![]() |
Ethnicité et Management des Staffs locaux dans les ONG internationales au Burundi( Télécharger le fichier original )par Christian Munezero Université Catholique d'Afrique Centrale (UCAC) - Master en Développement et Management des Projets 2007 |
De toutes les tendances lourdes énumérées au début de cette section, l'ethnicité semble dominant en termes d'impact sur le rendement du personnel local. Cela a de quoi désarçonner car, on aurait plutôt tendance à penser que l'offre limitée du personnel qualifié vient en première position. Ce dernier facteur est en effet directement lié à la qualité des prestations des employés ; cela s'observe directement sans difficulté, quelque soit la zone d'intervention. Mais il n'en demeure pas moins vrai que dans le cas particulier du Burundi, l'ethnicité est un élément prégnant dans l'atteinte ou non de certains objectifs des projets mis en oeuvre par les organisations humanitaires ou de développement. Il est presque indécent d'établir un quelconque
rapport entre le terme ethnicité et les l' ethnie à ces organisations de droit étranger car elles sont sensées être un haut lieu de démocratie et de « bonne gouvernance ». Il est vrai que dans la société globale, la question de l'identité ethnique a été pendant longtemps un tabou. Comme le remarque Melchior MBONIMPA, « il y a quelques années au Burundi, désigner une personne par son ethnie était comme une obscénité. Les mots « hutu » et « tutsi » devaient être chuchotés entre intimes, les portes closes, à la faveur de l'ombre, un peu à la manière des adolescents lorsqu'ils parlent des choses du sexe. On feignait de ne jamais en parler. Pourtant, irrésistiblement, c'était le sujet qui occupait les conversations les plus passionnées44 ». 43 Cabinet DCBC-Sarl, « Les huit étapes de recrutement », Module de formation 44 MBONIMPA Melchior, Ethnicité et démocratie en Afrique : l'homme tribal contre l'homme citoyen ? , Harmattan, Paris, 1994. En conséquence, les ONG internationales étant constituées par des individus vivant dans la société, ne subissent-elles pas une influence directe et indirecte de la part de cette dernière ? L'organisation est vue ici comme « le royaume des relations de pouvoir, de l'influence, du marchandage et du calcul » et comme « un construit humain qui n'a pas de sens en dehors des rapports de ses membres »45. Dans un environnement où « l'illusion identitaire »46 est profondément ancrée dans les mentalités, ne serait-ce pas nier la réalité sociale que de faire fi de la variable ethnique dans les pratiques de gestion des relations professionnelles dans les organisations internationales y opérant ? En effet, ces organisations n'évoluent pas en vase clos ; elles sont dans un environnement fortement marqué par une identification par soi et par autrui de type ethnique très prononcée. Ici, l'enjeu ne serait plus forcément la lutte pour le pouvoir politique, mais la « lutte » pour l'emploi et surtout, la maîtrise et le contrôle des mécanismes et des circuits de recrutement et d'évolution de carrière au sein de ces organisations. Dans tous les cas, le travail dans les ONG internationales au Burundi, au même titre que la détention du pouvoir politique, apparaît comme étant synonyme d'accumulation de richesses matérielles et symboliques. L'enjeu est d'autant plus important que le travail dans ces organisations confère un statut social particulier. Nous reviendrons plus longuement sur les manifestations de l'ethnicité au sein du personnel local de ces organisations dans d'autres chapitres. Pour l'insta nt in téressons nous au lien qui existe entre l'ethnicité et les trois autres facteurs identifiés comme étant des tendances lourdes à savoir : l'offre limitée du personnel local qualifié, l'interventionnisme de certains responsables des administrations locales et l'urgence de l'action humanitaire. De prime abord, le sentiment qui se dégage de la lecture de ces trois facteurs alignés dans l'ordre, c'est la difficulté d'établir un lien entre eux et l'ethnicité. Pourtant il y'en a un. En mettant en exergue ce lien, nous montrerons également en quoi ces éléments constituent des tendances lourdes pour le Team Building. 45 CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhrad, L'Acteur et le système. Les contraintes de l'action collective, Seuil, Paris, 1977, p.50 BAYART Jean-François, L'Etat en Afrique : la politique du ventre, Fayard, Paris, 1990 46 Comment l'offre limitée du personnel local qualifié constitue-t-elle une tendance lourde pour le Team Building dans les ONG internationales ? La rareté d'employés locaux expérimentés et qualifiés dans les métiers du développement et de l'humanitaire a un effet direct sur les performances des staffs. Cette situation est due en grande partie à la nature du système éducatif universitaire national qui est plutôt axé sur les formations généralistes plutôt que spécialisantes ou professionnelles. Par conséquent, lorsque les étudiants sortent des universités, ils ne sont pas opérationnels en ce qui concerne les métiers du développement et de l'humanitaire. Cela implique que lorsqu'ils sont embauchés malgré leur non opérationnalité, il leur faut du temps pour suivre des formations et s'imprégner des outils, des processus, des approches et des méthodes en vigueur dans le secteur des ONG internationales. Dans ces conditions, le Team Building devient un travail de longue haleine, ce qui ne concorde pas généralement avec le caractère à court terme et urgent des projets humanitaires. Dans tous les cas il est extrêmement difficile de construire des équipes performantes avec des employés qui ont presque tout à apprendre du savoir faire, même s'ils disposent de capacités exceptionnelles en matière de savoirs et de savoir être. Ainsi, l'expérience des candidats devient un critère hautement déterminant dans le recrute ment des ressources humaines pour le Team Building. C'est à ce niveau que s'invite le facteur ethnique. En effet, les différentes ethnies du Burundi n'ayant pas toutes bénéficié des mêmes avantages du système éducatif à certains moments de l'histoire tourmentée de ce pays, les personnes les plus expérimentées se retrouvent naturellement issues des ethnies qui ont été privilégiées à une époque ou une autre par le système éducatif national. Cela nous a été confirmé par un responsable expatrié d'une ONG internationale : « Actuellement on trouve que le personnel qualifié et expérimenté est majoritairement homogène sur le plan ethnique du fait que, à un certain moment l'université du Burundi était ethniquement et m ême régionalement orienté [...] » Cette situation crée inévitablement des frustrations de la part de ceux qui sont tenus à l'éca rt ou en minorité par les critères impératifs de recrutement. Concernant l'interventionnisme de certains responsables des administrations locales, elle se manifeste sous forme de tentatives d'influence sur le recrutement par les ONG internationales opérant dans une localité donnée en faveur des ressortissants de cette dernière. Pour avoir la possibilité de mener leurs activités, les managers se trouvent parfois contraints de faire des compromis. Les personnes engagées dans ces conditions occupent généralement des postes de chauffeurs, d'agents d'entretien, de gardien, de guide, d'interprète, etc. Cette manière de faire pose un réel problème à la construction des équipes gagnantes. En effet, dans la logique du Team Building, tous les membres de l'équipe sont aussi importants les uns que les autres car le travail des uns conditionne celui des autres (interdépendance). Il n'y a donc pas d'employés « bouche trou » ou figurants. Or, si un manager accepte un individu imposé par l'autorité locale, cela veut dire qu'il n'a pas eu le luxe de suivre les huit étapes du recrutement évoquées plus haut. Cela signifie également que l'employé recruté ne partage pas forcement l'objectif du groupe ni sa vision, ce qui a des répercutions directes sur les variables comme le climat de confiance, le sentiment d'appartenance ou encore, la cohésion du groupe. Par ailleurs, les élus locaux ne sont pas réputés comme étant des chantres du pluralisme ethnique car beaucoup d'entre eux ont été élus sur des critères essentiellement ethniques. Ainsi, il est probable que dans leurs tentatives d'imposition du personnel à recruter, le facteur ethnique soit des plus prédominants. De manière générale, les managers des ONG internationales qui refusent de se subordonner à ces directives se voient faire l'objet de rapports hostiles destinés au Ministère de l'Intérieur et de la Sécurité Publique. Lors de nos recherches dans les archives de ce ministère, le constat que nous avons fait était plutôt constant : dans tous les rapports produits par des maires des collectivités territoriales décentralisées sur les activités des ONG internationales opérant dans leurs localités, rares étaient ceux qui déclaraient travailler en bonne collaboration avec ces organisations. Au contraire, ces dernières faisaient l'objet de critiques des plus virulentes. L'autre tendance lourde que nous avons relevé, c'est l'urgence de l'action humanitaire. En période de crise humanitaire, certaines ONG sont contraint d'intervenir en urgence pour subvenir aux besoins de base des personnes sinistrées. Les interventions humanitaires d'urgence nécessitent parfois la disponibilité immédiate de professionnels (souvent pour une période de courte durée) expérimentés pour travailler dans des zones à haut risque sécuritaire. Les organisations qui travaillent généralement dans ces conditions n'ont pas le temps matériel de procéder à un recrutement en bonne et due forme. Elles sont obligées de recruter par cooptation. La cooptation est une pratique courante dans la mise en place des équipes ; mais dans des contextes sensibles comme celui du Burundi, elle peut constituer un terreau fertile pour le tissage de réseaux mafieux d'accès à l'emploi. En effet, en faisant fi des procédures et étapes « normales » d'un recrutement, le manager ouvre la voie au clientélisme ethnique et aux marchandages de toutes sortes (pour ne pas parler de corruption) de la part des collaborateurs locaux et même expatriés. Mais le respect des huit étapes de recrutement évoquées plus haut n'est pas aisé comme nous veno ns de le voir. Par ailleurs, la mise en oeuvres de ces différentes phases nécessite des moyens logistiques et financiers qui ne sont pas toujours prévus dans les lignes budgétaires des projets qui sont financés par les partenaires financiers, ces derniers ne finançant que la réalisation des activités. Mais comment minimiser les nuisances du facteur ethnique dans la gestion des staffs locaux ?
