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Efficacité politique chez Machiavel

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par BASUNGA Nzinga Antoine
Université St. Pierre Canisius/Kimwenza (RDC) - MEMOIRE présenté en vue de l'obtention du grade de Bachelier en Philosophie 2006
  

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O. PRELIMINAIRES.

Dans son ouvrage des doctrines politiques, Histoire des doctrines politiques depuis l'antiquité, le politologue Mosca, voulant élaborer une synthèse critique du Prince de Machiavel, écrit :

L'humanité en vieillissant acquiert toujours de nouvelles connaissances (bien que quelquefois dans les époques de décadence intellectuelle, il lui arrive d'oublier ce qu'elle a appris). Aussi ne faut-il pas s'étonner si nous qui vivons au [XXIe] siècle et, par conséquent, dans une époque plus avancée au point de vue intellectuel que le XVIe siècle, puissions voir plus loin et plus juste que ce que voyait le secrétaire de florence .

C'est avec ces considérations que nous voudrions entreprendre nos investigations sur Le Prince de Machiavel. Il nous a paru nécessaire de situer cette oeuvre dans son contexte historique pour enfin comprendre qu'elle est tout d'abord fille de son temps.

En effet, le but qui oriente notre quête à travers l'univers florissant de la pensée machiavélienne n'est pas celui d'y trouver « une panacée politique», une solution aux problèmes récurrents du monde. Une telle approche serait doublement difficile face à la dimension finie de l'ouvrage humain et face à l'évolution vertigineuse que connaît le monde actuel. Quoiqu'il en soit, Le Prince reste un des livres les plus importants de la pensée politique moderne . Les auteurs qui, après Machiavel , ont entrepris de réfléchir sur le pouvoir se sont tournés vers cet ouvrage afin, notamment, d'en critiquer les conclusions. Le Prince énonce (parfois sur la politique) des jugements si moralement inacceptables que le terme de « machiavélisme » a été forgé pour les qualifier et les récuser.

Il est cependant nécessaire de rappeler que la pensée de Machiavel n'est pas ce à quoi on la réduit parfois. Elle n'est pas qu'un pur pragmatisme, à savoir une pensée dont l'intérêt ne réside que dans des considérations d'ordre utilitaire, qui dit comment prendre et conserver le pouvoir. Certes, la dimension stratégique est bien présente dans la pensée de l'auteur comme cela apparaît si clairement dans les trois derniers chapitres et surtout dans le XXVIe (et dernier) chapitre du Prince : Exhortation à prendre l'Italie et la délivrer des barbares.

Au-delà des suggestions et moyens pragmatiques dont certains sont répugnants, la politique telle que Machiavel la présente se développe dans l'histoire mondiale, où, il est plus question de penser les conditions de la prospérité politique des nations et non de susciter un cycle infernal des intrigues au sein des gouvernements. La politique est pour Machiavel l'activité humaine la plus grave sur laquelle repose le destin d'un peuple. C'est ainsi qu'un des enjeux philosophiquement importants du livre est la définition de la virtù.

En effet dans un monde dominé par le hasard que Machiavel nomme fortuna, il convient de repenser les normes du comportement politique valeureux, efficace, afin de fournir un modèle de comportement aux nouveaux responsables politiques. Il faudrait donc prendre garde à la portée morale des arguments machiavéliens sous la double condition du réalisme pragmatique: voir les choses telles qu'elles sont et agir efficacement. Dès lors, on voit surgir une nouvelle norme morale dans les pages les plus sombres de l'ouvrage de Machiavel.

En effet, il peut donc exister une excellente politique au niveau des imaginations: celle qu'on pourrait nommer l'idéal moral de la politique. La leçon de Machiavel, c'est que la défense de la patrie implique que l'attitude politique se pense elle-même comme étant indépendante de la morale traditionnelle. La politique n'est pas pour autant coupée de principe du bien et du mal, mais il lui est nécessaire de se concevoir parfois au-delà du bien et du mal classiques.

C'est d'ailleurs ce dont atteste l'histoire politique la plus glorieuse, comme celle des fondateurs d'empire ou de religion, évoqués au chapitre VI du Prince . C'est aussi l'histoire politique qui régénère le monde actuel. Aussi Le Prince pose-t-il un problème fondamental, que l'on ne saurait résoudre une fois pour toute : il nous avertit que l'efficacité politique consiste à savoir parfois s'écarter des règles morales habituelles, sans pour autant se dégager complètement d'une idée d'excellence qui se confond avec l'idéal patriotique.

1. Problématique.

Discourir sur l'efficacité politique selon Machiavel, c'est tout d'abord porter au fond de soi-même la meilleure connaissance du caractère fluctuant de l'expérience humaine. C'est aussi vouloir opérer un détour par rapport à l'entreprise traditionnelle de la philosophie politique, qui s'est longtemps occupée à déterminer le meilleur régime de la vie commune, le cas échéant, en demandant à l'imagination d'en construire le type idéal.

Si les ouvrages fondamentaux de la philosophie politique traditionnelle se sont attelés à définir la meilleure politique possible en contrepoint de la pratique réelle, c'est parce que tous visaient à énoncer les devoirs du responsable politique en vertu d'une certaine idée du bien. Cela n'est pas le cas pour Machiavel. Désormais, seule l'urgence de la situation impose de tirer des leçons pratiques. La recommandation de l'efficacité en politique ne veut plus tenter de conformer la réalité de la vie politique à un idéal moral. L'efficacité politique ressort de la motivation fondamentale que porte le politique réaliste : sauver l'Etat en retenant de la réalité ce qui n'est pas inanité pour un agir efficace.

Dès lors, le bon responsable politique n'est plus nécessairement celui qui s'accommode aux modèles utopiques d'une certaine idée du bien. Si d'après la tradition, l'agir de l'homme politique devrait se laisser imprégner d'une certaine contemplation du bien alors il est clair que l'ethos ou l'agir d'un tel politique peut ne pas être efficace dans la praxis. Voilà pourquoi, Machiavel procède tout autrement. Par un souci de réalisme, il entreprend de voir l'homme tel qu'il est, passionné et avide lorsqu'il est question de politique, sans le juger.

Toutefois l'efficacité politique exige de nous une conversion dans la manière de voir le monde. Comme sur le modèle phénoménologique, l'efficacité politique invite à la purification du regard. Elle nous réapprend la manière adéquate de répondre aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Cependant, le réalisme politique de Machiavel ne saurait se laisser réduire au simple dépassement de l'idéalisme moral et politique traditionnels. Bien plus, il s'agit d'une pensée (équilibrée) qui enseigne la quête perpétuelle « du juste milieu » comme réponse efficace aux exigences que recommande l'incertitude des conditions existentielles. En cela donc, il n'est pas simplement question de dépasser la visée politique traditionnelle mais aussi de réaliser un détour dont seule la nécessité d'Etat ou la raison d'Etat doit justifier la réponse adéquate du prince aux situations mouvantes.

Par ailleurs, le réalisme machiavélien n'exclut en rien la possibilité d'une politique morale. La conception de la fortuna, cet élément caractéristique de l'histoire politique ressort avec énergie combien il est trop difficile d'atteindre l'idéal en face de l'hyper résistance que nous rencontrons dans la réalisation effective des choses. Il s'agit là d'une vérité qui doit alerter le politique du grand risque qu'il court.

