Revue de la littérature_Les mutuelles de santé peuvent-elles améliorer efficacement l?accessibilité financière des travailleurs aux soins de santé de qualité au Cameroun?( Télécharger le fichier original )par Rodrigue NGOUANA ISSP - Population et Santé 2009 |
I. ETAT DES LIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE DANS LES PAYS DU SUD 5 A. Les origines des systèmes de protection sociale 5 B. La protection sociale dans les pays de l'Amérique latine 7 C. Dans les pays de l'Afrique subsaharien 8 II. LE CHEMIN SINUEUX DU SYSTEME CAMEROUNAIS DE LA SANTE : DE L'EGALITE A L'EQUITE 13 A. L'organisation du système sanitaire 15 B. La pratique de l'assurance maladie au Cameroun 16 C. Quel système d'assurance maladie pour les travailleurs 17 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 19 I. INTRODUCTION«Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté» (ONU, 1948)1(*). Trente ans après la Déclaration d'Alma-Ata2(*), environ 1,3 milliard de personnes dans le monde n'ont toujours pas accès aux soins de santé de base (Oxfam, 2008)2(*). Bien que le droit à la sécurité sociale et à la santé soit bien établi dans le droit international, les gouvernements et les donateurs internationaux échappent toujours à leur responsabilité de garantir ces droits à des millions de personnes. Les disparités énormes entre les personnes riches et pauvres demeurent évidentes entre et au sein des pays (D. CARR, 2004)3(*). La société africaine est très connue pour son sens des valeurs, son sens de la solidarité et de l'entraide, que d'aucun nomme « solidarité africaine », aussi bien au sein des sociétés traditionnelles ou des sociétés évoluées (modernes), il se développe très souvent des groupes, regroupements et organisations portant différentes appellations, tontines, associations, réunions, mutuelles (Pairault, 1990, Raillon, 2000)4(*) et donc le souci principal est de faire face à certains risques sociaux. Dans la plupart des pays africains au sud du Sahara, l'accès aux systèmes de sécurité sociale est réservé aux travailleurs du secteur formel (fonctionnaire pour la plupart). Il n'existe aucune assurance santé formelle pour le reste de la population qui est pourtant la plus démunie et, souvent, la plus exposée aux risques. Les travailleurs du secteur informel et une grande majorité du secteur formel (entreprises privées et parapubliques) qui constituent plus de 80 % de la population active du continent (MOTAZE. L.P, 2008)6(*) se trouve de ce fait dans une situation de vulnérabilité grave. Aujourd'hui, bon nombre de ces pays d'Afrique présentent des indicateurs de santé et une espérance de vie parmi les moins favorables au monde (BIT/STEP, 2002)7(*). Face à cette situation, de nombreux groupes de populations ont décidé de s'organiser pour développer des formes de protection sociale qui répondent de la meilleure manière possible à leurs besoins. Dans certains cas, ils ont mis en place des systèmes de micro finance santé. Le terme «micro finance santé» regroupe une importante variété de systèmes d'assurance destinés aux populations vulnérables et qui se développent actuellement en Afrique, ainsi que dans l'ensemble des pays en développement. Les systèmes de micro finance santé (MAS) contribuent à réduire les barrières financières d'accès aux soins. Les mutuelles de santé constituent l'une des formes les plus répandues de systèmes de micro finance. La présente revue de la littérature va nous permettre de mieux cerner les travaux qui ont été réalisés dans le cadre du financement de la santé dans les pays du sud, de démontrer combien de fois le secteur de la protection sociale et de l'assurance maladie en particulier reste assez mal couvert pour des populations productrices et en occurrence pour les travailleurs au sein des entreprises Camerounaises, tant publiques, parapubliques, comme privées.
I. ETAT DES LIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE DANS LES PAYS DU SUD L'accès à une protection adéquate en matière de sécurité sociale et de soins de santé correspond à deux droits fondamentaux de l'homme. Ces droits sont toutefois loin d'être respectés à l'échelle mondiale. Par exemple, quatre vingt pour cent de la population en Afrique subsaharienne et dans certaines régions d'Asie sont privés d'une telle protection (COHEUR, A. et al, 2007)8(*). L'inégalité des besoins rend ce problème plus aigu encore : les conditions de vie et de travail des travailleurs et des populations rurales les exposent le plus aux risques en matière de santé et d'accidents, or, ils représentent les catégories de personnes les plus souvent exclues de la sécurité sociale. L'exclusion de la sécurité sociale a des conséquences dramatiques pour l'individu et sa famille. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que, chaque année, les coûts des soins de santé poussent 100 millions de personnes dans le cercle vicieux de la maladie et de la pauvreté. Qui plus est, cette exclusion réduit aussi les possibilités de croissance économique et de développement social et rend les pays plus vulnérables aux conséquences des chocs sanitaires. L'extension de la protection sociale, en particulier en matière de santé, est donc une question urgente si l'on veut contribuer à la croissance économique et au développement social, mais, surtout, protéger des centaines de millions de personnes dans le monde de la pauvreté et de souffrances évitables. Ainsi il serait intéressant de montrer les efforts d'extension de la protection sociale à travers les différents continents en développement du globe. L'origine des systèmes de protection sociale est intimement associée à l'histoire sociale européenne du 19ème siècle. La révolution industrielle en Europe a entraîné une augmentation considérable du nombre de salariés, concentrés dans les nouveaux centres industriels et confrontés à une énorme misère sociale (beaucoup quittaient leurs familles pour aller très loin chercher du travail). Les revendications croissantes du mouvement ouvrier et la montée du socialisme ont alimenté les inquiétudes au sein de l'establishment (politique, économique et même religieux) quant aux risques de dislocation de la société, et ont obligé l'Etat à reconsidérer son rôle et à se transformer en puissance protectrice, `l'Etat-Providence'. Les premières mutuelles se sont développées dans la première moitié du 19ème siècle, à l'initiative de groupes d'ouvriers ou de patrons ayant des préoccupations sociales: `sociétés de secours mutuels' en Belgique et en France, `friendly societies' au Royaume-Uni (CRIEL B., DORMAEL M V., 1999)9(*). Les principaux risques encourus par les ouvriers n'étaient pas les éventuels frais médicaux, les soins disponibles étaient très restreints et techniquement peu efficaces à l'époque, mais bien la perte de revenus du ménage en cas de décès, d'accident, de maladie prolongée ou de licenciement. Mais les insuffisances des mutuelles sont rapidement devenues manifestes: les cotisations restreintes, la petite taille de la plupart de ces associations, et le manque d'expertise gestionnaire ne permettaient pas aux mécanismes de solidarité locale d'assurer une réelle protection aux adhérents (de Swaan A, 1988)10(*). Si l'origine de ces caisses de secours mutuels provient du mouvement ouvrier naissant ou de mouvements philanthropiques, et non des pouvoirs publics, il est essentiel de noter que c'est seulement après l'intervention de l'Etat que ce type d'association est devenu viable. La manière dont l'Etat Providence est intervenu dans ce qui s'est appelé ultérieurement la sécurité sociale a varié d'un pays à l'autre. Là où l'Etat est intervenu directement, comme au Royaume-Uni, les mutuelles ont progressivement perdu leur raison d'être. Dans d'autres pays comme la Belgique, les mutuelles ont subsisté en s'intégrant dans le cadre de l'assurance-maladie obligatoire. En Allemagne, le nom du chancelier Bismarck est associé au premier système de sécurité sociale organisé par l'Etat, avec la création de l'assurance maladie en 1883 financée par des cotisations patronales et ouvrières ainsi que par l'Etat. Pour Bismarck, la mise en place d'un système de sécurité sociale obligatoire, subsidié par l'Etat (et donc dépendant de lui), était un instrument de contrôle social et politique: plus d'égalité sociale afin de garantir une loyauté des travailleurs vis-à-vis de l'Etat. L'intention était de contrer l'influence politique des socialistes et d'endiguer les risques d'émeutes et de révolution, en répondant à certaines exigences du mouvement ouvrier (Rimlinger, G.V, 1971)11(*). L'émergence de l'Etat-Providence à la fin du 19ème siècle apparaît donc comme une réponse face au péril constitué par des masses populaires paupérisées mais de plus en plus organisées et capables de se faire entendre dans la presse, dans la rue, voire dans les instances parlementaires. L'intervention de l'Etat était censée maintenir et non pas changer les fondements de la société capitaliste (VANTHEMSCHE G, 1997)12(*). Pour réaliser cette fonction de protection sociale, il fallait cependant que l'Etat