La gestion d'un staff multi-ethnique dans un contexte de conflit ou de post conflit ethnique s'avère être un exercice extrêmement délicat pour les responsables des ONG internationales. Du fait de la particularité du contexte burundais, les responsables de ces organisations élaborent des stratégies afin de ne pas rester prisonniers du climat socio-politique ambiant. Nous relevons deux postures managériales les plus couramment utilisées dans la gestion des ressources humaines locales : d'une part, le recours à l'approche « Do No Harm » et au modèle du management cross-culturel (ou management interculturel) et d'autre part, l'observation du principe de « non-ingérence ». II-1- L'approche Do no Harm et le Modèle de Management cross-culturelII-1-1- L'approche Do no Harm ou l'action humanitaire pragmatiqueL'approche Do no Harm est un outil développé par la CDA47 (The Collaborative for Development Action) pour maximiser l'efficience et l'efficacité de l'action humanitaire dans les zones de conflit et de post conflit. Littéralement, Do no Harm est un mot anglais qui signifie « ne pas faire du mal ». Cette approche consiste à évaluer et modéliser la manière dont l'assistance humanitaire ou de développement donnée dans un contexte de conflit ou de post conflit peut être allouée sans toutefois exacerber, empirer ou relancer le conflit. La méthode a également pour but d'aider les populations en conflit à se désengager des combats et à développer des mécanismes de résolution des problèmes à l'origine des conflits qui minent leurs sociétés. L'approche Do no Harm part d'un constat : les pays n'entrent pas en guerre par hasard. Les gens ne prennent pas les armes pour se battre contre leurs voisins gratuitement. Dans la plupart des cas, ce sont les leaders politiques qui incitent les gens à se battre contre leurs compatriotes et réussissent à le faire. Dans un monde où on assiste si fréquemment à des guerres civiles, il est important d'avoir à l'esprit tous ces faits lorsque l'on démarre un projet d'assistance humanitaire ou de développement dans une zone de conflit ou de post conflit. 47 site web : www.cdainc.com A cet égard, il est nécessaire d'examiner au préalable les liens qui existent entre l'assistance (locale et internationale) donnée dans de tels contextes et les conflits qui ont incité à cette assistance. En effet, l'expérience du passé a montré que, même lorsque l'assistance est effective en ce qui concerne la sauvegarde des vies humaines et l'allégement des souffrances, très souvent, par inadvertance, elle nourrit, prolonge et/ou exacerbe les conflits qui avaient suscité une réponse humanitaire. C'est pour cette raison que cette approche préconise de lire et d'étudier attentivement les éléments du contexte de la zone d'intervention afin de s'assurer de l'impact positif de l'action humanitaire ou de développement engagée. En réalité, lorsque les programmes d'assistance sont menés dans un contexte de conflit, l'assistance en elle-même devient également une composante à part entière du conflit. Bien qu'il soit clair que l'assistance ne cause ni ne résout le conflit, et même si les ressources qu'elle mobilise sont peu importantes, l'impact de la présence de l'assistance est significatif. L'assistance peut avoir des effets importants sur les relations intercommunautaires ou intergroupes ainsi que sur le déroulement des conflits intergroupes en mettant à leur disposition des ressources nécessaires pour la survie. La méthode met l'accent sur les défis posés à l'assistance humanitaire par les conflits armés internes. De tels conflits trouvent généralement leur origine dans des tensions à caractère fondamentalement social ou économique, ethnique ou tribal, religieux ou idéologique. Ils sont souvent exacerbés par le manque de représentation dans des structures politiques, grâce à laquelle l'agitation populaire pourrait trouver une autre forme d'expression. Ces conflits constituent cette sorte de fragmentation politique et de démembrement interne que l'ancien Secrétaire Général des Nations Unies Koffi Anan appelle «micro-nationalisme». A vrai dire, dans un contexte socio-politique que nous qualifierions de « normal », l'approche Do No Harm n'est pas révolutionnaire. Les règles les plus élémentaires du management des projets préconisent la prise en compte des éléments du contexte global avant la mise en place de tout projet, qu'il soit humanitaire ou de développement. Il s'agit de maîtriser autant que possible, l'incidence positive ou négative, à court et à long terme, que peut avoir le projet sur l'environnement ambiant et vice versa, l'environnement étant ici pris dans son sens le plus large, c'est-à-dire, l'environnement sociologique, institutionnel, culturel, économique, politique, etc. Dès lors que le contexte est conflictuel avec une coloration ethnique très prononcée, il va de soi que l'on doive envisager l'impact du projet sur le conflit. L'idéal serait que l'action humanitaire puisse contribuer à annihiler les germes du conflit ; pour autant, il n'est pas exclu qu'elle devienne un motif même d'affrontement. C'est ce cas extrême qu'il ne faut pas ignorer sous peine de subir les conséquences d'une telle légèreté dans la prise de décisions stratégiques. L'étude d'impact se fait avant la mise en oeuvre de l'action humanitaire ou du projet de développement. Dans le cas spécifique du contexte burundais de l'après guerre civile, il est par exemple question pour les responsables des ONG internationales qui appliquent la méthode Do No Harm, de maîtriser les tenants et les aboutissants de la question ethnique au Burundi. Lorsqu'on applique la méthode sur le management des ressources humaines, la maîtrise totale du contexte est un facteur déterminant dans la définition des politiques de gestion du personnel local. Tout part de la décision d'implanter les activités de l'ONG au Burundi. Plusieurs phases sont nécessaires pour aboutir à la décision du démarrage des activités. La première phase consiste à rentrer dans l'histoire du pays. L'objectif de cette étude historique est de cerner les racines du conflit, son déclenchement sporadique au cours des décennies, son évolution et son apparente dénouement. Cette phase renseigne le manager sur la psychologie de masse en cours dans la société ainsi que sur l'origine des représentations sociales. La deuxième phase est celle de l'analyse du contexte présent. Elle vise à décortiquer les éléments du contexte d'alors et à aller au-delà du discours des différents acteurs du conflit. Est-ce que le conflit est essentiellement politico-ethnique ou alors, existe-t- il d'autres ingrédients qui l'aggravent ? Quelles sont les forces en présence ? Quels sont les protagonistes et de quels soutiens disposent-t-ils à l'intérieur et à l'extérieurs du pays? Quels sont les éléments culturels sensibles susceptibles de provoquer des dissensions au sein du personnel local ? Voilà autant de questions que l'on doit se poser avant d'entreprendre tout projet dans une société comme celle du Burundi. En d'autres termes, il s'agit de faire l'analyse des acteurs et des facteurs, ainsi que des relations existantes entre eux. Toutefois, en dehors des données socio-culturelles déstructurantes, il convient d'avoir une bonne connaissance des facteurs socio-culturels pouvant favoriser la cohésion sociale (facteurs liants). Cela est d'autant plus important que le manager de l'ONG trouve là des catalyseurs autour desquels il pourrait construire l'organisation. Il est alors question d'aller fouiller dans la culture locale, les symboles, les mots, les proverbes, les expressions artistiques, les figures, etc., autour desquels toutes les catégories sociales et ethniques du pays s'identifient et qu'elles considèrent comme étant des éléments d'un héritage commun, partagé. La troisième étape consiste à faire une projection de l'action humanitaire ou des activités du projet dans le futur. Cette projection vise à prévoir, en plus des résultats et des incidences prévisibles, les externalités positives et surtout négatives que peut induire l'opération. Cette phase est la plus cruciale dans le processus décisionnel, car c'est de ses conclusions que le responsable de l'organisation prend la décision de mettre ou non en oeuvre le projet préconisé. Concrètement, il s'agit d'établir la balance entre les conséquences négatives et celles positives. La décision de mettre en oeuvre le projet est effective lorsque les effets positifs prennent le pas sur ceux négatifs. Mais que faire lorsque, à l'issue de l'étude d'impact, il ressort que la mise en oeuvre du projet pourrait empirer la situation sur le plan humanitaire ou sécuritaire ? C'est là toute la question que pose la méthode Do No Harm. En théorie, les responsables d'une ONG opérant dans une zone sensible, lorsqu'ils se rendent comptent que les effets pervers de leur action sont de nature à causer plus de torts qu'elle n'en résout, la décision qui s'impose à eux est celle de ne pas engager l'action. Lorsque la situation humanitaire est critique et exige à tout prix une intervention d'urgence, ils peuvent mettre en oeuvre le projet, tout en essayant de minimiser autant que possible ses incidences négatives. Dans les faits, l'exercice s'avère plus compliqué qu'on ne l'aurait cru. En effet, les réalités du terrain exigent de la part du manager, un oeil averti et des capacités organisationnelles et d'adaptation exceptionnelles. L'action humanitaire dans les zones sensibles est avant tout caractérisée par la prise de risque, l'engagement et la capacité à surmonter des situations incongrues. Prenons le cas d'une ONG qui aurait pour projet, la réinsertion socio-professionnelle des sinistrés de guerre dans une province du Burundi. L'aspect qui nous intéresse particulièrement ici est celui de la formation des équipes locales devant mettre en exécution la programmation des activités du projet. Le manager averti sait que le conflit ethnique qui a secoué le pays s'est déroulé sur fond de lutte pour le contrôle des ressources économiques. Dès lors il sait que s'il faut recruter des employés locaux, comme la législation sur les ONG internationales le préconise, pour éviter de doter les membres d'une seule ethnie du pouvoir économique par le biais des salaires, la meilleure manière est celle de recruter un personnel multi-ethnique. Ainsi, il réduit la probabilité de la domination économique d'une ethnie sur l'autre, ce qui aurait pu contribuer, même de manière minime, à relancer le conflit. Si le manager prend la décision d'ignorer le caractère ethnique du conflit et sa portée sociale, il va recruter sans se soucier de l'équilibre ethnique des équipes. En cas de déséquilibre prononcée en faveur d'une ethnie, il court alors le risque de voir les membres des staffs sur le terrain privilégier les personnes de leur ethnie dans l'identification des groupes cibles bénéficiaires du projet. Ce fut le cas d'une grande ONG internationale qui, aux premières heures de la crise de 1993, s'est retrouvée grâce au concours de plusieurs circonstances, avec un staff local exclusivement constitué de membres d'une seule ethnie. Après quelques mois d'activités, le responsable expatrié de l'organisation s'est rendu compte que les équipes sur le terrain ne donnaient l'assistance humanitaire qu'aux personnes sinistrées d'une seule ethnie. Ce type de situation peut être de nature à renforcer le sentiment d'injustice sociale et nourrir ainsi les germes du conflit. L'adoption de l'approche Do No Harm appliquée au management des ressources humaines dans les zones ethniquement sensibles nécessite la convocation du modèle de management cross-culturel. En effet, si l'approche Do No Harm permet au manager d'élaborer des stratégies, le management cross-culturel lui donne les moyens et les outils de mettre les en oeuvre dans un environnement multiculturel ou multiethnique. II-1-2- Le modèle de management cross-culturel ou interculturelLa nécessité d'intégrer la notion de culture dans le management s'est imposée avec la mondialisation économique qui a vu la multiplication des multinationales développant des filiales régionales, les fusions-acquisitions d'entreprises de pays différents et l'expatriation des cadres dans des régions aux cultures autres que les leurs. C'est ainsi que des chercheurs en management des organisations commencèrent à s'y intéresser. La discipline du management interculturel s'est développée aux États-Unis à la fin des années 1970 sur la base du management international et du management comparé48. L'étude empirique menée par G. Hofstede49 sur la culture nationale et la culture d'entreprise a fortement contribué à sa diffusion dans le domaine des sciences de gestion. À la différence du management international (qui prend en compte toutes les activités fonctionnelles de l'entreprise) et du management comparé (qui compare les spécificités du management dans des systèmes différents), le management interculturel est centré sur le comportement organisationnel et les ressources humaines50. Le management interculturel s'intéresse plus précisément à l'influence de la culture (nationale et organisationnelle) sur les perceptions, les interprétations et les actions des acteurs. La culture est considérée comme un système de significations et d'orientations, propres à un groupe, basées sur des valeurs spécifiques qui se traduisent en comportements. Ce système a été appris durant le processus de socialisation. Comme cette socialisation a lieu dans un contexte spécifique, la culture qui reflète les valeurs, les pensées et les comportements d'une société, joue un rôle primordial. En matière de management, ce système culturel procure aux individus des capacités cognitives et des méthodes spécifiques pour résoudre des problèmes. 