Administration coloniale, chefferie indigène et relations inter-ethniques dans la région de Franceville de 1880 à 1960( Télécharger le fichier original )par Serge Romuald ONGALA Université Omar Bongo - Maà®trise 2005 |
Chapitre III :LES RELATIONS INTER-ETHNIQUES DANS LA REGION DE FRANCEVILLE À LA FIN DU XIXème SIECLE Les relations inter-ethniques désignent l'ensemble des rapports entre divers groupements humains au cours de leur existence. Ainsi, l'implantation de plusieurs ethnies dans la région de Franceville a eu pour conséquences majeures l'établissement, entre ces dernières, de relations de natures diverses. Comme, par exemple, les relations d'alliance (la parenté et l'amitié, les relations politiques et les relations de corps à travers les sociétés secrètes et initiatiques, etc.). 1. Les relations d'alliance Comme l'écrit Hubert Binga, à la fin du XIXème siècle, les relations entre les peuples de la région de Franceville « forment des réseaux d'alliances multiples et de diverses natures (affinité clanique, association de défense ou d'attaque contre un ennemi commun, brassage des populations dû aux alliances matrimoniales, « camaraderie » d'échange, etc.) »132(*). Ces relations d'alliances, qui unissent des villages, des familles et des ethnies ont tout d'abord lieu dans le cadre de la parenté133(*) dont le clan (ibandi, obani, kaãa) et le lignage (ndzo) constituaient la pierre angulaire. Au-delà de la parenté pouvait aussi s'ajouter l'amitié. 1-1. La parenté et l'amitié
Avant leurs implantations provisoires ou définitives dans l'oekoumène forestier qui constitue, depuis 1880, la région de Franceville, certaines ethnies, plus ou moins distinctes les unes des autres, ont entretenu, dans un passé assez lointain, des relations fraternelles. Cela est particulièrement soutenu par la plupart des mythes qui font état de la parenté (bemweyi, omwòn ou mótsiãá) des groupes ethniques de la région étudiée. Ainsi, le mythe de la création des peuples du sud-est ci-après affirme : 1 « bon, mu niveau a mitsiãa 1. « Bon, au niveau de la parenté, 2. na Muwandji, na Mundzaâß, 2. de l'Awandji, Ndzabi, 3.na Mundumbu, na Mukani?ß 3. Ndumu, Kani?ß, 4.na Mutsengi , ndjii (...) Mupunu 4. Mutsengi, jusqu'au (...) Punu, 5. ndjii Muyaãa, ndjii (...) 5. Jusqu'au Muyaãà, jusqu'au (...) 6. Ndjii him [...] 6. Jusqu'au him [...] 7. Muwandji'a Ngunu, 7. Le Wandji, descendant de Ngunu. 8. Muyaãa' Ngunu, 8. Le Yaãà descendant de Ngunu, 9. Muvili'a Ngunu, 9. le Vili est descendant de Ngunu, 10. Muduma Ngunu, 10. le Duma est descendant de Ngunu, 11. Mukaningi'a Ngunu, 11. le Kani?ß est descendant de Ngunu, 12. Mutåãå' a Ngunu (...) 12. le Tåãå est descendant de Ngunu (...) 13. ndjii Mutåãå. 13. Jusqu'au Tåãå. 14.bisa benu na ba kaãa, 14. Nous avons des grands-pères. 15.bisa benu na ba kaãa ba ... 15. Nous avons des grands-pères que... 16. ba Ndzmbi `a âangß : 16. Que Dieu a créés : 17. Manondzo* (...) 17. Manondzo (...) 18. Manondzò mú liwandji / 18. Manondzo en liwandji / 19. be fumu'a liwandji. 19. C'était le chef du liwandji. 20. ndå mwana Tsina* na Bungwandjí*. 20. Il est fils de Tsina et de Bungwandjí. 21. ndå mwana Tsina na Bungwandjí. 21. Il est fils de Tsina et de Bungwandjí. 22.ndå tsuli na batswi na muyondo. 22. Il créa et les poissons, et le manioc. 23. bagnama mifungu, 23. Les animaux ont des poils, 24. Batí ngana bisa be. 24. les gens sont comme nous. 25. ndå ni luãu makumbu. 25. Il les nomma, 26. ndå ni luãu makumbu, 26. Il les nomma. 27. ndå luãu manduãu na makumbu (...) 27. Il donna les noms et nomma (...) 28. ndå `a butu baana ba taatì. 28. Il engendra trois enfants. 