L'Inde un enjeu cognitif et réflexif. Etude des voyageurs de l'Inde et des populations diasporiques indiennes( Télécharger le fichier original )par Anthony GOREAU Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - DEA 2004 |
3) Appropriation des symboles de l' « indianité ».Le temps du retour suscite la nostalgie de l'Inde et, c'est à ce moment précis que se délivre matériellement, donc de façon visible cette territorialité de l'entre-deux. Construction matérielle d'autant plus forte que le séjour ou l'immersion mentale dans l'Inde est longue. Nostalgie qui se manifeste par l'appropriation, ou du moins la réappropriation, des symboles, des références de l'indianité, c'est-à-dire d'être à l'Inde de ce qui fait la culture indienne. Si la culture peut se définir comme « la somme des comportements, des savoir-faire, des techniques, des connaissances et des valeurs accumulés par les individus durant leur vie »62(*), nous nous attacherons aux formes les plus visibles de réinterprétation /réappropriation en France tels que le cinéma, la cuisine, les icônes des divinités du panthéon hindou etc.
Les habitudes culinaires ont toujours été influencées par les règles sociales de chaque région. L'importance du facteur culturel se fait sentir, par exemple, dans les modifications apportées par les différentes vagues d'immigration. L'alimentation reflète les structures de la société. Au-delà de l'importance des pratiques alimentaires et des actes culinaires s'y associant, soulignons que manger, cuisiner, c'est aussi et surtout, parler un langage, parler le même langage. La cuisine est un élément culturel fort de différenciation de distinction entre les divers groupes sociaux, elle permet dès lors la valorisation de l'altérité. Ainsi il faut distinguer, opposer l'alimentation fonctionnelle et l'alimentation authentique, chargée de sens et de valeurs. Cette deuxième attribution n'étant opératoire la plupart du temps que pour la population issue de la diaspora indienne. Car en pratique, cette valorisation des particularismes alimentaires tient parfois pour la population française du folklore. Le temps d'un repas, la maison, le foyer deviennent un lieu de mise en scène. Tandis que d'autres voyagent en fréquentant les « restaurants indiens » de quartier. La mondialisation est souvent vécue à la fois comme la standardisation des aliments et des saveurs et, comme l'uniformisation des goûts. La première image qui nous vient à l'esprit de cette dynamique est la figure emblématique de la chaîne de restaurant Mac Donald's qui nous impose un menu unique, et réduit la diversité des identités culinaires. Paradoxalement, l'individualisme conduit l'acteur à rechercher de l'originalité, de l'authenticité (gage de souvenirs, telle la madeleine de Proust)63(*) qui l'oblige à prendre des distances avec son modèle de normes et de valeurs culturelles. C'est ainsi que l'acteur pratiquera l'exotisme au quotidien en fréquentant des établissements de gastronomie indienne, ou en se composant chez lui son espace de l'ailleurs. Pour ce faire, rien de plus simple. Depuis cinq ans des industrielles britanniques, en majorité des émigrés panjabi, notamment l'industrie Pataks64(*), ont mis au point une large gamme de produits « indian food » à la disposition d'un large public que l'on retrouve classifié dans les grandes surfaces au rayon « cuisine du monde ». Il s'agit là d'une gamme complète, où l'on retrouve l'ensemble du panorama des galettes indiennes et accompagnements conditionnés soit en conserve (type pot en verre), soit sous cellophane. Produits la plupart du temps estampillés d'un logo à valeur générique, comme le Taj Mahal. Ces entreprises agro-alimentaires utilisant l'onirisme de l'Inde pour vendre, appliquent une rationalité instrumentale à l'alimentation. Cette cuisine n'étant plus le pôle porteur de significations alimentaires profondes s'ancrant dans une culture et une idéologie, à l'instar de celle de l'ailleurs, mais au contraire, l'ici, se rapporte à des normes d'efficacité (en termes de gain de temps et de facilités de conservation). Le cinéma est sans doute le trait le plus caractéristique de la culture indienne et une des formes de distraction les plus populaires ; il suffit pour s'en rendre compte de voir la cohue qui se presse devant les salles de projection à chaque séance. L'Inde est en première position mondiale des pays producteurs de films. Cette production se différencie de façon régionale (en divers centres de diffusion cinématographique : Madras, Bangalore, Cochin et Bombay pour le Sud, versus Delhi pour le Nord), en fonction des cultures et de la grande dichotomie Inde Dravidienne et Inde Indo-européenne. Toutefois, au-delà des distinctions culturelles, il existe des éléments communs à l'ensemble de la production indienne, une « indianité » des thèmes et des méthodes. La plupart des films (dont la durée excède en majorité les trois heures) exploitent des sujets sentimentaux, mêlant mythologie, hiérarchie sociale et au sein de la famille, les comportements vis-à-vis des aînés (triptyque de la belle-mère, du fils et de la future bru), rapports de castes, sur fond de comédie musicale et entrecoupé de danses. Le déroulement ou trame du film, stéréotypé, s'appuie en général sur un amour impossible (car entre des positions sociales trop hétéroclites), ponctué de combats, de séquences chantées plus ou moins longues et de bouffonneries. Un héros grassouillet à l'épaisse moustache brune, viril, maniant à merveille l'art des poings, bien peigné et bien habillé ; une héroïne vêtue de saris, parfois aux cheveux lâchés et aux attitudes aguicheuses : une liberté et une fantaisie qui transgressent les codes sociaux mais qui se plient vite à la coercition de la société, telle est la recette du succès. Mais de cette énorme production, une faible quantité se fait connaître en France et dans les festivals internationaux. Seuls quelques films arrivent à passer outre mer et à inonder de références indiennes la France. Tableau 1 : L'exportation du cinéma indien en 1996.