48 HARRIS et MORAN, Managing cultural difference, Gulf Publishing, Houston, 1993 49 HOFSTEDE, Culture's Consequences: Comparing Values, Behaviors, Institutions and Organizations A cross Nations, Sage Publications, London, 2001 50 ADLER, International Dimensions of Organizational Behavior, PWS-Kent, Boston, 1991 Par conséquent, des collaborateurs issus de groupes culturels différents sont susceptibles de trouver des solutions différentes face à un même problème. La recherche en management interculturel s'attache à étudier les interactions d'acteurs venant de systèmes différents. Elle s'intéresse aux « incidents critiques »51 qui sont dus aux différences culturelles. Les incidents critiques se produisent souvent dans des situations de communication et de coopération où les attentes et comportements des acteurs divergent et conduisent à des conflits interculturels. Les problématiques du management cross-culturel s'appuient sur des constats simples : selon sa culture d'appartenance, on ne dit pas la même chose des mêmes choses. Les versions, les explications du réel, c'est-à-dire, des situations, des comportements, des histoires, varient selon que l'on écoute des ressortissants d'une culture ou de l'autre. Il paraît clair que seul un simulacre de vérité peut exister en la matière, celui que le plus écouté impose à tort ou à raison. En effet, en matière de cultures, les évidences se diluent et il ne reste que des attitudes, des représentations et parfois des sympathies. Le manager de l'interculturel peut être exposé quotidiennement ou presque à l'expression de ce besoin. Dans une autre culture que la leur, les acteurs de la vie économique se trouvent démunis. Il y a bien sûr le facteur de la langue. Mais il y a également les valeurs et les non-valeurs sociales, les usages, la relation au temps, à l'espace, la communication non verbale, les modes d'intégration, affectifs, les logiques guidant les conflits et les alliances : tout semble suivre un autre cheminement, trouver d'autres expressions, recevoir une autre signification et un autre sens. Cela rend la vie difficile aux responsables d'agence ou de filiale expatriés. La négociation avec les partenaires sociaux suit d'autres routes que celles, plus facilement prévisibles, des négociations avec une centrale syndicale d'un pays occidental. Même la gestion des salaires et des promotions internes est rendue ardue pour l'expatrié. 51 BARMEYER, et MAYRHOFER, « Le management interculturel : facteur de réussite des fusions- acquisitions internationales ? », C.E. S. A. G. (Centre d'Etude des Sciences Appliquées à la Gestion), I. E. C. S. Strasbourg, Université Robert Schuman. Le secteur de la coopération internationale et de l'humanitaire étant un espace de mobilité internationale par excellence, les cadres expatriés des organisations non gouvernementales internationales sont encore plus confrontés à ce décalage des perceptions culturelles que leurs collègues du secteur marchand, car moins préparés que ces derniers. En effet, si nombre des responsables des multinationales ont déjà pris la mesure des problèmes qu'implique la cohabitation des équipes multiculturelles au sein d'une même organisation, les organisations non gouvernementales internationales sont encore loin de cerner les implications d'un tel scénario. Pourtant elles vivent des expériences et des incidents liés à la multiculturalité des équipes au quotidien. De manière générale, les approches utilisées par le management cross-culturel sont basées, au plan pratique, sur « la connaissance la plus précise possible des cultures nationales concernées et, au plan conceptuel, sur des différences culturelles et leur mise en évidence par des méthodes intuitives ou quantifiées »52 . Ainsi, pour les ONG qui ont choisi l'option du management cross-culturel, la préparation à l'expatriation des cadres, la gestion des rapports humains en milieu pluriculturel, l'animation des équipes mixtes, et les programmes de formation qui peuvent y être associés sont autant de préoccupations pour atteindre au mieux les objectifs des différents projets initiés. Dans le contexte burundais, l'application du management interculturel n'est pas aisée. La notion de culture en tant qu'ensemble des manières d'être, de penser et d'agir des peuples, transmises de génération en génération (ou alors, l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels caractérisant un peuple) perd de son sens originelle lorsqu'il s'agit de qualifier les systèmes de valeurs des deux ethnies (Hutu et Tutsi) qui cohabitent dans les organisations. En effet, comme nous l'avons évoqué plus haut, ces deux groupes ethniques ont en commun l'histoire, la langue, l'art, les coutumes, le territoire, la religion, le système social et politique, etc. En d'autres termes, nous sommes en présence de deux ethnies ayant la même culture. De ce fait, dans les modes de vie et de représentations sociales des uns et des autres, pris séparément, on ne descelle aucune différence majeure. Toutefois, lorsque l'on 52 BOSCHE, « Management interculturel », Cours en ligne observe une équipe composée d'individus issus des deux ethnies, on remarque automatiquement qu'ils s'identifient les uns par rapport aux autres suivant le critère ethnique et adoptent des comportements en conséquence. Cela signifie par exemple que les individus ont tendance à faire plus confiance aux collègues appartenant au même groupe ethnique qu'eux dans les relations de travail. Conscients de cette situation, les managers des ONG internationales qui emploient un personnel multi-ethnique et désireux d'appliquer le management interculturel à la gestion des équipes, considèrent les deux entités ethniques comme deux « cultures distinctes », le seul contenu du mot culture étant le critère ethnique. Le management interculturel devient en quelques sortes un « management interethnique ». L'application de ce modèle ne se fait pas sans résistances. Nous allons développer cet aspect dans les chapitres qui vont suivre. II-2- Le principe de non-ingérenceLe principe de non-ingérence découle d'une certaine lecture d'une notion propre au droit internationale humanitaire : le droit d'ingérence. Ici, les managers des organisations internationales s'abstiennent d'avoir recours à ce droit dans la définition des profils pour la formation et le développement des staffs locaux. Mais qu'est-ce que le droit d'ingérence ? Impulsé (du moins dans l'esprit) au lendemain de la fin de la Deuxième Guerre mondiale au moment de l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948, le droit d'ingérence consiste à consacrer un droit de regard de la communauté internationale, dans les Etats, sur les conditions de vie de leurs propres citoyens et une prohibition des comportements considérés comme étant contraires à certains principes démocratiques de base. Mais dans les milieux de l'humanitaire, l'expression de «droit» ou de «devoir d'ingérence» (à laquelle on a rapidement accolé le qualificatif d'«humanitaire») est apparue à la fin des années 1980 sous la plume de Mario Bettati, professeur de droit international public à l'Université Paris II, et de Bernard Kouchner, homme politique français qui fut l'un des fondateurs de Médecins sans frontières. Ils voulaient s'opposer, selon l'expression du second, à « la théorie archaïque de la souveraineté des Etats, sacralisée en protection des massacres ». La formule a vite fait recette, particulièrement avec l'avènement d'un nouvel ordre mondial sensé replacer au premier rang des priorités des valeurs comme la démocratie, l'Etat de droit et le respect des droits de la personne humaine. La nécessité de secourir les populations en détresse imposerait en effet à chacun un «devoir d'assistance au peuple en danger», qui transcenderait les règles juridiques traditionnelles. C'est en grande partie le choc immense causé par les atrocités commises durant la Seconde Guerre mondiale qui inspira à la communauté internationale l'idée de rendre plus intolérable, à travers le monde, le sacro-saint principe de la non- ingérence. Il devint désormais possible de pouvoir demander des comptes aux gouvernements sur leur manière de traiter leurs citoyens. La principale conséquence de cet état de chose fut que « le rempart de la souveraineté ne permit plus aux gouvernements, comme autrefois, de faire n'importe quoi sans avoir à répondre, au moins politiquement ou diplomatiquement, de leurs actes.»53 En effet, le droit international humanitaire classique était depuis toujours porté à privilégier la neutralité et la souveraineté des Etats pour sauvegarder la collaboration avec les pires comme avec les meilleurs des régimes. La consécration du droit d'ingérence vint remettre en question cette situation pour ne privilégier que le sort des populations quelques soient les Etats. Il s'agit alors, pour les organisation humanitaires, de porter remède, de façon unilatérale, par quelque moyen physique que ce soit, au mauvais sort réservé aux victimes de toutes les sortes imaginables de calamités sans attendre l'aval des autorités des Etats où se passe l'intervention. Le droit d'ingérence s'oppose au principe de neutralité jadis prôné dans les organisations internationales humanitaires. Principe directeur par excellence du droit international classique, la neutralité fut, dès les premières véritables balbutiements de l'action humanitaire, une des règles de conduite fondamentales des organisations vouées à cette cause. Supposant autant une abstention dans des situations de conflit qu'une renonciation à toute prise de position sur la politique des gouvernements, ce principe comporte deux aspects essentiels selon Mario Bettati : « premièrement, il assimile neutralité et impartialité. Deuxièmement, il comporte un 53 BETTATI Mario, Le Droit d'ingérence : mutation de l'ordre international, Odile Jacob, Paris, 1996. volet souvent très contesté découlant d'une certaine réciprocité souvent exigée par les États en conflit : la neutralité politique ou idéologique. »54 Cette « neutralité », ou absence de prise de position sur les politiques des régimes des Etats, qu'ils soient jugés fréquentables ou non, a pendant longtemps contraint les travailleurs de l'humanitaire à adopter une attitude inerte, résignée, docile et même parfois fataliste au gré des circonstances (guerres civiles, abus des droits de l'homme, génocides, etc.). Le principe de non-ingérence pose la question des risques moraux et humains : comment observer une obligation de garder, en toutes circonstances, une totale réserve dans les controverses idéologiques ou ethniques, peu importe le comportement barbare ou criminel des belligérants ? Au Burundi, les responsables des ONG internationales qui observent cette forme de neutralité avancent l'argument suivant : l'État étant le seul maître du bonheur comme du malheur des siens, en plus d'être autant l'auteur que le sujet principal du droit international classique, les organisations internationales travaillant au sein de cet Etat n'ont pas à bouleverser les pratiques en vigueur en matière de gestion des ressources humaines. Elles s'en tiennent à réaliser les activités qui entrent dans le cadre de leurs planifications stratégiques et opérationnelles, sans plus. En d'autres termes, si le gouvernement ne leur spécifie pas, en termes clairs, d'introduire dans leurs politiques de gestion des ressources humaines locales le principe d'équilibre ethnique, les organisations internationales n'ont pas à le faire sous prétexte de vouloir donner les mêmes chances à toutes les composantes ethniques du pays. Dans ces ONG, la prise en compte explicite du facteur ethnique dans la gestion du personnel local est complètement évacuée. Les responsables se veulent les chantres de la neutralité. Même si la donne ethnique constitue un phénomène transversal à tous les domaines de la société burundaise, ils choisissent délibérément de ne pas voir l'impact qu'elle peut avoir sur la réalisation des objectifs des organisations. Ils sont convaincus que l'instauration d'un système de recrutement du personnel transparent et axé sur la compétence, et de la mise en place de grilles d'évaluation pour opérer les avancements, constituent des gages de justice sociale. 54 BETTATI Mario, Idem. Mais quelle est l'incidence de ces deux approches sur les relations professionnelles au sein des ONG internationales opérant au Burundi ?
Les différentes approches de management des équipes locales en vigueur dans les ONG internationales, qu'elles soient explicites ou tacites, ont forcément une incidence sur les relations professionnelles. Dans les faits, il n'est pas aisé de percevoir de prime abord, l'effet de tel ou tel autre style managérial sur le climat social des différentes ONG en raison de la complexité des comportements humains dans un contexte de conflit ethnique latent. Toutefois, deux tendances semblent se dégager globalement. Elles épousent les approches managériales que nous avons identifié dans le chapitre précédent : l'acceptation affichée de l'altérité conséquence de l'approche Do no Harm combinée au modèle de management interculturel, et la négation du problème ethnique produit du principe de non ingérence. En réalité, les deux types de comportement ne sont pas si tranchés, en dépit des apparences. Elles s'imbriquent et s'interpénètrent en fonction des contextes et des événements. Ce sont des comportements de situation. III-1- De l'acceptation affichée de l'altérité dans les relations professionnellesDans les organisations non gouvernementales qui ont pris l'option de s'inspirer de la l'approche Do no Harm dans la définition de leurs politiques de gestion des ressources humaines locales, la mobilisation par les employés de l'ethnicité dans les relations professionnelles semble s'atténuer, comparativement aux autres ONG. Cela tient en grande partie à la démystification du fait ethnique qui est prônée au sein de ces organisations. La mixité ethnique est un principe institutionnel dans ces ONG. Toutefois, la compétence reste déterminante dans le recrutement, tout en ayant comme soucis d'assurer l'égalité des chances à tout le monde. Les responsables des ces organisations affirment que ce principe de mixité ethnique ne s'apparente pas à de la discrimination positive (affirmative action) car le mot « discrimination » a une connotation péjorative ; c'est une recherche des équilibres ethniques autant que possible au sein du personnel local. Ainsi, s'il s'agit de recruter une équipe de cadres pour piloter un projet, la commission de recrutement veille à ce qu'il y ait des Hutu et des Tutsi dans l'équipe, en plus des tests relatifs aux compétences. Outre l'équilibre lié à l'ethnie, il y a aussi l'équilibre du genre. Ce principe de mixité ethnique prôné est la conséquence logique de l'adoption combinée de l'approche Do no Harm et du management interculturel. Dans les faits, il se traduit par l'institutionnalisation du système des quotas ethnique et de genre. La question du genre n'étant pas au centre des préoccupations du présent travail, nous nous limiterons à ne traiter que les aspects du système des quotas relatifs à l'ethnicité. Ici, les managers partent d'un constat que nous avons déjà évoqué plus haut : la société burundaise a créé un déséquilibre qui est l'une des sources du conflit. Pendant longtemps, une certaine frange de la population avait des difficultés à accéder à certaines filières de formation à l'Université National du Burundi (Économie, Droit, Médecine), du fait de la discrimination ethnique qui était de rigueur dans l'administration publique, l'enseignement supérieure, l'armée, etc. Le résultat de ce déséquilibre est que, pour certains types de responsabilités, lorsqu'on fait un recrutement, même en étant le plus objectif possible, la majorité des candidats correspondant au profil voulu en termes de formation et d'expérience seront d'une seule ethnie. Dès lors, le système des quotas n'est peut être pas juste ou parfait, mais il est nécessaire. « Pour intervenir dans le processus de réconciliation au Burundi, il faut garantir une égalité des chances si non on risque de se mettre dans l'impossibilité de réaliser nos objectifs », nous a confié un responsable d'une ONG internationale. Effectivement, le lien entre la composition ethnique des équipes et la réalisation des objectifs sur le terrain n'est pas un construit de l'esprit. Dans un environnement conflictuel, quelque soit le secteur d'intervention de l'ONG, qu'elle soit humanitaire ou de développement, lorsque ses équipes de terrain sont monoéthniques, elle se met dans une situation où le déséquilibre de l'aide est important au niveau des populations cibles. Il y a ainsi un risque élevé de favoritisme opéré par les équipes sur le terrain en faveur des sinistrés d'une seule ethnie. Ce type de scénario n'est pas rare au Burundi. Un entretien que nous avons eu avec un consultant qui a travaillé au Burundi pendant une période de 3 mois au sein d'une ONG internationale nous a édifié à ce sujet : « Dans tout le staff local, tous les employés sont
