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La mutation du droit du mariage dans la vallée du fleuve Matitanana: du droit coutumier au droit d'inspiration musulmane

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par Francis Zafindrandremitambahoaka MARSON
Université de Perpignan - Diplome d'étude approfondie 2003
  

Disponible en mode multipage

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Université de Perpignan
Faculté de droit et des sciences économiques
Faculté Internationale des Droits d'Afrique Francophone
Centre d'Etudes et de Recherches Juridiques sur les Espaces Méditerranéen
et Africain Francophones (U.P.R.E.S.- E.A. 1942)

ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE DU DROIT

LA MUTATION DU DROIT DU MARIAGE DANS LA VALLEE DU
FLEUVE MATITANANA
:

DU DROIT COUTUMIER AU DROIT D'INSPIRATION MUSULMANE

Présenté et soutenu par :
MARSON Francis Zafindrandremitambahoaka

Sous la co-direction des professeurs :
François Paul BLANC
et
Hervé BLEUCHOT

Perpignan, juin 2003

SOMMAIRE


PARTIE I :

L'EPOQUE ARCHAIQUE
LA TENTATIVE DE DESCRIPTION DE LA COUTUME AUTOCHTONE:
LE MARIAGE PAR RAPT

CHAPITRE 1 : LA FORMATION DU MARIAGE SECTION 1 : LE RAPT ET LE POURPARLER SECTION 2 : LA RECHERCHE DES EQUILIBRES

CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL

SECTION 1 : LES EFFETS DU MARIAGE : INTEREDITS ET OBLIGATIONS

SECTION 2 :LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL: DECES ET DIVORCE PAR FUITE REPETEE

PARTIE II :

L'EPOQUE ISLAMIQUE
LA RESULTANTE DE LA COUTUME AUTOCHTONE ET DU DROIT MUSULMAN :
LE MARIAGE ARRANGE

CHAPITRE 1 :LA FORMATION DU MARIAGE

SECTION 1 : LA DEMANDE ET LES FIANCAILLES

SECTION 2 : LES EMPECHEMENTS ET LE RITUEL DU MARIAGE

CHAPTION II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL

SECTION 1 : LES EFFETS SUR LES EPOUX SECTON 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL

AVANT- PROPOS

« L'écriture actuelle à Madagascar ne date que du siècle dernier (...) 1823 (....). Mais il existait avant cette date une tradition littéraire écrite en caractère arabico-malgache, héritage laissé par les premières familles musulmanes venues dans la grande Ile au 11e -13 siècle »...Une vingtaine de personnes par génération apprenaient à lire et à écrire et transmettaient ces anciens manuscrits, de caractère religieux ou historique, aux futures générations... »1

Ces anciens manuscrits s'appellent « Sorabe ». Nous allons puiser nos données en matière de droit dans ces documents.

Néanmoins, les sorabes sont plus que de simples documents chez les Antemoro. Leurs détenteurs prennent mille précautions pour ne pas être « un jour dépouillé sans retour de ce qu'ils vénèrent à l'égal de leurs sépultures »2, disait Julien.

Le présent mémoire a été réalisé grâce aux renseignements donnés par les rares manuscrits. Se limiter à ces renseignements nous conduirait à réduire la valeur scientifique de notre exposé. Les développer nous conduirait à en avoir une compréhension erronée.

Ces deux écueils nous imposent la prudence dans notre tentative de description du droit dans ces époques (XIVème - XIXème siècles) mal connues.

Par conséquent, nous n'allons pas trop nous éloigner des Sorabe tout en faisant appel à des ouvrages modernes sur l'étude ethnologique du peuple Antemoro.

1 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.7.

2 JULIEN, Pages Arabico- Madegasse, 1929, p.

INTRODUCTION GENERALE

Madagascar est une île située à quatre cent kilomètres à l'est des côtes africaines, traversé par le tropique du capricorne. Doté d'une superficie de 587 000km2, le climat y est varié selon les reliefs.

A l'origine, l'île était inhabitée. Son occupation se fit progressivement. La première étape de migration humaine sur Madagascar s'est faite entre le IIIè et le VIIIè siècle. Ce sont des Indonésiens et des Africains « montés sur des pirogues à balancier » qui sont les premiers à peupler l'île, d'après une hypothèse communément admise par les ethnologues. Plus tard au XIe siècle, Madagascar connût une deuxième vague de migrations, cette fois-ci, celle des Arabes.

La majorité des Indonésiens peuplèrent le haut plateau, tandis que les autres notamment les Africains et les Arabes occupèrent essentiellement les pleines côtières.

Chacun de ces groupes d'immigrants apportèrent leur civilisation. Les indonésiens et les africains arrivèrent, au bout de plusieurs siècles, à se comprendre avec une langue commune qu'on appelle le « malgache ». Le malgache varie cependant d'une région à l'autre. Les derniers groupes d'immigrants en l'occurrence les Arabes, se sont conformés à la culture courante. Aussi, ils ont adaptés leurs civilisations à celles des premiers habitants.

Ces derniers pratiquaient la religion animiste et ne savaient pas écrire. Les arabes avaient apporté l'écriture et l'islam. Au XVè siècle, Madagascar était constitué de plusieurs Royaumes.

« Dès le XVIè siècle, les Maroseranana dans le Nord fondaient la dynastie Sakalave qui ne se développa qu'à partir du XVIIe siècle.

Des petites monarchies sont également organisées dès le XVIè siècle dans l'est, sur le plateau, appelés royaumes Bitsileo.

La côte et les vallées fertiles du sud- est voient s'établir dès le 1 5è siècle des petites principautés musulmanes. »3 Mais les royaumes les plus importants sont ceux des « Andriana » du centre au 1 6è siècle.

En observant ces différentes périodes, on remarque que c'est au sud- Est qu'ont été constitués les premiers royaumes à Madagascar, ROULAND4 parle du « Royaume Antemoro » -- unifié au XVè siècle. Le pays Antemoro longe la vallée du fleuve Matatanana. FLACOURT5 le décrit comme suit:

« Le pays de la Matatane est un païe plat, très fertile en canne de sucre, ris, miel, ignames bestial, entrecoupé de ruisseaux et rivières poissonneuses. Il prend son nom de la rivière qui se nomme Matatana, et sort en mer par deux bouches lesquelles sont éloignées l'une de l'autre de septs lieüs, entre lesquelles il y a de grandes prairies qui forment une Isle très fertile, où sont ceux que l'on nomme Outanpassimaca (originaire de la Mekke) et Zaferahi mina, ou Ramini.

« Cette rivière descend des montagnes du pays de Vattebei (Vatube). Il faut être fort pour habiter cette province qui est la meilleure , la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et aussi la plus peuplée ».

Quand les deux cultures se sont fusionnées, une autre culture est née. Le champ de notre étude se répartit cependant en deux périodes. La première est celle qui précède l'arrivée des musulmans. La seconde est celle où il y a acculturation.

L'interaction entre le droit coutumier de ce peuple autochtone et le droit musulman constitue l'objet de notre étude. Nous allons étudier l'acculturation juridique et forger un outil à la fois anthropologique, entendu

3 Conférence des Experts en Histoire et Géographie réunie à Abidjan en 1965, Histoire de l'Islam au 16è siècle, France, 1966, p.1 16.

4 ROULAND, Anthropologie historique du royaume Antemoro, Résumé.

5 FLACOURT, Histoire de la grande île de Madagasacar, 1661, p.1 8.

comme discours qui porte sur l'homme qui est ici le peuple autochtone, et historique. Bref, notre étude sera cadrée dans l'anthropologie historique du droit afin de décrire l'évolution du mariage à travers deux époques passées. De la première époque à la seconde, le système juridique n'est pas le même.

Y- a- t- il mutation du droit coutumier dans la vallée de Matitanana ? Tel est notre problématique qui nous renvoie à l'hypothèse suivante : le droit coutumier a-t-il été influencé par la loi coranique ou non ?

Nous allons nous limiter au droit du mariage. Pour cela, il nous faut au préalable admettre qu'avant l'arrivée des musulmans et après leurs arrivée, le droit du mariage existait, dans la mesure où l'on conçoit le droit dans son acception sociologique : « Le droit est un système de contrôle social établi dans le but de maintenir un ordre dans une société. Des sociétés différentes ont produit des cultures juridiques différentes mais toute culture juridique dès lors qu'elle consiste en un ensemble d'idéaux et de valeurs révèle ce qu'une société s'efforce d'honorer. » 6

En suivant cette logique, nous pouvons dire que la culture juridique d'un peuple à une époque donnée est son cadre de manière de vivre. Le droit du mariage a donc toujours existé chez les peuples autochtones et chez les Antemoro.

Par peuple autochtone, on désigne les habitants des tribus occupant les plaines de la vallée du fleuve Matitanana avant l'arrivée des immigrants arabes.

Par peuple Antemoro, on désigne l'ensemble des peuples habitant la même région après l'unification de toutes les principautés musulmanes du Sud-Est de Madagascar au XVe siècle en Royaume Antemoro. JULIEN parle même de « nationalité antemahuri » 7

6 ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du Droit, LGDJ, 1993, p.1 55.

7 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris, 1929, p.98.

Les peuples autochtones avaient leur droit du mariage. Les immigrants arabes venus imposer leur autorité apportaient le droit musulman. JULIEN rapporte que « le droit coutumier local en matière matrimonial s'est [...] trouvé fortement influencé par la loi coranique.... » 8 Après avoir analysé les « sorabe », les manuscrits en langue malgache écrits en caractère arabe.

Nous pouvons présumer que le droit du mariage Antemoro est la synthèse du droit coutumier pré- islamique et du droit musulman.

Notre objectif dans ce mémoire est de démonter l'influence de la loi coranique sur le droit coutumier local. Et nous allons tenter de l'atteindre en décrivant isolément le droit du mariage coutumier local et le droit du mariage Antemoro. Nous nous inscrivons cependant dans une approche diachronique. Comment y parvenir ?

La plupart des documents écrits sur le peuple Antemoro datent du XXe siècle. Mais il existe aussi des documents écrits par les Antemoro eux mêmes « dont l'origine remonte au début du XIIIe siècle » 9, dont le contenu nous permet d'avoir une idée sur le mariage a cette époque.

Néanmoins, nous savons déjà ce que c'est que le droit musulman classique.

Afin d'avoir une description fidèle de la pratique matrimoniale aux XIIIe-XIVe siècle, nous allons nous inspirer de « l'essai de généralisation des rapports entre le droit musulman et les droits coutumiers », mis au point par FROELICH10. Sa méthode consiste à comparer chaque concept qu'il choisit à travers trois optiques différentes contenues respectivement dans trois colonnes : La première décrit la version du droit musulman sur chaque notion, la seconde donne l'approche du droit coutumier et la troisième

8 JULIEN Ibid. p.75.

9 JULIEN, Ibid. p.11.

10 J.C.FROELICH, « Droit musulmane droits coutumiers », in Etude du droit africain et du droit malgache, Paris, Cujas, 1965, p.387-389.

colonne, intitulée « résultante» constitue la synthèse des deux premières colonnes.

Il ne s'agit pas de dresser un tableau comparatif dans le développement qui va suivre. Néanmoins cette méthode va constituer notre « grille d'analyse ». La première partie du mémoire s'intéressera en l'occurrence au droit coutumier. Et la résultante (du droit coutumier et du droit coranique) va constituer la deuxième partie. De là on aura une approche diachronique du droit du mariage à travers les deux périodes.

Distinction des époques, combinaison de l'analyse juridique et du regard anthropologique, telle sera la méthode que nous suivrons.

Les sources du droit qu'on va décrire sont cependant les arrières plans des légendes. Les rares textes de lois tirés des passages des Sorabe nous serviront aussi de source. Les ouvrages ethnologiques11 écrits sur le peuple Antemoro nous aideront énormément.

Tenant compte à la fois du cadre habituel de l'exposé du droit du mariage et des transformations que l'histoire impose à cette institution, nous adopterons le plan suivant :

Une première partie évoquera ce qu'on peut savoir du mariage coutumier pré-islamique : le mariage par rapt. La deuxième traitera la synthèse au droit coutumier et du droit coranique : le mariage arrangé. Chaque partie de l'exposé s'intéressera aux trois points suivants :

- La formation du mariage

- Les effets du mariage

- La rupture du lien matrimonial

Ces deux derniers points seront traités dans un même chapitre. La formation du mariage qui se faisait par l'enlèvement concerté se fait par un simple arrangement. La considération sociale de la femme a aussi changé.

L'innovation apportée par le droit musulman se manifeste nettement dans l'institution de la répudiation que les autochtones n'ont jamais connus.

Sans plus tarder, nous allons démontrer la mutation du droit du mariage dans la vallée du fleuve Matitanana, c'est à dire le passage du droit coutumier au droit d'inspiration musulmane.

11 Il existe des documents écrits par des européens sur ce peuple qui date XVIIe siècle.

PARTIE I :
L'EPOQUE ARCHAIQUE (XIVe-XVe Siècle)
LA DESCRIPTION DE LA COUTUME AUTOCHTONE:
LE MARIAGE PAR RAPT

INTRODUCTION

Chaque groupe d'immigrés vivant dans la vallée du fleuve Matitanana a sa propre culture matrimoniale. Toutes les tribus sont maîtresses à titre égal de la région. Aucune autorité ne maintient l'ordre. « La vie dans un tel pays où les gens sont batailleurs à l'extrême et jouent facilement de la sagaie, est sans charme.» 12 racontait un Katibo, rédacteur de Sorabe. Tel est le contexte social dans lequel vivaient les autochtones. Comme chaque tribu a son propre représentant, nous pouvons schématiser comme suit son organisation politique et sociale. A la base, se trouve la famille. Et l'ensemble des familles sont regroupées dans un clan. La tribu rassemble les clans.

Sur le plan religieux , les premiers habitants de l'île étaient animistes. Ils croyaient en l'immortalité de l'âme et vénéraient les sépultures. Les ancêtres sont pour eux présents dans leur vie et surveillent la vie des vivants. Le non respect des recommandations des ancêtres peut réveiller leur colère et attirer le mal sur le groupe tout entier, comme la famine et les épidémies.

L'ordre social est de ce fait commandé par la crainte des ancêtres, à l'intérieur du clan et par la capacité d'autodéfense face aux ennemis extérieurs.

En ce qui concerne le système social de l'époque, MUNTE13 nous éclaire en remarquant la « considération élevée des femmes » pendant une « période matriarcale antérieure dans un passé obscur ».

Nous pouvons retenir dès lors la pratique du système matri-linéaire où la femme occupe une place de choix dans la société autochtone qui n'est pas

12 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris, 1929, p.90. Nous reproduisons ici la traduction d'un passage Sorabe.

13 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.255.

moins exogame. En effet, « la mère de Ramarohala (Prince Musulman) ancêtres des Anteoni14 était Onjatsy (un clan autochtone). » 15

Cette exogamie encourage les hommes à chercher des partenaires en dehors de leur clan. Ce dernier peut parfois être réticent à donner leurs femmes. D'où vient l'idée du mariage par enlèvement concerté.

« Il y a dans certaines tribus des survivances du temps où le mariage se faisait par capture, par enlèvement. Chez les Antemoro, par exemple, il y avait récemment encore la possibilité de rapt avec le consentement de la jeune fille », disait MESSELIERE16. Un autre auteur qui le précédait rapporte que « si la femme du peuple était désiré par le chef Taimoro, il procédait par enlèvement, il y a peu de temps encore... »17

Il est clair, à partir de ces constats, que les chefs faisaient le rapt pour avoir la femme. Mais il n'y a pas que ceux-ci. JULIEN affirme : « quand deux jeunes gens désirée sont d'accord pour s'épouser, le futur époux simule un rapt et disparaît avec celle dont il n'est que complice [...]. » 18

Nous constatons que tout le monde , les sujets comme les chefs, faisaient le rapt pour se marier.

Le droit musulman ne reconnaît pas cette institution. Et les propos reportés par ces auteurs démontrent la perpétuation de cette pratique chez le peuple Antemoro. Comme le rapt n'est pas l'héritage de l'islam, nous pouvons déduire qu'il est la coutume matrimoniale des ancêtres depuis la période précédent l'arrivée des premiers musulmans, donc avant le XIIIe siècle.

14 Anteoni : clan Antemoro que nous allons étudier dans la deuxième partie de notre exposé.

15 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, 1959, p.45.

16 MESSELIERE, Du mariage en Droit Malgache, p.151.

17 JULIEN, Institutions politique et sociale de Madagascar, propos cité par MES SELIERE, p.151.

18 JULIEN, Institutions politique et sociale de Madagascar, 1908, Les Taimoro, (Messelière p. 129)

Telle est notre hypothèse. Elle est renforcée par les propos de BERTHIER qui dit que « bien avant l'occupation française, les Merina avaient conquis [...] la plupart des peuples de l'Ile. Très habilement, ils avaient respectés et maintenus les usages et les institutions des tribus soumises à leur hégémonie [...] ». L'auteur rajoute que « plus tard, les Merina ont étendu leurs coutumes, à l'exception de celles touchant au statut du personnel»19.

De plus, dans l'exposé des motifs de la loi du 6 août 1896 qui a annexé Madagascar à la France, le gouvernement français a déclaré « qu'il n'entendait nullement porter atteinte au statut personnel des habitants de l'île , aux lois et usages, aux institutions locales ».

Par conséquent les coutumes observées même au courant du XIXe siècle ont conservé leur « pureté originelle ».

Telles sont les bases sur lesquelles s'appuient notre hypothèse qui consiste à dire que les peuples autochtones avaient comme coutume matrimoniale l'enlèvement concerté.

Dans cette première partie, nous allons nous intéresser tout d'abord à la formation du mariage par rapt. Un essai de compréhension de ce « droit coutumier » sera fait avant la description de la scène de l'enlèvement . Le pourparler qui est un prélude au redressement de l'équilibre social et cosmologique clôturera le chapitre sur la formation du mariage.

Viendront ensuite l'étude des effets du mariage, tant entre les familles qu'entre les époux. Cette analyse va nous permettre de nous rendre compte de la réelle égalité entre les deux sexes à l'époque archaïque.

La rupture du lien matrimonial qui est dû tantôt au décès de l'un des époux, tantôt à leur séparation volontaire terminera cette première partie de l'exposé.

19 BERTHIER Hugues, Droit civil Malgache, Tananarive, 1930, p.1 5.

CHAPITRE I : LA FORMATION DU MARIAGE

SECTION I : LE RAPT ET LE POURPARLER

§1 : LA SIMULATION DE RAPT

Nous avons vu que lorsque deux jeunes gens sont d'accord pour s'épouser, le futur simule un rapt, comme le disait JULIEN20. Nous pouvons, à partir de ce constat, concevoir le rapt simulé comme un moyen de l'expression du consentement de deux personnes à s'épouser. Néanmoins, il faut remarquer que le rapt ou l'enlèvement concerté se produit avant l'instance du mariage. Le consentement des futurs dont on fait allusion ici n'est cependant pas suffisant pour que le mariage soit consommé. Pourquoi enlever systématiquement la femme et comment procède-t-on à ce rapt ?

Telles sont les deux questions auxquelles nous allons essayer de répondre dans ce paragraphe.

A- Les causes et les buts du rapt

Il faut remarquer que dans une société, la personne acceptée par tout le monde comme chef inspire les autres membres du groupe . C'est-à-dire, tout ce que fait le chef est bon. N'oublions pas qu'on est ici à l'époque archaïque. Et d'après la traduction de JULIEN21 d'un manuscrit Sorabe, « Andrianalivuadziri ayant entendu cela (que celui qui épouse cette femme sera servi par les gens de Matatana), suborna puis enleva la femme d'Andriambuadziribe ». Notons que le ravisseur est, d'après JULIEN, un

20 JULIEN, Institutions politique et sociale de Madagascar, Taimoro

20 BERTHIER Hugues, Droit civil Malgache, Tananarive, 1930, p.1 5, 1908, les Taimoro

prince dénommé Ali et la femme est une princesse : « le prince Ali, qui avait écouté ces propos se hâte d'approcher la princesse, la séduit et l'entraîna avec lui loin de l'Andriambuadziribe ».

Cependant, on constate que, dans les sultanats musulmans, avant l'unification du Royaume, se pratiquait le rapt. Etant donné que le droit du mariage musulman ne consacre pas l'enlèvement comme moyen d'obtenir une femme, on déduit que cette pratique est la coutume matrimoniale autochtone. Le fait même qu'un prince agisse ainsi encourage les autochtones à faire perdurer la pratique de l'enlèvement concerté. C'est donc la cause d'ordre historique de cette institution.

A côté de celle-là existe une cause découlant du pouvoir du chef. Les filles nubiles sont en effet des femmes potentielles du chef dans les sociétés primitives. Ce n'est pas tout le monde qui peut être accepté à la tête du groupe. Il faut qu'un chef soit doté d'une qualité particulière qui donne confiance aux autres membres du groupe social. Analysons un passage de manuscrit traduit par JULIEN22 : « Voici, un étranger qui s'offre à détruire le Fanani23 ; cause de nos terreurs. S'il dit vrai et nous en libère que lui donnerons nous en récompense ? [...] Le pays appartiendra à qui supprimera la Fanani, répondent-ils (les deux notables représentants de huit clans) ».

