Section 3. Les structures de production économiques
(agriculture, pêche, chasse, cueillette)
La forêt constitue le lieu par excellence où les
populations villageoises tirent l'essentiel de leurs ressources à la
fois dans le domaine alimentaire que dans celui de la production des biens et
des services. La chasse, la pêche, la cueillette et l'agriculture s'y
déroulent. Autrefois, le gibier occupait la place de choix dans
l'alimentation des populations, ce qui a naturellement poussé les
populations à faire preuve d'une grande ingéniosité dans
l'art de la chasse. La connaissance des animaux faciles à pister et donc
à piéger constitue le savoir indispensable dont l'acquisition et
la maîtrise assurent le succès des villageois. La pose des
pièges dans nos sociétés traditionnelles obéissait
à des techniques appropriées. Les matériaux
utilisés sont du bois, du bambou, de la liane. Le piège à
poser est fonction du type de gibier. D'une manière
générale, autrefois, la confection se faisait donc avec des
végétaux. Ce qui n'est pas le cas de nos jours. En effet, les
Occidentaux ont introduit le fil de fer et le fusil, avec toutes les
conséquences que l'on imaginer non seulement sur la symbolique mais
aussi sur la capture systématique des animaux.
L'approvisionnement en viande de brousse constitue
l'activité principale des hommes adultes. La chasse individuelle se
pratique d'avantage sur des espaces privés appartenant au segment de
lignage du chasseur. Aujourd'hui avec l'introduction du fusil qui a
occasionné nombre d'accident de chasse, les populations optent
préférentiellement pour la chasse individuelle. Par contre la
chasse collective, quant à elle, se fait surtout sur des espaces qui
sont connus par l'ensemble de la communauté villageoise et concerne en
priorité les petits gibiers. De nombreuses techniques permettent de
capturer une large gamme de gibier.
Elle peut être individuelle ou collective. Ces
techniques de chasse utilisées vont de la chasse au filet à la
pose de pièges. La chasse au filet est souvent l'occasion de rassembler
toute une partie du village ainsi que toute la parentale qui gravite autour.
Au
cours de celle-ci, les chasseurs entourent une partie de la
forêt de leurs filets tendus les uns à la suite des autres. Du
côté opposé du filet, sur une distance plus ou moins
longue, les chiens sont lâchés et dirigés vers les filets.
Les animaux ainsi piégés sortent de leur « cachette »
et dans leur fuite s'accrochent aux filets tendus à cet effet.
Si la chasse au filet et les techniques de pièges sont
toujours à l'oeuvre, force est de constater que l'introduction du fusil,
notamment le type calibre 12, a donné un nouveau visage à la
chasse. En effet, la chasse collective est le lieu de reproduction des rapports
sociaux, la socialisation des jeunes, le raffermissement des liens et de la
socialisation du lignage. Elle a aujourd'hui pris une autre envergure avec
l'arrivée du fusil. Elle s'individualise d'avantage, transforme les
rapports sociaux et bouleverse les espaces cynégétiques dans le
voisinage immédiat du village. Si l'économie des populations
forestière était communautaire il y a de cela plusieurs
décennies, celle-ci semble devenir individuelle à cause des
phénomènes relatifs au coût de la vie. Mais, les temps ont
changé, on sait depuis que l'homme du village s'est subitement
transformé dans ses comportements quotidiens, à cause des
relations qu'il a forgées avec l'homme de la ville.
La capacité destructive du fusil, le besoin de
rentabilité d'investissement (car l'achat d'un fusil en constitue un
pour un villageois) foule au pied les interdits relatifs à
l'exploitation des écosystèmes caractérisé par un
temps de « repos » encore appelé jachère.
« Le fusil par lequel le chasseur éprouve sa
maîtrise sur la nature, insouciant d'en détruire l'objet
même, a conduit à une dissolution des encadrements communautaires
» 22, car « pour ces villageois qui n'ont ni
économie, ni accès à l'épargne, le gibier reste une
activité des plus rentable »23.
