GOREAU ANTHONY
L'INDE, UN ENJEU COGNITIF ET
RÉFLEXIF
-Étude des voyageurs de l'Inde et des populations
diasporiques indiennes-
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes1.png)
DEA DYNAMIQUE DES MILIEUX ET
SOCIÉTÉS
Sous la direction de Monsieur
SINGARAVELOU
Juin 2004
UNIVERSITÉ MICHEL DE MONTAIGNE BORDEAUX
III
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes2.png)
SOMMAIRE
SOMMAIRE
3
INTRODUCTION
5
CHAPITRE 1
18
ATTRACTION, RAYONNEMENT, ABSTRACTION ET
APPROPRIATION : LE MYTHE DU « DROMOMANE » ET
L'ANTIMONDE INDIEN.
18
INTRODUCTION AU CHAPITRE 1
19
A/ LE CHOC DE L'INDE, OU LA RECHERCHE D'UN
EXOTISME.
21
1-L'IMAGINAIRE INDIEN:
21
a) L'imaginaire médiatique et
touristique :
23
b) L'imaginaire des valeurs :
29
c) Imaginaire de l'expérience
relatée :
33
2- L'EXOTISME INDIEN.
35
3- VOYAGE ET TOURISME.
39
B/ DIMENSION ANAGOGIQUE ET ALLEGORIQUE DE
L'INDE.
46
1- L'HINDOUISME, LE CATALYSEUR DE
L'AFFECT.
47
2) SYNCRÉTISME MUSICAL.
52
3) APPROPRIATION DES SYMBOLES DE
L' « INDIANITÉ ».
56
a) La cuisine:
56
b) Le cinéma :
57
c) L'hindouisme et ses
« dérivés » :
59
C/ INTERSPATIALITE ET INTERCULTURATION.
60
1)
ALTÉRITÉ ET IDENTITÉ.
61
2) QUEL(S) PROCESSUS
DE TERRITORIALISATION ?
63
3) UNE
TERRITORIALITÉ DE L'ENTRE DEUX.
67
CHAPITRE 2
69
TERRITORIALISATION ET
EXTRA-TERRITORIALISATION, LE CAS DE LA DIASPORA INDIENNE.
69
INTRODUCTION AU CHAPITRE 2
70
A/ LE PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE
L'EXTRA-TERRITORIALITE.
73
1) MYTHIFICATION DE
LA TERRE D'ORIGINE.
75
2) UNE MYSTIFICATION
DE LA TERRE D'ORIGINE : LE CAS DES SIKHS DE FRANCE.
81
3) UNE
IDENTITÉ À GÉOMÉTRIE VARIABLE :
85
B/ INTERCULTURATION OU
SEGREGATION ?
89
1) UN TERRITOIRE DE
L'ENTRE-SOI.
90
2) COSMOPOLIS OU
CLAUSTROPOLIS ?
98
3) LA QUESTION DE
L'INTÉGRATION :
102
C/ CONTINUITÉ TEMPORELLE ET
SPATIALE ?
103
1) UNE
PRÉSENCE AMBIGUË :
104
2) UNE
COMMUNAUTÉ TRANSNATIONALE ?
107
3) UNE
CONTINUITÉ POUR LES VOYAGEURS DE L'INDE.
109
CONCLUSION
111
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET SUPPORTS
DOCUMENTAIRES.
114
ANNEXES
121
TABLE DES DOCUMENTS
125
INTRODUCTION
L'Inde est un grand film, et nous spectateurs occidentaux,
venons tout y puiser : nos origines, nos raisons de fuir la
réalité ou de retrouver une âme, l'aventure aussi et le
mythe. Tandis que certains veulent y abandonner toutes leurs
références occidentales, d'autres lorsqu'ils tentent d'en
déchiffrer la réalité sociale se perdent dans la
complexité d'un monde insaisissable, onirique, qui permet
d'échafauder tous les systèmes. Et leurs visions, leurs
perceptions sont parfois tout aussi fantasques que les délires des
aventuriers, des routards de ces folles années 1970. L'espace indien
ainsi représenté se charge de valeurs, il porte la marque des
codes culturels, des idéologies propres aux groupes sociaux auxquels
appartiennent les sujets dans la conscience desquels il surgit.