Nous constatons l'étendu du pouvoir offert à celui qui aura rendu service au groupe, le pays lui appartient. Et les autres individus soumis à lui se feront le plaisir de lui offrir leurs filles nubiles s'il le désire, plutôt qu'à d'autres. Cette pratique, à force de se répéter devient coutume et tous les chefs s'en prévalent. Les autres hommes de la société seront « servis » après lui. Cela risque de créer des abus. D'où la nécessité de l'institution du rapt avec le consentement de la fille pour permettre à celle-ci de s'arracher à l'emprise du chef.

21 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, Paris, 1929, p.30.

22 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, 1929, p.92.

23 Monstre dont la férocité risque « de transformer en désert tout un grand pays ».

On peut rajouter d'autres causes poussant les hommes à faire le rapt, comme le manque de femme dans un groupe et l'abondance dans un autre groupe. Et le rapt à ce moment là se justifie par ce manque.

Voilà quelques motifs du rapt. Personne dans les villages n'obtient facilement de femme sans faire preuve de courage.

Mais l'enlèvement concerté ne se fait pas de façon anarchique « la demande en mariage est [...] conduite suivant un certain nombre de règles ; le prétendant doit se soumettre à certaines formalités, y manquer, donne le plus souvent lieu à l'application d'une peine sévère, imposée par le Roi ou à défaut par le Fokonolona (la communauté villageoise). » 24

Le consentement de la femme à enlever est la première condition exigée. Peu importe si elle est mariée ou pas. Le lien matrimonial antérieur n'empêche pas l'enlèvement. Du moment où elle consent, l'acte n'est pas sanctionné. L'exemple du prince qui a volé la femme du roi d'une autre région que nous avons vu plus haut illustre ce propos. La femme a consenti.

Leur fuite est la manifestation extérieure de leur envie de vivre ensemble. Ils prouvent que rien ne les empêche, ni le lien matrimonial antérieur s'il s'agit d'une femme mariée, ni l'autorité parentale pour une fille en âge de se marier. L'objectif de la fuite est aussi de permettre aux deux futurs époux de se connaître mieux avant de contracter l'union.

L'enlèvement peut dès lors revêtir un aspect séducteur. Il permet à l'homme de montrer son audace devant la femme qui l'intéresse. Et pour terminer, l'homme doit acquérir la complicité de la femme.

On peut dire que tels sont les motifs et les objectifs de l'enlèvement concerté. Mais comment se réalise-t-il ?

B- Les modalités du rapt

La société, à cette époque archaïque était troublée par des guerres incessantes.25 Dans ce contexte, le moindre geste antisocial peut exposer son auteur à un danger de mort. Il risque de recevoir un coup de sagaie. Ce qui fait qu'avant d'enlever une femme, l'homme doit longuement réfléchir sur les moyens nécessaires pour la réussite de leur fuite car au bout de quelques temps, ils doivent réapparaître.

1- La fuite

La femme étant prête à partir, le ravisseur s'occupe de l'endroit où ils pourront se cacher. Seuls quelques proches parents du ravisseur sont au courant de l'affaire. Ils serviront d'intermédiaires lors du pourparler.

Le passage suivant, relevé dans le manuscrit traduit par JULIEN26, nous donne une idée claire au sujet de la fuite, où est dit : « Le prince Ali [...] se hâte d'approcher la princesse et la séduit et l'entraîne loin de l'A nd ri ambuadzi ri be 27. Rentré [...] auprès de son père 28, celui ci profère contre le séducteur l'anathème du rejet... » 29

De cet extrait, nous pouvons comprendre la réaction de la famille musulmane face à l'enlèvement. Pas question d'héberger un délinquant chez elle, même si celui- ci est son propre enfant. La complicité de la famille

24 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.149.

25 MUNTHE, dans le livre intitulé « La tradition arabico-malgache, d'après les manuscrit A-8 d'Oslo », a traduit plusieurs manuscrits relatant les scènes de guerres dans la vallée de Matitanana.

26 JULIEN, Tradition Arabico - malgache, Paris, 1929, p.29.

27 Andriambuadziribe est le roi dans une des régions de la vallée.

28 Le père d'Ali est aussi roi dans une autre région.

29 JULIEN, Tradition Arabico-malgache, Paris, 1929, p.29.

risque de mettre en danger tout le clan. La première décision qu'elle prend est donc de rejeter le coupable.

C'est pourquoi, le ravisseur doit d'abord trouver un endroit secret que seuls ses complices connaissent avant qu'ils ne s'y rendent. Les complices pourront les ravitailler en nourriture pendant que les parents de la fille ou de la femme, si elle est mariée, se livrent aux plus actives recherches.

Les autochtones sont batailleurs à l'extrême et jouent très facilement de la sagaie. La découverte de la cachette serait fatale pour les fugitifs. Un autre tribu peut servir de cachette.

N'oublions pas qu'on est entre le XIIIe et le XIVe siècle, le Royaume Antemoro n'est pas encore unifié. Des petits sultanats sont en train de se constituer. Pour revenir au cas du prince Ali, il a fini par devenir le roi des tribus où il a trouvé refuge.

L'union des fugitifs n'est pas légitime aux yeux des parents musulmans. Le rejet implique la non admission au tombeau familial du rejeté et de sa progéniture. Il n'y a rien qui puisse produire plus de malheur au peuple autochtone. C'est pourquoi : « après quelques jours, pendant lesquels les parents feignent de se livrer aux plus actives recherches, les fugitifs réapparaissent [...J. » 30

2- La réapparition

Le coupable étant rejeté par ses parents, la famille de la fille traque les fugitifs. Au bout d'un moment, ils abandonnent la recherche et ils les laissent face à leur destin.

30 JULIEN, Institutions politique et sociale de Madagascar, 1908, Les Taimoro

Quand tout danger est écarté, les remords apparaissent. C'est pour se repentir que les fugitifs retournent chez leurs parents. Pour en donner une illustration, revenons à l'histoire du prince Ali.

JULIEN a traduit qu' « il anéantira le monstre, mais il ne peut taire ni ses remords ni ses appréhensions. La vision de la colère paternelle le hante. Il explique alors le crime qu'il a commis et affirme que ses jours sont comptés si son père31 peut exercer sur lui sa vengeance. » 32

Tel est donc l'objectif de la réapparition après la fuite des futurs époux. Cette partie de l'histoire du prince Ali nous a permis d'apprendre que les futurs quittent d'abord le domicile familial avant de l'intégrer. Nous pouvons en déduire que la formation du mariage autochtone était précédée de la simulation de rapt.

§2- LES POURPARLERS

La réapparition des fugitifs que nous avons eu l'occasion d'analyser précédemment ne se fait bien évidemment pas spontanément. Elle résulte d'un long processus entamé dans l'espoir de retrouver la réconciliation. Ce processus est le pourparler. Il se fait en deux étapes. D'abord, il faut que les fugitifs avisent les anciens. Ensuite, ceux-ci font la réconciliation.

A- Les phases préalables au pourparler.

1- L'information des anciens.

Dans la cellule sociale autochtone, les anciens étaient souvent élus chefs de tribus. JULIEN nous rapporte l'existence de notables et de

31 Père signifie ici que le mari de Rasua, par son âge, eût pu être le père d'Ali.

32 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, Paris, 1929, p.92.

représentants de clans dans le manuscrit qu'il a traduit33 : "les deux notables et les représentants des huit clans sont unanimes 34 (...) " .

Pour faciliter la compréhension de notre exposé, nous allons regrouper ces catégories de personnes sous le nom d'anciens.

Les anciens serviront d'intermédiaires entre le ravisseur et ses parents dans un premier temps. Ensuite ils négocient avec l'aide de ces derniers, le compromis. C'est-à-dire que le rapt porte atteinte à beaucoup de relations. Comme nous l'avons vu plus haut, la relation de la famille du ravisseur avec celle de la fille sera conflictuelle si la première ne rejette pas le coupable. La réintégration du coupable dans sa famille d'origine ferait renaître le conflit. D'où la nécessité de l'intervention des tiers pour le résoudre. A vrai dire, les anciens appuient le coupable pour sa réadmission dans sa famille. Le ravisseur aura besoin du soutien des parents de la fille ou du mari lésé de la femme enlevée, pour que la nouvelle union soit légitime.

Ces derniers sont cependant avisés de l'affaire par leurs amis ou parents des fugitifs lorsque ceux-ci désirent arrêter d'être en cavale, car ils craignent en permanence la vengeance de la famille ou du mari lésé par l'enlèvement concerté.

Le fait même de mettre au courant les anciens de l'affaire peut interrompre la recherche des fugitifs. Ce sont en effet les familles de la fille elles-mêmes qui font l'investigation et qui traquent le ravisseur. Comme ces familles appartiennent forcément à un groupe social de terminer, ils suivent les directives de leurs chefs à qui les anciens s'adressent en premier avant d'arriver chez les familles.

33 JULIEN, "Arrivée a Madagascar de Mohamed (Hamadi), le grand Mohadjar, qui se fait appeler Andriambuadjiribe (...)" , in Pages Arabico-madecasse, Paris 1929,p.92.

34 JULIEN, Ibd.

Revenons sur l'histoire du prince Ali. Après qu'il ait fait part du « crime » qu'il a commis, qui est ici la subornation de la femme de l'allié de son père, aux anciens, ceux-ci le rassurent en disant : « soyez bien tranquille(...) nous faisons de cette question notre affaire (...) » 35

Aussitôt, « ils partirent tous ensemble, pour se présenter à Ramakararu, le père d'Ali. » 36 C'est un dénommé Imanangati qui « prit le commandement de ceux qui partaient pour aller auprès de Ramakararu. » 37

A travers ces quelques passages du manuscrit, nous apercevons que ce sont les tiers qui entament la première démarche vers la réconciliation.

Comme les anciens dont on fait allusion ici sont les autochtones, nous pouvons en déduire que non seulement la pratique du mariage par enlèvement concerté est chose courante chez eux, mais aussi ils privilégient le dialogue pour régler les litiges. D'où leur volonté de se présenter auprès du père du ravisseur.

Bref, les anciens interviennent après que l'enlèvement ait été consommé et avant que la réapparition des fugitifs n'ait lieu. « Après quelques jours, pendant lesquels les parents freinent aux plus actives recherches, les fugitifs réapparaissent » 38 disait JULIEN.

L'exemple du Prince Ali illustre le comportement des premières familles musulmanes implantées dans la région du Matitanana. Mais dans la société matriarcale autochtone, ce sont les parents de la fille enlevée que les anciens envoyaient chez le ravisseur pour faire la réconciliation.

35 JULIEN, Institutions politiques et sociales de Madagascar, 1908, Les Taimoro.

36 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929, p.93

37 JULIEN, Traduction du deuxième manuscrit, Pages Arabico-madecasses, 1929, p.39

38 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929, p.40

Ayant appris la nouvelle de la part des anciens, la famille de la fille ne peut rester indifférente. Elle va faire une enquête.

2- L'enquête

Afin de simplifier notre description, nous allons supposer que la fille enlevée a été « réservée » par le chef du village pour devenir son épouse.

Nous avons vu que le chef a des privilèges sur les filles nubiles qui sont ses femmes potentielles.

Au cas où il a réservée une fille en faisant le « misonjo »39, les parents de celle-ci doivent la surveiller.

Mais la fille concernée elle-même peut être l'instigatrice d'une simulation de rapt dont le futur « n'est que complice » comme disait JULIEN. Souvent, la mère est au courant du projet. Elle peut même l'encourager à s'écarter de l'emprise du chef du village.

D'où la nécessité de l'enquête. Ce sont les représentants de chaque famille de la fugitive qui la fait dans le but de déterminer s'il n'y a pas eu de complicité à l'intérieur même de la maison.

Deux cas peuvent se présenter : tantôt, il y a complicité de la mère, tantôt il y a négligence des parents.

Si la mère avoue qu'elle est complice, elle sera sanctionné par les familles et devra racheter sa faute en payant une amende. Dans le cas

39 Le « Misonjo » est une institution autochtone qui permet à un homme de réserver une femme pour un mariage ultérieur. La réservation n'implique aucune cérémonie et se fait tacitement. Voir à ce sujet, ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

contraire, la négligence des parents sera reconnue et ils doivent payer ensemble l'amende. Ce rachat a pour objectif de maintenir la solidarité familiale devant le problème. A partir du moment où cette solidarité est de nouveau liée, la famille élargie de la fille parle d'une même voix.

A l'image de l'histoire de Ali, les émissaires du ravisseur pour la réconciliation sont dirigés par une personne parmi les anciens ou les notables qui prend le « commandement » de la mission.

Bref, la grande famille de la femme parlent avec une seule voix, d'un côté, de l'autre les émissaires venus négocier. Le pourparler pourra désormais avoir lieu.

B- Le pourparler proprement dit

Le pourparler a un double objectif : d'abord la réintégration du ravisseur dans sa famille d'origine, ensuite sa réconciliation avec la famille de la fille pour éviter la vengeance.

Une remarque s'impose. Nous avons choisi d'aborder cette approche pour pouvoir démontrer l'évolution du pourparler dans la période même que nous étudions. Cette évolution résulte des actions du prince Ali qui s'est fait d'abord rejeter par ses parents musulmans, et qui, ensuite, a pu réintégrer sa famille après atténuation des règles du droit musulman en matière de mariage.

Nous sommes dans la période de la constitution du Royaume Antemoro. Les premiers sultanats musulmans ne pouvaient pas encore appliquer à la lettre la loi islamique. La réintégration du prince Ali dans sa

famille ne dépendait pas de son père, qui ne pouvait pas décevoir son allié dont la femme a été enlevée.

Pour mieux comprendre, nous allons reproduire le passage du manuscrit, commenté par JULIEN, relatif à ce sujet : « L'abord de Ramakararube est cordial, les questions qu'il pose précises et nettes. Son fils Ali, a encouru son ressentiment pour avoir suborné la femme de son parent (...)

-Comment en pareil cas se règlent les violations de la loi matrimoniale ? demandent les deux négociateurs.

-Notre loi, sur ce point, répond Ramakararu, est très sévère, mais je n'oublie pas que nous sommes ici des étrangers et qu'elle doit nécessairement s'adapter aux circonstances.

-Enoncez-nous donc la stipulation de cette loi afin d'y satisfaire autant que possible. Et Ramakararube, parle d'abord d'une correction : cent coups de verge. Mais (les deux négociateurs) n'entendent point de cette oreille. Ils veulent bien payer une amende, mais point que des coups soient distribués »

40

Ramakararube estimant équitable cette manière 41 de dédommager l'Andriambuadziribe se décide à le convoquer. »

Nous remarquons qu'il y a lieu d'abord de satisfaire le côté lésé par l'enlèvement, c'est-à-dire celui d'où vient la femme enlevée, avant de s'occuper du sort du ravisseur.

40 JULIEN, Pages Arabico-madécasses, Paris 1929, p.93

41 Nous verrons dans le paragraphe suivant les propositions des négociateurs

JULIEN poursuit la traduction et annonce qu' « il dépêche auprès de lui des messagers (...) »

Quelques explications préalables sont échangées sur le but de la visite, après quoi, les habitants de la Manampatra 42 sont réunis en grand conseil. »

Ramakararobe assiste d'après le manuscrit à la grande réunion.

« Puis il ne s'indigne pas que son fils Ali se soit si mal comporté à son égard. S'il l'a convoqué, lui, l'outragé, c'est afin qu'on s'entende à l'amiable sur les détails d'une nouvelle loi à établir sur le mariage, loi qui sera moins rigide que celle des Musulmans, car la loi islamique est bien stricte pour le pays de Matatana. »43

JULIEN poursuit son commentaire. « Pressé de faire connaître les prescriptions de sa règle à lui, l'Andriambuadziribe énonce une sorte de loi du talion (...) »

Après avoir insisté une fois encore sur la rigueur des règles matrimoniales musulmanes, comprenant sans doute qu'user de conciliation serait pour lui moins dommageable, l'Andriambuadziribe, ayant réfléchi quelques instants, ajoute :

- Vous êtes, vous autres, les maîtres de ce pays ; nous sommes, nous, que des étrangers. Nous ne saurions vous imposer notre loi. Voyez donc vous- mêmes et faites pour le mieux. »44

JULIEN poursuit son commentaire en disant qu' « il apparaît dès lors que la cause d'Ali est gagnée. Non seulement les tribus qui l'ont élu roi verseront une amende atténuée, mais elles auront imposé à l'Andriambuadziribe, sa victime, une sorte de reconnaissance de vassalité. »

42 Manampatra, une région dans le pays de la Matatana.

43 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929, p.94

Nous comprenons à travers ces lignes pourquoi le mariage par rapt se pratiquait encore récemment. Le prince « rebelle » qui pratiquait la coutume autochtone en faisant le rapt est devenu roi de plusieurs tribus. Il a réussi à atténuer l'application de la loi islamique dans la religion, au bénéfice du droit coutumier du mariage pendant l'époque de la constitution du Royaume Antemoro.

Bref, voilà ce que l'on peut dire sur le rapt et le pourparler. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons essayer de décrire le mécanisme du fonctionnement de la société autochtone.

Le système est basé sur l'idée de communauté d'une part, et sur la croyance en la continuité de la vie terrestre avec l'au-delà de l'autre.

C'est pourquoi, le mariage par rapt ou mariage par enlèvement concerté rompt l'équilibre social et l'équilibre cosmologique dans la croyance traditionnelle.

A partir de l'idée que le droit est un système de contrôle social établi dans le but de maintenir un ordre dans une société, l'ordre dans la société autochtone est réalisé par le respect de ces deux équilibres qu'on a cité plus haut. Le rapt rompt ces équilibres. Le mariage est consommé dès lors qu'ils sont de nouveau rétablis.

44 JULIEN, Idem.

SECTION 2 : LA RECHERCHE DES EQUILIBRES

§1: LES COMPENSATIONS MATRIMONIALES

Les compensations matrimoniales ont pour objectifs de rétablir l'équilibre social rompu par l'enlèvement de la femme. Bien que cette dernière consente volontairement au rapt, le ravisseur lèse forcément une autre personne.

Pour être plus précis, nous allons essayer d'envisager deux cas qui peuvent se présenter : tantôt la femme enlevée n'est pas encore mariée, tantôt elle l'est.

Dans le premier cas, le ravisseur arrache « sa victime » à l'autorité de ses parents. Ces derniers sont en l'occurrence la partie lésée.

Dans le second cas, le ravisseur s'approprie de la femme d'autrui, par conséquent, il l'arrache à l'autorité de son mari. Celui-ci est donc lésé.

Pour palier à ce déséquilibre que nous qualifions de social, le ravisseur doit apporter une compensation. C'est ce qu'on appelle compensation matrimoniale. Comme elle est indispensable pour la légitimation des enfants qui seront nés de l'union, la compensation matrimoniale ou familiale peut s'élever à une forte somme. Elle n'est pas seulement prévue pour les enfants, le ravisseur doit la payer pour sa propre survie. Tant qu'il ne s'en acquitte pas, il est en perpétuel danger. C'est-à-dire que la famille de la fille ou le mari déchu traque en permanence les fugitifs pour se venger de l'acte.

La fuite des futurs se justifie par cette crainte de représailles. Par contre, leur réapparition signale leur aptitude à payer le prix nécessaire pour dédommager toute personne lésée.

Cependant, le ravisseur seul ne peut pas contracter mariage. Il est indispensable qu'il soit soutenu par ses parents ou sa famille, voire par les chefs de son clan ou les anciens. Bien entendu, ceux-ci, dans la majeure partie des cas, ne vont servir que d'intermédiaires dans la réconciliation. Exception est faite pour le cas du prince Ali que nous avons vu plus haut. Ordinairement, en l'occurrence, c'est le ravisseur lui-même qui se charge de l'acquittement du montant de la compensation familiale exigée par la famille de la femme enlevée.

Revenons au manuscrit traduit par JULIEN relatant l'histoire du prince Ali.

Nous nous souvenons que les négociateurs qu'il a envoyés avaient proposé de payer une amende pour l'enlèvement qui constituait une violation de la loi matrimoniale musulmane mais qui est une pratique coutumière autochtone.

Voici l'extrait du texte commenté :

« Nous payerons avec des objets livrés par centaines, une rançon honorable, proposent-ils.

Et Ramakararube les ayant invité à s'exécuter, ils offrent de verser à l'Andriambuadziribe cent pesés d'or et d'argent, cent vaches, autant de génisses, de bouvillons, et de veaux non sevrés, cent couteaux, cent haches, cent pièces d'étoffe, la terre de Seranambe et la fertile plaine de Tampahimandri, en bordure et à l'ouest, rive droite de la Matatana, égale étendue aux marais de même nom. »45

La compensation matrimoniale peut donc consister en ces biens et par conséquent peut s'élever très haut.

45 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, 1929, p.93

Nous avons ici à première vue confondu la compensation payée à l'Andriambuadziribe avec la sanction pécuniaire à laquelle Ali est condamné. Il ne faut pas se leurrer. La compensation matrimoniale n'est pas du tout une sanction. Tantôt c'est la famille de la fille qui la fixe, tantôt c'est celle du garçon qui en fait une proposition. Les familles acceptent la compensation si le ravisseur appartient au même rang social qu'eux et que si sa « conduite » est acceptable.