En abordant le problème politique, notre désir ne voudrait pas laisser de côté « ce qui se fait pour ce qui se devrait faire » . L'efficacité politique n'est pas dans la fuite des responsabilités d'Etat mais dans la réponse adéquate qu'il faut y porter hic et nunc. Au travers de trois chapitres, à savoir Le paradoxe de l'efficacité politique dans Le Prince ; Efficacité dans le rapport entre morale et politique ; Fondement de l'efficacité politique, nous montrerons que l'idée de l'efficacité dans Le Prince de Machiavel n'est pas à saisir comme une recette politique. Elle ressort plutôt du paradoxe des exemples de vie des hommes éminents qui ont fait preuve d'une certaine bravoure dans les situations concrètes auxquelles ils ont été confrontés pour conserver à tout prix leurs Etats. C'est en cela que se ramène l'effort consenti au premier chapitre.

Par contre, le deuxième chapitre nous enseigne qu'un prince qui se veut conserver doit orienter toute son entreprise vers la fin qu'il poursuit : conserver et sauver l'Etat. Seule l'idée de conserver le pouvoir en même temps que la société politique doit définir la règle de conduite du prince. L'idéal moral n'a plus de primauté sur le bien suprême qu'est la conservation d'Etat. La nécessité d'Etat devient la réalité sur laquelle se doit jauger le bien et le mal.

Dans le troisième chapitre, le travail saisit l'efficacité politique comme l'exigence apodictique qui contribue à la conservation de l'Etat. L'efficacité, non seulement qu'elle résulte du caractère politique mais aussi elle assigne à la lourde responsabilité d'assurer la prééminence d'Etat. Dès lors, l'efficacité politique apparaît comme la mesure rationnelle, raisonnable, immédiate qui doit modérer les appétits individuels (violences) pour la réalisation d'un objectif (commun). L'efficacité politique trouve donc son fondement dans la nécessité d'Etat .

Pour mener à bien une telle entreprise, nous avons éprouvé la nécessité d'une méthodologie bien appropriée. Pour ce faire, nous nous sommes penchés essentiellement vers l'herméneutique. En effet, la méthode herméneutique a des origines lointaines , comme dans la Doctrina christiana de S. Augustin où « Augustin enseigne [...] comment l'esprit s'élève au-delà du sens littéral et moral jusqu'au sens spirituel » . Cette méthode se fonde sur une pratique, celle de l'interprétation et de la compréhension. L'herméneutique en grec Herméneutikè, se laisse guider surtout par un art, tekhnè d'où la définition de Schleiermacher « l'interprétation est un art » .

L'herméneutique se sert donc d'un instrument linguistique et méthodique (annonce, traduction, explication, interprétation) pour lire et déchiffrer les textes. Elle est particulièrement conçue comme une technique du retour au sens premier qui a été dévié, déplacé ou monopolisé durant des siècles et au cours de conflits implacables idéologiques, religieux et politiques. Aussi, en entreprenant nos investigations sur Le Prince de Machiavel, cette méthode nous a paru commode et elle peut nous aider à « s'originer » dans les textes même de l'auteur.

En effet, rappelons que la pensée de Machiavel, au cours des temps, donna lieu à une diversité d'interprétations au point qu'elle n'a été réduite qu'à la simple annonciation de problèmes politiques accompagnés de leurs solutions. L'herméneutique, au-delà de la technique politique, conduit donc à la compréhension du dessein réel de la pensée machiavélienne.

2. Eclaircissement des concepts clés.

2.1. Le machiavélisme et la pensée machiavélienne.

La pensée machiavélienne n'est pas réductible à une simple vision machiavélique. On appelle machiavélique tout responsable politique ou encore toute pensée capable d'employer n'importe quel moyen pour parvenir à ses fins. Les circonstances de composition du Prince nous éclairent pourtant sur les recommandations données par Machiavel.

S'il est vrai que c'est dans le combat pour la puissance que les qualités humaines, quelles qu'elles soient, peuvent devenir des armes politiques, il est tout aussi vrai que chez Machiavel la puissance ne se confond guère avec ses attributs. « L'ambition démesurée, la cruauté, la violence, la ruse, l'absence totale de scrupules par lesquelles on définit communément le héros « machiavélique » - alors qu'en fait Machiavel cite aussi des exemples de douceur, de vertu et de mansuétude - toutes ces particularités du tempérament ou de la « nature » personnalisent le combat, mais ne constituent en aucune façon une fin en elles-mêmes» .

La pensée machiavélienne n'a pas du tout pour but de souligner la suprématie du pouvoir par rapport à la liberté des individus. Si quelque théorie cynique il y a, elle est uniquement en raison de la nécessité d'Etat. Elle traduit l'idée qu'en situation d'exception se justifie une suspension de la loi et, par conséquent, qu'il faut distinguer ce qui relève de l'éthique de ce qui relève de la politique. A vrai dire, la pensée machiavélienne est d'abord le fruit d'une expérience personnelle, fruit d'une observation politique italienne de son temps. Machiavel n'a fait que traduire parfois dans des énoncés terribles le mode d'agir des hommes politiques de son temps.

1.2.2. La fortune et la vertu.

Deux concepts philosophiquement importants par lesquels Machiavel explique le cours de l'histoire. Dans la tradition philosophique le concept de vertu a été souvent pensé en rapport avec le bien moral et partant en rapport avec le bonheur de l'homme. Avec Machiavel la vertu (en italien virtù), cesse d'être un concept moral. Elle est désormais un concept politique désignant premièrement les qualités qui rendent un homme propre à l'exercice du pouvoir politique. La vertu chez Machiavel se confond alors avec la force du caractère entendue comme une grande énergie mise au service d'une grande ambition. Elle est aussi le talent politique voire le bon sens politique, mieux une aptitude à bien évaluer et à savoir exploiter une situation politique qui peut être l'oeuvre de la fortune.

Le rapport entre la fortune et la vertu ressort fortement dans les chapitres six et sept du Prince. Parlant des exemples de vie des hommes éminents qui ont fait preuve de courage et d'intelligence face aux situations concrètes auxquelles ils ont été confrontés pour conserver leurs Etats, Machiavel écrit ceci :« Et en examinant bien leurs oeuvres et vie, on ne trouve point qu'ils aient rien eu de la fortune que l'occasion, laquelle leur donna la matière où ils pussent introduire la forme qui leur plaisait ; sans cette occasion, les talents de leur esprit se seraient perdus, et sans leurs talents, l'occasion se fut présentée en vain » . Cet extrait permet de comprendre que la virtù et la fortuna ne sont pas par principe irréconciliables. La valeur politique est l'intelligence des situations historiques mieux, un discernement assidu des signes du temps.