dispose de l'autorité nécessaire pour imposer et faire respecter le caractère obligatoire du système d'assurance, d'une administration efficace pour le gérer, et finalement des ressources financières nécessaires pour le subsidier. Le financement des soins de santé reste pour les pays en développement un enjeu primordial. Malgré les efforts consentis pour améliorer l'offre de services de santé, de nombreux pays à revenu intermédiaire et à faible revenu sont loin d'atteindre une couverture universelle. D'après les estimations, 1.3 milliard de personnes n'auraient pas accès à des soins de santé abordables et efficaces y compris aux médicaments, aux interventions chirurgicales et aux autres services médicaux. Selon l'organisation mondiale de la santé, les pays en développement supportent 93 % de la charge de morbidité liée à la maladie du monde alors même qu'ils n'enregistrent que 18 % du revenu mondial et 11 % des dépenses mondiales de santé (VANTHEMSCHE G 1997)13(*). D'où cette question essentielle : comment améliorer l'accès aux soins de santé et la protection financière des pauvres dans les pays en développement ? Alors que les régimes officiels d'assurance maladie se sont avérés largement inopérants pour les pauvres, des systèmes privés, à but lucratif ou non, voient le jour un peu partout et ouvrent des perspectives d'amélioration du partage des risques à une plus grande partie de la population (DRECHSLER, D et JÜTTING, J, 2005)14(*). Au Chili par exemple, les réformes de 1980 ont permis aux compagnies d'assurance privées (ISAPREs) de concurrencer le Fond public national de Santé (FONASA). Les deux systèmes ont des fonctionnements opposés : l'ISAPREs peut ajuster les primes et les bénéfices pour refléter le risque individuel du client, tandis que FONASA est financé par un impôt sur le salaire de 7% et n'exclut personne. En conséquence, les 27 % de la population du Chili qui est représentée par les plus riches et les plus sains sont assurés auprès de l'ISAPREs, qui propose des paquets aux avantages plus larges à une prime plus élevée, alors que presque tous les ouvriers de faible revenu et leurs familles, ainsi que la majorité des personnes de plus de 60 ans sont couverts par FONASA, une expérience assez enrichissante, mais qui nécessite une volonté politique et une implication de l'Etat. En Inde par contre, depuis 2000, l'Inde a connu une forte croissance des systèmes de microassurance (Oxfam, 2008)15(*). Les compagnies d'assurance privées ont été autorisées à opérer sur le marché indien à condition qu'elles assurent également les ménages à faible revenu. Une étude, sur le terrain, de six systèmes d'assurance maladie en Inde a montré qu'ils ont joué un rôle positif dans la réduction des dépenses catastrophiques de santé dans le cas d'hospitalisation, mais n'ont pas vraiment permis aux populations assurées de réduire leur dépenses de santé, car les hospitalisations n'ont représenté que 11% du total des dépenses de santé des ménages (DROR, 2007)16(*). La dynamique mutualiste africaine présente un certain nombre de spécificités qui la distinguent nettement de la situation des autres continents comme l'Europe de la fin du 19ème siècle. Ceux qui promeuvent le concept de mutuelles et qui apportent l'appui institutionnel et technique nécessaire à leur développement sont souvent extérieurs à la société africaine. La question du financement de la santé constitue aujourd'hui en Afrique subsaharien, un thème prioritaire pour les partenaires du développement. En matière de financement, elle prête une attention particulière aux mutuelles de santé. Le Bureau International du Travail qui s'est longtemps cantonné dans la promotion de la couverture du risque maladie par des régimes classiques de Sécurité sociale, met désormais en avant l'importance de l'extension de la protection sociale dans la lutte contre la pauvreté. Ainsi, il s'intéresse à la couverture maladie dans le secteur de l'économie informelle et fait la promotion de la micro assurance de santé, dont les modalités d'organisation tranchent avec celles des régimes de Sécurité sociale, réservés au secteur de l'économie formelle. La Banque mondiale aussi attache de l'importance au développement des dispositifs de financement de la santé, mais avec des plaidoyers de contenu variable selon les départements (LETOURMY, A. 2003)17(*). Toutefois, on ne peut pas s'empêcher de remarquer l'engouement des États pour l'assurance maladie qui, sous des formes diverses (micro assurance santé, mutuelles, régimes obligatoires) figurent