UNIVERSITE DE GENEVE
ANNEE ACADEMIQUE 2005-2006
------------------------------------
FACULTE DE DROIT
CERTIFICAT DE FORMATION CONTINUE
EN
DROITS DE L'HOMME
MEMOIRE
THEME
LA JUSTICE TRANSITIONNELLE AU BURKINA FASO,
ORIGINALITE OU PIS-ALLER ?
AUTEUR :
DIRECTION :
ZOMBRE L. W. Pascal
Prof. M. Hottelier
Décembre 2006
AVERTISSEMENT
Le présent mémoire ne reflète
ni le point de vue du gouvernement burkinabé, ni celui de l'institution
judiciaire, ni encore moins celui des structures qui ont donné
accès à leur documentation au nom de la recherche scientifique.
Les opinions émises dans ce mémoire doivent être
considérées comme propres à son auteur.
DEDICACE
Au Professeur Joseph KI-ZERBO qui, toute sa vie
durant, a lutté pour la dignité de l'Africain, que la terre de
ses ancêtres lui soit légère !
TABLES DES ABREVIATIONS ET
DES SIGLES
Al. : Alinéa
ANEB : Association National des Etudiants
Burkinabé
Art. : Article
CDP : Congrès pour la
Démocratie et le Progrès
CDR : Comité de Défense de la
Révolution
Chap. : Chapitre
CMRPN : Comité Militaire de
Redressement pour le Progrès National
CMOR-CRN : Comité de Mise en Oeuvre des
Recommandations de la Commission
Pour la Réconciliation
Nationale
CNR : Comité National de la
Révolution
CODMPP : Collectif des Organisations
Démocratiques de Masse et des Partis Politiques
CRN : Commission Pour la
Réconciliation Nationale
CSP : Comité de Salut du Peuple
DH : Développement Humain
Ed. : Edition
INSD : Institut National de la Statistique
et de la Démographie
JNP : Journée Nationale du Pardon
MBDHP : Mouvement Burkinabé des
Droits de l'Homme et des Peuples
ODP/MT : Organisation pour la
Démocratie et le Progrès/Mouvement du Travail
P. : Page
PAREN : Parti de la Renaissance Nationale
PC-PANRJ : Plan de Consolidation du Plan
National pour la Réforme de la Justice
PM : Premier Ministère
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
PRES : Présidence
S.E : Son Excellence
Sect. : Section
TPR : Tribunal populaire de la
Révolution
V. : Voir
§ : Paragraphe
TABLE DES MATIERES
AVERTISSEMENT
2
DEDICACE
3
TABLES DES ABREVIATIONS ET DES SIGLES
4
TABLE DES MATIERES
6
INTRODUCTION 7
Première partie : La recherche
de la vérité
10
Chapitre I : L'initiative de la
recherche de la vérité
11
Section 1 : Une soif de justice
générale
11
§ 1- Un besoin
individuel....................................................................11
§ 2- Un besoin
collectif......................................................................12
Section 2 : Une décision politique
13
Chapitre II : L'objet et le contenu de
la recherche de la vérité
14
Section 1 : L'objet de la recherche
14
§ 1 - Des violations continues des droits de
l'homme
14
§ 2 - De la loi du silence
16
Section 2 : Le contenu de la recherche
16
§ 1 -Du recensement des crimes 17
A- Les crimes ayant entraîné des
pertes en vies humaines............................18
B- Les crimes ayant entraîné des
préjudices divers....................................19
§ 2 - Du recensement des victimes et leur
ayants droit 19
A- La situation des personnes disparues 20
B- La localisation et ou l'identification des tombes
21
Chapitre III : Les organes
chargés de la recherche
21
Section 1 : - Les organes
indépendants
21
§ 1 - Des commissions d'enquête
21
§ 2 - Du Collège de Sages
22
Section 2 : Les organes
semi-indépendants
24
§ 1 - De la Commission pour la
Réconciliation Nationale (CRN)
25
§ 2 - Du comité de Mise en Oeuvre des
Recommandations de la CRN 25
Deuxième partie : Le pardon
27
Chapitre I : Les fondements du
pardon 28
Section 1 : La recherche de la paix
sociale 28
Section 2 : La réconciliation
nationale 29
Chapitre II : les acteurs du
pardon
30
Section 1 : Les auteurs de crimes
30
§ 1 - Des auteurs militaires
30
§ 2 - Des auteurs civils
31
Section 2 : Les victimes 31
§ 1 - Des victimes Individuels
31
§ 2 - Du peuple 32
Chapitre III : La journée
nationale du pardon (JNP) 33
Section 1 : L'esprit de la JNP 33
§ 1 - De la responsabilité devant
l'histoire 33
§2 - De la demander pardon 35
Section 2 : La portée de la JNP
36
§ 1 - Une initiative louable 36
§ 2 - Une divergence de procédure
37
Troisième partie : Les
réparations 38
Chapitre I : Les fondement des
réparations 39
Section 1 : La reconnaîssance d'un
tort 39
Section 2 : La réparation du tort
40
Chapitre II : Les objectifs des
réparations 41
Section 1 : La dimension morale 41
Section 2 : La dimension politique et socio-
économique 41
§ 1- De la dimension politique 42
§ 2-De la dimension
socio-économique 42
Section 3 : Ls limites 44
§ 1 - Des imites
objectives..................................................................44
§ 2 - Des imites subjectives 45
Conclusion
46
Bibliographie
49
INTRODUCTION
Le Burkina Faso, ex Haute -Volta
est un pays situé au coeur de l'Afrique de l'ouest. D'une superficie de
274000 kilomètres carrés, sa population est estimée
à 13 millions d'habitants1(*).
On y dénombre une soixantaine d'ethnies vivant dans une parfaite
harmonie et usant à merveille de la parenté à
plaisanterie2(*). La population
bukinabé est reconnue comme étant travailleuse et
disciplinée. Les burkinabés vont, à partir des
années 60, faire l'expérience de tous les régimes3(*) qui ont marqué le 20ème
siècle.
Le Burkina Faso a la
réputation d'être un pays politiquement et socialement stable en
Afrique occidentale. Cette stabilité a été
sérieusement remise en cause par un événement macabre
qu'il est convenu d'appeler le drame de Sapouy4(*). En effet, le 13 décembre 1998, Norbert ZONGO,
directeur de publication de l'hebdomadaire
« L'Indépendant », ainsi que trois de ses
compagnons, parmi lesquels son frère, ont été
retrouvés carbonisée dans leur véhicule.
Le drame de Sapouy a créé une onde de choc
provoquant la rupture de confiance et le déficit de dialogue entre les
acteurs politiques et les populations d'une part et d'autre part, entre le
gouvernement et l'opposition. Ce crime rallongeait une liste déjà
longue de crimes non élucidés qui endeuillaient des familles et
dégradaient le climat politique. S'agit-il d'un crime politique ?
Des doigts accusateurs pointaient le pouvoir en place. Dans un élan de
désapprobation et de colère généralisées,
les populations, particulièrement la jeunesse, ont manifesté leur
mécontentement sur la quasi totalité du territoire national,
à travers des marches de protestation accompagnées de
destructions de biens publics et privés. Tout ce qui symbolisait l'Etat
et le parti au pouvoir5(*)
faisait l'objet d'attaques et de destructions systématiques lors des
manifestations de protestation. Les organisations des droits de l'homme ainsi
que les partis politiques de l'opposition se sont regroupés en Collectif
des Organisations Démocratiques de Masses et des Partis Politiques
(CODMPP) pour demander au gouvernement toute la lumière et la justice
dans ce qu'ils ont appelé « l'affaire Norbert
ZONGO ». D'un commun accord ils vont soumettre au gouvernement une
plate-forme revendicative dans laquelle, ils appelaient de tous leurs voeux la
création d'une commission d'enquête indépendante.
Désormais, la lutte était
récupérée par le collectif qui allait l'endosser pour le
compte et au nom des protestataires. Celui-ci allait s'ériger en seul
interlocuteur face au gouvernement. Cette situation de violence
généralisée ne pouvait perdurer car, il venait non
seulement ternir l'image et la réputation du pays, mais affectait
sérieusement le fonctionnement des institutions républicaines. De
ce fait, le gouvernement ne pouvait rester insensible à une crise aussi
majeure qui, en quelque mois, menaçait sérieusement la
stabilité politique et sociale du pays.
Pour apaiser la tension, le chef de l'Etat, le 21 mai 1999,
montait au créneau et adressait, cinq mois après le drame, un
message6(*) d'apaisement
à la population ; message dans lequel il reconnaissait que le
Burkina Faso traversait une crise majeure qui mettait à rude
épreuve la cohésion sociale. En outre, il reconnaissait la
légitimité des questionnements auxquels étaient
confrontés ses concitoyens et des réponses pertinentes qu'ils
étaient en droit d'en attendre. Par ailleurs, il rassurait ses
concitoyens par le fait que le gouvernement prendrait toutes les mesures utiles
afin que les personnes concernées par le drame puissent
répondrent de leurs faits devant la justice.
Enfin, le chef de l'Etat affirmait avoir pris acte des
attentes fortes et fondées de ses concitoyens relativement à
d'autres crimes impunis, à la réconciliation des coeurs et
à la consolidation de la paix sociale dans le pays. A cet effet, le chef
de l'Etat burkinabé avait décidé d'instituer le
Collège des sages.
L'institution du Collège des Sages était un
désaveu implicite de la justice institutionnelle,
révélant ainsi son impuissance à faire face à un
passif criminel et un passé parsemé d'impunité que la
crise de Sapouy avait contribué à
révéler. Cette justice en dysharmonie avec son peuple
était décriée et mise en accusation.
En effet, les burkinabé ont toujours reproché
à leur justice d'être partisane, sévère à
l'égard des plus faibles et complaisante à l'endroit des plus
forts7(*). Le Mouvement
Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples (MBDHP8(*)) faisait état dans un de
ses rapports9(*), d'une
justice dont l'indépendance est tributaire de nombreux problèmes
politiques, matériels, humains, textuels etc. et justifiait son
discrédit par ses errements au cours de l'histoire10(*). En effet, la
parenthèse révolutionnaire, dans l'histoire politique du Burkina
Faso, a fragilisé à l'extrême l'appareil judiciaire avec
l'institution des Tribunaux Populaires de la Révolution (TPR) où
magistrats et les Comités de Défense de la Révolution
(CDR) siégeaient pour rendre une justice révolutionnaire. En
outre, cette période a été marquée par la forte
politisation de l'institution avec un bouleversement total de la
hiérarchie dans le corps, l'introduction d'une procédure
révolutionnaire11(*) et l'apparition d'acteurs politiques magistrats.
Toutes choses ayant contribué à créer une méfiance
des citoyens vis-à-vis de l'institution. L'avènement de la
quatrième République en 1991, où les acteurs politiques du
passé, toutes tendances confondues, par un jeu de recomposition
inimaginable se sont retrouvés soit au pouvoir, soit dans l'opposition,
n'avait pas été d'un grand secours pour l'institution judiciaire
dont la situation n'avait pas évoluée pour autant.
Le Président du
Faso, dans son programme pour un développement solidaire12(*) disait à propos de la
justice : « en raison du rôle central de la justice dans
tout système de gouvernance et en matière de
développement, je ferai de la réforme de notre système
judiciaire un grand chantier. Notre justice doit changer en profondeur et
offrir les garanties de sûreté nécessaires à tout
citoyen et à tout investisseur intéressé par notre
pays »13(*).
Une justice en crise, pouvait-elle répondre aux
attentes des burkinabés par rapport à une situation de crise dont
elle même n'est pas étrangère ? Victime ou
acteur ?
L'institution d'organes chargés de rechercher la
vérité sur les nombreux crimes commis durant quarante
années est une des preuves palpables de la mise à l'écart
de la justice (première partie). En outre l'institution
du pardon comme un mécanisme de règlement des conflits
sociopolitiques, en est une autre preuve (deuxième
partie). Enfin, les réparations accordées aux victimes
de violences en politique, au terme d'un processus de reconnaissance de leur
statut par une voie non judiciaire achèvent de convaincre de cette
situation de mise à l'écart (troisième
partie).
Spéculer sur la justice transitionnelle au Burkina Faso
représente un double intérêt que les développements
subséquents s'efforceront de faire ressortir.
Le premier intérêt réside dans la
spécificité du processus de réconciliation nationale tel
qu'il s'est opéré au Burkina Faso. S'agit-il d'une innovation ou
d'une caricature de cette forme particulière de justice qu'est la
justice transitionnelle ?
Cette spéculation, vise également à poser
la problématique de l'efficacité d'un tel processus comme
mécanisme de résolution des conflits sociopolitiques.
Il est peut-être prématuré de se prononcer
sur le processus entamé au Burkina Faso en vue d'épurer le
passé de toutes les violations des droits de l'homme constituées
par les crimes et délits divers. En somme, la spéculation est
sans plus, qu'une tentative visant à analyser une expérience
burkinabé semblable à d'autres, mais qui n'en conserve pas moins
son originalité.
Première partie : La
recherche de la vérité
Lors des manifestations consécutives au drame de
Sapouy, les manifestants exigeaient tout d'abord que la vérité
soit faite. Au fil des mois, cette revendication relative à la recherche
de la vérité allait subir des mutations et prendre des
proportions insoupçonnées. Le Collège des Sages, dans son
rapport, faisait l'analyse suivante : « La crise actuelle que
notre pays traverse depuis quelques mois est réelle et profonde. Elle
n'est pas que conjoncturelle ; elle est structurelle. Elle s'étend
à tous les secteurs de la vie nationale et touche toutes les couches de
la population. Elle se manifeste dans le domaine social et culturel, politique
et administratif, économique et enfin au niveau éthique. Les
tragiques évènements récents, notamment le drame intervenu
le 13 décembre 1998 à Sapouy, n'en ont été que le
détonateur. »14(*) Est-ce une question d'opportunité politique ou
une volonté d'en finir avec un passé qui présente un lourd
passif en matière de violation des droits de l'homme ? Toujours
est-il que les revendications vont conduire à l'examen des crimes
impunis de 1960 à 2000. Dès lors, il convient de s'interroger sur
l'initiative d'une telle recherche de la vérité (chap. I),
l'objet et le contenu de cette recherche (chap. II) et enfin, les organes
chargés de la recherche de la vérité (chap. III).
