Université de
Perpignan Faculté de droit et des sciences
économiques Faculté Internationale des Droits
d'Afrique Francophone Centre d'Etudes et de Recherches Juridiques sur les
Espaces Méditerranéen et Africain Francophones (U.P.R.E.S.-
E.A. 1942)
ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE DU DROIT
LA MUTATION DU DROIT DU MARIAGE DANS LA VALLEE
DU FLEUVE MATITANANA :
DU DROIT COUTUMIER AU DROIT D'INSPIRATION MUSULMANE
Présenté et soutenu par : MARSON Francis
Zafindrandremitambahoaka
Sous la co-direction des professeurs : François Paul
BLANC et Hervé BLEUCHOT
Perpignan, juin 2003
SOMMAIRE
PARTIE I :
L'EPOQUE ARCHAIQUE LA TENTATIVE DE DESCRIPTION DE LA
COUTUME AUTOCHTONE: LE MARIAGE PAR RAPT
CHAPITRE 1 : LA FORMATION DU MARIAGE
SECTION 1 : LE RAPT ET LE POURPARLER
SECTION 2 : LA RECHERCHE DES EQUILIBRES
CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA
RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL
SECTION 1 : LES EFFETS DU MARIAGE :
INTEREDITS ET OBLIGATIONS
SECTION 2 :LA RUPTURE DU LIEN
MATRIMONIAL: DECES ET DIVORCE PAR FUITE REPETEE
PARTIE II :
L'EPOQUE ISLAMIQUE LA RESULTANTE DE LA COUTUME
AUTOCHTONE ET DU DROIT MUSULMAN : LE MARIAGE ARRANGE
CHAPITRE 1 :LA FORMATION DU MARIAGE
SECTION 1 : LA DEMANDE ET LES
FIANCAILLES
SECTION 2 : LES EMPECHEMENTS ET LE
RITUEL DU MARIAGE
CHAPTION II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA
RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL
SECTION 1 : LES EFFETS SUR LES
EPOUX SECTON 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL
AVANT- PROPOS
« L'écriture actuelle à Madagascar ne
date que du siècle dernier (...) 1823 (....). Mais il existait avant
cette date une tradition littéraire écrite en caractère
arabico-malgache, héritage laissé par les premières
familles musulmanes venues dans la grande Ile au 11e -13
siècle »...Une vingtaine de personnes par génération
apprenaient à lire et à écrire et transmettaient ces
anciens manuscrits, de caractère religieux ou historique, aux futures
générations... »1
Ces anciens manuscrits s'appellent « Sorabe ». Nous
allons puiser nos données en matière de droit dans ces
documents.
Néanmoins, les sorabes sont plus que de simples
documents chez les Antemoro. Leurs détenteurs prennent mille
précautions pour ne pas être « un jour
dépouillé sans retour de ce qu'ils vénèrent
à l'égal de leurs sépultures »2,
disait Julien.
Le présent mémoire a été
réalisé grâce aux renseignements donnés par les
rares manuscrits. Se limiter à ces renseignements nous conduirait
à réduire la valeur scientifique de notre exposé. Les
développer nous conduirait à en avoir une compréhension
erronée.
Ces deux écueils nous imposent la prudence dans notre
tentative de description du droit dans ces époques (XIVème -
XIXème siècles) mal connues.
Par conséquent, nous n'allons pas trop nous
éloigner des Sorabe tout en faisant appel à des ouvrages modernes
sur l'étude ethnologique du peuple Antemoro.
1 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-malgache vue
à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.7.
2 JULIEN, Pages Arabico- Madegasse, 1929,
p.
INTRODUCTION GENERALE
Madagascar est une île située à quatre
cent kilomètres à l'est des côtes africaines,
traversé par le tropique du capricorne. Doté d'une superficie de
587 000km2, le climat y est varié selon les reliefs.
A l'origine, l'île était inhabitée. Son
occupation se fit progressivement. La première étape de migration
humaine sur Madagascar s'est faite entre le IIIè et le VIIIè
siècle. Ce sont des Indonésiens et des Africains «
montés sur des pirogues à balancier » qui sont les
premiers à peupler l'île, d'après une hypothèse
communément admise par les ethnologues. Plus tard au XIe
siècle, Madagascar connût une deuxième vague de migrations,
cette fois-ci, celle des Arabes.
La majorité des Indonésiens peuplèrent le
haut plateau, tandis que les autres notamment les Africains et les Arabes
occupèrent essentiellement les pleines côtières.
Chacun de ces groupes d'immigrants apportèrent leur
civilisation. Les indonésiens et les africains arrivèrent, au
bout de plusieurs siècles, à se comprendre avec une langue
commune qu'on appelle le « malgache ». Le malgache varie cependant
d'une région à l'autre. Les derniers groupes d'immigrants en
l'occurrence les Arabes, se sont conformés à la culture courante.
Aussi, ils ont adaptés leurs civilisations à celles des premiers
habitants.
Ces derniers pratiquaient la religion animiste et ne savaient
pas écrire. Les arabes avaient apporté l'écriture et
l'islam. Au XVè siècle, Madagascar était constitué
de plusieurs Royaumes.
« Dès le XVIè siècle, les
Maroseranana dans le Nord fondaient la dynastie Sakalave qui ne se
développa qu'à partir du XVIIe siècle.
Des petites monarchies sont également
organisées dès le XVIè siècle dans l'est, sur le
plateau, appelés royaumes Bitsileo.
La côte et les vallées fertiles du sud- est
voient s'établir dès le 1 5è siècle des petites
principautés musulmanes. »3 Mais les royaumes les
plus importants sont ceux des « Andriana » du centre au 1 6è
siècle.
En observant ces différentes périodes, on
remarque que c'est au sud- Est qu'ont été constitués les
premiers royaumes à Madagascar, ROULAND4 parle du «
Royaume Antemoro » -- unifié au XVè siècle. Le pays
Antemoro longe la vallée du fleuve Matatanana. FLACOURT5 le
décrit comme suit:
« Le pays de la Matatane est un païe plat,
très fertile en canne de sucre, ris, miel, ignames bestial,
entrecoupé de ruisseaux et rivières poissonneuses. Il prend son
nom de la rivière qui se nomme Matatana, et sort en mer par deux bouches
lesquelles sont éloignées l'une de l'autre de septs lieüs,
entre lesquelles il y a de grandes prairies qui forment une Isle très
fertile, où sont ceux que l'on nomme Outanpassimaca (originaire de
la Mekke) et Zaferahi mina, ou Ramini.
« Cette rivière descend des montagnes du pays
de Vattebei (Vatube). Il faut être fort pour habiter cette province qui
est la meilleure , la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et
aussi la plus peuplée ».
Quand les deux cultures se sont fusionnées, une autre
culture est née. Le champ de notre étude se répartit
cependant en deux périodes. La première est celle qui
précède l'arrivée des musulmans. La seconde est celle
où il y a acculturation.
L'interaction entre le droit coutumier de ce peuple autochtone
et le droit musulman constitue l'objet de notre étude. Nous allons
étudier l'acculturation juridique et forger un outil à la fois
anthropologique, entendu
3 Conférence des Experts en Histoire et
Géographie réunie à Abidjan en 1965, Histoire de l'Islam
au 16è siècle, France, 1966, p.1 16.
4 ROULAND, Anthropologie historique du royaume
Antemoro, Résumé.
5 FLACOURT, Histoire de la grande île de
Madagasacar, 1661, p.1 8.
comme discours qui porte sur l'homme qui est ici le peuple
autochtone, et historique. Bref, notre étude sera cadrée dans
l'anthropologie historique du droit afin de décrire l'évolution
du mariage à travers deux époques passées. De la
première époque à la seconde, le système juridique
n'est pas le même.
Y- a- t- il mutation du droit coutumier dans la vallée
de Matitanana ? Tel est notre problématique qui nous renvoie à
l'hypothèse suivante : le droit coutumier a-t-il été
influencé par la loi coranique ou non ?
Nous allons nous limiter au droit du mariage. Pour cela, il
nous faut au préalable admettre qu'avant l'arrivée des musulmans
et après leurs arrivée, le droit du mariage existait, dans la
mesure où l'on conçoit le droit dans son acception sociologique :
« Le droit est un système de contrôle social
établi dans le but de maintenir un ordre dans une société.
Des sociétés différentes ont produit des cultures
juridiques différentes mais toute culture juridique dès lors
qu'elle consiste en un ensemble d'idéaux et de valeurs
révèle ce qu'une société s'efforce d'honorer.
» 6
En suivant cette logique, nous pouvons dire que la culture
juridique d'un peuple à une époque donnée est son cadre de
manière de vivre. Le droit du mariage a donc toujours existé chez
les peuples autochtones et chez les Antemoro.
Par peuple autochtone, on désigne les habitants des
tribus occupant les plaines de la vallée du fleuve Matitanana avant
l'arrivée des immigrants arabes.
Par peuple Antemoro, on désigne l'ensemble des peuples
habitant la même région après l'unification de toutes les
principautés musulmanes du Sud-Est de Madagascar au XVe siècle en
Royaume Antemoro. JULIEN parle même de « nationalité
antemahuri » 7
6 ARNAUD, Dictionnaire encyclopédique de
théorie et de sociologie du Droit, LGDJ, 1993, p.1 55.
7 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris,
1929, p.98.
Les peuples autochtones avaient leur droit du mariage. Les
immigrants arabes venus imposer leur autorité apportaient le droit
musulman. JULIEN rapporte que « le droit coutumier local en
matière matrimonial s'est [...] trouvé fortement influencé
par la loi coranique.... » 8 Après avoir analysé les
« sorabe », les manuscrits en langue malgache écrits en
caractère arabe.
Nous pouvons présumer que le droit du mariage Antemoro est
la synthèse du droit coutumier pré- islamique et du droit
musulman.
Notre objectif dans ce mémoire est de démonter
l'influence de la loi coranique sur le droit coutumier local. Et nous allons
tenter de l'atteindre en décrivant isolément le droit du mariage
coutumier local et le droit du mariage Antemoro. Nous nous inscrivons cependant
dans une approche diachronique. Comment y parvenir ?
La plupart des documents écrits sur le peuple Antemoro
datent du XXe siècle. Mais il existe aussi des documents écrits
par les Antemoro eux mêmes « dont l'origine remonte au
début du XIIIe siècle » 9, dont le contenu
nous permet d'avoir une idée sur le mariage a cette époque.
Néanmoins, nous savons déjà ce que c'est
que le droit musulman classique.
Afin d'avoir une description fidèle de la pratique
matrimoniale aux XIIIe-XIVe siècle, nous allons nous inspirer de «
l'essai de généralisation des rapports entre le droit
musulman et les droits coutumiers », mis au point par
FROELICH10. Sa méthode consiste à comparer chaque
concept qu'il choisit à travers trois optiques différentes
contenues respectivement dans trois colonnes : La première décrit
la version du droit musulman sur chaque notion, la seconde donne l'approche du
droit coutumier et la troisième
8 JULIEN Ibid. p.75.
9 JULIEN, Ibid. p.11.
10 J.C.FROELICH, « Droit musulmane droits
coutumiers », in Etude du droit africain et du droit
malgache, Paris, Cujas, 1965, p.387-389.
colonne, intitulée « résultante»
constitue la synthèse des deux premières colonnes.
Il ne s'agit pas de dresser un tableau comparatif dans le
développement qui va suivre. Néanmoins cette méthode va
constituer notre « grille d'analyse ». La première partie du
mémoire s'intéressera en l'occurrence au droit coutumier. Et la
résultante (du droit coutumier et du droit coranique) va constituer la
deuxième partie. De là on aura une approche diachronique du droit
du mariage à travers les deux périodes.
Distinction des époques, combinaison de l'analyse
juridique et du regard anthropologique, telle sera la méthode que nous
suivrons.
Les sources du droit qu'on va décrire sont cependant
les arrières plans des légendes. Les rares textes de lois
tirés des passages des Sorabe nous serviront aussi de source. Les
ouvrages ethnologiques11 écrits sur le peuple Antemoro nous
aideront énormément.
Tenant compte à la fois du cadre habituel de
l'exposé du droit du mariage et des transformations que l'histoire
impose à cette institution, nous adopterons le plan suivant :
Une première partie évoquera ce qu'on peut
savoir du mariage coutumier pré-islamique : le mariage par rapt. La
deuxième traitera la synthèse au droit coutumier et du droit
coranique : le mariage arrangé. Chaque partie de l'exposé
s'intéressera aux trois points suivants :
- La formation du mariage
- Les effets du mariage
- La rupture du lien matrimonial
Ces deux derniers points seront traités dans un
même chapitre. La formation du mariage qui se faisait par
l'enlèvement concerté se fait par un simple arrangement. La
considération sociale de la femme a aussi changé.
L'innovation apportée par le droit musulman se manifeste
nettement dans l'institution de la répudiation que les autochtones n'ont
jamais connus.
Sans plus tarder, nous allons démontrer la mutation du
droit du mariage dans la vallée du fleuve Matitanana, c'est à
dire le passage du droit coutumier au droit d'inspiration musulmane.
11 Il existe des documents écrits par des
européens sur ce peuple qui date XVIIe siècle.
PARTIE I : L'EPOQUE ARCHAIQUE (XIVe-XVe
Siècle) LA DESCRIPTION DE LA COUTUME AUTOCHTONE: LE MARIAGE PAR
RAPT
INTRODUCTION
Chaque groupe d'immigrés vivant dans la vallée
du fleuve Matitanana a sa propre culture matrimoniale. Toutes les tribus sont
maîtresses à titre égal de la région. Aucune
autorité ne maintient l'ordre. « La vie dans un tel pays
où les gens sont batailleurs à l'extrême et jouent
facilement de la sagaie, est sans charme.» 12 racontait un
Katibo, rédacteur de Sorabe. Tel est le contexte social dans lequel
vivaient les autochtones. Comme chaque tribu a son propre représentant,
nous pouvons schématiser comme suit son organisation politique et
sociale. A la base, se trouve la famille. Et l'ensemble des familles sont
regroupées dans un clan. La tribu rassemble les clans.
Sur le plan religieux , les premiers habitants de l'île
étaient animistes. Ils croyaient en l'immortalité de l'âme
et vénéraient les sépultures. Les ancêtres sont pour
eux présents dans leur vie et surveillent la vie des vivants. Le non
respect des recommandations des ancêtres peut réveiller leur
colère et attirer le mal sur le groupe tout entier, comme la famine et
les épidémies.
L'ordre social est de ce fait commandé par la crainte
des ancêtres, à l'intérieur du clan et par la
capacité d'autodéfense face aux ennemis extérieurs.
En ce qui concerne le système social de
l'époque, MUNTE13 nous éclaire en remarquant la «
considération élevée des femmes » pendant
une « période matriarcale antérieure dans un
passé obscur ».
Nous pouvons retenir dès lors la pratique du
système matri-linéaire où la femme occupe une place de
choix dans la société autochtone qui n'est pas
12 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris,
1929, p.90. Nous reproduisons ici la traduction d'un passage Sorabe.
13 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache
à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.255.
moins exogame. En effet, « la mère de Ramarohala
(Prince Musulman) ancêtres des Anteoni14
était Onjatsy (un clan autochtone). » 15
Cette exogamie encourage les hommes à chercher des
partenaires en dehors de leur clan. Ce dernier peut parfois être
réticent à donner leurs femmes. D'où vient l'idée
du mariage par enlèvement concerté.
« Il y a dans certaines tribus des survivances du
temps où le mariage se faisait par capture, par enlèvement. Chez
les Antemoro, par exemple, il y avait récemment encore la
possibilité de rapt avec le consentement de la jeune fille »,
disait MESSELIERE16. Un autre auteur qui le précédait
rapporte que « si la femme du peuple était désiré
par le chef Taimoro, il procédait par enlèvement, il y a peu de
temps encore... »17
Il est clair, à partir de ces constats, que les chefs
faisaient le rapt pour avoir la femme. Mais il n'y a pas que ceux-ci. JULIEN
affirme : « quand deux jeunes gens désirée sont d'accord
pour s'épouser, le futur époux simule un rapt et disparaît
avec celle dont il n'est que complice [...]. » 18
Nous constatons que tout le monde , les sujets comme les chefs,
faisaient le rapt pour se marier.
Le droit musulman ne reconnaît pas cette institution. Et
les propos reportés par ces auteurs démontrent la
perpétuation de cette pratique chez le peuple Antemoro. Comme le rapt
n'est pas l'héritage de l'islam, nous pouvons déduire qu'il est
la coutume matrimoniale des ancêtres depuis la période
précédent l'arrivée des premiers musulmans, donc avant le
XIIIe siècle.
14 Anteoni : clan Antemoro que nous allons
étudier dans la deuxième partie de notre exposé.
15 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, 1959,
p.45.
16 MESSELIERE, Du mariage en Droit Malgache,
p.151.
17 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, propos cité par MES SELIERE, p.151.
18 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, 1908, Les Taimoro, (Messelière p. 129)
Telle est notre hypothèse. Elle est renforcée
par les propos de BERTHIER qui dit que « bien avant l'occupation
française, les Merina avaient conquis [...] la plupart des peuples de
l'Ile. Très habilement, ils avaient respectés et maintenus les
usages et les institutions des tribus soumises à leur
hégémonie [...] ». L'auteur rajoute que « plus
tard, les Merina ont étendu leurs coutumes, à l'exception de
celles touchant au statut du personnel»19.
De plus, dans l'exposé des motifs de la loi du 6
août 1896 qui a annexé Madagascar à la France, le
gouvernement français a déclaré « qu'il
n'entendait nullement porter atteinte au statut personnel des habitants de
l'île , aux lois et usages, aux institutions locales ».
Par conséquent les coutumes observées même au
courant du XIXe siècle ont conservé leur «
pureté originelle ».
Telles sont les bases sur lesquelles s'appuient notre
hypothèse qui consiste à dire que les peuples autochtones avaient
comme coutume matrimoniale l'enlèvement concerté.
Dans cette première partie, nous allons nous
intéresser tout d'abord à la formation du mariage par rapt. Un
essai de compréhension de ce « droit coutumier » sera fait
avant la description de la scène de l'enlèvement . Le pourparler
qui est un prélude au redressement de l'équilibre social et
cosmologique clôturera le chapitre sur la formation du mariage.
Viendront ensuite l'étude des effets du mariage, tant
entre les familles qu'entre les époux. Cette analyse va nous permettre
de nous rendre compte de la réelle égalité entre les deux
sexes à l'époque archaïque.
La rupture du lien matrimonial qui est dû tantôt
au décès de l'un des époux, tantôt à leur
séparation volontaire terminera cette première partie de
l'exposé.
19 BERTHIER Hugues, Droit civil Malgache,
Tananarive, 1930, p.1 5.
CHAPITRE I : LA FORMATION DU MARIAGE
SECTION I : LE RAPT ET LE POURPARLER
§1 : LA SIMULATION DE RAPT
Nous avons vu que lorsque deux jeunes gens sont d'accord pour
s'épouser, le futur simule un rapt, comme le disait JULIEN20.
Nous pouvons, à partir de ce constat, concevoir le rapt simulé
comme un moyen de l'expression du consentement de deux personnes à
s'épouser. Néanmoins, il faut remarquer que le rapt ou
l'enlèvement concerté se produit avant l'instance du mariage. Le
consentement des futurs dont on fait allusion ici n'est cependant pas suffisant
pour que le mariage soit consommé. Pourquoi enlever
systématiquement la femme et comment procède-t-on à ce
rapt ?
Telles sont les deux questions auxquelles nous allons essayer de
répondre dans ce paragraphe.
A- Les causes et les buts du rapt
Il faut remarquer que dans une société, la
personne acceptée par tout le monde comme chef inspire les autres
membres du groupe . C'est-à-dire, tout ce que fait le chef est bon.
N'oublions pas qu'on est ici à l'époque archaïque. Et
d'après la traduction de JULIEN21 d'un manuscrit Sorabe,
« Andrianalivuadziri ayant entendu cela (que celui qui épouse
cette femme sera servi par les gens de Matatana), suborna puis enleva la femme
d'Andriambuadziribe ». Notons que le ravisseur est, d'après
JULIEN, un
20 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, Taimoro
20 BERTHIER Hugues, Droit civil Malgache,
Tananarive, 1930, p.1 5, 1908, les Taimoro
prince dénommé Ali et la femme est une princesse
: « le prince Ali, qui avait écouté ces propos se
hâte d'approcher la princesse, la séduit et l'entraîna avec
lui loin de l'Andriambuadziribe ».
Cependant, on constate que, dans les sultanats musulmans,
avant l'unification du Royaume, se pratiquait le rapt. Etant donné que
le droit du mariage musulman ne consacre pas l'enlèvement comme moyen
d'obtenir une femme, on déduit que cette pratique est la coutume
matrimoniale autochtone. Le fait même qu'un prince agisse ainsi encourage
les autochtones à faire perdurer la pratique de l'enlèvement
concerté. C'est donc la cause d'ordre historique de cette
institution.
A côté de celle-là existe une cause
découlant du pouvoir du chef. Les filles nubiles sont en effet des
femmes potentielles du chef dans les sociétés primitives. Ce
n'est pas tout le monde qui peut être accepté à la
tête du groupe. Il faut qu'un chef soit doté d'une qualité
particulière qui donne confiance aux autres membres du groupe social.
Analysons un passage de manuscrit traduit par JULIEN22 : «
Voici, un étranger qui s'offre à détruire le
Fanani23 ; cause de nos terreurs. S'il dit vrai et nous en
libère que lui donnerons nous en récompense ? [...] Le pays
appartiendra à qui supprimera la Fanani, répondent-ils (les deux
notables représentants de huit clans) ».
Nous constatons l'étendu du pouvoir offert à
celui qui aura rendu service au groupe, le pays lui appartient. Et les autres
individus soumis à lui se feront le plaisir de lui offrir leurs filles
nubiles s'il le désire, plutôt qu'à d'autres. Cette
pratique, à force de se répéter devient coutume et tous
les chefs s'en prévalent. Les autres hommes de la société
seront « servis » après lui. Cela risque de créer des
abus. D'où la nécessité de l'institution du rapt avec le
consentement de la fille pour permettre à celle-ci de s'arracher
à l'emprise du chef.
