II.4.3.4. Contexte et objectifs de l'évaluation
quantitative des risques biologiques
Le risque biologique présente de nombreuses
spécificités qui empêchent une simple transposition de la
méthodologie général d'évaluation des risques
chimiques au domaine biologique (Bonnard, 2001). En effet, la transmission d'un
agent infectieux impose la co-existence de trois éléments
indispensables à la réalisation de cette
« chaîne » : (i) une source de l'agent
pathogène ou d'agents pathogènes opportunistes touchant des
sujets fragilisés, (ii) un mode de transmission, et (iii) un sujet
réceptif (Hartemann, 1996). L'agent infectieux est l'espèce
capable de se multiplier dans l'organisme hôte (Bonnard, 2001). Cette
caractéristique des agents infectieux oblige, au moment de l'application
de la démarche générale d'évaluation des risques
sanitaires liés à l'exposition aux organismes pathogènes,
de prendre en compte certaines particularités spécifiques aux
microorganismes.
Les particularités du risque microbiologique par
rapport au risque chimique proviennent du caractère vivant de l'agent
pathogène (croissance, acquisition de caractères nouveaux,
adaptabilité). L'existence de réservoirs humains, animaux et
environnementaux difficilement maîtrisables peut être
également considérée comme une de ses
particularités (Hartemann, 1996). La différence, sur le plan
méthodologique entre l'estimation du risque chimique et celle du risque
microbiologique ou infectieux, réside dans l'identification des
fonctions dose-réponse, et plus particulièrement dans le choix du
modèle de la relation dose-réponse. En effet, ce choix est
fondamental pour l'estimation du risque microbiologique puisqu'il fournit la
probabilité d'infection à partir d'un niveau d'exposition, ou
inversement, qu'il estime l'exposition à partir du taux d'attaque dans
la population.
Pour les dangers microbiologiques, les modèles les plus
fréquemment utilisés sont le modèle « exponentiel
» et celui de « Bêta-Poisson ». Les données
expérimentales disponibles dans la littérature (Dupont et al,
1995 ; Haas et al, 1999 ; Yang et al, 2000) sont utilisées
pour traiter le module dose-réponse.
Le modèle exponentiel :
Pr = 1 - exp (-rD) Eq. 1
Où :
P : Probabilité d'infection d'un individu
exposé à une dose d de microorganismes,
r: constante correspondant à la probabilité de
survie du germe ingéré dans l'hôte (= définition de
l'infection),
d : dose ingérée
Le modèle de
distribution Bêta-Poisson (Haas et al, 1999):
Eq. 2
d : dose d'exposition
N50 : dose infectante moyenne égale
à 8.60x107 pour E. coli
: paramètre de la fonction de
probabilité égale à 0,1778 pour la Escherichia
coli.
II.4.3.5. Travaux réalisés et en cours
A partir d'une méthodologie élaborée pour
l'évaluation des risques sanitaires (biologique et chimique) liés
aux effluents hospitaliers, j'ai procédé dans le cadre de ma
thèse de doctorat, à l'évaluation quantitative des risques
biologiques d'Escherichia coli dénombrée dans l'eau
d'une nappe de Port-au-Prince.
J'ai initié en 2005 ce thème dans l'axe de
recherche du LAQUE. En effet, les travaux du PFE de Anie BRAS (2005) ont permis
de mettre en évidence le risque biologique dû à
Cryptosporidium sp. encouru par la population de la Communauté
Urbaine de Port-au-Prince (CUPP) à partir de l'eau de boisson
distribuée par le réseau d'approvisionnement public. Les
résultats de ces travaux ont débouché sur une publication,
deux communications orales et un poster.
En septembre 2007, en collaboration avec MM. Christian Raccurt
et Patrice Agnamey (Université de Picardie Jules Verne), M. Philippe
Brasseur (Unité de recherche 077 de l'IRD à Dakar), j'ai
lancé un programme de recherche portant sur l'analyse des facteurs de
risque de contamination par les oocystes de cryptosporidies et les kystes de
Giardia présents dans les ressources en eau de la ville des
Cayes, Haïti. Un article et une communication orale sont tirés des
premiers résultats de cette étude. Les premiers travaux de ce
programme ont été financés par la région de
Normandie, le Service de Coopération et d'Action Culturelle de
l'Ambassade de France en Haïti et le rectorat de l'Université
Quisqueya.
Par dérogation du Conseil Scientifique de
l'Université de Picardie Jules Verne, je suis co-directeur de
thèse de Madame K. Balthazard-Accou, boursière de l'Ambassade de
France en Haïti (EGIDE), avec M. C. Raccurt. Démarrée en
septembre 2007, cette thèse se réalise dans le cadre d'une
cotutelle entre l'ED Société et Environnement de
l'Université Quisqueya, et l'ED en Sciences et Santé ED 368 de
l'Université de Picardie Jules Verne. Elle porte sur la mise en place
d'un observatoire sur la qualité microbiologique des ressources en eau
douce de la Communauté Urbaine de Port-au-Prince (CUPP).