Chapitre I : L'initiative de
la recherche de la vérité
Il faut rappeler qu la recherche de la vérité
concerne tous les crimes impunis depuis quarante années soit de 1960
à 2000.
Au Burkina Faso, l'initiative des poursuites, en
matière pénale, appartient concurremment au Procureur du
Faso15(*) et à la
victime selon les cas16(*). En outre, le procureur et la victime ne peuvent
indéfiniment poursuivre les auteurs d'un crime, d'un délit ou
d'une contravention au nom du principe de la prescription des infractions.
Ainsi, un crime se prescrit en dix (10) ans, un délit
en trois (03) ans et une contravention en un (01) an17(*). Cette recherche de
vérité ne peut se faire qu'en la violation de tous ces principes
contenus dans le code de procédure pénale et le code
pénal. Cela se justifie aussi bien par une soif
généralisée de justice que par une volonté
politique manifeste.
Section 1 : Une soif
de justice générale
Le drame de Sapouy a été l'élément
déclencheur d'une quête de justice jamais égalée au
Burkina faso. Cette quête a été un besoin individuel
(§.1) de chaque citoyen burkinabé avant d'être un besoin
collectif (§. 2).
§ 1 - Un besoin individuel
L'article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme et l'article 7 de la Charte Africaine des Droits de L'Homme et des
Peuples réaffirment le principe du recours effectif devant les
juridictions nationales compétentes, pour toute personne, contre les
actes qui violent les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la
Constitution ou par la loi. L'article 4 alinéa 1 de la Constitution
burkinabé18(*)
consacre ce même principe et reconnaît, à tous les
burkinabés, le droit à ce que leur cause soit entendue par la
juridiction compétente.
Dans l'analyse des principales causes de la crise de Sapouy,
le Collège des Sages a stigmatisé entre autres :
- l'absence de justice sociale se traduisant par
l'inégalité dans la répartition des ressources nationales
et des revenus en même temps qu'une concentration de plus en plus
croissante des richesses entre les mains d'une minorité ;
- les frustrations et les rancoeurs dues à
l'accumulation des problèmes non résolus (disparitions,
assassinats non élucidés, tortures, carrières
arbitrairement brisées, caractère unilatéral des
décisions de ceux qui assument le pouvoir, même pour des questions
d'intérêt national) ;
- la limitation des réhabilitations à leur
dimension purement administrative et financière, de surcroît
parfois incomplètes et pour lesquelles, personne n'assume la faute de la
sanction arbitraire, ni ne demande pardon ;
- la non satisfaction des exigences socioculturelles à
l'endroit de certaines victimes des violences politiques (morts dont on ignore
jusqu'à la tombe et disparus dont la mort n'a jamais été
officiellement reconnue) ;
- la précarité de la sécurité des
personnes et des biens (coupeurs de route, grand banditisme, vandalisme,
milices privées, abus de pouvoir et d'autorité) ;
- l'injustice (justice à deux vitesses et
inégalité des citoyens devant la loi) et la culture de
l'impunité (transgression consciente des lois avec le sentiment qu'on
ne sera pas sanctionné).
Cette analyse du Collège des Sages laisse donc
percevoir qu'au Burkina Faso, le citoyen n'a pas toujours jouit du droit
d'ester en justice à lui reconnus par la Constitution et par les
instruments internationaux pour la satisfaction de ses droits ou pour faire
sanctionner les violations y relatives. En outre, la loi n'a pas toujours
été protectrice des plus faibles ; au lieu de les
protéger, elle a parfois contribué à les exposer à
certains abus (arrestations et détentions arbitraires, exécutions
extrajudiciaires)19(*). Au
delà des individus personnes physiques, les violations dont il s'agit
ont eu un impact sur l'ensemble des citoyens burkinabé.
§ 2 -Un besoin collectif
La soif de justice s'est révélée
être également une soif collective. Elle était la
résultante de toutes les soifs individuelles et il ne s'agissait pas
d'individus isolés, appartenant à des minorités ethnique,
raciale ou socioprofessionnelle, victimes d'une violation particulière
d'un droit à caractère collectif, mais d'individus citoyens. Et
comme l'a reconnu le chef de l'Etat burkinabé dans son adresse à
la Nation du 21 mai 1999 : « les problèmes sociaux, les
contentieux politiques, les dysfonctionnements administratifs, la modernisation
des institutions républicaines, la recomposition de la scène
politique, voilà autant de points sur lesquels, vous attendiez des
réponses pertinentes à la mesure de vos aspirations
profondes ».
En effet, les questions de justice sociale, économique
et politique faisaient partie avec acuité des aspirations des
burkinabés et plus que ces questions, celles relatives à la
justice tout simplement étaient urgentes eu égard à la
déliquescence du climat social et politique.
Cette analyse menée par le chef de l'Etat l'a
été au bout de plusieurs mois de crise où les populations,
à travers marches, meetings, sit-in et affrontements avec les forces de
l'ordre et diverses atteintes aux biens publics et privés, exprimaient
leur mécontentement. Dès lors, il devenait urgent, de prendre une
décision politique qui apaise les esprits et fasse baisser la tension
sociale.
Section 2 : Une
décision politique
La volonté politique de parvenir à une
réconciliation nationale était perceptible de par le
passé. L'acte majeur a été l'ouverture, le 11
février 1991, d'un forum de réconciliation nationale.
Malheureusement, l'atmosphère électrique des débuts du
forum a conduit à sa suspension. Cela s'expliquerait par le fait qu'au
Burkina Faso, les acteurs politiques d'hier sont aujourd'hui au pouvoir ou dans
l'opposition ; toutes choses rendant difficilement crédible la
volonté des uns et des autres à faire la lumière sur un
passé dont ils restent comptables. Le président Blaise COMPAORE
est conscient de cette difficulté lorsqu'il affirme:
« L'accélération de l'histoire fait défiler les
évènements à une allure telle que la maîtrise par
l'homme des faits devient impossible, rendant celui-ci artisan de situations
non désirées. Les instants tragiques que nous avons vécus,
le 15 octobre courant, font partie de ces types d'événements
exceptionnels que nous fournit souvent l'histoire des
peuples. »20(*)
Le 21 mai 1999, à l'occasion de son message à
la Nation, du Président du Faso réaffirmait une fois de plus sa
volonté politique d'élucider les crimes présents et
passés ; le tout, dans le souci de préserver la paix
sociale, de rétablir la confiance dans les institutions, de renforcer la
foi des burkinabé dans le dialogue et la concertation. Il faut dire que
cette décision fait suite à des pressions exercées
à tort ou à raison par des groupes de pressions dont le plus
emblématique est le Collectif des Organisations Démocratiques de
Masse et des Parties Politiques.
En tout état de cause, l'objet et le contenu de la
recherche de la vérité, pour lesquels les burkinabé
semblent être unanimes, restaient à préciser.
Chapitre II : L'objet et le
contenu de la recherche de la vérité
L'objet de la recherche porte sur quarante années
d'histoire et son contenu, sur la vérité concernant ces
années. Mais alors, de quelle histoire et de quelle vérité
s'agit-il ?
Section 1 : L'objet de
la recherche de la vérité
Les revendications des burkinabé se résument
essentiellement à la soif de justice qui est une question fondamentale
dans tout Etat de droit, démocratique et moderne. Cette question a
toujours été récurrente dans tous les régimes qui
se sont succédés au sein de l'Etat et surtout pendant les
régimes d'exception qui, au regard de l'histoire détiennent la
palme d'or en matière de violations des droits de l'homme. Si au cours
de la quatrième République, la crise a été
profonde, nul doute qu'elle est l'aboutissement de quarante années de
violations continues des droits de l'homme (§. 1), période pendant
laquelle le silence était le maître mot (§. 2).
§ 1 -Des violations continues
des droits de l'homme
La question que l'on pourrait se poser légitimement est
la suivante : pourquoi élargir les investigations sur des
violations de quarante années, alors que les revendications
sociopolitiques tendaient à les circonscrire à la période
de règne du président COMPAORE qui s'étale du 15 octobre
1987 à nos jours ?
Les crimes de sang décriés de même que les
mesures de toute nature contestées par le collectif dans sa plate-forme
revendicative21(*) en sept
points, relèvent de cette période. En outre, il ressort du
rapport du Collège des Sages22(*), que le premier assassinat politique de l'histoire
politique est intervenu en 1982 et la victime était le
Lieutenant-colonel de gendarmerie NEZIEN Badembié Pièrre
Claver.
De 1960, année d'accession à
l'indépendance politique et à la souveraineté de l'ex
Haute volta (aujourd'hui Burkina Faso) à nos jours, les analystes et
observateurs de la scène politique burkinabé sont unanimes
à reconnaître que la violence s'est souvent érigée
en mode de gouvernement, sinon qu'elle constituait le mode de gouvernance de
certains régimes. Si le régime du Président du Faso Blaise
COMPAORE (Front populaire et quatrième république) est comptable
de crimes importants et cela, eu égard à leur nombre et à
leur célébrité, il n'en demeure pas moins que les autres
régimes en ont commis. Cependant l'ambiguïté du choix de la
période, objet de la recherche de vérité, réside en
ce que, au Burkina Faso, les régimes qui se sont succédés
de 1960 à nos jours sont des régimes
hétérogènes, où les acteurs d'hier sont les
opposants d'aujourd'hui, où chaque coup d'Etat en annonçait un
autre où enfin, les acteurs civils de la vie politique avaient
fréquemment recours aux forces armées nationales pour la
conquête et l'exercice du pouvoir. Ainsi, l'histoire révèle
que la première République du Président Maurice YAMEOGO
(1960-1966), marquée par un fort ancrage à droite, a
été remerciée par les populations qui se
soulevèrent le 03 janvier 1966 et appelèrent l'armée au
pouvoir.
Les régimes d'exception du Président
Sangoulé LAMIZANA (de 1966 à 1970 et de 1974 à 1978) ainsi
que la deuxième République (1970-1974) ont imprimé au pays
une politique fluctuant entre la droite classique et le centre droit suivant
les dosages que les circonstances du moment dictaient.
De 1980 à 1982, avec l'avènement du
Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National (CMRPN)
du colonel Saye ZERBO, le Burkina Faso connaîtra un fléchissement
gauchissant avec une forte poussée socialiste. Fait marquant de cette
période, les clivages idéologiques jusque là contenus dans
les milieux civils, gagneront les rangs de l'armée, exacerbant le
conflit de génération entre les aînés et les jeunes
officiers qui en découdront par les armes.
De 1982 à 1983, sous le Conseil du Salut du peuple
(CSP) du commandant Jean Baptiste OUEDRAOGO, la Haute-Volta sera
gouvernée par un mélange explosif de patriotes progressistes et
de communistes révolutionnaires. Le clivage idéologique sera
porté à son paroxysme et très vite la rhétorique
révolutionnaire l'emportera, imposant de ce fait une lutte des classes
sans précédent.
De 1983 à 1987, le Capitaine Thomas SANKARA et l'aile
communiste du Conseil du Salut du Peuple imposeront une révolution sous
la conduite du Conseil National de la Révolution (CNR). La Haute-Volta
deviendra Burkina Faso. Ce régime cultivera une vision
manichéenne de la société voltaïque puis
burkinabé avec d'un côté, les bons et de l'autre, les
mauvais publiquement déclarés ennemis du peuple ; les
premiers devant absolument éliminer les seconds. La violence du discours
et la culture de la terreur prendront leur fondement sous ce régime.
De 1987 à 1991, le Front populaire du capitaine Blaise
COMPAORE tentera d'humaniser la révolution. Le Burkina Faso reviendra
alors à un régime progressiste nationaliste, mais toujours avec
sur toile de fond, la persistance de la terreur et de la violence.
Avec la chute du mur de Berlin, et la démocratisation
imposée lors de la conférence de la Baule par François
MITTERAND (1990), la 4ème République (depuis 1992)
devient un régime de gauche libéral. Mais, on passe difficilement
de la révolution à la démocratie sans à-coups de
traumatisme. Le régime de la 4ème République va
l'apprendre à ses dépens, obligé qu'il était de
gouverner avec des acteurs aux idéaux politiques parfois divergents. La
survivance des réflexes des Etats d'exception autorisera la persistance
de la violence en politique ce, d'autant plus qu'il n'y avait quasiment pas
d'opposition extraparlementaire. A cet effet, Maria José Falcon Y Tella
disait à propos du droit à la désobéissance civile
que : « Dans un système démocratique, il faut
distinguer le principe d'égalité et le principe de la
majorité avec le respect du pluralisme. Une des voies d'expression dudit
pluralisme serait l'opposition extraparlementaire qui, par définition
doit professer sa loyauté aux principes qui gouvernent le
système politique. Dans le cas contraire, on parlera plutôt
d'opposition anti-système. D'un point de vue utilitariste, la
première approche est plus appropriée que la seconde. Il est en
effet préférable d'intégrer les ennemis du système
que de les maintenir à l'écart. Selon le degré
d'intégration de ces derniers, il y a lieu de classer les gouvernements
démocratiques en gouvernements minoritaires, gouvernements de coalition
et gouvernements majoritaires. Ce sont ces derniers qui s'exposent le plus
à l'exercice de la désobéissance
civile. »23(*)
Au regard de ce bref aperçu historico politique, il est
indéniable que la responsabilité de tous les acteurs de la
scène politique nationale est ici engagée : le pouvoir,
l'opposition et les organisations de la société civile plus ou
moins inféodées aux partis politiques.