21 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, Paris,
1929, p.30.
22 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, 1929,
p.92.
23 Monstre dont la férocité risque
« de transformer en désert tout un grand pays ».
On peut rajouter d'autres causes poussant les hommes à
faire le rapt, comme le manque de femme dans un groupe et l'abondance dans un
autre groupe. Et le rapt à ce moment là se justifie par ce
manque.
Voilà quelques motifs du rapt. Personne dans les
villages n'obtient facilement de femme sans faire preuve de courage.
Mais l'enlèvement concerté ne se fait pas de
façon anarchique « la demande en mariage est [...] conduite
suivant un certain nombre de règles ; le prétendant doit se
soumettre à certaines formalités, y manquer, donne le plus
souvent lieu à l'application d'une peine sévère,
imposée par le Roi ou à défaut par le Fokonolona (la
communauté villageoise). » 24
Le consentement de la femme à enlever est la
première condition exigée. Peu importe si elle est mariée
ou pas. Le lien matrimonial antérieur n'empêche pas
l'enlèvement. Du moment où elle consent, l'acte n'est pas
sanctionné. L'exemple du prince qui a volé la femme du roi d'une
autre région que nous avons vu plus haut illustre ce propos. La femme a
consenti.
Leur fuite est la manifestation extérieure de leur
envie de vivre ensemble. Ils prouvent que rien ne les empêche, ni le lien
matrimonial antérieur s'il s'agit d'une femme mariée, ni
l'autorité parentale pour une fille en âge de se marier.
L'objectif de la fuite est aussi de permettre aux deux futurs époux de
se connaître mieux avant de contracter l'union.
L'enlèvement peut dès lors revêtir un
aspect séducteur. Il permet à l'homme de montrer son audace
devant la femme qui l'intéresse. Et pour terminer, l'homme doit
acquérir la complicité de la femme.
On peut dire que tels sont les motifs et les objectifs de
l'enlèvement concerté. Mais comment se réalise-t-il ?
B- Les modalités du rapt
La société, à cette époque
archaïque était troublée par des guerres
incessantes.25 Dans ce contexte, le moindre geste antisocial peut
exposer son auteur à un danger de mort. Il risque de recevoir un coup de
sagaie. Ce qui fait qu'avant d'enlever une femme, l'homme doit longuement
réfléchir sur les moyens nécessaires pour la
réussite de leur fuite car au bout de quelques temps, ils doivent
réapparaître.
1- La fuite
La femme étant prête à partir, le
ravisseur s'occupe de l'endroit où ils pourront se cacher. Seuls
quelques proches parents du ravisseur sont au courant de l'affaire. Ils
serviront d'intermédiaires lors du pourparler.
Le passage suivant, relevé dans le manuscrit traduit
par JULIEN26, nous donne une idée claire au sujet de la
fuite, où est dit : « Le prince Ali [...] se hâte
d'approcher la princesse et la séduit et l'entraîne loin de l'A nd
ri ambuadzi ri be 27. Rentré [...] auprès de
son père 28, celui ci profère contre le
séducteur l'anathème du rejet... » 29
De cet extrait, nous pouvons comprendre la réaction de
la famille musulmane face à l'enlèvement. Pas question
d'héberger un délinquant chez elle, même si celui- ci est
son propre enfant. La complicité de la famille
24 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache,
p.149.
25 MUNTHE, dans le livre intitulé « La
tradition arabico-malgache, d'après les manuscrit A-8 d'Oslo
», a traduit plusieurs manuscrits relatant les scènes de
guerres dans la vallée de Matitanana.
26 JULIEN, Tradition Arabico - malgache,
Paris, 1929, p.29.
27 Andriambuadziribe est le roi dans une des
régions de la vallée.
28 Le père d'Ali est aussi roi dans une autre
région.
29 JULIEN, Tradition Arabico-malgache, Paris,
1929, p.29.
risque de mettre en danger tout le clan. La première
décision qu'elle prend est donc de rejeter le coupable.
C'est pourquoi, le ravisseur doit d'abord trouver un endroit
secret que seuls ses complices connaissent avant qu'ils ne s'y rendent. Les
complices pourront les ravitailler en nourriture pendant que les parents de la
fille ou de la femme, si elle est mariée, se livrent aux plus actives
recherches.
Les autochtones sont batailleurs à l'extrême et
jouent très facilement de la sagaie. La découverte de la cachette
serait fatale pour les fugitifs. Un autre tribu peut servir de cachette.
N'oublions pas qu'on est entre le XIIIe et le
XIVe siècle, le Royaume Antemoro n'est pas encore
unifié. Des petits sultanats sont en train de se constituer. Pour
revenir au cas du prince Ali, il a fini par devenir le roi des tribus où
il a trouvé refuge.
L'union des fugitifs n'est pas légitime aux yeux des
parents musulmans. Le rejet implique la non admission au tombeau familial du
rejeté et de sa progéniture. Il n'y a rien qui puisse produire
plus de malheur au peuple autochtone. C'est pourquoi : « après
quelques jours, pendant lesquels les parents feignent de se livrer aux plus
actives recherches, les fugitifs réapparaissent [...J. » 30
2- La réapparition
Le coupable étant rejeté par ses parents, la
famille de la fille traque les fugitifs. Au bout d'un moment, ils abandonnent
la recherche et ils les laissent face à leur destin.
30 JULIEN, Institutions politique et sociale de
Madagascar, 1908, Les Taimoro
Quand tout danger est écarté, les remords
apparaissent. C'est pour se repentir que les fugitifs retournent chez leurs
parents. Pour en donner une illustration, revenons à l'histoire du
prince Ali.
JULIEN a traduit qu' « il anéantira le
monstre, mais il ne peut taire ni ses remords ni ses appréhensions. La
vision de la colère paternelle le hante. Il explique alors le crime
qu'il a commis et affirme que ses jours sont comptés si son
père31 peut exercer sur lui sa vengeance. » 32
Tel est donc l'objectif de la réapparition après
la fuite des futurs époux. Cette partie de l'histoire du prince Ali nous
a permis d'apprendre que les futurs quittent d'abord le domicile familial avant
de l'intégrer. Nous pouvons en déduire que la formation du
mariage autochtone était précédée de la simulation
de rapt.
§2- LES POURPARLERS
La réapparition des fugitifs que nous avons eu
l'occasion d'analyser précédemment ne se fait bien
évidemment pas spontanément. Elle résulte d'un long
processus entamé dans l'espoir de retrouver la réconciliation. Ce
processus est le pourparler. Il se fait en deux étapes. D'abord, il faut
que les fugitifs avisent les anciens. Ensuite, ceux-ci font la
réconciliation.
A- Les phases préalables au pourparler.
1- L'information des anciens.
Dans la cellule sociale autochtone, les anciens étaient
souvent élus chefs de tribus. JULIEN nous rapporte l'existence de
notables et de
31 Père signifie ici que le mari de Rasua, par
son âge, eût pu être le père d'Ali.
32 JULIEN, Pages Arabico-madecasse, Paris,
1929, p.92.
représentants de clans dans le manuscrit qu'il a
traduit33 : "les deux notables et les représentants des
huit clans sont unanimes 34 (...) " .
Pour faciliter la compréhension de notre exposé,
nous allons regrouper ces catégories de personnes sous le nom
d'anciens.
Les anciens serviront d'intermédiaires entre le ravisseur
et ses parents dans un premier temps. Ensuite ils négocient avec l'aide
de ces derniers, le compromis. C'est-à-dire que le rapt porte atteinte
à beaucoup de relations. Comme nous l'avons vu plus haut, la relation de
la famille du ravisseur avec celle de la fille sera conflictuelle si la
première ne rejette pas le coupable. La réintégration du
coupable dans sa famille d'origine ferait renaître le conflit.
D'où la nécessité de l'intervention des tiers pour le
résoudre. A vrai dire, les anciens appuient le coupable pour sa
réadmission dans sa famille. Le ravisseur aura besoin du soutien des
parents de la fille ou du mari lésé de la femme enlevée,
pour que la nouvelle union soit légitime.
Ces derniers sont cependant avisés de l'affaire par
leurs amis ou parents des fugitifs lorsque ceux-ci désirent
arrêter d'être en cavale, car ils craignent en permanence la
vengeance de la famille ou du mari lésé par l'enlèvement
concerté.
Le fait même de mettre au courant les anciens de
l'affaire peut interrompre la recherche des fugitifs. Ce sont en effet les
familles de la fille elles-mêmes qui font l'investigation et qui traquent
le ravisseur. Comme ces familles appartiennent forcément à un
groupe social de terminer, ils suivent les directives de leurs chefs à
qui les anciens s'adressent en premier avant d'arriver chez les familles.
33 JULIEN, "Arrivée a Madagascar de Mohamed
(Hamadi), le grand Mohadjar, qui se fait appeler Andriambuadjiribe (...)" ,
in Pages Arabico-madecasse, Paris 1929,p.92.
34 JULIEN, Ibd.
Revenons sur l'histoire du prince Ali. Après qu'il ait
fait part du « crime » qu'il a commis, qui est ici la subornation de
la femme de l'allié de son père, aux anciens, ceux-ci le
rassurent en disant : « soyez bien tranquille(...) nous faisons de
cette question notre affaire (...) » 35
Aussitôt, « ils partirent tous ensemble, pour
se présenter à Ramakararu, le père d'Ali. » 36
C'est un dénommé Imanangati qui « prit le commandement
de ceux qui partaient pour aller auprès de Ramakararu. » 37
A travers ces quelques passages du manuscrit, nous apercevons
que ce sont les tiers qui entament la première démarche vers la
réconciliation.
Comme les anciens dont on fait allusion ici sont les
autochtones, nous pouvons en déduire que non seulement la pratique du
mariage par enlèvement concerté est chose courante chez eux, mais
aussi ils privilégient le dialogue pour régler les litiges.
D'où leur volonté de se présenter auprès du
père du ravisseur.
Bref, les anciens interviennent après que
l'enlèvement ait été consommé et avant que la
réapparition des fugitifs n'ait lieu. « Après quelques
jours, pendant lesquels les parents freinent aux plus actives recherches, les
fugitifs réapparaissent » 38 disait JULIEN.
L'exemple du Prince Ali illustre le comportement des
premières familles musulmanes implantées dans la région du
Matitanana. Mais dans la société matriarcale autochtone, ce sont
les parents de la fille enlevée que les anciens envoyaient chez le
ravisseur pour faire la réconciliation.
35 JULIEN, Institutions politiques et sociales de
Madagascar, 1908, Les Taimoro.
36 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929,
p.93
37 JULIEN, Traduction du deuxième manuscrit,
Pages Arabico-madecasses, 1929, p.39
38 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929,
p.40
Ayant appris la nouvelle de la part des anciens, la famille de la
fille ne peut rester indifférente. Elle va faire une enquête.
2- L'enquête
Afin de simplifier notre description, nous allons supposer que la
fille enlevée a été « réservée »
par le chef du village pour devenir son épouse.
Nous avons vu que le chef a des privilèges sur les filles
nubiles qui sont ses femmes potentielles.
Au cas où il a réservée une fille en faisant
le « misonjo »39, les parents de celle-ci doivent la
surveiller.
Mais la fille concernée elle-même peut être
l'instigatrice d'une simulation de rapt dont le futur « n'est que
complice » comme disait JULIEN. Souvent, la mère est au
courant du projet. Elle peut même l'encourager à s'écarter
de l'emprise du chef du village.
D'où la nécessité de l'enquête. Ce
sont les représentants de chaque famille de la fugitive qui la fait dans
le but de déterminer s'il n'y a pas eu de complicité à
l'intérieur même de la maison.
Deux cas peuvent se présenter : tantôt, il y a
complicité de la mère, tantôt il y a négligence des
parents.
Si la mère avoue qu'elle est complice, elle sera
sanctionné par les familles et devra racheter sa faute en payant une
amende. Dans le cas
39 Le « Misonjo » est une institution
autochtone qui permet à un homme de réserver une femme pour un
mariage ultérieur. La réservation n'implique aucune
cérémonie et se fait tacitement. Voir à ce sujet,
ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume Antemoro, p.71.
contraire, la négligence des parents sera reconnue et
ils doivent payer ensemble l'amende. Ce rachat a pour objectif de maintenir la
solidarité familiale devant le problème. A partir du moment
où cette solidarité est de nouveau liée, la famille
élargie de la fille parle d'une même voix.
A l'image de l'histoire de Ali, les émissaires du
ravisseur pour la réconciliation sont dirigés par une personne
parmi les anciens ou les notables qui prend le « commandement » de la
mission.
Bref, la grande famille de la femme parlent avec une seule
voix, d'un côté, de l'autre les émissaires venus
négocier. Le pourparler pourra désormais avoir lieu.
B- Le pourparler proprement dit
Le pourparler a un double objectif : d'abord la
réintégration du ravisseur dans sa famille d'origine, ensuite sa
réconciliation avec la famille de la fille pour éviter la
vengeance.
Une remarque s'impose. Nous avons choisi d'aborder cette
approche pour pouvoir démontrer l'évolution du pourparler dans la
période même que nous étudions. Cette évolution
résulte des actions du prince Ali qui s'est fait d'abord rejeter par ses
parents musulmans, et qui, ensuite, a pu réintégrer sa famille
après atténuation des règles du droit musulman en
matière de mariage.
Nous sommes dans la période de la constitution du
Royaume Antemoro. Les premiers sultanats musulmans ne pouvaient pas encore
appliquer à la lettre la loi islamique. La réintégration
du prince Ali dans sa
famille ne dépendait pas de son père, qui ne
pouvait pas décevoir son allié dont la femme a été
enlevée.
Pour mieux comprendre, nous allons reproduire le passage du
manuscrit, commenté par JULIEN, relatif à ce sujet : «
L'abord de Ramakararube est cordial, les questions qu'il pose
précises et nettes. Son fils Ali, a encouru son ressentiment pour avoir
suborné la femme de son parent (...)
-Comment en pareil cas se règlent les violations de
la loi matrimoniale ? demandent les deux négociateurs.
-Notre loi, sur ce point, répond Ramakararu, est
très sévère, mais je n'oublie pas que nous sommes ici des
étrangers et qu'elle doit nécessairement s'adapter aux
circonstances.
-Enoncez-nous donc la stipulation de cette loi afin d'y
satisfaire autant que possible. Et Ramakararube, parle d'abord d'une correction
: cent coups de verge. Mais (les deux négociateurs) n'entendent point de
cette oreille. Ils veulent bien payer une amende, mais point que des coups
soient distribués »
40
Ramakararube estimant équitable cette
manière 41 de dédommager l'Andriambuadziribe
se décide à le convoquer. »
Nous remarquons qu'il y a lieu d'abord de satisfaire le
côté lésé par l'enlèvement,
c'est-à-dire celui d'où vient la femme enlevée, avant de
s'occuper du sort du ravisseur.
40 JULIEN, Pages Arabico-madécasses, Paris
1929, p.93
41 Nous verrons dans le paragraphe suivant les
propositions des négociateurs
JULIEN poursuit la traduction et annonce qu' « il
dépêche auprès de lui des messagers (...) »
Quelques explications préalables sont
échangées sur le but de la visite, après quoi, les
habitants de la Manampatra 42 sont réunis en grand
conseil. »
Ramakararobe assiste d'après le manuscrit à la
grande réunion.
« Puis il ne s'indigne pas que son fils Ali se soit
si mal comporté à son égard. S'il l'a convoqué,
lui, l'outragé, c'est afin qu'on s'entende à l'amiable sur les
détails d'une nouvelle loi à établir sur le mariage, loi
qui sera moins rigide que celle des Musulmans, car la loi islamique est bien
stricte pour le pays de Matatana. »43
JULIEN poursuit son commentaire. « Pressé de
faire connaître les prescriptions de sa règle à lui,
l'Andriambuadziribe énonce une sorte de loi du talion (...)
»
Après avoir insisté une fois encore sur la
rigueur des règles matrimoniales musulmanes, comprenant sans doute
qu'user de conciliation serait pour lui moins dommageable, l'Andriambuadziribe,
ayant réfléchi quelques instants, ajoute :
- Vous êtes, vous autres, les maîtres de ce
pays ; nous sommes, nous, que des étrangers. Nous ne saurions vous
imposer notre loi. Voyez donc vous- mêmes et faites pour le mieux.
»44
JULIEN poursuit son commentaire en disant qu' « il
apparaît dès lors que la cause d'Ali est gagnée. Non
seulement les tribus qui l'ont élu roi verseront une amende
atténuée, mais elles auront imposé à
l'Andriambuadziribe, sa victime, une sorte de reconnaissance de
vassalité. »
42 Manampatra, une région dans le pays de la
Matatana.
43 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, Paris 1929,
p.94
Nous comprenons à travers ces lignes pourquoi le
mariage par rapt se pratiquait encore récemment. Le prince «
rebelle » qui pratiquait la coutume autochtone en faisant le rapt est
devenu roi de plusieurs tribus. Il a réussi à atténuer
l'application de la loi islamique dans la religion, au bénéfice
du droit coutumier du mariage pendant l'époque de la constitution du
Royaume Antemoro.
Bref, voilà ce que l'on peut dire sur le rapt et le
pourparler. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons essayer de
décrire le mécanisme du fonctionnement de la
société autochtone.
Le système est basé sur l'idée de
communauté d'une part, et sur la croyance en la continuité de la
vie terrestre avec l'au-delà de l'autre.
C'est pourquoi, le mariage par rapt ou mariage par
enlèvement concerté rompt l'équilibre social et
l'équilibre cosmologique dans la croyance traditionnelle.
A partir de l'idée que le droit est un système
de contrôle social établi dans le but de maintenir un ordre dans
une société, l'ordre dans la société autochtone est
réalisé par le respect de ces deux équilibres qu'on a
cité plus haut. Le rapt rompt ces équilibres. Le mariage est
consommé dès lors qu'ils sont de nouveau rétablis.
44 JULIEN, Idem.
SECTION 2 : LA RECHERCHE DES EQUILIBRES
§1: LES COMPENSATIONS MATRIMONIALES
Les compensations matrimoniales ont pour objectifs de
rétablir l'équilibre social rompu par l'enlèvement de la
femme. Bien que cette dernière consente volontairement au rapt, le
ravisseur lèse forcément une autre personne.
Pour être plus précis, nous allons essayer
d'envisager deux cas qui peuvent se présenter : tantôt la femme
enlevée n'est pas encore mariée, tantôt elle l'est.
Dans le premier cas, le ravisseur arrache « sa victime
» à l'autorité de ses parents. Ces derniers sont en
l'occurrence la partie lésée.
Dans le second cas, le ravisseur s'approprie de la femme
d'autrui, par conséquent, il l'arrache à l'autorité de son
mari. Celui-ci est donc lésé.
Pour palier à ce déséquilibre que nous
qualifions de social, le ravisseur doit apporter une compensation. C'est ce
qu'on appelle compensation matrimoniale. Comme elle est indispensable pour la
légitimation des enfants qui seront nés de l'union, la
compensation matrimoniale ou familiale peut s'élever à une forte
somme. Elle n'est pas seulement prévue pour les enfants, le ravisseur
doit la payer pour sa propre survie. Tant qu'il ne s'en acquitte pas, il est en
perpétuel danger. C'est-à-dire que la famille de la fille ou le
mari déchu traque en permanence les fugitifs pour se venger de
l'acte.
La fuite des futurs se justifie par cette crainte de
représailles. Par contre, leur réapparition signale leur aptitude
à payer le prix nécessaire pour dédommager toute personne
lésée.
Cependant, le ravisseur seul ne peut pas contracter mariage.
Il est indispensable qu'il soit soutenu par ses parents ou sa famille, voire
par les chefs de son clan ou les anciens. Bien entendu, ceux-ci, dans la
majeure partie des cas, ne vont servir que d'intermédiaires dans la
réconciliation. Exception est faite pour le cas du prince Ali que nous
avons vu plus haut. Ordinairement, en l'occurrence, c'est le ravisseur
lui-même qui se charge de l'acquittement du montant de la compensation
familiale exigée par la famille de la femme enlevée.
Revenons au manuscrit traduit par JULIEN relatant l'histoire
du prince Ali.
Nous nous souvenons que les négociateurs qu'il a
envoyés avaient proposé de payer une amende pour
l'enlèvement qui constituait une violation de la loi matrimoniale
musulmane mais qui est une pratique coutumière autochtone.
Voici l'extrait du texte commenté :
« Nous payerons avec des objets livrés par
centaines, une rançon honorable, proposent-ils.
Et Ramakararube les ayant invité à
s'exécuter, ils offrent de verser à l'Andriambuadziribe cent
pesés d'or et d'argent, cent vaches, autant de génisses, de
bouvillons, et de veaux non sevrés, cent couteaux, cent haches, cent
pièces d'étoffe, la terre de Seranambe et la fertile plaine de
Tampahimandri, en bordure et à l'ouest, rive droite de la Matatana,
égale étendue aux marais de même nom. »45
La compensation matrimoniale peut donc consister en ces biens et
par conséquent peut s'élever très haut.
45 JULIEN, Pages Arabico-madecasses, 1929, p.93
Nous avons ici à première vue confondu la
compensation payée à l'Andriambuadziribe avec la sanction
pécuniaire à laquelle Ali est condamné. Il ne faut pas se
leurrer. La compensation matrimoniale n'est pas du tout une sanction.
Tantôt c'est la famille de la fille qui la fixe, tantôt c'est celle
du garçon qui en fait une proposition. Les familles acceptent la
compensation si le ravisseur appartient au même rang social qu'eux et que
si sa « conduite » est acceptable.
L'endogamie de classe a toujours été très
forte chez les peuples de la région de Matatana. DESCHAMPS rapporte que
« les sorabes racontent que les « Arabes » n'étaient
pas seuls à bord de leurs bateaux : ils amenaient avec eux des kafiri
(cafres) esclaves probablement ramassés sur les côtés
orientales d'Afrique ou nouveaux convertis, persuadés de gré ou
de force d'accompagner leurs propriétaires. » 46
A l'époque de la constitution du Royaume, par
conséquent, il y a déjà eu une diversité de classe
sociale. Nous savons que dans les petits sultanats de la région de
Matatana, ce sont les musulmans qui ont été érigés
en roi. Un esclave qui enlève une fille du roi par exemple, n'obtiendra
pas le consentement de ses parents. Quel que soit la compensation qu'il va
proposer, elle ne sera pas acceptée.