L'activité de pêche, principalement
féminine, peut par occasion se pratiquer avec des hommes. Elle se
déroule souvent dans des marigots et des rivières. Les nasses et
corbeilles sont les principaux objets de pêche chez le peuple Massango.
La technique consiste à barrer un bout de rivière pour un temps
très limité ; à l'aide de terre ou claies
végétales et en vider l'eau. Une fois l'eau vidée survient
la capture du poisson tout en se gardant de capturer les tous petits pour
assurer la reproduction de l'espèce.
Les hommes pratiquaient la pêche avec hameçon
fabriquée avec des piquants de porc épique. La pêche peut
se dérouler dans le voisinage du village ou contraint les villageois
à aller camper aux abords de la Wano ou dans les anciens villages. Ce
campement associe l'ensemble des membres valides du lignage. Les
activités vont de la
22 Pourier 1989, 191, cité par Ludovic Mba
Nzeng, in Revue Gabonaise des Sciences de l'Homme, p. 172.
23 Revue de l'IRSH, vol. 6, n° 6, juin
1999-janvier 2000.
pêche pratiquée par les deux sexes à la
chasse, en passant par une intense activité agricole qui à lieu
pendant la grande saison sèche. Le campement est le lieu où
s'organise une grande activité de collecte dans des lieux laissés
en jachère quelques années.
En matière de collecte, les habitants des villages
tirent une gamme de produit divers qui vont des lianes à eau (Cissus
dinklagei vitaceae) aux légumes et fruits. En effet, la forêt
des régions équatoriales est un milieu diversifié à
l'extrême où l'on trouve des milliers d'espèces. Les
habitants de notre village d'étude qui, au quotidien, vivent dans cet
environnement, ont développé des stratégies alimentaires
qui sont ainsi très variées en fonction de leur histoire. Car
chaque peuple à son alimentation, comme disait le professeur Donatien
Mavougou Bongo « ... les habitudes alimentaires ne sont pas les
même, elles varient d'un village à un autre ; quand bien
même les aliments peuvent être les mêmes. » 24 Si
les principaux arbres
fruitiers cultivés aux abords des villages sont
exotiques, à l'acception du palmier à huile : très
cultivé à Issala pour la fabrication du vin de palme. Les
populations pratiquent de l'agriculture de subsistance. Ainsi, les travaux
champêtres sont donc l'activité principale.
Toutefois, ces populations attachent du prix à la
préservation de l'écosystème forestier. Si bien que les
activités de débroussage, d'abattage et de brûlis se font
de façon rationnelle. Plusieurs essences sont conservées
jalousement car mettent à la disposition de ces même populations
une gamme non négligeable de fruits locaux lors de la cueillette tels :
le noisetier, (Coulas educis), le manguier sauvage (Irvingia
gabonensis), les raisins du Gabon (Trichoscypha abut). A cela
s'ajoute les avocatiers, atangatiers, manguiers etc.
D'autre part, le sous-bois de forêt fournit aux
populations des aliments issus des plantes spontanées. C'est le cas des
variétés d'ignames de champions. La cueillette dans les villages
concerne également les produits animaux, généralement les
invertébrés, mais aussi certains vertébrés que l'on
capture à main nue comme le pangolin, la tortue. Dans les villages, les
populations recherchent également les chenilles du palmier à
huile) : bien prisées par les Massango. Si la cueillette des aliments
végétaux est une activité féminine à
laquelle s'ajoute le ramassage saisonnier des chenilles, en revanche, la
récolte du miel sauvage des abeilles dans les troncs d'arbres creux, est
traditionnellement réservée aux hommes. Ces derniers grâce
à leur bravoure, doivent escalader un arbre à vingt ou trente
mètres de hauteur, pour atteindre la cavité du tronc dans
laquelle se trouve une ruche.
24 Professeur Donatien Mavougou Bongo :
émission Invité, TV+ du mardi 18 septembre 2007.