§ 2 - De la loi du
silence
Le contexte social durant ces quarante années,
très souvent caractérisé par la terreur, n'a pas toujours
été favorable à l'expression des droits et des
libertés.
En effet, le processus de réconciliation montre que les
violations les droits de l'homme sont restées impunies. Des individus
ont donc souffert en silence, physiquement, moralement et matériellement
des manquements à leurs droits sans faire valoir celles-ci devant une
autorité compétente. Il y a lieu de citer les expropriations
arbitraires, la violence gratuite, les détentions secrètes
accompagnées de séquestrations dans des lieux secrets ou non
conventionnels. Il ressort du rapport du Collège des Sages que plusieurs
personnes ont perdu la vie suites à ces pratiques.
En outre, la Liberté d'opinion et d'expression,
24(*)dans ses composantes
liberté de penser et liberté d'informer autrui, a beaucoup
souffert, plus particulièrement sous les régimes d'exception,
notamment les régimes révolutionnaires. Considéré
comme l' « un des droits les plus précieux de
l'homme »25(*),
la liberté d'expression est un droit spécifique
énoncée par l'article 11 de la déclaration de 1789, 19 de
la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et 9 de Charte
Africaine des Droit de l'Homme et des Peuples. Elle est « un droit
hors commun : à la fois un droit en soi et un droit indispensable
ou préjudiciable à la réalisation d'autres droits26(*), à la fois droit
individuel, relevant de la liberté spirituelle de chacun, et droit
collectif, ou plutôt conviviale, permettant de communiquer avec
autrui.»27(*) L'une
des conséquences directes de la violation de ce droit au Burkina Faso
est l'enlèvement et l'emprisonnement des leaders d'opinion, voire de
simples citoyens, la fermeture ou la destruction des organes de presse28(*). Toutes choses contraires aux
textes nationaux29(*) et
internationaux30(*) qui
consacrent la liberté d'opinion et d'expression.
La peur des représailles, les plaintes sans suite et
les dysfonctionnements de l'appareil judiciaire ont constitué parmi tant
autres, des raisons justificatrices de ce silence pendant ses quarante
années.
Section 2 : Le contenu
de la recherche
Le contenu de la recherche sur les quarante années
consiste à dresser un état exhaustif des crimes et autres
violences politiques ; autrement dit recenser des crimes d'une part (§.
1) et d'autre part, le recensement les victimes et leurs ayants droit (§.
2).
§ 1 -Du recensement des
crimes
Le recensement initial du nombre total de dossiers de crimes
impunis de 1960 à 2000, selon le rapport de la Commission pour la
Réconciliation Nationale (CRN), donnait le tableau suivant :
Classification
|
Nombre de dossiers
|
-crimes économiques
|
- Trois (03)
|
-Crimes ayant entraîné des pertes en vies
humaines
|
- Cent (100)
|
-Crimes ayant entraîné des préjudices moraux,
physiques, matériels et financiers
|
- Cent quatre-vingt-six (186)
|
total
|
-Deux cent quatre-vingt-neuf (289)
|
Source : Rapport général sur la mise en
oeuvre des recommandations de la CRN, Ouagadougou, mai 2001, p.16
Après un examen approfondi des différents crimes
recensés par la CRN, le CMOR-CRN a retenu ce qui suit :
Classification
|
Nombre de dossiers
|
-Crimes ayant entraîné des pertes en vies
humaines
|
- Cent quatre (104)
|
-Crimes ayant entraîné des préjudices moraux,
physiques, matériels et financiers
|
- Cent quatre-vingt-deux (182)
|
total
|
-Deux cent quatre-vingt-neuf (286)
|
Source : Rapport général sur la mise en
oeuvre des recommandations de la CRN, Ouagadougou, mai 2001, p.17
Les trois (03) dossiers de crimes économiques ont
été abandonnés dès le départ car
jugés inopportuns par la CRN elle-même.
A - Les crimes ayant entraîné des
préjudices divers
Le comité s'est rendu compte, à la suite de
l'examen des 182 dossiers individuels, 24 cas de double ou de triple dossiers
(une même personne ayant un dossier dans 2, voire 3 catégories de
crimes). Ainsi, le nombre de cas correspondant aux 182 dossiers est de 182
-24=158. A ce nombre, il faut imputer les cas non retenus. En effet, l'examen
des 158 cas cités a permis au comité d'éliminer 23 cas
pour lesquels, soit la CRN a recommandé leur rejet, soit le
comité a estimé que les problèmes évoqués,
quand ils sont réels, n'ont pratiquement rien à voir avec la
question de la réconciliation nationale. En définitive donc, le
nombre de dossier retenus par le comité pour l'analyse approfondie est
de 135.
Le récapitulatif des crimes ayant entraîné
des préjudices moraux, physiques, matériels et financiers donne
le tableau suivant :
Désignation
|
Nombre
|
Cas à caractère privé
|
Treize (13)
|
Cas à caractère administratif
|
Cinquante six (56)
|
Cas à connotation politique : vandalisme
|
Quarante (40)
|
Cas à connotation politique :
Séquestration
|
Vingt six (26)
|
Total
|
Cent trente cinq (135)
|
Source : Rapport général sur la mise en
oeuvre des recommandations de la CRN, Ouagadougou, mai 2001, p.20
B - Les crimes ayant
entraîné des pertes en vies humaines
L'examen des 104 dossiers individuels a permis d'identifier 02
cas de double emploi. Ainsi, les 102 cas restant ont été
regroupés selon le tableau suivant :
Désignation
|
Nombre
|
Cas de personnes disparues
|
Quinze (15)
|
Cas de personnes tuées au cours ou des suites directes de
coups d'Etats
|
Trente (30)
|
Cas de personnes tuées au cours d'attentats ou
d'assassinats
|
Neuf (09)
|
Cas de personnes décédées des suites de
tortures
|
Six (06)
|
Cas de personnes exécutées pour tentatives de coup
d'Etat
|
Onze (11)
|
Cas de personnes exécutées pour assassinat d'un
officier et de son épouse
|
Trois (03)
|
Cas de personnes tuées pour non respect de sommation
|
Trois (03)
|
Cas de personnes tuées par bavures policières
|
Trois (03)
|
Cas de personnes décédées de mort
suspecte
|
Quinze (15)
|
Cas de personnes décédées de suites de
lynchage
|
Une (01)
|
Combattants morts à la guerre du Libéria
|
Trois (03
|
Dossiers non retenus, affaires récemment jugées
|
Trois (03
|
Total
|
Cent deux (102)
|
Source : Rapport général sur la mise en
oeuvre des recommandations de la CRN, Ouagadougou, mai 2001, p.20
§ 2 - Du recensement des
victimes et leurs ayants droit
En Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso,
lorsqu'une personne décède, il y a lieu de lui organiser des
obsèques et des funérailles conformément aux rites
prescrits par ses ancêtres ou par sa religion. Il s'agit de permettre
à l'âme du défunt de reposer en paix, en même temps
qu'à sa famille de faire dignement le deuil. En tout état de
cause, la famille doit être au moins informé du lieu de
l'ensevelissement. La non satisfaction de ces exigences socioculturelles et ce,
malgré l'existence d'un l'ensemble de principes pour la protection de
toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention
ou d'emprisonnement adopté par l'Assemblée générale
dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988, a causé tant
de frustrations, de rancoeurs et d'injustice. Dès lors, il était
important que les familles obtiennent des clarifications aussi bien sur la
situation de leurs disparus ou morts que sur le lieu de sépulture.
A - La situation des personnes disparues
Quinze personnes avaient été concernées
par cette situation. Après les différentes investigations, dix
(10) cas ont pu être clarifiés dont des cas célèbres
comme celui du professeur d'université SESSOUMA Guillaume et de
l'étudiant en 7ème année de médecine
DABO Boukary décédés respectivement en 1989 et en 1990 et
dont les noms ressortent chaque année dans les plates-formes
revendicatives de l'Association Nationale Des Etudiants du Burkina (ANEB) et du
CODMPP. Cinq cas de disparition n'ont pas pu être élucidés
et font toujours l'objet d'investigation.
Il est à noter que la quasi totalité des
disparitions l'ont été courant années 1987- 1998 et
correspondant à la fin de la période des Etats d'exceptions et au
début de l'ère démocratique. Les tombes ont
été localisées principalement dans des régions
à fortes activités militaires. Ce qui laisse penser que ces
disparitions sont du fait de ces derniers et sont politiques.
Ces disparitions constituent des violations de droits
consacrés par l'article 02 de la Constitution du 02 juin 1991 ainsi
qu'il suit : « la protection de la vie, la sûreté
et l'intégrité physique sont garanties. » En outre,
selon l'article 03 de ladite Constitution: « Nul ne peut être
privé de sa liberté s'il n'est poursuivi pour des faits
prévus et punis par la loi. Nul ne peut être arrêté,
gardé, déporté ou exilé qu'en vertu de la
loi. »
B - La localisation et/ou l'identification des
tombes
Trente-deux (32) cas de tombes à localiser et/ou
à identifier ont été recensés par le comité.
Les investigations ont permis de localiser et/ou d'identifier vingt-deux tombes
dans la province du Nahouri, du kadiogo, du Boulkiemdé et du Houet. Deux
tombes ont été localisées au Libéria. La situation
des tombes donne le tableau suivant :
Classifications
|
Nombres
|
Tombes individuelles localisées et
identifiées
|
Huit (08)
|
Tombes individuelles localisées mais non
identifiées
|
Douze (12)
|
Tombes communes à deux (02) localisées et
identifiées
|
Deux (02)
|
Tombes communes à cinq (05) localisées et
identifiées
|
Une (01)
|
Tombes communes à six (06) localisées et
identifiées
|
Une (01)
|
Tombes individuelles non localisées et non
identifiées
|
Cinq (05)
|
Total
|
|
Source : Rapport général sur la mise en
oeuvre des recommandations de la CRN, Ouagadougou, mai 2001, p.24
Chapitre III : Les organes
chargés de la recherche
Le divorce entre le peuple burkinabé et sa justice a eu
pour conséquence, la mise à l'écart de cette
dernière des investigations pour élucider certains crimes
politiques mais surtout, dans le processus global de réconciliation
nationale.
Parallèlement, il a été crée des
organes indépendants (section 1) et des organes semi indépendants
(section 2) avec pour mission d'enquêter et de rechercher les auteurs
d'infractions, toutes choses relevant normalement de la compétence de
l'institution judiciaire.
Section 1 : - les
organes indépendants
Deux types d'organes chargés d'enquêter ou de
récolter des renseignements sur des crimes impunis, qu'ils soient
politiques ou économiques. Ce sont : les commissions
d'enquêtes (§. 1) et le collège des sages (§. 2). La
caractéristique principale de ces organes est leur indépendance
vis-à-vis de l'influence de l'autorité politique qui les a
créés et des groupes de pression de toute nature.
§ 1 - Des commissions
d'enquête
Deux sortes de commissions d'enquête indépendante
ont été constituées pour élucider les crimes dits
politiques.
La première, dénommée Commission
spéciale d'enquête, a été créée par
le décret n° 91-0452-bis/PRES du 19 décembre 1991. Elle a
été chargée de faire la lumière sur l'assassinat du
Professeur Oumarou Clément OUEDRAOGO, grand idéologue du Front
Populaire devenu Organisation pour la Démocratie et
Progrès/Mouvement du Travail (ODP/MT). Cette commission est parvenue aux
conclusions selon lesquelles ledit assassinat est un crime
perpétré par des spécialistes. Il engage la
responsabilité de l'Etat.
En vérité, ces conclusions n'étaient
qu'un secret de polichinelle. Au demeurant, la justice va en 1992 inculper un
suspect. A l'issue d'une procédure ayant durée douze ans,
celui-ci qui sera acquitté pour infraction non constituée.
La deuxième commission dénommée
Commission d'enquête indépendante, a été
créée par le décret
n°98-0490/PRES/PM/MEF/DEF/MJ6SG/MATS du 18 décembre 1998 portant
création, composition et attributions d'une commission d'enquête
indépendante modifiée par le décret n°
99-001/PRES/PM/MEF/DEF/MJ6SG/MATS du 7 janvier 1999.
Elle avait pour mission de mener toutes investigations
permettant de déterminer les causes de la mort des occupants du
véhicule 4X4 immatriculé 11j 6485 BF, dont le journaliste Norbert
ZONGO, survenue le 13 décembre 1998 sur l'axe routier Ouagadougou-
Sapouy. Les conclusions de son rapport étaient essentiellement les
suivantes :
-L'assassinat du journaliste et de ses compagnons était
politique et visait principalement le premier ;
-Six suspects sérieux avaient été
identifiés et appartenaient à la garde de sécurité
présidentielle. Le rapport de la Commission d'enquête sera
transmis au juge d'instruction saisi de l'affaire pour exploitation. L'affaire
se termina par une ordonnance de non lieu rendu par le juge d'instruction,
trois ans après sa saisine. Quant est-il du Collège des
Sages ?
§ 2 - Du Collège des
Sages
Le Collège des Sages a été
créée par le décret n°99-158/PRES portant
création, composition et missions du Collège de Sages et
conformément aux engagements pris par le chef de l'Etat, le 21 mai
199931(*). Il avait pour
mission d'oeuvrer à la réconciliation des coeurs et à la
consolidation de la paix sociale. A cette fin, il était
chargé :
- de passer en revue tous les problèmes pendants qui
sous-tendaient la crise dite de Sapouy ;
- de proposer des traitements à réserver
à tous les crimes impunis ainsi qu'à toutes les affaires
d'homicide résultant ou présumées résulter de la
violence en politique pour la période allant de 1960 à nos
jours32(*) ;
- de faire des recommandations susceptibles de promouvoir la
réconciliation nationale et la paix sociale.
Le Collège de Sages était composé de
trois (03) anciens chefs d'Etat, de huit (08) notabilités
coutumières et religieuses et de cinq (05) personnes ressources. Ces
personnalités, selon le chef de l'Etat
étaient « créditées pour chacun d'entre
elles de vertus d'intégrité et de droiture
morale »33(*).