29. baana ba taatì, nd'abutí. 29. Trois enfants, il engendra. 30. yunuyu : Mbalì*. 30. Celui-là : Mbálì. 31. yunuyu : Ndzáâß*. 31. l'autre : Ndzáâß. 32. yunuyu : Bangala*. 32. l'autre : Bangala. 33. baana ba taatu : 33. Trois enfants : 34. Mbali li noir. Ndzaâß li noir 34. Mbali est noir, Ndzaâß est noir 35. Bangala nyamba - ndå ni mafuka 35. Bangala est Blan - il est le benjamin, 36. taata ndå a bu tondri ndå - 36. son père l'avait aimé - 37. ãu ni ti profond ? 37. là-bas c'est profond ? 38. C'est profond là-bas, hein ? 38. C'est profond là-bas, hein ? 39. C'est profond ! 39. C'est profond ! 40. nyamba `a yendrå, a basi le premier 40. Le Blanc partit, il trouva le premier 41. habitant de l'Afrique : Mubongo. 41. habitant de l'Afrique : le Bongo. 42. Mbalì a yendrå, butu bana tsamba, 42. Mbalì partit et engendra sept enfants. 43. Ndzaâß a yendrå, butu baana tsambu 43. Ndzaâß partit, engendra lui aussi sept enfants, 44. Bangala a yendru, butu baana tsambu 44.Bangala partit, engendra lui aussi sept enfants. 45. bo bosi, yu tsambu, yu tsambu, 45. Tous, celui-là sept, celui-là sept, 46. yu tsambu, otcha mutaatu' a bo. 46. celui-là sept, tous les trois. 47. me tsambu mia mi yendå, mí gnaãa ? 47. Les vingt-un là partirent, en s'ouvrant, 48. Ndzaâß na wa ndå mutsambu, 48. Ndzaâß et ses sept, 49. baa, me na makumbu: 49. ceux-là, j'ai leurs noms : 50. yu, Mvuka* (Buka). 50. l'un d'eux s'appelle Mvuka (Buka). 51. yo mwaana Ndzaâß yua tsomi. 51. Il est le fils aîné de Ndzaâß. 52. mwaana maduka: Kombila*. 52. Celui qui le suit s'appelle Kombila. 53. yua maduka : N`dombi*. 53 Celui qui le suit : N'dombi. 54. Ya maduka: Boundzanga*. 54. Celui qui le suit : Boundzanga 55. Yua maduka: Mombo*. 55. Celui qui le suit : Mombo. 56. yua maduka: Mwålå*. 56. Celui qui le suit : Mwålå. 57. Yua maduka: Gnimbi*. 57. Celui qui le suit : Gnimbi. 58. yua ni mwaana Ndzaâß yu mafuka 58. Celui-là est le benjamin des enfants de Ndzáâi. 59. Gnimbi ka yendrå (...) 59. Gnimbi s'en alla. 60.å Mbali, tsamba Mbali, 60. Mbali, les sept de Mbàli, 61. m'obasa ka paãå. 61. pour retrouver, c'est difficile. 62. Him (...) Mbali ka yendrå, 62.Him (...) Mbali s'en alla, 63. yi kwålìì bãana ba Ndzáâß na 63.il épousa les enfants et 64. ba tådu ba Ndzaâß. 64. les petits-fils de Ndzaâß. 65. Ndzaâß'a yendri kwåli baana ba 65. Ndzaâß partit épouser les enfants de 66. Mbali na ba tådu ba Mbali. 66. Mbali et ses petits-fils. 67. yu la âå ' ikwele ká Bangala. 67. Celui qu'on n'a pas épousé est Bangala. 68. yuna temi?í yendi 68. Celui-là s'en est allé 69. na wua ndå mukuna. 69. avec sa charge. 70. baana ba Mbàli ni ba sàlí 70. Les enfants de Mbali étaient restés 71. yula l'Afrique. 71. en Afrique. 72.Mvuka : Toundi na Ludi. 72. Mvuka, Toundi et Ludi 73. yo mukona Mvuka, 73. sont la charge de Mvuka, 74. mwaana Ndzaâß wua tsomi. 74. le fils aîné de Ndzaâß. 75. Est-ce que c'est nécessaire ? 75. Est-ce que c'est nécessaire ? 76. må ya ka Ndzaâß gnangala wå ! 76. Je suis entrain de te dévoiler Ndzaâß ! 77. Hem (...) ma ka mala mabo ba 77. Hem (...) ça, ce sont les villages qu'ils ont 78. tungi na taata bo. 78. bâti avec leur père. 79. bo ba gnaãß taata ãona. 79. Ils ont laissé leur père là. 80. Chaque mwaana yendri 80. Chaque enfant s'en est allé 81.bwa ndå bola. 81. dans son village. 82. Chaque mwaana yendri 82. Chaque enfant s'en est allé 83.bwa ndå bola. 83. dans son village. 84. må reti ya hein ? »134(*). 84. J'arrête là hein ? » Il renchérit en ces termes : « 85. ?a bisa bena , na Mutåãå na « 85. Mais nous tous, le Tåãå et 86. Mumbaamba, na Mukota na Mundasa 86. l' Ombaama, le Kota et le Ndasa, 87. na Mupa?