d'une même ethnie, à l'exception terrain, cela se répercute de manière évidente. C'est ainsi que la majorité des projets initiés par l'ONG sont orientés vers une population cible de la même ethnie que les membres du personnel. Les projets en faveur des gens des autres groupes ne sont réalisés que pour des besoins de convenance afin d'éviter d'éveiller les soupçons des partenaires financiers au moment de l'évaluation ». Si on se réfère à la logique de l'approche Do no Harm, un tel comportement constitue un cas typique des facteurs qui contribuent à dégrader les relations interethniques et à relancer le conflit. En effet, en prodiguant l'assistance humanitaire aux personnes sinistrées d'une seule ethnie alors que toutes les ethnies comptent en leur sein des personnes nécessitant un soutien humanitaire, les équipes sur le terrain renforcent directement un « camp » et donnent par la même occasion des raisons de plus à l'autre « camp » de s'en prendre au premier. Tout cela n'est pas de nature à créer les conditions idoines pour une réconciliation nationale. Par ailleurs, une telle attitude peut être une raison majeure de la non atteinte des objectifs des ONG du fait du « clientélisme humanitaire » et du manque de rigueur qui en est le corollaire. La neutralité de l'ONG dans le conflit ethnique que subit l'environnement de travail ne consiste pas à ignorer toute référence à l'ethnie ou à la tribu. Agir ainsi serait se voiler la face car l'action humanitaire a forcément des effets non désirés en plus de ceux désirés ; et la consolidation des déséquilibres ethniques en fait partie. Assurer l'équilibre ethnique dans les équipes de travail permet ainsi au managers de ne pas favoriser l'accès aux ressources à une seule ethnie. Autrement, ils participent indirectement à l'exacerbation du conflit. C'est pour éviter cette situation que certains responsables d'ONG ont opté pour l'instauration d'un système de quotas à l'embauche. Il faut noter ici que l'établissement de quotas ethniques ne s'inscrit pas dans une logique d'opérer une égalité numérique. Il s'agit plutôt d'essayer de respecter un équilibre ethnique au sein des équipes et ce dans la mesure du possible. Mais comment y parvenir ? Pour mener à bien la politique de gestion des ressources humaines qui se base sur l'approche Do no Harm et le management interculturel, les managers cherchent, à l'embauche, des gens qui sont motivés et convaincus par la mission de l'ONG, et qui ont un idéal de paix par rapport à la société burundaise. Pour assurer la clarté de la politique de recrutement, celui-ci est fait par une commission de recrutement ethniquement mixte, constituée de personnes travaillant pour l'organisation. De l'avis de ces managers, cette transparence sur le critère ethnique à l'embauche a pour résultat, à long terme, d'assainir les relations professionnelles à telle enseigne que, en ce qui concerne la promotion et la valorisation des postes, l'équilibre se fait automatiquement sans qu'ils aient à intervenir. Ils considèrent alors des critères seulement basés sur la compétence des uns et des autres. La composition des équipes ethniquement mixtes est sensée permettre aux individus des différentes communautés de travailler ensemble sur des projets. Cela les amènerait à collaborer, à oser se parler, à découvrir ce qui est positif chez l'autre et petit à petit, il naîtrait une confiance entre eux. Mais un tel résultat nécessite une profonde remise en question et un travail d'introspection de longue haleine car les représentations collectives sur l'ethnie sont suffisamment figées. Cela veut dire que la notion volonté de changement est primordiale. Au moment de l'embauche, les candidats sont tenus d'assister à un entretien avec le responsable. Au cours de cet entretien à coeur ouvert, tous les thèmes sensibles sont abordés, que ce soient les questions de genre ou celles relatives à l'ethnicité. A titre d'exemple, il leur demandé de parler de leur appartenance ethnique. Dans un autre contexte que celui du Burundi d'après conflit, une telle question serait anodine. Mais dans ce pays, parler des « choses de l'ethnie » est une abomination. De toute apparence, les Burundais préfèrent l'agir au parler. Ceci n'est pas un cliché. Sinon comment expliquer les massacres interethniques qui ont sporadiquement endeuillés le pays depuis son indépendance ? Si s'exprimer sur l'ethnie est un interdit, pourquoi continue-t-on à l'exhiber systématiquement dans les interactions interindividuelles, et à la mettre au premier plan en politique ? Cette duplicité apparente explique pourquoi la politique de la mixité ethnique dans les ONG est loin d'être du goût de tout le monde au sein même des ONG qui l'appliquent. Ainsi, il n'est pas rare d'observer dans ce type d'organisation des comportements individuels qui vont en contresens des valeurs de tolérance et de pluralisme. Des accrocs au modèle établi sont parfois orchestrés par certains cadres locaux qui sont déjà positionnés à des postes stratégiques. De manière générale, ces cadres burundais qui occupent des postes clés cooptent des personnes de leur ethnie en y incorporant quelques individus d'autres groupes afin de ne pas altérer visiblement l'image de bonne gouvernance dont se targuent ces organisations. Mais la réalité sur le terrain est toute autre. Le non respect du principe de pluralisme ethnique par des cadres burundais qui ont évolué et ont été moulés des années durant (parfois malgré eux) dans le format de la culture organisationnelle prônée au sein de ces ONG montre bien certaines des limites du système des quotas. Dès lors une question se pose : la culture du vivre ensemble érigée en modèle de gestion des relations professionnelles par certains managers a-t-elle une quelconque incidence positive sur le comportement et les attitudes des employés locaux vis-à-vis de la question ethnique ? Il est difficile de répondre à cette question avec précision. Toutefois, un adage français nous aident à y voir clair : « les habitudes ont la peau dure ». Une analyse du discours combinée à une observation attentive en immersion, durant trois mois, des employés locaux du secteur des ONG internationales au Burundi nous a permis d'esquisser une typologie de ceux-ci. En considérant une ONG appliquant l'approche Do no Harm et le modèle du management interculturel, on distingue l'existence de trois types d'employés locaux :
Nous partons de la supposition (uniquement pour des besoins d'analyse) que, à l'embauche dans l'ONG, tous les employés locaux sont ethnicistes (au sens tribaliste du terme) car ayant baigné, depuis leur naissance, dans un environnement totalement gangrené par l'ethnisme (holisme). Intégrés, ils vivent une socialisation organisationnelle de type professionnelle. C'est ainsi qu'ils sont amenés à « subir » la présence d'autres identités et à collaborer avec elles grâce à l'apprentissage et à l'intériorisation de nouvelles valeurs. L'ONG est ainsi érigée en une école de la tolérance, de la cohabitation et de la réconciliation. C'est du moins l'idée que s'en font leurs dirigeants expatriés. Pourtant, la digestion de ces nouvelles valeurs ne se fait pas de la même manière chez tous les employés locaux. Il est d'ailleurs excessif, voire inapproprié de parler de « nouvelles valeurs » car elles sont très bien connues des employés. Leurs oreilles en sont rabâchées tous les dimanches dans les différentes églises et mosquées qu'ils fréquentent assidûment. Paradoxalement, dans ce pays ravagé par des tueries interethniques, les églises sont pleines à craquer tous les dimanches ; 90% des Burundais sont des chrétiens pratiquants. Elles font même partie des valeurs inhérentes à la culture burundaise. Dès lors, par quel miracle divin des valeurs que ces employés semblent avoir sciemment ignorées jusque là deviendraient-elles subitement leurs Maximes de vie ? Tout simplement par la nécessité de trouver du travail et de se réaliser au sein d'une organisation qui a propulsé les dites valeurs au rang de Valeurs que tout employé doit observer et vivre s'il veut cheminer en son sein. Au final, les employés, en tant que « produits » de cette mini socialisation professionnelle, se déclinent en trois types comme relevé plus haut : les coopératifs, les joueurs et les irréductibles. Les coopératifs correspondent à l'image que les responsables occidentaux des ONG considérées veulent donner de l'employé local modèle : compétent et acquis à l'idéal du pluralisme ethnique. Le concept de pluralisme s'entend ici comme le « principe acceptant la diversité des opinions et des conduites politiques, religieuses, économiques et sociales »55 quelles qu'elles soient. Il consacre la libre confrontation des idées. Les coopératifs ont donc intégré parfaitement les valeurs de l'organisation. Ils ne font plus l'identification des « autres » (les « autres » étant ceux qui ne sont pas de la même ethnie que soi) en fonction du facteur ethnique mais plutôt selon des critères liés à la compétence, l'amitié, l'humanité, etc. Ils ont réussi à dépasser les clivages et 55 "pluralisme." Microsoft® Encarta® 2007 [DVD]. Microsoft Corporation, 2006. les clichés ethniques propres à la rationalité populaire, pour fonder leur appréciation de l'altérité sur des bases plus objectives, cela grâce au modèle de management organisationnel en vigueur dans l'ONG. A force de travailler et de vivre des expériences positives avec des collègues d'autres ethnies, les coopératifs « découvrent » par eux-mêmes qu'il est possible de vivre et de travailler ensemble sans toutefois être de la même ethnie. Les émotions, les peines, les joies, les épreuves, les réussites et les échecs connus ensemble en tant que membres d'une même équipe leur ont fait voir l'Humain qui est chez les « autres ». Un détail les différencie sensiblement des autres types d'employés : le nouveau comportement qu'ils adoptent envers les « autres » ne s'estompe pas dès l'instant où ils mettent les pieds en dehors de l'ONG. Les valeurs de l'organisation font déjà partie intégrante de leur culture personnelle. Ils ont acquis un nouveau style de vie, une nouvelle manière de voir le monde qui les entoure. Même avec leurs voisins de palier, les attitudes et les comportements ne sont plus les mêmes qu'avant l'entrée dans l'organisation. Investies de la force que leur confère l'organisation qui les promeut, les normes sociales, les règles, les valeurs, les sanctions et les croyances transmises font désormais corps avec les consciences individuelles des employés coopératifs. Les joueurs quant à eux ont une personnalité très complexe. Conscients que leur maintien et leur développement au sein de l'organisation dépendent du respect qu'ils ont des règles et de leur niveau d'adhésion aux valeurs prônées, ils procèdent habilement à une mise en scène de leur vécu sur le lieu de travail. En apparence, peu de choses les différencient des coopératifs. L'image qu'ils projètent aux yeux des managers expatriés est celle d'employés qui ont pris l'option de jouer la carte de l'acceptation des « autres » dans les relations de travail. Mais cela n'est qu'une image de surface. En réalité, les joueurs développent en
underground, dans l'ONG et dans le réseau comme un autre d'accéder aux ressources financières et aux avantages matérielles et symboliques. Ils n'adhèrent pas forcément à la vision et à la mission de l'organisation. Dans une société où de plus en plus l'argent est un gage sûr d'ascension et de considération sociale, avoir la main mise sur toutes les sources de richesse financière, matérielle et symbolique est un enjeu majeur et un facteur dominant de déclenchement des conflits. La richesse étant une denrée rare, il devient très difficile de partager avec les « autres ». Ainsi, les employés joueurs développent tout un ensemble de stratégies pour consolider leur assise ethnique dans le secteur des ONG sans que cela ne soit perceptible. De par leurs qualités professionnelles et leur expérience reconnues, ils ont pu accéder à des postes de décision ; parfois ils sont même à la tête des ONG, les partenaires financiers considérant que le personnel local coûte moins cher. S'installe alors un système de cooptation du personnel sur des bases essentiellement ethnique. Selon l'ethnie « qui a le pouvoir de décision » (comprendre par là l'ethnie à laquelle appartient la majeure partie des cadres décisionnaires locaux) dans l'ONG, ou le réseau d'ONGs, la cooptation va se faire en faveur des individus de l'une ou l'autre ethnie. Et le facteur expérience étant un élément très important dans ce type d'organisations, on se retrouve à long terme avec une presque homogénéisation ethnique du secteur suite à la pratique courante de transfert de personnel d'une organisation à l'autre selon le début ou la clôture des projets. Il est très important de souligner ici que cette cooptation, quoique basée sur le critère ethnique, ne se fait pas au mépris des compétences professionnelles. En effet, c'est la solidité et la richesse du curriculum vitae des candidats retenus qui constituent l'assurance pour le cadre local joueur de disposer de moyens pour justifier auprès des bailleurs de fonds et des autres partenaires (nationaux ou internationaux) la pertinence du choix de recrutement opéré. Les joueurs sont également soucieux d'atteindre les objectifs des projets de l'ONG. Ils ont toujours à l'esprit la réalisation des résultats car, de ceux-ci dépend la confiance à eux accordée par les responsables ou les partenaires occidentaux. Ainsi, dans des cas particuliers, s'ils ont le pouvoir de décision en matière des ressources humaines, ils n'hésiteront pas à favoriser le recrutement ou l'avancement d'un collègue d'une autre ethnie que la leur, s'il a les compétences requises, dans l'optique de l'atteinte des objectifs. Quoique