dans l'agenda politique de la plupart des gouvernements. La politique de recouvrement des coûts a montré ses limites et son relatif succès en matière de mise à disposition du médicament n'a pas empêché l'expression de diverses critiques, notamment sur les thèmes du renforcement des inégalités et de l'incapacité du paiement direct à donner accès aux soins hospitaliers plus coûteux. Sur le premier point, les populations attendaient plus de l'État ; sur le second, elles sont devenues plus réceptives à l'idée d'assurance. Dans certains pays, les régimes de protection sociale existant se sont effondrés du fait d'une mauvaise gestion. Selon Alain LETOURMY, il est devenu problématique un peu partout que l'extension de la couverture au risque maladie soit réalisée dans les organismes de Sécurité sociale sous la forme héritée du passé colonial. En fait le développement de l'assurance maladie au sein du secteur de l'économie formelle s'est alors effectué de façon très décentralisée (mutuelles d'entreprise, contrats privés), y compris lorsque l'État lançait un régime obligatoire (cas des Instituts de prévoyance maladie, les Institutions de Prévoyance Maladie au Sénégal). Pour les fonctionnaires, l'État a le plus souvent créé un régime non contributif d'assurance maladie couvrant uniquement le gros risque, en laissant un ticket modérateur de l'ordre de 20% aux malades comme au Mali, Sénégal, Burkina, et au Bénin. Dans certains cas comme en Côte d'Ivoire, des mutuelles à adhésion obligatoire ont été créées. Au Ghana, en 2003 lorsqu'il était confronté au problème du sous financement de ses équipements sanitaires, il a été introduit le SNAM (Système National d'Assurance Maladie). Son objectif était de financer la santé de manière durable afin d'assurer à tous et surtout aux plus vulnérables, des soins de santé accessibles, abordables et de qualité. Le nouveau système a été complètement opérationnel dans 83 des 138 districts du pays en septembre 2005. Le nombre total d'adhérents était de 2,9 millions, soit 14 pourcent de la population (Ministère de la Santé du Ghana. 2007)18(*). En fin 2006, le SNAM couvrait 38% de la population, cependant seul 19% des travailleurs ruraux pouvaient accéder aux services proposés. La part des personnes les plus pauvres adhérant au système a chuté de 30 pourcent en 2005 à 1,8 % en 2006 (Ministère de la Santé du Ghana. 2007)19(*) La raison de cette diminution est toujours à l'étude, mais elle est, au moins partiellement, due aux difficultés d'identifier et d'inclure les personnes pauvres dans le dispositif. Le SNAM, qui est principalement financé par les taxes, l'est de manière additionnelle par le secteur de la santé ghanéen de manière raisonnablement équitable. Cependant, avec seulement 38 % de la population disposant de cartes d'adhésion valides, l'accès à la santé n'est pas le même pour tous et les OMD restent encore loin d'être atteint aussi bien pour les pays d'Afrique anglophone comme les pays d'Afrique francophone. Une dynamique mutualiste semble émerger en Afrique francophone (Brouillet et al, 1997; Atim,1998; Bennett et al, 1998)20(*). Au Rwanda par contre, l'émergence des mutuelles de santé à été une réponse de la communauté à la réintroduction des paiements par les usagers (user fees) dans les dispensaires publics ou privés, et ont été soutenus par des autorités sanitaires et les ONG (PATHE et DAMASCENE., 2005)23(*). Le nombre de mutuelles a augmenté, de six en 1998 à 76 en 2001 et 226 en novembre 2004. La couverture des groupes à faible revenu n'a seulement été possible qu'après que le Ministère de la Santé ait commencé à subventionner les frais d'adhésion pour les 10% des personnes les plus pauvres de la population. Cette mesure a permis d'amplifier la couverture des mutuelles de 70 % en 2007, mais trop de personnes parmi les populations pauvres en sont encore exclues (Rusa et Fritsche 2007)24(*). En janvier 2007, les frais d'assurance pour les mutuelles ont été fixés à 1,70$ par personne, et chaque ménage a été obligé d'enregistrer tous ses membres. Un tel système devenu contraignant avec une cotisation supérieure à plus d'un dollar reste hors d'atteinte pour les populations déjà très vulnérables, même comme il est semble incapable de financer des services de santé suffisamment attractifs. Ainsi, sans un financement suffisant du secteur de la santé, il est plus que probable que le fardeau du financement de la santé continue à peser en grande partie sur les épaules des utilisateurs. Un autre système assez répandue dans les pays en