Education des enfants et société:relations complémentaires ou conflictuelles. Interroger la conscience de l'éducateur face à la société( Télécharger le fichier original )par Anne-Carole Boquillon Université de Tournai - Graduat éducateur spécialisé 2008 |
3.2 LE VÉCU DES ENFANTSDès son entrée à la crèche, à la garderie, ou même à l'école, l'enfant se retrouve dans un monde inconnu, qui est susceptible de lui faire peur. Autour de lui, beaucoup d'enfants, des gentils, des méchants, beaucoup d'adultes, sévères ou pas, et beaucoup de nouveaux objets à découvrir. La première journée dans l'institution scolaire ou maternelle doit être quelque chose de particulier à vivre. Personnellement, je n'ai plus aucun souvenir de ma première fois à l'école et je m'interroge sur le nombre de personnes qui se souviennent de leurs ressentis ce jour fatidique. D'un côté, la curiosité naturelle de l'enfant doit être très convoitée. Mais de l'autre, la séparation du monde sécurisant qu'il connait parfaitement pour ce lieu et ses gens inconnus ou méconnus doit être assez rude à vivre. Dès son plus jeune âge, l'enfant se retrouve confronté à la dure réalité de la sociabilisation. Il doit apprendre à faire la distinction entre le bon et le mauvais, entre le permis et l'interdit dans ce lieu, à faire face aux autres enfants avec qui il doit tout partager (à la maison, tout est pour lui) et à un apprentissage de la violence (de la part des autres enfants). Tout cela en même temps que la séparation initiale, celle effectuée avec sa mère. Quelle journée ! Tout cela peut très bien se passer en fonction du niveau de développement de la personnalité de l'enfant et de la préparation reçue pour ce chamboulement de ses habitudes. L'enfant est rentré dans le système. Maintenant, nous allons découvrir quelque peu comment un enfant est susceptible de se retrouver face à une violence à laquelle il n'était pas préparé. « Apprendre aux futurs citoyens à communiquer par la parole et non par le corps. Cet enseignement doit se faire dès l'école maternelle afin de prévenir les violences ultérieures. » 11(*) Un enfant, qui a un retard de langage, ne pourra communiquer par la parole. Sa seule défense, par rapport aux autres, c'est l'attaque. Il n'a peut-être pas la facilité de la communication, mais il a un corps, dont il se sait maître. Ceci, il l'a appris depuis sa naissance. Il a appris à gérer les démons qui le hantent dans son plus jeune âge, alors qu'il ne savait rien de la parole. Confronté aux autres enfants, il se servira de ce qu'il connait le mieux : son corps. Il en est de même, mais d'une façon plus légère, pour les enfants sans retard de langage. Ils ne savent pas intellectualiser les mots des autres, leurs agressions. Mais ils connaissent également leurs corps, et savent s'en servir pour réagir. Mais, ces réactions plus ou moins violentes, dépendent de l'enfant en premier lieu. Il n'est pas forcément certain que celui-ci réagisse violement. Tout dépend de sa construction psychique, de sa perception du monde extérieur. Ainsi, il peut soit se laisser faire, soit se battre ou soit être un meneur. Faire des recherches dès la maternelle, établir des « catégories d'enfants », chercher ceux qui ne sont pas adaptés, est-ce pour remédier directement au problème, pour normaliser le plus rapidement possible les enfants ? Qu'en-est-il du développement de l'enfant, de sa construction, des essais-erreurs ? L'augmentation du climat de violence et des actes violents chez les jeunes est le leitmotiv des professionnels et passe pour un phénomène de société. Ces violences, dirigées contre lui-même ou contre les autres, sont la réponse que l'adolescent a trouvée face au vide intérieur, à la dépression et à une mauvaise estime de soi. C'est un mode d'expression face à un monde familial, social et scolaire qu'il perçoit comme hostile et menaçant et dans lequel il a l'impression de ne pouvoir faire sa propre place. Par la prise de risques, les violences, le spectaculaire, il cherche la preuve de sa propre valeur. Il veut montrer qu'il existe et trouve ainsi une reconnaissance à ses propres yeux seulement. Bagarres, brimades, jeux violents font véritablement partie de l'univers des adolescents. Lorsque les adolescents effectuent un acte délictueux ou violent, ils s'expriment par le moyen dont ils disposent, étant démunis du point de vue de la communication sociale. Ils ont besoin d'être reconnus et revalorisés car ils se sentent infériorisés par des échecs subis par le passé et par le regard dévalorisant de la société sur leur statut d'adolescent. La délinquance juvénile est un phénomène de groupe qui ôte à l'adolescent son sentiment d'abandon. Le groupe lui procure une nouvelle solidarité qui remplace la famille déficiente. Etant donné qu'ils ne se sentent pas maître de leurs existences, la délinquance et la violence leurs permettent de créer une situation où ils sont maîtres, parfois même dans le choix de vie ou de mort. La société se focalise sur les faits dérangeants que commettent les jeunes. Mais ne serait-il pas compréhensible d'avoir une telle réaction quand la société