n'ayant pas entièrement intériorisé les règles et les valeurs prônées par l'organisation, ils ne sont pas aveuglés par les effluves tribalistes de leurs consciences individuelles. À l'intérieur de l'ONG, seuls comptent l'accès aux ressources et la réalisation de soi, même si pour y parvenir, il faut passer par la collaboration avec les « autres » et la réalisation des projets de développement ou humanitaires en faveurs de groupes cibles n'étant pas de leur ethnie. Contrairement aux employés locaux coopératifs, hors de l'organisation, les joueurs rentrent dans leur réseau ethnique (c'est-à-dire l'ensemble des liens qui les rattachent aux individus de leur ethnie). Ils ne ressentent pas spécialement le besoin d'élargir leur réseau social aux individus d'autres ethnies sauf s'ils y voient un intérêt financier ou matériel particulier. En dehors des relations intra-ethniques, leur conception des rapports interethniques est essentiellement utilitariste : la valeur suprême est placée dans l'utilité. Le troisième type d'employés locaux est celui des irréductibles. Ils limitent les rapports interethniques aux strict minimum, aussi bien au travail que dans leur milieu de vie. Complètement en phase avec les clichés ethniques de la conscience collective de leur groupe d'appartenance, leurs consciences individuelles sont imperméables aux valeurs de pluralisme que promeut l'ONG. S'ils dissimulent leur hostilité aux « autres » en présence de la hiérarchie, ils ne se privent pas de faire l'étalage de leurs opinions auprès de leurs collaborateurs. Les moments de crise dans l'ONG et dans son environnement sont pour eux des occasions privilégiées de diaboliser ceux qui ne sont pas de leur ethnie. Des comportements de cette nature nous ont été rapportés lors de nos entretiens par des employés burundais. A titre d'exemple, lorsque des massacres avaient été perpétrées contre les habitants d'un camp de réfugiés d'un pays voisin par des miliciens d'une ethnie que nous appellerons « X », quelques employés d'une ethnie « Z » appartenant à une grande ONG internationale (qui est très active dans le secteur de la paix et la réconciliation) s'en étaient pris à leurs collaborateurs de l'ethnie « X » à coup d'insultes tribalistes et de qualifications outrageuses. Parmi ces derniers, certains avaient répliqué et la situation avait failli dégénérer. Il a fallu l'intervention d'autres collègues pour calmer les esprits et réconcilier les deux groupes. Ce type d'incidents, quoique très rares, constitue un des instants durant lesquels les employés irréductibles peuvent enfin laisser exploser leur haine trop longtemps contenue. En effet, leurs lieux d'expression sont des plus réduites dans l'organisation, les employés coopératifs et joueurs ne trouvant aucun intérêt dans la confrontation. Ils sont ainsi obligés malgré eux de tolérer la présence des individus appartenant à d'autres groupes dans l'organisation. Ils vivent avec dépit le recrutement ou la promotion interne d'une personne qui leur est différente sur le plan identitaire. Les irréductibles sont généralement des employés aux qualifications limitées, occupant des postes subalternes et ayant un salaire modeste. Leur position non privilégiée dans l'ONG exacerbe leur ethnisme car supportant mal d'avoir comme supérieurs hiérarchiques des individus appartenant à une ethnie qu'ils abhorrent. Ce n'est donc pas les idéaux de vivre ensemble, de réconciliation et de pluralisme que mettent en avant les dirigeants de l'organisation qui vont modifier le moins du monde leur vision particulière de la vie en société. La modestie des salaires de certains irréductibles implique que leurs conditions de vie ne sont pas aussi bonnes que celles de leurs collègues cadres. Les « autres » deviennent alors des boucs émissaires, la cause de leur inconfort matériel, car occupant des postes qui leur reviendraient de droit. Ceci tendrait à confirmer l'hypothèse avancée par certains analystes de la crise burundaise selon laquelle plus la position sociale des individus est élevée, ou alors, plus les individus sont matériellement à l'aise, plus leur conscience ethnique s'atténue. Ils développeraient ainsi d'autres modes d'identification basés essentiellement sur la classe sociale, l'appartenance à une même sphère d'activité, ou à un même club professionnel, la fréquentation des mêmes endroits de loisir, etc. C'est ainsi que, même pendant les moments les plus tendus de la guerre civile, les quartiers dits résidentiels habités par les individus aux revenus assez confortables n'ont pas connus les troubles et la balkanisation ethnique qu'on observait alors dans les quartiers populaires. Pour les habitants de ces quartiers résidentiels, la nécessité de sauvegarder les conditions qui constituent l'essence de leur style de vie passait avant l'envie d'en découdre avec le voisin appartenant à l' « autre ethnie ». III-2- Quand des ONG internationales défendent le principe de non ingérence...L'apologie du principe de non-ingérence dans les affaires internes de l'Etat par les responsables de certaines ONG internationales au Burundi a de quoi désarçonner l'observateur de l'action humanitaire internationale. Ce principe est généralement invoqué par les Etats dans les relations internationales lorsqu'ils estiment que leur souveraineté est menacée par des intentions interventionnistes d'autres Etats ou de la communauté internationale. Mais de façon régulière et systématique depuis la fin des années 1980, les organisations humanitaires ont plutôt recours à la notion de droit ou de devoir d'ingérence pour justifier des interventions visant notamment la protection des droits fondamentaux d'une population opprimée par un Etat. Le cas du Burundi où des ONG internationales brandissent le principe de non ingérence pour expliquer leur position réservée sur une question sensible est un cas inédit. Les responsables de ces ONG estiment que la gestion des rapports interethniques relève de la responsabilité de l'Etat et que, de ce fait, il est inopportun de s'en mêler. Ce qui importe pour eux c'est l'atteinte des objectifs. Ils fustigent le système des quotas ethniques institutionnalisé dans certaines organisations humanitaires. Interprétant le principe de non-discrimination contenu dans la plupart des chartes des ONG, ils considèrent que faire un recrutement en incorporant dans les profils des critères ethniques, c'est ni plus ni moins de la discrimination et une violation des chartes. La politique de gestion des ressources humaines appliquée est celle qui met en avant la compétence exclusivement de toute autre considération. Elle se décline sous trois axes : Le recrutement ; La formation ;
Concernant le recrutement, il s'agit de lancer une offre d'emploi publique à laquelle toutes les personnes qui répondent aux critères spécifiés peuvent postuler. La sélection se fait en fonction de critères tels que le niveau d'études, les qualifications et l'expérience. Les candidats qui correspondent le mieux au profil sont présélectionnés indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur appartenance ethnique et de tout autre considération. À l'issu de la présélection, la short-list des gens qui sont invités à participer à des entrevues et à des tests techniques est affichée. Les entrevues et les tests passés, les candidats ayant les meilleures notes sont ainsi retenus et sont intégrés dans leurs postes. Pour ce qui est de la formation, deux étapes sont à observer : L'identification des besoins en formation : c'est le recueil des besoins en formations. Les besoins sont collectés sur différentes bases et sont priorisés selon l'urgence de la formation, du poste qui requiert cette formation, etc. ; La réalisation des formations : il y a des formations internes que les experts de l'ONG font eux-mêmes, et des formations externes réalisées par des Cabinets spécialisés. Concernant la promotion, lorsqu'il y a un poste disponible à un degré quelconque, même quand une offre d'emploi externe a été lancée, les salariés de l'ONG peuvent y postuler. Par ailleurs, en cas d'ouverture d'un poste supérieur et qu'il y a un salarié qui présente des aptitudes, qui a accumulé assez d'expérience, il peut l'occuper selon les résultats de son évaluation. C'est en fonction des évaluations internes qui sont faites annuellement que les responsables déterminent et jaugent les performances individuelles des employés. En fait, ces organisations disposent juste d'un système de gestion du personnel. Mais un système de gestion du personnel n'est pas une politique de gestion des ressources humaines. Contrairement au premier type d'ONG évoqué, ici, les responsables se limitent aux aspects purement techniques liés à la gestion des ressources humaines (recrutement, formation, promotion, salaires, etc.) ; mais ignorent volontairement tout ce qui a trait au « symbolisme organisationnel56 » en rapport avec les interactions qui se font jours entre efficience, climat social, intériorisation des valeurs organisationnelles, conflits, staff motivation et sentiment d'adhésion ou de loyauté. C'est ainsi que la dimension identitaire des relations professionnelles est complètement évacuée. Dès lors, créer ou modeler les comportements, les attitudes et les systèmes de valeurs, ou alors, développer des mécanismes pour déjouer les résistances issues des traditions locales (notamment les pesanteurs ethniques) sont des aspects qui sont loin d'être au centre des préoccupations des managers de ces ONG. Il en est de même de la connaissance des enjeux politiques et économiques, des rapports de forces entre les différentes composantes de l'espace public local, etc. Le management interculturel semble être un concept abstrait que personne ne veut comprendre. Pourtant, tous ces éléments, au-delà même de la compréhension du fait ethnique, sont de nature à permettre aux responsables des ONG de cerner les catégories mentales du personnel local et d'anticiper sur d'éventuels blocages dans le fonctionnement de la structure. La mobilisation même du principe de non-ingérence pose problème. En effet, s'il faut parler d'ingérence dans un domaine donné, cela implique que l'Etat ait fait de ce domaine une chasse gardée. En d'autres termes, il faudrait que cela touche au libre exercice des compétences reconnues à l'Etat par le droit international, c'est-à-dire, qu'il a sur son territoire l'exclusivité et la plénitude de compétences seulement limitées par ses engagements internationaux. Or, en matière de pluralisme ethnique, l'Etat Burundais est assez avant-gardiste : suite aux accords de paix d'Arusha, le système des quotas ethniques et de parité dans les institutions nationales (Parlement, gouvernement, armée, police nationale, sénat) est inscrit explicitement dans la loi organique. A titre d'exemple, la composition du Sénat telle que prévue dans l'article 163 de la loi organique est établie comme suit : « 1) deux délégués de chaque province, élus par un collège électoral composé de membres des conseils communaux de la province intéressée, provenant de communautés ethniques et de familles politiques 56 STANKIEWICZ François, Economie des ressources humaines, La Découverte, Paris, 1999. différentes et élus par des scrutins distincts ; 2) trois personnes issues de l'ethnie Twa ; 3) les anciens chefs d'Etat. En tout état de cause, le nombre de sénateurs, paritaire ethniquement et politiquement, ne peut être supérieur à cinquante quatre. »57 Dans un pays où les équilibres ne se font pas automatiquement, il a fallu forcer la main aux protagonistes politiques pour que tous les citoyens qui en sont capables puissent avoir la possibilité d'accéder à des postes de responsabilité dans les institutions étatiques et les entreprises publiques ou parapubliques. A la lecture de l'article précédente, on se rend ainsi compte que les pygmées Twa bénéficient d'une affirmative action. De quelle non ingérence parlent alors les responsables de ces ONG internationales ? Leur compréhension de ce principe semble être diluée. Dans tous les cas, les incidences de cette politique de négation du fait ethnique sont palpables. Concrètement, il s'est opéré une sorte d'homogénéisation ethnique des personnels locaux de ces organisations. Malgré toutes les précautions prises pour opérer un team building basé sur des critères objectifs, le risque de mono polarisation des équipes locales est très élevé. Cela tient de la méconnaissance des éléments contextuels locaux par certains managers expatriés. L'erreur fondamentale que font ces derniers, c'est de croire que leurs homologues ou collègues Burundais obéissent à une même rationalité que la leur. Dans un contexte local aussi diffus, avec des catégories mentales et systèmes de valeurs aussi hermétiques sur la question ethnique, les théories rationnelles et classiques de management des ressources humaines qu'ils ont apprises dans les universités deviennent inopérantes face à la complexité des logiques qui animent les employés Burundais. Plus grave, ces managers n'ayant pas pris la peine d'étudier en profondeur les acteurs et les facteurs de leur milieu d'intervention pour déterminer les menaces et les opportunités, ils ont une vue caractérisée par des clichés et des étiquetages de toutes sortes sur telle ou telle autre ethnie du Burundi. Leurs opinions sont fondées sur les informations soigneusement sélectionnées par leurs collaborateurs 57 Constitution de la République du Burundi Burundais. Ils deviennent ainsi dépendants de leurs interprétations et analyses parfois partisanes du réel. Dans les staffs locaux de ces ONG, l'homogénéisation ethnique semble s'opérer naturellement. Les managers expatriés n'intervenant pas sur la variable ethnique, elle devient l'apanage des cadres locaux. La politique officielle de ces organisations leur convient parfaitement : « les ethnies n'existent pas au sein des organisations, il n'y a que des Burundais ». Une telle déclaration, dans un autre contexte, serait peut- être le signe de la volonté des managers de rassembler les personnes des différentes ethnies, de les inviter à dépasser les clivages ethniques, etc. Mais dans le contexte burundais, elle peut être sujette à une multitude d'interprétations. C'est ainsi que dans certaines ONG dans lesquelles, du planton jusqu'au plus haut cadre des employés Burundais, tous étaient d'une même ethnie, les cadres locaux rencontrés lors de nos enquêtes affichaient un air des plus outrés lorsque nous envisagions le fait qu'ils puissent privilégier les personnes de leur ethnie. « Nous ne regardons pas l'ethnie des gens, nous sommes tous des Burundais... », nous déclaraient-ils d'un air offusqué. Pourtant l'existant parlait de lui-même. Face à une telle situation où les symptômes de l'ethnicité au sein du personnel local se développent tout en finesse tel un cancer, les managers expatriés sont quelque peu dans le désarroi.