L'acceptation de la compensation familiale est la
manifestation du consentement des parents à l'union.
Néanmoins, « si une femme du peuple
était désirée par un chef... il procèderaient par
enlèvement... sans se préoccuper de demander le consentement des
parents de la fille » disait JULIEN47.
46 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.46
47 JULIEN, Institutions politiques et sociales
à Madagascar, cité par MESSELIERE, Du mariage en Droit
Le lien social du ravisseur est donc important dans
l'acceptation de la compensation matrimoniale. De même que sa «
conduite ».
En effet, le ravisseur au bout de quelques jours, vient
implorer l'indulgence et l'assistance de son futur beau-père, en lui
offrant des boissons spiritueuses et des mets de choix, rapportait
JULIEN48. Sans cette preuve de bonne conduite donc, la compensation
ne serait pas acceptée.
Par contre, si le ravisseur respecte toutes les conditions
requises, notamment après avoir enlevé la femme, s'il a
envoyé des anciens pour négocier la compensation, si en plus il
est issu de la même classe sociale que la femme et a fait preuve de bonne
« conduite », et si malgré cela la famille de la fille refuse
la proposition ou est réticente à toute discussion, la querelle
est ouverte entre les deux familles. Cette querelle peut aboutir à une
guerre.
C'est pour éviter cette impasse que les parents de la
fille coopèrent.
Lorsqu'un accord est conclu entre les anciens et la famille de la
fille sur la consistance de la compensation familiale, l'union est
consacrée.
L'autorité sur la femme est transmise dès lors
des mains de son oncle maternel à celle de son mari.
Par contre, s'il s'agit d'une femme déjà
mariée, l'autorité sur elle est transmise au « ravisseur
» des mains de l'ancien mari de la femme, car s'il accepte la compensation
familiale, c'est qu'il consent au nouveau mariage.
L'équilibre social rompu par le rapt est, à
partir de ces accords, rétabli. La famille de la fille ne traque plus
les fugitifs. Le ravisseur, qui n'est que complice de la femme enlevée,
ne craint plus la vengeance de son rival, l'ancien mari de la femme.
48 JULIEN, idem.
Il appartient à la famille de la femme d'organiser la
cérémonie du mariage pour rétablir l'équilibre
cosmologique rompu à cause du rapt.
§2 : LA CELEBRATION DE L'UNION
Le peuple autochtone célèbre le mariage dans le but
de rétablir l'équilibre cosmologique rompu. C'est à cette
occasion que les parents de la fille enlevée reçoivent la
compensation matrimoniale. Avant de voir le rétablissement de l'ordre
cosmologique, analysons d'abord en quoi il est rompu
A-La rupture de l'équilibre cosmologique
Bien qu'on fasse une étude de droit, il est
impératif d'empiéter sur le domaine religieux et d'analyser la
croyance du peuple autochtone afin que nous puissions comprendre l'institution
du mariage.
1-La croyance populaire indigène
Le peuple indigène croit en l'immortalité de
l'âme et à la continuité de la vie terrestre avec la vie
dans l' au-delà.
DELAFROSSE qualifie cette croyance d'animisme, qui est dit-il
"la croyance a l'existence d'âmes de même essence dans tous les
êtres, inanimés en apparence bien qu'animés, morts ou
vivants, au caractère personnel de chacune de ces âmes et à
la force extérieure de celles d'entre elles qui n'ont pas à
régir la vie intérieure de leur enveloppe matérielle,
c'est-à-dire de la puissance des âmes de la nature et des
défunts, lesquels deviennent aussi l'objet d'un
culte."49
49 DEFOSSE, Civilisations negro-africaines, Paris
1925.
a- L'immortalité de l'âme
Le peuple autochtone vénère la sépulture,
le lieu où l'on inhume les corps. Dans chaque village autochtone, il y a
ce qu'on appelle « fatora » un poteau de bois où un grand bloc
de pierre a été déposé par l'ancêtre qui a
fondé le village. « C'est autour du fatora qu'ont lieu la
plupart des cérémonies au cours desquelles on invoque la
présence des ancêtres » 50.Cette
présence est rappelée par l'existence du fatora dans chaque
village. L'âme de chaque ancêtre est immortelle, bien que son corps
soit enterré. Les indigènes croient que l'âme du
défunt se détache du corps lors de la mort.
A partir de là, on se rend compte qu'il y a autant
d'ancêtre que de corps enterrés dans le tombeau commun d'une part,
et d'autre part, que chaque village est habité par les descendants d'un
ancêtre commun. Les indigènes savent préserver la notion de
communauté qu'ils renforcent par cette unicité de
sépulture. On ne peut pas vénérer la sépulture si
on ne respecte pas sa propre communauté. Un problème qui touche
un membre du village concerne tout le village.
DESCHAMPS résume le croyance autochtone en ces termes:
"l'ambition des Temoro est de se comporter pendant le temps de son
existence terrestre suivant les normes admises dans son groupe social et
établis depuis des générations par les ancêtres, de
telle sorte qu'à sa mort, il puisse se joindre a la
société de ces ancêtres (...).51
La référence permanente à ce passé
assure la cohésion interne du groupe social. Plus les indigènes
invoquent leur ancêtre, plus son immortalité s'affiche et moins il
y a de problèmes dans le village. Les ancêtres surveillent en
permanence les vivants.
Un indigène n'agit jamais spontanément. Avant
d'entreprendre un projet, de fonder une famille par exemple, il lui faut
consulter les
50 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est,
p.28.
51 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est,
p.51
« mpanandro » 52. En effet, les mpanandro
sont des personnes capables , après initiations particulières,
d'entrer en relation avec le supranaturel. Bref l'indigène, avant
d'agir, consulte donc systématiquement le mpanandro qui, à son
tour, va « interroger les ancêtres sur le projet ». Le motif de
cette attitude vient de la croyance en l'omniprésence des ancêtres
et en la peur de prendre une décision qui ne va pas leur plaire. Le
« mpanandro » est là pour soulever cette hésitation.
Il peut arriver aussi que ce soit l'ancêtre qui ordonne
à l'indigène de faire quelque chose. L'individu reçoit
cette instruction à travers des songes. Rares sont les individus qui,
ayant « pris contact directement avec leurs ancêtres » , ne se
conforment pas à leurs directives.
b- Interférence de la vie terrestre avec
l'au-delà
En plus de la croyance en l'immortalité de l'âme,
les indigènes croient en la continuité du monde des vivants avec
le monde des morts.
D'après la croyance traditionnelle, les ancêtres
"...continuent à vivre dans un autre monde, à se manifester,
revêtu de puissance, à leurs descendants, et à influencer
leur existence par leur action 53."
Vivre dans le même village et être enterré
dans le même tombeau est la devise chez les indigènes. La famille
n'est pas autorisée à pleurer quand il y a un mort, «
sinon, les esprits mécontents ne tarderaient pas à venir
s'emparer de celui qui manifeste son chagrin hors de propos. Seules les vielles
femmes peuvent manifester de façon bruyante, successivement leur douleur
de voir disparaître un être aimé et leur joie de le savoir
désormais au nombre des ancêtres. » 54 Après
avoir formé un groupe solide dans la vie terrestre, les indigènes
croient que tous ceux qui sont morts reconstituent le même groupe dans
l'au-delà. Dans cette optique, la mort n'est qu'un
52 « Mpanandro » ou astrologues.
53 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est,
p.52
passage « d'une vie à une autre ». Les
indigènes se « livrent à des danses 55 quand il
y a un mort dans la famille, car le défunt en arrivant dans
l'au-delà va se « souvenir des vivants et intervenir en leur
faveur » 56
Maintenant, nous allons voir en quoi est ce que le mariage par
rapt peut engendrer un déséquilibre cosmologique.
2- Les causes du déséquilibre
La mémoire ou l'âme d'une personne est plus
respectée par les indigènes lorsque l'individu est mort. Le mot
« razana » qualifie à la fois le corps et l'âme du
défunt ou d'un ensemble de défunts.
Le rôle social du « razana » est de veiller
sur les vivants et d'intervenir en leur faveur pour tout projet qu'ils
entreprennent . Chaque famille a son « razana », et l'ensemble des
familles dans un village en a un en commun. Ces razana, de part leurs vocations
, sont en colère si les vivants les oublient dans les
événements importants touchant leurs descendants tel que la
célébration du mariage.
DESCHAMPS disait: "censés être à la
fois bienveillants et irascibles, tutélaires et redoutables, les
ancêtres ont besoin d'égards, d'honneurs et de respect. Ce sont
eux qui président à la destinée des vivants, eux dont il
faut satisfaire les exigences, pour qu'en retour juste ils facilitent
l'existence, donnent de bonnes récoltes et de nombreux enfants,
richesses et santé, sinon ils pourraient envoyer maladies et
calamités."57
Oublier les razana avant de faire un projet aussi grand que le
mariage peut créer des empêchements à sa
réalisation, telles que la mort prématurée ou la non
procréation dans le nouveau foyer. Les autochtones, rappelons-le,
54 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est,
p.64.
55 DESCHAMPS, op., cit.
56 DESCHAMPS, op., cit.
57 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est,
p.52.
se marient surtout pour mettre au monde des enfants. La
colère du razana oublié risque d'empêcher les nouveaux
époux a procréer.
Les grandes personnes, avant de mourir, donnent des
recommandations à leur famille. Ces recommandations doivent être
respectées non seulement par les survivants mais encore par les
générations qui les succèdent. Il y a aussi des
recommandations de l'ancêtre unique du village que même les
nouveaux venus doivent respecter s'ils habitent le village. Le non-respect de
ces recommandations, est sanctionné par les autres membres du groupe
sous peine d'engendrer des malheurs pour le reste du groupe, telles que
l'épidémie ou la guerre par exemple. Et pour revenir à
l'institution du mariage, la pratique du mariage par enlèvement qui
n'est pas recommandée par les ancêtres expose son auteur à
un danger de mort, il risque de se faire tuer par celui qui le traque.
Bref, les développements antérieurs nous ont
permis de comprendre la rupture de l'équilibre cosmologique. Qu'en
est-il de la célébration du mariage ?
B- La célébration du mariage comme facteur
d'équilibre cosmologique
La célébration du mariage a pour fin de
rétablir l'équilibre cosmologique. C'est pourquoi, elle est faite
sur un « tany masina »58, une clairière ou une
vallée pour faire participer l' esprit des défunts aux
réjouissances des vivants. D'habitude, chaque famille a un « tany
masina » ou « tany fady », lieu « choisi par un
ancêtre qui révèle sa volonté au cours d'un
songe » 59s'il ne l' a pas fait de son vivant.
58 « Tany masina » ou lieu sacré
59 DESCHAMPS, op., cit., p.66.
Sur ce lieu, la bénédiction des deux
époux est donnée en présence de leurs familles respectives
d'un côté, du « mpanandro » et du chef de la tribu de
l'autre côté.
La présence de toutes ces catégories de
personnes est significative dans la mesure où ils vont faire appel
à tous leurs ancêtres respectifs pour témoigner aux razana
de leur bonheur consécutif à l'événement « qui
se déroule sur la terre », et par conséquent de leur bonne
entente mutuelle. Ce sont les chefs de famille qui officient les cultes des
ancêtres.
Devant la délicatesse de la cérémonie ,
si ces catégories de personnes citées plus haut ne sont pas
consentantes à l'union, ils préfèrent s'absenter. Leur
présence n'est pas seulement symbolique mais encore elle doit être
sincère. Toutes les rancoeurs contre les nouveaux mariés doivent
être oubliées avant la cérémonie. Personne n'aura le
droit à l'avenir d'évoquer à nouveau la séquence du
rapt pour justifier une mauvaise action.
Les parents du garçon apportent les compensations
promises lors du pourparler. Le futur dépose les présents sur des
nattes neuves. Des zébus émanant des deux familles selon leur
accord sont immobilisés à l'aide de cordes pour être
immolés.
Tout le monde qui assiste à la cérémonie
prend place autour du « vato masina »60
déposé par l'ancêtre de la famille de la fille, si les deux
familles sont d'accord pour que la cérémonie ait lieu chez elle.
Après s'être assuré que personne n'occupe le
côté est de l'implantation du « vato masina », le plus
âgé des officiants du culte familial des ancêtres, que sont
les chefs de famille, commence la prière 61 en invoquant la
lignée complète des ancêtres des futurs mariés. Il
commence par citer les grands aïeuls (Iababe et Endribe) des deux
lignées en passant par les ascendants les plus récemment
déposés dans les tombeaux respectifs et dont le premier sommeil
est à peine commencé et terminera par « l'anga-be » qui
à lui seul, représente
60 Vato masina ou pierre sacrée.
61 JULIEN, Histoire de Tatsimo, « le
mariage »
l'association de tous les esprits malins. « Ces
forces maléfiques sont tenues pour masina ou sacrées, donc
redoutables et ne saurait les indisposer sans en souffrir» 62.
L'évocation de la liste des ancêtres étant
terminée, les époux leur adressent une prière en
précisant la raison de la cérémonie, qui est ici leur
union. Ils les implorent d'accepter l'animal dont le sang est répandu en
leur honneur.
Voilà comment le peuple autochtone remet le
bouleversement cosmologique en ordre après le rapt. Jusqu'à ce
moment, la cérémonie du mariage qui est loin d'être
terminée provoque auprès de l'assistance un sentiment
d'apaisement. Plus personne ne va redouter la colère des ancêtres
a cause de l'union.
Et la prière continue. Les époux implorent les
ancêtres de faire en sorte que le mariage soit heureux
c'est-à-dire que le couple engendrera beaucoup d'enfants.
Remarquons qu'à l'époque archaïque, le
peuple autochtone avait autant besoin d'enfant fille que garçon. Il n'y
avait pas de penchant pour l'un ou l'autre sexe.
La fécondité des vaches et la
productivité des plantations ne sont pas oubliés dans la
prière.63
Entre-temps, le zébu est immolé. Le sang est
répandu en l'honneur des ancêtres et l'animal est
dépecé. Chacun des assistants à la cérémonie
du mariage, « suivant le rang de préséance qui lui est
accordé par la coutume, a droit a un morceau
déterminé».64
62 JULIEN, Histoire de Tatsimo, « le
mariage »
63 JULIEN, Histoire de Tatsimo, « le
mariage »
64 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache,
p.1 80.
Nous avons vu jusque là comment se formait le mariage
par rapt. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons nous intéresser
aux effets du mariage autochtone et à la rupture du lien matrimonial.
CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE
DU
LIEN MATRIMONIAL
SECTION 1 : LES EFFETS DU MARIAGE
§ 1 : LES EFFETS TOUCHANT LES DEUX FAMILLES
Le mariage traditionnel du peuple indigène est une affaire
qui intéresse plus la société que les deux époux
eux-mêmes.
La famille avons nous vu, joue un rôle de premier plan
depuis le rapt jusqu'à la consommation du mariage. Et ce rôle
prépondérant ne disparaît pas quand le mariage est conclu,
bien au contraire, il se renforce.
A) Les rapprochements
1-Le rapprochement des deux familles
L'union de deux individus ne peut se faire sans l'aval de
leurs familles. Il faut d'abord qu'ils s'entendent sur plusieurs points avant
de consentir au mariage. Cette entente, bien que nécessaire pour
l'union, ne produit pas seulement des effets aux époux.
C'est surtout le rapprochement des deux familles sui est plus
significatif grâce au mariage. Une assistance mutuelle et quotidienne
peut s'établir . La société primitive étant
agricole 65 ; les deux familles peuvent mettre en commun leur main d'oeuvre
pour défricher des terres par exemple.
En réalité, les deux familles fusionnent. Il faut
remarquer que la société primitive est égalitaire, il n'y
a pas de lutte de classe, donc tout le
65 JULIEN a traduit un passage de Sorabe
évoquant l'agriculture.
monde a le même niveau de vie. Sur le plan
économique, la fusion des deux familles n'est que
bénéfique.
Dans cet ordre d'idée, il y a une assistance mutuelle
entre elles. Cette assistance n'est pas limitée. Les familles peuvent
s'allier pour constituer une armée en cas de menace d'attaque contre
l'une d'elle. Et chaque famille grâce à cette alliance aura un
sentiment de sécurité, l'une pouvant compter sur l'autre.
On reconnaît à travers ces quelques idées
les raisons qui peuvent pousser à enlever une femme, même si elle
ne consent pas. Et la famille de celle-ci à ce moment là autant
d'intérêt que celle de l'homme à ce que l'union soit rendue
légitime.
2- Le rapprochement des deux clans
L'hypothèse qu'on développe ici concerne le rapt
d'une femme issue d'un autre clan.
Si après l'enlèvement le mariage est
légitimé, l'union peut revêtir une dimension politique. Les
deux clans vont "se voler des femmes " sans que l'acte puisse aboutir à
une guerre. C'est la première personne qui ose faire le premier
enlèvement qui risque gros. Et s'il acquiert légitimation, cet
acquis aura valeur de précédent pour les autres membres des clans
concernés. Plus il y aura d'union exogame par clan, plus le
rapprochement des deux clans se renforcera. Et la phase finale du rapprochement
aboutira à la fusion des clans et à la formation d'un groupe
social plus important.
Telle est la dimension politique de l'union des deux individus
issus de deux clans différents. Les familles respectives des deux
époux ne se contentent pas des avantages nés de l'union , ils ont
aussi des obligations vis-à-vis du nouveau ménage.
B)- La surveillance du nouveau ménage
L'union produisant autant d'effets bénéfiques,
tels que cités plus haut, mérite d'être maintenue pour
sauvegarder les intérêts des familles. C'est pourquoi, la coutume
autochtone autorise ces familles à veiller au bon fonctionnement du
ménage. En cas de décès du mari par exemple, le famille de
la femme est chargée de donner de la nourriture aux enfants. Et les
petites querelles non réglées par le couple peuvent être
soumises à la famille qui va sanctionner le fautif. S'il manque de la
nourriture dans le «Tranoambo»66 les familles doivent en
fournir au foyer en manque.
Tout cela sont les effets que produit le mariage à
l'égard des deux familles des époux. Le mariage produit aussi des
effets dans l'organisation de la société.
§2- LES EFFETS DU MARIAGE A L'EGARD DES EPOUX
L'organisation de la société autochtone se fait par
le système de rang. Les hommes et les femmes ont leur propre mode
d'organisation.
A- Les effets sur le statut social des époux
1- Le mariage et le statut social de
l'homme
Chaque individu a sa place exacte dans la
société autochtone. Les hommes et les femmes ont leur mode
d'organisation qui leur est propre. Les nouveaux nés des deux sexes sont
les « zazakely ». Dès qu'il sait courir, le garçon a le
statut de « beminono » et commence a jouer un rôle dans la vie
sociale. Son rôle est de ramasser du bois. A sa puberté, il
devient "zazalahy" dont le rôle social est d'enterrer les morts. Jusque
là, ce sont les critères biologiques qui permet au garçon
de passer d'un rang social à un autre. Beaucoup d'hommes restent «
zazalahy». Certains, les plus courageux à faire
un rapt et à fonder une famille gravitent les
échelons de la société. En effet, seul le mariage peut
leur permettre de monter de classe en devenant « olombe ». Et le
statut social d'olombe se renforce par rapport au nombre d'enfant que l'homme
aura procréé. Le chef du village est choisi parmi les olombe.
Nous avons déjà vu le privilège matrimonial du chef du
village qui, rappelons-le, est le « géniteur» dans le
village.
Nous pouvons deviner à quel point tous les zazalahy
veulent gravir les échelons. Un "olombe", il peut assister aux palabres
par exemple ou à toutes circonstances nécessitant la
présence d'hommes de son rang. Néanmoins les « olombe »
sont tous sous l'ordre direct du chef du village et lui doivent respect, de
même ils doivent respect aux « olombe » plus âgés
qu'eux. Ils ne peuvent pas prendre l'initiative personnelle de remplacer le
chef.
Voilà en ce qui concerne les effets du mariage sur le
statut social de l'homme . Qu'en est il de celui de la femme ?
2-Le mariage et le statut social de la
femme
Les nouveaux nés sont les "zazakeli", sans distinction
de sexe. Puis, les filles passent au statut de « sarabanadika »
67ou fillettes qui ont pour rôle d'aider leurs mères.
Nubiles, les filles deviennent « somondrara ». Ce sont elles qui sont
les victimes d'enlèvement. Les « zazalahy » sont les
ravisseurs. Mais le statut de femme marié ne change en rien l'importance
sociale de la femme. Il faut attendre qu'elle ait des enfants pour qu'on
l'appelle « tsarbiteza ». Plus elle a d'enfants , plus elle est
admirée par les « zazalahy » qui rêvent de femmes
fécondes. Son importance sociale reste toujours figée
jusqu'à ce qu'elle ait des petits enfants. Les indigènes
l'appellent «viavi-be». C'est parmi les «viavi-be» qu'est
choisi le chef des femmes qui ont une importance sociale très grande
dans la société matriarcale autochtone.
66 Tranoambo ou grenier à riz
67 Sur les classes d'âge voir DESCHAMPS, Les
malgaches du Sud Est, p.1 55. Notons qu'on s'est seulement inspiré
des informations de DESCHAMPS dans notre analyse.
Bien que le mariage en lui même ne produit aucun effet
sur le statut de la femme, la société accorde beaucoup plus
d'importance aux femmes mariées qu'aux jeunes filles nubiles. Et le
mariage est une étape conduisant la femme à la place du chef des
femmes plus tard.
B-Les autres effets
1- Les effets communs aux époux
La société autochtone, consciente de la
difficulté rencontrée par les époux lors de leur
première installation dans le nouveau foyer, exclut les nouveaux
mariés des taches communautaires.
MESSELIERE, rapportant les propos de JULIEN, avance qu' «
en pays Tatsimu 68,on laisse tranquilles les jeunes époux
pendant quinze jours qui suivent le mariage ; on respecte leur liberté
et même, en cas de corvées d'intérêt
général auxquels les fokonolona prendrait part en
totalité, les époux qui viennent d'entrer en ménage
(mpihaobao) ne sont pas déranges. Ils sont censés, dans le
premier temps de leur union, aménager leur intérieur.
