
personne plus âgée qu'elle ou si elle sort pour étudier.
Autrement dit, une jeune femme seule en ville est suspecte, elle est sortie de
son espace "nature", la sphère familiale. Si elle a pu sortir
sans raison valable, c'est que sa famille n'a pas suffisamment
d'autorité sur elle et donc que c'est une famille à l'honneur
douteux ou bien une famille où il n'y a ni père, ni
frères... Le regard porté sur elle la réduit à un
sexe. Elle n'est donc pas considérée comme un individu social
mais comme un corps, un élément incontrôlé de la
civilisation (familiale) qui s'est échappé de la nature. C'est
donc une femme "émancipée" que l'on peut solliciter sans
souiller l'honneur de quelqu'un.
L'organisation de la société, en termes de
ségrégation, de frontières, d'interdits, etc., repose sur
les normes de régulation et des valeurs fondatrices de l'ordre moral. La
modernisation qu'a introduit l'échange marchand et l'urbanisation
contreviennent à l'organisation spatiale où déploie cet
ordre moral, désormais transgressé par deux
éléments perturbateurs : l'anonymat et la femme.
Agressée par la rue, la famille ou par les
institutions, la femme ne peut se plaindre car sa plainte n'est pas recevable
dans un milieu qui la considère comme fautive en premier. La
moralité de la rue a incité certaines femmes à porter le
hidjâb (tenue islamique). Le projet de l'Islam politique est de
gérer la collectivité nationale non pas comme une
société moderne à travers l'espace public à
formaliser mais plutôt comme une communauté familiale
structurée autour des devoirs de l'individu envers le groupe.
A- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ
(autrefois)
Dans la pensée traditionnelle algérienne, la
maison constitue le monde de l'intérieur, du secret, de
l'intimité, de la pénombre auquel elle se rattache symboliquement
en s'opposant au monde de l'extérieur, du public, du social, de la
lumière. À travers les murs aveugles de la maison, rien ne
transpire vers l'extérieur de son intimité intérieure et
profonde. Entre l'extérieur et son intimité, la maison
aménage un espace-tampon où sont reçus des visiteurs qui
ne doivent pas pénétrer plus avant, où s'attardent les
autres, pendant que les femmes font disparaître tout ce qui ne doit pas
être saisi par un regard étranger.
La pudeur de ce qui se passe à l'intérieur (de
la maison comme de l'individu) constitue une valeur fondamentale de
l'éthique algérienne. Il ne s'agit pas là de pudibonderie
mais de la pudeur de ces choses profondes (que beaucoup qualifie souvent
"d'incommunicables") qui doivent demeurer au chaud de l'être,
à l'ombre de la maison sous peine de perte de sens, d'érosion de
matière. Une forme de pudeur qui consiste aussi en une esthétique
du regard. Dans la pensée traditionnelle algérienne, le regard
n'est pas neutre. Il est porteur d'influences, chargé de pouvoir,
parfois de malédiction, le "mauvais oeil" n'étant que
l'exemple limite de cette symbolique du regard. Ne dit-on pas, partout
ailleurs, qu'un regard peut-être "charmeur",
"envoûtant", "pénétrant" ? Le regard
posé sur les choses de l'intérieur est transgression. En
surprenant, d'une certaine manière, il prend, il s'approprie.
Il serait erroné de penser que la maison est
fermée à l'extérieur et au regard, se repliant sur
elle-même, dans la seule intention de cacher ses femmes. Il est
établi que la femme et la maison sont toutes deux
"Symboliquement rattachées au monde du dedans, de
l'intérieur et de l'ombre et se situent l'une par rapport à
l'autre dans une relation d'analogie" 80(*).
Alors que, de façon opposée et
complémentaire, l'homme se situe dans une relation d'analogie symbolique
avec l'extérieur, la lumière, le public et le social. Au terme de
cette conception du monde, la maison constitue le domaine
privilégié de la femme tandis que la rue, la place publique, le
marché, l'extérieur, le social constituent le domaine
privilégié de l'homme qui n'est autorisé qu'à de
brèves apparitions à l'intérieur de sa propre
maison : pour y prendre ses repas et dormir. Ceci ne signifie pas pour
autant que la maison soit la prison de la femme.
En milieu paysan, multiples et divers sont les lieux (aux
champs, dans les bois, à la source ou fontaine, aux pâturages...)
où elle passe le plus clair de son temps. La maison n'a pas pour
fonction d'enfermer la femme. À la campagne, les femmes ne se
déplacent jamais voilées. Chacun y connaît tout le monde.
Tous les habitants d'un même village sont unis par une trame très
dense de relations parentales tissées tout au long des siècles.
Ils observent, en outre, les règles codifiant la hiérarchie des
espaces publics et privés qui évitent aux femmes des rencontres
très malvenues.
À l'opposé, la ville n'offre pas les
mêmes garanties car l'espace citadin constitue un espace essentiellement
public. J'entends par-là qu'il est fréquenté par les
hommes qui ne sont d'aucune manière apparentés aux femmes qu'ils
pourraient rencontrer. Pire, il est sillonné par les gens venus
d'ailleurs, des étrangers qu'on ne peut nommer et qui constituent
l'extérieur de l'extérieur.
Ainsi, la maison comme la femme se trouvent
protégées par un double et symétrique rempart de pudeur.
La pudeur des gens de l'intérieur qui n'ont pas à
extérioriser ce qui doit demeurer caché et celle des gens de
l'extérieur qui n'ont pas à surprendre l'intimité
domestique. Ce double rempart confirme le caractère sacré et
inviolable de la demeure, son "horma" (honneur et respect liés
à la maison et aux femmes). L'espace est, en effet, conçu comme
essentiellement sacré à différents niveaux de la
réalité.
La maison est singulièrement "habitée"
par les esprits invisibles qui peuplent l'univers. Ils deviennent, ici, ses
esprits tutélaires, ses gardiens invisibles qui la protègent en
l'assurant de leur bienveillance. Surtout, ils traduisent la sacralité
essentielle de la maison. En retour, les habitants (les femmes surtout) doivent
les reconnaître et les honorer de simples et multiples gestes quotidiens
qui réaffirment, avec les rites.
La violation de la "horma" (caractère
diversement sacré) de la maison constitue l'un des actes les plus graves
qui puisse être commis. Elle peut être le fait de gens de
l'intérieur (c'est-à-dire les femmes) mais surtout de gens de
l'extérieur (c'est-à-dire les hommes extérieurs à
la grande maison, même s'ils lui sont apparentés). C'est aux
hommes de la maison qu'il appartient de veiller au respect de leur
horma et d'en assurer la défense. Il en va de l'honneur.
La conduite impudique des femmes, c'est-à-dire non
conforme à l'éthique traditionnelle de pudeur et de
réserve, constitue déjà une atteinte à la
"horma" en ce sens qu'elle expose à l'extérieur ce qui
doit demeurer à l'intérieur. L'adultère, le viol et les
relations sexuelles prénuptiales en sont la violation suprême car
ce sont des transgressions de la sexualité conjugale qui constitue ce
qu'il y a de plus intime, de plus réservé et de plus
caché, de plus socialement dense aussi, liée directement à
l'obsédante pérennité du lignage. Quel qu'en soit le
motif, un homme qui s'introduit dans une demeure sans y être
expressément invité, en la présence ou en l'absence des
femmes, commet une profanation à la "horma" presque aussi grave
que celle de l'adultère.
Dans tous ces cas de violation, l'atteinte ne peut être
lavée que dans le sang. C'est seulement à ce prix que sera
rétabli le cercle sacré et intangible qui protège la
maison et les femmes. L'homme extérieur est d'abord
considéré comme le sujet responsable du crime et devra le payer
de sa vie. Les femmes fautives d'adultère ne sont, elles, que l'objet de
cette violation au même titre que la demeure dans laquelle
pénètre l'intrus car seul l'extérieur peut agir sur
l'intérieur et lui porter atteinte. L'homme devra donc payer le terrible
affront de son sang (code coutumier).
Quant à la femme fautive, le droit coutumier est,
à son égard, moins précis et surtout moins
homogène, variant selon les régions. Souvent l'adultère
est assimilée au viol même s'il y a eu consentement de la femme,
ce qui atténue le déshonneur de la famille victime. Le mari reste
alors libre de son attitude. Pour le moins, il répudie la femme. Il peut
aller jusqu'à la tuer mais ce n'est pas systématique. Tandis que
l'homme, considéré comme le réel auteur du crime, aura,
dans tous les cas, à subir la vengeance des hommes de la maison
s'exerçant avec l'assentiment, voire sous la pression, du village tout
entier et légalisé par le droit coutumier.
B- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ
(aujourd'hui)
Considérables sont les mutations subies par la
société algérienne dans son ensemble et par la famille en
particulier : bouleversements de l'époque coloniale sapant les
bases de l'organisation traditionnelle et déchirant l'identité,
puis mutations induites par le nécessaire développement du pays.
Tous ces changements n'ont pas atteint les différentes régions
d'Algérie uniformément le pays.
Certaines régions de montagnes ou de steppes arides
(telles les Aurès, l'Ouarsenis, la Petite Kabylie et quelques villages
de la Grande Kabylie...) commencent seulement à sortir de leur isolement
ressenti comme une douloureuse marginalisation. Aussi, jusqu'à ces
dernières années, les populations de certains villages ou bourgs
éloignés continuèrent-elles à vivre selon les
formes traditionnelles d'organisation et de relations sociales. Tandis que dans
les grandes métropoles urbaines comme Alger, Constantine, Annaba, Oran,
Tizi-Ouzou, où les mutations sont anciennes et profondes, parler de
processus de changement apparaît totalement anachronique car c'est une
situation d'ores et déjà fondamentalement modifiée, sinon
bouleversée, que vit quotidiennement l'Algérien des grandes
villes.
Les milieux sociaux qui ont subi les plus profondes mutations
sont ceux des cadres supérieurs et moyens : hauts fonctionnaires,
responsables d'organismes d'État, membres des professions
libérales, cadres administratifs et techniques, universitaires,
enseignants. Il est bien évident qu'il s'agit d'un milieu
économiquement favorisé. On comprend que le paramètre
économique soit essentiel dans l'accès au processus de
changement. Il n'est toutefois pas exclusivement déterminant.
L'ancienne aristocratie algérienne, appelée
communément les "grandes familles citadines" (à ne pas
confondre avec l'ensemble des citadins de souche) et qui constitue la classe
économiquement privilégiée, demeure très
attachée au système familial traditionnel. Du moins reste-t-elle
très largement fidèle aux anciennes stratégies
matrimoniales et, à un moindre degré, au principe patriarcal
regroupant toutes les familles des fils dans la grande maison du père.
En dépit du fait que, de par sa "citadineté" et de par
sa position sociale et économique, cette aristocratie a
été plutôt influencée par les modèles
étrangers plus enclins aux changements, tout porte à penser que
la pérennité est, ici, le résultat d'une volonté de
défense de privilèges communs, volonté d'autant plus
aiguë que la politique algérienne cherche à la combattre.
Dans les montagnes (comme en Grande Kabylie) et les hauts
plateaux, les changements ont pénétré les maisons par
l'intermédiaire des gros bourgs environnants où se rendaient les
jeunes à l'affût de nouveautés. Fiers et heureux, ceux-ci
ont ramené dans les maisons de pierres les premiers
éléments de confort, objets dérisoires mais chargés
de signification nouvelle : marmites et casseroles modernes, chauffage
à gaz butane et, surtout, le modeste réchaud circulaire à
gaz, la fameuse "tabouna" (trépied), qui allait bientôt
trôner dans toutes les demeures en supprimant l'essentiel des
pénibles corvées de bois. De nouveaux modèles ont
commencé alors à filtrer à travers les murs de pierre et
de terre. Ils étaient véhiculés par les hommes qui se
rendaient fréquemment dans les villes proches où tout les
attirait et les intriguait. Ils étaient aussi apportés par les
émigrés et encore par ceux qui, poussés hors du village
par le mouvement de l'exode rural, y revenaient régulièrement en
visite... Les changements se sont accélérés...
Jusqu'alors, les villages étaient restés tels
qu'ils avaient toujours été, avec leurs maisons serrées
les unes contre les autres au flanc ou sur la crête des montagnes. Aucune
habitation en ciment. Aujourd'hui, rares sont les maisons traditionnelles
encore habitées (ne seront pas détruites). À
l'intérieur des anciens villages, mais aussi sur de nouveaux sites
éparpillés alentour, ont poussé des dizaines de
constructions en "dur", toutes grises de leur béton brut.
Ainsi, sous l'impulsion du changement, les antiques bourgs ont-elles
littéralement explosé, familles projetées à leur
périphérie. Ces nouvelles maisons de ciment, de fer et de
béton (où le gaz a remplacé le bois et, tout
récemment, les paraboles font leur entrée dans les foyers avec
des programmes de télévisions étrangères), de quel
éclatement plus intime sont-elles issues et quelles mutations
provoquent-elles au sein même de l'ancienne grande famille ?
C- NOUVEAUX ESPACES DOMESTIQUES
RURAUX
L'architecture extérieure et les matériaux
modernes utilisés dans les nouvelles constructions rurales aient, comme
première finalité, exprimé également une
organisation intérieure différente s'inspirant des nouveaux
principes architecturaux urbains.
Mais, parallèlement, cet ordonnancement de la maison
traduit certaines tendances nouvelles qui agitaient souterrainement et
confusément la grande famille. La nouvelle architecture induit d'autres
changements au sein de la famille qui, à son tour, réagira sur
l'ordonnancement de la maison. Ainsi s'engage tout un processus cumulatif
d'interactions de la maison sur la famille et vice-versa.
Le travail de la terre est partout l'objet d'une
dévalorisation croissante. Les jeunes filles quittent leurs villages
pour étudier en ville afin d'aboutir à un emploi (elles
trouveront toujours un parent pour les héberger). Le salaire
immédiat de la fréquentation de la "ville" constitue des
attraits non négligeables. Mais ce "simple" changement induit
en cascade toute une série de mutations cumulatives atteignant la
famille et la maison. Simultanément, l'accès au salariat induit
la fragmentation et la séparation des activités des membres de la
grande famille qui, jadis, n'avaient qu'une occupation : la culture des
terres léguées par les ancêtres. Il en résulte la
perte de l'ancienne cohésion familiale qui se dilue lentement dans une
manière d'habitude là où il y avait, jadis,
nécessité et volonté de cohésion.
Dans tout ce contexte, des tensions diverses agitent la
famille. Les fils, occupés à des activités salariales
différentes, en retirent des revenus inégaux rendant la mise en
commun des ressources moins facile qu'à l'époque où tous
travaillaient ensemble les terres ancestrales. Des conflits, de plus en plus
fréquents, surgissent entre belles-soeurs pour l'utilisation de la part
commune et s'enveniment de jalousie quant aux dépenses personnelles de
chacun des couples. La mésentente aboutit à la création de
cuisines séparées, sombres réduits concrétisant
l'apparition du foyer conjugal qui se substitue à l'ancien foyer commun,
âme et coeur de la grande famille.
Malgré tous ces changements, la nouvelle maison rurale
s'ouvre peu sur l'extérieur, reproduisant l'ancien sentiment de pudeur
envers le monde du dedans. Tandis que dans les nouveaux ensembles urbains
perdure l'ancienne attitude de réserve. Le visiteur qui s'annonce
s'éloigne largement du seuil afin que son regard ne puisse
pénétrer l'intimité domestique. Le vestibule prend le sens
de la traditionnelle "sqîfa" (espace situé
immédiatement après le seuil, séparant de
l'extérieur le monde domestique intime). S'il n'a pas été
prévu par les architectes, il est aménagé par les usagers
eux-mêmes.
Ainsi faut-il comprendre la répugnance des hommes
à demeurer chez eux lors de leurs moments de loisirs. Reproduisant
à leur insu les anciens schémas traditionnels, leur
réservant le domaine public et les excluant du domaine domestique, les
hommes préfèrent déambuler à pied ou en voiture,
parfois accompagnés de leurs enfants, discuter avec des collègues
ou des amis autour d'une table de café et ne rentrer à la maison
que pour le dîner. Il ne faut pas croire que l'épouse est toujours
tenue, dans ces mêmes moments, à rester chez elle. Selon ses
disponibilités, elle va en visite chez des amies ou parentes ou bien
sort en ville avec une de ses voisines faire quelques menus achats.
Cependant, ces emplettes sont davantage loisir qu'obligation
car l'approvisionnement régulier du foyer est généralement
assuré par les hommes. Rares sont les Algériennes qui ont
à s'occuper du marché hebdomadaire. Non pas que les femmes, comme
autrefois leurs aïeules, aient l'"interdiction" de se rendre au
marché, jadis domaine exclusivement masculin mais, pour les
Algériens, c'est là une façon commode et conforme de
décharger partiellement leurs femmes des obligations domestiques tout en
perpétuant et en reproduisant, à leur insu, l'attitude
traditionnelle de relation privilégiée avec l'extérieur et
le social. Ce comportement est beaucoup moins anodin qu'il paraît. Il
montre simultanément la pérennité de certaines pratiques,
la fidélité aux horizons intérieurs et la
possibilité de les adapter au nouveau contexte car c'est bien cette
adaptation qui pose généralement problème.
Au fond, tout se passe comme si les êtres, gardant
intacts au fond d'eux-mêmes leurs paysages intimes, se sentaient
impuissants à les restituer dans ces nouveaux espaces, si
différents de ceux qui les ont composés. Comme si le monde avait
changé mais pas la lumière, pas le regard, et qu'on en soit
perdu, qu'on ne sache plus bien où et comment poser le passé, les
habitudes chères, les attachements indéfectibles.
Dans cette difficile rencontre des fidélités
enracinées et des changements voulus, le voile ancestral a pratiquement
disparu du paysage urbain. Seules certaines vieilles femmes et quelques jeunes
paysannes perdues dans la Grande Cité où les projette l'exode
rural s'enveloppent encore dans le traditionnel "haïk blanc"
d'Alger ou la "melaya noire" de Constantine. Sans excentricité
toutefois, les toilettes, pour être élégantes, n'en
demeurent pas moins discrètes et souvent classiques, préservant
la pudeur à laquelle, comme les hommes, les femmes algériennes
demeurent profondément attachées. Certes, le voile prend une
récente revanche avec le hidjâb des intégristes
(vêtement très enveloppant comportant un long foulard) mais aussi
une signification plus large.
D- RITES DE PASSAGE
Le passage de l'intérieur vers l'extérieur se
marque donc par un rite : la femme se voile ou marche la tête
baissée en ayant une tenue correcte. L'espace extérieur,
étant défini comme public et masculin, se voit menacé dans
son essence par la venue des femmes qui, d'habitude, sont associées
à la vie privée. Les femmes ne peuvent y accéder qu'en se
rendant invisibles. Elles se conforment aux règles de conduite et de
comportement en vigueur. L'infraction à ces règles constitue une
menace pour les prérogatives de pouvoir des hommes.
C'est dans cette perspective qu'il faut considérer des
luttes, des ruptures parfois violentes autour de la question du voile et de la
liberté de circulation des femmes (heurts entre frères et soeurs,
menaces de mort des islamistes...). En envahissant la territorialité
masculine, ces femmes remettaient en cause le pouvoir établi des hommes.
La domination masculine ne s'exprime donc pas seulement par l'accès
à un espace plus étendu mais aussi par la défense de cet
espace. Des étudiantes, des travailleuses n'étaient pas des
prostituées, elles enfreignaient seulement les règles
spatiales : après dix huit heures trente, les femmes
désertent les rues et ne sortent à l'extérieur
qu'accompagnées d'un homme, même d'un petit frère.
Le passage de l'extérieur vers l'intérieur par
un homme est également ritualisé. Lorsqu'un homme veut rentrer
chez lui et qu'il craint d'y trouver des visites féminines, il est tenu
d'annoncer son arrivée en élevant la voix ou en heurtant la porte
(quelle que soit la manière : il y a toujours un signal). Il ne
fait rien d'autre que de s'étaler dans l'espace. À
l'intérieur, les femmes s'activent aussitôt pour servir leurs
hommes. L'homme ne dispose que d'un espace limité. Il doit tout mettre
en oeuvre pour éviter de croiser les autres femmes ; par sa seule
présence, une partie de sa maison est devenue publique.
De même, si l'homme se fait accompagner par un ami, il
se signale également avant d'entrer. Les hommes se mettront alors dans
la pièce destinée à l'accueil des invités et se
feront servir par la personne âgée de la famille ou de la petite
fille de la maison. L'épouse, la fille aînée ne
paraîtront jamais devant l'étranger. Il n'est cependant pas
fréquent qu'un homme transforme sa maison en lieu public. Les affaires
publiques, pour lui, se déroulent dans la mosquée, dans la rue ou
au café.
On peut dire que les femmes en Algérie ne peuvent
quitter le foyer domestique qu'avec l'accord de leurs maris et ce seulement
pour se rendre au bain maure ou au tombeau d'un saint. "Ces lieux sont, par
essence, classés comme privés parce que l'on reconnaît un
caractère sacré et les femmes y sont sous la protection
divine" 81(*).
Dans la pratique, les femmes disposent de marges de manoeuvre
pour décider quand, avec qui et où elles se rendent au-dehors.
À l'extérieur, elles observent toutefois strictement
l'étiquette spatiale. Elles font des courses dans le quartier en
longeant les murs et en se rendant directement au but. Il ne sied pas de
s'attarder dans la rue, ni de regarder ostensiblement autour d'elles. Dans la
sphère publique, une femme ne doit pas se faire remarquer, elle baisse
la voix et le regard et se garde de rire. En revanche, les hommes peuvent
s'attarder sans motifs et lancer des regards à tous les passants.
E- LA TENUE
Ce n'est pas seulement par la circulation dans l'espace mais
aussi par la façon dont on se tient assis ou debout que les gens
expriment leur position sociale par rapport à d'autres. Selon Goffman,
"dans les sociétés occidentales, les hommes occupent plus
d'espace que les femmes" 82(*)..
Un homme véritable est grand et large, une femme
honorable est discrète et petite.. La femme se met en valeur en
accentuant sa docilité. Le couple idéal dans nos
sociétés est composé d'un époux plus grand et
généralement plus âgé. Les mécanismes de
sauvegarde de la domination masculine sont culturellement
sanctionnés.
Dans la plupart des foyers, on aime bien s'asseoir par terre.
S'il est permis à l'homme d'étirer ses jambes et d'appuyer ses
coudes contre un support, la femme garde ses jambes sous elle et reste assise
le dos tout droit. Le jeans et certaines tenues modernes empêchent les
jeunes femmes de s'asseoir comme il faut, elles n'ont plus de quoi se couvrir
les jambes. Elles sont souvent critiquées par leurs mères et
mettent finalement des robes larges à la maison. Le vêtement
permettant aux jeunes femmes des mouvements plus larges est rejeté avec
des arguments symboliques qui contribuent implicitement à
légitimer l'apanage spatial des hommes.
Lorsque le mobilier moderne existe dans un foyer (chaises,
fauteuil, lit avec sommier, etc.), celui-ci sera occupé par un homme de
la maison. La construction symbolique prime ici sur les considérations
d'ordre pratique. Bien que le repas soit servi sur une table basse, l'homme le
mangera de sa position assise sur la chaise. L'occupation dominante de l'espace
exprime bien sa position sociale par
rapport aux femmes et aux autres membres de la famille..
L'utilisation de l'espace est modelée par les rapports
de pouvoir entre les acteurs sociaux et permet de les reproduire. On
s'aperçoit effectivement que les rapports de pouvoir sont
renforcés par l'intériorisation des règles de
l'utilisation de l'espace par les catégories sociales
subordonnées. Il est alors lieu de se demander pourquoi ces codes ne
sont pas contestés ? Pour cela, il faut se concentrer sur les
transgressions et analyser dans quelle mesure celles-ci constituent une menace
pour l'ordre social. Une catégorie de femmes qui transgressent les codes
spatiaux de conduite féminine sont les femmes libres, les
prostituées et les danseuses de cabarets, des jeunes filles
révoltées.
F- VOILER OU DÉVOILER LA
FEMME
Dévoiler la femme en Algérie, faire tomber cette
barrière qui sépare les hommes des femmes, n'aurait pas
été une démarche plus aisée. Traiter une question
telle que le voile constitue, même à l'heure actuelle, un point
chaud en Algérie. Aucun des deux espaces n'est suffisamment neutre pour
permettre d'aborder une telle problématique avec suffisamment de
sérénité. En fait, ce ne sont pas ces espaces, en tant que
tels, qui sont à considérer ou à incriminer mais c'est
notre propre angoisse qui a été déclenchée. Il
s'agit donc de notre "contre-transfert" 83(*) par rapport à notre
recherche qui a été analysé à travers notre lutte
(et notre engagement dans l'associatif) qui s'est faite le porte-parole de ce
que signifiaient pour nous le voile et la perspective du dévoilement.
À travers ma propre expérience, j'ai
constaté qu'en dehors de sa dimension sociale, le voile a un impact au
niveau psychologique. D'autre part, être étranger aiguise la vue
comme cela affine l'ouïe et c'est dans cette distance extérieure
que le voilement et le dévoilement de la femme algérienne
s'imposent comme un phénomène dont le mouvement est en relation
avec les grandes ruptures d'équilibre social. Chaque fois qu'il y a une
rupture dans la continuité de l'histoire tels que la colonisation ou la
décolonisation, le renversement d'un État, la révolution
islamique, il y a un retentissement au niveau de la femme. Certains vont la
dévoiler, d'autres vont la voiler.
Ce petit point de cette recherche va consister à
essayer de comprendre cette société lorsqu'elle voile ou
dévoile ses femmes. À quel moment intervient l'une ou l'autre
séquence ? Et enfin quels sont la fonction et le sens de ce
phénomène ? Car il me semble que le voilement de la femme a un
sens caché, occulté et, précisément pour cela,
important.
Le voile dans la société algérienne, et
arabe en général, fait partie d'un système
cohérent. Y toucher, le questionner implique le questionnement de la
structure d'ensemble qui le sous-tend et, par conséquent, exige du
chercheur le recours aussi bien "à la dimension historique,
sociologique, que psychologique". Nous sommes donc "en présence
d'un fait social total" au sens où l'entend Marcel Mauss
84(*).
L'élément féminin dans les
sociétés musulmanes infiltre, par son caractère
caché, occulté et voilé, tout l'ensemble et apparaît
en filigrane aussi bien dans le comportement quotidien du particulier - son
honneur et sa dignité sont largement tributaires du comportement de ses
femmes (sa femme, ses filles, ses soeurs, ses cousines...) qui peuvent
l'élever aux yeux de la société par un comportement fait
de réserve et d'effacement ou le rabaisser en contrevenant aux coutumes
- que dans les décisions prises à l'échelle nationale. En
effet, malgré les options modernistes des gouvernants, leur silence ou
leur malaise dans le traitement de toute question concernant la femme signifie
la complexité du problème et la multiplicité des ses
incidences.
La femme semble détenir ou être la garante de
l'honneur de la nation, de la société ou tout simplement de la
famille. Dès lors, son immobilisation ou son voilement devient une
nécessité car, dès qu'elle bouge, elle menace les valeurs
ancestrales qui constituent le groupe. Pour comprendre le voilement, il va donc
falloir "dénuder les fondations de notre propre
société" 85(*). Il est présent dans la structure même
de cette société endogame et tribale.
Étymologiquement, le voile signifie, en
algérien, le "haïk", le "hidjâb", autrement
dit protection. Les femmes kabyles ne se voilent pas au sens de se couvrir
totalement mais se protègent par le port du foulard et de la
"fouta" (morceau de tissu à rayures qui noue la taille et qui
doit cacher les genoux, Les couleurs de la fouta sont identiques dans
toute la Kabylie, c'est à dire : marron / orange / noir pour tous les
jours et orange vif / jaune... pour les événements).
Or, les protecteurs de la femme sont en premier lieu sa
parenté mâle. Le premier voile de la femme est présent dans
ce tissu serré constitué par le père, les oncles, les
frères et les cousins. Il est présent dans ce lien mystique qui
les unit les uns aux autres. Ils ont le même ancêtre, le même
sang coule dans leurs veines et ils luttent contre le même ennemi. Le
voile est encore présent dans cette volonté antique de "vivre
entre soi", sous le même toit, dans le même village et surtout
"garder les filles de la famille pour les garçons de la famille, du
village ou de sa région" et, ainsi, l'honneur est sauf. Il s'agit
bien sûr de l'honneur des hommes qui serait atteint si on touchait
à la femme de leur groupe.
Lorsque la femme algérienne se dévoila durant la
guerre d'indépendance et participa au mouvement de libération,
plusieurs observateurs étrangers proclamaient son évolution
fulgurante et considéraient le fait comme un acquis fondamental, un
point de non-retour. Les mêmes personnes, qui venaient retrouver
l'Algérie libre, sont surprises par ses efforts considérables
mais ils sont encore plus surpris par ce frein souterrain, incident, insidieux
qui se présente sous la forme de femmes encore voilées dont le
nombre s'est accru dans certaines régions et dont le voile s'est fait
plus austère sur certaines femmes.
Le voile islamique (du modèle iranien et afghan) a
remplacé le voile traditionnel algérien c'est-à-dire le
haïk (voile blanc à l'Ouest et au centre de
l'Algérie), la melaya (voile noir à l'Est), la
fouta (chez les Berbères) ...
"C'est encore cette contrariété
chronique, le vieux réflexe est toujours à l'oeuvre.
Nous sommes toujours dans la république des cousins, mais alors pour
quand la république des citoyens ?", nous dirait G. Tillion.
Je pense que le voilement comme le dévoilement sont
profondément inscrits dans la structure de cette société.
L'apparition de l'un ou de l'autre phénomène doit toujours
être interprétée en fonction du contexte historique ou
politique.
Dans sa préface à l'oeuvre de M. Mauss,
Lévi-Strauss dit que :
"Nous ne pouvons jamais être sûrs d'avoir
atteint le sens et la fonction d'une institution si nous ne sommes pas en
mesure de revivre son incidence sur une conscience individuelle (...), toute
interprétation doit faire coïncider l'objectivité de
l'analyse historique ou comparative avec la subjectivité de
l'expérience vécue" 86(*).
À travers mes entretiens, j'ai essayé de mesurer
l'impact de cette institution sur les comportements. Ce serait un truisme que
de dire : le voile ne contribue guère à la rencontre de l'homme
et de la femme. Cependant, le moins banal est que l'évitement qui
concernait l'étranger au groupe familial finit par s'étendre aux
hommes de la famille et aboutit à une sorte de clivage à
l'intérieur d'un même groupe familial. Ainsi, dans une même
famille, nous voyons cohabiter deux mondes parallèles, ce qui n'est pas
sans incidence au niveau de la structure des personnalités de ceux qui
vivent cette réalité.
C'est par l'intermédiaire de l'éducation que la
famille va intervenir activement pour développer chez ses enfants,
garçons et filles, des attitudes qui vont dans le sens de leur exclusion
mutuelle et du renforcement de la barrière qui les sépare. Ainsi,
pour la fille, lorsque le voile apparaît dans sa vie, il n'est que
l'aboutissement d'un long processus de nivellement et d'effacement de toute
agressivité et positivité en elle.
L'attitude de la femme dévoilée en
Algérie est frappante. Pour comprendre le processus de
dévoilement, il serait intéressant de citer des propos assez
significatifs des femmes interrogées sur cette question : "Je suis
déshabillée ou même je me sens dénudée",
dira la femme qui se libère de son voile, ou d'emprunter des passages de
l'oeuvre d'Assia Djebbar dans Femmes "d'Alger dans leur
appartement" :
"Le corps avance hors de la maison et, pour la
première fois, il est ressenti comme "exposé" à
tous les regards : la démarche devient raidie, le pas hâtif,
l'expression du regard contractée (...), ne plus l'avoir, c'est
être totalement exposée" 87(*).
Ceci, bien sûr, j'ai pu le percevoir (ou du moins sans
les analyser avant les événements d'Algérie) qu'en voyant
une autre catégorie de dévoilées, celles qui n'ont jamais
porté le voile et celles qui s'inventent un nouveau voile (à
l'Iranienne). "On ne peut être à la fois dans le paysage et en
avoir la vue" 88(*),
c'est là que prend tout son sens la notion de "report" de G.
Devereux qu'il définit comme étant :
"L'influence subjective ou objective d'expectatives et
aussi d'expériences antérieurement vécues avec une autre
tribu, sur l'attitude adoptée envers la tribu présentement
étudiée" 89(*).
Cette mise à distance à permis
l'émergence d'un questionnement sur la femme algérienne et le
processus de son être et de sa construction. Et c'est à ce
moment-là qu'apparut la dimension contre-transférentielle. Pour
s'en rendre compte, J.-Bernard. Pontalis a écrit :
"On ne peut parler du contre-transfert en
vérité, mais on peut le rendre sensible avec le tact. Le mot tact
évoquera ici moins une discrète circonspection que la
sensibilité à une surface ! Cette sensibilité est d'abord
méconnaissable par les formes qu'elle revêt, qui sont : soit
éluder la question, soit ajourner son abord... " 90(*).
Mais ce genre d'étude ayant une limite dans le temps,
il a bien fallu se pencher à un moment donné sur le
problème soulevé et, à ce moment-là, d'autres
manifestations se sont fait jour, heureusement consignées ou enfouies
dans le subconscient : l'impression que ce phénomène de
dévoilement n'a aucune impertinence. La compréhension du
processus de voilement ou de dévoilement a toujours été un
sujet qui questionne.
G- FEMME ALGÉRIENNE, GARDIENNE DE LA
TRADITION
Les femmes ont été sacrées par les hommes
politiques et par une frange d'intellectuels "gardiennes des
traditions", puis ils ont manipulé ces traditions pour freiner
toute évolution. Le maintien du rôle traditionnel de la femme a
hypothéqué l'avenir car c'est aux femmes que revient le pouvoir
de façonner les hommes. En effet, soumises à un dressage qu'elles
ont intériorisé, elles forment ainsi la "chaîne de
transmission" de la tradition. Elles vont véhiculer
l'archaïsme, élever leurs enfants selon les schémas
traditionnels et poser ainsi les bases de l'intégrisme. C'est ce que la
société attend d'elles.
Jusqu'à présent, la modernité
prônée par les intellectuels a eu des contours bien flous. En
effet, on reste prudent de parler d'un milieu intellectuel algérien qui
prônerait l'ensemble des valeurs du modernisme sur le plan politique,
économique et intellectuel débouchant sur une émancipation
de la femme. Les intellectuels prodiguent de grands discours modernistes mais
continuent à avoir des comportements des plus rétrogrades envers
leurs femmes et soeurs. Ils renvoient à leurs fils cette image du
modèle autoritaire masculin sur les femmes comme le note très
justement Ghita El Khiat-Bennani :
"Les hommes arabes ne veulent pas renoncer aux
privilèges qu'ils détenaient autrefois et exigent des femmes
qu'elles soient modernes à leur place quand besoin est, traditionnelles
quand ils peuvent en tirer plaisir, qu'elles soient actives quand ils peuvent
en tirer gloire et profit, (...) qui peut faire fantasmer un homme qui n'a pas
grand chose à partager réellement avec une femme" 91(*).
Les intellectuels se sont accommodés jusque-là
du sexisme qui privilégie la loi des mâles. Tournés vers
l'Occident, ils adhèrent aux idées progressistes, prônent
la modernité tout en brandissant la banderole : "touche pas à
ma femme". Captives de leur propre culture, n'ayant pas les moyens de
sortir de leur situation de soumission, les femmes ont éduqué les
garçons de façon à ce qu'ils disposent d'elles.
Conscientes de ce boulet qu'elles traînent dès leur plus jeune
âge, elles veulent un changement.
II- LA PLACE DE LA FEMME DANS LA STRUCTURE
FAMILIALE
Le développement en Algérie est conçu
comme processus de réalisation d'un nouveau type de
société, donc de socialité, à travers le projet de
mise en place d'une société qui se voudrait moderne et
démocratique. En discontinuité avec le modèle de la
société traditionnelle, le nouveau modèle qui se met en
place tend à la définition des rôles et des statuts des
individus, ainsi qu'à celle des rapports entre groupes et entre acteurs
sociaux par l'élaboration d'une législation abstraite et
écrite.
D'autre part, l'industrialisation, l'urbanisation et la
scolarisation constituent autant de facteurs participant à une
transformation en profondeur de la structure de la société
algérienne. Le processus de dégradation de la structure familiale
patriarcale et la transformation des rapports traditionnels de pouvoir qui en
ont résulté constituent les indicateurs d'une crise de
légitimité de la société traditionnelle, crise
introduite déjà par la colonisation. Il faut dire que cette
légitimité avait été en partie reconstruite durant
la guerre de libération.
Replacée dans ce cadre qui insiste surtout sur les
mutations sociales, l'analyse de la femme algérienne s'avère
très complexe. En effet, "la confusion entre religion et
système de valeurs de la société traditionnelle
caractérise déjà tout le bassin
méditerranéen" 92(*) et plus particulièrement
l'Algérie. Une analyse compliquée de la pratique de l'Islam, en
général, devient encore plus réelle quand il s'agit
d'étudier le rapport femme / Islam, d'autant plus que les
problèmes des femmes se différencient de ceux des hommes ou s'y
opposent presque terme à terme en raison de la séparation des
sexes, base de la structure même de la société
traditionnelle.
A- LE CADRE FAMILIAL
Étudier la famille algérienne exige une
investigation à partir de plusieurs approches distinctes et cependant
complémentaires :
q Une approche juridico-religieuse car il s'agit d'une
famille régie depuis plusieurs siècles par le droit musulman. En
Islam, il est difficile de dissocier le droit (fiqh) de la religion
(dîn) : le fiqh est une partie intégrante du
dîn ;
q Une approche sociologique d'autant plus qu'on fait appel de
plus en plus à des disciplines telles que l'histoire, l'ethnologie et la
démographie ;
q Une approche microsociologique, en ce sens qu'elle
privilégie des interactions dans la famille : rôles conjugaux,
pouvoir, conflits...
Durant ces dernières décennies, il y eut
quelques travaux concernant la sociologie de la famille algérienne. Les
auteurs de ces travaux se sont intéressés :
- Soit à l'étude des caractéristiques
sociologiques : taille du groupe domestique, structure et relations de
parenté (L. Debzi, R. Descloitres, 1963 ; R. Bazagana, A. Sayad, 1974 ;
C. Lacoste-Dujardin, 1976 ; M. Boutefnouchet, 1979),
- Soit à des thèmes démographiques :
l'âge au mariage, la polygamie et la fécondité (M. et F.
Von Allmen-Joray, 1971 ; L. Tabha, 1972 ; J. Vallin, 1973 ; J. Vallin et D.
Tabutin, 1973 ; J. Vallin et G. Négadi, 1973 ; D. Tabutin, 1974 ; M.
Garenne, 1979 - sous l'égide de l'I.N.E.D. -, de même que M. Von
Allmen, 1974 ; M. Khelladi, 1982 - sous l'égide de l'Institut National
d'Études et d'Analyses pour la Planification, ex. A.A.R.D.E.S.- Alger).
Quelques brèves définitions sont, à ce
stade, nécessaires.
q La première, sociologique et le plus souvent
retenue, présente de manière générale la famille
comme l'institution fondamentale qui comprend un ou plusieurs hommes vivant
maritalement avec une ou plusieurs femmes, leurs descendants vivants et,
parfois d'autres parents ou des domestiques 93(*).
q La seconde correspond plus à la famille
algérienne et est empruntée à L. Debzi et R. Descloitres
(1962, p. 29). Il s'agit d'un groupe domestique appelé
"`âila"(famille en langue arabe) constitué de proches
parents qui forment une entité socio-économique fondée
sur des rapports d'obligation mutuelle : dépendance et assistance.
L'article 55 de la Constitution algérienne (1989) stipule que la famille
est la cellule de base de la société. Elle
bénéficie de la protection de l'État et de la
société.
B- LES CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES DE LA
FAMILLE ALGÉRIENNE
La famille algérienne traditionnelle est une famille
étendue qui rassemble les caractéristiques sociologiques propres
au bassin méditerranéen.
1- LA FAMILLE : UN GROUPE COMPLEXE
D'aucuns s'accordent à dire que la taille du groupe
domestique traditionnel était grande et qu'on y trouvait plusieurs
générations : parents, enfants, ascendants et collatéraux.
Néanmoins, aucun document officiel d'archives ne permet de donner avec
exactitude la taille de ce groupe et prouver aussi que c'est ce type de famille
qui prédominait réellement.
M. Boutefnouchet 94(*), qui défend lui-même l'idée de
la grande famille algérienne, a procédé par questionnaire
et a fait appel à la mémoire des sujets interrogés,
démarche toutefois légitime pour un sociologue non-historien.
D'après son enquête 95(*) réalisée à Alger, Oran et
Annaba, la proportion des familles restreintes est sensiblement égale
à celle des familles composées : respectivement 51,3 % et 48,7
% 96(*). De nos jours,
même si la famille algérienne ne regroupe plus la même
prétendue quantité de générations, elle n'a pas vu
pour autant sa taille se réduire de façon considérable
pour passer d'une famille étendue à une famille restreinte.
T. Lauras-Locoh va également dans le même sens
puisqu'elle constate, en comparant les données issues des recensements
de 1966 et 1977, que la taille des ménages algériens passe de
5,9 à 6,6 personnes. Elle rejette aussi bien l'idée d'une
nucléarisation de la famille algérienne que de la famille
africaine en général. Selon elle, c'est plutôt vers une
famille nucléaire élargie avec un noyau familial central autour
duquel s'agrègent d'autres membres de la famille plus
éloignés que s'acheminent les arrangements domestiques 97(*).
La raison souvent invoquée pour expliquer le
phénomène de non-nucléarisation de la cellule familiale en
Algérie ou dans d'autres pays musulmans, comme le Maroc, est
l'insuffisance de logements. On peut citer quelques illustrations pour le cas
de l'Algérie. Ainsi, un jeune ménage cohabite avec les parents
même après le mariage. Dans les grandes métropoles, les
familles accueillent un parent venu d'une autre ville, d'un autre village pour
qu'il puisse exercer sur place une activité professionnelle. En cas de
travail à l'extérieur d'une mère de famille et d'un manque
d'équipements socio-collectifs (crèches, garderies), on accueille
volontiers les grands-parents ou une tante pour garder les petits enfants.
Au manque de logements s'ajoute incontestablement une autre
raison de non-nucléarisation de la famille algérienne : le recul
de l'âge au mariage. En effet, les jeunes adultes sont parfois
obligés de vivre chez leurs parents en raison du prolongement de leurs
études ou du chômage. Cela étant, il convient de signaler
que le maintien des groupes domestiques complexes ne signifie en rien le
maintien d'une situation antérieure (traditionnelle) : c'est au
contraire un signe de crise économique et sociale 98(*).
2- UNE STRUCTURE FAMILIALE
PATRIARCALE
La forme d'organisation familiale traditionnelle était
le patriarcat : seul le père ou l'aïeul était
dépositaire de l'autorité ; la femme, pour sa part, était
totalement soumise. La structure était agnatique puisque la filiation
était patrilinéaire et allait de père en fils. Le mariage
était endogame : on se mariait avec la fille de l'oncle paternel. Il
convient de remarquer que ce type de mariage (endogame ou mariage
parallèle, côté agnat) ne correspond pas tellement au
système berbère (kabyle) où l'on se marie plutôt
avec des partenaires issus de la parenté maternelle. La structure
était caractérisée également par l'indivision : les
biens étaient inséparables et se transmettaient de père en
fils ; les filles, quant à elles, quittaient le domicile familial
à leur mariage.
Ces dernières décennies, l'Algérie, comme
beaucoup d'autres pays sous-développés, n'a pas
échappé à différentes mutations : exode rural,
effets de l'industrialisation, etc. Ces mutations ont affecté
également l'organisation familiale. L'enquête de M. Boutefnouchet
99(*) montre que le
patriarcat ne revêt plus la même forme et n'est que symbolique. Le
père, et encore moins le grand-père, n'est plus le seul
dépositaire de l'autorité comme naguère, les
décisions sont prises en concertation avec la mère
salariée ou avec les enfants devenus jeunes adultes.
L'épouse exige de plus en plus de relation avec sa
famille d'origine et les enfants ne sont plus obligés de se conformer,
en matière de choix de conjoints, à la règle de "la
République des cousins" qui consiste, selon G. Tillion
100(*), à se
marier avec la fille de l'oncle paternel. Enfin, l'indivision connaît
l'évolution la plus importante : le patrimoine indivis agraire existe de
moins en moins, les enfants, descendants mâles, quittent la terre et
émigrent le plus loin possible à la recherche d'un emploi
salarié.
3- LE SYSTÈME MATRIMONIAL
Le témoignage ethnographique "Permet d'affirmer que
le bédouin répugne à l'idée de marier sa fille en
dehors du cercle de la parenté agnatique" 101(*).
À l'origine de ce refus, il semble qu'il y ait les
fréquentes dissensions qui opposent les uns aux autres, les membres
d'une même tribu et parfois d'un même clan.
"Donner sa fille en dehors de son groupe, c'est la couper
de ses liens très étroits qu'elle a tissés avec les
membres de sa "Osra" (famille), (...) et la livrer à un autre
groupe, tout aussi compact, qui ne l'intégrera jamais ou l'incorporera
mais au prix d'une annihilation de tout ce qui faisait sa vie relationnelle
jusqu'alors" 102(*).
Il ne me semble pas qu'il y ait exagération lorsqu'on
voit ce genre de survivances, même actuellement, au niveau des grandes
familles citadines, donc éloignées des conditions de vie hostile
de la montagne mais qui gardent malgré tout cet esprit de clan, ce
mépris et cette hostilité à l'égard de tout ce qui
n'est pas le groupe d'appartenance. Un exemple concret : un mariage entre une
Kabyle et un Arabe (d'une autre région de l'Algérie) sera un
désastre (même un déshonneur) pour les donneurs ou les
preneurs (belles-familles et le village). Combien de couples se sont vus
confisquer leur bonheur (unions refusées, drames...) au nom d'une
tradition, pas d'unions hors de la famille, du village ou de sa
région...
Dans un tel régime matrimonial, les véritables
protecteurs de la femme sont les agnats, c'est pourquoi le mariage en dehors du
groupe est d'autant plus désavoué que les preneurs nomadisent
loin du secteur fréquenté par les donneurs. D'autre part,
étant donné la solidarité qui existe à
l'intérieur de chaque groupe et l'esprit belliqueux des Algériens
qui les rend prompts à s'élever les uns contre les autres,
prendre une femme d'un groupe étranger devient dangereux pour les
preneurs et humiliant pour les donneurs.
On peut déjà tirer un certain nombre de
conclusions dont la plus déterminante est que les
caractéristiques de la vie des montagnards kabyles favorisent la
cohésion du groupe. Ce qui donne naissance à ce que G. Devereux
appelle:
"Une Gemeinschaft : une communauté à
solidarité organique qui se meut au même diapason. Toute atteinte
portée à l'un de ses membres est ressentie par l'ensemble et
provoque la réaction du tout".
Dès lors, les Kabyles montagnards, avec des
règles rigides et si prompts à répondre à l'appel
du sang, le faisaient d'autant plus lorsqu'on touchait à ce qu'ils
considèrent comme étant l'élément le plus faible,
le plus central du groupe : la femme. Ils seront donc le bouclier, le premier
voile de la femme dans le sens d'une protection (Hidjâb).
4- DES LIENS DE PARENTÉ
CONSERVÉS
Dans la famille algérienne traditionnelle, le
réseau de parenté était très vaste et se
prolongeait sur plusieurs parentales : primaire, secondaire, maternelle ou par
alliance, par lignage...
Désormais, le dialogue est plus libre entre les
conjoints :
"Il a tendance à l'être aussi entre
père et fille, de même qu'entre frère et soeur" (N.
Virgin, 1986, p.80).
Par ailleurs, les relations inter familiales se renforcent en
direction de la parentale par alliance (oncle maternel), parfois aux
dépens de la filiation agnatique (oncle paternel). Ce dernier, oncle
paternel, se substitue de moins au père, comme le voulait
l'idéologie traditionnelle, de même que ses enfants ne jouissent
plus du statut privilégié de frères et soeurs.
Quelques remarques sont à signaler pour mieux
comprendre la famille algérienne. Celle-ci est un élément
important par rapport au sujet de cette recherche. Il n'y a pas une
spécificité de la famille algérienne. Celle-ci est
influencée aussi bien par la culture musulmane : droit malékite,
par l'espace méditerranéen : système patriarcal, que par
une série de changements et de bouleversements qui affectent les pays
sous-développés dans leur ensemble : exode rural, croissance
démographique, crise de logement, etc.
La famille algérienne ne trouve pas sa place dans la
conception sociologique traditionnelle qui répertoriait les groupes
domestiques selon leur taille pour aboutir à une classification simple
de type "famille étendue", "famille nucléaire".
La famille algérienne s'explique moins par sa dimension que par sa
nature, ses fonctions et ses nouveaux liens avec le groupe de parenté.
Elle est prise dans un mouvement dialectique.
Et pour reprendre l'expression de T. Lauras-Locoh à
propos de la famille africaine, je dirai que la famille algérienne
"fait du neuf avec du vieux". On observe, en effet, l'apparition de
familles "composées" ou à mi-chemin entre
élargies et restreintes, le maintien des comportements d'entraide et de
solidarité entre générations, la persistance de
l'idéal de forte fécondité et bien d'autres comportements
que l'on s'attendait à voir disparaître. La famille
algérienne résistera au changement. Le changement touche
difficilement quelques aspects de la vie familiale, en particulier ceux qui
relèvent des relations inter-sexuelles.
5- LE FOYER CONJUGAL ET LES RELATIONS
La timide, difficile et conflictuelle apparition du foyer
conjugal au sein de la grande famille a abouti, depuis longtemps, dans les
milieux urbains, à la reconnaissance de la famille conjugale, occupant
un logement différent de celui du couple des aïeux et ceux des
frères. Cette rupture de l'espace familial induit une rupture de la
prégnance familiale, permettant certaines innovations quant au rythme
de vie, au contenu et à la forme des fréquentations, surtout
quant à une façon différente de vivre le couple et son
intimité.
L'autonomie spatiale permet au couple (plus ou moins, selon
les individus, les familles et les milieux) de se soustraire à
l'autorité du père et à l'influence de la mère. Les
rôles sociaux, les prérogatives et les responsabilités des
parents, des couples et des fils sont distribués en fonction des
finalités, des situations et de différents critères.
Toutefois, dans les classes moyennes et populaires des villes, la crise du
logement rend difficile le total éclatement de la grande famille. Un
fils marié doit souvent attendre de nombreuses années avant
d'entrer en possession de son propre logement. Il en résulte qu'au foyer
des parents, demeurent, pour une durée variable, outre les enfants
célibataires, un ou deux fils mariés. C'est là une
situation devenue anachronique et péniblement subie. Les
difficultés et les conflits qu'elle engendre sont d'une rare
acuité.
En milieu rural, les problèmes se posent en d'autres
termes : moins l'impossibilité matérielle de l'édification
de nouveaux logements (en auto-construction) que l'attachement persistant des
fils au modèle traditionnel. Quoi qu'il en soit, même lorsque la
situation sociale et économique de la famille permet à chaque
fils de vivre dans son propre logement, la mère ira
nécessairement, à la mort du père, habiter chez l'un de
ses fils mariés.
Quant à la famille des milieux des cadres, elle
semblerait peu se distinguer de la famille occidentale de par son mode de vie,
son organisation et ses aspirations. On pourrait même conclure à
des différences plus importantes entre l'ancienne famille traditionnelle
et celle des sphères intellectuelles qu'entre celle-ci et la famille
occidentale, c'est-à-dire l'ampleur des mutations qui ont
transformé les structures familiales. Pour autant, cette similitude,
aussi fondée soit-elle par certains aspects, demeure à la
superficie des êtres et des faits.
La réalité de la famille et de la femme
algérienne révèle des ambiguïtés importantes,
des équivoques souvent difficiles à concilier. Contradictions
entre les changements voulus et les nécessités assumées de
la vie moderne à laquelle les Algériens exigent de participer et
entre leur héritage auquel ils ne pourraient totalement renoncer sans
devoir s'amputer de leurs racines ni renier leurs horizons intérieurs.
Cette complexité aussi difficile à vivre soit-elle,
collectivement et individuellement, est cependant source de grande richesse.
Les couples algériens "modernes" aspirent
à une "vie familiale" (au sens conjugal ou en bonne
intelligence avec eux-mêmes et leurs enfants, attentifs à leur
scolarité, leur évolution, leur intégration dans la
société, préoccupés de leur avenir). Dans leurs
rapports, les époux se montrent soucieux de la qualité affective
de leur vie, s'efforcent à la communication et tentent d'établir
des rapports non seulement de respect mais aussi de confiance
réciproque, d'affection et d'amour, même si le mot est rarement
prononcé. Il est bien évident que cette vision de la pratique de
la famille s'accommoderait difficilement de la polygamie. Effectivement,
celle-ci, de plus en plus rare en milieu urbain, n'existe quasiment plus dans
les sphères précitées.
Toutefois, cet idéal de relation conjugale
n'apparaît pas incompatible avec les principes éthiques
traditionnels de prudence et de réserve, bien enracinés et
persistants, et dont la mise en pratique s'atténue, bien sûr, de
toute l'importance des changements assumés et de la valeur
accordée à l'existence intrinsèque du couple et de sa vie
intime. Ainsi, n'est-il pas imaginable que les jeunes époux
s'interdisent, comme jadis, de s'adresser la parole, de se regarder en face,
etc. ? Tous ces comportements extrêmes ont disparu ou presque, du moins
ne persistent-ils que dans les milieux populaires, souvent marginalisés
et dont l'accès au changement est récent.
Chez les jeunes couples, la réserve et la pudeur
constituent davantage un état d'esprit visant à préserver
leur intimité, leurs affections et le respect mutuel qu'ils se vouent.
Un époux évitera de parler de sa femme en public mais il le fera
avec ses amis, il ne confiera pour autant rien, ou presque, de sa relation
affective. S'il le faisait, son attitude serait considérée comme
déplacée, irrespectueuse envers sa femme et gênerait donc
son interlocuteur. Tous ces comportements ont une finalité proche de
celle qui prévalait en milieu traditionnel. Les femmes parlent plus
facilement de leur vie de couple, de leur intimité dans un cercle
d'amies ou dans un groupe de femmes.
Aujourd'hui comme hier, mais sur un mode différent, ce
qui relève de l'intérieur, de l'intime, de la maison, doit
être protégé de l'extérieur, du public, du social et
surtout du regard extérieur. C'était là le sens du voile
traditionnel. Mais c'est là aussi la finalité première des
actuelles conduites de réserve et de pudeur constituant à voiler,
à protéger du regard extérieur ce qui concerne
l'intimité, la vie affective. De nos jours, c'est essentiellement par
l'Islam qu'est justifié et renforcé ce refus du regard
porté et c'est en référence à l'Islam aussi qu'est
légitimée cette pérennité de l'éthique de la
réserve et de la pudeur.
"Suprême et intangible légitimation
plaçant ces anciennes valeurs populaires sous l'égide de la
religion. Certes, l'éthique traditionnelle se situait avec le
sacré dans une relation singulièrement dense. Mais ce
"sacré essentiel", fondement des anciennes cultures populaires,
n'ose plus avouer des continuités aléatoires dans le monde
actuel" 103(*).
De nos jours, le sacré est sommé de se confondre
avec l'Islam en tant que force unificatrice visant à rassembler les
hommes de toutes les régions dans une même communauté de
croyants. À l'opposé, le "sacré
essentiel" des cultures populaires est frappé par
l'idéologie dominante de l'arabo-islamisme, d'un rejet dubitatif
accusé de dispersion, voire de division, trop enraciné qu'il est
de manière dense dans chaque terroir. En se plaçant sous
l'égide de l'Islam, la reconduite de certaines valeurs de
l'éthique familiale veut éviter l'inconfort du
porte-à-faux entre le passé et le présent, échapper
au malaise engendré par la reproduction de conduites coupées de
leurs logiques internes.
Toute la société incite le jeune foyer à
une procréation rapide et répétitive. Les parents du mari,
mais aussi de la femme, assaillent le couple d'allusions d'abord
discrètes puis de plus en plus pressantes, au fur et mesure que les mois
passent sans apporter la nouvelle tant attendue de la première
grossesse. Les collègues, les voisins, les amis sont eux aussi à
l'affût de l'événement. La jeune femme, qui craint toujours
la menace de la stérilité (l'ancienne malédiction), se
trouve prise au piège de cette espérance collective et pressante,
de ces regards lourds d'attente et d'interrogations. À moins, cas
fréquent, qu'elle ne soit la première à désirer la
venue de l'enfant qui lui garantira, non plus tant comme jadis sa place dans la
société, le lien conjugal.
Plus ou moins ouvertement, selon les milieux, on souhaite un
garçon en première naissance. Même dans les sphères
intellectuelles où on n'osera pas avouer un tel désir, les
couples chez qui la naissance d'une première fille est accueillie avec
une joie aussi totale que celle d'un garçon demeurent, sinon rares, du
moins minoritaires. Ailleurs, la préférence pour une
primogéniture masculine est nettement exprimée par le mari et la
femme formule, au secret d'elle-même, le même souhait.
La situation devient critique, sinon dramatique, lorsque se
succèdent dans le nouveau foyer les naissances d'une fille. Les
naissances se multiplient alors jusqu'à obtenir celle du petit
mâle tant désiré. En milieu paysan, cet ensemble de
conduites aboutit à une réelle augmentation du nombre d'enfants
par famille. La situation est identique dans les milieux urbains
marginalisés (provenant essentiellement de l'exode rural) où les
maisons de huit enfants à dix ne sont pas rares. Dans les sphères
intellectuelles, pourtant conscientes du problème démographique
qui se pose à l'Algérie, exceptionnels sont les couples qui se
limitent à deux enfants. Ils préfèrent en avoir trois pour
le moins, plus souvent quatre à cinq.
Dans les milieux populaires des grandes villes, dans les
milieux religieux et ruraux, c'est l'Islam qui constitue la première et
ultime justification de la procréation : légitimation d'un
principe fondamental de l'éthique traditionnelle par substitution de
l'argument religieux à une finalité à caractère
social devenue inopérante. L'avortement est donc interdit.
À la légitimation religieuse s'ajoutent d'autres
justifications se voulant rationalisantes et qui ont cours surtout chez les
cadres. Elles sont d'abord d'ordre affectif : "Une famille nombreuse est
une famille vivante et puis la maison ne se videra jamais, il y aura toujours
un enfant avec nous" ; "Il y a une part d'égoïsme chez les
parents qui refusent à un enfant la compagnie de plusieurs frères
et soeurs*" ; ou revendiquant une logique d'ordre
économico-humaniste : "Nous avons les moyens d'élever
confortablement trois ou cinq enfants et de leur offrir une bonne
éducation, nous devons le faire" 104(*).
Cet ensemble d'attitudes relatives à la
fécondité et à l'enfantement apparaît surtout
difficilement conciliable avec les ambitions nouvelles de la famille et de la
femme ainsi qu'avec la crise actuelle du pays (terrorisme, cherté de la
vie, dévaluation de la monnaie algérienne).
Presque tous les couples pratiquent plus ou moins bien
l'espacement des naissances en utilisant différents moyens contraceptifs
modernes, quel que soit le milieu (malgré les pénuries des
contraceptifs répétitifs). La femme, qui aspire à une vie
sociale et professionnelle active en même temps qu'à une relation
conjugale de qualité, est consciente que la responsabilité de
plusieurs enfants constitue un frein important à l'accomplissement de
ses desseins.
Dans les centres urbains, la vie quotidienne avec ses
multiples et lancinantes difficultés a tôt fait saper les
volontés les plus solidement arrimées. Dans ces conditions, la
femme est souvent obligée d'abandonner une profession à travers
laquelle elle arrivait à réaliser une part de ses aspirations.
Engluée dans les innombrables tâches de la vie domestique
auxquelles l'homme, par conformité culturelle, participe peu ou pas du
tout, son horizon se ferme lentement. Elle en éprouvera une
secrète amertume qu'elle avouera difficilement et qui rejaillira
fatalement sur la qualité de sa relation conjugale. Cependant, ses
enfants, qui l'entourent bruyamment et affectueusement, satisfont en elle des
aspirations et des besoins authentiques qu'elle ne pourrait sacrifier sans
déchirement. C'est là une contradiction fondamentale et complexe
à laquelle chaque femme algérienne se trouve confrontée.
6- RÔLES DE LA FILLE/BRU/MERE ET DE LA MERE
ÂGEE
Les deux rôles qui nous intéressent sont ceux de
la bru et de la mère âgée. Le cas de cette dernière
est tout à fait particulier dans la culture arabo-musulmane. Signalons
que mon intention est de faire un parcours sommaire concernant le rôle
familial de la femme car il n'est pas question de représenter les
différents domaines que recouvre l'organisation domestique, encore moins
d'évoquer la participation respective du mari et de la femme dans chacun
de ces domaines.
L'attachement des mères au modèle de la femme
unique responsable de la tenue du foyer, même si elle doit, comme
l'homme, exercer une activité professionnelle à
l'extérieur, est encore tenace puisque seule une minorité des
mères interviewées s'inquiètent d'impliquer
également les garçons dans les travaux domestiques. Et
lorsqu'elles le font, elles ne leur demandent qu'une contribution symbolique et
occasionnelle : mettre le couvert, faire quelques courses, ranger de temps en
temps leur chambre et, exceptionnellement, faire la vaisselle. Mais on est loin
de la situation qui prévalait dans leur jeunesse.
Toutes les femmes analphabètes qui ont des
frères ou des enfants scolarisés, plus ou moins longtemps,
devaient rester à la maison pour aider aux travaux agricoles et
ménagers. Les autres, qui sont scolarisées, pour la plupart
tenues - avant de préparer leurs devoirs - d'assurer une partie des
travaux domestiques et, pour certaines, de servir leurs frères pendant
que ces derniers jouaient dehors ou se détendaient devant la
télévision. Seules quelques-unes (parmi les mieux dotées
culturellement et professionnellement) ont eu elles-mêmes des
mères- et parfois des pères - suffisamment clairvoyants face aux
changements socio-économiques pour être moins conformistes et
adopter une attitude éducative mieux adaptée à la nouvelle
situation à un moment où la pression à la
conformité au modèle dominant était encore importante.
a- RÔLE DE LA FILLE/ BRU/MÈRE
La question qui s'impose est d'une cruelle simplicité:
"comment peut-on être une femme algérienne ?".
"Mais, je suis Algérienne ! Je suis la fille de...,
la bru de..., la mère de..., demain la belle-mère de...
Non seulement on peut être algérienne mais
encore, on peut l'être bien. On peut survivre et même vivre, lutter
et même rire. Il me suffit de jeter un regard rétrospectif sur ma
propre vie pour comprendre que toutes ces femmes qui ont vécu et qui
vivent encore en Algérie - puisqu'il s'agit bien de cela -
représentent, prises dans leur ensemble, une force extraordinaire, une
force consciente de ses pouvoirs, pleine de possibilités et de
perspectives. Déjà en action. Malheureusement, ces femmes prises
individuellement sont engluées dans leurs vies familiales, sentimentales
et, dès la naissance, dans un périmètre, un espace
dûment signifié, décrit, limité.
Les rares pionnières ont dû,
il y a seulement une génération ou deux, tout inventer, sortir
des chemins battus, se faire montrer du doigt, se voir rejetées parfois.
Rien ne les préparait à cette révolution de chaque jour,
dans une vie enfin choisie où elles ne voulaient plus baisser la
tête et obéir. Du spartakisme féminin, en quelque sorte,
car, avant d'être une femme, l'Algérienne vit des années
petite et adolescente en tant que fille, un destin lourd et d'avance
tracé.
Toutes les filles qui continuent leurs études ont de la
chance, les autres sont déjà bien programmées pour
être des épouses honorables : modestes, obéissantes et
bonnes maîtresses de maison. La marge de manoeuvre d'une petite fille
désirant, plus ou moins confusément, sortir du chemin
tracé est évidemment très étroite. Cette
détermination - pourtant forte - à vivre sa propre vie, imprimera
à son âme un très fort complexe de culpabilité.
Même en cas de réussite, elle aura toujours l'impression d'avoir
failli à ses premiers devoirs.
Cette fillette devient jeune fille et va bientôt passer
du giron de sa mère - socialement - à celui de sa
belle-mère, dans le cas d'une exogamie normale. Obéissante et
modeste, elle devra continuer d'obéir et d'être modeste. Sortie
d'une famille où elle était entourée, limitée par
un père, une mère, des frères et des soeurs; elle entrera
dans une famille semblable où elle aura à servir et à
respecter des personnages différents dans les mêmes rôles :
le beau-père, la belle-mère, les belles-soeurs et les
beaux-frères.
Et les personnages masculins de sa nouvelle maison jouent
exactement le même rôle que ceux qu'elle a
"abandonnés" : ils ont toujours raison ! Sa vie n'a pas
changé sur le plan individuel même si le mariage - dans de bonnes
conditions "d'honneur"- représente aux yeux de tous une
promotion sociale. Sa vie s'est même compliquée parce qu'elle
entretient avec l'un des hommes de la maison, c'est-à-dire son mari, des
relations intimes dont elle n'avait qu'une idée vague et sans doute
erronée quand elle était jeune fille. Cet homme, qui est son
époux, est le fils d'une femme qu'il aime et respecte en premier : sa
mère. La fille est devenue femme : elle patiente.
Alors, la nouvelle épousée patiente et
travaille. Elle sait qu'elle reste l'étrangère et le restera
jusqu'à ce qu'elle ait fait ses preuves : la naissance de plusieurs
garçons. Elle reste en principe modeste et travailleuse en attendant
d'être enfin entourée par une armée de mâles,
grandissant en âge et en nombre, avant de pouvoir elle-même
s'exprimer. Pour l'heure, elle continue de baisser la tête devant sa
belle-mère et elle peut même entrer dans cette attitude
"servile" du véritable respect et d'une grande affection. La
belle-mère est le véritable chef de la maison
intra-muros. Elle cumule les rôles de surveillante, de
régisseur, de refuge, courroie de transmission des us et coutumes, enfin
d'alliée objective du pouvoir masculin et sa représentante.
Quant au "mari-fils de l'autre", s'il fait
couple, ce n'est pas avec sa femme, c'est avec sa mère. Depuis toujours.
Il reste immature car la mère prend toutes les décisions
internes. De plus, il vit à l'extérieur de la maison . En
effet, il parle à sa mère, il conte à sa mère, il
demande ses conseils ou son avis à sa mère. Cette triade
"mère-fils-bru" est largement
déséquilibrée en défaveur de la bru. Dans ce
rapport très dense mère-fils, elle reste le témoin exclu.
Et, dans la journée, tout en s'adonnant à ses multiples
tâches ménagères ou d'éducation des enfants, elle
doit feindre l'indifférence vis-à-vis d'un homme auquel elle est
liée par l'état civil, qu'elle l'aime ou qu'elle le
déteste.
La jeune bru qui vit avec sa belle-famille va ligoter ses
garçons dans un amour absolu et craintif qu'ils lui porteront toujours.
Au détriment, plus tard, de leurs épouses. La malédiction
est ainsi sans cesse renouvelée. Il faut dire que l'idée de
couple est tout à fait neuve. Cette unité d'amour était
parfaitement inconnue au sein de la tribu et elle commence, après
l'éclatement de celle-ci pour cause de modernisation, à s'imposer
de façon très timide. Pourrait-on dire alors que le seul couple
d'amour traditionnellement reconnu est celui que forment la mère et le
fils ?
La mère régnante se sait unique. Ses enfants,
filles et garçons, la savent unique. C'est une qualité absolue
qu'aucune bru, même affectionnée et respectée par sa
belle-famille, ne peut neutraliser. Chez la belle-famille,
précisément, elle est ressentie comme pièce
interchangeable ! En système traditionnel, elle pouvait être
brutalement répudiée si elle déplaisait à la
Reine Mère et remplacée quelques jours plus tard. Une
pondeuse s'en va, une pondeuse s'en vient. Elle se trouvera
"marâtre" avant même d'être mère :
elle a à s'occuper immédiatement des enfants de la bru
précédente qui n'ont pu suivre leur mère. Le cas de
répudiation pour cause de stérilité (réelle ou
supposée) est tellement connu que je n'y insisterai pas.
Depuis quelques années cependant, les épouses
demandent et obtiennent le divorce pour cause de "mamisme" (comme
disent certains juges : "divorce pour incompatibilité d'humeur avec
la famille", comme si la belle-mère représentait la famille
ou que le divorce dépendait de l'entente avec elle. En Algérie,
on divorce beaucoup à cause de la belle-mère.
L'exercice du pouvoir est un art difficile et subtil qui
demande une grande sérénité et beaucoup de
désintéressement. Tout se passe comme si cette Reine
Mère prenait sa revanche par le pouvoir sur une enfance inexistante
et une adolescence pleine de devoirs et de travaux, deux stades de la vie
où elle n'a jamais pu s'exprimer. La situation de mère l'a, par
la suite, accablée dans la lourdeur et la multiplicité des
tâches. Et elle a patienté, comme sa bru le fait devant elle, en
attendant le moment d'imposer sa propre volonté.
Si la bru est une étrangère à la
région, avec un passé inconnu, une famille lointaine et une
culture différente. Elle fait ce qu'elle peut par amour, pour se fondre
dans le décor mais elle tient à son mari et elle le fait savoir.
Comment deviner si elle résistera jusqu'au bout ou bien si elle attend
l'occasion de tirer son époux en dehors de la famille pour raisons
professionnelles, par exemple ?
Depuis les indépendances, quelques cas de couples
heureux émergent et qui représentent un grand espoir de
changement (rarement avec la bénédiction de la belle-mère.
En système traditionnel, la Reine Mère peut se mettre
à apprécier sa bru pour ses qualités propres parce qu'elle
aime son fils comme une mère et veut le voir content, heureux. La triade
s'en trouve équilibrée et chaque protagoniste y trouve ce qu'il
est en droit d'espérer mais, en général, c'est
l'éclatement de la tribu qui a permis la création du couple
d'amour ainsi que l'exode rural, les appartements citadins et exigus, la
scolarisation efficace des filles, l'ouverture à la modernité...
La belle-mère n'est plus physiquement présente même si,
parfois, elle vient et s'impose, téléphone ou envoie des
émissaires pour exprimer sa volonté. Par ailleurs, le couple
marié se choisit de plus en plus avant les épousailles et c'est
en tant que tel qu'il affrontera éventuellement la belle-famille.
Dans les familles où il y a plusieurs garçons,
le dernier, marié ou pas, se devra de rester avec ses vieux parents. La
belle-mère, malmenée par cette ouverture au monde des uns et des
autres qu'elle vit sans doute comme une trahison, se consolera ainsi : elle
exercera son pouvoir sur la dernière bru mais rares sont les
mères et les belles-mères qui se remettent en question.
Il y a même des mères plus
révolutionnaires que leurs filles ou que leurs petites-filles ! Elles
ont fait la révolution, voyagé, choisi leur amoureux à une
époque où cela ne se faisait pas. Ou bien, elles se sont mises
à réfléchir après leur mariage et renié le
rôle d'outil de transmission de la volonté des hommes. Alors,
elles se sont mises à construire leur vie et à aider leurs
enfants dans ce sens, quel que soit leur sexe. Dans ce cas le problème
se situe dans la libération de l'homme et de son émancipation et
pour dans une société mature où les soeurs, les
mères et les épouses, sans oublier les collaboratrices, sont des
personnes responsables, libres, capables de faire la même
réflexion et le même travail que les hommes : en un mot, des
citoyennes !
- LA BRU
Une fois mariée, la règle voulait que la jeune
fille ou la jeune femme n'appartienne plus à sa propre famille mais
à celle de ses beaux-parents à qui elle doit se soumettre :
épouse fidèle et soumise à son mari, bru passive et
résignée devant sa belle-mère et respectueuse à
l'égard de tous les autres membres de sa belle-famille. Aussi surprenant
que cela puisse paraître, la formule
reproductrice-ménagère, loin de dévaloriser la
femme, pouvait parfois jouer en sa faveur. La femme savait bien d'ailleurs -
l'éducation reçue chez ses propres parents la préparait
également - qu'en se conformant à la règle
idéologique traditionnelle, elle assurerait sa future
"réussite sociale".
On comprendra d'autant mieux l'importance que revêt
l'aptitude à la procréation dans le groupe domestique
traditionnel mais aussi le souhait de voir naître des garçons si
l'on se souvient qu'il s'agit là d'une famille agnatique où
l'héritage se transmet de père en fils en raison du patrimoine
indivis. Cela étant, plus la femme avait des garçons, plus elle
renforçait son statut et consolidait sa position dans le dispositif
familial. De plus, si, selon beaucoup d'observateurs, ce sont les maris qui
revendiquent des garçons, il convient d'ajouter que ces garçons
représentent un facteur de stabilité et d'assurance vieillesse
pour leur mère.
A. Boudhiba note, à propos de la femme musulmane, que
:
"Il est tout à fait normal que, frustrée de
tant de joies, (...), la femme reporte sur ses enfants son trop-plein
affectif (...). Certes, une fois devenus grands, les garçons
assureront la descendance de la famille (...) ... la protéger durant sa
vieillesse et même jusqu'à la fin de ses jours" 105(*).
Si la fonction "reproductrice" relève de
l'aptitude physiologique et véhicule, pour quelques esprits, une valeur
sacro-sainte, la seconde fonction, "ménagère",
nécessite simplement une capacité à entretenir
convenablement un foyer. Cette capacité doit évidemment
être acquise dans la famille d'origine. Une fois mariée, la femme
sait que le ménage, la cuisine et les enfants représenteront son
lot quotidien. Il est important d'ajouter que, même de nos jours, le
rôle de la ménagère algérienne n'a pas changé
: les activités sont souvent accomplies de façon archaïque,
en raison d'un équipement médiocre ou d'un manque
d'équipement électroménager.
Il est un dernier point qui concerne la bru. Il s'agit de son
pouvoir de décision. Manifestement, la femme ne pouvait prendre de
décision sans avoir recours à son mari ou à sa
belle-mère ; or, ces derniers temps, de plus en plus de chercheurs
prétendent le contraire et défendent la thèse "d'un
pouvoir implicite" ou "d'un contre-pouvoir féminin
dans le groupe familial traditionnel" 106(*).
b- LA MÈRE ÂGÉE : ACTEUR SOCIAL
ET PRINCIPAL
En milieu traditionnel, en dépit des conditions dans
lesquelles elle vivait - mariage précoce, nombreuse et éreintante
progéniture, interminables travaux domestico-ménagers,
résignation et soumission à la belle-mère -, la femme
savait que sa trajectoire sociale varierait. Elle savait qu'à son tour,
elle deviendrait grand-mère respectée et
vénérée mais aussi détentrice de pouvoir. C'est une
fin de parcours ou un aboutissement commun vers lequel convergent les femmes
lorsqu'elles ont eu des garçons, en particulier. Ceci prouve qu'en
milieu algérien comme dans les milieux arabo-musulmans 107(*) ou même en Calabre :
Italie du sud 108(*),
"vieillesse rime avec valorisation sociale et trop plein affectif
".
D. Behnam souligne que :
"Si, en Occident, la vieillesse représente le
troisième âge de la vie et coïncide avec la retraite(...),
dans la vision africaine, basée sur une conception de vie
éternelle, la vieillesse est définie en tant que
continuité de la vie".
Les personnes âgées sont
privilégiées en tant que lien entre les enfants et les
ancêtres disparus. T. Lauras-Locoh remarque également qu'en
Afrique - y compris au Maghreb -, "entretenir des personnes
âgées correspond à une norme d'éducation que nul ne
peut transgresser" 109(*).
La mère âgée, contrairement à la
bru qui demeure sous l'emprise du mari et de la belle-mère, se sent
totalement libre et éprouve une sécurité remarquable. Elle
jouit, en raison du respect qui lui est dû, d'une très grande
autonomie. Il lui arrive de sortir de la maison et de se déplacer dans
l'espace extérieur qui fut naguère réservé
exclusivement aux hommes (de s'asseoir sur les lieux publics ou devant la
maison, de faire les courses).
La mère âgée a la possibilité de se
déplacer sans difficulté. Elle devient alors une sorte de
médiateur entre les différentes familles, surtout en
matière d'épousailles. Elle est capable de dénicher la
jeune fille mariable et le père ne fait qu'examiner ses propositions.
À l'intérieur du groupe domestique, elle détient un
pouvoir de décision que nul ne peut contester. Ainsi, elle devient
conseillère privilégiée auprès de son fils et
oeuvre pour la soumission future de ses petites filles. Bref, elle est à
la convenance de la société traditionnelle : jeune, elle a
intériorisé les obligations qui lui ont été
imposées et accepté les valeurs masculines comme imminentes ;
âgée, elle préfère, en dépit des droits
qu'elle a acquis et du statut qui lui est conféré,
pérenniser l'hégémonie masculine.
"D'aucuns estiment que le pouvoir que la femme
âgée détient est autre que celui des hommes qui lui serait
délégué. Aussi est-il ambigu. Et l'on parle de femmes
patriarcales ou bien de matriarcat au service d'un patriarcat"
110(*).
Face à la position pour le moins
privilégiée qu'accorde la culture arabo-musulmane à la
femme âgée, A. Boudhiba a tenté d'apporter quelques
réponses. Selon cet auteur,
"Le pouvoir de la femme âgée ne serait que le
revers de son impuissance sociale, tandis que sa valorisation tient, pour sa
part, à l'extrême pudeur des hommes envers leur mère par
survivance de leur désir maternel inconscient". Il parle
"du culte de la mère dans les sociétés
arabo-musulmanes" 111(*).
Néanmoins, il nous faut remarquer que la relation
privilégiée mère-enfant, et plus précisément
mère-fils, n'est pas propre aux milieux musulmans et
méditerranéens mais se retrouve dans d'autres
sociétés comme le souligne B. Marbeau-Cleirens, psychanalyste
française, montre combien
"Les hommes sont envahis aussi bien par un attachement et
une fascination à l'égard de leur mère que par une
faiblesse, une angoisse, voire une terreur" 112(*).
Ce qui est sûr, enfin, c'est que, en Algérie, la
mère âgée occupe une position prestigieuse dans le
dispositif familial traditionnel. Ceci est la preuve de la pluralité et
de la diversité des statuts et des rôles que la
société prescrit à la femme depuis sa naissance
jusqu'à sa mort. À ce propos, Breteau et Zagnoli, en
étudiant le statut de la femme dans deux communautés rurales
méditerranéennes, en Calabre et au nord-est Constantinois
(Algérie), remarquent que :
"Dans les deux cultures, le devenir de l'homme et celui de
la femme connaissent des destins... relativement communs, divergent
...à un moment de la vie pour s'engager, plus tard, dans une large
convergence de type asymptotique, (...). Ce mouvement divergent-convergent est
dû aux variations de la trajectoire sociale qu'effectue la femme(...):
alors qu'un homme, (...) demeure fondamentalement un homme, la femme est
donnée comme un être à phases, un être à
métamorphoses" 113(*).
À l'instar de ces deux auteurs, on peut noter que, si
l'itinéraire existentiel de l'homme est linéaire, celui de la
femme connaît des retournements. Ce qui permet alors de parler
"d'unicité" de l'homme et de "multiplicité" de
la femme.
La représentation, ou les représentations, en
tant que modèles intériorisés que le sujet construit dans
son environnement est intéressant à voir...
"Ces modèles sont utilisables par l'individu en
tant que sources d'information et instruments de régulation et de
planification de ses conduites" 114(*).
Il s'agit d'un phénomène mental ou cognitif
individuel et non d'un phénomène collectif. Dans ce
deuxième cas, on parle plus précisément de
"représentation sociale" : forme de "connaissance
élaborée et partagée par un groupe social et lui servant
de codes de conduite" 115(*).
En travaillant sur l'imaginaire arabo-musulman, je me suis
rendue compte que les défauts de la mère sont souvent
déplacés sur la belle-mère. Les contes populaires, les
romans, les rêves, les imaginaires saisonniers, les expressions
proverbiales : tout ce dispositif de contrôle extériorise et
illustre la tendance qui consiste à surcharger la marâtre,
belle-mère acariâtre, qui est censée nourrir, à
l'égard des enfants de son mari ou de sa soeur, une passion
meurtrière, passion qui a d'ailleurs inspiré les tragiques de
tous les temps.
La mère algérienne est, de ce point de vue, le
premier paraphe de savoir qu'un garçon puisse identifier dans ses
premiers tâtonnements, elle est aussi un pôle de stabilité
de ses émois. Mais, dans la mesure où, par sa force
intrinsèque, elle inquiète les hommes, ces derniers chercheront
par tous les moyens "à la réduire ou à la nier,
d'où l'angoisse et la misogynie" 116(*).
Dans ce domaine, les textes arabes, et algériens en
particulier, sont très éloquents :
"La misogynie y est cultivée comme une vertu de
premier plan, presque comme une distinction phallocratique que ni les
théologiens, ni les savants, ni même les poètes
(censés être plus ouverts à l'écoute de l'autre et
en particulier à la femme, la dulcinée, la muse - encore des
représentations) ne remettront en question" 117(*).
La fille et la mère sont des normes familiales de
transmissions et de mutations dans la famille algérienne,
c'est-à-dire, et d'une certaine façon, de s'instrumenter
elle-même pour se transformer en l'un des moyens par lequel s'exerce la
loi du père (chef de famille) dont elle est pourtant la première
victime expiatoire. C'est à ce deuxième niveau proprement
sociologique et éducatif que des chercheurs réservent quelques
remarques pour faire le point sur cette question qu'ils appellent "les
modèles féminins de construction identitaire".
C- MODÈLES FÉMININS D'ASSIGNATION
IDENTITAIRE EN ALGÉRIE
Disons, que les modèles qui intègrent un code de
valeurs formé autour de notions éducatives clés, ayant
pour objectif principal la reproduction d'un modèle féminin, sont
construits sur la base de prénotions sociales et éducatives qui
résument une certaine idée partagée de l'ontologie.
J'illustre ici mon propos à partir d'une seule valeur éducative
mais fondamentale, en l'occurrence, la notion de "hachma". Norme
éducative très différenciatrice des sexes, cette notion
signifie d'abord "pudeur, modestie, réserve" et tient à
la fois du sens mythique - elle résume la qualité fondamentale de
l'idéal féminin tel que collectivement fantasmé - et de
l'impératif religieux catégorique 118(*).
L'éducation de la fille en milieu algérien
s'instruit essentiellement de ces représentations normatives aux confins
du mystique et, pour autant que celles-ci font de la sexualité de la
femme un élément essentiel dans l'organisation de la vie en
société, on peut en déduire, en bonne logique, que la
notion de "hachma" signifie d'abord pudeur et, plus
précisément, pudeur sexuelle. C'est ce qui explique que
l'obligation faite à la femme de voiler à l'homme les parties
sexuellement suggestives de son corps constitue un impératif
catégorique explicite, c'est-à-dire en somme une "doxa",
un indiscuté.
A. Demeerseman (1967) écrit que "La notion de
"hachma" signifie pudeur, mais... elle veut dire aussi réserve
et même honte (`ayb)". Celle-ci renvoie, écrit
à son tour L. de Premare (1975), au "sentiment d'angoisse et de la
culpabilité devant la faute ou le déshonneur" 119(*). Donc, de même qu'elle
traduit un sentiment de honte éprouvé devant un acte, un geste ou
une attitude répréhensibles, "la hachma" peut
suggérer aussi l'interdit associé à toute action
jugée honteuse (`ayb) car moralement proscrite
(harâm).
Replacé dans cette logique socio-religieuse, le culte
de l'honneur dans la famille algérienne va ainsi représenter pour
la mère le pôle de référence de sa stratégie
éducative à l'égard des enfants de sexe féminin.
Mais le succès de celle-ci reste, cependant, tributaire de l'observation
scrupuleuse d'un certain nombre de conduites qui supposent toutes une
soumission illimitée (tâ`a) à l'autorité
parentale. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les signes indiciels
de la réussite de cette éducation peuvent fort bien
résumer, chez la fille, un tableau d'allure phobique : peur panique du
père et du représentant de l'autorité en
général, timidité excessive devant l'étranger et,
surtout, angoisse expectante face à la perspective d'une faute toujours
possible.
On aura compris que, dans ce registre de phobie,
mère et fille en Algérie subissent de concert la permanence d'une
violence symbolique, résidu normalisé de la culture
phallocentrique car si la mère est bien la force disciplinante en tant
qu'elle est l'assignation principale des normes éducatives de la fille,
elle est aussi et, en contrepoint de cette fonction de pouvoir dont elle tire
maints bénéfices secondaires, la première victime de la
norme masculine face à laquelle son attitude paraît, pourtant,
toujours paradoxale, mitigée : alors même qu'elle en
conçoit l'abus et l'hégémonie traditionnels, elle en
devient le vecteur essentiel dans sa transaction éducative avec la fille
comme si sa propre identité ne pouvait finalement s'exercer que dans une
forme socialisée et sexuellement différenciée
d'identification passive à l'agresseur, soit aux normes sociales et
religieuses, au mari, au fils etc. et dont elle s'érige en police de la
loi.
Aussi, la mère en Algérie acquiert-elle, en
cette occurrence, la fonction peu enviable d'instrument de la norme
(hachma et notions corrélatives) et dont le véritable
objet - on l'aura compris - est de l'installer dans un mouvement dialectique
d'échange et de reproduction symbolique (à travers
l'éducation qu'elle reçoit et qu'elle donne à son tour) et
qui a pour effet d'inhiber sa féminité c'est-à-dire, en
fin de compte, de verrouiller sa sexualité. Dignité, honneur,
pudeur et surtout respect absolu de l'ordre et de l'autorité masculine
ne représentent-ils pas dans la culture musulmane les principaux
fondements d'un système éducatif dont l'objet véritable
est d'inféoder la femme à l'homme ?