développement est celui de l'assurance maladie privée (AMP), bien que toujours considéré par les opérateurs du secteur comme produit assez gourmande et consommatrice, beaucoup la considère comme ayant un fort potentiel en Afrique25(*). La Banque mondiale a été particulièrement influente en conduisant la croissance des marchés de l'AMP en Amérique latine, en Europe de l'Est et en Asie centrale (Jütting et Drechsler, 2005)26(*). Cependant, la couverture par l'AMP est encore limitée : en 2005 elle ne dépassait les 20% du total des dépenses de santé que dans seulement six pays, et dans les pays à faible revenu, les taux de couverture étaient inférieurs à 10% de la population (Jütting et Drechsler, 2005)27(*). II. LE CHEMIN SINUEUX DU SYSTEME CAMEROUNAIS DE LA SANTE : DE L'EGALITE A L'EQUITE A son accession à l'indépendance en 1960, le Cameroun comme la plupart des Etats Africains adopte la gratuité des soins comme mode de fonctionnement des structures publiques de santé. La capacité effective des populations à payer est très faible, le secteur productif formel est encore à mettre en place; les élites et la classe moyenne sont peu nombreuses. Dans les zones rurales, une grande partie de la population vit dans les circuits économiques non monétarisés. La santé dans sa globalité est perçue comme un bien public, donc à la charge de l'Etat. C'est l'âge d'or de l'Etat- Providence. Dès 1973, le premier choc pétrolier va créer des déséquilibres macroéconomiques dans les pays Africains. Avec la détérioration des termes de l'échange, les ressources financières vont se raréfier, avec pour conséquence un recours massif aux emprunts ; le fardeau de la dette se constitue progressivement. En 1978, la conférence d'Alma-Ata va faire prendre conscience des limites de la médecine curative. On va prendre en compte les déterminants non médicaux de la santé (Éducation, nutrition, assainissement etc.). Le concept des soins de santé primaires va donner la prééminence à la médecine préventive qui, implicitement gardera seule l'attribut de bien public à la charge de l'Etat; Le statut de la médecine curative va longtemps rester flou. En 1979, avec le deuxième choc pétrolier, vont être mis en place les premiers Plans d'Ajustement Structurels au Cameroun. Les secteurs sociaux tel, celui de la santé jugés «non productifs» vont être relégués au second plan. L'on assiste à la disparition progressive des médicaments et des consommables des hôpitaux publics ainsi qu'à l'abandon progressif de la maintenance des infrastructures et équipements hospitaliers. La décennie 80 considérée comme « une décennie de l'appauvrissement global» (CHOSSUDOVSKY, M. 1998)28(*) et va être marquée dans le secteur de la santé par une crise économique sans précédent. Les budgets alloués à la santé vont baisser continuellement. L'on va assister au blocage du recrutement du personnel. Les infrastructures et les équipements hospitaliers seront abandonnés au délabrement le plus complet. Comme l'écrit PERROT : « on s'habitue progressivement et insidieusement à la pénurie. Certains diront même qu'elle s'organise, en tout état de cause, on apprend à vivre avec et chacun cherche à se débrouiller » En 1987, la Banque Mondiale recommande d'inclure le recouvrement des coûts dans un ordre du jour du financement des prestations de services de santé au Cameroun. Au cours de la même année, une réunion des ministres Africains de la santé se tient à Bamako (Ridde, 2004)29(*) sous les hospices de l'OMS et de l'UNICEF. Il en ressort une nouvelle stratégie de financement de la santé, institutionnalisant le recouvrement des coûts dans les formations sanitaires publiques connu sous le label « d'initiative de Bamako30(*) ». C'est la fin officielle de l'Etat - providence dans le secteur de la santé Camerounaise. Les années 90 vont voir apparaître les conséquences négatives de ces diverses stratégies. Les principaux indicateurs sanitaires vont se dégrader. Des enquêtes réalisées par la Banque Mondiale montrent qu'au moins le tiers, et peut-être jusqu'à la moitié des personnes qui tombent malades en Afrique, ne vont pas se faire soigner dans les centres de santé modernes, mais préfèrent faire recours à l'automédication, à des médicaments achetés en bordure de route ou à des guérisseurs traditionnels et pour la majorité aussi, la pauvreté et le niveau de vie, ne permet même pas d'avoir accès à un recours quelconque. Selon l'Enquête Camerounaise auprès des Ménages de 1996, seules 48% des personnes se déclarant malades ont pu bénéficier d'une