En entrant dans le ménage, le mari remet a son
épouse un mortier, un pilon, un van et une louche, tous les objets qu'il
a fait lui-même avec du bois pris dans la forêt voisine.
Ce sera à la femme de confectionner les nattes
vestimentaires (tafitsihy), les nattes couvertures (bona), et les nattes
sièges (tsihi fitaboha), les corbeilles et les paniers. »
69
2. Les fady ou interdits
68 JULIEN a donne le nom de Tatsimu au groupe de
population du Sud-Est de Madagascar.
69 MESSELIERE, Du mariage en Droit malgache,
p.181
Le domicile conjugal se construit sur la « tanindrazara
» ou la terre des ancêtres du mari.
Deux constructions composent le foyer : la « trano » ou
la maison d'habitation, ensuite le « tranoambo »70 ou
grenier à riz.
En complément de ce que nous avons vu plus haut sur la
répartition des tâches par classe d'âge ou chacun trouve sa
juste place dans la société primitive, force est de constater que
même dans le foyer, chacun des époux a son attribution propre. Ce
sont les « fady » ou interdits coutumiers qui harmonisent cette
répartition des tâches. Des « fady » sont imputés
sur le « tranoambo » et la maison d'habitation qui constituent le
foyer.
Le « Tranoambo » est aussi inviolable que le «
fasana » ou le tombeau71. Le mari a la plénitude des
pouvoirs pour ravitailler le « tranoambo ». Sa femme ne peut le
contraindre ni se substituer à lui.
A côté du « fady » sur le « tranoambo
» il y a aussi le « fady » sur le « trano
»72.
Dans la maison il y a les « fady » que l'homme doit
observer. Ces « fady » portent sur la place qu'occupe l'homme, d'une
part, et celle qu'occupe la femme, d'autre part. Mais l'interdit commun aux
peuples autochtones est celui qui empêche l'homme de se servir
lui-même du repas préparé par sa femme.
Voilà en gros les règles coutumières en
matière d'obligation de cohabitation à laquelle sont soumises les
deux époux.
SECTION 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL
70 Tranoambo : maison surélevée, sur
pilotis dans laquelle sont stockés les récoltes et les
matériels non usuels.
71 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache,
p. 47.
Nous avons vu les étapes par où doivent passer
les époux avant que leur union soit consacrée. Avoir une compagne
ou un compagnon est cependant très difficile. C'est pourquoi, les
autochtones ne cherchent pas à se séparer volontairement sans
motifs graves. Et la mort aussi rompt l'union.
§1- LE DECES DE L'UN DES EPOUX
Le décès de l'un des époux est le mode
normal de la dissolution du mariage. Cela signifie que l'époux survivant
est en principe libre de contracter une nouvelle union. Le cas des
indigènes n'est pas aussi simple car le mariage se contractait surtout
entre les familles. Les effets du mariage se répercutent principalement
chez ces dernières. C'est pourquoi le décès de l'un des
époux ne suffit pas pour dissoudre leurs relations.
Dans cette société égalitaire, les effets
du décès considères comme cause de la rupture du lien
matrimonial ne sont pas les mêmes pour l'époux et l'épouse
survivant.
A- Le décès de l'homme
Le décès de l'homme ne libère pas
l'épouse du lien matrimonial. Les familles ne voulant pas rompre leurs
relations mutuelles vont décider du sort de la femme. Deux cas peuvent
se présenter ; tantôt la femme reste dans la famille de l'homme,
tantôt elle retourne chez ses parents.
1- La femme reste chez la famille de son mari
Il est pratique chez le peuple autochtone que la femme qui ait
perdu son mari soit retenue dans la famille de son mari. Cette rétention
est faite pour faire perdurer le mariage la bonne entente entre les deux
familles d'un côté, entre la veuve et la famille de son mari de
l'autre. La femme ne peut
72 Trano : maison d'habitation.
pas se marier trop vite pour montrer à sa belle famille
la profondeur de son chagrin. La veuve a en effet une responsabilité aux
yeux des autres membres du groupe villageois. C'est pourquoi elle doit tout
faire pour ne pas donner l'impression d'être coupable.
Les moeurs à cette époque étaient
dominées par les superstitions . Une femme qui a perdu son mari
était considérée comme une sorcière donc maudite
par le village.
Le fait de rester auprès des parents du mari et de
s'entendre avec eux permet à la femme de se mettre à l'abri des
accusations. La famille du garçon est pour elle et ses enfants un
refuge.
L'objectif du mariage étant surtout d'avoir une
progéniture. Souvent, les beaux parents ne veulent pas se séparer
de leurs petits enfants. Ils auront le sentiment de perdre gros si les enfants
partent avec leurs mères. En effet, même dans l'époque la
plus reculée, la coutume léguait aux mères la garde de
leurs enfants de bas âge. Personne d'autre ne peut mieux les entretenir
que leurs mères.
Nous remarquons que l'entente produit un double effet, dans
l'intérêt mutuel des beaux parents et de la veuve. Au fil du
temps, le malheur s'oublie et les parents du garçon pensent à
l'avenir de leur belle -fille qui ne doit pas rester toute seule. D'ailleurs il
est anormal qu'une femme féconde demeure dans l'état de
célibat trop longtemps. Les autres «zazalahy » ou hommes non
mariés du village la convoitent. La seule réticence qu'ils ont
c'est la superstition évoquée plus haut et qui s'oublie lorsque
la femme reste chez ses beaux-parents. Au lieu de repousser les hommes, la
veuve les attire. Mais cette attirance met en péril l'ordre
établi entre la veuve et sa famille. Il suffit qu'un des zazalahy la
séduit et l'enlève pour qu'un nouveau mariage soit
contracté avec une autre famille. Et ce nouveau mariage va dissoudre le
premier car la femme n'est pas libérée par le décès
de son mari.
Pour éviter l'impasse, les autochtones ont prévu
une coutume qui consiste à obliger la veuve qui veut un époux
à se marier avec son beau frère73, le cadet de son
mari mais non pas l'aîné74. Si l'homme avait plusieurs
frères, on laissait à la femme la liberté de choisir un
mari parmi eux. A défaut de frère, les beaux parents proposent
à la veuve les neveux ou les cousins de son mari.
Cette coutume cherche à préserver l'entente
préalablement établie et les enfants laissés par le
défunt seront les enfants légitimes du nouveau mari, membre de la
famille.
Quelle est la situation de la veuve si elle retourne chez
ses parents ? 2-La femme retourne chez ses parents
Sur décision des deux familles réunies, la femme
peut être renvoyée chez ses parents avec ses enfants. Il faut
souligner que les femmes indigènes ne se séparent pas de leurs
enfants en bas age. Les plus grands peuvent rester chez leurs grands- parents,
sous l'autorité de leur oncle paternel.
L'objectif de ce retour est de s'éloigner
d'éventuelles haines instinctives des familles du défunt qui
peuvent en vouloir à la femme. Ce sont les deux familles réunies
qui jugent du déménagement en fonction des circonstances
L'autorité sur la femme transmise entre les mains de son mari se
transmet temporairement à ses beaux parents lorsque l'homme est
décédé. Cette autorité ne revient pas à ses
parents, tant que la femme n'a pas quitté le domicile conjugal pour les
rejoindre.
Le peuple indigène avons nous dit est superstitieux. Tant
que la rumeur sur la femme court, personne dans le village n'ose l'approcher.
Elle
73 MUNTHE, La tradition Aradico-Malgache une à
travers manuscrit A-6 d'OSLO, p.257. L'auteur a traduit un passage du manuscrit
où est dit « La femme d'un frère peut (en cas de
décès du frère) passer à un autre frère.
74 L'aîné de son conjoint et
considéré comme rafozana ou beau-père ou
belle-mère, à qui l'on s'adresse comme à ses propres
parents.
risque d'attirer le mauvais sors sur les hommes. Ce sont ses
parents qui l`aident à passer cette période de veuvage où
elle est écartée de la société.
Plus tard, les parents du mari peuvent proposer à la
femme de revenir chez eux et d'épouser l'un des frères cadet de
son mari. Si la femme accepte, les liens entre les deux familles se renouent.
Dans le cas contraire si elle refuse, la femme est confrontée pour
l'avenir à une double difficulté.
La première c'est que la coutume ne l'autorise pas
à épouser un homme de son clan. Si ce cas se présente,
elle et son complice seront non seulement chassés de leurs familles
respectives mais encore leur clan va les rejeter. Cependant, l'occurrence, la
femme risque d'attendre indéfiniment avant qu'un homme issu d'un clan
étranger l'enlève pour en faire une épouse. A ce moment
là, la progéniture du premier mari va se disperser, certains
resteront chez leur oncle, d'autres iront avec leur mère.
La seconde difficulté se trouve dans le fait que
l'autorité sur la femme est encore entre les mains de ses beaux parents,
et que le mariage ne peut être conclu sans le consentement de ceux-ci. Ce
consentement est pourtant difficilement obtenu par une femme qui non seulement
est la veuve de leur enfant mais encore, elle n'a pas accepté
d'épouser l'un des membres de leur famille. Pourtant sans le
consentement des beaux parents, le mariage ne sera nullement légitime
pour la société et pour les parents de la femme. Et les fugitifs
seront considères comme des délinquants par tout le monde, donc
ne vont plus jamais retourner au village.
Force est de constater la rigueur de la coutume à
l'encontre de l'épouse survivante. Que se passe-t-il si c'est le mari
qui perd sa femme ?
B- Le décès de la femme
Quand une femme est morte, chez le peuple indigène, le
drame est immense. Une mère d'enfants a quitté le monde, donc
elle ne pourra plus donner d'enfants. La rareté de la femme à
l'époque accentue l'émotion. Pour éviter
l'éclatement des conflits familiaux ou tribaux, la coutume écarte
la présomption de culpabilité de l'homme, au contraire, elle
soutient le veuf.
1- La présomption d'irresponsabilité du
veuf
La permanence de la guerre dans les tribus de l'époque,
conduit les hommes à être violents. Cette violence est
nécessaire pour la protection des autres membres du groupe, notamment
les vieillards, les femmes et les enfants. Tous les hommes sont censés
protéger leur prochain, sous peine d'être inutile pour la
société.
Les hommes sont par conséquent conditionnés
à être violents. Un acte pouvant aller jusqu'à donner la
mort à leur femme, aussi précieuse soit elle pour sa famille, est
excusé par toute la société. Le veuf va
bénéficier d'une présomption d'irresponsabilité en
cas de décès de sa femme. « On suppose que le veuf a agi
imprudemment sans doute, en commettant un « acte déterminant
», mais par le fait même on l'excuse. » 75 Cette
indulgence à la violence des hommes est en l'occurrence utile pour les
encourager à être de bons guerriers. Les sanctionner affaiblit la
morale des hommes donc ce sera préjudiciable pour la
société.
C'est l'autorité du père sur la femme
transférée au mari qui peut expliquer cette coutume. Le
décès de la femme, à partir de là n'oblige pas le
mari à montrer à sa belle famille la profondeur de son chagrin.
D'ailleurs, il a enlevé sa femme avant de l'épouser.
A côté de cette coutume, il y a aussi l'ancrage de
la superstition dans les moeurs.
Dans le subconscient collectif de ce peuple, on croit que
certains actes peuvent entraîner la mort de l'époux ou de
l'épouse sans que rien puisse l'empêcher de se réaliser, ce
sera par exemple « le fait (...) de présenter un plat
à quelqu'un en lui tournant le dos. Dans tous ces cas76,
que l'acte ait été commis sciemment ou imprudemment, ce sera
le veuvage à bref délai. » 77
Cette croyance renforce l'autorité de chaque
époux dans la famille. C'est souvent la femme qui en subit les
conséquences dans la mesure où elle est tenue de rendre compte
aux parents de l'homme de l'événement qui aurait tué son
mari. Mais l'homme est excusé d'avance.
Bien entendu, ce n'est pas pour se faire tuer par leur mari
que les femmes se marient, et inversement l'homme ne cherche pas à tuer
sa femme dès que l'occasion se présente. Au contraire, l'objectif
commun est de procréer, augmenter le nombre de la famille pour avoir de
la main d'oeuvre et de l'autorité politique. Il ne faut pas non plus
oublier que la femme peut mourir de façon naturelle.
Quelque soit les circonstances de la mort de la femme, les
familles des deux époux continuent leur amitié. Et pour prouver
sa bonne foi, la famille de la fille propose au veuf l'une de ses soeurs de la
défunte.
2-Le remplacement de la femme
Pour préserver le lien familial existant et pour
rapprocher les enfants à leurs familles naturelles, les indigènes
estiment qu'il est préférable de donner au veuf une des femmes
dans la famille. Cette proposition est faite à condition que l'homme
entretienne de bonnes relations avec ceux ci après le malheureux
événement. Et c'est souvent la cadette qui devient la nouvelle
épouse de l'homme.
75 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p . 65
76 Nous n'avons retenu ici qu'un exemple.
§2- LA SEPARATION DES EPOUX
La séparation des époux de leur vivant est une
autre cause de rupture du lien matrimonial, à côté du
décès. La décision des deux époux ne suffisent pas
pour que leur union soit rompue. Ils faut qu'ils consultent leurs parents
respectifs qui vont décider ensemble. Cela explique que l'union des
indigènes n'est pas anarchique, et leurs séparations sont aussi
soumises à des règles. Quelles peuvent être les causes de
la séparation ? Cette question mérite d'être posée
avant d'étudier la procédure qu'il faut respecter et ses
effets.
A-Les causes de la séparation
Les causes sont tantôt communes aux époux
tantôt propres au mari et à la femme.
1- Les causes communes aux époux
Aussi difficile soit la conduite du mari, aussi grande soit la
volonté des deux futurs à fonder un foyer, le destin est toujours
imprévisible.
A la manière dont les indigènes se procurent les
femmes, nous pouvons dire qu'à l'époque on se mariait avant de
s'aimer.
Cependant la femme qui quitte sa cellule familiale doit
rejoindre une autre famille après le mariage. Et ce nouvel environnement
social peut ne pas lui plaire. Pourtant, un mariage l'engage à rester
dans le même milieu. Le mécontentement de la femme peut être
ressenti par la famille de son mari, une famille qu'elle côtoie
quotidiennement.
77 MESSELIERE, op. cit.
L'homme indigène n'ayant pas eu le temps de
connaître sa femme ne peut faire confiance qu'à sa famille qu'il a
connu depuis toujours. Il ne va pas se rallier à la cause de sa femme
pour contrer ses proches.
La volonté de partir grandit chez elle. La
volonté de la laisser partir se confirme chez l'homme poussé par
sa famille. Ainsi, la mésentente de la femme avec ses beaux-parents est
la première cause de séparation.
STANDING et DE HAUTEVILLE GUIBAL rapportent que « les
faits suivants amèneraient aussi une rupture inévitable : amener
chez soi sa fiancée par un temps pluvieux, franchir le seuil de la
chambre nuptiale du pied droit, sortir du feu de la maison conjugale, visiter
ses parents la première semaine de son mariage et manger dans des
assiettes autres qu'en terre (...)»
78
MESSELIERE79 rajoute que l'agitation de la
belle-mère le jour du mariage constitue aussi une rupture
inévitable.
Nous remarquons que le non respect des fady (ou interdits)
constitue encore des motifs de séparation, peut-être même
sont-ils les plus importants.
Les coups, sévices et les injures graves peuvent aussi
entraîner la séparation du époux disait DAMA80.
Insulter les ancêtres est une injure qui non seulement expose son auteur
à une sanction pénale, mais aussi l'oblige d'être
séparé de son partenaire.
A côté de toutes ces causes communes de
séparation, il existe des cause qui sont propres au mari.
78 H.J. STANDING, « Les fady malgaches », in
Bulletin de l'Académie malgache, 1904, p.11 0, Propos cité par
MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 301.
79 MESSELIERE, ibd.
80 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, Vohipeno
1961, p.6
2- Les causes propres au mari
Nous pouvons essayer de recenser les motifs propres aux maris de
rompre avec leurs femmes pour qui ils ont risqué leur vie en faisant le
rapt.
Le premier motif est le refus de la femme d'habiter le
domicile conjugal. Le mari ne va pas remettre en cause la perfection du milieu
social duquel il est issu. C'est pourquoi, la non adaptation de sa femme
à ce milieu se traduit par le refus de la femme à habiter le
domicile conjugal. Rappelons que ce domicile se trouve sur le «
Tanindrazana » ou sur la terre des ancêtres de l'homme. Il peut
s'installer dans un autre endroit mais il lui est défendu d'habiter chez
sa femme: c'est « fady ».
Connaissant toutes ces coutumes et ces recommandations des
ancêtres, et ne voulant pas les violer, le mari est contraint de
libérer la femme qui refuse d'habiter avec lui.
Bien entendu, la femme ne sortira pas aussi facilement du lien
matrimonial. Nous allons voir ultérieurement les effets du divorce.
La stérilité de la femme oblige l'homme à
rompre l'union. Se sentant trahi d'avoir épousé une femme qui ne
respecte pas ses obligations, le mari, appuyé par sa famille prennent
une position commune. Ce que les indigènes attendent de leurs femmes
c'est qu'elles enfantent. Si la femme n'est pas capable d'enfanter pendant une
longue période, il est inutile de la garder dans la famille. Bien
sûr elle est une main d'oeuvre supplémentaire pour les travaux du
champs mais ce n'est pas suffisant.
L'infidélité de la femme, si elle est
prouvée, autorise son mari à le dénoncer à ses
beaux-parents. Après, la femme infidèle sera remplacé par
une de ses cadettes si elle en a ou par une de ses cousines. Satisfait, l'homme
ne s'occupe plus du sort de la femme infidèle et sa vie continue avec la
« remplaçante ».
Une femme qui a consenti a être une nouvelle fois sujet
d'un enlèvement concerté manifeste son
désintérêt à vivre chez son mari. Nous avons vu les
conséquences de cet abandon de foyer. Rappelons ici que le mari est
contraint de rompre l'union après avoir été
dédommagé. L'exemple de l'épouse de l'Andriambuadziribe
enlevée par le Prince Ali avec sa complicité illustre cette
idée . Son mari a été dédommagé
équitablement.81
2- Les causes propres à la femme
Le « tranoambo » est aussi inviolable que le fasana
ou tombeau82. Seule la femme peut y accéder. « Ce
serait une cause de divorce que la violation par le mari du fady lui
interdisant l'accès au tranoambo. La famille de l'épouse, le
clan, sa famille même se ligueraient contre lui. Le coupable doit
s'humilier pour obtenir le retour au foyer en s'engageant publiquement à
ne plus jamais remonter au tranoambo et en versant, à titre
d'indemnité une ou plusieurs têtes de bétail à sa
femme qui, bénéficiaire, est alors considérée comme
voa fafy, c'est à dire purifiée par son mari et reprend avec lui
la vie commune. » 83
La violation du « tranoambo » constitue cependant
chez les autochtones une autre cause de divorce, qui peut se réparer
sans provoquer de palabre. Une femme ne peut pas facilement humilier son mari.
En tout état de cause, la coutume prévoit déjà des
sanctions résultant de l'immixtion de l'homme dans les attributions des
femmes. Cette coutume prouve l'égalité entre le mari et la femme
dans les siècles passés.
B- La procédure
Chaque grande décision ne peut être prise sans
l'aval du « mpanadro ». L'oracle est nécessaire. Cette
attitude s'explique par la peur des colères des
81 JULIEN, Pages Arabico-madesasse, deuxième
récit, p.91.
82 Tranoambo, grenier à riz
ancêtres si la décision n'est pas la bonne. Le
mari ou la femme qui ne supporte plus son partenaire va chez le devin qui
à son tour « se met en contact avec l'au-delà
». Si l'idée de séparation est bien fondée, les
parents peuvent être mis au courant du projet.
Cette annonce peut se faire verbalement, alors que les
époux vivent encore sous le même toit.
ROMBAKA84 annonce qu'il est coutume que c'est la
belle-mère ou la belle-soeur qui renvoie la femme. Elle fait part de la
décision aussitôt après un déjeuner. Voici ce que
dit la belle-mère à ce moment là : « vous allez
un moment vous séparer, oh mère ou Endriko (la politesse
commande de donner ce titre à une belle fille qui a un foyer), tel
est le désir de votre époux. Il vous abandonne et laissez le
poursuivre son aventure. Mais l'homme est un animal qui ne meurt pas sous un
seul arbre ( fa biby ny lahilaly ka tsy maty an kazo tokana) 85
»
Et la femme déchue n'a rien à dire et rentre chez
ses parents qui ne peut que lui donner tort.
Le père de la fille rend visite alors aux parents de
son mari pour enquêter sur la cause de cette rupture brusque. Les deux
familles, qui sont liées par un accord lors du pourparler, tentent de
réconcilier les époux.
Cette tentative peut ne pas aboutir à la fin
souhaitée. Les deux familles présentes lors du rituel de mariage
sont alors convoquées en réunion. La réunion a pour but de
rechercher le camp fautif. Chaque famille défend le sien. Des
discussions très tendues ont lieu car aucun, ne veut être fautif.
Les motifs évoqués plus haut sont les principales causes de la
séparation.
83 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache,
Paris, 1932, p.47
84 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro,
Traduction libre
La partie fautive doit racheter cette faute en payant une amende.
Parfois, un zébu est tué pour donner le tso-dranto, sorte de
bénédiction résiliatoir qui va rendre quitte les parents.
Et les deux personnes retrouvent leur liberté. L'autorité sur la
femme retourne dans sa famille.
85 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, 1970,
p.21.