En Haïti, la chloration est le seul traitement
accordé par les services publics à l'eau brute captée
avant sa distribution à la population. Cette désinfection
chimique est très efficiente dans l'élimination des
bactéries et des virus. Cependant, elle est inefficace pour certains
protozoaires, notamment les cryptosporidies.
Cryptosporidium sp. est un parasite unicellulaire
(protozoaire) appartenant à l'ordre des coccidies, phylum
Apicomplexa. Le cycle de multiplication comprend des stades
asexués et sexués et se déroule dans la cellule
parasitée en localisation extra cytoplasmique. De plus, ce cycle est
caractérisé par des phénomènes d'auto-infection
(schizogonies multiples) et par des rétros infections (reproduction
sexuée avec production d'oocystes se recyclant directement dans
l'intestin sans passer par le milieu extérieur) induisant une
prolificité importante du parasite (figure 12). Les différents
stades intracellulaires se développent dans la bordure en brosse des
cellules épithéliales intestinales, au sein de vacuoles
parasitophores et peuvent parfois atteindre les épithéliums des
voies biliaires ou respiratoires. La multiplication asexuée conduit
à la contamination de proche en proche de l'épithélium
digestif et à son altération. La multiplication sexuée
conduit, pour sa part, à la formation d'oocystes matures mesurant de 4,8
ìm à 5 ìm qui sont éliminés dans les selles
et sont directement infectants (AFSSA, 2002).
Figure 12 :
Développement apical de Cryptosporidium parvum dans les
entérocytes (Microscopie électronique) (gauche :
microvillosités de la bordure en brosse entourant les parasites ; droite
: schizonte : coupe avec plusieurs mérozoïtes) A. Bonnin, J.F.
Dubremetz (Source : ANOFEL ; AFSSA, 2002)
Environ 20 espèces de Cryptosporidium ont
été décrites chez plus de 117 espèces de
mammifères dans le monde (Dumoulin et al. 2000). La principale d'entre
elle est Cryptosporidium parvum, avec, à ce jour, 10
génotypes identifiés chez de nombreux mammifères
domestiques et sauvages (Perz et Le Blancq, 2001) dont au moins 4 sont
infectants pour l'Homme (génotypes I et II principalement, et
génotypes du porc et du chien). Des cas de contamination humaine (Perz
et Le Blancq, 2001), ont, par ailleurs, été rapportés par
Cryptosporidium felis (cryptosporidie du chat), Cryptosporidium
meleagridis (cryptosporidie des oiseaux) et Cryptosporidium muris
(cryptosporidie des rongeurs et des bovins adultes) (Guyot et al.
2001). La fréquence des contaminations humaines par des espèces
de cryptosporidies animales ou des génotypes de Cryptosporidium
parvum autres que les génotypes I et II est mal connue en raison de
la difficulté d'identification de ces espèces. A ce jour, un
projet de séquençage du génome, composé de 5 bandes
chromosomiennes de Cryptosporidium sp. est en cours, portant sur les
génotypes I et II.
Les cryptosporidies, coccidies mondialement répandues,
sont éliminées avec les selles sous forme d'oocystes
résistants à la désinfection chimique standard par
chloration. Ceux-ci présentent un haut pouvoir infectant et peuvent
survivre pendant plusieurs mois dans le milieu extérieur à une
température de 30°C (Fayer et al. 1998). Entre 1980 et 1995, une
vingtaine d'épidémies de crypstoridiose intestinale ont
été rapportées dans le monde (Rose et al. 1997).
La plus spectaculaire a été celle survenue à Milwaukee,
aux Etats-Unis en 1993, avec 403.000 personnes contaminées dont 4.400
hospitalisées et 69 décédées par suite du passage
d'oocystes de cryptosporidies dans l'eau de distribution de la ville (Mac
Kenzie et al. 1994). La cause de cet événement était due
à l'insuffisance des capacités de traitement de l'eau de
distribution urbaine du fait de conditions météorologiques
exceptionnelles ayant entraîné une contamination massive de la
ressource.
En Haïti, la cryptosporidiose est responsable de 17% des
diarrhées aiguës, observées chez les enfants de moins de 2
ans (Pape et al. 1987) et de 30% des diarrhées chroniques chez
les patients infectés par le VIH (Pape et al. 1983). A
Port-au-Prince, la présence d'oocytes de cryptosporidies a
été décelée dans les eaux de surface et dans les
eaux destinées à la consommation humaine distribuées par
le réseau public (Brasseur et al. 2002).