consultation. Au Cameroun, le taux de mortalité infantile est allé en se dégradant, passant de 65 %o en 1991 à 77%o en 1998 et atteignant jusqu'à 86,9%o dans les zones rurales. Dans le même temps, le taux d'accouchements assistés par un personnel de santé est passé 63,8% en 1991 à 58,2% en 1998. L'utilisation des services publics de soins curatifs qui était autour de 30% entre 1991 et 1992 est tombée à 15,2% aujourd'hui. Pourquoi si peu de camerounais vont-il à l'hôpital ? Même si l'inaccessibilité géographique aux centres de santé, la mauvaise qualité de l'accueil et des soins ou les raisons culturelles entrent en ligne de compte, il est indéniable que la principale raison reste d'ordre économique. Le secteur public est organisé selon un système pyramidal, avec à la base les centres de santé et hôpitaux de district et au sommet les hôpitaux centraux et généraux. Le secteur privé se compose lui, d'établissements à but lucratif (cliniques...) ou non lucratif (structures confessionnelles ou caritatives). Le pays est subdivisé en 174 districts de santé comprenant 239 hôpitaux de district (150 relèvent du secteur public et 89 du secteur privé). A ce réseau s'ajoute 2 129 centres de santé intégrés, structures en charge des soins médicaux de base, de l'éducation sanitaire de base, et des soins pour femmes enceintes et enfants...). Pour ce qui est du secteur privé à but lucratif, on recense 63 cliniques sur tout le territoire avec une capacité totale d'accueil de 2 152 lits, soit 10,6 % du total des lits hospitaliers. Ces chiffres cachent cependant de fortes disparités régionales. En effet, l'offre publique de soins est insuffisante et inégalement répartie : 30% des centres de santé et 50% des hôpitaux sont concentrés dans deux provinces (Ouest et Centre) alors que le Nord et l'Extrême-Nord ne disposent que de 17% des centres de santé (MINSANTE, 2002)31(*). Pour ce qui est des compétences, en 2005, le secteur public employait 9 750 agents titulaires et 4 500 contractuels; le personnel du privé représentait environ 40% de l'effectif public. 2.966 médecins exercent au Cameroun (public et privé), soit 1 médecin pour 5 673 habitants, la norme OMS étant de 1/10 000. Il y a 8 492 infirmiers soit 1 pour 1 981 habitants (norme OMS : 1/5 000). Ce qui bien évidemment cache aussi une forte disparité au niveau de la répartition de la concentration du personnel dans les grandes agglomérations (Ondoua, 2002)32(*). Au niveau de la couverture médicale, la médecine traditionnelle est omniprésente en milieu rural, la population n'ayant pas toujours confiance dans la médecine « occidentale ». 70% de la population y a recours en premier lieu avant de se tourner, si besoin, vers le secteur formel. Les prestations sociales (allocation familiale et retraite) au niveau national sont assurées par la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS), organisme public qui prend en charge les salariés des entreprises parapubliques et privées mais n'assure pas les prestations d'assurance maladie. La plupart des entreprises du secteur formel proposent une couverture maladie à leurs salariés au travers des assurances privées. Ce segment est en pleine expansion et son chiffre d'affaires croît plus rapidement que celui des autres branches du secteur de l'assurance. Au Cameroun comme dans la plupart des pays africains, l'accès aux soins de santé demeure un problème majeur pour la majorité de la population (près de 80%). A cela s'ajoute l`insuffisance de dispositifs fonctionnels capables de protéger les individus et leurs familles face aux risques sociaux tels que les maladies, les décès, les accidents, l'invalidité et la retraite... Il n'existe pas à proprement parler de sécurité sociale au Cameroun de par l'absence d'un régime de protection sociale universel. Beaucoup d'entreprises au Cameroun n'assurent pas leurs personnels contre les risques sociaux ; ceux qui réussissent à le faire, ne le font juste que pour le personnel uniquement et très peu pour les membres de leurs familles, en plus de ça, avec les coûts élevés de l'assurance classique, très peu d'entreprises réussissent à assurer ces charges. Cependant le décret N°2000/692 du 13 Septembre 2000 fixe les modalités d'exercice du droit à la santé du fonctionnaire. Au terme de ce texte, la protection des fonctionnaires contre les accidents et les maladies d'origine professionnelle est entièrement assurée par l'Etat ; cette prise en charge est réduite à 60% lorsque ceux-ci ne sont pas imputables au service. Cette dernière mesure s'étend à la famille du fonctionnaire (époux, enfants légitimes, reconnus ou adoptifs). L'application des dispositions de ce texte n'est pas encore effective sur le terrain. L'autre catégorie sociale bénéficiant d'une certaine prévoyance sociale est constituée des travailleurs du secteur privé, qui sur la base des cotisations versées à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) par l'employeur bénéficient :