Ces valeurs et bien d'autres s'acquièrent tôt
dans la vie de la petite fille et si leur didactique se fait selon une
évolution linéaire, celle-ci reste, cependant, courte en ceci que
la puberté et l'adolescence ne sont guère conçues comme
phases du développement (et cela que l'on se place d'un point de vue
génétique ou psychanalytique) mais correspondent,
précisément, à son aboutissement. En conséquence de
quoi, la pratique sociale traditionnelle ne justifie l'existence de la jeune
fille que par une seule finalité, celle de son mariage et, autant que
possible, de son mariage précoce car ne fait vraiment honneur au groupe
que la jeune fille (`adrâ') qui convole, très tôt,
en justes noces, moment essentiel du processus éducatif grâce
auquel la fille peut enfin espérer réaliser sa complétude
narcissique, c'est-à-dire son accomplissement total.
Dans cet ordre d'idées, le tabou de la virginité
qui a marqué l'histoire de l'humanité est encore très
prégnant en Algérie et quelles que soient la teneur et
l'intensité des changements socioculturels qui s'y jouent, le mythe est
toujours là, culturellement invariant et psychologiquement
envahissant.
Je peux dire, pour terminer, un mot de l'éducation
religieuse à laquelle la mère soumet sa fille : en tant que
support du système de représentation du groupe qui y puise
l'essentiel de ses modèles éducatifs, l'éducation
religieuse a pour fonction psychologique d'initier précocement la fille
à un faisceau d'interdits dont l'intériorisation procède
d'une représentation manichéenne du bien et du mal. D'ailleurs,
à l'appui de cette éducation religieuse prévaut une
référence constante tant aux textes de la loi coranique qu'aux
modèles féminins islamiques. Les femmes du Prophète sont
la référence que la tradition évoque volontiers pour
vanter les mérites d'une femme accomplie.
Parallèlement, les légendes et les pratiques
magiques qui impressionnent l'imaginaire de la petite fille sont
régulièrement contées dans le même but
éducatif d'évitement phobique de toutes les tentations futures,
en particulier celles à coloration sexuelle et que la tradition
réprime. Il serait pourtant réducteur de considérer que
ces notions de "hachma" (pudeur), de "`ayb" (honte) etc.
recouvrent exclusivement les représentations collectives des conduites
féminines. Les garçons sont aussi intimement concernés
mais dans une perspective de rôles et de conduites différente.
La pudeur et la honte sont, en effet, des sentiments
indissociables des attitudes que doit manifester un jeune homme respectueux des
usages : lorsqu'il croise, par exemple, une jeune femme, il doit veiller
à ne pas l'indisposer en évitant de porter sur elle un regard
insistant et indiscret. En contrepartie de cette conduite d'évitement,
il peut s'attendre à ce que les autres se comportent de même
à l'égard de sa mère ou de sa soeur.
Contrairement aux stéréotypes répandus
quant à l'excès de pudeur de la fille algérienne par
opposition à la trop grande virilité dont ferait preuve le
garçon, il y a une troisième notion, intermédiaire
celle-là, qui borne les limites à ne pas transgresser. Cette
dernière notion est celle du "nîf" ou de
"kdâr" que traduisent respectivement les termes d'honneur et de
respect. L'honneur familial comporte aussi bien la défense de
l'intimité (horma) du groupe restreint que celle du groupe
élargi (le voisinage, la communauté ...). Respecter la pudeur
d'autrui c'est travailler, dans un système d'échanges
symboliques, au respect de la sienne propre.
L'autorité que doivent exercer les aînés
(pères, frères, cousins... ) sur les plus jeunes, et sur les
filles en particulier, ne doit en aucun cas souffrir d'équivoque ni
être contestée alors même qu'elle peut être
parfaitement contestable. Telle est la règle sans laquelle les
mécanismes de reproduction des valeurs familiales risquent d'être
gravement altérés avec, pour corollaire, les dangers qu'une telle
situation ferait encourir à la cohésion et à la
solidarité familiales. L'autorité du groupe revient au patriarche
et, à sa mort, au plus âgé de ses enfants ; mais, souvent,
c'est au plus capable que reviendra cette autorité, ce qui ne va pas
sans conflits. En effet, le statut de chef de famille n'étant pas
institué, c'est le plus fort qui va le prendre de fait.
III - LA FEMME ET LA SEXUALITÉ
A- ENTRE TABOUS ET PERVERSIONS
On constate que la problématique de la sexualité
commence, ces dernières années, à revêtir une
importance particulière dans le cadre des recherches et des
études engagées autour d'elle.
"Plus la contrainte religieuse est grande, plus le
refoulement sexuel est accru (...). L'enthousiasme religieux qui insiste
à châtier toute contravention au nom de la religion est toujours
motivé par des pulsions sexuelles..." 120(*).
Cette problématique est prise dans sa
particularité spécifique ou considérée sous l'angle
de ses rapports avec d'autres phénomènes sociaux à partir
d'une vision socio-idéologique donnée. Il est certainement
inutile d'affirmer que beaucoup d'ouvrages littéraires ayant
abordé la question sexuelle, dans sa forme ou dans son fond, ont
toujours été prohibés et considérés comme
des tabous qui nécessiteraient une autopsie.
En Algérie, des ouvrages (des disques ou cassettes) ont
fait l'objet de saisie ou encore d'interdits de paraître sur la base de
reliquats culturels et d'arrières plans sociologiques dont la
concrétisation effective se traduit toujours par la langue de la
réprimande "réglementaire" et de la répression
"légitime".
Partant de cette incompatibilité discordante entre le
tabou sexuel et l'acte littéraire s'y rapportant, il est utile de faire
l'approche de la nature de la problématique de la sexualité en
posant, de prime abord, les questions suivantes : Pourquoi cette
sexualité ? Pourquoi l'intérêt porté sur elle ?
Pourquoi se cantonne-t-on précisément dans cette partie interdite
du discours du soi intime ? Pourquoi aussi l'aborde-t-on avec beaucoup de
circonspection et de méfiance à chaque fois qu'on tente de
reconnaître en elle un aspect fondamental de notre personnalité,
une composante essentielle de notre développement psychologique et une
nécessité de notre croissance biologique ? Pourquoi et comment
est-elle masquée et travestie dans son contenu ou encore occultée
dans son essence ? Est-elle une exception tout à fait différente
des autres phénomènes humains ? Est-ce que le bannissement de la
sexualité du champ des connaissances est dû à sa nature
objective ou bien à la subjectivité du chercheur ou encore
à d'autres formes de censure ?
La plupart des religions ont proclamé, sans
équivoque, l'infériorité de la femme en l'inculpant du
péché mortel (le péché du corps) autour duquel
elles ont tramé une quantité de mythes et de superstitions qui
confèrent à l'acte sexuel toutes sortes de sacrilèges et
de qualificatifs infâmes et qui n'était admis, désormais,
que dans les limites du mariage sacré "ou légitime".
B- L'AMOUR ET LA SEXUALITÉ
J'aborde ici les notions d'amour et de sexualité
véhiculés par un biais que nous procurent les pratiques
éducatives. Leur dureté et leur mise en oeuvre ne peuvent
qu'impressionner durablement tout individu et inhiber en lui tout désir
de transgression. Il est permis de dire d'emblée que l'éducation
sexuelle en tant que telle est inexistante en Algérie.
L'éducation de l'enfant incombe principalement à la mère,
accessoirement aux autres femmes de la maison, mais en aucun cas au
père. Ce dernier est seulement dressé en permanence par la
mère comme une menace. De fait, le père n'intervient qu'en
dernier recours et seulement pour infliger le châtiment qui se joue comme
un drame. Les parents ne jouent aucun rôle dans l'éducation
sexuelle de leurs enfants, celle-ci se fait plus tard entre garçons ou
entre filles, en passant par l'observation des animaux. Au bout du compte, la
fille retient surtout qu'elle doit sauvegarder sa virginité.
Cette obsession de la virginité hante les esprits en
permanence ; les propos des femmes montrent à quel point la fille est un
sujet d'angoisse : " La fille fait notre tourment depuis sa naissance
jusqu'au jour de son mariage. C'est comme une bombe...". La relation
imaginaire entre sexualité et sang virginal interdit à la fille
pubère de parler de ses premières règles à sa
mère et la conduit à se confier aux jeunes filles plus
âgées. La menstruation est liée à la saleté
corporelle puisqu'on la désigne par le verbe "laver" (en kabyle
et en arabe dialectal) et impose une distanciation par rapport aux lieux et aux
rites sacrés, l'interdit du jeûne durant le mois de Ramadan et
l'abstinence des relations sexuelles. Les règles éducatives ont
pour but de faire du garçon, un garçon doué des trois
qualités fondamentales que sont l'honnêteté, l'esprit de
famille et le désintérêt pour les femmes et la
sexualité et de la fillette, une femme obéissante, soumise,
polie, respectueuse et surtout effacée. Cette attitude
sévère n'a d'autre but que de faire intérioriser à
l'enfant l'interdit de la sexualité et aussi l'idée que celle-ci
n'est pas son affaire mais celle de la société.
Le mariage est l'institution qui canalise les pulsions
sexuelles. On payait (et encore parfois aujourd'hui) de sa vie toute union
sexuelle extra-conjugale, du moins pour ce qui concerne les femmes. Le
déshonneur du père par sa fille est plus dramatique de tous. Il
l'est bien plus que celui du mari trompé car, si l'épouse n'est
qu'une alliée qu'on peut renvoyer chez elle en faisant retomber la honte
sur la famille, la fille est une personne de la lignée et sa faute en
"éclabousse" tous les membres. G. Devereux, à partir
du travail devenu classique de C. I. Lévi-Strauss 121(*) sur l'échange et la
circulation des femmes et l'analyse d'un cas clinique, a montré que
"le possesseur" d'une femme (père, frère, mari) ne peut
concéder à un autre homme qu'au prix d'un "contre-don"
symétrique, selon la loi du talion : oeil pour oeil, femme pour femme.
Les rites complexes de la cérémonie du mariage
ont pour but moins d'allier deux familles que de nier l'hostilité
qu'engendre la cession d'une famille. "Être l'objet du coït
souille l'honneur de la femme, mais encore plus, et même
d'abord, celui des hommes de sa famille" car, du point de vue
fantasmatique, "faire l'amour avec une femme, c'est le faire avec son
époux, son père, ses frères ; c'est les dégrader,
les châtrer, les féminiser"(1). Le fait que sa
fille, sa soeur ou son épouse couche avec un autre homme est vécu
par "le propriétaire" comme une agression homosexuelle venant
de cet homme. Ce que la société réglemente "concerne
non les rapports entre hommes et femmes mais les rapports des hommes entre eux
puisque les transactions se font entre hommes : les femmes en constituent
simplement l'objet" 122(*).
Chaque homme et chaque femme vivent, non dans l'expectative de
connaître l'amour, mais dans celle du mariage, institution à
laquelle on ne saurait échapper. On a dit que le célibat
représente un grand malheur pour la famille. L'union matrimoniale fait
d'une pierre deux coups puisqu'elle permet non seulement la procréation
nécessaire à la pérennité de la famille, du clan
mais également la canalisation des pulsions sexuelles d'une
manière réglementaire conforme à l'idéal social.
La langue peut renseigner sur les concepts pouvant
s'apparenter à ce que l'on nomme "le sentiment amoureux", si
toutefois un tel sentiment est conceptualisant dans une société
foncièrement basée sur les rapports communautaires niant
l'individu. La morale courante ne permet pas d'exprimer le frissonnement intime
que peuvent communiquer les êtres et les choses au moi sensible de
l'individu. L'émotion et le bouleversement intérieur demeurent
secrets car ils paraissent dérisoires au regard des valeurs collectives.
Les Kabyles n'accordent qu'une place marginale au sentiment
amoureux ou, plutôt, pour parler comme G. Devereux 123(*), l'item culturel
"amour" n'appartient pas au courant principal de la culture. Cette
formulation a le mérite de ne pas limiter l'analyse des données
sociologiques à leurs fonctions explicites et tient compte des
contradictions inhérentes à tout système ; en outre, elle
laisse supposer que ce sentiment spécifiquement humain existe d'une
manière ou d'une autre dans toutes les sociétés humaines,
lesquelles doivent nécessairement lui offrir une "niche" dans
laquelle il peut s'insérer.
L'amour dans la culture kabyle, s'il n'est pas ouvertement
valorisé comme peut l'être d'autres sentiments plus
"nobles", n'en constitue pas moins un idéal individuel. Ces
deux matrices mutuellement contradictoires se complètent car elles
actualisent cette ambivalence fondamentale envers ce sentiment lorsqu'il
survient chez un membre d'une famille à laquelle il pose problème
face à la société. L'amour, parce qu'il renvoie à
la liberté sexuelle, cristallise l'agressivité normalement
refoulée des membres de l'entourage vis-à-vis de leurs propres
ascendants qui les en ont frustrés et qu'ils refusent à leur tour
d'accorder à l'un des leurs.
Le négativisme social de la magie féminine
émerge clairement sous ses deux aspects puisque, soit qu'elle suscite
l'amour, état fortement condamné et lui-même conçu
comme "désordre" s'apparentant à la folie, soit qu'elle
le détruise dans sa légitimité, elle tend à saper
la structure sociale dans sa reproduction. Si la magie est le secret de la
parole féminine, la parole magique serait-elle une parole amoureuse ?
"Les conduites magiques ne répondent pas à
une motivation amoureuse et l'érotisme exprimé dans les rites
n'est qu'un moyen et non une fin.
(...). La motivation essentielle opérant dans la
magie négative (celle qui sépare les couples) est
incontestablement la jalousie. (...). C'est à coups d'ensorcellement et
de désensorcellement que les femmes règlent leur vie sociale et
relationnelle" 124(*).
La jalousie est organisée dans un ensemble de valeurs
et de normes et, en tant que telle, est une composante implicite des rapports
familiaux et villageois. La magie de l'amour en tant que pouvoir féminin
s'applique au domaine le plus intime de la vie, justifiant ainsi son
investissement par les femmes. Cette magie féminine, transmise par voie
féminine et s'adressant à une clientèle féminine,
refait le monde de telle façon qu'il fonctionne
à sens inverse : la femme active s'oppose à l'homme passif sur
lequel elle agit à sa guise ; capable de lui insuffler l'amour et la
haine, il ne possède aucune arme pour se défendre. Si les
représentations structurales du monde ont pour point initial la
séparation des contraires que l'action humaine tente de réunir
par des rites pour assurer son renouvellement, la magie d'amour, elle, permet
non seulement d'unir mais aussi de désunir, donc de manipuler le monde.
La transgression des tabous inhérents à la magie
constitue, en quelque sorte, sa raison d'être où les femmes
trouvent leur revanche dans une société qui les conçoit
dangereuses. Si les croyances magico-religieuses sont les mêmes pour tous
les membres d'un groupe donné, elles demeurent seulement des croyances
pour la plupart des membres de ce groupe. Ce qui différencie la
magicienne des autres membres de sa communauté, c'est qu'elle a
transformé ces croyances en expérience. La femme se sent
continuellement observée par les autres et ne peut échapper
à cette tyrannie du regard. De son point de vue, cette observation
constante ne peut se motiver que par un sentiment jaloux et la
préméditation d'un mauvais coup magique qui sera porté
contre elle. Les Kabyles croient aux esprits, aux génies et autres
êtres surnaturels mais ne racontent pas qu'ils ont vérifié
leur existence tangible.
L'homosexualité féminine, bien qu'il soit
difficile d'affirmer son existence réelle, ne laisse subsister aucun
doute quant à la présence de fantasmes s'y afférant. On la
perçoit à travers le langage et les expressions des femmes
lorsque celles-ci se trouvent entre elles. La société
algérienne ne laisse pas à l'individu la liberté de
choisir son objet d'amour, celui-ci est amené à n'aimer que
lui-même. La femme kabyle, dans sa quête d'amour qu'elle
souhaiterait trouver chez son mari, est loin de répondre à un
quelconque attachement pour lui. Son besoin est moins d'aimer que d'être
aimée. Elle veut faire que "son mari l'aime comme elle s'aime
elle-même"125(*). L'amour véritable, elle le
développera plus tard pour ses enfants (mâles) desquels elle ne
parviendra jamais vraiment à se détacher ni à accepter
qu'ils portent leur affection sur ses futurs brus.
La sexualité de la femme est complètement
niée. Sa sexualité et son sexe n'existent que pour la jouissance
de l'homme. Le rôle qui lui est imposé dans l'acte de l'amour est
essentiellement passif. Selon le discours masculin, les sexes ne sont pas
égaux, il y a un sexe fort et un sexe faible. Dans le discours
féminin, les femmes se décrivent comme une race de géantes
butant quotidiennement et directement contre les "monstres"
destructeurs que sont le chômage, la pauvreté et le travail
dégradant. Le rapport des sexes est toujours inextricablement et
inconditionnellement lié au rapport de classes (les intellectuels, les
analphabètes...).
Toute une littérature maghrébine traite du
problème de la sexualité. A. Boudhiba 126(*) a placé la
sexualité dans la vision islamique. Pour lui, c'est une
"synthèse harmonieuse et un ajustement permanent de la jouissance et
de la foi". Il s'agit d'une étude approfondie et non exhaustive,
à mon avis, dans laquelle le concept est confronté avec les
comportements conscients et observés hier et aujourd'hui. Dans son
article "Virginité et Patriarcat", Fatima Mernissi 127(*) analyse les contradictions
internes des relations hommes / femmes, contradictions nécessaires aux
privilèges de l'homme maghrébin mais qui peuvent pousser la femme
à lutter sans relâche en ayant recours à des pratiques
telles la virginité artificielle, par exemple.
Ce thème a aussi été approfondi dans
l'ouvrage de A. Gaudio et R. Pelletier 128(*) qui nous apportent quelque lumière sur la
place de la femme dans l'interprétation de la loi coranique : de la
réclusion féminine au mariage forcé, du port du voile
à la virginité obligatoire, du harem à la peine de mort
pour adultère. D'après mes entretiens et les diverses discussions
avec les femmes durant mes séjours en Algérie que les pratiques
magiques et la sorcellerie ne sont pas absentes dans les rapports sexuels des
Algériens dans la mesure où elles sont une arme qui contribue,
pour certaines femmes, à acquérir une place dans l'acte de
l'amour, afin d'être considérée et respectée.
C- LE TABOU DE LA VIRGINITÉ
Dans le milieu algérien, la vie sexuelle est
canalisée vers le mariage. Tout projet sexuel en dehors des liens
sacrés du "nikâh" est considéré comme
"zinâ" (prostitution) et donc illicite. Le mariage, quant
à lui, est centré sur la virginité de la jeune fille,
signe et symbole de l'honneur même de la fille et de sa famille. La
société patriarcale a dicté aux jeunes filles qu'elles
doivent rester vierges jusqu'au mariage. La perte de la virginité est un
délit honteux qui ne peut être "lavé que dans le
sang", comme on dit dans les pays arabo-musulmans, en
général.
Si la virginité est une règle de morale que
seules les filles doivent respecter, les mères, de leur
côté, défendent ce "privilège" en
surveillant étroitement leurs filles. La mère, responsable de
l'éducation de ses filles, marquée par l'éducation qu'elle
a subie elle-même, conditionnée à voir dans la
virginité le seul trésor de toute jeune fille, perpétue la
tradition en veillant jalousement sur la virginité de ses filles.
Privée de sa liberté quant à son propre corps, la
mère ne peut que priver les autres de cette liberté.
Inconsciemment donc, elle refuse à ses filles ce que la
société lui a refusé.
"... L'éducation des filles dans les familles
(...) qu'elles se tiennent à bonne distance de l'homme et on leur
inculque de prendre garde et de ne pas s'exposer au danger en croyant aux
subterfuges employés par les hommes" 129(*).
Les femmes perpétuent la tradition concernant la
virginité et confirment que l'hymen de la jeune Algérienne est
l'affaire du groupe auquel elle appartient. Toujours exposé au regard et
au jugement des autres, l'individu algérien n'a de signification que
dans le corps social. Son individualité, sa personnalité sont
catégorisées au sein d'ensembles organisés. Dans une
société patriarcale conservatrice, la revendication d'une
identité originale est conçue comme une affirmation de soi, une
revendication de sa différence.
Or, pour la société algérienne, la seule
image positive consiste à adopter des comportements conformistes qui,
seuls, peuvent permettre la valorisation et la reconnaissance sociales.
Conditionnée à vivre selon l'image que la société
leur impose, les jeunes filles répondent, en grande partie, aux attentes
du groupe.
"Passivement à des actes aliénants comme le
fait d'accepter des visites médicales pour rassurer la mère sur
l'état de leur hymen... Cette situation montre que les jeunes filles
sont obligées..." 130(*).
Dans les opérations d'éducation de la fille
travaillent tous à faire naître en elle une angoisse
particulière bien connue des ethnologues et psychanalystes. R. Toualbi
dans sa thèse a dit : «l'angoisse du tabou de la
virginité».
" (...) , quel que soit le niveau socio-économique
et d'instruction atteint par nos enquêtées (jeunes filles),
l'obligation de la virginité, impliquant l'interdit de la
sexualité pré-conjugale, occupe une place centrale dans leurs
représentations et dans leurs appréhensions
régulièrement dysphoniques, portant sur la sexualité et
ses avatars... " 131(*).
L'un des buts essentiels de l'éducation de la fille en
milieu algérien est de la préparer tôt aux sacres du
mariage en la fixant, dès l'orée de sa vie, sur la crainte
obsessionnelle de la perte de la virginité, tabou dont la mère
est l'assignataire principale. Dès lors que cet incident forme tout un
sécable d'une représentation communautaire du code de l'honneur
(horma), il est, à ce titre, collectivement investi d'une
valeur située aux confins du mystique si bien que, pleinement
enserrée dans ce registre symbolique, la jeune fille n'ignore pas
qu'elle est la dépositaire d'un impératif catégorique
essentiel : c'est dans le rituel d'offrande, soit à proprement parler
dans la blessure subie, que s'accomplissent en dernière instance l'acte
purificateur et l'agrégation sociale mettant fin aux épreuves de
socialisation de la femme en Algérie.
La mère, qui entretient dans ce registre particulier un
rapport quasi- symbiotique avec la fille, y puise, à son tour et comme
par ricochet, un motif insigne de glorification personnelle, l'assentiment du
groupe - et elle le sait - lui étant également en cette occasion
destiné. Il s'agit donc bel et bien d'une "mise à
l'épreuve" solennelle dans laquelle sont évalués, au
moyen du respect dévolu à un tabou - celui de la
virginité -, les mérites éducatifs de l'endogroupe, ici
véhiculés par le personnage central : la mère. De
là vient l'angoisse dont celle-ci fait preuve, au lendemain des noces,
dans sa quête toujours anxieuse d'indices visuels confirmant a
posteriori le respect de ce tabou.
Ce rituel persiste tant et si bien, en Algérie et qu'au
Maroc, qu'il revêt, dans certaines de ces régions, un niveau
d'ostentation tel que L. de Premare (1973) se dit frappé par :
"L'apparente contradiction d'une attitude collective, qui
entoure habituellement la jeune fille sur la vierge du "voile de la
honte", centre l'éducation de la fillette sur la pudeur et la
réserve et qui, cette nuit-là, semble au contraire exposer
l'intimité de l'épouse aux regards de l'entourage"
132(*).
Ce constat peut, en effet, intriguer celui qui s'en tient
à une lecture de surface mais cette contradiction disparaît
aussitôt la question de la virginité replacée dans le
contexte réel qui est le sien, le contexte psychologique et symbolique
proprement dit. Disons que, pour autant qu'elle s'apparente comme ici à
un exhibitionnisme sexuel, la publicité entourant la défloration
nuptiale correspond en réalité, dans l'économie des
échanges symboliques intergroupes, à une double
nécessité : d'une part, au besoin de confirmation des
qualités morales et sociales de la famille de la jeune fille et dont
"la marque de fabrique" 133(*) est, pour ainsi dire, reconnue ce jour-là et,
d'autre part, à l'obligation faite au groupe étranger contractant
de confirmer publiquement son assentiment quant à l'alliance ainsi
réalisée.
L'obsession des mères algériennes à
vouloir préserver à tout prix l'intégrité physique
de leurs filles est-elle, dans ce registre paranoïaque, parfaitement
compréhensible comme l'est non moins leur propension à
s'entourer, à cet effet, de mesures conjuratoires et de protections
diverses. La plus connue au Maghreb est celle de la "ferrure"
(R'bît en arabe). Rituel magique dont le principe
général est d'induire l'inhibition sexuelle sur le couple, la
ferrure s'accomplit invariablement aux détours d'un
cérémonial dont les maîtres d'oeuvre sont de vieilles
femmes à la réputation bien établie. Ce n'est que quelques
jours avant les noces que la mère fait lever le sortilège et que
l'inhibition est sensée disparaître. La clinique
psychopathologique nous en révèle l'incidence formée pour
l'essentiel d'impuissance psychosexuelle chez l'homme et de frigidité
chez la femme134(*).
Cette pathologie circonstancielle me paraît
résulter de l'aptitude de certains sujets (hommes et femmes) à
"subjectiver" cette croyance qui fonctionne alors selon les principes
de la pensée magique : le sortilège sitôt connu ou
pressenti, il se produit sur le couple une sorte d'équivalence
symbolique entre l'intention et l'action, l'interdit et l'empêchement,
processus inconscients qui vont mettre en branle les mécanismes
habituels inhibiteurs de la sexualité 135(*). Les symptômes cliniques de cette action sont
maintenant bien connus : ils se résument à un défaut
d'érection chez l'homme et à un vaginisme de type
hystérique chez la femme.
Si le tabou de la virginité peut paraître
aujourd'hui en passe d'être relégué à
l'arrière plan des préoccupations conscientes des jeunes en
milieu urbain, il n'en reste pas moins qu'il continue de peser d'un poids
important sur leurs représentations inconscientes de la
sexualité.
"Les conduites de dénégation et de
rationalisation qu'il persiste à produire dans leurs propos
mitigés autour de cette question ou le recours en plus signalé
à la chirurgie réparatrice de l'hymen indiquent, à ne pas
s'y tromper, la persistance voire la résurgence du tabou dans les
conduites et représentations collectives" 136(*).
Voilà là un bel exemple de discordance entre,
d'une part, la représentation culturelle de l'identité et la
pratique et, d'autre part, de conduites de novation qui, pour autant qu'elles
sont réellement désirées, sont inconsciemment
verrouillées par une culpabilité sous-jacente de
dénaturation identitaire. A l'approche du mariage certaines jeunes
filles vont se refaire l'hymen à un prix exorbitant chez les chirurgiens
(interdit par la loi mais bon nombre de chirurgiens pratiquent ce genre
d'interventions).
Il me semble pouvoir dire, pour terminer, que l'un des aspects
essentiels de l'éducation de la fille en Algérie tourne autour de
la thématique sexuelle et de ses interdits. Le respect du tabou de la
virginité représente, sans aucun doute, l'un des
éléments fondamentaux de cette éducation et qu'il
cristallise, tant d'angoisse et de fantasmes collectifs, mais il serait faux de
croire qu'il est seul à le faire. La sexualité n'acquiert, en
Algérie, cette valeur mythique dans les représentations
collectives qu'en tant qu'elle forme une partie insécable d'un tout
culturel sanctifié car tirant sa source d'un dogme religieux plus ou
moins bien vécu, plus ou moins interprété.
D'autres valeurs aussi importantes que la sexualité,
telles que le code de l'honneur, la solidarité familiale, l'organisation
des rapports inter-sexuels, etc., intègrent ce "sanctuaire"
culturel qui a pour effet, au plan psychologique, de restreindre
considérablement la marge de liberté laissée à la
mère comme à la fille d'inscrire leurs trajectoires vitales dans
une perspective autonome, moderniste.
À ce sujet, les observations pour l'Algérie ont
rejoint conjointement celles de D. Jeambar 137(*) pour la Tunisie et de S. Naâmane-Guessous
138(*) pour le Maroc et
montrent à quel point le tabou de la virginité a la vie dure au
Maghreb. Ni le facteur temps, ni les processus de changement socioculturels qui
travaillent cette région du monde ne semblent avoir réussi,
jusque-là, à réduire la charge symbolique que ce tabou
exerce sur les représentations collectives.
Dès lors, les attitudes culturelles cessent
d'être modernistes, éclectiques ou ambivalentes mais se
transforment brutalement en conduites de sacralisation de l'ancien
régime qui sert de matrice à la formation d'une identité
originelle pure, et débarrassée de toute aspérité
culturelle novatrice.
Dans la mesure où leur système de
représentation apparaît régulièrement coincé
entre des sollicitations culturelles contradictoires, leur adaptation
psychosociale est, de ce fait, plus laborieuse et, sans doute, plus incertaine.
Enfin et compte tenu de l'enrichissement actuel de la société
algérienne vers un traditionalisme plus affirmé, il est à
craindre que des groupes de jeunes ne s'en laissent finalement convaincre, le
retour vers les origines culturelles pouvant représenter pour eux
l'issue la moins pénible, en termes psychologiques, à la
résolution des contradictions véhiculées par
l'hétérogénéité culturelle.
Bien différentes me sont apparues, de ce point de vue,
les attitudes féminines qui relèvent du même niveau
d'acculturation. Je dirai que, dans l'ensemble, celles-ci s'expriment autour de
motivations lancinantes et compulsives où un fort désir de
changement apparaît souvent en réaction à un sentiment de
" victimisation" et de persécution. La condition
féminine négativement appréhendée dans des rapports
d'inféodation culturelle à l'autorité masculine explique
une bonne part des conduites auto-dépressives et suscite, en
compensation, la détermination des filles à lutter contre la
suprématie sociale de l'homme. Dans la logique conflictuelle de cette
relation inter-sexuelle, les conduites féminines s'insinuent, dans bien
des cas, sous la forme de manifestations réactionnelles où les
attitudes de protestation, de rejet et de défi prévalent pour
afficher un modernisme outrancier.
Si nous voulions schématiser à l'excès,
nous dirions que les jeunes filles sont capables d'exprimer, dans une
même unité de temps, des conduites à la fois
traditionalistes et modernistes (comme Malika, Chabha ou Melha...), un tel
syncrétisme de valeurs correspondant à l'attitude la plus
fonctionnelle dans le traitement des situations de crise qui les
interpellent.
Ce revirement est justement en train de se produire avec les
classes moyennes de la société algérienne dont
l'alignement inattendu des positions sur celles résolument
traditionalistes des classes populaires laisse le chercheur perplexe.
La fixation de plus en plus perceptible des classes moyennes
dans une sorte de traditionalisme culturel de désespoir apparaît,
en outre, en concomitance avec l'émergence dans la société
du fondamentalisme religieux. Ne peut-on alors penser que celui-ci est venu
à point nommé pour combler un "vide" culturel et
idéologique laissé par le biculturalisme, lequel
révèle ainsi ses limites - voire sa faillite - à organiser
là où il existe, un modèle socioculturel stable et
fonctionnel ? Car, à bien y regarder, l'islamisme algérien
pourrait fort bien traduire le symptôme le plus visible
Rappelons qu'en Algérie où, du fait de la forte
montée de l'islamisme, la question culturelle et identitaire a pris une
tournure dramatique, ce sont surtout les femmes et les mères qui portent
ensemble la revendication d'une société de progrès et de
liberté. Ce n'est donc pas par hasard si, dans la hiérarchie de
leurs exigences, c'est encore le "Code de la Famille" porteur de
graves disparités inter-sexuelles qui recueille les scores les plus
accablants de leurs récriminations.
La raison en est que les femmes, qui ne sont pas dupes
d'appartenir à une société aux valeurs versatiles, savent
aussi que celle-ci est en état de trop grave dérèglement
pour qu'elle puisse correctement les défendre. Elles prennent d'autant
plus conscience de la nécessité de s'organiser et de lutter
qu'elles pressentent obscurément que, pour elles, il s'agit
véritablement du combat de la dernière chance !
Mais la question n'est pourtant pas aussi simple. Diversement
appréhendée selon un système de représentation
propre à chaque groupe social - lorsque le même groupe n'en
renferme pas plusieurs à la fois -, l'identité en Algérie,
et comme sans doute ailleurs dans le reste des pays du Maghreb, n'est pas de
forme moniste ! Nous voulons dire qu'à la culture démocratique
légitimement revendiquée
par ses chantres habituels, il faudra aussi songer à
ajouter le poids réel de celle à caractère ontologique,
c'est-à-dire islamique qui représente aujourd'hui une partie non
négligeable de la revendication d'autres femmes, algériennes et
maghrébines.
D- SEXUALITÉ, VIRILITÉ ET
FÉMINITÉ
Pour certaines femmes, la virilité et la
féminité ont des connotations négatives parce que
chargées de préjugés. Les définitions sont
faussées par les réalités sociales. Elles sont
institutionnalisées pour préserver la société de
tous les maux. Parmi les plus graves : la femme dont le pouvoir
maléfique est capable d'annihiler l'homme, la société et
la religion. Ainsi, la virilité et la féminité dans
l'imaginaire algérien sont synonymes de supériorité et
d'infériorité. Ce genre de discours instaure la séparation
des sexes, mettant ainsi l'homme à l'abri des dangers inhérents
à la femme et à son pouvoir de séduction qui est si
considérable.
La virilité et la féminité, telles qu'on
les comprend et qu'on les explique dans la société
algérienne, servent à asservir la femme par un système
d'exploitation injuste qui vise non seulement le côté juridique
mais aussi sexuel. Cette double exploitation maintient la femme dans un
état d'infériorité par rapport à son compagnon.
En Algérie, la virilité est assimilée
à la force, à la rigueur, à la violence, parfois à
l'intelligence. La féminité est assimilée à la
soumission, à la honte, à l'effacement, parfois à la
beauté. La première condition à remplir par un individu
pour être accepté par le groupe est d'être "un
homme", c'est-à-dire sans faiblesse par rapport aux femmes. La
conviction religieuse, le savoir, la compétence et
l'honnêteté ne viennent qu'en seconde position.
Malika, Katia, Melha, Chabha témoignent d'une situation
dramatique où la femme est prise au piège du discours masculin,
coincée entre un modernisme sans âme et un traditionalisme sans
âge. Cette situation installe toute l'Algérie dans des conduites
conflictuelles et des structures ambivalentes et l'individu se trouve
placé dans une situation de changement et / ou d'évolution
culturels, à la fois engagé dans le temps du progrès et
bloqué dans les normes et activités antérieures.
Chabha dénonce les rapports de force instaurés
entre les sexes. La polygamie, l'héritage, la répudiation... font
la fierté des mâles qui vantent leur propre virilité.
Cloîtrée dans sa maison, cachée derrière un voile
(l'épouse, la mère...), la femme est privée de tout
critère d'évaluation et de jugement quant à la valeur
réelle de l'homme. Pour elle, tout homme est naturellement viril du fait
de sa condition biologique. Il est homme, donc viril. C'est pour cette raison
que le mâle algérien (arabo-musulman, en général)
préfère une épouse vierge à une femme
expérimentée, plus à même de saisir les points forts
et les points faibles de l'homme.
"Cela explique pourquoi les femmes divorcées et les
veuves n'ont qu'une valeur réduite sur le marché du mariage"
139(*).
Souvent, la virilité est assimilée à
l'agression verbale ou physique de toute femme qui s'aventure dans les espaces
qui ne lui sont pas réservés. La plupart des femmes
s'élève contre cette injustice. Le témoignage que rapporte
Naoual El Saadaoui sur les années quarante au Caire reste toujours
d'actualité dans la majorité des pays arabo-musulmans. Elle
écrit ceci à ce propos :
"La ségrégation entre hommes et femmes
était si stricte qu'une femme qui avait l'audace de sortir de sa maison
devait s'attendre à être malmenée par les hommes. (...).
" 1
"Enfermées dans des préjugés sociaux,
la virilité et la féminité confinent les femmes dans des
limites très strictes et entourent le monde masculin (... )"
140(*).
À travers la littérature arabe, il ressort que
les rapports à la femme étaient empreints de moins
d'agressivité et que les hommes admettaient l'existence du désir
sexuel aussi bien chez l'homme que chez la femme. "Les mille et une
nuits" sont une longue succession d'amours ardentes, de séductions
et de belles femmes n'obéissant, à aucun moment, aux valeurs
morales ni aux lois religieuses. Il me semble que l'ambivalence de l'homme par
rapport à la femme (peur/désir) provient du fait que le
mâle viril est misogyne, que la féminité en Algérie
est le problème de toute société fondée sur le
patriarcat et la division en classes est caractérisée par
d'immenses écarts entre les différents groupes sociaux.
"La société algérienne réserve
à une minorité le droit de jouir d'une grande liberté
sexuelle et des plaisirs de la vie ; les autres, hommes et femmes, sont
contraints de se plier à un code moral (et à des traditions
très strictes) qui, souvent, ne leur permet de choisir qu'entre
l'abstinence et la mauvaise conscience " 141(*).
Concernant les jeunes filles (interviewées ou les
autres), leur expérience sexuelle est pauvre ou inexistante.
Conditionnées à faire abstraction de leur corps et à
renoncer à leurs désirs, elles grandissent dans la haine du corps
et dans le refoulement.
Dans le milieu kabyle, ou tout simplement en Algérie,
tout est mis en oeuvre pour nier la sexualité de l'individu.
L'éducation basée sur la répression est une institution
destinée à dresser le sujet en vue de lui faire
intérioriser les normes de la société dans la
négation de sa personnalité et de son individualité.
Malgré la part de liberté que Malika, Melha, Chabha, Katia... ont
acquise, elles demeurent, sur le plan sexuel, conditionnées par les
conduites sociales et les traditions.
Comme F. Mernissi le souligne dans son ouvrage :
"Sous l'Islam, (...) la sexualité est
présentée comme obéissant à des règles. Le
code unique et spécifique de la loi islamique proscrit la fornication
qui est considérée comme un crime. Pourtant, ce qui est curieux
dans la sexualité musulmane en tant que sexualité
civilisée est la contradiction fondamentale entre la sexualité de
la femme et celle de l'homme : s'il est vrai que promiscuité et laxisme
sont la marque d'un certain barbarisme, alors la seule sexualité qui ait
été civilisée par l'Islam est celle de la femme. "
142(*).
La vie sexuelle du sujet est fondamentalement
influencée par celle de son entourage. La maman de Khadidja, Fariza,
paraît être une figure sexuelle négative puisqu'elle
représente le triomphe de l'ordre sur le désordre. La
sexualité, surtout celle de la femme, est considérée comme
un danger car la femme est l'incarnation et le symbole du désordre, elle
est fitna, la polarisation de l'incontrôlable, la
représentation des dangers destructeurs de la sexualité. En fait,
ce n'est pas la sexualité qui est attaquée dans le milieu
arabo-musulman, mais la femme : force destructrice de l'ordre social.
E- LES PROSTITUÉES : FEMMES LIBRES
"La transgression rend les normes apparentes. Les
réactions émotionnelles engendrées par les transgressions
servent à confirmer la règle. Autrement dit, ce qui est
spatialement et socialement périphérique, est symboliquement
central" 143(*).
Les prostituées se meuvent dans l'espace public d'une
façon qui est associée au comportement masculin. Elles se
tiennent dans la rue et voyagent passablement afin d'éviter de
rencontrer des hommes de leur famille en travaillant. Elles adoptent des
symboles du groupe dominant ; par ce moyen, elles revendiquent du pouvoir.
On peut se demander dans quelle mesure elles dérangent
la hiérarchie sociale et spatiale entre les genres et si elles
défient l'ordre social établi qui sanctionne
l'inégalité entre les hommes et les femmes ?
Les prostituées s'approprient les codes du comportement
masculin : elles se tiennent plus larges, elles empruntent l'espace public
sans gêne, elles fument et boivent en public, elles voyagent ; bref,
elles sont visibles et audibles.
Curieusement, on observe, en Algérie, que les
prostituées, lorsqu'elles adoptent les symboles qui donnent du prestige
aux hommes, ne jouissent pas d'un respect similaire. Au contraire, elles sont
stigmatisées et socialement rabaissées. Leur statut social ne
coïncide pas avec leur statut économique. Une jeune
prostituée peut gagner autant qu'un professeur universitaire mais elle
n'aura jamais un statut social.
Les prostituées et les danseuses de cabarets, tout en
transgressant les codes de la bienséance féminine, contribuent
à confirmer la norme. Elles sont, en quelque sorte, un mal
nécessaire pour apprendre aux femmes honorables à se contenir
dans l'espace qui leur est culturellement assigné car, si le femmes se
hasardent au-delà des limites de leur genre, elles se font traiter de
filles de moeurs légères ou de...
Sur ce point , les femmes "libres" se sont
appropriées des codes spatiaux masculins. De ce fait, elles pourraient
déranger la hiérarchie entre les genres. Mais, l'inversion
symbolique fait que les symboles qui accroissent la virilité des hommes
diminuent la respectabilité des femmes. Les femmes qui transgressent les
codes sont déclassées et stigmatisées. Par peur
d'être associée à elles, toute femme algérienne
soucieuse de sa respectabilité observera la conduite et le comportement
corporels et spatiaux qui sont considérés comme bienséants
dans son contexte culturel. L'imitation du comportement "masculin" des
prostituées, des femmes "libres" n'est donc nullement subversif
mais sert, en fin de compte, à maintenir la domination masculine et le
statu quo.
Il faut signaler que beaucoup de femmes fument (mais jamais en
public), sortent, voyagent, ce n'est pas pour autant qu'elles sont
considérées comme des femmes légères : on les
classe parmi les femmes modernes, généralement, elles ont atteint
un niveau d'études supérieurs et travaillent (souvent ont des
postes assez élevés).
IV- LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE
PRIVÉ
A- LES CONDITIONS DE VIE DES FEMMES
CLOÎTRÉES AU FOYER
Les femmes représentent la majorité
écrasante de la population féminine adulte. En 1996, sur plus de
8,27 millions de femmes âgées de plus de 16 ans, environ 6,02
millions (soit 72,74 %), étaient considérées par
l'Organisation Nationale de la Santé (O.N.S.) comme femmes au foyer. Ces
8,27 millions de femmes adultes se répartissent ainsi :
Répartition de la population féminine
âgée de 16 ans et plus selon la situation matrimoniale (en
millions) 144(*)
CATÉGORIE
|
EFFECTIFS
|
%
|
Mariées
|
4 336
|
52,42
|
Célibataires
|
3 069
|
37,11
|
Divorcées / séparées
|
171
|
2,07
|
Veuves
|
695
|
8,40
|
TOTAL
|
8 271
|
100
|
Il est ironique que les statisticiens de l'O.N.S.
présentent les femmes au foyer, qui consacrent plus de 16 heures par
jour à leurs tâches domestiques, comme des "inactives".
Aujourd'hui, face à 5,08 millions de personnes occupées (4,33
millions hommes et 625 000 femmes), 6,41 millions de femmes sont à
l'oeuvre dans leurs foyers respectifs. La plupart d'entre elles se
lèvent les premières et se couchent les dernières chaque
jour.
La plupart de ces femmes au foyer ne bénéficient
pas de certaines facilités de la vie moderne. Elles ne quittent le
domaine privé que pour des visites familiales, mariages ou
circoncisions, accompagnées de leurs maris, de leurs fils ou filles ou
de leurs belles-mères. Il faut ajouter à cela la corvée de
l'eau (par manque d'eau en Algérie, des coupures d'eau sont
quotidiennes, parfois pour trois jours). Les femmes cloîtrées
ressentent fortement cet "emprisonnement" inacceptable et
humiliant.
"La claustration", rapporté par Hélene
Vandevelde-Baillière, dont se plaignent souvent les femmes, signifie
être tenue enfermée dans la maison ou, lorsqu'il est obligatoire
de sortir ou que l'on y est autorisée pour un acte précis, cette
sortie est surveillée et contrôlée. La femme qui est tenue
cloîtrée ne pourra donc jamais sortir seule :
"Les femmes sortent en groupes par famille ou la
belle-mère accompagnant sa belle-fille, à moins que ce soit le
mari (à défaut, le fils aîné) ; les femmes
âgées seulement peuvent aller et venir relativement librement. Il
y a une sorte de non-confiance radicale envers la femme ; s'y ajoutent
l'idée de la protection dont elle aurait besoin et l'idée encore
persistante qu'une femme d'un certain rang ne doit pas avoir de charges
à l'extérieur, donc n'a pas à sortir"
145(*).
Ainsi, les femmes cloîtrées au foyer vivent
pratiquement dans un isolement quasi-complet et rationnellement injustifiable.
Les résultats de recherche de Vandevelde-Baillière montrent que
la moitié de la population féminine ne bénéficie
même pas des sorties quasi-obligatoires trois fois par an, et assez peu
de rapports de voisinage libres : ceux-ci ne sont admis que lorsque les voisins
sont membres de la même grande famille, on comprend alors que les femmes
puissent employer des termes aussi forts que "prisonnière" ou
"enterrée vivante" pour définir leur propre
situation et que la satisfaction des quelques jeunes femmes libres d'aller et
venir soit si vive.
Elles sont devenues le modèle à suivre pour les
autres, notamment les jeunes à qui "la claustration apparaît
alors comme insupportable et qui luttent pour s'en affranchir"
146(*).
Dès lors, les grossesses, par exemple, deviennent des
événements qui meublent leur morne vie. En effet, elles
constituent la seule période où les femmes
bénéficient de quelques égards attentionnés de la
part du mari, de la belle-famille, des parents et enfin de la
société néopatriarcale. Souvent d'ailleurs, les femmes,
accouchant dans les centres médicaux, espèrent prolonger leur
séjour médical en ces lieux. Elles avouent aux sages femmes
qu'elles préfèrent demeurer au centre médical où
elles peuvent se reposer et changer de cadre plutôt que de rentrer au
foyer où leurs tâches et leur claustration les attendent de
nouveau. Sans doute, ces femmes préfèrent-elles rester à
l'hôpital en raison de l'exiguïté de l'espace domestique
engendré par la crise de l'habitat. Ce qui fait que la majorité
des femmes au foyer vivent dans une sorte "d'univers
concentrationnaire" 147(*).
En somme, la condition de la femme dans la
société algérienne contemporaine ne milite pas en faveur
d'une limitation par l'auto-règlementation des naissances. Par exemple,
le taux de fécondité pour les femmes en âge de
procréer (de 15 à 49 ans) était de 250 pour 2 000, ce qui
signifie qu'une femme en âge de procréer sur quatre était
enceinte et une deuxième allaitait. Mais comment, s'interroge le Dr
Jacqueline Des Forts, "une femme qui n'a pas été à
l'école et qui ne sort jamais de chez elle peut-elle remplir sa vie
autrement que par sa fécondité ?". L'enquête
démographique de 1968-1970 montrait déjà qu'avant le
débat de "l'ère de la contraception médicale en
Algérie ce qui est universellement reconnu, plus une femme est instruite
et moins elle a d'enfants 2(*)".
En 1986, le taux de fécondité s'élevait
à 9 enfants, et baissait à 7 enfants en 1992. Ce qui explique
que, durant les premières décennies de l'indépendance,
l'Algérie a connu une moyenne annuelle de croissance
démographique de 3,2 %, l'un des taux les plus élevés du
monde.
Au 1er janvier 1998, la population
algérienne totale a atteint plus de 29,3 millions de personnes contre
8,4 millions à la veille du déclenchement de la Révolution
du 1er novembre 1954. Cette croissance démographique
galopante a induit des effets dans tous les domaines de la vie sociale du pays,
en particulier sur la demande de logement, de l'éducation, de la
formation, de l'emploi, de la nutrition, de la santé...
Les détenteurs du pouvoir et leurs fouqahas,
qui s'acharnent à ériger la Charia en obstacle bloquant
l'évolution de la femme, sont en partie responsables de cette croissance
vertigineuse de la population car ils ont réussi à réduire
les femmes à de simples machines à produire des enfants. Pour
eux, la fonction de la gent féminine est de :
"Procréer, materner, allaiter... accumulant les
grossesses à une fréquence rapprochée, allaitant pendant
longtemps (deux ans voire plus), la grande multipare est une femme qui,
à la fleur de l'âge, vers trente ans, apparaît vieille
physiologiquement, épuisée déjà sur les plans
nutritionnel et somatique..." 148(*).
La fréquence des anémies parfois
sévères et des carences nutritionnelles a été
relevée dans plusieurs études.
"De plus, la multipare est fragilisée aux
infections et grossesses diverses. Or, en réalité, la grande
multiparité a un impact profond sur les conditions de la
maternité... " 149(*) .
La surmortalité maternelle est due au mariage
précoce et aux premiers rapports sexuels sans contraceptifs qui
entraînent de nombreuses grossesses successives. En effet, de 1962
à 1996, le nombre moyen d'enfants par femme s'élevait à
sept. Les fréquences des accouchements sont aussi :
"Des facteurs de risque de cancer du col de
l'utérus. Il s'agit du cancer le plus fréquent chez les femmes du
Tiers-Monde. Les décès causés par ce type de cancer
devraient être comptabilisés en tant que mortalité
maternelle à long terme. En Algérie, entre 1966 et 1975,
sur 19 884 cas de cancers diagnostiqués dans les laboratoires d'Alger,
Oran et Constantine, 3 002 étaient des cancers du col de l'utérus
et le taux d'incidence annuelle, c'est-à-dire le nombre annuel de
nouveaux cas, était estimé à 80 pour 100 000 femmes
âgées de 50 à 60 ans (presque 1 %)" 150(*).
Cette présentation des faits nous amène encore
une fois à avancer que la domination masculine est contraignante pour
les femmes algériennes et des pays arabes, ceci parce qu'il n'y a pas
d'État de droit, ce qui signifie que même les hommes ne sont pas
des citoyens à part entière. La lutte des femmes, pour être
efficace, ne devrait pas, du reste, avoir pour cible les hommes en
général mais le régime qui, enraciné dans la force
et non le droit, perpétue la domination masculine dans ses traits les
plus archaïques.
Présenter la domination masculine comme une
contradiction politique opposant des hommes oppresseurs à des femmes
opprimées procède à une confusion méthodologique
qui donne à tout conflit un contenu politique. Cette confusion
mène à une impasse parce que politiser la revendication
féminine revient à la stériliser en en faisant un courant
politique parmi d'autres, ce qu'elle n'est précisément pas. Lui
donner une spécificité politique n'offre, en outre, aucune
perspective au combat des femmes pour une égalité juridique dans
la citoyenneté. Le but du combat des femmes en Algérie n'est pas
de conquérir le pouvoir mais d'acquérir la citoyenneté
dans le cadre d'un État de droit.
La citoyenneté est déniée aussi bien aux
femmes qu'aux hommes. Le Code de la Famille n'est pas un instrument qui
empêche seulement les femmes d'être citoyennes, il est la
négation même de l'État de droit et de la
citoyenneté en général. Il est l'expression de la
résistance de la sphère domestique à la régulation
juridique de l'État.
En conclusion à ce chapitre, le régime en
Algérie n'a aucun intérêt à une évolution
comme il n'a pas intérêt à la reconnaissance d'une
sphère privée qui affirme l'autonomie de l'individu, car celle-ci
aurait entraîné la revendication de la liberté politique
dans l'espace public. Il y a une dialectique des espaces privé et public
qui façonne l'un et l'autre et qui veut que l'un n'aille pas sans
l'autre. Or, la juridiction des rapports familiaux (mariage, divorce,
héritage, adoption...) marque la reconnaissance de l'espace privé
dans lequel l'individu, sujet de droit, est protégé par la
puissance publique.
L'existence d'un espace privé suppose que la
sphère domestique soit régie par le droit étatique et non
par la conscience religieuse, ce qui implique que l'autorité publique
trouve sa finalité dans la protection de l'individu par le droit.
L'espace privé (à ne pas confondre avec la sphère
domestique ou même celle de l'intimité) n'est pas un lieu
topographique, il est l'interaction avec autrui dans tous les aspects de la vie
sociale, à l'exception de ceux qui impliquent la lutte politique pour la
conquête du pouvoir. L'espace privé est une construction
juridico-idéologique constitutive de l'espace public où se
manifestent les comportements privés et où s'exercent les
libertés civiques d'individus appréhendés dans leur
abstraction universelle.
L'espace public quant à lui, il ne s'oppose pas
à l'espace privé, au contraire, il se structure autour de lui
pour assurer la liberté de conscience individuelle de chacun. Sans
espace privé, il n'y a pas d'espace public et sans celui-là, il
n'y a pas de libertés publiques à préserver dans celui-ci.
Ce qui constitue fondamentalement l'espace public, ce qui lui est constitutif,
ce qui est, dirions-nous, sa finalité, c'est la sphère
privée, son autonomie morale et sa liberté de conscience.
CHAPITRE III
LA FEMME ET LA SCOLARISATION
I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON
ÉVOLUTION
La politique éducative de l'Algérie
indépendante a-t-elle réussi à mettre fin à la
ségrégation et à la discrimination pratiquées par
la société algérienne contre le sexe féminin ?
A- LA FAIBLE SCOLARISATION DES FILLES DANS
L'ALGÉRIE TRADITIONNELLE
La société algérienne traditionnelle ne
semble pas avoir favorisé la scolarisation des filles. Cependant, de
rares femmes lettrées ont été signalées ici et
là dans le passé lointain et récent de l'Algérie.
Par exemple, Bédjaïa a connu une poétesse nommée
Aïcha Bent Omar El Hosseïni qui a vécu au XIV
ème siècle.
Durant le XV ème et le XVI
ème siècles dans la société rurale, "la
femme, non seulement jouit d'une grande liberté, mais exerce souvent une
grande autorité" 151(*).
L'école de type moderne a été introduite
par les français pour les besoins de la colonisation. En effet, quatre
écoles coloniales en faveur des jeunes filles musulmanes ont
été installées vers 1850. Le but avoué était
d'enseigner l'arabe, le français et les travaux manuels (couture,
broderie, cuisine, etc.). Consciente que la finalité réelle de
cet enseignement était de diffuser un mode de vie et de pensée
qui lui était étranger, la population refusait d'y envoyer les
fillettes. Néanmoins, à long terme, l'école coloniale a
fini par en attirer un nombre quand bien même limité.
Ainsi, "en 1887, plus de 910 filles fréquentaient
l'école primaire dont 234 à l'école maternelle. L'effectif
féminin est ensuite passé à 1 090 en 1891" 152(*).
Cependant, la plupart d'entre elles étaient des
orphelines abandonnées dont l'éducation a été
confiée à des religieuses missionnaires. Une fois livrées
à elles-mêmes, ces filles n'ont pu être
intégrées ni à la société colonisée,
ni à la société colonisatrice. En effet, "faute de
mariage, certaines de ces pionnières de l'éducation coloniale ont
été contraintes à la prostitution" 2(*).
En dépit d'une résistance obstinée contre
l'envoi des filles à l'école coloniale, on y trouvait 2 667 en
1907 contre 30 661 garçons. En 1939-40, le nombre des
élèves algériens inscrits dans les écoles primaires
et maternelles aurait été de 114 000 dont 22 000 fillettes
3(*). Pendant la
première moitié du XX ème siècle,
l'évolution des effectifs féminins s'est avérée
très lente. En 1954, le nombre de filles n'a atteint que 76 610 et celui
des garçons 218 000, de plus, 952 filles et 5 308 garçons
seulement poursuivaient des études secondaires dans les
établissements coloniaux. À l'université, il n'y avait que
19 étudiantes contre 570 étudiants. Trois d'entre elles
poursuivaient des études en droit, trois en sciences, trois en
pharmacie, cinq en médecine et huit en lettres.
L'une des raisons de l'opposition des parents à l'envoi
de leurs filles à l'école durant la période coloniale a
été décrite par la romancière Assia Djebbar dans un
texte autobiographique :
"Dès le premier jour où une fillette
"sort" pour apprendre l'alphabet, les voisins prennent le regard
matois de ceux qui s'apitoient dix ou quinze ans à l'avance : sur le
père audacieux, sur le frère inconséquent. Le malheur
fondra immanquablement sur eux. Toute vierge savante saura écrire,
écrira à coup sûr "la" lettre. Viendra l'heure
pour elle où l'amour qui s'écrit est plus dangereux que l'amour
séquestré...
Pour combattre la misogynie omniprésente au sein de la
société algérienne colonisée d'alors, le Cheikh Ben
Badis, qui était beaucoup plus en avance que ses disciples bornés
et figés, a eu la perspicacité d'affirmer : "éduquer
un homme, c'est éduquer un seul individu ; éduquer une femme,
c'est éduquer toute une famille". Et les écoles qu'il a
fondées étaient mixtes, ouvertes à la jeune fille
algérienne. Le Cheikh était convaincu que la mixité
finira, tôt ou tard, par persuader les garçons, les futurs hommes
que les filles, les femmes de demain, ne sont ni "les filles du
diable" (Iblîs), ni "les soeurs de Satan"
(Chaytân), mais leurs véritables partenaires ayant les
mêmes droits et les mêmes devoirs, c'est-à-dire
égaux.
Et, grâce à l'intelligence de Ben Badis, les
écoles libres musulmanes créées et organisées par
l'association des Oulémas ainsi d'autres associations privées
à travers tout le territoire ont été
fréquentées graduellement par des milliers de jeunes
élèves filles et garçons puisque la plupart de ces
"Médrsas" étaient mixtes. Cette éducation visait,
non seulement à contrecarrer le processus d'acculturation, mais à
répandre la culture arabo-musulmane dans le pays.
D'après les organisateurs de cet enseignement, la
connaissance de la langue arabe, de l'histoire, des institutions et des
doctrines théologiques musulmanes ainsi que l'étude
systématique du Coran et du hadith permettent aux jeunes
filles, comme aux jeunes gens, de sauvegarder les traditions arabo-musulmanes.
Ainsi, l'idée du droit des filles à l'éducation a donc
été admise par les représentants réformistes de
l'orthodoxie musulmane. Cet état de fait a facilité aux filles,
après l'indépendance, un accès relatif à
l'école, malgré la persistance de préjugés
populaires.
Néanmoins, les femmes algériennes
étaient, durant la période de colonisation, doublement
opprimées et exploitées par le colonialisme français qui a
non seulement dépossédé la majorité du peuple
algérien de ses moyens de subsistance mais il a aussi imposé
à ses membres le statut de l'indigénat déniant aux deux
sexes, femmes et hommes, les droits civils les plus élémentaires
par leurs propres familles (pères, frères, époux) au nom
des saintes traditions berbéro-arabes et islamiques quasi-esclavagistes.
En effet, l'inégalité entre les femmes et les
hommes colonisés se reflétait par les taux différentiels
d'analphabétisme puisque ce dernier touchait, en 1948, plus de 90 % des
adultes masculins et féminins, bien que la proportion des femmes fut
beaucoup plus élevée : 98 % (selon les statistiques officielles
datées du premier novembre 1961), l'effectif des enfants
scolarisés ne s'élevait qu'à 306 737 sur un total de 2,4
millions d'enfants de 6 à 14 ans d'âge scolaire (soit 12,7 %). Ce
qui a rendu la tâche des autorités de l'Algérie
post-indépendance extrêmement difficile.
En 1958, le taux d'analphabétisme s'élevait
à 89 % contre environ 60 % en 1830. Les femmes étaient plus
affectées par ce fléau social, aggravé par le
système colonial, que les hommes : seules 4,5 % d'entre elles savaient
lire et écrire ! Sur 773 971 fillettes âgées de six
à treize ans, seules 82 879 (soit 10,7 %) étaient
scolarisées dans le primaire, représentant une fille pour trois
garçons. La proportion des filles dans les collèges et les
lycées ne s'élevait qu'à 14,4 %. Sur les 589
étudiants inscrits dans les universités, il n'y avait que 22
étudiantes.
B- L'ÉCOLE ET
L'ACCULTURATION
L'école coloniale en Kabylie a été
introduite dès 1850 afin de planifier l'acculturation 153(*) des populations hostiles de
cette région. Les Jésuites et par la suite les Pères
Blancs (1872) firent de l'enseignement la pièce maîtresse de
l'apostolat.
En 1885, une section École Normale fut
créée avec l'espoir d'en faire une pépinière
d'instituteurs kabyles. Dès 1883, une partie de la Bible avait
été traduite en kabyle sous le titre Bibli a Kabyli
154(*).
Ces initiatives se faisaient avec l'accord de l'autorité militaire
supérieure qui y voyait une "action salutaire (...) dans la
conquête morale du peuple" 155(*).
Cependant, il ne faut pas se leurrer car le fameux
privilège scolaire dont aurait bénéficié la Kabylie
ne concernait, en réalité, que quelques centres urbains et les
agglomérations des gros villages. C'était une infime
minorité d'enfants qui était touchée (filles et
garçons).
"La réussite scolaire relativement plus
élevée tient plus à des déterminations
socioculturelles internes qu'à une politique scolaire
française... " 156(*).
Cette appropriation de la culture de l'autre déclenche
immédiatement le phénomène de l'acculturation.
L'école reste le pilier central de tout projet d'acculturation.
II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE
ALGÉRIENNE
Dès l'indépendance,
l'école algérienne, qui s'était donnée pour
objectif la scolarisation totale, a été confrontée
à un phénomène de déperdition scolaire (ou
échec) d'une importance considérable. Ceci constitue un
élément d'interrogation et d'interpellation. l'Algérie a
subi, plus peut-être que la métropole (la France), les rigueurs de
la norme culturelle et linguistique. En Algérie, l'échec, en
regard aux ambitions de la politique scolaire, est réel et s'explique
par deux catégories de facteurs aggravants : le multilinguisme et la
situation historico-économique.
Une économie scolaire marquée par le boom
démographique avec, comme conséquence, l'instauration de la
double vacation (école à mi-temps permettant au même
enseignant d'assurer la responsabilité de deux classes) ou des classes
surchargées (jusqu'à 48 élèves). Or, le
modèle de l'école héritée et la très forte
demande scolaire consécutive à la politique scolaire totale se
traduisent par de nombreux problèmes pédagogiques. ; ainsi, pour
remplir son contrat social, l'institution académique se doit de former
en hâte un corps enseignant sur le tas (moniteurs, instructeurs...) se
contentant d'un personnel peu qualifié.
Pour l'élève algérien, le français
est à la fois une langue étrangère et une langue
"algérienne", c'est l'objectif à atteindre quand bien
même il est difficilement maîtrisable pour les élèves
sortant du cycle obligatoire. L'arabe, quant à lui, est
revendiqué au titre de la culture et de l'histoire, au nom de
l'efficacité aussi dans la mesure où il n'engendre guère
de difficultés scolaires, il demeure fonctionnellement un appui à
la langue prédominante dans l'accession sociale.
De nombreux travaux consacrés à l'étude
des manuels scolaires fabriqués par l'I.P.N. (Institut
Pédagogique National) ont été effectués par les
chercheurs algériens. Tous soulignent que ces outils de travail de nos
élèves offrent malheureusement une image souvent
dévalorisée de la femme. Il y a, en effet, comme le disent
Christine Achour et Dalila Morsly 157(*) :
"(...) Instance sur une conception traditionnelle du
rôle de la femme, sur les activités qu'elle peut ou doit exercer,
sur la fonction dans la société (...),
c'est-à-dire que les manuels enfoncent les mêmes clous que les
parents, la famille et l'environnement".
Il est à se demander conséquemment si cela
n'entraîne pas inéluctablement l'intériorisation de cette
image chez nos élèves.
Par ailleurs, les mères surmenées par l'ampleur
des tâches ménagères ne peuvent assumer les besognes
matérielles qu'au détriment de leurs missions
d'éducatrices et rejettent les enfants vers les dangers de la rue.
Devant cela et dans la plupart des cas, le père, confronté
à des difficultés économiques, n'assume pas le rôle
qui lui est dévolu, il se limite à assurer la nourriture
quotidienne et le logement et se désintéresse du travail scolaire
de ses enfants.
L'école algérienne est en crise. Le
système de l'école fondamentale est un échec
(instauré en Allemagne pour les enfants en difficulté).
Aujourd'hui, on a encore opté à un autre modèle. Que
peut-on faire avec des enfants (filles ou garçons) qui ont
été témoins de l'assassinat de leurs parents, de leurs
institutrices ? Que peut-on faire avec des enfants qui banalisent la mort et la
côtoient ? Que deviendra cette jeunesse demain ?
A- LES FILLES ET LA SCOLARISATION EN ALGÉRIE
Parmi les facteurs importants de changement du rapport de
domination/relégation existant entre hommes et femmes en
Algérie, on peut parler du travail salarié et de la
scolarisation. Parce qu'elle donne le moyen d'affronter correctement la vie
publique, parce qu'elle lui donne la possibilité de s'ouvrir sur de
nouveaux horizons lui permettant de dépasser les limites de son
vécu quotidien au foyer, la scolarisation est un élément
fondamental dans la constitution par la femme d'une image positive
d'elle-même. D'une certaine manière, on peut parler d'une certaine
dignité et d'une intégration sociale acquises par la femme
lorsqu'elle est au moins capable de comprendre les prix affichés, une
adresse, de lire un journal, de suivre un film à la
télévision ou d'écrire une lettre ou une requête.
La scolarisation avancée jusqu'à un niveau moyen
ou supérieur constitue, par les débouchés culturels et
professionnels qu'elle ouvre, un élément plus important pour
l'émancipation des femmes qui se trouvent ainsi mieux armées pour
lutter pour l'acquisition de leurs droits. L'éclatement de la cellule
familiale traditionnelle, la participation à la guerre de
Libération nationale, les exemples de réussite sociale et
l'élévation du niveau sociale des femmes cadres
supérieures, l'élévation du niveau de vie ont
été, en Algérie, des éléments importants qui
ont eu pour conséquence un accroissement certain de la scolarisation des
femmes. En effet, une des causes de cette entrée en masse des femmes
à l'éclatement des structures familiales est jointe à
l'exode vers les villes.
Éloignés des contrôles sociaux familiaux
et tribaux, tous les parents installés en ville envoient leurs filles
à l'école et à leur permettent de prolonger leur cursus
scolaire.
L'école produit une fissure dans l'imaginaire social
ancien basé sur la séparation des sexes et leur éducation
différenciée dans la mesure où garçons et filles y
accèdent sur la même base et les mêmes critères et y
reçoivent le même traitement.
Il est vrai que la séparation des
sexes, malgré la mixité de l'école, n'y a pas encore
été tout à fait éliminée. Ainsi, assis sur
les mêmes bancs de classe, garçons et filles, lorsqu'ils sortent
dans la cour de récréation, se séparent dans les jeux et
un contrôle très strict est organisé par les membres des
deux sous-groupes sur leurs rapports mutuels. Les maîtres d'école,
eux-mêmes éduqués dans cet esprit ou craignant les
familles, ne font aucun effort pédagogique pour mettre un terme à
ces pratiques.
Ce qu'on peut finalement constater, c'est que l'école a
déjà commencé un travail de sape profond des rapports
existants en Algérie entre hommes et femmes. Mais, on ne peut se
contenter de compter sur ce phénomène pour qu'il puisse mener
tout seul à bien cette tâche énorme et
nécessaire.
B- STRATÉGIES À L'ACCÈS DES FILLES
À L'INSTRUCTION
L'accès des filles à l'instruction semble bien
être le changement qui ébranle "le modèle de
la répartition inégalitaire des rôles" 158(*). Qu'elles en soient
conscientes ou non, toutes les mères accordent, dans leur
démarche éducative, la même importance aux études
des filles qu'à celles des garçons sans toutefois perdre de vue
leur rôle "maternel" et "domestique". Plus des
trois quarts d'entre elles se préoccupent autant ("sinon plus",
précisent quelques-unes) de la réussite scolaire de leurs filles
que de celle de leurs fils.
La discrimination qui transparaît à travers le
discours des autres se manifeste rarement au niveau d'un traitement
différentiel (âge à la première inscription, choix
de l'établissement, soutien scolaire, etc.), elle apparaît
plutôt au niveau de l'attitude et seulement lorsqu'il y a un échec
massif des garçons. La discrimination entre l'appréciation de la
réussite scolaire des frères et celle des soeurs, lorsqu'elle se
manifeste, a tendance à baisser avec l'élévation du niveau
d'instruction de la mère. Dans l'ensemble, les mères - même
celles qui travaillent à l'extérieur - prennent sur elles toutes
les corvées ménagères pour laisser une grande
disponibilité à leurs filles.
La majorité des mères exige de leurs filles la
réussite scolaire plus que l'aide ménagère : c'est leur
satisfaction première. La réussite des filles est tellement
investie qu'elle entraîne également un relâchement dans la
surveillance habituelle dont elles faisaient généralement
l'objet. Au fur et à mesure que leur réussite scolaire s'affirme,
une plus grande liberté et une confiance certaine leur sont
accordées dans leurs déplacements, surtout lorsque le motif des
sorties a trait, directement ou indirectement, aux études
(bibliothèques, excursions ou voyages d'études,
ciné-clubs, préparation des examens chez des amies, etc.). Pour
les études, certaines mères vont jusqu'à accepter que
leurs filles reçoivent chez elles des camarades garçons.
Le cheminement vers un traitement plus égalitaire
lorsqu'il s'agit de la préparation du capital scolaire des filles en
fait un processus qui n'a fait que s'accentuer par rapport à la
génération des mères. Il est, sans doute, à
l'origine de la tendance observée actuellement à
l'équilibre entre les effectifs masculins et féminins dans les
établissements scolaires et universitaires. L'accélération
du processus est soulignée par les mères elles-mêmes qui,
en parlant de leur démarche éducative actuelle, font état
des discriminations qu'elles ont vécues de "leur temps" et
qu'on ne peut plus se permettre de nos jours, disent-elles.
La différence la plus importante notée par les
mères elles-mêmes - aussi bien celles qui exercent une
activité professionnelle que celles qui se consacrent uniquement au
foyer - réside dans la priorité accordée dans leur
démarche éducative à la préparation des filles
à l'exercice d'une profession par rapport à la préparation
à leurs rôles d'épouses et de mères. La plupart
d'entre elles posent la fin des études comme préalable au mariage
alors qu'elles ont le sentiment que, de leur temps, elles étaient
perçues comme une charge délicate à manier et un sujet de
préoccupation pour leurs parents tant qu'elles n'étaient qu'un
moyen d'augmenter leurs chances de faire un bon mariage.
C- À UN NIVEAU D'ÉTUDES ÉGAL,
UN STATUT PROFES-SIONNEL ÉGAL
Le statut professionnel de la femme est déterminant
mais pas dans toutes les situations. Plus précisément, il agit
sur la fécondité lorsque la femme est de faible niveau scolaire.
Ainsi, au niveau scolaire égal (primaire), presque 7 femmes
salariées sur 10 ont zéro à 2 enfants (66,7 %), alors que
les femmes au foyer ont pour la plupart 3 enfants et plus (87 %). Cela veut
dire qu'à défaut d'instruction scolaire, c'est l'activité
professionnelle à l'extérieur qui constitue une nouvelle
ressource, une possibilité d'ouverture vers le monde extérieur.
Désormais, l'espace extérieur, l'exercice d'un
métier, la connaissance de collègues, etc. sont autant
d'éléments qui permettent à la femme de se réaliser
et de ne plus voir, dans sa progéniture comme autrefois, l'unique moyen
de s'épanouir. L'instruction scolaire agit, à son tour, sur le
taux de fécondité chez les femmes inactives uniquement. Plus ces
dernières ont été à l'école et moins
nombreuse est leur progéniture.
III- L'ÉDUCATION DE LA GENT
FÉMININE DEPUIS L'INDÉPENDANCE
Malgré un effort méritoire, les autorités
de l'Éducation Nationale de l'État indépendant n'ont pu
accueillir que 707 530 élèves dans les écoles primaires
dont 282 842 filles (soit 25,9 %). Entre 1962 et 1980, la politique du
Gouvernement algérien s'est axée sur la
généralisation de l'enseignement. Dans le primaire, le nombre
d'enfants scolarisés a atteint 2 884 084 en 1977-78 dont 1 181 756
filles (soit 40,96 %). Dans le secondaire, celui-ci est passé de 51 014
en 1962 dont 14 246 filles à 741 961 en 1977-78dont 264 828 filles. Ces
chiffres globaux appellent un certain nombre de remarques. Le tableau suivant
résume l'évolution du taux de scolarisation des garçons et
des filles entre 1965-66 et 1991-92.
Évolution comparée du taux
réel de scolarisation des garçons et des filles
159(*)
ANNÉE
|
GARÇONS
|
FILLES
|
TOTAL
|
1965-66
|
57,7
|
32,9
|
45,4
|
1970-71
|
70,4
|
43,9
|
57,3
|
1975-76
|
89,1
|
61,4
|
75,5
|
1980-81
|
88,4
|
67,3
|
78,0
|
1985-86
|
92,3
|
72,25
|
82,2
|
1991-92
|
94,16
|
79,52
|
86,99
|
En général, le taux de scolarisation des filles
dans les enseignements primaire et secondaire a augmenté pendant cette
période ; cependant, celui des garçons semble croître
beaucoup plus rapidement. Mais cette inégalité entre les deux
sexes change, toutefois, d'une région à l'autre.
Quand on examine la proportion respective des filles et des
garçons scolarisés, on constate que l'effectif féminin
représente 60,4 % et l'effectif masculin 84,4 % pour l'année
1977-78. Quantitativement parlant, on s'aperçoit, certes, que la
scolarisation féminine connaît un essor significatif.
Néanmoins, la situation sociale des filles est plus sombre que les
chiffres ne l'indiquent car, la sélection scolaire mise à part,
elles doivent subir une sélection sociale. Comment ? Les filles,
estimées en âge de se marier, doivent être
cloîtrées, voilées, se préparant ainsi à la
vie conjugale en attendant de rejoindre leurs futurs foyers.
Les autres, forcées à participer aux
tâches domestiques une fois rentrées de l'école - car
là est leur véritable rôle -, négligent ainsi les
devoirs et les travaux scolaires personnels. Cette dualité entre
l'ambition d'atteindre un niveau élevé d'instruction et celle de
se préparer à devenir femme au foyer a, que de fois,
été la raison de l'échec scolaire qui constitue, pour les
parents et le milieu social, le meilleur argument à la claustration de
la fille.
Le taux de scolarisation des filles diffère entre les
régions rurales et urbaines. Dans la wilâya d'Alger
où le degré d'urbanisation de la population est très
élevé, ce taux atteint le record de 93,5 % durant l'année
scolaire 1977-78. Dans les grandes métropoles comme Tizi-Ouzou, Annaba,
Constantine, Blida, et Oran, il est supérieur à 80 %. Il n'en
reste pas moins que 21 wilâyas sur 31 ont un taux
inférieur à 60 % 160(*). L'extrême cas est représenté
par la wilâya de Djelfa (hauts plateaux, limite du Sahara) qui
n'a que 26,7 % de filles scolarisées contre 55 % de garçons.
Évolution des effectifs féminins
entre 1981-82 et 1996-97 161(*)
RENTRÉE SCOLAIRE
|
1981-82
|
1991-92
|
1996-97
|
Effectif global
|
4 319 360
|
6 590 132
|
7 293 189
|
Dont filles
|
1 789 360
|
2 947 776
|
3 417 879
|
%
|
41,43
|
44,73
|
48,15
|
Enseignement primaire : 1ère à
6ème AF
|
3 178 912
|
4 357 352
|
4 674 947
|
Dont filles
|
1 338 761
|
1 965 859
|
2 164 303
|
%
|
42,11
|
45,12
|
46,29
|
Enseignement moyen : 7ème à
9ème AF
|
891 452
|
1 490 035
|
1 762 761
|
Dont filles
|
355 543
|
629 824
|
804 070
|
%
|
39,88
|
42,27
|
45,61
|
Enseignement secondaire
|
248 996
|
742 745
|
855 481
|
Dont filles
|
95 029
|
352 093
|
449 506
|
%
|
38,16
|
47,40
|
52,54
|
Ce tableau résume l'évolution quantitative des
filles inscrites dans les écoles fondamentales et les
établissements de l'enseignement secondaire, montre finalement que ces
"femelles", considérées jadis par les mâles comme
"inférieures" psychologiquement et biologiquement, ont
réussi à rattraper et à dépasser les
garçons. Ainsi, entre 1981-82 et 1996-97, les filles ont fini par
conquérir l'enseignement secondaire grâce à leur
ténacité et leurs efforts soutenus. Leur nombre est
passé de 95 029 (soit 38,16 %), à 449 506 (soit 52,54 %). Cela
représente un accroissement de plus de 270 % tandis que le nombre de
garçons n'a connu qu'une augmentation de 154 %.
Les filles semblent avoir relevé le défit
lancé par les intégristes qui ont voulu les ramener au domaine
privé pour les cloîtrer. Pendant la décennie 1980, le
nombre de filles scolarisées en 1ère année n'a
cessé de diminuer au fur à mesure qu'elles avançaient dans
leur cursus scolaire. Cependant, depuis le début des années
90-98 (en dépit des menaces et des exécutions
perpétrées par le F.I.D.A., l'A.I.S. et le G.I.A.), leur taux de
participation au niveau du cycle secondaire a progressé rapidement. En
effet, une enquête statistique effectuée par le Ministère
de l'Éducation Nationale (1996-97) a révélé que
dans 45 wilâyas du pays, le taux de redoublement des
garçons est supérieur à celui des filles aux trois niveaux
de l'enseignement primaire, moyen et secondaire 162(*). Ce tableau confirme cette
évolution.
Taux de redoublement au niveau de l'enseignement
primaire et moyen en 1996-97 (en %)
ANNÉE
|
1e
|
2e
|
3e
|
4e
|
5e
|
6e
|
7e
|
8e
|
9e
|
Filles
|
8,58
|
6,89
|
7,10
|
6,95
|
6,65
|
10,48
|
9
|
9,14
|
27,58
|
Garçons
|
11,88
|
10,70
|
12,11
|
12,44
|
12,66
|
18,97
|
----
|
20,52
|
32,90
|
À l'exception du niveau de la Terminale, de nombreuses
filles - en raison de leur âge précoce (par rapport aux
garçons) - sont autorisées par les autorités à
redoubler parce qu'elles présentent de meilleures garanties de
réussite au baccalauréat après un redoublement. Le taux de
redoublement des garçons au niveau de l'enseignement secondaire confirme
l'avancée prodigieuse des filles à l'exception de l'année
"Terminale".
TABLEAU N° b : Taux d'abandon au niveau de
l'enseignement secondaire en 1996-97 (%)
ANNÉE
|
1ère AS
|
2 ème AS
|
3 ème AS
|
Filles
|
7,31
|
6,97
|
32,50
|
Garçons
|
15,05
|
15,38
|
38,63
|
La détermination des filles de s'émanciper
relativement par l'éducation/formation qui constituent la condition
sine qua non de leur libération s'est traduite par leur taux
élevé de réussite à l'examen de
baccalauréat. En effet, le tableau n° c montre qu'en dépit
des préjugés initiaux qui leur ont créé
d'énormes difficultés, les filles sont plus compétitives
et beaucoup plus studieuses que les garçons.
TABLEAU N° c :
FILIÈRE
|
Présents
dont filles
|
Admis
dont filles
|
% Réussite
dont filles
|
Lettres et sciences humaines
|
Total
|
73 426
|
11 066
|
69 %
|
Filles
|
46 013
|
7 532
|
Lettres et sciences islamiques
|
Total
|
15 377
|
3 359
|
59 %
|
Filles
|
8 951
|
1 987
|
Lettres et langues
Etrangères
|
Total
|
7 048
|
1 995
|
70 %
|
Filles
|
----
|
----
|
Sciences de la nature
et de la vie
|
Total
|
125 772
|
36 260
|
56,5 %
|
Filles
|
----
|
20 475
|
Sciences exactes
|
Total
|
22 995
|
7 179
|
41,12 %
|
Filles
|
9 858
|
2960
|
Ce qui représente 55,30 % de l'ensemble des
élèves du secondaire. En d'autres termes, les filles sont
beaucoup plus motivées et volontaires pour réussir que les
garçons. Si cette tendance persiste, la majorité des
étudiants des universités et des grandes écoles sera
constituée par des filles.
L'effectif féminin dans l'enseignement supérieur
a augmenté rapidement entre 1962 et 1979. De 1 851 étudiantes
durant 1966-67, il atteint 12 677 en 1978-79 et plus de 100 000 en 1992-93. La
proportion des jeunes filles poursuivant des études supérieures
semble stagner par rapport à l'ensemble. Depuis 1973-74, les effectifs
féminins dans les établissements universitaires ne
représentent chaque année que 23 % du total des inscrits.
Mais, en 1978-79, le nombre d'étudiantes inscrites dans
différentes filières a augmenté de 4,4 % par rapport
à l'année précédente.
Selon le bulletin statistique du Ministère de
l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique :
"Compte tenu de la stabilité des effectifs globaux
durant ces dernières années, ce résultat traduit une
légère amélioration de la proportion des jeunes filles par
rapport au total des inscrits à l'université. Cette
légère amélioration en question représente un
simple relèvement de l'ordre de 1,3 points" 163(*).
Un grand nombre d'étudiantes ne terminent pas leurs
études universitaires. Les raisons de l'abandon sont multiples mais
elles tournent, pour la plupart, autour de contraintes socioculturelles et
familiales.
L'étudiante vit le paradoxe entre un mode estudiantin
mixte où elle est en permanente interaction avec les hommes et un monde
familial où, non seulement elle ne doit pas souvent mentionner le fait
qu'elle étudie avec les garçons (bien que cela se sache), mais
où elle doit se cacher parfois des yeux des étrangers qui
viennent à la maison. Que de fois certaines étudiantes
poursuivant leurs études dans les métropoles où elles
habitent des cités universitaires, qui leur permettent une certaine
indépendance et liberté, doivent retourner aux traditions
séculaires en revenant au lieu de résidence de leurs parents dans
les petites villes ou campagnes. Du vêtement à l'attitude, elles
doivent tout réadapter, sinon elles peuvent être
considérées comme des filles de "moeurs douteuses", ce
qui explique que certaines rumeurs font de l'université et des
cités universitaires des endroits à déconseiller aux
filles, ceci pour des fins claires : la perpétuation de la claustration
des filles par phobie du déshonneur.
Une fois admises à l'université, les
étudiantes algériennes sont surtout attirées par les
Sciences Médicales, les Sciences Sociales et les Lettres et les Sciences
Juridiques et Politiques. En effet, quand on examine la proportion des
étudiantes par rapport à l'effectif général des
inscrits, on constate qu'un faible pourcentage choisit de poursuivre des
études en sciences exactes et engineering. Comme le note le
bulletin statistique n° 8 du Ministère de l'Enseignement
Supérieur et de la Recherche Scientifique :
"On peut constater que les filières où les
jeunes filles sont fortement représentées restent : les
sciences médicales avec 33,4 % au total et les sciences sociales et
lettres avec près de 32 % " 164(*).
Si l'on s'interroge sur la raison de ces choix, on ne peut
omettre de mentionner la ségrégation sexuelle. A priori,
la relation n'est pas apparente, pourtant elle existe. Les métiers de
médecin, de juriste (surtout avocate ou juge), d'enseignante ou de
psychologue sont des professions considérées socialement
compatibles avec les tâches féminines. Une femme à qui on
apprend à s'occuper de la reproduction familiale et des soins des
enfants peut exercer ces métiers : elle ne se déplacera pas
beaucoup car elle aura un cadre de travail généralement fixe
(hôpital, cabinet, école ou lycée) mais répondant
à certaines de ces obligations domestiques et au prestige social.
Étant donné ce dernier, et dans le cadre d'une stratégie
matrimoniale, celle-ci aura de fortes chances de s'élever dans la
hiérarchie sociale par un "bon mariage".
Or, l'ingénierie, les sciences exactes pour ne citer
que cela, demandent une concentration continue et n'ont pas grand rapport avec
la vie du foyer. La femme qui suivra ces branches aura failli à son
propre rôle. C'est pour cette raison que le choix des filières se
fait dans ce sens-là, sauf quelques exceptions qui confirment la
règle. Dans certains cas, les parents poussent ou obligent leurs filles
à choisir ces branches sous la menace de les cloîtrer à la
maison. De nos jours, les données ont été
légèrement modifiées. Le nombre de filles dans les
branches scientifiques a augmenté mais sans perspectives d'emploi.
Les efforts du développement socio-économique
planifié ont nécessité la formation d'une force de travail
qualifiée. Durant la décennie 1967-77, les effectifs de personnes
poursuivant des études et stages dans les centres
spécialisés de formation professionnelle sont passés de 5
630 en 1967 dont 300 filles à environ 20 000 en 1978dont 2 700
filles. Cependant, dans les Instituts de Technologie de la Santé
Publique et les Écoles paramédicales - secteur social qui a
attiré dans tous les pays un très grand nombre de femmes -, les
effectifs des stagiaires ont évolué en faveur de la population
féminine. En effet, le nombre de ceux-ci dans les établissements
de la santé publique a augmenté de 1 086 en 1967 dont 240 filles
à près de 6 500 en 1978parmi lesquelles figurent 3 500 filles. Le
taux des filles stagiaires s'est donc accru de 22,22 % à 53,84 %.
Globalement, durant la période 1967-1978, l'effectif
des diplômés de tous les systèmes de formation
professionnelle totalisa 229 470 personnes dont environ 6 500 filles seulement.
Cela a amené les auteurs d'un document officiel à avancer :
"ce qui nous donne un taux de féminité de l'ordre de 4 %,
taux très faible eu égard à la population
algérienne scolarisée" 165(*).
En somme, le paradoxe de l'Algérie réside dans
le fait qu'elle a le taux le plus élevé de la scolarisation des
filles dans le monde arabe. Mais, elle a le taux le plus bas d'activité
féminine. En effet, la part de la femme dans la force de travail dans
six pays arabes a évolué de la manière suivante entre les
années 1996 et le début des années 1998 :
La part de la femme dans la force de travail dans
un monde arabe 166(*)
PAYS
|
Année
|
%
|
Année
|
%
|
Egypte
|
1966
|
4,2
|
1983
|
5,9
|
Kuwaït
|
1970
|
5,2
|
1980
|
10,7
|
Syrie
|
1970
|
10,0
|
1979
|
8,0
|
Liban
|
1970
|
9,5
|
1975
|
9,7
|
Yémen (Sud)
|
1975
|
5,6
|
1979
|
8,0
|
La proportion des femmes occupées (âgées
de 15 à 65 ans) dans les pays développés, membres de
l'O.C.D.E., passe de 45 % en 1960 à 52 % en 1980. Or, en Algérie,
jusqu'en 1991, le taux brut d'activité des hommes était de 40,93
% et celui des femmes ne s'élevait qu'à 3,64 % !