L'endogamie de classe a toujours été très forte chez les peuples de la région de Matatana. DESCHAMPS rapporte que « les sorabes racontent que les « Arabes » n'étaient pas seuls à bord de leurs bateaux : ils amenaient avec eux des kafiri (cafres) esclaves probablement ramassés sur les côtés orientales d'Afrique ou nouveaux convertis, persuadés de gré ou de force d'accompagner leurs propriétaires. » 46

A l'époque de la constitution du Royaume, par conséquent, il y a déjà eu une diversité de classe sociale. Nous savons que dans les petits sultanats de la région de Matatana, ce sont les musulmans qui ont été érigés en roi. Un esclave qui enlève une fille du roi par exemple, n'obtiendra pas le consentement de ses parents. Quel que soit la compensation qu'il va proposer, elle ne sera pas acceptée.

L'acceptation de la compensation familiale est la manifestation du consentement des parents à l'union.

Néanmoins, « si une femme du peuple était désirée par un chef... il procèderaient par enlèvement... sans se préoccuper de demander le consentement des parents de la fille » disait JULIEN47.

46 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.46

47 JULIEN, Institutions politiques et sociales à Madagascar, cité par MESSELIERE, Du mariage en Droit

Le lien social du ravisseur est donc important dans l'acceptation de la compensation matrimoniale. De même que sa « conduite ».

En effet, le ravisseur au bout de quelques jours, vient implorer l'indulgence et l'assistance de son futur beau-père, en lui offrant des boissons spiritueuses et des mets de choix, rapportait JULIEN48. Sans cette preuve de bonne conduite donc, la compensation ne serait pas acceptée.

Par contre, si le ravisseur respecte toutes les conditions requises, notamment après avoir enlevé la femme, s'il a envoyé des anciens pour négocier la compensation, si en plus il est issu de la même classe sociale que la femme et a fait preuve de bonne « conduite », et si malgré cela la famille de la fille refuse la proposition ou est réticente à toute discussion, la querelle est ouverte entre les deux familles. Cette querelle peut aboutir à une guerre.

C'est pour éviter cette impasse que les parents de la fille coopèrent.

Lorsqu'un accord est conclu entre les anciens et la famille de la fille sur la consistance de la compensation familiale, l'union est consacrée.

L'autorité sur la femme est transmise dès lors des mains de son oncle maternel à celle de son mari.

Par contre, s'il s'agit d'une femme déjà mariée, l'autorité sur elle est transmise au « ravisseur » des mains de l'ancien mari de la femme, car s'il accepte la compensation familiale, c'est qu'il consent au nouveau mariage.

L'équilibre social rompu par le rapt est, à partir de ces accords, rétabli. La famille de la fille ne traque plus les fugitifs. Le ravisseur, qui n'est que complice de la femme enlevée, ne craint plus la vengeance de son rival, l'ancien mari de la femme.

48 JULIEN, idem.

Il appartient à la famille de la femme d'organiser la cérémonie du mariage pour rétablir l'équilibre cosmologique rompu à cause du rapt.

§2 : LA CELEBRATION DE L'UNION

Le peuple autochtone célèbre le mariage dans le but de rétablir l'équilibre cosmologique rompu. C'est à cette occasion que les parents de la fille enlevée reçoivent la compensation matrimoniale. Avant de voir le rétablissement de l'ordre cosmologique, analysons d'abord en quoi il est rompu

A-La rupture de l'équilibre cosmologique

Bien qu'on fasse une étude de droit, il est impératif d'empiéter sur le domaine religieux et d'analyser la croyance du peuple autochtone afin que nous puissions comprendre l'institution du mariage.

1-La croyance populaire indigène

Le peuple indigène croit en l'immortalité de l'âme et à la continuité de la vie terrestre avec la vie dans l' au-delà.

DELAFROSSE qualifie cette croyance d'animisme, qui est dit-il "la croyance a l'existence d'âmes de même essence dans tous les êtres, inanimés en apparence bien qu'animés, morts ou vivants, au caractère personnel de chacune de ces âmes et à la force extérieure de celles d'entre elles qui n'ont pas à régir la vie intérieure de leur enveloppe matérielle, c'est-à-dire de la puissance des âmes de la nature et des défunts, lesquels deviennent aussi l'objet d'un culte."49

49 DEFOSSE, Civilisations negro-africaines, Paris 1925.

a- L'immortalité de l'âme

Le peuple autochtone vénère la sépulture, le lieu où l'on inhume les corps. Dans chaque village autochtone, il y a ce qu'on appelle « fatora » un poteau de bois où un grand bloc de pierre a été déposé par l'ancêtre qui a fondé le village. « C'est autour du fatora qu'ont lieu la plupart des cérémonies au cours desquelles on invoque la présence des ancêtres » 50.Cette présence est rappelée par l'existence du fatora dans chaque village. L'âme de chaque ancêtre est immortelle, bien que son corps soit enterré. Les indigènes croient que l'âme du défunt se détache du corps lors de la mort.

A partir de là, on se rend compte qu'il y a autant d'ancêtre que de corps enterrés dans le tombeau commun d'une part, et d'autre part, que chaque village est habité par les descendants d'un ancêtre commun. Les indigènes savent préserver la notion de communauté qu'ils renforcent par cette unicité de sépulture. On ne peut pas vénérer la sépulture si on ne respecte pas sa propre communauté. Un problème qui touche un membre du village concerne tout le village.

DESCHAMPS résume le croyance autochtone en ces termes: "l'ambition des Temoro est de se comporter pendant le temps de son existence terrestre suivant les normes admises dans son groupe social et établis depuis des générations par les ancêtres, de telle sorte qu'à sa mort, il puisse se joindre a la société de ces ancêtres (...).51

La référence permanente à ce passé assure la cohésion interne du groupe social. Plus les indigènes invoquent leur ancêtre, plus son immortalité s'affiche et moins il y a de problèmes dans le village. Les ancêtres surveillent en permanence les vivants.

Un indigène n'agit jamais spontanément. Avant d'entreprendre un projet, de fonder une famille par exemple, il lui faut consulter les

50 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.28.

51 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.51

« mpanandro » 52. En effet, les mpanandro sont des personnes capables , après initiations particulières, d'entrer en relation avec le supranaturel. Bref l'indigène, avant d'agir, consulte donc systématiquement le mpanandro qui, à son tour, va « interroger les ancêtres sur le projet ». Le motif de cette attitude vient de la croyance en l'omniprésence des ancêtres et en la peur de prendre une décision qui ne va pas leur plaire. Le « mpanandro » est là pour soulever cette hésitation.

Il peut arriver aussi que ce soit l'ancêtre qui ordonne à l'indigène de faire quelque chose. L'individu reçoit cette instruction à travers des songes. Rares sont les individus qui, ayant « pris contact directement avec leurs ancêtres » , ne se conforment pas à leurs directives.

b- Interférence de la vie terrestre avec l'au-delà

En plus de la croyance en l'immortalité de l'âme, les indigènes croient en la continuité du monde des vivants avec le monde des morts.

D'après la croyance traditionnelle, les ancêtres "...continuent à vivre dans un autre monde, à se manifester, revêtu de puissance, à leurs descendants, et à influencer leur existence par leur action 53."

Vivre dans le même village et être enterré dans le même tombeau est la devise chez les indigènes. La famille n'est pas autorisée à pleurer quand il y a un mort, « sinon, les esprits mécontents ne tarderaient pas à venir s'emparer de celui qui manifeste son chagrin hors de propos. Seules les vielles femmes peuvent manifester de façon bruyante, successivement leur douleur de voir disparaître un être aimé et leur joie de le savoir désormais au nombre des ancêtres. » 54 Après avoir formé un groupe solide dans la vie terrestre, les indigènes croient que tous ceux qui sont morts reconstituent le même groupe dans l'au-delà. Dans cette optique, la mort n'est qu'un

52 « Mpanandro » ou astrologues.

53 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.52

passage « d'une vie à une autre ». Les indigènes se « livrent à des danses 55 quand il y a un mort dans la famille, car le défunt en arrivant dans l'au-delà va se « souvenir des vivants et intervenir en leur faveur » 56

Maintenant, nous allons voir en quoi est ce que le mariage par rapt peut engendrer un déséquilibre cosmologique.

2- Les causes du déséquilibre

La mémoire ou l'âme d'une personne est plus respectée par les indigènes lorsque l'individu est mort. Le mot « razana » qualifie à la fois le corps et l'âme du défunt ou d'un ensemble de défunts.

Le rôle social du « razana » est de veiller sur les vivants et d'intervenir en leur faveur pour tout projet qu'ils entreprennent . Chaque famille a son « razana », et l'ensemble des familles dans un village en a un en commun. Ces razana, de part leurs vocations , sont en colère si les vivants les oublient dans les événements importants touchant leurs descendants tel que la célébration du mariage.

DESCHAMPS disait: "censés être à la fois bienveillants et irascibles, tutélaires et redoutables, les ancêtres ont besoin d'égards, d'honneurs et de respect. Ce sont eux qui président à la destinée des vivants, eux dont il faut satisfaire les exigences, pour qu'en retour juste ils facilitent l'existence, donnent de bonnes récoltes et de nombreux enfants, richesses et santé, sinon ils pourraient envoyer maladies et calamités."57

Oublier les razana avant de faire un projet aussi grand que le mariage peut créer des empêchements à sa réalisation, telles que la mort prématurée ou la non procréation dans le nouveau foyer. Les autochtones, rappelons-le,

54 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.64.

55 DESCHAMPS, op., cit.

56 DESCHAMPS, op., cit.

57 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.52.

se marient surtout pour mettre au monde des enfants. La colère du razana oublié risque d'empêcher les nouveaux époux a procréer.

Les grandes personnes, avant de mourir, donnent des recommandations à leur famille. Ces recommandations doivent être respectées non seulement par les survivants mais encore par les générations qui les succèdent. Il y a aussi des recommandations de l'ancêtre unique du village que même les nouveaux venus doivent respecter s'ils habitent le village. Le non-respect de ces recommandations, est sanctionné par les autres membres du groupe sous peine d'engendrer des malheurs pour le reste du groupe, telles que l'épidémie ou la guerre par exemple. Et pour revenir à l'institution du mariage, la pratique du mariage par enlèvement qui n'est pas recommandée par les ancêtres expose son auteur à un danger de mort, il risque de se faire tuer par celui qui le traque.

Bref, les développements antérieurs nous ont permis de comprendre la rupture de l'équilibre cosmologique. Qu'en est-il de la célébration du mariage ?

B- La célébration du mariage comme facteur d'équilibre cosmologique

La célébration du mariage a pour fin de rétablir l'équilibre cosmologique. C'est pourquoi, elle est faite sur un « tany masina »58, une clairière ou une vallée pour faire participer l' esprit des défunts aux réjouissances des vivants. D'habitude, chaque famille a un « tany masina » ou « tany fady », lieu « choisi par un ancêtre qui révèle sa volonté au cours d'un songe » 59s'il ne l' a pas fait de son vivant.

58 « Tany masina » ou lieu sacré

59 DESCHAMPS, op., cit., p.66.

Sur ce lieu, la bénédiction des deux époux est donnée en présence de leurs familles respectives d'un côté, du « mpanandro » et du chef de la tribu de l'autre côté.

La présence de toutes ces catégories de personnes est significative dans la mesure où ils vont faire appel à tous leurs ancêtres respectifs pour témoigner aux razana de leur bonheur consécutif à l'événement « qui se déroule sur la terre », et par conséquent de leur bonne entente mutuelle. Ce sont les chefs de famille qui officient les cultes des ancêtres.

Devant la délicatesse de la cérémonie , si ces catégories de personnes citées plus haut ne sont pas consentantes à l'union, ils préfèrent s'absenter. Leur présence n'est pas seulement symbolique mais encore elle doit être sincère. Toutes les rancoeurs contre les nouveaux mariés doivent être oubliées avant la cérémonie. Personne n'aura le droit à l'avenir d'évoquer à nouveau la séquence du rapt pour justifier une mauvaise action.

Les parents du garçon apportent les compensations promises lors du pourparler. Le futur dépose les présents sur des nattes neuves. Des zébus émanant des deux familles selon leur accord sont immobilisés à l'aide de cordes pour être immolés.

Tout le monde qui assiste à la cérémonie prend place autour du « vato masina »60 déposé par l'ancêtre de la famille de la fille, si les deux familles sont d'accord pour que la cérémonie ait lieu chez elle. Après s'être assuré que personne n'occupe le côté est de l'implantation du « vato masina », le plus âgé des officiants du culte familial des ancêtres, que sont les chefs de famille, commence la prière 61 en invoquant la lignée complète des ancêtres des futurs mariés. Il commence par citer les grands aïeuls (Iababe et Endribe) des deux lignées en passant par les ascendants les plus récemment déposés dans les tombeaux respectifs et dont le premier sommeil est à peine commencé et terminera par « l'anga-be » qui à lui seul, représente

60 Vato masina ou pierre sacrée.

61 JULIEN, Histoire de Tatsimo, « le mariage »

l'association de tous les esprits malins. « Ces forces maléfiques sont tenues pour masina ou sacrées, donc redoutables et ne saurait les indisposer sans en souffrir» 62.

L'évocation de la liste des ancêtres étant terminée, les époux leur adressent une prière en précisant la raison de la cérémonie, qui est ici leur union. Ils les implorent d'accepter l'animal dont le sang est répandu en leur honneur.

Voilà comment le peuple autochtone remet le bouleversement cosmologique en ordre après le rapt. Jusqu'à ce moment, la cérémonie du mariage qui est loin d'être terminée provoque auprès de l'assistance un sentiment d'apaisement. Plus personne ne va redouter la colère des ancêtres a cause de l'union.

Et la prière continue. Les époux implorent les ancêtres de faire en sorte que le mariage soit heureux c'est-à-dire que le couple engendrera beaucoup d'enfants.

Remarquons qu'à l'époque archaïque, le peuple autochtone avait autant besoin d'enfant fille que garçon. Il n'y avait pas de penchant pour l'un ou l'autre sexe.

La fécondité des vaches et la productivité des plantations ne sont pas oubliés dans la prière.63

Entre-temps, le zébu est immolé. Le sang est répandu en l'honneur des ancêtres et l'animal est dépecé. Chacun des assistants à la cérémonie du mariage, « suivant le rang de préséance qui lui est accordé par la coutume, a droit a un morceau déterminé».64

62 JULIEN, Histoire de Tatsimo, « le mariage »

63 JULIEN, Histoire de Tatsimo, « le mariage »

64 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.1 80.

Nous avons vu jusque là comment se formait le mariage par rapt. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons nous intéresser aux effets du mariage autochtone et à la rupture du lien matrimonial.

CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU

LIEN MATRIMONIAL

SECTION 1 : LES EFFETS DU MARIAGE

§ 1 : LES EFFETS TOUCHANT LES DEUX FAMILLES

Le mariage traditionnel du peuple indigène est une affaire qui intéresse plus la société que les deux époux eux-mêmes.

La famille avons nous vu, joue un rôle de premier plan depuis le rapt jusqu'à la consommation du mariage. Et ce rôle prépondérant ne disparaît pas quand le mariage est conclu, bien au contraire, il se renforce.

A) Les rapprochements

1-Le rapprochement des deux familles

L'union de deux individus ne peut se faire sans l'aval de leurs familles. Il faut d'abord qu'ils s'entendent sur plusieurs points avant de consentir au mariage. Cette entente, bien que nécessaire pour l'union, ne produit pas seulement des effets aux époux.

C'est surtout le rapprochement des deux familles sui est plus significatif grâce au mariage. Une assistance mutuelle et quotidienne peut s'établir . La société primitive étant agricole 65 ; les deux familles peuvent mettre en commun leur main d'oeuvre pour défricher des terres par exemple.

En réalité, les deux familles fusionnent. Il faut remarquer que la société primitive est égalitaire, il n'y a pas de lutte de classe, donc tout le

65 JULIEN a traduit un passage de Sorabe évoquant l'agriculture.

monde a le même niveau de vie. Sur le plan économique, la fusion des deux familles n'est que bénéfique.

Dans cet ordre d'idée, il y a une assistance mutuelle entre elles. Cette assistance n'est pas limitée. Les familles peuvent s'allier pour constituer une armée en cas de menace d'attaque contre l'une d'elle. Et chaque famille grâce à cette alliance aura un sentiment de sécurité, l'une pouvant compter sur l'autre.

On reconnaît à travers ces quelques idées les raisons qui peuvent pousser à enlever une femme, même si elle ne consent pas. Et la famille de celle-ci à ce moment là autant d'intérêt que celle de l'homme à ce que l'union soit rendue légitime.

2- Le rapprochement des deux clans

L'hypothèse qu'on développe ici concerne le rapt d'une femme issue d'un autre clan.

Si après l'enlèvement le mariage est légitimé, l'union peut revêtir une dimension politique. Les deux clans vont "se voler des femmes " sans que l'acte puisse aboutir à une guerre. C'est la première personne qui ose faire le premier enlèvement qui risque gros. Et s'il acquiert légitimation, cet acquis aura valeur de précédent pour les autres membres des clans concernés. Plus il y aura d'union exogame par clan, plus le rapprochement des deux clans se renforcera. Et la phase finale du rapprochement aboutira à la fusion des clans et à la formation d'un groupe social plus important.

Telle est la dimension politique de l'union des deux individus issus de deux clans différents. Les familles respectives des deux époux ne se contentent pas des avantages nés de l'union , ils ont aussi des obligations vis-à-vis du nouveau ménage.

B)- La surveillance du nouveau ménage

L'union produisant autant d'effets bénéfiques, tels que cités plus haut, mérite d'être maintenue pour sauvegarder les intérêts des familles. C'est pourquoi, la coutume autochtone autorise ces familles à veiller au bon fonctionnement du ménage. En cas de décès du mari par exemple, le famille de la femme est chargée de donner de la nourriture aux enfants. Et les petites querelles non réglées par le couple peuvent être soumises à la famille qui va sanctionner le fautif. S'il manque de la nourriture dans le «Tranoambo»66 les familles doivent en fournir au foyer en manque.

Tout cela sont les effets que produit le mariage à l'égard des deux familles des époux. Le mariage produit aussi des effets dans l'organisation de la société.

§2- LES EFFETS DU MARIAGE A L'EGARD DES EPOUX

L'organisation de la société autochtone se fait par le système de rang. Les hommes et les femmes ont leur propre mode d'organisation.

A- Les effets sur le statut social des époux

1- Le mariage et le statut social de l'homme

Chaque individu a sa place exacte dans la société autochtone. Les hommes et les femmes ont leur mode d'organisation qui leur est propre. Les nouveaux nés des deux sexes sont les « zazakely ». Dès qu'il sait courir, le garçon a le statut de « beminono » et commence a jouer un rôle dans la vie sociale. Son rôle est de ramasser du bois. A sa puberté, il devient "zazalahy" dont le rôle social est d'enterrer les morts. Jusque là, ce sont les critères biologiques qui permet au garçon de passer d'un rang social à un autre. Beaucoup d'hommes restent « zazalahy». Certains, les plus courageux à faire

un rapt et à fonder une famille gravitent les échelons de la société. En effet, seul le mariage peut leur permettre de monter de classe en devenant « olombe ». Et le statut social d'olombe se renforce par rapport au nombre d'enfant que l'homme aura procréé. Le chef du village est choisi parmi les olombe. Nous avons déjà vu le privilège matrimonial du chef du village qui, rappelons-le, est le « géniteur» dans le village.

Nous pouvons deviner à quel point tous les zazalahy veulent gravir les échelons. Un "olombe", il peut assister aux palabres par exemple ou à toutes circonstances nécessitant la présence d'hommes de son rang. Néanmoins les « olombe » sont tous sous l'ordre direct du chef du village et lui doivent respect, de même ils doivent respect aux « olombe » plus âgés qu'eux. Ils ne peuvent pas prendre l'initiative personnelle de remplacer le chef.

Voilà en ce qui concerne les effets du mariage sur le statut social de l'homme . Qu'en est il de celui de la femme ?

2-Le mariage et le statut social de la femme

Les nouveaux nés sont les "zazakeli", sans distinction de sexe. Puis, les filles passent au statut de « sarabanadika » 67ou fillettes qui ont pour rôle d'aider leurs mères. Nubiles, les filles deviennent « somondrara ». Ce sont elles qui sont les victimes d'enlèvement. Les « zazalahy » sont les ravisseurs. Mais le statut de femme marié ne change en rien l'importance sociale de la femme. Il faut attendre qu'elle ait des enfants pour qu'on l'appelle « tsarbiteza ». Plus elle a d'enfants , plus elle est admirée par les « zazalahy » qui rêvent de femmes fécondes. Son importance sociale reste toujours figée jusqu'à ce qu'elle ait des petits enfants. Les indigènes l'appellent «viavi-be». C'est parmi les «viavi-be» qu'est choisi le chef des femmes qui ont une importance sociale très grande dans la société matriarcale autochtone.

66 Tranoambo ou grenier à riz

67 Sur les classes d'âge voir DESCHAMPS, Les malgaches du Sud Est, p.1 55. Notons qu'on s'est seulement inspiré des informations de DESCHAMPS dans notre analyse.