La structure d'un territoire reflète la manière
dont les groupes humains l'ont investi, modelé et se le
représentent ; elle se fait aussi l'écho des divisions
internes à la société.
Toute perception se charge aussi d'un contenu social. Nous
n'avons affaire qu'à des représentations du réel, plus ou
moins déformées par les filtres individuels et sociaux. La
matière des représentations se compose d'opinions, d'images,
d'attitudes ou de préjugés dont les principes organisateurs
appartiennent en commun à des ensembles plus ou moins cohérents
d'individus.
La culture, définie par Claval1(*) comme « l'ensemble des
artefacts, des savoir-faire et des connaissances par lesquels les hommes
médiatisent leur relation avec le milieu naturel »,
apparaît comme l'élément incontournable de ce
mémoire, et en représente la clé d'entrée.
L'espace indien est source inépuisable d'idées
et d'images déformées par la culture, l'hexis des individus (les
valeurs culturelles imprègnent nos représentations du monde et
des autres).
Problématique et méthodologie :
Dans une démarche empruntée à la
phénoménologie, c'est-à-dire comme l'a défini
Husserl dans Les recherches logiques, attachée
à l'étude des vécus de pensée et de connaissance,
des structures de la conscience qui lui permettent de se rapporter aux objets
extérieurs à elle ; il s'agit de comprendre à travers
« l'acte de percevoir, par le moyen de sensations et à travers
des filtres perceptifs qui tiennent aux organes des sens et aux cultures
individuelles »2(*), concept éminemment géographique, ces
territorialités qui se forment et se déforment au grès des
distinctions sociales, des schèmes de pensée ; où la
mobilité et l'imaginaire remettent en question la proximité et la
contiguïté, essence même du territoire, et créent une
nouvelle dimension à celui-ci empreint de représentations, de
mythes et de symboles.
Ancrée dans une géographie sociale pertinente
qui affiche son penchant particulier pour ces
« territorialités relationnelles, multidimensionnelles, qui
projettent chaque acteur social dans le tourbillon confus des
références géographiques »3(*), souvent obscures de son
vécu, il est nécessaire de déterminer les dimensions de
ces perceptions et représentations, en sachant qu'il est sûr
qu'elles contribuent à un processus de construction territoriale d'ordre
social. Toutefois, il est indispensable d'opérer une distinction entre
les différentes structures de représentations et de perceptions
de l'Inde, celles liées au voyage seront analysées au travers des
itinéraires de l'imaginaire, des lieux et de leur
référent, et celles liées aux migrants indiens
installés en France au travers la dissémination des
références identitaires et des
« micro-territoires »4(*).
Selon Airault5(*), « le voyage en Inde commence tôt,
avec l'idée qu'on s'en fait, véhiculée par notre culture,
ses clichés, ses légendes, ses mythes, mais aussi par notre
enfance nourrie de contes et d'histoires merveilleuses. Ce fantasme
s'étaye à l'adolescence de nos rencontres avec ceux qui en
reviennent. Après, il y a soudain le choc, puis l'épreuve et,
ensuite, l'éprouvé de l'Inde : des sensations nouvelles nous
submergent, provoquant un séisme de l'intime [qui peut être
à l'origine de ce syndrome indien]. Enfin, après le retour, nous
prend la nostalgie de l'Inde ».