Pour des raisons liées à la capacité
analytique actuelle du LAQUE, nous avons décidé dans un premier
temps, d'utiliser les données disponibles dans la littérature sur
la caractérisation de l'exposition au Cryptosporidium sp. dans
l'eau destinée à la consommation humaine à Port-au-Prince.
Dans un deuxième, nous avons élaboré la démarche
permettant d'estimer les risques avec le moins d'incertitudes possibles.
Du fait du degré de pathogénicité des
cryptosporidies variable en fonction de l'âge (enfant de moins de 5 ans)
et de l'état immunitaire du sujet infecté (sujets VIH+), la
population de l'agglomération de Port-au-Prince exposée au risque
a été divisée en quatre catégories :
· sujets immunocompétents âgés de 5
ans et plus, pour lesquels les risques de la contamination entraînent un
risque de maladie faible ;
· sujets immunodéprimés âgés
de 5 ans et plus, pour lesquels les risques de la contamination
entraînent un risque de maladie fort en relation avec le degré de
la dépression immunitaire liée à l'infection par le virus
de l'immunodéficience humaine (VIH), le risque étant majeur en
dessous du seuil de 150 lymphocytes CD4 par mm3 ;
· enfants âgés de moins de 5 ans
immunocompétents pour lesquels le risque de la contamination
entraîne un risque important de maladie ;
· enfants immunodéprimés âges de
moins de 5 ans pour lesquels le risque de la contamination entraîne un
risque majeur de maladie avec un pronostic très défavorable.
Le modèle adopté dans le cadre de cette
étude pour l'évaluation quantitative des risques microbiologiques
liés à la présence d'oocystes de Cryptosporidium dans
l'eau de distribution publique et dans l'eau de réservoirs
utilisés par la population s'articule autour de 4 modules (AFSSA, 2002):
· un module d'émission (ou contamination) :
résultats des analyses (nombre d'oocystes trouvés dans 100 L
d'eau filtrés) caractérisant la contamination de l'eau ;
· un module d'exposition : prise en compte de la
proportion d'oocystes viables, seuls susceptibles d'entraîner une
infection ;
· un module de consommation aboutissant à la
caractérisation de l'ingestion d'eau pour quatre types de populations
donnés.
· un module d'effet aboutissant, à l'aide d'une
relation dose-réponse, à la caractérisation du risque
d'infection et, à l'aide d'une relation infection-maladie, à
celle du risque de maladie pour la population immunodéprimée.
La répartition géographique des points d'eau
testés dans l'aire métropolitaine et la concentration moyenne en
oocystes dans l'eau pour chaque zone sont montrées dans la figure 13.
Dans les quartiers où l'eau contenait des oocystes de
Cryptosporidium sp, le niveau de risque d'infection calculé
s'établissait entre 1x102 et 5x102 pour la
population immunocompétente ; pour la population
immunodéprimée ce niveau de risque calculé variait de
1x102 à 97x102 selon la charge en oocystes des
eaux consommées (Bras et al. 2007).
Figure 13 :
Représentation graphique de la contamination des points d'eau de
consommation étudiés dans la zone métropolitaine de
Port-au-Prince (nombre d'oocystes de Cryptosporidium sp pour 100
litres d'eau filtrée)
Les résultats obtenus pour les risques biologiques au
Cryptosporidium sp dans l'eau de boisson justifient la poursuite de
travaux sur ce thème. Nous avons décidé d'introduire ce
thème dans l'axe 1 du LAQUE. Nos études d'évaluation des
risques liés à Cryptosporidium sp. présentent un
important intérêt pour la santé de la population
haïtienne. Ces infections, qui ont occasionné, sur un fond
endémique, des épisodes épidémiques au sein de
populations immunocompétentes, se sont développées
parallèlement à l'extension de l'infection par le VIH. C'est
ainsi que depuis le début des années 1980, une vingtaine
d'épidémies à Cryptosporidium parvum ont
été rapportées dans le monde, tout statut immunitaire
confondu. Elles auraient touché environ 430 000 personnes (Smith et
Rose, 1998 ; AFSSA, 2002).
Sur 15 échantillons d'eau analysés, dans le
cadre de ce programme de recherche, 8 (53%) ont été
retrouvés positifs avec des oocystes de Cryptosporidium sp
et/ou des kystes de Giardia sp. Les 6 sites contaminés par
Cryptosporidium sp contenaient un nombre d'oocystes compris entre 5
à 100 pour 100 litres, soit une moyenne de 29. Les 4 sites
contaminés par Giardia sp contenaient un nombre de kystes
compris entre 5 à 960, soit une moyenne de 277 kystes pour 100
litres.
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