La CNPS par contre traverse jusqu'aujourd'hui une situation difficile due au montant élevé de ses créances difficiles à recouvrer ou compromises. Suite à ces nombreuses difficultés, une réforme de la sécurité sociale avait été envisagée. Le lot des travailleurs camerounais qui ne goûtent pas encore aux délices de la sécurité sociale est dominé par, les opérateurs du secteur informel, qui participent, selon les statistiques officielles, à près de 50% dans le volume des activités économiques du Cameroun; par les employés du monde rural, qui regroupent la plus grande partie de la population active; et par les travailleurs de ces entreprises privées dont la plupart des responsables sont passés maîtres dans "l`incivisme sociale" en ne souscrivant pas d'assurance maladie pour leurs personnels prétextant souvent des difficultés liées à la pression fiscale dont ils sont l`objet, ou alors prélèvent effectivement les cotisations sociales sur les salaires des travailleurs, mais ne les reversent généralement pas à la CNPS, le levier de la sécurité sociale au Cameroun. On peut aujourd'hui énumérer au Cameroun plus de 150 mutuelles de santé, parmi lesquelles plus de la moitié sont essentiellement communautaire avec une gestion associative, quelques unes sont d'un corps professionnel et très peu possèdent un système de gestion professionnelle. Le produit d'assurance maladie étant assez rare auprès des populations, seule l'assurance maladie groupée est couramment souscrit par quelques entreprises privées auprès des compagnies d'assurance, mais reste encore un énorme chemin de croix pour ces dernières. Or seul 10% seulement de la population Camerounaise à accès à une protection sociale (7% pour les fonctionnaires et 3% pour les entreprises) ceci dit, le reste souffre énormément des déficits. Il est clairement montré que les systèmes étatiques de prévoyance sociale (CNPS) ne sont pas suffisamment viable pour couvrir le fort besoin d'assurance maladie de la population travailleuse du Cameroun, qu'elle soit du secteur formel ou informel, le système de partage tel que défini par le système étatique reste faible et fortement déficitaire. Pour palier à ces manquements plusieurs entreprises Camerounaises ont pris l'initiative de mettre en leur sein des systèmes de partage de risques, les mutuelles de santé d'entreprise, ces système bien que très intéressant rencontrent bien aussi tous les problèmes que connaissent les mutuelle de santé (taille, qualité de soins, gestion, viabilité..., une série de problèmes qui relève certainement du faite que même étant des systèmes habituellement courant, car il existe plusieurs association pratiquant le partage de risques, lorsqu'il s'agit des système assez grands et prenant en compte certaines complexités et certaines risques qui nécessite une certaine compétence, la viabilité devient très rapidement fragile. Le gouvernement camerounais a définit dans sa stratégie sectorielle du secteur santé, des objectifs à atteindre en matière de couverture pour les populations, basée sur le système de mutualisation, ce qui demande assez de temps, de moyens et de compétences pour l'accompagnement des populations rurales. Une multiplication des mutuelles d'entreprise et un renforcement de celles déjà existantes pourrait servir d'exemple à l'extension de la protection sociale et à la mise en place d'un système englobant permettant de prendre en compte les populations rurales. * 1 Nations unies. (1948), Déclaration Universelle des Droits de l'Homme Article 25 (1). http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm * 2 La Déclaration d'Alma-Ata a été adoptée lors de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, qui s'est tenue en septembre 1978. * 2 OXFAM. (2008) Health Insurance in low-income countries, Oxfam Briefing Paper, May 2008. * 3 D. CARR. (2004) «Improving the health of the world's poorest people», Health Bulletin 1, Washington DC: Population Reference Bureau. * 4 PAIRAULT T. (1990), Sociétés de tontines et Banques de petites et moyennes entreprises à Taiwan in M.LELART (éd.), La tontine: pratique informelle d'épargne et de crédit dans les pays en voie de développement, Paris, AUPELF-UREF, John Libbey Eurotext, pp.281-308.