Ces perceptions peuvent être appréhendées
dans une dimension anagogique et allégorique justifiées par
l'attirance de certains individus à l'hindouisme, à la
philosophie indienne et aux symboles de l'indianité par exemple, rendant
subséquemment l'affect, l'émotion, les clés pour approcher
la modernité de ces interrelations, même si ces notions prennent
une dimension sociétale plus prononcée. L'affect sert de biais
permettant la transition avec l'altérité, l'extérieur mais
surtout de modalité de résolution des oppositions entre la
réalité et l'illusion, le virtuel et l'authentique, l'art et la
culture. Mais aussi dans une dimension d'imaginaire et d'exotisme pour
appréhender et incorporer un « ailleurs » souvent
perçu comme menaçant (historiquement la motivation exotique a
reposé sur un sentiment ambivalent d'attraction ou de répulsion,
à propos de ce qui est loin ou différent). « C'est
moins l'image exotique, banalement stéréotypée, qui, en
soi, est attirante que l'idée de passage, induite par le rapport entre
le monde terne et celui de la couleur »6(*). Ce qui compte, ce ne sont pas d'abord les
caractéristiques d'un paysage exotique qui est souvent très
schématique, mais le fait qu'il représente une
altérité, une étrangeté ; qu'il offre le
rêve d'une fuite possible, même dans l'utopie.
Il est donc question d'appréhender le vécu des
voyageurs Français de l'Inde, tel qu'il est, en ce qu'il est, par le jeu
des rencontres qui donnent forme à l'expérience. Vécu qui
comprend aussi celui du chercheur. Ce travail se cadre donc dans une
géographie sensitive, subjective bien sûr, voire même
impressionniste. Géographie empreinte de l'expérience, faisant
appelle aux sens des voyages précédemment effectués en
Inde (au cours des années 2002 et 2003).
On notera que l'individu, le groupe, ou mieux le
« chercheur », ne sont pas vierges, ils ont une histoire,
née de l'accumulation des expériences et des perceptions
antérieures, de l'apprentissage au sens large. Ces données ne
sont jamais purement individuelles mais sociétales. Elles affectent la
perception. Le traitement du sujet n'a donc aucune prétention de se
rapprocher vers une quelconque objectivité, il est au contraire
axé sur des observations précédentes plus ou moins
justifiées, des ambiances, faisant appel aux sens et aux impressions.
Ceci est particulièrement vrai pour le premier chapitre.
Mais la démarche, la réflexion n'en sont pas
moins rigoureuses et logiques. La démarche ici est
déductive voire pour la deuxième partie
hypothético-déductive, c'est-à-dire qu'elle consiste
à tirer les conséquences logiques d'hypothèses de
départ. Ainsi, le développement des deux chapitres fait foi de
cet effort de conceptualisation et de théorisation.
Voyageur est lourd de sens. Ce peut-être d'une part un
voyage dans l'intime animé par des images, par des systèmes de
signes médiatisant une relation de l'individu-acteur au monde, et par
des passions. Dans ce cas précis, l'objet dont rêve le sujet
baigne nécessairement dans une aura d'irréalité. C'est
pourquoi cet « objet » possède immanquablement des
caractères étranges d'un « non-objet »
(« non-objet » dont il n'est naturellement pas question de
jouir, ni de véritablement posséder). Un voyage
génère aussi la possibilité d'un déplacement
physique (déterminant une vérification des représentations
par le vécu) d'autre part.
Le terme voyageur de l'Inde s'applique aux
Français de la métropole ; la population Française
des DOM ET TOM n'est pas considérée ici car elle a fait l'objet
de lourdes études précédentes. En effet, il est
évident d'établir un lien entre l'Inde et la Réunion ou
encore entre l'Inde et la Guadeloupe lorsque l'on songe au passé
historique. La diaspora indienne s'y est essaimée, nous apercevons
dès lors les mécanismes de la territorialité qui se
dégagent à l'horizon.
Mais ce lien devient moins palpable, plus abstrait et à
la fois plus intéressant entre la France métropolitaine et
l'Inde. Il se fait sous des formes diverses qui font appel à divers
stimulus. Ce lien est un construit social, il a été
inventé et réinventé au fur et à mesure des
générations suscitant diverses réactions de la part des
sujets. D'une Inde merveilleuse à une Inde où toutes les
alternatives sont possibles, son pouvoir d'attraction et de séduction
est multiple et il s'agira dans un premier temps de l'identifier. Ce rapport
entre la France métropolitaine et l'Inde ne concerne que les populations
qui exercent une fuite au travers le monde indien. Fuite qui peut revêtir
la forme d'une pérégrination physique ou imaginaire, transcendant
l'opposition sédentaire/nomade.
