Enjeux politiques et sociaux d'un changement spatial( Télécharger le fichier original )par Audrey LELONG Université de Rouen - Master 2001 |
Université de Rouen UFR Psychologie, Sociologie, Sciences de l'éducation Département de Sociologie Mémoire de Master 1ère année La reconquête du centre-ville : Enjeux politiques et sociaux d'un changement spatial Par Audrey Lelong Sous la direction de Nassima Dris Septembre 2007 A mes parents, A mes frères... REMERCIEMENTS Je remercie toutes les personnes sans qui l'élaboration de ce mémoire n'aurait pas été possible. Tour d'abord, un grand merci à Nassima Dris pour son soutien, ses conseils précieux et sa disponibilité tout au long de l'année. Merci à Jean-Christophe Blondel de m'avoir accueillie pour un stage au service du droit des sols de la mairie de Rouen et de m'avoir fait découvrir un univers exceptionnel. Merci à celles et ceux qui m'ont avancé dans mon travail, en particulier pour la relecture finale. Ce mémoire traite du rapport à l'espace et des enjeux politiques qui lui sont liés à travers la question de la requalification du centre-ville de Rouen. Je prends pour illustration la construction de l'Espace Monet Cathédrale, qui remplacera le Palais des Congrès fermé depuis 1996. Cet espace se trouve place de la Cathédrale située en plein centre-ville de la rive droite de Rouen. Le Palais des Congrès de Rouen se situe à l'ouest de la place de la Cathédrale, au croisement de la rue du Gros Horloge et de la rue des Carmes. Sa particularité est d'être érigé à côté de monuments classés comme la Cathédrale et le Gros Horloge quelques mètres plus loin. Ce sujet soulève des questions liées à l'inscription d'un ensemble moderne dans un centre historique. De ce fait, la question du patrimoine est essentielle. Nous nous interrogeons sur la place du centre historique dans l'histoire urbaine et dans les représentations. Selon un responsable de l'urbanisme, le plan local d'urbanisme, qui est le document de planification de l' urbanisme communal ou intercommunal et qui a été adopté en septembre 2004 à Rouen a pour objectif de reconquérir le centre-ville en construisant les nouveaux grands projets urbains: « Depuis plus de 3 ans, nous essayons de faire disparaître l'actuel bâtiment abandonné de l'ex-Palais des Congrès pour le remplacer par un nouveau projet, l'Espace Claude Monet Cathédrale, susceptible de redonner vie et qualité à cet endroit majeur de la ville »1(*). Le nouveau projet apparaît donc comme un atout pour la ville. Le projet Monet Cathédrale est composé de trois corps de bâtiments, articulés autour d'une cour ouverte, donnant sur la façade Romé restaurée et en correspondance avec les rues adjacentes (rues des Carmes et St Romain). Le rez-de-chaussée sera en retrait pour prolonger les arcades existantes avec des piliers revêtus de pierre. Le parvis sud aura une structure en béton devant laquelle sera posée une façade en plaques de verre clair et transparent. Au-dessus du bâtiment, il y aura un plan incliné formant la toiture qui fera 14,70 mètres de hauteur au minimum et 22 mètres au maximum, qui est la hauteur maximale autorisée par le PLU, contrairement à la toiture du Palais des Congrès qui fait 19,10 mètres. Le bâtiment comprendra des locaux commerciaux (dont un espace bar et restauration) au rez-de-chaussée et à l'étage, une salle de conventions pour congressistes (jauge de 250 à 300), et enfin des logements de hauts standing dans les étages supérieurs. Même s'il y a eu au préalable une réunion organisée par la municipalité sur le projet, il apparaît surtout comme une volonté politique de marquage de l'espace. Quelle est la place des habitants dans ce processus ? Ont-ils été consultés ? Dans quels objectifs? Les habitants peuvent-ils s'approprier le nouveau projet ? Une des formes de l'appropriation de ce projet par les habitants pourrait éventuellement correspondre aux débats entre les professionnels depuis mars 2005, période à laquelle le Ministère de la culture a décidé que ce « dossier sensible » sera traité par la commission supérieure des monuments historiques. La sensibilité du dossier est