Les difficultés qu'éprouvent les responsables expatriés des ONG internationales à définir des politiques appropriées de gestion du personnel local sont directement liées à la complexité du contexte d'après guerre civile qui prévaut au Burundi dont la composante ethnique échappe à leur lecture souvent réductrice de la réalité locale. IV-1- La difficile compréhension des
éléments du contexte local par Loin des luttes interétatiques plus ou moins bien encadrées par le droit des conflits armés, la guerre civile au Burundi a été particulièrement brutale. Par nature, la guerre civile a pour moteur la haine de l'autre et exige son anéantissement. Pour y parvenir, tous les moyens seront utilisés, le but des combattants étant de terroriser les populations civiles afin qu'elles s'exilent d'elles-mêmes. La guerre civile implique en effet la défaite absolue et totale d'un des camps car dans un tel conflit interne on assiste à « un processus de séparation de populations dressées les unes contre les autres, dans lesquelles les intérêts des protagonistes sont à l'aggravation continuelle de la situation et non à l'apaisement ; l'objectif final étant la disparition de « l'autre » »58 . C'est dans ce contexte où la haine ethnique est instrumentalisée de part et d'autre que les ONG internationales sont amenées à évoluer avec, en leur sein, un personnel local quotidiennement confronté aux problèmes d'ethnicité, voire d'ethnisme. Une des difficultés majeures pour les responsables de ces organisations réside alors dans leur lecture erronée des comportements tribalistes des employés locaux ; tellement les stratégies des uns et des autres sont bien élaborées. A partir de ces données de départ la facilité voudrait qu'on se désintéresse complètement de la variable ethnique dans la gestion des ressources humaines, comme le font certaines ONG. Mais peut-on s'en désintéresser alors qu'elle fait partie des Problèmes à résoudre pour arriver à une paix durable ? En effet, la fin des hostilités que connaît le
pays actuellement ne signifie en rien que 58 http://www.solidarité-international.com/ POMES Eric J., « Les opérations de maintien de la paix : des relations ONG / Nations-Unis / Etats à approfondir » in Géoéconomie, 16 mars 2006 faut s'attacher à la définition de ce qu'est un conflit. Un conflit peut être défini comme « la poursuite de buts incompatibles par différents groupes » ; ou alors, comme la « présence simultanée de motivations inconciliables ou contradictoires »59. Ainsi, un conflit n'est résolu définitivement qu'autant que les causes profondes de celui-ci ont été comprises et désamorcées. Le retour de la volonté de vivre ensemble nécessite par ailleurs une réelle réconciliation qui passe notamment par le dialogue et la justice. Cette phase critique, pour un retour de la paix, est la phase de reconstruction. Il s'agit en fait pour les ONG internationales d'aider l'Etat à réussir sa transition de la guerre à la paix sans qu'aucune partie ne se sente lésée. Cette reconstruction est d'autant plus importante qu'il existe un lien fort entre le développement et la fin de la violence. Mais ces organisations peuvent-elles remplir cette mission si elles n'arrivent pas à cerner, en leur sein même, les logiques et les dynamiques ayant conduit à la guerre civile ? Le levé de bouclier que nous avons observé dans certaines de ces organisations dès que nous abordions le sujet de l'ethnicité dans les relations professionnelles montre bien combien leurs responsables semblent être déconnectés de la réalité. Une omerta sur le sujet paraît régner dans beaucoup d'ONG internationales. Mais si une bonne partie des managers expatriés paraissent être unanimes quant à la posture de retrait à prendre à l'égard de la variable ethnique, les employés Burundais, quant à eux, n'entrent pas dans cette logique. Certes, ces derniers ne crient pas sur les toits leurs opinions en la matière. Mais au- delà de cette réserve affichée, des postures parfois tranchées sont discernables. Le champ de l'ethnique ayant été laissé libre par la hiérarchie, il devient une zone d'ombre dans laquelle se déploient les stratégies des employés locaux pour la maîtrise des circuits décisionnaires de l'organisation. Contrairement au managers expatriés, pour les locaux, l'ethnicité représente un enjeu réel. En filigrane, c'est le contrôle des sources de richesse qui se joue, l'ONG étant perçue comme « une source intarissable d'argent à laquelle il faut obligatoirement venir puiser »60. 59 "conflit." Microsoft® Encarta® 2007 [DVD]. Microsoft Corporation, 2006. 60 Propos d'un enquêté Dans ces conditions, les responsables expatriés des ONG sont bien partis pour « ne pas comprendre grande chose » à la mentalité des Burundais, comme nous l'a avoué un avec dépit : « [...] les Burundais sont très compliqués, personne ne dit ce qu'il pense réellement. » En réalité, la majorité des employés locaux de ces organisations sont loin d'avoir un comportement tribalistes de manière permanente. Toutefois, ils sont parfois contraints de prendre position en réaction aux attitudes hostiles de certains de leurs collègues. Même ceux que nous avons appelé les « irréductibles » dans le chapitre précédent, nous avons vu qu'ils attendent les moments de crises pour exprimer ouvertement leur inimitié envers les « autres ». Nous sommes, selon toute vraisemblance, face un à ethnisme situationnel s'exprimant à l'occasion de pics émotionnels individuels ou collectifs liés à l'ethnie. Mais tout cela n'empêche pas que, de manière continuelle, l'ethnicité61 reste prégnante dans les manières de faire des uns et des autres, cela de façon à peine perceptible. Cet état de choses est en partie dû au conditionnement social. Le groupe d'origine s'impose à l'employé local et lui imprime des comportements considérés comme normaux. Les individus qui vont outre ces « règles » communautaires non écrites et non dites s'exposent au risque d'être marginalisés par le groupe. C'est ainsi qu'on observera avec suspicion une amitié ouvertement affichée entre deux individus issus de deux ethnies différentes. En conséquence, ils n'auront plus accès aux informations jugées sensibles de la part des collègues de leurs groupes ethniques respectifs, de peur qu'ils n'en soient des vecteurs vers l'autre « camp ». On voit ainsi que la pression du groupe d'origine sur l'employé est très forte, de telle façon que, même s'il est de type coopératif, il s'oblige à ménager les susceptibilités de ceux qu'il considère comme étant ses « semblables » sur le plan identitaire. Mais cette pression ne s'exprime pas de manière ouverte. Elle est d'autant plus contraignante pour les individus qu'elle se déploie de manière sous-entendue car, dans la conscience collective des Burundais, le sous-entendu est largement plus parlant que l'entendu. 61 L'ethnicité est à différencier de l'ethnisme. Cf. définitions des termes Cependant, cette attitude est moins marquée chez les employés des ONG pratiquant déjà le management interculturel. La zone d'ombre que constitue le champ de l'ethnique y est moins étendue car déjà investie par la hiérarchie. Pratiquement contraints à collaborer avec les « autres », les systèmes de valeurs des employés locaux subissent des modifications, ne serait-ce que de manière superficielle, et les consciences individuelles intériorisent des éléments de la culture organisationnelle. Mais, même dans ces ONG, des pans entiers des catégories mentales des locaux échappent à la compréhension des managers expatriés. En toute état de cause, les employés locaux ont la parfaite maîtrise de la variable ethnique et savent en user avec dextérité dans les relations professionnelles. Beaucoup d'enquêtés nous ont confirmé l'existence d'un tel phénomène, comme nous l'a dit un cadre burundais : « Il y a un climat de concurrence teinté d'ethnicité pour l'accès aux postes de responsabilité car ce sont des postes pour lesquels, quand tu y accèdes, tu as des avantages ; la concurrence elle est là, c'est clair. Les Burundais nous avons un caractère..., les uns disent que c'est un peuple ironique... C'est un peuple qui très rarement manifeste dans la rue, mais il y a des crises profondes que les gens vivent au fond d'eux mêmes et qui souvent, éclatent profondément ou bien quand ça éclate, officiellement ou extérieurement ça n'apparaît pas forcément. La preuve en est que, quand ça a éclaté vraiment, les gens se sont entrecoupé les têtes [...] .ça se vit comme ça au boulot ; tu vas voir une personne venir appeler l'autre parce qu'elle sait qu'elles ont cette affinité ethnique, et elles vont aller à côté et vont parler entre les oreilles, et puis après ils vont revenir, personne ne te dira ce dont ils ont parlé, tu vois ? C'est comme ça qu'au boulot ça se fait. Il y a eu des postes qui étaient donnés à certains mais qui n'étaient pas donnés aux autres, ça se faisait comment ? Est-ce que ça se faisait officiellement en disant on ne donnera pas ceci à celui là ? La présélection s'est toujours faite dans la clandestinité, ça a été un apartheid clandestin et ça se vit dans les coeurs des gens. » Les différentes postures des managers expatriés n'arrivent pas à endiguer le phénomène. Cela paraît logique car, de par les blessures et les stigmates profonds (physiques et symboliques) laissés par plusieurs années de conflit, il est normal que beaucoup de Burundais agissent encore suivant un sentimentalisme ethnique, sans que cela ne soit forcément un déterminisme social. Il faut en effet nuancer le propos car la pression du groupe est loin d'être un facteur explicatif dominant. Si l'on peut admettre que le sentimentalisme ethnique puisse être mobilisé dans les relations interindividuelles par les masses populaires, il n'en est pas de même pour ceux qui comptent parmi les plus instruits des Burundais. Les ONG et les autres organismes internationaux, en raison de leurs salaires attrayants et de leurs critères de recrutement axés sur la compétence, emploient une bonne partie de l'élite locale. Il est ainsi difficile d'imaginer que ceux-ci convoquent systématiquement l'ethnicité par pure sentimentalisme ou atavisme. Le problème est plutôt à analyser sous un angle utilitariste. L'ethnicité n'est en fait qu'une ressource, parmi tant d'autres, au service des employés locaux pour accéder à la richesse matérielle et symbolique. L'observation des comportements de la catégorie d'employés que nous avons appelé les « joueurs » nous conforte dans cette idée. Pour ceux-ci, avoir un poste de responsabilité dans une organisation internationale, autant que dans une institution étatique, relève du domaine du prestige, en tant que « considération plus ou moins forte dont bénéficient des personnes ou groupes de personnes en fonction de leur pouvoir, de leur richesse ou de leur statut social »62. Il découle de ce qui précède que le travail dans les ONG internationales est porteur de pouvoir pour ses détenteurs. L'exercice du pouvoir, quel qu'il soit, étant par nature limitée selon les circonstances à un groupe restreint de personnes, il ne saurait être ouvert à la multitude. C'est ainsi que des modes de sélection souterraines sont élaborés pour y accéder. Dans une société marquée par l'omniprésence de l'ethnicité dans la constitution des réseaux sociaux, il n'est nullement irrationnel que les plus rationnels des acteurs instrumentalisent l'ethnicité en tant qu'outil, au sens le plus vulgaire du terme, pour restreindre l'accès au pouvoir. Tout autant que l'ethnie, si la religion était un élément dominant dans la société burundaise, il n'en aurait pas été autrement. En principe, les managers qui auraient compris ce qui
précède devraient à leur tour, 62 FERREOL Gilles et alii, Dictionnaire de sociologie, Armand Collin, Paris, 2004, 242 p. pas le fonctionnement de leurs organisations. Mais dans les faits, beaucoup d'entre eux ont une peur viscérale de tout ce qui a trait à l'ethnie. Suite à des expériences traumatisantes vécues lors du génocide au Rwanda en 1994, on estime, dans certaines organisations, qu'aborder la question de l'ethnicité dans les relations professionnelles créerait un malaise profond et de la suspicion au sein du personnel local. Pour d'autres organisations, par contre, c'est en parler qui constituerait la clé pour démystifier le sujet et l'extirper, une fois pour toutes, des relations professionnelles dans le milieu des ONG. Ce qui apparaît au final, c'est l'existence d'une certaine cacophonie en matière de gestion des ressources humaines, notamment sur la question ethnique, dans le secteur des ONG au Burundi. Pourtant, la quasi totalité de ces ONG sont membres ou observateurs du RESO comme nous l'avons relevé au chapitre premier. Les ONG réunies au sein de ce réseau se réunissent tous les premiers lundi de chaque mois pour harmoniser leurs interventions sur le terrain. Dans le cadre de ces séances de travail, il leur arrive d'aborder des thèmes liés à la gestion des ressources humaines locales. Mais suite à l'omerta qui semble régner dans le milieu, la question ethnique dans les relations professionnelles n'est jamais abordée. On se limite à la définition des « meilleurs procédures et processus » pour amener les équipes locales déployées sur le terrain à orienter leurs activités vers l'atteinte des résultats, etc. En conséquence, c'est chaque ONG en cavalier solitaire, qui gère en interne les externalités (pour autant que ses responsables se soient rendus compte de leur existence) liées à la mobilisation de l'ethnicité dans les rapports humains au travail par les employés locaux. Mais tant qu'il n'y a pas de politique concertée entre organisations non gouvernementales pour aplanir cette problématique, les employés locaux surfent paisiblement sur la vague ethnique en codifiant progressivement les circuits de l'emploi dans ces organisations. En effet, l'absence de normes acceptées par tous en la matière laisse la place à une « normalisation informelle » parfois imbibée de logiques ethnicistes non explicites. Si la mobilisation de l'ethnicité est avérée au sein des staffs locaux des ONG internationales, la responsabilité des cadres expatriés dans sa consolidation en underground n'est pas aussi clairement établie. IV- 2- La « socialisation ethnique » des
