2.3 Approche conceptuelle
d'un indicateur de mesure
De plus en plus, l'approche unidimensionnelle de la
pauvreté basée sur l'adoption du revenu comme seul indicateur de
bien-être cède la place à l'approche multidimensionnelle
qui fait désormais l'unanimité chez les économistes.
Puisque depuis quelques années, un consensus s'est dégagé
pour montrer, sur le plan conceptuel, que la pauvreté est un
phénomène multidimensionnel (Ayadi et al, 2007). L'analyse de la
pauvreté dans une perspective multidimensionnelle peut se faire de deux
manières.
Premièrement, le statisticien peut utiliser la
méthode des scores privatifs qui consiste à attribuer pour chaque
composante de l'indicateur, un score de privation reflétant le niveau de
vie du ménage. L'argumentaire avancé ici est que, la
pauvreté des conditions d'existence est un manque (privation) global
d'éléments de bien-être. Le score maximum correspond
à un niveau de privation élevé tandis qu'un score nul
signifie, au contraire une absence de carence. Deux principales approches
permettent d'attribuer les scores aux catégories.
La première approche est utilisée lorsque les
variables possèdent plusieurs catégories pouvant être
classées suivant un ordre jugé croissant de bien-être. On
retient par conséquent cette méthode de construction
proposée par Lollivier et Verger qui recommandent de quantifier les
catégories de la façon suivante. Les modalités des
différentes composantes de l'indicateur sont affectées des scores
0, 1, 2,... suivant que celles-ci reflètent un niveau de privation
croissante ou non. Le tableau 1 présente un exemple d'attribution de
score.
Tableau 3 :
Exemple d'attribution des scores
Caractéristique de l'Habitat
|
Score
|
Approvisionnement en eau
|
|
Robinet intérieur
|
0
|
Borne fontaine/pompe
|
1
|
Puit
|
2
|
Electricité
|
|
Oui
|
0
|
Non
|
1
|
Toilette
|
|
Personnel
|
0
|
En commun
|
1
|
Latrines
|
2
|
Sans toilettes/autres
|
3
|
Source : INS (2002)
Cette méthode a été utilisée dans
une étude de l'INS (2002) à partir des données de l'ECAM
2, des scores privatifs ont été calculés pour
apprécier les conditions d'existence du ménage. Selon cette
approche, 40 % des ménages (soit 37 % des individus) essentiellement des
ruraux ou des exploitants agricoles, ne disposent pas de 12 des 14
commodités fondamentales.
La seconde, développée par l'INSEE et qui se
veut objective, attribue à chaque ménage ne possédant pas
un bien, le pourcentage des ménages qui le possèdent. Par
exemple, si 65% de ménages possèdent une
télévision, ceux-ci auront un score de privation de 0 tandis que
les ménages qui ne la possèdent pas (35%) auront un score de 65.
Cette approche tend à donner un poids très grand aux biens de
première nécessité possédés par la
majorité des ménages, tandis que les biens de luxe
possédés par la minorité auront des scores de privation
bas. Cependant, cette méthode est indiquée lorsque les
composantes de l'indicateur sont des variables dichotomiques. Cette
méthode est très critiquée pour ce qu'elle laisse une
très grande place à la subjectivité. L'attribution des
scores et la fixation du seuil de pauvreté se font
généralement arbitrairement. L'ordre de priorité dans la
classification des modalités liées à une variable
donnée est entièrement déterminé par les choix de
l'analyste.
Deuxièmement, la méthode de conception d'un
indice composite de pauvreté basée sur les techniques d'analyses
multidimensionnelles, encore appelées analyses factorielles. Ces
techniques permettent de construire un indicateur dont les pondérations
contenues dans la forme fonctionnelle de l'indicateur sont les moins
arbitraires possibles. Le principal avantage de cette méthode par
rapport à la précédente est donc qu'elle élimine le
caractère arbitraire de l'attribution des scores. Ainsi, elle laisse peu
de place à la subjectivité. Cette approche est dite approche
d'inertie car elle tire son origine de la mécanique statique. Elle
utilise les techniques d'Analyse des Correspondances Multiples (ACM) dans le
cas d'un tableau d'individus caractérisés essentiellement par des
variables qualitatives.
La méthodologie de conception de notre indicateur sera
basée sur cette deuxième approche.
2.3.1 Méthodologie de
conception d'un Indicateur Composite de Pauvreté (ICP)
L'indicateur composite de pauvreté que nous
présentons ici est l'indicateur le plus répandu dans la
littérature concernant la mesure multidimensionnelle de la
pauvreté dans le cas des pays africains. Cet indice a été
utilisé pour la mesure et l'analyse de la pauvreté non
monétaire dans les pays tels que la Tunisie (Ayadi et al, 2007), le
Cameroun (Foko et al, 2007), le Sénégal (Ki et al, 2005) et dans
l'analyse de la pauvreté non monétaire chez les enfants au
Bénin (Quenum, 2007), dans l'UEMOA (Djoke et al, 2006).