Bien que le mariage en lui même ne produit aucun effet sur le statut de la femme, la société accorde beaucoup plus d'importance aux femmes mariées qu'aux jeunes filles nubiles. Et le mariage est une étape conduisant la femme à la place du chef des femmes plus tard.

B-Les autres effets

1- Les effets communs aux époux

La société autochtone, consciente de la difficulté rencontrée par les époux lors de leur première installation dans le nouveau foyer, exclut les nouveaux mariés des taches communautaires.

MESSELIERE, rapportant les propos de JULIEN, avance qu' « en pays Tatsimu 68,on laisse tranquilles les jeunes époux pendant quinze jours qui suivent le mariage ; on respecte leur liberté et même, en cas de corvées d'intérêt général auxquels les fokonolona prendrait part en totalité, les époux qui viennent d'entrer en ménage (mpihaobao) ne sont pas déranges. Ils sont censés, dans le premier temps de leur union, aménager leur intérieur.

En entrant dans le ménage, le mari remet a son épouse un mortier, un pilon, un van et une louche, tous les objets qu'il a fait lui-même avec du bois pris dans la forêt voisine.

Ce sera à la femme de confectionner les nattes vestimentaires (tafitsihy), les nattes couvertures (bona), et les nattes sièges (tsihi fitaboha), les corbeilles et les paniers. » 69

2. Les fady ou interdits

68 JULIEN a donne le nom de Tatsimu au groupe de population du Sud-Est de Madagascar.

69 MESSELIERE, Du mariage en Droit malgache, p.181

Le domicile conjugal se construit sur la « tanindrazara » ou la terre des ancêtres du mari.

Deux constructions composent le foyer : la « trano » ou la maison d'habitation, ensuite le « tranoambo »70 ou grenier à riz.

En complément de ce que nous avons vu plus haut sur la répartition des tâches par classe d'âge ou chacun trouve sa juste place dans la société primitive, force est de constater que même dans le foyer, chacun des époux a son attribution propre. Ce sont les « fady » ou interdits coutumiers qui harmonisent cette répartition des tâches. Des « fady » sont imputés sur le « tranoambo » et la maison d'habitation qui constituent le foyer.

Le « Tranoambo » est aussi inviolable que le « fasana » ou le tombeau71. Le mari a la plénitude des pouvoirs pour ravitailler le « tranoambo ». Sa femme ne peut le contraindre ni se substituer à lui.

A côté du « fady » sur le « tranoambo » il y a aussi le « fady » sur le « trano »72.

Dans la maison il y a les « fady » que l'homme doit observer. Ces « fady » portent sur la place qu'occupe l'homme, d'une part, et celle qu'occupe la femme, d'autre part. Mais l'interdit commun aux peuples autochtones est celui qui empêche l'homme de se servir lui-même du repas préparé par sa femme.

Voilà en gros les règles coutumières en matière d'obligation de cohabitation à laquelle sont soumises les deux époux.

SECTION 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL

70 Tranoambo : maison surélevée, sur pilotis dans laquelle sont stockés les récoltes et les matériels non usuels.

71 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 47.

Nous avons vu les étapes par où doivent passer les époux avant que leur union soit consacrée. Avoir une compagne ou un compagnon est cependant très difficile. C'est pourquoi, les autochtones ne cherchent pas à se séparer volontairement sans motifs graves. Et la mort aussi rompt l'union.

§1- LE DECES DE L'UN DES EPOUX

Le décès de l'un des époux est le mode normal de la dissolution du mariage. Cela signifie que l'époux survivant est en principe libre de contracter une nouvelle union. Le cas des indigènes n'est pas aussi simple car le mariage se contractait surtout entre les familles. Les effets du mariage se répercutent principalement chez ces dernières. C'est pourquoi le décès de l'un des époux ne suffit pas pour dissoudre leurs relations.

Dans cette société égalitaire, les effets du décès considères comme cause de la rupture du lien matrimonial ne sont pas les mêmes pour l'époux et l'épouse survivant.

A- Le décès de l'homme

Le décès de l'homme ne libère pas l'épouse du lien matrimonial. Les familles ne voulant pas rompre leurs relations mutuelles vont décider du sort de la femme. Deux cas peuvent se présenter ; tantôt la femme reste dans la famille de l'homme, tantôt elle retourne chez ses parents.

1- La femme reste chez la famille de son mari

Il est pratique chez le peuple autochtone que la femme qui ait perdu son mari soit retenue dans la famille de son mari. Cette rétention est faite pour faire perdurer le mariage la bonne entente entre les deux familles d'un côté, entre la veuve et la famille de son mari de l'autre. La femme ne peut

72 Trano : maison d'habitation.

pas se marier trop vite pour montrer à sa belle famille la profondeur de son chagrin. La veuve a en effet une responsabilité aux yeux des autres membres du groupe villageois. C'est pourquoi elle doit tout faire pour ne pas donner l'impression d'être coupable.

Les moeurs à cette époque étaient dominées par les superstitions . Une femme qui a perdu son mari était considérée comme une sorcière donc maudite par le village.

Le fait de rester auprès des parents du mari et de s'entendre avec eux permet à la femme de se mettre à l'abri des accusations. La famille du garçon est pour elle et ses enfants un refuge.

L'objectif du mariage étant surtout d'avoir une progéniture. Souvent, les beaux parents ne veulent pas se séparer de leurs petits enfants. Ils auront le sentiment de perdre gros si les enfants partent avec leurs mères. En effet, même dans l'époque la plus reculée, la coutume léguait aux mères la garde de leurs enfants de bas âge. Personne d'autre ne peut mieux les entretenir que leurs mères.

Nous remarquons que l'entente produit un double effet, dans l'intérêt mutuel des beaux parents et de la veuve. Au fil du temps, le malheur s'oublie et les parents du garçon pensent à l'avenir de leur belle -fille qui ne doit pas rester toute seule. D'ailleurs il est anormal qu'une femme féconde demeure dans l'état de célibat trop longtemps. Les autres «zazalahy » ou hommes non mariés du village la convoitent. La seule réticence qu'ils ont c'est la superstition évoquée plus haut et qui s'oublie lorsque la femme reste chez ses beaux-parents. Au lieu de repousser les hommes, la veuve les attire. Mais cette attirance met en péril l'ordre établi entre la veuve et sa famille. Il suffit qu'un des zazalahy la séduit et l'enlève pour qu'un nouveau mariage soit contracté avec une autre famille. Et ce nouveau mariage va dissoudre le premier car la femme n'est pas libérée par le décès de son mari.

Pour éviter l'impasse, les autochtones ont prévu une coutume qui consiste à obliger la veuve qui veut un époux à se marier avec son beau frère73, le cadet de son mari mais non pas l'aîné74. Si l'homme avait plusieurs frères, on laissait à la femme la liberté de choisir un mari parmi eux. A défaut de frère, les beaux parents proposent à la veuve les neveux ou les cousins de son mari.

Cette coutume cherche à préserver l'entente préalablement établie et les enfants laissés par le défunt seront les enfants légitimes du nouveau mari, membre de la famille.

Quelle est la situation de la veuve si elle retourne chez ses parents ? 2-La femme retourne chez ses parents

Sur décision des deux familles réunies, la femme peut être renvoyée chez ses parents avec ses enfants. Il faut souligner que les femmes indigènes ne se séparent pas de leurs enfants en bas age. Les plus grands peuvent rester chez leurs grands- parents, sous l'autorité de leur oncle paternel.

L'objectif de ce retour est de s'éloigner d'éventuelles haines instinctives des familles du défunt qui peuvent en vouloir à la femme. Ce sont les deux familles réunies qui jugent du déménagement en fonction des circonstances L'autorité sur la femme transmise entre les mains de son mari se transmet temporairement à ses beaux parents lorsque l'homme est décédé. Cette autorité ne revient pas à ses parents, tant que la femme n'a pas quitté le domicile conjugal pour les rejoindre.

Le peuple indigène avons nous dit est superstitieux. Tant que la rumeur sur la femme court, personne dans le village n'ose l'approcher. Elle

73 MUNTHE, La tradition Aradico-Malgache une à travers manuscrit A-6 d'OSLO, p.257. L'auteur a traduit un passage du manuscrit où est dit « La femme d'un frère peut (en cas de décès du frère) passer à un autre frère.

74 L'aîné de son conjoint et considéré comme rafozana ou beau-père ou belle-mère, à qui l'on s'adresse comme à ses propres parents.

risque d'attirer le mauvais sors sur les hommes. Ce sont ses parents qui l`aident à passer cette période de veuvage où elle est écartée de la société.

Plus tard, les parents du mari peuvent proposer à la femme de revenir chez eux et d'épouser l'un des frères cadet de son mari. Si la femme accepte, les liens entre les deux familles se renouent. Dans le cas contraire si elle refuse, la femme est confrontée pour l'avenir à une double difficulté.

La première c'est que la coutume ne l'autorise pas à épouser un homme de son clan. Si ce cas se présente, elle et son complice seront non seulement chassés de leurs familles respectives mais encore leur clan va les rejeter. Cependant, l'occurrence, la femme risque d'attendre indéfiniment avant qu'un homme issu d'un clan étranger l'enlève pour en faire une épouse. A ce moment là, la progéniture du premier mari va se disperser, certains resteront chez leur oncle, d'autres iront avec leur mère.

La seconde difficulté se trouve dans le fait que l'autorité sur la femme est encore entre les mains de ses beaux parents, et que le mariage ne peut être conclu sans le consentement de ceux-ci. Ce consentement est pourtant difficilement obtenu par une femme qui non seulement est la veuve de leur enfant mais encore, elle n'a pas accepté d'épouser l'un des membres de leur famille. Pourtant sans le consentement des beaux parents, le mariage ne sera nullement légitime pour la société et pour les parents de la femme. Et les fugitifs seront considères comme des délinquants par tout le monde, donc ne vont plus jamais retourner au village.

Force est de constater la rigueur de la coutume à l'encontre de l'épouse survivante. Que se passe-t-il si c'est le mari qui perd sa femme ?

B- Le décès de la femme

Quand une femme est morte, chez le peuple indigène, le drame est immense. Une mère d'enfants a quitté le monde, donc elle ne pourra plus donner d'enfants. La rareté de la femme à l'époque accentue l'émotion. Pour éviter l'éclatement des conflits familiaux ou tribaux, la coutume écarte la présomption de culpabilité de l'homme, au contraire, elle soutient le veuf.

1- La présomption d'irresponsabilité du veuf

La permanence de la guerre dans les tribus de l'époque, conduit les hommes à être violents. Cette violence est nécessaire pour la protection des autres membres du groupe, notamment les vieillards, les femmes et les enfants. Tous les hommes sont censés protéger leur prochain, sous peine d'être inutile pour la société.

Les hommes sont par conséquent conditionnés à être violents. Un acte pouvant aller jusqu'à donner la mort à leur femme, aussi précieuse soit elle pour sa famille, est excusé par toute la société. Le veuf va bénéficier d'une présomption d'irresponsabilité en cas de décès de sa femme. « On suppose que le veuf a agi imprudemment sans doute, en commettant un « acte déterminant », mais par le fait même on l'excuse. » 75 Cette indulgence à la violence des hommes est en l'occurrence utile pour les encourager à être de bons guerriers. Les sanctionner affaiblit la morale des hommes donc ce sera préjudiciable pour la société.

C'est l'autorité du père sur la femme transférée au mari qui peut expliquer cette coutume. Le décès de la femme, à partir de là n'oblige pas le mari à montrer à sa belle famille la profondeur de son chagrin. D'ailleurs, il a enlevé sa femme avant de l'épouser.

A côté de cette coutume, il y a aussi l'ancrage de la superstition dans les moeurs.

Dans le subconscient collectif de ce peuple, on croit que certains actes peuvent entraîner la mort de l'époux ou de l'épouse sans que rien puisse l'empêcher de se réaliser, ce sera par exemple « le fait (...) de présenter un plat à quelqu'un en lui tournant le dos. Dans tous ces cas76, que l'acte ait été commis sciemment ou imprudemment, ce sera le veuvage à bref délai. » 77

Cette croyance renforce l'autorité de chaque époux dans la famille. C'est souvent la femme qui en subit les conséquences dans la mesure où elle est tenue de rendre compte aux parents de l'homme de l'événement qui aurait tué son mari. Mais l'homme est excusé d'avance.

Bien entendu, ce n'est pas pour se faire tuer par leur mari que les femmes se marient, et inversement l'homme ne cherche pas à tuer sa femme dès que l'occasion se présente. Au contraire, l'objectif commun est de procréer, augmenter le nombre de la famille pour avoir de la main d'oeuvre et de l'autorité politique. Il ne faut pas non plus oublier que la femme peut mourir de façon naturelle.

Quelque soit les circonstances de la mort de la femme, les familles des deux époux continuent leur amitié. Et pour prouver sa bonne foi, la famille de la fille propose au veuf l'une de ses soeurs de la défunte.

2-Le remplacement de la femme

Pour préserver le lien familial existant et pour rapprocher les enfants à leurs familles naturelles, les indigènes estiment qu'il est préférable de donner au veuf une des femmes dans la famille. Cette proposition est faite à condition que l'homme entretienne de bonnes relations avec ceux ci après le malheureux événement. Et c'est souvent la cadette qui devient la nouvelle épouse de l'homme.

75 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p . 65

76 Nous n'avons retenu ici qu'un exemple.

§2- LA SEPARATION DES EPOUX

La séparation des époux de leur vivant est une autre cause de rupture du lien matrimonial, à côté du décès. La décision des deux époux ne suffisent pas pour que leur union soit rompue. Ils faut qu'ils consultent leurs parents respectifs qui vont décider ensemble. Cela explique que l'union des indigènes n'est pas anarchique, et leurs séparations sont aussi soumises à des règles. Quelles peuvent être les causes de la séparation ? Cette question mérite d'être posée avant d'étudier la procédure qu'il faut respecter et ses effets.

A-Les causes de la séparation

Les causes sont tantôt communes aux époux tantôt propres au mari et à la femme.

1- Les causes communes aux époux

Aussi difficile soit la conduite du mari, aussi grande soit la volonté des deux futurs à fonder un foyer, le destin est toujours imprévisible.

A la manière dont les indigènes se procurent les femmes, nous pouvons dire qu'à l'époque on se mariait avant de s'aimer.

Cependant la femme qui quitte sa cellule familiale doit rejoindre une autre famille après le mariage. Et ce nouvel environnement social peut ne pas lui plaire. Pourtant, un mariage l'engage à rester dans le même milieu. Le mécontentement de la femme peut être ressenti par la famille de son mari, une famille qu'elle côtoie quotidiennement.

77 MESSELIERE, op. cit.

L'homme indigène n'ayant pas eu le temps de connaître sa femme ne peut faire confiance qu'à sa famille qu'il a connu depuis toujours. Il ne va pas se rallier à la cause de sa femme pour contrer ses proches.

La volonté de partir grandit chez elle. La volonté de la laisser partir se confirme chez l'homme poussé par sa famille. Ainsi, la mésentente de la femme avec ses beaux-parents est la première cause de séparation.

STANDING et DE HAUTEVILLE GUIBAL rapportent que « les faits suivants amèneraient aussi une rupture inévitable : amener chez soi sa fiancée par un temps pluvieux, franchir le seuil de la chambre nuptiale du pied droit, sortir du feu de la maison conjugale, visiter ses parents la première semaine de son mariage et manger dans des assiettes autres qu'en terre (...)»

78

MESSELIERE79 rajoute que l'agitation de la belle-mère le jour du mariage constitue aussi une rupture inévitable.

Nous remarquons que le non respect des fady (ou interdits) constitue encore des motifs de séparation, peut-être même sont-ils les plus importants.

Les coups, sévices et les injures graves peuvent aussi entraîner la séparation du époux disait DAMA80. Insulter les ancêtres est une injure qui non seulement expose son auteur à une sanction pénale, mais aussi l'oblige d'être séparé de son partenaire.

A côté de toutes ces causes communes de séparation, il existe des cause qui sont propres au mari.

78 H.J. STANDING, « Les fady malgaches », in Bulletin de l'Académie malgache, 1904, p.11 0, Propos cité par MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 301.

79 MESSELIERE, ibd.

80 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, Vohipeno 1961, p.6

2- Les causes propres au mari

Nous pouvons essayer de recenser les motifs propres aux maris de rompre avec leurs femmes pour qui ils ont risqué leur vie en faisant le rapt.

Le premier motif est le refus de la femme d'habiter le domicile conjugal. Le mari ne va pas remettre en cause la perfection du milieu social duquel il est issu. C'est pourquoi, la non adaptation de sa femme à ce milieu se traduit par le refus de la femme à habiter le domicile conjugal. Rappelons que ce domicile se trouve sur le « Tanindrazana » ou sur la terre des ancêtres de l'homme. Il peut s'installer dans un autre endroit mais il lui est défendu d'habiter chez sa femme: c'est « fady ».

Connaissant toutes ces coutumes et ces recommandations des ancêtres, et ne voulant pas les violer, le mari est contraint de libérer la femme qui refuse d'habiter avec lui.

Bien entendu, la femme ne sortira pas aussi facilement du lien matrimonial. Nous allons voir ultérieurement les effets du divorce.

La stérilité de la femme oblige l'homme à rompre l'union. Se sentant trahi d'avoir épousé une femme qui ne respecte pas ses obligations, le mari, appuyé par sa famille prennent une position commune. Ce que les indigènes attendent de leurs femmes c'est qu'elles enfantent. Si la femme n'est pas capable d'enfanter pendant une longue période, il est inutile de la garder dans la famille. Bien sûr elle est une main d'oeuvre supplémentaire pour les travaux du champs mais ce n'est pas suffisant.

L'infidélité de la femme, si elle est prouvée, autorise son mari à le dénoncer à ses beaux-parents. Après, la femme infidèle sera remplacé par une de ses cadettes si elle en a ou par une de ses cousines. Satisfait, l'homme ne s'occupe plus du sort de la femme infidèle et sa vie continue avec la « remplaçante ».

Une femme qui a consenti a être une nouvelle fois sujet d'un enlèvement concerté manifeste son désintérêt à vivre chez son mari. Nous avons vu les conséquences de cet abandon de foyer. Rappelons ici que le mari est contraint de rompre l'union après avoir été dédommagé. L'exemple de l'épouse de l'Andriambuadziribe enlevée par le Prince Ali avec sa complicité illustre cette idée . Son mari a été dédommagé équitablement.81

2- Les causes propres à la femme

Le « tranoambo » est aussi inviolable que le fasana ou tombeau82. Seule la femme peut y accéder. « Ce serait une cause de divorce que la violation par le mari du fady lui interdisant l'accès au tranoambo. La famille de l'épouse, le clan, sa famille même se ligueraient contre lui. Le coupable doit s'humilier pour obtenir le retour au foyer en s'engageant publiquement à ne plus jamais remonter au tranoambo et en versant, à titre d'indemnité une ou plusieurs têtes de bétail à sa femme qui, bénéficiaire, est alors considérée comme voa fafy, c'est à dire purifiée par son mari et reprend avec lui la vie commune. » 83

La violation du « tranoambo » constitue cependant chez les autochtones une autre cause de divorce, qui peut se réparer sans provoquer de palabre. Une femme ne peut pas facilement humilier son mari. En tout état de cause, la coutume prévoit déjà des sanctions résultant de l'immixtion de l'homme dans les attributions des femmes. Cette coutume prouve l'égalité entre le mari et la femme dans les siècles passés.

B- La procédure

Chaque grande décision ne peut être prise sans l'aval du « mpanadro ». L'oracle est nécessaire. Cette attitude s'explique par la peur des colères des

81 JULIEN, Pages Arabico-madesasse, deuxième récit, p.91.

82 Tranoambo, grenier à riz

ancêtres si la décision n'est pas la bonne. Le mari ou la femme qui ne supporte plus son partenaire va chez le devin qui à son tour « se met en contact avec l'au-delà ». Si l'idée de séparation est bien fondée, les parents peuvent être mis au courant du projet.

Cette annonce peut se faire verbalement, alors que les époux vivent encore sous le même toit.

ROMBAKA84 annonce qu'il est coutume que c'est la belle-mère ou la belle-soeur qui renvoie la femme. Elle fait part de la décision aussitôt après un déjeuner. Voici ce que dit la belle-mère à ce moment là : « vous allez un moment vous séparer, oh mère ou Endriko (la politesse commande de donner ce titre à une belle fille qui a un foyer), tel est le désir de votre époux. Il vous abandonne et laissez le poursuivre son aventure. Mais l'homme est un animal qui ne meurt pas sous un seul arbre ( fa biby ny lahilaly ka tsy maty an kazo tokana) 85 »

Et la femme déchue n'a rien à dire et rentre chez ses parents qui ne peut que lui donner tort.

Le père de la fille rend visite alors aux parents de son mari pour enquêter sur la cause de cette rupture brusque. Les deux familles, qui sont liées par un accord lors du pourparler, tentent de réconcilier les époux.

Cette tentative peut ne pas aboutir à la fin souhaitée. Les deux familles présentes lors du rituel de mariage sont alors convoquées en réunion. La réunion a pour but de rechercher le camp fautif. Chaque famille défend le sien. Des discussions très tendues ont lieu car aucun, ne veut être fautif. Les motifs évoqués plus haut sont les principales causes de la séparation.