cadres expatriés des ONG Lorsque nous analysons le discours des différents cadres expatriés des ONG que nous avons rencontrés, on constate qu'ils se drapent sous une neutralité et une objectivité, par rapport à la question ethnique, qui seraient à toute épreuve. Etant des étrangers, ils se considèrent également comme étant étrangers au conflit. Interrogés sur leurs motivations à s'engager dans l'humanitaire au Burundi, 2/5ème d'entre eux avancent des raisons philanthropiques et humanistes. Seulement quelques uns reconnaissent avoir été intéressés par les opportunités professionnelles et d'aventure que leur offre l'action humanitaire au sein des ONG internationales. Les cadres expatriés des ONG internationales seraient ainsi des chantres de l'objectivité. Mais au delà de ce discours, on ne peut s'empêcher de se poser une question : comment, dans une société où l'objectivité sur la question ethnique est la chose la moins partagée, les expatriés vivant en son sein réussiraient-ils à conserver la virginité de leur neutralité pudique en matière d'ethnicité ? Une définition de l'objectivité nous fournit un éclairage la dessus. L'objectivité est une « attitude, disposition d'esprit de celui qui « voit les choses telles qu'elles sont », sans préjugés ni parti pris ». C'est la « valorisation des idéaux de désintéressement, de mise en commun et d'universalité. Une rupture avec le sens commun, les apparences, le monde du vécu, ... »63 Ainsi, un idéal que les sociologues, depuis Durkheim, ont toujours cherché à approcher sans réussir véritablement à l'atteindre, les cadres expatriés des ONG internationales au Burundi le vivraient pleinement. L'on serait donc tenté de dire que ces derniers sont les premiers des sociologues, tous sans exception. Mais le réel ne saurait souffrir d'une lecture aussi simpliste. Loin de nous l'idée de mettre en doute leur bonne volonté, nous remarquons juste que dans l'histoire du Burundi, rare sont les étrangers (occidentaux) qui sont entrés en contact avec la société burundaise et en sont partis sans que leurs consciences individuelles ne soient profondément marquées et imprégnées par les tendances dominantes en matière de représentations collectives sur l'ethnie. Depuis la période coloniale, nombreux sont les ethnologues et autres pseudo scientifiques qui ont cru déceler des caractéristiques physiques et culturelles spécifiques dans les deux principales ethnies du Burundi, véhiculant plus les idéologies raciales (voire racistes) alors en vogue en Occident vis à vis des peuples d'Afrique. Il suffit de lire les théories fallacieuses sur les peuples du Burundi et du Rwanda des plus célèbres d'entre eux, à l'instar de Mgr. J. GORJU64, le Père Bernard ZUURE65, Hans MAYER66, Pierre RYKMANS67 , ou encore E. SIMONS68 pour s'en convaincre définitivement. Défendant une approche dite évolutionniste dans leurs « analyses » des faits ethniques, ils avancent notamment que les clivages ethniques observés au Burundi et au Rwanda seraient un phénomène naturel et atavique, le fait de populations encore « sauvages », poursuivant leur évolution vers les sociétés civilisés... Les spéculations mentales de ces missionnaires et coloniaux convertis en ethnologues ayant été élevées au rang de théories scientifiques contribuèrent à cristalliser et à consolider les divisions ethniques qui déchirent la région des Grands Lacs aujourd'hui. Pourtant, c'est de ces mêmes lectures qu'est nourri le simple citoyen occidental lorsqu'il daigne s'intéresser à l'histoire et aux cultures des peuples des Grands Lacs. Il est ainsi clair que, à l'arrivée au Burundi, les cadres expatriés se font déjà une certaine idée du Burundi et de son peuple, de par les recherches documentaires qu'ils font obligatoirement avant de regagner leurs postes d'affectation, et les récits des collègues ayant déjà effectué des séjours plus ou moins prolongés dans ce pays. Une fois sur place, ils chercheront tout simplement à infirmer ou à confirmer leur « connaissances » sur le pays auprès de leur collègues Burundais. On comprend par là combien il est important pour les cadres Burundais d'être parmi les hommes de confiance du coordinateur expatrié car, de la peinture qu'ils lui feront de 63 FERREOL Gilles et alii, Dictionnaire de sociologie, Armand Collin, Paris, 2004, 242 p. 64 GORJU J., En zigzag à travers l'Urundi, Mission d'Afrique, Anvers, 1927 ; et Face au royaume hamite du Rwanda. Le royaume frère de l'Urundi, Vramart, Bruxelles, 1938 65 ZUURE B, L'âme du Murundi, Gabriel Beauchesne et ses fils, Paris, MCMXXXII 66 MAYER H., Les Barundi : Une étude ethnologique en Afrique orientale, (trad. de l'Allemand par Françoise Willmann : éd. Critique présentée et annotée par Jean Pierre CHRETIEN), Société française d'Histoire d'Outre-mer, Paris, 1984 67 RYCKMANS P., Une page de l'histoire coloniale. L'occupation allemande dans l'Urundi, Bruxelles, 1953 ; et Dominer pour servir, Bruxelles, 1931 la réalité locale dépendra la lecture qu'il en aura. Cela peut être déterminant dans l'orientation qu'il donnera à la gestion des ressources humaines. Plus concrètement, si cette peinture de la réalité locale est faite sur un fond ethnique en défaveur de telle ou telle autre ethnie, il faudrait qu'il soit solidement préparé, notamment sur le plan académique et de l'expérience du terrain, pour ne pas céder aux sentiments d'antipathie, de sympathie ou de compassion. Et si d'aventure, il lui arrivait de vivre des expériences malheureuses répétées, impliquant des personnes d'une certaine ethnie, cela ne pourrait que sceller définitivement le sens de son jugement. « [...] Au bout de trois ans ici, je n'arrive pas encore à distinguer qui est de telle ethnie ou de telle autre ». Cette déclaration constitue l'une des phrases que nous avons le plus entendues lors de nos entretiens avec les managers expatriés. En s'exprimant ainsi, nos interlocuteurs tentaient de nous démontrer à quel point ils ne veulent pas s'ingérer dans des problèmes exclusivement burundais. Pour eux, aller jusqu'à ignorer l'identité de leurs collaborateurs directs serait un gage de neutralité. Mais à travers cette déclaration, on perçoit distinctivement un refus de s'exprimer sur un sujet qu'ils disent pourtant considérer comme étant un non problème. Parfois, nous étions même confrontés à des résiliations de rendez-vous d'entretien, sous prétexte de manque de temps, dès que nos interlocuteurs prenaient connaissance du thème de notre recherche. Cette attitude que nous observions, jusque là, chez nos enquêtés Burundais, nous donnait de précieux indicateurs quant à la réelle perception que certains managers expatriés ont de la question ethnique dans la gestion des ressources humaines locales. Forts de toutes ces observations, nous pouvons avancer que les managers expatriés des ONG internationales opérant au Burundi, aussi bien ceux adoptant l'approche interculturelle que ceux invoquant le principe de non ingérence, jouent un rôle de premier plan dans le jeu de dupes qui met en scène, dans ces organisations, les différents groupes ethniques engagés dans la « lutte » pour la maîtrise des sources de richesse. Ils ont le beau rôle qui est celui d'arbitres, les uns en usant 68 SIMONS E., « Coutumes et institutions des Barundi », in Bulletin des juridictions indigènes et du d'interventionnisme, pendant que les autres se mettent en retrait en faisant fi de ne pas voir les enjeux qui se jouent. Les premiers veulent imposer les équilibres tandis que les seconds favorisent (peut-être inconsciemment) le maintien des déséquilibres, préférant la sécurité du statu quo à l'imprévisibilité du changement. Dans le discours des deux catégories de managers, on perçoit un soupçon de paternalisme à l'égard de l'employé Burundais. Il est décrit comme étant très renfermé sur lui-même, caractérisé par la duplicité dans les relations interindividuelles. Il serait alors question que les responsables expatriés des ONG, auréolés de leur objectivité et de leur bon sens, amènent les employés locaux qui sont sous leur leadership, à plus d'ouverture sur le monde, à plus de tolérance, etc. Il ne semble pas leur venir à l'idée que parfois la mobilisation de l'ethnie par les locaux dans les relations professionnelles comme dans la vie de tous les jours, loin d'être un atavisme culturel, n'est qu'un instrument comme tant d'autres, de positionnement sur les différents échiquiers de la vie en société. En réalité, les expatriés sont parfois pris en otage par les cadres locaux. Pensant être au dessus de la mêlée, ils ne se rendent pas compte qu'ils constituent la pièce maîtresse dans le jeu auquel se livrent ces derniers. En effet, ayant réussi à s'ériger en « collaborateurs de confiance », les cadres locaux sont ceux qui manoeuvrent dans l'ombre, toujours prêt à donner des conseils avisés à la hiérarchie étant donné qu'ils maîtrisent mieux les éléments du contexte local. Ainsi, selon qu'ils sont « coopératifs », « joueurs » ou « irréductibles », en matière de gestion des ressources humaines, ils peuvent faire pencher la balance en influant sur les décisions de recrutement. Ils ne sont pas ceux qui décident, mais leur avis compte dans la décision finale. En fin de compte, qu'importe l'objectivité du choix opéré, à partir du moment où la décision finale est endossée par le responsable expatrié de l'ONG, elle jouit d'une neutralité indiscutable auprès de l'opinion et des bailleurs de fonds. On voit ainsi que, bon gré mal gré, les managers
expatriés, de par les choix de droit coutumier congolais, Elisabethville, N° 7-12, 1943-1944 économique de certains groupes plus que d'autres. Il faut cependant relativiser l'impact du phénomène qui ne s'observe peut-être qu'à un niveau microscopique d'un secteur parmi tant d'autres de la vie socio-économique du Burundi : le secteur des ONG internationales. IV-3- Les perspectives de la question ethnique dans le
management des Pour endiguer les manifestations négatives de l'ethnicité, est-il possible de trouver une approche idéale de management des ressources humaines locales ? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. En effet, nous avons vu que les comportements et les attitudes des employés locaux en la matière sont fluctuants en fonction des données du contexte ; c'est ainsi que nous avons parlé de comportements de situation. En réalité, il n'y a pas d'approche idéale ; confrontés aux problèmes d'ethnicité au sein du personnel, les managers qui réussissent le mieux sont ceux qui savent adapter leur politique aux exigences de l'environnement. Ils se doivent ainsi d'avoir à l'esprit deux éléments essentiels : Atteindre les objectifs des projets mis en oeuvre par les ONG ; Ne pas créer ou contribuer à créer les conditions de déclenchement ou de relance du conflit ethnique dans la société globale. Il peut sembler exagéré d'avancer que les politiques de gestion des ressources humaines appliquées dans quelques ONG internationales puisse avoir un quelconque impact sur le contexte socio-politique et économique d'un pays. Mais lors de la présentation des différentes approches, surtout celle du « Do No Harm », nous avons vu dans quelle mesure un tel scénario est envisageable. Il est alors question d'élaborer ponctuellement des stratégies flexibles aux moments les plus sensibles de la gestion du personnel. Dans le cas concrets des ONG internationales au Burundi, quelque soit l'approche préconisée, nous identifions les moments suivants comme étant sensibles lorsqu'ils sont mis en rapport avec la question de l'ethnicité : Le recrutement (dans toutes ses huit phases69) L'évaluation : c'est une étape d'une sensibilité extrême car d'elle dépendra l'évolution de la carrière de l'employé au sein de l'organisation ; des manoeuvres subjectives peuvent ainsi voir le jour en faveur ou en défaveur de certaines personnes. L'avancement (promotion) Les moments de conflit (cas des employés de type irréductibles évoqués dans le chapitre III) Etant donné que les employés locaux dans leur majorité accordent une certaine attention au facteur ethnique dans leurs relations interindividuelles, le manager de l'ONG ne peut pas complètement ignorer cette donne car elle est de nature à influer sur le rendement au travail. Tout en gardant sa supposée neutralité, il est possible qu'il définisse les processus et les procédures devant garantir l'équité en matière d'ethnicité dans la prise de décisions lors des moments sensibles que nous venons d'identifier ci-haut. Mais dans les faits, c'est la capacité du manager à faire une appréciation juste du contexte ou de l'environnement qui est déterminante dans la prise en compte ou non du facteur ethnique en matière de gestion des staffs locaux. Toutefois, si les ONG internationales inscrivent leurs projets humanitaires et de développement dans la dynamique et la logique de la construction d'une société multiethnique réconciliée avec son histoire, il semble inévitable de mettre un accent particulier sur le caractère multiethnique qui doit être inhérent à chaque équipe sur le terrain. Néanmoins, il ne suffit pas de construire une équipe multiethnique pour prétendre régler le problème ; encore faut-il savoir en gérer les soubresauts et les zones de turbulence. En effet, lorsque les membres d'une même équipe sont issus de plusieurs ethnies supposées être en situation de belligérance sur le plan politique, il est inévitable que des conflits interindividuels ou intergroupes naissent. Mais cela n'est pas une fatalité ; une équipe, aussi homogène soit-elle est forcement confrontée à des moments de crise et de conflits relationnels. 69 Cf. Chapitre I, pages 35 et 36 S'il est avéré que le conflit entraîne un certain nombre de désagréments pour les individus comme pour l'organisation, il est aussi de plus en plus admis que le conflit n'est pas forcement porteur d'éléments négatifs. Au contraire, il offre une lecture du changement ; il permet au manager de connaître les problèmes qui minent le staff et de les résoudre de la meilleure manière qui soit. Il met également en lumière les rapports de forces entre les acteurs (membres de l'équipe), les enjeux et les stratégies que les uns et les autres mettent en oeuvre. Les situations conflictuelles sont toujours instructives pour le manager. En effet, les stratégies déployées par les membres du staff donnent une idée du pouvoir réel dont ils disposent. A partir de ces données de base, il peut ainsi connaître les racines probables des dynamiques négatives ainsi que leur degré de nuisance. Ainsi, dès lors que le manager identifie le facteur ethnique comme étant l'une des clés du conflit, il lui appartient de savoir le comportement adéquat à adopter pour maintenir les membres de l'équipe orientés vers l'atteinte des objectifs. Il est vrai que cela est sensiblement plus facile à dire qu'à mettre en application. C'est alors en ce moment que le manager doit véritablement jouer l'un de ses rôles : effectuer des choix, « manipuler » les hommes dans le but des les amener à atteindre les objectifs désirés. C'est une gymnastique qui relève presque de l'art. Au-delà des ONG internationales, il est tout de même impératif que la réflexion sur la question ethnique dans le management des ressources humaines locales soit menée au niveau des instances étatiques compétentes. Si les managers de ces organisations ont tant de mal à définir des politiques qui conviennent au contexte particulier de l'après conflit ethnique, c'est également parce qu'il y a un vide juridique sur la question pour ce qui concerne les ONG internationales. Mais lorsque l'on sait à quel point l'ethnisme caractérise les acteurs politiques au Burundi, on se demande s'il serait pertinent, voire opportun d'attirer leur attention sur cette question. En effet, aux vues des antécédents, il est permis d'émettre de solides réserves quant à leur capacité à traiter ce genre de thématique de manière lucide, dépassionnée