L'écrivain marocaine, Fatima Mernissi, a eu raison de
déclarer que les peuples arabes aujourd'hui ne comptent pas 200 millions
(1995) mais seulement 100 millions car la population féminine n'en
représente qu'une moitié paralysée par les traditions
archaïques. La société néopatriarcale arabo-islamique
lui paraît comme une entité composée de mâles.
"Le système tout entier a été,
organisé de façon à permettre aux hommes, dans la
société, de disposer de la moitié féminine de la
population comme ils le feraient avec leurs autres possessions... "
167(*).
A- L'EFFECTIF FÉMININ DANS l'ENSEIGNEMENT
SUPÉRIEUR EN 1992-93 (en graduation)
À la rentrée universitaire 1992-93, le nombre
des étudiantes a progressé de 88 883 en 1991-92 à 102 245
en 1992-93, soit un accroissement de 15,1 % par rapport à l'ensemble des
inscrits en graduation, l'effectif qui représentait 40,2 % en 1991-92 a
atteint 42 % en 1992-93. Elles se répartissent ainsi : 86,6 %
étaient inscrites dans le cycle long et 13,4 % dans le cycle court (le
niveau 5 qui forme des techniciens supérieurs en 2 ans).
TABLEAU N° I : Structure des étudiantes
inscrites en graduation par filière et par niveaux d'études en
1992-93 168(*)
FILIÈRE
|
Niv. 6
|
Niv. 5
|
Niv. 4
|
%
|
Sciences exactes
|
9 164
|
8 406
|
9 164
|
9,0
|
Sciences appliquées
|
903
|
----
|
903
|
0,9
|
Technologie
|
18 183
|
8 406
|
26 589
|
26,0
|
Sciences médicales
|
10 934
|
----
|
10 934
|
10,7
|
Sciences vétérinaires
|
1 519
|
110
|
1 629
|
1,6
|
Sciences de la nature
|
6 785
|
1 387
|
8 172
|
8,0
|
Sciences de la terre
|
1 969
|
207
|
2 176
|
2,1
|
Sciences économiques
|
5 092
|
2 614
|
7 706
|
7,5
|
Sciences commerciales
|
866
|
554
|
1 420
|
1,4
|
Sciences juridiques
|
7 484
|
----
|
7 484
|
7,3
|
Sciences politiques
|
655
|
----
|
655
|
0,6
|
Sciences de l'information
|
906
|
----
|
906
|
0,9
|
Sciences sociales
|
7 913
|
454
|
8 367
|
8,2
|
Sciences islamiques
|
1 946
|
----
|
1 946
|
1,9
|
Lettres arabes
|
4 832
|
----
|
4 832
|
4,7
|
L.V. étrangères
|
8 511
|
----
|
8 511
|
8,3
|
Interprétariat
|
851
|
----
|
851
|
0,8
|
On remarque une hausse des inscriptions dans les
filières de technologie cycle court qui voient leurs parts par rapport
à l'ensemble des inscrites en graduation évoluer entre 1991-92 et
1992-93 de 7,5 % à 8,2 %. Ce tableau 1 indique qu'une
légère augmentation a eu lieu en technologie (n° 6 et 5)
passant de 25,1 % à 26 % entre 1991-92 et 1992-93, tandis que les parts
des sciences exactes et sciences médicales ont connu un net recul
baissant de 9,9 % et 12,7 % en 1991-92 à 9 % et 10,7 % en 1992-93
respectivement.
Cependant, 46,6 % des étudiantes de l'enseignement
étaient inscrites dans trois grandes filières scientifiques et
technologiques : technologie et sciences appliquées (26,9 %), sciences
médicales (10,7 %) et sciences exactes (9 %). Ce progrès
quantitatif prodigieux a été accompagné par l'arrêt
du développement économique et social du pays par le
régime du Président Chadli Bendjedid et ses collaborateurs
prédateurs. Aujourd'hui, la plupart des diplômées de
l'enseignement supérieur sont condamnées au chômage !
IV- DIFFÉRENCIATION DES TAUX DE
SCOLARISATION
En effet, le recensement de 1987 a révélé
l'accès différentiel à la scolarisation entre les filles
et les garçons (âgés de 5 à 18 ans) à
l'échelle nationale. Le tableau suivant résume cet état de
choses.
Le taux de scolarisation différentielle
entre les filles et les garçons
GROUPES D'ÂGES FILLES
GARÇONS
|
10 ans 77,62
93,49
|
11 ans 73,86
92,22
|
12 ans 70,73
90,96
|
13 ans 65,47
87,36
|
14 ans 58,36
80,72
|
15 ans 53,35
71,70
|
16 ans 43,35
60,34
|
17 ans 33,89
46,92
|
18 ans 26,22
39,20
|
Ces inégalités sont plus accentuées dans
le monde rural que dans les centres urbains. L'accès différentiel
à l'instruction entre les deux sexes a entraîné des taux
d'analphabétisme discriminatoires. En effet, en 1989, le taux
d'analphabétisme était comme suit :
Les taux d'analphabétisme des femmes et des
hommes comparés 169(*)
GROUPES D'ÂGES HOMMES
FEMMES
|
10 - 19 ans 5,8
21,85
|
20 - 59 ans 44,4
65,97
|
60 ans
92,5 98,28
|
Les résultats de ces deux tableaux montrent la
discrimination entre les filles et les garçons en raison de leurs sexes,
ce qui les relègue à occuper une position inférieure dans
la société particulièrement en tant que femmes au foyer.
Ainsi, presque 100 % des garçons sont scolarisés dès
l'âge de six ans contre 80 % des filles. Ce décalage persiste et
s'aggrave encore dès l'âge de 12 ans, âge à partir
duquel le nombre de filles qui fréquentent l'école diminue
considérablement. Un tel phénomène s'explique
principalement par deux facteurs essentiels :
q Le facteur distance : dès l'achèvement du
cycle fondamental (de 6 à 15 ans), les filles sont orientées vers
des établissements secondaires (et même moyens)
éloignés de leurs domiciles entre lesquels n'existe aucun moyen
de transport ;
q Le facteur culturel : les parents interviennent
eux-mêmes dans le processus d'arrêt des études de leurs
filles en raison d'appréhensions, de craintes exprimées ou
ressenties à l'endroit (imaginaire), à l'honneur de la famille
par la "faiblesse naturelle de la fille... " 170(*).
En effet, il suffit qu'une fille parle à un
garçon pour que ses parents (le frère ou le père), avertis
par des informateurs, l'obligent à ne plus sortir sans voile. En
d'autres termes, ils la forcent à arrêter son instruction et la
cloîtrent.
N'Fissa Zerdoumi a remarqué que :
Le voile qu'on impose encore à la petite fille de
douze ans sur une grande partie du territoire algérien est comparable
à la muselière qu'on met au chien pour l'empêcher de
mordre. C'est le témoignage de la méfiance foncière dont
elle est l'objet de la part de ses parents avant que le mari ne prenne le
relais.
L'O.N.S. a révélé, en 1996, que
l'analphabétisme touche encore 21,65 % des hommes et 43,02 % des femmes
soit 4,11 millions de femmes âgées de 16 ans et plus. Les filles
qui n'ont pas fréquenté l'école et celles qui ont
été scolarisées pendant quelques années puis
retirées du système éducatif finissent, en
général, par être cloîtrées dans le domaine
privé. Leurs mères les préparent alors pour remplir un
jour leur fonction essentielle de génitrice, de ménage... au
foyer.
A- L'ÉCOLE
PAUPÉRISÉE
La croissance démesurée et
désordonnée des effectifs et l'arabisation hâtive et mal
préparée sont déterminantes dans la décomposition
du système d'éducation et de formation mais elles n'en sont pas
les seuls facteurs. On pourrait exposer en détail la faillite ou
plutôt la liquidation de l'enseignement technique alors même
"qu'on glorifiait cette formation" 171(*). Partie avec de belles
ambitions et des orientations pleinement justifiées, l'Algérie,
là encore, gaspille ses chances, mine ses potentialités et
crée des situations sociales explosives.
Le système éducatif, non seulement n'utilise pas
ses atouts, mais il suscite le plus fort potentiel d'antagonismes sociaux. Il
détruit virtuellement des générations. Le message
éducatif est réduit. Il est déformé parce qu'on a
confié sa conception à des démagogues et à des
falsificateurs. On accumule les erreurs scientifiques, les trucages de
l'histoire, les visions réductrices, les préceptes
pseudo-religieux...
Les anecdotes sont légion 172(*). La doctrine religieuse,
souvent simpliste et déformée, envahit l'enseignement. On
distille l'intolérance et le rejet des autres, quand ce n'est pas la
haine 173(*). Dans ce
flot de dérèglements, il y a évidemment des îlots de
salubrité : des maîtres et des professeurs tentent de lutter, mais
ils sont très minoritaires, des établissements réussissent
à conserver un certain niveau grâce aux efforts de leurs
dirigeants et ils sont assaillis par les parents en quête de
débouchés pour leurs enfants.
Aujourd'hui, l'école algérienne rejette à
la rue les garçons et confine les filles à la maison aux
tâches ménagères. À peine un tout petit
pourcentage 174(*)
des enfants scolarisés dans le premier cycle franchirait l'obstacle du
baccalauréat (11 %). Comment empêcher cette jeunesse,
véritable graine d'insatisfaits, de se laisser séduire par ceux
qui leur proposent la révolte contre l'injustice ?
Le nombre et l'arabisation se sont confortés
mutuellement dans cette dynamique d'autodestruction. Le système
éducatif produit maintenant en Algérie, comme on le sait, une
grande masse de jeunes qui ne sont formés ni en arabe ni en
français. À quoi s'ajoute l'amertume liée à la
proximité géographique et médiatique de la France et de
l'Europe en général ? Une petite élite, celle des fils de
"nomenklaturistes" et de riches, qui sont souvent les profiteurs du
désordre et de la corruption, tire son épingle du jeu grâce
aux cours particuliers, à l'expatriation des enfants ou au choix des
meilleurs établissements.
V- QUELQUES DONNÉES EN COMPARAISON AVEC LES
PAYS VOISINS
En Algérie, l'instruction est pratiquement le capital
le plus important dont disposent les femmes. Le principe de
l'égalité sexuelle dans le droit à l'instruction est
proclamé dans l'article 50 de la Constitution Algérienne. Les
textes organisant le système éducatif garantissent l'instruction
et son obligation sans discrimination de sexe durant les neuf années de
l'enseignement fondamental (c'est-à-dire du primaire au
collège).
Au plan juridique strict, les textes algériens, dont
l'ordonnance de 1976 sur l'organisation de l'éducation et de la
formation, sont conformes aux principaux instruments internationaux et,
notamment, à la Convention Internationale des droits de l'enfant de
novembre 1989 dans son chapitre "éducation". Les données
disponibles révèlent des progrès réalisés
dans les taux d'alphabétisation des femmes adultes et
particulièrement dans les taux d'instruction des filles dans les
différents cycles de scolarisation.
L'alphabétisation des femmes par rapport aux hommes ne
dépasse pas le taux de 30 % en 1970 alors qu'en 1992, la population des
femmes alphabétisées par rapport aux hommes a plus que
doublé. Par ailleurs, au début de l'indépendance, les
femmes alphabétisées ne faisaient partie que des familles
aisées et cultivées, alors qu'en 1992, l'alphabétisation
des adultes concerne plus de 45 % des Algériennes. En Kabylie, entre
1939 et 1968, beaucoup de villageoises étaient
alphabétisées grâce aux missionnaires (soeurs blanches et
pères blancs) notamment à Beni-Yenni (notre village natal, celui
de l'écrivain Mouloud Mammeri), aux Ouadhias, à Michelet,
à Aït-Hichem, à Beni-Douala... L'évolution des taux
d'analphabétisme qui interviennent à partir des années
soixante-dix signale une régression plus rapide chez les femmes jeunes
(15-24 ans) en faveur du milieu urbain par rapport au milieu rural.
La comparaison des taux bruts d'alphabétisation des
femmes maghrébines en 1992 fait ressortir un retard plus accentué
chez les Marocaines et les Mauritaniennes par rapport à leurs voisines
Tunisiennes et Algériennes qui se situent au-dessus de la moyenne des
pays arabes, laquelle est de l'ordre de 40,7 % et en dessous du seuil des pays
en développement qui est de l'ordre de 59,3 %. Ceci s'explique par
l'importance des dépenses publiques en matière d'éducation
plus soutenue en Tunisie et en Algérie qu'au Maroc et en Mauritanie.
Des données sur l'instruction des femmes et des filles
sont assez révélatrices du développement des
potentialités culturelles et éducatrices. Les taux de
scolarisation des populations féminines au Maghreb sont de 60 % (en
1992), tous niveaux confondus, ils classent l'Algérie (pour les 6-11 ans
: 85 %, pour les 12-17 ans : 79 % et pour les 18-24 ans : 60 %) et la Tunisie
à égalité, puis vient le Maroc avec 35 %. En Mauritanie,
par contre, seulement 27 % des femmes sont scolarisées.
L'évolution en croissance de la scolarisation des
filles dans les différents cycles ainsi que les taux de scolarisation
des populations féminines témoignent d'une réduction
progressive des inégalités sociologiques. Toutefois, les
disparités sexuelles persistent au fur à mesure que l'on monte
dans la pyramide des âges. Les disparités sont plus
accentuées en milieu rural et en fin de cycle secondaire.
À titre d'exemple, en 1992, dans le cycle primaire, on
comptait :
q Algérie : 92 filles pour 100 garçons ;
q Tunisie : 90 filles pour 100 garçons ;
q Maroc : 71 filles pour 100 garçons ;
q Mauritanie : 76 filles pour 100 garçons.
Dans le cycle secondaire, les disparités entre sexes
s'accentuent et donnent pour 1992 :
q Algérie : 78 filles pour 100 garçons
;
q Tunisie : 70 filles pour 100 garçons ;
q Mauritanie : 57 filles pour 100 garçons.
Dans le cycle supérieur, les écarts entre les
sexes s 'accentuent durant le parcours scolaire entre les cycles primaire
et supérieur :
q 47 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons
en Mauritanie ;
q 28 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons
en Algérie ;
q 22 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons
en Tunisie ;
q 09 filles quittent l'enseignement pour 100 garçons
pour le Maroc.
Les déperditions scolaires féminines semblent
plus importantes en Mauritanie, en Algérie et en Tunisie qu'au Maroc.
Ces données autorisent à dire qu'à partir
de l'âge de 15 ans (fin de l'enseignement de base) et après la
puberté des filles, les disparités entre les sexes se manifestent
par un contrôle social et familial plus grand, a fortiori en cas
d'insuffisance des résultats scolaires.
En Algérie, la pression démographique et le
rejet scolaire lors du passage de la 9e année fondamentale
(fin de la troisième des collèges) au cycle secondaire favorisent
davantage les garçons que les filles.
Toutefois, les menaces, la situation sécuritaire et les
pressions pour la séparation des sexes subies durant les années
1990-2000 ne sont pas faites pour encourager les études. Globalement, et
malgré les potentialités éducatives et culturelles
considérables, les filles algériennes ne jouissent pas d'une
égalité de facto en conformité avec
l'égalité de jure proclamée par la législation
nationale relative au droit culturel. La réduction des écarts
entre les sexes dans l'enseignement de base est présente en
Algérie. Dans l'ensemble des pays maghrébins, les
inégalités sociologiques s'accentuent avec l'âge,
cependant, le Maroc est mieux loti en ce qui concerne la réduction des
inégalités au niveau de l'enseignement secondaire.
Les évolutions des indicateurs sur la santé et
l'éducation des femmes s'accompagnent de plus grandes
opportunités dans les sphères publiques de la
société. Elles se traduisent par une libération plus
grande par rapport aux fonctions domestiques, en particulier pour les femmes
âgées de 15 à 19 ans sous réserve de pouvoir
poursuivre une scolarité et/ou une formation sans interruption. Le
mariage et les charges familiales semblent constituer une entrave à
l'égalité des chances dans les domaines économiques et
publics.
CHAPITRE IV
LA FEMME ET LE TRAVAIL
I - LA FEMME / LA SOCIÉTÉ ET LE
TRAVAIL
Pour comprendre la place occupée par le travail
féminin dans la société algérienne, il faut partir
de l'hypothèse selon laquelle à chaque forme d'organisation
économique correspondent des formes spécifiques d'organisation de
la famille que nous avons vu précédemment. La
paupérisation de la société traditionnelle, la guerre de
libération nationale et la scolarisation des filles ont
déclenché un processus : trois éléments
d'éclatement de la cellule familiale patriarcale, la venue de la femme
au travail étant une donnée qui bouleverse la structure de la
société traditionnelle. Une femme qui est en mesure de subvenir
à ses besoins économiques est une femme déjà
potentiellement libre, qui peut s'opposer avec beaucoup de chances de
réussir au rôle qui lui est traditionnellement
réservé.
La scolarisation des filles ouvre une brèche sur
l'extérieur. L'école, porteuse de projets et de désirs
multiples, a contribué à ce que le destin familial n'apparaisse
plus comme inéluctable. La confrontation des deux univers (école
et famille) est source de déchirements, d'instabilité pour la
femme, une situation souvent traumatisante.
Le travail féminin est à considérer comme
problématique, comme se situant dans une constante relation de
subversion/neutralisation face à la logique patriarcale qui régit
les rapports entre les sexes. Soutenir le contraire reviendrait à
s'enfermer dans une approche économiste, donc mécaniste de la
réalité sociale ; or, il est évident que cette
réalité est très complexe et que les
phénomènes y sont toujours très médiatisés.
Comme cette référence aux changements intervenus dans
l'économique, toute nécessaire qu'elle soit, s'avère
insuffisante, c'est toute l'épaisseur, toute l'opacité du social
qu'il nous faudra interroger.
Il est important d'analyser les incidences que le travail
féminin rémunéré peut avoir sur le rapport entre
l'espace privé et l'espace public et la manière dont se
déroule sur le terrain de ces espaces la relation de subversion /
neutralisation. Il est nécessaire de s'interroger sur ce que peut
représenter pour les femmes cette possibilité d'accès
à l'espace public, sur la manière dont se situe le travail
féminin dans cette relation entre espace privé/espace public.
C'est essentiellement l'accès des femmes à l'espace public qui
semble pouvoir avoir un sens sociologique. Le travail féminin est un
lieu charnière car il représente un lieu de chevauchement de deux
espaces, il relève aussi du privé qui ne se réduit pas
à la simple dimension économique mais met en jeu toutes les
données (matérielles, mais surtout du symbolique).
Plus que le fait de sortir, ce que le travail des femmes
introduit entre ces deux espaces, c'est une interpénétration
régulière et répétitive, c'est cette
régularité qui pourrait être porteuse d'effets nouveaux. En
dehors des barrières culturelles et psychologiques à la promotion
sociale de la femme, il y a également les barrières qui
caractérisent le malaise de la société moderne. Le travail
féminin est encore une bataille dure, une bataille menée contre
toute une série de blocages où le sentiment de l'honneur masculin
occupe la place centrale.
En effet, les femmes devenues travailleuses salariées
(même si leur nombre est minime) se trouvent soumises à deux
systèmes de normes, celui de la société industrielle au
travail et celui de la société traditionnelle au foyer. Ceci peut
expliquer le développement croissant des psychonévroses
féminines en Algérie.
D'après les expériences de Pavlov,
"La maladie psychique s'installe par le biais de certains
mécanismes, (...). La névrose serait due à
l'incompatibilité entre la pression sociale et les possibilités
étant le résultat de l'histoire spécifique de chaque
individu, certains résistant moins que d'autres au conditionnement
social" 175(*).
Tout ceci, me semble-t-il, s'explique par les
incohérences idéologiques nées du passage d'un mode de
production à un autre, c'est-à-dire d'anciennes formes de
rapports de domination existant entre hommes et femmes à de nouvelles
relations entre ces derniers. Cette phase transitoire nécessite tout un
travail d'éducation basé sur l'obligation de dépasser les
anciennes valeurs morales tel que le sentiment de l'honneur qui n'a plus sa
raison d'être étant donné que les anciennes structures
sociales. Ceci doit permettre la légitimation de nouvelles pratiques,
surtout relativement à la place de la femme, dans la
société nouvelle du point de vue du droit au travail, de la
formation professionnelle, de l'accès aux postes de
responsabilité, de la liberté de choisir son conjoint, de
voyager, etc.
La destruction progressive des liens communautaires
traditionnels qui aboutit à la famille nucléaire fait peser sur
la femme travailleuse salariée le poids du travail domestique et du
travail professionnel. Les décompensations sont particulièrement
nettes et fréquentes dans les grandes villes où les
possibilités de travail de la femme sont plus aisées et plus
nombreuses.
Le travail à domicile n'est pas reconnu même si
la femme se fait payer pour les services rendus (exemple des
couturières, des femmes qui confectionnent des gâteaux, des
poteries, des couvertures ou celles qui roulent du couscous).
L'élévation du niveau de vie pousse, dans beaucoup de cas, des
femmes à chercher une activité salariée à
l'extérieur de leur domicile. Les maris qui aident leurs épouses
à la maison sont considérés comme des faibles (par rapport
à leur famille ou même leurs femmes).
Les femmes qui choisissent de faire une carrière
professionnelle ne sont pas des "superwomen" en mal d'action. Si elles
vivent à 100 à l'heure, ce n'est pas par obsession mais tout
simplement parce qu'elles ne s'accommodent pas de facilités ou de
demi-mesures, souvent, le choix s'impose comme une raison de vivre. Chercher le
paradoxe dans ce monde dit évolué où la femme continue de
subir dans le silence et la terreur tant d'injustices ! Les femmes sont
battues, mutilées, violées, ne pouvant disposer de leur salaire,
réduites au silence parce qu'elles sont femmes.
A- SITUATION INTERCULTURELLE
Le travail salarié des femmes a enraciné des
transformations au niveau familial, les hommes et les femmes ont dû
adopter de nouveaux rôles pour répondre aux nouvelles conditions
de vie. Souvent, ces rôles sont en contradiction avec le système
de valeurs traditionnel et avec le code du statut personnel qui puisent leurs
fondements dans la religion musulmane. La territorialité
sexuelle (espace domestique - espace public) ne pouvait plus être
respectée. Les changements socio-économiques ont
été également accompagnés par l'introduction des
valeurs de la culture occidentale industrielle. Celles-ci sont
véhiculées principalement par l'instruction.
"Elle a seulement atteint les jeunes
générations qui, par-là même, se sont
trouvées investies "de l'intérieur" par les
valeurs, modèles et normes de la culture occidentale (...)
lorsqu'elles ont reçu une instruction suffisante pour opérer une
mise en question sérieuse des anciennes représentations"
176(*).
La situation interculturelle relative aux rôles de sexe
est définie par deux éléments déterminants qui sont
:
q Les changements socio-économiques et, partant, le
travail salarié des femmes qui entraînent une transformation des
rôles de sexe en contradiction avec le système de valeurs
traditionnel;
q L'introduction d'un nouveau système de valeurs,
véhiculé principalement par l'instruction et qui s'oppose aux
modèles de la culture arabo-musulmane. Il y a divorce entre les
situations vécues et les images de référence.
B- DIFFICULTÉS D'ACCEPTATION DU TRAVAIL
FÉMININ
La colonisation et la politique d'industrialisation
lancée par le gouvernement ont largement participé à la
destruction des formes collectives de production familiales. La
séparation du lieu de production et du lieu de résidence, le
salariat, l'apparition d'un marché de travail... ont été
quelques-uns des éléments qui ont participé à faire
éclater progressivement la structure familiale traditionnelle. Aussi
bien en ville qu'à la campagne, les femmes commencent à se
présenter sur le marché du travail. Ce processus, qui n'est
qu'à son début, nous donne une idée des lignes
générales de l'évolution de la famille algérienne.
L'identité de l'homme dans la société
traditionnelle se constitue autour de sa capacité à prendre en
charge économiquement sa famille.
"Dans ce contexte, l'accès de la femme au
marché du travail, sera perçu comme une démission du mari
et un affaiblissement de son pouvoir, d'autant que ce pouvoir est défini
en termes de contrôles et de droit de commander" 177(*).
Un homme dont la fille ou l'épouse ou la soeur exerce
une activité salariée "n'est plus un homme", pour
reprendre une opinion populaire courante. Être un homme, c'est donc
disposer d'un pouvoir absolu sur les femmes, ce pouvoir étant
lui-même conditionné par l'entretien économique de ces
mêmes femmes. La femme vient-elle à vouloir participer à
l'activité économique pour des raisons multiples et c'est
l'identité même de l'homme qui s'en trouve menacée. Ne plus
dominer mais établir des apports de respect mutuel et de reconnaissance
totale et entière de l'autre, au lieu et place d'être perçu
comme l'accès à des formes supérieures des relations
humaines, est considéré comme une déchéance et une
démission de l'homme.
On se demande où la peur de l'expression totale et
entière de la personnalité de la femme va-t-elle chercher ses
justifications irrationnelles ? Une femme qui travaille parce que
n'étant plus dans l'obligation de dépendre économiquement
de l'homme est plus à même d'entretenir avec ce dernier des
relations d'égalité plus humaines et, certainement, plus
épanouissantes pour les deux.
Ignorante de ses droits encore, le rôle de la femme au
travail supposant à lui seul tout un apprentissage, elle demeure
l'intruse qui subira toutes les vexations réservées aux femmes
qui ont désobéi à la norme sociale.
Les hommes auxquels j `ai demandé leur opinion sur
le travail féminin me disent leur étonnement à voir les
femmes exiger de travailler :
"On ne comprend pas que les femmes veuillent travailler.
Auparavant, elles ne subissaient que l'autorité du mari, actuellement,
elles doivent subir également l'autorité de la hiérarchie
professionnelle. On avoue que tout cela nous étonne car elles assument
une double journée...".
Ce type de remarque explique, de mon point de vue, l'absence
totale de compréhension de la place du travail féminin dans la
société. Pourquoi l'autorité de l'époux serait-elle
à mettre sur le même niveau que l'autorité
hiérarchique ? Du reste, si les rapports entre époux sont de
type affectif, on ne doit plus parler d'autorité. Si, par contre,
l'époux exerce un rôle de commandement, on ne doit plus parler
d'affection. Par ailleurs, les rapports de travail sont de "type rationnel
légal" 178(*), codifiés par un contrat et une
législation du travail. Ce genre de réflexion milite, à
mon avis, pour la mise en place d'une législation qui codifie les
nouveaux rapports d'égalité entre époux où les
rapports de domination seraient à jamais exclus car étant
indignes d'une société qui se veut démocratique. Mais,
ceci ne sera possible que lorsqu'on cessera de considérer
qu'échanger son autorité contre la satisfaction d'un besoin
économique sera un déshonneur 179(*).
Un dicton populaire ne dit-il pas : "Il vaut mieux passer
devant son ennemi affamé que nu", étant entendu que la faim
peut se cacher et non la nudité (perte de l'honneur). La
préservation de l'honneur passerait donc avant la satisfaction de la
faim. En plus de la notion d'autorité qu'on retrouve dans la
société traditionnelle, il y a aussi celle de la
nécessité de dominer sa faim pour être un homme, ceci
caractérisant une société pauvre où les ressources
sont rares. Or, la lutte pour le développement économique est,
aujourd'hui, un choix politique fait par l'Algérie et il n'y a aucune
honte à ce que les femmes y participent comme elles ont participé
hier à la lutte de libération nationale.
D'autre part, la seule raison économique ne peut
être l'explication du droit au travail que réclament les femmes.
Pour une femme, travailler, c'est également s'épanouir, sortir du
monde clos de la maison et de ses tâches ennuyeuses et monotones,
échanger son travail contre un salaire qui la valorise, participer
à l'oeuvre d'édification d'une société moderne,
s'insérer socialement pour ne pas rester marginale. Les femmes qui
travaillent dans divers secteurs, notamment industriels, subissent des
vexations, des pressions et des harcèlements sexuels qu'elles passent
sous silence par peur de perdre leurs emplois ou de se retrouver à la
maison. Pourtant, l'article 8 du statut général du travailleur
doit prévoir ce genre de situation très courante quand il
stipule :
"La loi garantit la protection du travailleur dans
l'exercice de ses fonctions ou l'accomplissement de ses tâches contre
toute forme d'outrage, de diffamation, de menace, de pression ou de tentative
visant à l'inféoder".
En effet, les hommes étant toujours prisonniers de
l'ancienne représentation de leurs rapports aux femmes, le travail
féminin est encore une bataille dure, bataille menée par les
femmes seules contre toute une série de blocages où le sentiment
de l'honneur masculin occupe la place centrale.
C- DYSFONCTIONS CARACTÉRISANT LA
SOCIÉTÉ DE TRANSITION
Quels sont les effets des dysfonctionnements
caractérisant la société de transition sur le travail
féminin ?
La destruction progressive des liens communautaires
traditionnels qui aboutissent à la famille nucléaire fait peser
sur la femme travailleuse salariée le poids du travail domestique et du
travail professionnel. L'épouse se trouve aujourd'hui souvent
responsable de l'ensemble de ces tâches. Parallèlement, la femme
se met à prendre en charge une série de démarches
administratives : le paiement des factures, l'accompagnement des enfants chez
le médecin, etc. Ceci n'est nullement accompagné par le
développement de l'utilisation d'appareils électroménagers
qui pourraient rendre les tâches domestiques plus aisées ou de
crèches et de garderies d'enfants.
D'autre part, les modes de consommation n'ont pas
varié, les femmes continuant à préparer des conserves, des
confitures et des repas nécessitant une longue et minutieuse
préparation, l'utilisation de repas tout prêts étant
pratiquement inexistante. Ainsi, outre les tâches professionnelles, les
femmes qui travaillent s'occupent de certaines tâches du mari et du
ménage. C'est pourquoi, "la double journée"
dénoncée par les femmes travailleuses dans les
sociétés industrielles, est en Algérie plus lourde
qu'ailleurs.
M. Boucebci note, dans son étude Travail
féminin et décompensation psychiatrique, que :
"Il faut noter que les villes représentent le
milieu le plus pathogène, compte tenu des problèmes
liés :
q À la difficulté d'être une femme
vécue comme émancipée par les autres ;
q Aux difficultés dues à
l'éloignement très fréquent entre le lieu de travail et
l'habitat ;
q Aux contradictions entre la nécessité
d'aller travailler et celle d'assurer son rôle de mère d'une
famille souvent nombreuse ;
q Aux aléas propres au type de travail qu'elle
assure;
q Aux différents stress d'une vie moderne et
trépidante à laquelle elle n'a, dans la plupart des cas, pas
été préparée.
Ces éléments pathogènes sont
majorés par l'absence ou l'insuffisance de structures sociales
destinées à aider la femme qui travaille"
180(*).
Partant de ceci, Boucebci nous dresse un tableau des aspects
cliniques, des décompensations névrotiques des femmes
travailleuses : crises expresso-émotives et crises
nécropathiques, réactions dépressives, réactions
suicidaires, mélancolie... Les pourcentages sont effarants : 56 %
d'états névrotiques et 35 % d'états psychotiques, le reste
variable 181(*).
Comment les femmes pourraient-elles participer à
l'effort de développement économique alors qu'elles restent
exclues de l'activité de production ? D'autre part, pourquoi en
seraient-elles exclues ? Combien même le travail domestique serait
considéré comme indirectement productif dans la mesure où
il participe à reproduire la force de travail du mari et des enfants, il
ne permet pas l'insertion sociale réelle de la femme en raison de la
séparation des foyers qui n'autorise pas la prise de conscience
réelle des problèmes sociaux que seule la participation à
l'activité directe de production et le rassemblement de nombreux
travailleurs dans le milieu unique de travail.
Notons que le vieux mépris des discussions
féminines qui se limiteraient aux vêtements et au maquillage,
résultat de cet enfermement du foyer, est fait par ceux-là
mêmes qui s'opposent au travail féminin.
L'élévation du niveau de vie pousse, dans
beaucoup de cas, des femmes à rechercher une activité
salariée pour participer aux dépenses du foyer, le seul salaire
du mari devenant rapidement insuffisant. D'autre part, beaucoup de femmes
veuves ou divorcées se trouvent dans l'obligation de travailler pour
subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Notons
également le nombre important de femmes issues d'une famille nombreuse
et qui doivent travailler pour aider le père chômeur,
sous-payé ou à la retraite. Beaucoup de jeunes filles exercent
une activité salariée et l'arrêtent au moment du mariage,
le but étant de se constituer un trousseau.
E- POSTES DE TRAVAIL OCCUPÉS PAR LES FEMMES
EN ALGÉRIE
Les postes de travail occupés par les femmes varient
selon le niveau scolaire ou de qualification qu'elles ont obtenu et l'offre de
travail qui leur est faite. Ainsi, à la base, on trouve les
ouvrières, veuves, divorcées, femmes d'ouvriers ou de
chômeurs. La disparition progressive des métiers traditionnels de
fileuses, accoucheuses, guérisseuses, masseuses (dans les bains
maures)... se fait au profit du poste de travail dont l'organisation est
basée sur une législation du travail et où ces femmes sont
assurées d'avoir un salaire stable et divers avantages sociaux comme les
allocations familiales, la sécurité sociale, la pension de
vieillesse.
Néanmoins, la majorité d'entre elles ne
bénéficient même pas du SMIG ; certaines sont
classées vacataires des années durant, ne sont pas
touchées par les augmentations du salaire de base et ne
perçoivent aucune sorte de primes ; d'autres font l'objet de
licenciements arbitraires et subissent toutes les vicissitudes de
l'instabilité de l'emploi ; d'autres encore, malgré le
principe énoncé par la Charte Nationale : "Travail
égal, salaire égal", continuent à percevoir un
salaire inférieur à celui de l'homme qui occupe la même
fonction qu'elles.
Ainsi, dans l'échelle de classification des postes de
travail, les femmes de ménage sont généralement
classées à l'échelle 01 alors que les laveurs de vitres et
les agents de service sont à l'échelle 02, étant entendu
que ces métiers sont réservés aux hommes ; d'autre part,
les postes de responsabilité dans ces métiers sont l'apanage des
hommes. Ceci en ce qui concerne les travailleuses qui se trouvent au niveau le
plus bas de l'échelle de classification des postes de travail. Au niveau
moyen, les femmes occupent plus particulièrement les métiers
paramédicaux, ceux du secrétariat et de l'enseignement où
les possibilités de formation professionnelle ou de promotion sont les
plus réduites. Quant au niveau supérieur, les femmes sont
professeurs, chercheurs, chargées d'études, médecins,
juristes, etc.
F- COMPORTEMENTS DES HOMMES VIS-À-VIS DES
TRAVAILLEUSES
En tout état de cause et dans la grande majorité
des cas, les femmes restent cantonnées dans les métiers dits
féminins, ceci étant d'autant plus étonnant qu'en
règle générale, les femmes sont relativement plus
diplômées que les hommes. D'autre part, notons la
difficulté que rencontre la femme à se donner une identité
nouvelle de femme travailleuse. Ceci vient du fait que la jeune femme qui
exerce une activité salariée n'a d'autre image d'identification
que sa propre mère analphabète dans la très grande
majorité des cas. Ceci constitue, pour elle, un handicap énorme,
car elle doit créer de toutes pièces un comportement nouveau.
L'ouvrière se trouve, par exemple, très
nettement désavantagée par rapport à son collègue
masculin. Si tous les deux, issus de la campagne, doivent apprendre des notions
d'efficacité, de régularité, de productivité, de
rentabilité, de temps, d'utilité de chaque geste propre aux
modalités industrielles de production, l'homme le fait beaucoup plus
rapidement car il a déjà vécu dans la vie publique et a
déjà eu l'occasion de participer directement à des
activités de production et de commercialisation. La femme, dont toute
l'éducation a consisté à lui faire plier le corps,
à s'humilier, à se taire, à répéter les
mêmes gestes, dont les connaissances se limitent à la vie
domestique, qui se déplace dans l'espace limité de la maison, est
nettement plus handicapée. Elle doit apprendre à vivre dans un
lieu public, un lieu de production de surcroît, sérier ses gestes,
les rendre utiles, s'insérer dans la hiérarchie. Et ceci n'est
pas simple du tout car il demande toute une mutation psychique assez
douloureuse.
D'autre part, elle se trouve soumise à des pressions
sociales très fortes - le rôle de femme travailleuse étant
un rôle nouveau -, pressions venant aussi bien de sa famille (qu'elle
soit jeune fille, femme divorcée ou veuve) que du quartier où
elle réside. L'ancien respect dû à la fille du quartier
semble ne plus s'appliquer. Mais, dans cet environnement, même l'attitude
du milieu féminin est ambivalente : à une admiration sans
limites pour cette femme qui a osé "relever la tête" et
réaliser les espoirs secrets des non-travailleuses.
Cependant, ne plus être une simple génitrice, un
objet de marchandage lors de l'établissement des alliances
matrimoniales, aide énormément la femme travailleuse à
s'adapter à cet univers de travail, lequel devient parfois, un moyen de
libération. et lui donne ainsi une vision de son utilité sociale
par opposition à l'impression d'inutilité de son existence
ressentie par la femme non-travailleuse.
Elle a un salaire qui valorise son travail et, pour la
première fois de sa vie, sa sueur est récompensée et lui
permet de ne plus éduquer ses enfants dans la perspective qu'ils lui
viendront plus tard en aide matériellement. Ceci a une
conséquence très importante dans l'évolution
psychoaffective de la femme algérienne. Elle a une
propriété : sa force de travail et son salaire alors
qu'auparavant, elle possédait au mieux son linge et pouvait être
répudiée sur une simple saute d'humeur de son mari... Si elle
fait l'expérience de l'humiliation du travail à la chaîne,
elle découvre aussi la force de l'union entre femmes qui peut faire
fonctionner ou bloquer toute une chaîne de production alors que la vie
domestique oppose les femmes dans une compétition stérile.
Quant à la femme travailleuse exerçant une
activité intellectuelle et qui a dû suivre plusieurs cursus
(employée de bureau ou cadre), son éducation scolaire l'a plus ou
moins préparée à affronter la vie publique. Cependant,
elle rencontre un problème réel quant à la reconnaissance
effective de ses compétences. D'ailleurs, une femme est
généralement à un poste inférieur à celui
qu'elle peut valablement occuper car il est encore difficile, pour l'homme
algérien, de reconnaître la compétence réelle d'une
femme au niveau du travail. Quand elle est mariée, le problème
est encore plus ardu. Son mari ne comprend pas qu'ayant eu tous les deux une
journée épuisante, il est normal que, revenus à peu
près à la même heure au foyer, il doit l'aider dans les
travaux domestiques qui sont aussi fatigants que les travaux de bureau. Si cela
arrive, il le fait comme s'il s'agissait d'un simple service rendu à sa
femme.
Quand on pose la question aux hommes sur cette situation, ils
répondent :
"On veut bien aider nos femmes, parfois, quand elles sont
malades ou fatiguées... nous pouvons préparer des frites ou une
omelette... mais il ne faut pas que cela devienne une obligation, une
habitudes, sinon... et puis, c'est une obligation pour la femme... c'est
naturel...".
Pourquoi la femme pourrait-elle être travailleuse,
mère et ménagère et l'homme ne serait-il que
travailleur ? La femme serait-elle supérieure ? Ils
répondent : "Les femmes, quand elles sont aidées par
leurs maris, c'est une faiblesse...". C'est, par conséquent,
toujours l'obsession de faiblesse qui motive l'homme, la société
imposant à l'homme d'être toujours fort, transformant ainsi le
foyer conjugal en un champ de bataille à moins que les hommes ne
veuillent participer aux travaux domestiques, simplement en raison de leur
paresse et parce qu'il y a toujours une femme disponible pour faire leur
travail à leur place.
Tous ces aspects font que la femme manifeste,
généralement, peu d'ambition au travail : comment en
serait-il autrement quand les activités domestiques lui consomment toute
son énergie ? Mais, ce refoulement se traduit par la frustration
qui a des conséquences directes sur sa productivité au travail et
une certaine agressivité inconsciente vis-à-vis de son
époux et de ses propres enfants.
Le travail fait entrer les femmes dans un processus qui
accentue les contradictions entre les sexes. En fait, les femmes sont
constamment perçues dans le monde du travail comme une infraction
à la règle de la distinction des sexes et de la séparation
des espaces. Elles sont là où elles ne devraient pas être.
Le "mais vous êtes des hommes !" est un compliment pour une
femme qui exerce un emploi plus au moins prestigieux. C'est aussi une
manière de lui dire qu'elle est là où elle ne devrait pas
être, qu'on ne distingue plus les hommes des femmes.
Ainsi, moins une femme peut être reconnue comme femme
dans le travail ou dans l'espace public en général, plus elle
inquiète les hommes, plus elle-même expérimente l'injustice
qu'elle subit comme être sexuée. Ramenée sans cesse
à son être naturel, elle souhaite être reconnue comme
être humain neutre.
"(...) La situation de la femme est devenue tellement
insoutenable qu'elle pose le problème du droit à la simple
considération que peut exiger un être humain" 182(*).
Le travail rompt avec la règle coranique
légitimant la domination des femmes par leur entretien. L'apport du
salaire remet en cause la hiérarchie entre les sexes, les
représentations de l'autorité et de l'honneur. Accepté
comme une nécessité économique qui ne peut s'avouer comme
telle car elle est honteuse (sortir pour "faire de l'argent", c'est se
prostituer) ou loué par les progressistes comme moyen de
libération, le travail des femmes met toujours mal à l'aise
183(*). Afin de se
protéger de toutes les transgressions qu'il entraîne, il
déclenche chez les hommes une surenchère d'autorité, voire
d'agressivité compensatrice, il entraîne moins un accroissement
des droits des femmes qu'une multiplication de ses devoirs. De plus, elle se
sent culpabilisée comme mère et épouse.
Parlant de cette culpabilisation et des effets pathologiques
qu'elle entraîne, Houria Sahli (psychiatre) souligne la difficulté
existentielle qui est liée aussi bien à l'acceptation du
conformisme (qui aliène) qu'à son refus (qui marginalise) :
"Nous sommes toutes des équilibristes sur la corde
raide qui sépare la conformité de la marginalité ;
or, nous ne le voulons ni l'une ni l'autre et nous sommes
épuisées de la tension que crée la corde raide"
184(*).
Tout se passe comme si la femme qui travaille, surtout si son
métier lui donne du prestige ou de l'autorité, et exige un savoir
qui lui laisse espérer avec un certain poids dans la
société, était contrainte à nier elle-même
son propre travail et les effets positifs qu'elle peut en attendre. Si elle a
déjà beaucoup de mal à se faire valoir dans la
sphère professionnelle, elle ne tire aucun prestige social de sa
compétence et de sa valeur professionnelle (par contre, elle peut en
tirer une valeur marchande, exiger une dot importante).
En dehors de son travail, dans ses relations avec les hommes,
elle reste une femme, la fille d'un tel. La non-mixité n'en est pas
ébranlée. Si les espaces ne sont pas séparés, les
conversations le restent ; il en est des spécifiques aux hommes par
nature (la politique, par exemple) et pour lesquelles une femme ne peut, par
nature, avoir aucune compétence. C'est un véritable effet de
déréalisation de l'existence sociale de la femme instruite.
"Dans le cas du travail féminin, (...) on prescrit
qu'il lui faudra s'effectuer de manière à ne mettre nullement en
question les rôles spécifiquement assignés à
celle-ci (d'épouse, de mère, de maîtresse de maison)
et plus encore les valeurs d'"honneur"...(...), l'idéal
étant que l'entourage de la travailleuse ne s'aperçoive pas
qu'elle exerce une profession, ne sente aucune différence entre elle et
la femme au foyer" 185(*).
Le problème fondamental que rencontre le changement de
statut de la femme est son caractère transgressif et de violation des
règles sacrées de l'honneur transposées dans la
société islamique en règles religieuses. La transgression
est d'autant plus forte que la femme exerce une profession prestigieuse.
L'autorité dont elle menace de s'investir la transforme en homme.
C'est donc elle qui subit le plus grand effort de déréalisation.
Face à cette transgression, c'est la société tout
entière qui est devant la nécessité de recomposer ses
règles de vie, faire du nouveau avec de l'ancien, redéfinir les
codes de différenciation entre les sexes sans lesquels il n'y a plus de
société mais un mélange de pur et d'impur.
G- LES SECTEURS D'ACTIVITÉS FÉMININS
ET LES CHIFFRES
"Sur une population de 26 millions de personnes (28,9
millions à l'heure actuelle), la population active est de 5 891 000,
soit un taux d'activité de 24 % inégalement réparti selon
le sexe car il est de 43 % pour les hommes et de 4 % pour les femmes
qui sont techniciennes de la santé (44,5 %), enseignantes (38 %) et
employées d'administration (18 % )" 186(*).
Le secteur public englobe 85, 9 % et le secteur privé
14 %. Il reste évident que les préjugés constituent l'un
des principaux facteurs explicatifs de cette situation. Nonobstant l'appel fait
par l'ensemble des textes à caractère doctrinal (les
différentes chartes de l'Algérie indépendante) et à
caractère juridique (les différentes constitutions et lois) sur
la participation de la femme à l'édification du pays, peu de
femmes ont accédé à des postes de commande de la vie
publique : ministres, députés, ambassadrices, P.D.G. de
sociétés, même si certains métiers,
réservés jusque-là aux hommes (armée, douane et
police), ont commencé à être investis par les femmes
("les femmes ont subi le baptême de feu", comme disent certains
responsables).
D'ailleurs, il est caractéristique d'observer que
près de la moitié de la population active féminine est
constituée par des femmes divorcées, séparées et
veuves. La demande féminine d'emploi prendra une part de plus en plus
importante. Elle est estimée à 220 000 entre 1985 et 1989,
à 348 950 entre 1990 et 1994, à 538 550 entre 1995 et 2000 ;
soit un total de 1 108 300.
La vision déterministe de l'économie ne saurait,
à elle seule, expliquer cette situation car le facteur sociologique s'y
adjoint, tel un frère siamois, par la tentative de mettre fin à
"l'idéologie patriarcale" à travers la scolarisation de la gent
féminine qui doit, sans conteste, "négocier" en
permanence son rôle dans la vie sociale.
II- LE TRAVAIL SALARIÉ FÉMININ ET
SON ÉVOLUTION
Le travail salarié féminin a commencé, en
Europe, avec l'émergence du capitalisme. En Algérie, durant la
période d'accumulation primitive du capital, les Français ont,
non seulement exproprié des terres, mais aussi libéré une
force de travail dont le développement de la colonisation avait fort
besoin. La paupérisation des populations rurales et urbaines a contraint
beaucoup de chefs de famille à vendre leur force de travail, d'abord, au
pays et, ensuite, en Europe afin qu'ils puissent subvenir à leurs
besoins et à ceux de leurs familles. Ce même
phénomène de paupérisation et les effets
désintégrateurs résultants a provoqué le processus
de prolétarisation des femmes algériennes.
A- L'APPARITION ET LE DÉVELOPPEMENT DU
SALARIAT FÉMININ
À partir de la fin du XIX ème
siècle, un prolétariat rural aussi bien qu'urbain a pris
naissance en Algérie. Son nombre s'est accru progressivement au courant
du XIX ème siècle. En 1925, les femmes
employées dans le secteur industriel totalisaient 25 291 dont 24 557
dans l'industrie textile 187(*). En outre, plusieurs milliers d'entre elles
travaillaient comme cuisinières ou femmes de ménage chez la
bourgeoisie autochtone et surtout européenne ou en tant
qu'ouvrières chez les grands propriétaires terriens.
J.-P. Charnay, qui a étudié les conflits
maritaux en Algérie entre 1900 et 1954, a remarqué que :
"Les travaux agricoles autorisent une plus grande
liberté, encore que certaines vendangeuses travaillent, un bout du
haïk retenu entre les dents pour cacher leur visage".
À la ville, la femme de ménage que les
Européens appellent la "mauresque", plus vulgairement la
"Fatma", est souvent une paysanne récemment arrivée de
la campagne car les citadines, si elles sont de familles pauvres mais
"honorables", ne se "placent" pas chez l'Européen,
elles effectuent divers travaux (tissage, cuisine...) pour les riches familles
musulmanes : femmes de ménage, ouvrières agricoles...,
vendangeuses, cueillette des olives, des oranges, récoltes des fleurs
à parfum 188(*).
En dépit du manque chronique d'emploi, ce prolétariat
féminin a continué d'augmenter durant les années 1930 et
1940 et le début des années 1950.
TABLEAU N° 1 : Modification du taux
d'activité entre 1954 et 1966 189(*)
|
1954
|
1966
|
ÂGES
|
HOMMES
|
FEMMES
|
HOMMES
|
FEMMES
|
15-19
|
60,1
|
42,0
|
65,7
|
3,7
|
20-24
|
98,8
|
42,1
|
93,4
|
3,6
|
25-29
|
99,0
|
42,7
|
96,2
|
2,6
|
30-34
|
98,4
|
42,3
|
96,0
|
2,4
|
35-39
|
98,4
|
42,1
|
96,0
|
2,5
|
40-44
|
99,2
|
42,9
|
94,9
|
2,9
|
45-49
|
98,1
|
43,1
|
93,5
|
3,0
|
50-54
|
97,7
|
44,5
|
90,4
|
3,3
|
55-59
|
96,1
|
41,9
|
85,5
|
3,2
|
60-64
|
95,8
|
40,0
|
73,8
|
2,6
|
65-69
|
92,1
|
34,4
|
45,8
|
2,0
|
70 et plus
|
70,7
|
7,8
|
32,1
|
1,4
|
En 1954, le nombre des femmes occupées a
été évalué à 1 110 400 comparé
à 2 142 417 hommes. Le taux apparemment élevé de la
participation des femmes aux activités économiques est dû
au fait que la population féminine agricole a été
considérée comme occupée. Quand les femmes n'ont pas
été incluses dans la catégorie "aides familiales"
de l'agriculture dans le recensement de 1966, leur taux d'activité a
très nettement baissé.
Le tableau n° 2, ci-après, illustre la
décroissance du taux d'activité entre 1954 et 1966 due au fait
que les autorités algériennes ne comptaient plus les femmes comme
"aides familiales du secteur agricole traditionnel parmi la population
active". En 1966, les ménagères et aides familiales rurales
étaient classées dans la catégorie des
"inactives".
En excluant ces aides familiales du secteur agricole, le taux
d'activité par sexe et groupe d'âge a évolué entre
1950 et 1970 de la manière suivante :
TABLEAU N° 2 : Taux d'activité de la
population par sexe et groupe d'âge entre 1950 et
1970 190(*)
|
1950
|
1954
|
1960
|
1963
|
1970
|
H
|
F
|
H
|
F
|
H
|
F
|
H
|
F
|
H
|
F
|
10-14
|
28,87
|
2,15
|
24,44
|
1,90
|
20,00
|
1,65
|
17,38
|
1,48
|
14,75
|
1,31
|
15-19
|
78,21
|
2,60
|
74,11
|
2,71
|
70,00
|
2,22
|
65,99
|
2,82
|
61,98
|
2,81
|
20-24
|
95,00
|
2,40
|
94,90
|
2,63
|
94,79
|
2,85
|
93,38
|
2,98
|
91,96
|
3,68
|
25-44
|
92,14
|
2,40
|
94,90
|
2,49
|
96,17
|
2,58
|
95,94
|
2,63
|
95,71
|
2,68
|
45-54
|
9,47
|
3,30
|
95,41
|
3,20
|
94,34
|
3,10
|
94,10
|
3,09
|
93,77
|
3,08
|
55-64
|
94,50
|
3,20
|
91,95
|
3,13
|
89,40
|
3,05
|
88,18
|
2,95
|
86,95
|
2,44
|
64 et plus
|
71,45
|
1,90
|
63,38
|
1,75
|
55,30
|
1,60
|
51,91
|
1,46
|
48,51
|
1,31
|
On constate la faiblesse frappante du nombre de femmes
salariées. Cependant, un très léger accroissement du taux
d'activité féminine pour les groupes d'âge de 15 à
44 ans a eu lieu, d'une date à une autre.
Selon un document officiel, cette "évolution est le
résultat de l'instruction des femmes, l'urbanisation et le processus de
développement". Or, si on examine la réalité de
près, on relèvera l'ambiguïté du discours officiel
qui semble bien intentionné mais creux 191(*). Le taux global officiel de
la croissance de l'emploi féminin n'était que de 0,7 % en 11 ans
et de 7,6 % entre 1977 et 1982. Mais, étant donné la croissance
démographique de la population féminine, cela indique non
seulement une stagnation générale, mais aussi une
régression évidente.
En Algérie, comme dans beaucoup de pays, la
majorité des femmes est concentrée dans les secteurs non
productifs. En 1966, 62,2 % des femmes étaient employées dans les
services, passant à 75 % en 1977 et 79 % en 1982.
Selon les résultats d'une enquête
réalisée en 1982 par l'O.N.S., en cinq années, l'effectif
féminin employé dans le secteur des services fournis à la
collectivité (administration, enseignement, santé, etc.), a plus
que doublé (+ 11,2 %). C'est ainsi qu'en 1982, nous enregistrons 71 605
enseignantes, soit un taux de féminisation de la profession de 35,8 % et
14 897 comme personnel médical et paramédical, soit un taux de
féminisation de 35,3 %. Pour les autres services, l'augmentation est de
51,8 % (banques, assurances, hôtellerie, coiffures, etc.).
B- LA STAGNATION DE L'EMPLOI FÉMININ
DURANT LES DEUX PREMIÈRES DÉCENNIES DE
L'INDÉPENDANCE
Même si les données statistiques ne
reflètent que la moitié des femmes réellement
occupées, étant donné le fait qu'un très grand
nombre d'employeurs privés ne déclarent point leurs
employées, la participation de la femme dans l'économie nationale
demeure très faible. En effet, en 1982, 83,4 % des femmes étaient
occupées dans le secteur étatique(contre 78,7 % en 1977)
192(*).
Contrairement à ce que nous pouvons espérer et
malgré deux décennies de développement économique
et social, l'évolution quantitative de l'emploi féminin entre
1966, 1977 et 1982 est demeurée très insignifiante. Pendant ce
temps, la population totale, où les femmes représentent 50,3 %, a
augmenté de 5 millions. Ce faible taux de participation dans la vie
active pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l'avenir
du développement socio-économique du pays qui possède l'un
des taux les plus élevés de croissance démographique dans
le monde. La population occupée résidente, pendant la
moitié de l'année 1967, a été estimée
à 2,3 millions de personnes et de 3,5 millions à la même
période en 1978.
Ces faibles taux d'activités s'expliquent par la
jeunesse de la population et la très faible participation des femmes
à la vie active. "Cette situation entraîne la lourde charge de
quatre personnes inactives en moyenne en 1978 par actif (4,5 en 1967)"
193(*). La
création de l'emploi a progressé pendant toute cette
période. Durant le plan triennal 1967-1969, une moyenne annuelle
d'environ 89 000 postes de travail a été créée ;
pour le premier plan quadriennal 1970-1973, elle était de 99 000 et pour
le second plan quadriennal de 1974-1977, de 120 000.
Selon l'O.N.S., le nombre de personnes employées est
passé de 1 720 000 en 1965 à 2 830 000 en 1978 et
à 4 137 7365 (dont 365 094 femmes) en 1987, soit une augmentation de
près de 1 110 000 ou 64,5 % entre 1966 et 1978.
L'effectif des femmes officiellement employées n'a subi
qu'un accroissement de 47 786 entre 1966 et 1977, ajouté aux 42 000
partiellement occupées, et de 106 553 entre cette dernière date
et 1982. En effet, le nombre de femmes occupées est passé de 94
511 lors du recensement de 1966 à 138 234 lors de celui de 1977, soit
des taux d'accroissement annuels moyens de 3,5 % entre 1966 et 1977 et de 10,2
% entre 1977 et 1987 194(*).
En outre, même quand les femmes surmontent les
oppositions tacites ou ouvertes, officielles ou familiales pour travailler, une
fois employées, elles subissent une discrimination au niveau des
salaires qui sont généralement inférieurs à ceux
des hommes. Ainsi, en 1973, le salaire moyen des femmes était de 750
dinars, tandis que le salaire moyen des hommes était de 898 dinars
195(*).
La pratique discriminatoire implicite ou explicite à
l'encontre de l'emploi de la femme est révélée par le taux
très élevé du chômage parmi les cadres
féminins. En effet, en 1993, sur les demandes d'emploi non satisfaites,
on relève 154 cadres dont 95 femmes, soit 61,6 % des candidats au
travail 196(*). Cela est
grave dans un pays qui est caractérisé par un besoin pressant de
cadres techniques. Le recensement de 1987 révélera l'aggravation
du chômage parmi les femmes. En effet, le nombre de femmes à la
recherche d'un emploi est estimé à plus de 85 000 au milieu de
l'année 1989 (dont 12 000 ayant déjà travaillé).
Quant aux catégories socioprofessionnelles les plus
féminisées, il y a les Techniciens de la Santé (44,5 % de
femmes soit 28 782), les enseignants du fondamental (38 % de femmes, soit 98
089), les employés administratifs (8 % de femmes, soit 70 769). Les
cadres supérieurs (17,7 % de femmes, soit 25 484)... 197(*). Cela est dû à
l'amélioration de la qualification de la main-d'oeuvre
féminine.
Les femmes hautement qualifiées rencontrent beaucoup
plus de difficultés à obtenir des emplois adéquats.
"( ...), le problème du chômage existe.
Lorsqu'il y a un emploi, faut-il l'attribuer à l'homme ou à la
femme ? Faut-il laisser l'homme à la maison et permettre à la
femme de travailler ? C'est là le problème"
198(*).
L'arrêt de l'effort d'investissement par le
régime de Bendjedid (1979-92) a eu, pour conséquence
immédiate, l'augmentation rapide du taux de chômage parmi les
jeunes et les diplômés des deux sexes, mais
particulièrement les jeunes femmes. La plupart des jeunes femmes
possédant des diplômes en sciences sociales ne trouvent plus
d'emploi, surtout celles qui n'ont pas de "cooptation". Selon un
document officiel, le nombre de femmes qui se présentent sur le
marché du travail s'accroît à un rythme
élevé, proche de 10 % par an, leur nombre passera à plus
de 400 000 en 1984, les catégories d'emplois recherchés se
situant de plus en plus à des niveaux de qualification moyens et
supérieurs en raison des effets des premières vagues importantes
de sorties du système d'éducation et de formation 199(*).
C- LES CARACTÉRISTIQUES DU TRAVAIL
FÉMININ DE CE III ème
MILLÉNAIRE
Les caractéristiques essentielles du travail
féminin en Algérie, à l'orée du troisième
millénaire, ont été façonnées par l'ensemble
de tous les facteurs précités. Et pour mieux apprécier la
situation actuelle du travail féminin, un regard rétrospectif est
nécessaire.
En effet, la structure de l'activité féminine
entre 1982 et 1990 a évolué ainsi :
TABLEAU N°3 : Évolution de la
structure d'activité féminine entre 1982
et 1990 (en %) 200(*)
SECTEUR
|
1982
|
1987
|
1990
|
Agriculture
|
3,4
|
2,7
|
3,8
|
Industriel
|
14,3
|
12,4
|
11,0
|
BTP
|
1,5
|
3,4
|
3,7
|
Transport en commun
|
3,3
|
2,5
|
2,8
|
Commerce
|
2,5
|
3,4
|
4,6
|
Administration
|
64,7
|
64,3
|
67,5
|
Autres services
|
8,8
|
5,4
|
6,6
|
Non déclarées
|
1,8
|
5,9
|
6,6
|
TOTAL
|
100
|
100
|
100
|
La forte concentration de l'emploi féminin (plus des
deux tiers) dans l'administration publique (principalement l'enseignement et la
santé) révèle des "préférences"
selon le sexe. Les femmes sont cantonnées dans certains secteurs dits
"féminins". Cette situation est essentiellement due à
des pesanteurs sociologiques, culturelles et psychologiques.
"L'intégration de la femme algérienne" à laquelle
ont appelé les auteurs de la Charte de 1976 ne s'est pas
réalisée. En effet, au début de 1996, c'est-à-dire
20 ans après, le nombre de femmes algériennes a été
estimé à plus de 14,03 millions, représentant 49,32 % de
la population totale de l'Algérie, dont 51,31 % en milieu urbain et
48,69 % en milieu rural.
La structure de cette population féminine par situation
individuelle révèle le faible taux d'activité des femmes
durant les trente quatre dernières années. Le nombre total de la
population occupée est passé de plus de 2,46 millions en 1960
dont 627 419 femmes (y compris 500 000 aides familiales) à 1,75 millions
(dont seulement 90 500 femmes, les aides familiales non comprises) en 1996 et
atteignant 4,53 millions en 1991 (dont 360 380 femmes).
TABLEAU N° 7 : Répartition de la
population féminine occupée par
branches d'activité 201(*)
SECTEUR
|
1960
|
1966
|
1991
|
Agriculture et pêche
|
500 650
|
19 800
|
7 590
|
Industrie extractive
|
325
|
300
|
38 240
|
Industrie manufacturière
|
15 185
|
13 200
|
38 240
|
Hydrocarbures et autres industries
|
----
|
----
|
2 670
|
B.T.P.
|
3 150
|
500
|
6 430
|
Electricité et gaz, eau, ...
|
975
|
400
|
----
|
Commerce, banque, assurance
|
24 361
|
3 600
|
13 970
|
Transport, entrepôts et communication
|
4 192
|
2 200
|
----
|
Services - Administration
|
68 447
|
47 600
|
254 260
|
Activités rurales désignées
|
10 134
|
2 900
|
29 430
|
Autres
|
----
|
----
|
----
|
TOTAL GÉNÉRAL
|
627 419
|
90 500
|
360 380
|
En 1995, la population féminine active, qui
représentait alors 16,5 % de la population totale
occupée, était concentrée essentiellement dans trois
secteurs : l'éducation nationale : 172 102 femmes sur 459 378 (soit 38
%), la santé publique : 69 631 femmes sur 180 140 (soit 37 %) et
l'administration : 26 % du total.
Les statistiques du Ministère de l'Éducation
Nationale indiquent que les enseignantes sont toujours moins nombreuses que les
enseignants, même dans les deux premiers cycles de l'école
fondamentale. En effet, sur 170 956 enseignants, les enseignantes ne comptent
que 78 515 (soit 44,7 %). Elles constituent une part importante du corps
enseignant dans onze wilâyas : Alger (83 %), Annaba (77 %), Oran
(76,45 %), Constantine (63 %), Boumerdès (63 %), Aïn Temouchent (62
%), Blida (60 %), El Tarf (59,3 %), Sidi-Bel-Abbès (59 %) et Tizi-Ouzou
(57 %).
Dans l'école moyenne (ou le 3ème
palier de l'école fondamentale), les femmes représentent 47,52 %
du corps enseignant. Elles sont aussi majoritaires dans quinze
wilâyas : les mêmes que pour les premiers paliers en
ajoutant Skikda (52 %), Guelma (51 %), Mascara (51 %) et Souk Ahras (51 %).
Les femmes ne représentent encore que 40,85 % des
professeurs du cycle de l'enseignement secondaire. Cependant, les
femmes-professeurs sont majoritaires dans six wilâyas du Nord :
Alger (70 %), Tipaza (55 %), Constantine (53 %), Annaba (53 %), Souk Ahras (52
%) et Boumerdès (51 %).
Globalement, la fonction enseignante exercée au niveau
du Ministère de l'Éducation Nationale est remplie par 44,96 %
femmes-enseignantes. Donc, elles ne constituent pas encore la majorité
du corps enseignant
Quant aux domaines de gestion et de contrôle
administratif et pédagogique, les femmes sont toujours
subordonnées aux ordres des mâles dont la majorité est
bourrée de préjugés misogynes. Ils ne ratent jamais
l'occasion d'expurger tout manuel, chapitre ou texte sous une forme ou une
autre : sexualité, problèmes spécifiques de la femme,
Sida, planning familial. Par exemple, un manuel d'anglais préparé
par une équipe de femmes travaillant dans l'Institut Pédagogique
National a été expurgé de plusieurs sections jugées
indécentes (Lâ yadjûz !) par des patrons
mâles.
En effet :
q Sur 2 019 inspecteurs et conseillers pédagogiques
intervenant dans les trois paliers de l'école fondamentale, seulement 83
sont des femmes ;
q Sur un effectif global de 49 inspecteurs, seulement 8 sont
des femmes ;
q Sur les 390 inspecteurs pédagogiques, administratifs
et de gestion intervenant dans les établissements d'enseignement
secondaire, seulement 28 sont des femmes ;
q Sur 13 775 chefs d'établissements primaires,
seulement 880 sont des femmes ;
q Sur les 3 005 directeurs qui gèrent les
écoles fondamentales 202(*), seulement 213 sont des femmes ;
q Sur les 1 071 proviseurs des lycées de
l'enseignement secondaire, seulement 93 sont des femmes ;
q Le sommet de la hiérarchie (de l'ensemble du
personnel d'orientation scolaire et professionnelle) chargée du suivi
psychopédagogique et de l'orientation des élèves est
constitué par un effectif global de 599 cadres dont naturellement 322
femmes (soit 54 %).
Une telle situation caractérisée par des
inégalités flagrantes a amené un haut fonctionnaire
consciencieux à dire, dans un rapport officiel, que :
"Même si la participation de la femme dans les corps
de métiers liés à l'enseignement est relativement
importante, elle reste limitée dans les petites villes et les zones
rurales. D'autre part, tous les postes de responsabilité, qu'ils soient
pédagogues, administratifs ou de contrôle restent majoritairement
occupés par les hommes".
Au 31 décembre 1995, sur les 1 395 904 fonctionnaires
de la fonction publique, 359 952 étaient des femmes (soit 26 % des
effectifs globaux). Elles occupaient 71 464 postes d'encadrement (soit 29 %),
167 915 postes de "maîtrise" (soit 34 %) et 120 573 postes
d'exécution (soit 19 %).
De nombreuses professions de la santé publique sont
"féminisées". En effet, en 1996, le taux de
féminisation de ces professions a atteint 51,1 % ; pour les
médecins, il était de 36 % chez les hospitalo-universitaires, 46
% chez les médecins spécialistes et 48,6 % chez les
généralistes. Le taux de féminisation des
chirurgiens-dentistes s'est élevé à 64,4 % et celui des
pharmaciens à 65,4 %.
En somme, les femmes occupées sont concentrées
essentiellement dans le secteur tertiaire : 28 % dans l'enseignement, 24 %
employées de bureau, secrétaires ou vendeuses, 12 % de manoeuvres
n'ayant aucune qualification (femmes de ménage) et 6 % comme
ouvrières. Cette répartition selon le niveau d'instruction montre
que, sur l'ensemble des femmes occupées, 86 % ont au moins un niveau
d'instruction élémentaire, 41 % un niveau secondaire et 22 % un
niveau universitaire. La part des femmes occupées ayant un niveau
secondaire ou supérieur est relativement plus élevée que
celle des hommes (15,67 % contre 25,87 %). Par conséquent, les femmes
occupées sont généralement celles qui possèdent un
niveau de qualification élevé. Ce dernier a donc influé
favorablement sur le degré de participation de la femme à la vie
active.
En outre, l'emploi des femmes salariées est surtout un
phénomène urbain. En effet, les villes offrent beaucoup plus de
possibilités à l'insertion professionnelle que les
collectivités rurales. Par exemple, la wilâya d'Alger
regroupe à elle seule 21,7 % des emplois féminins (soit 1/5),
suivie de la Wilâya d'Oran et de la Wilâya de
Constantine.
L'accroissement de l'emploi féminin a pratiquement
doublé entre 1991 et 1996 passant de 360 380 à 625 000 en
l'espace de cinq ans. Cela est dû à l'augmentation des femmes au
foyer partiellement occupées. En 1995, leur nombre a atteint 170 000
femmes (soit plus de 2,6 %). Comme les 97 % des 95 % des femmes
salariées sont centrées dans le secteur public, l'impact de
l'ajustement structurel exigé par le F.M.I., qui a entraîné
d'innombrables compressions de l'emploi et des licenciements, a affecté
terriblement les femmes actives. En effet, en 1996, la répartition de la
population féminine âgée de 16 ans et plus, selon la
situation individuelle, était la suivante :
En effet, le chômage féminin a enregistré
une forte croissance depuis l'aggravation de la crise multidimensionnelle
actuelle. Le nombre de femmes chômeuses est passé de 106 000 en
1991 à 250 000 en 1995 et à 363 000 en 1996. Cette tendance
fâcheuse a eu pour conséquence l'augmentation du taux de
chômage féminin. Celui-ci a atteint 38,4 % contre 20,4 % en 1992.
Il a frappé plus durement la tranche d'âge des 20-24 ans avec un
taux de 44,26 % !
Ainsi, la majorité entrant dans le marché de
travail est constituée d'étudiantes diplômées (62,4
%) et, hélas, de femmes au foyer (22,7 %). Étant donné la
baisse vertigineuse du pouvoir d'achat des salariés, d'innombrables
familles ne peuvent plus vivre du seul salaire du chef de ménage.
La population féminine âgée de 16 ans et
plus, selon la situation matrimoniale, se répartit en 1996 comme suit
:
TABLEAU N°4 : Répartition des femmes
selon la situation matrimoniale 203(*)
SITUATION INDIVIDUELLE
|
EFFECTIFS
|
%
|
Mariées
|
4 336 000
|
52,42
|
Célibataires
|
3 069 000
|
37,11
|
Divorcées / séparées
|
1 000
|
2,07
|
Veuves
|
695 000
|
8,40
|
TOTAL
|
8 271 000
|
100
|
Quant à la population active féminine
âgée entre 16 et 59 ans, elle a été estimée
à 973 000 au 31 mars 1996 et le nombre de femmes inactives à plus
de 6,41 millions ! La situation matrimoniale des femmes occupées
âgées de 16 ans et plus était, en 1996, la suivante :
D- LES PROBLÈMES DES
TRAVAILLEUSES
TABLEAU N° 6 : La structure d'activité
féminine en 1996 selon la situation matrimoniale (en %)
204(*)
Veuves
|
8
|
13,3 %
|
Divorcées
|
18
|
30,0 %
|
Mariées
|
11
|
18,3 %
|
Célibataires
|
23
|
38,3 %
|
Les "femmes sans hommes", selon l'adapte expression
de Willy Jansen 205(*),
qui sont les célibataires, les divorcées et les veuves,
constituent ensemble la plus grande proportion des travailleuses (81,3 %)
contre 18,7 % des femmes mariées. Cette grande proportion des
travailleuses célibataires a amené Faouzi Adel à penser
que :
"L'emploi féminin est, en grande partie,
déterminé par le projet matrimonial. Si on met en relation
l'emploi féminin avec les groupes d'âge, on se rend compte que 58
% environ des femmes qui travaillent sont concentrées dans la
catégorie d'âge de 20 à 29 ans. Au-delà, la chute
est vertigineuse : 15,2 % pour les 30-34 ans et 7,9 % pour les 35-
39 ans. La seule explication plausible réside dans
le fait que la majorité d'entre elles travaille dans l'attente du
mariage puisque cette catégorie d'âge correspond, en gros,
à l'âge du mariage des femmes" 206(*).
Ceci est dû à la conception prévalante de
la fonction reproductrice de la femme mariée dans la
société algérienne qui se traduit par l'hostilité
des hommes à sa présence dans le domaine public.
E- LE TRAVAIL FÉMININ À DOMICILE
Il semble que de tels conflits ont induit des milliers de
femmes à recourir de plus en plus au travail à domicile. À
l'origine, les travailleuses à domicile étaient appelées
par l'O.N.S. : "femmes partiellement occupées". Leur nombre est
passé de 42 153 en 1977 à 66 000 en 1982, à 180 000 en
1985, baissant à 145 000 en 1989, s'élevant à près
de 178 000 en 1990 et atteignant 181 400 en 1991.
Des enquêtes officielles de 1990 et 1991
révèlent que les travailleuses à domicile sont
estimées à 99 % des femmes. Les femmes mariées en
représentent 69 % et plus de 79 % d'entre elles sont
âgées de plus 24 ans (chez la femme algérienne, l'âge
moyen au mariage oscillait en 1991 entre 24 et 25 ans) 207(*).
Abdelkader Lakdjaa a expliqué cette situation ainsi :
"Comme chez les femmes chômeurs chez lesquelles
l'attitude face au travail salarié à l'extérieur se
révèle dépendre du statut matrimonial, chez les
travailleuses à domicile, le croisement âge/situation matrimoniale
semble aller dans le sens de l'hypothèse de la division du travail
inspiré de la division des espaces : les femmes mariées se
consacrent au travail à domicile et les jeunes filles
célibataires se risquent dans le travail salarié à
l'extérieur" 208(*).
Les résultats d'une enquête en 1985 209(*) montrent que le mariage
d'une jeune femme peut conduire soit à une cessation de son
activité rémunérée, soit au blocage de son
accès à l'emploi dans le domaine public. En effet, à la
question "pensez-vous travailler après le mariage ?", seules 28
% des femmes âgées de plus de 16 ans avaient répondu par
"oui".
"Cette stratégie des femmes, qui se replient au
domaine privé où elles deviennent des travailleuses à
domicile, est due (pour 71,6 % des enquêtes) à une meilleure
rémunération de leur activité".
Les autres raisons découlent en ligne droite du refus
de l'organisation du travail salarié officiel : le travail à
domicile est jugé plus pratique (64 % en 1991), il facilite la garde des
enfants (47,3 %), il s'explique par l'opposition familiale au travail à
l'extérieur (32,5 %)... A contrario, des motifs plus objectifs
et plus déterminants en apparence ne sont pas avancés avec force
: le chômage comme cause du travail à domicile (12 % en 1991),
l'absence de local (4 %) et même le handicap physique (1 %)...
Ce refus du travail salarié à l'extérieur
semble devoir s'expliquer, pour un homme, par la perception qu'en ont les
femmes travailleuses à domicile comme inintéressant,
assimilé à une corvée, ressenti comme morne,
répétitif, ennuyeux, le plus souvent sans rapport avec les
connaissances acquises. Le travail informel, sous sa forme de travail à
domicile, doit alors répondre positivement à cette recherche
d'indépendance, valorisation de l'individu qui effectue un travail
complet et non plus seulement des tâches parcellisées,
possibilité de planifier son temps, exprimer sa personnalité, ses
goûts, ses capacités et ses possibilités, enfin de parler
d'égal à égal avec le donneur d'ouvrage 210(*).
En dépit de leur participation à la
libération de la nation entre 1954 et 1962, les Algériennes
continuent d'être marginalisées et opprimées par les hommes
qui invoquent la Charia pour les subordonner et les dominer.
Le travail féminin à domicile pourrait-il
contribuer à améliorer la condition infâme des femmes
algériennes ou, au contraire, à l'aggraver ?
III- LA VIE FAMILIALE DES ALGÉRIENNES
SALARIÉES
L'Algérie connaît de nouveau des
événements douloureux : crises politique, économique et
sociale. La condition féminine dans ce pays retient
particulièrement l'attention de nombreux observateurs. S'il est vrai que
le problème de la femme algérienne ne s'est jamais posé
avec autant d'acuité, il convient de préciser que ce
problème n'est pas récent. Ce serait occulter une partie de
l'histoire et surtout ignorer la complexité du statut de la femme dans
la culture arabo-musulmane et même méditerranéenne que de
réduire l'analyse du problème de la femme algérienne
à une dimension conjoncturelle.
Quoi qu'il en soit, rien n'empêchera la condition
sociale de la femme algérienne de poursuivre son évolution. C'est
là un processus socio-historique indéniable auquel la femme ne
pourra échapper. Il n'est qu'à voir des indicateurs tels que la
scolarisation massive des filles, l'arrivée des femmes sur le
marché du travail, leur participation - cependant encore timide -
à la vie politique pour ne pas récuser l'idée d'un
changement affectant l'élément féminin.
Il n'est pas question de mener une réflexion sur divers
domaines à la fois, ce qui risquerait de paraître assez
général et ferait perdre de la profondeur à
l'étude. Je me limiterai au changement dans le cadre de la famille.
Une particularité a attiré mon attention en
parcourant un certain nombre de travaux :
q D'une part, l'usage fréquent que font certains
auteurs maghrébins du couple tradition/modernité : la
première notion faisant référence à un respect des
valeurs locales et à une pratique de modèles de conduite anciens,
la seconde étant comprise comme une imitation d'un univers
différent, occidental en l'occurrence, et non comme une ouverture et un
changement d'esprit.
q D'autre part, le fait de prétendre que la
confrontation de ces deux entités conduit inexorablement à un
conflit de valeurs, il n'y a pas obligatoirement antinomie : la tradition sans
cesse renouvelée intègre constamment des existants nouveaux
211(*).
Mon avis est que les phénomènes sociaux que l'on
se propose d'étudier sont suffisamment complexes pour ne pouvoir
être appréhendés d'une manière aussi simplificatrice
que bipolaire. D'ailleurs, je n'ai pas fait de cette bipolarité un cadre
de référence. Le risque aura été un certain
amalgame entre le couple tradition/modernité et le couple femme au
foyer/femme salariée, le pas aura été vite franchi.
A- LE RÔLE FAMILIAL DE LA FEMME
TRAVAILLEUSE
Il s'agit de traiter de la relation entre le travail
féminin salarié et la vie familiale. L'Algérie, aux
caractéristiques économiques et sociologiques totalement
différentes de celles des pays industrialisés : le
phénomène de l'introduction de la femme dans la vie active y est
beaucoup moins important, la division sexuelle du travail au sein de la famille
demeure des plus rigides, etc.
C'est donc tout en tenant compte de la
spécificité économique, sociologique et culturelle du
contexte local que je me suis posée des questions tournant autour de la
redéfinition des rôles familiaux. Et afin de pouvoir
répondre à toutes les questions, il fallait inévitablement
procéder à un choix méthodologique concernant aussi bien
l'approche que les variables à circonscrire.
Quant aux différentes variables ou composantes du
rôle familial, je ai retenu que l'exécution des tâches
ménagères (préparation des repas, vaisselle, etc.) :
même en Occident, la "répartition est normative et
inégale" 212(*). Que dire alors de la famille algérienne ?
Quant à l'approche, elle se veut obligatoirement
empirique. En outre, elle met l'accent exclusivement sur la femme : je veux
prouver la redéfinition de son rôle familial tout en laissant
exceptionnellement de côté le rôle du mari. Ce
procédé peut paraître tronqué aux yeux d'un
observateur averti mais, à mon sens, c'est une démarche qui
permet de mettre en avant la "une femme " car la redistribution
des rôles entre les conjoints est difficile à démontrer
213(*) puisque la
logique qui veut que la conquête par la femme d'un nouveau territoire
implique ipso facto le retrait du mari n'est pas toujours vraie : le
mari algérien est connu pour tenir honorablement à ses acquis.
Aussi, une tentative d'explication d'une redistribution des rôles
conjugaux risque d'occulter ou de rendre insignifiante toute évolution
du rôle de la femme - comparativement à celui du mari dans des
domaines comme l'autorité décisionnelle, la gestion du budget,
etc. -.
D. Behnam souligne, à propos de l'évolution des
rôles masculins et féminins au sein de la famille musulmane, que :
"L'homme, pilier de la famille, a su conserver encore,
comme d'ailleurs dans d'autres civilisations, sa position centrale et ses
droits privilégiés au sein de la famille, il est le lien entre
les membres de la famille, entre la lignée et la société.
Mais ce sont surtout le statut et le rôle de la femme qui ont connu des
modifications" 214(*).
C- DES FEMMES SALARIÉES
DÉPOSITAIRES DE L'AUTORITÉ
Le fait que la femme exerce ou non une activité
professionnelle à l'extérieur peut s'avérer un
critère déterminant. Je ne cesserai de faire appel à ce
critère professionnel supposé explicatif et ce pour le restant de
l'analyse. Cela étant, le travail salarié permet-il
réellement à la femme d'exercer une plus grande autorité
au sein du couple et dans quels domaines ?
Les informations recueillies montrent une importante marge de
manoeuvre chez les salariées (actives) par rapport aux femmes au foyer.
Néanmoins, pas dans tous les domaines. Les salariées sont plus
nombreuses à exercer une influence au même titre et plus que le
mari. Il convient de signaler que le nombre de femmes inactives est très
important et non négligeable.
Ceci montre que, dans le domaine de l'éducation des
enfants, les femmes au foyer ont aussi leur mot à dire. Cela
relève évidemment de leur rôle expressif ; étant au
foyer, elles sont plus disponibles et y consacrent certainement un plus gros
budget-temps. Rappelons aussi que les femmes voient en leurs enfants une forme
d'investissement affectif en vue de jours meilleurs.
En ce qui concerne les grosses dépenses, les
salariées sont presque deux fois plus nombreuses que les non
salariées à décider au même titre et plus que le
mari : 73,3 % contre 44,4 %, c'est le résultat du travail à
l'extérieur. Suite à sa participation financière, la femme
salariée voit son autorité grandir dans le domaine de la gestion
du budget familial. Sa participation à la gestion des dépenses ne
résulte plus, comme on le prétend pour la famille traditionnelle,
d'une confiance qu'on lui accorde en raison de sa sagesse ou de son talent de
gestionnaire, mais représente un acquis irréversible, un droit
que nul ne peut aujourd'hui lui contester. Il faut souligner que la prise de
décision pour les sorties et visites familiales reste faible même
chez les salariées. Il s'agit d'une décision plus difficile
à prendre.
D'ailleurs, C. Bouatta 215(*) observe aussi que les femmes salariées (48
%), à défaut de décider de sortir librement, informent
leur mari. Cette nuance est importante à souligner. Elle montre que la
femme arrive, malgré tout, à négocier avec son mari. Ce
dernier finit par céder même si l'objet des tractations porte sur
la répartition sexuelle de l'espace géographique. Aussi, le fait
que la femme conclut un accord avec son conjoint peut avoir un sens : elle le
rassure et lui fait preuve de "fidélité", ceci pour
dissiper tout soupçon, sans quoi, quitter le domicile conjugal sans le
lui demander peut représenter, dans l'esprit du mari, une atteinte
à son honneur. On peut confirmer l'incidence du statut professionnel :
les salariées augmentent leur pouvoir dans le couple.
2- LES CONSÉQUENCES DE LA RÉDUCTION
DU TAUX DE FÉCONDITÉ
La femme consolide sa position auprès de son mari et de
ses beaux-parents, sans oublier le rang auquel elle accédera une fois
devenue "mère âgée". Qu'en est-il des sujets
interrogés ? Leur comportement en matière d'autorité dans
le couple dépend-il du nombre de leurs enfants ? Est-il vrai que plus ce
dernier est élevé, plus elles assoient leur autorité et
ont leur mot à dire?
L'analyse des résultats ne montre pas de
différence au sein du groupe des salariées. En revanche, des
écarts significatifs concernent les femmes au foyer. Pour ces
dernières, si l'hypothèse d'une relation entre le nombre
d'enfants et le pouvoir de décision est vraie, il convient
néanmoins de remarquer que les résultats ne suivent pas le
pronostic attendu mais prennent une allure inverse : moins elles ont d'enfants
et plus elles voient leur autorité grandir, et non le contraire.
q Les femmes ayant moins de trois enfants (78,6 %) sont plus
nombreuses à décider pour l'éducation des enfants que
celles qui ont trois enfants et plus (53,4 %) ;
q Elles sont presque deux fois plus nombreuses à avoir
leur mot à dire en ce qui concerne les grosses dépenses (60,7 %)
;
Tels qu'on les découvre, ces résultats ne
corroborent pas la thèse répandue en Algérie, comme dans
maints pays musulmans, selon laquelle une nombreuse progéniture
entraîne inévitablement une plus grande affirmation de la femme
et, par la suite, un plus grand pouvoir dans la sphère domestique. Cette
thèse, si chère à l'idéologie traditionnelle,
est-elle moins valable aujourd'hui en raison des diverses mutations qu'est en
train de subir la cellule familiale ou d'un changement des mentalités
individuelles ? Là n'est peut-être pas la réponse.
Il est plus prudent de chercher l'explication dans
l'organisation même du temps de travail de la femme et plus exactement
dans l'inadéquation entre la charge de travail que représentent
pour elle ses innombrables tâches domestico-ménagères et le
budget-temps insuffisant dont elle dispose quotidiennement. Cette
inadéquation est parfois si flagrante que décider risque de
devenir pour la femme une tâche supplémentaire. Si c'est le cas,
alors elle préfère que ce soit son mari ou même une tierce
personne (parents, beaux-parents) qui s'en charge. Si bien qu'on ne doit plus
parler d'une réelle absence de pouvoir chez la femme au foyer ayant
trois, quatre, cinq enfants et plus mais plutôt d'une
délégation volontaire de son autorité décisionnelle
vers d'autres membres de la famille en vue d'une répartition plus
équitable des responsabilités familiales.
Les femmes interrogées - actives et inactives -
prennent plus de décision lorsqu'il s'agit des activités relevant
de la sphère domestique : éducation des enfants et gestion du
budget. Lorsqu'il est question de sortir pour rendre visite à des
parents ou des amies, elles s'en remettent à leurs maris ; ce dernier
indicateur est différent et relève de la sphère
hors-foyer. Cette dichotomie pouvoir féminin à
l'intérieur du foyer / pouvoir des hommes à
l'extérieur n'a cessé de resurgir tout au long de la lecture
des données chiffrées.
Quant aux croisements effectués :
q Le travail salarié de la femme augmente
incontestablement son influence dans le couple.
q Il y a une tendance à ce que le pouvoir des
salariées uniquement soit lié à la nature de la
résidence : celles qui habitent en résidence néolocale
détiennent une plus grande autorité.
q Le nombre d'enfants est lié exclusivement au
comportement des femmes au foyer et, contrairement à ce que nous
supposions, moins elles ont d'enfants et plus grande semble leur influence.
La représentation chez la femme du modèle de
répartition des rôles conjugaux explique seulement le comportement
des femmes inactives : les sujets qui pensent à une division non
traditionnelle des rôles participent plus à la décision.