De la sorte, elle ne peut ni négliger les occasions favorables au projet entrepris (maintenir et sauver l'Etat) ni agir à contre temps. La valeur politique est la capacité d'adapter l'action aux circonstances tout en modelant celles-ci aux fins poursuivies. Bref, la vertu politique a pour fonction de donner une forme à la matière des événements ; c'est, selon Machiavel, ce qu'ont remarquablement réussi les grands exemples qu'il donne (aux chapitres VI et VII). Les pénibles épreuves que traversaient leurs peuples furent pour eux littéralement une chance, celle de montrer leur valeur et d'orienter favorablement le cours de l'histoire. Par-là, Machiavel entend montrer que nulle situation n'est jamais pitoyable pour l'homme vaillant, c'est-à-dire un politique chez qui le savoir-faire politique est devenu comme une seconde nature.

CHAPITRE. I :

LE PARADOXE DE L'EFFICACITE POLITIQUE DANS LE PRINCE.

1. Le politique et son but primordial.

L'image du politique machiavélien se résume fort bien en la personne du prince. En effet, le prince machiavélien accède au trône par deux moyens, à savoir le moyen de la fortuna ou celui de la virtù. De ces deux manières la préférence ne semble plus être que du côté de la virtù. La fortune est trop capricieuse pour maintenir pendant longtemps un prince au trône s'il n'a pas appris par lui-même à lui donner la forme nécessaire par ses talents.

Dès lors, le politique machiavélien est appelé à cultiver (en lui), l'idée d'une recherche continuelle du sens de la mesure. C'est dans la dialectique entre virtù et fortuna que le politique machiavélien peut désormais quêter le but qui lui revient en sa qualité d'homme d'Etat. Mettant en garde l'oeuvre pure et simple d'une heureuse fortune, Machiavel écrit : « De plus les Seigneuries qui viennent si vite, comme toutes les autres choses naturelles qui naissent et croissent soudain, ne peuvent avoir les racines et d'autres fibres assez fortes pour que le premier orage ne les abatte » .

Cet extrait, riche en sens, renferme mutatis mutandis l'objectif que se doit fixer le politique machiavélien. L'accession au trône revêtant ici d'un caractère grave, rappelle en même temps que l'on ne doit pas se complaire d'une simple oeuvre de la fortune. Car la fortune n'est guerre la condition d'efficacité même si elle peut en constituer la chiquenaude initiale. Il n'est donc pas question de poursuivre un but éphémère qu'un premier coup d'orage aussi passager pourrait écrouler. Le politique machiavélien est façonné par l'idée de conservation. Il s'agit d'une conservation durable, résistible contre tous les assauts, l'oeuvre capricieuse et incontrôlable de la fortune.

C'est justement ce que Machiavel reproche aux princes de l'Italie qui ne purent jamais porter à bien le destin de leur peuple : « N'ayant en temps de paix jamais pensé que ce temps peut changer [...] quand, après, les orages sont venus, ils ont plutôt pensé de se sauver que de se défendre, ayant espérance que le peuple excédé de l'insolence des vainqueurs les dût rappeler » . S'il est vrai que le (commun) défaut de tous les hommes, c'est d'oublier la fureur de la tempête durant la bonace, il est tout aussi vrai que le politique machiavélien doit demeurer un prince prévoyant sur qui reposent le destin du peuple et la nécessité d'Etat. N'est-ce pas cela même le synonyme de gouverner ?

Si but primordial il y a chez le politique machiavélien, cela s'inscrit de facto dans la ré-dynamisation du bien commun. En ce sens, le politique machiavélien comme celui du monde actuel sont tous deux en quête de paix, de justice mieux, d'une quiétude à la dimension de toute la population. Autrement dit, le but dont le politique machiavélien se charge reste encore plausible dans les climats historiques du monde actuel bien que la réalisation n'en soit plus la même. Si autrefois la réalisation d'un tel but concourait du caractère politique du prince qui pouvait tout légitimer, aujourd'hui (sans pour autant verser dans la permissivité) l'organisation de l'ordre étatique se propose de passer par les moyens constitutionnels démocratiques. Elle est le fruit d'un dialogue qui convoque à un accord intersubjectif, c'est-à-dire à l'objectivité d'interlocuteurs.

2. Le rôle de la vertu à l'absence d'une heureuse fortune.

Maintenir et sauver l'Etat, tel est le projet qu'entreprend le politique machiavélien. Il s'agit d'un projet dont la réalisation s'inscrit dans un certain ordre historique. C'est dire que l'histoire n'étant qu'en partie prévisible, qu'on le veuille ou pas, on ne peut pas rêver d'une stabilité accomplie d'un Etat historiquement établi. Deux raisons peuvent fonder cette affirmation. D'une part, l'horizon des succès envisagés dans le projet entrepris demeure encore problématique et d'autre part, l'on s'en gardera de toutes complaisances de soi-même, car nous ne sommes pas toujours les maîtres de la dégénérescence qui s'inscrit aussi dans la nature, dans le devenir des choses.

C'est ce que vient à propos exprimer ces paroles de Marie-Claire Lepape : « Le mouvement hasardeux de l'histoire de l'ordre au désordre, et du désordre à l'ordre, les inéluctables révolutions du monde sont l'excuse des médiocres, mais aussi l'échec possible de la volonté libre » . Nous voudrions que l'on nous comprenne bien à ce niveau et que l'on ne nous prête pas l'intention de verser dans la pure conception déterministe des événements du monde. Cela n'est pas la thèse de Machiavel. Contrairement au déterminisme absolu, Machiavel pense que l'individu n'est pas complètement dépouillé de sa part de responsabilité face à tout ce qui lui advient.

En effet, Machiavel stipule que l'individu est capable de modifier le fait imprécatoire de la fortune :

Je sais bien qu'aucuns furent et sont en opinion que les affaires de ce monde soient en cette sorte gouvernées de Dieu et de la fortune, que les hommes avec toutes leur sagesse ne les puissent redresser, et n'y aient même aucun remède ; par ainsi ils pourraient estimer bien vain de suer à les maîtriser, au lieu de se laisser gouverner par le sort .

Le sort a en lui-même sa propre rationalité. Selon son gré, il peut nous être favorable comme cela advient qu'il nous soit porteur des malheurs quelquefois.

Qu'importe, il n'est donc plus question que l'homme se remette totalement en état de résignation en face de caprices de la fortune, du hasard. La conception déterministe reste redoutable. Elle spolie l'individu de toute responsabilité de ce qui lui advient pour l'assigner ainsi à quelques causes extérieures ou intérieures dont l'individu serait incapable de maîtriser. Dans un monde où la question de responsabilité est de mise, une telle conception pose certainement question. Non seulement qu'elle est atypique mais aussi elle n'a aucune garantie reconstructive pour la prospérité en ce qu'elle tend à avilir l'homme dans ses capacités créatrices et même prévisionnelles. Ces capacités créatrices, prévisionnelles ou rationnelles, c'est justement ce que renferme le concept de virtù sur le plan politique.

Pour en venir à la position machiavélienne face à la conception déterministe, l'on notera : Machiavel reste d'avis que la fortune (le hasard) peut être maîtresse de la moitié de nos oeuvres sed etiam, elle nous laisse gouverner à peu près l'autre moitié. Le rôle de la virtù est à retrouver pleinement dans l'autre moitié qui nous revient : l'aptitude à bien évaluer, à savoir exploiter une situation politique en vue de faire face aux tempêtes qui s'abattront sur l'Etat.