due à la nature du projet, c'est-à-dire une forme architecturale moderne dans le centre historique, qui a suscité de nombreuses réactions de la part des habitants. La commission supérieure des monuments historiques a étudié la proposition du maître d'oeuvre dessinée par Jean-Paul Viguier en juin 2005 et a rendu un avis négatif, qui est consultatif car seul le ministre décide. Après cet avis négatif sur le projet, l'architecte propose un nouveau projet en tenant compte des remarques de la commission. De décembre 2005 à avril 2006, des avis complémentaires sont demandés par le Ministre à partir du projet modifié afin d'éclairer sa décision. Les avis portent tantôt sur la démolition du Palais des Congrès, tantôt sur la construction du projet Monet Cathédrale, ce qui a créé de l'incompréhension chez la plupart des Rouennais au moment de la publication de ces avis. La municipalité a recensé parmi les personnes favorables au projet, seulement ceux qui s'étaient prononcés favorablement pour la destruction du Palais des Congrès. L'avis des experts n'a alors pas été pris totalement en compte et en avril 2006, le Ministre rend un avis favorable au projet amendé en reprenant certaines recommandations des experts. Ce projet suscite des avis soit positifs soit négatifs selon les personnalités politiques. À cette échéance des élections municipales, on peut émettre l'hypothèse d'une éventuelle stratégie politique. La stratégie politique n'est-elle pas l'enjeu majeur de cette querelle car chaque camp politique a une position différente? Y a-il vraiment une volonté de protection des abords de la cathédrale, et donc du patrimoine de la part des politiques ? Si les personnalités politiques voient, au travers de ce projet un moyen de conquête spatiale pour affirmer un rapport de pouvoir, la question de la protection des sites historiques n'est peut-être pas aussi essentielle qu'on voudrait le faire croire. Ce qui pose problème est, selon les experts, d'une part la localisation du projet, c'est-à-dire proche de la Cathédrale et d'autre part, une hauteur maximale que le bâtiment atteindra pour que cet espace soit le plus rentable possible pour les promoteurs. Il est essentiel de prendre en compte que ce bâtiment n'est pas une propriété de la municipalité, seul l'Architecte des Bâtiments de France est en mesure de refuser le projet. C'est le CDR (consortium de réalisation) du Crédit Lyonnais qui en est propriétaire et qui souhaite le démolir. Ce CDR avait proposé à la municipalité, il y a quelques années de vendre le Palais des Congrès pour un euro symbolique, or, le coût de la démolition ainsi que de la reconstruction était trop cher pour la commune. Les moyens de la ville et les dispositions actuelles ne permettent pas d'investir suffisamment. Le CDR en reste donc propriétaire et est responsable de la nature du nouvel espace. La mairie peut seulement orienter les débats sur ce projet. La reconquête voulue du coeur de la ville est donc difficile et très lourde. Cette situation complexe de reconquête du centre-ville au travers de ce projet Monet Cathédrale nous conduit à nous poser des questions sur l'identité de la ville et sur la participation des habitants. Pour effectuer mon étude, je partirai, du « cadre bâti » de la ville, c'est-à-dire celui qui se matérialise sous forme de plans, de lois, de règlements et de réalisations normalisées2(*). La matérialisation est indissociable des contextes de leur production et de leur interprétation, qu'il s'agit d'incorporer à ma démarche. Donc, au-delà de l'observation et de la description de l'espace, je prendrai en compte le contexte de destruction et de reconstruction, l'avis des habitants : leurs perceptions et leurs représentations ainsi que la façon d'agir des politiques. Ce qui est intéressant à étudier est l'impact d'un tel projet au niveau social et politique. Quel est l'impact d'une transformation de l'espace qui modifie l'ensemble existant par de nouvelles constructions ? Nous construisons notre raisonnement au travers du centre-ville et sa signification pour les habitants. Nous cherchons ainsi à définir cette notion