En dépit de leur appartenance à une même
génération, les salariées se conduisent
différemment. Il y a une classification ou une sorte de
hiérarchie quant à l'accession à l'univers masculin. De
toutes les femmes qui ont la possibilité de quitter le domicile - en
raison de leur activité professionnelle -, ce sont les moins jeunes,
quadragénaires, qui se chargent des affaires extra-familiales. Ceci
représente une évolution dans un milieu social où la
tradition est de vigueur et où toute redéfinition des rôles
masculins et féminins risque de porter ombrage.
À ce sujet, N. Chellig n'hésite pas à
parler carrément d'angoisse vécue par les hommes quand "les
femmes, ... les faibles parmi les faibles, pénètrent dans ce
qu'ils pensaient être leur espace : la rue, le travail". Elle ajoute
qu'"un sexisme virulent apparaît afin que l'ancienne dichotomie soit
de nouveau absolue ..." 216(*).
Il y a dans l'argument de Chellig une part de
vérité car, hormis le fait qu'il existe des femmes qui ne se
plaignent pas de leur rôle traditionnel, il arrive assurément que
les hommes, de leur côté, résistent à toute
intégration des femmes dans l'univers masculin. Les femmes se
retrouvent, par moments, devant un réel dilemme : rester au foyer et
pâtir de leur isolement ou sortir à l'extérieur pour faire
des courses, travailler, etc., avec tous les risques d'agaceries et de paroles
importunes. Il convient de signaler que ces risques existent. Même
voilées, les femmes ne sont pas toujours à l'abri des regards
indiscrets.
En interrogeant des hommes sur ce que représente pour
eux la femme voilée, N. Allami a recueilli un témoignage :
"Elle crée une ambiance sexuelle... Dehors,
(...) rien ne (nous) fait barrage. Quand, en plus, la femme
est totalement voilée, c'est-à-dire qu'elle n'a qu'un oeil pour
la guider, elle est terriblement attirante" 217(*).
N. Allami remarque que le voile consacre son règne sur
la scène du fantasme. M. Chebel note, à juste titre, que :
"Ce n'est pas le vêtement lui-même qui change
de nature, c'est la nature de la relation qui lui est appliquée qui se
transforme et qui, parfois, se pervertit. Dans le domaine érotique, et
compte tenu de l'état actuel des mentalités en terre d'Islam, le
voile est un vêtement polysémique : il est sensuel pour les uns,
protecteur pour les autres..." 218(*).
Tous statuts confondus, un sujet sur deux participe à
l'exécution des tâches hors-foyer touchant de près les
enfants (achats de vêtements, se rendre à l'école...). En
revanche, la proportion des femmes que j'ai interrogées diminue
sensiblement lorsqu'il s'agit des autres préoccupations (courses de
ménages courantes, se rendre dans une administration...) :
respectivement, un sujet sur trois et moins d'un sujet sur quatre. Là
aussi, nous sommes amenée à faire une distinction entre deux
groupes d'indicateurs en dépit du critère initial
"hors-foyer".
Il n'existe pas de différence entre les pourcentages
obtenus par les salariées et les femmes au foyer pour tous les items
concernant la variable dépendante. La non-ingérence des
beaux-parents est générale. Cela est probablement dû
à un phénomène sociologique qui dépasse le seul
paramètre inhérent au travail de la femme.
Il s'agit vraisemblablement de la preuve même de
l'évolution de l'idéologie familiale. Alors, contrairement
à l'archétype familial, il s'opère aujourd'hui un
transfert de pouvoir. Les conjoints en sont dépositaires,
évidemment, à partir du moment où les décisions
à prendre les concernent directement. Il faut ajouter que le transfert
de pouvoir se passe souvent sans heurts : les parents acceptent les nouvelles
règles de jeu.
S'il y a des femmes qui se sentent libres d'administrer leur
foyer, ce sont d'abord celles qui ont la possibilité de vivre en famille
restreinte et échappent donc à la structure familiale
patriarcale. Ce constat prouve que, dans une pareille situation, le fait
d 'exercer une activité professionnelle importe peu : le statut de
salariées n'a aucun effet. C'est plutôt le fait de s'isoler pour
s'éloigner le plus possible de la résidence patrilocale,
autrement dit des parents de l'époux, qui s'avère être un
facteur déterminant.
Il faut rappeler que d'autres auteurs ont fait allusion
à ce phénomène de prise de distance par l'équipe
conjugale, phénomène qui mérite d'être
qualifié de stratégie d'éloignement résidentiel.
C'est, en tout cas, ce qui semble ressortir de toute une série de
témoignages recueillis par C. Bouatta. On en a pour exemple celui, non
moins éloquent, d'une salariée de niveau scolaire moyen qui dit :
"Avant, on vivait tous ensemble et ça ne marchait
pas bien parce qu'ils (parents du mari) avaient tendance à se
mêler de tout. Maintenant, ils ne se mêlent plus des questions
privées" 219(*).
Résumons :
q De manière générale, peu nombreux sont
les beaux-parents qui se mêlent des affaires du couple conjugal. Ce
phénomène est général et ne touche pas uniquement
les familles à deux carrières. Ceci infirme l'hypothèse
selon laquelle l'immixtion est plus grande lorsque la bru reste au foyer.
q Seul le type de résidence explique
l'ingérence de la belle-famille. Aussi bien pour les actives que pour
les inactives, les parents du mari interviennent beaucoup moins quand le couple
vit seul en résidence néolocale. À signaler
également le même comportement quand la belle-fille est
salariée et habite chez ses propres parents (résidence
matrilocale).
q L'âge de la femme n'a aucun lien avec
l'ingérence des beaux-parents. Rappelons que c'est ce à quoi j'ai
abouti en essayant d'expliquer le pouvoir de décision de la femme. La
raison se trouve vraisemblablement dans la relative
homogénéité démographique des personnes
interrogées. Le niveau scolaire de la femme n'est pas lié
à la variable "intervention".
Il convient de souligner que d'autres chercheurs aboutissent
à des constats totalement différents. Pour C. Bouatta 220(*), les femmes
algériennes de niveau primaire, plus que leurs compatriotes de niveau
moyen et supérieur, accordent un rôle plus important aux
beaux-parents. Naturellement, cette conclusion rejoint la mienne pour diverses
raisons.
En conclusion, je peux dire que toute l'organisation du
travail est à revoir, tout le système juridique aussi, par un
travail d'éducation profond. On constate aujourd'hui, souvent,
malgré les changements observés dans les rapports entre jeunes,
que peu de choses ont changé dans le fond : de nombreuses femmes vont
à l'école et même à l'université, exercent
une activité salariée, choisissent, parfois, leur futur
époux mais, dans le fond, les changements demeurent superficiels. Si la
femme est souvent celle qui aspire au changement car c'est elle qui y trouve le
plus à gagner, il n'en est pas autant pour son partenaire.
CHAPITRE V
LA FEMME ET LA POLITIQUE
I - L'ALGERIE ET LES FEMMES
Est-ce mieux ou pire qu'avant ? C'est souvent en ces
termes qu'on pose le problème de la femme en Algérie. Comme si
l'indépendance constituait, en quelque sorte, un degré
zéro, comme si elle était riche (par quel miracle ?) de
toutes les potentialités. Sans doute en recèle-t-elle, et des
fondamentales, mais si elle promet un avenir autre, elle n'en porte pas moins
le poids du passé et du présent.
Le discours politique, quelle que soit sa couleur :
étatique, pro-étatique, de gauche ou encore islamique,
soulève stratégiquement la question du rôle que joue la
femme dans la société. Ce rôle est évoqué
à propos de toutes les questions se rapportant à
l'éducation, à la religion, à la modernité, au
développement, à la démocratisation, et au pouvoir.
Mouvements féministes contemporains et partis politiques de
différents bords politiques plaident, pour des raisons
stratégiques différentes, pour la participation de la femme dans
la vie politique.
Toutefois, tout discours sur les femmes n'est pas
forcément un discours féministe dans le sens actif et positif du
terme. Dans bien des discours, la femme pourrait se trouver, selon une
volonté et une stratégie politique données, soit au coeur
du politique, soit en dehors.
Parler de l'émancipation de la femme algérienne
est un sujet qui a provoqué déjà tant de querelles,
soulevé tant de passions, tellement le problème est
compliqué et complexe pour une société
occidentalisée et évoluée. Ces dernières
années, beaucoup d'articles, de reportages, de publications d'ouvrages
ont été publiés. Doit-on s'intéresser davantage
à la réalité des "hommes algériens",
lesquels demeurent complètement indifférents à la
situation pénible des femmes... ?
La brèche ouverte sur l'extérieur, c'est aussi
la scolarisation des filles. L'école porteuse de projets et de
désirs multiples a contribué à ce que le destin familial
n'apparaisse plus comme inéluctable. La confrontation des deux univers
est source de déchirements, d'instabilité, c'est pour la femme
une situation souvent traumatisante. Si la femme peut franchir le seuil de la
maison, la rue demeure le lieu privilégié des hommes.
Dans l'Algérie nouvelle, la violence des regards, des
mots, des attitudes, le harcèlement continuel, incitent même
quelques femmes à reprendre le voile. Rempart fragile du corps en
danger. Mais là encore, cette violence n'est que mépris : elle
est aussi, dans sa forme extrême, l'expression de la rage de vivre cette
infinie distance entre les hommes et les femmes au milieu de cette
atmosphère de répression sexuelle et affective.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à sortir et
à travailler, surtout dans les zones urbaines, même si le taux
d'activité de la population féminine reste l'un des plus faibles
du monde (3 %). Mais cela ne reflète pas la réalité du
travail des femmes qui ne relève pas toujours du salariat. Ainsi, dans
les régions agricoles, elles assurent l'essentiel des travaux, surtout
depuis que les hommes ont immigré à la ville ou à
l'étranger.
Le pouvoir politique doit faire face à une
contradiction sociale difficile à gérer : l'activité des
femmes est indispensable à l'économie nationale, mais elle ne
doit pas menacer l'équilibre familial :
"L'intégration de la femme algérienne dans
le circuit de la production doit tenir compte des contraintes inhérentes
au rôle de la mère de famille et celui de l'épouse dans la
construction du foyer familial... Ainsi, l'État doit-il encourager la
femme à occuper des postes de travail qui répondent à ses
aptitudes et à ses compétences... Bref, faire en sorte que le
travail de la femme soit un facteur de cohésion familiale et
sociale" 221(*).
Comment, autant infantilisées, des femmes
pourraient-elles participer activement à la vie politique, si pauvre
soit-elle ? Malgré les discours sur "Les femmes algériennes
citoyennes à part entière", elles sont souvent absentes de
la vie publique. Très souvent à la campagne, les hommes votent
à la place des femmes de la famille, ce qui arrive également en
ville, sans que les autorités s'en inquiètent.
Les candidats aux élections présidentielles,
législatives ou cantonales ont une organisation presque exclusivement
masculine (sauf en 1992 pour les élections législatives avec le
multipartisme...). Les très rares candidatures de femmes sont peu
retenues, d'où une impressionnante sous-représentation des femmes
: 1 % en milieu rural et 3 % dans les grandes villes. Il s'agit le plus souvent
du traditionnel domaine concédé aux femmes. Celui de l'assistance
sociale. En 1982, et pour la première fois, une femme a
été nommée secrétaire d'État aux
Affaires sociales, au moment même où se développait la
lutte contre l'avant-projet du Code de la Famille.
L'inefficacité de l'Union Nationale des Femmes
Algériennes (U.N.F.A.), organisation de masse largement
dépendante du parti unique, laisse vacant le terrain de lutte en
politique pour la libération des femmes. Quand, parfois, elles tentent
des incursions dans les villages pour mobiliser les femmes sur certains
problèmes, les portes restent closes, sous surveillance masculine car,
dès qu'une voix s'élève contre cette oppression, il est
aussitôt fait référence à "la tradition
arabo-islamique" au nom de l'amalgame : "se révolter contre
cette tradition, c'est trahir l'indépendance chèrement
acquise..." .
Le nationalisme algérien (et sa misogynie), dans un
pays où les blessures de la déculturation coloniale sont encore
vives, joue sur la culpabilité comme sur du velours... L'adoption de la
technologie occidentale ne serait-elle pas, non plus, une trahison de ces
mêmes idéaux arabo-islamiques ? Un tel amalgame n'a pourtant pas
encore été formulé, preuve que la tradition est bien une
arme contre les femmes, une arme idéologique d'immobilisme.
La modernité reste problématique et renvoie
à une dynamique du changement. Concernant l'Algérie, elle est
inséparable des tensions liées au passé colonial qui fait
de l'Europe un centre de modernité. Devenue mythe de
référence, elle est désirée et repoussée en
même temps car il y va de l'identité. Les femmes sont au coeur de
la dialectique tradition/continuité/changement.
La référence à la modernité a une
valeur descriptive. Elle n'est pas prise comme une norme à partir de
laquelle une situation serait érigée en un modèle et
servirait de mesure au progrès des unes, à l'archaïsme des
autres.
Comme le dit Rédha Malek :
" (...), la modernité est de plus
en plus un processus de compromis, de transactions entre les pluralités,
la relativité des systèmes. Comme telle, la modernité est
ouverte à tous les flux et à tous les revirements : ceux des
fascismes comme ceux des intégrismes. En ce sens, la multiplicité
de ces "néo-ismes" est le dernier des avatars de la
modernité, l'indication de la persistance d'un seuil minimum de
modernité" 222(*).
L'attitude des femmes islamistes est, à cet
égard, édifiante. Manipulées plutôt
qu'associées à la modernisation, elles trouvent dans l'Islam la
contre-idéologie la plus mobilisatrice pour faire d'elles les actrices
qu'elles n'ont jamais été. Et il s'agit souvent de femmes qui, au
sein même du mouvement islamiste, mènent une lutte rampante
ponctuée de mots d'ordre féministes s'attaquant au sexisme
ambiant et à la discrimination dont elles sont l'objet. La
présence de femmes voilées dans les universités, les rues,
au travail, au volant des voitures ou encore aux postes de commandement
interpelle et incite à la réflexion sur la flexibilité. Ce
qui, par ailleurs, n'enlève rien à son caractère
totalitaire.
La crise est dans son fond ce double mouvement d'une histoire
qui se construit et d'une certitude qui se défend. Chaque jour, un pan
de la société est touché par la modernité en marche
qui débusque un à un les absolus. Rien de total ni de final n'est
jamais acquis : ni la démocratie, ni la science, ni la technique, ni les
idéologies qui les explicitent (positivisme, économisme,
libéralisme, marxisme) ne prétendent plus sérieusement
être des valeurs absolues même si, parfois, elles sont
vécues comme telles. Les croyances qui tenaient les gens au chaud et qui
maintenaient les solidarités perdent de plus en plus leur
adéquation au réel. La crise est multiforme parce que la
modernité touche, à des moments et à des rythmes
inégaux, les divers secteurs de la société.
L'État et les organisations politiques ont
voulu le développement pour rattraper l'Europe, entrer dans la
modernité en important des usines de hautes technologies. Le
nationalisme situe les femmes du côté de la permanence, hors de
l'histoire, travailleuses, combattantes si nécessaire mais, avant tout,
mères et épouses. Les femmes ne sont jamais à leur place
et constamment culpabilisées : trop archaïques ou trop modernes.
L'Islam intégriste et nationaliste d'aujourd'hui fait,
partout dans le monde, de la réclusion des femmes un principe
fondamental. Le voile est le substitut de l'impossible renfermement. Dans
l'espace public, il souligne la nécessaire clôture des femmes,
terre des hommes. La violence du conflit aujourd'hui suggère la force de
l'enjeu. C'est pourquoi, quels que soient les enjeux de la laïcité,
prompte elle aussi à faire de la différence des sexes une
question d'ordre moral, elle offre infiniment plus de liberté. On ne
saurait pour autant l'absoudre complètement. La république a
été en France identique, notamment dans la sphère
politique.
L'émigration, l'urbanisation facilitent-elles le
changement ? À travers quels chemins les femmes disent-elles aujourd'hui
leurs soucis de définir leur identité ?
II- PRISE DE CONSCIENCE DES FEMMES
?
Les combats que la femme algérienne a menés
à travers l'histoire ont fait l'objet d'innombrables articles et
ouvrages. Les travaux vont de la Kahina, héroïne berbère qui
s'opposa aux Arabes au VII ème siècle, jusqu'au
rôle des femmes durant la lutte de libération (1954-1962), en
passant par d'illustres combattantes comme Lalla Fatma N'Soumer et Lalla
Khadidja bent Belkacem qui ont participé, au milieu du XIX
ème siècle, à "l'insurrection contre
l'occupation française" 223(*).
Il faut signaler, cependant, qu'on relève des versions
différentes selon les récits. La fiction dépasse parfois
la réalité. Ainsi, à propos de la Kahina, n'a-t-on pas
parlé - écrivains français, qui plus est - de
"Déborah berbère", de "Jeanne d'Arc du Maghreb"
? 224(*). La Kahina
lança et dirigea une armée contre l'envahisseur dans les
Aurès en battant les troupes de Hassan en 688. C'est donc une femme qui,
comme l'écrit G. Camps :
"Exerça directement le commandement ; cette
capacité à conduire des troupes vers le combat et vers la
victoire fait d'elle "la seule autorité de fait dans toute
l'Afrique du Nord" " 225(*).
Fatma N'Soumer organisa la résistance contre l'occupant
français en Kabylie et, en 1854, 1855 et 1857, mena et gagna plusieurs
batailles contre l'armée française qui tentait de pacifier les
montagnes et villages de Kabylie. De nombreuses femmes sont à ses
côtés dans la lutte et la suivront lors de son
incarcération.
Deux figures berbères, donc, qui sont à la fois
deux combattantes et deux chefs. Pour les femmes qui luttent aujourd'hui, elles
représentent et illustrent la capacité des Algériennes
à assumer leurs responsabilités historiques, leurs rôles
dans la société. Les noms criés de ces
héroïnes et le symbole qu'elles portent assurent, eux aussi, la
légitimité du combat actuel des femmes. La continuité est
affirmée avec ces combattantes du passé : le combat des
associations se trouve ainsi inscrit dans une profondeur historique. Ces
figures érigées en mythes permettent d'établir une
filiation : "nous sommes les filles", "nos
aînées", "nous sommes les héritières".
Les militantes se choisissent des mères combatives, fortes.
La question des origines est posée en filigrane dans
cette entreprise d'édification d'un panthéon-femmes contestant
implicitement l'autre origine officiellement déclarée par le
discours officiel depuis l'indépendance : l'origine arabe. Par
conséquent, cette référence permet d'élargir
l'identité femme à la dimension berbère. Le mouvement
féminin se trouve ainsi relié à une revendication
démocratique de la reconnaissance de la langue et de la culture
berbères.
Quant aux Algériennes qui ont réellement pris
les armes, il s'agit, selon Djamila Amrane (1981) - sur la base des
données statistiques issues du fichier des anciens combattants - et de
N. Benallègue (1983) d'un mythe reposant sur quelques cas individuels :
Ouréda Meddad, Hassiba Ben Bouali... Monique Gadant n'hésite pas
à parler d'exploitation par les Algériens de l'image des
héroïnes algériennes de la guerre de libération aux
yeux de l'opinion internationale 226(*). Et Mohamed Harbi d'ajouter qu'en
réalité, les femmes n'étaient même pas
acceptées par les hommes au maquis, elles étaient même
jugées de "moeurs légères" (1979 - 1980).
L'idée d'émanciper la femme algérienne
remonte aux années trente (1925-1930) et émane du Moyen Orient,
soit des milieux réformistes égyptiens d'Al Azhar, soit de la
Turquie kémaliste. Mais, les propositions émanant du Moyen Orient
comme celles des Cheikhs d'Al Azhar : suppression de la polygamie, disparition
du voile..., étaient rejetées par l'association des
Oulémas algériens et, à leur tête, son fondateur Ben
Badis. Pour ces Oulémas, l'évolution de la femme
algérienne doit se faire dans les strictes limites de la tradition.
Après les années trente, les partis
nationalistes de l'époque, comme le communiste algérien (P.C.A.)
et l'union démocratique du manifeste algérien (U.D.M.A.) - parti
fondé par Ferhat Abbas et plus crédible aux yeux de l'opinion
publique - "demanderont des droits pour la femme et discuteront la question
du voile" 227(*).
En 1962, fut créée l'Union Nationale des Femmes
Algériennes (U.N.F.A.) : Organe fondé par le parti unique
(F.L.N.) et ayant pour mission de promouvoir et de codifier
l'émancipation de la femme. Cette instance politique n'a jamais
réussi à avoir un nombre important d'adhérentes et a
été carrément rejetée par les femmes
algériennes. Ces dernières ont eu la certitude que l'U.N.F.A. ne
les aidera pas à résoudre leurs problèmes 228(*).
En plus, l'U.N.F.A. a placé les femmes devant une
situation contradictoire puisqu'elles devaient choisir entre deux statuts
incompatibles : militantes et citoyennes à part entière ou
femmes, épouses et soeurs. D'ailleurs, les résultats obtenus par
H. Vandevelde, il y a déjà quelques années, montrent
clairement qu'à peine une femme sur cinq (1/5) souhaitait être
inscrite à l'U.N.F.A. ou à tout autre organisme de masse. Aussi,
la proportion diminuait jusqu'à atteindre une sur huit (1/8) quand il
s'agissait de femmes issues du milieu rural. Le désintérêt
des femmes pour le militantisme est dû, selon les répondantes, au
fait que la politique est très compliquée et n'est pas l'affaire
des femmes 229(*).
Aujourd'hui, si des textes officiels - droit de vote pour la
femme, scolarisation obligatoire des filles, etc. - montrent une
évolution et une émancipation en cours, il en est d'autres, en
revanche, qui, au vu de quelques chapitres du nouveau Code de la Famille, sont
loin de promouvoir la femme au rang d'acteur. Cela est à l'image de la
contradiction et de la complexité dans lesquelles évolue, de nos
jours, la société algérienne dans son ensemble.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que toute tentative
d'émancipation doit composer avec une tradition toujours en vigueur. Une
tradition qui, comme dans tous les pays musulmans, est sévère
pour la femme car elle puise son essence dans un fiqh (droit) dont
les textes se prêtent parfois à une interprétation misogyne
et contraire à l'esprit du dîn (religion) 230(*). A. Adam l'a noté
dans un de ses articles sur le Maghreb indépendant où, dit-il,
les difficultés qui résultent du changement viendraient
impérativement des liens indûment établis entre certaines
attitudes purement sociologiques et l'Islam lui-même 231(*).
A- MOUVEMENTS DES FEMMES EN
ALGÉRIE
Lorsque, à la fin du XIX ème
siècle, le monde arabe tenta de relever le défi que lui imposait
le système colonial et de définir les termes de son entrée
dans la modernité, le mouvement de la Renaissance islamique
(NAHDA) pensait pouvoir dissocier les moeurs de l'évolution
technique et scientifique : "prendre à l'Occident la science et la
technique et garder nos moeurs", c'est accepter le progrès en
adaptant les changements que l'Occident apportait de l'extérieur ; c'est
essayer d'imposer des limites à cette culture étrangère.
Avant la guerre de libération existaient, à
l'intérieur du mouvement national, "L'Association des Femmes
Musulmanes d'Algérie" proche du P.P.A. (Parti du Peuple
Algérien) et "l'Union des Femmes d'Algérie".
Et pendant la guerre de libération, on retrouve une
participation effective et multiforme des femmes algériennes. Il est des
moments où ce sont elles qui ont marqué, de manière
décisive, le cours de l'histoire comme dans les manifestations du 11
décembre 1960. Si on regarde les photos ou les documentaires
filmés d'archives, on remarque que les manifestations étaient
quasiment peuplées de femmes et d'enfants.
1- PÉRIODES ALLANT DE 1962 À NOS
JOURS
Si l'histoire des luttes reste à écrire, on peut
retenir les éléments suivants : des révoltes sporadiques
aux mouvements actifs de refus jusqu'à l'organisation collective, la
lutte des femmes a toujours existé sous différentes formes et le
combat est permanent.
q Avant la guerre de libération, à travers
l'Association des Femmes d'Algérie et l'Union des femmes
d'Algérie.
q Pendant la guerre de libération, participation
effective et multiforme des Moudjâhidâtes et de toutes les
femmes qui, dans l'anonymat, ont marqué de manière
décisive le cours de l'histoire particulièrement lors des
manifestations du 11 décembre 1960.
q Au lendemain de l'indépendance, les revendications
des femmes contre la mise en place du Code de la Famille se justifiaient par
cette légitimité historique.
Ø De 1963 à 1981, les
luttes des femmes prirent plusieurs formes :
q Contre toute codification des relations familiales : 1963,
1973, 1979 et 1981 date à laquelle les manifestations des femmes
aboutirent au retrait momentané du Code de la Famille (22/01/82).
q Autour d'une réflexion sur la condition des femmes
(ciné-clubs, collectifs...).
q Autour des revendications socioprofessionnelles
(commissions femmes-travailleuses, syndicats...).
Ainsi, vingt ans après l'indépendance, les
femmes ont ressenti la nécessité de revendiquer leurs droits sans
justification ni conditions préalables.
Ø La période 1980-1988
est marquée par deux événements :
q Adoption du Code de la Famille (juin 1984).
q Organisation autonome du mouvement associatif des femmes
à partir de 1985. L'extraordinaire mouvement d'octobre va cristalliser
la radicalisation du mouvement des femmes et s'exprimer par la création
de nombreuses associations et collectifs au niveau national.
Au lendemain de l'indépendance, les luttes des femmes
ont pris aussi plusieurs formes entre 1963 et 1998 :
En 1981, malgré le système du parti unique et
son monopole total sur le droit à l'expression et à
l'organisation, elles ont bravé l'interdit en sortant manifester dans la
rue leur refus que le Code de la Famille soit adopté par l'A.P.N.
(Assemblée Populaire Nationale) : le 28 octobre, le 16 novembre, le 13
décembre et le 23 décembre. Ces manifestations, ajoutées
à la lettre ouverte au Président des
moudjâhidâtes (anciennes combattantes) sur le
thème, ont abouti au retrait momentané de ce texte le 22 janvier
1982.
À partir de 1976, les femmes travailleuses ont
créé à l'intérieur du syndicat les "commissions
des femmes travailleuses" afin de poser leurs problèmes
socioprofessionnels spécifiques : égalité devant la
promotion, droit au logement au même titre que leurs collègues
hommes, jardins d'enfants, crèches, cantines scolaires pour leurs
enfants, etc.
En 1978, à Oran (à l'ouest de l'Algérie)
et à Alger (la capitale), sont nés des groupes de
réflexions et de sensibilisation sur la condition féminine : le
"G.R.F.A." (Groupe de Recherches sur la Femme Algérienne) et le
"ciné-club féminin" à Alger. Ces groupes étaient
informels, non reconnus par l'État, mais ils ont fini par se constituer
en association en 1985 en dehors de l'Union Nationale des Femmes
Algériennes qui a perdu toute crédibilité.
La période allant de 1982 à 1988 est
marquée par l'adoption du Code de la Famille en juin 1984 dans une
conjoncture très fortement marquée par la répression (des
dizaines d'arrestations en décembre 1983...) et au mépris de deux
décennies de mobilisations des femmes.
Après les "soulèvements" d'octobre 1988
et à la faveur de la nouvelle constitution de 1989, de nombreux
collectifs et associations de femmes sont nés au niveau du pays.
Très vite, les femmes ont été confrontées à
une remise en cause systématique et organisée de leurs droits
constitutionnels élémentaires. Des prêches haineux, des
articles dignes de l'inquisition, des interdictions du sport féminin
avec fermetures de salles de sport pour filles, menaces de mort contre des
enseignantes et autres professions libérales, incendies de domiciles de
veuves, de divorcées ou de militantes... sont devenus des pratiques
courantes.
Aujourd'hui, le terrorisme et les blocages de l'administration
ne facilitent pas le travail des associations autonomes qui ont
considérablement limité leurs actions et leurs activités.
À toutes ces pressions intolérables, vient s'ajouter le
problème de l'éparpillement...
Ø Depuis 1990 :
Les femmes ont très vite été
confrontées à une remise en cause systématique et
organisée de leurs droits constitutionnels et
élémentaires. Partout, des forces, qui utilisent l'Islam à
des fins politiques de prise de pouvoir, orchestrent la violence verbale et/ou
physique contre les femmes. Dans la rue, à la mosquée, à
l'école, dans les médias écrits et audiovisuels, à
l'assemblée, sur les lieux de travail...., l'étau se resserre sur
les femmes. À partir de 1992 et de la généralisation du
terrorisme à toute la société, les marges de travail se
sont réduites considérablement. Le blocage de l'administration ne
facilite pas le travail des associations de femmes qui ont été
contraintes soit à l'exil, soit à la quasi-clandestinité.
La période 1991-1994
Les agressions physiques sont devenues une pratique courante
(émergence de groupes intégristes). C'est dire que l'essentiel du
travail du mouvement des femmes de novembre 89 à décembre 92 a
consisté à riposter à la violence. La constitution d'une
association (SOS Femmes en détresse) pour venir en aide aux femmes en
détresse (mères célibataires, femmes battues,
violées, sans toit...) a révolutionné les
mentalités (elles avaient plusieurs chalets où elles
hébergeaient toutes ces femmes). D'autres associations sont venues
alléger le travail de SOS Femmes en Détresse.
2- LA SITUATION DES FEMMES DEPUIS 1992 : FEMMES
VIOLÉES
Plus que jamais interpellé sur le sort des femmes
violées par les terroristes intégristes, l'État ne semble
pas se préoccuper de ce dossier. Près de 8 000 femmes
livrées à elles-mêmes continuent de vivre le calvaire.
Rejetées par le milieu familial, objet tantôt de sarcasme et
tantôt de compassion de la part de la société,
ignorées par les pouvoirs publics, les femmes violées par les
terroristes, qui comptent par milliers pendant ces années de braise, ont
connu et continuent de subir les affres de l'enfer sur terre.
Sans foyer, sans ressources et ne jouissant d'aucune prise en
charge psychologique efficiente, leur réinsertion dans la
société n'a jamais dépassé le stade des pieux. Ces
femmes qui n'ont ni voulu ni choisi cette souillure de leurs corps et
âmes tombent facilement dans les rets de la folie et de la prostitution.
À Larbâa, Médéa, Aïn Defla, Chlef, etc., villes
martyres et cibles de choix des actions terroristes, les jeunes filles sont
nombreuses à porter encore le voile non tant par conviction mais bien
plus par crainte d'un enlèvement, surtout à la tombée de
la nuit. Il demeure, néanmoins, toujours un climat
d'insécurité malgré la recrudescence du terrorisme, la
peur et l'angoisse hantent toujours les esprits.
Les associations de familles des victimes du terrorisme
avancent le chiffre supérieur à 8 000 femmes violées par
les groupes armés durant ce qu'on appelle la décennie de
l'Algérie (1992-2001). Cette statistique reste évidemment loin de
la réalité pour deux raisons fondamentales : les familles
préfèrent taire aux services concernés ces drames de peur
d'être accusées de complicité. En outre, les femmes
enlevées ou assassinées ne sont pas comptabilisées parmi
les victimes de viols collectifs, y compris quand le fait est
avéré. Les autorités, embarrassées par ce
problème, taisent la question.
Des réponses lapidaires, notamment du Ministère
de l'intérieur, traduisent en fait clairement le peu
d'intérêt qu'accordent les pouvoirs publics au traitement de cette
question, manifestement gênante pour eux. Le constat est simple. Rien n'a
été fait, en dehors de l'ouverture d'un seul centre d'accueil
pour tout le pays (à Bou-Ismaïl, situé à 40 km de la
capitale Alger) par Madame l'ex-ministre de la Solidarité et de la
Famille. Un centre qui reste désespérément vide, ces
femmes, quand elles franchissent le cap de la confidence, souhaitent une aide
plus discrète, à l'abri des regards inquisiteurs. Une aide qui
préserve leur dignité de femme et de citoyenne.
Il est important de relever que les personnes ayant subi des
abus sexuels ne sont pas assimilées à des victimes du terrorisme,
bien que meurtries dans leur chair et dans leur âme. Elles n'ont pas le
droit, par conséquent, à une réparation matérielle
et morale (allocation versée par l'Etat à d'autres victimes).
Aucun des gouvernements qui se sont succédés
depuis le début de la violence des intégristes politiques n'a
encore moins le sens de l'humanisme de se pencher sérieusement sur ces
tragédies, préférant, au contraire, les ignorer
superbement. La législation en vigueur en la matière ne s'adapte
pas à ces situations. En temps "ordinaire", un cas de viol est
immédiatement déclaré par la victime ou un de ses proches
aux services de sécurité avec dénonciation de l'auteur de
l'acte. Sinon, la procédure judiciaire a peu de chance d'aboutir. Or,
comment une femme enlevée par des individus, violée par plusieurs
d'entre eux et ayant réussi à s'échapper quelques jours ou
quelques mois plus tard, peut-elle suivre le cheminement réglementaire ?
"Leur donner un statut de victimes de viol, c'est les
assimiler à des prostituées", lâche une fois un haut
fonctionnaire, harcelé sur cette question par des associations
féminines. "C'est une aberration", répondent-elles !
Elles ont trouvé le mot juste pour susciter la compassion des
fonctionnaires des Administrations, lesquels ont accepté d'occulter le
viol pour ne déclarer qu'une incapacité physique. Grâce
à leur détermination, quelques victimes du "mariage de
jouissance" (c'est ainsi que les intégristes justifient le viol)
ont pu, malgré tout, bénéficier d'une petite pension selon
le taux d'incapacité.
Selon la présidente du centre d'écoute d'El Biar
à Alger :
"Ceux qui ont tué, violé ont droit
aujourd'hui, grâce à la loi sur la concorde civile, à la
réinsertion, mais pas leurs victimes, c'est un non-sens !".
Elles sont nombreuses les naufragées (plus de 8 000)
à avoir été violées dans les maquis islamistes,
martyrisées, à jamais blessées, reniées par leurs
familles, elles attendent que leurs cas soient pris en charge par les
institutions de l'État. Et durant ces huit années de violence,
presque rien n'a été entrepris pour assister psychologiquement
ces victimes. À ce sujet, les psychiatres sont unanimes : si les
pouvoirs publics ne réagissent pas en mettant en place, au plus vite,
des structures adaptées de prise en charge, ils auront à
gérer, dans quelques années, une société
délirante, hystérique et violente.
Mais ne sommes-nous pas déjà là ? Des
centaines de femmes violées se retrouvent enceintes (il est difficile de
donner des chiffres). Que deviennent les enfants nés de ces viols?
L'avortement, même dans des cas particuliers comme le viol commis par les
terroristes, n'est pas encore toléré et permis. À la
demande de certaines associations, notamment l'association
Djazaïrouna, l'ex-ministre de la Solidarité et de la
Famille n'a pas trouvé mieux que de se référer au Haut
Conseil Islamique pour une fatwâ. Celui-ci hésite,
tergiverse. Entre-temps, le Ministre de la santé, Yahia Guidoum,
intervient en proposant ce genre de cas dans le cadre de l'avortement
thérapeutique.
Toutefois, cette directive n'a jamais été suivie
d'une réglementation protégeant les médecins de
représailles. La majorité d'entre eux refusent d'accéder
à la demande de certaines femmes. Courageux et d'une compassion rare
à l'égard du drame de ces victimes, certains gynécologues
ont pourtant franchi le pas. Plus d'une centaine de jeunes filles ont pu couper
le cordon ombilical avec un passé tragique.
En revanche, l'on ne connaît pas vraiment le sort des
enfants nés de ce genre de situations. On soupçonne certaines
familles de les avoir carrément étouffés à la
naissance. La solution pour les autres était de les faire adopter par
des proches dans une discrétion aussi totale que celle dans laquelle
s'est déroulée la grossesse. D'autres enfants ont
été placés dans des pouponnières et chez des
familles d'accueil. Un véritable parcours de combattant. Il est
difficile, en effet de faire adopter des bébés nés d'une
telle tragédie. D'un côté, on se retrouve devant le
problème de la mère qui refuse que son nom figure sur la fiche
d'état civil du nourrisson de crainte d'être poursuivie par la
justice pour complicité avec les terroristes et, de l'autre, les
familles candidates à une adoption redoutent que, plus tard, le
père terroriste réclame l'enfant.
Il n'existe aucune évaluation officielle du nombre
d'enfants nés dans les maquis. L'association des familles des victimes
et des ayants droit affirme, néanmoins, que l'État se penche sur
le cas de près de 3 000 naissances dans ces conditions
particulières en vue de leur régularisation.
III - LE SALUT VIENDRAIT-IL DES
FEMMES
En continuant à travailler et en envoyant les enfants
à l'école, les femmes bravent quotidiennement la mort, elles
marquent ainsi leur opposition à la violence. Elles doivent
désormais lutter non seulement pour leurs droits mais également
pour leur survie. Dans les villes comme dans les campagnes, elles souffrent en
silence, elles pleurent l'époux, le frère, le fils et elles
souffrent dans leur chair car les viols, bien que courants, sont tus.
Dans les grandes villes, elles essaient de résister
à la peur et se mobilisent contre le terrorisme. Certes, certaines
manifestations ont été de fines manipulations politiques du
pouvoir et de certains partis mais leur présence sert de caution
à l'option moderniste qu'ils défendent sans, pour autant, rien
enlever à l'acte de résistance de ses participantes.
Dès 1992, au lendemain de l'arrêt du processus
démocratique, un comité de femmes démocrates est
créé regroupant plusieurs associations féminines.
Les femmes vont également militer en force au sein du
"Comité national pour la sauvegarde de l'Algérie
(C.N.S.A.)" et participer en masse aux diverses manifestations pour la
démocratie et la tolérance. Leur nombre est impressionnant lors
de la marche du 2 janvier 1992. La marche contre le terrorisme du 22 mars 1993
rassemble plusieurs centaines de milliers de personnes, dont un tiers sont des
femmes. La deuxième manifestation contre le terrorisme du 22 mars 1994 a
été qualifiée de rassemblement de femmes car leur nombre
était important. Elles n'ont pas manqué de marquer la
journée internationale de la femme durant toutes ces dernières
années éprouvantes. En pleine psychose d'assassinats à
Alger, bousculant la tradition, elles suivent les cortèges
funéraires et assistent aux enterrements. Ce n'est qu'après une
forte pression des femmes que, le 8 mars 1994, le ministre du Travail et des
Affaires Sociales déclarait que l'État avait pris les
dispositions réglementaires pour la protection des victimes du
terrorisme et la prise en charge de leurs problèmes ou des ayants
droit.
Cependant, il faut relever que toutes les femmes
n'adhèrent pas aux idées d'émancipation de la femme. En
effet, certaines portent le hidjâb et militent dans les
mouvements islamistes. Mais, ce sont surtout dans les milieux urbains que les
femmes constituent le terrain le plus favorable pour le mouvement
intégriste, elles sont frustrées car elles ont conscience de la
modernité sans en avoir les avantages. Elles n'ont donc rien à
perdre et prennent ainsi leur revanche par rapport à celles qui,
à leurs yeux, ont acquis leur liberté. Mais, toutes celles qui
ont reçu une instruction restent attachées à certains
acquis.
A - DISCOURS DE FEMMES, DE
MILITANTES
Le discours sur les femmes modèles pose des questions :
Qu'est-ce qui se dit ici ? Ces filles qui poursuivent des études
supérieures et aspirent, on l'a vu, à une vie professionnelle
réussie ne peuvent-elles, de ce fait, s'identifier à leurs
mères ? Quels sont, à présent, les modèles
évoqués par le discours des associations de femmes ?
Citons quelques extraits de ce discours revendicatif au sens
strict produit dans des conjonctures bien déterminées :
"Nous, Algériennes, héritières de la
Kahina, de Fatma N'Soumer et Hassiba Ben Bouali, appelons..." 232(*).
"De plus, Monsieur le Président, notre histoire
regorge de femmes-symboles, motifs de notre fierté pour les femmes
algériennes et celles du reste du monde. Et, à supposer que nous
soyons subitement en mal d'identification, la Kahina, Fatma N'Soumer, Hassiba
Ben Bouali et tant d'autres sont des trésors d'inspiration"
233(*).
"Nous ne permettrons pas que le sang versé par
Hassiba Ben Bouali et ses campagnes soit oublié..." 234(*).
"Nos aînées,
moudjâhidâtes...".
"Chkoun hna ? Bnât Hassiba", slogan
chanté en arabe dans les marches, meetings... et signifiant: "Qui
sommes-nous ? Les filles de Hassiba".
Comme on le voit, on retrouve, de nouveau mais de façon
beaucoup plus récurrente, la référence à la guerre
de libération et aux combattantes de la révolution. Cette
référence peut apparaître comme une référence
obligée. En réalité, la guerre de libération en
Algérie est, pour différentes raisons, un véritable enjeu
symbolique :
q La guerre de libération et l'indépendance
sont des événements fortement gratifiants dont les
Algériens ont tiré beaucoup de fierté dans la mesure
où ils avaient le sentiment de naître à la
citoyenneté algérienne.
q Les pouvoirs qui se sont succédés depuis
l'indépendance ont tous assis leur légitimité autour de
cette guerre et, ce faisant, se sont emparés de cet
événement glorieux, l'édifiant en mythe.
q Toutes les forces se sont affrontées autour de ce
mythe de sorte qu'avec l'émergence du pluripartisme, s'ouvre un
débat acharné sur "les vrais et les faux fils de
Novembre", sur "le véritable esprit de Novembre..."
235(*).
Il semble qu'aucune légitimité ne puisse se
construire en dehors de ce mythe. Les associations de femmes revendiquent,
elles aussi, une part de ce mythe en se donnant comme modèle les
moudjâhidâtes, d'autant plus que l'histoire qui
s'écrit autour de cet événement fondateur a tendance
à oublier les femmes.
Tout ceci est fort bien résumé par M. Gadant :
"C'est aussi parce que les femmes savent que les
moudjâhidâtes ont été constituées en
valeurs de légitimation par le pouvoir et que cette valeur fonctionne
socialement qu'elles se réfèrent aux
moudjâhidâtes..." 236(*).
La référence aux
moudjâhidâtes permet, d'une part, de légitimer le
mouvement des femmes contre le pouvoir qui promulgue le Code de la Famille,
c'est-à-dire à minorer les femmes, négligeant ce qu'il
leur doit et, d'autre part, d'empêcher la récupération
islamiste en dressant contre l'image des combattantes de la foi celle des
combattantes de la libération.
Parmi ces combattantes de libération, Hassiba Ben
Bouali tient, c'est évident, une place privilégiée.
Hassiba Ben Bouali naquit en 1938, elle devait avoir 16 ou 17 ans quand elle
commença à participer à la guérilla urbaine dans la
Casbah d'Alger. Elle milita aux côtés de Yacef Saadi et Djamila
Bouhired, fut recherchée par la police dès octobre 1956 et
condamnée par contumace en mars 1957. Elle fut tuée pendant la
célèbre bataille d'Alger le 8 octobre 1957. Est-ce cet
itinéraire assez extraordinaire qui fait d'elle l'héroïne
privilégiée du discours des femmes ? C'est une possibilité
qui mériterait d'être davantage creusée par un examen plus
rigoureux d'un certain nombre d'autres faits : par exemple, les médias
de l'époque n'ont-ils pas contribué à l'instauration du
mythe ?
Fatma N'Soumer, elle, organisa la résistance contre
l'occupant français en Kabylie. En 1854, 1855 et 1857, elle mena et
gagna plusieurs batailles contre l'armée française qui tentait de
pacifier les montagnes et les villages de Kabylie. De nombreuses femmes
étaient à ses côtés dans la lutte et la suivirent
lors de son incarcération.
La Kahina lança et dirigea une armée contre
l'envahisseur dans les Aurès en battant les troupes de Hassan en 688.
C'était donc une femme qui, comme l'écrit G. Camps :
"Exerça directement le commandement ;
cette capacité à conduire des troupes vers le combat et vers la
victoire fait d'elle la seule autorité de fait dans toute l'Afrique du
Nord" 237(*).
Deux figures berbères érigées en mythes,
à la fois héroïnes, combattantes et chefs ; elles
représentent et illustrent, pour les femmes qui luttent aujourd'hui, la
capacité des Algériennes à assumer leurs
responsabilités historiques et leurs rôles dans la
société. Leurs noms criés et le symbole qu'elles portent
assurent, eux aussi, la légitimité du combat actuel des femmes.
La continuité est affirmée avec ces combattantes du passé
: le combat des associations se trouve ainsi inscrit dans une profondeur
historique. Les militantes se choisissent des mères combatives,
fortes.
IV- LA FEMME ET LA POLITIQUE APRÈS
1992
Comme nous le rappelle Moscovi 238(*) :
"La relation de l'homme et de la femme apparaît,
ici, primordiale. Prototype et idéal de toutes les autres relations,
elle permet de juger le niveau auquel est arrivée la
société humaine".
C'est pourquoi, l'État algérien, si son projet
réel est de faire de la société algérienne une
société moderne, doit penser à transformer, dans un sens
positif, le statut actuel de la femme. Et pourtant, on constate que la femme
n'est aujourd'hui, en Algérie, l'objet ou le sujet d'aucune politique
d'émancipation réelle.
Peu de femmes occupent des postes de députés
à l'Assemblée Populaire Nationale et seulement quelques-unes sont
responsables à des postes politiques importants. Toutes ces femmes
participent à la vie politique mais elles n'ont pas le poids pour
l'élaboration des décisions politiques et leur application. Leur
nombre, peu important, pourrait ne pas être considéré, on
rétorquait qu'il n'y a rien à changer du jour au lendemain...
Mais, le Code de la Famille, la lutte contre la mixité et la violence
dont les femmes sont souvent victimes nous prouvent que, loin d'évoluer
ou même seulement de stagner, le statut de la femme tend à
régresser. Nous pouvons donc dire clairement qu'il n'y a aucune
politique de la femme.
Les partis politiques (les démocrates) se sont
rapprochés des associations de femmes constituées officiellement
après octobre 1988 - lesquels ont été les premiers
à avoir le merveilleux courage de s'opposer à ce qu'il y a de
plus obscur et de plus rétrograde dans notre société - et
leur ont donc montré la véritable voie à suivre. Qu'on
laisse le gouvernement essayer de résoudre les problèmes
économiques en élaborant de merveilleux modèles
monétaires. Le problème est ailleurs : il est dans la
résolution des problèmes identitaires et linguistiques. Ce
peuple, qui est parmi les peuples qui ont le plus souffert au monde, qui n'a
plus de langue pour s'exprimer, dont on a manipulé l'identité,
dont beaucoup n'ont plus d'espace pour manger, dormir et se reproduire, est un
peuple qui ne répondra à aucune incitation politique. Il n'est
pas dupe quand on offre sa femme en otage pour qu'il accepte de nouveaux
sacrifices économiques.
Depuis 1988, de nouvelles associations de femmes se sont
constituées du fait qu'elles ont des propositions concrètes,
rivées sur la vie quotidienne, et ont pu, pour la
célébration du 8 mars 1995, rassembler plus de 15 000 femmes (et
plus, selon certaines estimations) dans une manifestation monstre dans la rue
(et dans plusieurs wilâyas) contre les menées
rétrogrades et la violence extrémiste dont elles sont
quotidiennement l'objet, chose dont l'U.N.F.A. n'a pas été
capable depuis 1962.
Seules, sans aucun voile ni protection masculine, elles ont
affronté les aléas de la rue dont nul ne pouvait, a
priori, prévoir la réaction. Donnant des leçons de
courage politique au gouvernement, elles ont été les
premières à dénoncer publiquement les programmes qui
pénalisent les femmes. Les premières, elles ont réussi,
lors d'une rencontre à la fin de l'année 1989, à
créer une coordination entre les diverses associations de femmes pour
proposer un programme d'action commun, sans aucune concession à
l'association des femmes intégristes.
Ceci augure de la création d'une organisation nationale
autonome et démocratique des femmes, d'un journal posant leurs
problèmes... Depuis 1995, une maison des associations s'est construite
en 18 mois (opérationnelle avant la finition des travaux) à Alger
grâce au Comité National des associations s'occupant de la famille
(dont j'étais membre actif) et l'aide des organisations non
gouvernementales françaises (Emmaeüs, France-Liberté,
Secours Populaire, etc.) et à la C.E.E. Des maisons de la femme se sont
créées dans plusieurs wilâyas
(départements). Ces lieux permettent aux femmes de se retrouver, de
discuter, de s'éduquer, de se former (couture, cours de tous types :
alphabétisation, droit, gymnastique, remise en forme, exploitation de
leur savoir-faire...).
Ceci est le meilleur objectif que s'est donné le
Comité du fait que les femmes cloîtrées dans leurs
domiciles ne peuvent, comme les hommes, se rendre dans les lieux publics pour
s'y distraire et débattre de leurs problèmes car, dans ce pays,
elles subissent doublement la crise économique en tant que citoyennes et
en tant que femmes.
Pour conclure, je peux dire que peu de femmes
algériennes accèdent à des postes de responsabilité
importants (aucune femme n'est nommée ambassadrice, consul ou
préfet...). La politique demeure une chasse gardée des hommes.
Dans une société par essence phallocentrique et par-delà
les compétences, l'on ne confie pas, sans une certaine démagogie,
les rênes du pouvoir à une femme.
Mme Mahdjouba Chebha a créé la surprise en se
présentant aux élections présidentielles de novembre 95
(première candidate dans l'histoire de l'Algérie de notre
siècle). Son programme n'a pas séduit, elle n'a guère fait
le poids devant les autres candidats mais, il n'en demeure pas moins qu'elle a
brisé un sacré tabou en briguant le poste de présidente de
la République algérienne. Après les élections, Mme
Mahdjouba s'est complètement effacée de la scène
politique, à croire que son ambition se limitait finalement à une
candidature sans issue.
Actuellement, les femmes qui investissent le champ politique
se limitent à quelques personnalités connues : Khalida Messaoudi,
ministre de la communication et de la culture ; une autre femme a
intégré le nouveau gouvernement , Mme Rabéa
Mechermène qui est la locataire du Ministère de la
Solidarité en remplacement du Secrétariat d'État
chargé de la solidarité et de la famille. Mme Leïla Aslaoui
avait été la seule à avoir fait parler d'elle en
démissionnant du gouvernement précédent afin de protester
contre le rapprochement qui se dessinait, à l'époque, entre le
pouvoir et le parti dissout. Elle n'a jamais caché son hostilité
vis-à-vis de l'islamisme intégriste...
Ces femmes ministres, confinées dans des missions
d'ordre social, n'ont jamais fait vague durant leurs mandats.
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE I
LA GRANDE KABYLIE
Mon travail de terrain s'est effectué à
Tizi-Ouzou, capitale de la Grande Kabylie. La Kabylie correspond à une
aire géographique et linguistique. Elle trouverait sa genèse dans
une dynamique historico-culturelle que l'on retrouve chez plusieurs groupes de
la Méditerranée. Pour cela, il est nécessaire d'en
connaître la situation géo-historique, socio-économique et
ses particularités par rapport aux autres régions
d'Algérie. Ces explications abrégées sur l'identité
des berbères et l'acculturation se retrouvent dans les histoires de vie.
Les femmes interviewées se sentent algériennes mais
également berbères plus précisément berbères
kabyles.
I- LES BERBÈRES ET LA GRANDE KABYLIE
A- DESCRIPTION DE LA GRANDE KABYLIE
La Kabylie est cette aire berbérophone (dont la langue
mère est le berbère). Scindée en deux (Petite Kabylie et
Grande Kabylie) à l'époque coloniale, la Kabylie dépendait
principalement des départements avoisinants (Alger, Constantine,
Annaba...).
En 1974, une nouvelle organisation territoriale la
découpe en trois Wilâyas (départements) :
Bédjaïa, Bouira et Tizi-Ouzou, trio auquel s'ajoutera, en 1984, une
autre wilâya, celle de Boumerdès dont dépendront
désormais certaines régions rattachées auparavant à
la wilâya d'Alger.
B- TIZI-OUZOU, CAPITALE DE LA GRANDE
KABYLIE
Tizi-Ouzou, capitale de la Grande Kabylie (à 100 km
d'Alger), se situe au pied du massif du Djurdjura dont l'altitude augmente,
d'ouest en est, de 600 mètres pour atteindre le point culminant de 2 308
m appelé Lalla Khadidja (nom d'une femme). La mer (Tigzirt-sur-mer) se
situe à 35 km de Tizi-Ouzou. On reconnaît de loin les cimes de ce
massif calcaire qui brillent au soleil grâce à des neiges
persistant, quelquefois, jusqu'au mois de mai.
Du point de vue administratif, elle fut un département
pendant la colonisation française (1830-1962), elle forme, depuis
l'indépendance, la troisième wilâya
(département) de la nation. Avec ses 60 000 km² de superficie, elle
représente 12 à 18 % de la population algérienne, laquelle
était estimée, en 1985, à 21 510 000 d'habitants.
Grâce à une population démographique galopante, elle
atteignait, en 1998, plus de 3,8 millions d'habitants.
C- APERÇU HISTORICO-GÉOGRAPHIQUE DE
LA BERBÉRO-PHONIE
L'origine du mot berbère a donné lieu à
de nombreuses controverses. Les Berbères se désignaient par le
terme Imazighen (singulier : Amazigh) qui signifie les
"Hommes libres" ou les "Nobles guerriers". Les Kabyles
méconnaissent leurs origines historiques car ce n'est pas ce qui est
écrit qui guide leur vie mais ce qu'ils reçoivent de leur groupe
par transmission humaine orale grâce aux femmes.
Les théories qui expliquent l'histoire de
l'Algérie ont traditionnellement reposé sur les nombreuses
invasions et migrations de l'Afrique du Nord. Leurs idéologies ont
été reprises suivant le courant du contexte politique et
spirituel dans lequel elles se sont développées : les
Berbères ont été juifs, ensuite chrétiens à
l'époque romaine, puis musulmans depuis la conquête arabe. Il est
exact que d'illustres personnages ont incarné ces convictions nouvelles,
dont les plus connus sont certainement Saint-Augustin pour la religion
chrétienne et Ibn Khaldoun pour l'arabe. Dans le même sens, la
rébellion des Berbères, et surtout des berbérisants, est
idéalisée dans le personnage de La Kahina (reine des
Berbères) qui opposa résistance aux forces des conquérants
arabes.
Les Kabyles étaient des paysans sédentaires et
guerriers mais, avec le temps, ils délaissèrent comme tous les
Algériens leurs villages et leurs montagnes pour s'installer dans les
grandes agglomérations comme Tizi-Ouzou. Ils se nourrissaient de
céréales (orge, blé) et des légumes de leurs
jardins potagers. Ce sont aussi de grands arboriculteurs en raison de la nature
de leur sol. Les olives et les figues constituaient un élément de
base de leur alimentation. L'industrie se limitait à l'artisanat,
notamment celle des armes, du bois, du tissage et de la bijouterie.
D- ORIGINES DES BERBÈRES
Les diverses origines données aux Berbères nous
font remonter jusqu'à Hérodote qui en fait des tribus
indo-européennes venues des plateaux d'Asie Mineure. En effet, les
Berbères seraient les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de
Noé. Leur aïeul se nomme Mazigh.
Le terme "kabyle" est la forme européanisée de
l'arabe qbayl (tribus, singulier : qabîla). Cette
dénomination a été introduite par les voyageurs
européens 239(*).
De nos jours encore en Algérie, seuls en usent les sujets s'exprimant en
français. L'arabophone dira bled leqbayel (pays des tribus,
zwawa en Oranie). Quant aux Kabyles eux-mêmes, ils emploient un
terme du très ancien fond berbère : "Tamourth", la terre
natale, la patrie, le pays. Cependant, toutes ces affirmations ne sont, en
fait, que des hypothèses.
E- IDÉOLOGIES DES KABYLES
Depuis plus d'un demi-siècle, une idée circule
tentant de se frayer un chemin difficile, portée tour à tour par
des individus et de petits groupes souvent migrants et originaires de la Grande
Kabylie. Cette idée exprime une Algérie algérienne, une
Algérie arabo-berbère qui remet en cause la définition
exclusive de ce pays comme Nation arabo-musulmane.
Porté par une jeunesse entièrement formée
par le système socio-éducatif étatique mis en place
après l'indépendance, ce mouvement a réussi à faire
la jonction entre la Grande Kabylie et la Petite Kabylie, à
établir des ponts entre migrants et autochtones et à
réconcilier deux générations séparées par la
guerre. La langue kabyle, longtemps refoulée et repliée sur ses
franges rurales, se propage et s'affirme pour la première fois dans les
villes. Cette revendication est traversée par de multiples
contradictions. Elle est encore à la recherche d'un projet culturel
cohérent acceptable par les deux populations berbérophones
non-kabyles et les arabophones.
F- LES VILLAGES KABYLES
Le village traditionnel de la Kabylie se présente sous
l'apparence d'une tâche compacte et homogène. Avec leurs toits le
plus souvent à tuiles rondes de couleur rouge, les villages
épousent la forme du terrain et se confondent avec le paysage. On
accède difficilement aux villages haut perchés d'autant qu'aucune
indication ne précise comment y parvenir. On peut seulement lire,
quelquefois, à l'entrée des plus grands villages leurs noms en
lettres latines ou arabes et, depuis "le printemps berbère", en
tifinar, écriture berbère quasi-inconnue de la
majorité de la population kabyle qui ne l'écrit pas.
Il y a, en Kabylie, une grande mobilité des femmes dans
le village traditionnel et seuls les hommes doivent respecter l'interdit
consistant à ne pas le dépasser s'ils ne sont pas
accompagnés et non-résidents. Le village dans la
société traditionnelle était alors une cité
entièrement occupée dans la journée par les femmes qui
s'affairaient constamment dans les maisons mais aussi se
déplaçaient dans les jardins ainsi que dans les champs et pour
aller chercher l'eau à la fontaine. La femme kabyle trouve toujours une
aide dans une maison voisine pour la garde d'un enfant, d'un malade, pour la
récolte de fruits, pour les préparatifs des festivités...
Les femmes étaient responsables de la production comme
de la reproduction qui relevait du domaine domestique. Mais, en plus, le
travail n'était jamais antinomique de la vie privée ni
séparé de la vie des loisirs. Toute l'existence de la femme
kabyle suivait un rythme saisonnier en corrélation avec le temps
sidéral (préparer la galette, chercher l'eau à la
fontaine, récolter les fruits et les olives, sécher fruits et
légumes...).
La division du travail entre sexes existe bien en Kabylie mais
que certains travaux incombent aux femmes et d'autres aux hommes, cela ne
sous-entend pas le pouvoir ou la domination des uns sur les autres. En effet,
même si les travaux sont partagés entre les genres, ceux-ci
restent alternatifs et interdépendants et ne visent, réunis
ensemble, que la subsistance du groupe familial. Le partage du travail
réunit aussi les hommes et les femmes ensemble dans une
même activité : par exemple, le pressoir de l'huile autour duquel
hommes et femmes collaborent à une même activité mais
chacun a son propre travail. Nous rappelons que la production de l'huile
d'olive kabyle se fait en famille et qu'il n'existe qu'une très faible
production industrielle à l'échelle nationale.
Le respect des valeurs de cette société
établies dans le domaine familial et transmises par les femmes va se
poursuivre dans la vie communautaire villageoise. Il se reflétera dans
son institution unique et suprême qui est la "Tadjemâ`at"
: assemblée villageoise réglant les litiges et tout ce qui a
trait à la vie collective du village... qu'on appelle le droit
coutumier. Même les immigrés en France perpétuent cette loi
en s'organisant en comité de village. En faisant valoir leur
solidarité à leur village d'origine, ils ne pourront pas
être exclus du clan du village.
Le village kabyle est entièrement
occupé par des habitants qui forment une grande famille. Tous sont
socialement liés dans les rapports consanguins mais aussi d'aide
mutuelle. La famille kabyle n'est pas restreinte au couple et à ses
enfants.
La notion kabyle de l'être humain uni à d'autres,
en particulier aux ancêtres disparus, contredit celle de la
société moderne dans laquelle l'individu isolé, seul et
sans famille se suffit à lui-même. C'est donc à partir de
la famille et non à partir de l'individu que j'ai décrit dans le
chapitre espace public/privé. La vie en groupe va se refléter
aussi bien dans les travaux individuels que collectifs, dans leurs rites et
dans la pratique de l'entraide ainsi que dans l'infrastructure du village.
Le culte de la famille et des ancêtres
caractérise les liens humains que les Kabyles vivaient selon la
continuité de la vie de leurs parents dans la retransmission de leurs
savoirs et coutumes. Il ne s'agit pas de simple vénération mais
de poursuivre leurs vies passées au travers de leurs descendances. Cet
esprit qui unifie le passé au futur et à la mort se prolonge dans
la récitation des contes et légendes mythiques. Il est
exprimé dans tous les domaines de la vie quotidienne (que les femmes
perpétuent).
"Les mères kabyles sont l'élément
conservateur, par excellence, de la civilisation du verbe et de la culture de
la terre natale dans laquelle elles seules représentent le fondement de
la vie en famille" 240(*).
La femme kabyle incarne le mythe de la création en
illustrant (dans ses travaux de poterie ou de tissage) le fait essentiel et
capital que c'est elle qui façonne magiquement le monde de la nature et
des humains.
Si quelques paragraphes sont consacrés à la
Kabylie, c'est parce qu'il se dit toutes sortes de choses, en France, sur cette
"Suisse de l'Algérie" où tout serait différent du
reste du pays. Les femmes, notamment, y seraient plus libres, plus instruites
et émancipées qu'ailleurs (du fait de l'implantation d'importants
missionnaires de pères blancs et de soeurs blanches...). La preuve,
vous dira-t-on, c'est qu'elles ne sont pas voilées mais gardent leurs
filles pour les hommes de la famille.
Une manière, explique Germaine Tillion, de
préserver à la fois "la pureté de la race",
"l'honneur de la tribu" et "de conserver son patrimoine"
puisque le douaire donné à la jeune fille par son futur mari
restera de toutes façons dans la famille en cas de répudiation.
G- L'ORGANISATION SOCIALE
Les Kabyles vivaient jadis dans les villages (Tuddar)
coiffant les crêtes des montagnes pour se défendre contre
l'ennemi. Les Kabyles avaient une assemblée ou siégeaient les
hommes : Tadjmâ`at. Hanoteau et Letourneux, dans La Kabylie
et les coutumes kabyles, font une description minutieuse de cette
institution :
"(...) Les séances de la djemâ`a
sont généralement très longues. L'habitude de la vie
parlementaire a donné naissance, chez les Kabyles, à une sorte
d'éloquence verbeuse qui saisit toutes les occasions de se produire.
(...)" 241(*).
La tribu est formée de plusieurs villages formant une
unité politique et administrative complète, un corps qui a sa
propre autonomie. Ce sont de véritables villages républicains.
Comme l'a écrit Alexis de Tocqueville (1847) :
"Chez les Kabyles, la forme de la propriété
et l'organisation du gouvernement sont aussi démocratiques que l'on
puisse l'imaginer" 242(*).
L'organisation socio-politique du monde kabyle se
caractérise par un ensemble de cercles concentriques sans pour autant
déboucher sur une centralisation du pouvoir. Laarche (tribu) et
taqbilt (confédération) sont les derniers maillons de
cette organisation socio-politique. Cette forme d'organisation a repris son
cours depuis début 2001 (les émeutes en Kabylie).
Aujourd'hui, avec les perturbations (depuis les émeutes
de mai-juin 2001) que connaît la Kabylie, les djemâ`a
reviennent, s'organisent, se concertent. Les jeunes refusent la présence
de la gendarmerie dans leurs villages alors, ils se réfèrent aux
décisions de l'Assemblée des villages (Comité des
djemâ`a).
J'ai exprimé une importante remarque à ce
mouvement (qui est entrain de s'essouffler), lors d'une rencontre à
Paris avec un des représentant de ce Mouvement à Beur FM (radio
communautaire): c'est d'avoir exclu les femmes de leur Mouvement. Il m'a
été répondu « qu'il faut protéger nos
femmes..., nos réunions se terminent tard..., le
terrorisme...». Probablement, leur combat est légitime mais
ils reproduisent un schéma clanique qui perpétuent les traditions
avec de nouvelles idées... Pourtant plusieurs jeunes filles
étaient déterminées à les rejoindre mais ils les
refusent...
II- L'ACCULTURATION
L'acculturation est d'intensité variable allant du
simple vernis de civilisation occidentale ou arabe à la transformation
psychologique profonde faisant que les intéressés disent :
"nous les Kabyles, nous les Arabes...". Cependant, c'est une
évolution difficile à cerner quant à sa
réalité profonde et, dans tous les cas de figures, très
lente. Prosaïquement, elle représente les changements
socioculturels entraînés par le contact prolongé entre des
groupes et des sociétés différentes.
L'acculturation, vue dans le chapitre : "La femme et la
scolarisation" 243(*), renvoie aussi à l'introduction de
l'école dans son acceptation scientifique et occidentale. On dit
même qu'avant la colonisation, l'Algérie était plus
alphabétisée (en arabe) que la France 244(*) car l'éducation
passait par les mosquées, les zaouia ou confréries
maraboutiques et les centres d'études islamiques, là où
l'enseignement était aussi le véhicule d'un savoir être.
"Le savoir inclut la sagesse ; il n'est pas
morcelé, c'est un savoir global comme celui évoqué dans la
Grèce antique" 245(*).
Cependant, il est certain que l'écrit n'était
pas l'apanage de toute la société kabyle. Les femmes kabyles, qui
ont eu la chance de fréquenter l'école, lisent en français
et parlent le kabyle à la maison.
III- LES REVENDICATIONS ET LA
LANGUE
A- RÉALITÉS
LINGUISTIQUES
Le tamazight (le berbère) est une langue
parlée en Afrique du Nord par les autochtones (Imazighen
246(*)). Le
berbère est donc issu du chamito-sémitique qui comprend, outre le
sémitique (phénicien, arabe, hébreu...), l'égyptien
(et sa forme moderne, le copte) et le couchitique (Éthiopie, Somalie).
En ce qui concerne son écriture (Tifinagh), le premier document
daté avec précision est un bilingue : c'est une dédicace
à Massinissa, roi berbère en 139 avant J. C. La langue
tamazight actuelle est à la fois une et multiple. La langue ne
se comprend pas toujours d'une région à une autre, l'existence de
plusieurs variantes sont dues au cloisonnement géographique,
l'immensité du territoire, les vicissitudes de l'histoire, etc.
Actuellement, les Algériens dans la vie quotidienne de
tous les jours ? La réalité linguistique actuelle atteste de
l'utilisation de quatre importantes langues : le tamazight
(berbère), le français, l'arabe scolaire et beaucoup plus l'arabe
maghrébin lequel n'est, en réalité, que le résultat
de l'interaction des langues précédemment citées.
À ce propos, Mouloud Mammeri disait que :
"L'arabe algérien est une langue qui,
structurellement, est un berbère habillé avec des mots,
(...) les gens qui parlent arabe actuellement sont des
Berbères qui sont historiquement arabisés (...)., il y a
des confluences extraordinaires" 247(*).
B- AFFIRMATION IDENTITAIRE ET PRATIQUES
LINGUISTIQUES EN KABYLIE
Ce point de ma recherche se propose de montrer le lien entre
l'autovalorisation sociale des Kabyles et l'émergence de leur
affirmation identitaire. La revendication berbère ayant
réalisé une avancée politique certaine.
Le rapport du Kabyle à soi et, par la suite, à
sa langue sera transformé progressivement par l'apparition, au
début du siècle, d'un phénomène
socio-économique nouveau : l'émigration en France qui vient
amplifier de manière fulgurante celle plus ancienne à
l'intérieur du pays. Elle est le résultat de la
paupérisation de la Kabylie et de l'Algérie de manière
générale.
L'émigration interne et externe a
métamorphosé le mode de subsistance des Kabyles, il passe du
maigre revenu de parcelles de terre montagneuse au salariat plus lucratif, plus
régulier et plus stable. Les incidences socioculturelles de ce nouvel
idéal économique sont considérables :
q Le contact avec la société industrielle a
bouleversé leur échelle des valeurs sociales. À la
précarité de la vie agricole, il préfère l'emploi
rétribué régulièrement ;
q La valorisation du travail salarié va
entraîner celle de l'école. Boudée au début de son
implantation à la fin du siècle dernier, elle est maintenant
avidement recherchée.
q Les implications de la scolarisation seront multiples. Au
plan socio-économique, elle a produit une couche de lettrés
composée d'instituteurs, d'employés des administrations (postes,
mairies, services sociaux, etc.), d'ouvriers spécialisés et de
bon nombre de médecins et d'avocats.
L'école et l'émigration introduiront dans
l'ambiance sociale de la région des valeurs universelles de
modernité telles que la laïcité, les droits de l'homme et,
de manière générale, l'esprit républicain qui se
répandront petit à petit et se grefferont sur le vieux socle
culturel traditionnel.
Il est à noter que beaucoup de femmes kabyles, n'ayant
pas fréquenté l'école, ne savent pas s'exprimer en arabe
et se plaignent de ne pouvoir suivre des émissions à la
télé ou à la radio diffusées pratiquement en arabe
littéral... (quelques progrès ont été fait mais
c'est minime...).
"Ainsi, l'autovalorisation sociale, née d'une
conjoncture socio-économique favorable en Kabylie, sous-tend la
revendication identitaire actuelle. La berbérité est en passe de
recevoir, au plan politique, la consécration constitutionnelle en tant
qu'un des piliers sur lesquels repose l'identité algérienne, aux
côtés de l'arabité et de l'islamité" 248(*).
Bien que, sur le terrain de la pratique linguistique
également, on enregistre une évolution de l'attitude des
berbérophones et des arabophones des régions de Kabylie en faveur
du berbère, les progrès de cette langue, sur ce plan, demeurent
timides et sont loin d'être à la mesure de son succès
politique.
IV- LES FEMMES KABYLES
Les femmes kabyles seraient "plus libres que les femmes
arabes, exerceraient un véritable matriarcat... ". Qu'en est-il
vraiment ? Un examen plus approfondi des traditions kabyles amène
à nuancer largement ces affirmations mais aussi à constater que,
aujourd'hui, jeunes ou plus âgées, en Kabylie ou dans d'autres
régions, ces femmes partagent, à des degrés divers, une
même aspiration : se libérer de la tutelle masculine.
Il est certain que, depuis quelques décennies et en
dépit des considérables transformations qui ont affecté la
société kabyle comme la société algérienne
tout entière, le statut des femmes n'a encore que peu changé.
N'est pas exclue, cependant, toute réalité de changements au
féminin ; seulement, ils sont plus discrets et, surtout, moins
officiels qu'au masculin.
Si aujourd'hui, l'équilibre démographique entre
hommes et femmes tend à revenir à des proportions plus normales,
les changements s'accélèrent pourtant encore du fait de
l'émigration des femmes elles-mêmes - depuis 1975 et le
"regroupement familial" - sous l'influence grandissante de la
circulation désormais générale et rapide des personnes et
des idées grâce au développement des multiples moyens de
communication et d'information. Une jeune fille kabyle d'aujourd'hui, dans un
village d'aujourd'hui, a tous les moyens de connaître d'autres
modèles de vie que celui de ses mères et, a fortiori, de
ses grands-mères ; elle a aussi d'autres aspirations, d'autres besoins.
Comment n'en serait-il pas autrement à l'heure
où, tous, hommes et femmes d'Algérie, en dépit - et
peut-être même en raison - des difficultés actuelles,
expriment des revendications à une vie meilleure. De sorte
qu'aujourd'hui, l'insatisfaction naisse, grandisse et se développe. Les
femmes elles-mêmes viennent à concevoir la possibilité de
changements dans leur vie et certaines vont jusqu'à traduire dans les
faits ou exprimer leurs aspirations à davantage de "participation
à la société" en dehors du seul cadre domestique.
Jeunes ou plus âgées, elles manifestent aussi de plus en plus
souvent une volonté croissante d'indépendance,
d'émancipation de la tutelle masculine, de ces traditions patriarcales
qui persistent encore profondément dans les esprits.
"Car la société kabyle demeure
héritière de ses traditions, société patriarcale
comme partout au Maghreb, pourtant ici, à idéal
démocratique et égalitariste, mais entre hommes seulement"
249(*).
Certes, on a longtemps glosé, un peu à tort et
à travers, sur les prétendus avantages ou désavantages du
statut et du rôle des femmes kabyles comparés à ceux des
autres Algériennes. Mais la question est demeurée en suspens.
"Pour certains auteurs, la "question de la femme
kabyle", tantôt elle est jugée plus libre, moins
opprimée que la "femme arabe", tantôt, au contraire,
davantage opprimée par des règles sociales plus rigides. Nombre
de ces interprétations ont ainsi prétendu ériger les
femmes de la Kabylie en "modèle" de liberté, tentatives
qui s'inscrivent dans une ethno-politique de division qui, pendant la
colonisation, tenta d'opposer les "Kabyles" et les "Arabes"
" 250(*).
En réalité, les contradictions sont telles que
toute la bibliographie ne permet pas d'éclaircir la question. Ce n'est
apparemment pas le moindre paradoxe que la littérature de
l'époque coloniale - qui se diserte, par ailleurs, quant à la
société kabyle, ses us et coutumes, etc. - ne concerne que
très partiellement et tout à fait incomplètement les
femmes alors même que de gros volumes ont pu être consacrés
à certaines autres Algériennes en particulier, par ailleurs,
aussi berbérophones : les Aurasiennes ou les Mozabites (femmes du Mzab)
251(*). Il a fallu
attendre les publications de Camille Lacoste-Dujardin et Germaine
Laoust-Chantraux, pour en disposer en 1990.
L'essentiel n'est pas de reprendre ici la condition des femmes
puisqu'elle a déjà été décrite dans la
première partie mais de fournir juste quelques réflexions sur les
spécificités des femmes kabyles et le processus
d'émancipation de la femme.
La société kabyle (algérienne) a subi, en
vingt ans, des mutations gigantesques: urbanisation massive, destruction des
structures familiales traditionnelles, scolarisation massive avec comme
corollaire une scolarisation inédite des filles et, à
l'arrivée, également inédite des femmes dans la vie
publique. Même si elles y sont encore largement minoritaires, leur
présence a totalement perturbé l'image que les Algériens
se faisaient d'eux-mêmes. Et, durant toutes ces années de
mutation, il n'y eut aucun lieu, si ce n'est peut-être la mosquée,
où les individus pouvaient exprimer leur malaise. La réflexion du
citoyen de base n'était alors plus alimentée que par les
débats dans ces lieux de socialisation habituels : famille, travail,
quartier, café, les Djemâa... Les femmes, quelle que soit la
région (Kabylie, l'Oranie, l'Algérois...) sont devenues la cause
de tous les maux.
Les Algériens sont obligés d'intégrer
cette présence nouvelle de la femme, celle-ci ne peut plus retourner aux
temps révolus de sa mère. En dépit de toutes les
pressions, l'avenir de l'Algérie ne se fera pas sans elle. Les partis
dits démocrates et les partis islamistes ne pourront pas construire une
société en contournant la question de la femme. La manipulation
de la cause féminine par le pouvoir et certains partis, d'une part, et
les assassinats des femmes, d'autre part, sont l'illustration de l'importante
place qu'elles occupent.
CHAPITRE II
TRAVAIL DE TERRAIN
I- MÉTHODOLOGIE
L'observateur étranger, de passage en Algérie,
ne peut manquer d'être frappé par la diversité des paysages
notamment des femmes dont l'aspect peut paraître disparate et
contradictoire : des femmes voilées (voile blanc ou tchador)
dans la rue ou au marché, tenant l'invariable couffin à la main
(prétexte pour sortir parfois) ou bien des femmes conduisant une voiture
ou allant à pied au travail, très à l'aise dans les
vêtements européens ou traditionnels (robe kabyle par exemple).
Autant d'images dont l'apparence contrastée,
hétérogène voire baroque est, en fait, le signe d'un
changement qui est, indéniablement, en train de s'opérer dans la
société algérienne. Mais quels sont les termes de ce
changement ? Tout se joue, semble-t-il, dans une dualité temporelle :
images du passé qu'évoqueraient les femmes voilées et
images du présent que donneraient les femmes travaillant à
l'extérieur du foyer.
Au-delà des entrelacs d'aires culturelles auxquels les
images renvoient, peut-on se demander comment cette dualité est
vécue au plus profond d'elles-mêmes, chez les femmes ? Y a-t-il
une discontinuité ou, au contraire, une identité profonde des
deux termes ?
"État de ce qui évolue, se modifie, ne reste
pas identique" ; cette définition du changement 252(*) indique-t-elle qu'il est le
signe d'une mue ou, au contraire, d'une simple mutation en surface, d'une
transposition de différents éléments en présence ?
Comment ? Pourquoi et vers quoi tend le processus de changement de la femme,
constaté au niveau social ?
J'ai essayé de chercher ce processus en interrogeant
l'image que la femme a, inconsciemment, d'elle-même en tant que femme,
espace imaginaire tout indiqué pour une projection de l'image
féminine dont il me semble de saisir l'évolution. Un travail sur
la femme algérienne, kabyle me paraît très vaste dans la
mesure où chaque thème (l'Islam, le statut, l'identité...)
nécessite une étude profonde, complète et
indépendante que je n'ai pu approfondir.
Il m'est apparu, dès lors, intéressant
d'apporter une contribution à mon étude du
phénomène changement / permanent par une recherche sur trois
générations de femmes dont la tranche d'âge varie de 17
à 77 ans, soit de milieu différent, soit au sein d'une même
famille (jeune fille, mère, grand-mère), citadine ou rurale. Le
choix de cette frange de groupes (citadines / rurales, milieu différent
/ même famille...) résulte de la volonté d'étudier
la problématique féminine dans un contexte socioculturel
différent du contexte occidental. Il découle aussi du
désir de l'insérer dans un univers au sein duquel la
religiosité, d'une part, et la tradition, d'autre part, ont
créé un vécu quotidien qui maintient la femme dans le
cadre de la famille et limite ses activités aux seuls travaux
domestiques.
II- PRÉ-ENQUÊTE
Cette recherche a évidemment des limites, ne serait-ce
que par les critères qui ont présidé à la
constitution des entretiens. Ceux-ci ne prétendent pas être
représentatifs de toute la population féminine algérienne
et kabyle.
Mon étude a commencé, dans un premier temps, par
mes convictions les plus intimes, conquises progressivement mais fermement au
fil des années. Convictions que les femmes ont un minimum à
défendre et que ce minimum est vital pour nous-même. J'ai tenu un
journal où j'inscrivais tout : convictions, notions acquises,
préjugés, pensées, expériences, idées,
citations... Il m'était indispensable de retracer tout cela pour
comprendre les femmes algériennes et kabyles, à travers mon
implication... C'était tellement évident pour moi. J'ai
été étudiante, femme au foyer subissant le Code de la
Famille, ensuite femme travailleuse, militante, aujourd'hui doctorante. Je
pensais que la tâche serait facile.
Donc, au-delà des situations particulières et
des expériences de chacune et parce qu'elles souffrent toutes de cette
insoutenable infériorisation sociale, injustice suprême et
intolérable à nos yeux, les femmes ne peuvent que se trouver dans
une révolte et dans un refus de cette injustice, qu'elles ne peuvent se
retrouver que dans une complicité et une solidarité, agissantes
comme on dit ou, plutôt, comme on disait. Car je parlai, bien sûr,
des femmes engagées dans un désir de changer les choses, des
femmes militantes, de toutes celles qui se sont battues dans ce pays. Je
n'ignorai pas, par ailleurs, la complexité et la diversité des
paroles, des attitudes ou des aspirations que les femmes peuvent avoir.
Conviction donc qu'une concordance de rêves, de projets,
était possible, évidente même. Tout n'était donc
qu'une question de langage à trouver, d'expériences à
échanger, de méthodes de luttes à inventer,
d'argumentations à déployer. Conviction énergiquement
optimiste, née d'un sentiment naturellement hostile à
l'injustice, nourrie d'utopie marxisto-humaniste, soutenue par une foi
inébranlable en l'efficacité de la conscientisation, une foi
inébranlable dans la force de la raison (qu'y a-t-il de plus raisonnable
que l'égalité entre les hommes et les femmes ?) devant laquelle
tout être, homme ou femme, qui en était doué, devait
nécessairement s'incliner.
Tout cela me faisais imaginer les femmes algériennes
marchant vers la fin de leur "indignité", vers la fin de cette
absence d'être dans laquelle on les faisait survivre. Comme les femmes de
mai 68, en France, je cultivais un "rêve d'unanimisme
communautaire" 1(*). Egalité entre hommes et femmes, entre
Algériens et Algériennes : instaurer ou ré-instaurer cette
égalité. Retrouver cet intermède heureux de l'histoire de
l'humanité où les hommes et les femmes vivaient en harmonie ;
époque bénie où :
"Hommes et femmes se partagent la terre et le ciel, non
plus selon l'ancien schéma de la séparation des pouvoirs
spécifiques à l'Un et à l'Autre, mais
dans l'optique où l'on ne peut se passer de l'Autre pour
l'accomplissement d'une tâche" 2(*).
Telles me paraissaient être les quelques lignes
essentielles de cette recherche, mes convictions, mes implications... Bien
sûr, restait une question de taille : Comment faire aboutir un tel
projet ? Au-delà des réactions ponctuelles contre certaines
dispositions ou certaines décisions institutionnelles, contre certains
discours, au-delà des stratégies de résistance que les
femmes pouvaient imaginer pour échapper aux diverses discriminations
qu'elles vivaient, il m'apparaissait que la bataille devait se situer au niveau
de quelque chose de plus fondamental : les représentations, celles des
femmes. Seul un travail profond sur les imaginaires pouvait conduire à
une mutation
Parallèlement à la tenue de mon journal, j'ai
commencé une recherche bibliographique. De nombreuses consultations de
bulletins signalétiques, de fichiers de diverses bibliothèques
(INRP, CNDFP, Paris VIII, Institut du Monde Arabe, librairies universitaires
algériennes, de discussions (l'oralité), d'échanges...)
tant à Paris qu'en Algérie, surtout à Tizi-Ouzou, ont
été, pour moi, d'une grande aide quoique la majorité des
ouvrages traitant de la femme algérienne sont écrits par des
occidentaux.
Pour mieux gérer ma recherche bibliographique, les
échanges se sont effectués entre étudiants d'où
l'émergence d'un groupe de travail. Avec ce dernier, nous avons
échangé nos convictions, nos idées, nos écrits, des
livres et des documents. Nous utilisions les nouveaux moyens de communications.
Ce réseau m'a personnellement permis de mieux cerner mon étude,
mes concepts, plus scientifiquement.
Le regard, le témoignage et les impressions d'un
français ou d'une française (ou autre) sur la situation de la
femme algérienne étaient importants pour moi. C'est une
présence donc des femmes (ou des hommes) dans mon univers.
Présence, timide encore, certes, mais qui en tant que telle dit
déjà qu'en dépit des freins encore nombreux, les femmes de
ce pays existent et sont décidées à s'exprimer.
Donc, en premier lieu, je me suis basée sur mes
convictions, ma révolte, mes lectures et sur les données de notre
mémoire de DEA, afin de dégager une problématique de
recherche. Et, dans un second temps, j'ai effectué une
pré-enquête (avec mon groupe de travail, mes amis, mes contacts en
Algérie, plus précisément à Tizi-Ouzou en Grande
Kabylie...).
Pourquoi avoir choisi comme terrain l'Algérie et,
particulièrement, la Kabylie ? C'est dans cette région
d'Algérie que je me suis investie totalement, le lieu que je connais,
qui m'a apporté beaucoup d'éléments sur la condition de la
femme algérienne, sa place dans la société, son rapport
avec les hommes, avec autrui, avec l'Islam, son rapport avec l'espace public et
avec les autres institutions, son rapport à son propre corps. Elle est,
dans tout cela, en perpétuel conflit entre deux modes de
références : le traditionnel et le moderne. Et j'ai vécu
ce conflit avec un autre regard que les femmes que j'ai interviewées et
c'est ce regard, cette vision qui m'importe.
La possibilité pour moi d'effectuer une
pré-enquête auprès de femmes immigrées en France me
paraît biaisée à cause du contexte social, du cadre de la
quotidienneté, des conditions de vie avec tous les facteurs
d'immigration, d'acculturation... Et aussi, les moyens psychologiques dont
disposent les femmes en France sont totalement différents de la
société d'origine. Alors, j'ai préféré
traiter la femme algérienne dans son contexte, sa propre
société, de l'observer de près, de l'écouter et
d'être en contact direct avec elle dans sa quotidienneté.
L'histoire de vie d'une femme, c'est l'histoire au féminin de
l'Algérie, qu'importe son nom : Malika, Chabha, Zohra,
Ghenounouche, Ouerdia, Djedjiga, Assia... ? J'ai eu cette
possibilité de rapporter leurs paroles, leurs vécus, leurs
histoires... Une, toutes sont des femmes algériennes qui manifestent une
volonté de vivre dans une Algérie meilleure, une Algérie
libre et démocratique.
Ne les appelle-t-on pas femme-courage ? À
l'indépendance (1962), elles ont été
écartées de la vie de la cité sans raison, peut-être
parce qu'elles sont femmes ? Pourtant, les "décideurs",
les responsables politiques, les autres ne manquent jamais de rendre hommage
à leur courage. Comment pourraient-ils faire autrement alors que
même à travers l'Algérie, des lycées, des
écoles, des rues portent le nom de centaines d'héroïnes
tombées au champ d'honneur par choix ? Mais, pour que cette
reconnaissance ponctuelle eut un sens, il eut fallu les associer à part
entière dans la gestion des affaires publiques. Il eut fallu ne pas
permettre, en 1984, la naissance de la loi "infâme" qu'est le
Code de la Famille comme disent la majorité des femmes.
Comment, dès lors, imaginer des femmes victimes du
terrorisme, telles Fatma A., Malika B., Fatiha C., etc., violées,
égorgées... sous les yeux horrifiés de leurs familles ou
de leurs camarades parce qu'elles ont refusé de renoncer à leurs
activités professionnelles, au hidjâb, à
l'université, à l'école, au mariage de jouissance... Ce
sont quelques noms de femmes anonymes parmi tant d'autres. La liste est
longue... mais aucune illusion n'est permise : ces résistantes sont
oubliées sitôt enterrées. Elles le demeureront à
jamais.