í na (...) besa be ndi baana 87.le Fang et (...) Nous sommes les enfants 88. ba Mbalí na ba Ndzaâß. 88. de Mbalí et de Ndzaâß. 89. musi Mbalí aya akwålí mukari'a, 89. Si un de Mbálí vient épouser la femme de 90. Ndzaâß, mukasía Ndzaâß ayenå na ndå, 90. Ndzaâß, la femme de Ndzaâß, part avec, 91. abutini ka ya ndaãa ndå âå ? 91. naîtront les enfants de sa langue ? 92. baana ba ão íwoâo ka ka lipa?u âå ? 92. Ces enfants ne parleront désormais le fang 93. Mutsengi ayiå akwålå Muwandji, 93. Si un tsengi part épouser une awandji, 94. ndå baana ba awoâo ka kí litsengi. 94. ses enfants-là parleront désormais le tsengi 95. Muwandji áyá tålå Mundumbu, 95. Si un Wandji vient épouser une Ndumu, 96. baana ba owoâo ka liwandjí. 96. ses enfants-là parleront liwandji. 97. Mundumbu akwålå Muwandji, 97. Si un Ndumu épouse une Wandji, 98. baana ba owoâo ka ka lindumbu. 98. les enfants-là parleront lindumu. 99.ya ni ya bu ã' íbandi ãß lí 99.C'est comme ça que le clan est 100. ãß lí ãu Bawandji, 100. chez les Awandji, 101. ãß lí ãu Bakani?i, 101. chez les Kani?i, 102. ãß lí ãu Mindumbu, 102. chez les Ndumu, 103. ãß lí ãu Bandzaâß, 103. chez les Ndzaâß 104. ãß lí ãu Batåãå. 104. chez les Atåãå. 105. baana ba Mbalí na ba Ndzaâß 105. Les enfants de Mbalí et de Ndzaâß, 106. C'est devenu comme ça là. 106. C'est devenu comme ça là. 107 seâß seâß seâß seâß seâß. 107. Entremêlé. 108. bisi mutu ndi ti yu ? Munmon ! 108. Nous sommes tous ? Un ! 109. wa âangi baatí ndili Manondzo (...) 109. Celui qui créa les gens est Manondzó (...) 110. yo ni mutsiãa. 110. C'est ça la parenté. 111. (...) me lå må / 109. (...) Si je dis que/ 112. wå lå wå, 110. Si tu dis que, 113. le clan la må li, 111. mon clan est celui-ci, 114. wå basi mut'a wå ya. 112. tu trouveras un des tiens 115. yu recevå wå bubwå bubwå bubwå. 113. qui te reçoit très bien. 116. C'est pour cela que baatí 114. C'est pour cela que les gens 117. bali tswakda tswakda tswakda. 115. sont partout, partout, partout. 118. Même si itsa Bapunu, 116. Même chez les Punu, 119. wå yoãa : 117. tu entendras dire que : 120. Mundzaâß' a Ngunu 118. le Ndzabi est descendant de Ngunu, 121. Mutåãå' a Ngunu 119. le Tåãå est descendant de Ngunu, 122. Mupun'a a Ngunu 120. le Punu est descendant de Ngunu. 123. hein ? 121. Hein ? 124. Mukani?ß a Ngunu 122. Le Kani?ß est descendant de Ngunu, 125. Mundumbu a Ngunu 123. le Ndumu est descendant de Ngunu. 126. bisa bå bosi mutu ndili munmon »135(*) 124. Nous sommes une seule et même personne »
Du fait que l'histoire soit mêlée au sacré dans les sociétés africaines, il a été très difficile, pour nous, d'accéder à certaines informations, notamment sur les origines (bibandi, obani) qui, selon les traditions du sud-Gabon, ne doivent pas être dévoilées aux profanes, aux personnes étrangères au clan, au lignage ou à la famille. Les lignes 37 à 39 et 86 à 88 du récit cité ci-dessus en sont la parfaite illustration. Malgré cet obstacle, si l'on s'en tient à cette version, qui converge plus qu'elle ne diverge avec les autres informations que nous avons eues et celles recueillies par Théophile Ngomo136(*) et Richard Moubouyi137(*), on pourrait penser que les peuples de la région de Franceville auraient entretenu des relations fraternelles sinon de bon voisinage. Et par conséquent, ils ont des affinités. Ainsi, contrairement à l'idée selon laquelle les populations de l'Afrique subsaharienne étaient divisées en tribus guerrières, la lecture de ce mythe semble révéler une parenté indéniable entre les peuples de la région de Franceville à partir de leurs ancêtres Manondzó (en liwandji), fils de