PARTIE II : L'EPOQUE ISLAMIQUE (XIVes- XVes) LA
RESULTANTE DE LA COUTUME AUTOCHTONE ET DU DROIT MUSULMAN : LE MARIAGE
ARRANGE
INTRODUCTION
Les multitudes de sultanats musulmans, qui se sont
constitués pendant deux siècles, se sont unifiés en un
Royaume Antemoro. A ce sujet, un auteur disait que « des musulmans
stricts venus des sables de la Mecque imposèrent à un fond
autochtone une théocratie reposant sur une double hiérarchie
religieuse et politique.» 86
Bien évidemment, Ramakarobe venu en 542 de l'ère
mohamétane, le premier zélateur da l'islam dans la région
de la Matatana87, n'a cessé d'investir ses efforts pour
unifier les royaumes. A propos du rapt commis par son fils, le Prince Ali, il
donne son opinion : « Notre loi (sur la violation de la loi
matrimoniale qu'est le rapt) est très sévère, mais je
n'oublie pas que nous nous sommes ici des étrangers et qu'elle doit
nécessairement s'adapter aux circonstances » 88
C'est la raison pour laquelle, la loi coranique n'a pas
été appliquée en matière de mariage à
l'époque obscure. Mais depuis cette unification des sultanats, on l'a
appliqué. Un système de classe fut alors instauré.
Les descendants de Ramakararobe et de ses compagnons ont
constitués des clans, autres que ceux des autochtones. Le pouvoir
politique est détenu par le clan Anteony, descendant de Ramarohala, l'un
des fils de Ramakararobe. Le pouvoir religieux est détenu par le clan
Antalaotra, descendant de Ramalitavaratra, l'astronome et Andriantsimeto
Ranaha, le devin, « qui choisit lui-même l'emplacement de
l'embouchure de la Matatanana, selon la tradition, pour l'installation de ses
compagnons de route » 89.
86 TAMISIER, Dictionnaire des peuples,
Larousse, 1998, Antemoro
87 JULIEN, Pages Arabico- madecasse, Paris,
1929, p.11.
88 JULIEN, Pages Arabico- madecasse, Paris,
1929, p.93.
89 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, 1959,
p.43.
Les Anteony et Antalaoatra sont les classes nobles. Les autres
notamment les descendants des cafres que les Arabes ont emmenés avec eux
et les autochtones sont devenus les roturiers.
Le pouvoir repose sur le privilège du « sombily»
(le droit de sacrifier les animaux) que seules les classes nobles
détiennent.
L'application des rites musulmans ne se limite pas seulement
au pouvoir. Elle affecte les structures de la société elle
même. Le système matriarcal est substitué par le patriarcat
sémite. La supériorité de l'homme se renforce dans le
foyer. Par contre la femme a sa propre place.
Autrement dit, la base de la société est
toujours la famille. Le regroupement des familles est appelé «
fatrange », véritable cellule de la société,
dirigé par le Loholona. Il existe aussi des chefs des femmes dans chaque
fatrange
Doté d'une telle organisation, la société
Antemoro est fortement endogame. Le chef de clan n'a plus le monopole des
femmes. Elles sont sous l'autorité des patriarches. Ces derniers
décident du sort de leurs filles, même en matière
matrimoniale. Il suffit d'obtenir l'accord du patriarche pour épouser
une femme. D'où l'institution du mariage arrangé.
« Jadis les fiançailles étaient
décidées par les deux familles (...). De nos jours les
fiançailles sont moins longues et plus de liberté est
laissée aux jeunes gens dans le choix de leur conjoint» disait
DESCHAMPS90.
Nous pouvons dire cependant que dans le passé, les
conjoints ne se choisissaient pas eux-mêmes et ne décidaient pas
non plus de leurs fiançailles. Cette hypothèse est
confirmée par ROMBAKA91 quand il dit :
90 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, Les
Antemoro, p.61.
91 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro,
Traduction libre
« lorsque les deux familles se sont mises d'accord, les
fiançailles sont consommées, même si la jeune fille
concernée n'est pas au courant».
N'y voit-on pas un esquisse de «contrainte matrimoniale
» reconnue par le droit musulman ?
GRANDIDIER soutient la thèse selon laquelle « les
fiançailles n'auraient jamais été forcées chez les
Antaimorona » 92
Nous sommes devant un paradoxe. Néanmoins, aucun de ces
auteurs ne s'est trompé. Tandis que GRANDIDIER parle des Antaimorona
« traditionnels » (qui ont gardé la tradition matrimoniale),
les autres auteurs, font allusions aux Antaimorona influencés par
l'islam qui représentent la majeure partie de la population du Royaume.
MUNTHE affirme que « le Droit coutumier local en matière
matrimoniale s'est (...) trouvé fortement influencé par
la loi coranique et le droit pénal lui même lui emprunta le
châtiment du talion.. » 93
Ce droit coutumier local dont MUNTHE fait allusion est la
coutume qu'on a tenté de décrire dans la première partie
du mémoire. Cette fois-ci, nous allons nous consacrer à
l'étude du Droit coutumier influencé par la loi coranique, en
matière matrimoniale ou « la résultante » comme le
disait FROELICH plus haut.
92 GRANDIDIER, Histoire de Madagascar,
Ethnographie, (MESELIERE, p. 135)
93 MUNTHE Ludvig, La tradition : Arabico-
malgache, p.75.
CHAPITRE I : LA FORMATION DU MARIAGE
SECTION 1 : LA DEMANDE EN MARIAGE ET LES FIANCAILLES
§1: LA DEMANDE EN FIANCAILLES
La demande en fiançailles qu'il ne faut pas confondre
avec la demande en mariage, peut se faire de plusieurs manières. Il faut
souligner que les règles du droit musulman n'admettent pas le rapt, donc
« il est nécessaire de solliciter la main de la jeune fille
94 conformément aux règles du misondzo (...)
au cas où les fiançailles n'auraient pas lieu par arrangement
des parents avant l'état de la puberté des futurs
époux. » 95
A- LE MISONJO
Le misonjo est une institution qui est utilisée lorsqu'
aucun arrangement n'a été fait.
C'est le prétendant lui même qui doit faire toute
les démarches sans l'aide de ses parents. Un garçon qui s'entend
bien avec une fille peut la réserver pour épouse. Il rend visite
à ses parents pour leur faire part de son intention. Mais étant
zazalahy, il n'a pas le droit d'adresser la parole à un olombe
96, qui est le père de la fille. Il lui est cependant plus
facile de parler avec la mère de celle-ci. Le garçon lui dira
sans préambule : « Votre fille m'agrée, Ô
mère vénérée (E nd riko mas y), je la choisis pour
épouse, qu'en pensez vous?» 97 Bien
évidemment, la mère ne peut se prononcer sans avoir
94 JULIEN, Dans l'Histoire des Tatsimo,
rapporte que « la jeune fille en état de prendre un époux
est dite Batrakafo chez les tatsimo. A partir de ce moment , la jeune fille
porte les Sikintratra, bande d'étoffe en fibre de Harofo qui lui
comprime les seins. Elle ne quitte ce vêtement qu'au moment où
elle va accoucher. »
95 MEESELIERE, Du mariage en droit malgache,
Paris, 1932, p.150.
96 Le chef de la famille vivant au milieu de ses
femmes et de ses enfants, petits et grands, est appelé chez les Tatsimo
« Olombe » (JULIEN, Histoire des Tatsimo)
97 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale
du Royaume Antemoro, p.71.
consulté son mari. Elle dira à celui ci :
« Un tel se réserve (misandjo) notre fille, quelle est votre
décision ? » 98
Connaissant presque tout le monde dans le clan en tant que
Olombe, le chef de famille ne tarde pas à donner sa réponse.
D'autant plus que le prétendant ne va pas emmener tout de suite la jeune
fille, pas encore nubile.
Au cas où le père de la fille acquiesce au
projet, sa femme retourne au prétendant qui l'attendait et lui dit ;
« C'est entendu, ô mon père (la politesse commande
en effet, de donner ce titre au futur gendre, puisqu'il désire fonder
une famille ; on en fait en quelque sorte un ascendant par anticipation),
lorsque vous serez l'un et l'autre en âge , si vous êtes
d'accord (mifankahay). » 99
C'est ainsi que se passe l'institution du misondjo, mais à
présent, nous pouvons parler des fiançailles par arrangement.
B- L'arrangement
Avant que les enfants n'atteignent l'âge nubile, les
parents peuvent les fiancer sans qu'ils ne se connaissent. Mais le plus
souvent, c'est le garçon qui déclenche le processus
d'arrangement.
1- La première visite
Il suffit au garçon qui veut prétendre à
une fille, même s'il ne la connaît pas, de la montrer à son
père. C'est ce dernier qui se charge de l'arrangement avec la famille de
la fille. Le processus d'arrangement est donc déclenché
dès qu'il y a une volonté unilatérale du garçon.
Son père, à sa convenance va rendre visite aux parents de la
fille.
98 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale
du Royaume Antemoro, p.71.
99 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale
du Royaume Antemoro, p.71.
a- L'information
Au cours de cette visite, l'objectif du père du
garçon est d'informer les parents de la fille directement. Dans la
société antemoro, dès qu'il y a un visiteur, les enfants
et la femme, sortent de la maison. C'est la coutume. A ce moment là, il
n'y aura que les pères des deux futurs époux qui sont
présents dans la maison, et ils conversent librement.
« Je viens vous voir , dit-il car mon fils
désire votre fille » 100. Une telle annonce ne
manque pas de surprendre un père de famille. Et les échanges de
discussion permettent aux deux individus de se connaître. Le visiteur
essaie d'expliquer son origine en mettant en valeur les mérites de ses
ancêtres et de sa famille. Quand les interlocuteurs se sont
échangés suffisamment de renseignements, le visiteur prend
congé. C'est à ce moment là que le père de la fille
revient sur l'objet de la visite en disant : « Cela, est vrai, (votre
fils désire ma fille) mais c'est la première fois que vous
êtes venus sous mon toit. Revenez si vous avez un autre
moment.» 101 Le visiteur rentre chez lui avec la promesse
d'avoir la réponse de la famille de la fille.
b-Le défi et la séduction
Le père de la fille parle du projet à sa femme
qui peut à son tour prendre la précaution de demander l'avis de
sa famille. Cette dernière ne peut que se réjouir de la nouvelle.
Les enfants , y compris la fille concernée ne doivent pas être mis
au courant des affaires des grandes personnes.
Tandis que le doute persiste chez le père de la fille qui
n'a pas encore vu la « tête » du garçon à qui il
va donner sa fille, celui ci surgit.
ABINAL rapporte que « quand l'Antaimorona, voulait
obtenir le consentement du père de la femme qu'il désirait, il
allait, armé d'un bouclier,
100 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume
Antemoro, p.71.
101 ABINAL et de LAVAISSIERE, Vingt ans à
Madagascar, 1885, p.179.
frapper au commencement de la nuit, à la porte de
son futur beau-père ; celui ci lui décrochait un coup de lance
et, si le coup était adroitement paré avec le bouclier, il
était bien rare que la demande ne fut agréé. »
102
Ayant déjà des renseignements sur la famille du
garçon, le père de la fille connaît enfin son
prétendant. Cette épreuve lui a permis de se fixer les
idées sur la réponse qu'il va donner au père du
garçon. De son côté, le garçon peut abandonner son
projet s'il ne s'estime pas satisfait de sa prestation. Il aurait pu s'enfuir,
devant son beau parent armé d'une lance. Ne pas pouvoir parer
adroitement la lance avec le bouclier est une autre éventualité
poussant le garçon à abandonner, ou à dire à son
père de retarder la prochaine visite chez les parents de la fille.
2-La deuxième visite
Quelque soit le résultat de la prestation de son fils,
le père du garçon effectue une seconde visite pour obtenir la
réponse à la question posée lors de la première
rencontre.
a- La réponse
Il est de coutume chez les Antemoro de faire entrer le
visiteur dans la maison avant de le saluer. C'est au visiteur lui même de
dire l'objet de sa présence. Le père du garçon prend la
parole et dit : « je reviens demander la réponse à la
question que je vous avais posé concernant le désir de mon
fils. »103
Le père de la fille est en effet tenu de se prononcer
au cours de cette deuxième visite. Il a d'ailleurs le pouvoir souverain
sur la position qu'il va prendre en tant que père de la fille donc en
tant que personne qui détient l'autorité sur la fille. En fait
cette autorité, il ne la possède pas
102 ABINAL et de LAVAISSIERE, Vingt ans à
Madagascar, 1885, p.179.
exclusivement, mais elle est partagée avec sa femme,
mère de la fille et sa famille. Le père ne fait que
représenter toutes ces entités.
La société n'autorisant plus le rapt, la
réponse négative de sa part n'est pas négociable. Le
projet du garçon ne risque pas de voir le jour. S'il est d'accord, il
dit : « Ma femme et moi, ainsi que ma famille avons pris la
décision de vous offrir notre fille».104
Il ne faut pas se leurrer. Cet accord porte seulement sur le
projet du garçon. Il implique l'ouverture de l'établissement du
consensus entre les deux familles.
DESCHAMPS disait que « jadis les fiançailles
étaient décidées par les deux familles, après qu'on
eût étudié avec l'aide de l'ombiasa les destins des futurs
conjoints et leur degré de parenté » 105
Les deux familles prennent cependant l'affaire en main. Ils
analysent la faisabilité du projet. Ils vont chez l'ombiasa (le
magicien) capable d'interpréter le « vintana » ou destin de
chacun des futurs conjoints.
La décision des deux parents dépend de l'oracle. Si
l'ombiasa est d'accord, les deux parents négocient la compensation
matrimoniale.
b- La confirmation de la réponse
Les parents étant d'accord sur le projet du
garçon, les fiançailles sont conclues. « Les
fiançailles forcées étaient employées en vue de
l'émancipation (...). Il y avait aussi d'autres buts qui subsistent plus
ou moins aujourd'hui : il ne fallait pas morceler l'héritage des
ancêtres, il fallait augmenter le personnel de la famille de
préférence à celui d'une famille
étrangère. » 106
103 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume
Antemoro, p.71.
104 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume
Antemoro, p.71.
105 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.61.
106 MESSELIERE, Du mariage en Droit malgache,1932, p. 135
Les intérêts mis en cause sont cependant vitaux.
Pour renforcer l'accord, les deux parents vont chez le Loholona.
Le Loholona est le chef du Fatrange107 qui «
détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie
familiale ».108 Le fait même de porter à la
connaissance du Loholona le projet de fiançailles suffit pour les deux
parents de le rendre irrévocable. Et comme c'est le père qui
détient l'autorité sur la fille qui n'est pas encore
mariée, elle est liée aussi par l'accord.
c- L'annonce à la fille
Le père a le droit de contrainte matrimoniale sur ses
enfants. Il peut décider pour son enfant non marié à la
place de celui-ci, s'il l'estime nécessaire pour son bien. Et les
enfants de bas âge ne sont pas expérimentés et commettent
des erreurs quand leurs parents leur laissent la liberté de choisir
leurs conjoints. C'est pourquoi, ce sont les parents eux- mêmes qui
décident pour eux. Le consentement de la fille en particulier n'est pas
nécessaire pour que les fiançailles soient conclues. C'est
seulement lorsque l'accord devient irrévocable que la nouvelle lui est
annoncée. Elle ne peut refuser sous peine d'insubordination qui peut
être sanctionné par le rejet de la famille.
§ 2 : LES FIANCAILLES
Nous avons vu que les parents des deux futurs fiancés
vont chez le Loholona pour que celui-ci témoigne de l'existence de
l'accord selon lequel ils vont fiancer leurs enfants. Cet accord rappelons-le
porte sur le projet initié par le garçon qui a envoyé son
père demander en fiançailles la fille qui l'intéresse. Les
fiançailles Antemoro sont le prélude au mariage.
107 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.54 : il dit « que
la véritable cellule de la société Antemoro est le
Fatrange, terme que l'on peut traduire exactement par famille étendue
»
Ceci étant, nous allons voir quels sont les effets des
fiançailles. Le problème de la compensation matrimoniale sera en
effet abordé après celui- ci.
A- Les effets des fiançailles
1- Les effets normaux
Les fiançailles produisent des effets sur le
garçon et sur la fille. Dans le développement qui va suivre, ce
sont surtout les effets sur la fille qui vont nous intéresser.
Que la demande soit faite par le garçon lui-même
ou par l'intermédiaire de son père, dès que l'accord des
parents de la jeune fille est obtenu, personne d'autre ne peut convoiter la
même fille. Elle est réservée à son fiancé.
Quel que soit son âge, la fille Antemoro est toujours sous
l'autorité paternelle avant qu'elle ne soit mariée. Cette
autorité est transmise temporairement entre les mains des parents du
garçon dès que les fiançailles ont été
conclues. Le transfert se matérialise par le déménagement
de la fillette chez ses beaux-parents, qu'il ne faut pas confondre avec le
déménagement vers son mari qu'on aura l'occasion de voir plus
tard. « La fillette pas encore nubile, était
envoyée (à partir du moment où les deux familles ont
décidées les fiançailles) chez ses futurs
beaux-parents, où elle pouvait demeurer presque en permanence pendant
plusieurs années ». 109
Précisons néanmoins que l'institution de misonjo
est une procédure par laquelle le garçon lui-même fait la
demande à la mère de la fille et celle-ci à son mari,
n'implique pas immédiatement le transfert de la fille vers ses
beaux-parents. Il faut que les parents du garçon s'accordent avec ceux
de la fille.
108 DESCHAMPS, Les malgaches du Sud-Est, p.54.
109 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.
« A l'approche du temps du mariage, vers 18 ans pour
la fille, 20 ans à 25 ans pour le garçon, la jeune fille
repartait dans sa famille, où sa mère lui enseignait les
règles de la vie conjugale. » 110
L'autorité transmise temporairement entre les mains de
ses futurs beaux-parents retourne chez son père. On peut dire que la
fille réintègre le domicile parental, avant d'entrer en
ménage. A part l'enseignement des règles de la vie conjugale, la
fille prépare pendant cette période son trousseau. Ce dernier
« consiste essentiellement en un grand nombre d'oreillers et de
coussins brodés. Des nattes d'espèces et d'utilisations
diverses... » 111
« Le manuscrit A-9 d'Oslo (...) nous parle de ce que
doivent préparer les jeunes filles avant de se marier. » 112
Il dénombre six nattes, six rouleaux de nattes et une glace.
La fille ne s'ennuie donc pas pendant qu'elle retourne chez
ses parents. La famille du garçon peut l'aider à acquérir
les autres ustensiles nécessaires pour le nouveau ménage. Quoi
qu'il en soit, c'est la fiancée qui a l'obligation de se procurer des
tout le matériel nécessaire. Par contre, le fiancé
bâtit la maison et le tranoambo (ou grenier). Il défriche aussi
les terres qu'il cultive avant que sa femme ne le rejoigne.
Nous avons vu jusque là les effets que produisent
normalement les fiançailles. Que se passe-t-il si les fiançailles
sont rompues ?
110 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.
111 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1954, p.61.
112 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.256, (Et elle tresse six nattes (...)
et six rouleaux de nattes et son père achètera une glace.)
2- Les effets en cas de rupture
Les fiançailles chez les Antemoro produisent des effets
de droit. Les parents des futurs et ces derniers eux-même y sont
liés. Soulignons que la fille concernée n'a pas son mot à
dire dans la conclusion de l'acte. La rupture venant d'elle produit exactement
la même responsabilité que si la rupture venait du fiancé.
Ce dernier est pourtant l'initiateur, tandis que la fille a simplement
été forcée. Le désistement de l'un des
fiancés le rend fautif. Et la coutume Antemoro autorise le parent
mécontent de l'agissement de son enfant de le rejeter hors de la
famille.
Ce rejet a une double conséquence : pécuniaire
et morale. Une des conséquences morales du rejet de la famille consiste
dans l'exclusion du culte des ancêtres et du droit à être
enterré dans le kibori113. Le rejeté devait, du reste,
d'après la coutume, quitter la terre des ancêtres pour n'y plus
reparaître. Nous comprenons à travers la rigueur de cette coutume
que dans le pays Antemoro « l'organisation sociale et familiale est
très forte » 114.
Une autre conséquence qui, cette fois, d'ordre
pécuniaire, est imputable au rejeté. Il ne peut plus vivre de
réserves familiales, tel que les boeufs et rizières, et il perd
tout droit d'hériter des membres des membres de sa famille.
Par cette description brève, MESSELIERE115 a
mis l'accent sur les effets de la rupture des fiançailles.
Si la rupture ne venait pas des futures mais par exemple du
père de la fiancée qui refuse à consentir au mariage, le
cadeau qu'il a reçu doit être restitué.
113 DESCHAMPS, dans « Les Malgaches du Sud-Est
», p.51, rapporte que le kibori (dérivé de l'arabe
qabr, pl. qoubour) désigne le tombeau collectif des Antemoro.
114 OLIVIER, Six ans de politique sociale à
Madagascar, p.1 5.
115 MESSELIERE, Du Mariage en droit malgache, p.137.
Tels peuvent être les effets des fiançailles qui
aboutissent normalement au mariage. Mais avant l'étape finale de la
formation du mariage, les parents des futures époux doivent se mettre
d'accord sur la dot qui sera reçu lors de la cérémonie.
C'est donc pendant la période des fiançailles qu'ont lieu les
négociations.
B- La dot et les cadeaux
1- La dot
Nous avons remarqué que les fiançailles peuvent
durer longtemps. D'autant plus que ce sont les jeunes filles pas encore nubiles
qui en sont sujets. Il faut qu'elles atteignent l'âge de se marier pour
entrer en ménage. De la sorte, les parents des futurs époux sont
préoccupés par la nature et la consistance de la dot.
En effet, la famille de la fille ne cesse de l'entretenir
depuis sa naissance jusqu'à ce qu'elle soit mariée. Tant que
l'autorité sur elle reste entre les mains de son père, ses
parents sont responsables de sa vie. Beaucoup d'efforts sont cependant
déployés avant que l'enfant n'atteigne l'âge de se
marier.
Cette période arrive tôt ou tard. Les enfants
cherchent des partenaires pour fonder à leur tour un ménage. En
l'occurrence, la fille sera arrachée d'une famille pour
s'intégrer dans une autre qui est celle de son mari. Le groupe social
d'où est issue la fiancée voit se réduire le nombre de ses
membres, alors que celui du fiancé va augmenter.
C'est là qu'intervient le problème de la dot.
