III- l'évaluation
Si
l'évaluation ne bouge pas, le reste ne bougera pas. Tous les gens
sensés travaillent pour être bien évalués. Il est
dans leur intérêt de repérer ce qui compte vraiment dans la
réussite. Or, ce qui compte, c'est ce qui est évalué
formellement. Si ce qui est évalué formellement ne valorise pas
les compétences, ni les élèves, ni les familles, ni
même les enseignants ne vont développer des compétences. Si
l'on veut que l'approche par compétences prenne " le virage du
succès ", il faut absolument que le message des programmes soient
relayé par une adaptation de l'évaluation, de sorte qu'elle porte
aussi, en principe et en pratique, sur des compétences.
Il est vrai
que si nous savons mieux comment évaluer des compétences, ce
serait plus rassurant. Cela dit, nul système éducatif n'est
complètement démuni. Il y a des modèles en formation
professionnelle, que nous pouvons jusqu'à un certain point transposer en
formation générale. La formation professionnelle nous apprend
qu'on développe des compétences en créant des situations
complexes, qui exercent la mobilisation et la coordination des connaissances.
Et que nous évaluons ces compétences de la même
façon, en partie à travers des situations d'évaluation
spécifiques, construites à cette fin, en partie en regardant les
étudiants travailler. Quand on voit quelqu'un aux prises avec des
problèmes, confronté à des situations de planification,
d'orientation, de partage, nous voyons, sans avoir besoin de lui administrer un
examen, s'il parvient ou non à s'en tirer.
Un enseignant qui observe un
élève en train de préparer un exercice, ou de
rédiger un résumé doit pouvoir identifier les obstacles
cognitifs que l'apprenant rencontre et mettre le doigt sur les savoirs ou les
schèmes qui font problème, ceux sur lesquels il reste à
progresser. L'observation formative exige ce regard pointu. C'est celui qu'on
attend d'un professionnel lorsqu'il regarde un stagiaire au travail. Il doit
voir ce qu'il sait faire et, quand il ne sait pas faire, repérer ce qui
lui manque, en termes de ressources aussi bien que de mobilisation de
ressources acquises. C'est impossible si l'observateur n'a pas une idée
précise des savoirs à mobiliser aussi bien que de la façon
de les mettre en synergie.
Enseigner dans une classe
à niveaux multiples avec programme multiples pose un défi aux
enseignants qui y interviennent. Les programmes d'études comme le
matériel didactique sont conçus pour répondre ce
découpage. Les enseignants se voient donc, dans l'obligation
d'aménager le temps en fonction des deux degrés, souvent en
poursuivant pour chacun les objectifs des programmes de chacun des
degrés.
Les enseignants se plaignent
donc du manque du temps pour planifier, du manque de matériel
adéquat, de la difficulté d'évaluer adéquatement
les apprenants et de l'isolement dans lequel ils se trouvent. Certains
pédagogues pourraient croire que la solution consiste à
bâtir un programme particulier pour ce type de regroupement. A notre
avis, c'est une solution réductionniste qui ne tient pas compte de
l'évolution des connaissances concernant le processus d'apprentissage et
qui risquent de placer les élèves qui s'y retrouvent dans un
système à rabais. Nous proposons des pistes de travail et des
outils qui favorisent la gestion des apprentissages et la gestion de la classe
dans un contexte particulier tout en permettant à l'enseignant et aux
élèves d'y jouer un rôle significatif. Cette recherche rend
compte de pratiques liées au management par les compétences et
modélise un processus global. Il propose une vision, un dessein, mais
aussi, une démarche et des méthodes concrètes
fondées sur la conduite de notre classe à niveaux multiples.
Elle n'est ni une simple
description, ni une capitalisation exhaustive, ni un modèle
standardisé. Il est fait de propositions multiples et relatives, et
invite plutôt les responsables de l'enseignement à glaner pour
enrichir leurs réflexions, leurs pratiques et poursuivre le sillon sur
d'autres pistes. A chacun de construire et de contribuer à sa part
d'innovation. Elle propose des points de repères et des applications.
Tous les pays
développés semblent s'orienter vers l'approche par
compétences. S'agit-il d'une nouvelle panacée ? D'un nouveau
remède aux maux de l'école ?
Les réformes
successives du système éducatif n'ont pas encore abouti à
des résultats satisfaisants. Là est l'essentiel. L'école
" peut mieux faire ". Pour avoir le courage de remettre l'ouvrage sur
le métier, peut-être avons-nous besoin de créer de nouveaux
mots-clés, pour nous donner l'impression qu'il y a un enjeu, un
défi nouveau. Ne nous y trompons pas : si le langage est nouveau,
l'approche par compétences répond à un vrai et ancien
problème de l'école.
Dans le meilleur des cas,
les jeunes sont " savants ", lorsqu'ils sortent de l'école.
Ils ne sont pas nécessairement compétents. Autrement dit :
beaucoup n'ont pas appris à mobiliser leurs savoirs en dehors des
situations d'examen. Ce qu'ils savent ne leur est utile hors de l'école
que s'ils parviennent à identifier, activer et coordonner leurs savoirs,
voire à s'en détacher pour inventer des solutions originales,
lorsque la situation exige d'aller au-delà des savoirs établis.
Nous avons mieux compris aujourd'hui que cette mobilisation ne se fait pas
spontanément, au gré de l'expérience. Y entraîner
est depuis toujours un enjeu de formation majeur en formation professionnelle.
Le fait nouveau est que nous nous en préoccupons désormais
dès la scolarité de base.
Il y a, derrière les
réformes du curriculum en termes de compétences, une prise et
peut-être une crise de conscience. L'école accapare
beaucoup d'années de la vie de chacun, en lui promettant que cet
investissement va être utile. La désillusion est accentuée
par le fait que, depuis un siècle, la scolarisation n'a cessé de
s'étendre ; Nous avons mis de plus en plus de jeunes à
l'école, pendant de plus en plus d'années. Les obstacles à
l'accès à l'école sont aujourd'hui largement
surmontés dans les pays développés. La question est
maintenant de savoir si ce que nous y apprenons justifie les longues
années que nous passons. La question ne se pose pas pour ceux qui
apprennent en dépit de toute pédagogie, mais pour le plus grand
nombre. Dans une société moderne, on estime que tous ont besoin
de savoirs et de compétences.
Pourquoi y a-t-il autant de
jeunes qui, après dix ans passés à l'école, ne
savent pas véritablement lire ? Et pourquoi ceux qui ont
passé des examens ne parviennent-ils pas à se servir de leur
savoir dans la vie, par exemple pour prendre soin de leur santé ou
comprendre les enjeux politiques ? C'est un nouveau défi.
Maintenant que l'école existe et touche tout le monde, il faut faire en
sorte qu'elle atteigne ses buts pour tous ou presque tous
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