vous marginalise ? Que le jeune puisse également être une victime de la société ? La société, dans sa décadence, engendre des comportements antisociaux et fabrique des délinquants. Quand le jeune fugue, les parents entendent le message « je pars » ; l'adolescent est persuadé du fondé de l'indifférence de la famille ou du « fous le camp » qu'il a entendu pendant une dispute. La souffrance est exprimée, mais d'une manière telle que ni les parents ni le jeune puissent réagir de la meilleure manière qui soit. 3.2.1 LA SOUFFRANCE DE L'ENFANTNous sommes actuellement dans une société où la souffrance prend des tonalités différentes. La perte de l'autorité n'a pas simplement donné de la liberté mais a aussi donné un rapport avec la souffrance. En 2000, le Haut comité de la santé publique (HCSP) a abordé pour la première fois la souffrance psychique des jeunes « La notion de souffrance psychique est vague, on a trop tendance à la confondre avec certains de ses effets montés en épingle dans la catégorie également floue de « violence des jeunes » tels que les consommations de produits psycho actifs, les violences de toutes sortes, les tentatives de suicide et divers troubles de conduites des jeunes... En cas d'augmentation de ces conduites on conclut à l'augmentation de la souffrance psychique. Si la souffrance psychologique peut s'exprimer à travers une diversité de comportements et de troubles, ceux-ci ne peuvent en soi être considérés comme des mesures fiables de cette souffrance. Le plus souvent la souffrance est silencieuse, la révolte exprimant plus fréquemment une sortie de souffrance. » Le HCSP concluait « La prudence s'impose face à la mesure de la souffrance psychologique et son évolution. » Nombre de psychiatres s'accordent pour affirmer que ces troubles ne sont, heureusement, pas prédictifs de l'avenir. « Le constat est général : les ruptures affectives surtout lorsqu'elles sont mal accompagnées retentissent sur la construction psychique des enfants ; conjuguées aux difficultés économiques, à la solitude et à l'isolement des parents, ces ruptures aggravent le mal être inhérent à l'adolescence. » 12(*) Parfois certains enfants souffrent d'hospitalisme, c'est-à-dire qu'ils souffrent de psychoses précoces dues à l'absence de stimulation. Ceci a surtout été dénoncé lorsque la société a fait le lien entre cette pathologie et plusieurs maisons maternantes. En effet, la préoccupation principale était l'hygiène, le corps. Peu d'attention était porté à l'épanouissement du bébé, les nourrices n'avaient pas de temps pour jouer avec l'enfant, pour l'amuser quelque peu. Tous les soins apportés étaient en fonction des besoins corporels et alimentaires. Mais peu de personne, à ce moment là, portait attention au développement moteur de l'enfant. Celui-ci était en général dans son lit à barreau entre les soins et les repas. Nous retrouvons régulièrement des « cas » d'enfants dits abandonniques. Ce sont des enfants qui à un moment de leur développement ont été rejeté (pas d'amour, pas d'attention). Ceci se joue dans la petite enfance, ce peut être un mauvais sevrage, des parents rejetants, maltraitants. Ces enfants n'ont pas reçu d'amour (de la part des parents majoritairement) ni de gratifications narcissiques (pas de compliments par exemple). Ils n'ont pas d'amour de soi, ils sont vide d'un point de vue affectif. Étant donné qu'ils n'ont jamais reçu d'amour, ils ne savent pas en donner aux autres ni s'aimer eux-mêmes. Ils recherchent alors une personne qui va combler ce vide et les gratifier narcissiquement, par exemple un éducateur, à qui ils vont s'attacher intensément. Le risque est que si l'éducateur est amené à s'occuper de quelqu'un d'autre que l'enfant dit abandonnique, ce dernier va, par jalousie, tout faire pour retrouver l'attention de l'éducateur, même si le seul moyen est de faire une bêtise, du moment qu'elle lui procure de nouveau toute l'attention. Nous savons que la relation affective est importante, qu'un enfant n'ayant pas reçu d'affection entre trois et huit mois courre un risque irréversible de souffrir de troubles psychotiques. Mais nous savons aussi que la souffrance est devenue un des combats principaux de notre société. De nombreuses mesures sont mises en place afin de palier à la souffrance des êtres humains. Parfois, nous pourrions avoir l'impression de subir une véritable chasse à la souffrance. La souffrance est montrée du doigt, et mène parfois l'individu à une perte de ses capacités morales et sociales. Pourtant, nous avons vu, par le biais de nos cours, que souffrir peut être bénéfique. La souffrance est inhérente à l'être humain, de part le langage. Un être humain a besoin de rencontrer la souffrance pour pouvoir se construire. C'est en partant de cette expérience qu'il pourra se constituer un Moi complet. Un être humain est amené à bâtir sa personnalité à travers ses expériences. Mais s'il ne connait pas la souffrance, il ne sera pas forcément en mesure de pouvoir palier aux différentes difficultés de la vie, en se retrouvant en pleine désillusion lors d'un problème. La société cherche la souffrance pour la faire disparaître. Mais alors, comment un être humain pourrait-il se construire pleinement si on lui ôte cette expérience ? Peut-on estimer que ce rejet de la souffrance permettrait aux enfants de ne pas être démotivés face aux aléas de la vie ? 