Dieu (ndzembi), et de Ngunu. Ngunu semble désigné l'ancêtre commun de certaines ethnies du Sud et Sud-Est du Gabon malgré leur dispersion sur l'étendue du pays138(*). A propos de leurs origines mythiques communes139(*) et de leur cohésion140(*) renforcée par des liens matrimoniaux141(*), Pierre Savorgnan de Brazza, l'un des premiers Occidentaux à avoir été en contact avec ces derniers à la fin du XIXème siècle, dit : « J'étais étonné de l'entremêlement de ces peuplades »142(*). En dehors de la parenté de sang liée aux origines communes143(*), Fernand Loungou fait état d'une autre forme de parenté : celle liée à l'alliance matrimoniale. En effet, à défaut de trouver mieux ailleurs, on se marie entre soi, comme ce fut le cas des relations entretenues entre les descendants de Mbàli et Ndzaâß, tous deux fils de Manondzo144(*). Cette image du mariage endogamique, qui se traduit par les termes "obali" (Ambaama, Atåãå), mobali ou vendala (Ndumu, Kaniçi) ou "mutedu" (Awandji et apparentés) se justifiait-elle ? Pour nos ancêtres, la fécondité était perçue comme une valeur primordiale à laquelle l'amour était subordonné. En effet, bien qu'ayant les mêmes origines mythiques, les peuples de la région de Franceville se mariaient le plus souvent au sein de leurs ethnies. Cette pratique est rapportée non seulement par certains de nos informateurs mais aussi par le proverbe ambaama qui dit : « Lentsusu l' ongumi ova tsin'ongumi ». Soit littéralement : «la feuille de l'okumé tombe sous l'okumé ». Par analogie à cette feuille qui, après sa chute, reste sous le tronc de l'arbre qui l'a produite, la femme, « ciment des civilisations » dans ces sociétés, ne devait pas s'éloigner de son ethnie. Cette endogamie se justifie du fait qu'elle permettait de maintenir la pureté de l'ethnie (son homogénéité), c'est-à-dire d'avoir des hommes et des femmes soumis aux mêmes us et coutumes; c'était une pratique courante de certaines sociétés de l'époque. Cette situation cessa avec l'ouverture à d'autres peuples, qui était surtout le fait de l'amitié et des autres formes d'alliances qui en découlent. Enfin, le mythe rapporté ci-dessus et le constat fait par Pierre Savorgnan de Brazza ont permis de comprendre non seulement la parenté des peuples de la région de Franceville mais aussi leur dispersion survenue à la suite des événements divers (mariage, changement d'habitation) qui ont beaucoup distendu leurs relations. Jean Mokikali dit Ossaâßãß rapporte en effet que : 1. « bis'abi bunu ? 1. « Nous, c'était comment ? 2. ba oba ãa bo ã'osi, 2. Ceux-là restent dans leur pays, 3. ba så oba ãa bo ã'osi. 3. ceux-là aussi restent dans leur pays. 4. yi, ya bo tsiå?å, 4. Celle-là, c'est leur terre, 5. yi så ya bo tsiå?å 5. celle-là aussi c'est leur terre. 6. oto ve to a to âå 6. On n'arrive pas n'importe comment, 7. m'obata mamvuru [...] 7. pour éviter les bagarres [...]. 8. ka gnamba ofa ya, 8. Mais, quand le Blanc arriva,
De ce témoignage, il apparaît qu'avant l'arrivée des Européens, pour éviter les conflits avec les voisins, les différents peuples de la région de Franceville sortaient difficilement des limites de leur territoire (ã'osi)146(*). Ils ne se sont véritablement ouverts aux autres que grâce au colonisateur147(*) et à l'amitié qui découle de leurs contacts. En ce qui concerne l'amitié (ondiãß, vembaãß, bembaãß), prise au sens cordial du terme, elle a été à la base des relations inter-ethniques dans la région de Franceville. C'était une forme d'alliance qui permit aux peuples des contrées proches ou éloignées de s'ouvrir aux autres. En d'autres termes, c'était le moyen le plus sûr pour l'établissement de relations de bon voisinage entre des peuples d'origines ou de cadres géographiques différents. Elle naissait soit à la suite des différends entre deux lignages, familles ou ethnies, tel que ce fut le cas pour les Kani?