La construction de cet indice passe par la sélection et
la définition des variables matérialisant les fonctionnements des
enfants. Nous nous accommoderons dans la mesure du possible de suivre les
prescriptions de l'UNICEF dans le choix des variables matérialisant les
fonctionnements des enfants. Pour l'UNICEF (2003), les principales dimensions
et indicateurs utilisés dans la perception de la pauvreté
infantile sont les suivantes :
- Le logement : enfant vivant dans une habitation avec
cinq personnes ou plus et sans revêtement ;
- Les installations sanitaires : enfant qui n'a pas
accès à des toilettes quelles qu'elles soient ;
- L'eau potable : enfant utilisant des eaux de surface
(rivières, mares, ruisseaux et rétentions de barrages), ou
à qui il faut un minimum d'une demie heure pour allé chercher de
l'eau et revenir ;
- L'information : enfant n'ayant pas accès
à une radio, une télévision, un téléphone,
un journal ou un ordinateur (toute forme de médias) ;
- La nourriture : enfant qui se situe à plus de
trois écarts-types au dessous de la population internationale de
référence pour leur taille par rapport à leur âge,
leur taille par rapport à leur poids, et leur poids par rapport à
leur âge. C'est également connu sous le nom de dénutrition
anthropométrique sévère ;
- L'éducation : enfant d'âge scolaire qui
n'est jamais allés à l'école ou qui n'y vont pas
actuellement ;
- La santé : enfant qui n'a reçu aucune
vaccination, et aucun traitement contre une maladie récente mettant en
jeu une infection respiratoire aiguë ou des diarrhées.
En se basant sur la présentation faite par Asselin
(2002), nous construisons un indice composite de pauvreté pour les
enfants. L'idée est de résumer l'information apportée par
les variables du tableau 2 caractérisant un enfant en un seul indicateur. Notonsla valeur de l'indicateur composite pour l'individu. Cet indice s'écrit sous la forme générale
suivante :
. Où est l'indicateur primaire avec pour l'enfant. est le poids attribué à l'indicateur dans le calcul de l'indice composite .
La sélection des variables figure des variables aux
modalités binaires (1 si l'enfant possède la modalité et 0
sinon) et des variables ordinales et/ou multinomiale admettant plus de deux
modalités. Afin d'harmoniser la nature des variables utilisées,
il est nécessaire de transformer les variables multinomiales en
variables binaires.
L'indice composite devient alors :
Avec :
: Nombre de variable primaires ;
: Nombre de modalités de la variable primaire ;
: Le poids (score) accordé à la modalité ;
: Une variable binaire prenant la valeur 1 lorsque l'individu a la modalité et 0 sinon.
Le souci majeur ici étant de limiter la
subjectivité dans l'attribution des scores, il convient alors de trouver
une méthode appropriée pour la définition des poids
accordés aux modalités. La littérature à cet effet est prolifique en
méthodes. Ces méthodes sont intimement liées à la
nature des variables : les techniques d'ACP (Analyse en Composante
Principale) mises en oeuvre pour les variables quantitatives ont
été utilisées par Filmer et Pritchett (1998), puis les
techniques d'ACM (Analyse des Correspondances Multiples) que nous utiliserons
et qui ont été présentées par Asselin (2002). Elles
se prêtent mieux aux analyses multidimensionnelles sur variables
qualitatives.
L'ACM s'applique sur un tableau comportant individus en ligne et variables en colonne. Chaque individu ou unité de la population
peut être représenté par un vecteur ligne de dimension. Ensuite, ce tableau est transformé en un tableau
dit « tableau disjonctif complet » dans
lequel chaque colonne de variable est
« disjonctée » en autant de colonnes que de
modalités. Pour chaque individu, l'occurrence d'une modalité est
codée par 1, les autres modalités étant codée par
0. Ce tableau abouti par transformation au tableau de Burt qui est un tableau
croisant toutes les variables et toutes les modalités présentes.
L'ACM recherche un sous espace optimal dans lequel on peut dépister des
liaisons entre variables, entre individus ou entre individus et variables. La
recherche de ce sous espace optimal passe par la maximisation de l'inertie du
nuage de point.
Soit l'inertie total du nuage de points formé par le tableau des
données. On a :
L'inertie totale du nuage est mesurée par des valeurs propres auxquelles sont
associées des vecteurs propres. Le premier vecteur propre auquel est
associée la première valeur propre définit l'axe en
direction duquel l'étalement du nuage de point est maximal. Sur le
premier axe factoriel issu de la projection du nuage des points variables,
chaque modalité a une coordonnée factorielle. C'est le score
recherché. De l'ACM, on obtient des pondérations qui
correspondent aux scores normalisés sur le premier axe factoriel. La
valeur de l'indice composite pour chaque individu correspond tout simplement à la moyenne des scores
normalisés des modalités. Le poids d'une modalité est la
moyenne des scores normalisés des individus ayant cette modalité.
Toutes les modalités des variables étant
transformées en indicateurs binaires (0/1), donnant au total indicateurs binaires, l'ICP pour un individu donné peut encore s'écrire :
. Où est le poids de la modalité et est un indicateur binaire prenant la valeur 1 si l'individu a la
modalité et 0 sinon.
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