En attendant, les mots courage, bravoure... ne sont que des
mots. Des mots qui tuent et font souffrir les uns, donnent bonne conscience aux
autres, ceux qui conjoncturellement s'inclinent devant le courage des femmes
algériennes pour mieux les mépriser et les humilier. De tels
hommages laissent de marbre les féministes algériennes parce que
leurs aînées, combattantes d'hier, leur ont appris que le courage
c'est de dire et de faire les choses au moment où elles doivent
être dites et faites, au moment où les circonstances l'exigent.
Après, c'est trop tard. C'est là leur seul
"héroïsme", leur unique choix.
Face à l'intégrisme islamiste, elles savaient,
en 1990, qu'elles allaient tout perdre : certains acquis arrachés, le
droit d'exister comme femme. Quel autre choix leur restait-il que celui de se
battre au péril de leurs vies ou celles de leurs proches ?
Comme disent certaines femmes :
"Mourir, ce n'est pas tout perdre, mourir ce n'est pas
perdre l'Algérie. Nous refusons de retourner à la maison, de nous
soumettre à la loi du diktat et de la terreur, que la bête immonde
a reculé".
Est-ce surprenant ? Ne sont-elles pas aussi les filles
de ces combattantes de l'ombre que furent leurs mères ? Leurs
mères leur ont inculqué la force de se battre, la force de
croire, d'espérer, de vivre mieux qu'elles en acquérant le
savoir, de vivre pour s'exprimer, pour exister et être une femme.
III- REMARQUES SUR LES ENTRETIENS
Après une longue absence, que vais-je trouver dans ce
pays déchiré par le terrorisme, par la perte de l'espoir... ? Mon
regard changera-t-il ? Qu'adviendra-t-il de mes idées de militante... ?
N'étais-je pas une intégriste moi-même, à ma
manière, en voulant unifier les modes de vie et de pensées ? Que
vais-je entendre que je ne connaissais déjà ?
Lors de mes entretiens et de ma recherche, je n'étais
qu'une étudiante préparant sa thèse malgré un
âge avancé (que d'exclamations, de félicitations et
d'étonnements !... En Kabylie, les femmes de plus 45 ans sont
déjà vieilles, peut-être belles-mères ou
grands-mères..., donc plus libres... mais pas étudiantes !).
Je disposais d'une semaine pour mon premier séjour en
Algérie. J'ai donc joint l'utile à l'agréable en menant de
front retrouvailles et entretiens. Mon premier séjour coïncida avec
la fête religieuse de la rupture du jeûne (Ramadan) :
l'Aïd Esseghir. Je savais que les opportunités
étaient fort nombreuses pour rencontrer des femmes de tous âges,
surtout chez mes parents (ou ailleurs) qui recevaient beaucoup à cette
occasion. J'ai profité des deux questions qui revenaient souvent :
"Que fais-tu à Paris ?" ; "Qu'est-ce que tu
étudies ?", pour lancer le débat. Je parlais
brièvement de ma filière, de Paris, je m'étalais davantage
plus sur mon sujet de recherche qui les intéressait beaucoup.
C'était une stratégie pour pouvoir les
écouter, connaître leurs avis, leurs pensées... Leur donner
la parole pour avoir une technique, du matériau pour mon étude.
Ainsi, le débat était lancé autour d'un café, de
gâteaux. Elles étaient contentes qu'en France, on
s'intéresse à leur sort notamment les femmes âgées
à qui j'ai expliqué grosso modo ce qu'est une recherche,
comme si j'allais apporter une réponse à leur attente ! C'est
leur façon à elles de contribuer à l'évolution de
leur situation, selon leurs dires. Les discussions, les échanges sur les
points cités de mon sujet et les entretiens se sont
déroulés à Tizi-Ouzou chez mes parents, à
l'université de Tizi-Ouzou et chez des particuliers (familles)...
Il est indispensable, pour obtenir un dialogue fructueux, de
s'impliquer tout en demeurant suffisamment neutre afin de ne pas influencer les
réponses (ce que je n'ai pas réussi avec mon premier entretien
à l'université avec Leïla) et de permettre que
s'établisse la communication par un échange de vue
réciproque susceptible d'entraîner une connaissance mutuelle et
non unilatérale. Le contact s'est avéré d'une bonne
qualité.
Dans l'ensemble, les femmes d'âges et de milieux
très différents ont très rapidement manifesté
beaucoup d'intérêt pour mon sujet. Certains thèmes
fondamentaux sont apparus à travers quelques questions de base, il
s'agit de ceux portant sur la participation des femmes dans le politique (vu la
situation critique de l'Algérie.), sur les difficultés
rencontrées par les Algériennes dans leur société,
sur leur statut juridique, sur la place de la femme dans l'Islam et sur la
position des hommes en matière d'émancipation de la femme et
surtout de leur être, de leur reconnaissance, de leur existence...
Et lors de mon deuxième séjour, j'ai
effectué quelques entretiens au siège de la commission sociale du
Croissant Rouge algérien de Tizi-Ouzou (équivalent de la Croix
Rouge française). À chaque séjour, je profitais pour
réaliser des entretiens.
Lors d'un voyage en Tunisie (décembre 2000), j'ai fait
un saut en Algérie pour d'autres entretiens, pour vérifier mes
propos, mes remarques et, surtout, discuter avec les femmes pour voir leur
évolution ; d'autant plus qu'en Tunisie, j'ai été
frappée par la liberté des femmes, par leur émancipation
(pays arabe voisin) et ce que les hommes tunisiens pensaient à ce sujet.
Que d'étonnement et de stupéfactions !... Les hommes tunisiens
envient les hommes algériens et approuvent le Code de la Famille
algérien car les Tunisiennes sont libres et émancipées
depuis 1956 (par le Président Bourguiba).
En Algérie, j'ai enfin pu rencontrer des enseignantes
et des syndicalistes de Tizi-ouzou pour m'informer de l'état de
l'école algérienne. C'était important pour moi
d'être autorisée à effectuer ces échanges
officiellement. L'école, lieu privilégié de
l'appropriation et de la transmission du savoir. Mais l'école
algérienne est malade et nécessite des changements. Pourquoi
avoir choisi ces lieux ? Je ne pouvions faire autrement (raisons
sécuritaires et temps limité, certains étaient
programmés par des intermédiaires). J'ai saisi toutes les
opportunités et mon dictaphone était toujours à
portée de main afin de ne rater aucune occasion en rassurant l'auditoire
de ma discrétion et l'anonymat de mon matériau (leurs paroles) de
travail. Très souvent, le débat était favorisé par
la situation de retrouvailles, de convivialité et de curiosité.
Ainsi je créais un climat de sympathie avec les
interlocutrices en expliquant, avec clarté et enthousiasme, les
objectifs de ma recherche. En les mettant dans ce climat de confiance et de
sécurité, elles se sont exprimées librement, à
coeur ouvert et elles ont même abordé leur sexualité, sujet
tabou en Algérie. On les sent directement concernées par ce sujet
et elles ont plein de choses à dire, trop bafouées dans leur
droits : elles en parlent facilement, c'est très important pour elles
car elles expriment ce qu'elles refoulent depuis longtemps. Elles aiment qu'on
les écoute car la prise de parole au milieu d'un auditoire ne leur est
pas réservée comme à la gent masculine, aux intellectuels,
aux politiques, aux militants(es)...
Ce qui a frappé mon entourage, c'est l'écoute
particulière que j'avais pour chacune. Elles étaient
étonnées de non attitude calme, réceptive et un peu
passive car, de nature, j'étais plutôt bavarde, moraliste,
révoltée, imposante (par mes idées) par rapport aux droits
des femmes. "Est-ce que Paris t'a calmée ?", disaient
les unes, "Es-tu en train de changer ? ", "L'université de
Paris parle-t-elle de nous ? ", disaient d'autres.
Je voulais surtout les écouter, prendre du recul avec
mon militantisme, oublier pour un moment que j'étais algérienne,
enfin, rester en posture d'apprentie-chercheur. Bien que ma position de femme
ne me fasse pas oublier mon statut juridique et ma place dans la
société. On ne peut pas se défaire de sa nature et de ce
que l'on a bâti durant plusieurs années.
Certaines m'ont dit que leur lutte continue à travers
mon sujet de thèse, dans l'écriture, bien que je ne sois plus le
terrain, je reviens avec un peu de scientificité et de maturité.
J'étais pour m'approprier leurs savoirs, leurs dires et leurs
pensées que j'ai exploités à notre retour à Paris.
Le troisième jour de mon premier séjour, je me
suis rendue à l'université en prenant, au préalable, la
précaution de confirmer mes rendez-vous avec le département des
sciences économiques et celui de Tamazigh (étude de la langue
Berbère) pour réaliser mes nos entretiens. La ville fourmillait
de policiers, de CRS, beaucoup d'uniformes... J'avais peur et pas
rassuré mais j'ai pu enregistré mes entretiens pour en savoir
plus sur les femmes universitaires et salariées de
l'université...
Pour pouvoir franchir le barrage de contrôle à
l'entrée de l'université, J'ai dû exhiber ma carte
d'étudiante car toute personne étrangère à la
cité du savoir était interdite d'accès. Il faut noter que
la tenue vestimentaire (le paraître) était importante, de ce
fait, j'ai dû l'améliorer plus que de coutume : une autre
stratégie pour avoir plus de prestance. En Algérie, "l'habit
fait le moine". Ainsi, j'ai pu entrer dans l'enceinte de
l'université et, surtout, convaincre ma peur et mon angoisse.
D'autres courts séjours m'ont permis de réaliser
les autres entretiens. Les excuses de retrouver ce pays ne manquaient pas
(événements heureux ou malheureux, maladie des parents...) et je
ne connaissais pas toujours les personnes avant de les rencontrer, certaines
étaient d'anciennes connaissances. Les rendez-vous et les accords de
principes étaient pris avant mon arrivée. Vu la situation
sécuritaire du pays, la méfiance était de rigueur et les
dates de mon arrivée n'étaient jamais précisées ou
communiquées. Lors des entretiens, la convivialité s'installait
et les échanges étaient toujours fructueux.
Après les entretiens, j'avais l'impression que ma
question de départ (selon la grille d'entretien que je me suis
fixée) n'était pas respectée car il fallait tout le temps
relancer les personnes par de brèves questions. J'aurais voulu avoir
plus d'entretiens mais je n'arrivais pas à séjourner plus d'une
semaine à Tizi-Ouzou.
Ces deux dernières années, Tizi-Ouzou a connu de
graves émeutes concernant la revendication de la langue tamazight comme
langue nationale (plus d'un millier de blessés et plusieurs morts).
CHAPITRE III
ENTRETIENS AVEC LES KABYLES
I- ENTRETIENS
A- LEILA, LA DACTYLOGRAPHE
Leïla, 23 ans, est dactylographe, timide,
célibataire vivant chez ses parents. Issue d'une famille nombreuse et
pas très aisée, elle travaille pour aider sa famille et pour
préparer son trousseau (achat de bijoux, de toilettes, de literie...).
L'entretien se déroule dans son bureau qu'elle partage
avec d'autres collègues qui étaient absentes : c'était son
choix. Lorsque nous lui avons expliqué le sujet, elle a accepté
le jeu. Leïla a demandé que nous lui posions des questions bien
ciblées (entretien directif). Nous la sentions bloquée, elle nous
reprenait en arabe car nous la questionnions en français et en kabyle.
Leïla est arabisante (scolarité et formation en arabe) et, chez
elle, elle parle kabyle et arabe dialectal.
- Que faites--vous ?
- Je travaille comme secrétaire-dactylo à
l'université de Tizi-Ouzou.
- Qu'est-ce que pour vous être une femme en
Algérie ? Qu'est-ce que ça représente pour vous ?
- C'est difficile, c'est une lutte pour être une
femme (en langue kabyle), oui, c'est difficile.
- Comment difficile ?
- Euh ! C'est difficile !
- Vous auriez voulu être un homme ?
- Non.
- Vous vous plaisez d'être femme, d'être
née femme. Votre statut de femme algérienne, est-ce qu'il vous
convient ? Vous connaissez le Code de la Famille ?
- Oui.
- Est-ce qu'il répond à vos attentes ?
- Normalement.
- Le statut vous plaît-il (en langue kabyle) ?
- Oui, bien sûr.
- Rien ne vous dérange dans votre statut, dans le Code
de la Famille ?
- Non.
- Connaissez-vous vos droits (en langue kabyle) ?
- Oui, bien sûr.
- Avez-vous déjà voté ?
- Oui.
- Plusieurs fois ?
- Deux fois.
- Est-ce que vous étiez heureuse de voter ?
- Non, comme ça, c'est pour la forme et aussi pour
dire que j'ai voté, c'est tout.
- Vous sentez-vous citoyenne algérienne ?
- Puisque l'Algérie est perdue, donc j'ai
voté comme ça.
- Le fait de travailler est une forme de liberté ou
autre chose ?
- Le fait de travailler m'apporte ma place.
- Avoir une place (traduction en langue kabyle) ?
- Bien sûr, je préfère travailler en
ayant des droits.
- Que souhaitez-vous à une femme en Algérie ?
- Je souhaite que la femme algérienne sorte
travailler, même mariée.
- Souhaiteriez-vous avoir beaucoup d'enfants ? Et combien ?
- Non. Je souhaiterai en avoir deux ou trois et pas un. Je
veux deux garçons et une fille.
- C'est important les garçons pour vous ?
- Oui, c'est pour l'héritage.
- Avez-vous des frères ?
- Oui, bien sûr, mais on est nombreuses, les filles
: 7 filles.
- En avez-vous beaucoup (garçons) ?
- Deux.
- Est-ce qu'ils sont considérés dans la famille
à égalité par rapport à vous ?
- Oui.
- Est-ce que l'éducation des garçons et des
filles est la même ?
- Oui, c'est la même dans ma famille mais ma
mère et mes grandes soeurs les gâtent plus.
- Demain, allez-vous élever vos enfants à
égalité entre filles et garçons ?
- Bien sûr, au même titre et la même
chose.
- Si vous avez trois filles, allez-vous avoir un
quatrième pour avoir un garçon ?
- Non, trois c'est trois. Pas plus.
Suite à quelques réponses, notamment sur le
choix du sexe et du nombre d'enfants qu'elle souhaiterait mettre au monde, elle
nous répond :
- J'aimerai avoir deux garçons d'abord, ensuite
une fille.
- Pourquoi d'abord deux garçons ?
- Les garçons, c'est mieux !
- Pourquoi c'est mieux ?
- Parce qu'il se débrouille mieux, il est plus
libre... son nom reste et puis c'est mieux...
- C'est mieux comment ?
- Il sera considéré, plus respecté,
plus gâté... Euh !
- Comment gâté et respecté ?
- Tu vois, comme ça, ma belle-famille me donnera
plus de considération et mon mari m'aimera plus, tu sais, dans les
familles algériennes, c'est comme ça, surtout pour le nom et moi,
je serai bien vue...
- Quel nom ? Comment vous serez bien vue ?
- Pour que le nom reste car la femme change de nom, car
elle se marie. Et puis, ta belle-famille te considère, t'aime plus quand
tu as un garçon...
J'ai riposté à la fin de l'entretien (qui a
duré 25 minutes) en la traitant de "gourde". Je me suis
emportée, j'ai failli à ma mission. Pourquoi cette attitude ?
Parce qu'elle venait de produire le schéma d'un discours que je refusais
d'entendre. J'ai senti que mon entretien était raté et que je
n'avais pas respecté ma grille d'entretien, de mon engagement de
chercheur. On retrouvait la militante et non l'étudiante telle que je
m'étais présentée. Après avoir repris mes esprits,
je l'ai remerciée sans m'excuser pour cette réflexion. Avait-elle
saisi mon comportement ? Je ne le saurai jamais.
Je pensais, au départ, que je n'avais pas besoin de la
relancer par d'autres questions. Je m'étais fixée qu'une seule
question : "Qu'est-ce qu'être une femme en Algérie ?" et
faire des relances...
Les questions qui ont suivi n'étaient pas
programmées, ne faisaient pas partie de ma préparation.
J'étais déstabilisée et j'ai improvisé les
questions. J'avais pourtant guidé Leïla en lui expliquant au
départ mon travail, ma question. Est-ce que Leïla a
été déstabilisée devant un petit micro ? Le lieu
était-il adéquat ? Par la suite, j'ai essayé de la faire
parler pour meubler le temps qui m'était donné et faire du
remplissage. J'avais l'impression de me comporter comme un reporter-journaliste
(questions-réponses) à l'affût d'informations.
J'étais malheureuse et surtout déçue de mon attitude et de
ma prestation.
Lorsque j'ai fait part de mon désarroi au responsable
qui a programmé l'entretien, il m'a répondu que "Ce
n'était pas grave,... C'est cela le travail d'un débutant
!". J'ai failli abandonné alorzs, j'ai rencontré Malika.
B- MALIKA
Malika, 25 ans,
célibataire, est étudiante en Sciences Économiques
à l'université de Tizi-Ouzou. Elle habite la cité
universitaire, ses parents sont dans un village à 30 km de Tizi-Ouzou.
Elle réside à la « cité universitaire
filles » de Tizi-Ouzou.
Ayant raté mon premier entretien, j'ai demandé
à être seule avec l'interviewée. Une petite salle
près du bureau du responsable était libre et après un
commun accord, j'ai demandé à l'occuper d'être plus
tranquille et de ne pas être perturbée par le va-et-vient. En
reprenant un peu mes esprits suite à l'échec du premier
entretien, j'ai repris la question de départ.
- Qu'est-ce qu'être une femme pour vous ?
- Être une femme, c'est tout un honneur d'être
une femme. Être une femme, c'est d'abord un combat pour la vie et pour
l'avenir de la femme surtout algérienne et être une femme n'est
pas facile surtout dans une société dans laquelle on vit
actuellement.
- Justement, j'allais vous poser la question. Je repose la
question : être une femme en Algérie, ça représente
quoi ?
- Une femme en Algérie, c'est la plus grande
malchance qu'un être humain peut avoir en tant que femme.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est une société qui est
construite sur des lois d'hommes et c'est toute l'éducation que la
femme algérienne reçoit depuis sa naissance jusqu'à la fin
de ses jours, jusqu'à sa mort. C'est toujours comme un axe d'orientation
: l'homme toujours. C'est ce qui a retardé mon mariage, à cause
de cette vision que j'ai.
- Comment ?
- Ben, c'est beaucoup plus ma conception par rapport au
mariage. C'est que si on se marie, c'est pour être mieux, dans une
situation meilleure. Sinon, il vaut mieux être célibataire et
assumer ses responsabilités jusqu'au bout. Euh ! J'aurai aimé
avoir un seul enfant et je préfère que ça soit une fille.
Justement, beaucoup de mes compatriotes m'ont dit : "Je souhaiterai avoir
un garçon". Il y a une autre qui m'a dit :
"J'irai jusqu'à ce que j'aie un
garçon !"...
- Vous êtes d'accord ?
- Non, moi je ne suis pas d'accord. Moi, je
préfère avoir une fille parce que par rapport à la nature.
Moi, je vis dans une famille assez nombreuse. Il y a des garçons, des
filles qui sont mariés. La nature veut que la fille soit plus sensible
que le garçon quelle que soit leur éducation. Même
éducation pour le garçon et la fille. Mais la fille reste
toujours sensible et plus proche de ses parents. D'abord, j'ai confiance en
cela, c'est que la fille sera plus proche de moi par rapport à un
garçon. Et le garçon va être très difficile pour
l'éduquer parce qu'à un certain âge, il échappe
à l'éducation de la mère et du père. Donc
là, la fille n'échappe pas. Souvent, la fille n'échappe
pas à l'éducation des parents et, dans un autre sens, je veux
avoir une fille, c'est pour qu'elle ait ce que je n'ai jamais pu faire. Je lui
donnerai la liberté de s'exprimer, de choisir sa vie, sa voie quoi !
Ensuite, on a aborde la place de la femme dans notre
société. Elle fronce les sourcils, sourit et enchaîne sur
la question en se balançant un peu sur elle-même.
- Quelle est la place de la femme dans notre
société ? Ah ! Oui, une femme, la place de la femme : tant que la
femme n'a pas de place, on n'évoluera jamais, ça, c'est
grosso modo. Le statut qu'offre le Code de la Famille... c'est
là le problème ! Le Code de la Famille a été
fait par rapport aux lois d'hommes. Ce sont les hommes qui l'ont fait. C'est
automatiquement en leur faveur, ça, c'est évident. Entre autre,
ils disent que ce sont des articles qu'ils tirent de la Charia :
ça, c'est faux et n'est pas vrai. S'ils prétendent que c'est par
la Charia que viennent les articles, ça, c'est pas juste. Et le
Code de la Famille, il est temps ou jamais de le changer parce que si la femme
algérienne ne participe pas pour l'évolution du pays, qu'elle
soit économique ou sociale, parce que tout doit passer par la femme
finalement, parce que la femme, c'est les enfants, c'est l'éducation de
toute une génération. Tant que ça ne change pas, non,
à mon avis, on évoluera jamais et, par rapport au Code de la
Famille, c'est nul (3 fois).
- Dans la sphère publique ?
- C'est-à-dire, plus précisément,
quand je parle de la sphère publique, c'est le travail, la rue... Sa
place, c'est quoi ? Euh ! Actuellement, la femme algérienne n'a pas la
place qu'elle mérite dans notre société ; ça, c'est
d'abord primo et si on trouve des femmes qui ont leur place, c'est
parce qu'elles se sont battues pour cela et ce n'était pas facile. En
général, elle n'a pas la place qu'elle mérite actuellement
ni dans la rue, ni dans la famille, ni dans les institutions, ni à
l'école, ni dans nulle part, nulle part.
- Une femme dans la rue ?
- C'est-à-dire femme dans la rue, moi je
comprendrai le comportement des autres par rapport à la femme, à
l'extérieur de son foyer, à l'extérieur de sa propre
famille et le comportement, je dirai, est très dégradé.
Les événements que vit l'Algérie en ce moment,
c'est-à-dire politiques surtout, oui politiques, puis avec la nouvelle
conjoncture puisqu'on le répète souvent : la position de la femme
par rapport à la Charia Islamia, par rapport à toutes
les menaces qu'ont reçues les femmes, croyez-vous que la femme
retrouvera sa place telle que certaines l'ont combattue dans les années
70 pour avoir sa place à l'université ? Entre nous, le combat de
la femme a beaucoup diminué ces dernières années.
Après tout, la femme est sensible et faible physiquement, oui. C'est
parce qu'elle est menacée, mais le combat a diminué de beaucoup
parce qu'on a tous un intérêt, quelque part, à
défendre tout comme le peuple algérien, même les hommes, le
combat des hommes a également diminué. Donc, tout est relatif.
Comme le combat en Algérie a diminué, donc le combat de la femme
a diminué aussi ! Mais ça ne va pas la faire sortir de sa crise
qu'elle vit actuellement. Son combat, ça reste beaucoup à faire
mais elle va construire le pays. Et la construction sociale passe par la femme.
- La construction sociale passe par la femme ?
- Ben, si on lui accorde la contribution qu'elle
mérite oui, oui, oui. Parce que ce pays-là, son vrai
problème par rapport à toute l'analyse que j'ai effectuée,
je suis dans un Institut de Sciences Économiques, donc automatiquement,
on a à faire à l'étude de l'homme, de l'être humain,
de la société, etc. La base du problème de notre pays,
c'est l'éducation (2 fois) et, comme l'éducation c'est
le rôle principal de la femme, le jour où on lui accordera ce
rôle principal et on le respectera tel quel, effectivement, on va sortir
de la crise. Je reviens à l'éducation. L'éducation : c'est
tout le comportement qu'un être humain peut acquérir de la
société, ce qui n'est pas inné.
Et la femme étant l'être sensible,
l'être affectueux qui ne fait pas de mal, etc. Comme je crois qu'un
penseur a dit : "Le jour où la femme gouvernera le monde, il n'y
aura pas de guerres", il n'y aura pas tout cela. Donc, si on arrive
à éduquer une génération d'enfants, la fille
respectera le garçon, le garçon respectera sa soeur, sa femme,
ses enfants et, le jour où les gens arriveront à s'aimer,
à se comprendre, à se respecter et tout ceci passera par la
femme, bien sûr, son éducation à elle, dans ce
cas-là, on arrivera à une certaine évolution. On dit que
le chômage en Algérie est dû à l'activité de
la femme. Du tout ! Non ! Comment peut-on remplacer une femme médecin
par un chômeur qui n'a pas de niveau, mais c'est pas possible. Non, au
contraire, c'est la non-participation de la femme qui fait cela.
Je suis en Sciences Économiques et, selon les
chiffres récents et les statistiques que j'ai eues, il y aurait une
population active féminine de plus en plus nombreuse chez elle ou
à l'extérieur. Pourquoi ? Parce que... vous allez me permettre
d'aborder un autre sujet qui est l'obsession sexuelle dans ce pays. On recrute
une femme et pas un homme parce que le directeur va voir la photo de la recrue,
c'est par rapport à ça. C'est pour ça que le nombre des
femmes actives a augmenté tout simplement. Ce n'est pas pour une
certaine compétence. C'est par rapport à une certaine frustration
et une certaine obsession dans notre société. En ce qui concerne
le travail non reconnu, il permet d'aider le pouvoir d'achat du ménage
et d'avoir des économies pour s'acheter ce qu'elle veut (bijoux, aider
à la préparation du trousseau pour les filles, pouvoir donner de
l'argent de poche aux enfants : chose que le père de famille ne fera
pas).
- La femme kabyle a une particularité dans son
organisation ?
- La femme kabyle, par rapport à la femme
algérienne en général, ben oui effectivement, elle a
sûrement quelques particularités par rapport à la femme
algérienne en général. La femme kabyle ne vit pas le
même problème qu'une femme de l'Est ou de l'Ouest. On remarque
d'ailleurs que la femme kabyle est un peu plus libre (entre parenthèses
bien sûr), ce n'est pas ce qu'elle mérite non plus. Il reste
beaucoup à faire quand même. La femme kabyle vit toujours le
MÊME (elle articule lentement le mot, en le reprenant et en
l'épelant) calvaire. Elle assume plusieurs tâches : à
l'extérieur et dans son foyer. En l'absence de son mari, elle doit le
remplacer. Vous savez, en Kabylie, beaucoup d'hommes immigrent en France ou
travaillent dans les grandes villes. Donc, les femmes deviennent chefs de
famille neuf ou onze mois dans l'année. Elles gardent le lien avec le
mari par les consignes. Elles sont conditionnées par l'environnement
social, elles vivent selon les codes du voisinage, de la famille et du village.
Elles vivent pour les gens, font les choses pour plaire à l'entourage :
même chose pour leur vie professionnelle.
Aujourd'hui, en tant qu'étudiante, et je suis en
fin de ma formation, j'aurai dû parler en premier de l'étudiante
et de son esprit. L'esprit de l'étudiante Tizi-Ouzienne, de Kabylie
puisque nous sommes en Kabylie, j'aurai voulu, parce que j'ai eu plus
d'échos sur les étudiantes d'Alger, de Blida, qui ont une autre
conception. C'est complètement autre chose, pourquoi ? Parce que
l'étudiante à Alger : c'est généralement, elle se
trouve à Alger dans un certain milieu, donc le même milieu
universitaire, n'est pas très différent de son milieu quotidien,
ce qui n'est pas le cas ici à Tizi-Ouzou. Donc, l'étudiante
universitaire, je parle spécialement en général de
l'étudiante de notre Institut parce que je ne fréquente pas
beaucoup les autres Instituts. Mais je trouve qu'elle est étudiante
physiquement et par son certificat de scolarité. Spirituellement, son
esprit, il reste tout de même cette femme kabyle arriérée,
conditionnée par l'homme, etc. Elle reste tout de même,
c'est-à-dire que le système éducatif a fait en elle
beaucoup (en kabyle). Les études supérieures n'arrivent pas
à enlever ces idées.
L'étudiante, ici en Kabylie, est touchée par
le conditionnement, les moeurs et par les traditions. Ah ! Beaucoup (3
fois, elle hoche la tête). Par exemple, je vous donnerai un simple
exemple d'avoir un copain, un petit ami, etc. La majorité des
étudiantes refusent d'avoir deux ou trois copains. C'est-à-dire
que je sors avec un garçon, ça ne me dérange pas de le
quitter si ça ne marche pas entre nous et automatiquement, je
connaîtrai quelqu'un d'autre, c'est ça la vie. L'étudiante
kabyle n'accepte pas ça, au bout du deuxième ou du
troisième petit ami, il faut qu'elle s'accroche coûte que
coûte, sinon que dira-t-on ?
- Des qu'en dira-t-on ?
- Oui, il y a encore les qu'en dira-t-on... YA
HASSERA 1(*) (3
fois). Non, ça a beaucoup changé. L'université reste
tout de même, il y a toujours des qu'en dira-t-on, des traditions, des
coutumes, il y a beaucoup. Avant, moi, je croyais que l'étudiante
entrée dans l'enceinte de sa vie d'étudiante s'est
débarrassée de ces moeurs. Non et non ! De ces habits
traditionnels, physiquement et moralement. Non, comme je l'ai dit,
étudiante juste pour son certificat de scolarité. Par exemple,
rare bien sûr, il y a toujours des exceptions dans la vie, les
exceptions, ce sont elles qui confirment la règle en
général. Donc, il y a toujours des exceptions. Par exemple, le
comité d'Institut, le comité de défense, on ne trouve pas
de filles. Généralement, j'y suis moi, j'ai ma camarade de temps
en temps avec moi. Mais, on ne trouve pas de filles, c'est-à-dire qu'on
est là et qu'on est dirigée et orientée par les
garçons. Ce sont eux qui prennent le combat, la fille ne se trouve
jamais dans un comité pour dire non aux garçons, c'est faux ce
que vous dites. Non, ce n'est pas comme ça qu'on agit parce qu'elle a
toujours tendance à comprendre que le syndicalisme, que la
défense etc., qu'elle est derrière et eux, ils sont toujours
devant. Elle n'est jamais présente dans la vie estudiantine, dans la
vraie vie d'étudiante. Elles font peut-être quelques actions au
niveau des cités de jeunes filles, c'est parce qu'elles sont entre
filles. Donc, elles gardent toujours au fond d'elles-mêmes cet esprit de
laisser les hommes faire.
L'étudiante algérienne kabyle de demain ne
va pas changer l'école aussitôt. Mais, grâce à une
minorité justement, cela peut se faire. Et une minorité ne peut
pas avancer vraiment rapidement, c'est qu'il faut vraiment du temps pour cette
minorité avec tous les efforts qu'elles vont faire, ça ne sera
pas facile, elles doivent tenir le coup. Si la majorité des filles ont
le même esprit que cette minorité, il y a encore de l'espoir. Je
peux vous dire que mon estimation pourrait aller dans dix ans, mais
étant donné que c'est une minorité, c'est-à-dire 1
% à 2 %, je n'exagère pas, c'est la vérité. Je vois
dans notre Institut, donc il faut attendre cinquante ans. Avec tout ce qui se
passe, il n'y a pas d'espoir, surtout ces dernières années. Il
fut un temps avec la multiplication des universités, le nombre excessif
d'étudiants, notamment l'augmentation des effectifs des
femmes fréquentant la cité du savoir, l'Algérie
changera, les mentalités évolueront...
Malheureusement, les choses régressent et les
femmes se complaisent dans leur enfermement, de leur vie de dominées et
dirigées. Elles acceptent les traditions, les reproduisent à leur
tour. Qu'elles soient universitaires ou pas, le schéma se reproduit.
Nous acceptons la modernisation car elle facilite la vie comme les appareils
électroménagers... mais nous ne sommes pas modernes car nos
esprits, nos mentalités ne changent pas. Les événements
ont bloqué l'évolution. C'est dommage que des gens qui ont
oeuvré pour la démocratie, le changement des mentalités,
pour la modernité et surtout les droits de l'homme, sans oublier les
droits des femmes...
Le deuxième entretien m'a redonné confiance car
je m'attendais pas à ce que l'on me présente une fervente
militante de l'université. C'est le responsable du personnel qui a
choisi les interviewées. Comment les a-t-il choisies ? J'ai appris
que ces femmes étaient disponibles et surtout assidues à
l'université (il les a averti une heure avant mon arrivée, comme
je n'avais pas annoncé la date exacte de mon arrivée).
L'entretien a duré 90 minutes (temps fixé avant l'entretien).
Malika est "doyenne de la faculté" de
Tizi-Ouzou comme elle le dit. Universitaire depuis plus de dix ans, elle vient
de soutenir son magistère et souhaite avoir un poste d'assistante de
cours. A la cité elle se sent libre loin des contraintes familiales et
du village. Malika est responsable du comité de défense de
l'université (depuis les événements, plusieurs villages,
chaque groupe, chaque unité structurée par des
bénévoles se protègent du terrorisme en créant des
comités de défense), auparavant, elle a participé à
plusieurs activités au sein de l'université. J'ai eu aucun mal
à la faire parler. Elle était plus ou moins cohérente dans
ses propos avec un enchaînement mais elle ne développait pas son
analyse.
C'est un entretien non-directif avec une question de base :
"Être une femme en Algérie". Je l'ai
laissée parler en la relançant brièvement. Je crois que si
elle n'avait pas été demandée en urgence, elle aurait pris
davantage de temps. Tout de suite, on s'aperçoit que c'est une
habituée des entretiens mais elle se perd dans ses explications.
Sa conception par rapport au mariage est que :
- La femme s'unit pour être mieux car, pour sa vie
maritale, elle doit être le complément (de son conjoint)
du fait qu'elle se trouve à deux pour former qu'une unité
(le couple), pour pouvoir faire face à la quotidienneté.
Si la femme ne trouve pas sa complémentarité, il vaut mieux
rester célibataire... Être une femme est un honneur, une lutte,
car elle se trouve dans une société d'hommes faite par des
hommes... Le changement de la situation de la femme se fera par elle-même
et la politique. Pourquoi elle ? Parce que c'est elle qui éduque ses
enfants, garçons et filles doivent être élevés de la
même manière et ne pas faire du favoritisme. Elle ne doit pas
perpétrer le poids de la tradition...
Dès le début, je l'ai senti passionnée,
et ce sujet lui tenait à coeur mais elle n'arrivait pas s'exprimer
correctement, à aller au fond de ses pensées. Le mélange
français-kabyle-arabe aurait été plus favorable. Je ne
voulais surtout pas l'interrompre pour lui dire de finir ses phrases, ses
pensées dans la langue qu'elle voulait : je l'ai laissée
s'exprimer. J'ai respecté la durée programmée pour cet
entretien.
C- ZOHRA, LA RÉVOLTÉE
Zohra, 50 ans, est femme de service à
l'université de Tizi-Ouzou (elle s'occupe de l'entretien des salles et
des bureaux), divorcée avec sept enfants (six filles et un
garçon) dont l'aînée est parvenue à devenir
inspectrice de police et qui a abandonné, depuis peu, sa carrière
parce qu'elle est devenue soeur musulmane (pratiquante extrémiste) et
porte le voile à l'Afghane (corps, mains couverts et visage caché
par un voile grillagé).
Zohra avait arrêté de travailler quand sa fille a
été engagée dans la police mais elle a repris son emploi
car elle s'est révoltée par rapport à sa fille. Pour
prouver son mécontentement, elle a repris sa fonction (fière
d'avoir gagné sa vie sans l'aide de sa famille). Après son
divorce, son mari n'a jamais versé de pension alimentaire. Ses parents
ne pouvaient subvenir aux besoins de ses enfants, elle se "bat
seule avec la vie depuis plus de 24 ans". Elle refuse le foulard islamique
et garde sa tenue traditionnelle (robe kabyle et un fichu sur la tête
qu'elle met dans la rue).
Zohra est Kabyle, musulmane pratiquante, gardienne de ses
valeurs et de ses traditions et refuse cet Islam. Certaines de ses
collègues ont été assassinées ou
égorgées parce qu'elles ont emprunté le chemin de
l'université afin de subvenir aux besoins de leurs enfants. Elle a
élevé ses six filles dans le respect, la dignité et la
tolérance et a fait d'énormes sacrifices pour que celles-ci
puissent accéder à des études poussées, au travail
et avoir des activités extra-scolaires (le sport, la musique).
- Je n'ai pas eu le temps de vivre pour moi. Je
veux que mes filles soient libres et libérées... travailler
à l'extérieur, vivre leur temps, choisir leurs époux. Moi,
le mien, je l'ai connu que le jour du mariage. Il était exigeant, dur,
pas un compliment, voulait beaucoup de garçons : il me rappelait trop
mon père, le même caractère ! Le seul garçon que
j'ai eu, il ne l'a pas connu car au début, il nous a ignorés,
j'avais beaucoup de filles, aujourd'hui, il est décédé. Tu
sais, il s'est remarié deux mois après notre séparation
pour me narguer... Il nous a jetés dehors et après, il nous a
oubliés et mes parents n'ont rien pu faire à cause du
nîf. La famille ne m'a pas fait de cadeaux, tu sais ce qu'est
une divorcée chez nous... Ah ! Hé ! Les hommes ! ...
Mon garçon, je ne l'ai pas gâté, bien
qu'il porte le prénom de son père comme la coutume l'exige. Il
fallait être dure avec lui car la vie qui l'attend ne lui fera pas de
cadeaux, il doit faire face au travail, trouver lui-même une femme,
peut-être un appartement bien que, s'il veuille dans un premier temps, il
peut habiter chez moi mais les filles d'aujourd'hui n'aime pas les
belles-mères, être un homme dehors, surtout dans ce pays... Les
filles, c'est autre chose mais, au fond, quand tu vois bien les choses, toutes
ces générations, qui ont compris mieux la vie que nous, savent ce
qu'elles veulent, cherchent une vie meilleure et surtout moderne. Ce n'est pas
comme nous. Les jeunes de ce pays étudient mais qu'est-ce que
l'État leur offre ? C'est dur pour eux, je les vois à
l'université, parfois quand j'entends ce qu'ils disent : ça fait
peur pour leur avenir. Avec l'arabe à l'école, où
peuvent-ils aller ? Les autres pays évoluent et ils veulent que nos
enfants soient médiocres.
- Ils, c'est qui ?
- Comment qui, tu ne le sais pas, l'État ! La
Houkouma 253(*), c'est l'armée, c'est eux qui dirigent ce
pays et leurs enfants sont à l'étranger, dans les grandes
universités..., étudient dans les langues modernes, pas en arabe
; l'arabe qu'on entend à la télévision, tu crois qu'on le
comprend ? On n'est pas Égyptiens et la Mecque appartient à tous
les musulmans. D'accord, on est musulmans, Kabyles, pas des sauvages et les
Français nous ont laissé l'instruction. Nos enfants, les
nôtres, font leur possible avec ce que leur offre l'État (El
Houkouma)... Pour revenir, les jeunes filles, c'est encore plus dur. Nous,
les vieilles, notre temps est passé, on va vers la mort, c'est ça
notre destin, mais on essaie de les pousser pour avoir une vie mieux que la
nôtre surtout elles, qu'elles font des études. Tu sais, les
études donnent du travail et un avenir pour les filles...
Elle soupire en frottant ses mains et lève les bras
vers le ciel et récite un poème... Zohra est consciente de sa
situation, accorde beaucoup d'importance à l'éducation, à
l'instruction de ses enfants, notamment, celles de ses filles. Marquée
par son divorce : elle en veut aux hommes, à sa famille et à ses
beaux-parents. Elle s'inquiète du devenir de la jeunesse, accuse le
Pouvoir, l'État. Elle définit l'État par le mot "El
Houkouma" qui veut dire ceux qui commandent. La question de la langue est
évoquée. Pour elle l'arabe n'est pas une langue
véhiculaire. Ce n'est pas une langue du savoir. Elle l'utilise pour
réciter ses prières (langue du Coran). Elle revendique son
appartenance à l'Islam mais ne se sent pas Arabe, elle n'appartient pas
au monde arabe. Elle est Kabyle.
Le mot État revient souvent, il est la cause de tous
ses malheurs. J'ai senti qu'elle voulait aborder plus profondément le
thème sur l'État et sa politique mais elle s'est retenue pour
rester dans le sujet que je lui ai présenté. Je ne l'ai pas
interrompue. Ne voyant pas venir mes questions, elle reprend alors sur son
histoire de vie.
- Quand je suis née, ma mère était
malheureuse, elle a beaucoup pleuré, j'étais sa quatrième
fille et mon père lui en voulait d'avoir eu que des filles. À ma
naissance, mon père a décidé de se fâcher, il ne lui
parlait pas et s'est enfermé sur lui-même. Mes grands-parents
paternels préparaient en douce la répudiation de ma mère.
Ils attendaient sa guérison comme si elle était malade ! Ah !
Mon Dieu ! Ma mère n'était pas malade, son tort était
d'avoir des filles. Sur ce point, j'en voulais à mon père. Car
c'est Dieu qui donne les filles.
Grâce aux sages du village, on habitait tous avec
toute la famille de mon père, soit 18 personnes. On habitait au village
à 15 kilomètres de Tizi-Ouzou, ma mère n'a pas
été renvoyée chez ses parents. Onze mois après, il
y a eu la naissance de mon petit frère. C'était le Dieu de la
maison, gâté, tout pour lui. D'autres frères sont
nés et l'écart se creusait entre les filles et les
garçons. J'en voulais à ma mère de faire cette
différence entre les filles et les garçons. Surtout qu'elle a
vécu des choses... Enfin, j'acceptais cette situation. C'est le
mektoub (le destin) et on acceptait notre condition sans parler.
À l'époque, une fille n'était jamais la bienvenue, pas une
fête pour elle si ce n'est qu'au mariage et elle ne sera reconnue dans
son foyer qu'en ayant des mâles qui transmettront le nom... À mon
tour, j'ai connu la même chose.
Zohra m'a beaucoup marquée mais je n'ai exprimé
ni notre approbation, ni mes sentiments. Je suis grêlée par son
discours, son franc parlé, sa détermination ; peut-être
parce que c'est le discours d'une femme en souffrance mélangé de
féminisme. Elle refuse la situation de permanence qui réduit la
femme à être soumise à tout : à la famille, au
conditionnement social. Elle attend le changement dans le "sens
positif" comme elle le dit.
- C'est quoi le changement ?
- Changer les mentalités, pouvoir sortir sans voir
le regard des autres se poser sur vous comme une bête sauvage, pouvoir
recevoir qui l'on veut sans avoir peur des qu'en dira-t-on. Tu sais quand on
est une divorcée, on fait attention aux qu'en dira-t-on. Ah ! Ce sont
d'abord les femmes qui parlent : elles ont du pouvoir, surtout avec leurs
langues. Moi, j'aimerai avoir des femmes dans le pouvoir politique, dans le
pouvoir du travail et de travailler... Peu de femmes sont responsables dans le
travail. Je ne veux pas qu'on enferme les femmes dans un habit, au foyer, pour
prétexte de les mettre à l'abri du regard de l'autre...
Heureusement qu'en ville, les choses sont moins difficiles et puis tu peux
trouver du travail, du moins pour notre génération car les jeunes
d'aujourd'hui n'acceptent pas n'importe quel travail, d'ailleurs, il n'y a pas
de travail malgré qu'ils fassent des études. C'est El
Houkouma qui veut ça. Puis avec le terrorisme, tout a changé.
Je m'inquiète pour les jeunes, un jour, ils feront la guerre à la
Houkouma. Ils ont marre de tout, je parle avec eux à
l'université ou dans le quartier...
Vous voyez ma fille, elle était inspectrice de
police, je me suis sacrifiée pour qu'elle fasse des études et
choisir son métier. Aujourd'hui, c'est une soeur musulmane. Je suis
contre tout cela : sa tenue, "le niqâb". Tu ne crois pas que
Dieu a dit qu'il faut se cacher et porter même des gants pour que les
hommes ne vous voient pas. Le jour où elle a décidé de
s'habiller comme ça, je me suis fâchée et, pendant plus de
6 mois, je ne lui ai pas parlé. Elle a arrêté de travailler
car dans la police, on ne l'accepte pas comme ça et puis elle ne veut
plus voir les hommes, ils représentent le mal, la mauvaise intention.
Depuis, je suis triste.
Avant, elle était ma fierté, pourtant je me
suis sacrifiée pour mes filles. C'est vrai, elle nous a obtenu un grand
logement de l'État. Les hommes la respectaient... Je ne comprends pas
comment une fille qui aime les joies de la vie change comme ça... Moi
qui suis pour la libération de la femme, je veux qu'on change le Code de
la Famille, toutes ces lois contre nous, ma fille fait le contraire... Elle a
rejoint le groupe de femmes islamistes... Elle continue à sortir, je ne
lui pose pas de questions... Je ne peux la renier, c'est ma fille... Pourtant,
les paroles des gens m'arrivent aux oreilles. Je fais la sourde oreille aux
qu'en dira-t-on... Si tu écoutes les gens, tu finiras par te mettre la
corde au cou... J'ai assez souffert comme ça... Et puis, on ne peut
mettre sa fille à la porte...
Tout se mélange aujourd'hui : l'Islam, les lois,
les traditions... Enfin, je sais qu'il faut plusieurs années pour que ce
pays change. Il faut changer les mentalités surtout des hommes. Si
El Houkouma impose des lois en faveur des femmes, eh bien, nous ne
nous soumettrons pas aux hommes. On fera comme en Tunisie et on ne
mélangera pas la religion et les lois. Il faut vivre avec son temps.
Dieu a dit "instruisez-vous et suivez la science"...
Cet entretien a duré une heure. Au fait, elle a
abordé les questions essentielles. Zohra s'est exprimée en kabyle
mélangé de français qu'elle a appris depuis qu'elle
travaille. Elle ne sait pas lire, ses filles, des étudiantes, lui lisent
le courrier ou les papiers qu'elle reçoit. Elle est
révoltée contre sa fille qui a certainement rejoint le G.I.A.
Elle ne le dit pas mais, à travers son récit et ses expressions,
il fallait le comprendre. Elle est pour l'évolution des femmes. La
religion, pour elle, c'est une affaire personnelle. Comme elle le souligne
"Quand on meurt, personne ne rentre avec vous dans le trou, nous donnons
des comptes seuls et seulement à Dieu, notre âme est entre les
mains de Dieu...".
J'entendais beaucoup de bruits de pas et je n'étais pas
très rassurée dans l'enceinte de la faculté de Tizi-Ouzou.
Une manifestation se préparait. Les C.R.S. anti-émeutes
étaient devant les grilles de l'université. Mes entretiens
pouvaient se multiplier et être plus longs mais j'ai
préféré arrêter là. Pour moi, l'essentiel est
d'entendre plusieurs femmes dans la cité du savoir qui se dit en
toujours en mouvement.
Tous les grands changements culturels et politiques sont
nés dans les universités en Algérie. Les premières
manifestations (après l'indépendance) ont éclaté
dans les universités et se sont propagées ensuite dans la rue
(à la faculté centrale d'Alger, de Ben-Aknoun, le mouvement
berbère à la faculté de Tizi-Ouzou). Bien des courants de
pensées, des idéologies ont pris le point de départ dans
les universités, renforcés par l'extérieur, surtout du
monde artistique, littéraire... Qu'en est-il aujourd'hui de
l'université de Tizi-Ouzou qui est perpétuellement en
grève ? Là n'est pas question d'étude.
Un peu déçue, peut-être parce que je
voulais rencontrer d'autres femmes qui ne sont pas venues au rendez-vous, sauf
Madame E. F., professeur. Cependant, pour l'instant, je n'étais pas en
phase de réflexion ou de compréhension mais dans celle de
l'écoute et dans la collecte d'informations qui empêche toute
attitude d'analyse.
D- GHENIMA ET GHENOUNOUCHE, LES DEUX
AMIES
L'entretien s'est déroulé chez Ghenima, une
femme que j'avais rencontrée auparavant chez mes parents. Elle a
refusé l'entretien dans la maison paternelle. Elle a
préféré que cela se passe chez elle autour d'un
café, de gâteaux et de beignets kabyles qu'elle allait
confectionner spécialement pour moi. Elle est connue pour ses dons
culinaires. Je n'ai pas décliné l'invitation pour l'après-
midi de la veille de notre départ.
Je me suis rendue chez Ghenima, de milieu plus ou moins
aisé. Ghenima, 67 ans, est mère de deux filles (une dentiste,
l'autre chercheur à l'institut Pasteur d'Alger) et de six garçons
et grand-mère de quinze petits-enfants. Elle parle français,
kabyle et arabe dialectal algérien et marocain. Elle a poursuivi ses
études jusqu'au certificat de fin d'études en clôturant sa
scolarité par deux années d'école ménagère
au Maroc où son père était instituteur. Ses frères
ont poussé davantage leurs études (un journaliste, un
ingénieur et un haut fonctionnaire).
Elle était heureuse de savoir lire et écrire par
rapport aux femmes de son âge. Elle a toujours été femme au
foyer. Quand elle habitait à Oran (Ouest algérien, à 400
km d'Alger), elle mettait le haïk, allait voir sa famille
rarement : tous les 4 ans ou plus. Elle ne sortait jamais, même pour
faire des courses (les Kabyles ne sortaient pas dans les régions
étrangères à la Kabylie), ne voyait que des membres de la
famille de passage à Oran pour se rendre au Maroc (Le Maroc est à
5 heures de route en voiture). Bien sûr, elle cohabitait avec toute la
belle-famille (plus de 20 personnes).
Son mari lui achetait en cachette des revues féminines
pour avoir des modèles de coutures et de nouvelles recettes. Pour se
consoler, elle se remémorait les années passées au Maroc
quand son père l'emmenait au cinéma, au parc et les années
de sa brève scolarité. Mais, elle s'estimait heureuse par rapport
à ses cousines ou autres femmes durant son adolescence. Pendant ses
temps libres, elle cousait. C'est une très bonne couturière et
jusqu'à présent, elle coud des merveilles à ses filles et
belles-filles (robes de soirées, prêt à porter...). Ghenima
n'a pu sortir et s'habiller librement que lorsque ses enfants sont devenus
grands. Elle s'est coupée les cheveux et n'a ôté son voile
que lorsqu'elle a habité seule avec ses enfants.
Son amie, Ghenounouche, était présente et a
accepté l'entretien. Elle a 65 ans, veuve depuis huit mois, son mari
était menuisier. Elle n'a jamais été à
l'école, elle parle français et kabyle. Depuis peu, elle s'est
mise à apprendre à lire en français en prenant des cours
privés. Elle ne veut pas que sa belle-famille sache qu'elle s'est mise
à l'apprentissage de la lecture (alphabétisation). Elle a
toujours voulu apprendre à lire et a vu la nécessité
depuis le décès de son mari, surtout pour les papiers. Elle le
fait pour ne pas être à la merci des autres, surtout lorsqu'elle
doit régler des situations administratives.
Elle vit seule et "ne veut pas embêter ses
enfants" à qui elle rend visite deux fois l'an. Ses quatre
enfants, tous mariés (deux filles et deux garçons), vivent tous
à l'étranger. Ghenounouche est grand-mère de quatre
petits-enfants. Ses deux filles se sont mariées avec des non-musulmans
(catholiques), l'un est français, l'autre Italien. Elle est fière
d'avoir contribué au bonheur de ses filles.
"Le mariage de mes filles s'est déroulé sans
heurts ni problèmes. Pour narguer ma belle-famille, je leur ai
montré les photos de mariage où mon mari était
présent, heureux, à notre retour de l'étranger"
(...).
Pour elle, "l'émancipation doit dépasser les
frontières et il faut changer la mentalité des jeunes et ces
derniers doivent apprendre à leurs aînés l'évolution
et accepter le changement. Le permanent ne fait que bloquer les choses".
- Vois-tu, j'en veux à mon père de ne
m'avoir pas envoyée à l'école.
- Pourquoi ?
- J'aurai connu mes droits, mais j'ai beaucoup appris avec
mes enfants et j'ai évolué avec eux, bien sûr mon mari a
suivi, il n'avait pas le choix. Comme toutes les Kabyles, j'ai porté la
tenue traditionnelle, mais dès que mes enfants ont grandi, je m'habille
à la française, je sors pour faire les courses... J'ai appris
à me débrouiller seule car je savais que les enfants allaient
vivre leurs vies ailleurs qu'auprès de moi...
Ghenima riposte :
- Je n'ai jamais voulu que mes belles-filles habitent avec
moi malgré l'espace que j'ai dans la villa. Je n'ai pas envie que ma vie
passée se renouvelle. Elles sont libres. Lorsqu'on se retrouve ensemble,
on est heureux, on blague, on discute de tout : politique, sexualité
mais pas devant le papa pour certaines choses. Mes enfants se sont toujours
confiés à moi. À l'époque où je ne sortais
pas, ils me rapportaient les nouvelles de l'extérieur, me lisaient les
journaux...
Elles étaient très détendues. Je suis
restée à leur diapason. L'atmosphère était si
agréable qu'elles ont commencé à raconter des blagues
salées et, par la suite, ont enchaîné plus
sérieusement sur des thèmes tels que la sexualité,
l'homosexualité, la prostitution, les maladies transmises sexuellement.
Elles m'ont avoué qu'elles parlaient de cela sans difficulté avec
leurs enfants depuis qu'ils sont devenus majeurs et matures et qu'elles ont
pris de l'âge. Elles leur ont même donné des conseils pour
leurs premières relations amoureuses et sexuelles.
- Tu sais, dans notre société, une femme ne
peut pas demander à son mari de faire l'amour quand elle a envie ou lui
donner un baiser (dit Ghenounouche).
- L'avez-vous demandé ?
- Oui ! Mais pas étant jeune mariée mais,
après, lorsqu'on a évolué, lorsqu'on a pris de
l'âge, après tant d'années de mariage, on va pas faire les
hypocrites. Tu sais, même les femmes ont des envies. Chez nous, la femme
subit et ne demande rien...
- Pourtant, on dit que la femme perd sa libido
après la ménopause !
- C'est pas qu'on la perd, c'est que nos femmes n'osent
pas demander ou séduire leurs maris d'une manière. Alors, par le
manque, elles transposent dans l'affection de leurs enfants ainsi, elles
deviennent possessives et sont jalouses de leurs brus. C'est çà,
ce n'est pas la perte de la libido mais le manque d'amour de leurs maris, les
voyant se détourner d'elles, vont chercher ailleurs. Elles sont
frustrées. La frustration, c'est le problème de tous les
Algériens, même les jeunes, dans tous les domaines et surtout de
l'amour... (répond Ghenima).
- Tu sais, lorsqu'on s'est mariée, on ne
connaissait pas notre mari, on ne l'a jamais vu, non ! C'était la
découverte, le cadeau-surprise. On était jeune et ignorante, on
acceptait tout ce qu'on nous imposait, heureusement que le mien n'était
pas moche. D'ailleurs, celui de Ghenounouche est aussi beau...
Il faut dire que la nuit de noce, c'est un viol
assisté par la famille ! On vous force... pour montrer la
virilité pour l'homme et, pour la jeune femme, qu'elle a conservé
sa virginité. Aujourd'hui, c'est une question que je ne poserai pas,
à aucun jeune, chacun est libre de disposer de son corps. Je n'assiste
jamais à ce rituel, tu sais celui de montrer le lendemain la chemise de
nuit pleine de sang. Les gens sont bêtes car une fille
déflorée pour ne pas dire violée n'a pas
systématiquement du sang, mais vas-y faire comprendre cela aux autres...
La virilité ce n'est pas ça, le sérieux d'une femme ne
passe pas par un hymen intact...
Dans le temps, les hommes et les femmes pensaient que plus
tu fais des enfants, plus tu avais de la considération. Or, les couples
s'ignorent dans la journée. C'est-à-dire que, durant la
journée, le mari n'adresse même pas la parole à sa femme,
il la considère comme une étrangère, il s'adresse à
sa mère ou à ses soeurs. S'il veut quelque chose, il s'adressera
à sa mère ou à sa soeur. Quant aux enfants, ils ne les
prendront pas dans leurs bras, ni les embrasseront devant leurs parents,
à part de temps en temps si c'est un garçon. L'homme ne montrera
jamais ses sentiments envers sa femme devant la famille, alors les bisous... Ha
! Ha ! (Elles rient aux éclats...).
J'étais heureuse de me retrouver avec ces femmes car
nous avons passé un agréable après-midi et, en plus, je
suis revenue avec du matériau. Bien sûr, elles m'ont
demandé d'effacer certains passages. Mon magnétophone est
resté allumé tout le long de nos conversations. J'ai
enregistré trois cassettes de 90 minutes et, avec elles, j'ai
abordé tous les sujets de mon étude.
Ghenima et Ghenounouche sont des femmes qui évoluent
avec leur temps et l'évolution de leurs enfants et de leurs
petits-enfants. Elles avouent que si elles devaient faire un retour dans le
temps avec la mentalité qu'elles ont aujourd'hui, elles n'auraient pas
accepté la situation où elles étaient. Elles remettent
cela sur le compte de l'ignorance, de la timidité, de la tradition et du
manque d'informations. Elles auraient souhaité qu'il y ait des femmes
comme Khalida Messaoudi (actuelle ministre de la communication et a repris son
nom de jeune fille : Khalida Toumi) ou d'autres militantes. Depuis la
création du multipartisme, elles votent, se rendent dans le meeting des
démocrates. Pour elles, seuls les démocrates sortiront de
l'impasse l'Algérie. Je pense que ces femmes sont "les femmes en
marche"et elles m'ont beaucoup appris.
J'ai revu Ghenounouche une année après, elle
revenait du Sénégal où elle avait rejoint sa fille qui
était en vacances avec son mari. Elle voyage régulièrement
grâce à ses enfants. Ghenounouche était épanouie,
elle allait seule pour régler ses papiers puisqu'elle sait lire
maintenant.
- Tu sais, je suis contente de ce que j'ai fait
après la mort de mon mari. Je ne suis plus tributaire des autres, au
début, c'était difficile, j'avais de la volonté. Je
voulais même passer mon permis de conduire, mes enfants m'ont
dissuadée car ils avaient peur pour moi, je ne vois pas très
bien. Peut-être qu'ils ne voulaient pas des cancans, alors j'ai vendu la
voiture de mon mari, avec cet argent, j'ai retapé notre maison à
Beni-Yenni... (maison au village) pour que mes petits-enfants puissent
venir profiter du grand air de la montagne kabyle, pendant les vacances. Yanis,
mon petit-fils voyage seul. Il préfère la Kabylie que le centre
de loisirs de Paris (XVII). Ils ont décidé
d'apprendre le kabyle. Est-ce que c'est à cause des informations qu'ils
entendent ou c'est leurs parents qui leur parlent de leur identité
cachée, je crois qu'il m'a dit qu'à l'école, ils
étudient des "langues minoritaires". Tu sais comme je te l'ai
déjà dit : avec les enfants, on apprend toujours. Avant,
c'était mes enfants qui m'apprenaient des choses, aujourd'hui, ce sont
mes petits-enfants. L'éducation ne se termine jamais, même
lorsqu'on est vieux. Maintenant, je leur lis même des histoires, on
s'échange des informations. Mes petits-enfants sont heureux que je sache
lire, ils me montrent leurs livres, des choses sur l'ordinateur. Non, je ne
vais pas me mettre à l'informatique...
Tu sais, je suis grand-mère de nouveau, ma fille,
l'Italienne, a eu un petit garçon, Lorenzo. J'aurai voulu qu'elle ait
une petite fille... Tu sais, les mamies italiennes sont comme chez nous, elles
aiment les garçons, l'essentiel c'est qu'elle soit heureuse, d'ailleurs,
je dois repartir à Noël à Milan voir mon petit-fils,
ensuite on ira tous en Guadeloupe, pour une semaine...
- Ghenounouche, tu es vraiment coquette !
- Ah ! Merci, c'est gentil, vois-tu, ce n'est pas parce
que je suis veuve que je vais me laisser aller. Comme je te l'ai
déjà dit, je veux profiter de la vie, je me maquille, je
m'habille et quand il y a des occasions, je vais à des spectacles... Tu
sais, on ne fera pas revivre les morts, je ne vais pas pleurer sur mon sort.
La vie est tellement dure et avant, on a tellement manqué de choses
qu'il faut rattraper le temps... Mes enfants approuvent ce que je fais, c'est
l'essentiel...
E- CHABHA, LA JOURNALISTE
Chabha, 45 ans, journaliste, elle est célibataire, de
parents immigrés, ayant fait ses études à Paris. Elle vit
seule.
Cet entretien s'est réalisé lors d'un autre
séjour en Algérie. Il s'est déroulé chez les
parents de Chabha dans leur nouvelle maison, à la sortie de Tizi-ouzou.
Elle se sent plus à l'aise dans la maison paternelle, notamment dans la
cuisine car, au salon, des invités ou autres personnes pouvaient nous
interrompre. Ses parents reçoivent beaucoup de monde. Elle ne pouvait
nous donner rendez-vous dans un café, cela ne se fait pas, surtout dans
une petite ville. Je respecte la décision et l'environnement social des
interviewées...
J'étais à l'aise et surtout confiante parce que
j'ai appris que Chabha était journaliste. Par contre, je ne savais rien
d'elle, ni pour quel journal elle travaille, ni quelles sont les rubriques
qu'elle traite. Je sais seulement qu'elle a un appartement à Alger
où elle vit seule, elle fait la navette entre Alger et Tizi-Ouzou, le
week-end, lorsqu'elle est de repos. Sa famille reste discrète dans ce
domaine. Les personnes qui la connaissent la trouvent très
effacée, très observatrice et surtout très attentive. Elle
parle peu de son travail lorsqu'elle vient chez ses parents, elle est
très respectueuse envers les autres et ne sort pas beaucoup à
Tizi-Ouzou, hormis dans le cadre de son travail...
L'entretien est non-directif, relancé par quelques
questions.
- Chabha, pouvez-vous me parler de la femme algérienne,
de son statut, de sa place ?
- La femme algérienne, c'est une vaste question !
Hé !
Chabha sourit avec un air évasif qui en dit long sur
notre questionnement et demande une longue réflexion. Sur-le-champ, je
me suis dis que c'est, peut-être, un sujet qu'elle a dû traiter
dans son parcours professionnel mais avec plus de précision ?
Peut-être qu'elle essaie de trouver une méthodologie ou des
sous-thèmes ? Une multitude d'idées me sont passées par la
tête car je n'ai pas été assez explicite.
Après quelques minutes de réflexion, voyant que
Chabha ne répondait pas à ma question, j'ai repris en reformulant
autrement. Il faut avouer que, face à la journaliste, je ne savais pas
comment m'y prendre. Je ne voulais ni la guider ni trop parler. En fait,
j'attendais beaucoup de cet entretien car Chabha vit en Algérie dont
elle connaît plusieurs périodes. Chabha a demandé que je la
tutoies afin de me mettre à l'aise, elle a compris que j'attendais
beaucoup d'elle.
- La première problématique donc se pose par
rapport au Code de la Famille. Ensuite, quel est le statut de la femme
algérienne ? Est-ce que la femme algérienne évolue ou
régresse par rapport à l'Islam, dans la sphère
privée (ou dans l'espace domestique) et publique ? Comment est-on une
femme en Algérie ? Comment évolue-t-elle dans la
société ? Comment peut-elle construire la société ?
Je ne sais pas comment tu procèdes. Mais, si on parle d'un parcours
personnel, je ne peux parler des autres d'un point de vue
méthodologique.
- Je voudrais avoir ton avis.
- Si c'est mon itinéraire personnel, il me semble
à la fois significatif d'un parcours très individuel et
représentatif des grandes problématiques du fait que je suis
journaliste. J'ai de la chance d'avoir accès à la sphère
publique dans ma vie personnelle. Je ne pense pas avoir des conflits par
rapport à ces hommes-là. Je le ressens comme tel, je me sens une
femme libre en phase avec tous les questionnements de mon époque. Je
m'explique : c'est-à-dire que je suis rentrée dans la presse il y
a vingt ans, donc c'est vrai qu'on n'était pas beaucoup de femmes dans
ce parcours-là ; ça me semble intéressant d'en parler. On
était deux ou trois journalistes femmes dans les années 70 dans
un quotidien national où quand même l'accès à des
fonctions de responsabilité était comme très
sévère, très sélectif, etc. J'ai exercé un
métier pas féminin du tout, pas comme l'enseignement ou certaines
professions considérées comme plus accessibles aux femmes. Le
journalisme n'était pas accessible aux femmes de ma
génération. Globalement, on était, entre les années
70 et 80, deux femmes. Grosso modo, deux femmes dont l'une sortie des
sciences politiques et moi de l'université. Je n'ai jamais
rencontré de difficultés liées à ma condition
féminine dans l'exercice de ma profession.
- Tu n'as jamais eu de problèmes avec tes
collègues hommes ?
- Non ! Alors, il y a deux niveaux de problèmes,
c'est-à-dire à la fois en tant que journaliste,
c'est-à-dire en reportages, en enquêtes sur le terrain dans la
société algérienne, je n'ai jamais été prise
à partie ou refusée ou récusée en tant que femme
parce que j'ai eu des souvenirs extraordinaires de mes déplacements sur
le terrain, dans l'intérieur du pays, donc en dehors d'Alger, de la
capitale. J'ai pu voyager, me déplacer. J'ai circulé en bus, en
avion, j'ai dormi dans des endroits reculés (rire), donc fais des
choses, je veux dire du même ordre que mes collègues masculins
sans jamais que ça me pose problème au niveau contact avec les
populations, y compris les villages les plus reculés. Je tiens à
le dire car c'est très important pour moi dans mon expérience. Je
n'ai jamais été abordée ; pour eux, j'étais
journaliste, donc le contact était a priori très simple,
très facile, très spontané ; ça dépend du
rapport personnel qu'on établit avec les gens.
Donc, autant de ce point de vue-là, je
considère que c'est une expérience extraordinaire qui m'a
beaucoup apporté autant dans ma vie que dans la structure, j'allais dire
strictement professionnelle et hiérarchique. C'est évident que,
pour les gens de ma génération dans la quarantaine, les femmes
n'avaient pas accès aux postes de responsabilité politiques,
c'est-à-dire je ne peux pas être rédactrice en chef. J'ai
été rédactrice en chef mais adjointe, disons à
partir des années 91 et 92, c'est-à-dire à un moment
historique très précis. Donc, j'ai pu accéder à un
poste de responsabilité officiel parce que j'ai exercé, donc
assumé, des postes de responsabilité, des postes d'encadrement,
donc chef de service etc.
Mais, c'est à la reconnaissance de mon statut,
l'accès à des postes d'encadrement et surtout en rubrique
politique parce qu'il y a les rubriques féminines. Donc, les
journalistes femmes qui ont été recrutées une dizaine
d'années après moi étaient orientées d'office vers
la rubrique dite féminine, c'est-à-dire la rubrique
"société". Mais, les rubriques politiques : politique
étrangère, politique nationale, il n'y avait pratiquement pas de
femmes dans les rubriques reportages politiques, de guerre, etc. L'accès
était très difficile, ça j'en ai souffert : autant je n'ai
pas souffert de mon statut de femme dans la pratique de mon métier, je
veux dire dans des déplacements, dans des reportages, le fait que je
sois femme ne m'a pas empêchée d'exercer mon métier de
journaliste au même titre qu'un homme.
Maintenant, à l'intérieur d'une entreprise,
c'est évident que c'était verrouillé parce que
j'étais femme et que bon, on ne confiait pas des responsabilités
aux femmes dans les rubriques dites nobles, notamment les rubriques politiques
et les rubriques de grands reportages, bien qu'on fasse exactement le
même boulot. Enfin bon, ça aussi, moi j'en ai beaucoup souffert ;
ça s'est débloqué au début des années 90.
Moi, je pense que ça correspond, il y a conjonction de plusieurs
facteurs politiques, économiques et sociologiques, donc à trois
niveaux parce que j'ai pu, en 1992, accéder au statut de
rédactrice en chef, pas évident à gérer notamment
avec les hommes parce que, sur 150 éléments masculins, il y avait
une dizaine de femmes au maximum dans les débuts des années 90,
donc ça ne s'est pas toujours très bien passé et ensuite,
il y a eu une évolution. Moi, j'ai pu constater, ce qui est
intéressant, c'est qu'au début des années 90, il y a eu un
bouleversement très frappant, c'est-à-dire qu'il y a eu une
entrée massive des femmes dans ce secteur-là. Moi, je suis
très frappée par ça. Donc, je vois aujourd'hui qu'il y a
une féminisation d'un secteur qui était très
masculin.
- Tu l'expliques par quoi ?
- Je me l'explique parce que c'est une donnée
mondiale. C'est à la fois une particularité de l'Algérie
et ce n'est pas particularisme d'Algérie. C'est un peu ce qui s'est
passé dans les pays européens. Quand on voit, par exemple, dans
la guerre du Golf, de plus en plus de femmes envoyées spéciales
sur le terrain, des tâches que refusaient les hommes donc, ça a
permis aux femmes aussi d'accéder à des postes qui étaient
strictement réservés aux hommes. Et je ne pense pas que la
scolarité joue sur la réussite des femmes.
- Ou alors par courage ?
- Non, pas dans ce secteur-là parce que je veux
dire le taux de scolarisation est exactement identique pour les gens de ma
génération. À mon époque, on recrutait très
peu les femmes parce qu'on disait qu'elles n'acceptaient le travail de nuit,
les missions, les reportages, donc ça suppose un absentéisme
familial, etc. Il y a donc une pression familiale par rapport à ce type
de métier. Ce qui n'est pas le cas pour l'enseignement, par exemple, je
veux dire des professions accessibles aux femmes.
- Les horaires ?
- Le fait de partir en mission, c'était
inconcevable pour certaines femmes. Moi, j'ai le souvenir d'une femme
journaliste, ça m'a beaucoup marquée, qui donc avait fait
l'école de journalisme (ce n'est pas mon cas), donc
prédestinée à entrer dans le journalisme. Elle a fait son
stage, elle devait être recrutée dans un journal et elle ne l'a
pas fait parce qu'il y avait une pression familiale type : "il n'est pas
question d'abord, c'est un milieu exclusivement masculin, quoi d'autres, une
femme journaliste au milieu de 150 bonhommes... ; ça
donc... ". La famille ne concevait pas la chose et elle a
cédé à la pression familiale, la pression notamment
conjugale, c'est-à-dire le mari n'acceptait pas qu'elle ait des contacts
avec les hommes et notamment des déplacements. Et alors, ça se
traduisait au niveau de l'entreprise dans laquelle je travaillais, pour ma
part, j'allais dire par des consignes de recrutements, c'est-à-dire que
la direction hésitait à recruter des femmes en disant :
1- Les femmes n'acceptaient pas le travail posté de
nuit.
2- Elles ont des gosses donc elles sont amenées
à s'absenter.
3- On ne peut pas leurs confier des tâches que les
hommes acceptent plus facilement.
- Le statut de célibataire a joué un grand
rôle dans la confiance que te réservent tes collègues
hommes ?
- Je dis non et c'est à double tranchant parce que
c'est plutôt dans la relation qu'on a avec soi-même, avec le
travail. C'est-à-dire que moi, j'ai plus misé enfin sur ma
carrière que la construction d'une vie familiale ou de la construction
d'un foyer... Mais, c'est évident que, dans mon milieu professionnel,
rares étaient les mariages de journalistes, c'est quasiment
irrésistible, donc, je veux dire moi, j'avais un milieu très
traditionnel dans le milieu masculin. Dans quel sens ? Je m'explique : ce sont
des gens qui peuvent partir en missions, rentrer très tard le soir et
très absents sur le plan familial, mais avec des épouses soit
cloîtrées (épouses choisies par la famille) ou des cas
grotesques, des cas de double vie, c'est-à-dire des gens... Bref !
Puis, les autres situations plus répandues,
c'est-à-dire que les journalistes chefs de famille avec des femmes qui
ont une activité professionnelle mais classique de type enseignantes qui
assurent, en fait, le gros des responsabilités familiales. C'est un
milieu, par exemple, où les hommes boivent beaucoup, entrent très
tard le soir, ça c'est connu. Ou la vie au bas de la socialisation est
très très importante. Il y a parfois des mariages, je dirai,
modernes, non décidés par la famille. Mais en gros, c'est la
femme qui assumait le gros des responsabilités : suivi des enfants... Et
l'homme peut se permettre de rentrer à quatre heures du matin, d'aller
tuer sa crise avec un rédacteur en chef ou avec les gens de l'imprimerie
car c'est une corporation qui a ses habitudes un peu comme les médecins.
Je trouve que c'est intéressant car dans ce secteur, il y a une
entrée massive des femmes à partir des années 90.
Même en ce moment, on assiste à une féminisation de ce
secteur.
- Le Code de la Famille, justement vu par les journalistes,
est-ce qu'on en parle ?
- Si on en parle puisqu'ils écrivent dessus ou qui
sont suivis par des journalistes. Maintenant, entre suivre des dossiers, aller
suivre des débats en tant que journaliste, écrire
là-dessus dans son propre vécu : il y a toujours des
démonstrations dichotomiques. Ce n'est pas parce qu'on se retient ou on
est contre grosso modo. Ce sont des milieux libéraux dans le
secteur où je bosse. Ce n'est pas les journaux où les gens sont
a priori anti - Code de la Famille, sont éditoriaux virulents,
donc les hommes et pas les femmes qui écrivent sur ça, ce sont
les hommes, ce sont des éditoriaux politiques mais ça ne les
empêche pas de pratiquer à nouveau ce Code de la Famille, on n'est
pas à une contradiction près.
- Et la place de l'Islam par rapport à la vie des
femmes ?
- Moi, je n'ai pas de problème avec l'Islam. C'est
les hommes qui interprètent les textes et les écrits. Selon les
familles, on applique ce qui arrange le plus. Je pense que c'est tout. Les
Kabyles sont plus conditionnés par leurs us, leurs coutumes, leurs
traditions et leurs croyances que par l'Islam. Moi, je suis issue d'une famille
où on ne m'a pas conditionnée par rapport à une pratique
religieuse. Je pense que beaucoup de Kabyles ne connaissent pas le Coran en
dehors des grands principes (la prière, le ramadan, le
pèlerinage, la charité...), notamment chez les
femmes illettrées, les générations avant nous. Autrefois,
les femmes ne fréquentaient pas les mosquées et, en Kabylie, les
écoles coraniques n'étaient pas nombreuses (sauf dans les
zaouias, chez les marabouts), comment veux-tu que les femmes puissent
connaître les textes sacrés ? Comme je l'ai
déjà dit, le Kabyle est musulman à sa manière, le
seul reproche à faire sur leurs pratiques : c'est l'héritage
appliqué aux femmes.
Un autre point que je voulais rajouter à propos de
la revendication de la langue amazigh, tout à fait légitime.
L'État a falsifié l'histoire algérienne, on impose
à nos mères une langue qui n'est pas la leur, c'est trompeur car,
en Kabylie, pratiquement tout le monde parle le kabyle et peu l'arabe
dialectale algérien : arrêtons de nous moquer du monde et
répondons aux revendications des Kabyles. Si la Kabylie se
soulève, les autres vont suivre. Il y a matière sur le plan des
réformes et de la législation comme le Code de la Famille, le
chômage, l'école... pour le gouvernement.
Pause café, sa maman (Ouerdia) rentre dans la cuisine
et propose de répondre également à mes questions. J'ai
accepté sa proposition mais après sa fille. Je rappelle que
l'entretien se déroule chez Ouerdia (les parents de Chabha) à 3
km de Tizi-Ouzou dans une maison superbe, surtout moderne. Leur ancienne maison
(traditionnelle) est en ruine, située au village (à 10 km de
Tizi-Ouzou).
- C'est comme une liberté déjà. La
seconde liberté est personnelle et elle est critique. Moi, ce que je
peux en dire... parce qu'il ne faut pas mélanger un bon sens. Le Code
de la Famille et l'Islam : ce que je vais dire risque d'outrager beaucoup de
gens.
- Vas-y !
- Je suis très provocatrice, c'est-à-dire
que le Code de la Famille, à mon sens, dans le contexte parce que j'ai
suivi des débats depuis le début des années 80 de cette
question. J'ai eu la chance d'être dans un journal qui, en 1982, il faut
lui rendre justice au directeur qui, aujourd'hui, a eu le courage politique
d'ouvrir, dans l'une des colonnes du journal El Moudjahid à
l'époque, un débat de société sur le Code de la
Famille, sur les réalités politiques du gouvernement qui en avait
sur ce dossier. J'ai vécu le débat de 1982 au moment où on
en avait discuté. J'ai une seconde mouture de l'actuel code de
l'information qui a été votée comme après la
première mouture... eh !
Je pense que c'est l'aboutissement d'un rapport de force
politique parce que c'est vrai qu'il y avait un espace de vide juridique au
niveau des droits de la famille en Algérie, comment dire, entre les
droits coutumiers, donc on a pondu un texte, une sorte de compromis
révélateur des rapports de forces politiques dans les
périodes : début des années 80, ensuite les années
90 où il était adopté par l'Assemblée Nationale, eh
! C'est une sorte de compromis pas favorable aux femmes, je veux dire des
courants des conservateurs, je veux dire donc un code de l'attente de certains
courants féministes ou d'une partie de fraction sociologique, quoi...
d'une personne de la société algérienne parce qu'il y a,
à la fois, à mon sens, cette énorme masse de femmes
algériennes, comment dire qui n'ont même pas une seule
information, de toute façon qui n'ont déjà même pas
accès aux droits. En termes de recours donc, ça peut être
pour certaines catégories sociologiques, c'est comment dire, à un
moment la possibilité d'avoir de ce fait recours à un texte de
lois qui n'existe pas parce que le gîte, c'est toujours dangereux.
Maintenant, il est représentatif des rapports de forces politiques
à la fois dans la société, des rapports de forces contre
la société dont je fais partie à réclamer
légitimement. C'est ça la désolation.
Mais d'autres courants de la société ne
posent pas de problèmes comme moi je pourrais les poser. J'ai un truc
tout simple, si on discute du Code de la Famille. Moi, je suis très
heurtée par deux questions fondamentales dans le Code de la Famille
deux, trois points : d'abord, la question de l'héritage, de la
succession, de la tutelle des enfants et l'autorisation de travail. Ça
me semble aberrant qu'une femme, imagine : moi je travaille, j'ai une totale
autonomie par rapport à mon milieu familial et puis, du jour au
lendemain, je veux me marier, il me faut l'autorisation de mon père
alors que je suis majeure et vaccinée. Il me faut un tuteur : ça
me semble complètement aberrant. Donc, à leur issu, si ça
se négocie bien dans la sphère privée, c'est-à-dire
qu'il y a une bonne entente entre la fille et le père ou la fille et ses
oncles ou disons que ça peut se régler, ça peut se
négocier de marier juste pour la femme. Mais il suffit qu'il y ait un
conflit dans la sphère privée et là, le recours à
l'État qui est censé arbitrer de manière équitable
et juste des conflits entre les individus. Il n'est pas évident parce
que ça ne cadre pas du tout avec le vécu.
De mon expérience, moi je ne dois pas d'être
ou vivre loin de ma famille, être indépendante et puis, du jour au
lendemain, je demande l'autorisation à mon père pour me marier,
ça déjà c'est une aberration mais c'est vrai qu'il faut
être honnête intellectuellement et reconnaître que ça
se pose que pour une minorité de gens parce qu'il y a des couches
sociales où le problème n'est pas posé comme ça.
C'est-à-dire que c'est acquis que naturellement, on trouve naturel. On
ne peut pas se marier en dehors du consentement parental, mais le
problème se pose quand il y a conflit dans la sphère
privée. Comme un état arbitre de conflits privés, alors
ça donne des situations complètement...
Moi, je me rappelle une situation accablante où
l'État était très en avant sur la scolarisation des
filles. Les familles faisaient de la résistance et on n'envoyait pas sa
fille à l'école. Or, l'école est obligatoire, alors les
parents, à juste titre, philosophique, s'y plient à la tradition.
Mais quelle tradition ? ... Moi, je ne suis pas d'accord avec ça. Ils
peuvent dire oui, mais c'est une mission de l'État dans la sphère
privée parce qu'il touche au droit de père sur un enfant mineur,
de décider du sort d'une vie d'un point de vu philosophique dans
l'absolu, dans la réalité du code de la fillette. Mais dans
l'absolu, c'est vrai que ça pose un problème. Oui, cet
État qui s'immisce dans la vie privée, il n'a pas à
arbitrer un conflit privé. Le père et la mère sont
responsables de leur enfant quand il est mineur et l'État est en avance
par rapport à la société sur la question de la
scolarisation des fillettes, sur les questions comme le mariage, la succession
; on voit qu'il y a des déphasages mais réels de plus en plus
forts par rapport au bouleversement aujourd'hui de la société
algérienne. Ça, ça ne cadre pas parce qu'on est
passé de la famille au cercle de la famille ; enfin, de la
communauté à l'individu. En gros, c'est une résolution
dans notre société donc la famille élargira la famille
mononucléaire.
Donc, pour un couple, imaginons du jour au lendemain,
comment dire, la succession, elle va au hasard et l'épouse
là-dedans, elle n'a le droit à rien. Après avoir, je veux
dire, mener une vie de couple à deux ou à gérer ses biens
et un capital de travail de manière, j'allais dire, consensuelle au
niveau du couple. Mais le Code de la Famille dit qu'il y a un tiers de la
succession et puis, la fille n'a pas droit à la même part d'un
garçon. Pour moi, ça pose un sacré problème et
même qui peut aboutir à des drames dans les familles. Il existe
même des situations confuses, potentiellement conflictuelles par ce qui
était valable il y a des siècles me semble complètement
ahurissant, ce qui a été une évolution à un moment
dur dans l'histoire du monde musulman. Il y a donc des régions comme la
Kabylie où on a fait un droit coutumier, sinon pragmatique.
On va se dire d'un point de vue strictement pratique, le
fait qu'un Code de la Famille, ce soit quand même une protection pour les
femmes, victimes du droit coutumier qu'en deçà du droit musulman.
Y compris des cas courants du droit musulman : Malikite, Hanafite, etc. Mais
c'est pareil, il y a toujours les micro-situations dans la
société kabyle. Les femmes n'hésitent plus du tout : le
droit musulman. Les quatre courants du droit musulman sont une protection dans
ces cas-là, mais ils ne sont pas non plus une protection dans la mesure
où, aujourd'hui, il n'est pas en phase ou la jurisprudence n'est pas en
phase avec les évolutions sociologiques. Donc maintenant, c'est pour
cela que je dis c'est pour avoir un débat sur là-dessus. Il faut
carrément être très conscient que c'est carrément
l'aboutissement d'un rapport de forces politiques en deçà parfois
des transformations des sociétés algériennes.
- Y a-t-il transformation de la société
algérienne ?
- Oui forcément, d'un point de vue strictement
économique, l'emploi féminin, la scolarisation,
l'évolution etc. Elle est flagrante parce que ce que j'ai vu moi dans la
sphère strictement journalistique, cette entrée massive des
femmes y compris l'accès même très limité des postes
de responsabilité, c'est carrément une donnée des
années 90. La scolarisation, c'est comme un facteur important. Moi, je
vois à mon échelle ce qui était inconcevable pour ma
génération, en Kabylie, c'est carrément largement admis
aujourd'hui du fait que, sur un échantillon de la population dans un
village, par exemple le mien : toutes mes cousines, en gros, nièces, Na
! Na ! Na ! Et bien, elles vont à l'école. Elles peuvent faire
des études supérieures mais sans s'éloigner du milieu
familial, ce qui était totalement inadmissible pour les filles de ma
génération. Moi, autant je suis une exception qui confirme la
règle, autant ce n'est pas du tout le cas quinze ans après.
Là, je crois qu'il y a alors des contraintes
économiques qui font que les familles comprennent de plus en plus la
nécessité de se protéger en permettant à la fille,
à leur fille, d'acquérir un bagage intellectuel et donc de les
doter d'un plus parce que le capital alliance matrimoniale... il subit aussi.
Autrefois, la fille était mariée à l'un de ses cousins,
enfin elle a des alliances liées à bien des vies, etc. Des
alliances matrimoniales qui sont le capital de la famille. Aujourd'hui,
ça ne fonctionne plus donc les critères : beauté, capital
financier. Maintenant, c'est le capital étude. C'est d'ailleurs l'une
des observations que j'ai faites. Mais, ce qui est facile de constater ou
d'observer : c'est qu'en l'espace de quinze ans, les mêmes familles qui
jugent comme une apostasie (rire) je veux dire pour des femmes comme
moi, de faire des études alors qu'aujourd'hui, au contraire, on voit que
ces familles soutiennent les études de leur fille.
- Y a-t-il évolution ou régression ? La
politique et les femmes ?
- Moi, je ne crois pas à des évolutions
comme ça. Je pense qu'il y a toujours à séparer l'instance
politique de l'instance sociologique parce qu'il y a les pesanteurs
sociologiques. On peut aussi voter des lois révolutionnaires qui ne
seront pas forcément mises en pratique dans la société.
L'avantage est de voter des lois plus positives concernant les droits des
femmes. C'est-à-dire que les femmes ont le droit à ces recours au
niveau juridique. Mais, ça ne veut pas dire que dans la
société se résoudra le problème de la femme... Je
crois que je vais m'arrêter là, sinon, il nous faudrait plus de
temps, plus de cassettes. Si tu reviens une autre fois, je te consacrerai plus
de temps. Maintenant, je laisse place à ma chère mère,
elle a beaucoup de choses à te dire. Elle relativise et positive les
choses.
F- OUERDIA, LA MAMAN DE CHABHA
Ouerdia, 64 ans, à la retraite, est mère de 4
filles et un garçon (Chabha est l'aînée). Elle n'a jamais
fréquenté l'école mais a appris à lire et à
écrire aux cours du soir en France, elle vit actuellement en Kabylie
(depuis sa retraite). Son mari s'était installé en France en
1950. Après plusieurs réunions familiales, elle l'a rejoint avec
ses 3 filles (les deux autres enfants sont nés en France).