de centre-ville, thème de notre recherche. Nos interrogations quant au rôle du centre-ville comportent deux aspects : la participation des habitants aux Grands Projets de Ville, d'une part et le rapport au patrimoine des habitants des politiques, d'autre part. Si les débats se font vifs, il est important de s'interroger sur le fort attachement des Rouennais à leur patrimoine. Nous tentons de comprendre dans quelle mesure la reconquête du centre-ville pourrait-elle conduire à une crise d'identité et/ou une crise politique. Plus précisément, la politique menée pour la construction moderne de l'espace Monet Cathédrale au sein du centre historique va-t-elle dans le sens des attentes des Rouennais ? L'introduction d'une architecture moderne au sein du patrimoine historique de Rouen nuit-elle à l'identité de la ville ? Les processus de consultations concernant l'aménagement sont-elles démocratiques ou apparaissent-elles comme une mesure technocratique ? De nombreux travaux de morphologie urbaine lancés au cours des années 1970, ont été peu poursuivis. L'approche morphologique pratiquée jusqu'à aujourd'hui, à quelques exceptions près, était basée sur l'étude des formes urbaines anciennes avec une préoccupation patrimoniale. Je voudrais ainsi partir de ces études tout en intégrant la modernité urbaine, c'est-à-dire me préoccuper du patrimoine ancien qui est confronté à la modernisation urbaine. Contrairement aux études sur le patrimoine de la ville passée, je me propose d'étudier dans le cadre de ce mémoire, les formes urbaines dans leur vécu actuel et à venir. Pour cela, la problématique soulevée ici, nécessite une réflexion à partir de la notion de centre-ville, de patrimoine et de participation des habitants dans la mise en oeuvre des projets urbains. 1- Centre-ville et centralitéL'expression centre ville recouvre une réalité complexe, composite et variable. Prenons tout d'abord la définition proposée par Reynaud3(*) pour qui le centre, c'est essentiellement « là où les choses se passent, le noeud de toutes les relations », ceci indépendamment de l'échelon considéré ; ainsi, il est possible de parler de centre de quartier, de centre-ville, de centre de pays, pour autant qu'une « concentration » d'éléments caractérisée par la densité de population, d'activité et de trafic, de facteurs ou de valeurs soit présente. En outre, le centre peut varier considérablement selon les individus (ou groupes) : limites, caractéristiques, éléments de référence, se modifient en fonction des points de vue et des représentations. La place de la Cathédrale de Rouen qui est dans le coeur de la ville est en effet le lieu où tout se passe (spectacle, manifestations de toutes sortes, lieu de rencontre, de rendez-vous...) et elle peut être vue différemment selon ce que les personnes viennent y faire. En général, le coeur de la ville est la partie fondamentale de l'organisation urbaine : celle qui en assure la vie et l'activité. Contrairement aux petites villes qui ont un centre-ville multifonctionnel, les grandes villes ont dans leur centre-ville des quartiers spécialisés. À Rouen, la répartition des types d'habitats permet d'individualiser des quartiers en les spécifiant, selon la prédominance des maisons sur les immeubles collectifs, l'importance des espaces verts, l'orientation, l'ancienneté du bâti, les modes (quartiers anciens recherchés aujourd'hui, délaissés il y a 40 ans), les activités économiques. Le centre ville est le plus densément peuplé et présente deux aspects : des immeubles très serrés autour de la Cathédrale, Saint Maclou et Saint Ouen et la place du Vieux Marché (se référer au plan de la page suivante répertoriant les quartiers de Rouen). Plan 1 : Les quartiers au coeur de la ville
STATISTIQUES DES QUARTIERS DE ROUEN, 1999* 1 Propos d'Edgar Menguy, Maire-Adjoint chargé de l'urbanisme de la ville de Rouen. * 2 Clavel M., Sociologie de l'urbain, Anthropos, 2002, p.52. * 3 Reynaud R., « Centre et périphérie » in : Bailly A., Ferras R., Pumain D. (dir.), Encyclopédie de géographie, Economica, Paris, 1992. |
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