ß du patriarche Mosasi-A-Tsala et les Ambaama du patriarche Legnongo l'Andjoão dans la première moitié du XIXème siècle (entre la fin du XVIIIème et la première moitié du XIXème siècle)148(*), soit lors de l'initiation à une confrérie secrète ou des activités des sociétés concessionnaires, notamment le portage, la récolte de la gomme sauvage et des fibres végétales149(*)- En effet, lorsque deux personnes de familles, de clans ou d'ethnies différents contractaient une amitié, cela pouvait engendrer des rapports positifs. Selon Nicolas Metegue N'Nah, « certaines amitiés aboutissaient parfois à la création de véritables liens de parenté très solides entre clans d'une même ethnie ou d'ethnies différentes »150(*). Cela dit, l'amitié favorisait le développement des relations humaines. Dans les sociétés traditionnelles, elle devenait ainsi une forme de diplomatie qui reposait sur une entente cordiale. Jérôme Ngayama le rapporte en ces termes : a. « la bwo ondiãß ba a. « En se liant cette amitié, b. ondiãß ba ka kabo, b. cette amitié pour bien la vivre, c. avå bisa wå la ki c. il faut que nous soyons, d. yulu wå ntsyå må (...) d. en amont toi, en aval moi (...) e. ?a bo li ba bwo'ondiãß e. Quand existait l'amitié, f. eki ?a wå ya m'puã'a må f. c'était, si tu viens dans mon village, g. me mpi wå'abomo, g. je te donne des biens. h. wårå så ka ya m'puã'a må, h. Si je viens aussi dans ton village, i. wårå si vuti m'abomo i. tu me donnes aussi des biens. j. ?a yia mbuãa, ayeni bwa, j. A ce niveau, ça continue comme ça, k. ayeni bwa, a yeni k. ça continue comme ça, ça continue. l. Dziami*, ça omani bo lafu l. Si Dieu le veut, c'est la mort qui met fin, m. ndiãß kwui, ndiãß kafa kwa, m. l'ami meurt. Et, l'ami en mourant, n. nga buãa a biti antami n. Le propriétaire de l'ami se déplace, o. oyeni m'puã'a ndiãß o . et part au village de l'ami défunt. p. ndiã' a må m'a kwa , p . Mon ami est mort, q. na wa siri na ? q . mais qui est resté à sa place ? r. ndi wa siri mwaana kel'a nd'awu. r. C'est l'enfant de sa soeur qui est là s. wå biri bwo sí ondiãß bwa s. tu tisses de nouveau l'amitié avec t. mwaana kel'a ndå, kuãu, kuãu mian. t. le neveu, ainsi soit-il. u. wå ka bila eloão wå mpi ndå. u. Si tu amènes les choses, tu lui donnes. v. eloão a liãi ka baãa m'ondiãß, v. Les choses se gagnaient par l'ami, w. okali liãi kabaãa m'ondiãß, w. la femme se gagnait par l'ami , x. andiãß så liãi ka ba m'ondiãß. x. les amis se gagnaient par l'ami, y. ondiãß a liãi bwa oki »151(*). y.1'amitié, c'était comme ça ». De ce témoignage, il ressort que les relations amicales impliquaient l'idée d'échange de toutes sortes de biens152(*) et unissaient les familles de ceux qui ont initialement tissé ce lien153(*). A un certain degré de l'amitié, certains donnaient à leur progéniture le nom de l'ami, d'autres s'initiaient aux pratiques ayant cours dans le milieu de vie de leurs alliés. Ces alliances étaient le plus souvent consolidées par des pactes de sang, des mariages entre les ressortissants des villages ou ethnies alliés. Ainsi, sur les bases du mariage, plusieurs liens se sont tissés entre les Kani?i, Ndumu, Bewumvu et Mba?i, entre Ambaama et Kani?i, Ambaama et Atåãå, entre les frères et voisins bungom, bewumvu, mba?i et babongo. Par le biais de l'amitié, certains peuples parvenaient à développer d'autres techniques d'ordre économique et pouvaient aisément résoudre un différend en sollicitant les compétences de leurs amis. Dès lors, des relations d'intérêts pouvaient prévaloir. C'est ainsi que, dès qu'un des amis a failli à ses devoirs, l'équilibre de la relation et même de la société est rompu et la vie personnelle de ce dernier est, par la même occasion, désaxée. Philippe Endelet dit, en effet : 1. « wå ya m'puã'a må, 1. « Si tu viens dans mon village, 2. me ?i w'abomo. 