La vertu (la valeur politique) semble être la catégorie par excellence par laquelle on réussit à donner un sens favorable à la fortune pour autant qu'on peut le faire. Car la fortune jouera toujours un rôle. A entendre Machiavel, devant une mauvaise fortune, la virtù consiste à être hardi plutôt que prudent. Car la fortune ressemble fort à cette femme que l'on doit battre et soumettre. La fortune est davantage soumise à ceux qui la traitent avec brutalité qu'à ceux qui la prennent avec autant de considérations.

3. Pour la réalisation d'un ordre objectif.

Machiavel décrit la réalité politique comme un lieu de méchanceté, de médiocrité, de sottise des hommes. A cela, il convient de préciser que l'idéal machiavélien n'est pas d'affirmer nécessairement la méchanceté ou la sottise des hommes. Moins encore, il ne s'agit pas de concevoir l'action politique comme étant essentiellement violence. Ce qui est en jeu et qu'il faut bien révéler ce que la condition des hommes mal éduqués , extravagants constitue aussi l'objet de la politique. Dès lors, l'idée de l'ordre qui traverse la pensée machiavélienne est donc d'essence protectrice et même vitaliste. Elle s'insère dans l'idéal du projet initialement entrepris : maintenir et sauver l'Etat. Pour Machiavel il n'y a pas de situation politique si fâcheuse que celle dans laquelle les appétits individuels troublent la quiétude du prince et partant celle de tous les peuples.

Hormis les appétits divergents, le manque d'ordre peut aussi signifier qu'on n'a pas suffisamment estimé les situations émouvantes dans lesquelles l'on se trouve. Ainsi pense Machiavel « Gouverner c'est mettre [ses] sujets hors d'état de [te] nuire et même d'y penser ; ce qui s'obtient soit en leur ôtant les moyens de le faire, soit en leur donnant un tel bien-être qu'ils ne souhaitent pas un autre sort » . La réalisation d'un ordre objectif au sein de l'Etat s'étend pratiquement sur deux niveaux à différentes échelles. On doit vieller à la fois à l'ordre intérieur qu'à la sécurité de ses frontières en vue de favoriser un voisinage sain.

Au niveau de l'intérieur, c'est-à-dire parmi ses sujets, il faudrait veiller à l'attitude de son peuple. Un peuple opprimé peut ne pas se montrer collaborateur à l'ordre public. Car, il vit une incohérence intérieure. Une incohérence qui résulte d'une insatisfaction profonde (est en fait le fruit d'un besoin existentiel) encore inassouvi. La caractéristique d'un peuple déchiré est de bâtir des châteaux en espagne. Rêvant ainsi d'une cité dont les conditions de possibilité doivent passer par la détérioration de l'ordre publique dans lequel ils vivent. L'analyse de Machiavel va plus loin jusqu'à la source des symptômes épidermiques qui soulèvent l'ordre de l'Etat. L'on pourrait à ce point croire que l'ordre étatique n'était que la conséquence d'une satisfaction adéquate de besoin de la population. Mais il y a plus que cela.

L'Etat doit aussi tirer son honneur en sachant comment punir ceux de ses citoyens qui commettront quelques actes inciviques. A ce sujet, Machiavel préconise que : « Le prince qui ne traite pas un criminel de manière qu'il ne puisse plus le devenir passe pour ignorant ou pour un pleutre » . Outre la sécurité soutenue à l'intérieur d'Etat, un bon chef doit faire de la consolidation de ses frontières un souci personnel. Ainsi surgit l'importance d'établir une armée efficace que l'on doit nécessairement marier aux bonnes lois.

Aux yeux de Machiavel, seule l'armée constituée de ses concitoyens a du prix pour assurer l'ordre efficace dans l'Etat. Cette présomption montre le peu d'estime que Machiavel avait dans le fait d'associer à son armée les forces extérieures quelle que soit leur renommée. Le prince reste le seul garant de l'ordre étatique sous le regard du peuple. L'idée de l'ordre chez Machiavel culmine dans l'assimilation de la cause d'Etat à la nature du prince. Laquelle nature doit être veillée avec tant de soins possibles ! Cette auto-assimilation du prince à la res publica, on ne la trouve ni chez le peuple (car il reste versatile) ni chez les ministres (car on n'en trouve de mauvais). Seul le prince dont la justification dernière se confond à la cause d'Etat est l'icône de l'ordre suprême de la nation. Pour mieux veiller l'ordre public le prince doit être un homme dont l'entreprise ne peut en aucun cas laisser le pays choir dans l'impasse.

4. L'impasse ou l'inefficacité.

Un point saillant qui prépare le terrain au débat aussi important que nous aurons dans la suite de nos investigations : il s'agit du débat entre politique et morale. Nous sommes dans un contexte où le prince est déjà en plein exercice du pouvoir. Un prince initié à la pensée ou à la virtù machiavélienne se doit nécessairement heurter contre bien des difficultés dans l'application des tactiques qui lui sont proposées pour conserver et sauver la nation.

Rappelons que si en politique d'une part, la nécessité d'Etat devient la catégorie par excellence à laquelle se doivent jauger toutes les autres décisions dans la cité, d'autre part, les recommandations de Machiavel sont toujours orientées vers la quête d'une mesure qui soit favorable à la fois et à l'apparaître du prince et au projet entrepris : « je dis que ce serait bien d'être tenu pour libéral ; toutefois, être libéral dans la mesure qu'il faut pour en avoir la réputation, c'est te nuire à toi-même ; car, l'étant avec mesure et comme il se doit, tu ne seras pas connu pour tel, et le mauvais renom du contraire ne te sera pas épargné » . Il est certain qu'un prince qui ignore la vraie mesure de son peuple, rencontrera autant d'obstacles capables d'emboîter le pas à l'efficacité de ses entreprises.

Il est nécessaire que l'efficacité politique ne se ramène pas seulement à une « réponse de la volonté humaine aux violences de la fortune [l'efficacité n'est pas seulement une] violence exemplaire, un avertissement destiné à combattre l'excès sur son propre terrain, à rivaliser dans l'audace avec la passion elle-même, a laquelle elle oppose une cruauté réfléchie et dominée, une ruse maîtrisée ou, tout aussi bien, une bonté mesurée » . L'efficacité est plus qu'un simple extincteur du feu qui brûlera sur divers recoins de la cité. Plus que l'action d'une puissante garnison qui viendrait mater les situations émouvantes - violence de la fortune - comme le conçoit Marie-Claire Lepape, l'efficacité politique chez machiavel embrasse aussi le vaste champ de la gestion de l'Etat notamment le domaine de l'économie.

Devant l'élargissement du sens machiavélien du concept d'efficacité, la virtù revêt derechef d'une importance noble. En effet, elle permet de travailler de telle façon que l'efficacité dont l'Etat a besoin trouve son fondement déjà dans la volonté participante des citoyens à la gestion de la res publica. Nous retrouvons par ce fait même, le sens propre du verbe « gouverner » chez Machiavel : mettre ses sujets hors d'état de nuire à l'Etat voire d'y penser. Il ne s'agit pas d'avilir ses sujets par je ne sais quelle pratique ascétique ! Il s'agit de récréer des conditions telles que les sujets n'en viennent pas verser dans ce que Alexis de Tocqueville appellerait « le despotisme doux » . Autrement dit, le peuple doit collaborer à la bonne marche de l'Etat avec autant de responsabilité et le même empressement que les gouvernants. Le jeu de la mesure où le peuple est de facto participant est fortement recommandé ici. La règle du jeu doit être la vertu opérante dont le prince en premier doit faire preuve.