83 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, Paris, 1932, p.47

84 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, Traduction libre

La partie fautive doit racheter cette faute en payant une amende. Parfois, un zébu est tué pour donner le tso-dranto, sorte de bénédiction résiliatoir qui va rendre quitte les parents. Et les deux personnes retrouvent leur liberté. L'autorité sur la femme retourne dans sa famille.

85 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, 1970, p.21.

PARTIE II :
L'EPOQUE ISLAMIQUE (XIVes- XVes)
LA RESULTANTE DE LA COUTUME AUTOCHTONE ET DU DROIT
MUSULMAN :
LE MARIAGE ARRANGE

INTRODUCTION

Les multitudes de sultanats musulmans, qui se sont constitués pendant deux siècles, se sont unifiés en un Royaume Antemoro. A ce sujet, un auteur disait que « des musulmans stricts venus des sables de la Mecque imposèrent à un fond autochtone une théocratie reposant sur une double hiérarchie religieuse et politique.» 86

Bien évidemment, Ramakarobe venu en 542 de l'ère mohamétane, le premier zélateur da l'islam dans la région de la Matatana87, n'a cessé d'investir ses efforts pour unifier les royaumes. A propos du rapt commis par son fils, le Prince Ali, il donne son opinion : « Notre loi (sur la violation de la loi matrimoniale qu'est le rapt) est très sévère, mais je n'oublie pas que nous nous sommes ici des étrangers et qu'elle doit nécessairement s'adapter aux circonstances » 88

C'est la raison pour laquelle, la loi coranique n'a pas été appliquée en matière de mariage à l'époque obscure. Mais depuis cette unification des sultanats, on l'a appliqué. Un système de classe fut alors instauré.

Les descendants de Ramakararobe et de ses compagnons ont constitués des clans, autres que ceux des autochtones. Le pouvoir politique est détenu par le clan Anteony, descendant de Ramarohala, l'un des fils de Ramakararobe. Le pouvoir religieux est détenu par le clan Antalaotra, descendant de Ramalitavaratra, l'astronome et Andriantsimeto Ranaha, le devin, « qui choisit lui-même l'emplacement de l'embouchure de la Matatanana, selon la tradition, pour l'installation de ses compagnons de route » 89.

86 TAMISIER, Dictionnaire des peuples, Larousse, 1998, Antemoro

87 JULIEN, Pages Arabico- madecasse, Paris, 1929, p.11.

88 JULIEN, Pages Arabico- madecasse, Paris, 1929, p.93.

89 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, 1959, p.43.

Les Anteony et Antalaoatra sont les classes nobles. Les autres notamment les descendants des cafres que les Arabes ont emmenés avec eux et les autochtones sont devenus les roturiers.

Le pouvoir repose sur le privilège du « sombily» (le droit de sacrifier les animaux) que seules les classes nobles détiennent.

L'application des rites musulmans ne se limite pas seulement au pouvoir. Elle affecte les structures de la société elle même. Le système matriarcal est substitué par le patriarcat sémite. La supériorité de l'homme se renforce dans le foyer. Par contre la femme a sa propre place.

Autrement dit, la base de la société est toujours la famille. Le regroupement des familles est appelé « fatrange », véritable cellule de la société, dirigé par le Loholona. Il existe aussi des chefs des femmes dans chaque fatrange

Doté d'une telle organisation, la société Antemoro est fortement endogame. Le chef de clan n'a plus le monopole des femmes. Elles sont sous l'autorité des patriarches. Ces derniers décident du sort de leurs filles, même en matière matrimoniale. Il suffit d'obtenir l'accord du patriarche pour épouser une femme. D'où l'institution du mariage arrangé.

« Jadis les fiançailles étaient décidées par les deux familles (...). De nos jours les fiançailles sont moins longues et plus de liberté est laissée aux jeunes gens dans le choix de leur conjoint» disait DESCHAMPS90.

Nous pouvons dire cependant que dans le passé, les conjoints ne se choisissaient pas eux-mêmes et ne décidaient pas non plus de leurs fiançailles. Cette hypothèse est confirmée par ROMBAKA91 quand il dit :

90 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, Les Antemoro, p.61.

91 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, Traduction libre

« lorsque les deux familles se sont mises d'accord, les fiançailles sont consommées, même si la jeune fille concernée n'est pas au courant».

N'y voit-on pas un esquisse de «contrainte matrimoniale » reconnue par le droit musulman ?

GRANDIDIER soutient la thèse selon laquelle « les fiançailles n'auraient jamais été forcées chez les Antaimorona » 92

Nous sommes devant un paradoxe. Néanmoins, aucun de ces auteurs ne s'est trompé. Tandis que GRANDIDIER parle des Antaimorona « traditionnels » (qui ont gardé la tradition matrimoniale), les autres auteurs, font allusions aux Antaimorona influencés par l'islam qui représentent la majeure partie de la population du Royaume. MUNTHE affirme que « le Droit coutumier local en matière matrimoniale s'est (...) trouvé fortement influencé par la loi coranique et le droit pénal lui même lui emprunta le châtiment du talion.. » 93

Ce droit coutumier local dont MUNTHE fait allusion est la coutume qu'on a tenté de décrire dans la première partie du mémoire. Cette fois-ci, nous allons nous consacrer à l'étude du Droit coutumier influencé par la loi coranique, en matière matrimoniale ou « la résultante » comme le disait FROELICH plus haut.

92 GRANDIDIER, Histoire de Madagascar, Ethnographie, (MESELIERE, p. 135)

93 MUNTHE Ludvig, La tradition : Arabico- malgache, p.75.

CHAPITRE I : LA FORMATION DU MARIAGE

SECTION 1 : LA DEMANDE EN MARIAGE ET LES FIANCAILLES

§1: LA DEMANDE EN FIANCAILLES

La demande en fiançailles qu'il ne faut pas confondre avec la demande en mariage, peut se faire de plusieurs manières. Il faut souligner que les règles du droit musulman n'admettent pas le rapt, donc « il est nécessaire de solliciter la main de la jeune fille 94 conformément aux règles du misondzo (...) au cas où les fiançailles n'auraient pas lieu par arrangement des parents avant l'état de la puberté des futurs époux. » 95

A- LE MISONJO

Le misonjo est une institution qui est utilisée lorsqu' aucun arrangement n'a été fait.

C'est le prétendant lui même qui doit faire toute les démarches sans l'aide de ses parents. Un garçon qui s'entend bien avec une fille peut la réserver pour épouse. Il rend visite à ses parents pour leur faire part de son intention. Mais étant zazalahy, il n'a pas le droit d'adresser la parole à un olombe 96, qui est le père de la fille. Il lui est cependant plus facile de parler avec la mère de celle-ci. Le garçon lui dira sans préambule : « Votre fille m'agrée, Ô mère vénérée (E nd riko mas y), je la choisis pour épouse, qu'en pensez vous?» 97 Bien évidemment, la mère ne peut se prononcer sans avoir

94 JULIEN, Dans l'Histoire des Tatsimo, rapporte que « la jeune fille en état de prendre un époux est dite Batrakafo chez les tatsimo. A partir de ce moment , la jeune fille porte les Sikintratra, bande d'étoffe en fibre de Harofo qui lui comprime les seins. Elle ne quitte ce vêtement qu'au moment où elle va accoucher. »

95 MEESELIERE, Du mariage en droit malgache, Paris, 1932, p.150.

96 Le chef de la famille vivant au milieu de ses femmes et de ses enfants, petits et grands, est appelé chez les Tatsimo « Olombe » (JULIEN, Histoire des Tatsimo)

97 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

consulté son mari. Elle dira à celui ci : « Un tel se réserve (misandjo) notre fille, quelle est votre décision ? » 98

Connaissant presque tout le monde dans le clan en tant que Olombe, le chef de famille ne tarde pas à donner sa réponse. D'autant plus que le prétendant ne va pas emmener tout de suite la jeune fille, pas encore nubile.

Au cas où le père de la fille acquiesce au projet, sa femme retourne au prétendant qui l'attendait et lui dit ; « C'est entendu, ô mon père (la politesse commande en effet, de donner ce titre au futur gendre, puisqu'il désire fonder une famille ; on en fait en quelque sorte un ascendant par anticipation), lorsque vous serez l'un et l'autre en âge , si vous êtes d'accord (mifankahay). » 99

C'est ainsi que se passe l'institution du misondjo, mais à présent, nous pouvons parler des fiançailles par arrangement.

B- L'arrangement

Avant que les enfants n'atteignent l'âge nubile, les parents peuvent les fiancer sans qu'ils ne se connaissent. Mais le plus souvent, c'est le garçon qui déclenche le processus d'arrangement.

1- La première visite

Il suffit au garçon qui veut prétendre à une fille, même s'il ne la connaît pas, de la montrer à son père. C'est ce dernier qui se charge de l'arrangement avec la famille de la fille. Le processus d'arrangement est donc déclenché dès qu'il y a une volonté unilatérale du garçon. Son père, à sa convenance va rendre visite aux parents de la fille.

98 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

99 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

a- L'information

Au cours de cette visite, l'objectif du père du garçon est d'informer les parents de la fille directement. Dans la société antemoro, dès qu'il y a un visiteur, les enfants et la femme, sortent de la maison. C'est la coutume. A ce moment là, il n'y aura que les pères des deux futurs époux qui sont présents dans la maison, et ils conversent librement.

« Je viens vous voir , dit-il car mon fils désire votre fille » 100. Une telle annonce ne manque pas de surprendre un père de famille. Et les échanges de discussion permettent aux deux individus de se connaître. Le visiteur essaie d'expliquer son origine en mettant en valeur les mérites de ses ancêtres et de sa famille. Quand les interlocuteurs se sont échangés suffisamment de renseignements, le visiteur prend congé. C'est à ce moment là que le père de la fille revient sur l'objet de la visite en disant : « Cela, est vrai, (votre fils désire ma fille) mais c'est la première fois que vous êtes venus sous mon toit. Revenez si vous avez un autre moment101 Le visiteur rentre chez lui avec la promesse d'avoir la réponse de la famille de la fille.

b-Le défi et la séduction

Le père de la fille parle du projet à sa femme qui peut à son tour prendre la précaution de demander l'avis de sa famille. Cette dernière ne peut que se réjouir de la nouvelle. Les enfants , y compris la fille concernée ne doivent pas être mis au courant des affaires des grandes personnes.

Tandis que le doute persiste chez le père de la fille qui n'a pas encore vu la « tête » du garçon à qui il va donner sa fille, celui ci surgit.

ABINAL rapporte que « quand l'Antaimorona, voulait obtenir le consentement du père de la femme qu'il désirait, il allait, armé d'un bouclier,

100 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

101 ABINAL et de LAVAISSIERE, Vingt ans à Madagascar, 1885, p.179.

frapper au commencement de la nuit, à la porte de son futur beau-père ; celui ci lui décrochait un coup de lance et, si le coup était adroitement paré avec le bouclier, il était bien rare que la demande ne fut agréé. » 102

Ayant déjà des renseignements sur la famille du garçon, le père de la fille connaît enfin son prétendant. Cette épreuve lui a permis de se fixer les idées sur la réponse qu'il va donner au père du garçon. De son côté, le garçon peut abandonner son projet s'il ne s'estime pas satisfait de sa prestation. Il aurait pu s'enfuir, devant son beau parent armé d'une lance. Ne pas pouvoir parer adroitement la lance avec le bouclier est une autre éventualité poussant le garçon à abandonner, ou à dire à son père de retarder la prochaine visite chez les parents de la fille.

2-La deuxième visite

Quelque soit le résultat de la prestation de son fils, le père du garçon effectue une seconde visite pour obtenir la réponse à la question posée lors de la première rencontre.

a- La réponse

Il est de coutume chez les Antemoro de faire entrer le visiteur dans la maison avant de le saluer. C'est au visiteur lui même de dire l'objet de sa présence. Le père du garçon prend la parole et dit : « je reviens demander la réponse à la question que je vous avais posé concernant le désir de mon fils. »103

Le père de la fille est en effet tenu de se prononcer au cours de cette deuxième visite. Il a d'ailleurs le pouvoir souverain sur la position qu'il va prendre en tant que père de la fille donc en tant que personne qui détient l'autorité sur la fille. En fait cette autorité, il ne la possède pas

102 ABINAL et de LAVAISSIERE, Vingt ans à Madagascar, 1885, p.179.

exclusivement, mais elle est partagée avec sa femme, mère de la fille et sa famille. Le père ne fait que représenter toutes ces entités.

La société n'autorisant plus le rapt, la réponse négative de sa part n'est pas négociable. Le projet du garçon ne risque pas de voir le jour. S'il est d'accord, il dit : « Ma femme et moi, ainsi que ma famille avons pris la décision de vous offrir notre fille».104

Il ne faut pas se leurrer. Cet accord porte seulement sur le projet du garçon. Il implique l'ouverture de l'établissement du consensus entre les deux familles.

DESCHAMPS disait que « jadis les fiançailles étaient décidées par les deux familles, après qu'on eût étudié avec l'aide de l'ombiasa les destins des futurs conjoints et leur degré de parenté » 105

Les deux familles prennent cependant l'affaire en main. Ils analysent la faisabilité du projet. Ils vont chez l'ombiasa (le magicien) capable d'interpréter le « vintana » ou destin de chacun des futurs conjoints.

La décision des deux parents dépend de l'oracle. Si l'ombiasa est d'accord, les deux parents négocient la compensation matrimoniale.

b- La confirmation de la réponse

Les parents étant d'accord sur le projet du garçon, les fiançailles sont conclues. « Les fiançailles forcées étaient employées en vue de l'émancipation (...). Il y avait aussi d'autres buts qui subsistent plus ou moins aujourd'hui : il ne fallait pas morceler l'héritage des ancêtres, il fallait augmenter le personnel de la famille de préférence à celui d'une famille étrangère. » 106

103 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

104 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.

105 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.61.

106 MESSELIERE, Du mariage en Droit malgache,1932, p. 135

Les intérêts mis en cause sont cependant vitaux. Pour renforcer l'accord, les deux parents vont chez le Loholona.

Le Loholona est le chef du Fatrange107 qui « détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale ».108 Le fait même de porter à la connaissance du Loholona le projet de fiançailles suffit pour les deux parents de le rendre irrévocable. Et comme c'est le père qui détient l'autorité sur la fille qui n'est pas encore mariée, elle est liée aussi par l'accord.

c- L'annonce à la fille

Le père a le droit de contrainte matrimoniale sur ses enfants. Il peut décider pour son enfant non marié à la place de celui-ci, s'il l'estime nécessaire pour son bien. Et les enfants de bas âge ne sont pas expérimentés et commettent des erreurs quand leurs parents leur laissent la liberté de choisir leurs conjoints. C'est pourquoi, ce sont les parents eux- mêmes qui décident pour eux. Le consentement de la fille en particulier n'est pas nécessaire pour que les fiançailles soient conclues. C'est seulement lorsque l'accord devient irrévocable que la nouvelle lui est annoncée. Elle ne peut refuser sous peine d'insubordination qui peut être sanctionné par le rejet de la famille.

§ 2 : LES FIANCAILLES

Nous avons vu que les parents des deux futurs fiancés vont chez le Loholona pour que celui-ci témoigne de l'existence de l'accord selon lequel ils vont fiancer leurs enfants. Cet accord rappelons-le porte sur le projet initié par le garçon qui a envoyé son père demander en fiançailles la fille qui l'intéresse. Les fiançailles Antemoro sont le prélude au mariage.

107 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.54 : il dit « que la véritable cellule de la société Antemoro est le Fatrange, terme que l'on peut traduire exactement par famille étendue »

Ceci étant, nous allons voir quels sont les effets des fiançailles. Le problème de la compensation matrimoniale sera en effet abordé après celui- ci.

A- Les effets des fiançailles

1- Les effets normaux

Les fiançailles produisent des effets sur le garçon et sur la fille. Dans le développement qui va suivre, ce sont surtout les effets sur la fille qui vont nous intéresser.

Que la demande soit faite par le garçon lui-même ou par l'intermédiaire de son père, dès que l'accord des parents de la jeune fille est obtenu, personne d'autre ne peut convoiter la même fille. Elle est réservée à son fiancé. Quel que soit son âge, la fille Antemoro est toujours sous l'autorité paternelle avant qu'elle ne soit mariée. Cette autorité est transmise temporairement entre les mains des parents du garçon dès que les fiançailles ont été conclues. Le transfert se matérialise par le déménagement de la fillette chez ses beaux-parents, qu'il ne faut pas confondre avec le déménagement vers son mari qu'on aura l'occasion de voir plus tard. « La fillette pas encore nubile, était envoyée (à partir du moment où les deux familles ont décidées les fiançailles) chez ses futurs beaux-parents, où elle pouvait demeurer presque en permanence pendant plusieurs années ». 109

Précisons néanmoins que l'institution de misonjo est une procédure par laquelle le garçon lui-même fait la demande à la mère de la fille et celle-ci à son mari, n'implique pas immédiatement le transfert de la fille vers ses beaux-parents. Il faut que les parents du garçon s'accordent avec ceux de la fille.

108 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.54.

109 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.

« A l'approche du temps du mariage, vers 18 ans pour la fille, 20 ans à 25 ans pour le garçon, la jeune fille repartait dans sa famille, où sa mère lui enseignait les règles de la vie conjugale. » 110

L'autorité transmise temporairement entre les mains de ses futurs beaux-parents retourne chez son père. On peut dire que la fille réintègre le domicile parental, avant d'entrer en ménage. A part l'enseignement des règles de la vie conjugale, la fille prépare pendant cette période son trousseau. Ce dernier « consiste essentiellement en un grand nombre d'oreillers et de coussins brodés. Des nattes d'espèces et d'utilisations diverses... » 111

« Le manuscrit A-9 d'Oslo (...) nous parle de ce que doivent préparer les jeunes filles avant de se marier. » 112 Il dénombre six nattes, six rouleaux de nattes et une glace.

La fille ne s'ennuie donc pas pendant qu'elle retourne chez ses parents. La famille du garçon peut l'aider à acquérir les autres ustensiles nécessaires pour le nouveau ménage. Quoi qu'il en soit, c'est la fiancée qui a l'obligation de se procurer des tout le matériel nécessaire. Par contre, le fiancé bâtit la maison et le tranoambo (ou grenier). Il défriche aussi les terres qu'il cultive avant que sa femme ne le rejoigne.

Nous avons vu jusque là les effets que produisent normalement les fiançailles. Que se passe-t-il si les fiançailles sont rompues ?

110 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.

111 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.

112 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.256, (Et elle tresse six nattes (...) et six rouleaux de nattes et son père achètera une glace.)

2- Les effets en cas de rupture

Les fiançailles chez les Antemoro produisent des effets de droit. Les parents des futurs et ces derniers eux-même y sont liés. Soulignons que la fille concernée n'a pas son mot à dire dans la conclusion de l'acte. La rupture venant d'elle produit exactement la même responsabilité que si la rupture venait du fiancé. Ce dernier est pourtant l'initiateur, tandis que la fille a simplement été forcée. Le désistement de l'un des fiancés le rend fautif. Et la coutume Antemoro autorise le parent mécontent de l'agissement de son enfant de le rejeter hors de la famille.

Ce rejet a une double conséquence : pécuniaire et morale. Une des conséquences morales du rejet de la famille consiste dans l'exclusion du culte des ancêtres et du droit à être enterré dans le kibori113. Le rejeté devait, du reste, d'après la coutume, quitter la terre des ancêtres pour n'y plus reparaître. Nous comprenons à travers la rigueur de cette coutume que dans le pays Antemoro « l'organisation sociale et familiale est très forte » 114.

Une autre conséquence qui, cette fois, d'ordre pécuniaire, est imputable au rejeté. Il ne peut plus vivre de réserves familiales, tel que les boeufs et rizières, et il perd tout droit d'hériter des membres des membres de sa famille.

Par cette description brève, MESSELIERE115 a mis l'accent sur les effets de la rupture des fiançailles.

Si la rupture ne venait pas des futures mais par exemple du père de la fiancée qui refuse à consentir au mariage, le cadeau qu'il a reçu doit être restitué.

113 DESCHAMPS, dans « Les Malgaches du Sud-Est », p.51, rapporte que le kibori (dérivé de l'arabe qabr, pl. qoubour) désigne le tombeau collectif des Antemoro.

114 OLIVIER, Six ans de politique sociale à Madagascar, p.1 5.

115 MESSELIERE, Du Mariage en droit malgache, p.137.

Tels peuvent être les effets des fiançailles qui aboutissent normalement au mariage. Mais avant l'étape finale de la formation du mariage, les parents des futures époux doivent se mettre d'accord sur la dot qui sera reçu lors de la cérémonie. C'est donc pendant la période des fiançailles qu'ont lieu les négociations.

B- La dot et les cadeaux

1- La dot

Nous avons remarqué que les fiançailles peuvent durer longtemps. D'autant plus que ce sont les jeunes filles pas encore nubiles qui en sont sujets. Il faut qu'elles atteignent l'âge de se marier pour entrer en ménage. De la sorte, les parents des futurs époux sont préoccupés par la nature et la consistance de la dot.

En effet, la famille de la fille ne cesse de l'entretenir depuis sa naissance jusqu'à ce qu'elle soit mariée. Tant que l'autorité sur elle reste entre les mains de son père, ses parents sont responsables de sa vie. Beaucoup d'efforts sont cependant déployés avant que l'enfant n'atteigne l'âge de se marier.