2. je te donne des biens. 3. m'a ndja m'puã'a wå, 3. Je viens dans ton village, 4. wå må ã'abomo ã'a mpa ?i 4. tu ne me donnes pas des choses, 5. alors ondiãi etsami?i»154(*). 5. alors notre amitié s'interrompt ». * 132 BINGA (H.), Chefferie et territoire dans le Sud -Est du Gabon. Tome 1, op.cit, p.192. * 133 La parenté, au sens courant, est l'ensemble des personnes considérées comme parents par un individu donné (on dit encore la parentèle). Au sens anthropologique, la parenté désigne l'ensemble des relations définies par la filiation (descendants, ascendants consanguins d'un même ancêtre) et par l'alliance et les relations qui en découlent. Il s'agit ici d'une parenté élargie englobant tant le côté maternel que le côté paternel On peut ainsi être parent et être des villages, d'ethnies différents. Cf le terme " osi " à la page 41. * 134 LOUNGOU (F.), Entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier (Moanda). * 135Ibid . * 136 NGOMO (T.), Contribution à l'histoire des Tsengi. Mémoire de maîtrise d'histoire, U.O.B., F.L.S.H., Libreville, octobre 1984, pp 11-13. * 137 MOUBOUYI ( R.), La voix des Ancêtres. Tome1. Proverbes, légendes et totems gabonais, op.cit, pp. 91-92. * 138 LOUNGOU (F.), Entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier (Moanda), lignes 7 à 12 et 120 à 125. * 139 Idem, lignes 14 , 15, 17 , 105, 108 , 109, 126. * 140 Idem, ligne 107. * 141 Idem, lignes 73 à 77. * 142 BRAZZA ( P. S. de), Au sources de l'Afrique .Vers la source des grands fleuves 1875-1877. Editions Phébus, Paris , 1992, p.156. * 143 LOUNGOU (F.), Entretien du 14 avril 2004 au quartier Fumier (Moanda), lignes 1 à 84. * 144 Idem, lignes 62 à 66. * 145 Mokikali dit Ossaâßãß (J.), Entretien du 25 avril 2003 au quartier Mbaya à Franceville. Ce témoignage concorde avec ceux de Angango Pierre (entretien du 24 avril 2003 au village Okouma (district d'Andjogo à 64 kms de Franceville) et de Ndjabimba Paul (entretien 1er mai 2003 au village Mindili à Okoloville (20 kms de Franceville). * 146 Idem, Lignes 2 à 7. * 147 Idem, lignes 8 à 15. * 148Témoignages concordants de Ndouomi A (Entretien du 25 avril 2003 au quartier Dialogue Franceville), Ndjabimba P., Moutélé A. (entretien du 30avril 2003 au village Mindili, regroupement d'Okoloville), d'Okologho S. (entretien du 23 avril 2003 au quartier Menaye à Franceville, réalisé par Yabighui Philippe) et Mboumounou A.(entretien du 10 avril 2004 au village Mindili, regroupement d'Okoloville). * 149 Témoignages concordants de Moutélé A. (entretien du 30 avril 2003 au village Mindili à Okoloville), Kouatsi D. (entretien du 23 avril 2003 au quartier Maboukou à Franceville) et Angango P. (entretien du 24 avril 2003 à Okouma, district d'Andjogo à 64 kms de Franceville). * 150 METEGUE N'NAH (N.), Lumière sur points d'ombre. Contribution à la connaissance de la société gabonaise . Imprimerie Guéniot, Langres, France, 1984, p.24. * 151 NGAYAMA (J.), Entretien du 11avril 2004 au quartier Mbama à Leconi. * 152 Idem, lignes g, i, u, v. * 153 Idem, ligne s. * 154 ENDELET (P.) , Entretien du 11avril 2004 au quartier Mbama à Leconi. |
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