CHAPITRE.II:

EFFICACITE DANS LE RAPPORT ENTRE MORALE ET POLITIQUE.

1. L'action politique au-delà de l'impératif moral inconditionnel.

La notion d'impératif inconditionnel nous fait penser à morale kantienne. En discourant sur les conditions de possibilité de la morale, Kant distingue les impératifs hypothétiques de l'impératif catégorique. Les impératifs hypothétiques renvoient davantage à la nécessité pratique d'une action possible, considérée comme moyen conduisant à une fin que l'on poursuit. Tandis que l'impératif catégorique représente une action comme nécessaire à elle-même objectivement (universellement) et sans rapport à un autre but. Les enjeux déterminants de la morale kantienne ressortent en termes d'obligation, de devoir et de commandement.

Agir moralement signifie alors n'agir rien que par devoir en s'écartant de tout désir utilitariste, mieux, conséquentialiste. Il n'y a donc chez Kant qu'un seul impératif catégorique : « Agir uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu'elle devienne une loi universelle » . L'impératif catégorique donne donc un critère formel, de cohérence, qui commande de vérifier les possibilités d'universalisation de notre maxime sans qu'il y ait contradiction. Il faut alors se demander si une règle d'action qu'on s'octroie soi-même peut devenir ainsi la règle de tout homme placé dans la même condition. Si oui, c'est qu'on est en présence de la loi morale. Dans le cas contraire, cela signifie qu'on veut faire une exception pour soi. Kant a sans doute le mérite d'avoir fondé la morale sur du solide, d'avoir posé les conditions de possibilité d'un agir moral efficace. N'est-ce pas là même un défi pour l'homme en tant qu'il est un être de liberté et capable de bien ?

Cependant l'on doit éviter de verser dans ce que Machiavel appellerait l'« idéalisme moral ». En effet, l'idéalisme moral aplatit l'action politique, l'enferme dans la cécité du jugement et la rend moins efficace. Au regard de Machiavel, la connaissance de l'idéal, du bien que poursuit la visée éthique reste chose noble. Toutefois, l'on ne doit pas manquer de souligner l'impossibilité dans laquelle l'on se retrouve souvent devant l'effort réalisé dans la conformité de son vécu pratique à l'idéal théorique que l'on se propose : « il y a si loin de la sorte qu'on vit à celle selon laquelle on devrait vivre que celui qui laissera ce qui se fait pour ce qui se devrait faire, il apprend plutôt à se perdre qu'à se conserver » . La morale classique n'est plus l'unique voie qui décide de la validité du bien. Il n'en est donc plus question, surtout lorsqu'il s'agit de prôner pour la prééminence de la chose publique.

La politique, dans son but primordial, semble partager les mêmes objectifs que la morale : la gestion des groupes et de leurs intérêts. Toutefois, chez Machiavel, il apparaît une nette séparation entre les vertus morales et les vertus politiques. La réalisation de la sagesse politique s'en gardera d'être éternellement sous emprise de la morale. Le prince doit jouer selon l'opportunité. Au-delà de la mesure d'action qu'exige l'objectivité morale, le prince discernera plutôt la validité de son action en conformité avec la nécessité d'Etat. L'action politique, si seulement si nécessité l'exige pourra passer outre, mieux sublimer l'impératif moral pour ne le rencontre que dans leurs aspirations ultimes qui se résument mieux dans la réalisation dialectique de « l'universel concret et de l'universel de l'individu » selon ces mots chers à E. Weil. Autrement dit, la conformité à ce qui se devrait faire (la morale) se heurte contre l'action politique dont les moyens sont parfois moralement difficiles à admettre.

Toutefois, il ne s'agit pas d'une récusation pure et simple des vertus morales. Même s'il n'est pas nécessaire au prince d'avoir toutes les vertus, il doit cependant paraître les posséder pour garantir la quiétude de son peuple. Le rapport entre la morale et la politique reste un rapport de supplément plutôt que de subordination. A ce titre, la vissé d'une bonne politique est moralement acceptable. La politique renvoie donc à la gestion efficace des affaires d'Etat. La règle du jeu qui sous-tend l'efficacité politique n'exige que des bons effets pour qu'il n'y ait que des bonnes causes. Ce principe n'est réalisable que dans la mesure où le prince sera suffisamment vertueux et plein de bons sens politique.

1.1. Du bon sens dans l'agir du prince.

La fin du livre XV se révèle comme un grand champ du discernement et redonne sens à la conscience finie du prince en face de sa lourde responsabilité. Machiavel nous replonge une fois de plus dans la recherche du « juste milieu ». Le juste milieu qu'il replace au fondement même de toute entreprise du prince. Le prince est ensuite saisi comme un être relationnel. Il n'est pas du tout le surhomme machiavélique comme d'aucuns l'ont souvent envisagé. La confidence de sa conduite n'est pas un tabou. Le prince est jugé en fonction de certaines qualités qui lui apportent louange ou blâme. Autrement dit, un tel prince sera tenu pour libéral, pour ladre; tel outre sera estimé généreux ou rapace ; cruel, plein de pitié ; parjure, fidèle à sa parole ; efféminé et pusillanime, l'autre encore sera traité de hardi et courageux ; de plein d'humanité ou orgueilleux ; luxurieux, chaste ; intègre, roué ; dur ou aimable ; religieux ou incrédule, et ainsi de suite.

A entendre Machiavel, il serait même souhaitable qu'un prince porte toutes ces susdites qualités. Puisqu'il est évident que les qualités ne se peuvent toutes avoir à cause de notre finitude humaine, Machiavel suggère plutôt au prince de s'exercer au sens de la mesure. « Car, tout bien considéré, [le prince] trouvera quelque chose qui semble être vice, mais en la suivant, il obtient aise et sécurité » . Toute vertu ne concourt pas nécessairement à la conservation de l'Etat et à la sauvegarde du trésor public.

Lorsqu'on s'applique à bien analyser une vertu morale sous le modèle machiavélien , on peut alors se rendre compte jusqu'où sa possession est une chose dangereuse pour un prince. Car un prince tout libéral se complait à donner de son bien pour satisfaire autrui, il dépense par pur altruisme. Mais cette généreuse disposition tend à amenuiser sa richesse; ainsi pour continuer à pratiquer sa libéralité, le prince se voit obligé de taxer excessivement la population, ce qui le rend justement détestable à ses propres sujets.

En effet, la libéralité qui de prima facie est une vertu, peut cependant rendre impopulaire et par conséquent affaiblir le prince et son Etat. Il vaut mieux que le prince soit parcimonieux, qu'il donne peu de son bien et qu'il passe même pour un avare s'il doit lors de toute attaque se protéger contre les ennemis extérieurs sans toutefois accabler son peuple des impôts exagérés. L'exigence du vrai sens de l'équilibre devrait davantage accompagner nos délibérations pour déterminer ce qui est réellement avantageux à l'Etat et à l'humanité. D'où l'importance soulignée de la prudence du prince qui doit être saisie selon la perceptive même de la virtù.