Elle va permettre de rétablir cet équilibre qui sera rompu
dès que le mariage sera consommé. Les parents d'un
côté souhaitent que leur fille se marie. De l'autre
côté, ils ne veulent pas s'en séparer. Mais la
séparation est inévitable quand il y a
mariage. Les négociations ont cependant lieu entre la
famille (( preneuse » et la famille (( donneuse » qui peut exiger un
prix excessif. La dot par conséquent constitue une compensation que les
parents du garçon doivent verser à celle de la fille.
Cependant, elle peut être objet d'abus de la part de la
famille (( donneuse ». Chez les Antemoro, un zébu est offert
d'habitude pour constituer la dot. Ce zébu sera restitué lorsque
les époux se séparent ultérieurement. Il n'est cependant
pas question de vendre la fille dans la mesure où elle retourne sous
l'autorité de ses parents lorsqu'elle se sépare de son mari. La
dot peut faire l'objet d'abus. Mais cela ne la transforme nullement en un prix
de vente.
Le but principal de la dot, à côté de cet
aspect compensatoire, est la légitimation des enfants nés du
mariage. Les familles Antemoro ne reconnaissent pas les enfants nés hors
mariage. Sans dot, les enfants ne sont pas légitimes.
La légitimité octroie pourtant aux enfants
Antemoro des intérêts à la fois moraux et
pécuniaires. Et cette légitimité est faite par les parents
qui consentent à l'union. Les autres membres de la société
ne sont que solidaires de la décision des parents des futurs
époux. Si les parents ne consentent pas au mariage alors que des enfants
sont nés plus tard, ils n'auront pas leur place dans le kibory ou
tombeau. Ils en seront exclus. Et même s'ils veulent se marier, le
Loholona du fatrange de ses parents ne pourra pas bénir leur union. Les
enfants seront en un mot condamnés à être exclus du
fatrange.
Pécuniairement, cette exclusion se traduit par
l'interdiction à ces enfants illégitimes de toucher aux
héritages des ancêtres tels que les rizières et autres.
Bref, les deux familles ont vraiment intérêt
à se mettre d'accord sur la nature et la consistance de la dot. L'avenir
de leur progéniture dans la tribu en dépend.
Les Antemoro attachent de l'importance à la
virginité des filles pour que les parents aient droit à la dot.
La chasteté des femmes Antemoro n'a pas manqué d'attirer
l'attention des européens venus dans la région de la
vallée du fleuve Matitanana. Un auteur a même affirmé que
« les moeurs sont moins relâchés chez les Antaimorona que
chez les autres tribus de l'Est »1 16.
« La chasteté des jeunes filles est
très surveillée (chez les Temoro), au contraire de ce
qu'était la coutume malgache ancestrale dans la plupart des autres
régions. » 117
Nous pouvons déduire que la virginité de la fille
conditionne la remise de la dot.
2-Les cadeaux
Les parents reçoivent à chaque étape de
la constitution du mariage des cadeaux de la part du futur conjoint. La future
épouse a droit aussi à exiger un cadeau qu'on appelle «
fifanarahan' ny mpivady » (cadeau consensuel des deux époux). Les
frères et soeurs de la future épouse eux-aussi doivent recevoir
le « Takomaso », cadeau qui leur écarte toute envie
d'empêcher la consommation du mariage.
116 FERRAND, Tribus musulmanes du Sud-Est de Madagascar,
1903.
117 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.56.
SECTION 2 : LES EMPECHEMENTS ET LE RITUEL DU MARIAGE
§1 : LES EMPECHEMENTS AU MARIAGE
Dans le royaume Antemoro existent plusieurs clans où
des règles bien établies régissent le mariage. En
l'occurrence, l'union de deux individus peut faire l'objet
d'empêchements. Certains résultent de liens de parenté ou
d'alliance, d'autres sont d'ordre social.
A- Les empêchements résultant des liens
de parenté ou d'alliance
« Les empêchements à mariage
résultant de certains liens de parenté ou d'alliance ne sont,
à Madagascar, qu'un aspect d'un problème plus vaste, celui du
fady, ou interdits» disait MESSELIERE118.
1- Les règles
Ces règles sont contenues dans les manuscrits JENSENIUS,
pages 11, 22 et suivant traduits par MUNTHE119.
Reproduisons la traduction de quelques passages du manuscrit.
L'intitulé de la partie que nous intéresse est le
suivant :« Déclaration sur les personnes admises à se
marier entre elles. »
En voici les règles :
-Les arrières-petits-fils et petites filles (de la
troisième génération) peuvent se marier entre eux à
condition qu'ils soient descendants d'un frère et d'une soeur.
-Les arrières-petits-fils et petites filles, enfants
de deux frères, ne peuvent se marier entre eux.
118 MES SELIERE, Du mariage en Droit Malgache, 1932,
p.45.
119 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.253.
-La femme du père peut être
héritée (par un membre de la famille).
-La femme d'un frère peut (en cas de
décès du frère) passer à un autre
frère.
-Il est formellement interdit à un gendre de proposer
à la femme de son beau-père de coucher avec elle.
-Le beau-père ne le propose pas à la femme de
son gendre.
-Un gendre ne doit pas coucher avec sa
belle-mère.
-La femme répudiée par un frère qui a
épousé une autre femme peut être demandée par un
autre frère.
-Si quelqu'un cherche à coucher avec la femme de son
beau-père, il sera condamné à offrir un grand boeuf
découpé, à son beau-père.
-Si quelqu'un propose à la femme de son gendre (de
coucher avec elle), il lui faut, comme punition, offrir un grand boeuf à
son gendre.
-Si quelqu'un cherche à coucher avec la femme de son
oncle, il sera puni de « fafy », don d'un grand boeuf.
-Si quelqu'un propose à sa cousine (de coucher avec
elle), comme punition, il doit payer deux boeufs... »
Tels sont quelques règles qui n'ont pas manqué de
susciter quelques commentaires du traducteur.
2- Explication
MUNTHE avançait les propos suivants :
« -Les tabous et les règles qu'on trouve
empêchant le mariage entre personne liée en ligne directe et
proche s'harmonisent - et les Antaimoro s'en rendent compte- avec les lois du
DE UTER.2 7, 20 et suivant. »120
Il rajoute que « l'union sexuelle des frères et
soeurs, entre zanany d'un couple, est impossible et rigoureusement
défendue chez les Antaimoro. »121
120 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.
121 MUNTHE, idem.
Ce passage soutien notre attention dans la mesure où
d'autre auteur affirme le contraire en disant que « chez les
Antambahoaka et chez les Antaimorona, les mariages entre frères et
soeurs germains, c'est-à-dire de même père et de même
mère, sont fréquents. Il est de tradition populaire dans ces
populations que ces unions conduisent à la fortune » 122
disait FERRAND. Mais MUNTHE, en donnant cette explication, se base sur des
textes écrits. Nous espérons que notre petite remarque sur ce
point pourra éviter la reproduction de pareille confusion.
Le traducteur continue son explication en disant que :
-Les Antaimoro « n'acceptent pas non plus le mariage
de la deuxième génération entre les petits enfants d'un
couple, appelés ny zafy. Ceux qui se marient contre la volonté
des ancêtres sont considérés « mpanota-fady (violateur
d'un tabou) et condamnés à payer au moins trois boeufs.
»123
- « Quant à la troisième
génération, ny zafiafy (les arrière-petits-fils et petites
filles) le mariage est toléré, mais exige toujours l'offre d'un
ou deux boeufs et aussi l'accord des deux familles concernées.
»
-« Les enfants de la quatrième
génération appelés ny zafindohalika sont admis à se
marier entre eux à condition qu'ils fournissent ny fafimpanambadiana
(l'offre consolatrice) pour les deux familles. »
-« Les enfants de la cinquième
génération appelés zafim-paladia peuvent se marier entre
eux. Le fafim-panambadiana n'est pas exigé car il ne reste plus beaucoup
de relations familiales entre eux. »
-« La sixième génération qui
s'appelle kitro (petit orteil du pied) peut se marier librement entre
elle. » 124
MUNTHE fait remarquer l'amusante et démonstrative
manière de classer les générations en leur donnant les
noms des membres du corps humain en descendant du genou aux pieds
jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de sang commun.
122 FERRAND, Les Musulmans à Madagascar, 1893,
fascicule II, p.20. Propos reporté par MES SELIERE, Du mariage en
Droit malgache, 1932, p.50
123 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.
124 MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.258.
Bref, sont considérés comme fady le mariage en
ligne directe, entre ascendants et descendants et alliés dans la
même lignée. Il en est de même pour le mariage en ligne
collatérale entre frères et soeurs, entre oncle et nièce,
entre tante et neveu, entre enfants issus de deux soeurs au premier et second
degré.
Telles sont donc les règles qu'il faut observer par les
futurs époux et que le loholona est censé savoir avant qu'il
célèbre le mariage. La présence des futurs époux
dans l'un des cas cités plus haut constitue un obstacle, parfois
insurmontable au mariage, si le degré de parenté est trop proche.
Le loholoma ne peut pas le célébrer. Qu'en est-il de
l'empêchement d'ordre social ?
B- Les empêchements résultants du
régime de castes, ce sont les empêchements d'ordre social.
Des fady ou interdits assurent l'ordre social Antemoro -qui ne
se marie pas avec n'importe qui. Les Antemoro se marient entre Antemoro.
L'endogamie existe. « Il n'y a pas à Madagascar d'autres
peuplades où les mésalliances soient si sévèrement
prohibées, où l'on s'efforce de maintenir aussi intacte la
division des tribus et des castes et de les préserver de tout
mélange et de toute contamination : très peu de femmes violent la
loi. » 125
« Il existe cependant une certaine exogamie chez les
Antaimorona, disait JULIEN, l'usage est en effet d'aller chercher d'alliance
non dans les familles d'un même kibory, mais dans celle d'un kibory
étranger. Agir autrement serait mal vu de tous et réprimé
à l'égal de l'inceste. » 126
Comment est divisée la société Antemoro ?
Telle est la question que nous posons.
125 SHAW, The arab element in South Madagascar (in
Antananarivo annmal, 1894,p.208-209)
126 JULIEN, Histoire de Tatsimo
1- Les castes Antemoro
Le premier zélateur de l'islam en l'occurrence
Ramakararube est arrivé dans la région de la Matatana en l'an 542
de l'ère mohamétane.127 Il n'est pas venu seul.
Ramalitavaratra l'astronome et Ranaha, son ministre, l'a accompagné avec
des cafres qu'ils ont amenés. Des autochtones vivaient
déjà dans la région à l'époque. Ramakararobe
a engendré Ramaroala qui a constitué le caste Anteony.
Ramalitavaratra et Ranaha, les compagnons de Ramakararobe ont
constitué le caste Antalaotra.
Les cafres qu'ils ont amenés sont les Ampanabaka.
Les autochtones sont essentiellement les Onjatsy.
Sans entrer dans les détails, précisons que les
castes nobles sont les Anteony et les Antalaotra. Les roturiers sont les
Onjatsy avant les Ampanabaka et les autochtones. Puis des Andevo ou Velombazaha
(des Kafirs) amenés par les immigrants arabes constituent un autre
caste. « Tout au bas de l'échelle sociale Temoro se trouvent
les Antevolo, véritable « intouchables », que rien dans leur
aspect ne distingue des autres Temoro. »128
Telle a été la division des castes dans le Royaume
Antemoro.
Quelle est la loi du Royaume en matière de mariage ?
3- La loi du mariage
Il n'y a pas à proprement parler de loi unique en
matière de mariage pour toutes les castes. Chacun définit ses
propres lois. Ces lois peuvent varier à leur tour selon les sous-clans.
Chez les Anakara, sous-clan noble
127 JULIEN, Pages Arabico-Madecasse, Paris, 1929, p.1
0.
128 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.48.
Antalaotra, « le mariage est endogame par rapport au
clan, exogame entre lignée et quartiers.» 129
Mais pour les Antalaotra en général, «
La cohésion du clan est particulièrement solide : l'endogamie
est, de nos jours encore, extrêmement stricte parmi eux. »
130. Ce qui leur a permis de perpétrer l'usage de la langue
arabe, disait DESCHAMPS.
Par contre, « l'usage de l'arabe se perdit plus vite
chez les Anteony, poussés par les exigences de la royauté
à une exogamie masculine, donc à l'adoption rapide de la langue
locale » 131.
Les Onjatsy sont plutôt endogames. Pour montrer cette
endogamie, DESCHAMPS rappelle que la mère de Ramarohala, le grand
ancêtre Anteony, était Onjatsy.
4- Les sanctions.
« Une femme Anteony ou Antalaotra ayant couché
avec un homme d'une autre tribu ou avec un esclave, sera condamné
à mort par noyade. De gros blocs de pierres devront être
attachés au milieu de son corps et elle devra être jetée
dans l'eau pour périr. » 132 L'exogamie de classe est
strictement interdite.
Un homme Ampanabaka ne peut pas donc épouser une fille
noble Antoeny, elle sera « considérée comme n'ayant pas
existé » 133 c'est-à-dire rejeté du clan.
129 FAUBLEE, Notes sur quelques points de droit coutumier du
Sud de Madagascar, in POIRIER, Etudes de Droit Africain et de Droit
Malgache, p.37.
130 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.43.
131 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, 1959, p.41.
132MUNTHE, La tradition Arabico-Malgache vue
à travers le manuscrit A-6 d'Oslo, p.257 133 ROUHETTE, L
'organistion politique et sociale du Royaume Antemoro, p.11 3.
On se rend compte que l'exogamie, pour la femme noble qui
épouse un homme de même catégorie sociale que la sienne,
n'échappe pas à des sanctions, même si elles sont
allégées. La condamnation à mort est plus
sévère que le rejet. Et la fille rejetée sera exclue du
kibory ou tombeau familial. Quand il y a une réjouissance dans sa
famille d'origine, « elle participe aux servitudes mais est exclue
pour chaque part d'honneur. »134
Bref, l'endogamie de classe est chère aux Antemoro.
§ 2 : LE RITUEL DU MARIAGE
Le rituel du mariage Antemoro se déroule comme suit :
le fiancé envoie des émissaires prendre la fille chez ses parents
pour la ramener chez lui. Au bout d'une semaine, il est obligé de
ramener la fille à ses parents avant qu'elle déménage
véritablement vers le nouveau foyer.
A- L'envoi des émissaires
La fiancée ayant déjà
préparé minutieusement le trousseau qu'elle va utiliser dans le
nouveau foyer, son futur époux à une date qu'il a fixé
avec l'aide de l'ombiasa, envoie des émissaires pour la prendre.
Personne en dehors de la famille restreinte n'est au courant de
l'arrivée de émissaires. Ils apportent deux coqs et cinq mesures
de riz pour participer au repas de midi. La mère de la fille
reçoit ces présents et les prépare aussitôt pour le
repas.
Ces émissaires, composés par les parents du
garçon et quelques chefs de familles ont pour mission de ramener la
fille le jour même au domicile du garçon.
Si les parents sont d'accord pour donner leur fille, les
émissaires leur offrent le « hamaky volana », un cadeau
indispensable versé après le consentement des parents de la
fiancée ; il comprend du riz, une volaille,
134 ROUHETTE, op. cit., p.113
deux bouteilles de rhum indigène (toaka), dont l'objet
est d'annoncer la décision des fiancées d'entrer en
ménage. Ce n'est pas la diafotaka - ou la dot. Mais la famille de la
fille, acceptant qu'elle parte avec les émissaires, rassemble un petit
groupe de compagnes. Deux ou trois femmes proches des parents de la fille
composent ce groupe renforcé par la présence d'une « viavy
be » le plus souvent la tante ou sa grand-mère maternelle ou
paternelle. Sa propre mère ne peut pas y aller, à moins qu'il n'y
a absolument personne d'autre pour le faire.
Précisons que le fiancé n'est pas membre de la
délégation qui prend la fille. Il se contente d'attendre sa
fiancée et le retour des émissaires chez lui. Un repas qu'avait
préparé par ses parents les attend.
La fille reste chez son futur époux pendant une semaine
seulement. Durant cette période, il ne dort pas avec elle. Il s'isole
dans un autre lit, sa fiancée partage le même lit que sa soeur.
C'est-à-dire que les deux belles- soeurs dorment ensemble pendant la
première semaine de vie dans le nouveau foyer. Et les compagnes de la
fiancée restent avec elle pour veiller à la bonne marche du
nouveau ménage.
Dans la maison conjugale, tout le monde se fixe sur une place
bien déterminée. La fiancée occupe le côté
proche de la porte, tandis que les compagnes accaparent le milieu de la maison.
Si ceux-ci repartent avant la durée d'une semaine, seule sa
belle-mère peut occuper leur place. C'est la coutume. L'ordre
règne cependant dans le foyer lors du repas ou des discussions.
La consommation clandestine du mariage rappelle la fuite des
deux futurs lors du mariage par rapt. Mais cette fois-ci, ce sont les
émissaires du garçon qui prennent la fille avec l'autorisation de
ses parents.
Cet accord, avons-nous vu, est conditionné par la
présence des compagnes de la fille dans le nouveau foyer pendant les
premiers jours de
son arrivée. Et la présence permanente de la
belle soeur à côté de la fille, évite à son
fiancé de la toucher.
La virginité de la fille est donc
préservée avant qu'elle ne déménage
définitivement pour rejoindre son nouveau foyer. Et pendant cette
durée d'une semaine, elle peut changer d'avis, en reportant la date de
son déménagement, par exemple.
B- Le mialo
Après une semaine de vie collective dans le nouveau
foyer, le fiancé doit ramener la fille devant ses parents. Le mialo
rappelle le mariage par rapt, « dans lequel il convenait de venir
implorer le pardon des parents pour s'être passé de leur
consentement » 135 C'est seulement à cette occasion que le
fiancé manifeste sa présence devant toute la famille
réunie. Il est accompagné par ses parents et par des chefs de
familles.
La cérémonie solennelle a lieu dans le Fatrange
qui est « à la fois le groupe familial lui-même, le
patrimoine ancestral, le chef de famille, la maison qu'il habite et l'espace
dégagé près de celui-ci où toute la
communauté se réunit en cas de discussion ou de fête.
» 136
L'objet du mialo est essentiellement d'officialiser le
mariage. « Le chef de fatrange, souvent appelé lohatrano,
détient l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale :
un mariage ne peut se faire sans son accord... et dans la maison qu'il habite,
la trano-be » 137, qui est une institution organe.
Le lohatrano de la femme et celui de l'homme sont présents
à cette cérémonie ainsi que leur parents et familles
respectives.
135 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.68.
136 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
137 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
A l'occasion du mialo les beaux-parents reçoivent pour
la troisième fois des cadeaux de la part du fiancé. Un coq et
vingt mesures de riz sont apportés par la délégation du
garçon.
C'est le plus âgé d'entre eux qui prend la parole
devant toute l'assistance.
« On est venu Ranandria pour ramener votre
enfant » (le fiancé cite le nom de la fille) ; et l'orateur
poursuit : « Mais un coq s'échange contre une poule. Donc voici
le coq pour vous et la fille est à nous. Tenez le coq aux longs ergots
et du riz blanchi conformément aux coutumes » 138
De l'autre côté, le plus âgé des
parents de la fille répond : « Merci Ranand ria, vos dires sont
vraies et elle nous appartient (le gendre cite le nom de la fille), et
on ne regrette pas de vous l'offrir »139
Entre temps, le coq est sacrifié par le Loholana, qui
détient le sombily ou le privilège des sacrifices, à la
porte du tranobe. « Le sang est recueilli dans un récipient. Il
est mélangé avec de l'eau provenant de la Matatanana
»140, et d'une pièce d'argent y est
déposée.
Assis côte à côte, les deux époux
sont aspergés trois fois chacun avec un rameau de songolovolo (une
plante) trempé dans le mélange. C'est le Lebenakibory ou le
Loholona qui le fait tout en prononçant des paroles de
bénédiction, un verset du Coran, et leur souhaite d'engendrer des
enfants mâles (ho lahy anake), d'avoir des vaches fécondes (ho
vavy terak'om by) et des plantations productives.
Après cela, on remet la dot aux parents de la fille. Si
elle consiste en des objets précieux, ceux-ci l'obtiennent le jour de la
cérémonie. Si la dot
138 ROMBAKA, Traduction libre d'un passage du livre «
Fombandrazana Antemoro »
139 ROMBAKA, op. Cité.
140 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.61.
consiste en tête de bétail, l'animal ne sera
remis qu'au jour non souhaité de divorce. La famille du garçon se
contente par conséquent d'annoncer devant toute l'assistance que la dot
est un zébu, par exemple.
La cérémonie se termine par cette remise, le
mariage est enfin sacralisé.
Pour la société, l'accord du Loholona suffit
à la conclusion du mariage. Les deux familles peuvent aller
ultérieurement à la Mosquée 141 pour une autre
bénédiction. Nous remarquons par là le syncrétisme
Antemoro en matière religieuse.
Après la cérémonie, le repas du midi est
servi chez les parents de la fille. Souvent, un zébu est tué pour
nourrir les invités. Tout le village est présent, la fête
dure toute la journée. La consommation d'alcool est interdite lors
d'événements pareils.
Même si la nuit est tombée, ou si le temps se
gâte, les nouveaux époux et les compagnons de l'homme doivent
rentrer. La femme peut ne pas ramener dans le nouveau foyer, son trousseau au
jour du mariage. Elle dispose de longue période pouvant aller
jusqu'à une année pour le faire. Mais souvent, elle transporte
ses matériels le même jour et rejoint son mari qui est parti avant
elle et qui l'attend dans son nouveau foyer.
On parle de « raikibao », jour où la fille
quitte le domicile de ses parents pour rejoindre celui de son mari. C'est la
manifestation du transfert de l'autorité sur la femme, détenu par
son père, à son mari.
Le mialo ayant permis à la fiancée de retourner
chez ses parents, elle pouvait en profiter pour renoncer au mariage. Puisque le
mariage a eu lieu, « la femme qui a réintégré le
domicile paternel, s'en va chez son mari
141 ROUHETTE, L'organisation politique et sociale du Royaume
Antemoro, p.21 7, rapporte que les immigrants arabes, dès leur
arrivée, avaient déjà leur mosquée.
escortée de parents et d'amis qui portent son
mobilier, soit vingt ou trente... nattes pour tapisser le plancher et les murs
de la nouvelle demeure, un lot de nattes fines pour dormir, quatre à
cinq paniers de riz pilé, un coq, une calebasse de graisse, une
cuillère à pot, un gobelet pour puiser l'eau dans la jarre et un
van en bois. » 142
Le déménagement se fait en grande pompe. La
jeune fille porte sa plus belle robe et ses bijoux. Elle transporte
elle-même certains ustensiles, comme le couteau de cuisine pour que les
passants sachent qu'elle est la nouvelle mariée (Raiki-bao). Les jeunes
filles et les enfants l'aident à transporter les autres
matériels.