A Issala, les populations pratiquent l'élevage
domestique constitué de poules, cabris, moutons qui servent surtout
à construire un patrimoine dont une partie est souvent consommée
lors des cérémonies tels : mariage, retrait de deuil,
retrouvaille, visite parentale ou réception des hôtes. Ce
patrimoine intervient également comme cadeaux offerts à des
invités de marque ou comme « monnaie » pour corroborer du
Chaillu dans L'Afrique sauvage25.
Les différentes activités économiques
constituent ce que l'on appelle « richesse de surface ». Si elle vise
toute l'exploitation de la nature, ces activités ont pour
finalité commune l'alimentation des hommes. Car les populations rurales
ont toujours été cultivatrices. Précisons que les
activités agricoles villageoises n'ont qu'un faible impact sur
l'économie gabonaise. En effet, le secteur agricole n'est pas encore
développé dans notre pays. Aux difficultés
financières s'ajoutent les difficultés d'ordre physique (relief,
climat, sol, végétation). À ce titre, le pays souffre d'un
sous peuplement évident : la densité n'atteint pas 5 habitants au
kilomètre carré. En dehors des centres urbains, la population est
dissimulée le long des actes routiers facilité par la politique
du regroupement des villages.
Ainsi, la croissance urbaine n'a fait
qu'accélérer le processus de désertification des
campagnes. La population rurale a été aspirée par la
côte (Libreville, Port-Gentil), ainsi que le sud est (Moanda, Mounana),
à la recherche des meilleures conditions de vie. Nos villages sont donc
entièrement peuplés par les tous petits et les vieux qui n'ont
plus la force de travail. Cette situation, à notre avis, entraîne
un net déficit des classes actives et partant, d'une grande diminution
es surfaces cultivées. En conséquence, les populations, en raison
du poids de l'âge, fréquente de moins en moins des anciennes zones
d'exploitation où les récoltes sont abondantes. Ils font du
surplace. Dès lors, la durée de la jachère est
écourtée pour faciliter le travail de l'abattage. Ce qui
précipite l'appauvrissement des sols. On assiste à la
régression des cultures exigeantes telles que la banane Plantin, au
profit du manioc plus rustique, mais de qualité nutritive moindre.
Le problème des débouchés n'est pas en
reste. Il vient assombrir d'avantage ce bilan. En effet, les voies de
communication sont très déficientes, décevantes et
regrettables, dans la mesure où ce que l'on appelle routes nationales
sont en piteux états, et donc impraticables en saison de pluies
(bourbiers permanents, ponts coupés, cf. photo n°),
25 Paul du Chaillu. L'Afrique Sauvage, Libreville, Luto,
2002,411 p
ne permettent pas tout écoulement normal des produits
agricoles vers les centres de consommation. Ainsi, « le monde rural est
fixé dans une quasi autarcie », comme le pensait déjà
Monique Minko.
Photo 10 - L'état des routes nationales
prise entre Mbigou-Lébamba
Cliché de Sébastien Moungomo, 15 décembre
2006
Photo 10bis - L'état des routes
nationales prise entre Mbigou-Lébamba
Cliché de Clotaire Moukegni Sika, 15 décembre
2006
Toute fois, le système traditionnel de production,
basé sur le fonctionnement des exploitations familiales repose sur une
stricte division du travail. Les hommes ont traditionnellement en charge la
chasse, la pêche, le débroussage et l'abattage des
forêts.
Aux femmes, par contre, reviennent les taches
ménagères : défrichage, sarclage, planter, récolter
les villageois pratiquent la culture itinérante sur brûlis. La
grande saison sèche est généralement propice à
l'abattage des champs, au brûlis. Les cendres favorisent une culture sans
labour pratiquée par la culture villageoise. En général,
les campagnes gabonaises ne nourrissent pas suffisamment ces villes. C'est
pourquoi l'Etat gabonais dépense plusieurs milliards de francs cfa pour
l'importation alimentaire.
La nouvelle politique agricole qui se fixe des objectifs
constructifs ne se limite que sur le papier. Ainsi, l'autosuffisance
alimentaire tant clamée, susceptible de freiner l'exode rural et de
favoriser le développement n'est, à notre avis, que illusoire.