3.2.1.1 LA DÉMOTIVATIONQu'est-ce que veux dire « être motivé » ? Ce terme est également souvent employé à notre époque. N'entendons-nous pas régulièrement, autour de nous, des gens dire qu'ils ne sont pas motivés ou que les jeunes de « maintenant » ne sont plus motivés. Quand on veut parler de motivation, je pense que les gens identifient, inconsciemment, ce terme dans le domaine du désir. Être motivé pour faire quelque chose, ne serait-ce pas un moyen de dire que l'on désire faire cette chose ? Être motivé dans la vie ne serait-ce pas une manière de dire que l'on désire avancer, de vouloir évoluer dans sa vie ? Que l'on désire faire quelque chose de son existence ? Mais, peut-on dire, quand on parle de démotivation, ou de manque de motivation des jeunes, que cela signifie que ceux-ci n'ont plus de désir pour leur existence, pour leur avenir ? Peut-être, d'un certain point de vue. La jeunesse actuelle n'a pas réellement confiance en l'avenir. Ils voient la société en difficultés, que ce soit sociales, économiques et politiques. Est-ce que ceci ne serait pas une raison suffisante à leurs yeux de ne pas être motivé, de ne plus voir l'intérêt d'avancer dans leurs existences ? Mais peut-être pas, avec un autre point de vue. Le désir fait partie de la nature humaine. Chaque être humain éprouve au fond de lui du désir. Si l'on accepte le fait que les jeunes ne sont plus motivés de s'insérer dans la société, on ne devrait pas accepter l'idée qu'ils ne désirent rien de la vie. Peut-être pourrions-nous envisager le fait qu'ils soient découragés, qu'ils se rendent compte que leur vie ne sera pas forcément un fleuve tranquille, et qu'ils se demandent quelle est leur place dans la société. Leur désir pourrait être ailleurs, ou être différents des désirs de leurs parents. Ce qui, par définition, est inhérent à la vie humaine : nul ne peut avoir les mêmes désirs qu'un autre. Et si l'on tient compte de l'évolution de la société, la jeunesse actuelle ne peut pas ressentir les choses comme la génération précédente. L'évolution, la modernisation, les motivations sociales sont totalement différentes entre ces deux générations. Pendant longtemps, avant la massification, avant l'école unique, celui qui faisait des études connaissait déjà la réponse puisque, justement, il était à l'école pour avoir un métier bien précis qu'il avait choisi. Pierre Bourdieu parle « d'habitus » pour définir les pratiques incorporées dans nos modes de pensée et d'action. Chacun de ces élèves « ancienne mouture » était conditionné pour travailler (et réussir), ils travaillaient parce qu'ils y avaient été habitués, qu'ils avaient acquis les mécanismes pour apprendre, en un mot : car ils avaient intégré que de cet apprentissage dépendait leur avenir, et ils savaient que rien ne serait ni facile, ni acquis d'avance. Aujourd'hui, il n'en va plus de même. Par conséquent, l'éducation doit être définie en partant de l'intérêt de l'enfant ; sans cela, celui-ci ne fera pas d'efforts pour apprendre, car il ne trouvera aucun lien avec son développement et avec ses désirs. En comparaison avec le passé, nous pouvons également souligné que les jeunes savent que même avec un diplôme en poche, ils auront certaines difficultés à s'insérer dans le milieu professionnel. Il y a d'un côté le chômage qui accable la société et de l'autre, des employeurs de plus en plus exigeants d'un point de vue qualifications. Autrefois, il était beaucoup plus facile de trouver du travail que maintenant. La situation économique de nos civilisations ne sont pas attractives pour motiver les jeunes. A partir de là, le problème est cerné : l'élève ne perçoit pas l'utilité de sa présence, et ceci est encouragé par le fait que les médias (au travers de la publicité, des émissions de télé réalité...) encouragent la consommation, et lui font croire que tout est facile, que tout est possible sans effort ni travail. Notre jeune ne comprend donc plus ce monde qui l'entoure : à la maison tout n'est pas rose, mais les parents essaient encore de donner le maximum à leurs enfants ; à l'extérieur, tout paraît simple et facile, alors pourquoi se donner la peine d'aller à l'école ? Pourquoi se donner la peine de travailler lorsque l'on vous montre qu'avec un peu de débrouillardise on y arrive fort bien ! Ces fausses facilités induisent une habitude acquise dès le plus jeune âge et nous relie au problème d'éducation des enfants dans un monde de consommation excessive. Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent à profiter de la vie, ce qui pourrait bien être le point de départ de la problématique nommée « les enfants tyrans ». * 11 Edwige Antier, Vive l'éducation, page 73 * 12 La Défenseure des enfants - Rapport thématique 2007 : "Adolescents en souffrance : plaidoyer pour une véritable prise en charge" |
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