Les termes du sujet n'ont pas été choisi au
hasard, ni par effet de mode (il faut éviter de perpétuer une
facilité de langage qui apparaît comme un abus, il n'y a pas une
perception d'ailleurs pas plus qu'il n'y a d'Homme (au sens
générique), mais des perceptions). La perception est
différentielle, elle varie dans le temps pour un même individu ou
pour un même groupe selon l'accumulation d'information (et de sa
diffusion), selon l'âge (effet de génération,
particulièrement pour les migrants indiens installés en France),
selon l'acuité des sens et dépend notamment des
intérêts qui sont liés à des pratiques et des
valeurs plus ou moins conscientes.
Les représentations de l'espace quant à elles
induisent une intervention encore plus grande de la personnalité du
sujet, que la simple perception, et porte d'ailleurs plus sur le contenu que
sur les formes.
Les représentations semblent inclure plus directement
la notion d'espace : « si l'espace est le produit de la
société c'est bien le comportement de celle-ci qui doit
être connu ; et, si le comportement est davantage influencé
par des perceptions a-spatiales, que par des perceptions de l'espace
lui-même, on apprendra plus sur l'espace en analysant les
premières »7(*).
Le binôme perception/représentation
détermine les enjeux cognitifs et réflexifs des rapports à
l'Inde. Enjeux définissant d'une part des rapports à la fois
passionnels, affectifs mais aussi rationnels organisant un réseau de
significations, et des effets de retours sur soi d'autre part.
Cette combinaison simultanée de deux couples
(cognitif/affectif et perception/représentation) ne s'exerce pas d'une
façon singulière, exclusive, sur les voyageurs de l'Inde ;
les populations diasporiques d'origine indienne, du monde indien (en ce qui
nous concerne, même si l'appellation indienne est attribuée
à tous ceux qui sont originaires de l'ensemble subcontinental reliant la
chaîne himalayenne à l'océan indien, les bouches de l'Indus
à celles du Gange, celle-ci s'élargira à l'ensemble
constitué par l'Union Indienne et du Sri Lanka) sont aussi
concernées par ce phénomène qui génère
construction et déconstruction.
Ces deux ensembles humains ne s'opposent pas mais sont
complémentaires : tous deux se caractérisent par des
processus de construction territoriale ayant des référents
identiques ; par des « géosymboles »8(*) (des symboles comme
système fonctionnel mais aussi comme expérience psychique)
similaires (car la source en est la même) mais réappropriés
et réinterprétés selon la culture du groupe social.
Ces processus de réappropriation et de
réinterprétation sont les clés de voûte de notre
démonstration. Ils interviennent à divers niveaux de l'analyse.
Pour bien comprendre ces phénomènes, il est nécessaire
pour les voyageurs de l'Inde, malgré un fond d'attraction commun,
d'établir une distinction entre voyage physique et voyage mental
(imaginaire). Au sein même de cette distinction, il faudra faire la part
entre les voyageurs individuels souvent nommés de façon
péjorative « routards » et les voyageurs en groupes
qui fréquentent les circuits organisés. Car l'intensité
des contacts entre les deux monde culturels ne sera pas du même ordre, et
donc les processus de réinterprétation et de
réappropriation divergeront aussi (particulièrement en
intensité).
Voyageurs de l'Inde ou migrants Indiens sont vecteurs de
transformations, de perturbations par leur seule présence, car ils
transportent dans leur sillage l'altérité d'où
émerge un métamorphisme de contact entre deux entités
culturelles distinctes.
Perturbations qui se matérialisent sous des formes
diverses (nous le verrons au cours du développement). C'est pourquoi
dans un but méthodologique, le développement est scindé en
deux parties : l'une s'attache à décrire les processus de
territorialisation concernant les voyageurs de l'Inde, l'autre à ceux
qui s'expriment au travers des migrants Indiens.