1.2. La démarcation ou le réalisme machiavélien.

La tradition philosophique politique s'est longtemps préoccupée à la question de savoir « quel est le meilleur régime politique » qu'il fallait adopter. Cette question a été largement problématisée par Platon chez les Grecs (dans La République mais également dans Les Lois, La Politique et Le Critias) ; Cicéron pour les Romains (dans La République et Les Lois) ; S. Augustin pour les chrétiens (dans La Cité de Dieu). Ces ouvrages se caractérisent par un effort considérable des constructions idéelles, utopiques et même impressionnantes pour l'esprit (de par leurs formes).

Machiavel en sa qualité d'écrivain politique est davantage captivé par la réalité et le tourment (politiques) de son temps. Comme tout bon fidèle lecteur des anciens, il a sans doute parcouru leurs écrits, espérant y trouver une solution efficace et salutaire à la situation désastreuse que traversait son pauvre pays, l'Italie de la renaissance. De ses lectures des anciens, se dégage un constant : « les anciens auraient discouru sur des républiques et les principautés qui ne furent jamais vues ni connues pour vraies » . C'est ce même constat que nous replaçons à la source du désir refondateur qui a caractérisé les réflexions politiques de Machiavel. La démarcation, dont il est question, est d'abord portée par le souci de penser et de produire des choses qui soient efficaces et profitables à la postérité politique.

Il importe dès lors, de retenir de la réalité ce qui est utile pour agir efficacement ; c'est dire que l'on doit s'exercer « à pourvoir n'être pas bon et d'en user ou n'user pas selon la nécessité » . D'où l'importance de la recommandation stratégique qui se profile derrière le concept d'apparence. Il est donc paradoxalement réaliste que Machiavel favorise l'apparence plutôt que l'être authentique comme ce sur quoi il voulait autrefois fonder ses réflexions politiques. Cela se justifie du fait que les hommes se fient sans recule à l'image de la vertu que leurs responsables donnent d'eux-mêmes. Mais encore, l'on notera que « le vulgaire ne juge pas que de ce qu'il voit et de ce qui advient ; or en ce monde il n'y a que le vulgaire » .

2. Le combat politique.

Aujourd'hui, il n'est pas du tout étonnant de parler du combat politique. En effet, certains auteurs évolutionnistes ont souligné clairement le caractère aussi belliqueux de la vie humaine dans sa dimension sociale. De même que les bêtes s'affrontent, poussées par je ne sais quels instincts, de même les hommes sont doublement dira-t-on en lutte. Ils se retrouvent dans une société où l'on doit non seulement vivre mais aussi s'assurer de toutes sécurités. L'on vit le tragique d'un combat doublement nourri et par la raison et les passions égoïstes qui n'aident pas souvent l'homme à s'émanciper pour aller de l'avant.

Une approche réaliste élucide bien la pertinence des rapports intersubjectifs que Machiavel souligne dans le combat politique. Il ne s'agit pas du tout d'adhérer au principe de « l'homme loup pour l'homme» comme l'a si bien affirmé Hobbes, ni de concevoir la politique, la vie en société comme une fourberie de bataille sans fin. La pointe n'est pas ici de dénigrer la politique mais de souligner quelques insuffisances ontologiquement liées à finitude humaine. Le combat politique rappelle sans complaisance que l'homme n'est pas seulement un être de raison. Il est non seulement calculateur mais aussi, à la merci de ses propres passions. L'homme est aussi bien capable de donner sens à sa vie que de pouvoir subir les caprices de la fortune. L'on n'est plus « maître dans sa propre maison ».

Toutefois, au-delà de tout ce qui échappe au contrôle humain, le combat politique prend sens dans la mesure où il est d'abord orienté vers la recherche d'une gestion efficace de la chose publique, des affaires d'Etat. Précisant sa pensée, Machiavel écrit : « il faut savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une par les lois, l'autre par la force » . Ainsi, l'on n'a pas de la peine à comprendre que si la raison en l'homme était constante, si l'homme avait la pleine maîtrise de sa raison, Machiavel s'arrêterait à concevoir tout simplement le combat politique comme la quête du « juste milieu » au moyen d'un dialogue raisonnable et rationnel.

Mais « le plus que l'homme » indique en même temps l'insuffisance de vouloir mener le combat politique uniquement par la première manière, c'est-à-dire au moyen des lois. Il faut donc recourir à son corrélatif qui est la force. Car « l'une sans l'autre n'est pas durable » . L'on comprend que la loi sans la force ne dure, mais alors, pourquoi la force sans la loi ne peut-elle durer ? Une question qui peut éclaircir davantage les véritables intuitions machiavéliennes. Intuitions, en fait, qu'on pourrait retrouver dans les premières motivations qui ont été à la source du secret du Prince : trouver un libérateur mieux, un rédempteur de l'Italie asservie de barbares.

Pour ce faire, le prince ne peut pas combattre uniquement au moyen des passions (de la bête). Un gouvernement qui s'appuie sur la fore peut bien mettre les peuples à dos et durer un temps, mais s'il ne s'appuie sur des lois que ceux-ci estimeront justes, il ne pourra durer indéfiniment. C'est justement ce qui se profile derrière cette pensée de Blaise Pascal : « La justice sans force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste » . Il s'agit d'une pensée toujours à la recherche de l'équilibre. Elle converge bien avec l'intuition machiavélienne. L'on comprend mal que la fortuna (le hasard) nous porte éternellement en position de puissance si nous n'avons pas appris nous-mêmes, grâce à la virtù, à transformer notre puissance en « droit et l'obéissance en devoir ».

2. 1. Savoir bien user de la bête et de l'homme.

Nous entrons ici dans une des pages les plus sombres de la pensée de Machiavel. En effet, Machiavel est persuadé qu'un bon gouverneur doit: « savoir bien pratiquer la bête et l'homme » . Lorsqu'on pratique l'homme dans la gestion de l'Etat, cela renvoie à l'application des lois, à gouverner selon les prescriptions légales. Tandis que l'usage de la bête fait tantôt allusion à la force tantôt à la ruse. Autrement dit, la violence et la ruse sont utilisées comme des garde-fous pour un pouvoir encore égoïste. En réalité, Machiavel reprend ici de manière claire un précepte ancien de la mythologie grecque. En effet, en Grèce antique, comme dans la tradition philosophique, la politique était toujours sous la coupe de la morale. Ainsi, bon nombre de vérités ne pouvaient être révélées que sous forme mythique en raison de directives morales de leur époque.