Le Collège de Sages a été accueilli avec
réserve, scepticisme et circonspection voire avec hostilité par
nombre de personnes, notamment par le CODMPP. Malgré tout, le
Collège dirigé par l'évêque Anselme SANOU de
Bobo-Dioulasso, a pris au sérieux sa mission et a transmis ses
conclusions au chef de l'Etat burbinabé dans les délais à
lui impartis par ledit décret.
Les travaux du Collège se sont déroulés
à travers deux commissions. Il s'agit de :
- la commission chargée des problèmes
pendants ;
- la commission chargée des crimes impunis et affaires
d'homicide résultant ou présumés résulter de la
violence en politique.
Dans cette perspective, le Collège a recueilli
l'analyse, les recommandations et les suggestions de quarante et une (41)
organisations et instances de la vie sociale, politique et économique du
pays. Par ailleurs, deux cent soixante quatorze (274) personnes dont quarante
et une (41) femmes issues de toutes les sensibilités et couches sociales
ont été entendues.
Quant aux appels à témoins lancés en
direction de la population, le Collège a enregistré deux cent
trente et une (231) fiches réparties comme suit :
-crimes de sang : 91 ;
-crimes économiques : 81 ;
- autres crimes (séquestrations, tortures,
carrières brisées) :49 ;
-autres fiches ne relevant pas de la mission de la
commission : 10.
Après l'analyse minutieuse de tout ce qui
précède, quatre principales propositions pour une sortie de crise
ont été faites. Il s'agit de :
1) La réforme et la redynamisation de l'appareil
judiciaire comme clef de voûte de tout le processus pour mieux garantir
son indépendance et son efficacité ;
2) La mise en place d'une commission ad hoc consensuelle
chargée de la relecture de certains articles, notamment de la
Constitution en ses articles 3734(*) et 8035(*) et de l'élaboration consensuelle de certains
textes, relatifs à la vie des partis politiques36(*) ;
3) La mise en place d'un gouvernement d'union nationale de
large ouverture. Celui-ci sera chargé d'examiner et d'adopter les
projets de lois élaborées par la commission ad hoc en vue de leur
transmission à l'actuelle assemblée nationale ;
4) La mise en place d'une Commission Vérité,
Justice pour la Réconciliation Nationale qui conduira le processus.
Ce point a fait l'objet d'une recommandation spéciale
portant création d'une commission dénommée
« commission vérité et justice pour la
réconciliation nationale ».
Cette commission, selon le Collège, a pour mission
d'une part, d'aider à faire la vérité sur les
différents crimes et de veiller au droit à la réparation
et d'autre part de présider le processus de cheminement vers la
réconciliation nationale en vue d'une véritable catharsis et
d'une volonté ferme de pardon mutuelle. La commission se dotera des
structures techniques appropriées pour l'accomplissement des ses
missions.
A l'issue de ses travaux, le collège des sages a
estimé que la réconciliation ne peut se faire sans la
connaissance de la vérité avec pour conséquence la
réparation des préjudices subis. En effet la catharsis suppose
que les acteurs assument leurs responsabilités, reconnaissent
éventuellement leurs torts devant un peuple déterminé
à dépasser les écueils douloureux de son histoire afin que
la demande de pardon et son octroi s'appellent mutuellement. Dans le même
ordre d'idées, le Collège de Sages a recommandé que la
structure chargée des dossiers de crimes, les traite dans le sens de la
réconciliation, prévoyant notamment la possibilité du
plaidoyer de culpabilité37(*) comme cela s'est vécu dans d'autres
pays38(*).
Pour garantir cette volonté de réconciliation,
le Collège de Sages recommande que l'application de la catharsis
commence par le premier responsable du pays, le Président du Faso. Il
pourrait pour cela, dans un discours bref et solennel déclarer face
à la nation qu'en tant que premier responsable :
a) il assume l'entière responsabilité de ce qui
s'est passé et qui traumatise notre peuple ;
b) il demande pardon au peuple ;
c) il promet que de telles pratiques n'auront plus
cours ;
d) il s'engage à travailler à l'avènement
d'une société plus humanisée et plus consensuelle.
Par contre, le Collège des Sages a écarté
le principe d'une amnistie générale à cette étape
du processus.
Enfin le Collège des Sages a proposé l'adoption
d'un projet de loi d'indemnisation.
Suite à la remise du rapport par le Collège de
Sages, le Président du Faso a promis que tout sera mis en oeuvre pour
que les recommandations puisent trouver une application rapide. Ces
recommandations avaient-elles force obligatoire ; autrement dit
s'imposaient-elle aux institutions républicaines ?
La recommandation en droit internationale est une
résolution d'un organe international dépourvue en principe de
force obligatoire pour les Etats membres. En droit interne, la recommandation
s'entend d'un conseil donné par un organe délibératif
à qui de droit, pour l'inviter à prendre une décision et
à en édicter la norme. La création le 11 novembre 1999 et
le 11 avril 2001 respectivement de la Commission pour la Réconciliation
Nationale pour la mise en oeuvre des recommandations du Collège des
sages et du Comité de Mise en OEuvre des Recommandations de la
Commission pour la Réconciliation Nationale traduisent le
caractère non contraignant des recommandations du Collège de
Sages.
Section 2 : Les
organes semi- indépendants
Le gouvernement a créé deux structures
chargées de piloter le processus de réconciliation nationale. Ce
sont : la Commission pour la Réconciliation Nationale (CRN) et
le Comité de mise en oeuvre des recommandations de la
Commission pour la Réconciliation Nationale. En créant ses
structures, il a voulu s'approprier la réconciliation
nationale. La caractéristique principale de ces structures réside
en ce qu'elles sont essentiellement composées de membres
gouvernementaux39(*).
§ 1 - De la Commission pour
la Réconciliation Nationale (CRN)
La Commission pour la Réconciliation Nationale (CRN)
chargée de mettre en oeuvre les recommandations du Collège de
Sages a été créée par le décret
n°99-390/PRES/PM.
Cette commission après avoir examiné les
différents dossiers de crimes économiques40(*) et ceux supposés
résulter ou résultant de violences en politique41(*) impunis de 1960 à mars
2001, a indiqué des orientations pour leur traitement, formulé
des propositions pour la consolidation de l'exercice des libertés
publiques et proposé des modalités de mise en oeuvre de la
réconciliation nationale. En outre, la commission situe les
responsabilités de la tragédie burkinabé, aussi bien du
côté des militaires qui ont perpétré les coups
d'Etat que des civils qui en sont les véritables commanditaires. Par
ailleurs, le rapport met en cause les partis politiques qui ont
été ou qui sont au pouvoir et les partis d'opposition ; tous
sans exception, ont eu recours aux militaires à un moment donné
de l'histoire politico-militaire du Burkina Faso.
La question fondamentale à laquelle la commission a
tenté de répondre était la suivante :
« comment savoir et pouvoir assumer positivement une histoire
politique faite de drames, de tragédies, de familles
éclatées, de vies humaines sacrifiées sur l'autel de la
conquête ou de l'exercice du pouvoir ? »
Ainsi, selon elle, les conditions indispensables à la
réussite de la réconciliation nationale sont :
- la vérité (clarification des faits) ;
- la justice (connaissance de la vérité,
dédommagement et réparation des préjudices) ;
- Et enfin le pardon (demande du pardon et acceptation du
pardon).
§ 2 - Du Comité de
Mise en Oeuvre des Recommandations de la CRN
Le Comité de mise en oeuvre des recommandations de la
Commission pour la Réconciliation Nationale a été
créé par le décret n°2000-141/PRES/PM du 11 avril
2000, portant création d'un Comité de Mise en OEuvre des
recommandations de la Commission pour la Réconciliation Nationale.
Le comité avait pour mission :
a) d'élaborer et de soumettre au gouvernement :
-un plan de mise en oeuvre des mesures d'ordre
général pour la réconciliation nationale ;
- des stratégies et des méthodes d'approche des
victimes et /ou leur famille en vue du dialogue pour la
réconciliation ;
- un plan de communication pour la réconciliation
nationale ;
b) de suivre la mise en oeuvre du traitement des dossiers,
objet du rapport de la Commission pour la Réconciliation Nationale.
Après douze (12) mois de travaux le comité a
rendu son rapport. Ce rapport dresse une liste exhaustive des crimes impunis et
fait le point des activités menées par le comité
relativement à la clarification de la situation des personnes disparues,
la localisation et/ou l'identification des tombes des personnes
décédées, la prise de contact avec les familles de toutes
les personnes disparues et ou décédés.
Selon le rapport, ce comité a également
rencontré les victimes encore en vie, les a écoutés et
recueilli leurs réclamations.
D'une manière générale, les victimes se
sont prononcées sur un éventuel pardon à accorder ou pas
à leurs bourreaux (même sans les connaître nommément
ou de visu). Si dans leur ensemble les victimes encore en vie prétendent
avoir pardonné à ceux qui les ont torturés, cela n'exclut
pas la démarche inverse de demande de pardon. Cette fois, c'est l'Etat
du Burkina Faso qui leur demanderait pardon.
Parallèlement à cette démarche, des
enquêtes administratives, sur chaque cas, ont été
mené en vue d'éclaircir les circonstances dans lesquelles les
faits se sont déroulés.
Deuxième partie : Le pardon
Les différents organes mis sur pied afin de
procéder à la lecture de l'histoire tragique du Burkina Faso
durant quarante années sont unanimes, dans leur diagnostic, à
reconnaître que les crimes et les violences de toutes natures subis par
des burkinabés ont créé des frustrations et plus grave,
des traumatismes individuels et collectifs auxquels, il s'avère
indispensable d'apporter un remède efficace : le pardon.
Prévu comme l'aboutissement d'un processus vers la
réconciliation nationale, il se présentera comme une des
étapes majeures avec la célébration de la journée
nationale du pardon. Avant d'examiner un tel phénomène historique
(Chap.3), il s'avère nécessaire de s'interroger sur les
fondements du pardon (Chap.1) et d'en découvrir les acteurs (Chap.2) au
Burkina Faso.
Chapitre I : Les fondements
du pardon
Dans la quasi-totalité des religions du monde, le
pardon joue un rôle essentiel et se présente comme une transaction
à travers laquelle, celui qui avoue sa faute se voit accorder le
bénéfice de la rémission de ses péchés. Chez
les catholiques, il existe la confession des péchés devant le
prêtre qui a le pouvoir au nom du Christ de pardonner les fautes des
fidèles. Ainsi considérée, la confession est facteur de
paix, un acte qui libère le coupable du fardeau de ses
péchés, le réconcilie avec lui-même, le
réconcilie avec Dieu qu'il a offensé à travers ses
semblables et le réconcilie avec la communauté des croyants,
l'Eglise. Qu'est-il alors du pardon lorsqu'il est organisé dans le cadre
d'un Etat laïque et démocratique comme le Burkina Faso ? La
différence entre le pardon dans le cadre institutionnel étatique
et celui religieux relève d'une question de procédure ; les
objectifs demeurent quasiment les mêmes à savoir, la recherche de
la paix (sect.1) et la réconciliation (sect.2)
Section 1 : La
recherche de la paix sociale
Dans son adresse à la nation le 21 mai 1999, le
Président du Faso déclarait ceci : « la cohésion
sociale a été mise à rude épreuve et soucieux de
préserver la paix sociale, de rétablir la confiance dans les
institutions, de renforcer votre foi dans le dialogue et la concertation, le
gouvernement prendra toutes les mesures.. »42(*). Pour le Président du
Faso, la cohésion sociale est compromise du fait de trois
choses :
- la perte de confiance dans les institutions
républicaines ;
- la rupture du dialogue ;
- le manque de concertation.
Comment alors, rétablir la confiance dans les
institutions, renforcer la foi dans le dialogue et la concertation ? De
simples mesures suffisent-elles ? Certainement pas ; voilà
pourquoi, le Collège de Sages aussi bien que la Commission pour la
Réconciliation Nationale avaient recommandé le pardon. Cette
démarche vise d'abord à reconnaître que des droits de
nombreux burkinabé ont été violés par le fait
d'autres burkinabés et au nom de l'Etat ; que cette situation est
anormale en ce sens qu'elle est négatrice des droits de l'homme.
Ensuite, elle vise à permettre aux auteurs des différents crimes
de sortir de leur peur, de confesser leurs crimes et de
réintégrer la communauté. Egalement, elle permet aux
victimes de sortir de l'anonymat, d'avoir un statut de victimes à
travers la reconnaissance des torts qu'ils ont subis. Enfin, elle permet le
rétablissement du dialogue entre bourreaux et victimes. Il s'agit en
fait d'une thérapie où victimes et auteurs sont tous des
patients. Cette thérapie a pour but de redonner la parole aux uns et aux
autres afin qu'ils expriment l'indicible, qu'ils se libèrent et
libèrent la parole en même temps qu'ils se parlent. Dès
lors, victimes et auteurs se reconnaissent dans leurs rôles respectifs et
prennent la mesure des torts qui ont été commis. Au sortir de
cette thérapie, chacun se trouve restauré et rétabli dans
sa dignité, même en l'absence de toute sanction. Le pardon ainsi
conclu est signe de libération et marque un nouveau départ vers
la réconciliation.
Section 2 : La
réconciliation nationale
Au Burkina Faso, le débat s'est focalisé sur les
conditions nécessaires et indispensables pour une véritable
réconciliation nationale. Le pardon simple suffit-il ? Où est-ce
qu'il faut en plus, punir les auteurs des crimes commis durant ces quarante
années ? A cet effet, deux conceptions se sont opposées.