Mais, il ne faut pas y voir une opposition mais des
prolongements. Prolongements visibles dans la mise en relief des deux versants
d'une construction territoriale des voyageurs de l'Inde et des migrants Indiens
installés en France métropolitaine.
Celui du monde structuré et celui de ces
territorialisations qui le structure. Le versant du monde structuré part
de l'hypothèse que celui-ci est le reflet de cette construction car il
se rapporte aux endroits dont parle l'individu, à des pôles mais
aussi à des repères spatiaux et temporels sur lesquels l'individu
se projette par le discours et qui spécifient chacun à leur
manière certaines limites ou points d'ancrages dudit monde.
Le versant des territorialisations quant à lui, doit
être conçu comme le reflet dynamique de cette construction puisque
l'argumentation du discours amène à concevoir l'interaction des
énoncés entre-eux et à mettre en perspective le type de
relation aux points d'ancrages (spatiaux et temporels).
Pour comprendre l'expérience des
« énoncés comme embrayeurs de la construction
territoriale »9(*), nous avons choisi une méthode reposant
à la fois sur l'expérience vécue, sur les sens mais aussi
sur des entretiens.
Au travers cette recherche, c'est toute une réflexion
qui s'échafaude autour du lieu et du territoire ; où
« le lieu est une condition de réalisation du territoire car
il lui confère une image et des points d'ancrage de son enracinement
mémoriel ; il l'est aussi parce qu'il permet au groupe qui
territorialise d'avoir une existence collective et une mise en scène.
Mais plus encore, le lieu symbolique participe de la structuration du
territoire. Il fait le lien entre un espace géographique
structuré par les principes de contiguïté et de
connexité et un monde symbolique construit à l'aide de
synecdoques et de métaphores »10(*).
Dès lors, on comprend la place
privilégiée aux populations diasporiques dans cette étude,
où les migrants Indiens ou d'origine indienne vivant en France mais
conservant des liens affectifs et matériels avec leur pays d'origine
contribuent à un double processus : une reterritorialisation
gravitant autour de hauts lieux (où les liens communautaires, les
marqueurs territoriaux et la mémoire du territoire d'origine sont autant
de ciment à la reproduction de l'identité) et à une extra
territorialisation de l'altérité.
Vers une accélération des pôles
structurants et points d'ancrages de la territorialisation :
Dans cette focalisation sur les lieux et les territoires, la
mondialisation intervient non pas comme un processus tirant vers
l'uniformisation et l'homogénéisation ; vers une certaine
mondialité reposant dans un bain d'isotropie ; mais au contraire
est élément de fractures, de discontinuités, cette
dernière prenant substance et vigueur non pas de l'assimilation et de
l'effacement diffus des sociétés humaines dans des
« non-lieux »11(*), mais des localités et des
territorialités quelles qu'elles soit.
La mondialisation crée une accentuation de
l'ambivalence du lien territoriale et s'enferme dans une double dialectique
(ouverture/fermeture induisant celle du global/local et,
mobilité/sédentarité). La mondialisation permet en outre
une redéfinition du territoire qui nous est au combien utile dans cette
problématique ; l'internationalisation, la globalisation permettent
de transcender l'acception territoriale fondée sur une
« idéologie géographique »12(*) (penser territoire implique
par métonymie, une portion de l'espace, une plage cartographiable,
à l'intérieur de limites précises) pour aboutir à
la substitution d'une territorialisation régionalisée par une
territorialisation temporalisée (celle-ci étant permise par les
nouveaux moyens de communication produisant l'augmentation de
l'intensité de la diffusion de l'information).
« Le territoire ne se définit pas par un
principe matériel d'appropriation, mais par un principe culturel
d'identification, ou si l'on préfère
d'appartenance »13(*). L'hypothèse ici sous-jacente est que nulle
territorialité n'existe en dehors du groupe social, et ce n'est pas le
territoire qui fonde le groupe mais l'inverse, car quels que soient les
déterminants concrets, le lien social s'y immisce.