Cette période arrive tôt ou tard. Les enfants cherchent des partenaires pour fonder à leur tour un ménage. En l'occurrence, la fille sera arrachée d'une famille pour s'intégrer dans une autre qui est celle de son mari. Le groupe social d'où est issue la fiancée voit se réduire le nombre de ses membres, alors que celui du fiancé va augmenter.

C'est là qu'intervient le problème de la dot. Elle va permettre de rétablir cet équilibre qui sera rompu dès que le mariage sera consommé. Les parents d'un côté souhaitent que leur fille se marie. De l'autre côté, ils ne veulent pas s'en séparer. Mais la séparation est inévitable quand il y a

mariage. Les négociations ont cependant lieu entre la famille (( preneuse » et la famille (( donneuse » qui peut exiger un prix excessif. La dot par conséquent constitue une compensation que les parents du garçon doivent verser à celle de la fille.

Cependant, elle peut être objet d'abus de la part de la famille (( donneuse ». Chez les Antemoro, un zébu est offert d'habitude pour constituer la dot. Ce zébu sera restitué lorsque les époux se séparent ultérieurement. Il n'est cependant pas question de vendre la fille dans la mesure où elle retourne sous l'autorité de ses parents lorsqu'elle se sépare de son mari. La dot peut faire l'objet d'abus. Mais cela ne la transforme nullement en un prix de vente.

Le but principal de la dot, à côté de cet aspect compensatoire, est la légitimation des enfants nés du mariage. Les familles Antemoro ne reconnaissent pas les enfants nés hors mariage. Sans dot, les enfants ne sont pas légitimes.

La légitimité octroie pourtant aux enfants Antemoro des intérêts à la fois moraux et pécuniaires. Et cette légitimité est faite par les parents qui consentent à l'union. Les autres membres de la société ne sont que solidaires de la décision des parents des futurs époux. Si les parents ne consentent pas au mariage alors que des enfants sont nés plus tard, ils n'auront pas leur place dans le kibory ou tombeau. Ils en seront exclus. Et même s'ils veulent se marier, le Loholona du fatrange de ses parents ne pourra pas bénir leur union. Les enfants seront en un mot condamnés à être exclus du fatrange.

Pécuniairement, cette exclusion se traduit par l'interdiction à ces enfants illégitimes de toucher aux héritages des ancêtres tels que les rizières et autres.

Bref, les deux familles ont vraiment intérêt à se mettre d'accord sur la nature et la consistance de la dot. L'avenir de leur progéniture dans la tribu en dépend.

Les Antemoro attachent de l'importance à la virginité des filles pour que les parents aient droit à la dot. La chasteté des femmes Antemoro n'a pas manqué d'attirer l'attention des européens venus dans la région de la vallée du fleuve Matitanana. Un auteur a même affirmé que « les moeurs sont moins relâchés chez les Antaimorona que chez les autres tribus de l'Est »1 16.

« La chasteté des jeunes filles est très surveillée (chez les Temoro), au contraire de ce qu'était la coutume malgache ancestrale dans la plupart des autres régions. » 117

Nous pouvons déduire que la virginité de la fille conditionne la remise de la dot.

2-Les cadeaux

Les parents reçoivent à chaque étape de la constitution du mariage des cadeaux de la part du futur conjoint. La future épouse a droit aussi à exiger un cadeau qu'on appelle « fifanarahan' ny mpivady » (cadeau consensuel des deux époux). Les frères et soeurs de la future épouse eux-aussi doivent recevoir le « Takomaso », cadeau qui leur écarte toute envie d'empêcher la consommation du mariage.

116 FERRAND, Tribus musulmanes du Sud-Est de Madagascar, 1903.

117 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.56.

SECTION 2 : LES EMPECHEMENTS ET LE RITUEL DU MARIAGE

§1 : LES EMPECHEMENTS AU MARIAGE

Dans le royaume Antemoro existent plusieurs clans où des règles bien établies régissent le mariage. En l'occurrence, l'union de deux individus peut faire l'objet d'empêchements. Certains résultent de liens de parenté ou d'alliance, d'autres sont d'ordre social.

A- Les empêchements résultant des liens de parenté ou d'alliance

« Les empêchements à mariage résultant de certains liens de parenté ou d'alliance ne sont, à Madagascar, qu'un aspect d'un problème plus vaste, celui du fady, ou interdits» disait MESSELIERE118.

1- Les règles

Ces règles sont contenues dans les manuscrits JENSENIUS, pages 11, 22 et suivant traduits par MUNTHE119.

Reproduisons la traduction de quelques passages du manuscrit.

L'intitulé de la partie que nous intéresse est le suivant :« Déclaration sur les personnes admises à se marier entre elles. »

En voici les règles :

-Les arrières-petits-fils et petites filles (de la troisième génération) peuvent se marier entre eux à condition qu'ils soient descendants d'un frère et d'une soeur.

-Les arrières-petits-fils et petites filles, enfants de deux frères, ne peuvent se marier entre eux.

118 MES SELIERE, Du mariage en Droit Malgache, 1932, p.45.

119 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.253.

-La femme du père peut être héritée (par un membre de la famille).

-La femme d'un frère peut (en cas de décès du frère) passer à un autre

frère.

-Il est formellement interdit à un gendre de proposer à la femme de son beau-père de coucher avec elle.

-Le beau-père ne le propose pas à la femme de son gendre.

-Un gendre ne doit pas coucher avec sa belle-mère.

-La femme répudiée par un frère qui a épousé une autre femme peut être demandée par un autre frère.

-Si quelqu'un cherche à coucher avec la femme de son beau-père, il sera condamné à offrir un grand boeuf découpé, à son beau-père.

-Si quelqu'un propose à la femme de son gendre (de coucher avec elle), il lui faut, comme punition, offrir un grand boeuf à son gendre.

-Si quelqu'un cherche à coucher avec la femme de son oncle, il sera puni de « fafy », don d'un grand boeuf.

-Si quelqu'un propose à sa cousine (de coucher avec elle), comme punition, il doit payer deux boeufs... »

Tels sont quelques règles qui n'ont pas manqué de susciter quelques commentaires du traducteur.

2- Explication

MUNTHE avançait les propos suivants :

« -Les tabous et les règles qu'on trouve empêchant le mariage entre personne liée en ligne directe et proche s'harmonisent - et les Antaimoro s'en rendent compte- avec les lois du DE UTER.2 7, 20 et suivant. »120

Il rajoute que « l'union sexuelle des frères et soeurs, entre zanany d'un couple, est impossible et rigoureusement défendue chez les Antaimoro. »121

120 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.

121 MUNTHE, idem.

Ce passage soutien notre attention dans la mesure où d'autre auteur affirme le contraire en disant que « chez les Antambahoaka et chez les Antaimorona, les mariages entre frères et soeurs germains, c'est-à-dire de même père et de même mère, sont fréquents. Il est de tradition populaire dans ces populations que ces unions conduisent à la fortune » 122 disait FERRAND. Mais MUNTHE, en donnant cette explication, se base sur des textes écrits. Nous espérons que notre petite remarque sur ce point pourra éviter la reproduction de pareille confusion.

Le traducteur continue son explication en disant que :

-Les Antaimoro « n'acceptent pas non plus le mariage de la deuxième génération entre les petits enfants d'un couple, appelés ny zafy. Ceux qui se marient contre la volonté des ancêtres sont considérés « mpanota-fady (violateur d'un tabou) et condamnés à payer au moins trois boeufs. »123

- « Quant à la troisième génération, ny zafiafy (les arrière-petits-fils et petites filles) le mariage est toléré, mais exige toujours l'offre d'un ou deux boeufs et aussi l'accord des deux familles concernées. »

Les enfants de la quatrième génération appelés ny zafindohalika sont admis à se marier entre eux à condition qu'ils fournissent ny fafimpanambadiana (l'offre consolatrice) pour les deux familles. »

Les enfants de la cinquième génération appelés zafim-paladia peuvent se marier entre eux. Le fafim-panambadiana n'est pas exigé car il ne reste plus beaucoup de relations familiales entre eux. »

La sixième génération qui s'appelle kitro (petit orteil du pied) peut se marier librement entre elle. » 124

MUNTHE fait remarquer l'amusante et démonstrative manière de classer les générations en leur donnant les noms des membres du corps humain en descendant du genou aux pieds jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de sang commun.

122 FERRAND, Les Musulmans à Madagascar, 1893, fascicule II, p.20. Propos reporté par MES SELIERE, Du mariage en Droit malgache, 1932, p.50

123 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.

124 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.

Bref, sont considérés comme fady le mariage en ligne directe, entre ascendants et descendants et alliés dans la même lignée. Il en est de même pour le mariage en ligne collatérale entre frères et soeurs, entre oncle et nièce, entre tante et neveu, entre enfants issus de deux soeurs au premier et second degré.

Telles sont donc les règles qu'il faut observer par les futurs époux et que le loholona est censé savoir avant qu'il célèbre le mariage. La présence des futurs époux dans l'un des cas cités plus haut constitue un obstacle, parfois insurmontable au mariage, si le degré de parenté est trop proche. Le loholoma ne peut pas le célébrer. Qu'en est-il de l'empêchement d'ordre social ?

B- Les empêchements résultants du régime de castes, ce sont les empêchements d'ordre social.

Des fady ou interdits assurent l'ordre social Antemoro -qui ne se marie pas avec n'importe qui. Les Antemoro se marient entre Antemoro. L'endogamie existe. « Il n'y a pas à Madagascar d'autres peuplades où les mésalliances soient si sévèrement prohibées, où l'on s'efforce de maintenir aussi intacte la division des tribus et des castes et de les préserver de tout mélange et de toute contamination : très peu de femmes violent la loi. » 125

« Il existe cependant une certaine exogamie chez les Antaimorona, disait JULIEN, l'usage est en effet d'aller chercher d'alliance non dans les familles d'un même kibory, mais dans celle d'un kibory étranger. Agir autrement serait mal vu de tous et réprimé à l'égal de l'inceste. » 126

Comment est divisée la société Antemoro ? Telle est la question que nous posons.

125 SHAW, The arab element in South Madagascar (in Antananarivo annmal, 1894,p.208-209)

126 JULIEN, Histoire de Tatsimo

1- Les castes Antemoro

Le premier zélateur de l'islam en l'occurrence Ramakararube est arrivé dans la région de la Matatana en l'an 542 de l'ère mohamétane.127 Il n'est pas venu seul. Ramalitavaratra l'astronome et Ranaha, son ministre, l'a accompagné avec des cafres qu'ils ont amenés. Des autochtones vivaient déjà dans la région à l'époque. Ramakararobe a engendré Ramaroala qui a constitué le caste Anteony.

Ramalitavaratra et Ranaha, les compagnons de Ramakararobe ont constitué le caste Antalaotra.

Les cafres qu'ils ont amenés sont les Ampanabaka.

Les autochtones sont essentiellement les Onjatsy.

Sans entrer dans les détails, précisons que les castes nobles sont les Anteony et les Antalaotra. Les roturiers sont les Onjatsy avant les Ampanabaka et les autochtones. Puis des Andevo ou Velombazaha (des Kafirs) amenés par les immigrants arabes constituent un autre caste. « Tout au bas de l'échelle sociale Temoro se trouvent les Antevolo, véritable « intouchables », que rien dans leur aspect ne distingue des autres Temoro. »128

Telle a été la division des castes dans le Royaume Antemoro.

Quelle est la loi du Royaume en matière de mariage ? 3- La loi du mariage

Il n'y a pas à proprement parler de loi unique en matière de mariage pour toutes les castes. Chacun définit ses propres lois. Ces lois peuvent varier à leur tour selon les sous-clans. Chez les Anakara, sous-clan noble

127 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris, 1929, p.1 0.

128 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.48.

Antalaotra, « le mariage est endogame par rapport au clan, exogame entre lignée et quartiers.» 129

Mais pour les Antalaotra en général, « La cohésion du clan est particulièrement solide : l'endogamie est, de nos jours encore, extrêmement stricte parmi eux. » 130. Ce qui leur a permis de perpétrer l'usage de la langue arabe, disait DESCHAMPS.

Par contre, « l'usage de l'arabe se perdit plus vite chez les Anteony, poussés par les exigences de la royauté à une exogamie masculine, donc à l'adoption rapide de la langue locale » 131.

Les Onjatsy sont plutôt endogames. Pour montrer cette endogamie, DESCHAMPS rappelle que la mère de Ramarohala, le grand ancêtre Anteony, était Onjatsy.

4- Les sanctions.

« Une femme Anteony ou Antalaotra ayant couché avec un homme d'une autre tribu ou avec un esclave, sera condamné à mort par noyade. De gros blocs de pierres devront être attachés au milieu de son corps et elle devra être jetée dans l'eau pour périr. » 132 L'exogamie de classe est strictement interdite.

Un homme Ampanabaka ne peut pas donc épouser une fille noble Antoeny, elle sera « considérée comme n'ayant pas existé » 133 c'est-à-dire rejeté du clan.

129 FAUBLEE, Notes sur quelques points de droit coutumier du Sud de Madagascar, in POIRIER, Etudes de Droit Africain et de Droit Malgache, p.37.

130 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.43.

131 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.41.

132MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.257 133 ROUHETTE, L 'organistion politique et sociale du Royaume Antemoro, p.11 3.

On se rend compte que l'exogamie, pour la femme noble qui épouse un homme de même catégorie sociale que la sienne, n'échappe pas à des sanctions, même si elles sont allégées. La condamnation à mort est plus sévère que le rejet. Et la fille rejetée sera exclue du kibory ou tombeau familial. Quand il y a une réjouissance dans sa famille d'origine, « elle participe aux servitudes mais est exclue pour chaque part d'honneur. »134

Bref, l'endogamie de classe est chère aux Antemoro.

§ 2 : LE RITUEL DU MARIAGE

Le rituel du mariage Antemoro se déroule comme suit : le fiancé envoie des émissaires prendre la fille chez ses parents pour la ramener chez lui. Au bout d'une semaine, il est obligé de ramener la fille à ses parents avant qu'elle déménage véritablement vers le nouveau foyer.

A- L'envoi des émissaires

La fiancée ayant déjà préparé minutieusement le trousseau qu'elle va utiliser dans le nouveau foyer, son futur époux à une date qu'il a fixé avec l'aide de l'ombiasa, envoie des émissaires pour la prendre. Personne en dehors de la famille restreinte n'est au courant de l'arrivée de émissaires. Ils apportent deux coqs et cinq mesures de riz pour participer au repas de midi. La mère de la fille reçoit ces présents et les prépare aussitôt pour le repas.

Ces émissaires, composés par les parents du garçon et quelques chefs de familles ont pour mission de ramener la fille le jour même au domicile du garçon.

Si les parents sont d'accord pour donner leur fille, les émissaires leur offrent le « hamaky volana », un cadeau indispensable versé après le consentement des parents de la fiancée ; il comprend du riz, une volaille,

134 ROUHETTE, op. cit., p.113

deux bouteilles de rhum indigène (toaka), dont l'objet est d'annoncer la décision des fiancées d'entrer en ménage. Ce n'est pas la diafotaka - ou la dot. Mais la famille de la fille, acceptant qu'elle parte avec les émissaires, rassemble un petit groupe de compagnes. Deux ou trois femmes proches des parents de la fille composent ce groupe renforcé par la présence d'une « viavy be » le plus souvent la tante ou sa grand-mère maternelle ou paternelle. Sa propre mère ne peut pas y aller, à moins qu'il n'y a absolument personne d'autre pour le faire.

Précisons que le fiancé n'est pas membre de la délégation qui prend la fille. Il se contente d'attendre sa fiancée et le retour des émissaires chez lui. Un repas qu'avait préparé par ses parents les attend.

La fille reste chez son futur époux pendant une semaine seulement. Durant cette période, il ne dort pas avec elle. Il s'isole dans un autre lit, sa fiancée partage le même lit que sa soeur. C'est-à-dire que les deux belles- soeurs dorment ensemble pendant la première semaine de vie dans le nouveau foyer. Et les compagnes de la fiancée restent avec elle pour veiller à la bonne marche du nouveau ménage.

Dans la maison conjugale, tout le monde se fixe sur une place bien déterminée. La fiancée occupe le côté proche de la porte, tandis que les compagnes accaparent le milieu de la maison. Si ceux-ci repartent avant la durée d'une semaine, seule sa belle-mère peut occuper leur place. C'est la coutume. L'ordre règne cependant dans le foyer lors du repas ou des discussions.

La consommation clandestine du mariage rappelle la fuite des deux futurs lors du mariage par rapt. Mais cette fois-ci, ce sont les émissaires du garçon qui prennent la fille avec l'autorisation de ses parents.

Cet accord, avons-nous vu, est conditionné par la présence des compagnes de la fille dans le nouveau foyer pendant les premiers jours de

son arrivée. Et la présence permanente de la belle soeur à côté de la fille, évite à son fiancé de la toucher.

La virginité de la fille est donc préservée avant qu'elle ne déménage définitivement pour rejoindre son nouveau foyer. Et pendant cette durée d'une semaine, elle peut changer d'avis, en reportant la date de son déménagement, par exemple.

B- Le mialo

Après une semaine de vie collective dans le nouveau foyer, le fiancé doit ramener la fille devant ses parents. Le mialo rappelle le mariage par rapt, « dans lequel il convenait de venir implorer le pardon des parents pour s'être passé de leur consentement » 135 C'est seulement à cette occasion que le fiancé manifeste sa présence devant toute la famille réunie. Il est accompagné par ses parents et par des chefs de familles.

La cérémonie solennelle a lieu dans le Fatrange qui est « à la fois le groupe familial lui-même, le patrimoine ancestral, le chef de famille, la maison qu'il habite et l'espace dégagé près de celui-ci où toute la communauté se réunit en cas de discussion ou de fête. » 136

L'objet du mialo est essentiellement d'officialiser le mariage. « Le chef de fatrange, souvent appelé lohatrano, détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale : un mariage ne peut se faire sans son accord... et dans la maison qu'il habite, la trano-be » 137, qui est une institution organe.

Le lohatrano de la femme et celui de l'homme sont présents à cette cérémonie ainsi que leur parents et familles respectives.

135 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.68.

136 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.

137 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.

A l'occasion du mialo les beaux-parents reçoivent pour la troisième fois des cadeaux de la part du fiancé. Un coq et vingt mesures de riz sont apportés par la délégation du garçon.

C'est le plus âgé d'entre eux qui prend la parole devant toute l'assistance.

« On est venu Ranandria pour ramener votre enfant » (le fiancé cite le nom de la fille) ; et l'orateur poursuit : « Mais un coq s'échange contre une poule. Donc voici le coq pour vous et la fille est à nous. Tenez le coq aux longs ergots et du riz blanchi conformément aux coutumes » 138

De l'autre côté, le plus âgé des parents de la fille répond : « Merci Ranand ria, vos dires sont vraies et elle nous appartient (le gendre cite le nom de la fille), et on ne regrette pas de vous l'offrir »139

Entre temps, le coq est sacrifié par le Loholana, qui détient le sombily ou le privilège des sacrifices, à la porte du tranobe. « Le sang est recueilli dans un récipient. Il est mélangé avec de l'eau provenant de la Matatanana »140, et d'une pièce d'argent y est déposée.

Assis côte à côte, les deux époux sont aspergés trois fois chacun avec un rameau de songolovolo (une plante) trempé dans le mélange. C'est le Lebenakibory ou le Loholona qui le fait tout en prononçant des paroles de bénédiction, un verset du Coran, et leur souhaite d'engendrer des enfants mâles (ho lahy anake), d'avoir des vaches fécondes (ho vavy terak'om by) et des plantations productives.

Après cela, on remet la dot aux parents de la fille. Si elle consiste en des objets précieux, ceux-ci l'obtiennent le jour de la cérémonie. Si la dot

138 ROMBAKA, Traduction libre d'un passage du livre « Fombandrazana Antemoro »

139 ROMBAKA, op. Cité.

140 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.61.

consiste en tête de bétail, l'animal ne sera remis qu'au jour non souhaité de divorce. La famille du garçon se contente par conséquent d'annoncer devant toute l'assistance que la dot est un zébu, par exemple.

La cérémonie se termine par cette remise, le mariage est enfin sacralisé.

Pour la société, l'accord du Loholona suffit à la conclusion du mariage. Les deux familles peuvent aller ultérieurement à la Mosquée 141 pour une autre bénédiction. Nous remarquons par là le syncrétisme Antemoro en matière religieuse.

Après la cérémonie, le repas du midi est servi chez les parents de la fille. Souvent, un zébu est tué pour nourrir les invités. Tout le village est présent, la fête dure toute la journée. La consommation d'alcool est interdite lors d'événements pareils.

Même si la nuit est tombée, ou si le temps se gâte, les nouveaux époux et les compagnons de l'homme doivent rentrer. La femme peut ne pas ramener dans le nouveau foyer, son trousseau au jour du mariage. Elle dispose de longue période pouvant aller jusqu'à une année pour le faire. Mais souvent, elle transporte ses matériels le même jour et rejoint son mari qui est parti avant elle et qui l'attend dans son nouveau foyer.