Source : Uma J. Nair, In : Peyroles, N-S. Géographie et cinéma en Inde du Sud, regard sur le Tamil Nadu et la ville de Coimbatore. France, Bordeaux : TER de maîtrise, Singaravélou (dir.), 2002. Toutefois, depuis la fin des années 1990, de nombreux films indiens sont diffusées en France et notamment dans des salles art et essai à l'instar de l'Utopia à Bordeaux (qui fonctionne en partenariat avec des associations françaises philindiennes). Ceci n'est que la continuité d'un phénomène commencé dans le début de la décennie 90. En 1996, la France était la onzième destination des exportations du cinéma indien, mais la deuxième en Europe, après le Royaume-Uni (un des plus amples foyers récepteurs de la diaspora indienne). Ces exportations concourent à diffuser la culture indienne et ses fondements philosophico-religieux, même s'il s'agit en général de films du nord de l'Inde, en Hindi. C'est ainsi que des longs métrages de plus de trois heures ont fait plusieurs milliers d'entrées en France, comme Lagaan (2001, première production indienne sélectionnée pour les oscars), Devdas (2003) ou encore le Mariage des moussons (1999). Enfin le format DVD, permet de faire perdurer le rêve et de se replonger à toute heure dans l'onirisme indien. A cela s'ajoute des conférences et autres rétrospectives. En effet, le cinéma de Bollywood de 1940 à nos jours s'est affiché au centre Pompidou à Paris durant tout le mois de mars 2004. c) L'hindouisme et ses « dérivés » : Shiva, Krishna, Vishnou et Ganesha (ou Ganapati) sont à la mode en France. En sculptures ou sur des sacs en toile, ou encore inscrits sur des vêtements, les référents de l'hindouisme s'affichent, et deviennent source d'une consommation ostentatoire. En effet, on ne compte plus le nombre de chaînes de magasins de vêtements (comme la chaîne Salsa), de boutiques des stations littorales qui usent des icônes du panthéon hindou pour vendre leurs produits. En même temps, le mysticisme comme fer de lance du marketing ne s'arrête pas là. Dans une France, se voulant plus proche des territoires, de l'identité, des labels, de la culture, beaucoup se retranchent vers de nouvelles valeurs. En particulier au niveau de la médecine, le retour vers des pratiques plus « naturelles », moins consommatrices en chimie et axée sur les plantes, aboutit à une arrivée en force de l'ayurveda, sorte de médecine alternative mêlant phytothérapie, chiropraxie, massage et méditation (l'annuaire des praticiens des médecines alternatives a recensé douze centre ayurvédiques en France, la totalité gérée par des migrants indiens et principalement du Kérala et du Maharastra). L'ensemble de l'appropriation des symboles de l'indianité, permet aux voyageurs de l'Inde, de retour en France d'avoir des repères matériels, physiques et symboliques à leur territorialité. Mais la dimension de ces repères apparaît plus légère en signes, et au contraire participe plutôt à un antimonde indien, sorte d'antithèse à l'onirisme, au spiritualisme (souvent identifiés comme les principales raisons de la focalisation et de la fascination que le regard français porte sur l'Inde). * 62 Claval, P. Géographie culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin, collection U, 2003, 287p. * 63 « La volonté d'authenticité ne se construit pas dans le vide, il lui faut un horizon, qui en l'occurrence sera une référence culturelle ». De Labarre, M. Modernité et alimentation : vers une acculturation culinaire. In : Corbeau, J-P. Cuisine, alimentation, métissage. France, Cesson-Sévigné : Ed. Bastidiana, NUM31-32, Dec 2000, p77-88. |
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