J'ai rencontré Ouerdia lors d'un enterrement où
je représentais ma mère malade. Même si on ne connaît
pas la famille du défunt, il faut s'y rendre pour que les autres vous
voient... C'est un devoir ou une coutume (ou une habitude) de l'organisation
villageoise ? Lors de ces regroupements (enterrements, mariages...), les femmes
sont séparées des hommes. Le mort est allongé à
même le sol, au milieu des femmes qui le pleurent et le veillent. Ces
cérémonies sont des lieux de rencontres où les femmes
discutent, arrangent des mariages, échangent des nouvelles, se
plaignent... : elles n'attendent que ces moments même s'il faut pleurer
à chaudes larmes. Tous les événements (heureux ou
malheureux) sont attendus pour se montrer, pour voir les autres, discuter, pour
médire et critiquer.
Ce n'est pas par compassion que j'ai accepté de
représenter ma mère mais par nostalgie, égoïsme, par
le désir de rencontrer des personnes ? Je ne connaissais pas le
défunt, ni sa famille, juste de nom. J'ai été assaillie de
questions. J'ai parlé de mon sujet... Ouerdia m'a invitée chez
elle afin de réaliser mes entretiens avec sa fille. Elle connaissait ma
famille. Elle m'a bien reçue comme si j'étais une copine de ses
filles ou par hospitalité ? Or, Chabha, je ne l'avais jamais
rencontrée (pas avant mon entretien)...
L'entretien se passe toujours dans la cuisine pour être
plus tranquille. Avant de nous asseoir, je lui fais des compliments sur sa
maison (pour nos mères, c'est le signe de réussite, de
modernité...) et je rappelle le sujet.
- Oui, tu m'en as déjà parlé et j'ai
proposé à ma fille aînée de répondre à
tes questions ensuite, je me suis dit pourquoi pas moi pour faire la
comparaison. La comparaison avec les jeunes filles kabyles. C'est bien de faire
parler des vieilles comme moi. Je suis surtout contente que tu parles de la
femme kabyle. Tu peux me tutoyer. Alors, je te parle de ma vie, des femmes
kabyles. Tu vois cette maison : c'est plusieurs années de sacrifices.
Avant, on habitait au village, dans une maison de l'ancien temps,
c'est-à-dire une grande pièce qui nous servait de tout, en haut
on posait nos provisions, en bas (adaynin), il y avait les animaux
comme la chèvre qui nous donne du lait pour nous faire vivre. Il y avait
deux moutons qu'on engraissait pour les sacrifier une fois l'an. Ce n'est pas
la vie moderne. Un coin cuisine avec un kanoun pour cuire les aliments
ou la galette, de l'autre côté, il y avait le métier
à tisser car il fallait savoir très jeune faire des burnous et
des couvertures.
L'hiver est rude en Kabylie et la femme devait penser
à tout : cueillir ses olives pour l'huile, le jardin pour avoir des
légumes et faire sécher des choses pour les provisions d'hiver.
La femme kabyle a toujours travaillé à l'extérieur comme
dans les champs, penser à l'hiver, faire les courses, penser à
se réchauffer en cherchant du bois, aller chercher de l'eau à la
fontaine car on n'avait pas d'eau courante à la maison, sortir les
animaux et les entretenir et surtout s'occuper des enfants et des
vieux.
- Des vieux ?
- Oui ! Les vieux, les beaux-parents. Quand tu te maries,
tu quittes tes parents, ta famille, pour t'occuper de ta nouvelle famille. On
ne fait pas de calcul. Il faut dire qu'on se marie très jeune, à
13 ou 15 ans sans le déclarer aux Français, c'est-à-dire
à la mairie. Tout ça, c'est l'ancien temps. Maintenant, je vais
te parler de moi et, en même temps, de la situation de la femme kabyle
comme je la vois moi... Je parle le français comme les immigrés,
du français kabylisé et arabisé...
Ouerdia éclate de rire. Elle se moque d'elle-même
mais dit qu'elle est une femme moderne qui a évolué avec son
temps et surtout avec ses enfants. Elle a les cheveux coupés, s'habille
à la Française, les traits marqués par la souffrance. Elle
déforme un peu le français, avec un accent d'immigré. Je
lui ai suggéré de choisir son style, je n'impose rien : juste
l'écouter et l'enregistrer.
- Donc, je me suis mariée très jeune
à 16 ans et j'ai eu deux fausses couches tardivement (7mois) avant
Chabha, c'était des garçons. Si j'ai perdu ces
bébés c'est à cause de malnutrition et des tâches
difficiles (c'était pendant la guerre). Je devais me lever de bonne
heure, pétrir 7 à 10 galettes, donner à manger aux animaux
domestiques, faire à manger, cuire les galettes, nettoyer, aller
chercher de l'eau à la fontaine... On était nombreux chez ma
belle-famille (beaux-parents, belles-soeurs, oncles de mon mari, neveux...), au
moins 20 personnes. Il y avait une grande pièce où les femmes se
partageaient les tâches et une chambre personnelle pour chaque famille.
Les grands enfants ne dorment plus avec les parents : ils dorment chez la
vieille, oui avec la belle-mère. C'est elle qui dirige tout sans toucher
à rien : elle était le chef, elle remplaçait mon
beau-père en son absence. Et puis, il y a des choses que le
beau-père, il ne se mêlait pas, donc, c'est le rôle de la
belle-mère de faire des remarques aux femmes, même aux hommes de
la maison. Elle veillait au fonctionnement et à l'harmonie de la
famille. On l'aimait, on la respectait, par moment, on ne pouvait dire ce que
l'on pensait, c'était dur.
- Mon mari, lorsqu'il écrivait une lettre de
France, c'est à elle qu'on la lisait et devant toute la famille. On
était sous ses ordres et sous sa protection. Elle se privait pour que
tout le monde puisse manger. Bien sûr, je ne pouvais dire qu'il me
manquait ou que je montre que je suis attachée à lui. Mon mari
appartenait à tout le monde surtout à sa mère. Enfin,
c'était comme ça et on ne se plaignait pas. Euh ! La vie
était dure, on était pauvre, on vivait des ressources de nos
pauvres terres et des salaires de mon mari et de mon beau-frère qui
travaillaient en France. J'étais jeune, il fallait également
sortir dans les champs et accomplir des tâches selon les saisons
(récoltes de fruits, ramassage d'olives, du bois...). Surtout, il ne
fallait pas se plaindre sinon tu peux recevoir une raclée des
beaux-parents.
Ma belle-mère commandait à la
maison, donnaient des ordres, on ne ripostait jamais, c'était ainsi pas
autrement : c'était un vrai chef. Mon beau-père ne bronchait pas
devant elle. Concernant les questions importantes relatives aux sorties,
décisions à l'extérieur, c'était lui... Eh ! Oui
pour l'honneur, le nîf : c'était lui ! Tu sais, quand tu
deviens vieille, chez les Kabyles, tout le monde te respecte, tu as de la
valeur aux yeux des autres, tu es la mère de tous. La femme retrouve de
la dignité et de la considération et de la liberté. Euh,
quelle liberté ! Plutôt des responsabilités, mais on a plus
la force. On devient vielle et surtout considérée dès que
tu deviens belle-mère ou mère de grands enfants. À 40 ans,
tu peux être grand-mère et tu peux être
considérée, personne ne peut te montrer du doigt. Tu deviens plus
libre.
Dans ce temps, il y avait une bonne ambiance, on
rigolait, on se racontait des histoires à la fontaine lorsqu'on allait
chercher de l'eau dans nos cruches. Avec rien du tout on était content,
heureux. On se contentait de peu. Remarque, on n'avait ni
électricité au village, ni télé, ni de gaz de
ville, sans eau courante... enfin, sans commodités de la ville
d'aujourd'hui. Et puis, avant, il faisait très froid, il neigeait
beaucoup, plus que maintenant ! Notre village était bien exposé
au froid. On était insouciant de notre situation. On ne se
révoltait pas. Mon mari vivait en France et moi je vivais chez mes
beaux-parents alors que la génération d'aujourd'hui n'aurait pas
accepté cette situation. Chaque femme dans la maison (construite
à l'ancienne) connaissait son rôle, on ne se disputait jamais,
mais on se jalousait. Je n'aurais jamais pensé que je connaîtrais
une autre vie que cela. Malgré les difficultés, on était
heureux : personne ne se plaignait.
Lorsque mes enfants sont arrivés au monde,
les problèmes commençaient. Pourquoi je ne donnais pas de
mâles, de garçons, à ma belle-famille. Les relations
devenaient difficiles. Je suis allée chez mes parents. Ma
belle-mère voulait que je sois répudiée par mon
beau-père (homme de la maison, le patriarche), mes parents sont
intervenus en proposant d'attendre le retour de France du mari pour prononcer
la répudiation devant la Djemâ`a. Je me retrouve avec ma
mère et sa belle-famille, c'était la guerre et mon père,
vava M., était au maquis. Il a rejoint le F.L.N. (l'armée
algérienne l'A.L.N. pour l'indépendance du pays).
Mon mari ne pouvait pas rentrer au pays (à
cause de la guerre). En fait, de son côté, il participait à
cette résistance avec l'A.L.N.-immigration. Je me suis retrouvée
à participer à aider les maquisards, à leur faire à
manger, à transporter des armes d'un point à un autre...,
à notre façon, nous étions des
moudjâhidâtes. C'était une période difficile
mais on était solidaires, ma belle-famille emmenait mes filles chez elle
pour les occasions. Ils avaient peur des répressions des colons
français, des viols. Par mon courage, ils ont manifesté de la
compassion et nos liens se sont consolidés. On habitait le même
village. Dans le temps, on ne se mariait qu'entre nous. L'histoire du divorce
était oubliée. On s'occupait de la libération du pays et
de notre quotidienneté. Dans les réunions du village (les
Djemâ`as), les décisions de protection des personnes en
danger étaient prises. En l'absence de mon mari et de mon père,
ma mère me représentait. Il y avait une démocratie et une
organisation qu'on retrouve dans les administrations françaises.
L'argent envoyé par nos immigrés était partagé
entre les villageois et les maquisards et les femmes sans mari n'étaient
pas oubliées. Il y avait aussi de la méfiance à cause des
mouchards, des harkis. Je n'étais pas malheureuse.
En 1962, j'ai envoyé Chabha à
l'école, je voulais qu'elle s'instruise, qu'elle ne soit pas ignorante
comme moi. Certes, je me suis instruite par les aléas de la vie sans
lire et écrire. Mes autres filles sont encore jeunes. Comme j'en voulais
à ma mère de ne m'avoir pas envoyée chez les "soeurs
blanches" pour apprendre à lire et apprendre la couture, je me suis
acharnée sur ma fille pour qu'elle étudie. Tu sais, on avait les
écoles ménagères tenues par les marabouts français,
c'est-à-dire les soeurs blanches.
- Les missionnaires ?
- Oui, certains parents avaient peur qu'on devienne des
chrétiennes, parce qu'il y a des Kabyles qui se sont convertis. Les
jeunes de cette époque ne pensaient pas à la religion, on n'en
parlait même pas, ce n'est pas comme maintenant. Après
l'indépendance, mon mari rentre au pays en vacances. Il est
déçu de me retrouver chez mes parents, alors des tractations se
sont faites avec les familles et les sages de la Djemâ`a ont pu
annuler ma répudiation. Reconnue combattante de l'A.L.N.-F.L.N.
par les autorités algériennes, j'ai servi mon pays, j'ai mis ma
vie en danger, j'ai porté des armes, j'ai donné des ordres
à des hommes, j'ai caché des dirigeants politiques, j'ai
hébergé des hommes (moudjâhidînes)... et mon destin,
mon avenir de femme, je n'avais pas le droit à la parole : ce sont les
autres qui décident pour moi... Pour mes filles, j'ai attendu la
décision. Pendant la guerre on avait de la considération,
après, on était réduite à rien. Pourtant nous
avons contribué à la Libération de ce pays, nous avons
affronté l'ennemi, nous avons laissé de côté nos
moeurs...
- Mon mari avait décidé qu'après ses
vacances, je retournerai chez mes parents pour préparer mon
départ vers la France. Encore une décision qui avait
outré tout le monde. Il fallait que j'attende mon mari, au village.
Qu'une femme ne doit pas s'exiler. Il n'y avait que les hommes qui partaient.
Leur fils tant attendu n'avait plus de considération à leurs
yeux. Il ne fallait pas que je sois civilisée. Il comprenait mieux
l'inscription de ma fille à l'école car il pensait que j'avais
tout préparé. Cette préparation s'est faite par le contact
que j'avais avec des fellagas. J'ai laissé le temps
s'écouler, j'ai laissé les gens s'enivrer de cette
libération, des nouveautés. D'autres filles de la famille ont
rejoint l'école alors que j'ai été critiquée quand
j'ai mis la mienne. Je suis soumise mais je voulais une évolution pour
mes filles. Le combat commençait. J'ai dû réapprendre
à me soumettre. J'étais redevenue une femme au foyer avec ma
tenue traditionnelle : une fouta (tissu qui recouvre la taille, signe
de respect et de voilement chez les Kabyles) et la robe kabyle qui recouvre les
genoux. Nos robes n'étaient pas longues comme celles des Arabes. On s'y
fait vite par l'environnement. On oublie vite que nous avons été
des combattantes en contact avec les hommes.
- Quelques années passèrent, à la
mort de mon père, mon mari nous embarqua à Paris où il
avait acheté un petit bar restaurant. J'ai compris pourquoi il
n'envoyait pas beaucoup d'argent et surtout ne venait pas nous voir : il
travaillait beaucoup mais c'est moins difficile qu'en Kabylie. Mon
départ, je l'ai su après, à l'époque, les femmes
n'étaient pas mises au secret des projets de leurs maris : elles
subissent sans discuter, ni poser de questions ; c'était l'affaire des
hommes...
Arrivée à Paris avec ma robe kabyle, il
fallait réapprendre la vie, la modernité, elle était trop
difficile à acquérir. Moi, j'ai connu la cuisson au feu de bois,
ensuite la cuisinière au gaz butane. Pas de chauffage, étendre
mon linge à l'air libre. Ma montagne me manquait. J'étais
désemparée alors qu'on m'appelait la courageuse. Je voulais
repartir, les histoires, les conflits me manquaient : c'était trop
difficile de passer d'un monde vers un autre. Petit à petit, je me suis
faite. Il faut avouer que mon mari était patient, il m'a aidée.
D'autant plus que je lui ai donné un fils. Alors, il m'a inscrite
à l'école des adultes dans le quartier pour apprendre le
français et à compter. J'ai appris à lire un peu et
à écrire mon nom, à compter. Remarque, je savais
déjà compter. Tu sais cela, on l'apprend lorsqu'on faisait le
partage de la semoule, des fruits, de l'huile... dans les grandes familles.
- Le partage ?
- Oui, il fallait partager le manger, la récolte
des olives, compter les frères moudjâhidînes, leurs
tenues à réparer, les armes... tu sais, la guerre nous a
obligées à apprendre. J'ai appris à vivre une autre vie.
Au début, mon mari faisait toutes les démarches mais, par manque
de temps, il m'a obligée à sortir et mes enfants m'ont
aidée même si je ne parlais pas bien français. J'avais des
voisines Algériennes mais je ne les comprenais pas : elles parlaient
l'arabe. D'ailleurs, même maintenant, je comprends rien à la
télévision algérienne. On est Kabyle, Algérienne
mais pas Arabe. D'ailleurs, on n'a pas les mêmes traditions, la
même façon de voir les choses, alors avec leurs tenues islamiques,
on a l'impression qu'on n'est pas du même pays. Cela, c'est un autre
problème. Avec toutes les rencontres que je faisais, je me posais
beaucoup de questions...
Mon mari a fait faillite car il continuait à
envoyer de l'argent à sa famille (ma belle-mère était
décédée) alors, j'ai commencé à faire des
ménages ensuite, je me suis retrouvée dame de service dans un
centre pour handicapés. Encore un monde que je découvrais, chez
nous, ces malheureux, on les cachait... J'ai continué à
travailler dans ce centre jusqu'à ma retraite mais j'allais chaque
vacances en Algérie. Je ne peux me couper de mes racines malgré
mon évolution. Et depuis nos deux retraites, nous sommes revenus, mon
mari et moi, finir nos jours ici. Mes deux filles et mon fils unique sont
restés en région parisienne, une autre est partie vivre en
Amérique et Chabha a choisi de vivre en Algérie après ses
études à l'université. C'est là qu'elle a
évolué, qu'elle a son avenir et puis elle a bon boulot. En
France, c'est difficile...
Excuse-moi, j'ai parlé de ma vie mais pas de la
condition des femmes. Je me suis oubliée. Remarque, ma vie ressemble
à celle des femmes kabyles, au lieu de partir en France, elles sont
parties dans les grandes villes.
- Tu peux continuer.
- Ah bon, alors, je continue. Vois-tu, je me suis
jurée de donner la liberté à mes filles bien que je
gâte mon fils, d'ailleurs, il habite toujours chez moi en France. Il n'a
pas le droit de commander ses soeurs et il respecte leurs choix, leurs modes de
vie, leur liberté. Je lui ai appris à respecter la vie des
femmes. Il fait le Ramadan mais vit comme tous les jeunes Français.
J'aimerai qu'il épouse une Kabyle mais on ne peut pas commander. Il a
fini son doctorat à 27 ans et maintenant, il doit penser à sa vie
professionnelle après, ça sera le mariage. Avant de mourir,
j'aimerai voir son enfant, une fille ou un garçon, cela n'a pas
d'importance.
Les filles je les ai laissées partir, d'ailleurs,
j'ai été critiquée au village. Mais ils peuvent parler. Ce
qui me touche, c'est que Chabha ne soit pas mariée et peut-être
que je ne verrai jamais mon gendre ou son enfant, elle n'en aura jamais
à cause de son âge. Elle a sa voiture, son appartement à
Alger, on ne lui dit rien. Son père me dit : "C'est le
garçon que j'aurai dû avoir, elle se débrouille tellement
que je ne peux rien lui dire et notre honneur, elle a su le garder alors, le
reste, c'est sa vie". On est fier d'elle mais elle n'a pas de chance du
côté des hommes. Tu sais aujourd'hui, il y a beaucoup de filles
qui ont fait des études et ne sont pas mariées. Tu sais, au fond,
vaut mieux la liberté que d'obéir à un mari... mais il
leur manque quelque chose à ces célibataires intelligentes qui
ont su égaler les hommes, c'est ça la vie.
- Aujourd'hui, la liberté passe par les
études et le travail des femmes. Elles ont leurs mots à dire mais
leur vie de femmes est sacrifiée. Quand on est une femme
d'extérieur, tu ne peux pas accepter de te soumettre à un homme
sauf par respect pour ton entourage. Heureusement que les choses ont
changé bien que le Code de la Famille ne veuille pas bouger. Il n'est
pas de notre époque, ni de votre génération, il s'applique
à la nôtre. Le Code de la Famille a été fait pour le
siècle dernier pas pour ce nouveau siècle. Tu sais, l'Islam est
déformé par les hommes car ils ont rien compris. Ils
l'interprètent à leur manière. L'Islam donne la
liberté à la femme. La femme mariée est libre dans sa
sexualité. L'homme a des devoirs envers la femme pas seulement de lui
faire des enfants. Elle a des droits même dans sa
sexualité...
- Quels droits ?
- Une femme peut gérer ses biens, elle a droit
à l'héritage. Moi, quand mon père est mort, moi et ma
soeur, on a rien eu sauf 10 litres d'huile d'olive par an et des couvertures
que j'ai tissées. Mes frères, eux, ils ont pris les terres, la
maison. Moi, je voulais construire ma maison sur les terres de mon père,
mes frères se sont opposés mais je ne leur en veux pas. C'est
normal, je ne peux ramener un étranger sur leurs terres. Mon mari, bien
qu'il soit du village, pour l'héritage : c'est un
étranger.
Tout à l'heure, on parlait de sexualité, les
filles doivent arriver vierges lors de la nuit de noce, crois-tu que moi, je
vais vérifier cela auprès de mes filles ? D'ailleurs, j'ai
horreur de ce rituel, c'est-à-dire montrer la chemise de nuit pleine de
sang pour prouver la virginité de la femme, ça regarde le couple,
c'est leur problème. C'est vrai que l'Islam interdit les relations
sexuelles en dehors du mariage. Cela est valable dans l'ancien temps parce
qu'on se mariait jeune. Aujourd'hui, comment voulez-vous découvrir cela
quand on se marie à 30 ans ? Enfin, certes, il faut se protéger,
ne pas faire des enfants pour les abandonner ou détruire une famille. Je
suis libérale, je ne pose pas de questions à mes filles, je leur
dis seulement de ne pas me ramener des bâtards. Je ne veux pas de cela et
je ne veux pas être le sujet de conversation de ma famille ou des
voisins. Aujourd'hui, il y a des moyens et les filles sont instruites. C'est
pour cette raison que je parlais de détruire une famille. Tu sais,
l'honneur et le nîf kabyle, c'est important.
Le chef de famille ne doit pas avoir honte de ses enfants,
des bêtises qu'ils ont commises. Le Kabyle est capable de tuer sa fille
pour ce genre de chose, pour laver l'honneur de la famille et tout le monde le
félicitera de son geste. Alors, pourquoi en arriver là, quand la
pilule existe et que la discrétion se fait, alors si tu flirtes, ne le
fais pas en public. Les mauvaises langues peuvent facilement détruire le
bonheur de toute une famille. Être montré du doigt, dans son
village ou dans sa ville : c'est terrible. C'est pour cela que nous,
mères de famille, on harcèle nos filles sur cette question. Ce
n'est pas pour les empêcher de vivre avec leur temps mais c'est pour
éviter le commérage. Moi-même, quand Chabha est
rentrée à l'école, je ne cessais de la mettre en garde
contre les hommes. Peut-être c'est pour cela qu'elle a voulu être
mieux qu'un homme. Je l'ai compris bien plus tard lorsque je discutais avec le
psychologue du centre où je travaillais.
Aujourd'hui, il ne faut pas que la vie de nos filles soit
effacée. Les femmes existent en tant qu'être humain. Elles ne
doivent pas se battre pour arriver comme l'homme. Il faut les prendre à
leur juste valeur, pas parce qu'elles sont femmes, pour leurs
compétences, pour leurs sentiments, pour ce qu'elles sont : pas des
objets que l'on achète. Au départ, il faut faire des quotas,
moitié hommes, moitié femmes en politique, dans les postes de
travail... Pour changer les mentalités, il faut changer les textes, le
droit de la famille. On ne jette pas une femme dehors comme une malpropre et
l'homme peut le faire autant qu'il veut en se mariant à 4 femmes s'il le
veut. Les temps ont changé. L'homme n'a pas le droit de divorcer pour un
oui, pour un nom : les femmes ne sont pas des objets. On ne doit pas lui
arracher, après un divorce, ses enfants sous prétexte que le
garçon, à partir de 10 ans, doit être élevé
par son père. Mais c'est fou, débile. Le changement de lois
obligera nos hommes à se soumettre, ils ne pourront
désobéir aux lois. Si nos hommes n'ont pas changé, c'est
que la loi est avec eux et pour eux, alors on peut pas changer, ni
évoluer : alors on continuera à vivre comme dans l'ancien temps.
Mes deux filles ont choisi librement leurs maris : un
Américain et un juif tunisien, un séfarade. Je les aime comme mes
enfants. Je ne me suis pas opposée à leurs unions. Je vais te
dire la vérité, j'avais peur qu'ils soient Arabes... Remarque, je
ne veux que leur bonheur. Elles font comme elles le désirent. Comment
voulez-vous imposer une vie comme celle qu'on a eu à une fille majeure,
de 25-35 ans ? Moi, je suis pour la modernité, pour l'évolution
des femmes, pour des lois comme en Tunisie. Bourguiba leur a donné la
liberté par leur Code de la Famille et nous, en Algérie, ils
veulent qu'on vive comme au temps du Prophète. Donc pour être une
femme, il faut changer les lois ainsi, elle aura ses droits. Et l'Islam n'a pas
dit de retourner en arrière, il faut aller devant et qu'on arrête
de nous imposer des lois islamiques qui sont mal lues, leur
interprétation.
Les femmes doivent toutes étudier et travailler,
l'Algérie est riche, il y a du travail pour tous les jeunes. Pour nous
faire oublier qu'ils ont volé le pays, ils nous mettent
l'intégrisme avec des jeunes désoeuvrés. Ces
intégristes n'ont rien à perdre : pas de boulot, pas de maison,
pas de femmes, alors ils s'accrochent à un Islam de l'ancien temps.
L'Islam n'a pas dit de violer les femmes ou de les tuer. Tout cette situation,
c'est la faute de l'état même de notre langue : le kabyle, ils
veulent nous l'enlever. Comment veux-tu que les gens évoluent ? On
s'occupe du problème de la femme au lieu de s'occuper à faire
avancer le pays. On n'a pas beaucoup de femmes dans la politique. Comme elles
ne sont pas nombreuses, elles ne peuvent, à elle seules, changer le Code
de la Famille, les mentalités... C'est dommage que des gens soient morts
pour rien.
Enfin, je crois que j'ai trop parlé. Je peux
rajouter cela, tant qu'il y aura ces gros bonnets, l'armée, rien ne
changera en Algérie. Je plains les jeunes et les femmes. La vie est
devenue trop dure pour tout le monde, hommes et femmes. Il faut changer tout le
système. Heureusement qu'en Kabylie, les parents, pas tous, ont compris
que leurs filles ont évolué et acceptent le changement, que leurs
filles essaient de retrouver leur place grâce aux études et au
travail pour celles qui ont la chance d'en avoir.
L'entretien a duré un peu plus de 90 minutes. Certains
passages n'ont pas été transcrits. Il faut avouer que Ouerdia
avait beaucoup de choses à dire. Elle est révoltée par la
situation du pays. Marquée par la guerre, elle en veut à
l'État, au système politique. Tous les maux des femmes
proviennent du système. Elle est nostalgique. Malgré les
difficultés du temps de la guerre (1954-1962), elle s'est construite
durant cette période : "J'ai appris à compter les armes, les
tenues des moudjâhidînes (des combattants)".
Nationaliste, elle a cru à l'évolution de son pays. Ouerdia
revendique son identité de femme, son identité nationale, sa
langue, "J'avais peur qu'il soit Arabe...".
Malgré des moments de mélancolie par
l'évocation du passé, Ouerdia savait plaisanter, rire et rappeler
quelques expressions qui nous ont permis de plaisanter.
G- MELHA, INGÉNIEUR EN GÉNIE
CIVIL
Melha, 36 ans, Ingénieur d'État en Génie
Civil, est célibataire et habite chez ses parents. Melha vit et
travaille à Tizi-Ouzou (Kabylie). Elle est issue d'une famille nombreuse
: ils sont 10 enfants (6 filles et 4 garçons), tous universitaires
(l'aîné psychologue, la cadette professeur, la troisième
esthéticienne (après un diplôme universitaire), le
quatrième et le septième ingénieurs (en froid, en
pétrochimie) et les autres sont biologistes, institutrice et professeur
de sport. Ses parents, n'ayant pas fait de longues études, se sont
donnés les moyens pour que leurs enfants aient des cursus
universitaires élevés et qu'ils devinent des
diplômés. Comme le répète souvent Melha
:
- Papa n'aime que les jeunes avec des titres ! Je crois
que si mes belles-soeurs n'avaient pas des diplômes, il ne leur aurait
pas accordé de la considération. Si elles n'étaient pas
diplômées, il dirait qu'elles ont des pois chiches dans la
tête. Mes trois belles-soeurs sont dans la médecine : la femme de
l'aîné est pédiatre, la femme du septième enfant est
pharmacienne, la femme du dernier est médecin. D'ailleurs, il encourage
la dernière à poursuivre sa spécialité. Il adore
ses belles-filles, les invite souvent à manger afin qu'elles ne se
fatiguent pas trop. De surcroît, il leur a fait construire de beaux
pavillons à chacune sur ses terres. Il dit : "Vous, mes filles,
vous appartiendrez à vos maris et vos belles-familles qui feront la
même chose. Elles portent mon nom, elles me donnent de beaux
petits-enfants et elles rendent heureux mes fils, alors, il faut les
gâter surtout quand on a les moyens..., elles sont respectueuses envers
tout le monde. Je vais les aider à ouvrir leur cabinet comme j'ai
aidé S. pour son officine...".
J'ai rencontré Melha au Croissant Rouge où elle
milite. La présidente de la commission sociale a préparé
le rendez-vous. J'ai connu Melha lors des émeutes d'octobre 88, elle
était secouriste et elle avait une lourde mission : ramasser et soigner
les blessés du soulèvement des jeunes. Entre-temps, elle a suivi
son chemin et a dirigé une association. Ensuite, on s'est perdues de
vue. Elle était contente de me revoir...
- Que faites-vous ?
- Je suis Ingénieur en Génie Civil,
spécialisée en béton armé. Je travaille dans un
bureau d'études en tant que chef de projet dans le service dit "service
suivis et réalisations de tout ouvrage". Je dois dire que j'ai
choisi ce métier pour un peu contrer l'homme car, à la fin de mon
cursus secondaire, c'est-à-dire après le bac, tout le monde
(père, mère, amis, etc.) pensait que j'allais poursuivre des
études en médecine (le rêve de mon père que je n'ai
pu réaliser) mais, mon choix a été fait sans demander
l'avis de quiconque. Moi, je me voyais déjà sur un chantier de
construction en train de diriger des techniciens au milieu des hommes. Je dois
dire que j'ai toujours préféré la compagnie des hommes que
celle des femmes depuis déjà mon enfance.
Cela me réjouit de vous parler de ça car,
une fois que j'étais inscrite en première année à
l'institut de Génie Civil, mon père me disait quel serait le
métier que j'exercerai plus tard et quels étaient les
débouchés de cette branche. Et bien sûr, je lui donnais des
explications ou, mieux encore, des détails concernant le métier
que j'allais exercer à la fin de mon cursus universitaire. Je le sentais
très sceptique à l'idée de me voir au milieu des hommes,
en même temps, je le sentais fier de la réussite au bac de sa
fille. C'était très important pour moi, je voulais absolument lui
prouver que, quel que soit le cursus suivi, l'essentiel est d'avoir un
diplôme qui me servirait dans la vie professionnelle.
- Qu'est-ce pour vous être une femme ?
- Être une femme : cela veut dire beaucoup de
choses. C'est vaste comme question, c'est-à-dire que tout dépend
où vous situez la femme. Je ne peux parler au nom des autres femmes. En
tout cas, pour moi, être une femme est un long combat, un combat
continuel. Pour être plus claire, c'est une lutte sans relâche
à condition de résister à certains obstacles, à
l'adversité et à tout ce qui directement touche les agissements
ou comportements de la femme en général. Que ce soit dans le
milieu familial, dans la société ou encore mieux, dans le milieu
professionnel.
En d'autres termes, c'est une lutte sur un parcours
très difficile qu'offre la vie à la femme en
général. N'a-t-on jamais dit que "la vie n'est pas un long
fleuve tranquille ?", une expression que je considère applicable
à tout individu pas uniquement à la femme ou aux femmes. La femme
ne peut être reconnue que par le mari ou le père. Si elle veut
avoir sa place dans cette société d'hommes (pourtant, les femmes
sont plus nombreuses que les hommes : 4 pour un homme), il faut qu'elle
étudie pour occuper l'espace public d'abord par le travail. Une
travailleuse, une femme de l'extérieur à l'opposé d'une
femme d'intérieure, peut activer dans la société civile,
dans le monde associatif et politique. Celles qui travaillent sont plus
indépendantes, plus libres malgré les aléas de leur
condition et de leur vie.
L'indépendance financière d'une femme peut
changer sa condition sociale et son affirmation dans sa famille ou dans la
société. Ensuite, c'est à elle de s'imposer, de lutter
pour avoir sa place. La liberté d'une femme est un long combat, il est
quotidien. Je préfère être soumise par mon père
(ça se discute...) que par un homme de ma génération. Je
ne pourrai pas me rabaisser. Je considère les homes comme mes
égaux, pas supérieurs. Comme je l'ai déjà dit, il
n'y a que mon père qui peut me faire baisser les yeux ou accepter la
soumission mais papa me connaît, il rit aux éclats quand je parle
de la condition des femmes. Parfois, nos discussions vont loin. Sur certains
points, il me prend toujours pour sa petite fille, je lui dis toujours ce que
je pense. D'ailleurs, il me dit souvent : "tu ne trouveras jamais un mari
avec tes idées...".
- C'est ce qui retarde votre mariage ?
- Ha, ha, ha (rires), c'est une question
impertinente dans la mesure où il s'agit là de ma vie
privée. Mais, puisque vous êtes vous-même une femme, je
répondrai à votre question. Si, aujourd'hui, je ne suis pas, du
moins pas encore, mariée parce que, d'abord, je n'ai pas trouvé
le bon élément, à savoir un homme (car je ne suis pas
homosexuelle) qui m'accepte telle que je suis avec ma propre
personnalité, mes habitudes extérieures au milieu familial, mon
mode de vie, mon travail, en gros : ma liberté. Sinon, c'est un choix
personnel. On dit souvent que le mariage c'est la corde au cou, je ne suis pas
de cet avis car, avant de se marier, il faut faire des concessions. Ce qui ne
se fait pas chez nous en Algérie. On a tendance à dire qu'il faut
se marier pour ne pas donner l'occasion aux langues venimeuses de jaser sur
vous. Nous sommes en l'an 2000, à mon sens, il faut plutôt dire
changeons les mentalités de notre société que ce soit dans
le domaine politique, économique ou social.
En Algérie, la femme n'a pas encore tout à
fait les droits qu'elle revendique. Dès l'instant où elle
connaît ses droits, je crois que c'est un pas vers l'avant et il est vrai
que, par rapport à d'autres pays civilisés comme la France, la
femme algérienne n'a pas encore avancé sauf dans le domaine
où on lui donne le droit à l'instruction. N'allons pas chercher
des exemples car il existe une infinité de femmes algériennes
qui, grâce aux études, ont pu atteindre une part de leurs
objectifs. Prenons mon cas comme exemple, c'est-à-dire que,
malgré les idées saugrenues de la mentalité
algérienne, en général, j'essaie du mieux que je peux pour
briser certains tabous qui me paraissent néfastes et rétrogrades
pour la femme et surtout dans notre société parce que cela ne va
pas au profit de notre évolution et de notre développement que ce
soit intellectuel ou autres. Ceci dit, pour mieux cerner le problème
existentiel, à savoir celui de la femme, il convient de faire, d'une
part, chemin arrière pour optimiser la place qu'occupait la femme au fil
du temps jusqu'à nos jours, d'autre part, rechercher la
problématique que pose la femme aujourd'hui et qui s'impose par son
évolution, son intelligence et son arrogance vis-à-vis des
hommes. Le statut qu'offre le Code de la Famille est à discuter et
à revoir. Il est infâme.
- Vous plaît-il ?
- Il ne me plaît absolument pas. Le Code de la
Famille a été instauré par des hommes, comment voulez-vous
qu'il convienne à ce que je suis, c'est-à-dire une femme
laïque. Si je crois le Larousse, le mot "LAÏQUE"
veut dire séparer la religion de la politique. De ce fait, le statut de
la femme en Algérie s'est basé surtout sur des versets du Coran :
La CHARIA. En aucun cas ce code ne convient généralement
à la femme. Au contraire, il a été établi par des
hommes et cela ne fait aucun doute qu'il va contre la femme pour son
émancipation et son évolution dans le développement
politique, socio-économique et culturel.
Justement, on est appelé à parler du
politique. Les choses sont liées. Le Code de la Famille / La famille /
l'Islam / Le politique / L'école / Le travail : c'est une boucle, une
spirale ou un enchaînement, de sa place dans la sphère
privée vers la sphère publique et de sa place à partir de
la sphère publique vers la sphère privée. Le Code de la
Famille n'adresse aucun avantage à la femme algérienne en
général. Il doit être revu et de ce fait abrogé du
fait qu'il n'offre aucune liberté et aucun droit à la femme qui
lui permettent de se défendre en cas de divorce ou encore pour la
succession sans oublier la polygamie. Il faut toujours se référer
à la CHARIA qui donne avantage à l'homme.
Forcément, la liaison entre la famille, le politique et l'Islam est
très Forte. Ce qui ne veut pas dire non plus qu'il n'y a aucune
possibilité de modification de ce code qui est établit par des
députés, donc des politiques 254(*).
- A-t-elle une place dans la sphère publique ou
privée ?
- De nos jours, je dirai que la femme algérienne
peut avoir une place que ce soit dans la sphère publique ou
privée, mais à condition de se battre et d'aller jusqu'au bout de
ses projets. Moi, personnellement, j'estime que si la femme algérienne a
pu acquérir une place dans la sphère privée, il n'est pas
nécessairement évident qu'elle en ait une dans la sphère
publique. Dans la sphère privée, la femme est confrontée
beaucoup plus à un milieu familial qui peut être très
fermé ou, au contraire, plus ou moins ouvert. Pour approfondir ces deux
contextes (c'est-à-dire milieu fermé ou milieu ouvert et qui me
fait penser aussi dedans / dehors), la femme a toujours été
suivie, orientée et dirigée soit par ses parents, soit par un
membre très proche de sa famille (oncle ou tante) vers ce qu'elle doit
choisir son avenir, la femme doit impérativement réagir vite et
doit se donner elle-même des droits que certaines lois lui ont
attribués, bien que ces dernières ne favorisent pas tellement ou,
du moins, ne l'aident pas beaucoup à améliorer sa situation. Elle
n'a pas droit à certaines décisions qui reviennent en
général à l'homme, sauf pour l'éducation de ses
enfants ou, mieux encore, pour les tâches ménagères.
Ceci ne veut pas dire qu'elle n'a pas sa place dans la
sphère publique. De nos jours, avec la scolarisation des filles qui
arrivent au niveau universitaire et même plus, nous trouvons des femmes
dans certains domaines de travail auxquels elles n'avaient pas accès il
y a quelques années de ça ou encore interdits aux femmes. Comme
dans le domaine de la politique, elle essaie de se donner une place en
s'imposant avec ses propres capacités, son acharnement dans le travail,
sa compétence et son sérieux. Malgré qu'elle soit parfois
dénigrée dans ce domaine, elle est tout de même soutenue
par des hommes.
Certes, ces derniers utilisent la femme à des fins
personnelles ou politiques mais, la femme algérienne arrive parfois
à s'imposer par sa conviction de réussite et sa volonté
d'améliorer sa situation professionnelle qui est liée à sa
situation sociale ou privée. Dans d'autres domaines de travail tel que
l'enseignement, je crois qu'elle s'est déjà offerte une bonne
place car il faut dire que, ces deux dernières décennies, on
aperçoit plus de femmes que d'hommes dans le domaine de
l'éducation. On trouve également de plus en plus de femmes dans
le domaine médical, paramédical, etc. Cela prouve que la femme
algérienne ne se restreint pas à ce qu'on lui propose, c'est
plutôt un choix personnel qu'elle fait sans pour autant gêner la
mentalité de la société qui, jusqu'à nos jours, n'a
pas tellement changé malgré tous les efforts que fournissent
certaines femmes pour essayer de bannir cette satanée mentalité.
L'une des raisons pour lesquelles la femme
algérienne n'arrive pas à pouvoir changer certaines habitudes :
c'est la religion. Et quand je dis religion, cela veut dire la religion
musulmane. Quand je parle de cette religion, cela ne veut pas dire que je suis
contre la religion, mais ce sont les hommes qui l'interprètent à
leur façon et à leur avantage. Il est vrai que l'Islam n'interdit
pas à la femme de travailler, par exemple, ni d'avoir une certaine
liberté et la femme musulmane, en général, reste toujours
sous l'emprise soit de ses parents ou de son mari, ce qui est contradictoire
par rapport à ce que lui apporte cette religion. Les choses ont
évolué, il faut donc vivre avec le progrès et être
surtout tolérants.
- Aimeriez-vous avoir des enfants plus tard ?
- C'est beau d'avoir des enfants, mais il faut les prendre
totalement en charge. Comme toute femme de mon âge, oui, je souhaiterai
avoir des enfants mais pas beaucoup. Tout au plus deux, sinon un seul. Je ne
veux pas devenir comme ces poules pondeuses qui se retrouvent avec une
smala d'enfants dont elles ne peuvent s'en occuper. Il faut dire aussi
certaines sont obligées soit par leur mari, soit par leurs parents de
faire plusieurs enfants et ce pour pouvoir avoir un mâle parmi ces
derniers. Par ailleurs, pour une femme qui travaille, il n'est pas facile de
faire beaucoup d'enfants car il faut, non seulement s'occuper de leur
éducation, mais aussi suivre leur scolarité et ce tout en
travaillant à l'extérieur. C'est-à-dire que, dans ce cas,
la femme doit assurer une double journée : son rôle de mère
et de femme travailleuse (salariée).
De toute façon, la vie est tellement chère
que certains n'osent pas s'aventurer à concevoir beaucoup d'enfants.
Comme dirait mon père : "Pour concevoir plusieurs enfants, il faut
s'assurer que ces derniers ne manqueront de rien. Et avec la cherté de
la vie, si c'était à refaire, je n'aurai jamais fait autant
d'enfants. DIEU merci, j'ai assuré mon rôle de père, j'ai
pu subvenir aux besoins de tous mes enfants et j'en suis fier".
Aujourd'hui, il ne comprend pas comment des couples qui ont eu la chance
d'aller à l'école et de comprendre mieux certaines choses,
notamment la contraception, arrivent malgré le coût de la vie
à faire beaucoup d'enfants dont ils n'assurent même pas
l'éducation, parfois ne les connaissent pas (par manque de
communication).
- Comment voyez-vous l'avenir ?
- Il faut plusieurs années pour que
l'Algérie puisse retrouver la stabilité. L'Algérienne
nécessite un changement de mentalité ; pour accepter des
droits égaux à une femme, il faut compter deux à trois
générations. La crise économique, l'intégrisme qu'a
connu l'Algérie a réveillé des consciences. Les femmes,
après être longtemps bernées par des discours de
socialisme, d'unité nationale, d'une meilleure vie... ont pris leur
destin entre leurs mains mais c'est un grand travail en amont, dans la
sphère privée... Il ne faut pas oublier tout le travail du
mouvement féminin qui ont payé de leur vie. On croit que ce
mouvement des femmes stagne depuis la crise, c'est une erreur ! Beaucoup de
femmes travaillent à l'ombre, chacune avec son arme : par l'écrit
(depuis une dizaine d'années, des écrits journalistiques,
littéraires, sociologiques apparaissent dans le pays ou à
l'étranger...), des associations de femmes naissent (même les
mères, les épouses de terroristes se sont organisées...),
le changement s'opère déjà dans la famille.
C'est les femmes qui vont changer la société
et la reconstruire car ce sont elles qui perpètrent les traditions. Le
Code de la Famille est rejeté par la majorité des femmes,
notamment sur les modalités du divorce (pension alimentaire
insuffisante, demande de la garde du domicile...) et sur certains points du
droit à l'héritage... Une autre revendication importante, celle
de la reconnaissance langue berbère (amazigh). Une
revendication légitime d'autant plus que la majorité des femmes
kabyles ne parlent pas l'arabe et ne comprennent pas les émissions de
télévisions. Les événements de la Kabylie suscitent
des questionnements sur le devenir de cette région. En conclusion, je
dirai qu'il reste un grand effort et travail du coté des hommes et des
politiques.
H- KATIA
Katia m'a été présentée par mon
fils qui était en vacances en Algérie. L'entretien se
déroule chez mes parents. Katia a 18 ans, lycéenne et se
prépare au bac maths afin de devenir ingénieur. De famille
aisée (père homme d'affaires, mère au foyer mais libre de
ses mouvements), elle a été élevée dans un esprit
de liberté, aime la musique moderne, la mode...
Katia est libérale et libérée. Elle
invite facilement des copains à la maison (cas pas très courant
en Algérie). Katia organise facilement des petites fêtes entre
copains et copines et ses parents n'y trouvent aucun inconvénient. Elle
conduit comme sa mère sa propre voiture. Katia veut vivre sa vie et se
préoccupe peu de son entourage. C'est une jeune fille qui peut
ressembler à n'importe quelle adolescente française. Elle est
pleine de vie, insouciante de la situation du pays, se réconfortant dans
son bien-être. Pour elle, la politique ne peut se faire qu'avec des gens
libérés et tolérants.
- Aimerais-tu avoir des enfants plus tard ?
- Je n'y pense même pas mais je suis contre toutes
ces femmes qui font beaucoup d'enfants. Elles creusent davantage leurs
tombes... Elles se fatiguent plus, passent leur temps à
pouponner, à laver, à faire le ménage, elles ne vivent
pas. Elles se plaignent toujours. De nos jours, les enfants ça
coûtent chers. Quand on est nombreux, la femme n'a pas le temps de tous
les écouter, d'être attentive à leurs problèmes.
Voyez-vous, on est deux filles à la maison et maman a du temps à
nous consacrer et elle profite de sa vie.
- Et l'Islam ?
- Je crois en Dieu mais je ne suis pas pratiquante.
L'Islam, je l'ai appris à l'école pas avec mes parents. Depuis
que le terrorisme sévit, je rejette cette forme de religion. La
religion, ce n'est pas ça... Il y a tellement de gens qui meurent qu'on
finit par ne pas y penser. Il faut s'amuser, danser, aller à la
plage..., tous ce que les intégristes n'aiment pas, quoi ; au moins, si
on se fait assassiner, on aura profité de la vie. Et puis il
faut s'éclater...
- Et l'avenir des femmes ?
- Bof, je ne sais pas, mais avec les nouvelles
générations, il y aura des bornées et des
libérales. Vous avez vu toutes ces femmes en hidjâb
(tchador), elles se cachent derrière leurs voiles, elles nous
font la morale, elles cachent des choses, elles veulent qu'on les
dévoile, du moins que les hommes les dévoilent : moralement et
physiquement... À longueur de journées, elles disent : "Dieu
a dit ça, le Coran dit ça...", je crois que chacun
interprète l'Islam... Nous sommes plus au XIV ème
siècle, il faut vivre son temps... Je n'ai rien contre l'Islam, je suis
contre l'intégrisme, la hogra (le mépris).
Notre génération est sacrifiée. Nous sommes nés et
vivons avec le mouvement berbère, la guerre civile, les grèves de
ceci ou du cartable qui a duré une année scolaire... Enfin, nous
sommes nés dans une guerre civile, toujours en mouvements, dans la
violence. C'est pour ça que je parle de génération
sacrifiée...
Parler d'avenir, euh ! Pour parler de l'avenir, il faut
parler de notre identité en premier. Mais quelle identité ? Je
dirai qu'il y a plusieurs identités : mon moi, l'identité
féminine, l'identité nationale, l'identité
berbère... Et nous, les jeunes, quel sera notre avenir dans ce
déchirement, cette dictature ? Moi, à la rigueur, je peux finir
mes études ou ma vie à l'étranger, mais les autres ?
Toutes ces lycéennes, ces étudiantes auront-elles du travail ou
elles finiront comme nos mères : mariage, gosses, le ménage, la
belle-mère... Très souvent, j'évite d'y penser mais, au
lycée, mes camarades en parlent : elles ont peur de l'avenir, on
s'accroche toutes aux études, mais ce n'est pas facile.
- Et l'école ?
- Justement, je voulais parler de l'école.
Qu'est-ce qu'on apprend ? Rien de spécial. C'est incohérent,
l'histoire est falsifiée, les classes sont surchargées, entre
parenthèse, on est 49 par classe, c'est beaucoup pour des classes
d'examens. Les cours ne sont plus adaptés aux programmes... Et l'arabe ?
Où est-ce qu'il peut nous mener ? Ce n'est pas une langue scientifique.
Moi je fais des mathématiques en arabe et à la fac les formations
scientifiques sont enseignées en Français. Alors comment fait-on?
À la maison, les gens parlent le kabyle et le français ou l'arabe
algérien. Vous trouvez ça déroutant. Les programmes
télés sont en arabe littéraire et on ne comprend rien,
surtout nos vieux. Tout est à refaire. C'est pour ça que les
jeunes ne font pas de projets. Tout le monde veut partir à
l'étranger, surtout en France car on comprend la langue. D'ailleurs
à Tizi, tout le monde est parabolé (cablé
via le satellite). On reçoit et on regarde les programmes de
télé français. Comment voulez-vous que les jeunes ne
rêvent pas d'être à l'étranger ? Il n'y a pas
d'avenir à part si tu es bien placé.
- Bien placé ?
- Oui ! Pistonné. Combien de jeunes qui finissent
leurs études et ne trouvent pas de travail, surtout les filles ? Je
connais des médecins, des ingénieurs, des techniciens au
chômage, des "hististes", ceux qui tiennent les murs comme on
les appelle. Alors les filles, c'est pire. Elles repartent à la case de
départ : à la maison, dans leur village à s'occuper des
frères, des olives et des champs, quoi, vers la prison. Fini la vie
d'étudiante, de liberté. Elles deviennent comme leurs
mères. D'ailleurs, elles attendent que le mariage et exigent des hommes
avec appartement et gros salaire. Elles finissent soient vielles filles ou
elles se marient avec des commerçants, très souvent avec des
hommes qui n'ont pas fait de longues études ou avec des jeunes dont les
parents sont aisés et qui vivent au crochet de leurs parents même
mariés, c'est-à-dire sous la botte d'un ignorant et des
beaux-parents. C'est dur pour une universitaire.
Bon, c'est un choix, je préfère rester
vielle fille que d'épouser un vieux ou un fils dépendant de ses
parents. Aujourd'hui, nos jeunes filles rêvent d'une vie à
l'Européenne. Elles souhaitent toutes se marier, une fois
mariées, elles sont déçues, alors elles divorcent. Comme
on dit chez nous : "Les gâteaux et les klaxons c'est en
été et l'avocat en hiver". Il y a beaucoup de divorces en
Algérie. Mais le Code de la Famille n'avantage pas les divorcées,
d'ailleurs toutes les femmes. Alors, vaut mieux rester chez ses parents si on
n'a pas trouvé son idylle. J'ai un petit ami, mais je ne parle pas de
mariage, bof, j'ai le temps d'y penser.
Pour revenir à votre sujet, aujourd'hui pour
être une femme en Algérie, il faut se sentir citoyen à part
entière, c'est-à-dire il faut qu'on ait nos droits. Or, quels
sont les droits qu'on nous donne ? Celui d'étudier et de subir et de se
taire. Comment voulez-vous construire une société si on nous
prive de nos droits élémentaires ! Tous les Algériens sont
privés de liberté. On est privé de liberté
d'expression, de travail, de parler notre langue maternelle, etc. Il faut
changer tout le système. Avec tous les problèmes que nous
crée l'État, les hommes algériens se contentent de leurs
anciennes traditions, il faut évoluer. Faire évoluer les
mentalités des hommes d'abord de l'État. On nous prend pour des
incapables, pour des enfants soi-disant pour nous protéger.
L'État prétend protéger les jeunes, les femmes, les
parents nous confinent dans des traditions et nous dans tout cela ? Pour cette
société d'hommes, tout ce système, ce code ça les
arrange. On sera toujours des mineures. On va se battre pour changer cela. De
toute façon, on n'a rien à perdre.
Notre avenir est foutu pour la plupart de notre
génération, à part quelques exceptions. Certaines jeunes
filles adhèrent à des associations, à des comités
d'étudiants pour faire bouger les choses. Les choses ne bougent pas, ce
n'est pas pour demain. Certains vont sacrifier leur vie pour une Algérie
meilleure. Les jeunes (femmes et hommes) qui sont montés au maquis (les
terroristes) sacrifient leur vie car ils savent qu'ils n'ont rien à
perdre, manque de travail et de logement, ils ont trouvé une
idéologie. Les berbéristes aussi offrent leur vie, leur temps
pour la reconnaissance de la langue berbère. Ils ont sacrifié
toute une année scolaire de tout un département, l'année
blanche en 1994-1995. Durant une année, on n'a pas
fréquenté l'école pour cause de grève.
Comment voulez-vous évoluer ? C'est triste pour
notre génération. L'avenir pour les femmes ou les jeunes, c'est
catastrophique mais on réussira grâce à notre
détermination. On a essayé de lever plusieurs tabous sauf celui
de la sexualité. C'est la propriété des hommes. Mais bon !
Il faut commencer par les choses élémentaires comme la
liberté d'expression, le travail. Il y a beaucoup à faire,
à nous les jeunes de provoquer pour bannir toutes les traditions allant
à l'encontre de la liberté des femmes et le politique. Il faut
aussi que ces vieux généraux qui gouvernent le pays disparaissent
du système. Pour conclure, je dirai que c'est un problème
politique. Si on impose des lois pour la liberté des femmes, les
Algériens respecteront les femmes et l'accepterons comme leur
égale.
L'entretien a duré 90 minutes.
I- DJEDJIGA, FARIZA ET KHADIDJA (Grand-mère
/ mère / fille)
Djedjiga, 70 ans, est la maman de Fariza et la
grand-mère de Khadidja. Femme au foyer et veuve depuis 20 ans, elle a
élevé sept enfants. Son mari était absent
(émigré en France).
L'entretien se déroule chez Fariza qui habite un grand
appartement (F6) dans une cité à la nouvelle ville (Tizi-Ouzou),
c'est-à-dire en dehors du centre ville. C'est sa voisine qui a
arrangé le rendez-vous. La voisine, je la connaissais et je l'ai
rencontrée dans la rue. Comme elle était heureuse de me revoir.
Je lui ai brièvement parlé de mon projet de thèse et de
mon souhait de rencontrer des femmes appelées les "soeurs
musulmanes" (des femmes pratiquantes, portant le hidjâb, le
voile islamique) et que je ne disposais pas de beaucoup de temps vu nos brefs
séjours. C'était chose facile pour elle, donc je lui ai
communiqué notre numéro de téléphone.
Deux jours après, j'ai reçu la confirmation : le
rendez-vous était pris pour le lendemain après-midi. Je l'ai
remerciée comme si elle m'avait sauvé la vie car par les temps
qui couraient (vu la question sécuritaire, les Algériens et
surtout les islamistes : tous étaient méfiants...), il
était difficile de demander des rendez-vous à des femmes sans les
connaître... Le rendez-vous était pris pour le lendemain à
14 h 30, après la prière du vendredi (prière sacrée
qui a lieu à 12 h 30 et qui s'effectue à la mosquée). J'ai
pris entre-temps des informations sur la famille mais j'ignorais que j'allais
rencontrer la mère, la fille et la petite fille réunies.
À ma grande surprise, toute la famille était
là, habillée en tenue de prière. On m'a dirigée
vers le salon arabe. La surprise était grande, avec tout l'environnement
: habillement et décoration de la maison. Les murs étaient
tapissés de cadres de versets coraniques, des lampes représentant
des mosquées, des tapisseries venues de la Mecque, etc. Des questions
trottaient dans ma tête... vais-je entendre que parler que de l'Islam ?
...
La grand-mère était vêtue d'une
djellaba et de chaussures blanches, les hommes en kamis (une
longue robe de couleur unie avec des fentes sur les cotés), les femmes
et les jeunes filles en hidjâb... J'étions seule à
être habillée à l'Européenne... J'avais pris la
précaution de m'habiller sobrement (pantalon et blazer) pour ne pas
choquer...
Après avoir embrassé les femmes, j'ai
salué à distance les hommes (car les fanatiques ne touchent pas
la main des étrangères, tout simplement des femmes). Je me suis
présentée et j'ai expliqué la raison de ma venue. Je n'ai
pas échappé à l'interrogatoire d'ordre privé. En
fait, il savait qui j'étais, comment s'appelle mon père, mes
activités avant mon installation en France. J'étais tendue, le
père me gênait un peu. Cela m'indisposait qu'ils parlent de moi
alors que j'avais un autre objectif. Il fallait mettre toute cette famille en
confiance et aboutir à la mission que je me suis fixée. Petit
à petit, l'atmosphère s'est détendue. Hospitalité
oblige, je voyais un plateau qui arrivait sur la table (café,
gâteaux... ).
Djedjiga m'a détendue en me rassurant qu'ils
étaient comme tous les Algériens qui posent des questions sur la
famille, sur la France et qu'ils étaient heureux de me recevoir. Le
père s'est adressé à moi dans un parfait français
en français, connaisseur des cursus universitaires. Il m'a donné
quelques recommandations sur la méthodologie et a entamé le
sujet sur l'Islam. Ensuite, il a pris ensuite congé et a dit :
"ma place n'est pas auprès des femmes, je vous laisse entre vous,
certainement vous avez des choses à vous dire". Il a demandé
à ses autres enfants de nous laisser seules...
1- DJEDJIGA (la grand-mère)
- Je suis une femme qui n'a jamais été
à l'école mais mon vécu m'a appris
énormément de choses et aujourd'hui, j'ai encore beaucoup
à apprendre malgré ma vieillesse. Je remercie DIEU de m'avoir
laissé mes facultés mentale et physique bien que j'aies un
problème de santé car j'ai une insuffisance cardiaque mais le
progrès de la médecine me permet de continuer à vivre et
ce, avec l'aide de DIEU : "DIEU nous a créés pour vivre les
joies et les malheurs". Il est vrai que ma croyance et ma foi en DIEU
m'aident à surmonter certains problèmes, surtout concernant mes
enfants que j'ai dû continuer à élever seule après
la disparition de mon mari. En fait, je souhaitais de tout coeur, faisais
même des prières pour que mes enfants travaillent bien à
l'école pour qu'ils puissent, plus tard, gagner bien leur vie. Je dois
vous avouer que j'ai réussi à bien les élever mais
concernant leur scolarité, c'était vraiment médiocre.
J'ai marié ma première fille à
l'âge de 18 ans car elle ne voulait plus poursuivre ses études
malgré mes encouragements. Et à cet âge, j'estimais qu'il
était temps pour elle de se caser. La seule chose que je tolérais
à mes enfants que ce soit un garçon ou une fille, c'est leur
libre choix de leur futur conjoint, surtout les filles. Sachant que mes parents
m'ont mariée à un homme que j'ai connu que le jour du mariage et
je refusais d'imposer ça à mes enfants. J'ai vécu tout le
temps en famille (beaux-parents, beaux-frères et belles-soeurs).
Aujourd'hui, je remercie DIEU de nous avoir permis d'évoluer un peu pour
nous libérer. Actuellement, la fille a le droit d'aller à
l'école, de sortir, de travailler, de s'habiller, de communiquer avec le
monde entier, de voyager seule sans être accompagnée, etc. Je ne
démens pas que nous avons oublié nos valeurs traditionnelles
concernant, par exemple, le mariage. On permet à la fille ou au
garçon de choisir l'homme ou la femme de sa vie à condition que
ça soit d'un bon parti ou issu de grandes familles connues.
Je suis devenue avec le temps une femme très
tolérante. J'ai toujours laissé mes filles sortir avec des amies
mais pas avec les garçons par crainte des représailles ou qu'on
dise du mal d'elles. Je savais qu'elles fréquentaient des garçons
puisqu'elles se confiaient beaucoup à moi et je leurs donnais des
conseils. D'ailleurs, je continue toujours à le faire car elles ont
besoin de mon expérience et elles ne doivent pas se soumettre totalement
à leurs maris. J'ai de bonnes relations avec tout le monde (voisins,
cousins et cousines, tantes et oncles, ma belle-famille, mes gendres et mes
belles-filles) et comme je suis très vivante : j'aime chanter les
anciennes chansons en toutes circonstances, raconter les blagues et nos
vieilles aventures avec tout le monde. Sans ça, je crois que je n'aurai
jamais réussi à surmonter plusieurs obstacles. Ce qui permet de
dire cela, c'est qu'aujourd'hui, je suis respectée par les grands et les
petits (femmes, hommes, garçons et filles) et on m'honore à
toutes circonstances (mariage, fête ou décès).
À présent, je souhaiterai vous raconter une
anecdote. Je me suis retrouvée dans une fête familiale : il s'agit
du mariage du plus jeune beau-frère à ma fille aînée
qu'elle a marié, c'est-à-dire que c'est ma fille qui a
présenté l'actuelle épouse de ce beau-frère. Sachez
que chez nous, les festivités de mariage se préparent au moins un
mois à l'avance. Donc, on a chargé ma fille d'assurer tout le
travail durant toute la célébration du mariage à commencer
d'abord par arranger la maison où a eu lieu le mariage. C'est la maison
des beaux-parents de ma fille qui sont décédés il y a
quelques années de ça. Ma fille aînée s'est
chargée de préparer les gâteaux, ensuite, préparer
le repas du mariage car, chez nous, quand un garçon se marie, on fait
une grande fête. Il y a beaucoup d'invités, ça
dépasse parfois les quatre cents personnes, allant des fois
jusqu'à mille invités comme le veut la tradition d'une famille
kabyle musulmane pratiquante.
Le jour de la fête, on sépare bien sûr
les femmes des hommes, c'est-à-dire que les femmes mangent seules et les
hommes également parce qu'il y a toujours des étrangers à
la famille parmi les hommes. On ne doit pas se montrer la tête
découverte devant ces étrangers. C'est normal, c'est la religion
qui exige ça des femmes : "ESSOUTRA". Bref, une fois que tous
les étrangers seraient repartis chez eux, nous les femmes, nous nous
mettons avec les hommes de la famille pour célébrer une tradition
qui s'est imposée à nous depuis des siècles à
savoir mettre le "HENNÉ" au futur marié. En
général, on choisit très souvent une personne
âgée pour le faire et, bien sûr, pendant que cette
dernière s'occupe du marié, elle chante des poèmes et bien
de belles choses pour l'avenir du futur couple, les autres femmes
répètent derrière la dame qui met le henné.
Ensuite, on met une autre musique et tout le monde se met à chanter,
à danser et à se défouler au maximum et ce jusqu'à
une heure tardive de la nuit parfois allant jusqu'à l'aube. Le
lendemain, tout le monde se prépare pour aller chercher la
mariée...
Je n'arrivais pas à l'arrêter. Elle pensait que
je devais décrire dans un mariage traditionnel. Je l'ai laissée
me raconter ce mariage (du beau-frère à sa fille) car je savais
qu'elle aborderait la virginité, la sexualité et la
virilité de l'homme. C'est un sujet qui passionne les femmes lorsqu'une
occasion se présente (il y a toujours une meneuse qui lance des pics
pour lancer et ouvrir le débat). Les personnes d'un certain âge
abordent ce sujet tabou plus facilement avec humour ou parfois par des
expressions poétiques (avec de allusions rythmées).
- Tu sais, cette mariée était belle et
instruite. Elle est ingénieur mais que Dieu soit avec elle, elle est
très pratiquante, va à la mosquée, met le
Hidjâb. Ainsi, elle est protégée. Sa nuit de noce
s'est bien passée
- Comment bien passée ?
- Ah, tu veux qu'on parle de ça, alors on y va
(tout le monde éclate de rire), Khadidja, va jeter un coup
d'oeil pour voir si personne nous écoute, comme tu le sais, c'est un
sujet qu'on peut parler qu'entre femmes. Pourquoi les Français veulent
savoir ça ? Ah ! Leurs filles vont vite vers ça !
- Comment elles vont vite vers ça ?
- Parce que ce n'est pas comme nos traditions et nos
moeurs. Et on dit que les Françaises sont des femmes très
chaudes, qu'elles n'attendent pas le mariage pour consommer leurs noces comme
à l'accoutumée. Je suis sûre que les
générations précédentes, à savoir leurs
ancêtres, étaient comme nous. C'est-à-dire que l'homme doit
demander une fille au mariage et sort avec elle une fois que les choses
seraient officialisées. Aujourd'hui, je comprends que les filles
âgées de 15 ans et plus veulent coucher avec des garçons,
c'est normal mais chez nous, une fois qu'une fille perd sa virginité, on
la bannit de la famille, personne ne l'épouse et ses parents la mettent
à la rue car c'est déjà péché d'après
la religion et ce n'est pas toléré par nos coutumes. On dit une
femme qui est vierge jusqu'à son mariage est la plus belle femme et
honore sa famille. De ce fait, elle peut s'imposer une fois qu'elle est chez
son mari qui ne risque pas de dire des méchancetés sur elle
à leurs familles ou encore à leurs enfants.
2- FARIZA (la mère)
- Si vous me le permettez, je vous appellerai par votre
prénom. Fariza, vous êtes donc la fille de Djedjiga, vous avez
sept enfants comme votre mère, 4 filles et 3 garçons et Khadidja
est votre aînée. Vous êtes femme au foyer mais vous avez
été scolarisée jusqu'à 16 ans. Comment voyez-vous
aujourd'hui l'évolution de la femme algérienne en
général et de la femme kabyle en particulier?
- Je vais parler de moi ou je parle des autres
femmes?
- C'est comme vous voulez.
- Et bien, je préfère parler de moi car je
ne peux pas dire grand chose des autres femmes que je côtoie. Vous savez,
les femmes que je connais ne me confient pas beaucoup leurs secrets sauf l'une
d'entre elles, à savoir ma voisine que vous connaissez et qui vient du
fin fond des montagnes de la Kabylie, je vous parlerai d'elle plus tard.
À vrai dire, pour ce qui est de mon cas, je dirai que si je devais tout
refaire, je crois que d'abord, je n'aurai pas eu autant d'enfants et j'aurai
fait des études plus poussées. Aujourd'hui, je le regrette
beaucoup car je m'aperçois que je suis une femme qui aimerait sortir
librement, c'est-à-dire faire mes courses de tous les jours, accompagner
mes enfants à l'école et surtout, une fois mes tâches
conjugales et ménagères accomplies, je serais sortie me promener
ou aller rendre visite à de la famille ou à des amies ou encore
faire du shopping sans demander à mon mari de m'accompagner en
voiture dans la mesure où c'est proche de mon domicile.
Sachez que j'ai été habituée à
une certaine liberté quand je vivais chez mes parents. Mais avec le
mariage, je me rends compte que le mariage ne devait pas avoir lieu avant 24 ou
25 ans aussi bien pour la fille que pour le garçon. Si je n'ai pas
été loin dans mes objectifs, c'est moi qui l'ai voulu. D'abord,
je ne voulais pas faire beaucoup d'études. Comme toute jeune fille de
mon époque, je voulais me marier avec l'homme que j'aimais. Bien que
j'aies été mal accueillie dans ma belle-famille, n'empêche
que je me tapais toutes les tâches ménagères chez mes
beaux-parents. On vivait tous dans la même maison, j'ai cinq belles
soeurs (les trois premières étaient déjà
mariées quand je suis arrivée dans cette famille), deux
beaux-frères, mon beau-père et bien sûr ma
belle-mère. Je faisais à manger à tout ce monde, je
repassais les affaires de mes beaux-parents, de mes beaux-frères et de
mon mari : j'avais des journées très chargées. La vie
d'une femme, d'une bru ou une belle-fille : c'est le ménage, de faire
des garçons, d'obéir à son mari et d'accepter tout de sa
belle-famille surtout les critiques, pour cela, il faut mettre de
côté son coeur (rester de pierre), son amour propre...
J'ai connu mon mari quand j'avais 16 ans, c'était
un voisin. Au départ, on se fréquentait et on sortait en
cachette, pour que personne ne nous voie. Je me rappelle comme aujourd'hui, on
se donnait rendez-vous toujours à la même place, loin du quartier
où on habitait, chacun de son côté. Parfois, il m'emmenait
à la forêt comme ça personne ne nous y voyait, parce qu'il
suffit qu'une personne nous voie ensemble et sinon les mauvaises langues
commencent à faire leur travail, les nouvelles sont colportées et
avant que je n'arrive à la maison, tout le monde le saura, alors j'ai
pris beaucoup de précautions. Vous savez, une femme n'a pas le droit
d'aimer un homme : l'amour est interdit dans notre société !
À l'époque, je n'en avais pas encore parler
de ce garçon, qui est aujourd'hui mon mari, à ma mère car
il n'était pas question d'en parler au père, ça aurait
été un déshonneur dans ma famille mais pas dans celle de
mon amoureux car lui était considéré comme un homme qui a
droit à tout et ça se passe bien. Maintenant, je paie les
conséquences, j'ai choisi le mariage croyant que j'allais enfin avoir
plus de liberté mais je m'aperçois que c'est le contraire. En
tout cas, je conseille à toutes les jeunes filles de ne pas se
précipiter de se marier mais de faire d'abord des études dans la
mesure des possibilités intellectuelles de chacune, travailler par la
suite et penser au mariage plus tard.
- Vous a-t-on obligée à porter le
hidjâb ?
- Quand j'étais chez mes parents, je ne portais pas
le hidjâb et même après le mariage. J'étais
plutôt très coquette. Bien après quelques années de
mon mariage, j'ai commencé à faire la prière et mon mari
m'a conseillée de le porter car j'ai été en
pèlerinage à la Mecque : c'est obligatoire d'après la
religion. Il est vrai que j'aime bien m'habiller et me montrer vis-à-vis
des femmes de mon âge. Et ceci pour dire que tout va bien et aussi pour
ne pas donner l'occasion aux gens de jaser sur ma famille et moi.
3- KHADIDJA (la fille)
L'entretien a eu lieu en présence de sa maman et de ses
soeurs. Sa grand-mère s'était retirée. Khadidja est
pratiquante, porte le voile (hidjâb) depuis quatre ans par
conviction (ou par contrainte, je ne le saurais pas). Khadidja, 18 ans, est
lycéenne, excellente élève, elle souhaite s'inscrire
l'année prochaine à l'université de droit (Tizi-Ouzou).
- Pourquoi portes-tu le voile ?
- C'est une obligation pour une musulmane de se voiler, de
se cacher à l'abri des hommes sauf de son père, de son oncle et
de son mari. Il faut garder son corps pour soi ou pour son futur époux.
Il est écrit dans le Coran que la fille doit commencer à cacher
ses formes dès sa puberté, c'est-à-dire à partir du
moment où la fille commence à avoir un peu de poitrine. À
ce propos, le Coran l'exige car il estime qu'une femme qui montre ses formes ou
encore met des habits provocants (c'est-à-dire sans
hidjâb) déstabilise physiquement l'homme qui doit
forcément accomplir des tâches qui sont peut-être
importantes que ce soit dans le domaine professionnel ou autre. C'est l'une des
raisons essentielles pour lesquelles le Coran rend le port du
"hidjâb" obligatoire. À cet effet, le Coran ne
tolère pas à la femme de se munir d'habits légers et
provoquants mais ne l'interdit pas face à son mari. Cela s'appelle
"Essoutra".
- Personne ne vous a demandé de porter le
hidjâb ?
- Non, personne ! Ma famille est pratiquante, je priais
très jeune et on m'a enseigné et expliqué l'Islam
objectivement, personne ne m'a obligée à porter le
"hidjâb". Je l'ai décidé toute seule, à ma
puberté, surtout que je suis forte et grande de taille, mes grosses
formes se sont vite faites remarquées, alors j'ai tout de suite pris la
décision en demandant à ma mère d'en avoir un à ma
taille. Mes parents ne m'ont rien dit : c'était ma décision et
j'ai honoré ma famille, mon père est président d'un parti
politique que tu connais. Je ne suis plus dévisagée par les
hommes. Je suis à l'aise et fière d'être soeur musulmane
comme me surnomment mes camarades. Ces filles se prennent pour des
occidentales, des Françaises ! Elles les imitent en reniant leurs
traditions, c'est honteux (`ayb). Elles finiront plus tard par
comprendre car l'Algérie est un pays musulman. Tout Algérien doit
suivre la Charia, la Sunna. C'est ainsi !
- C'est cela être une femme en Algérie pour vous
?
- Une femme doit d'abord obéissance à ses
parents, à ses proches et à son mari. Elle doit s'instruire et
préserver son honneur. Une femme doit évoluer en fonction des
versets coraniques, c'est-à-dire qu'elle a le droit d'aller à
l'école et de travailler dans n'importe quel domaine mais tout en
respectant les exigences de la religion musulmane. Cela ne veut pas dire
qu'elle a le droit de se prostituer par exemple ou qu'elle doit de se
dévêtir devant les hommes. Une femme doit bien s'occuper de son
foyer et, parallèlement, peut dans ce cas travailler à
l'extérieur si elle le souhaite avec le consentement soit de son tuteur
à savoir son père, son frère, son oncle ou son mari. De ce
fait, elle évolue et apprend à marcher dans le droit chemin de
l'émancipation et du développement du pays que ce soit dans le
domaine politique, économique, social ou culturel.
La religion n'interdit aucun de ces contextes. Cela va
aussi bien à la femme qu'à l'homme. Il est vrai que certaines
décisions sont prises en priorité par l'homme, ceci n'est pas
valable dans tous les domaines. Je peux vous citer un exemple qu'est la
polygamie. D'après l'Islam, l'homme a droit à la polygamie
à condition qu'il obtienne le consentement de toutes les femmes qu'il
veut épouser (il peut épouser quatre femmes), qu'il puisse
satisfaire et subvenir aux besoins de toutes ses femmes. Il est vrai qu'il
existe des domaines de travail qui facilitent à la femme musulmane de
concilier foyer et travail comme l'enseignement où la femme a des
avantages tel que l'éducation de ses enfants et les emplois du temps qui
lui permettent de s'occuper de son foyer. Il y a également la
médecine qui lui permet de travailler à temps partiel,
etc.
- Aimerais-tu travailler ?
- Une bonne musulmane peut travailler, elle ne le fera que
par nécessité ou parce qu'elle a fait de longues études.
La femme du Prophète, Khadidja, était commerçante et elle
gérait ses biens. La religion n'empêche pas la femme d'être
à l'extérieur à condition qu'elle ait accompli son devoir
de femme à l'intérieur de la maison soit de ses parents ou de
son mari. Vous savez que je poursuis mes études pour qu'un jour, je
puisse travailler et non rester à la maison comme ma mère et ma
grand-mère qui n'ont pas fait d'études et qui n'ont jamais
travaillé en dehors de leur foyer conjugal. Parfois, elles s'abrutissent
en restant à la maison, elles n'apprennent rien hormis la couture, la
cuisine, le ménage, le tricot, etc. Moi, j'ai envie d'évoluer et
de connaître le monde extérieur.
- Que veux-tu exercer comme métier après tes
études ?
- Je vais faire des études de droit donc, je
souhaiterai, avec l'aide de DIEU, devenir AVOCATE, pour défendre les
droits des femmes et des hommes tout en respectant la religion. Ce n'est pas
facile car bientôt, je vais me marier.
Sa mère intervient :
- Je souhaite que tu changes d'avis car si tu te maries
bientôt, adieu les études... La femme de ton oncle était
déjà à la faculté en troisième année
ingénieur, elle avait déjà été
orientée dans sa spécialité. Elle a choisi de travailler
en laboratoire pour éviter les hommes... Toi, tu parles
déjà de mariage, tu es trop jeune, tu vas le regretter
après...
Elles se regardent et Khadidja poursuit pour éviter
toute discussion :
- Mais mon fiancé est prêt à m'aider
à poursuivre mes études sans pour autant avoir des
conséquences fâcheuses sur notre vie conjugale comme ce qu'a fait
mon oncle paternel et sa femme. Mon fiancé a un appartement et je
n'aurai pas les obligations qu'avait ma mère, c'est-à-dire les
beaux-parents, le manger à midi... Ceci n'est pas interdit par la
religion. On peut être mariée et en même temps faire
n'importe quelles études, il faut seulement donner son temps au travail
à l'extérieur et s'occuper de son foyer. On peut concilier les
deux à condition de bien s'organiser et d'assumer toutes les
responsabilités malgré toutes les difficultés que la femme
peut rencontrer. À mon sens, c'est à ce moment-là qu'elle
doit prouver qu'elle est capable de tout faire dans la vie sans pour autant
dépasser les prérogatives que lui autorise la religion de
prendre.
- Que veux-tu dire par prérogatives ?
- Je veux dire par-là que la femme, en
général, doit se limiter aux exigences de la religion à
savoir le port du "hidjâb", c'est primordial surtout si elle est
appelée à travailler en présence des hommes, son
comportement vis-à-vis des autres, c'est-à-dire qu'elle doit
donner une image exemplaire digne d'une femme musulmane avec toutes les
qualités requises pour qu'on ne la dénigre pas et qu'on la
sous-estime pas parce qu'elle fait partie du sexe faible. Certains hommes ne
comprennent pas réellement l'Islam, ils ne font que l'interpréter
à leurs manières.
Il faut dire aussi qu'il existe certaines traditions qui
sont interdites par la religion musulmane comme quand on parle de la vie
sexuelle d'un couple, ceci est péché car elle concerne uniquement
le couple : c'est leur problème. Personne ne doit s'immiscer dans la vie
privée de quiconque. Les mauvaises langues sont bannies par la religion.
Quand vous lisez le Coran, ça vous paraît difficile à
respecter. En réalité, il donne beaucoup de liberté
à la femme. Moi personnellement, je ne trouve pas de contradictions dans
cette religion qui est celle de mes parents et mes ancêtres et cela ne
m'a pas empêchée de sortir ou encore mieux d'aller à
l'école, d'avoir des amies, de parler librement aux gens, etc., sans
aucune arrière pensée. Ce qui peut être gênant pour
certaines femmes, c'est l'habit qu'exige l'Islam à la femme. Dans mon
entourage, j'entends souvent les femmes ou les filles de mon âge parler
d'habits, de fringues et de chiffons. Cela ne m'intéresse pas, ce n'est
pas ça qui permettra à la femme de s'émanciper mais c'est
ce qu'il y a dans ses méninges et dans sa tête.
- Connais-tu le Code de la Famille ?
- Oui, il reprend les devoirs et les obligations du Coran,
c'est normal : nous sommes musulmans. En fait, dans la pratique, les gens, les
juges n'appliquent pas la "Charia". Si on la respecte, en pratique, un
homme par exemple ne prend pas une autre épouse sans le consentement de
sa femme. S'il la répudie, il doit lui offrir un logement, ne pas la
renvoyer chez ses parents ou la mettre à la rue comme ça se fait
dans notre pays. Les pensions alimentaires ne doivent pas être maigres
comme ça se pratique. L'homme doit subvenir aux besoins de sa femme et
de ses enfants.
Alors, l'histoire de l'héritage, les Kabyles sont
les premiers à ne rien donner à leurs filles. Il y a beaucoup
à dire des Kabyles, pas tous, car je suis Kabyle moi-même. Ils ne
respectent pas l'Islam, surtout les montagnards. Peut-être que c'est
dû aux "papasses" quoi, les soeurs blanches et les pères
blancs quoi, des chrétiens qu'il y avait dans les villages, ils avaient
leurs écoles et pratiquement beaucoup les fréquentaient et puis
ces "papasses" savaient faire. D'ailleurs, plusieurs familles se sont
converties. C'est pour ça qu'on retrouve des Kabyles chrétiens
avec des traditions algériennes, quoi. Un mélange de religion
chrétienne et de traditions kabyles...
Je reviens à l'héritage, mon père qui
est l'aîné de sa famille, lorsque mes grands-parents sont morts,
il a partagé équitablement les biens entre ses frères et
soeurs, même des terres. D'ailleurs, à Tizi, tout le monde a
parlé de ce partage. Certains ont dit que mon père était
fou d'avoir favorisé ses soeurs alors qu'elles étaient
mariées. Mon père est un bon musulman, comme il est instruit, il
a compris que la femme est un être humain avec ses besoins et ses
prérogatives. Je m'entends bien avec lui et on discute beaucoup.
Concernant le travail et la politique, ce n'est pas au
Code de la Famille qu'il faut se référer mais à
la constitution. L'Islam autorise la femme à travailler. Il faut se
référer à Khadidja, la femme du Prophète, elle
participait à des réunions. La constitution donne des droits
égaux entre hommes et femmes. Une femme musulmane peut devenir ministre.
- Tu voudrais des enfants ?
- Oui ! Pas comme ma mère ou les femmes de son
âge. J'aimerais avoir trois enfants, pas plus et le plus tard possible,
une fois le diplôme en poche. L'Islam a dit de "faire des enfants
que lorsque vous pouvez les assumer". Que j'aies des filles ou des
garçons, c'est la même chose. On accepte le don de Dieu,
l'essentiel est de bien les éduquer. Dieu n'a pas dit de faire beaucoup
d'enfants et d'avoir une préférence pour le garçon. Bon,
c'est bien d'avoir un garçon, les filles, certes, sont proches de leurs
parents. De nos jours, on ne peut assumer plus de trois enfants. Les gens qui
ont beaucoup d'enfants ne peuvent faire face et les laissent très jeunes
dans la rue. Ils n'ont pas le temps de s'occuper d'eux, ni de communiquer...
Ils leur donnent juste des ordres comme j'en vois.
La vie moderne ne nous le permet pas. Pourquoi vous
souriez ? J'ai parlé de modernité, pourquoi ? Parce que je porte
le "hidjâb" et que je suis pratiquant ? Rien n'empêche
l'un et l'autre. La modernité, c'est quoi ? C'est de suivre les
occidentaux ? Non ! Même le Coran a dit "Suivez la science,
informez-vous et instruisez-vous...". La modernité nous permet
d'avancer et que le pays évolue et se développe. À notre
siècle, il faut vivre avec toutes les commodités, avancer dans
les technologies, avoir un bon système scolaire, de santé,
d'inventer des choses...
- L'avenir des femmes ?
- Les femmes évoluent bien grâce aux
études. Dans certains secteurs, on trouve beaucoup de femmes comme
l'enseignement, la santé. Mais il faut changer les mentalités.
Lorsque l'Algérie fera la différence entre la politique et la
religion, l'Algérie avancera. La religion musulmane n'empêche pas
les femmes d'évoluer si réellement on suit le Coran comme je l'ai
dit. Les Français nous ont laissé une division qui fait
qu'aujourd'hui, on s'entre-tue. L'Islam n'empêche pas la
modernité. Les femmes en "hidjâb" peuvent travailler,
suivre des études, occuper des postes importants, conduire une
voiture... Tant qu'on ne changera pas, on ne peut pas évoluer.
La femme a un pouvoir qu'elle ignore. Ce pouvoir qu'elle
utilisera d'abord chez elle, dans sa famille, ensuite, dans son environnement,
c'est-à-dire à l'école, dans son travail... La femme peut
changer la société, dommage, elle continue à reproduire
ses croyances, ses traditions et le résultat, on voit que la
société a de la "hogra", aucun respect envers elle.
Certes, le gouvernement ne nous aide pas, ça lui plaît qu'on soit
divisés : islamistes, berbéristes, communistes, FLNnistes... Tout
ça l'arrange. Il faut évoluer avec son temps, l'Islam est
évolutif, il n'est pas contre la démocratie, contre les femmes :
c'est les gens qui l'interprètent mal et ils trouvent leur compte. Je
comprends les gens qui montent au maquis. Ils se soulèvent contre
l'État et les mécréants...
Khadidja aime la lecture et toutes ses
références se rapportent à l'Islam. Elle dit qu'elle lit
en moyenne deux livres par semaine malgré la préparation de son
Bac. Elle est inscrite à la bibliothèque.
J- ASSIA, LA SYNDICALISTE
Assia, 48 ans, est professeur d'anglais dans un collège
du centre-ville de Tizi-Ouzou, divorcée, mère d'une fille de 21
ans, elle a dû travailler jeune malgré un début de
brillantes études. Ainsi, à 20 ans, elle a rejoint l'école
normale pour y suivre 2 années de formation. Après le
décès de son père, elle a dû subvenir aux besoins de
sa famille (sa mère, ses quatre soeurs et son frère unique). Sa
mère étant gravement malade, elle lui a promis que toutes ses
soeurs iraient loin dans leurs études. Sa maman avait beaucoup de
remords... mais il fallait que son aînée se sacrifie...
- Qu'est-ce qu'une femme en Algérie ?
- La constitution garantit les droits tant à
l'homme qu'à la femme sans aucune discrimination. Sur le marché
du travail, elle perçoit absolument le même salaire que l'homme
qui exerce le même travail qu'elle. Dans le choix des postes de travail,
la discrimination est flagrante (peu de femmes en politique, aux postes de
commande tels que : PDG, Ministres, tout poste stratégique dans les
entreprises, etc.). Certaines femmes refusent elles-mêmes de tels postes
par peur des responsabilités : peur d'échouer et de ne pas
être à la hauteur, peur de ne pas pouvoir allier travail
responsable et contraintes familiales (éducation des enfants, prise en
charge du ménage etc.), peur d'affronter le refus du père ou
tuteur. Elles préfèrent les métiers qui obtiennent
l'adhésion de toute la famille et qui concilient son rôle de
femme, mère et fonctionnaire (ces emplois sont ceux qui, même
s'ils sont sous-payés, présentent certains avantages,
congés payés, proximité du domicile, etc.). En conclusion,
la femme répond plus à des considérations domestiques et
pratiques plutôt qu'à des enjeux culturels épanouissants et
autres.
La femme algérienne est très ouverte
à l'universalité mais souffre du carcan instauré par
l'homme, l'homme, enfin, n'est pas émancipé et ne conçoit
pas la parité entre lui et la femme. Le patriarcat l'arrange dans la
mesure où il confine la femme à un degré de "chose" qui ne
pense pas et qui n'a aucun pouvoir de décision. Néanmoins, le
travail féminin la libère petit à petit et lui
confère un statut de "citoyenne". Si je ne gagnais pas ma vie, je
n'aurais personnellement jamais réussi à habiter seule ni a
militer dans un syndicat. Mon travail m'a libérée
financièrement et m'a permis d'échapper au joug de la famille
(j'ai longtemps habité avec les miens).
La femme, lorsqu'elle est assez forte pour s'imposer, est
respectée et considérée au même titre que l'homme
(exemple : j'ai toujours été élue à la tête
du syndicat dans ma commune et mon élection a permis à d'autres
femmes d'adhérer massivement au syndicat (plus de mille femmes dans ma
commune). En fin de compte, la présence d'une femme à la
tête d'un syndicat rassure-t-elle l'homme au point où il permet
à sa femme ou soeur d'y adhérer ? Cette présence
rassure-t-elle aussi la femme qui est aux prémices d'une
démocratie balbutiante et encore mal comprise ?
- Quelle est sa place dans la structure familiale?
- La femme algérienne occupe le deuxième
plan dans la famille quand il s'agit de décisions importantes, de prises
en charges financières (achats, paiements de factures, constructions,
achat de voiture, mariage des enfants, enterrement etc.). Elle ne peut
même pas se marier en l'absence du père ou du tuteur (dû au
Code de la Famille). Certaines femmes ne perçoivent même pas leur
salaire qui est réquisitionné par le mari ou le père, voir
même le frère (c'est l'écrasante majorité).