On parle de « raikibao », jour où la fille quitte le domicile de ses parents pour rejoindre celui de son mari. C'est la manifestation du transfert de l'autorité sur la femme, détenu par son père, à son mari.

Le mialo ayant permis à la fiancée de retourner chez ses parents, elle pouvait en profiter pour renoncer au mariage. Puisque le mariage a eu lieu, « la femme qui a réintégré le domicile paternel, s'en va chez son mari

141 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.21 7, rapporte que les immigrants arabes, dès leur arrivée, avaient déjà leur mosquée.

escortée de parents et d'amis qui portent son mobilier, soit vingt ou trente... nattes pour tapisser le plancher et les murs de la nouvelle demeure, un lot de nattes fines pour dormir, quatre à cinq paniers de riz pilé, un coq, une calebasse de graisse, une cuillère à pot, un gobelet pour puiser l'eau dans la jarre et un van en bois. » 142

Le déménagement se fait en grande pompe. La jeune fille porte sa plus belle robe et ses bijoux. Elle transporte elle-même certains ustensiles, comme le couteau de cuisine pour que les passants sachent qu'elle est la nouvelle mariée (Raiki-bao). Les jeunes filles et les enfants l'aident à transporter les autres matériels.

Arrivés devant le domicile de l'époux, les membres du cortège font trois fois le tour de la maison, puis s'arrêtent. « La femme salue son mari, dont les amis, jusqu'alors présents dans la maison, sortent ; les amis de la femme entrent à leur tour et aident alors la femme à mettre tout en ordre » 143 de façon « que chacun puisse admirer la riche collection de coussins brodés, orgueil de la jeune épousée qui y travaillait depuis plusieurs années » 144. Un grand repas préparé par la famille de l'homme les attend.

Nous avons vu dans ce premier chapitre comment se formait le mariage dans le Royaume Antemoro. Dans le chapitre qui va suivre, il s'agit d'analyser quels sont ses effets et comment se rompt le mariage à cette époque islamique.

142 RENEL, La coutume des ancêtres, 1913.

143 MES SELIERE, Du mariage en Droit malgache, p.1 82.

144 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.

CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU

LIEN MATRIMONIAL

SECTION I : LES EFFETS DU LIEN MATRIMONIAL SUR LES EPOUX

Le mariage arrangé, s'il est consommé, produit des effets juridiques entre les deux époux.

Les conséquences diffèrent selon que l'époux considéré soit le mari, soit la femme . Nous allons voir que le droit « antemono » donne plus d'avantage à l'homme, ce qui est tout à fait compréhensible si l'on tient compte de l'avis de certains auteurs.

MESSELIERE145 disait : « l'égalité existant entre les hommes et les femmes entraîne certaines conséquences : c'est ainsi que la fille hérite au même titre et en même proportions de ses parents que le fils, et qu'avant son mariage, elle est presque partout maîtresse de son corps ; elle en a , comme l'a dit BERTHIER, en terme spirituels, le jus utendi et abutendi ».146 Ce qui ne cadre pas du tout à l'idéologie du Coran, donc aux moeurs Antemoro.

§1- LES EFFETS DU MARIAGE SUR LE MARI

D'après le témoignage de FLACOURT XVIIè siècle, « Les grands ont une pluralité de femmes et jusqu'à 20 à 25, enfermées à part dans un enclos de grands pieux, comme un village fort (...) »147. Autrement dit, les Antemoro étaient polygames. D'autres auteurs plus tard affirment que « les Antaimorona (..) sont le plus souvent monogames148, mais ont des chefs

145 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.240

146 BERTHIER, « La femme à Madagascar », (conférence faite à l'Ecole coloniale le 16 février 1911), cité par MESSELIERE.

147 FLACOURT, Histoire de la grande île de Madagascar, 1661, p. 18

148 R.P. de la VAISSIERE, Vingt ans à Madagascar, (d'après les notes du Père ABINAL), 1885, p.50

notoirement polygames149. Cependant , le droit à avoir plusieurs femmes n'exclut pas les hommes Antemoro à l'obligation de fidélité envers `leurs femmes' »

A) L'obligation de fidélité. et le devoir de cohabitation 1. L'obligation de fidélité

L'adultère commis par le mari n'est pas un principal motif de divorce. En effet, disait DAMA150 « le fait de prendre une seconde femme (vady-kely) n'est pas considéré comme adultère »

Par contre, MAYEURS affirme « qu'en pays d'Ancove, il suffirait d'être soupçonné de commerce illicite avec la femme d'un chef pour être sagayé »151

Nous remarquons par là que la sanction de l'adultère était plutôt d'ordre public chez l'homme. Elle entraîne la mort. Des sanctions plus légères étaient prévues. Martin rapporte que « le séducteur devait donner au mari le quart ou le tiers de ce que la femme avait coûté en dons et cadeaux à son mari, à moins qu'il ne préfère prendre un breuvage empoisonné » 152

Les sanctions pécuniaires pouvaient donc racheter l'adultère commis par l'homme.

A côté de ces deux sanctions pouvant entraîner la mort, une autre existe en matière de l'adultère, c'est le tsindrilafika. C'est pour une infraction à la loi matrimoniale antemoro qui consiste pour le mari à introduire chez lui une nouvelle épouse qui va utiliser la natte tissée des mains de sa première femme, même si cette dernière est répudiée ; MESSENIERE

149 JULIEN, Institutions politiques et sociales de Madagascar, 1908, p.46.

150 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, Vohipeno 1961, p. 5

151 Note citée par MESSENIERE, Du mariage en droit malgache, p. 212

152 MARTIN François, « Mémoire sur l'établissement des colonies françaises aux Indes orientales, 1668 », manuscrit Archives Nationales, T. 1169 et copie Bibliothèque GRANDdidier, p.327 ;

raconte : « Trompée, la femme convoque les femmes du clan et les avertit que `sa natte' a été outragée par une rivale ayant de ses pieds, foulés sa natte sortie de ses mains ». C'est là une offense grave, rajoute l'auteur, dans un pays où pourtant le rôle social de la femme est des plus réduits .

Le père de la femme, ses frères, ses proches parents, s'en jugent le plus souvent gravement offensés, et c'est à main armée, que, souvent, ils viennent demander des comptes au coupable. Les femmes du clan se rendent avec l'épouse de l'offensée chez son mari, elle le menacent de détruire et piller la maison où a été commis le tsindrilafika s'il ne se rachète pas en payant une forte amende en argent ou en tête de bétail à sa femme ; Démolition de la maison et amende sont désignés par le même mot : « tsitonga ».

Le mari préfère généralement payer l'amende qui va en majeure partie à l'épouse, le reste étant réparti entre les femmes qui l'ont accompagnée.153

Voilà ce que l'on peut dire sur l'obligation de fidélité du mari.

A côté de cela, il y a le devoir de cohabitation

2. Devoir de cohabitation

Nous avons vu l'institution du « mialo » au cour de laquelle la femme est conduite chez son mari. Celui-ci est donc tenu d'habiter avec elle. Le mari doit effectuer autant de cérémonie de mariage qu'il a de femme. Et « les polygames sont souvent préférées aux célibataires, sans doute parce que plus aisés » 154 dirait SHAW.

DUBOIS signale le même usage dans le Sud Est, en 1674 (Voyages aux îles dauphines, p. 115) note de MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.217

153 MES SELIERE disait que Thos Lord rapporte des faits analogues en 1892 dans ses `Jotting of a journey to the south east of Madagascar (in Antananarivo annual, n° XVI, p. 473) à propos des Zafizoro.

154 R.P. SHAW, in Antananarivo annal, 1894, p.207

Nous avons aussi vu le témoignage rapporté par FLACOURT selon lequel les femmes sont « enfermées à part dans un enclos de grand pieux, comme un village fort (...) »155

Nous pouvons en déduire que le mari apportait les mêmes attentions vis à vis de ses femmes. Il doit habiter avec elles.

Par ailleurs, TATAHAFA nous précise qu' « en coutume antemorona, il y a vadi-kely quand un homme a deux ou trois femmes, vivant ensemble sous le même toit conjugal ou dans des cases différentes, et que la polygamie a été contractée suivant les coutumes » 156.

Il peut donc y avoir une pluralité de domicile où vivent séparément les femmes, du polygame, mais celui-ci doit s'occuper d'elles, et habiter avec chacune d'elles. Il prend soin d'elles.

B) L'entretien de la femme, les sévices et les mauvais traitements 1. L'entretient de la femme.

« Ils ont pluralité de femmes, suivant les moyens qu'ils ont de les nourrir » disait FLACOURT157

On peut supposer par conséquent que l'homme antemoro ne prend pas d'épouses tant qu'il n'est pas à même de les entretenir. Le droit du mariage dans le royaume est ainsi réglementé. Bien que FLACOURT nous a témoigné que les Antemoro pouvaient avoir entre 20 et 25 femmes, cela n'empêche pas de les interdire à n'en avoir qu'une si l'on estime qu'il aurait des difficultés d'ordre économique.

155 FLACOURT, op. cit., p.18

156 TATAHAFA, Les coutumes juridiques Antemorona.

157 FLACOURT, op. cit.

Cependant, l'obligation d'entretien de la femme est limitée aux nourritures et au logement. Ce sont les femmes elles-mêmes qui s'équipent des accessoires qu'elles vont utiliser dans le foyer. Nous nous rappelons du trousseau que chaque fiancée doit préparer avant qu'elle n'intègre le domicile conjugal. En plus, il est fady (ou interdit) à l'homme de fournir à ses femmes des vêtements, sous peine de provoquer le mauvais-oeil de leur belle- mère et belles-soeurs qui ont autorité sur les femmes dans le ménage comme l'a signalé ROMBAKA158.

2. Sévices et mauvais traitements

La coutume qui date de l'époque autochtone persiste dans le royaume qui admet la présomption d'irresponsabilité du mari. A la suite du décès de la femme, la société antemoro suppose que son mari a « agi imprudemment sans doute, en commettant un `acte déterminant', mais par le fait même , on

l'excuse », disait MESSELIERE159.

Le mari a donc un droit, de correction sur chacune de ses femmes. Après tout, l'autorité sur elles lui a été transmise à partir du moment où leurs parents respectifs ont accepté de lui « donner leur fille ».

Voilà en gros ce que l'on peut dire sur les effets du mariage vis à vis du mari. Qu'en est-il du côté de la femme ?

158 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro

159 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 65

§2 : LES EFFETS DU MARIAGE SUR LA FEMME

A) DEVOIR DE COHABITATION ET DE FIDELITE

1. Devoir de cohabitation

TATAHAFA disait que « le mari peut contraindre sa femme à une existence nomade, qu'elle le suive là où il veut aller et ses droits sont illimités (...) » 160. En plus, nous avons vu l'institution du « mialo ». La femme mariée est obligée d'habiter chez son mari.

Le devoir de cohabitation s'accompagne du devoir de fidélité.

2. Devoir de fidélité

MESSELIERE rapporte que « Les chefs, peut-être parce que nombre d'entre eux sont descendants d'aventuriers arabes, seraient plus jaloux que leur sujets, d'après GRANDIDIER, et longtemps (...) chez les Antoimorona (Anteony, Arakara, Antetsimato) (...) les femmes étaient recluses et surveillées (...) » 161

Ce qui fait que la femme infidèle était, d'après SHAW, tuée. En effet, SHAW a étudié les moeurs Antaimorona . Il rapporte avoir vu, entre 1887 et 1889, deux suicides de femmes adultères prises en flagrant délit et même avoir assisté au sagayage d'une femme coupable à Tongainony .162

Mais des sanctions plus légères ont été appliquées quelquefois. La femme adultère était chassée non seulement de chez elle, mais aussi du village et du clan, par son mari et par le fokon'olona (ou communauté villageoise) , « et sa remplaçante est introduite, s'il y a lieu, chez celui qui sera son époux, avec les voeux de ses parents », et des considérations de ce genre :

160 TATAHAFA, Les coutumes juridiques Antemorona, ,1961, p.5

161 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 212

162 Note de MESSELIERE, op. cit., p.213

« vous avez agi envers notre fille ainsi que vous le deviez, mais en voici une autre qui prendra sa place et , nous l'espérons, se comportera mieux »163

Il existe aussi d'autres sanctions résultant de l'adultère de la femme comme le rapporte SHAW : « Jadis, était usitée, chez les Antaimorona, à titre d'ordalie, la traversée à la nage de la rivière infestée de caïmans après serment de fidélité ».164

Nous remarquons que le droit du mariage Antemoro est très rigoureux en matière de fidélité de la femme ; Pour le mari, l'infidélité de sa compagne constitue un motif principal de divorce.

L'épouse a aussi une autre obligation envers son mari.

B) L'OBLIGATION D'EGARDS PARTICULIERS POUR LE MARI

JULIEN a remarqué que chez les Tatsimo dont fait partie les Antemoro, la femme se doit d'avoir des égards particuliers pour son mari.

L'époux, objet de manquement à ce sujet est dit « haizimbady », expression qui équivaut à : « surpassé, éclipsé par sa femme ».

Le Tatsimo qui estime que sa femme ne l'honore pas suffisamment expose ses griefs aux hommes du clan qui s'érigent en tribunal et disent à l'épouse négligente : « Ton conjoint nous expose que tu ne l'entoures pas d'égards auxquels tu as droit Tu négliges `loharavina' et `tribonika' ; n'oublies pas que ce sont là pour toi des devoirs auxquels tu ne peux te soustraire ».

Le mari offensé peut ne point se contenter de cette réprimande et imposer le « tsitonga » à sa femme. On entraîne alors celle-ci près de la

163 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 213

164 SHAW, The arab element in the South East of Madagascar, in Antananarivo annal, 1894, p.206

rivière la plus proche, et chaque homme verse sur le dos de la femme le contenu d'un gros bambou servant de seau, soit sept à huit litres d'eau.

La femme doit, après cette humiliation, prononcer la prière : « Grâce, ô pères vénérés, je ne recommencerai plus », sinon elle est répudiée.165

SECTION 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL

Tandis qu'à l'époque archaïque, les femmes étaient rares ; depuis la fondation du Royaume, elles sont nombreuses. FLACOURT témoigne de l'importance de la population dans la vallée du fleuve Matitanana, qu'il décrit comme « la province qui est la meilleure, la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et aussi la plus peuplée. Les grands ont pluralité de femmes et jusqu'à 20 à 25, enfermées à part dans un enclos -de grands pieux, comme un village fort... »166 Les moeurs ont complètement changés dans le pays. Le mariage n'est plus considéré comme durable. Des possibilités de ruptures éventuelles sont envisagées. A part le décès de l'un des époux, le divorce est possible, de même que la répudiation.

§ 1 : LE DECES ET LE DIVORCE

A- LE DECES

Le décès constitue une cause involontaire de la rupture du lien matrimonial. Mais la société Antemoro donne plus de l'importance aux hommes qu'aux femmes. Cela implique qu'il faut faire la distinction entre le décès de la femme et celui de l'homme.

165 JULIEN, Histoire des Tatsimu (Pour paraître dans la collection de l'institut d'ethnologie) Règles et usages relatifs au mariage (fady ou incompatibilités matrimoniales réglant le savoir-vivre entre époux) Note de MESSELIERE, in Du mariage en droit malgache, p. 235

166 FLACOURT, Histoire de la grande île Madagascar, 1661, p.18

1- Le décès de la femme

Le Révérend SCHAW167 disait que « chez les Antaimorona, la défunte est généralement remplacée dans les huit ou quinze jours, le plus souvent

par une soeur ou une proche parente pour que les biens ne passent pas entre des mains étrangères. »

A partir de cette observation, nous pouvons dire que le décès de la femme Antemoro met fin automatiquement au mariage. L'homme n'aura à observer qu'une semaine de période de deuil. C'est par respect de la mémoire de sa conjointe que le veuf ne se remarie pas le lendemain des funérailles. Cela attirerait le soupçon du public.

Nous remarquons aussi que les Antemoro sont soucieux de préserver les relations entre la famille du défunt et le veuf. Il est coutume de conserver ce lien en remplaçant l'épouse qui est morte par l'une de ses proches.

Mais que se passe-t-il lorsque c'est l'homme qui décède ?

2- Le décès de l'homme

Quand c'est l'homme qui est décédé, le mariage est théoriquement rompu. Mais le droit coutumier Antemoro ne libère pas la veuve aussitôt après le décès de son mari. L'autorité sur elle qui a été détenue par son mari, ne revient pas à ses parents, elle est plutôt gardée par ses beaux- parents.

Ceux-ci, voulant conserver la femme et ses enfants, ont le droit de la contraindre de rester dans la famille. La veuve doit cependant épouser son beau-frère et ne sera considérée comme libre des liens du mariage que si celui-ci la répudie. En tout état de cause, la Lohatrano ne peut la marier de

nouveau sans le consentement de sa belle-famille, « elle ne peut se passer de l'autorisation de celle-ci pour contracter une nouvelle union. » 168

Le décès de l'un des époux rompt donc le lien matrimonial, tout comme le divorce.

B- LE DIVORCE

1- L'autorité compétente

DESCHAMPS disait : « En cas de désaccord entre les deux époux, le différend est porté devant le chef de Kibori169 du mari qui, aidé de son adjoint et du fokonolona, tranche le débat. » 170

Le divorce est par conséquent la dissolution du mariage prononcé par l'autorité judiciaire, qu' est le chef de kibory ou Lebenakibory, sur la demande de l'un des deux époux. Le droit de recours en divorce, il faut le souligner, appartient au mari et à la femme. Le chef du Kibory n'est pas le chef de fatrange qui « détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale. » 171

DESCHAMPS décrit le premier comme « l'autorité qui prend en accord avec le fokonolona les décisions concernant le kibory. » 172 C'est donc lui qui décide avec le fokonolona sur les cas d'exclusion des kibory qui est le châtiment suprême que l'on puisse infliger à un Antemoro.

Nous remarquons dès lors qu'il y a une étroite relation entre l'institution organe qu'est le tombeau et l'institution mécanisme qu'est le divorce.

167 SCHAW, Antananarivo annual, 1894, p.210.

168 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

169 Kibory, (de l'arabe qabr, pluriel qoubour) désigne le tombeau collectif des Antemoro

170 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.

171 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.

Tandis que le mariage est contracté sous l'autorité du chef de Fatrange (Lohatrano), sa dissolution est prononcé par le chef de kibory (Lebenakibory).

Il faut souligner que : « La trano-be c'est (...) surtout la maison mortuaire. C'est dans la trano-be qu'est déposé le corps du mort pendant le temps qui précède la mise au kibory. »173

Du fait que la société Antemoro est patriarcale, une femme même mariée appartient au fatrange de son père, jamais à celui de son mari, et les enfants appartiennent au fatrange de leur père, même lorsqu'il y a dissolution du mariage et que les enfants continuent à vivre avec leur mère.

Revenons au sujet du divorce. Le fait de confier le pouvoir de prononcer le divorce au chef du kibory qui décide avec le fokonolona du Royaume prouve la gravité de la demande en divorce à cette époque. Le chef de famille tient en effet à préserver son autorité sur ses enfants. Il a le pouvoir de contrainte matrimoniale.

Comme la femme même mariée appartient au fatrange de son père. Celui-ci pourrait penser que sa fille qui fait la demande en divorce, ou qui est reconnue fautive par le fokonolona lors de l'instance, a cherché à défier son autorité. Si le cas se présente, il peut rejeter le coupable qui n'aura pas par conséquent sa place au kibory.

Le lien matrimonial ne se dissout donc pas sans fondement bien solide.

172 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.53.

173 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.

2- Les causes du divorce

Aucune énumération limitative n'a été prévue dans le Royaume pour définir les causes du divorce. Néanmoins, les motifs que le requérant évoque doivent revêtir un degré de gravité .

L'époux évoque souvent la stérilité de la femme pendant l'instance du divorce. DESCHAMPS précise que le divorce est prononcé si la femme n'arrive pas à enfanter au bout de trois ans174.

La cause traditionnelle persiste dans le droit coutumier. Le chef de kibory ne pourra pas empêcher l'homme qui cherche à tout prix à avoir des enfants à se séparer d'une femme stérile. De même que la femme ne sera pas sanctionnée par ses parents pour cette cause qui est extérieure à sa volonté.

Par contre, l'infidélité de la femme sera indiscutablement assortie de sanctions à son égard. Et le mari retrouvera sa liberté dès que le chef de kibory a rendu son verdict. L'adultère de la femme constitue une infraction aux us et coutumes dont la sanction est le rejet hors de la caste et de la tribu. L'affaire peut remonter jusqu'au mpanjaka (le roi) caste, dont le rôle est de veiller au respect des coutumes. Ce roi peut « jouer le rôle d'avocat devant un autre mpanjaka et défendre en conséquence la cause de l'individu. » 175

Il y a d'autres causes que la coutume retient pour que le divorce soit prononcé.

La mauvaise attitude du « vady be » (l'épouse) envers les enfants légitimes de son mari, c'est-à-dire enfants du premier lit ou les enfants nés des « vady kely » (concubines) qui habitent au domicile conjugal (ou dans

174 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

d'autres cases), et de « la maîtresse entretenue ne vivant pas sous le toit conjugal. » 176 Ces enfants méritent, d'après le droit coutumier, les mêmes traitements que les propres enfants du vady be. Celle-ci sera fautive à cause de son caractère anti-social et par conséquent sanctionné par le fokonolona. La sanction n'est pas systématiquement le rejet du kibory mais peut consister en une simple amende. Ce sera le non-acquittement de cette amende qui va provoquer le rejet.