Les partisans de la trilogie43(*) justice, vérité et
réconciliation affirment que le châtiment des fautes n'exclut pas
la réconciliation. Selon eux, la réconciliation est
l'aboutissement d'un processus et non le début. Pour les
partisans44(*) du pardon,
la réconciliation n'exclut pas le châtiment des fautes. Il faut,
selon eux, asseoir d'abord la paix, donc le pardon, avant toute quête de
justice.
Ce débat traduisait la méfiance et la tension
qui subsistent entre certains acteurs de la scène socio-politique
burkinabé. En tout état de cause, ce débat venait, montrer
si besoin en était que la réconciliation sociale est un passage
obligé vers le processus de maturation de la démocratie
burkinabé.
Pour couper la poire en deux, le Président du Faso
affirmait à l'occasion de la journée nationale du pardon que
cette journée « est la quête d'un pardon qui ne met pas un
terme à la recherche de la justice, ni une entrave à la
manifestation de la vérité ; elle n'est pas une finalité
en soi, mais bien une étape indispensable de réflexion,
d'introspection et de résolution pour un nouveau départ.»
Chapitre II : les acteurs du
pardon
La réalisation du pardon suppose la présence de
deux parties que sont les auteurs et les victimes. C'est lorsque les
auteurs de crimes (sect.1) et les victimes (sect.2) sont capables de se
rencontrer, de se parler et de s'écouter, que naît un dialogue
fécond et libérateur de toutes les angoisses et frustrations.
Section 1 : Les
auteurs de crimes
Au Burkina Faso, la relecture de l'histoire tragique du pays,
a permis de dresser une liste exhaustive des crimes et des violences qui ont
émaillé ces quarante années. En outre, les travaux des
différentes commissions qui se sont succédées ont
également permis d'identifier et/ou de localiser les tombes. Cependant,
les auteurs de ces atrocités n'ont pas été
identifiés. Plusieurs raisons expliquent cela et parmi celles-ci, il y a
le fait que certains auteurs sont membres du régime au pouvoir45(*). En tout état de cause,
il ressort des rapports que l'armée est au premier banc des
accusées et qu'elle est instrumentalisée par les acteurs
politiques civils.
§ 1 - Les auteurs
militaires
Le Burkina Faso a expérimenté de 1960 à
nos jours, quatre régimes républicains et six régimes
d'exception sans oublier les tentatives de coup d'Etat vraies ou
supposées, avec des putschistes sacrifiés, de façon
expéditive, sur l'autel de la sûreté d'Etat. Ces coups
d'Etat et leurs tentatives ont toujours endeuillé des familles.
C'était généralement le camp des vaincus qui payaient la
note de leurs vies ou par de violences inouïes de la part des vainqueurs.
C'était également des situations de non droit où les
contradictions politiques se terminaient dans un bain de sang. Les militaires
étaient les acteurs de ces coups d'Etat au bilan humain très
souvent macabre et lourd. Ils en étaient aussi les principales victimes.
Outre ces coups d'Etat, des militaires ont été impliqués
dans des cas de tortures ayant entraîné la mort des victimes.
En tout état de cause, l'histoire du Burkina a
montré que les militaires ont longtemps été des
instruments au service des civils.
§ 2 - Les auteurs
civils
La prise du pouvoir de janvier 1966 par les militaires
était le fait des populations civils qui ont réclamé
l'armée au pouvoir. Certains auteurs46(*) pensent que cette prise de pouvoir qualifié de
coup d'état l'a été à tort. La preuve est que ledit
coup s'est passée sans effusion de sang. Après cet
événement, la vie constitutionnelle du Burkina Faso a
été émaillée d'autres coups d'Etat, cette fois-ci
à l'initiative des militaires eux-mêmes. Selon le rapport de la
commission pour la réconciliation nationale, les recours
fréquents des acteurs civils de la vie politique aux forces
armées nationales pour la conquête et l'exercice du pouvoir, sont
à l'origine de crimes divers et ont fini par enraciner la culture de la
violence et de l'intolérance dans les débats d'idées et
les choix institutionnels. Ces acteurs civils étaient
généralement des intellectuels, grands penseurs et
idéologues en quête de pouvoir. Ils étaient très
souvent les victimes à l'arrivée de nouveau régime venu
mettre fin au leur.
Section 2 : Les
victimes
Les victimes des quarante années d'histoire politique
tragique s'entendent des personnes physiques qui ont payé de leur vie
des violences commises au nom de la République, de leurs familles, mais
aussi de l'ensemble des Burkinabé.
§ 1 - Les victimes et
leurs ayants droit
Les investigations ont fait ressortir que plus de cent quatre
(104) personnes ont perdu la vie par suite directe de coups d'Etat, d'attentats
ou d'assassinats, de tortures, de tentatives de coups d'Etat, de bavures
policières de lynchage, de guerres, de disparitions ou autres.
S'ajoutent à cette liste, les cas de violences à caractère
privé, à caractère administratif, à connotation
politique (vandalisme et séquestration) qui s'élèvent
à cent trente sept (137) victimes. Quoique ce nombre de crimes et de
violences soit en deçà des bilans semblables dressés dans
certains pays, il n'en demeure pas moins que ce soit des vies humaines qui
aient été enlevées injustement. Toute chose contraire aux
garanties accordées par les différentes conventions
internationales47(*).
Les victimes indirectes, appelées ayants droit, sont
les descendants et/ou les ascendants. Ce sont ceux qui ont le plus souvent
souffert non pas uniquement de la perte d'un des leurs, mais surtout du
silence, du manque d'information, de l'impossibilité d'offrir à
leur mort une sépulture digne de ce nom et celle de leur rendre
justice.
§ 2 - Le peuple
L'un des trois éléments constitutifs de l'Etat
est la population. Cette population, en échange de son obéissance
au pouvoir en place et de l'impôt dont elle s'acquitte, attend la
sécurité et le bien-être socio-économique de la part
du gouvernement. Cela n'a pas toujours été le cas au Burkina Faso
tout au long des quarante années. Dans son allocution à
l'occasion de la journée nationale du pardon, le Président du
Faso s'adressait en ces termes aux populations présentes à la
cérémonie : « Comme la plupart des peuples du
monde, tu as connu bien de vicissitudes et de traumatismes. Comme la plupart
des peuples, tu as connu des périodes de paix et de stabilité,
des instants de bonheur, des sursauts d'espoir, hélas quelques fois
ternis et compromis pour des actes que tu abhorres parce qu'en contradiction
avec ton idéal de tolérance et de dialogue dans la construction
de ton bonheur. »
Le statut de victime a été reconnu au peuple du
Burkina Faso qui a souffert des violences de ses fils et filles. Ces actes ont
compromis son développement socio-économique, accentuant ainsi
son retard sur le développement humain durable48(*). Outre ce retard, il y a que
les institutions républicaines garantes du jeu démocratique ont
mis du temps avant de se mettre en place.
Chapitre III : La
journée nationale du pardon (JNP)
La tenue de la journée nationale du pardon a
suscité un débat vif et contradictoire au sein de la classe
sociopolitique du Burkina faso. Le gouvernement, les partis politiques, la
société civile, les familles des victimes, tous ont pris la
parole, à travers presses interposées pour exprimer leur
conception du pardon et leur opinion sur la journée nationale du pardon.
Les procès d'intention ont été au rendez-vous de ces
débats. Pour ou contre, la journée s'est finalement tenue. Pour
savoir la portée d'une telle célébration (sect. 2), il
s'avère nécessaire de s'interroger sur l'esprit qui a
prévalu à sa célébration (sect.1).
Section 1 : L'esprit
de la JNP
« Ce qui nous mobilise en ce jour, c'est le repentir
de tous les torts et de tous les crimes qui ont sali ta mémoire et terni
ton image de marque. C'est la reconnaissance de la responsabilité de
l'Etat et le regret officiel de tous les actes qui ont créé la
fracture sociale qu'il nous faut absolument combler. C'est la mise en oeuvre
officielle des conditions d'un pardon sincère, préalable
incontournable à une réconciliation véritable. C'est la
quête d'un pardon qui ne met pas un terme à la recherche de la
justice, ni entrave à la manifestation de la vérité. C'est
un pardon de paix et de la réconciliation pour un Burkina Faso
nouveau. »49(*)
Comme il ressort de cet extrait du discours du
président du Faso, l'esprit de la Journée nationale du pardon
consistait à provoquer la rupture avec le passé en crevant
l'abcès des rancoeurs, des frustrations et créer un nouveau
départ vers un avenir où les burkinabé ne
connaîtrons plus jamais ces souffrances. Ce nouveau départ passait
d'une part par l'acte d'assumer l'entière responsabilité de ce
qui s'est passé et qui a traumatisé le peuple et par la demande
de pardon à ce même peuple.
§ 1 - Assumer quarante
années d'histoire
Assumer quarante années d'histoire, c'est prendre
volontairement sur soi la responsabilité de cette histoire. Qui est-ce
qui, dans le contexte burkinabé allait assumer cette lourde
histoire ? De prime abord, il y a les exécutants et ensuite, les
commanditaires. Pourquoi alors, le collège des sages avait-il
recommandé que se soit l'Etat, à travers la personne du chef de
l'Etat, qui assume l'entière responsabilité de ce qui
s'est passé ? Pourquoi, celui-ci a-t-il accepté
d'assumer ?
Si pour des crimes récents, il est plus facile de
rassembler des preuves et de rechercher les coupables, il est plus difficile de
le faire lorsque les faits ont pris de l'âge et les
éléments de preuves difficiles à établir. Certes,
cette difficulté n'est pas insurmontable50(*), mais elle est encore rendue plus difficile lorsque
certains auteurs de l'époque sont aux commandes de l'appareil d'Etat. Ce
n'est pas chose aisée que de faire son propre procès. A ce
propos, le Professeur Laurent BADO du parti national de la renaissance (PAREN)
écrivait dans le journal « l'observateur paalga »
que « non seulement la vérité sera celle des juges du
pouvoir, mais encore, il faudra des années et des années pour
dire cette vérité partielle, étant entendu que cela
implique le jugement de tous les criminels jusqu'à épuisement de
la procédure judiciaire (appel, cassation), avec le risque
évident de prescription de certains crimes au moment de la
découverte des auteurs ! »51(*) « Il est par
ailleurs nécessaire, selon le professeur Xavier Philippe, que la
manifestation de la vérité se fasse rapidement. Le retour sur le
passé est toujours difficile mais plus l'écart entre les faits et
leur établissement grandit, plus il devient difficile de se souvenir et
de relater des faits de façon précise. »52(*) Aussi, la transition des
régimes d'exception vers la démocratie s'étant
imparfaitement opérée53(*), tout procès de celles-ci reste
délicat.
Par ailleurs, la plupart des crimes qui ont été
commis l'ont été au nom du peuple, même si c'est pour le
compte d'une oligarchie. A ce sujet les propos du Président du Front
Populaire et du Président du Faso sont révélateurs. Dans
son appel du 19 octobre, le Président du Front Populaire
disait :
« Le mouvement de rectification du processus
révolutionnaire que dirige le Front Populaire a donc été
favorisé par les évènements du 15 octobre 198754(*). Nous sommes convaincus que
notre peuple qui sentait déjà la nécessité d'une
rectification y participera avec détermination et soutiendra le front
populaire . . .»55(*)
Dans son allocution à l'occasion de la journée nationale du
pardon, le Président du Faso est revenu sur le sujet, parlant du peuple
en ces termes: «C'est vrai. Beaucoup de choses ont été
faites en ton nom. Des actes élogieux, louables et constructeurs ont
été posés. A contrario, d'autres ignobles,
révoltants et condamnables ont malheureusement été
perpétrés.»56(*)
Enfin, au nom du principe de la continuité de l'Etat,
la quatrième république est comptable des violences commises sous
toutes les autres républiques, et ce, y compris les périodes
d'exceptions. Dès lors c'est à l'Etat d'assumer et de demander
pardon.
§2 - Demander pardon
Demander pardon est un acte d'humilité. Lorsque cette
demande doit s'opérer en public comme ce fut le cas à l'occasion
de la journée nationale du pardon, elle comporte, sans doute, une dose
d'humiliation.
Le 30 mars 2001, le Président du Faso, Blaise COMPAORE
a pris la parole devant des milliers de burkinabés (plus de trente
milles personnes) venues de toutes les provinces du Burkina
regroupant toutes les couches socioculturelles et socioprofessionnelles,
religieuses et les superstructures de l'Etat et, il a demandé pardon en
ces termes « En cet instant solennel, en notre qualité
de chef d'Etat assurant la continuité de la nation, nous demandons
pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les
injustices, les brimades et tous les autres torts commis sur les
burkinabé par d'autres burkinabé...nous demandons
également pardon à tous ceux qui, parmi nous, portent encore les
stigmates de la violence, de l'arbitraire et de l'injustice.
Nous mesurons la somme des efforts et des sacrifices qu'ils
doivent développer pour accorder le pardon et nous en appelons à
leur magnanimité, leur foi et leur grandeur d'âme.»57(*)
La Journée Nationale du Pardon a été
l'occasion pour le Chef de l'Etat d'inviter tous les Burkinabé à
se pardonner mutuellement pour les torts causés ou subis dans le
règlement des différends politiques ou autres, d'inviter la
nation entière à se réconcilier avec elle-même en
adoptant un code de conduite où sera banni à jamais la violence,
d'évoquer la question des réparations des torts (aux plans moral,
matériel et financier) et de s'engager à veiller à
l'effectivité de ces réparations.
A cette occasion, sept (07) engagements ont été
pris par le Président du Faso au nom de l'Etat, et libellés ainsi
qu'il suit :
1° - La mise en oeuvre de mesures de réparation
dont la création d'un fonds d'indemnisation en faveur de toutes les
familles victimes de la violence en politique, pour permettre d'apporter une
aide matérielle et financière aux familles en
détresses.
2° - L'érection de monuments qui seront les
témoins de notre devoir de mémoire à l'égard de
tous nos martyrs et héros nationaux.