Machiavel met à nu ce qui fut voilé autrefois : « Cette règle fut enseignée au prince en paroles voilées par les anciens auteurs qui écrivent comme Achille et plusieurs autres de ces grands seigneurs du temps passé furent donnés à élever au Centaure Chiron pour les instruire sous sa discipline » . L'intuition du meilleur usage de la bête se donne au regard de ces deux animaux : le lion et le renard. Il semble que l'homme politique doit beaucoup apprendre de ces deux bêtes. Si le lion peut de se défendre contre le loup, le renard, quant à lui, est capable de reconnaître les pièges qui lui sont tendus et qui peuvent faire de lui la proie de son ennemi. Si l'association du prince au lion, quelque peu traditionnelle, ne choque pas tellement (car communément le lion, appelé le roi de la forêt, symbolise la force, l'autorité) cependant, l'association du prince au renard reste moins convenue et symbolise la ruse, la tournure d'esprit qui est moralement ambiguë.

Si le prince bon doit de temps à l'autre se comporter comme un lion, cela ne va pas sans évoquer les situations tragiques qui susciteraient en lui un tel comportement d'exception. Car un prince doit être à mesure de se laisser aller selon que le vent de la fortune lui inspirerait la meilleure façon de se conserver en même temps que le patrimoine de l'Etat. La ruse est portée à sa forme extrême dans l'infidélité à la parole donnée, mais une infidélité toujours dissimulée. En cela, toute promesse faite ne tient qu'à consolider le projet entrepris : sauver et conserver l'Etat. « Le sage Seigneur ne peut garder sa foi si cette observance lui tourne à rebours, et que les causes qui l'ont induit à promettre soient éteintes » . La ruse peut permettre d'arriver à la « meilleure fin » mais s'il ne doit donc faire aucun doute pour le prince que la fin justifie le moyen, une telle vérité ne peut pas être divulguée sans fard (pour la bienveillance du paraître qui est une fois de plus, une exaltation de la ruse).

2.2. Justification du recours à la ruse.

La ruse semble contribuer d'une manière ou d'une autre à la conservation du pouvoir du prince. Dans un monde où tous les hommes sont, comme l'affirme Machiavel (sans hésitation) « ingrats, changeants, dissimulés, ennemis du danger, avides de gagner » , le prince n'a pas à compter sur la loyauté de ses sujets. Les hommes sont comme enchaînés par le flux de leurs intérêts égoïstes. Consciemment ou inconsciemment, ils baignent dans la lâcheté. Ils sont susceptibles d'une inconstance dans la prise de position.

Aussi, deviennent-ils incapables de pactiser jusqu'au moment suprême de leur vie. C'est au prince de prendre des précautions à cet égard. Il n'a pas à attendre « d'avoir été trompé pour tromper ». La ruse est l'une des tactiques, des stratégies propices à l'efficacité de l'acte politique. La ruse en politique pourrait conduire donc à la meilleure fin, à la réalisation de la stabilité et de la perpétuation de la chose publique.

CHAPITRE.III:

FONDEMENT DE L'EFFICACITE POLITIQUE.

1. L'homme, le politique et la nécessité d'Etat.

Le projet entrepris par le politique machiavélien peut se résumer en un seul propos: la nécessité d'Etat. Par conséquent, le politique comme tout bon conducteur doit emmener son entreprise vers la fin politique attendue de tout le peuple : conserver l'Etat. La nécessité d'Etat exige une bonne dose d'efficacité politique. Cependant, l'efficacité politique demeure un objet de désir dont la réalisation doit se concrétiser à travers chaque action utile des acteurs politiques.

1.1 L'homme.

La conception de l'homme chez Machiavel prend forme dans un contexte où se déploie le vrai sens de son réalisme politique. En s'éloignant de toute utopie politique, Machiavel arrive à une connaissance approfondie de l'essence de l'homme. En outre, la conception de l'homme qui se profile derrière la pensée de machiavel reste, comme d'ailleurs la plus part de ses affirmations, le fruit de ses nombreuses lectures des anciens. Au départ de toutes réflexions politiques, les hommes sont à supposer d'avance, méchants.

En effet, l'homme chez Machiavel est toujours prêt à faire preuve de sa méchanceté. Si jamais il venait d'en manquer, cela se justifierait par le manque d'occasion à sa portée. Il faudrait donc s'y attendre avec le temps qui semble être « le père de toute vérité ». La méchanceté de l'homme est tellement avide si bien que s'il s'acharnait sur une victime, il la pourchasserait au point de ne plus apercevoir l'ennemi qui lui tend piège pour l'anéantir. Ainsi se révèle l'insatiabilité du désir humain. Le paradoxe du désir et celui du pouvoir d'acquisition en l'homme, le plonge dans un profond mécontentement, où il semble n'être plus habité que par le dégoût qui « lui fait blâmer le présent, louer le passé, désirer l'avenir, et tout cela sans aucun motif raisonnable » .

Aussi, pense Machiavel, les hommes « oublient plus tôt la mort de leur père que la perte de leur patrimoine » . Pour lui, les hommes tiennent fortement au respect de leur être et de leurs avoirs. Une vision qui exhume le caractère des hommes qui s'attachent à l'inessentiel. Cependant, l'on ne doit pas oublier que l'homme est tout d'abord un être de raisonnement. Au fondement de son expérience, l'homme est aussi celui qui sait distinguer l'essentiel de ce qui est superflu. Aussi pensons-nous, qu'au-delà d'une lecture de l'homme faite sans complaisance, Machiavel croit en la capacité humaine de gérer, avec efficacité, les affaires d'Etat. Malgré cela, un prince expérimenté doit savoir que d'une offense réitérée à l'égard de ses sujets et de leurs biens ne peut que résulter (tôt ou tard) haine et trahison. Voilà deux choses qui ne contribuent guère à l'idée de la conservation d'Etat.

Toutefois, sa vision quelque peu généraliste de l'homme, s'avère être équilibrée et même réaliste en ce qu'il reconnaît que: « Les hommes ne savent être ni tout bons ni tout mauvais ; jamais il n'arrive qu'un capitaine, après la victoire, veuille quitter l'armée, puisse s'effacer avec modestie ou sache embrasser les partis violents qui comportent quelque honneur ; toujours il tergiverse, et ses tergiversations même le font écraser » . Machiavel ne voulait pas offrir un discours achevé dans son appréciation de l'homme. C'est à juste titre, qu'il invite de saisir l'homme dans sa réalité où celui-ci se caractérise par un embarras de choix.

1.2. Le politique.

Le politique machiavélien doit se caractériser non seulement par son désir du conquérant mais aussi par sa force d'action. Si du désir de conquérant doit lui revenir honneur (grâce à son audace presque invincible), alors sa force le transporte sans cesse au-dessus des petites vertus et lui imprime le caractère indéniable de grands hommes politiques capables d'initiative. Que le politique soit naturellement porté par le désir de conquérir, cela est tout à fait ordinaire. Seule l'attitude contraire (qui se manifeste parfois par l'extrême violence soit par une miséricorde et une tolérance démesurées) mériterait alors blâme. Le politique ici doit se distinguer par son sens de la mesure.

C'est surtout dans l'hardiesse que le politique machiavélien est appelé à lutter contre les caprices de la fortune dont la manie est de réagir à la manière d'une femme ; cédant ainsi à la brutalité de jeunes gens qui la traitent avec moins de respect et plus de férocité. Le politique machiavélien devra se laisser cultiver par l'esprit de la grandeur. Car, la fortune semble être inoffensive aux grands hommes. La fermeté de leur esprit les rend moins vulnérables à l'inconstance de la fortune. Toujours tourné vers la quête de l'intérêt commun, le politique doit employer toute son industrie pour attirer à lui tout le pouvoir.