et avec recul. ConclusionLe management des ressources humaines locales des ONG internationales s'avère être un exercice extrêmement délicat dans le contexte du Burundi d'après-guerre civile. Les rapports entre les individus, dans la société globale, étant profondément marqués par l'ethnicité, ce scénario se reproduit au niveau restreint des ONG internationales, comme des autres types d'organisations. Le vécu des employés locaux dans leurs milieux de vie et dans leurs réseaux socio-ethniques transparaît dans les relations professionnelles sur leurs lieux de travail, ce qui constitue parfois une menace de taille pour l'atteinte des objectifs de ces organisations. Les managers de ces ONG, expatriés pour la plupart d'entre eux, adoptent alors différents modèles et approches dans la gestion des ressources humaines pour essayer de minimiser l'impact de l'ethnicité et des phénomènes induits sur le fonctionnement des organisations. Ces différentes approches peuvent être résumées en deux tendances. La première tendance est celle qui privilégie le pluralisme ethnique du personnel local comme une condition sine qua non pour garantir l'atteinte des objectifs des différents projets des ONG, et contribuer par là au processus de réconciliation nationale à travers l'acceptation mutuelle. Cette tendance se base sur le Do no Harm et le modèle de management interculturel. La deuxième tendance est celle qui met en avant le principe de non ingérence. Ici, le contenu donné à l'expression de « non ingérence » est celui de neutralité, comprise au sens d'abstention absolue de recourir à la notion d'ethnie dans la définition des politiques de gestion du personnel local ; la manipulation de cette variable est laissée à la seule responsabilité de l'Etat. Les deux tendances ont probablement leurs avantages selon le point de vue d'où l'on se place ; mais elles ont également leurs limites. Si la première a le mérite de démystifier l'ethnie, de garantir l'accès plus ou moins équitable au travail à toutes les composantes ethniques du pays et de diminuer le niveau de prégnance de cette variable dans les rapports de travail des employés locaux, il ne reste pas moins vrai que l'ethnicité s'y redéploie sous d'autres formes. Certains des membres des staffs locaux la manipulent de manière pragmatique à des fins purement utilitaires. C'est le cas de ceux des employés que nous avons appelé les joueurs. Par ailleurs, cette approche fait courir aux managers le risque d'être pris à partie par ceux qui sont déboutés par les mécanismes du système des quotas ethniques, un amalgame étant facilement fait entre ce système et une forme de discrimination. L'un des objectifs de cette approche est de changer le comportement ethnicisé de l'employé local de l'ONG international en un comportement universalisé. Mais celui-ci s'avère être un acteur libre, opportuniste, au comportement rationnel, même si cette rationalité est limitée comme le dit Crozier70. Son comportement est difficilement déterminé et déterminable. L'ethnicité se manifestant à l'occasion des situations d'interactions, c'est dans ces mêmes situations que s'exprime le pouvoir. Elle devient un outils à la disposition des employés locaux dans la détermination des relations de pouvoir, le but des uns et des autres n'étant pas nécessairement l'écrasement de l' « autre » en tant qu'individu, mais plutôt d'obtenir de lui un comportement dont dépend leur capacité d'agir. La deuxième tendance quant elle fait l'apologie d'une certaine neutralité dans l'appréhension du phénomène ethnique au sein des staffs locaux des ONG internationales. Elle ne s'occupe aucunement de modeler le comportement des employés locaux par rapport à l'ethnicité. Elle vise plus à protéger les responsables de ces organisations contre les aléas du contexte local au cas où la situation viendrait à se gripper sur le plan politico-ethnique. Ils sont alors assurés que leurs responsabilités ne seront pas mises en cause d'aucune façon que ce soit si par malheur les passions ethniques venaient à se déchaîner comme par le passé, étant donné qu'ils sont « neutres ». Leur gestion des ressources humaines locales ne met pas l'employé au centre comme acteur, mais plutôt comme facteur contribuant à l'atteinte des objectifs des projets initiés par l'ONG. Ainsi, ils ne se préoccupent pas du vécu historique des employés locaux, encore moins de leurs états d'âmes ou de leurs opinions partisanes. Cette approche s'inscrit dans la logique, aujourd'hui ancienne, de management des projets qui considère les activités des projets initiés dans un environnement donné comme étant indépendantes de celui-ci. Ici, la rubrique des hypothèses, c'est-à-dire les éléments du contexte pouvant agir de près ou de loin sur l'atteinte des résultat du projet est tout simplement inexistante dans la définition du cadre logique. Mais paradoxalement, en préconisant d'ignorer la variable ethnique comme étant la meilleure manière de ne pas bouleverser le fragile équilibre du contexte local, les ONG ayant adopté pour cette deuxième tendance sont celles qui sont les plus susceptibles d'agir sur ledit contexte. La non action des managers sur le phénomène ethnique qui se déploie, comme nous 70 CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhrad, L'Acteur et le système. Les contraintes de l'action collective, Paris, Seuil, 1977. l'avons vu, de manière souterraine dans les relations professionnelles, induit un activisme que nous qualifierions de « transparent » (car s'exprimant de manière invisible) de certains employés locaux, qui disposent alors d'un espace d'anomie où peuvent s'affronter librement leurs rationalités divergentes. De ce qui précède, on voit que les ONG internationales opérant au Burundi, comme toute autre organisation, ne sont nullement des entités entièrement réglées ou contrôlées. Quelque soit l'approche managériale adoptée, elles sont soumises en permanence aux aléas de l'imprévu découlant de la nature fondamentalement dynamique et mouvante des logiques et des personnalités des individus qui les composent. En fait, le seul point statique dans ces organisations, c'est la permanence de l'imprévu, surtout en matière de comportements humains. Les tentatives des managers pour cerner la complexité du contexte local dans sa dimension ethnique souffrent de leur grille de lecture réductrice de la réalité socio-politique du Burundi. En considérant l'ethnicité comme un donné fixe qu'on peut apprivoiser à l'aide de modèles et de méthodes qui se veulent indifféremment neutres, pragmatiques ou interculturels, ils semblent ignorer le caractère hautement aléatoire qui est, par nature, inhérent aux logiques des employés locaux, acteurs et vecteurs de ce donné. Il ne peut en effet exister de modèle ou de méthode généralisable car la nature même du phénomène ethnique est réfractaire à toute approche prescriptive. La variable ethnique est de l'ordre du mouvant ; de par cette propriété, elle se prête difficilement à la modélisation et aux préceptes. En fin de compte, le phénomène ethnique dans les ONG internationales opérant au Burundi s'avère être une réalité que les responsables de ces organisation doivent analyser attentivement dans la définition de leurs politiques de gestion des ressources humaines. L'impact que ce phénomène peut avoir sur la réalisation des activités des ONG et sur le contexte local semble être nié par beaucoup de managers qui le considèrent encore comme un phénomène marginal. Dans tous les cas, s'il y a une certitude qui se dégage de cette étude, c'est que pour la majorité des employés locaux, l'ethnicité n'est pas la Ressource absolue mais juste une ressource, parmi une multitude d'autres, au service des acteurs dans leur lutte pour le positionnement sur les échiquiers de la sphère sociale. La particularité de cette ressource par rapport aux autres réside uniquement dans le fait qu'elle se trouve à la portée de tous les acteurs qui peuvent la mobiliser ou non, selon que le besoin se présente, pour sauvegarder leurs intérêts ou en conquérir d'autres. AnnexesAnnexe 1 : Tableau 2 : Liste des ONG membres du RESO
Source: Le guide des organisations internationales membres et observateurs du RESO, 2005 Annexe 2 : Tableau 3 : ONG internationales par province et par secteurd ' i ntervention71
71 Une ONG peut intervenir dans une ou plusieurs provinces, tout comme elle peut intervenir dans plusieurs secteurs d'activités.
Source : Le guide des organisations internationales membres et observateurs du RESO, 2005 Annexe 3 : GUIDE D'ENTRETIENA. GUIDE D'ENTRETIEN DESTINE AUX SALARIES Identification Nom* : Prénom* : Année d'entrée dans l'ONG : Fonction : * facultatif
B. GUIDE D'ENTRETIEN DESTINE AUX REPRESENTANTS DU PERSONNEL Identification Nom *: Prénom *:
Questions
C. GUIDE D'ENTRETIEN DESTINE AUX CADRES LOCAUXIdentification Nom* : Prénom* : Année d'entrée dans l'ONG : Fonction : Questions
D. GUIDE D'ENTRETIEN DESTINE AUX COORDONNATEURS Identification Nom* : Prénom* : Année d'entrée dans l'ONG : Fonction :
BibliographieOuvragesOuvrages générauxDURKHEIM, E., Les règles de la méthode sociologique, PUF, 10ème édition, Paris, 1999 ELIAS, N., Engagement et distanciation, Fayard, Paris, 1993 FERREOL, G., et alii, Dictionnaire de sociologie, Armand Colin, 3ème édition, Paris, 2004 OLI VER de SARDAN, J.-P., Anthropologie et développement : essai en socioanthropologie du changement social, Karthala et APAD, Paris - Marseille, 1995. ROCHER, G., Introduction à la sociologie générale T.3 : le changement social, Éditions HMH, 1972 WEBER, M., Économie et société, Agora, T.2, Paris, 1995 Ouvrages spécialisésADLER, International Dimensions of Organizational Behavior, PWS-Kent, Boston, 1991 BARREAU, J., Quelle démocratie sociale dans le monde du travail ? Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2003 BAYART, J.-F., l'Etat en Afrique: la politique du ventre, Fayard, Paris, 1990 BETTATI, M., Le Droit d'ingérence : mutation de l'ordre international, Odile Jacob, Paris, 1996. CROZIER, M. et E. FRIEDBERG, L'Acteur et le Système, Seuil, Paris, 1977 DU BAR, C., La socialisation : Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, Paris, 1998. GORJU, J., En zigzag à travers l'Urundi, Mission d'Afrique, Anvers, 1927 GORJU, J., Face au royaume hamite du Rwanda. Le royaume frère de l'Urundi, Vramart, Bruxelles, 1938 GUICHAOUA, A., Les crises politiques au Burundi et au Rwanda, Karthala, Lille, 1995 HARRIS et MORAN, Managing cultural difference, Gulf Publishing, Houston, 1993 HERNANDEZ, E-M., Le management des entreprises africaines, L'Harmattan, Paris, 1997. HOFSTEDE, Culture's Consequences: Comparing Values, Behaviors, Institutions and Organizations Across Nations, Sage Publications, London, 2001 HUGON, P., L'Économie de l'Afrique, Éditions La Découverte, Paris, 1993. KAMDEM, E., Management et interculturalité en Afrique : expérience camerounaise, L'Harmattan, Paris, 2002 KAMTO, M., L'urgence de la pensée, Mandara, Yaoundé, 1993 LALEYE, I-P., PAWHUYS, H., VERSHELST, Th., et ZAOUAL., (dir), Organisation économique et cultures africaines : de l'homo oeconomicus à l'homo situs, L'Harmattan, Paris, 1996. LEMARCHAND R., Génocide sélectif au Burundi, Minority Rights Group, Rapport num. 20, novembre 1974, MAYER H., Les Barundi : Une étude ethnologique en Afrique orientale, (trad. de l'Allemand par Françoise Willmann : éd. Critique présentée et annotée par Jean Pierre CHRETIEN), Société française d'Histoire d'Outre-mer, Paris, 1984 MBONIMPA, M., Ethnicité et démocratie en Afrique : l'homme tribal contre l'homme citoyen ? , Harmattan, Paris, 1994. POUTIGNAT, Ph. et STREIFF-FENART, J., Théorie de l'ethnicité, P.U.F., Paris, 1995 RYCKMANS, P., Une page de l'histoire coloniale. L'occupation allemande dans l'Urundi, Bruxelles, 1953 RYCKMANS, P., Dominer pour servir, Bruxelles, 1931 SAINSAULIEU, R., L'identité au travail : les effets culturels de l'organisation, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1988 SERAGELDIN et TABOROFF, J., Culture et développement en Afrique, BM, Washington, 1994. STANKIEWICZ, F., Economie des ressources humaines, La Découverte, Paris, 1999. ZUURE, B., L'âme du Murundi, Gabriel Beauchesne et ses fils, Paris, MCMXXXII Articles de revues BARMEYER, et MAYRHOFER, « Le management interculturel : facteur de réussite des fusions-acquisitions internationales ? », C.E. S. A. G. (Centre d'Etude des Sciences Appliquées à la Gestion), I. E. C. S. Strasbourg, Université Robert Schuman. BOUKONGOU, J.D., «Préface», «Ethnicité et Citoyenneté en Afrique Centrale», in Cahier Africain des Droits de l'homme, Presses de l'UCAC, Yaoundé, 2002. DIA, «Pratiques indigènes de gestion et développement en Afrique subsaharienne : Leçons pour les années 90» in SERAGELDIN et TABOROFF, Culture et développement en Afrique, BM, Washington, 1994, pp. 189-216. HOBSBAWN, E., « Qu'est ce qu'un conflit ethnique ? », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, décembre 1993. KAMDEM, E., «Nouveau regard sur les pratiques du management au Cameroun», in LALEYE, PAWHUYS, VERSHELST, et ZAOUAL, (dir), Organisation économique et cultures africaines : de l'homo oeconomicus à l'homo situs, Paris, l'Harmattan, 1996, Chapitre 13, pp. 249-271. LE NAËLOU, A., Freyss, J., et alii, « ONG : les pièges de la professionnalisation », in Revue du Tiers Monde, n°180 Tome XLV, PUF, Paris, octobre - décembre 2004 MBONDA, E. M., «Penser l'ethnicité pour définir la citoyenneté», in Cahiers africains des droits de l'homme, Presses de l'UCAC, Yaoundé, 2002. SIMONS E., « Coutumes et institutions des Barundi », in Bulletin des juridictions indigènes et du droit coutumier congolais, Elisabethville, N° 7-12, 1943-1944 Mémoires et travaux universitairesAUNDU MATSANZA, Taxinomie critique des paradigmes de l'ethnicité, Université Libre de Bruxelles NDJIP D., O., Insertion en emploi de diplômés universitaires : représentations du travail et stratégies préconisées de finissantes et finissants. Mémoire de maîtrise présenté à la faculté d'éducation, Université de Sherbrooke, Canada, 2001 NKAKLEU, R., Le mélange des ethnies dans le PME camerounaise : émergence d'un modèle d'organisation du travail, Strasbourg I, travail de recherche, 2001. KAMDEM, E. et FOUDA ONGODO, M., Faits et méfaits de l'ethnicité dans les pratiques managériales au Cameroun, Colloque du Réseau de Recherche en Sciences de Gestion de l'Agence Universitaire Francophone, Beyrouth, 28 et 29 octobre 2004. ELA, J-M., Les sciences sociales à l'épreuve de l'Afrique : les enjeux épistémologiques de la mondialisation, Communication Assemblée Générale du CODESRIA, Dakar. Autres documentsMinistère des relations extérieures et de la coopération, « Guide des ONG internationales au Burundi », Bujumbura, 2000 UNESCO, « Cameroun : Études sur l'enseignement et la formation », vol. 2, Paris, 1985 Cabinet DCBC-Sarl, « Consultation et Gestion du Changement », Module de formation MBA, CESAC, Dakar, 2004 Cabinet DCBC-Sarl, « Les huit étapes du recrutement », Module de formation
| ![]() "Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !" |