Ainsi, qu'il s'agisse de la chasse, de la pêche ou de
l'agriculture, la communauté villageoise organise ses activités
sur le model de la jachère. A ce sujet, Jean Emile Mbot
disait «... comme on le voit, il s'agit bien d'une
exploitation qui, obéissant aux saisons, s'explique à
l'environnement de façon cyclique. Les même développements
doivent s'appliquer évidement pour la forêt nourricière,
réservoir de fruit de toutes sortes, et réserve écologique
des produits animaux comestibles de façon saisonnière.
»26
En somme, les populations des villages entretenaient des
rapports d'interdépendances avec leur environnement, car la forêt
se présentait à leurs yeux non seulement comme source
inépuisable de protéines végétales naturelle, du
départ de tout procédé d'apprivoisement des
espèces, tant animales que végétales pour une agriculture
à vocation sédentaire.
Mais 150 ans plus tard, les comportements et pratiques
semblent avoir subi l'influence de la culture occidentale. En
réalité, il s'agit d'une véritable mutation dans les modes
culturaux pour ne parler que des cultures. Jean Emile Mbot en abordant la
question relative au projet de regroupement de village initié par Jean
Hilaire Aubame (parlementaire gabonais), fait une analyse diachronique de la
gestion par les villageois de leur environnement et montre les
dysfonctionnements que peut occasionner un tel projet lorsqu'il ne prend pas en
compte le savoir faire des populations. Il affirme en substance :
« Les anciens villages avants le regroupement,
pratiquaient la jachère et se soumettaient à un mode
d'exploitation parcimonieuse de l'environnement, où la notion de
recyclage était usée, c'est-à-dire qu'à
l'exploitation succédait le repos pour une nouvelle mise en exploitation
»27.
26 Jean Emil Mbot : « Les formes traditionnelles
de gestion de l'écosystème », in Cahier Gabonais
d'Anthropologie, n°1 Université Omar Bongo,
Libreville.
27 Jean Emil Mbot : « Les formes traditionnelles
de gestion de l'écosystème », in Cahier Gabonais
d'Anthropologie, n°1 Université Omar Bongo,
Libreville.
Or, à quoi assiste t-on aujourd'hui ? Les comportements
de gestion des écosystèmes qui étaient sous-tendus par des
corpus de prescriptions et des interdits étaient de véritables
expressions formalisées et codifiées où la
société traduisait ses rapports avec l'environnement. Ceux-ci ont
fait place à des comportements de prédation exacerbés par
l'appât du gain qui est devenu l'objectif principal poursuivit par
chacun.
Autrement dit, tout le monde est aujourd'hui en situation de
campeur permanant tant dans son propre village que partout ailleurs. On ne
tient plus désormais compte de la parcimonie qui était le
leitmotiv de la génération de nos arrières grand parents.
« Chacun se comporte comme si le temps avait suspendu son vol, comme
si les instants vécus étaient les derniers
».28 On passe du coup ainsi de l'exploitation
parcimonieuse dont le souci était la préservation des
espèces et du milieu garantissant de facto aux générations
future des ressources nécessaires pour leur épanouissement,
à une exploitation totale et sauvage qui n'a de règle que
l'appât du gain d'aujourd'hui et de maintenant.
Les interdits qui existaient en matière de gestion de
l'environnement ont été mis de coté, alors que dit Jean
Emile Mbot du temps de nos pères : « [...] domaine par domaine,
qu'il s'agissent de la gestion des eaux, des forêts, des sols de l'espace
habité comme de l'espace exploité, des
centaines d'interdits dictent à la
société les conduites à tenir dans ses rapports avec
l'environnement ».
28 Ludovic Mba Nzeng :(Les formes de gestion de
l'écosystème au village Mbenga (Weleu-Ntem).), in Revue Gabonais
des Sciences de l'Homme, Lutto, Université Omar Bongo, Libreville,
N°5, 2004,33 1pages.
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