3° - La commémoration sur toute l'étendue
du territoire national et le 30 mars de chaque année d'une
journée du souvenir et de promotion des droits humains et de la
démocratie au Burkina Faso. Cette journée sera une occasion de
recueillement et de mémoire pour nos martyrs mais aussi une occasion
pour faire le point sur l'état de la démocratie et le respect des
droits humains au Burkina Faso.
4° - La mise en place d'un Comité d'Ethique
composé de personnalités dont la probité,
l'expérience et la compétence font autorité, dans le but
de moraliser la vie publique, de combattre la corruption et la
délinquance économique.
5° - La consolidation du dialogue avec tous les acteurs
politiques et sociaux aux fins de résorber le déficit de dialogue
et de communication, facteur de négation d'une réconciliation
nationale durable ;
6° - La poursuite de réformes politiques et
institutionnelles en cours devant déboucher sur la mise en place d'un
système de gouvernance consensuel ;
7° - La mise en place d'un mécanisme de suivi de
la journée comprenant les représentants des autorités
morales et spirituelles, des organisations de défense des droits humains
et de la démocratie et ceux du gouvernement. Ce mécanisme
veillera à l'application des engagements pris.
La mise en oeuvre de la plupart des engagements ci-dessus a
nécessité la création des structures suivantes :
· le Comité National d'Ethique ;
· le Comité Technique d'Appui au
Gouvernement ;
· le Comité de Gestion et la Direction du Fonds
d'Indemnisation des Personnes Victimes de la Violence en Politique ;
· le Comité de Suivi des présents
engagements.
Si la journée nationale du pardon a eu lieu
malgré le refus d'une frange de la classe politique, de certaines
familles de victimes d'y participer, il n'en demeure pas moins qu'elle reste
dans l'histoire des burkinabé un évènement inédit
dont la portée est à mesurer sans complaisance.
Section 2 : La
portée de la JNP
Au delà des réserves émises à
l'occasion de l'organisation de la JNP, l'opinion public burkinabé l'a
perçue comme une initiative louable (§ 1) malgré les
divergences de point de vue sur la procédure devant conduire à sa
tenue (§ 2).
§ 1 - Une initiative
louable
Tous les acteurs de la scène sociopolitique
burkinabé sont d'avis que le pardon est un passage obligé pour
toute réconciliation, gage indispensable pour envisager l'avenir
ensemble, dans la paix.
Ils croient à la valeur du pardon comme une chose
sacrée, consistant à remettre à Dieu ce qui s'est
passé, à tout le moins accepter ce qui s'est passé au nom
de l'intérêt supérieur de la nation.
Dans toutes les traditions, des différentes ethnies qui
peuplent le Burkina Faso, le pardon joue une fonction de régulation
sociale qui permet de réintégrer le déviant qui aurait
troublé l'ordre social. Il n'y avait donc pas de raison qu'à une
étape aussi critique de l'histoire du Faso, cet instrument de gestion
social des conflits ne puisse pas être mis à profit pour asseoir
la paix et la réconciliation. Toutefois, l'importance d'un tel outil
requiert, pour son utilisation des précautions pour ne pas biaiser les
résultats escomptés.
§ 2 - Une divergence de
procédure
Pour les opposants de la journée nationale du pardon,
celle-ci est prématurée. Elle devrait se tenir bien plus tard,
après des conditions optimales du pardon ; autrement dit après
que les coupables aient été identifiés puis jugés.
Cette vision présente la JNP comme une tribune d'expiation des
péchés, où les coupables obtiendraient après
confession de leur crime, le pardon des victimes. Cette vision selon eux est
respectueuse de la trilogie : justice, vérité et
réconciliation telle que préconisée par le Collège
de Sages ; le pardon faisant partie de la dernière étape.
Si la JNP n'avait pas pour but d'absoudre les coupables sans confession, mais
de ramener la paix sans laquelle la vie politique, sociale de la nation se
dégradait dangereusement et irrémédiablement, il ne
demeure pas moins que certaines familles de victimes se sont senties exclues ou
se sont exclues de la célébration. Ce qui fait dire à
certains que cette journée est née de la volonté
unilatérale du régime en place.
En tout état de cause, les contradictions nées
de la célébration de la JNP, montrent à suffisance que
certains burkinabé restent attachés à la manifestation de
la vérité comme condition sine qua none pour l'obtention du
pardon. Pour eux, les engagements pris par le chef de l'Etat sous forme de
serment, n'ont aucune valeur juridique, étant entendu que celui-ci a
déjà prêté serment sur la constitution le jour de
son investiture. Selon eux, le plus important est, dans ce genre de profession
de foi, moins le repentir que la vérité; c'est-à-dire
l'aveu et le ferme propos.
La tenue de la JNP est supposée avoir permis la
réconciliation et le retour de la paix sociale et surtout de la
quiétude chez les victimes. Dès lors, la question des
réparations se pose du moment où, l'Etat doit assumer
l'entière responsabilité de ces quarante années de
violences.
Troisième partie : Les
réparations
Parmi les sept engagements pris par le Président du
Faso à l'occasion de la célébration de la journée
nationale du pardon figurait celui relatif à la mise en oeuvre de
mesures de réparation dont la création d'un fonds d'indemnisation
en faveur de toutes les familles victimes de la violence en politique. Cet
engagement figure en première place et il vise à apporter une
aide matérielle et financière aux familles en
détresses.
Créé par le décret n°
2001-275/PRES/PM du 8 juin 2001 portant création, organisation et
fonctionnement d'un fonds d'indemnisation des personnes victimes de la violence
en politique, le fonds d'indemnisation a pour objet la liquidation et le
paiement des droits individuels des victimes de la violence en politique. La
mise en oeuvre du fonds d'indemnisation qui a débuté en septembre
2001, s'est achevée en août 2006.
La question des réparations des préjudices
causés aux victimes des crimes résultant ou
présumés résulter de la violence en politiques au Burkina
Faso sera abordée à travers les fondements des réparations
(Chap. 1), la portée et les limites des réparations (Chap.2).
Chapitre I : Les fondement
des réparations
Il ressort de l'article 11 de la déclaration des
principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la
criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir adoptée par
l'Assemblée générale dans sa résolution 40/34 du 29
novembre 1985 que : « Lorsque des fonctionnaires ou d'autres personnes
agissant à titre officiel ou quasi officiel ont commis une infraction
pénale, les victimes doivent recevoir restitution de l'Etat dont
relèvent les fonctionnaires ou les agents responsables des
préjudices subis. Dans les cas où le gouvernement sous
l'autorité duquel s'est produit l'acte ou l'omission à l'origine
de la victimisation n'existe plus, l'Etat ou gouvernement successeur en titre
doit assurer la restitution aux victimes. »
Ce principe, à grande valeur morale et universelle, qui
oblige à la réparation d'un tort (sect.2), répond à
un souci d'équité et est la conséquence de la
reconnaissance d'un tort (sect.1).
Section 1 :
Reconnaître un tort
Au Burkina Faso, l'Etat n'a pas été traduit en
justice pour répondre des crimes résultant ou
présumés résulter de la violence en politique. C'est sur
la base des conclusions des rapports déposés par les
différentes structures58(*) mis sur pied de façon consensuelle par le
gouvernement, les partis politiques et la société civile, que
celui-ci a accepté assumer la responsabilité des crimes
reprochés à ses agents. Si le droit interne burkinabé
prévoit la responsabilité de l'Etat du fait de ses agents, cette
responsabilité n'est pas absolue et exige des conditions pour son
application. En outre, cette responsabilité qui est établie au
terme d'un procès, ne dissout pas totalement celle de ses agents qui
doivent en répondre personnellement. L'Etat apparaît dès
lors comme le civilement responsable, la responsabilité pénale
d'un Etat ne pouvant être soulevée que sur le plan international
et cela, sous réserve de respecter certaines conditions.
Si l'Etat burkinabé, en assumant la
responsabilité des crimes résultant ou présumés
résulter de la violence en politiques a engagé donc sa
responsabilité civile, il demeure que la responsabilité des
auteurs qui ont agi ou supposé avoir agi en son nom, est susceptible
d'être engagé avec le temps, si le temps le permet.
Les démarches auprès des victimes ou leur
famille restent donc purement formelles ou symboliques ; dans la mesure
où elles rentrent uniquement dans le cadre de la réconciliation.
Cependant, comment réparer un tort qui n'a pas d'auteur
désigné et connu ?
Section 2 :
Réparer un tort
Nul doute qu'une vie humaine perdue ne peut être
réparée. Le plus grand tort qu'on puisse infliger à une
victime après celle de lui ôter la vie, c'est lui dénier
toute sépulture digne d'un être humain. A sa famille, victime
indirecte, le plus grand tort serait, outre celui d'arracher un des leurs
à leur affection, de ne pas être en mesure de lui offrir des
obsèques et des funérailles dignes de leur affection ou de leur
croyance. Le tort est d'autant plus cruel, lorsque la famille ignore le lieu de
sépulture de la victime.
Quant aux victimes de tortures ou autres violences, outre les
tortures et/ou les humiliations subies, il y a la marginalisation
socio-économique et le silence face à l'injustice, aux
accusations et à l'infamie.
Chapitre II : Les objectifs
des réparations
Deux objectifs se dégagent essentiellement des
réparations. Le premier prend en considération la dimension
morale des réparations ; la seconde elle, prend en
considération la dimension politique et socio-économique.
Section 1 : La
dimension morale des réparations
La prise en compte de cette dimension dans les
réparation a pour but de parvenir à rétablir la victime
dans sa dignité de personne humaine, en lui donnant la parole pour qu'il
puisse exprimer sa douleur, celle dont l'expression lui a été
déniée depuis. Donner la parole à une victime, c'est lui
donner la possibilité en tant qu'être humain de se plaindre,
d'exprimer sa souffrance, son désarroi et sa désolation ou son
isolation. C'est accueillir sa plainte, en l'écoutant raconter et se
raconter. C'est respecter l'expression atypique d'une douleur présente
pourtant vieille de plusieurs années. C'est enfin permettre à la
victime de se libérer, se soulager en vue de se réparer
moralement.
Au Burkina Faso depuis l'institution du Collège de
Sages et du CMOR-CRN, cette possibilité a été
accordée aux victimes de venir raconter leurs souffrances. A contrario,
des équipes composée de représentants du gouvernement et
de certaines membres du fonds d'indemnisation des victimes de violences en
politique ont sillonné toutes les treize régions du Faso,
à la rencontre des victimes ou de leurs familles pour présenter
les excuses de l'Etat et en même temps demander pardon.
Si plusieurs de familles ont accueilli cette démarche,
certains l'ont refusé, préférant la voie judiciaire.
Certes, les victimes n'ont pas rencontré leurs bourreaux, à
fortiori les écouter avouer leurs crimes ; mais devant ces
commissions qui symbolisent la nation burkinabé, ils ont eu l'assurance
que leur détresse a franchi le seul de leur univers personnel et
familiale pour avoir un écho national. En tout état de cause, la
réhabilitation morale à elle seule ne suffit pas, pour être
au moins quasi-totale, elle doit prendre en compte la dimension politique et
socio-économique de la réparation.
Section 2 : La
dimension politique et socio- économique
Aussi bien sur le plan politique que sur le plan
socio-économique, les réparations ont eu des impacts diversement
appréciés. Si les engagements au plan politique visent à
rétablir la confiance et le dialogue entre les différents acteurs
de la scène politique et de ce fait, touchent tous les
burkinabés, au plan socio-économique, l'impact est beaucoup plus
précis et se focalise essentiellement sur les victimes et/ou leurs
familles.
§ 1- La dimension
politique
L'engagement politique du Président du Faso à
bannir toute forme de violence au Burkina, l'exhortation des citoyens de toutes
les couches sociales et appartenances politiques, au civisme, à la
tolérance et au pardon mutuel, constituent les éléments
fondateurs de la nouvelle société où la violence fera
désormais place au dialogue et à la concertation, dans le respect
des différences d'opinions.
Dans ce sens, le gouvernement s'est engagé à
restaurer l'autorité de l'Etat, à animer la réflexion sur
le fonctionnement des institutions et à en faire le reflet de nos
valeurs culturelles. Il s'est engagé, en outre, à éviter
le clientélisme politique, à prendre des mesures au sein du
gouvernement pour combler le déficit de communication avec les
populations, à restaurer la confiance dans les institutions nationales
par le respect des dispositions constitutionnelles concernant
l'incompatibilité des fonctions des membres du gouvernement avec les
affaires.
Il s'est engagé enfin, à renforcer la nature
républicaine de l'armée nationale et à veiller au respect
des textes en la matière, à réserver l'exercice de la
police judiciaire aux seuls fonctionnaires légalement commis à
cette fonction, et à assurer l'indépendance effective du pouvoir
judicaire garantie par la constitution etc. C'est un véritable pacte
politique gage de la bonne foi du gouvernement.
§ 2-La dimension
socio-économique
Au plan social, la préoccupation majeure qui se
dégage concerne la réinsertion sociale des victimes. Cette
réinsertion sociale passe d'abord par une réhabilitation morale
qui consiste à leur reconnaître leur statut de victime et à
les innocenter. Mais elle passe également par leur réhabilitation
économique. A cet effet, le décret n° 2002-97/PRES/PM
portant modalités d'indemnisation des personnes victimes de la violence
en politique59(*) du 05
mars 2002 est celui qui définit les modalités d'indemnisation des
personnes victimes de la violence en politique. Les victimes visées par
ce décret sont regroupées en deux catégories qui
sont :
- les personnes ayant perdu la vie ;
- les personnes ayant subi divers préjudices.
S'agissant d'une part de l'indemnisation des ayants cause des
victimes ayant perdu la vie, elle comprend deux composantes dont une part fixe
forfaitaire et une part modulable.