Arrivés devant le domicile de l'époux, les
membres du cortège font trois fois le tour de la maison, puis
s'arrêtent. « La femme salue son mari, dont les amis,
jusqu'alors présents dans la maison, sortent ; les amis de la femme
entrent à leur tour et aident alors la femme à mettre tout en
ordre » 143 de façon « que chacun puisse admirer la
riche collection de coussins brodés, orgueil de la jeune
épousée qui y travaillait depuis plusieurs années
» 144. Un grand repas préparé par la famille de
l'homme les attend.
Nous avons vu dans ce premier chapitre comment se formait le
mariage dans le Royaume Antemoro. Dans le chapitre qui va suivre, il s'agit
d'analyser quels sont ses effets et comment se rompt le mariage à cette
époque islamique.
142 RENEL, La coutume des ancêtres, 1913.
143 MES SELIERE, Du mariage en Droit malgache, p.1
82.
144 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.
CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE
DU
LIEN MATRIMONIAL
SECTION I : LES EFFETS DU LIEN MATRIMONIAL SUR LES
EPOUX
Le mariage arrangé, s'il est consommé, produit des
effets juridiques entre les deux époux.
Les conséquences diffèrent selon que
l'époux considéré soit le mari, soit la femme . Nous
allons voir que le droit « antemono » donne plus d'avantage à
l'homme, ce qui est tout à fait compréhensible si l'on tient
compte de l'avis de certains auteurs.
MESSELIERE145 disait : «
l'égalité existant entre les hommes et les femmes
entraîne certaines conséquences : c'est ainsi que la fille
hérite au même titre et en même proportions de ses parents
que le fils, et qu'avant son mariage, elle est presque partout maîtresse
de son corps ; elle en a , comme l'a dit BERTHIER, en terme spirituels, le
jus utendi et abutendi ».146 Ce qui ne cadre pas du
tout à l'idéologie du Coran, donc aux moeurs
Antemoro.
§1- LES EFFETS DU MARIAGE SUR LE MARI
D'après le témoignage de FLACOURT XVIIè
siècle, « Les grands ont une pluralité de femmes et
jusqu'à 20 à 25, enfermées à part dans un enclos de
grands pieux, comme un village fort (...) »147. Autrement
dit, les Antemoro étaient polygames. D'autres auteurs plus tard
affirment que « les Antaimorona (..) sont le plus souvent
monogames148, mais ont des chefs
145 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.240
146 BERTHIER, « La femme à Madagascar »,
(conférence faite à l'Ecole coloniale le 16 février 1911),
cité par MESSELIERE.
147 FLACOURT, Histoire de la grande île de
Madagascar, 1661, p. 18
148 R.P. de la VAISSIERE, Vingt ans à Madagascar,
(d'après les notes du Père ABINAL), 1885, p.50
notoirement polygames149. Cependant , le
droit à avoir plusieurs femmes n'exclut pas les hommes Antemoro à
l'obligation de fidélité envers `leurs femmes' »
A) L'obligation de
fidélité.
et le devoir de cohabitation 1. L'obligation
de fidélité
L'adultère commis par le mari n'est pas un principal
motif de divorce. En effet, disait DAMA150 « le fait de
prendre une seconde femme (vady-kely) n'est pas considéré comme
adultère »
Par contre, MAYEURS affirme « qu'en pays d'Ancove, il
suffirait d'être soupçonné de commerce illicite avec la
femme d'un chef pour être sagayé »151
Nous remarquons par là que la sanction de
l'adultère était plutôt d'ordre public chez l'homme. Elle
entraîne la mort. Des sanctions plus légères étaient
prévues. Martin rapporte que « le séducteur devait
donner au mari le quart ou le tiers de ce que la femme avait coûté
en dons et cadeaux à son mari, à moins qu'il ne
préfère prendre un breuvage empoisonné » 152
Les sanctions pécuniaires pouvaient donc racheter
l'adultère commis par l'homme.
A côté de ces deux sanctions pouvant
entraîner la mort, une autre existe en matière de
l'adultère, c'est le tsindrilafika. C'est pour une infraction à
la loi matrimoniale antemoro qui consiste pour le mari à introduire chez
lui une nouvelle épouse qui va utiliser la natte tissée des mains
de sa première femme, même si cette dernière est
répudiée ; MESSENIERE
149 JULIEN, Institutions politiques et sociales de
Madagascar, 1908, p.46.
150 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, Vohipeno
1961, p. 5
151 Note citée par MESSENIERE, Du mariage en droit
malgache, p. 212
152 MARTIN François, « Mémoire sur
l'établissement des colonies françaises aux Indes orientales,
1668 », manuscrit Archives Nationales, T. 1169 et copie
Bibliothèque GRANDdidier, p.327 ;
raconte : « Trompée, la femme convoque les
femmes du clan et les avertit que `sa natte' a été
outragée par une rivale ayant de ses pieds, foulés sa natte
sortie de ses mains ». C'est là une offense grave, rajoute
l'auteur, dans un pays où pourtant le rôle social de la femme est
des plus réduits .
Le père de la femme, ses frères, ses proches
parents, s'en jugent le plus souvent gravement offensés, et c'est
à main armée, que, souvent, ils viennent demander des comptes au
coupable. Les femmes du clan se rendent avec l'épouse de
l'offensée chez son mari, elle le menacent de détruire et piller
la maison où a été commis le tsindrilafika s'il ne se
rachète pas en payant une forte amende en argent ou en tête de
bétail à sa femme ; Démolition de la maison et amende sont
désignés par le même mot : « tsitonga ».
Le mari préfère généralement payer
l'amende qui va en majeure partie à l'épouse, le reste
étant réparti entre les femmes qui l'ont
accompagnée.153
Voilà ce que l'on peut dire sur l'obligation de
fidélité du mari.
A côté de cela, il y a le devoir de cohabitation
2. Devoir de cohabitation
Nous avons vu l'institution du « mialo » au cour de
laquelle la femme est conduite chez son mari. Celui-ci est donc tenu d'habiter
avec elle. Le mari doit effectuer autant de cérémonie de mariage
qu'il a de femme. Et « les polygames sont souvent
préférées aux célibataires, sans doute parce que
plus aisés » 154 dirait SHAW.
DUBOIS signale le même usage dans le Sud Est, en 1674
(Voyages aux îles dauphines, p. 115) note de MESSELIERE, Du mariage
en droit malgache, p.217
153 MES SELIERE disait que Thos Lord rapporte des faits analogues
en 1892 dans ses `Jotting of a journey to the south east of Madagascar (in
Antananarivo annual, n° XVI, p. 473) à propos des Zafizoro.
154 R.P. SHAW, in Antananarivo annal, 1894, p.207
Nous avons aussi vu le témoignage rapporté par
FLACOURT selon lequel les femmes sont « enfermées à part
dans un enclos de grand pieux, comme un village fort (...) »155
Nous pouvons en déduire que le mari apportait les
mêmes attentions vis à vis de ses femmes. Il doit habiter avec
elles.
Par ailleurs, TATAHAFA nous précise qu' « en
coutume antemorona, il y a vadi-kely quand un homme a deux ou trois femmes,
vivant ensemble sous le même toit conjugal ou dans des cases
différentes, et que la polygamie a été contractée
suivant les coutumes » 156.
Il peut donc y avoir une pluralité de domicile
où vivent séparément les femmes, du polygame, mais
celui-ci doit s'occuper d'elles, et habiter avec chacune d'elles. Il prend soin
d'elles.
B) L'entretien de la femme, les sévices et les
mauvais traitements 1. L'entretient de la femme.
« Ils ont pluralité de femmes, suivant les moyens
qu'ils ont de les nourrir » disait FLACOURT157
On peut supposer par conséquent que l'homme antemoro ne
prend pas d'épouses tant qu'il n'est pas à même de les
entretenir. Le droit du mariage dans le royaume est ainsi
réglementé. Bien que FLACOURT nous a témoigné que
les Antemoro pouvaient avoir entre 20 et 25 femmes, cela n'empêche pas de
les interdire à n'en avoir qu'une si l'on estime qu'il aurait des
difficultés d'ordre économique.
155 FLACOURT, op. cit., p.18
156 TATAHAFA, Les coutumes juridiques Antemorona.
157 FLACOURT, op. cit.
Cependant, l'obligation d'entretien de la femme est
limitée aux nourritures et au logement. Ce sont les femmes
elles-mêmes qui s'équipent des accessoires qu'elles vont utiliser
dans le foyer. Nous nous rappelons du trousseau que chaque fiancée doit
préparer avant qu'elle n'intègre le domicile conjugal. En plus,
il est fady (ou interdit) à l'homme de fournir à ses femmes des
vêtements, sous peine de provoquer le mauvais-oeil de leur belle-
mère et belles-soeurs qui ont autorité sur les femmes dans le
ménage comme l'a signalé ROMBAKA158.
2. Sévices et mauvais
traitements
La coutume qui date de l'époque autochtone persiste
dans le royaume qui admet la présomption d'irresponsabilité du
mari. A la suite du décès de la femme, la société
antemoro suppose que son mari a « agi imprudemment sans doute, en
commettant un `acte déterminant', mais par le fait même ,
on
l'excuse », disait MESSELIERE159.
Le mari a donc un droit, de correction sur chacune de ses
femmes. Après tout, l'autorité sur elles lui a été
transmise à partir du moment où leurs parents respectifs ont
accepté de lui « donner leur fille ».
Voilà en gros ce que l'on peut dire sur les effets du
mariage vis à vis du mari. Qu'en est-il du côté de la femme
?
158 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
159 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 65
§2 : LES EFFETS DU MARIAGE SUR LA FEMME
A) DEVOIR DE COHABITATION ET DE
FIDELITE
1. Devoir de cohabitation
TATAHAFA disait que « le mari peut contraindre sa
femme à une existence nomade, qu'elle le suive là où il
veut aller et ses droits sont illimités (...) »
160. En plus, nous avons vu l'institution du « mialo ». La
femme mariée est obligée d'habiter chez son mari.
Le devoir de cohabitation s'accompagne du devoir de
fidélité.
2. Devoir de fidélité
MESSELIERE rapporte que « Les chefs, peut-être
parce que nombre d'entre eux sont descendants d'aventuriers arabes, seraient
plus jaloux que leur sujets, d'après GRANDIDIER, et
longtemps (...) chez les Antoimorona (Anteony, Arakara,
Antetsimato) (...) les femmes étaient recluses et surveillées
(...) » 161
Ce qui fait que la femme infidèle était,
d'après SHAW, tuée. En effet, SHAW a étudié les
moeurs Antaimorona . Il rapporte avoir vu, entre 1887 et 1889, deux suicides de
femmes adultères prises en flagrant délit et même avoir
assisté au sagayage d'une femme coupable à Tongainony .162
Mais des sanctions plus légères ont
été appliquées quelquefois. La femme adultère
était chassée non seulement de chez elle, mais aussi du village
et du clan, par son mari et par le fokon'olona (ou communauté
villageoise) , « et sa remplaçante est introduite, s'il y a
lieu, chez celui qui sera son époux, avec les voeux de ses parents
», et des considérations de ce genre :
160 TATAHAFA, Les coutumes juridiques Antemorona, ,1961,
p.5
161 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 212
162 Note de MESSELIERE, op. cit., p.213
« vous avez agi envers notre fille ainsi que vous le
deviez, mais en voici une autre qui prendra sa place et , nous
l'espérons, se comportera mieux »163
Il existe aussi d'autres sanctions résultant de
l'adultère de la femme comme le rapporte SHAW : « Jadis,
était usitée, chez les Antaimorona, à titre d'ordalie, la
traversée à la nage de la rivière infestée de
caïmans après serment de fidélité
».164
Nous remarquons que le droit du mariage Antemoro est
très rigoureux en matière de fidélité de la femme ;
Pour le mari, l'infidélité de sa compagne constitue un motif
principal de divorce.
L'épouse a aussi une autre obligation envers son mari.
B) L'OBLIGATION D'EGARDS PARTICULIERS POUR LE MARI
JULIEN a remarqué que chez les Tatsimo dont fait partie
les Antemoro, la femme se doit d'avoir des égards particuliers pour son
mari.
L'époux, objet de manquement à ce sujet est dit
« haizimbady », expression qui équivaut à : «
surpassé, éclipsé par sa femme ».
Le Tatsimo qui estime que sa femme ne l'honore pas
suffisamment expose ses griefs aux hommes du clan qui s'érigent en
tribunal et disent à l'épouse négligente : « Ton
conjoint nous expose que tu ne l'entoures pas d'égards auxquels tu as
droit Tu négliges `loharavina' et `tribonika' ; n'oublies pas que ce
sont là pour toi des devoirs auxquels tu ne peux te soustraire
».
Le mari offensé peut ne point se contenter de cette
réprimande et imposer le « tsitonga » à sa femme. On
entraîne alors celle-ci près de la
163 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p. 213
164 SHAW, The arab element in the South East of Madagascar, in
Antananarivo annal, 1894, p.206
rivière la plus proche, et chaque homme verse sur le dos
de la femme le contenu d'un gros bambou servant de seau, soit sept à
huit litres d'eau.
La femme doit, après cette humiliation, prononcer la
prière : « Grâce, ô pères
vénérés, je ne recommencerai plus », sinon elle
est répudiée.165
SECTION 2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL
Tandis qu'à l'époque archaïque, les femmes
étaient rares ; depuis la fondation du Royaume, elles sont nombreuses.
FLACOURT témoigne de l'importance de la population dans la vallée
du fleuve Matitanana, qu'il décrit comme « la province qui est
la meilleure, la plus fertile et la plus cultivée de l'Isle, et aussi la
plus peuplée. Les grands ont pluralité de femmes et
jusqu'à 20 à 25, enfermées à part dans un enclos
-de grands pieux, comme un village fort... »166 Les moeurs
ont complètement changés dans le pays. Le mariage n'est plus
considéré comme durable. Des possibilités de ruptures
éventuelles sont envisagées. A part le décès de
l'un des époux, le divorce est possible, de même que la
répudiation.
§ 1 : LE DECES ET LE DIVORCE
A- LE DECES
Le décès constitue une cause involontaire de la
rupture du lien matrimonial. Mais la société Antemoro donne plus
de l'importance aux hommes qu'aux femmes. Cela implique qu'il faut faire la
distinction entre le décès de la femme et celui de l'homme.
165 JULIEN, Histoire des Tatsimu (Pour paraître dans la
collection de l'institut d'ethnologie) Règles et usages relatifs au
mariage (fady ou incompatibilités matrimoniales réglant le
savoir-vivre entre époux) Note de MESSELIERE, in Du mariage en droit
malgache, p. 235
166 FLACOURT, Histoire de la grande île
Madagascar, 1661, p.18
1- Le décès de la femme
Le Révérend SCHAW167 disait que «
chez les Antaimorona, la défunte est généralement
remplacée dans les huit ou quinze jours, le plus souvent
par une soeur ou une proche parente pour que les biens ne
passent pas entre des mains étrangères. »
A partir de cette observation, nous pouvons dire que le
décès de la femme Antemoro met fin automatiquement au mariage.
L'homme n'aura à observer qu'une semaine de période de deuil.
C'est par respect de la mémoire de sa conjointe que le veuf ne se
remarie pas le lendemain des funérailles. Cela attirerait le
soupçon du public.
Nous remarquons aussi que les Antemoro sont soucieux de
préserver les relations entre la famille du défunt et le veuf. Il
est coutume de conserver ce lien en remplaçant l'épouse qui est
morte par l'une de ses proches.
Mais que se passe-t-il lorsque c'est l'homme qui
décède ?
2- Le décès de l'homme
Quand c'est l'homme qui est décédé, le
mariage est théoriquement rompu. Mais le droit coutumier Antemoro ne
libère pas la veuve aussitôt après le décès
de son mari. L'autorité sur elle qui a été détenue
par son mari, ne revient pas à ses parents, elle est plutôt
gardée par ses beaux- parents.
Ceux-ci, voulant conserver la femme et ses enfants, ont le
droit de la contraindre de rester dans la famille. La veuve doit cependant
épouser son beau-frère et ne sera considérée comme
libre des liens du mariage que si celui-ci la répudie. En tout
état de cause, la Lohatrano ne peut la marier de
nouveau sans le consentement de sa belle-famille, « elle
ne peut se passer de l'autorisation de celle-ci pour contracter une nouvelle
union. » 168
Le décès de l'un des époux rompt donc le
lien matrimonial, tout comme le divorce.
B- LE DIVORCE
1- L'autorité compétente
DESCHAMPS disait : « En cas de désaccord entre
les deux époux, le différend est porté devant le chef de
Kibori169 du mari qui, aidé de son adjoint et du fokonolona,
tranche le débat. » 170
Le divorce est par conséquent la dissolution du mariage
prononcé par l'autorité judiciaire, qu' est le chef de kibory ou
Lebenakibory, sur la demande de l'un des deux époux. Le droit de recours
en divorce, il faut le souligner, appartient au mari et à la femme. Le
chef du Kibory n'est pas le chef de fatrange qui « détient
l'autorité pour tout ce qui concerne la vie familiale. »
171
DESCHAMPS décrit le premier comme «
l'autorité qui prend en accord avec le fokonolona les
décisions concernant le kibory. » 172 C'est donc lui qui
décide avec le fokonolona sur les cas d'exclusion des kibory qui est le
châtiment suprême que l'on puisse infliger à un Antemoro.
Nous remarquons dès lors qu'il y a une étroite
relation entre l'institution organe qu'est le tombeau et l'institution
mécanisme qu'est le divorce.
167 SCHAW, Antananarivo annual, 1894, p.210.
168 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
169 Kibory, (de l'arabe qabr, pluriel qoubour) désigne le
tombeau collectif des Antemoro
170 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.62.
171 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
Tandis que le mariage est contracté sous
l'autorité du chef de Fatrange (Lohatrano), sa dissolution est
prononcé par le chef de kibory (Lebenakibory).
Il faut souligner que : « La trano-be c'est (...)
surtout la maison mortuaire. C'est dans la trano-be qu'est déposé
le corps du mort pendant le temps qui précède la mise au
kibory. »173
Du fait que la société Antemoro est patriarcale,
une femme même mariée appartient au fatrange de son père,
jamais à celui de son mari, et les enfants appartiennent au fatrange de
leur père, même lorsqu'il y a dissolution du mariage et que les
enfants continuent à vivre avec leur mère.
Revenons au sujet du divorce. Le fait de confier le pouvoir de
prononcer le divorce au chef du kibory qui décide avec le fokonolona du
Royaume prouve la gravité de la demande en divorce à cette
époque. Le chef de famille tient en effet à préserver son
autorité sur ses enfants. Il a le pouvoir de contrainte matrimoniale.
Comme la femme même mariée appartient au fatrange
de son père. Celui-ci pourrait penser que sa fille qui fait la demande
en divorce, ou qui est reconnue fautive par le fokonolona lors de l'instance, a
cherché à défier son autorité. Si le cas se
présente, il peut rejeter le coupable qui n'aura pas par
conséquent sa place au kibory.
Le lien matrimonial ne se dissout donc pas sans fondement bien
solide.
172 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.53.
173 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.54.
2- Les causes du divorce
Aucune énumération limitative n'a été
prévue dans le Royaume pour définir les causes du divorce.
Néanmoins, les motifs que le requérant évoque doivent
revêtir un degré de gravité .
L'époux évoque souvent la
stérilité de la femme pendant l'instance du divorce. DESCHAMPS
précise que le divorce est prononcé si la femme n'arrive pas
à enfanter au bout de trois ans174.
La cause traditionnelle persiste dans le droit coutumier. Le
chef de kibory ne pourra pas empêcher l'homme qui cherche à tout
prix à avoir des enfants à se séparer d'une femme
stérile. De même que la femme ne sera pas sanctionnée par
ses parents pour cette cause qui est extérieure à sa
volonté.
Par contre, l'infidélité de la femme sera
indiscutablement assortie de sanctions à son égard. Et le mari
retrouvera sa liberté dès que le chef de kibory a rendu son
verdict. L'adultère de la femme constitue une infraction aux us et
coutumes dont la sanction est le rejet hors de la caste et de la tribu.
L'affaire peut remonter jusqu'au mpanjaka (le roi) caste, dont le rôle
est de veiller au respect des coutumes. Ce roi peut « jouer le
rôle d'avocat devant un autre mpanjaka et défendre en
conséquence la cause de l'individu. » 175
Il y a d'autres causes que la coutume retient pour que le divorce
soit prononcé.
La mauvaise attitude du « vady be »
(l'épouse) envers les enfants légitimes de son mari,
c'est-à-dire enfants du premier lit ou les enfants nés des «
vady kely » (concubines) qui habitent au domicile conjugal (ou dans
174 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
d'autres cases), et de « la maîtresse
entretenue ne vivant pas sous le toit conjugal. » 176 Ces enfants
méritent, d'après le droit coutumier, les mêmes traitements
que les propres enfants du vady be. Celle-ci sera fautive à cause de son
caractère anti-social et par conséquent sanctionné par le
fokonolona. La sanction n'est pas systématiquement le rejet du kibory
mais peut consister en une simple amende. Ce sera le non-acquittement de cette
amende qui va provoquer le rejet.
Une autre cause de divorce, qui n'est pas la moindre, vient du
refus du vady be à ce que son mari prenne des Vady kely. Ce geste va
à l'encontre de l'inspiration des Antemoro qui ne cherchent qu'à
multiplier le nombre de leurs femmes -et par là de leurs
progénitures.
Il n'y a pas que la femme qui peut être rendue fautive
devant l'assemblée.