Certaines femmes se rebiffent, luttent contre cet état de faits,
certaines vont jusqu'à divorcer, au risque d'être reniées
par les proches et au risque de perdre la garde de leurs enfants. En
Algérie, l'éducation des enfants est du seul ressort de la femme.
L'homme juge et condamne : uniquement quand les enfants sont bien
élevés, c'est grâce à l'homme, quand les enfants
tournent mal, c'est de la faute de la mère. La maman éduque mais
n'a pas le droit de prendre des décisions concernant cette
éducation, elle applique ce qu'exige d'elle le père ou le
mari.
- L'instruction, l'enseignement des femmes en
Algérie ?
- Du temps du président Boumédiène et
de la décision de démocratiser l'école, la fille avait le
droit à l'enseignement au même titre que le garçon car
l'école est obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans
révolus. Cependant, avec l'inflation et la précarisation des
familles, les parents démunis choisissent qui de leurs enfants ira
à l'école et qui deviendra ouvrier simple. Comme par hasard,
c'est toujours la fille qui est choisie pour faire des stages pour des
métiers féminins comme la couture, la coiffure, la broderie... Le
terrorisme a encore aggravé l'analphabétisation des filles dans
les zones à risque où les parents préfèrent les
garder à la maison par mesure de sécurité. Le nombre de
diplômés est à peu près le même pour les
filles et pour les garçons. Certaines associations tentent de s'occuper
des femmes et de les sensibiliser pour qu'elles arrachent leurs droits dans un
cadre organisé. Beaucoup reste à faire car les mentalités
sont réticentes et pas du tout prêtes à accepter la femme
aux côtés de l'homme.
- Qu'elle sera l'avenir de la femme en Algérie ?
- Avec l'ouverture de l'Algérie vers
l'universalisme, la science et la culture, avec le refus de la femme de se
plier à l'intégrisme et à l'obscurantisme, avec la prise
de conscience des femmes face à leurs droits, face aux médias
(parabole, Internet...), l'avenir de la femme algérienne est entre ses
mains. Elle doit être maîtresse de son destin et ne doit pas
attendre que l'homme le lui trace. L'évolution de la femme s'inscrit
dans la durée, son émancipation positive ne doit pas être
tributaire de l'aval de l'homme. Elle doit avoir son propre cachet garantissant
son identité, sa spécificité de femme différente de
l'homme mais jamais inférieure à lui.
- C'est le mot de la fin ?
- Vous savez, je n'ai pas eu de problèmes majeurs.
Je peux dire que je suis une femme algérienne qui a su me prendre en
main et surtout donner un sens à ma vie. Ma priorité était
l'éducation et l'évolution de ma fille et mon engagement dans ma
vie professionnelle et syndicale. Je n'ai pas trouvé mon bonheur dans le
mariage puisque j'ai demandé le divorce au bout de deux années de
vie commune. D'ailleurs, je ne le regrette pas et je suis même
comblée : j'ai eu une fille et mes soeurs et mon frère sont
universitaires (pédiatre, avocate, biologiste et maître de
conférence à l'université d'Alger, ingénieur en
pétrochimie). Je peux rajouter que, certes, la vie ne m'a pas tellement
gâtée. J'ai consacré ma vie de femme à la famille,
aux problèmes des autres... La préparation au sacrifice (se
sacrifier pour les parents, pour ses frères, pour la famille, pour les
autres, pour sa patrie : c'est une devise d'une musulmane) est partie
intégrante de l'éducation d'une fillette algérienne de
surcroît kabyle. On doit se contenter de cela et se taire.
Je pense qu'une fille ou une femme ne
réfléchit pas sur sa vie, sur ses sentiments surtout pour une
divorcée. Une divorcée ou une veuve doit oublier sa vie de femme,
se faire petite devant sa famille, ne pas perdre de vue son nîf
et sa horma (honneur). D'autant plus que ce n'est plus une vierge, une
femme plus facilement séduisable. Donc, il faut prouver constamment son
sérieux (comment expliquer cela, car ce mot je ne l'aime pas, c'est le
mot utilisé par les conservateurs et les analphabètes). Je dirai
plutôt prouver qu'on est une femme capable de réussir sans mari,
d'affronter les aléas de la vie sans mâle, de réunir les
capacités d'un homme et d'une femme, d'être à la fois le
père et une mère, d'être une femme respectable... sinon,
c'est une tare, une bombe à retardement...
J'ai dû être tout ceci pour mériter le
respect de mes collègues. Je n'attends pas des reconnaissances. Mon
combat n'est pas envers les hommes mais vers les mentalités, contre les
inégalités, pour une réforme des systèmes scolaires
car notre école est clochardisée, malade. Chacun de nous doit se
sentir citoyen et participer à la vie citoyenne et ne pas cautionner la
régression, le manque de dialogue. Un autre point, le combat des
a`rrouch (le mouvement des citoyens kabyles) dont j'adhère
à leur combat.
L'entretien a duré 45 minutes, elle n'avait pas assez
de temps, une réunion l'attendait. Il s'est déroulé chez
elle, c'était son choix. Pour la contacter, J'ai dû aller à
l'Académie (rectorat) de Tizi-Ouzou où elle faisait un
sit-in pour protester contre certaines mesures de l'Éducation
Nationale concernant la fermeture de certaines classes, surcharge des classes
(jusqu'à 50 élèves par classe), des attributions abusives
de logements de fonction, des cartes scolaires déviées et
concentration de structures : certaines écoles étant
détruites ou fermées pour causes sécuritaires... Elle
était contente d'avoir un entretien de ce type.
J`ai connu Assia lors des journées d'informations sur
le syndicalisme. Elle était membre fondatrice du premier syndicat
autonome (national) des travailleurs de l'enseignement fondamental : le
S.A.T.E.F. (après celui émanent du parti unique, l'U.G.T.A.). Je
connaissais son attachement à l'école républicaine et
à son combat sur l'égalité des chances pour tous.
Assia mentionne peu les différentes tentatives d'évincement de
ses collègues (hommes). Elle était la seule femme à rester
dans ce syndicat, plusieurs femmes ont abandonné leurs postes et leur
combat pour plusieurs raisons : intimidations, réunions à des
heures trop tardives, insécurité, trop de déplacements,
lassitude (combat sans issue...). Assia n'a jamais perdu l'espoir même si
le Ministère de l'Éducation Nationale et les rectorats ne
répondent pas aux revendications ou aux doléances du S.A.T.E.F.
Elle reste toujours aussi passionnée malgré les années
difficiles.
Elle m'a remerciée de mener un autre combat que le
sien. Elle m'a avoué que, durant les deux premières années
du S.A.T.E.F., elle souhaitait que nous rejoignions le groupe et ne comprenait
pas que des enseignantes ne soient pas aussi mobilisées et
engagées.
C'est une femme que j'ai longtemps admirée mais la
crédibilité du syndicalisme autonome, personne n'y croyait, du
moins nous l'assimilions aux activités du parti unique peut-être
par ignorance ou par rejet d'un certain fonctionnement étatique.
II- POINTS DE VUE
Il y a des événements propres aux femmes, il se
passe quelque chose qui les concerne particulièrement et qu'il faut
écrire, souligner et exploiter. La place faite aux femmes y a
été variable en fonction des représentations des hommes,
de l'histoire, de la politique et du temps. Aujourd'hui, les femmes sont
à l'ordre du jour, dans et hors des institutions. Est-il vraiment
légitime, utile et sans danger d'isoler dans le champ de la recherche le
concept féminin porteur, à première vue,
d'infériorité ou d'exclusion ?
Je dirais que, la femme étant strictement contenue dans
les rôles fixés par l'idéologie dominante, celle d'une
société masculine, l'évocation d'une femme ou du
féminin sous la plume de plusieurs acteurs se bornait à
refléter sa subordination aux impératifs du temps. Les
investigations, les entretiens, les débats entrepris dans le milieu
féminin en Algérie (à Tizi-Ouzou, plus
précisément), ont jeté un éclairage nouveau sur des
situations et m'ont permis de pondérer, d'une nouvelle façon, les
comportements des problèmes abordés. Il apparaît aussi que
le vécu collectif, social et individuel façonne une vision de la
condition féminine, des freins comme stimulants à son
évolution.
Pour Ghenima, Ghenounouche et Zohra, les
interprétations du Coran et de la religion apparaissent comme un
obstacle à leur émancipation. Zohra, Malika, Melha, Leïla et
Assia considèrent qu'il aurait seulement lieu de se débarrasser
de certaines interprétations préjudiciables à la
valorisation de leur rôle. La quête d'une identité
culturelle apparaît comme un domaine important de reconnaissance et de
personnalité. La société leur impose un rôle
précis : gardiennes des valeurs traditionnelles et familiales qui les
confinent à la maison.
Malika, Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Melha, Djedjiga, Assia,
Katia et les autres considèrent que l'État a une politique
attentiste et contradictoire. En effet, le pouvoir politique est
influencé par l'évolution du rapport de forces entre les
intégristes et les progressistes. Toutes les femmes, quel que soit leur
âge, leur situation, souhaitent être reconnues comme des femmes
responsables et intellectuellement capables. Elles sont aussi unies devant le
danger intégriste qui les menace. La situation de transition qui est la
leur les expose à des retours en arrière douloureux.
L'impact de la scolarisation sur les perspectives qui
s'offrent aux femmes est perçu également de façon
différente. Malika, Chabha, Leïla, Melha, Assia, Khadidja ont
compris l'importance de leurs études sur l'évolution de leur
statut. Malika, universitaire et libre, dira "que les études
libèrent la femme du poids de la tradition". Ghenima a pu se
perfectionner en couture et en tricot à l'aide des revues qu'on lui
achetait en cachette et elle a pu suivre la scolarité de ses enfants.
Elle a continué son apprentissage en lisant les cours de ses enfants (le
médecin et la dentiste), surtout de médecine. Toutes souhaitent
changer la mentalité masculine et les traditions retardataires, bien que
Leïla, Fariza et les autres femmes avec qui nous avons discuté
reproduisent ce schéma par l'éducation : préférence
du garçon. Toutes les femmes et les quelques hommes avec qui j'ai
discuté ont tous dit que "le changement viendra par les femmes
en Algérie". Comment ? Par les études, par le
militantisme, par l'écrit, par le fait d'occuper l'espace public... !
La question du matriarcat est souvent revenue dans les
discussions. La mère, par manque d'affection et de communication avec
son mari, la femme les projette sur les fils. Ainsi, elle obtient un pouvoir
qu'elle n'a jamais eu qu'elle exerce à la maison sur ses brus. Zohra,
Djedjiga, Ouerdia, Ghenima et Ghenounouche ont souffert du pouvoir de leurs
belles-mères et refusent ce système. Toutes ces femmes ne
portent-elles pas la marque d'une certaine inhibition et d'une acceptation de
fait de la société patriarcale ? Les Algériennes tendent
à déprécier le politique, à valoriser le social et
l'informel, intériorisant ainsi les normes traditionnelles. Le
rôle de la mère reste traditionnel. Le travail reste, pour elle,
une forme de liberté et d'indépendance, un contact avec le dehors
et d'indépendance financière.
Lors d'un bref séjour, j'ai également
discuté avec des jeunes filles, des adolescentes de 15 à 18 ans
et des jeunes hommes de 16 à 24 ans. Ils m'ont exprimé leur
désarroi, leur incertitude de l'avenir (tous veulent fuir et s'installer
à l'étranger), du malaise politique, du problème
identitaire et surtout des problèmes de leur scolarité...
Cependant, parmi tous les entretiens que j'ai eus, j'ai retenu une dizaine, le
reste m'a servi pour vérifier ma théorie. Les femmes ont
répondu à mes questions en kabyle ou un mélange de
kabyle-français-arabe.
III- SYNTHÈSE DES ENTRETIENS
À mon retour à Paris, les enregistrements, je
les ai écoutés à plusieurs reprises ont fait réagir
en moi bien des choses. Ils ont été révélateurs et
ont suscité beaucoup de sentiments et surtout d'idées à
travailler plus profondément et des thèmes auxquels je n'avais
pas pensé. Même si ces entretiens ont été faits dans
un désordre et empressement, il en est sorti des sous-thèmes
à étudier.
A- CONTRAINTES SOCIALES ET CRISES
IDENTITAIRES
La vie de ces femmes peut être résumée
à partir des axes suivants :
q Leur enfance et leur éducation ;
q Les images identificatoires : celle du père, celle
de la mère ;
q Leur statut de fille au sein de la famille ;
q Le rôle de l'école dans sa personnalité
et l'espace publique ;
q Leur rapport à la religion ;
q La conception de la virilité et de la
féminité ;
q Leur vie sexuelle.
Cette attitude serait une forme d'identification par laquelle
une partie de l'individu adopte l'identité d'une
"personnalité" qui n'est pas la sienne. Il s'agit
habituellement d'une identification partielle qui se limite à l'adoption
de comportements dont la personne n'est pas convaincue.
Cette "double identité" semble bien
être, chez les interviewées, un moyen d'empêcher une
identification totale avec le père ou la mère et donc une perte
irrémédiable de leur propre identité / enfant
modèle. Ces femmes semblent avoir exprimé dans leur enfance une
soumission totale aux désirs et aux attentes des parents. Leur "moi
intérieur" et secret révélait la vraie nature des
femmes à l'extérieur, dans l'opposition, la contestation et
l'agressivité chaque fois qu'il s'agissait des problèmes
concernant le statut de la femme.
Elles confirment dans leur conviction le changement du
comportement maternel après la naissance d'un premier garçon,
à savoir que sans pénis, l'individu n'est pas reconnu en tant que
personne. Le changement d'attitude des mères vis-à-vis de leurs
filles vient du fait que ces dernières ne pouvaient être un
"objet satisfaisant" pour elles puisqu'elles représentent une
menace et non une assurance. Comme elles sont un objet non satisfaisant pour la
mère aussi bien sur le plan sexuel que sur le plan moral et social,
celle-ci transfère tout son amour sur le garçon qui, lui,
représente une image à la fois satisfaisante et
sécurisante pour la mère (et pour le père). L'aptitude de
la mère à rejeter la fille et à préférer le
garçon donne aux nouvelles générations le sentiment
d'être abandonnées de tous, d'être vieilles. La relation
conflictuelle avec la mère ou la belle-mère est nettement
exprimée dans la haine et dans la rupture.
L'image des aînées est une image négative
et non identificatoire, mais c'est une figure très importante dans leur
vie puisqu'elle représente l'image de la femme traditionnelle. En effet,
les aînées se sont mariées très jeunes à des
hommes plus âgés qu'elles ne connaissaient pas avant et qui sont
devenus un peu le substitut du père par leur statut et par leur
autorité. Le mariage est considéré comme une passation de
pouvoir du père au mari. Ce dernier se substitue au père en tant
qu'agent d'autorité. Cette substitution est définitive puisque le
mariage fait de la femme la propriété du mari. L'image du
père (et même celle de tous les mâles de la famille) est
d'emblée projetée sur le mari qui représente la nouvelle
image incarnant l'autorité, la force et la protection. Investi en tant
que chef de famille, le mari devient le prolongement de l'image paternelle. Son
âge lui confère l'autorité nécessaire au maintien de
la supériorité masculine.
Ce que m'ont dit ces jeunes filles me donne une idée
assez précise du statut de la jeune fille au sein de sa famille. La
situation des filles arabo-musulmanes, en général, est
réduite à une lente annihilation, à une destruction de
leurs personnalités et de leurs identités. Melha, Malika, comme
la majorité des filles, ont vécu la haine du mâle et la
ségrégation des sexes.
Zohra, Ouerdia... refusées par le père,
rejetées par la mère, elles font l'apprentissage de
l'asservissement dans une famille et une société où
l'enfant de sexe féminin est agressé dans son corps de fille et
dans sa personnalité de fille. Très tôt, elles ont le
sentiment que leur venue dans ce monde n'est pas la bienvenue. La naissance
d'un garçon dans la famille est la preuve flagrante de cette
discrimination sexuelle. Si le changement du comportement paternel soulage un
peu la situation familiale, il a également accusé le fossé
qui existait déjà entre la fille et son père, consciente
que ce changement était une atteinte supplémentaire à son
identité de fille et à sa personnalité. Le rejet de la
mère n'a fait qu'accentuer le sentiment d'abandon chez la jeune fille.
Certaines mères ont creusé la distance entre
leurs filles et l'autre sexe. Le fils, qui a comblé toutes les attentes
d'autrefois en la vengeant du mari absent et également de la
belle-famille insatisfaisante, est devenu "l'Homme" pour la
mère. Celle-ci, par son comportement envahissant, "fixera" son
fils à elle de façon indélébile donnant naissance
à la méfiance entre les sexes. Le lien de l'enfance unira
à jamais la mère et le fils qui, plus tard, ne peut
éprouver que des sentiments ambivalents pour cette même
mère mais aussi pour toute autre femme qui n'est pas sa mère.
"... les femmes n'épousent jamais que les fils des
autres femmes. D'où les conflits belles-mères / belles-filles
autour du même homme et elles lâchent le combat du passé
pour celui de l'avenir" 255(*).
La mère, en tant que prototype de celle qui ne donne
plus et ne reçoit plus, qui demeure froide et indifférente, fait
naître chez sa fille le sentiment douloureux que sa vie n'a pas de sens
puisqu'elle ne compte plus pour personne, surtout pour la mère
gratifiante d'autrefois.
Melha, Chabha, poussées à devenir
"quelqu'un" par rancune et par esprit de vengeance,
elles ont réussi brillamment leurs études, créant par
leurs propres actes une identité pour soi-même qu'elles se sont
acharnées à faire reconnaître par les autres au lieu
d'être ce qu'autrui leur dit qu'elles sont. Chabha et Melha se sont
efforcées de n'être que ce qu'elles ont voulu qu'elles soient.
Ainsi, l'identité de soi s'est réalisée à partir
d'une redéfinition des autres.
B- LE RÔLE DE L'ÉCOLE DANS LA
PERSONNALITÉ DES INTERVIEWÉES
Dans les aspects de l'identité scolaire à
l'école maternelle, Liliane Lurcat écrit que :
"Devenir un écolier, c'est acquérir des
particularités au cours de la scolarisation (...)...même
si les destinées scolaires comportent une large détermination
sociale" 256(*).
Les particularités acquises par ces femmes tout au long
de leur scolarité les ont aidées à se réaliser en
fonction d'un projet d'existence à la fois personnel et collectif. Chez
le sujet, le sentiment d'identité a émergé de
l'interaction entre son expérience personnelle et la relation
établie avec les membres de la famille et les enseignants, en relation
avec la situation de formation de groupe, en rupture avec le quotidien
familial. L'école est apparue comme l'élément
révélateur de cette recherche identitaire de la femme puisque :
"La recherche de l'identité peut apparaître
comme un processus de défense contre l'angoisse, comme une limite
à des expériences peu sécurisantes" 257(*).
Les images familiales et les valeurs ambiantes sont mises
à l'épreuve dans les rapports que les femmes établissent
avec leur environnement et leurs proches. Elles jugent et condamnent leur
culture, rejettent les images identificatoires familiales et manifestent leur
désir d'être comme les autres. La réaction des mères
nous paraît être une preuve qu'en Kabylie, ce sont les femmes qui
se chargent de faire respecter la morale sociale, elles sont les farouches
gardiennes des traditions.
Même si l'école apparaît comme
l'institution type de changement, il arrive que l'identité personnelle
d'une femme s'affirme à travers ou dans des choix et des visées
confisquées au conformisme et au conditionnement des institutions.
"Dans un modèle inspiré du courant
fonctionnaliste (Claparède), l'enfant n'agit pas par ordre (...), il
puise son savoir dans les expériences qu'ils suscitent, ce qui,
pense-t-on, le libère de la tradition et du conformisme, et ses
initiatives sont validées ou invalidées par les faits, ce qui le
libère du dogmatisme" 258(*).
Dans le discours de ces femmes, nous relevons des signes
d'individualisme évidents. Même si l'éducation n'est pas
fondée sur la désintégration du moi, elles arrivent
à dépasser les obstacles qui s'opposent à l'affirmation de
leurs identités. Pour échapper à la déstructuration
de leurs identités, Ouerdia, Melha, Malika et Assia trouveront des
modèles en d'autres personnes, en rupture avec les images familiales et
les modèles sociaux. La perte des repères habituels, ressentis
comme hostiles, provoque chez le sujet une plus grande
réceptivité aux nouveaux stimuli. Cette situation suscite chez
ces femmes un conflit d'appartenance entre deux groupes aux
références contradictoires, avec dévalorisation de l'un et
valorisation de l'autre.
Dans leurs quêtes identitaires, elles ne recherchent pas
à renier leurs origines ni à effacer une mémoire
collective. Ce qu'elles recherchent, c'est une reconnaissance de soi par les
leurs, la reconnaissance de leur unicité et de leur
spécificité. Dans la tentative de se reconnaître/être
reconnue, elles ont tendance à exprimer leur volonté de faire
comme les pays développés. Comment produire une identité
personnelle à travers des mécanismes d'imitation ? Dans la
perspective de certaines femmes, l'imitation n'est pas négative. Elle
est, au contraire, un moyen favorisant la production et l'affirmation de
l'identité. À travers les autres, elles trouvent leurs
modèles et construisent leurs identités à l'image de ceux
et de celles qui ont exercé une action sur elles, action positive
puisqu'il ne s'agit pas de contrainte ni de pression mais de choix. Elles
refusent d'être comme telle mère ou telle soeur...
Pour ces femmes, l'école est signifiante
parce qu'elle leur a donné accès à une identité qui
la signifie aux yeux d'autrui. Elles ont compris très tôt que
l'enseignement pouvait, seul, constituer un facteur déterminant pour le
développement de leur l'affirmation et de leur personnalité.
L'école a été vitale car elle leur a évité
les dangers qui menaçaient la déstructuration de leurs
identités à cause du sentiment d'infériorité que
leurs familles ont développé chez elles depuis leur naissance.
L'école leur a légué un important sentiment de confiance
en soi, ce qui les a aidées à dépasser l'aliénation
en rétablissant l'équilibre qui faisait défaut au moi
personnel. Cette réalisation de soi a été possible
grâce à l'efficacité personnelle qui, à travers une
compétence scolaire, a repoussé les conflits et a amené
les autres à reconnaître le sujet dans ses réalisations et
dans la révélation de son identité.
Persuadée que seule l'autonomie financière peut
contribuer à la liberté totale ou partielle de la femme
grâce aux études poussées, Melha s'acharne à
continuer à évoluer professionnellement dans ce but. Le
rôle social qu'elle est appelée à jouer va structurer son
identité puisque :
"Les individus jouent les rôles non seulement de la
manière prescrite mais de manière à se faire exister en
tant que dépassant des rôles qui ne leur permettent pas, tels
qu'ils sont, de totaliser leurs expériences" 259(*).
Les expériences des femmes leur donnent l'impression
d'être distantes de la manière dont les autres femmes se
perçoivent.
"Elles croient s'écarter du modèle
théorique de l'existence d'une norme relative à la
représentation de soi dans un groupe impliquant l'analyse des processus
de conformité et de déviance à la norme" 260(*).
C- FÉMINITÉ, VIRILITÉ ET
RELIGION
La religion est toujours appréhendée comme un
sujet délicat, ambigu. Trois sujets sur quatre ne respectent pas
l'esprit de la religion islamique. Chabha tout comme Melha et Malika se sentent
musulmanes bien que, dans la pratique, elles soient loin de répondre
à l'image du vrai croyant. Le respect de la religion n'empêche pas
le sujet de juger et de critiquer cette religion. De leurs enfances et de leurs
scolarités coraniques, Leïla et Khadidja ne retiennent que la peur
et les châtiments multiples dont elles ont fait l'objet. "Je faisais
ce qu'on me demandait parce que l'idée qu'on me représentait sur
les châtiments divins était telle que j'avais une peur
obsessionnelle de l'au-delà". Cette peur conditionne les
comportements des enfants et les oblige à se conformer aux normes de la
société.
La religion serait un moyen de soumettre l'individu au choix
de la conduite majoritaire, impliquant le refoulement des désirs
individuels et des choix personnels. Dans le milieu algérien, l'individu
ne peut être que membre du groupe, c'est-à-dire
intégré dans une structure qui ne peut se maintenir qu'en
assurant la régulation des activités de ses membres. Les
rudiments de connaissances qu'elles ont, en matière de religion, ne sont
pas en mesure de sécuriser leurs croyances. Très tôt, dans
l'évolution du sujet, la construction de son identité s'est
réalisée dans des situations bloquées qui ne permettent
aucun apport personnel, aucun jugement et aucune critique parce que les
modalités mises en oeuvres par l'enseignement religieux sont
médiatisées par un discours immuable et sacré.
Au niveau de leur apprentissage en matière de religion,
Katia, et Leïla relèvent des lacunes dues essentiellement
à l'absence d'explication du côté des adultes. Ces derniers
avaient un seul souci : amener les enfants à les imiter dans leurs
pratiques. Or, l'atmosphère de peur dont on entoure les pratiques
religieuses conditionne chez ces jeunes femmes le développement
d'automatisme qui, en contact avec une culture, aboutit à une
atrophie du Surmoi.
L'école correspond à une phase décisive
dans la formation de la personnalité. Elle adopte une attitude plus
active, plus critique vis-à-vis des modalités culturelles et des
conduites sociales qui ne la signifient pas positivement et ne lui permettent
ni d'affirmer son unicité dans le monde, ni de développer une
identité personnelle authentique.
Cette attitude du sujet, qui saisit toutes les occasions en
classe pour critiquer et condamner les contradictions sociales, entre dans un
processus de "réalisation de soi". La prise de conscience des
tensions culturelles permet à ces femmes de se réaliser en tant
qu'être "unique" au contact de l'expérience et de
l'existence au sein de sa société. L'école sera pour
Leïla, Melha, Katia... une expérience qui va les confirmer
positivement dans leur développement et les fera évoluer vers une
plus grande autonomie dans leur affirmation de soi.
"Pour les femmes, le discours religieux reste une
expérience incomplète et inachevée. Elles envisagent de
compléter leur instruction religieuse plus tard. Ceci montre que
l'acceptation de ses limites est une condition préalable à
l'achèvement de ce que la personne est en voie de devenir"
261(*).
À travers l'expérience personnelle qu'elles
vivent, elles réussissent à établir des rapports
fondés sur l'estime et la valorisation. Et dans ces nouveaux rapports,
elles estiment nécessaire de réviser et de compléter
leurs connaissances en matière de religion.
Dans une tradition qui interdit à l'individu de porter
tout jugement sur les valeurs sociales et religieuses, les discours de ces
femmes conduisent ces dernières à une organisation nouvelle des
valeurs morales impliquant une autonomie relative de la conscience morale du
sujet. Cette démarche implique la formation d'un système de
référence pouvant servir de point de repère pour
évaluer les conduites des uns et des autres et pour régler les
siennes propres.
Tout au long de leur développement, ces femmes ont
tenté d'acquérir progressivement leur autonomie affective,
intellectuelle et morale. La réussite de cette attitude se traduit par
la valorisation et par la famille. Si l'organisation des personnalités
de ces dernières est tributaire de leur passé (compte tenu de
l'histoire affective, morale et intellectuelle qu'elles ont vécue
suivant une méthode et des techniques traditionnelles), elle l'est aussi
de leur présent et de leur avenir. Les personnalités de Ouerdia,
Ghenima, Ghenounouche, Zohra, Assia, Melha... sont en perpétuelle
formation, en perpétuelle "mouvance". Comme l'explique
Pierre Tap,
"La quête de l'identité trace un
itinéraire, elle est la recherche d'un programme de vie (...)"
262(*).
Pour certaines femmes, la virilité et la
féminité ont des connotations négatives parce que
chargées de préjugés. Les définitions sont
faussées par les réalités sociales. Elles sont
institutionnalisées pour préserver la société de
tous les maux. Parmi les plus graves : la femme dont le pouvoir
maléfique est capable d'annihiler l'homme, la société et
la religion. Ainsi, la virilité et la féminité dans
l'imaginaire algérien sont synonymes de supériorité et
d'infériorité. Ce genre de discours instaure la séparation
des sexes, mettant ainsi l'homme à l'abri des dangers inhérents
à la femme et à son pouvoir de séduction qui est si
considérable que, s'il succombe.
La virilité et la féminité, telles qu'on
les comprend et qu'on les explique dans la société
algérienne, servent à asservir la femme par un système
d'exploitation injuste qui vise non seulement le côté juridique
mais aussi sexuel. En Algérie, la virilité est assimilée
à la force, à la rigueur, à la violence, parfois à
l'intelligence. La féminité est assimilée à la
soumission, à la honte, à l'effacement, à la
beauté. La première condition à remplir par un individu
pour être accepté par le groupe est d'être
" homme ", c'est-à-dire sans faiblesse par rapport
aux femmes. La conviction religieuse, le savoir, la compétence et
l'honnêteté ne viennent qu'en seconde position.
Comme Malika, Katia, Melha, Chabha et Assia témoignent
d'une situation dramatique où la femme est prise au piège du
discours masculin, coincée entre un modernisme sans âme et un
traditionalisme sans âge. Cette situation installe toute l'Algérie
dans des conduites conflictuelles et des structures ambivalentes et l'individu
se trouve placé dans une situation de changement et/ou
d'évolution culturelle, à la fois engagé dans le temps du
progrès et bloqué dans les normes et activités
antérieures.
Chabha dénonce les rapports de force instaurés
entre les sexes. La polygamie, l'héritage, la répudiation...
font la fierté des mâles qui vantent leur propre
virilité. Cloîtrée dans sa maison, cachée
derrière un voile, la femme (l'épouse, la mère...) est
privée de tout critère d'évaluation et de jugement quant
à la valeur réelle de l'homme. Pour Chabha, tout homme est
naturellement viril du fait de sa condition biologique. Il est homme, donc
viril.
C'est pour cette raison que le mâle
algérien (arabo-musulman, en général)
préfère une épouse vierge à une femme
expérimentée, plus à même de saisir les points forts
et les points faibles de l'homme. Cela explique pourquoi les femmes
divorcées et les veuves n'ont qu'une valeur réduite sur le
marché du mariage 263(*). Souvent, la virilité est assimilée
à l'agression verbale ou physique de toute femme qui s'aventure dans les
espaces qui ne lui sont pas réservés. La plupart des femmes
s'élèvent contre cette injustice. Enfermées dans des
préjugés sociaux, la virilité et la féminité
confinent les femmes dans des limites très strictes et entourent le
monde masculin.
Il me semble que l'ambivalence de l'homme par rapport à
la femme (peur/désir) provient du fait que le mâle est viril et
misogyne. La féminité en Algérie est le problème de
toute société fondée sur le patriarcat et la division en
classes est caractérisée par d'immenses écarts entre les
différents groupes sociaux.
D- LA SEXUALITÉ
Dans la société algérienne, les coutumes
et les traditions en usage prescrivent toutes sortes de limites à la vie
sexuelle dans la vie de tous les jours. Comme la plupart des jeunes
algériens(nes), les femmes vivent dans une société qui
stigmatise la sexualité et en fait quelque chose d'impur et
d'avilissant. La sexualité est réduite à un simple
instinct animal à l'origine d'une souillure dangereuse pour le vrai
croyant qui ne doit pas confondre l'amour physique avec l'amour de Dieu et
l'amour maternel.
Concernant la majorité des femmes comme Khadidja,
Leïla, Melha..., leurs expériences sexuelles sont inexistantes.
Conditionnées à faire abstraction de leurs corps et à
renoncer à leurs désirs, elles grandissent dans la haine du corps
et dans le refoulement. La conduite de Khadidja et Leïla, quant à
leur propre virginité, nous permet de croire qu'elles adoptent et
revendiquent même les particularités de leur
société. Pour conserver la tradition, l'Islam : "une femme
est une personne qui garde sa virginité".
Dans le milieu kabyle, tout est mis en oeuvre pour nier la
sexualité de l'individu. L'éducation, basée sur la
répression, est une institution destinée à dresser le
sujet en vue de lui faire intérioriser les normes de la
société dans la négation de sa personnalité et de
son individualité. Malgré la part de liberté que Malika,
Melha ou Chabha ont acquise, elles demeurent, sur le plan sexuel,
conditionnées par les conduites sociales et les traditions.
"Sous l'Islam (...), la sexualité est
présentée comme obéissant à des règles. Le
code unique et spécifique de la loi islamique proscrit la fornication
qui est considérée comme un crime.264(*).
La vie sexuelle du sujet est fondamentalement
influencée par celle de l'entourage. La femme paraît
être une figure sexuelle négative puisqu'elle représente le
triomphe de l'ordre sur le désordre. En fait, ce n'est pas la
sexualité qui est attaquée dans le milieu arabo-musulman, mais la
femme : force destructrice de l'ordre social. Non seulement les femmes sont
considérées comme étant en dehors de l'humanité
mais, de surcroît, comme une menace pour celle-ci. La méfiance
musulmane à l'égard de tout engagement hétérosexuel
va se traduire par la ségrégation sexuelle et ses corollaires :
le mariage arrangé, le rôle important que joue la mère dans
la vie du fils et la fragilité du lien matrimonial
(révélée par les institutions que sont la
répudiation et la polygamie).
Dans le milieu algérien, la vie sexuelle est
canalisée vers le mariage. Tout projet sexuel en dehors des liens
sacrés du Nikâh (mariage) est considéré
comme zinâ (prostitution) et donc illicite. La
société patriarcale a dicté aux jeunes filles (Khadidja,
Leila) qu'elles doivent rester vierges jusqu'au mariage. Melha malgré
son indépendance est toujours vierge. Si la virginité est une
règle de morale que seules les filles doivent respecter, les
mères, de leur côté, défendent ce
"privilège" en surveillant étroitement leurs filles.
Privée de sa liberté quant à son propre corps, la
mère ne peut que priver les autres de cette liberté.
Inconsciemment donc, elle refuse à sa fille ce que la
société lui a refusé.
Dans une société patriarcale conservatrice, la
revendication d'une identité originale est conçue comme une
affirmation de soi, une revendication de sa différence. Or, pour la
société, la seule image positive consiste à adopter des
comportements conformistes qui, seuls, peuvent permettre la valorisation et la
reconnaissance sociales.
Conditionnées à vivre selon l'image que la
société lui impose, Leila, Khadidja répondent en grande
partie, aux attentes du groupe. Le rapport qu'elles ont avec leurs propres
corps confirment cette idée. Elles réussiront des actes
personnalisants. Mais de même, elles réagissent passivement
à des actes aliénants comme le fait d'accepter des visites
médicales pour rassurer leurs mères sur l'état de leurs
hymens. Cette situation montre que Khadidja (ou les autres célibataires)
est obligée, dans sa quête d'une reconnaissance sociale de son
identité personnelle, de "jouer" dans cet équilibre
difficile et précaire entre comportements différenciateurs
où se joue, de la façon la plus claire - et la plus dramatique -,
la question des rapports entre l'image propre et la reconnaissance sociale de
soi et, par conséquent, la question de l'identité tout à
la fois personnelle et sociale 265(*).
Persuadée que seule l'autonomie financière peut
contribuer à la liberté totale ou partielle de la femme, Melha
s'acharne à évoluer vers ce but. Le rôle social qu'elle est
appelée à jouer va structurer son identité puisque :
"Les individus jouent les rôles non seulement de la
manière prescrite mais de manière à se faire exister en
tant que dépassant des rôles qui ne leur permettent pas, tels
qu'ils sont, de totaliser leurs expériences" 266(*).
Les expériences de Ghenima, Ghenounouche, Zohra,
Djedjiga et de Fariza leur donnent l'impression d'être distantes de la
manière dont les autres femmes se perçoivent.
"Elles croient s'écarter du modèle
théorique de l'existence d'une norme relative à la
représentation de soi dans un groupe impliquant l'analyse des processus
de conformité et de déviance à la norme" 267(*).
Or, la conduite de Khadidja et de Leila, quant à leur
propre virginité nous permet de croire qu'elles adoptent et revendiquent
même les particularités de leur société. Pour
conserver la reconnaissance du groupe, ces jeunes filles conservent ce qui fait
d'elles l'être humain, une femme et une personne : sa
virginité.
E- LE CAPITAL SCOLAIRE
Qu'elles en soient conscientes ou non, toutes les mères
accordent dans leur démarche éducative la même importance
aux études des filles qu'à celles des garçons, sans
toutefois perdre de vue leur rôle maternel et "domestique". La
majorité d'entre elles, se préoccupent autant ("sinon
plus", précisent quelques-unes) de la réussite scolaire de
leurs filles que de celle de leurs fils. Les femmes actives sont, d'ailleurs,
conscientes de l'importance de leur capital scolaire. Grâce à
celui-ci, elles peuvent jouir d'une plus grande liberté, de s'investir
dans des projets, de se projeter dans l'avenir... Comme le répète
souvent les femmes (tous les parents, surtout les personnes privées de
scolarité) : "L'instruction est une valeur sacrée, celui qui
ne sait pas lire et écrire ne peut rien faire dans la vie
"où" l'instruction est la porte qui ouvre toutes les autres
portes".
IV- ANALYSE ET CONCLUSION
La nature de mon terrain, en tant que lieu privé, ne me
permettait pas d'utiliser une méthode directive rigide, alors j'ai
opté pour une méthode plus souple de type ethnologique. Mon
expérience sur le terrain m'a prouvé la richesse de
récolter l'information par le biais de l'observation participante, de
l'entretien non directif et de la conversation spontanée. L'utilisation
de cette méthode correspond bien plus à un comportement et
à une coopération du groupe qu'à une technique bien
précise. La raison en est que, comme le souligne, R. Creswell :
"Il n'existe pas une attitude générale
à adopter et à appliquer sur un terrain. Chaque situation demande
une réponse spécifique à la nature du champ
empirique" 268(*).
Je me suis rendue compte que, grâce à
l'observation participante (vu l'échec du premier entretien), j'ai pu
obtenir des informations auxquelles je n'aurais pu accéder par la
méthode directive de type questionnaire. Si j'avais dirigé les
entretiens de manière trop rigide, je me serais heurtée à
un blocage qui aurait appauvri nos informations.
Ainsi, les informations se sont accumulées le plus
possible en observant, en écoutant et en inventoriant l'espace. Cette
recherche d'informations m'a permis d'obtenir une somme de connaissances sur
mon champ d'étude et d'en dégager ses caractéristiques et
ses spécificités. Je me suis aperçue, en poursuivant ma
collecte de données, que l'apport du terrain débordait le cadre
dans lequel j'avais fixé ma problématique, ce qui m'a
amenée à sa remise en question et à sa refonte, comme le
souligne Albert Brimo dans son ouvrage 269(*).
L'observation des différentes données
recueillies à l'aide des entretiens chez les femmes appelle
immédiatement une remarque : ces données sont contradictoires.
De quoi s'agit-il ? D'une contradiction dans la valorisation de l'image
féminine : en effet, on observe, d'une part, celles dont l'affirmation
est timide ou commence à peine et, d'autre part, une forte valorisation
de l'image masculine qui est dominante. D'un côté, une
prégnance des traditions et, de l'autre, une attirance incontestable
vers ce qu'il est convenu d'appeler la modernité.
Il semble bien que la valorisation de ces images masculine et
féminine (cette dernière est celle des nouveaux rôles
sociaux de la femme), qui sont projetées chez les sujets, s'inscrive
dans deux visions du monde radicalement opposées : les deux
s'entrecroisent sans se superposer et elles interférent sans cesse,
devenant par-là source de conflit. Conflit est effectivement le
maître-mot qui ressort de l'analyse des données car ce qui fait
problème n'est pas tant la présence simultanée des termes
opposés que le sentiment de leur incompatibilité, voire leur
exclusion, chez les femmes. L'image féminine est bien en train de
changer mais en prenant la forme d'un conflit, c'est ce mot-clé de
voûte qui a subordonné notre réflexion.
Si la guerre de libération a contribué à
faire accepter la femme combattante responsable et adulte, la tradition et la
vie de tous les jours la confinent dans son rôle biologique. Gardienne du
foyer, elle doit être voilée, vivre sous l'autorité des
mâles. A chaque fois que l'on parle du droit de la femme, à
travailler, à choisir, ... , il se développe des fantasmes
particuliers de peur d'une femme, "toute puissance" qui serait
destructrice et mettrait en péril l'organisation sociale traditionnelle
à laquelle "s'accroche" nombre d'hommes ou de femmes.
Aussi, les freins à l'émancipation de la femme
sont-ils nombreux. Le groupe veille et contrôle les attitudes, les
modèles et une situation d'inégalité par
l'éducation différente donnée aux filles et aux
garçons (au garçon on susurre : "tu as tous les
droits", à la fille : "ton rôle est
d'obéir"), par les manuels scolaires (où la femme est le
plus souvent représentée comme passive et traditionnelle) et par
une dévalorisation permanente de tout ce qui est féminin.
Le groupe tente de freiner l'émancipation de la femme
malgré l'affirmation par les textes fondamentaux de
l'égalité des sexes et malgré l'apport des mass
médias qui clament le rôle prépondérant de la femme
dans le foyer, dans l'éducation, dans la production. Tandis que
l'Algérienne se forge une nouvelle image de la femme : adulte et non
plus mineure et sous tutelle. Ces sollicitations continuelles, support
d'idées nouvelles propres à notre époque, contribuent
à développer chez elle de nouvelles aspirations.
Dans le cadre de ma recherche, j'ai essayé de
connaître les aspirations de ces femmes, de quels types sont-elles et
quelles en sont les implications. Il m'est apparu alors que la femme
reflétait les contradictions de la société. Ainsi, les
femmes interrogées :
q Refusent de porter le voile mais acceptent de le porter en
certaines circonstances si on le leur imposait ;
q Estiment que les études sont primordiales pour la
fille mais font plus cas de celles du garçon ;
q Acceptent le travail à l'extérieur de la
maison mais tolèrent plus facilement si c'est pour des raisons
financières ;
q Ne sont plus favorables au mariage avec le cousin,
préfèrent choisir elles-mêmes leurs conjoints et les
connaître avant de les épouser mais avec, toutefois, l'accord des
parents ;
q Acceptent le principe de la dot et de la
cérémonie traditionnelle du mariage et considèrent comme
importante la virginité au mariage mais refusent de vivre chez les
beaux-parents ;
q Veulent avoir avec leurs maris des rapports
égalitaires, basés sur la confiance et la fidélité
mais acceptent, cependant, une attitude respectueuse envers le mari ;
q Estiment important d'avoir des enfants mais veulent limiter
le nombre et jugent que leurs maris sont concernés par leurs
accouchements ;
q Préfèrent le garçon à la fille
mais désirent élever leurs enfants selon d'autres modèles
que ceux employés avec elles ;
q Revendiquent la notion de responsabilité du couple
face à la gestion du ménage, à l'éducation des
enfants et leur conception mais pensent, toutefois, que la part de
responsabilité de la femme est plus importante ;
q Revendiquent pour une amélioration du droit au
divorce et rejettent polygamie et répudiation mais sont bien plus
sévères pour l'infidélité de la femme que celle de
l'homme ;
q Estiment que les hommes ont des privilèges qu'elles
jugent injustes mais reconnaissent à l'homme des qualités
qu'elles n'ont pas ;
q Redoutent d'être femmes, condition qu'elles estiment
dévalorisante et dévalorisée, auraient souhaité
mener une autre vie et souhaitent autre chose pour leurs filles mais gardent,
cependant, l'espoir que la condition de la femme ira en s'améliorant
grâce aux associations, aux militantes et aux nouvelles
génération.
La femme actuelle aspire donc à la modernité et
à des aspirations de type émancipateur. Elle porte ses
aspirations vers les études, le choix du conjoint, du nombre de ses
grossesses, de la non-cohabitation avec la belle-famille, la vie en couple, le
droit au divorce équitable, la liberté de sortie et l'espoir d'un
meilleur statut.
Face aux aspirations émancipatrices, des idées
contradictoires subsistent, des compromis se créent et
l'ambiguïté se retrouve. Ainsi, la femme continue à estimer
l'homme supérieur à elle, estime que sa place à elle est
au foyer et si elle a de l'instruction, elle tolère le travail, juge
qu'avoir des enfants est très important dans un foyer... Tout se passe
comme si les femmes revendiquaient une conception nouvelle et compensaient la
transformation de certains rôles en insistant sur le maintien d'autres
rôles sous une forme traditionnelle.
Le type de femme qui s'est dégagé au terme de
mes entretiens était la "femme en marche" mais, en même
temps, la femme "attente et compromis". Ouverte au changement, cette
femme est encore liée au groupe, à la tradition, à des
schémas traditionnels. Les nouveaux rôles sont, en fait,
indéfinis, incertains et provoquent l'insécurité. Les
rôles traditionnels, par contre, bien définis, sont plus
sécurisants et la femme "s'accroche" encore à eux. Le
rôle, qui répond au désir du groupe (socialement
désirable) et au consensus général, est un
élément de détente et d'apaisement.
Ces femmes s'opposent donc aux transformations totales et trop
brusques, celles qui les entraîneraient vers une situation
insécurisante. Elles optent pour la sauvegarde des principales valeurs
traditionnelles contre un assouplissement de certains aspects de leurs vies.
Elles acceptent la supériorité masculine mais refusent les
marques extérieures de cette supériorité ; estiment la
virginité est importante mais exigent de connaître leurs maris
avant le mariage... Elles réclament un autre type de mari, non
autoritaire, plus amical, plus tendre...
Tout se passe comme si, dans cette organisation sociale en
changement, existaient des soupapes de sûreté, des processus de
modération qui permettent à la société de rester
toujours en équilibre et de se maintenir. La société
accepte certaines innovations qui ne la mettent pas en péril et
maintiennent, par ailleurs, certaines valeurs traditionnelles fortes,
inchangées. Il me semble alors qu'il y a, chez la femme, en même
tant qu'un désir de changement, une résistance à ce
changement, cette résistance étant d'abord interne, liée
aux barrages intérieurs, à ses schémas éducatifs et
ensuite externe dans la mesure où le milieu freine ce désir. Le
conflit entre ces deux tendances, désir de changement et
résistance au changement, se manifeste par les clivages qui
s'opèrent entre les différentes opinions.
Les aspirations exprimées par les femmes sont,
cependant, difficilement réalisables compte tenu des freins
imposés par la société. En effet, dans la vie quotidienne,
l'arrêt des études de la fille est chose courante, le droit de
contrainte matrimoniale du père est tout puissant, la vie
cloîtrée est habituelle, la soumission au mari est la
règle. Il existe donc souvent une trop grande distance entre ce à
quoi rêvent ces femmes et la réalité de leurs vies. Leur
situation est encore le plus souvent traditionnelle et leurs aspirations trop
hautes par rapport à la réalité sociale, ceci crée
un climat de frustration et ce vécu conflictuel conduit souvent à
des réactions pathologiques.
Au cours de ma recherche, j'ai relevé une augmentation
du nombre des "états dépressifs" et suicidaires qui est, en
particulier, une donnée nouvelle (due aussi à la situation
désastreuse du pays, c'est une autre donnée et un autre
problème qui touche les deux sexes).
Ces états dépressifs de la femme sont, le plus
souvent, déclenchés par une intolérance à la
frustration liée à cet important hiatus entre les aspirations et
les possibilités offertes par la réalité sociale. Les
patientes ne peuvent se soumettre à la norme sociale ou bien supportent
difficilement leur situation du fait de l'idéalisation de leurs
aspirations. Ces aspirations induisent une demande, une revendication qui
apparaît comme inadéquate au milieu social, lequel agresse encore
plus les sujets en les isolant et les traitant d'êtres à part.
Leur seuil de tolérance est alors abaissé et ceux-ci, plus
sensibles à la frustration, basculent plus facilement vers une
réaction pathologique qu'un sujet aux aspirations adéquatement
adaptées à la réalité. Les mécanismes de
défense contre la frustration sont, d'une manière
générale, autopunitifs, les sujets se punissant d'avoir des
idées si différentes de celles du groupe et se forçant
à rentrer dans le rang le plus souvent aux prix d'une dépression.
Le schéma d'organisation favorisant chez les femmes ces
réactions pathologiques est le plus souvent le suivant :
q Les jeunes femmes aspirent à un niveau
européen, leurs aspirations étant cultivées par les mass
média, les études poussées, les influences... ;
q Elles tentent de réaliser leurs aspirations et se
heurtent à des échecs, du fait, d'une part, de l'organisation
sociale et, d'autre part, d'elles-mêmes (barrages internes) ;
q Elles essuient l'agressivité de la part de la
famille et du milieu social ;
q L'échec et le sentiment de culpabilité de
transgression favorisent l'apparition et l'organisation d'une vie
dépressive...
Il apparaît donc que la distance entre les aspirations
et la situation réelle est un agent pathogène,
générateur de conflit, qui peut conduire à la pathologie.
Cet aspect est de première importance chez la femme algérienne
contemporaine. Le processus de régulation de la société
traditionnelle est de moins en moins efficace. La femme actuelle est
angoissée par le changement. Elle vit des situations peu
sécurisantes et continuellement ambiguës. Cette
ambiguïté de statut et de rôle est un facteur important
intervenant dans la pathologie.
L'idée d'une libération des femmes par le
travail et le savoir apparaît, souvent, dans les discussions mais elle
reste soumise à des restrictions nombreuses. Et souvent, l'impression
qui se dégage des points de vue énoncés, divers dans la
formulation mais qui restent pour l'essentiel identiques, est que la femme,
quelle que soit sa position dans la hiérarchie du travail et dans
l'échelle sociale, n'est jamais tout à fait prise au
sérieux car, on le lui dit implicitement, le pouvoir qui lui est
accordé ne menace en rien l'édifice bâti par les hommes.
Alors, souvent, on se complaît dans l'évocation de grandes figures
féminines du passé, modèles insaisissables qui fuient
à l'infini et se dissolvent dans la représentation d'un prestige
à la mesure des seules héroïnes légendaires. Le
présent ne propose que des velléités d'actions
féminines progressistes vite dénoncées, vite
étouffées.
En dehors des barrières culturelles et psychologiques
à la promotion sociale de la femme, il y a également les
barrières qui caractérisent le malaise de la
société moderne. En effet, la civilisation actuelle,
essentiellement matérialiste, valorise presque exclusivement le
rationalisme et l'affairisme. Or, il est vrai qu'en général, la
femme algérienne ne se retrouve pas et ne s'accomplit pas pleinement
dans cette voie car, tandis que l'homme accepte plus facilement
l'abrutissement, l'absence de sentiments, la froideur et le désaccord,
la femme dépense de l'énergie pour alimenter, par l'expression,
une vie intérieure à laquelle elle tient plus que l'homme et dont
elle ressent plus l'importance pour l'équilibre de l'individu (à
raison, d'ailleurs, puisque c'est ce qui donne sens à la vie). Or, cette
dépense d'énergie n'est pas comptabilisée et n'a pas de
voie de valorisation réelle dans la société actuelle. Elle
reste intériorisée.
Par ailleurs, on pourrait rattacher la plupart des maux de la
société moderne à cet excès de rationalisme qui
tend à envisager la vie de l'être humain et qui l'aliène.
Les conséquences de ce système sur l'équilibre de
l'individu sont évidemment néfastes. Il en résulte :
q La soumission aux besoins de la machine sociale
extrêmement complexe ;
q La frustration des besoins spirituels (amour,
fraternité, harmonie, contemplation, etc.) qui n'ont que très peu
de place dans la société actuelle ;
q L'asservissement aux besoins matériels secondaires
créés de toutes pièces par la technologie au service de
l'argent de plus en plus dépendant ;
q L'angoisse créée par le conflit entre les
tendances diversifiées à l'extrême par et pour le
système (on a toujours trop à faire).
Si j'ai mis l'accent, pour finir, sur des problèmes
plus généraux qui semblent un peu dévier mon thème
central, c'est parce que la femme est un élément dans un ensemble
écologique complexe qu'il s'agit, à long terme, de transformer
à la base afin d'aboutir à une libération totale et une
harmonie réelle entre les deux sexes. Il va sans dire que cette
conclusion un peu pompeuse ne doit pas minimiser l'importance de la
résolution des problèmes plus terre à terre
d'égalité juridique.
La lutte des femmes commence dans la famille, peut, cependant,
se prolonger par un militantisme (comme Malika, Melha) idéologique et
politique pour un statut social plus libre. Mais, la révolution n'est
pas simple. Elle doit, en fait, livrer un combat elle-même encore plus
acharné que sa lutte idéologique. Ce principe est vrai,
d'ailleurs, pour toute lutte révolutionnaire car la dimension
intellectuelle de l'homme n'est pas superposée avec son histoire. Il est
d'abord la résultante du système contre lequel il lutte et doit
lutter contre lui-même.
À travers toutes ces rencontres et ces entretiens, j'ai
appris à écouter les femmes, à les connaître,
à comprendre le cheminement, à accepter leur idée, leur
mode de vie que le mien. Avec cette distance et ce recul, j'ai du respect pour
toutes les histoires de vie et de trajectoire.
Par ailleurs, cette recherche m'a également permis de
comprendre l'Islam et j'avoue que j'avais beaucoup de
préjugés. J'ai apprécié mon appropriation du
savoir et du respect à la différence.
Toute femme est dépositaire d'une pépite d'or
authentique qui lui permet d'illuminer la vie humaine, la sienne et celle de
l'homme, à condition qu'elle veuille bien se donner la peine de la
révéler. "Toute femme est enceinte d'un soleil". Une
compréhension intime, originelle permet à la femme
d'accéder au coeur d'elle-même, à son essence, à une
émanation d'ordre subtil. Cette essence féminine se communique
par une vibration de vie et d'âme qui parle directement à la
nature de l'homme et le polarise vitalement, affectivement et spirituellement.
La flèche du développement de la femme ne va pas
seulement à l'intérieur dans l'affirmation de son
identité. Au moment où les valeurs ont besoin de refleurir dans
les déserts du confort et du stress, un visage de femme se dessine en
pointillé dans le schéma du futur, il inspire et introduit les
changements de valeurs dans la civilisation.
Ce centre peut se définir à la manière de
Jung comme la mise en résonance avec ce "soi" qui est
connaissance, transcendance et totalité. Pour l'atteindre, il faut
traverser les couches du "moi" et cesser de s'identifier à sa
personnalité. C'est le travail long et complexe de la réalisation
de soi. Les multiples sources d'excitation nerveuse, de sollicitations et de
distractions de notre civilisation rendent plus que jamais nécessaire ce
recentrage que toute l'éducation, puis toutes les
nécessités sociales, tendent à nous faire perdre. Les
religions tombent en lambeaux usés et la morale chancelle faute de
bases. Crise de valeurs. Il faut tout réinventer, ou plutôt tout
retrouver, à partir d'une authenticité interne.
Déjà, le combat féministe paraît
d'arrière-garde et les femmes actuelles sentent d'instinct, sans
même y réfléchir, que cette étiquette ne sert pas
leur séduction. La "revendication a une odeur d'esclave et la femme
d'aujourd'hui s'affirme comme conquérante", pourtant, chaque femme
porte en elle les stigmates de la longue histoire de la femme et, en une seule
vie, doit retraverser plusieurs étapes. La mémoire et la
conscience sont des atouts précieux pour connaître et
éviter des écueils déjà connus.
Je n'ai peut-être plus besoin d'être
féministes mais le besoin d'être "acteur", féminine et de
mieux cerner et affirmer les valeurs féminines. Le rôle de la
femme n'est pas de revendiquer un droit ou une liberté dont nul n'aurait
dû penser à la priver : elle crée, elle affirme, elle
avance... Le partage des rôles est-il inéluctable? Des milliers
d'années de civilisation ont achoppé sur ces questions. La
négation ou l'usurpation des rôles ont entraîné des
dépenses infinies d'énergie, des souffrances et des errances qui
continuent d'alimenter tous les jeux.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Depuis l'origine de la civilisation, la formation de
l'État et la stratification sociale, et d'après Simone de
Beauvoir, la plupart des :
"Législateurs, prêtres, philosophes,
écrivains, savants se sont acharnés à démontrer que
la condition subordonnée de la femme était voulue dans le ciel et
profitable à la terre. Les religions forgées par les hommes
reflètent cette volonté de domination... Ils ont mis la
philosophie, la théologie à leur service " 270(*).
Le philosophe Platon a remercié les Dieux de l'avoir
gratifié par deux méfaits : de l'avoir créé,
d'abord, libre et non-esclave et, ensuite, homme et non-femme. Il a fallu
attendre l'arrivée de Diderot et Stuart Mill pour faire accepter
l'idée de la femme comme étant un être humain !
I - RÉALITÉ
ALGÉRIENNE
Réalité vaste, complexe, foisonnante,
l'Algérie est aussi (et pour l'étranger, d'abord) un symbole.
C'est là simultanément sa conquête et son fardeau.
Prétendre ne rien trahir ni rien omettre des multiples perspectives
serait, dès lors, bien téméraire.
Aussi, cette recherche n'a-t-elle nullement eu la
prétention d'appréhender ce pays dans son exhaustivité ni
dans ses quantifications si propices, par ailleurs, aux illusions du savoir et
à la reproduction des stéréotypes.
L'intention, ici, était précisément de
recenser les clichés falsifiés, les images figées hors du
réel. Je me refuse à entretenir la trop abondante imagerie de
l'Algérie en me gardant du regard extérieur qui enferme
l'Autre en deçà de lui-même.
Au contraire, j'ai tenté de proposer de
l'Algérie une approche de l'intérieur et sur le monde du sensible
: comprendre les logiques internes spécifiques en discernant les
ambiguïtés et les contradictions inévitables
engendrées par le choc des temps différents ; se garder de
confondre ambiguïté et incohérence ; ne pas s'arrêter
à la superficie des être et des choses en ne les voyant pas
seulement par "l'écorce" et aller aux racines en suivant des
cheminements, des continuités, en découvrant les paysages
intimes, les horizons intérieurs qui composent la trame cachée de
l'être.
C'est la terre et c'est le monde paysan qui composent, en
Algérie, les profondeurs de l'être. Ce sont les intérieurs
du pays qui modèlent, chez les Algériens, leur
réalité et leur personnalité. C'est là aussi, dans
les intérieurs du pays, qu'elle trouva refuge durant les temps sombres
de la colonisation. C'est là qu'elle s'affirma et s'imposa.
Au-delà de la diversité des terroirs et des
espaces qui composent ce vaste pays, au-delà de la diversité des
modes culturels qui organisent ensemble le champ culturel algérien,
complexe, certes, mais étonnement riche d'héritages autant que de
potentialités, se dégage le fonds commun et s'affirme
l'unité algérienne.
Unité d'abord dans la conscience d'être
algérien, dans l'identité nationale qui se superpose toujours
à l'appartenance régionale. Unité également dans la
communauté de nombreux points d'ancrage, de permanence
héritée du passé. Similitude des références
intangibles sur quoi s'est bâtie la personnalité, sur quoi, aussi,
s'élaborent les aspirations nouvelles du changement.
Ces horizons intérieurs communs, pétris d'humus,
j'ai tenté de les approcher au travers de plusieurs thèmes
essentiels à la construction de la réalité
algérienne ; des thèmes qui sont aussi le lieu de bien des
interrogations des étrangers sur les Algériens : famille, femme,
relation sociale, Islam, lois, identité... Au-delà des
diversités régionales, au-delà des différences de
conception et de vécu, pour tout Algérien, ces mots recouvrent
les mêmes significations et vibrent des mêmes larges
résonances.
Afin de rendre plus perceptibles permanences et changements,
de mieux saisir l'imbrication du passé profond et du présent
novateur qui composent ensemble l'Algérie d'aujourd'hui, j'ai
circulé, sans rupture de l'un à l'autre, tout au long des
différents thèmes abordés.
Peu de peuples ont, autant que le peuple algérien, le
souci du regard d'autrui. L'Autre, jamais n'indiffère. Si, dans
le système éthique traditionnel, les échanges d'honneur et
les conduites de pudeur revêtent autant d'importance, c'est parce que le
regard de l'Autre (groupe ou individu) est doté de valeurs et
aussi de pouvoir. Face à autrui, c'est à une véritable
symbolique du regard que se réfère l'Algérien. Le regard,
porteur d'influences bénéfiques ou maléfiques, est en soi
une puissance. Par-là, il peut être transgression, appropriation,
dégradation. Et le voile dissimulant les femmes, autant que les hauts
murs des maisons aveugles, constitue aussi l'expression de cette extrême
sensibilité au regard d'autrui.
Que cette sensibilité ancrée au plus profond de
l'être, n'ait perdu, de nos jours, de son acuité et acquis, au
contraire, un surcroît de signification, ne devrait pas surprendre. Car
elle s'est, ô! combien, accrue des enseignements d'une histoire
tourmentée qui prouve aux Algériens que le regard
extérieur d'autrui leur a attribué un être falsifié
qui construit d'eux même une image déformée,
dégradée, une image qui leur soit intelligible,
étrangère, extérieure, une image qui dérive en
jugement.
Dans l'histoire des relations de l'Occident avec le monde
arabe, en général, et de la France avec l'Algérie, en
particulier, il y a toujours et encore ce regard porté qui ne se
départit jamais de son extériorité en déniant
à l'Autre sa logique interne et spécifique.
Retranché dans cette position extérieure si proche de
l'accusation, on n'en finit pas de jauger l'Autre au moyen de
références et de critères tout à fait particuliers
mais parés des vertus de l'évidence et de l'universalité.
Aujourd'hui, en France, on a sur la question de
l'Algérie une opinion bien arrêtée, étayée,
croit-on, par une information, sinon une "expérience", du pays
et des hommes. De ce peuple, l'Autre prétend tout
connaître ; or, il fait à contresens car ce pseudo-savoir,
moulé dans le cadre étriqué et déformant de
l'ethnocentrisme, n'est qu'appropriation, exclusion de l'être hors de
lui-même, réduction à un schéma
préétabli et falsifié..
À la différence de l'Asie ou de l'Afrique,
l'Algérie est simultanément trop proche de l'Autre (la
France) et trop éloignée de la triple distance de l'Islam, de
l'arabité et d'une "histoire commune". Histoire commune,
certes, qui, selon l'euphémisme consacré, a tissé entre
les deux pays des "liens nombreux" mais aussi histoire
singulièrement lourde d'antagonismes multiples qui projettent
l'Algérie au premier plan de la susceptibilité de
l'Autre.
L'Algérien focalise sur lui l'hostilité
fantasmée. Campé tout proche, face à l'Europe
méridionale, face à la France, il est, tout à la fois,
l'arabe, le musulman, aujourd'hui, il est le terroriste qui viole et
égorge femmes et enfants... Pour tout cela, il est désigné
aux mythes et aux phobies que l'on conjure par le mépris, la haine puis
la guerre.
La question de la relation à l'Autre se pose
avec acuité toute particulière avec l'immigration. Elle
déborde alors largement le cadre de l'État et des principes
éthiques ou philosophiques pour toucher d'abord et directement chaque
individu. L'Algérie a toujours eu pour souci d'affirmer son
identité et sa spécificité, diamétralement à
la différence anecdotique où elle fut si longtemps
réduite. D'où la forte tentation d'un radicalisme figé
dans l'idéologie arabo-islamique.
L'essor du développement, dans les années
soixante dix, cache mal les zones d'ombre : un environnement mental et culturel
déphasé, un discours identitaire non intégré
à la dynamique socio-économique, une direction politique
où l'esprit de changement était contrecarré, sinon
vidé de sa structure, par ses propres atermoiements. En confondant
essence populaire (de la Révolution) et populisme, on a donné
naissance à un laxisme destructeur. Sous prétexte de faire place
aux gens de peuple, on a sous-estimé les dangers de
l'incompétence, les ravages de l'inculture, les fascinations de
l'embourgeoisement et l'arrivisme.
Si grave que puisse être le degré de
détérioration atteint par le pays, il n'est pas de remède
miracle. L'unique issue réside dans un immense afflux de
rationalité et dans l'avènement d'hommes capables de l'incarner
rigoureusement. Pédagogie à long terme qui exige, pour chaque
secteur, rien moins que de vrais fondateurs.
Il est devenu traditionnel, à notre époque, que
les pays qui naissent (ou qui renaissent) à l'indépendance,
proclament solennellement leur adhésion à la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme et aux principes de la Charte des Nations
Unies. L'Algérie y adhère mais la pratique est autre.
Des institutions démocratiques existent, elles sont
même proliférantes. Il n'empêche qu'elles font penser
à des décors vides, l'esprit démocratique n'a pas suivi.
Il ne suffit pas de donner une constitution, d'instaurer le suffrage universel
(incluant le vote des femmes et des jeunes à partir de dix huit ans),
d'élire des assemblées, de convoquer des congrès, pour
faire exister la démocratie.
Le mot "réforme" est à la mode
(réforme du système scolaire, réforme de la Constitution,
réforme du Code de la Famille...). Mais, la réforme des
réformes, celle qui touche au destin de la raison dans nos
sociétés, est réduite à la position congrue,
abandonnée, au mieux, à une institution universitaire qui
n'échappe pas elle-même aux affres de l'interrogation quant au
sens de sa mission et à la nature de ses perspectives.
Le "découplage" entre concept politique et
concept rationnel devient routine, déchirure ordinaire. Le premier
régresse alors dans l'autoritarisme le plus traditionnel tandis que le
second, pris dans le gel identitaire, dépérit. Une intelligentsia
de puissante stature se trouve dans son ascension. Ce qui lui tient lieu
d'ébauche vit, malgré le nombre, sa marginalité. L'exil
n'est pas celle de la misère mais un refus
désespéré de l'irrationnel. Par parenthèse, un
signe infaillible : non seulement rien n'est fait pour retenir les cadres mais
leur départ, à la limite, réjouit.
Allergique aux lumières, l'obscurantisme, envisageant
la formation sous l'angle unique du quantitatif et de l'instrumental et faisant
fi des principes de base qui doivent sous-tendre une pédagogie se
voulant moderne (conscience critique, jugement libre, pensée autonome) a
éducoloré le projet éducatif, stérilisé et
falsifié sa relation à la modernité.
Corruption et démagogie constituent les symptômes
classiques du dysfonctionnement de l'État algérien. Avant
d'être des vices que la morale condamne, elles sont les sous-produits
d'un management qui se définit. Dès lors, le salut ne
réside pas dans la morale (ou la théologie) mais dans un retour
au rationnel. Il ne s'agit pas de remplacer un régime immoral par un
autre plus conforme à la morale en attendant qu'il
dégénère à son tour.
L'histoire algérienne ne manque pas de femmes
prestigieuses qui, à un moment de leur vie, ont joué un
rôle. Femmes réelles, femmes légendaires et qui,
par-delà le temps, sont devenues des femmes mythiques. Mais,
hélas, elles ont été oubliées, effacées et,
dans l'inconscient collectif, ne subsistent que des images fugitives.
Parler des femmes qui ont fait leur destin, c'est les rendre
présentes à la conscience. Elles sont alors un modèle
dynamisant qui peut déclencher, en chaque femme, un désir de
valorisation. Des femmes cloîtrées, voyant les femmes des
associations manifester, ont souvent dit qu'elles admiraient leur courage, leur
combativité mais, hélas, qu'elles ne pouvaient en faire autant.
Elles reconnaissent que cela leur donnait un peu d'espoir et surtout un
meilleur moral pour affronter la grisaille quotidienne.
C'est encore à des femmes comme Tassadit Yacine, Fatima
Mernissi, Assia Djebbar, Naoual Al Saadaoui... que nous devons ces
résurrections dont nous avons toutes besoin. Modèle
d'identification qu'il faudra dépasser pour mieux affirmer notre
identité. Le modèle doit aider à structurer sa
personnalité mais ne doit pas aliéner. Tout le monde ne peut
être une Kahina, une Fatma N'Soumer, une Djamila Bouhired ou une Zohra
Drif... mais leur destin a une valeur d'exemple qui peut donner un sens nouveau
à la lutte des femmes. Toutes ces femmes qui ne sortent pas des contes
des Mille et une nuit ont réellement existé et ont
revendiqué des droits essentiels. La liste des femmes
célèbres non seulement par leur beauté mais par leur
intelligence serait trop longue.
Face à la colonisation française, ce sont encore
des femmes qui font parler d'elles et, en particulier, Fatma N'Soumer. Ce qui
frappe en elle, c'est la prise de conscience et non-sens affirmé du
droit. Pieuse, patriote, intelligente, elle était un modèle de
son vivant. Elle a organisé la résistance contre les troupes
françaises. Elle a galvanisé les populations. Chef prestigieux,
elle a combattu jusqu'au bout de ses forces. Femme du peuple amazigh, elle est
entrée dans la légende comme tant de femmes.
Djamila Amrane, combattante de la révolution, a
consacré un livre aux "bâtisseuses de la liberté"
: Les femmes algériennes dans la guerre. Elle dit :
"L'engagement des militantes est peut-être le
phénomène le plus extraordinaire et l'une des données
décisives de la guerre d'Algérie. Rien pourtant ne laissait
présager que l'Algérie des années 50, à la fois
méditerranéenne, berbère, musulmane, colonisée et
par-là même prisonnière d'un statut contraignant, puisse
prendre part au combat (...).
La répression n'a pas fait de différence
entre les sexes...Les prisons se sont remplies de femmes de tous âges...
une maquisarde sur quatre est morte au combat" 1(*).
On ne peut s'incliner devant tant de souffrances. Ces femmes
sont allées jusqu'au sacrifice suprême pour que L'Algérie
soit libre. Des milliers de femmes sont des battantes : des Kahina, des Hassiba
Ben Bouali et tant d'autres. Toutes issues de familles traditionnelles et qui,
à un moment de leur existence, ont fait l'histoire et sont
entrées dans l'histoire.
Et pour éclairer cet avenir dont parle la
regrettée Anna Greki :
"Voilà Hassiba Boulmerka, notre championne
olympique du 5 000 m portant haut l'honneur et l'espoir des femmes
algériennes" 2(*).
Elle a crié une phrase superbe, porteuse de promesses :
"Oui, c'est ça, l'Algérie! ", l'Algérie des
femmes courageuses porteuses d'un idéal de liberté. Par
l'écriture, par la fiction, des femmes-écrivains ont donné
une présence, une voix à ces femmes. Femmes prestigieuses, femmes
d'engagement, chacune affirme son existence à sa manière.
Oui, ces femmes appartiennent à la mémoire
collective : femmes réelles devenues femmes de légendes, elles
ont été sublimées dans l'inconscient collectif. Ces femmes
ont revendiqué leur espace, leur parole confisquée, leur
histoire. Le temps de ces femmes est le temps de toutes les femmes. Nul n'a le
droit de nous priver de ces emblèmes. Leur histoire rejoint la
nôtre et nous devons les approprier non comme une image mythique et
figée mais comme un exemple dynamisant, structurant notre
identité. Elles ont été dans le temps et hors du temps.
Chaque vie de femmes est une histoire. Combien de fois n'ai-je
pas entendu des femmes me dire : "Si je te racontais ma vie, il y aurait de
quoi remplir plusieurs livres". Il n'y a donc là rien
d'exceptionnel. La vie de chacune de ces femmes est, en fait, une histoire non
de ce qu'elles ont fait et subi mais l'histoire de ce qu'elles n'ont pu dire,
tout le non-dit porteur de révoltes profondes. Ces femmes m'ont
encouragée dans ma recherche et m'ont demandée d'écrire ce
qu'elles éprouvent...
Faut-il parler, dire, écrire ? N'y a-t-il pas là
une nécessité vitale, nécessaire à
l'équilibre ? Tout le monde ne peut pas écrire mais il y a
toujours, à un moment ou à un autre, quelqu'un qui en sent le
besoin et qui raconte... raconter sans fin... Et alors, se crée une
sorte de solidarité, de communauté. Les autres femmes prennent
alors conscience de leur condition. Est-ce un remède ? La
communauté des malheurs peut-elle aider ? L'expérience des autres
peut entraîner une réflexion sur soi, une compréhension des
mécanismes qui, peu à peu, ont aliéné la femme.
Toute vie n'est pas forcément un échec mais il y
a plusieurs façons d'assumer cet échec : soit il développe
l'agressivité, soit, au contraire, il est porteur "d'une information
qui a pour effet d'intégrer l'acte en question dans le système
dynamique de la tâche à accomplir ou bien de l'en
éliminer" 1(*).
Comment être soi-même avec les autres qui refusent
que vous le soyez ? Le dilemme est terrible et souvent décourageant. N'y
a-t-il donc pas d'issue ? Le silence dans lequel l'on "enferme" les
femmes empêche tout dialogue et nie toute existence. Il faut parler.
Comment l'Autre peut-il savoir, connaître vos pensées,
vos besoins, vos souffrances, si vous n'en parlez pas ? Et cela est valable
pour le partenaire. Les deux personnalités sont écartelées
et il serait égoïste de croire que seule la femme subit le poids
des contraintes sociales.
On peut dire que la domination masculine a forgé un
type de femmes qui fait fonctionner le système de domination. Effacement
du corps, effacement de l'intelligence, confiscation de la parole,
sacralité de l'écrit ont complètement aliéné
les femmes. Lorsqu'elles prennent conscience des conditions objectives de leur
oppressions, elles ne peuvent rester indifférentes.
Avec la démocratie et la multiplication des
associations qui investissent le champ social, on est interpellé par la
charge explosive des discours féminins. S'il y a violence, c'est qu'il y
a eu violence quelque part. Les femmes parlent, osent parler malgré les
menaces de mort qui pèsent sur elles et s'installent dans la
société civile (plus de dix députées à
l'Assemblée Nationale, toutes issues du mouvement associatif). Leur
présence dérange parce que cette image de femmes prenant la
parole en public a peu existé. Mais peu à peu, l'image
s'intègre et, à l'image de la femme silencieuse, soumise, se
superpose l'image d'une femme militante.
Certes, les discours féminins sont porteurs de
changements et la femme est ainsi un fil conducteur par lequel passe le
transfert des signes, la mutation d'une identité car elle offre la
possibilité de se confronter à la différence en soi et par
rapport à l'autre.
"Avec la parole, une autre femme naît qui refuse les
images, les symboles, le langage qui l'ont aliénée depuis des
millénaires. Une femme sans voix est une marionnette. Elle n'existe pas.
Elle n'a pas de réalité. La transgression est une victoire sur le
tabou, "sur la peau tatouée" " 1(*).
Grâce à la force du verbe, la conscience
identitaire donne présence à un corps, à une voix,
à une personnalité totale. La prise de parole s'établit de
nouveau et répond à un besoin sacré de la nature humaine.
La femme algérienne moderne existe et avance
malgré les forces de régression. Elle n'est ni
occidentalisée, ni mécréante : elle revendique seulement
une existence à part entière. C'est un problème de
dignité. "Maintenant n'est plus comme avant", disent certaines
femmes interrogées.
II - RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES.
A - LA FEMME ET LES TEXTES
Ibn Rushd (1126-1189), l'un des plus grands philosophes et
savants arabo-musulmans et le percuteur du rationalisme moderne, tenta de
sauver l'exercice de la raison, de la science des fouqahas
anti-rationalistes et des autocrates (ses oeuvres finissent au bûcher et
lui fut condamné à l'exil). En effet, il a opéré
une distinction entre la vérité religieuse basée sur la
foi et la vérité scientifique qui ne peut être saisie que
grâce à une démarche philosophique rationnelle. Pour lui :
"... Ce sont les théologiens qui
"brouillent" les cartes en voulant à tout prix
"interpréter" les textes révélés,
mélangent (...), engendrant une multitude de sectes qui déchirent
l'Islam,( ...) " 271(*).
Mais loin d'opposer la religion et la philosophie, Ibn Rushd
démontre que l'une et l'autre, n'ayant ni les mêmes fins ni le
même public qui empruntent des voies différentes, n'ont pas
à être comparées, ni a fortiori opposées.
Les maîtres de l'ordre néopatriarcal n'ont jamais
tenté de mettre à l'abri les fouqahas, les islamistes et
leurs émirs égorgeurs, "l'usage de la raison", la
pensée critique - qui est la négation des traditions -, la
science et les femmes. Ces dernières sont pour eux la cause principale
de tous les maux de la société algérienne. Ce qui a
amené Mostefa Lacheraf à noter que l'Europe avançait, le
monde musulman et l'Algérie ne cessaient de reculer,
"Pour, en définitive, se voir en cette fin du
XX ème siècle, le dos au mur,
frôlant par intégrisme interposé, "l'âge
théologique" qui est synonyme, dans les faits cruels et primitifs
vécus par l'Algérie depuis 1991, d'âge des cavernes"
1(*).
En Algérie, les pratiquants sont bien armés
de hadiths (tradition, interprétation des paroles du
Prophète), pour justifier l'asservissement de la femme. Cette conception
de la femme est reprise par le sociologue Boutefnouchet, qui est membre du
Conseil Supérieur Islamique, en 1979 dans son ouvrage sur la famille
algérienne sans analyse critique. Pour lui, les rôles de la femme
sont régis par les principes fondamentaux qui l'obligent à :
q "Préserver son intégrité physique
et morale afin de rester pure et sa famille pure de toute souillure ;
q Assurer l'important fonctionnement et entretien de la
famille où vivent plusieurs personnes ;
q Gérer les réserves alimentaires et leur
préservation en les faisant durer plus longtemps que possible, faire la
cuisine, laver le linge, élever les enfants ;
q Jouer son rôle de mère : en étant
féconde, en donnant à sa fille la meilleure éducation et
à son fils la plus grande affection et la meilleure protection
maternelle" 2(*).
Pour Boutfenouchet, la femme algérienne ne doit
être effectivement considérée que comme Algérienne
conformément à son histoire, son expérience, sa situation
et son projet.
Et notre "érudit" aborde deux problèmes
fondamentaux de la Sociologie de la famille algérienne : l'apartheid
sexuel et la claustration des femmes. Cependant, il ne les mentionne que pour
réfuter la notion de :
"La femme algérienne cloîtrée parce
qu'elle a souvent été utilisée par les féministes,
terme que le sociologue ne peut utiliser du fait qu'il implique un jugement et
le jugement, seule la loi du pays peut l'effectuer" 1(*).
Poulain de la Barre, le féministe français du
XVII ème siècle, a déjà répondu
à Boutefnouchet 1(*).
En 1986, dans Les Algériennes au quotidien,
Souad Khodja écrit :
"... Non seulement les hommes ne veulent pas entendre
parler de ce problème mais ils ne peuvent guère le
disséquer de façon positive et impartiale, le sort
intolérable des femmes étant tellement entré dans les
moeurs, par le biais de coutumes millénaires, (...)"2(*).
L'ignorance des hommes de la souffrance des femmes constitue
un élément même du problème féminin en
Algérie. Jusqu'à la constitution d'associations féministes
à partir de 1989, ce problème n'était posé
"publiquement que par l'absence ou le silence de l'élément
féminin". Cependant (et malgré l'hostilité des
maîtres de l'ordre néopatriarcal et des législateurs), il
est posé en privé par d'innombrables femmes de tous les
âges et de tous les milieux et particulièrement par des jeunes
filles et des jeunes femmes 272(*).
La Charia, telle qu'elle est comprise et
interprétée, est en contradiction avec la notion de la
modernité. Ainsi, la Charia, comme toutes les traditions des autres
religions monothéistes, peut être interprétée et
invoquée pour promouvoir l'émancipation et
l'épanouissement des femmes ou pour les maintenir dans une condition
dégradante qui rend leur existence sur terre mutilée.
La constitution garantie la liberté de la femme
algérienne mais les maîtres de l'ordre néopatriarcal
persistent à refuser de l'appliquer au statut personnel (Code de la
Famille). Théoriquement, elle est non seulement l'égale de
l'homme mais aussi une citoyenne libre de ses mouvements, responsable de son
comportement et de ses actes. Cependant, en dépit de son droit à
l'instruction dès l'âge scolaire (6 ans) et son droit au travail
en tant qu'adulte en dehors du domaine privé où elle a
été et continue d'être cloîtrée par les hommes
au nom de la tradition, les pouvoirs publics font preuve d'inertie à son
encontre.
La conquête de certains espaces publics par des jeunes
filles et des femmes en même temps que des conséquences pointues
sur leur existence et souvent aussi sur celles de leurs familles impliquent
également des risques et des dangers. Car une société
néopatriarcale est une "jungle" dominée par des hommes
prédateurs
se plaçant au-dessus des lois et même de la
morale publique et qui considèrent les femmes comme leur proie acquise.
Ce qui explique l'apparition des grossesses hors mariage, des mères
célibataires, du mariage tardif et du célibat des femmes en
Algérie.
Les vigiles de l'ordre patriarcal et les
défenseurs des patentés des traditions arabo-musulmanes,
effrayés par l'évolution et l'émancipation de la femme
parce qu'elle remet en cause à la fois "l'apartheid" sexuel et
sa séquestration au foyer, au lieu de les protéger contre les
prédateurs, s'acharnent à les rendre seules responsables de
"fasâd" (ou la dissolution des moeurs) et à les
désigner à la vindicte publique, s'appuyant pour cela sur des
déclarations misogynes telle que celle-ci d'Ali Ibn Abu Taleb, le
dernier des califes.
Cela explique, selon Jacques Berque : un fin observateur de la
culture arabo-musulmane contemporaine, pourquoi la conception sociale populaire
des arabo-musulmans ne considère "la femme que comme un être
livré à ses seuls instincts, perfide envers les hommes,
résidu des pêchés des démons". Et l'auteur
ajoute que :
"Dans la famille n'est objet d'amour et de respect que la
femme dont le statut maternel,... s'associe aussi à l'idée d'une
désexualisation qui l'écartera désormais du
préjugé de la "femme démon" ancré dans la
tradition arabo-musulmane" 1(*).
En réalité, ce sont les hommes qui deviennent,
dans une société patriarcale comme la société
arabo-musulmane, esclaves de leurs instincts sexuels. Dès leur jeune
âge, on leur inculque l'idée que les filles, qui ne sont qu'un
objet sexuel, doivent être conquises et séduites à tout
moment et partout. Mais on enseigne le contraire aux jeunes filles. Pour elles,
les rapports sexuels hors mariage sont inconcevables. Une fois mariée,
la jeune femme doit rester fidèle à son époux qui, lui,
est autorisé par le Coran et la Charia à se marier avec quatre
épouses et à avoir un nombre illimité de concubines. En un
mot, ce sont les hommes qui sont "roués" et sexuellement
immoraux, voire même débauchés en raison de leur
socialisation primaire.
Aujourd'hui, beaucoup de fouqahas et d'islamistes
préfèrent persécuter, voire même éliminer,
les femmes pour les empêcher de s'émanciper, de s'instruire, de
s'autonomiser et de s'autoriser à disposer d'elles-mêmes.
Mais, en dépit de ces pressions, beaucoup de
progrès ont été réalisés. La conquête
de certains espaces publics est irréversible. Ce qui représente
un pas décisif vers une ultime libération de l'Algérie
toute entière de l'ordre néopatriarcal
"modernisé". L'instauration de cet ordre a tenu et continu de
"tenir".
La plupart persistent à se laisser mentalement enfermer
dans "une prison symbolique" tout en tenant leur rôle de
"geôliers" des femmes libérés de leurs
préjugés anti-féministes, agissent ensemble pour le
changer. Car, sans une émancipation réelle de la femme
algérienne, l'Algérie ne pourra jamais conquérir les
moyens de sa liberté pleine et entière de sa
prospérité et de sa présence effectuée dans le
concert des nations modernes, indépendantes, démocratiques et
dignes.
B - LES ASPIRATIONS DES FEMMES À LA
MODERNITÉ ET AU PROGRÈS ET LEUR REJET DES INTERDITS
Les aspirations des femmes à la modernité et
leur révolte contre le statu quo imposé par la
société néopatriarcale ont été
exprimées par les interviewées rencontrées ou dans
l'excellente étude d'Hélène Vandevelde-Baillière
montrent que les aspirations les plus fortes des femmes rurales, urbaines,
lycéennes, étudiantes, travailleuses et femmes au foyer expriment
le désir ardent de "sortir de leur condition actuelle" :
désir de prendre en main leur destin elles-mêmes d'où cette
soif d'apprendre et d'être plus libre... Il y a donc là une
tendance unanime de la population féminine : la volonté de
changement que l'on attend de soi-même et les connaissances à
acquérir.
Pour les jeunes femmes ayant fait des études, l'accent
est mis sur "avoir une activité professionnelle, sociale,
politique". Elles veulent donc participer dans la vie publique en tant
qu'agents sociaux (pour éviter le sort de leur mères :
cloîtrées au foyer et condamnées par les hommes et les
traditions aux travaux forcés domestiques à
perpétuité !). Les autres acceptent leur destinée
(mektoub : la fatalité) et souhaitent que les
générations après elles aient une situation meilleure et
relèvent le défi.
La prise de conscience de leur condition est telle que la
majorité des femmes interrogées ont exprimé leur ardent
désir d'être des femmes évoluées et modernes. Elles
font la distinction entre la pratique religieuse et les prohibitions des
fouqahas qui ont donné une mauvaise image de l'Islam, religion
de tolérance et de miséricorde. La plupart d'entre elles
considèrent comme fondamentales la pratique de la religion et la
fonction féminine au sein de la famille. La famille est
l'élément fort qui revient et pour laquelle elles acceptent leur
résignation, le respect... Par contre, tous les interdits et tabous
(absence de sortie, instruction limitée, mariage précoce, voile,
effacement...) sont rejetés.
Les femmes ont pris conscience de leur mise à
l'écart systématique et d'une volonté
délibérée dans certains milieux conservateurs de recours
à l'application de la Charia conçue par les
fondamentalistes comme un puissant moyen pour entraver leur émancipation
inéluctable. Ainsi, prises entre deux tendances contradictoires : d'une
part, la leur, celle qui les pousse vers l'indépendance et la
modernité et, d'autre part, l'emprise extérieure de la
société qui cherche à les rendre plus soumises par
diverses pressions faisant jouer le respect de la religion, l'honneur de la
famille, les traditions saines en face de l'Occident utilisé comme la
source de pollution mortelle de l'ordre néopatriarcal, les aspirations
universelles à la liberté, à l'égalité,
à la justice, à l'amour, au bonheur, à la dignité,
au respect, à l'épanouissement de l'individu et à la
transcendance de sa condition par la culture, l'art... car les us et coutumes
berbères et arabo-islamiques emprisonnent les femmes
préventivement à perpétuité.