5 RAILLON F. (2000), Les réseaux chinois en Asie du Sud-Est : sociétés secrètes, sociétés commerciales, société civiles, in M. HAUBERT et P.P. REY (éds), Les sociétés civiles face au marché : le changement social dans le monde postcolonial, Paris Karthala, pp.163-186. * 6 Louis Paul MOTAZE (2008). L'Afrique et le défi de l'extension de la sécurité sociale : l'exemple du Cameroun. La Case africaine pour le social et l'économique (Paris). * 7 BIT/STEP. (2002). Guide d'introduction aux mutuelles de santé en Afrique. Genève, Programme Stratégies et Techniques contre l'Exclusion Sociale et la Pauvreté (STEP). * 8 COHEUR, A. et al (2007). Articulations entre les régimes légaux de sécurité sociale et les mécanismes de protection sociale à base communautaire: une nouvelle approche prometteuse. AISS. * 9 CRIEL B., DORMAEL M V. (March 1999). Mutuelles de santé en Afrique et systèmes nationaux d'assurance-maladie obligatoire: l'histoire Européenne se répétera t'elle? Tropical Médecine and International Health. Volume 4 no 3 pp 155-159. * 10 de Swaan A (1988) Workers' Mutualism: an interlude on self-management. In: In Care of the State. Health Care, Education and Welfare in Europe and the USA in the Modern Era. Polity Press, Cambridge, pp. 143-214. * 11 Rimlinger GV (1971) Germany: out of the patriarchal tradition. In: Welfare Policy and Industrialization in Europe, America and Russia. John Wiley & Sons, New York, pp. 89-136. * 12 VANTHEMSCHE G (1997) Les paradoxes de l'Etat. L'Etat face à l'économie de marché. XIXème et XXème siècles. Collection Quartier Libre, Editions Labor, Bruxelles, pp. 73-74. * 13 Ibid. * 14 DRECHSLER, D et JÜTTING, J (Août 2005). L'assurance maladie privée dans les pays en développement : une solution pour les pauvres ? (Vol. Repères n° 11, www.ocde.org/dev/reperes ). CENTRE DE DÉVELOPPEMENT DE L'OCDE. * 15 Health Insurance in low-income countries, Oxfam Briefing Paper, May 2008 * 16 DROR (2007) Présentation lors de la Conférence sur la microassurance. Mumbai, 14 November 2007. www.munichre-foundation.org/NR/rdonlyres/DDB44E68-1A01-4BBE-80510F40BF5D34D0/0/MIC2007_WG4_Dror.pdf * 17 LETOURMY, A. (2003). État et assurance maladie dans les pays africains. Communication aux XXVIème Journées des Économistes français de la santé. CERDI, Clermont-Ferrand, 9-10 janvier 2003. * 18 Ministère de la Santé du Ghana (2007) `Health Sector 5 Years Programme of Work 2002-2006'; Independent Review of POW-2006 * 19 Ibid. * 20 Brouillet P, Wade M, Kambé M & Ndao M (1997) Emergence des mutuelles de santé en Afrique. L'Enfant En Milieu Tropical 228 P, 40-54. 21Atim C (1998) The contribution of Mutual Health Organizations to financing, delivery, and access to health care in west and central Africa: a synthesis of research in nine countries. Technical Report 18, Partnerships for Health Reform Projects. Abt Associates Inc., Bethesda. 22Bennett S, Creese A & Monasch R (1998) Health Insurance Schemes for People Outside Formal Sector Employment. Current Concerns, ARA paper no. 16 (WHO/ARA/CC/98.1), World Health Organization, Geneva. * 23 PATHE Diop et DAMASCENE Butera (2005) `Community-based health insurance in Rwanda', Development Outreach, mai 2005. * 24 Rusa et Fritsche (2007) `Rwanda: Performance-Based Financing in Health'. In The Source book on Emerging Good Practice, seconde edition Mai 2007. * 25 Comme l'indique la stratégie de l'IFC `The Business of Health in Africa: Partnering with the Private Sector to Improve People's Lives', et aussi le financement par les Pays-Bas du Health Insurance Fund au Nigeria. * 26 DRECHSLER, D et JÜTTING, J (Août 2005). L'assurance maladie privée dans les pays en développement : une solution pour les pauvres ? (Vol. Repères n° 11, www.oecd.org/dev/reperes). CENTRE DE DÉVELOPPEMENT DE L'OCDE. * 27 Ibid. Les pays ayant des niveaux de couverture d'AMP supérieur ou égaux à 20 % sont l'Uruguay, la Colombie, le Brésil, le Chili, la Thaïlande, la Namibie et l'Afrique du Sud. * 28 CHOSSUDOVSKY, M. (1998). La mondialisation de la pauvreté. Montréal, Éditions Ecosociété, 248 p. * 29 Valéry RIDDE, 2004 « L'initiative de Bamako 15 ans après : Un agenda inachevé » * 30 Adoptée en 1987 * 31 Ministère de la santé publique (MINSANTE). (2002) Stratégies Sectorielles du secteur Sanitaire au Cameroun du Ministère de la santé publique. * 32 Jean Paul BEYEME ONDOUA. Les systèmes de santé Camerounais. adsp n° 39 juin 2002 |
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