L'épouse ne peut pas demander le divorce si son mari
s'est absenté. ROMBAKA177 parle de l'obligation de
l'épouse à rester dans le domicile où elle servira sa
belle-mère avant que son époux soit de retour. Il peut s'absenter
pendant plusieurs années.
Nous pouvons rappeler que l'absence du mari à
l'époque archaïque pouvait conduire sa femme à trouver un
autre époux.
En ce qui concerne la femme, le lebenakibory peut lui accorder
le divorce au détriment du mari qui aurait « amené une
femme à la maison sans que ce soit une nouvelle
épouse.» 178 Le mari doit racheter son erreur sous
peine de perdre sa vady be. Il ne sera pas inquiété par le
lebenakibory car l'adultère de l'homme n'est pas
sévèrement sanctionné, ne constitue pas la cause
principale de divorce.
175 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemoro,
1961, p.3.
176 TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemora,
1961, p.7.
177 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro, Traduction libre
178 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
La femme qui reçoit des coups et sévices par son
mari en fait part à l'Andrianonivavy « mpanjaka des femmes,
dont le rôle est de faire respecter les droits des femmes, en particulier
de sévir contre les hommes qui brutalisent leurs femmes ou les
répudient sans leur donner ce à quoi elles ont
légitimement droit. Elles sont très redoutées des
hommes. » 179 Les lebenakibory ne pourra que déclarer l'homme
fautif.
Mais souvent les femmes qui cherchent à se
séparer de leur mari incitent leur gendre à habiter le domicile
de ses beaux-parents. « Un beau- père peut élever ses
beaux-fils sous son toit, sans distinction avec ses propres fils... Toutefois,
élever ses beaux-fils peut entraîner la rupture du mariage si l'un
des époux s'en plaint. » 180
La femme peut se prévaloir de la plainte de son mari pour
obtenir gain de cause.
Voilà en ce qui concerne le divorce. Qu'en est-il de la
répudiation ?
§2 : LA REPUDIATION
Le mari, à l'époque archaïque, ne
répudiait pratiquement jamais. Il cherchait au contraire à
retenir l'épouse qui avait trop tendance à quitter le domicile
conjugal. Dans la nouvelle époque, du fait du nombre illimité des
épouses que peut avoir un homme, la répudiation est très
en honneur chez les Antemoro. Cependant, elle ne se fait pas de façon
archaïque. Essayons d'analyser cette institution.
179 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.57.
180 DAMA, Les coutumes juridiques Antemorona, p.5.
A- LES REGLES
1-L'autorité compétente
Le pouvoir de répudiation manifeste la
suprématie de l'homme sur la femme Antemoro. BERTHIER181 pose
même le principe selon lequel seul le mari a le droit de « prononcer
la répudiation. » Plus loin, l'auteur annonce
qu'exceptionnellement, les femmes des « familles royales » dans toute
l'île pouvaient répudier leurs époux.
Cette exception aurait été valable chez les
Antemoro s'ils ont été exogames. L'endogamie stricte des castes,
telle que nous avons eu l'occasion de voir dans les lignes qui
précédent, exclut la possibilité de l'union
légitime entre une femme de classe noble avec un homme issu d'une autre
classe. En reprenant un exemple de loi écrit dans un sorabe traduit par
MUNTHE, il est dit qu' « une femme Anteony ou Antalaotra ayant
couché avec un homme d'une autre tribu ou avec un esclave, sera
condamné à mort par noyade. De blocs de pierres devront
être attachés au milieu de son corps et elle devra être
jetée dans l'eau pour périr. » 182
Anteony et Antalaotra sont les classes nobles. La
répudiation est donc un pouvoir unilatéral détenu par
l'homme Antemoro.
2-Nature
La répudiation est aussi un pouvoir
discrétionnaire du mari. Il lui suffit de se rendre compte que
l'harmonie cesse de régner dans le ménage pour répudier sa
femme, même si elle a des enfants. ROMBAKA183, à ce
sujet, déplore qu'il y ait beaucoup d'orphelins dont le père est
vivant dans le pays Antemoro. Du fait de cette discrétion, les hommes
sont tentés de répudier leurs femmes sous le plus petit
prétexte. Mais la société Antemoro
181 BERTHIER, Droit civil malgache, n°56, 1930,
p.48.
182 MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache vue à
travers le manuscrit A-6 d'OSLO, p.257
183 ROMBAKA, Fombandrozana Antemoro, 1970, traduction
libre
est tellement hiérarchisée, chaque tranche
d'âge et chaque sexe a sa tâche bien précise, tant dans la
vie familiale que dans la vie sociale. Il est fady ou interdit au mari de
s'immiscer dans les travaux de la femme, et inversement.
C'est pourquoi, il y a peu de risque que l'usage de la
répudiation soit faite de façon démesurée. D'autant
plus que l'homme qui a répudié sa femme ne peut se marier avec
une autre sans payer de nouveau la dot.
Bref, même si la répudiation relève du
pouvoir discrétionnaire du mari, il ne l'use qu'en cas de cause
déterminante.
3-Quand est-ce que le mari peut répudier sa
femme ?
MESSELIERE disait que « seul, le fait de répudier
sa femme dans la première semaine (...) est
répréhensible. »184
Rappelons que le mariage Antemoro est
précédé des fiançailles. La jeune fille, pas encore
nubile, est envoyée chez ses futurs beaux-parents. Elle
réintègre sa famille lorsqu'elle a atteint l'âge de se
marier pour préparer son « trousseau » . A un jour fixé
par son fiancé, elle est ramenée au domicile de celui-ci. Ce
déménagement s'appelle le Mialo. Elle y reste avec ses compagnes
pendant une semaine. Après cette période, son mari doit la
ramener chez ses parents pour avoir leur bénédiction.
C'est cette période qui précède la
bénédiction des parents de la mariée qui nous
intéresse ici. Il est interdit de répudier la femme alors que son
mariage n'a pas encore reçu la bénédiction des parents.
Les Antemoro ne tolèrent pas ce genre d'acte d'humiliation et infligera
au coupable une sanction exemplaire. Le roi du clan lui-même, veille
à l'observation de règles de droit coutumier.
184 MESSELIERE, Les Malgaches du Sud-Est, p.289
Dans le même ordre d'idée, la fille Antemoro, si
elle veut s'échapper à la contrainte matrimoniale à
laquelle ses parents l'ont engagée sans la consulter, peut donc se
décider pendant cette période.
SHAW disait que « la femme aurait par contre, la
faculté de quitter son mari dans la première semaine de l'union,
le mariage étant alors réputé nul et non avenu.
» 185
Après cette brève période, le mari peut
répudier sa femme au moment où il estime que c'est opportun. Il
n'y aura pas besoin d'aller chez le Lebenakibory. Le pouvoir de répudier
est exclusivement entre ses mains.
Nous avons vu quelques règles qui gouvernent la
répudiation chez les Antemoro. Dans les lignes qui vont suivre, on va
supposer qu'il y a répudiation. Quels sont donc les droits et les
obligations qui incombent au mari et à l'épouse
répudiée ?
B- Les droits consécutifs à la
répudiation
La répudiation chez les Antemoro n'est pas
irrévocable. Ce caractère est préjudiciable pour la femme
répudiée qui se trouve dans une situation d'attente
indéfinie. Le mari lui aussi est encore lié juridiquement
à sa femme.
1- Les droits du mari
MESSELIERE nous éclaircit à ce sujet. L'auteur
dit que « le mari conserve(...) certains droits sur la femme
qu'il a répudiée. Celle-ci doit, en effet, lui demander son
consentement pour tout mariage qu'elle aurait l'occasion de contracter par la
suite... »186
185 SHAW, The Arab element in south east of Madagascar, in
Antananarivo annual, 1894, p.207-208.
186 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.289.
La femme cependant ne retrouve pas sa liberté
après s'être fait répudier. Le mari ne de dessaisit pas de
l'autorité sur sa femme qu'il a reçue lors de son mariage, bien
qu'elle ne vive plus sous son toit. ROMBAKA187 signale même
que l'homme Antemoro est très possessif et surveille sa femme qu'il a
répudiée. Pourtant, le Lohatrano ne peut pas marier une femme
répudier sans le consentement de son ancien mari.
Le droit du mariage Antemoro conserve par conséquent
l'autorité de l'homme même si le bien du mariage a
été rompu unilatéralement par celui- ci. En plus, la femme
répudiée « peut même être contrainte de
retourner avec son premier mari, quand il en exprime le désir.
»188 A ce moment là, aucune cérémonie ne
sera faite et les époux reprennent la vie commune.189 Une
grande liberté est en l'occurrence laissée aux époux. La
femme en tout cas ne peut pas refuser de retourner chez son mari. Cela ne
signifie pas que le mari peut abuser de son droit de contrainte de retour.
MESSELIERE 190 s'explique en disant que le mari se
borne à maintenir ses droits d'époux en refusant de rendre le
« sang. » L'auteur poursuit, ses droits de mari ainsi établis,
il fera valoir en temps voulu ses droits de père, ce qui
l'intéresse beaucoup plus que le sort de sa femme : pour cela le mari
apporte dans la case où son ex-épouse s'apprête à
accoucher, du bois pour entretenir le feu. L'enfant qui est né ainsi est
par-là même reconnu par lui et il revendiquera, quand bien
même sa femme l'aurait quitté depuis de longues
années191.
Bref, nous avons vu que le consentement du mari est indispensable
pour le remariage de la femme répudiée, et qu'il peut contraindre
celle-ci à
187 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
188 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.290.
189 Dans une note de bas de page, MESSELIERE disait que «
les époux qui désirent retourner l'un vers l'autre, emploie, dans
le Sud-Est, les kialo, ou charmes de protection maléfices à la
fois offensifs et défensifs exerçant leur puissance contre les
malfaiteurs, maraudeurs et ravisseurs anonymes. », in Du mariage en
droit malgache, p.290.
190 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.290.
191 MARCHAND, Les habitants de la province de
Farafangana, in Revue de Madagascar, du 10 août 1901, p.569.
retourner vivre avec lui. Enfin, le mari a le droit de
revendiquer l'enfant né de son ex-épouse. Qu'en est-il des droits
de la femme répudiée ?
2-Les droits de la femme
L'autorité compétente dans le Royaume Antemoro
pour garantir les droits des femmes est l'Andrianonivavy, le « mpanjaka
192 des femmes. » Elle est choisie parmi les viavi-be «
les grandes femmes », celles qui ont déjà des petits
enfants.
L'Andrianonivavy a pour rôle de « faire
respecter les droits des femmes, en particulier de sévir contre les
hommes... qui les répudient sans leur donner ce à quoi elles ont
légitimement droit. » 193
La femme répudiée n'est donc pas à la
merci de l'homme. A propos de ses droits, DESCHAMPS énonce que «
la femme qui est répudiée emporte ses volailles, toute la
vaisselle, et six corbeilles de paddy. Elle doit laisser les nattes qui
couvrent le plancher et celle où couche son mari jusqu'à ce que
celui-ci se remarie... Elle vient alors reprendre le reste de son bien.
» 194
Rappelons que ces biens constituent le trousseau que la femme
a soigneusement préparé pendant ses fiançailles qu'on a
vues plus haut. Elle retourne donc chez ses parents.
Mais les femmes dont les parents ne sont plus doivent vivre
avec ses enfants indépendamment de son mari. La société
Antemoro n'est pas indifférente à la difficulté à
laquelle sont confrontées les femmes répudiées. Comme les
femmes, même mariées, appartiennent au Fatrange de leur
père, le Lohatrano ou chef de ce Fatrange contribue à l'entretien
de ces femmes. En effet, « le Lohatrano partage au prorata de chacun
des récoltes des rizières ancestrales, qu'il cultive
lui-même avec l'aide de tous les autres membres,
192 Le mot mpanjaka peut se traduire par reine.
193 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.57.
prend la décision qui s'impose pour l'entretien des
orphelins, des vieillards ou des femmes répudiées par leurs
maris. »195
La solidarité existe dans le Royaume Antemoro. Personne
ne meurt de faim dans l'indifférence. ROMBAKA196 va plus loin
en disant que les femmes Antemoro préfèrent être
répudiées pour se libérer des caprices de leurs
belles-mères.
Mais à côté de ces droits, les époux
ont aussi des obligations à respecter.
C-Les obligations des époux
Nous allons voir les obligations du côté de chaque
époux. 1-Le mari
Les obligations juridiques auxquelles est soumis le mari qui a
répudié sa femme résultent des comportements de celui-ci.
Nous avons vu que la femme reprend ses biens quand elle est
répudiée et qu'elle doit laisser les nattes qui couvrent le
plancher et celle où couche son mari jusqu'à ce que celui-ci se
remarie.
Néanmoins, la coutume autorise à la femme de
ramener ses biens restants avant que son mari ne soit engagé dans une
nouvelle union. Celui- ci est obligé d'attendre que sa femme «
ait dispersé les cendres du foyer, pris les nattes tissées de
ses mains et les quelques objets ménagers auxquels elle a droit, pour
introduire chez lui une nouvelle épouse » 197 sous peine de
commettre un délit de Tsindrilafika, c'est-à-dire fouler la natte
par une
194 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.63.
195 DESCHAMPS, Les Malgaches du Sud-Est, p.55.
196 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
197 MESSELIERE, Du mariage en droit malgache, p.214.
rivale. Le mari coupable doit se racheter en payant une forte
amende en tête de bétail à sa femme198
ROMBAKA199 rajoute que la femme
répudiée ne doit pas refuser de coucher avec son mari.
Néanmoins, au cas où dans cette relation extraconjugale ils
concevraient un enfant, la coutume oblige l'homme à
réintégrer sa femme dans son domicile, qu'il le veuille ou non,
même si sa famille refuse. Ceux qui ne respectent pas cette règle
sont rejetés hors de la tribu.
Voilà les obligations qui incombent au mari. Nous allons
passer en revue celles de la femme répudiée.
2-La femme répudiée
Rappelons simplement que la femme répudiée est
obligée d'attendre indéfiniment son mari, et ne peut pas
contracter une nouvelle union sans le consentement de celui-ci. Elle est aussi
obligée d'accepter de coucher avec lui quand il veut. De même que
son enfant revient à son mari s'il le revendique.
198 THOS.LORD rapporte déjà des faits analogues en
1892 dans ses « Jottings of a journey in south east of M adagascar »,
in Antananarivo annual, n°XVI, p.253.
199 ROMBAKA, Fombandrazana Antemoro
CONCLUSION
A travers les lignes qui ont précédées,
nous avons pu nous rendre compte que le droit du mariage du peuple de la
région du fleuve Matitanana a subi une mutation profonde.
Pratiquant au préalable le mariage par rapt,
d'après les témoignage des manuscrits qui datent du 13è
siècle, les moeurs ont changé dans ce pays depuis qu'il a connu
l'influence de l'islam. Le droit de faire le rapt n'était plus
réservé qu'aux chefs. Les sujets devaient suivre les
règles du mariage arrangé, dans le royaume Antemoro.
Plus tard, la monarchie Merina du centre de Madagascar a
exercé son hégémonie jusqu'au pays Antemoro. Mais les
Merina avaient respecté et maintenu les usages et les institutions des
peuples soumis à leur hégémonie disait BERTHIER.
Au XIXè siècle, les Français ont
colonisé l'île et la loi d'annexion du 6 août 1896
déclare ne prétendre nullement porter atteinte au statut
personnel des habitants de l'île.
Après l'indépendance, la loi sur le mariage
applicable à Madagascar a institué par l'ordonnance n°62-089
du 1er octobre 1962. Une loi héritée du droit du mariage
français.
Ce qui nous amène à dresser le bilan suivant :
la région du fleuve Matitanana qui a connu une première mutation
en matière de mariage sous l'influence du droit musulman, est sujet
à une autre mutation après l'indépendance. Cette foi-ci,
c'est le droit français qui exerce son influence.
Une question nous interpelle en l'occurrence : l'ordonnance
n° 62-089 sur le mariage citée plus haut, est-elle effective sur
tout le territoire de Madagascar ?
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages sur le peuple ANTEMORO
BERTHIER H., De l'usage de l'arabico -malgache en Imerina au
début du XIXè siècle. Mémoire de
l'Académie malgache XVI Tananarive, 1934
DESCHAMPS Hubert et VIANES Suzanne, Les Malgaches du
sud-est, Paris, PUF, 1959, 117p.
JULIEN G.H., Pages Arabico-Madecasse, Paris,
Société d'édition, 1929, 123p.
JULIEN G.H., Pages Arabico-Madecasse, Paris,
Société d'édition, 1933, 51p.
MONDAIN G., L'histoire de tribus de l'imoro au
XVIIè siècle, d'après un manuscrit historique
arabico-malgache, in Bulletin de correspondance africaine, Alger - Paris
1910-1911, vol. 41-43.
MUNTHE Ludvig, La tradition Arabico-Malgache, vue à
travers le manuscrit A6 d'OSLO, et d'autres manuscrits disponibles, 327
p.
ROLLAND Dominique, Anthropologie historique du Royaume
Antemoro, 1993,
ROMBAKA, Fombendrazana Antemoro,
Ambozontany-Fianarantsoa, 1970, 121p.
ROUHETTE Annie, L'organisation politique et sociale du
Royaume Antemoro, Université de Madagascar, 1971,
TATAHAFA Dama, Les coutumes juridiques Antemorona,
1961,
Ouvrages sur Madagascar
RAKOTO Ignace, Corpus d'histoire du droit et des
institutions, SOCIIM, Août 1975.
Histoire de l'islam au XVIème siècle,
NATHAN-AFRIQUE, Conférence des Experts en Histoire et Géographie,
réunie à Abidjan en 1965.
FROTIER DE LA MESSELIERE Paul, Du mariage en droit
malgache, Paris, Les éditions Domat-Montchrestien, 1932, 324p.
FERRAND Gabriel, Les musulmans à Madagascar et aux
îles Comores, Paris, 1891,
POIRIER Jean, Etudes de droit africain et de droit malgache,
éditions Cujas, 1965, 525p.
Dictionnaires
BONTE Pierre et IZARD Michel, Dictionnaire de l'ethnologie et
de l'anthropologie, Presse Universitaire de France, 1991,
TAMISIER Jean-Christophe, Dictionnaire des peuples,
Larousse, 1998,
ARNAUD André-Jean, Dictionnaire encyclopédique
de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J., 1993,
CORNU Gérard, Vocabulaire juridique, Paris, PUF,
1998,
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE 1
AVANT PROPOS 2
INTRODUCTION GENERALE . 3
PARTIE I : L'EPOQUE ARCHAIQUE LA TENTATIVE DE
DESCRIPTION DE LA COUTUME AUTOCHTONE
INTRODUCTION 10
CHAPITRE 1 : LA FORMATION DU MARIAGE 13
SECTION 1 : LE RAPT ET LES POURPARLERS 13
§1-LA SIMULATION DE RAPT 13
A-Les causes et les buts du rapt
|
. 13
|
B-Les modalités du rapt
|
15
|
§2-LES POUR PARLERS
|
18
|
A-Les phases préalable aux pourparlers
|
18
|
B-Le pourparler proprement dit
|
.22
|
SECTION2 : LA RECHERCHE DES EQUILIBRES
|
26
|
§1-LES COMPENSATIONS MATRIMONIALES
|
26
|
§2-LA CELEBRATION DE L'UNION
|
.30
|
A-la rupture de l'équilibre cosmologique
|
.30
|
B-La célébration du mariage comme facteur
d'équilibre cosmologique
|
... 35
|
CHAPITRE II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU
LIEN MATRIMONIAL . 38
SECTION1 : LES EFFETS DU MARIAGE: INTEREDITS ET OBLIGATIONS
39
§1-LES EFFETS TOUCHANT LES DEUX FAMILLES 38
A-Les rapprochements . 38
B-La surveillance du nouveau ménage . 40
§2- LES EFFETS DU MARIAGE A L'EGARD DES EPOUX 40
A-les effets sur le statut social des époux 40
B-Les autres effets 42
SECTION2 :LA RUPTURE DU LIEN MATRIMONIAL 44
§1- LES DECES DE L'UN DES EPOUX 44
A-Le décès de l'homme 45
B-Le décès de la femme . 48
§2-LA SEPARATION DES EPOUX ... 50
A-Les causes de la séparation .50
B-La procédure 54
PARTIE II : L'EPOQUE ISLAMIQUE
LA RESULTANTE DE LA COUTUME AUTOCHTONE ET DU DROIT
MUSULMAN :
INTRODUCTION . 57
CHAPITRE 1 : LA FORMATION DU MARIAGE 60
SECTION 1 : LA DEMANDE ET LES FIANCAILLES . 60
§ 1-LA DEMANDE EN FIANCAILLES . 60
A-Le misonjo ... 60
B-L'arrangement ... 61
§2-LES FIANCAILLES 66
A-Les effets des fiançailles 66
B-La dot et les cadeaux 69
SECTION2 : LES EMPECHEMENTS ET LE RITUEL DU MARIAGE 72
§1-LES EMPECHEMENTS AU MARIAGE 72
A-Les empêchements résultant du lien de
parenté ou d'alliance. 72
B-Les empêchements résultant du régime de
caste 75
§2-LE RITUEL DU MARIAGE 78
A-L'envoi des émissaires 78
B-Le mialo 80
CHAPTION II : LES EFFETS DU MARIAGE ET LA RUPTURE DU
LIEN MATRIMONIAL 84
SECTION1 : LES EFFETS SURLES EPOUX 84
§1-LES EFFETS DU MARIAGE SUR LE MARI 84
A-L'obligation de fidélité et le devoir de
cohabitation 85
B-L'entretien de la femme et les sévices et mauvais
traitements 87
§2-LES EFFETS DU MARIAGE SUR LA FEMME .89
A-Devoir de cohabitation et de fidélité 89
B-L'obligation d'égards particuliers pour le mari 90
SECTON2 : LA RUPTURE DU LIEN MATRIMARIAL 91
§1-LE DECES ET LE DIVORCE ..... 91
A-Le décès .91
B-Le divorce 93
§2-LA REPUDIATION 97
A-Les règles ..98
B-Les droits consécutifs à la répudiation
100
C. Les obligations des époux ... 103
CONCLUSION 105
BIBLIOGRAPHIE 106
TABLE DES MATIERES 108
|