Le calcul de la part fixe forfaitaire prend en compte la
réparation du préjudice moral résultant des souffrances
morales et psychologiques éprouvées par les proches parents du
fait du décès de la victime. La somme forfaitaire est de dix
millions (10000000) Frs CFA à l'ensemble des ayants cause de chaque
victime et majorée ainsi qu'il suit :
-Pour chaque conjoint survivant...........................1
500 000 Frs CFA
-Pour chaque enfant mineur au moment des faits........1
500.000 Frs CFA
-Pour chaque enfant majeur.................................1
500 000 Frs CFA
-Pour chaque ascendant......................................1
000 000 Frs CFA
Il est alloué aux familles des victimes
décédées les sommes forfaitaires de trois-cent
quarante-cinq mille (345.000) Frs CFA pour les frais funéraires d'une
part, et de cent mille (100.000) Frs CFA pour l'aménagement des tombes
d'autre part.
Quant au calcul de la part modulable, il prend en compte la
réparation du préjudice économique, constitué du
manque à gagner financier ou matériel résultant du
décès de la personne et éventuellement d'autres
préjudices qu'auraient subis les ayants cause et en relation
étroite avec le décès. Pour ce faire, il est tenu compte
du niveau de vie du défunt au moment de son décès, et de
la qualité de chacun des ayants cause.
S'agissant d'autre part de l'indemnisation des personnes ayant
subi divers préjudices, sont concernés par cette catégorie
les personnes victimes de séquestration, de coups et blessures, de
spoliation, de vandalismes, de mesures administratives abusives ainsi que les
« déguerpis de Bilibambili »60(*), et autres personnes pouvant
justifier tous autres préjudices résultant de la violence en
politique.
L'indemnisation des victimes s'est effectuée selon la
nature du préjudice subi.
Ainsi, l'indemnisation des coups et blessures se
décompose éventuellement comme suit :
-Le remboursement des frais médicaux ;
-L'indemnisation liée à l'incapacité
temporaire ou permanente ;
-L'indemnisation liée à l'assistance d'une
tierce personne ;
-L'indemnisation liée au préjudice de
carrière.
S'agissant des personnes victimes de vandalisme61(*), elles sont indemnisées
au taux forfaitaire de 50% du montant total justifié. Toutefois, le
montant de cette indemnisation ne saurait excéder la somme de cinquante
millions (50 000 000) Frs CFA.
Les victimes de spoliation62(*) quant à eux, sont indemnisées soit par
la restitution des biens spoliés s'ils existent ; le cas
échéant, par l'allocation d'un taux forfaitaire de 75% de la
valeur justifiée des biens spoliés. Toutefois, le montant de
l'indemnisation ne saurait excéder la somme de cent millions
(100.000.000) Frs CFA.
En définitive, toutes les victimes selon les
catégories dans lesquelles elles se trouvent, se sont vues appliquer un
traitement approprié. Au total, plus de trois milliards,
six-cents-soixante-millions (3.660.000.000) FCFA ont été
versés aux victimes, tous préjudices confondus, au mois
d'août 2006 sur un montant d'environ trois milliards, huit cent trente
sept millions (3.837.000.000) FCFA. Cependant, quelque soit l'importance
symbolique ou financière de ces réparations, elles comportent des
limites.
Section 3 : les
limites
Les réparations sont une contribution financière
de l'Etat qui ne saurait valoir le préjudice réellement subi par
les familles. En ce sens, elles comportent des limites objectives et des
limites subjectives qui feront l'objet des développements qui
suivent.
§ 1 - Les limites objectives
Sont exclus du champ d'application du fonds, les faits
considérés comme violence en politique ayant fait l'objet d'une
décision judiciaire passée en force de chose
jugée63(*), les
faits considérés comme violences en politique déjà
examinés dans le cadre des mesures d'indemnisation antérieures,
notamment l'ordonnance n°91-080/PRES du 30decembre 1991 portant
réhabilitation administrative. Pour prétendre à une
réparation, la qualité de victime directe ou indirecte est
requise. En outre, les victimes indirectes sont soumises à certaines
conditions relatives à la filiation, à l'âge etc.
Par ailleurs, les réparations ne sont jamais
intégrales et sont plafonnées à un certain pourcentage du
montant global du préjudice supposé.
La question de la réparation du préjudice subi
par le peuple du fait de la confiscation et la violation de certains droits et
libertés n'est pas sans causer problème. En effet, ces
réparations sont essentiellement des mesures qu'on pourrait qualifier de
bonnes intentions ou de déclarations d'intention qui n'ont aucune valeur
juridique et dont il serait hasardeux de se prononcer sur leur
éventuelle effectivité.
Enfin, un décret peut-il remettre en cause une
disposition constitutionnelle qui garantit à tout citoyen le droit de
recours effectif devant les tribunaux ? La réponse ne souffre d'aucun
débat dans la mesure où la constitution est supérieure
à la loi.
Si en Afrique du Sud la réconciliation s'est
opérée sur la base de dispositions constitutionnelles prises
à cet égard, au Burkina Faso, seule la loi, les décrets et
les engagements politiques ont prévalu ; toute chose qui fragilise
le processus de réconciliation et l'expose à d'éventuelles
remises en cause.
§ 2 - Les limites
subjectives
Le bénéficiaire du fonds d'indemnisation ne peut
intenter une action judiciaire sur la base des mêmes faits pour demander
une autre réparation64(*). De même, pour les faits qui font l'objet d'une
procédure judiciaire en cours, le plaignant, pour être
éligible au fonds d'indemnisation, doit au préalable se
désister de son action65(*). Ces conditions d'éligibilité au fonds
montre implicitement que réparation rime avec renoncement à toute
procédure judiciaire. Cela sous entend que la réparation met fin
à toute possibilité de manifestation de la vérité,
et donc à toute condamnation des éventuels coupables.
Il est permis de penser et ce, avec raison, que l'état
de dénuement de certaines victimes ou de leurs familles les aurait
motivé à préférer la voie de la réparation
en lieu et place de la voie judiciaire.
En outre, le fait que la liste des personnes à
indemniser ainsi que le montant à allouer doivent être
arrêté par décret pris en conseil des ministres est une
autre limite. En effet, l'Etat est le civilement responsable dans cette
histoire. Peut-il être juge et partie à la fois ? Il en est
de même lorsque le fonds est placé sous l'autorité du
premier ministre.
Longtemps, la thèse selon laquelle il serait prudent de
ne pas divulguer les noms des auteurs des violations des droits de l'homme
laisse penser également que les réparations aussi bien que les
demandes de pardon ne suffisent à faire disparaître
l'épouvante de la vengeance qui serait présente.
Conclusion
Il y a eu plusieurs transitions au Burkina Faso. La
première, qui nous intéresse le moins, est celle située
entre la période coloniale et les indépendances. Ensuite,
viennent les nombreuses transitions marquées par une alternance entre
les différentes Républiques et les coups d'Etat. La
dernière transition est celle qui a mis fin au régime dit des
capitaines, plus précisément au régime du front populaire
dirigé par le capitaine Blaise COMPAORE. Cette transition a
donnée naissance à la réouverture démocratique des
années 1990. Mais, peut-on réellement parler de transition? Si
une transition se limite au changement de régimes politiques, ça
en est une. Cependant lorsque ce changement de régime n'est pas
accompagné d'un changement des hommes qui sont à la tête de
l'appareil d'Etat, on ne peut affirmer avec certitude qu'il y a transition,
même si une nouvelle constitution a été adoptée.
Malheureusement, la nouvelle constitution burkinabé de la
quatrième république66(*) n'a pas tenu compte du fait que le passif en
matière de violation massive des droits de l'homme devait être
soldé. La transition telle que nous la concevons, comporte ces
éléments, mais, elle doit être marquée par une
remise en cause de l'histoire sociopolitique du pays en question et une
volonté commune de se réconcilier avec le passé, en vue
d'aborder l'avenir avec sérénité et tranquillité.
Dès lors, il est difficile d'affirmer sans crainte qu'il y a eu
transition au Burkina Faso.
En outre, l'ampleur des violations des droits de l'homme y est
relative, eu égard au nombre des victimes et à la durée
dans l'espace et dans le temps des actes incriminés.
On pourrait affirmer que justice a été faite aux
victimes des violences en politique au Burkina Faso, parce la
possibilité a été offerte aux victimes de saisir les
tribunaux, les mêmes qui ont été écartés dans
la recherche de la vérité générale et globale sur
les quarante années de l'histoire politique du pays. Des victimes ou
leurs familles les ont effectivement saisis. Là encore les
différents verdicts qui ont été rendus n'ont pas
été satisfaisants pour les requérants et certains67(*) ont saisi la Commission des
Droits de l'Homme des Nations Unies. Une fois de plus la justice a
été décriée et taxée de partisane.
Par ailleurs, la confession publique du chef de l'Etat
burkinabé, l'endossement des crimes commis au nom de l'Etat sur la base
des travaux des différentes commissions et la demande de pardon
solennelle aux victimes, à leurs familles et à la nation
entière, pourraient être considérés, dans une
moindre mesure, comme une justice. Toutefois, la justice transitionnelle est
une quasi justice qui emprunte imparfaitement les chemins de la justice
classique, même si la logique qui anime ces deux institutions est
différente, elles parviennent, à n'en pas douter, au même
résultat; à savoir la manifestation de la
vérité.
Par contre, la célébration de la JNP, avant que
la commission justice, vérité et réconciliation n'ait
été créée et statuée, telle que l'a
recommandé le Collège de Sages et fortement souhaité par
certaines familles des victimes, pourrait être interprété
comme une tentative insidieuse d'étouffer l'expression de toute
vérité. Par ailleurs, le fait même d'admettre, en plus du
pardon, les recours aux juridictions, est la manifestation tangible qu'il n'y a
point eu de consensus autour de la question de justice. Il y a peut-être
intention de justice en laissant aux victimes et à leurs familles la
possibilité de se déterminer. Dans ce cas, ce mélange non
miscible de pardon et de procès apparaîtrait comme une
originalité à la burkinabé. Il s'agit probablement d'un
mélange des voies traditionnelle et moderne de résolution des
crises sociales. Il devra être homogène, à tout le moins,
non explosif.
S'agissant de la JNP, la majorité des familles des
victimes y a participé; est-ce à dire qu'il y a renoncement de
leur part à la vérité?
Il est à noter que les familles de victimes qui se sont
désolidarisées de la JNP sont celles dont l'assassinat des
membres, a beaucoup choqué l'opinion par la méthode
utilisée. Jamais sous les cieux du Faso, des méthodes aussi
barbares n'ont été utilisées pour ôter la vie
humaine d'une manière peu discrète et peu honorable pour les
bourreaux. On peut détester un être humain; cependant sa
dignité commande qu'on continue de le respecter jusqu'au bout. A ce
effet, l'assassinat à la grenade du professeur Oumarou Clément
OUEDRAOGO, ou l'assassinat et ensuite, l'incinération du journaliste
Nobert ZONGO et ces compagnons d'infortune sont cités en exemple.
En tout état de cause, on a l'impression que dans le
cas burkinabé, il y a une contradiction et un piège. La
contradiction vient de ce que la demande de pardon ait
précédé la justice et que la possibilité de justice
n'est pas exclue après la demande de pardon. Certes, les victimes
devaient faire un choix entre les indemnisations et les recours
judiciaires ; néanmoins, certaines victimes ont accepté de
pardonner, mais elles ont refusé de se faire indemniser. Lorsque le
pardon est accordé, on ne peut après demander justice. C'est
comme si le pardon n'avait pas été sincère ; d'où
le piège. Le pardon est synonyme d'absolution des fautes. Aussi,
généralement en Afrique, après le pardon, l'offensé
n'a plus de compte à demander à l'offenseur. Dès lors, le
pardon apparaît comme une grâce accordée par la victime au
coupable. Voilà pourquoi, la justice, en réhabilitant le premier,
en lui rendant justice, le met dans une disposition d'esprit qui lui permet de
réhabiliter son bourreau en lui accordant son pardon. Ce sont des
raisons pour lesquelles tout le processus de réconciliation nationale
apparaît comme un pis-aller face à la soif de justice des
burkinabés.
Par ailleurs, la réconciliation a été
faite en dehors du cadre constitutionnel68(*) ou institutionnel établit. Dès lors, le
recours fréquent à des traditions ancestrales diverses et non
codifiées pour résoudre de graves problèmes nés de
la modernisation des institutions politiques et de la transformation du
processus de désignation des gouvernants, comporte des risques majeurs
de créer une irresponsabilité vis-à-vis des risques
sociopolitiques et leur banalisation.
Encore faudrait-il, que la tradition soit respectée
dans son esprit, même en l'absence de la lettre. D'où l'urgence de
codifier des règles minimums d'épurement du passé qui
évite les éternels retours à la case départ car,
comme l'a si bien dit le chef de l'Etat du Burkina Faso : «l'exemple
de nombreux pays africains, et même d'ailleurs, montre à quel
point les crises sociales mal résolues, la négation du
dialogue, le manque de tolérance et l'absence de clairvoyance des
acteurs politiques et sociaux ont conduit, tout simplement, à leur
destruction »69(*).
L'implication du Président du Faso Blaise COMPAORE dans
la résolution de la récente crise au Togo voisin laisse croire
que « la recette burkinabé » en matière de
résolution des conflits sociaux nés de la violation des droits de
l'homme et en matière de réconciliation nationale semble
être une bonne recette ou à tout le moins une recette exportable.
En tout état de cause, l'avenir nous en dira plus.
Bibliographie
I- Ouvrages généraux
- Frédéric Sudre : Droit européen et
international des droits de l'homme, 6e éd., collection droit
fondamental, PUF, 2003.
- Didier Rouget : Le guide de protection internationale
des droits de l'homme, éd. La Pensée sauvage, 2000.
- Alfred Fernandez et Robert Trocmé : Vers une
culture des droits de l'homme, Université d'été des droits
de l'homme et du droit à l'éducation, éd.
diversités Genève.
- Edouard Ouedraogo : Voyage de la Haute-Volta au Burkina
Faso, éd. Paalga, Ouagadougou, 1995.
- Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des
Peuples : Rapport sur l'Etat des droits de l'homme au Burkina Faso,
période 1996-2002, imprimerie de l'avenir.
- Comité technique d'appui au gouvernement : Vers
un apaisement social, éd. Découvertes du Burkina, Tunis, 2004.
II- Rapports et cours
- Rapport mondial sur le développement humain 2005.
- Rapport du collège des Sages, Ouagadougou, juillet
1999.
- Rapport général sur la mise en OEuvre des
recommandations de la commission pour la réconciliation nationale,
Ouagadougou, mai 2001.
- Rapport de la commission d'enquête indépendante
sur la mort des occupants du véhicule 4X4 immatriculé 11j 6485
BF, survenue le 13 décembre 1998 sur l'axe routier Ouagadougou- Sapouy,
dont le journaliste Norbert ZONGO.
-Mission d'informations des comités, Ouagadougou, mars
2005.
-Cours du Prof. Dr. Xavier Philippe : « La
justice transitionnelle : une nouvelle forme de justice »
III- Législations
- L'ordonnance n°68-7 du 21 février 1968, portant
institution du code de procédure pénale.
- La constitution du Burkina Faso adopté par referendum
du 02 juin 1991.
- Le décret n°99-158/PRES portant création,
composition et missions du Collège de Sages.
- Le décret n°98-0490/PRES/PM/MEF/DEF/MJ6SG/MATS du
18 décembre 1998 portant création, composition et attributions
d'une commission d'enquête indépendante.
- Le décret n° 2001-275/PRES/PM portant
création, organisation et fonctionnement d'un fonds d'indemnisation des
personnes victimes de violence en politique.
- Le décret n° 2001-276/PRES/PM portant
critères et conditions d'indemnisation des personnes victimes de la
violence en politique.
- Le décret n° 2002-97/PRES/PM portant
modalités d'indemnisation des personnes victimes de la violence en
politique.
IV- Conventions Internationaux
- La convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants entrée en vigueur le 26 juin
1987, conformément aux dispositions de l'article 27 (1) ;
- L'ensemble de principes pour la protection de toutes
les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou
d'emprisonnement, adopté par l'Assemblée générale
dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988 ;
- La déclaration des principes fondamentaux de justice
relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de
pouvoir, adoptée par l'Assemblée générale dans sa
résolution 40/34 du 29 novembre 1985.
V - Journaux
- Observateur paalga, Hors série, XXVII
année, du 08 mai 1999 ;
- Observateur paalga, n°4915, XXVII année, du 03 juin
1999 ;
- Observateur paalga, n°4917, XXVII année, du 07
juin 1999 ;
- Observateur paalga, n°4923, XXVII année, du 15 juin
1999 ;
- Observateur paalga, n°4945, XXVII année, du 15
juillet 1999 ;
- Observateur paalga, n°4958, XXVII année, du 03 au
05 août 1999 ;
- Observateur paalga, n°4959, XXVII année, du 06 au
08 août 1999 ;
- Observateur paalga, n°4965, XXVII année, du 16
août 1999.
* 1 Selon les données de
L'INSD, en 1996, la population était estimée à
10.469745 ; aujourd'hui, elle est estimée à environ 13
millions. Les estimations du PNUD prévoient une population de 17.7
millions en 2015.
* 2 Plaisanterie entre ethnies
ayant eu, entre autre, des rapports de maître à esclave de par le
passé.
* 3 Quatre régimes
démocratiques et 6 régimes d'exception.
* 4 Localité
située à 100 Km au sud de la capitale, sur l'axe Ouagadougou
Léo
* 5 Le congrès pour la
démocratie et le progrès (CDP)
* 6 V. Message à la
nation de son excellence le président du Faso, Ouagadougou le 21 mai
1999, rapport Générale sur la mise en oeuvre des recommandations
de la commission pour la réconciliation nationale, p. 46-47
* 7 V. Réquisitions du
commissaire du gouvernement Boniface N Gjiguimdé près le conseil
d'Etat, Rentrée judiciaire 2006-2007, Ouagadougou, octobre 2006, p. 2
* 8 Mouvement burkinabé
des droits de l'homme et des peuples, principale organisation de défense
des droits de l'homme, membre du collectif des organisations
démocratiques de masse et des partis politiques (CODMPP)
* 9 V. Rapport sur l'Etat des
droits humains au Burkina Faso, période : 1996- 2002, MBDHP 2002,
p. 92
* 10 V. Ibidem, p.92
* 11 Suppression des
délais de recours et de prescription.
* 12 Programme du parti au
pouvoir, le CDP, pour le quinquennat 2006-2010.
* 13 V. Plan de consolidation
du plan d'action national de reforme de la justice (PC-PANRJ), Patricia
Birette-Bernard, Guy de scorraille, août 2006, p.25
* 14 V. Rapport du
collège des sages, Ouagadougou, juillet 1999, p.9
* 15 V. Article 39 de
l'ordonnance n°68-7 du 21 février 1968, portant institution du code
de procédure pénale, p.425.
* 16 V. Article
1er² de l'ordonnance n°68-7 du 21 février 1968,
portant institution du code de procédure pénale, p.419.
* 17 V. Articles 7,8 et 9 de
l'ordonnance n°68-7 du 21 février 1968, portant institution du code
de procédure pénale, p.420.
* 18 V. constitution du Burkina
Faso adoptée par referendum du 02 juin 1991, révisée par
les lois constitutionnelles suivantes : n°002/97/ADP du 27 janvier
1997 ; n°003-2000/ AN du 11 avril 2000 ; n°001-2002/AN du
22 janvier 2002, P.8
* 19 V. Rapport sur l'Etat des
droits humains au Burkina Faso, période : 1996- 2002, MBDHP 2002,
p. 51-55
* 20 V. Vers un apaisement
social, comité technique d'appui au gouvernement, éd
découvertes du Burkina, juin 2004, p. 16
* 21 V. Rapport sur l'Etat des
droits humains au Burkina Faso, période : 1996- 2002, MBDHP 2002,
p. 31-33
* 22 Organe crée par
décret n°99-158/PRES portant création, composition et
missions du Collège des Sages, chargé d'oeuvrer à la
réconciliation des coeurs et à la consolidation de la paix
sociale.
* 23 Alfred Fernandez et Robert
Trocmé : Vers une culture des droits de l'homme, Université
d'été des droits de l'homme et du droit à
l'éducation, éd. diversités Genève, p. 11.
* 24 V. art. 11 de la
déclaration universelle des droits de l'homme et 09 de la charte
africaine des droits de l'homme et des peuples.
* 25V. -
Frédéric Sudre : Droit européen et international des
droits de l'homme, 6e éd., collection droit fondamental, PUF,
2003, p. 416
* 26
La liberté d'expression et d'information est nécessaire
à la liberté de réunion mais constitue une menace au droit
au respect de la vie privée
* 27 V. Ibidem, p. 416
* 28 Incendie en 1983 du seul
journal indépendant qui existait, dénommé l'Observateur.
Elle fut attribuée aux CDR
* 29 V. art.08 constitution du
Burkina Faso adopté par référendum du 02 juin 1991, p.
09
* 30 V. art. 18 Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, guide de la protection
internationale des droits de l'homme, Didier Rouget, éd. La
pensée sauvage, p.295
* 31 V. Ibidem, p. 8
* 32 « A nos
jours » prend en compte les violences recensées avant mars
2001.
* 33 In message à la
nation de S.E. le président du Faso, Ouagadougou, mai 1999, p.2
* 34 Cet article porte sur la
durée du mandat présidentiel. Il a été
modifié deux fois. A son adoption, il prévoyait un septennat
renouvelable une fois. La première modification à supprimer la
limitation du mandat. La seconde a réintroduit cette limitation, cette
foi-ci avec un quinquennat.
* 35 Cette modification a
été opérée par la loi constitutionnelle du 11 avril
2000 qui supprime la chambre des représentants.
* 36 Adoption d'une loi
intitulée « charte des partis politiques »
* 37 Mécanisme par
lequel, l'auteur d'un crime se voit accorder une immunité en raison de
ses aveux et de sa participation à la manifestation de la
vérité. Le plaidoyer de culpabilité a été
expérimenté avec succès en Afrique du Sud dans le cadre de
la commission justice, vérité et réconciliation.
* 38 Le pays
généralement cité en exemple en l'espèce est
l'Afrique du Sud.
* 39 Le CMOR-CRN était
composé de 15 ministres dont un ministre d'Etat et un secrétaire
général du gouvernement et du conseil des ministres ayant rang de
ministre.
* 40 Ce sont les crimes
suivants : abus de biens sociaux, détournement de deniers
publics
* 41 Infractions commis par les
agents agissant ou supposés agir au nom de l'Etat.
* 42 In message à la
nation de S.E. le président du Faso, Ouagadougou, mai 1999, p.1
* 43 Il s'agit de certains
leaders politiques de l'opposition, les membres du CODMPP ainsi que certaines
familles de victimes.
* 44 Il s'agit essentiellement
du gouvernement et d'une majeure partie des familles des victimes.
* 45 Le pouvoir n'a
véritablement pas changé de main depuis le 15 octobre 1987, date
d'arrivée au pouvoir du front populaire dirigé par le capitaine
Blaise COMPAORE qui va créé avec ses amis L'ODP/MT qui deviendra
le CDP.
* 46 Lire « voyage de
la haute Volta au Burkina Faso » Edouard OUEDRAOGO, Ed. paalga,
Ouagadougou, 1995
* 47 Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants entrée en vigueur le 26 juin 1987,
conformément aux dispositions de l'article 27 (1) ; Ensemble
de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une
forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, adopté par
l'Assemblée générale dans sa résolution 43/173 du 9
décembre 1988 ; Déclaration des principes fondamentaux de
justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus
de pouvoir, adoptée par l'Assemblée générale dans
sa résolution 40/34 du 29 novembre 1985
* 48V. PNUD : Rapport
mondial sur le développement humain 2005, la coopération
internationale à la croisée des chemins, économica, paris
2005.
Ledit rapport classe le Burkina Faso 175/177 sur l'indicateur du
développement Humain.
* 49 In allocution de S.E
Monsieur le président du Faso à l'occasion de la JNP,
Ouagadougou, mars 2001, p.3
* 50 Il existe en droit
international des crimes imprescriptibles comme le crime de génocide,
les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. La situation de
violation des droits de l'homme au Burkina Faso, entrerai difficilement dans
une de ces catégories.
* 51 In Observateur paalga,
n°4949, XXVII année, du 06 au 08 août 1999
* 52 In Cours du Prof. Dr.
Xavier Philippe : « La justice transitionnelle : une
nouvelle forme de justice »
* 53 A cause de la survivance
de certains réflexes des Etats d'exception, notamment les milices
privées, les tortures, la violation des libertés individuelles et
collectives relatives aux réunions, aux manifestations sur la voie
publique.
* 54 Date du coup d'état
sanglant ayant mis fin au régime du CNR dirigé par le capitaine
Thomas SANKARA et avènement du front populaire dirigé par le
capitaine Blaise COMPAORE.
* 55V. Vers un apaisement
social, comité technique d'appui au gouvernement, éd
découvertes du Burkina, juin 2004, p. 23
* 56In allocution de S.E
Monsieur le président du Faso à l'occasion de la JNP,
Ouagadougou, mars 2001, p.3
* 57 In allocution de S.E
Monsieur le président du Faso à l'occasion de la JNP,
Ouagadougou, mars 2001, p.10
* 58 Il s'agit du
Collège des Sages, de CRN, du CMOR-CRN
* 59 L'expression a
été définie de façon claire nette et précise
par l'art.02 du décret n° 2001-275/PRES/PM portant création,
organisation et fonctionnement d'un fonds d'indemnisation des personnes
victimes de violence en politique. Il définit la violence en politique
comme tous actes commis dans la conquête et la gestion du pouvoir d'Etat
ayant entraîné des pertes en vies humaines ou des
préjudices physiques, économiques, moraux et dont le CMORN a
été saisi.
* 60 Premier quartier populaire
de la ville de Ouagadougou ayant fait l'objet de déguerpissement dans
des conditions peu respectueuses des droits des déguerpis, sous le CNR.
Le site abrite de nos jours la cité an III.
* 61 On compte parmi ces
victimes certains dignitaires du régime au pouvoir, hommes
d'état, militants du CDP, opérateurs économiques et autres
particuliers dont les biens ont été saccagés pendant les
périodes troubles consécutives à la crise de sapouy.
* 62 Les victimes de spoliation
sont essentiellement les anciens dignitaires des autres régimes qui ont
été jugés par les TPR et qui ont vu leurs biens
retirés ou confisqués.
* 63 Autorité
attachée à un acte de juridiction servant de fondement à
l'exécution forcée du droit judiciairement établi, et
faisant obstacle à ce que la même affaire soit à nouveau
portée devant le juge.
* 64 V. art. 08
al.1er du décret n° 2001-275/PRES/PM portant
création, organisation et fonctionnement d'un fonds d'indemnisation des
personnes victimes de violence en politique.
* 65 V. art. 08 al.
2nd du décret n° 2001-275/PRES/PM portant
création, organisation et fonctionnement d'un fonds d'indemnisation des
personnes victimes de violence en politique.
* 66 Constitution du Burkina
Faso adoptée par référendum du 02 juin 1991 ayant permis
le retour à une vie constitutionnelle normale par l'organisation de
l'élection présidentielle au mois de décembre de la
même année, où Blaise COMPAORE a été
élu à la magistrature suprême.
* 67 Il s'agit entre autre de
l'affaire Thomas SANKARA et de l'affaire Norbert ZONGO.
* 68 Conçue dans le
cadre du processus interne de reconstruction, la justice transitionnelle
possède souvent aujourd'hui un statut constitutionnel.
* 69 In allocution de S.E
Monsieur le président du Faso à l'occasion de la JNP,
Ouagadougou, mars 2001, p.9
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