Hypothèse qui peut se révéler très
discutable principalement à la vue des processus de territorialisation
qui s'exercent notamment au sein de dynamiques ségrégationnistes
(par exemple, les township sud-africain crées de toute pièce par
l'apartheid sont pourtant devenus des lieux d'identification, d'appropriation
et d'appartenance), mais qui apparaît pertinente dans notre cas.
La mondialisation produit une redéfinition sensorielle
des lieux. La confrontation de la culture occidentale facilitée par une
redéfinition « systémique de la distance
euclidienne »14(*) et par les NTIC (technologies de l'information et des
communications) avec les hauts lieux indiens, produit une appropriation qui
elle-même crée un basculement de sens souvent inverse à
celui donné par la population indienne (ce processus de
réappropriation s'illustre notamment à Gokarna,
Bénarès/Varanasi, c'est-à-dire dans les lieux de
condensation des valeurs liées à l'hindouisme, mais ils ne sont
pas les seuls). Les NTIC et la révolution des transports conduisent
aussi à l'indépendance de l'espace par rapport au temps, et
créent une accélération et une intensification des liens
entre la France et l'Inde, utiles à la fois aux voyageurs de l'Inde et
aux migrants Indiens.
L'économie sociale et le développement local
sont souvent mis en exergue comme étant la face cachée de la
mondialisation. Même si ces concepts paraissent de prime abord
éloignés de notre sujet, les ponts que l'on peut entrevoir avec
les migrants Indiens sont pourtant faciles à expliciter.
L'ensemble de l'économie sociale est fille de la
nécessité (cette dernière générant des
mouvements coopératifs, associatifs ou encore mutualistes), mais aussi
fille d'une identité collective : faite d'initiatives
économiques lancées sous la pression de besoins cruciaux,
l'économie sociale est aussi portée par une communauté de
destin forgée par des facteurs d'ordre culturel (de langue, de religion,
de territoire...). Enfin, elle est inscrite dans la dynamique de mouvements
intellectuels et sociaux porteurs d'une visée de transformation de la
société entière. En cela, la diaspora indienne, loin
d'être un ensemble figé, rigide, représente un contre
poids, une résistance à cette mondialisation par les
rugosités, les résonances qu'elle génère. Il est
évident que l'on ne peut faire abstraction de la globalisation
(particulièrement pour les populations diasporiques), mais les rapports
à la mondialité de la diaspora indienne se forgent sur une
dissidence à mi-mot ; la communauté servant de pivot
à l'expression de solidarités solides (sous formes de
coopérations, d'associations, de mouvements mutualistes) combinant des
dimensions marchandes et non marchandes au sein d'activités productives
traversées par une perspective d'économie sociale. La diaspora
indienne apparaissant alors comme le creuset d'un possible renouvellement de
l'économie sociale au Nord, en France.
Par delà cette hypothèse, c'est toute
l'opposition entre société d'individus et communauté qui
revient à l'ordre du jour faisant ressurgir la question des
solidarités. Si pour les voyageurs de l'Inde, il s'esquisse de nouveaux
types de liens sociaux qualifiés de
« réflexifs »15(*) (après ce que l'on a pu identifier comme
solidarité mécanique et organique, il apparaît une
troisième solidarité dite réflexive), il en est tout
autrement pour les migrants Indiens.
Pour donner plus de corps à la démonstration et
dans un souci d'exemplarité, une étude de terrain dans
l'agglomération parisienne a été mené pour
illustrer ces divers processus. Etude qui s'est attaché à mettre
au jour les pôles structurant de la mise en place d'une construction
territoriale en France par les migrants indiens. Les critères retenus
pour délimiter cette aire de recherche ont été la
concentration à la fois commerciale, mais aussi communautaire (ici la
population tamoule originaire de Sri Lanka). Recherche d'abord effectuée
à l'aide de l'outil Internet, débouchant sur un bornage
précis.
Il s'agira alors de démonter l'existence de liens
communautaires et la création d'une extra-territorialisation (ou
territorialisation hors de la terre d'origine) par le marquage de l'espace
public (dissémination de signes identitaires tamouls)
générant une certaine privatisation de l'espace public, au mieux
de l'espace commun (agencement qui permet la coprésence des acteurs
sociaux sortis de leur cadre domestique) ainsi que des tensions avec la
population non tamoule.