En effet, la sagesse exige qu'on ne condamne pas celui qui a usé d'un moyen hors de lois communes pour ordonner une monarchie ou fonder un Etat : « Ce qui est à désirer, c'est que si le fait l'accuse, le résultat l'excuse ; si le résultat est bon, il est acquitté ; tel est le cas de Romulus. Ce n'est pas la violence qui restaure, mais la violence qui ruine qu'il faut condamner » . Le politique doit se complaire dans la doctrine de bons effets. Selon la logique de l'efficacité, la violence du politique s'écarte du caractère fatal que l'on rattache communément aux passions naturelles.

A entendre Marie-Claire Lepape, elle est tout d'abord une violence restauratrice, elle constitue la réponse de la volonté humaine aux violences de la fortune. C'est finalement lorsqu'on s'est initié à l'école de la virtù que l'on devient petit à petit « un bon politique » . Le politique qui se conservera dans son Etat, c'est celui qui non seulement a la capacité d'être bon mais aussi de ne faire preuve de sa bonté que si, celle-ci l'aide à réaliser le but qu'il poursuit. Sans quoi, l'on doit se garder de toute bonté mal éclairée. Le politique doit, si non par peur de s'éteindre soi-même, du moins par la nécessité d'Etat, marcher contre quelques évidences morales classiques. Le rang social et la fonction que recouvre un politique le rendent déjà redoutable de certains de ses sujets.

Cependant, le politique machiavélien n'est pas à élever au rang de surhomme. Aussi, a-t-il besoin de partager sa vie avec les autres (ses sujets, amis et collègues). Toute la question, c'est de savoir quelle est la meilleure des attitudes que le politique doit adopter dans ses rapports. Autrement dit, quel est le sentiment qui doit accompagner ses relations ? Est-ce celui d'être aimé ou craint ? Devant cet embarras de choix, Machiavel conseille au politique d'être à la fois aimé et craint. Une suggestion qui est trop difficile à réaliser. Car, il n'est pas aisé d'être aimé et se faire craindre en même temps. Ce sont là deux attitudes qu'il n'est pas toujours commode de concilier dans la pratique. Le don de susciter à ses sujets une intensité presque égale d'amour et de crainte reste un caractère politique qui n'est pas donné à tout politique.

Puisqu'il parait difficile de marier ces deux tendances, Machiavel ajoute et précise qu'« il est beaucoup plus sûr de se faire craindre qu'aimer, s'il faut qu'il y ait seulement l'un des deux » . Il vaut mieux pour un politique d'être craint qu'aimé. On nuit moins à un homme redoutable qu'à celui qui se fait aimer. Une chose est d'être aimé, une autre c'est d'être aimé d'un véritable amour. Il est bon que le politique soit craint plutôt que d'être haï ou aimé d'un amour versatile. Le politique chez Machiavel est comme cet opportuniste dont seul l'exercice de la vertu doit orienter l'efficacité de l'action.

La sagesse lui est naturelle car la bonne action de son industrie ne peut en aucun cas trouver son fondement de bons cerveaux qui l'entourent. Voilà pourquoi Machiavel dit : « Cette règle générale n'est jamais en défaut, qu'un prince, s'il n'est sage de soi-même, ne saurait être bien conseillé, à moins que d'aventure il ne se repose et remette entièrement sur un seul qui le gouverne en tout, et que celui-là soit homme fort sage » . La fameuse réputation qui plane sur la cour royale ne se fonde que sur la sagesse du prince. Car le prince a l'obligation de refléter à travers la bonne gouvernance de ses ministres et sujets.

1.3. La nécessité d'Etat.

La notion de la nécessité d'Etat exprime en premier lieu, cette indépendance de l'Etat qui est source de ses propres règles de conduite. Elle traduit l'idée qu'en situation d'exception se justifie une suspension des règles communes et, par conséquent, qu'il faut distinguer ce qui relève de l'éthique de ce qui relève de la politique. C'est ce que nous avons essayé de démontrer au chapitre précédent. Dans la notion de la nécessité d'Etat, repose et se justifie la validité même du sujet développé autour de cette question. Lors- que la nécessité d'Etat s'impose, aucune violence du politique ne peut encore être conçue comme préjudiciable.

La nécessité d'Etat se veut suprême et même universelle. Elle contribue non seulement au bien être individuel, d'un groupe des gens mais aussi de l'humanité entière. Elle sublime en raison toute violence égoïste qui agite et perturbe l'ordre public. Si le concept de nécessité d'Etat a vu le jour dans la renaissance italienne, l'on retiendra cependant que l'idée qu'il profile derrière lui, n'est pas du tout nouvelle. Car, Platon le soulignait déjà: « Le mensonge est utile aux hommes, comme une espèce de pharmakon dont l'emploi doit être réservé aux médecins et interdit aux profanes. C'est donc aux gouvernants de l'État qu'il appartient de tromper les ennemis et les citoyens dans l'intérêt de l'État et personne d'autre n'y doit toucher » . C'est donc en ces mots que le sage Platon osait véhiculer la subtilité de l'art politique pensé et repensé aujourd'hui comme indépendant de toutes actions moralement orientées.

En effet, la métaphore du pharmakon employée ici ne se comprend qu'en relation avec ce que Machiavel écrit au chapitre XVIIIè, lors qu'il met à nu ce qu'autrefois la tradition ne pouvait mettre à la lumière du jour : « cette règle fut enseignée aux princes en paroles voilées par les anciens auteurs qui écrivaient comme Achille et plusieurs autres de ces grands seigneurs du temps passé furent donnés à élever au Centaure Chiron pour les instruire sous sa discipline » . Les écrits de Platon sont justement à classer parmi les tant d'autres dont parle Machiavel. En effet, de même que le secret de l'usage du pharmakon (qui est un remède et un poison) doit être gardé aux seuls hommes de l'art dont les médecins, de même il revient aux seuls responsables politiques, donc au gouvernement, de sauvegarder à tout prix la nécessité, (l'existence première, la vie, la bonne marche et la quiétude) d'Etat. La nécessité d'Etat s'inscrit dans la logique du salut public et s'oppose contre toute tendance égoïste du pouvoir.

La nécessité d'Etat ne peut se réclamer que de celui qui en a la légitimité, le cas échéant, de l'homme politique suprême. « Aussi est-il nécessaire au prince qui se veut conserver, qu'il apprenne à pouvoir n'être pas bon, et d'en user ou n'user pas selon la nécessité » . La nécessité dont il est question ici, c'est donc ce mouvement hasardeux de l'histoire de l'ordre au désordre, et du désordre à l'ordre, ces inéluctables révolutions du monde qui contraignent le prince bon à des mesures d'exception. L'on s'aperçoit combien, dans le combat politique, la loi de la fortune ne cesse de revenir au galop. C'est donc en cela que consiste la nécessité, cette matière à laquelle le prince doit donner la forme adéquate grâce à la vertu politique. Le prince a ainsi un devoir d'oeuvrer pour l'équilibre politique de son Etat.






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