Une autre cause de divorce, qui n'est pas la moindre, vient du refus du vady be à ce que son mari prenne des Vady kely. Ce geste va à l'encontre de l'inspiration des Antemoro qui ne cherchent qu'à multiplier le nombre de leurs femmes -et par là de leurs progénitures.

Il n'y a pas que la femme qui peut être rendue fautive devant l'assemblée.

L'épouse ne peut pas demander le divorce si son mari s'est absenté. ROMBAKA177 parle de l'obligation de l'épouse à rester dans le domicile où elle servira sa belle-mère avant que son époux soit de retour. Il peut s'absenter pendant plusieurs années.

Nous pouvons rappeler que l'absence du mari à l'époque archaïque pouvait conduire sa femme à trouver un autre époux.

En ce qui concerne la femme, le lebenakibory peut lui accorder le divorce au détriment du mari qui aurait « amené une femme à la maison sans que ce soit une nouvelle épouse.» 178 Le mari doit racheter son erreur sous peine de perdre sa vady be. Il ne sera pas inquiété par le lebenakibory car l'adultère de l'homme n'est pas sévèrement sanctionné, ne constitue pas la cause principale de divorce.

175 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemoro, 1961, p.3.

176 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemora, 1961, p.7.

177 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, Traduction libre

178 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

La femme qui reçoit des coups et sévices par son mari en fait part à l'Andrianonivavy « mpanjaka des femmes, dont le rôle est de faire respecter les droits des femmes, en particulier de sévir contre les hommes qui brutalisent leurs femmes ou les répudient sans leur donner ce à quoi elles ont légitimement droit. Elles sont très redoutées des hommes. » 179 Les lebenakibory ne pourra que déclarer l'homme fautif.

Mais souvent les femmes qui cherchent à se séparer de leur mari incitent leur gendre à habiter le domicile de ses beaux-parents. « Un beau- père peut élever ses beaux-fils sous son toit, sans distinction avec ses propres fils... Toutefois, élever ses beaux-fils peut entraîner la rupture du mariage si l'un des époux s'en plaint. » 180

La femme peut se prévaloir de la plainte de son mari pour obtenir gain de cause.

Voilà en ce qui concerne le divorce. Qu'en est-il de la répudiation ?

§2 : LA REPUDIATION

Le mari, à l'époque archaïque, ne répudiait pratiquement jamais. Il cherchait au contraire à retenir l'épouse qui avait trop tendance à quitter le domicile conjugal. Dans la nouvelle époque, du fait du nombre illimité des épouses que peut avoir un homme, la répudiation est très en honneur chez les Antemoro. Cependant, elle ne se fait pas de façon archaïque. Essayons d'analyser cette institution.

179 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.57.

180 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, p.5.

A- LES REGLES

1-L'autorité compétente

Le pouvoir de répudiation manifeste la suprématie de l'homme sur la femme Antemoro. BERTHIER181 pose même le principe selon lequel seul le mari a le droit de « prononcer la répudiation. » Plus loin, l'auteur annonce qu'exceptionnellement, les femmes des « familles royales » dans toute l'île pouvaient répudier leurs époux.

Cette exception aurait été valable chez les Antemoro s'ils ont été exogames. L'endogamie stricte des castes, telle que nous avons eu l'occasion de voir dans les lignes qui précédent, exclut la possibilité de l'union légitime entre une femme de classe noble avec un homme issu d'une autre classe. En reprenant un exemple de loi écrit dans un sorabe traduit par MUNTHE, il est dit qu' « une femme Anteony ou Antalaotra ayant couché avec un homme d'une autre tribu ou avec un esclave, sera condamné à mort par noyade. De blocs de pierres devront être attachés au milieu de son corps et elle devra être jetée dans l'eau pour périr. » 182

Anteony et Antalaotra sont les classes nobles. La répudiation est donc un pouvoir unilatéral détenu par l'homme Antemoro.

2-Nature

La répudiation est aussi un pouvoir discrétionnaire du mari. Il lui suffit de se rendre compte que l'harmonie cesse de régner dans le ménage pour répudier sa femme, même si elle a des enfants. ROMBAKA183, à ce sujet, déplore qu'il y ait beaucoup d'orphelins dont le père est vivant dans le pays Antemoro. Du fait de cette discrétion, les hommes sont tentés de répudier leurs femmes sous le plus petit prétexte. Mais la société Antemoro

181 BERTHIER, Droit civil malgache, n°56, 1930, p.48.

182 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache vue à travers le manuscrit A-6 d'OSLO, p.257

183 ROMBAKA, Fombandrozana Antemoro, 1970, traduction libre

est tellement hiérarchisée, chaque tranche d'âge et chaque sexe a sa tâche bien précise, tant dans la vie familiale que dans la vie sociale. Il est fady ou interdit au mari de s'immiscer dans les travaux de la femme, et inversement.

C'est pourquoi, il y a peu de risque que l'usage de la répudiation soit faite de façon démesurée. D'autant plus que l'homme qui a répudié sa femme ne peut se marier avec une autre sans payer de nouveau la dot.

Bref, même si la répudiation relève du pouvoir discrétionnaire du mari, il ne l'use qu'en cas de cause déterminante.

3-Quand est-ce que le mari peut répudier sa femme ?

MESSELIERE disait que « seul, le fait de répudier sa femme dans la première semaine (...) est répréhensible. »184

Rappelons que le mariage Antemoro est précédé des fiançailles. La jeune fille, pas encore nubile, est envoyée chez ses futurs beaux-parents. Elle réintègre sa famille lorsqu'elle a atteint l'âge de se marier pour préparer son « trousseau » . A un jour fixé par son fiancé, elle est ramenée au domicile de celui-ci. Ce déménagement s'appelle le Mialo. Elle y reste avec ses compagnes pendant une semaine. Après cette période, son mari doit la ramener chez ses parents pour avoir leur bénédiction.

C'est cette période qui précède la bénédiction des parents de la mariée qui nous intéresse ici. Il est interdit de répudier la femme alors que son mariage n'a pas encore reçu la bénédiction des parents. Les Antemoro ne tolèrent pas ce genre d'acte d'humiliation et infligera au coupable une sanction exemplaire. Le roi du clan lui-même, veille à l'observation de règles de droit coutumier.

184 MESSELIERE, Les Malgaches du Sud-Est, p.289

Dans le même ordre d'idée, la fille Antemoro, si elle veut s'échapper à la contrainte matrimoniale à laquelle ses parents l'ont engagée sans la consulter, peut donc se décider pendant cette période.

SHAW disait que « la femme aurait par contre, la faculté de quitter son mari dans la première semaine de l'union, le mariage étant alors réputé nul et non avenu. » 185

Après cette brève période, le mari peut répudier sa femme au moment où il estime que c'est opportun. Il n'y aura pas besoin d'aller chez le Lebenakibory. Le pouvoir de répudier est exclusivement entre ses mains.

Nous avons vu quelques règles qui gouvernent la répudiation chez les Antemoro. Dans les lignes qui vont suivre, on va supposer qu'il y a répudiation. Quels sont donc les droits et les obligations qui incombent au mari et à l'épouse répudiée ?

B- Les droits consécutifs à la répudiation

La répudiation chez les Antemoro n'est pas irrévocable. Ce caractère est préjudiciable pour la femme répudiée qui se trouve dans une situation d'attente indéfinie. Le mari lui aussi est encore lié juridiquement à sa femme.

1- Les droits du mari

MESSELIERE nous éclaircit à ce sujet. L'auteur dit que « le mari conserve(...) certains droits sur la femme qu'il a répudiée. Celle-ci doit, en effet, lui demander son consentement pour tout mariage qu'elle aurait l'occasion de contracter par la suite... »186

185 SHAW, The Arab element in south east of Madagascar, in Antananarivo annual, 1894, p.207-208.

186 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.289.

La femme cependant ne retrouve pas sa liberté après s'être fait répudier. Le mari ne de dessaisit pas de l'autorité sur sa femme qu'il a reçue lors de son mariage, bien qu'elle ne vive plus sous son toit. ROMBAKA187 signale même que l'homme Antemoro est très possessif et surveille sa femme qu'il a répudiée. Pourtant, le Lohatrano ne peut pas marier une femme répudier sans le consentement de son ancien mari.

Le droit du mariage Antemoro conserve par conséquent l'autorité de l'homme même si le bien du mariage a été rompu unilatéralement par celui- ci. En plus, la femme répudiée « peut même être contrainte de retourner avec son premier mari, quand il en exprime le désir. »188 A ce moment là, aucune cérémonie ne sera faite et les époux reprennent la vie commune.189 Une grande liberté est en l'occurrence laissée aux époux. La femme en tout cas ne peut pas refuser de retourner chez son mari. Cela ne signifie pas que le mari peut abuser de son droit de contrainte de retour.

MESSELIERE 190 s'explique en disant que le mari se borne à maintenir ses droits d'époux en refusant de rendre le « sang. » L'auteur poursuit, ses droits de mari ainsi établis, il fera valoir en temps voulu ses droits de père, ce qui l'intéresse beaucoup plus que le sort de sa femme : pour cela le mari apporte dans la case où son ex-épouse s'apprête à accoucher, du bois pour entretenir le feu. L'enfant qui est né ainsi est par-là même reconnu par lui et il revendiquera, quand bien même sa femme l'aurait quitté depuis de longues années191.

Bref, nous avons vu que le consentement du mari est indispensable pour le remariage de la femme répudiée, et qu'il peut contraindre celle-ci à

187 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro

188 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.290.

189 Dans une note de bas de page, MESSELIERE disait que « les époux qui désirent retourner l'un vers l'autre, emploie, dans le Sud-Est, les kialo, ou charmes de protection maléfices à la fois offensifs et défensifs exerçant leur puissance contre les malfaiteurs, maraudeurs et ravisseurs anonymes. », in Du mariage en droit malgache, p.290.

190 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.290.

191 MARCHAND, Les habitants de la province de Farafangana, in Revue de Madagascar, du 10 août 1901, p.569.

retourner vivre avec lui. Enfin, le mari a le droit de revendiquer l'enfant né de son ex-épouse. Qu'en est-il des droits de la femme répudiée ?

2-Les droits de la femme

L'autorité compétente dans le Royaume Antemoro pour garantir les droits des femmes est l'Andrianonivavy, le « mpanjaka 192 des femmes. » Elle est choisie parmi les viavi-be « les grandes femmes », celles qui ont déjà des petits enfants.

L'Andrianonivavy a pour rôle de « faire respecter les droits des femmes, en particulier de sévir contre les hommes... qui les répudient sans leur donner ce à quoi elles ont légitimement droit. » 193

La femme répudiée n'est donc pas à la merci de l'homme. A propos de ses droits, DESCHAMPS énonce que « la femme qui est répudiée emporte ses volailles, toute la vaisselle, et six corbeilles de paddy. Elle doit laisser les nattes qui couvrent le plancher et celle où couche son mari jusqu'à ce que celui-ci se remarie... Elle vient alors reprendre le reste de son bien. » 194

Rappelons que ces biens constituent le trousseau que la femme a soigneusement préparé pendant ses fiançailles qu'on a vues plus haut. Elle retourne donc chez ses parents.

Mais les femmes dont les parents ne sont plus doivent vivre avec ses enfants indépendamment de son mari. La société Antemoro n'est pas indifférente à la difficulté à laquelle sont confrontées les femmes répudiées. Comme les femmes, même mariées, appartiennent au Fatrange de leur père, le Lohatrano ou chef de ce Fatrange contribue à l'entretien de ces femmes. En effet, « le Lohatrano partage au prorata de chacun des récoltes des rizières ancestrales, qu'il cultive lui-même avec l'aide de tous les autres membres,

192 Le mot mpanjaka peut se traduire par reine.

193 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.57.

prend la décision qui s'impose pour l'entretien des orphelins, des vieillards ou des femmes répudiées par leurs maris. »195

La solidarité existe dans le Royaume Antemoro. Personne ne meurt de faim dans l'indifférence. ROMBAKA196 va plus loin en disant que les femmes Antemoro préfèrent être répudiées pour se libérer des caprices de leurs belles-mères.

Mais à côté de ces droits, les époux ont aussi des obligations à respecter.

C-Les obligations des époux

Nous allons voir les obligations du côté de chaque époux. 1-Le mari

Les obligations juridiques auxquelles est soumis le mari qui a répudié sa femme résultent des comportements de celui-ci. Nous avons vu que la femme reprend ses biens quand elle est répudiée et qu'elle doit laisser les nattes qui couvrent le plancher et celle où couche son mari jusqu'à ce que celui-ci se remarie.

Néanmoins, la coutume autorise à la femme de ramener ses biens restants avant que son mari ne soit engagé dans une nouvelle union. Celui- ci est obligé d'attendre que sa femme « ait dispersé les cendres du foyer, pris les nattes tissées de ses mains et les quelques objets ménagers auxquels elle a droit, pour introduire chez lui une nouvelle épouse » 197 sous peine de commettre un délit de Tsindrilafika, c'est-à-dire fouler la natte par une

194 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.

195 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.55.

196 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro

197 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.214.

rivale. Le mari coupable doit se racheter en payant une forte amende en tête de bétail à sa femme198

ROMBAKA199 rajoute que la femme répudiée ne doit pas refuser de coucher avec son mari. Néanmoins, au cas où dans cette relation extraconjugale ils concevraient un enfant, la coutume oblige l'homme à réintégrer sa femme dans son domicile, qu'il le veuille ou non, même si sa famille refuse. Ceux qui ne respectent pas cette règle sont rejetés hors de la tribu.

Voilà les obligations qui incombent au mari. Nous allons passer en revue celles de la femme répudiée.

2-La femme répudiée

Rappelons simplement que la femme répudiée est obligée d'attendre indéfiniment son mari, et ne peut pas contracter une nouvelle union sans le consentement de celui-ci. Elle est aussi obligée d'accepter de coucher avec lui quand il veut. De même que son enfant revient à son mari s'il le revendique.

198 THOS.LORD rapporte déjà des faits analogues en 1892 dans ses « Jottings of a journey in south east of M adagascar », in Antananarivo annual, n°XVI, p.253.

199 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro

CONCLUSION

A travers les lignes qui ont précédées, nous avons pu nous rendre compte que le droit du mariage du peuple de la région du fleuve Matitanana a subi une mutation profonde.

Pratiquant au préalable le mariage par rapt, d'après les témoignage des manuscrits qui datent du 13è siècle, les moeurs ont changé dans ce pays depuis qu'il a connu l'influence de l'islam. Le droit de faire le rapt n'était plus réservé qu'aux chefs. Les sujets devaient suivre les règles du mariage arrangé, dans le royaume Antemoro.

Plus tard, la monarchie Merina du centre de Madagascar a exercé son hégémonie jusqu'au pays Antemoro. Mais les Merina avaient respecté et maintenu les usages et les institutions des peuples soumis à leur hégémonie disait BERTHIER.

Au XIXè siècle, les Français ont colonisé l'île et la loi d'annexion du 6 août 1896 déclare ne prétendre nullement porter atteinte au statut personnel des habitants de l'île.

Après l'indépendance, la loi sur le mariage applicable à Madagascar a institué par l'ordonnance n°62-089 du 1er octobre 1962. Une loi héritée du droit du mariage français.

Ce qui nous amène à dresser le bilan suivant : la région du fleuve Matitanana qui a connu une première mutation en matière de mariage sous l'influence du droit musulman, est sujet à une autre mutation après l'indépendance. Cette foi-ci, c'est le droit français qui exerce son influence.

Une question nous interpelle en l'occurrence : l'ordonnance n° 62-089 sur le mariage citée plus haut, est-elle effective sur tout le territoire de Madagascar ?

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages sur le peuple ANTEMORO

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JULIEN G.H., Pages Arabico-Madecasse, Paris, Société d'édition, 1929, 123p.

JULIEN G.H., Pages Arabico-Madecasse, Paris, Société d'édition, 1933, 51p.

MONDAIN G., L'histoire de tribus de l'imoro au XVIIè siècle, d'après un manuscrit historique arabico-malgache, in Bulletin de correspondance africaine, Alger - Paris 1910-1911, vol. 41-43.

MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache, vue à travers le manuscrit A6 d'OSLO, et d'autres manuscrits disponibles, 327 p.

ROLLAND Dominique, Anthropologie historique du Royaume Antemoro, 1993,

ROMBAKA, Fombendrazana Antemoro, Ambozontany-Fianarantsoa, 1970, 121p.

ROUHETTE Annie, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, Université de Madagascar, 1971,

TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemorona, 1961,

Ouvrages sur Madagascar

RAKOTO Ignace, Corpus d'histoire du droit et des institutions, SOCIIM, Août 1975.

Histoire de l'islam au XVIème siècle, NATHAN-AFRIQUE, Conférence des Experts en Histoire et Géographie, réunie à Abidjan en 1965.

FROTIER DE LA MESSELIERE Paul, Du mariage en droit malgache, Paris, Les éditions Domat-Montchrestien, 1932, 324p.

FERRAND Gabriel, Les musulmans à Madagascar et aux îles Comores, Paris, 1891,

POIRIER Jean, Etudes de droit africain et de droit malgache, éditions Cujas, 1965, 525p.

Dictionnaires

BONTE Pierre et IZARD Michel, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Presse Universitaire de France, 1991,

TAMISIER Jean-Christophe, Dictionnaire des peuples, Larousse, 1998,

ARNAUD André-Jean, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J., 1993,

CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1998,

TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE 1

AVANT PROPOS 2

INTRODUCTION GENERALE . 3

PARTIE I :
L'EPOQUE ARCHAIQUE
LA TENTATIVE DE DESCRIPTION DE LA COUTUME AUTOCHTONE

INTRODUCTION 10

CHAPITRE 1 : LA FORMATION DU MARIAGE 13

SECTION 1 : LE RAPT ET LES POURPARLERS 13

§1-LA SIMULATION DE RAPT 13

A-Les causes et les buts du rapt

. 13

B-Les modalités du rapt

15

§2-LES POUR PARLERS

18

A-Les phases préalable aux pourparlers

18

B-Le pourparler proprement dit

.22

SECTION2 : LA RECHERCHE DES EQUILIBRES

26

§1-LES COMPENSATIONS MATRIMONIALES

26

§2-LA CELEBRATION DE L'UNION

.30

A-la rupture de l'équilibre cosmologique

.30

B-La célébration du mariage comme facteur d'équilibre cosmologique

... 35

CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU

LIEN MATRIMONIAL . 38

SECTION1 : LES EFFETS DU MARIAGE: INTEREDITS ET OBLIGATIONS 39

§1-LES EFFETS TOUCHANT LES DEUX FAMILLES 38

A-Les rapprochements . 38

B-La surveillance du nouveau ménage . 40

§2- LES EFFETS DU MARIAGE A L'EGARD DES EPOUX 40

A-les effets sur le statut social des époux 40

B-Les autres effets 42

SECTION2 :LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL 44

§1- LES DECES DE L'UN DES EPOUX 44

A-Le décès de l'homme 45

B-Le décès de la femme . 48

§2-LA SEPARATION DES EPOUX ... 50

A-Les causes de la séparation .50

B-La procédure 54

PARTIE II :
L'EPOQUE ISLAMIQUE

LA RESULTANTE DE LA COUTUME AUTOCHTONE ET DU
DROIT MUSULMAN :

INTRODUCTION . 57

CHAPITRE 1 : LA FORMATION DU MARIAGE 60

SECTION 1 : LA DEMANDE ET LES FIANCAILLES . 60

§ 1-LA DEMANDE EN FIANCAILLES . 60

A-Le misonjo ... 60

B-L'arrangement ... 61

§2-LES FIANCAILLES 66

A-Les effets des fiançailles 66

B-La dot et les cadeaux 69

SECTION2 : LES EMPECHEMENTS ET LE RITUEL DU MARIAGE 72

§1-LES EMPECHEMENTS AU MARIAGE 72

A-Les empêchements résultant du lien de parenté ou d'alliance. 72

B-Les empêchements résultant du régime de caste 75

§2-LE RITUEL DU MARIAGE 78

A-L'envoi des émissaires 78

B-Le mialo 80

CHAPTION II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU

LIEN MATRIMONIAL 84

SECTION1 : LES EFFETS SURLES EPOUX 84

§1-LES EFFETS DU MARIAGE SUR LE MARI 84

A-L'obligation de fidélité et le devoir de cohabitation 85

B-L'entretien de la femme et les sévices et mauvais traitements 87

§2-LES EFFETS DU MARIAGE SUR LA FEMME .89

A-Devoir de cohabitation et de fidélité 89

B-L'obligation d'égards particuliers pour le mari 90

SECTON2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMARIAL 91

§1-LE DECES ET LE DIVORCE ..... 91

A-Le décès .91

B-Le divorce 93

§2-LA REPUDIATION 97

A-Les règles ..98

B-Les droits consécutifs à la répudiation 100

C. Les obligations des époux ... 103

CONCLUSION 105

BIBLIOGRAPHIE 106

TABLE DES MATIERES 108






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