En ce qui concerne le voile, qui est l'extension de la
claustration de la femme au domaine public en tant que substitut symbolique des
quatre murs entourant la demeure familiale, la majorité des femmes
kabyles ne souhaitent pas être voilées. Quant à certaines
jeunes, si elles se voilent (du moins portent le foulard islamique), c'est pour
se protéger, pour qu'on ne les dévoile pas (dans leur fort
intérieur), parfois par conviction religieuse ou parce que les membres
de la famille sont des pratiquants fervents de l'Islam... Ce
phénomène de conformisme social est expliqué par les
femmes elles-mêmes : c'est le "qu'en dira-t-on" qui effraie
beaucoup plus que le fait d'être dévoilée.
Pour contraindre les femmes à porter le voile
islamique, les islamistes répandent dans toute l'Algérie que les
femmes non-voilées ne sont pas sérieuses, qu'elles sont des
mécréantes, des pro-européennes et seront
exterminées. Beaucoup de jeunes femmes se sont mises à
uniformiser leurs tenues (foulard cachant les cheveux et les oreilles, longues
djellabas, pas de maquillage...). Tous les déplacements des
femmes sont surveillés. Participent à cette surveillance, en
dehors des parents, des frères, des cousins, des voisins, le quartier,
les amis, les commères..., "Monstrueux gendarmes", selon
l'expression d'Assia Djebbar, qui font et défont "les
réputations".
C - DÉTERMINATION DES FEMMES À SORTIR
DU DOMAINE PRIVÉ
En dépit des pressions sociales ambiantes, les femmes,
en majorité écrasante, veulent se soustraire à cette
condition carcérale de femmes enfermées au foyer et à
l'isolement qui en découle. Pour s'en sortir, elles ne voient qu'un seul
moyen : apprendre un métier ou étudier très dur pour
décrocher les diplômes nécessaires leur permettant
d'exercer une profession dans le domaine public. Le travail leur offre une
certaine indépendante qui oblige les hommes à les laisser
accéder à une place dans la société, susceptible de
leur permettre enfin de s'imposer en tant qu'être humain.
Quel que soit leur âge, elles disent :
"... Je veux travailler, il n'y a pas que la maison, on
n'apprend rien à la maison, je veux que ma fille réussisse dans
ses études pour avoir une bonne place, il faut des femmes dans le
gouvernement, dans les entreprises...., je ne veux pas que mes filles restent
dans l'ignorance à reproduire ma vie, je les laisse sortir, le Code de
la Famille doit changer...".
D- TÉNACITÉ DES FEMMES À AVOIR
LEUR PLACE DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE
Les femmes ont pris conscience du fait que la
société algérienne actuelle est organisée (ou
plutôt mal organisée) par les hommes à leur
détriment. Elle n'est pas formée en fonction des besoins
féminins. Elle est structurée par et au profit des hommes.
E- DE LA RÉSISTANCE AU
CHANGEMENT
Les détenteurs du pouvoir, les forces
conservatrices n'ont pas cessé, depuis l'indépendance, de
contrecarrer les aspirations les plus légitimes et les plus profondes
des femmes. Le cas du rejet de loi portant sur le Code de la Famille actuel
montre l'insensibilité des gouvernants au problème de la femme.
Néanmoins, les "mutations" admises, au lieu
d'adopter une approche émancipatrice et innovatrice, justifiées
par les lois conforme aux articles 29 et 31 de la Constitution en vigueur, les
auteurs de cet avant-projet de loi ont préféré placer la
famille algérienne hors du temps et de l'espace. Ce qui a réduit
leurs amendements à quelques détails d'ordre technique.
Tout cela vise à "garantir le maximum de
protection" à la famille. Hélas, cette "protection de la
famille" en question a toujours été faite au
détriment de la femme, condamnée ainsi par les sacro-saints us et
coutumes "islamiques" non seulement aux travaux forcés
à perpétuité, mais aussi maintenue dans une position
d'infériorité où la polygamie, le tuteur (walî),
l'obligation unilatérale de l'épouse de respecter son mari en sa
qualité de chef de famille... violent le principe
d'égalité entre les deux sexes.
La Charia est-elle
réellement compatible avec "la modernité" et ses
exigences ? La modernité occidentale (à laquelle les sources
arabo-musulmanes ont servi de fondement) est la résultante de la
libération de la raison et de la science, de la tutelle de la
foi et de la théologie sur laquelle les algériennes se basent.
F - LES FEMMES, LE FÉMINISME : QUEL
AVENIR ?
Le mouvement féministe a très largement (avec
quelques exagérations ? Un mal nécessaire ?) redéfini
les identités féminines et masculines autour de nouveaux
repères qui ne sont plus liés à la
fécondité. Les relations au sein de la famille conjugale ont
été réaménagées : droit au travail des
femmes, partage des responsabilités et des tâches au sein du
couple, protection de la famille monoparentale.
Beaucoup reste à faire, encore, pour aboutir à
une famille conjugale débarrassée des résistances de la
famille patriarcale. La lutte pour la parité dans le système de
décision politique, par exemple, demeure encore un combat à
gagner. L'État républicain cesserait alors d'être une sorte
de super-famille patriarcale qu'il est encore de façon souterraine.
L'éclatement de la famille matrio-patriarcale en deux
types de familles, néopatriarcale et néoconjugale, est signe de
résistance ou même de régression à des formes
atypiques qui ne peuvent survivre encore très longtemps. D'abord, la
scolarisation et l'emploi féminins, ensuite, le développement
d'un fort mouvement féministe et, enfin, l'existence minoritaire mais
bien réelle de familles conjugales tracent les contours d'une mutation
de la famille traditionnelle maghrébine vers une famille conjugale.
Les affrontements violents qui se déroulent
actuellement ne seraient-ils finalement qu'un moyen de redéfinition des
identités du père et du fils et, partant, de la belle-mère
et de sa bru ? Ceci est, essentiellement, le contenu du combat du mouvement
féministe algérien. Ne passe-t-il pas, d'abord, par la
construction d'une nouvelle façon "d'être femme,
algérienne?". Devenir un sujet autonome, naître des limbes du
nous collectif, étouffant et régressif, cesser
d'être mère de garçon/belle-mère pour devenir femme
autonome, mère, citoyenne et travailleuse. La lutte politique pour une
société moderne et républicaine devient, alors, un passage
obligé.
C'est pourquoi, aujourd'hui, la résistance active
à l'intégrisme et au conservatisme, l'amendement des articles les
plus humiliants du Code de la Famille, l'assistance psychologique et juridique
aux femmes victimes de violences et le développement d'un discours
émancipateur des femmes deviennent les actions prioritaires à
mener par les femmes démocrates et républicaines.
Dans la vision intégriste de la famille, il s'agirait
de faire triompher la primauté de la relation affective
privilégiée liant le fils et la mère. Le
patrilinéaire, puni, d'une certaine façon, pour n'avoir pas su
défendre son statut et son rôle de gardien de la tradition.
Ceci en vue d'empêcher la constitution et le
renforcement des repères identitaires individuels structurant le sujet
de droit et se trouvant donc à l'origine de la construction de toute
société moderne. Ceci signifiant le passage d'une
société féodale et tribale à une
société républicaine basée sur la mise en place
d'un État de droit et fondée sur les droits de l'homme. C'est
cette problématique qui semble se cacher derrière les faux
discours politiques, ne pouvant se dire clairement car irréalisable et
inacceptable aussi bien de manière psychanalytique, sociologique et
politique.
Cette résistance au changement traduit bien
l'affrontement entre deux types de sociétés : une traditionnelle
qui meurt et une moderne organisée autour du sujet de droit qui
s'installe progressivement et sûrement car cela va dans le sens de
l'histoire et de la normalité psychique.
F - PROGRÈS ET REMISE EN
QUESTION
Féminin... Féminisme...
Féminité... Ces mots martèlent un fait majeur qui marque
la transformation de la société en ce XXI ème
siècle. Je n'ai pas mesuré davantage l'incidence de cette
révolution que celle de la révolution technologique qui a
bouleversé le mode de vie et l'organisation sociale des
algériennes.
L'arrivée des femmes dans le champ de la vie publique
et la conquête de l'égalité, comme la révolution
technologique, s'appellent des progrès. Mais, comme tout progrès,
ils n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un projet humaniste. Un tel
bouleversement crée des effets contraires que l'on appelle
"crise" et c'est alors que les questions affluent. Existe-t-il une
cause des femmes en Algérie ? Quel serait le destin de ces
Algériennes ? Quelle relation construire avec les hommes ?
Oui, il existe une cause des femmes parce qu'elles ont une
identité féminine. Leur premier combat politique vers
l'égalité se mène en revendiquant leurs droits,
l'uniformité avec les hommes. Il restera une autre étape qui sera
la reconnaissance d'une différence entre les hommes et les femmes. L'un
n'est pas l'autre. Certes, Simone de Beauvoir dit que : "on ne naît
pas femme, on le devient", cela est valable pour les Algériennes
pas pour les Occidentales. Mais il s'agit de retourner cette différence
en force supplémentaire car les femmes y puiseront la capacité
d'innover, de créer d'autres modèles de pouvoirs, de
société, d'autres modes de vie. Il est de notoriété
publique et universelle que les femmes sont le bras séculier du
progrès et sont actrices de leur destin.
Les premières conquêtes des Algériennes ne
se sont pas réalisées au nom des droits. Elles n'ont pas encore
obtenu les lois escomptées, c'est pourquoi pour le moment, les femmes
algériennes ne peuvent assumer leur féminité. Elles
demandent aux hommes de les regarder comme une égale, pour cela, il faut
changer les mentalités. Il existe une cause des femmes parce qu'elles
sont opprimées, muselées par l'intégrisme, les
conservateurs, cloîtrées par leurs hommes et leurs traditions.
L'avènement de la démocratie passe par les
femmes, leurs promotions et l'éducation des enfants, par le
contrôle de la natalité, par l'identité... Pourtant, avoir
une identité signifie exister en dehors de son statut, c'est
privilégier le paraître et son avenir... La consolidation de
l'identité passe par une connaissance de soi, une capacité
à vivre autonome, à trouver en soi les ressources pour continuer
à progresser, à se développer... Le progrès ne peut
s'inscrire que dans des projets. Or, les Algériennes doivent lutter pour
progresser et évoluer.
La dialectique est le mouvement d'opposition de contraires en
lutte dans la réalité naturelle et sociale pour donner un terme
qui les réconcilie en les dépassant. La dialectique est le
devenir même de la nature et de la société selon la loi des
Oppositions successives et des Contradictions surmontées. Le mouvement
de l'Esprit n'est que l'expression consciente d'elle-même, du mouvement
des choses. Tout cela va être synthétisé par F. Engels dans
ses fameuses quatre lois.
q La première, celle de l'Interaction, affirme :
"Tout est en liaison et en interaction" ;
q La seconde, celle du Mouvement dit :
"Tout est mouvement et change" ;
q La troisième, celle de la Conversion par bonds
: "les changements quantitatifs se transforment en changement
qualitatif" ;
q La quatrième, enfin, celle de la Lutte des
Contraires, affirme : "c'est cette lutte qui fait le mouvement".
Le sous-développement ne peut être réduit
au seul état économique d'un pays et caractérisé
par la pauvreté. Il concerne aussi et surtout les psychologies, les
moeurs, les attitudes... c'est-à-dire les mentalités qui,
d'ailleurs, ne sont pas semblables ou homogènes dans une même
société mais majoritairement inadéquates à tout
progrès humain. Cela va, je l'ai décrit, jusqu'à
l'existence d'une véritable rationalité parallèle à
la raison universelle et dont les performances sont insuffisantes aussi bien au
niveau de la connaissance qu'à celui de l'action. Cette raison que
certains auteurs ont appelée "paramagique" est une constituante majeure
des mentalités dominantes en Algérie et dans le Tiers-Monde.
Mais, dans ces mentalités, on observe souvent l'absence
ou la pauvreté des Valeurs et des
Représentations du monde, celles qui sont nécessaires
à la régulation sociale et au parfait discernement du Bien et du
Mal. Autrement dit, il s'agit bien d'une déficience au niveau des
morales et de la morale, règles de conduite qui régissent une
société.
J'ai, dans ce travail, tenté de voir quels
étaient les rapports possibles entre le sous-développement et
l'état des mentalités en vigueur en Algérie d'aujourd'hui.
J'ai pu, ensuite, décrire les nombreux caractères des
mentalités observées, constituées par des croyances, des
habitudes, des attitudes, des dispositions, des opinions, des
préjugés, des idées, des valeurs et des
représentations. Pour cela, j'ai volontairement procédé
à de nombreux rappels de notions élémentaires, en vue
d'éclairer les diverses problématiques posées. J'ai
également poussé les descriptions et les comparaisons à
leurs limites et cela dans un dessein purement rhétorique. J'ai
retracé le vécu des femmes, de leur espace et celui du temps.
Aujourd'hui, avec le recul et l'éloignement, Je
comprends un peu mieux les femmes algériennes, je les ai
écoutées en acceptant leurs différences, elles n'ont pas
besoin de moralistes (des intégristes ou de personnes comme moi ou de
militante...) mais de personnes actives, de femmes de terrain, du concret
(comme l'abrogation du Code de la Famille). À toutes les femmes (femmes
militantes, intellectuelles, députées, écrivains) pour
bien les représenter, leur donner la parole, de les faire exister, de ne
pas brasser du vent ou d'ignorer leur condition car nous sommes des
privilégiées, loin de leur réalité, disons plus
occidentalisées. Ainsi disent-elles : « nous
changerons notre situation, ouvrirons la voie aux générations
futures pour construire la société de demain »..
Toute femme est dépositaire d'une pépite d'or
authentique qui lui permet d'illuminer la vie humaine, la sienne et celle de
l'homme, à condition qu'elle veuille bien se donner la peine de la
révéler. "Toute femme est porteuse d'un soleil". Une
compréhension intime, originelle permet à la femme
d'accéder au coeur d'elle-même, à son essence, à une
émanation d'ordre subtil. La flèche de développement de la
femme ne va pas seulement de l'intérieur dans l'affirmation de son
identité. Au moment où les valeurs ont besoin de refleurir dans
les déserts du confort et du stress, un visage de femme se dessine en
pointillé dans le schéma du futur, il inspire et introduit les
changements de valeurs dans la civilisation.
Ce centre peut se définir à la manière de
Jung comme la mise en résonance avec ce "soi" qui est
connaissance, transcendance et totalité. Pour l'atteindre, il faut
traverser les couches du moi et cesser de s'identifier à sa
personnalité. C'est le travail long et complexe de la réalisation
de soi.
Les multiples sources d'excitation nerveuse, de sollicitations
et de distractions de notre civilisation rendent plus que jamais
nécessaire ce recentrage que toute l'éducation, puis toutes les
nécessités sociales, tendent à nous faire perdre. Les
religions tombent en lambeaux usés et la morale chancelle faute de
bases. Crise de valeurs. Il faut tout réinventer, ou plutôt tout
retrouver, à partir d'une authenticité interne.
Déjà, le combat féministe paraît
d'arrière-garde et les femmes actuelles sentent d'instinct, sans
même y réfléchir, que cette étiquette ne sert pas
leur séduction. Chaque femme porte en elle les stigmates de la longue
histoire de la femme et en une seule vie doit retraverser plusieurs
étapes. La mémoire et la conscience sont des atouts
précieux pour connaître et éviter des écueils
déjà connus. Le rapport à l'homme est l'histoire
principale qui se joue pour chaque femme, du père à l'amant,
à l'époux, au fils, à l'ami, au collaborateur. Et ce
rapport que chacune essaie de mener à bien à sa manière
comporte un fond commun de luttes et de guerres qui est la racine de beaucoup
de souffrances individuelles et sociales.
Toutes ces femmes kabyles qui disent "Nous n'avons
peut-être plus besoin d'être féministes mais nous avons
énormément besoin d'être féminines, de mieux cerner
et affirmer nos valeurs féminines. Le rôle de la femme n'est pas
de revendiquer un droit ou une liberté (et pourtant... la femme
algérienne le fait) dont nul n'aurait dû penser à la priver
: elle crée, elle affirme".
Le partage des rôles est-il inéluctable ? Des
milliers d'années de civilisation ont achoppé sur ces questions.
La négation ou l'usurpation des rôles ont entraîné
des dépenses infinies d'énergie, des souffrances et des errances
qui continuent d'alimenter tous les jeux.
La femme algérienne, aujourd'hui porte la trace de ces
mutilations, elle se relève encore incertaine, tente de se persuader et
de persuader son entourage de sa valeur mais elle n'a pas encore
revivifié sa force intérieure. Elle doit se remettre en contact
avec son creuset solaire. La femme soumise était le portique d'une
civilisation du sacrifice, la femme algérienne d'aujourd'hui, ouvre sur
une civilisation éclairée.
POÈME
SILENCE ET PAROLE
Cette poésie de Djoher Amhis 273(*) reflète nos
pensées, nos convictions, notre lutte... et ce que toutes les femmes
nous ont dit lors de nos rencontres, de nos discussions et de nos entretiens.
Cette femme écrivain a écrit ce que l'on a envie
de crier fort.
Ne m'enfermez plus dans le passé colonial
Laissez-moi danser sans me dire que c'est de
l'exhibitionnisme
Laissez-moi exprimer mes idées sans me parler de
l'aliénation
Laissez-moi parler de moi, sans me dire : c'est tabou
Laissez-moi parler de mon pays sans me dire que c'est de
l'exotisme
Laissez-moi ! Laissez-moi avec mon moi ! Avec mon moi
retrouvé
Laissez-moi
Être
Être
Être
Laissez-moi chasser ce regard qui veut
Censurer
Aliéner
Étouffer
Tuer
Laissez-moi chasser ce regard qui empêche de
vivre...
Être soi dans le présent
Être soi dans l'avoir
Être soi toujours...
Je n'ai plus besoin de personne pour prouver mon
existence...
Je suis... je suis moi.
Je n'existe plus par rapport aux autres
Qu'ai-je à prouver ?
Et pourquoi prouverai-je ?
Quoi ? Au nom de quoi ?
Effacés les autres !
Être à nouveau ensemble
Je suis coincée dans une image
Je suis prisonnière d'un langage
Les mots m'empêchent d'exister
Les mots de domination
D'aliénation
De mort.
Femmes, vous ne marcherez plus sur vos larmes
Les larmes de l'injustice
Les larmes de la douleur
Les larmes de la mort
Femmes, vous essuierez vos larmes
Pour la paix
Pour la liberté
Pour l'amour
Femmes, vous pleurerez de joie
Pour la terre retrouvée
Pour la terre de vos enfants
Pour un avenir de bonheur
Ils m'ont dit des mots-prisons
Pour me fermer les yeux
Pour me fermer la bouche
Pour m'enfermer
Ils ont créé des mots nouveaux
Des mots à eux
Des mots-dicktat
Pour m'enfermer
Pour m'anéantir.
Ils ont nié les mots vrais
Les mots-vérité
Les mots authentiques.
Ils ont falsifié l'histoire
Ils ont étouffé la culture
Ils ont rejeté
L'histoire
La culture
L'identité
La personnalité
Mais,
Moi, je suis là avec mes
mots-liberté,
Mes mots-vérité
Mes mots à moi
Mes mets-moi.
Djoher AMHIS,
Alger,
Septembre 1992.
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6065 du CNRS (convention entre les universités de Rouen et de
Tizi-Ouzou), 02 et 03 mai 1996 à Mont-Aignan, 1988.
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Maghreb-Égalité, "Cent mesures et dispositions. Pour une
codification maghrébine égalitaire du statut personnel et du
droit de la famille", Document élaboré en vue de la
Conférence de Pékin de septembre 1995 et coédité en
anglais et en arabe par la Friedrich Elbert Stiftung et l'Union
européenne, avec le même groupe et sponsor, "Women in the
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q MORSLY D., Journal scientifique (UPRESSA 6065 du CNRS selon
la convention des universités de Rouen et de Tizi-Ouzou) : "Le
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moderne ", colloque sur "Identité et Modernité au
Québec ", Faculté des Sciences Sociales Laval, Québec, 22
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JOURNAUX
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spécial.
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Ø 20-21 février 1966.
Ø 28 octobre 1969
Ø 30 novembre-1er décembre 1969.
Ø 20-21 avril 1984.
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Ø n° 5153, sous la rubrique : "Statut
personnel", 1981.
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1998.
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l'Arabisation", Alger le 22 octobre 1990.
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ALGÉRIENNE, Loi 84-11 du 9 juin 1984, "Le Code de la
famille", Alger, 1984.
q LE MATIN, Quotidien national, "Les naissances
au maquis", n° 2504 du mardi 23 mai 2000, Alger.
LEXIQUE
q `Â'ila : famille constituée des
parents et des enfants.
q `Adl : justice sociale.
q `Adrâ' : jeune fille qui convole,
très tôt, en justes noces.
q `Âqil : sage.
q `Attâren : colporteurs sillonnant les pays.
Leur moyen de transport était le mulet.
q A`sam : corbeau au ventre blanc.
q Açaba : sous-clan, lignée.
q Adrum : quartier.
q Afrâd : les héritiers pour la plupart
femmes ou parents par les femmes, appelés ainsi en vertu des
réformes réalisées par le Prophète.
q Al-asâla : la filiation
q Al-Asâla : retour aux sources.
q Allah : Dieu.
q Al-walad li-l-firâch : les enfants du lit
(les enfants légitimes).
q Amînes ou Mezwars : grands
défenseurs (conseillers municipaux) maintenant l'ordre grâce
à une transmission de codes oraux.
q An-nikâh : mariage.
q An-Nisâ' : les femmes.
q Ashâb : les héritiers mâles,
parents par les mâles, appelés de la coutume immémoriale de
l'Arabie.
q Axxam : ensemble de foyers englobant des parents
jusqu'au cinquième degré.
q Az-zinâ : fornication.
q Badana : large groupement agnatique dont les
membres sont issus d'un même ancêtre.
q Beyt : demeure.
q Bled lekbayel : pays des tribus chez les Arabes
(zwawa en Oranie).
q Charia : droit musulman statuant, entre autres,
juridiquement l'organisation familiale.
q Chaytâne : diable.
q Chouhadas : martyrs, combattants morts pour la
religion ou pour la patrie.
q Çof : classement des individus en fonction
d'une appartenance politique, clan.
q Djabr : contrainte matrimoniale.
q Djâhiliya : période
pré-islamique (avant la révélation de l'Islam).
q Djemâ`a / Tadjemâ`at :
assemblée villageoise.
q Djihâd : guerre sainte.
q Faqîh : théologien musulman (pluriel
: Fouqahas).
q Fasâd : dissolution des moeurs.
q Fatwa : consultation juridique.
q Firâche : le lit.
q Fitna : désordre, rébellion.
q Fouta : morceau de tissu à rayures qui noue
la taille et qui doit cacher les genoux, chez les femmes berbères.
q Hachma : pudeur, modestie, réserve.
q Hadâna : garde d'enfants mineurs.
q Hadiths : traditions prophétiques.
q Haïk : voile blanc traditionnel à
l'Ouest et au centre de l'Algérie qui couvre la femme de la tête
aux pieds.
q Hammams : bains maures. Aller au hammam est une
tradition chez les femmes du Maghreb.
q Harâm : illicite, proscrit.
q Hogra : mépris.
q Horma : défense de l'intimité,
respect de la pudeur d'autrui.
q Houkouma : l'Etat qui gouverne.
q Iblîs : Satan.
q Ibn al-`Amm : fils du frère du père.
q Idjmâ` : consensus, il explicite la Sunna.
q Idjtihâd : effort d'interprétation.
q Imazighen (singulier : Amazigh) : hommes
libres, nobles guerriers.
q Imusnaouen : sages, anciens bardes
semi-professionnels itinérants.
q Izlan (singulier : Izli) : expression
lyrique de l'amour.
q Kafâla : recueil ou tuteur légal
comme substitut de l'adoption interdite par la lettre du Coran.
q Kbayl (singulier : kabîla) :
tribus.
q Kdâr : respect.
q Laarche : tribu.
q Li`âne : serment d'anathème,
adultère.
q Mahr : la dot.
q Mahr al mith` : La dot de parité.
q Médersas : écoles.
q Mektoub : fatalité, destin.
q Melaya : voile noir à l'Est
algérien.
q Mo`tazilas : mouvement humaniste dans la
civilisation arabo-musulmane qui a reconsidéré la raison humaine
par rapport au sacré.
q Moudjâhidâtes : combattantes.
q Moudjâhidînes : combattants.
q Mu'akhkhar : la dot différée ou dont
le contenu est connu et la délivrance est différée dans le
temps (la femme l'obtient en cas de divorce).
q Muharramât : femmes prohibées.
q Musâwama : la dot déterminée
ou convenue.
q Nîf : l'honneur sacré, la
fierté, mais aussi ce qui conforte l'image de l'homme : les femmes de la
famille et de la tribu.
q Osra : famille.
q Oulémas : titre attribué aux savants
en Islam.
q Oumma : nation, peuple.
q Qanouns : sortes de charges qui, bien que non
écrites, représentent l'autorité temporelle et s'inspirent
de la religion.
q Qiyâs : raisonnement analogique.
q R'bit : rituel magique dont le principe
général est d'induire l'inhibition sexuelle sur le couple.
q Sadâq : dot.
q Sqîfa : espace couvert situé
immédiatement après le seuil, séparant de
l'extérieur le monde domestique intime de la maison.
q Sunna : traditions prophétiques, gestes et
paroles du Prophète.
q Tâ`a : soumission illimitée,
obéissance.
q Tabouna : modeste réchaud circulaire
à gaz (trépied), petit kanoun
q Talâq : répudiation
q Talâq al-khul` : divorce avec compensation
(le mari répudie sa femme, judiciairement, moyennant une "rançon"
(khul`) pour le prix de sa liberté).
q Talâq radj`î : répudiation
révocable (mais seulement pour les deux premières fois).
q Talâq thalât : divorce judiciaire
ouvert à l'épouse par le fiqh malikite sous un certain nombre de
conditions (après la troisième répudiation, le mari ne
peut reprendre son ex-épouse que lorsqu'elle aura épousé
un autre homme qui l'aura répudiée).
q Tamourth : la terre natale, la patrie, le pays.
q Taqbilt : confédération.
q Tchador : voile blanc.
q Thiroukza : code rigoureux de l'honneur
consistant, en particulier, à préserver la terre et ses valeurs
de la terre.
q Tifinagh (Tifinar) : écriture
berbère quasi-inconnue de la majorité de la population kabyle qui
ne l'écrit pas.
q Tiqsidin : les histoires.
q Tuddar : villages dans lesquels vivaient jadis les
Kabyles.
q Walad : l'enfant (garçon ou fille).
q Walî : tuteur matrimonial mâle
(père, oncle, frère, cousin, ...).
q Waqf (ou habûs) : donations et
biens de mainmorte.
q Wilâya : la tutelle des enfants mineurs du
couple.
q Zâwiyas : universités islamiques.
q A.A.R.D.E.S. : Association Algérienne pour la
Recherche Démographique, Économique et Sociale.
q A.B. : Groupe de l'Académie Berbère.
q A.F.M.A. : Association des Femmes Musulmanes
d'Algérie.
q A.L.N. : Armée de Libération Nationale.
q A.P.N. : Assemblée Populaire Nationale.
q C.E.D.A.W. : Comité sur l'Élimination de la
Discrimination à l'Égard du travail, Convention qui propose des
droits fondamentaux minimums à tous les pays.
q C.E.D.E.F. : Comité sur l'Élimination de la
Discrimination à l'Égard des Femmes.
q C.N.S.A. : Comité National pour la Sauvegarde de
l'Algérie.
q C.R.A.P.E. : Centre de Recherches Anthropologique,
Préhistorique et Ethnographique.
q E.N.A. : Étoile Nord Africaine.
q E.N.T.V. : Télévision algérienne
q F.F.S. : Front des Forces Socialistes.
q F.I.S. : Front Islamique du Salut.
q F.L.N. : Front de Libération Nationale.
q G.R.F.A. : Groupe de Recherches sur la Femme
Algérienne.
q H.C.A. : Haut Commissariat à l'Amazighité.
q I.N.E.D. : Institut National des Études
Démographiques.
q I.P.N. : Institut Pédagogique National.
q M.D.S. : Mouvement pour la Démocratie Sociale.
q M.P.R. : Mouvement pour la République.
q M.S.P. : Mouvement de la Société pour la
Paix, membre de la coalition gouvernementale.
q N.O.E.I. : Nouvel Ordre Economique International.
q NAHDA, HAMAS : Partis islamistes dit
"modérés".
q NAHDA : Renaissance, mouvement réformiste
prônant le changement social du Mechrek au Maghreb sur la base d'une
interprétation actualisée de l'Islam aux exigences du monde
moderne.
q O.N.G. : Organisations Non Gouvernementales.
q O.N.S. : Organisation Nationale de la Santé.
q P.A.G.S. : Parti de l'Avant Garde Socialiste.
q P.C.A. : Partis Communiste Algérien.
q P.P.A. : Parti du Peuple Algérien.
q P.T. : Parti des Travailleurs.
q R.C.D. : Rassemblement pour la Culture et la
Démocratie.
q R.N.D. : Rassemblement National Démocratique.
q S.A.T.E.F. : Syndicat Autonome des Travailleurs de
l'Enseignement Fondamental.
q T.T.P. : Test des Trois Personnages.
q U.D.M.A. : Union Démocratique du Manifeste
Algérien (parti fondé par Ferhat Abbas).
q U.F.A. : Union des Femmes d'Algérie.
q U.N.F.A. : Union Nationale des Femmes Algériennes
émanant du F.L.N.
ANNEXES
LES ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE
q ARTICLE 2 :
"La famille est la cellule de base de la
société, elle se compose de personnes unies par les liens de
mariage et par les liens de parenté".
q ARTICLE 8 :
"Il est permis de contracter mariage avec plus d'une
épouse dans les limites de la Charia si le motif est
justifié, les conditions de l'intention d'équité
réunies et après information préalable des
précédentes et future épouse. L'une et l'autre peuvent
intenter une action judiciaire contre le conjoint en cas de dol ou demander le
divorce en cas d'absence de consentement des futurs conjoints".
q ARTICLE 9 :
"Le mariage est contracté par le consentement des
futurs conjoints, la présence du tuteur matrimonial et de deux
témoins ainsi que la constitution d'une dot".
q ARTICLE 11 :
"La conclusion du mariage pour la femme incombe à
son tuteur matrimonial qui est soit son père, soit l'un de ses proches
parents (de sexe masculin). Le juge est le tuteur matrimonial de la personne
qui n'en a pas".
q ARTICLE 12 :
"Le tuteur matrimonial (walî) ne peut
empêcher la personne placée sous sa tutelle de contracter mariage
si elle le désire et si celui-ci est profitable. En cas d'opposition, le
juge peut autoriser le mariage sous réserve des dispositions de
l'article 9 de la présente loi. Toutefois, le père peut s'opposer
au mariage de sa fille mineure si tel est l'intérêt de la
fille".
q ARTICLE 14 :
"La dot est ce qui est versé à la future
épouse en numéraire ou tout autre bien qui soit légalement
licite. Cette dot lui revient en toute propriété et elle en
dispose librement".
q ARTICLE 19 :
"Les deux conjoints peuvent stipuler dans le contrat de
mariage toute clause qu'ils jugent utile à moins qu'elle ne soit
contraire aux dispositions de la présente loi".
q ARTICLE 36 :
"Les obligations des deux époux sont les suivantes
:
Ø Sauvegarder les liens conjugaux et les devoirs
de vie commune ;
Ø Contribuer conjointement à la sauvegarde
des intérêts de la famille, à la protection des enfants et
à leur saine éducation ;
Ø Sauvegarder les liens de parenté et les
bonnes relations avec les parents et les proches".
q ARTICLE 37 :
"Le mari est tenu de subvenir à l'entretien de
l'épouse dans la mesure de ses possibilités, sauf lorsqu'il est
établi qu'elle a abandonné le domicile conjugal, et d'agir en
toute équité envers les épouses s'il en a plus
d'une".
q ARTICLE 38 :
"L'épouse a le droit de visiter ses parents
prohibés (que la femme ne peut épouser) et de les recevoir,
conformément aux usages et aux coutumes ; de disposer de ses biens en
toute liberté".
q ARTICLE 39 :
"L'épouse est tenue d'obéir à son
mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de
famille ; d'allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire,
de l'élever ; de respecter les parents de son mari et ses proches".
q ARTICLE 48 :
"Le divorce est la dissolution du mariage. Il intervient
par la volonté de l'époux, par consentement mutuel des deux
époux ou à la demande de l'épouse, dans la limite des cas
prévus aux articles 53 et 54".
q ARTICLE 52 :
"Si le juge constate que le mari a abusivement usé
de sa faculté de divorce, il accorde à l'épouse le droit
aux dommages et intérêts pour le préjudice qu'elle a subi.
Si le droit de garde lui est dévolu et qu'elle n'a
pas de tuteur qui accepte de l'accueillir, il lui est assuré, ainsi
qu'à ses enfants, le droit de logement selon les possibilités du
mari.
Est exclu de la décision le domicile conjugal, s'il
est unique. Toutefois, la femme divorcée perd ce droit une fois
remariée ou convaincue de faute morale".
q ARTICLE 53 :
"Il est permis à l'épouse de demander le
divorce pour les causes ci- après :
Ø Pour défaut de paiement de la pension
alimentaire prononcée par le jugement à moins que
l'épouse eût connu l'indigence de son époux au moment du
mariage sous réserve des articles 78, 79 et 80 de la présente loi
;
Ø Pour infirmité empêchant la
réalisation du but visé par le mariage ;
Ø pour refus de l'époux de partager la
couche de l'épouse pendant plus de quatre mois ;
Ø Pour condamnation du mari à une peine
infamante privative de liberté pour une période dépassant
une année, de nature à déshonorer la famille et rendre
impossible la vie en commun et la reprise de la vie conjugale ;
Ø Pour absence de plus d'un an sans excuse valable
ou sans pension d'entretien ;
Ø Pour tout préjudice légalement
reconnu comme tel, notamment par la violation des dispositions contenues dans
les articles 8 et 37 ;
Ø Pour toute faute immorale, gravement
répréhensible, établie".
q ARTICLE 54 :
"L'épouse peut se séparer de son conjoint
moyennant réparation (khol`) après accord sur celle-ci.
En cas de désaccord, le juge ordonne le versement d'une somme dont le
montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité
à l'époque du jugement".
q ARTICLE 62 :
"Le droit de garde (hadâna) consiste en
l'entretien, la scolarisation et l'éducation d'enfant de sexe
féminin jusqu'à l'âge de la capacité de mariage. Le
juge prolonge cette période jusqu'à seize ans révolus pour
l'enfant de sexe masculin placé sous la garde de sa mère si
celle-ci ne s'est pas remariée. Toutefois, il sera tenu compte, dans le
jugement mettant fin à la garde, de l'intérêt de
l'enfant".
q ARTICLE 65 :
"Le droit de garde (hadâna) d'enfant de
sexe masculin cesse à dix ans révolus et celle de l'enfant de
sexe féminin à l'âge de la capacité de mariage. Le
juge prolonge cette période jusqu'à seize ans révolus pour
l'enfant du sexe masculin placé sous la garde de sa mère si
celle-ci ne s'est pas remariée. Toutefois, il sera tenu compte, dans le
jugement mettant fin à la garde, de l'intérêt de
l'enfant".
q ARTICLE 66 :
"Le titulaire du droit de garde, se mariant avec une
personne non liée à l'enfant par une parenté de
degré prohibé, est déchu de son droit de garde. Celui-ci
cesse également par renonciation tant que celle-ci ne compromet pas
l'intérêt de l'enfant".
P L A N
REMERCIEMENTS 2
SOMMAIRE 4
INTRODUCTION 6
I- CADRE DE LA RECHERCHE 10
A- CHOIX DU THÈME 11
1- RAISONS PERSONNELLES 13
2- QU'EST CE QU'ÊTRE UNE FEMME EN ALGÉRIE ? 19
3- CONSTRUCTION SOCIALE 20
4- LA RÉSISTANCE DU CODE DE LA FAMILLE
AU CHANGEMENT 28
5- LE JURIDIQUE COMME MOYEN DE LUTTE POUR
L'AMÉLIORATION DE LA FEMME 29
B- FÉMINISME / FÉMININ / FEMME 31
1- UNE FEMME / FEMME 33
DÉFINITION 33
2- L'HOSTILITÉ ENVERS LE SEXE FÉMININ 34
3- PRÉFÉRENCE ENVERS LE SEXE MASCULIN EN
ALGÉRIE 35
4- PROBLÈME DE LA FEMME 36
II- PROBLÉMATIQUE 37
A- RELIGION / CODE DE LA FAMILLE 46
B- ESPACE PRIVÉ / SCOLARITÉ/ESPACE PUBLIC
46
C- IDENTITÉ 46
III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES 47
A- AU NIVEAU DU CODE DE LA FAMILLE 51
B- AU NIVEAU DE LA FEMME ALGÉRIENNE 52
C- AU NIVEAU DES INSTITUTIONS 52
IV- INVESTIGATIONS 52
PREMIÈRE PARTIE 54
CHAPITRE I : LA FEMME ET LES TEXTES 55
I- LA PLACE DE LA FEMME DANS L'ISLAM 61
1- LE STATUT DES FEMMES DANS LE DISCOURS
CORANIQUE 64
2- LES DROITS ET OBLIGATIONS DES ÉPOUX DANS
LE CORAN 68
3- LE VOILE : POLÉMIQUE ET DISCOURS 69
A- LES SOURCES DE LA LOI ISLAMIQUE 70
1- Le CORAN 70
2- LA SUNNA (ou la tradition du Prophète)
72
3- QUIYÂS (raisonnement analogique) 73
4- IDJMÂ` (consensus) 73
B- LES NORMES DE L'ISLAM PAR RAPPORT AUX FEMMES 73
C- COMPRÉHENSION DE L'ISLAM 74
II- LA FEMME ET LA LÉGISLATION DE LA FAMILLE
76
1-L'EVOLUTION HISTORIQUE DE L'INSTITUTION FAMILIALE 76
2-LE CADRE JURIDIQUE 78
3-LE CODE DE LA FAMILLE DE 1984 80
a- DATES ESSENTIELLES A L'ABOUTISSEMENT D'UN CODE 81
III-CONTENU DU CODE DE LA FAMILLE 91
1- DES EXEMPLES D'ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE 96
2-ÉTUDE/ANALYSE DU CODE DE LA FAMILLE 102
a- LE MARIAGE 105
b- LA DOT 107
c- LA POLYGAMIE 112
d- LE DIVORCE ET SES CONSÉQUENCES 114
3- COMPROMIS ET RÉSISTANCE 122
4- LE PROJET D'AMENDEMENTS : QUELQUES RETOUCHES 126
III- LA CITOYENNETÉ DES FEMMES ET
L'ÉGALITE DES DROITS 128
A- DU CONTEXTE D'EXCLUSION ET D'ÉGALITÉ DES
DROITS 131
B- RATIFICATION DES PRINCIPAUX INSTRUMENTS
INTERNATIONAUX RELATIFS À L'ÉGALITÉ DES
DROITS 133
C- L'OPPRESSION DES FEMMES ALGÉRIENNES 137
1- DANS LE DOMAINE POLITIQUE 137
2- AU PLAN JURIDIQUE 137
3- DANS LE DOMAINE DE L'ENSEIGNEMENT 137
4- DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL 138
D- ÉGALITÉ DES DROITS À TRAVERS LES
CONSTITUTIONS 138
1- LA CONSTITUTION ALGÉRIENNE 139
2- LE DROIT DE CITOYENNETÉ 140
CHAPITRE II : SPHÈRE PRIVÉE /
SPHÈRE PUBLIQUE 141
I- L'ESPACE PRIVÉ / L'ESPACE PUBLIC 142
A- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (autrefois)
144
B- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ
(aujourd'hui) 147
C- NOUVEAUX ESPACES DOMESTIQUES RURAUX 149
D- RITES DE PASSAGE 152
E- LA TENUE 153
F- VOILER OU DÉVOILER LA FEMME 154
G- FEMME ALGÉRIENNE GARDIENNE DE LA TRADITION
159
II- LA PLACE DE LA FEMME DANS LA STRUCTURE FAMILIALE 160
A- LE CADRE FAMILIAL 161
B- LES CARACTÉRISTIQUES SOCIOLOGIQUES DE LA
FAMILLE ALGÉRIENNE 162
1- LA FAMILLE : UN GROUPE DOMESTIQUE COMPLEXE 163
2- UNE STRUCTURE FAMILIALE PATRIARCALE 164
3- LE SYSTÈME MATRIMONIAL 165
4- DES LIENS DE PARENTÉ ENTRETENUS 166
5- LE FOYER CONJUGAL ET LES RELATIONS 168
6- RÖLE DE LA FILLE/BRU/MERE ET DE LA
MERE AGEE 173
a-RÔLE DE LA FILLE / BRU / MÈRE 174
b-LA MÈRE ÂGÉE : ACTEUR SOCIAL ET
PRINCIPAL 179
C- MODÈLES FÉMININS D'ASSIGNATION IDENTITAIRE
EN ALGÉRIE 183
III- LA FEMME ET LA SEXUALITÉ 187
A- ENTRE TABOUS ET PERVERSIONS 187
B- L'AMOUR ET LA SEXUALITÉ 188
C- LE TABOU DE LA VIRGINITÉ 194
D- SEXUALITÉ, VIRILITÉ ET FÉMINITÉ
201
E- LES PROSTITUEES : LES FEMMES LIBRES 204
IV - LA SITUATION DES FEMMES DANS LE DOMAINE PRIVÉ
206
CHAPITRE III : A FEMME ET LA
SCOLARISATION 212
I- L'ÉDUCATION DES FILLES ET SON
ÉVOLUTION 212
A- LA FAIBLE SCOLARISATION DES FILLES DANS
L'ALGÉRIE
TRADITIONNELLE 212
B- L'ÉCOLE ET L'ACCULTURATION 215
II- PRÉSENTATION DE L'ÉCOLE ALGÉRIENNE
216
A- LES FILLES ET LA SCOLARISATION EN ALGÉRIE 218
B- STRATÉGIES À L'ACCÈS DES FILLES
À L'INSTRUCTION 219
C- À UN NIVEAU D'ÉTUDES ÉGAL, UN STATUT
PROFESSIONNEL
ÉGAL 221
III- L'ÉDUCATION DE LA GENT FÉMININE DEPUIS
L'INDÉPENDANCE 221
A- L'EFFECTIF FÉMININ DANS l'ENSEIGNEMENT
SUPÉRIEUR
EN 1992/93 (en graduation) 229
IV- DIFFÉRENCIATION DES TAUX DE SCOLARISATION
231
A- L'ÉCOLE PAUPÉRISÉE 233
V- QUELQUES DONNÉES EN COMPARAISON AVEC
LES PAYS VOISINS 234
CHAPITRE IV: LA FEMME ET LE TRAVAIL 238
I- LA FEMME / LA SOCIÉTÉ ET LE TRAVAIL 238
A- SITUATION INTERCULTURELLE 241
B- DYSFONCTIONS CARACTÉRISANT LA SOCIÉTÉ
DE
TRANSITION 244
C - POSTES DE TRAVAIL OCCUPÉS PAR LES FEMMES
EN ALGÉRIE 246
D- COMPORTEMENTS DES HOMMES VIS-À-VIS DES
TRAVAILLEUSES 247
E- LES SECTEURS D'ACTIVITÉS FÉMININS ET LES
CHIFFRES 252
II- LE TRAVAIL SALARIÉ FÉMININ ET SON
ÉVOLUTION 253
A- L'APPARITION ET LE DÉVELOPPEMENT DU
SALARIAT
FÉMININ 253
B- LA STAGNATION DE L'EMPLOI FÉMININ DURANT LES
DEUX
PREMIÈRES DÉCENNIES DE
L'INDÉPENDANCE 257
C- LES CARACTÉRISTIQUES DU TRAVAIL
FÉMININ DE CE III ème
MILLÉNAIRE 259
D- LES PROBLÈMES DES TRAVAILLEUSES 265
E- LE TRAVAIL FÉMININ À DOMICILE 266
III- LA VIE FAMILIALE DES ALGÉRIENNES
SALARIÉES 268
A- LE RÔLE FAMILIAL DE LA FEMME TRAVAILLEUSE 270
B- DES FEMMES SALARIÉES DÉPOSITAIRES DE
L'AUTORITÉ 271
1- LES CONSÉQUENCES DE LA RÉDUCTION DU TAUX DE
FÉCONDITÉ 272
CHAPITRE V : LA FEMME ET LA POLITIQUE 487
I- PRÉSENTATION DE L'ALGÉRIE 488
A- CONDITION DE LA FEMME ALGÉRIENNE 488
1- CONSCIENCE NATIONALE 489
2- LE CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE 490
II- PRISE DE CONSCIENCE DES FEMMES ? 498
A- APERÇU HISTORIQUE SUR LA CONDITION SOCIALE DE
LA FEMME 498
B- LA CONDITION DE LA FEMME DE L'ANTIQUITÉ AU
XX ème SIÈCLE 503
C- MOUVEMENTS DES FEMMES EN ALGÉRIE 505
D- PÉRIODES ALLANT DE 1962 À NOS JOURS 506
III- LA SITUATION DES FEMMES DEPUIS 1992 FEMMES VIOLÉES
509
IV- CHEMINEMENT POLITIQUE DE L'ALGÉRIE 503
A- HISTORIQUE ET SITUATION POLITIQUE DE L'ALGÉRIE
515
B- LA FAILLITE SOCIALE 518
C- LA TRAGÉDIE ÉDUCATIVE 519
D- UN BEL OUTIL DE FORMATION 520
E- UNE AMBITION SANS LIMITES 521
F- L'ARABISATION POLITISÉE 524
G- L'ÉCOLE CLOCHARDISÉE 526
V- LE TRAITEMENT INÉGAL DES FEMMES 528
A- SOUMISSION, RÉCLUSION ET ALIÉNATION 529
B- QUAND LES JEUNES SONT ABANDONNÉS 532
VI- SUR LES MAUVAIS CHEMINS DE L'HISTOIRE 533
A- DES RENDEZ-VOUS MANQUÉS 533
B- L'IMMENSITÉ DU GACHIS 534
C- TRAGIQUES CONTRETEMPS 536
D- UNE RESPONSABILITÉ COLLECTIVE 539
E- L'ILLUSION ISLAMISTE 541
VII- UN LONG PROCESSUS 542
A- LE SALUT VIENDRAIT-IL DES FEMMES 542
B- DISCOURS DE FEMMES, DE MILITANTES 545
C- LUTTE DES FEMMES 548
D- CIBLE SYMBOLIQUE OU MODERNITÉ AVORTÉE 549
VIII- LA FEMME ET LA POLITIQUE APRÈS LA
LIBÉRATION 550
TROISIÈME PARTIE 559
CHAPITRE I : LA GRANDE KABYLIE 560
I- LES BERBÈRES ET LA GRANDE KABYLIE 560
A- DESCRIPTION DE LA GRANDE KABYLIE 560
B- TIZI-OUZOU, CAPITALE DE LA GRANDE KABYLIE 562
C- APERÇU HISTORICO-GÉOGRAPHIQUE DE LA
BERBÉROPHONIE 563
D- ORIGINES DES BERBÈRES 568
E- IDÉOLOGIES DES KABYLES 569
F- LES VILLAGES KABYLES 570
G- L'ORGANISATION SOCIALE 576
II- L'ACCULTURATION 578
III- LES REVENDICATIONS ET LA LANGUE 580
A- RÉALITÉS LINGUISTIQUES 580
B- AFFIRMATION IDENTITAIRE ET PRATIQUES LINGUISTIQUES
EN KABYLIE 582
C- PROBLÈMES LINGUISTIQUES 589
IV- LES FEMMES KABYLES 591
CHAPITRE II : TRAVAIL DE TERRAIN 595
I- MÉTHODOLOGIE 595
II- PRÉ-ENQUÊTE 596
III- REMARQUES SUR LES ENTRETIENS 601
CHAPITRE III : ENTRETIENS AVEC LES KABYLES
606
I- ENTRETIENS 606
A- LEÏLA, LA DACTYLOGRAPHE 606
B- MALIKA 611
C- ZOHRA, LA RÉVOLTÉE 619
D- GHENIMA ET GHENOUNOUCHE, LES DEUX AMIES 625
E- CHABHA, LA JOURNALISTE 631
F- OUERDIA, LA MAMAN DE CHABHA 642
G- MELHA, INGÉNIEUR EN GÉNIE CIVIL 654
H- KATIA 661
I- DJEDJIGA, FARIZA ET KHADIDJA (Grand-mère /
mère / fille) 665
1- DJEDJIGA, la grand-mère 667
2- FARIZA, la mère 670
3- KHADIDJA, la fille 673
J- ASSIA, LA SYNDICALISTE 679
II- POINTS DE VUE 684
III- SYNTHÈSE DES ENTRETIENS 686
A- CONTRAINTES SOCIALES ET CRISES IDENTITAIRES 686
B- LE RÔLE DE L'ÉCOLE DANS LA PERSONNALITÉ
DES
INTERVIEWÉES 689
C- FÉMINITÉ, VIRILITÉ ET RELIGION 693
D- LA SEXUALITÉ 698
E- LE CAPITAL SCOLAIRE 702
F- LE CONDITIONNEMENT 702
IV- ANALYSE ET CONCLUSION 703
CHAPITRE IV : LES CONCEPTS
DÉGAGÉS DE L'ÉTUDE 714
I- CONCEPT DE L'IDENTITÉ 714
A- DÉFINITION 719
1- Identité 719
2- Identification 721
B- IDENTITÉ ALGÉRIENNE 723
C- CONSTRUCTION DE L'IDENTITÉ 730
II- CONCEPT DE MODERNITÉ / TRADITION 733
A- TRADITION ET MODERNITÉ EN ALGÉRIE 743
B- TRADITION ET MODERNISME 753
C- ISLAM ET TRADITION 753
D- MODERNITÉ OU DÉVELOPPEMENT 755
III- CONCEPT DE MATRIARCAT / PATRIARCAT 756
A- DÉFINITION ET ORIGINE 756
B- EN ALGÉRIE 758
IV- CONCEPT DE SOI 760
A- L'IDENTIQUE ET L'AUTHENTIQUE 767
CONCLUSION GÉNÉRALE 771
I- RÉALITÉ ALGÉRIENNE 771
II- RETOUR SUR LES HYPOTHÈSES 786
A- LA FEMME ET LES TEXTES 786
B- LES ASPIRATIONS DES FEMMES À LA MODERNITÉ ET
AU
PROGRÈS ET LEUR REJET DES INTERDITS 793
C- DÉTERMINATION DES FEMMES À SORTIR DU DOMAINE
PRIVÉ 795
D- TÉNACITÉ DES FEMMES À AVOIR LEUR PLACE
DANS LA
SPHÈRE PUBLIQUE 796
E- DE LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT 796
F- LES FEMMES, LE FÉMINISME : QUEL AVENIR ? 798
G- PROGRÈS ET REMISE EN QUESTION 800
III- POÈME : SILENCE ET PAROLE 807
BIBLIOGRAPHIE 810
OUVRAGES 810
ARTICLES / PÈRIODIQUES 824
THESES 830
RAPPORTS / REVUES 831
COLLOQUES 834
JOURNAUX 835
LEXIQUE 836
* 1 C. CAMILLERI,
Jeunesse et développement, édit. du C.N.R.S., Paris,
1969.
* 2 P. H. CHOMBART De LAUWE,
Pour une sociologie des aspirations, édit. Denoël, Paris,
1969.
* 3 Christiane SOURIAU,
Le Maghreb musulman en 1979, édit. du C.N.R.S., Paris, 1981.
* 4 Germaine TILLION, Le
harem et les cousins, édit. Seuil, Paris, 1966, p. 199.
* 5 M. MAUSS, Sociologie
et anthropologie, édit. PUF, Paris, 1978, p. 147.
* 6 G. TILLION, Le harem
et les cousins, op. cit., p. 11.
* 7 G. TILLION, op. cit., p.
184.
* 8 "Les femmes
arabes", In M.R.G., Rapport n° 27, pp. 11-12.
* 9 Alain TOURAINE, La
voix et le regard, Sociologie des mouvements sociaux, édit. Seuil,
Paris, N. édit., 1993.
* E. F. n'a pas voulu que je cite son nom
mais elle a publié ses propos dans un document de l'AFRISE.
* 10 Jean DEPREZ,
Pérennité de l'Islam dans l'ordre juridique au Maghreb,
Publication du C.N.R.S.M., 1981.
Le Matin, Quotidien national, "Les naissances
au maquis", n° 2504 du mardi 23 mai 2000, Alger.
* 11 KRISTEVA, Le texte du
roman, édit. Mouton, Paris, 1970.
* 12 Monique RÉMY,
L'histoire des mouvements de femmes, édit. L'Harmattan, Paris,
1990.
* 13 Simone De BEAUVOIR,
Le Deuxième Sexe, 2 vol., édit. Gallimard, Paris, 1949 ;
édit. Flammarion,
* 1 Elena
Gianini BELLOTI, Du côté des petites filles, édit. De
Poche, Paris, 1981
* 2 Ibidem
* 1 Elena Gianini BELOTTI,
op. cit., p. 25
* 14 Pierre BOURDIEU,
Esquisse d'une théorie de la pratique, édit.
Points-Seuil, Paris, 2000.
* 15 IBN ROCHD, dit
Averroès, philosophe.
* 16 R. GUBBELS, Le
travail au féminin, édit. Marabout, Paris, 1967, p. 23.
* 2 Ibidem
* 3 Expression arabe qui
veut dire "Les hommes sont plus droits que les femmes".
* 17 Mohamed Mahdi EL
HAJOUI, La femme dans le droit musulman, imprimerie Dar Al Kitab,
Casablanca, 1967.
* 18 Allal EL FASSI,
L'autocritique, édit. du Parti du Leader de
l'Indépendance, Rabat, Maroc, 1979.
* 1 Fethi BENSLAMA, La
pensée à l'épreuve, édit. , ,199.
* 19 CORAN, Sourate IV,
An-Nisâ' (Les Femmes), Verset 4.
* 20 Coran, sourate IV, op.
cit., Verset 3.
* 21 Coran, sourate VI,
Al-An`âm (Les Bestiaux), Verset 129.
* 22 Coran, sourate XV,
Al-Hidjr (nom d'une région de l'Arabie préislamique),
Verset 4.
* 23 Coran, sourate IV, op.
cit., Verset 34.
* 24 Coran, Sourate II,
Al-Baqara (La Vache), Verset 220.
* 25 G. BENMELHA,
Eléments du droit algérien de famille, édit.
O.P.U.- Publisud, 1985, pp. 17-22.
* 26 G. BENMELHA, "La
famille algérienne entre le droit des personnes et le droit
public", In Revue algérienne des sciences juridiques,
politiques et économiques, Spécial 20ème
année, Alger, 1982, p. 327.
* 27 El Djazairia,
1981, p. 36.
* 28 Constitution de 1976,
article 2.
* 29 Titre II, chap. I.
* 30 Hélène
VANDEVELDE-DAILLIERE, Malgré la tourmente, Paris, 1988, p.
24.
* 31 Saléha
BOUDÉFA, "Image de la femme dans les discours officiels", In
Femmes, familles et société au Maghreb, journées
d'études du 2, 3 et 4 / 1987, Université d'Oran, 1988, pp.
261-286.
* 32 Op. cit., p. 206.
* 33 EPHESIA, La place
des femmes, Collection Recherche, édit. La découverte,
Paris, 1995.
* 34 Ahmed TALEB IBRAHIMI,
Lettres de prison, 1957-1961, édit. SNED, Alger, 1965.
* 35 M. BORMANS, Statut
personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours, édit.
Mouton, 1977, pp. 521-529, In Documents sur la famille au Maghreb de 1940
à nos jours, Orient moderne, 59, pp. 1-5, 1979.
* 36 Sur la doctrine sociale
des `Olamâs algériens, voir Ali MERAD, "Le
réformiste musulman en Algérie de 1925 à 1940", In
Essai d'histoire religieuse et sociale, édit. Mouton, Paris -
La Haye, Mouton, 1967.
* 37 BORMANS, op. cit., p.
521.
* 38 El Moudjahid,
Quotidien National, 20-21 février 1966.
* 39 Fadéla
M'RABET, Les Algériennes, édit. Maspero, Paris, 1967,
pp. 241-255, repris par BORMANS, In Documents, "Ce projet qui
"n'existe pas" ...", pp. 311-320.
* 40 Actes de ce colloque du
8-10 mai 1968, In RASJEP, Alger, 1968, 4, pp.1047-1049.
* 41 El-Moudjahid,
quotidien national, le 30 novembre-1er décembre 1969.
* 42 Journal
El-Moudjahid, 28 octobre 1969.
* 43 Coran - II, op. cit.,
Verset 228, "Les hommes ont une prééminence sur les
épouses".
- IV, op. cit., Verset 34 : "Les hommes
ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence
que Dieu leur a accordée sur elles... ".
- IV, Ibid, Verset 11, "Quant à vos
enfants, Dieu vous ordonne d'attribuer au garçon une part égale
à celle de deux filles...".
* 44 Saadeddine BENCHENEB,
"Un contrat de mariage algérois du début du XVIII
ème siècle", In Annales de l'institut
d'études Orientales d'Alger, n° 13, 1955, pp. 98-117.
* 45 El Moudjahid,
Quotidien National, Alger, 20-21 avril 1984.
* 46 Z. GADOUCHE, "Code
de la Famille, reflet de l'Algérie", In
Algérie-Actualité, journal
hebdomadaire du 10-16 mai 1984.
* 47 Journal Officiel de la
République Algérienne, "Loi 84-11 du 9 juin 1984, Le Code de
la Famille", Alger, 1984, p. 612.
* 48 El Moudjahid,
Alger, 19 juin 1984.
* 49 Rapport du chef de
l'État et secrétaire du Parti, V ème
Congrès du F.L.N., Alger, décembre 1983.
* 50 Omar LARDJANE,
"Identité collective et identité individuelle", In
Élites et questions identitaires en Algérie, édit.
Casbah, Alger, 1997, p. 19.
* 51 Dahbia ABROUS,
L'honneur et le travail des femmes en Algérie, édit.
L'Harmattan, Paris, 1989 ;
"L'honneur et l'argent des femmes en Algérie",
In Peuples méditerranéens, 44-45, n°
spécial, Les femmes et la modernité, 1988, pp. 49-165.
* 52 Lucie PRUVOST,
"Intégration familiale de l'enfant sans généalogie en
Algérie et en Tunisie: kafâla ou adoption", In
Recueil d'articles offert à Maurice BORMANS, édit.
PISIA, Roma, 1996, pp. 155-180.
* 53 Art. 222 : "En
l'absence d'une disposition dans la présente loi, il est fait
référence aux positions de la Charia".
* 54 Monique GADANT, Zakia
DAOUD, Fatima MERNISSI, op. citées.
* 55 Zakia DAOUD,
Féminisme et politique au Maghreb, édit. Eddif, Maroc,
1993 ; édit. Maisonneuve &Larose, Paris, 1993.
* 56 Interprétation
animée d'un esprit réformateur des principes de l'Islam.
* 57 N. SAADI, La femme
et la loi en Algérie, Collection Femme Maghreb 2000,
édit. Le Fennec, Casablanca, 1991 ; édit. Bouchène, Alger,
1991.
* 58 H. MAZEAUD,
Leçons de droit civil, T.I.N. n° 1079.
* 59 Cassation Civile,
Alger, 4 février 1931 - RA 1931- 2 - 167.
* 60 El Yafi ABDOULLAH,
La condition privée de la femme dans le droit de l'Islam,
Thèse de Doctorat ès-Droit, Paris, 1928.
* 61 Cheikh CHALTOUT,
cité par Yahia DENNAOUI, La famille musulmane dans certains codes
contemporains (Ottoman, Syrien, Tunisien), Thèse de Doctorat,
Paris II, 1978.
* 62 EL ASSIOUTY (ouvrage
collectif), Le Maghreb musulman en 1980, édit. Du CNRS, Paris,
1981.
* 63 Ibid, p. 32
* 64 Ibidem, p. 34.
* 4 Sourate
Ennissa (les femmes)
* 65 CORAN, Sourate n°
65, At-Talâq (le divorce), traduction Salah Eddine,
édit. Dar Gharb El Islam, Bayrout (Liban), 1990.
* 66 Ibid, p. 20.
* 67 Concepts introduits
à la Conférence Mondiale sur l'emploi de l'O.I.T., 1976.
* 68 Rapports de Jain
DEVAKI, Institute of Social Studies de New-Delhi, cité par Marilee KARL
In Les femmes et le développement rural, Articles sur le
féminisme, France, 1989.
* 69 Rapport mondial sur le
développement humain, Chapitre II, "La persistance des
inégalités dans le monde", P.N.U.D., 1995
* 70 Z. BENROMDHANE,
Dossier égalité et droit, Entre universalité et
spécificité, Publication ENDA, Tunisie, Vivre
autrement, 5ème série, numéro bilan sur
Beijing, 1995.
* 71 Alain TOURAINE,
"Face à l'exclusion", In Citoyenneté et
urbanité, édit. Esprit, Paris, 1991.
* 72 Alain TOURAINE, op.
cit.
* 73 Penseurs
réformateurs ayant mené des mouvements nationaux et de
défense de la femme : Messali EL HADJ, Ferhat ABBAS, Mohamed Abdelhamid
BOUDIAF (présidents ), de 1930 à 1960.
* 74 Akila BOUDIAF, op.
cit.
* 75 Liste des ratifications
par convention en 1994. Rapport III, partie 5, BIT, Genève, 1995.
* 76 Articles 01, 13, 76 de
la Charte des Nations Unies, Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme de 1948, déclaration des Droits de l'Enfant de 1959,
Déclaration sur l'élimination de la discrimination à
l'égard des femmes de 1967.
* 77 Pacte International
relatif aux droits économiques et socioculturels, 1991.
* 78 Z. HADDAB,
Collectif Maghreb-Égalité, Cent mesures et dispositions.
"Pour une codification maghrébine égalitaire du statut
personnel et du droit de la famille" (Document élaboré en
vue de la Conférence de Pékin de septembre 1995 et
co-édité en anglais et en arabe par la Friedrich Elbert Stiftung
et l'Union européenne), avec le même groupe et sponsor, "Women
in the Maghreb, Change and resistance".
* 79 Pierre BOURDIEU,
"La domination masculine", In Actes de la Recherche en Sciences
Sociales, n° 84, septembre 1990, p. 31.
* 1 Pierre BOURDIEU,
"Sociologie de l'Algérie", In QSJ, édit. PUF,
Paris, 1962.
* 80 Pierre BOURDIEU,
"Sociologie de l'Algérie", édit. PUF, Paris, 1962.
* 81 Reysoo FENNEKE,
Pèlerinages au Maroc : fête, politique et échange dans
l'Islam populaire, édit. Neuchâtel / Institut d'ethnologie /
Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1991.
* 82 Ervin GOFFMAN,
Gender advertisements, New York, MacMillan, 1979.
* 83 Expression de G.
DEVEREUX, In De l'angoisse à la méthode, édit.
Flammarion, Paris, 1980.
* 84 M. MAUSS, op. cit.
* 85 G. TILLION, op. cit., p.
11.
* 86 C. I. LEVI-STRAUSS,
Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, op. cit., p. XXVI.
* 87 Assia. DJEBBAR,
Femmes d'Alger dans leur appartement, édit. Des Femmes, Paris,
1979, p. 175.
* 88 G. DEVEREUX, op. cit.,
p. 201.
* 89 Ibidem, p. 307.
* 90 J.-B. PONTALIS,
"À partir du contre-transfert, le mort et le vif
entrelacés", In Nouvelle revue de psychanalyse, août
1975, n° 12, p. 73.
* 91 Ghita EL KHIAT-BENNANI,
Le monde arabe au féminin, édit. L'Harmattan, Paris,
1985.
* 92 Germaine TILLION, op.
cit.
* 93 E. WILLEMS,
Dictionnaire de sociologie, adaptation française par Armand
CUVILLIER, 2ème édit. M. Rivière, Paris, 1970,
p. 106
* 94 M. BOUTEFNOUCHET,
Les travailleurs en Algérie, Alger, édit. S.N.E.D.,
1979.
* 95 Ibidem.
* 96 Op. cit., p. 127.
* 97 T. LAURAS-LOCOH, &
P. CANTRELLE, "Facteurs culturels et sociaux de la santé en
Afrique", Revue N° 10, édit. C.F.P.D., 1990, p. 536.
* 98 Martine SEGALEN,
Mari et Femme dans la société paysanne, édit.
Flammarion, Paris, 1981, p. 29.
* 99 M. BOUTEFNOUCHET, op.
cit.
* 100 G. TILLION, op.
cit.
* 101 J. CHELHOD,
Introduction à la sociologie de l'Islam, de l'animisme
à l'universalisme, édit. Besson-Chantemerle, 1958.
* 102 Ibidem.
* 103 Z. ZEMOUM, "De la
continuité révolutionnaire", Revue Révolution
Africaine, Hebdomadaire, n° 884, 1982.
* 104 * N.B. :
Toute jeune, j'ai toujours entendu ces phrases par des couples, par mes propres
parents.
* 105 - A. BOUDHIBA, La
sexualité en Islam, édit. PUF, Paris, 1975, 1977, p. 263.
- Yvonne CASTELLAN, Initiation à la psychologie
sociale, édit. A. Colin, 7ème édit, 1986,
p. 29.
* 106 - Amel RASSAM,
Peoples and cultures of middle-East, Prentice-Hall, Angleterre, 1983.
- D. BEHNAM, "L'impact de la modernité sur la
famille musulmane", In Familles musulmanes et modernité, le
défi des traditions, édit. Publisud, Paris, 1986.
- M. BOUTIRA, 1987.
* 107 A. BOUDHIBA, op. cit.
* 108 C. H. BRETEAU, N.
ZAGNOLI, op. cit.
* 109 T. LAURAS-LOCOH, op.
cit., p. 535.
* 110 Ibid.
* 111 Ibidem.
* 112 B. MARBEAU-CLEIRENS,
Les mères imaginées : Horreur et
vénération, Préface de Jacques BRIL, édit. Les
Belles Lettres, Collection Confluents psychanalytiques, Paris, 1988.
* 113 BRETEAU et ZAGNOLI,
1989-1990, pp. 276-277.
* 114 D. MARTINS, 1991.
* 115 W. DOISE, A.
PALMONARI, Étude des représentations sociales,
édit. Delâchaux et Niestlé, Paris, 1986.
* 116 Malek CHEBEL,
"Le maternel", In Femmes de Méditerranée,
Paris, Karthala, 1995.
* 117 Ibidem.
* 118 CORAN, Sourate XXIX,
Al-`Ankabût (L'Araignée), Verset 31.
Sourate XXXIII, op. cit., Verset 57.
* 119 L. DE PREMARE, La
mère et la femme dans la société familiale traditionnelle
au Maghreb, Bull. de Psycho. XXVIII 314, Paris, 1975.
* 120 Madani GUERSSI,
"Abdelwahhab EL FAKIHI", traduction de l'arabe en français,
Journal Le Chroniqueur du 22 au 28 Août 1991, Alger.
* 121 C. I. LEVI-STRAUSS,
Les structures élémentaires de la parenté,
édit. Mouton, Paris, 1947, 1981.
* 122 G. DEVEREUX,
"Considérations ethnopsychanalytiques sur la notion de
parenté", In Ethno-psychanalyse complémentaire,
édit. Flammarion, Paris, 1957, 1972.
* 123 G. DEVREUX, "La
psychanalyse instrument d'enquête ethnologique, Données de fait et
implications théoriques", In Essais d'ethnopsychiatrie
générale, Paris, 1957, 1977, pp. 1-83.
* 124 Titouh Tassadit
YACINE, L'Izli ou l'amour chanté en kabyle, édit. de la
Maison des sciences de l'homme, Paris, 1988.
* 125 S. FREUD, "Pour
introduire le narcissisme", In La vie sexuelle, édit. PUF,
Paris, 1914, 1977, pp. 81-105.
* 126 A. BOUDHIBA,
Islam et Sexualité, thèse de l'Université Paris
V, le 5 juin 1972.
* 127 F. MERNISSI,
"Virginité et Patriarcat", In revue LAMALIF, Maroc,
janvier 1979.
* 128 A. GAUDIO et R.
PELLETIER, Femmes d'Islam ou le sexe interdit, édit.
Denoël, Paris, 1980.
* 129 Naoual EL SAADAOUI,
Face cachée d'Ève. Les femmes dans le monde arabe,
édit. Des Femmes, coll. "Pour chacune", Paris, 1982, p. 91.
* 130 J.-P. CODIOL, op.
cit. , 1980.
* 131 R. TOUALBI,
Modèles conjugaux et représentations culturelles des jeunes
en Algérie, Thèse de Doctorat d'État
ès-Lettres et Sciences Humaines, Paris, 1994.
* 132 L. De PREMARE,
La mère et la femme dans la société familiale
traditionnelle au Maghreb, édit. Bull. de Psycho. XXVIII 314,
Paris, 1975, p. 91.
* 133 J.CAZENEUVE,
Sociologie du rite, édit. PUF, Paris, 1971.
* 134 Mahmoud Boucebci, ,
Psychiatrie, société et développement,
édit. SNED, Alger, 1979, 1982.
* 135 Mahmoud BOUCEBCI,
ibidem.
* 136 Ibid.
* 137 D. JEAMBAR, La
femme face au Coran, édit. Le Point N, Paris, 1989.
* 138 S.
NAÂMANE-GUESSOUS, Au-delà de toute pudeur, Thèse
de doctorat de 3ème cycle à Paris VIII.
* 139 Naoual EL SAADAOUI,
op. cit., pp. 295-296.
* 140 Ibidem.
* 141 Ibidem, p. 298.
* 142 Fatima MERNISSI, op.
cit., pp. 29-30.
* 143 Barbara BABCOK,
"The reversible world : symbolic inversion", In Art
and society, Ithaca : Cornell University Press, 1978.
* 144 Source : O.N.S.,
Femmes et activité, n° 254, 1er Trimestre 1996.
* 145 Hélène
VANDEVELDE-BAILLIERE, Malgré la tourmente, Paris, 1994, p.
160.
* 146 Ibid.
* 147 Dr J. DESSFORTS,
Le droit de vivre et de bien vivre pour celles qui donnent la vie : Femmes
et développement, édit. CRASC, Alger, 1995, p. 105.
* 148 Docteur BOUCEBCI,
psychiatre algérien, assassiné par les intégristes.
* 149 M. BOUCEBCI,
Psychologie suicide en Algérie, Les temps Modernes,
juillet-août, 1982, p. 204.
* 150 J. DESS FORTS, op.
cit., p. 105.
* 151 DHINA, Les
États de l'Occident musulman au XIII ème,
XIV ème et XV ème
siècles, édit. O.P.U., Alger, 1984, p. 111.
* 152 GORDON, p. 43.
* 2 Ibidem,
p. 45
* 3 Ibidem .
* 153 "À force
de tâter toutes les blessures de la différence, de vivre
déchiré sur le tranchant qui césure le Nous des
Autres, je finis par supporter avec peine d'être à la
fois ceux-ci et ceux-là, au point d'être mal assuré de mon
identité", Jean AMROUCHE, L'éternel Jugurtha,
Marseille, 1985, cité par K. DIRECHE-SLIMANI.
* 154 "Bureaux
Arabes", In Encyclopédie Berbère, n°
11, Paris, 1992.
* 155 Ibid.
* 156 Salem CHAKER,
Imazighen Ass-a, (Les Berbères aujourd'hui),
édit. Bouchène, Alger, 1990.
* 157 Christine ACHOUR et
Dalila MORSLY, "La femme en images et en mots", In La femme et la
culture, Revue El Djazairia, Alger.
* 158 Dorra DRAOUI-MAHMOUD,
Triki HORCHANI-ZAMITI, Femmes diplômées : pratiques
novatrices, édit. FNUAP et IREP, Tunis, 1994.
* 159 Source : Statistiques
O.N.S., n° 35, p. 24.
* 160 Ministère de
l'Éducation Primaire et Secondaire, Informations statistiques n°
16, mai 1978, pp. 18-27.
* 161 SOURCE :
Ministère de l'Education Nationale.
* 162 Rapport officiel
intitulé: "Convention sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination à l'égard des femmes de 1996".
En dépit de ses limites, ce rapport contient des
informations statistiques sur le taux de scolarisation des filles et
l'évolution de l'emploi féminin.
* 163 Bulletin statistique
du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche
Scientifique n° 18, Alger, mars 1979.
* 164 Ibidem.
* 165 Ministère de
la Planification et de l'Aménagement du Territoire, Bilan de la
Formation 1967-1978, ronéotypé, p. 46.
* 166 SOURCE : B.I.T.
Annuaire des statistiques du travail, Genève, 1980 et 1984.
* 167 F. MERNISSI,
"Beyond the veil : male-female", In Modern Muslim Society,
Cambridge, Mashenkman, Boston, 1975, p. 103.
* 168 SOURCE :
Ministère de l'Éducation Nationale, données statistiques
de la formation supérieure, 1992-1993, p. 28.
* 169 Source de M. OSMANI,
"Rôle et situation de la femme algérienne", Quotidien
National El Watan du 17-18 janvier 1998.
* 170 N'Fissa ZERDOUMI,
Enfants à trier, l'éducation en milieu traditionnel
algérien, préface de Maxime RODINSON, édit. Maspero,
Paris, 1970, p. 218.
* 171 Elle s'explique, en
partie, par l'arabisation quasi-impossible dans le technique, ce qui a
favorisé la fuite de l'administration de l'éducation vers
l'enseignement général.
* 172 On va jusqu'à
enseigner aux enfants que le canal de Suez a été construit par
Nasser. L'histoire des Arabes ne manque pourtant pas de grands hommes et
d'actions d'éclat.
* 173 Dans une
émission télévisée française,
"Envoyé spécial", en 1994, l'écrivain Rachid
Mimouni en a cité d'éclatantes illustrations.
* 174 4 % selon des
études récentes du C.N.R.A.D.
* 175 Mahmoud BOUCEBCI,
Psychiatrie, société, et développement,
édit. SNED, 1979.
* 176 C. CAMILLERI, op.
cit., p. 337.
* 177 C. CAMILLERI,
Ibid.
* 178 F. MERNISSI,
Identité culturelle et idéologie sexuelle, le cas du Maroc et
de la Chine, 14 ème congrès international
d'Alger, édit. OPU, Alger, 1978.
* 179 Ibidem.
* 180 Mahmoud BOUCEBCI,
op. cit., p. 48.
* 181 Ibidem, p. 51.
* 182 Souad KHODJA,
"Les femmes musulmanes algériennes et le développement",
In Le Maghreb musulman en 1979, sous la direction de Christiane
SOURIAU, édit. du CNRS, Paris, 1979.
* 183 Dahbia ABROUS, op.
cit.
* 184 Houria SAHLI,
"Qu'est-ce que la marginalité pour une femme dans notre
société, un mal ou une alternative obligée à sa
libération ?", In Actes des journées
d'études psychiatriques, Alger, 1989.
* 185 C. CAMILLERI,
"Transferts de représentations et besoins", In Peuples
méditerranéens, Fin du national, n° 35-36,
avril-septembre, 1986, p. 104.
* 186 Dahbia ABROUS, op.
cit.
* 187 BENNOUNE, p. 20.
* 188 J.-P. CHARNAY, p.20.
* 189 SOURCE : O.N.S. :
"Statistiques", n° 3, 1984.
* 190 SOURCE : Idem.
* 191 N. E. HAMMOUDA,
L'activité féminine : un indicateur des mutations
socio-économiques, O.N.S. "Statistiques", n° 3,
avril-juin 1984, p. 29.
* 192 M.P.A.T,
Avant-projet du bilan social 1967-1968, décembre 1979, p. 24.
* 193 O.N.S.,
Données statistiques, Emploi féminin : Évolution de
l'activité féminine entre 1966 et 1989.
* 194 Ibid.
* 195 Ministère du
Travail, op. cit., p. 84.
* 196 Ibidem, p. 24.
* 197 O.N.S., op. cit.
* 198 Président
Houari Boumédiène, "Discours au congrès de
l'U.N.F.A.., le 20 novembre 1966", cité par Paul BALTA et
Claudine RULLEAU, In La stratégie de Boumédiène,
éd. Sindbad, Paris, 1978, p. 140.
* 199 U.N.F.A, "La
situation de la femme en Algérie", document communiqué
à la Conférence Mondiale de la Décennie des Nations Unies
pour la Femme (Copenhague, 14-30 juillet 1980).
* 200 SOURCE : O.N.S.,
1992.
* 201 SOURCE : Divers,
R.G.P.H.
* 202 L'école
fondamentale est obligatoire pour tout enfant, c'est-à-dire de 6
à 14 ans : six années pour le primaire et trois années
pour le collège. Cet enseignement, dont dépend l'école
primaire et qui représente le collège, accueille les
élèves de la 7 ème AF à la 9
ème AF.
* 203 SOURCE : Ibid.
* 204 Ibidem.
* 205 W. JANSEN, Women
without men, Brill LEIDEN, 1987.
* 206 F. ADEL, "Femmes
et mariage", In Actes de l'atelier, femmes et
développement, Alger 18-21, octobre 1994, CRASC, Oran, 1995, pp.
68-69.
* 207 A. LAKDJAA, "Le
travailleur informel : figure sociale", In Insaniyat,
n° 1, printemps 1997, CRASC, pp. 20-42.
* 208 Ibidem.
* 209 Enquête du
Ministère du travail confiée à l'Institut National de la
Planification (Études Démographiques Économiques et
Sociales) à Alger en 1985.
* 210 Ibidem, pp. 32-33.
* 211 M. CAHEN-KASRIEL,
1986, p. 25.
* 212 Dehbia ABROUS, op. cit.
* 213 D. BEHNAM,
"L'impact de la modernité sur la famille musulmane", In
Familles musulmanes et modernité, le défi des traditions,
édit. Publisud, Paris, 1986, p. 46.
* 214 Ibid.
* 215 C. BOUATTA, op. cit.,
p. 180
* 216 N. CHELLIG, op. cit., p.
68.
* 217 N. ALLAMI, 1988, p.
160.
* 218 M. CHEBEL, op. cit., p.
652.
* 219 C. BOUATTA, op. cit.,
p. 124.
* 220 Ibidem., p. 123.
* 221 Monique GADANT,
Les femmes et la modernité, édit. Peuples
Méditerranéens, juillet-décembre 1988.
* 222 Rédha MALEK,
op. cit.
* 223 Ibid.
* 224 G. CAMPS, op. cit.
* 225 Ibidem.
* 226 M. GADANT, op. cit., p.
30.
* 227 Ibid.
* 228 H. VANDEVELDE-DAILLIERE,
op. cit.
* 229 Ibid, pp. 241 et 270.
* 230 Gabriel CAMPS,
L'Afrique du Nord au féminin, édit. Perrin, Paris,
1992.
* 231 A. ADAM, 1975, p. 9.
* 232 Appel des femmes du
22 mars 1994.
* 233 Lettre des femmes au
Président algérien, le 22 mars 1994.
* 234 Motion Association de
Défense et Promotion des Droits des Femmes.
* 235 1er novembre
1954, date du déclenchement de la lutte armée.
* 236 Monique GADANT,
Le nationalisme algérien et les femmes, édit.
L'Harmattan, Paris, 1995.
* 237 G. Camps, op. cit.
* 238 MOSCOVI, "Hommes
domestiques et hommes sauvages", coll. 10 / 18, Paris, 1974.
* 239 Anne THOMSON, "La
classification raciale de l'Afrique du Nord au début du XIX
ème siècle", In Cahiers d'Études
Africaines, n° 129, Paris, édit. EHESS, 1993.
* 240 G. LAOUST-CHANTRAUX,
Kabyles, côté des femmes, la vie féminine à
Aït-Hichem de 1937 à 1939, édit. Edisud, Aix En
Provence, 1966.
* 241 HANOTEAU &
LETOURNEUX, La Kabylie et les coutumes kabyles, Paris, Tome II,
1893.
* 242 Cité par M.
LOUNAOUCI, "État-Nation, la démocratie et la question
berbère", In Tifinagh, n° 10, Rabat, 1997.
* 243 Voir la deuxième
partie de ce présent travail, p. 313.
* 244 On estimait la
population d'illettrés moins forte qu'en France où elle
dépassait 40 % en 1830.
* 245 Hamid SALMI, op.
cit.
* 246 Amazigh
(sing.) : ce terme est employé par un certain nombre de groupes
berbères pour se désigner eux-mêmes et qui signifierait
homme libre, noble. Ce terme a été attesté dans
l'antiquité, ainsi, on rencontre Maxyes chez Hérodote ;
Mazaces, Mazices, Mazikes, Mazax, Mazazaces chez les auteurs de langue latine
(Encyclopédie Berbère, n° 4, édit. Edisud,
Aix-en-Provence, 1987).
* 247 A. DJAGHLOUL, "M.
Mammeri ou le courage lucide d'un intellectuel marginalisé", In
Awal, édit. Maison des Sciences de l'Homme, CERAM, Paris, p. 94.
* 248 Rabah KHAHLOUCHE,
"Plurilinguisme et identités au Maghreb", In UPRESA
6065 du CNRS- Université de Tizi-Ouzou, édit. Publications de
l'Université de Rouen, 1997.
* 249 C. LACOSTE-DUJARDIN,
"Démocratie kabyle. Les Kabyles : une chance pour la
démocratie en Algérie", In Hérodote,
n°65-66, "Afriques noires, Afriques blanches", 2
ème et 3 ème trimestre 1992, pp. 63-74.
* 250 C. LACOSTE-DUJARDIN,
"L'invention d'une ethno-politique : Kabylie 1844", In
Hérodote, n° 42, "Géopolitique des
langues", 3ème trimestre 1986, p. 109-126.
* 251 - C.
LACOSTE-DUJARDIN, Bibliographie ethnologique de la Grande Kabylie,
édit. Mouton, Paris - La Haye, 1962, p. 114,
- Mathéa GAUDRY, La femme Chawiia de
l'Aurès, édit. Geuthner, 1929.
* 252 Dictionnaire
Robert.
* 1 Les Cahiers du CRIF,
"Le corps des femmes", édit. Complexes, Bruxelles, 1992.
* 2 E. BADINTER, L'un
et l'autre, édit. Jacob, Points, Paris, 1986.
* 1 Expression qui exprime
une nostalgie : oh !là, là !, oh ! là, là !
* 253 El Houkouma
veut dire celui qui commande, mais ici l'expression (en arabe) désigne
l'État.
* 254 Melha a
insisté sur les mots "LAÏQUE" et "CHARIA". Elle a
demandé que nous les mettions en majuscules. Deux mots qu'elle oppose et
qui lui semblent être contradictoires et opposés à sa
personnalité. Nous la relançons aussitôt.
* 255 B. MERLANT-GUYON,
Évolution de la représentation de soi et mise en jeu de
l'élaboration de l'identité dans une expérience de
formation de groupe, sous la direction de P. TAP, Paris, 1980.
* 256 Liliane LUCRAT, 1980,
pp. 357-360.
* 257 B. MERLANT-GUYON, op.
cit., pp. 353-356.
* 258 Ibidem.
* 259 J. CURIE, "Les
modèles de sujet dans l'analyse psychosociale", In Psychologie
et Éducation, n° 250, n° 2, édit. C.N.R.S,
1976.
* 260 M. VANANDRUEL ,
Les représentations de soi majoritaires et minoritaires, sous
la direction de P. TAP, pp. 191-193.
* 261 T.
LAFFERIÈRE, sous la direction de P. TAP, pp. 255-257.
* 262 Pierre TAP,
Masculin et féminin chez l'enfant, édit. Privat /
Edisem, Toulouse, 1985, pp. 3-4.
* 263 N. EL SAADAOUI, op.
cit., pp. 295-296.
* 264 F. MERNISSI, 1983,
op. cit., pp.29-30.
* 265 J.-P. CODIOL, op.,
cit.
* 266 J.-P. CURIE, op.
cit.
* 267 M. VANANDRUEL, op.
cit.
* 268 R. CRESSWELL,
Éléments d'ethnologie 1, édit. A. Colin, Paris,
1975.
* 269 Albert BRIMO,
Méthodes des sciences sociales, édit. Mont
Chrétien, Paris, 1972.
* 270 Simone DE BEAUVOIR,
Le deuxième sexe, op. cit. p. 22.
* 1 EL MOUDJAHID,
Quotidien National, n°5153, sous la rubrique : "Statut personnel",
1981.
* 2 À Barcelone en
1992, elle fut menacée par les terroristes islamistes pour la pratique
du sport et pour sa présence dans les stades.
* 1 Raymond CARPENTIER,
Essai sur l'ambiguïté de l'information.
* 1 Nadjet KHADDA,
Écrivains maghrébins et modernité textuelle,
édit. L'Harmattan, Paris, 1994.
* 271 IBN ROSHD, Fasl
al-Maqâl (Discours décisif).
* 1 M. LACHEREF,
"Réflexions culturelles et politiques sur la Société
algérienne", Quotidien El Watan du 4 juin 1998.
* 2 M. BOUTEFNOUCHET,
La famille algérienne, édit. SNED, Alger, 1979, pp.
71-73.
* 1 M. BOUTEFNOUCHET,
La famille algérienne, op. cit., p. 70.
* 1 Cité par Simone
DE BEAUVOIR, op. cit.
* 272 H.
VANDEVELDE-BAILLERE, op. cit., p. 37.
* 1 M. AL QUANAWI,
Kitâb fath ar-rahmâne, cité par A. BOUDHIBA, In
La sexualité en Islam, édit. PUF, Paris, 1975,
pp.145-146.
* 273 D. AMHIS, Silence
et parole, édit. Orcyte, Alger, septembre 1992.
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