Le périmètre d'étude est celui du
quartier de la Chapelle. Quartier ici n'a pas une valeur administrative mais un
sens d'espace vécu via des représentations intégratrices
engagées dans l'action qui font « tenir
ensemble ».
Ce quartier est celui d'une minorité majoritaire (les
Tamouls) ; il est à cheval entre les 10ème et
18ème arrondissements et inclut une partie du boulevard de
la Chapelle, la rue du Faubourg-Saint-Denis jusqu'à la gare du Nord,
complétées par les rues Perdonnet, Cail et Philippe de Girard
(voir plan en annexes).
A l'opposé, les mobilités (réelles mais
aussi issues d'un processus mental) entre un ici et un ailleurs motivées
par l'imaginaire, le mythe ou encore la quête d'un idéal,
redéfinissent le rapport à la mondialité des populations
d'origine française en voulant puiser dans le sous-continent indien des
éléments d'une utopie, d'une idéologie pour
élaborer des champs d'investigations nouveaux à une
modernité oppressante. L'ici est empreint des vécus, des
pratiques et des usages circonscrits dans une monotonie, tandis que son
versus, l'ailleurs est un espace représenté, mythifié,
imaginé c'est-à-dire propice à toutes les lubies de notre
esprit. L'ailleurs est d'autant plus important qu'il est véhiculé
par différents moteurs de la mondialisation, la société
française devenant une démocratie d'émotions liée
à une révolution informationnelle (se distinguant nettement d'une
société standardisée prenant pied dans la modernité
et la révolution industrielle).
Diaspora indienne et voyageurs mobiles, ou non, se
complètent : l'une réinvente la modernité et les
autres transportent avec eux la postmodernité. Travailler sur les
notions d'ici et d'ailleurs est indispensable en géographie car cela
permet de nous interroger sur la relation des sociétés à
l'espace.
Ces deux ensembles d'individualités se rassemblent
autour d'un point commun, au travers leur perception, et leur
représentation ; ils alimentent la formation d'un espace de
l'entre-deux, entre rêve et réalité, entre un ici et un
ailleurs, entre un dedans et un dehors, dont la formation (acte de fondement)
repose sur des symboles, des mythes, des passions, des images.
Espace d'entre-deux, interface qui laisse à l'individu,
au sujet, la possibilité d'exercer une fuite en avant face à la
réalité matérielle (aux conditions d'existence), au
mouvement d'attraction de la mondialisation.
Dans le même temps ces entités sociétales
ne s'expriment pas en dehors de la mondialisation. Au contraire, la
matérialité de cette espace de l'entre-deux est facilitée
par l'augmentation des mobilités et par la propagation des NTIC.
Celles-ci favorisent l'ubiquité, l'instantanéité
participant de facto à introduire plus de
« mondialité » dans chacune de nos actions.
Identité et territoire, deux processus
différents :
Certains diront que identité et territoires sont
indubitablement liés, consubstantiels. Mais là encore, la
mondialisation (dans sa phase actuelle d'accélération des
mobilités et des échanges culturels) introduit une
nouveauté. « Nous vivons dans un monde où les gens
ne savent plus toujours ce qu'ils sont, mais où les facilités de
communication et de déplacement multiplient les points de
références où ils peuvent s'accrocher »16(*). Les valeurs naguères
dominantes sont érodées, mais il y a hésitation sur celles
qui pourraient leur être substituées. Les voies que peuvent suivre
la reconstruction des identités sont donc multiples.
La multiplication des déplacements et la
rapidité des communications ont cependant des effets incontestables sur
les sentiments identitaires.
L'identité implique des référents sans
lesquels elle ne pourrait être définie ; le récit
identitaire reconstruit quatre piliers de l'expérience humaine : le
temps, l'espace, la culture et les systèmes de croyance. Ces
référents étant ponctuels, la territorialité
s'exprime alors plus en terme de polarité que d'étendue.
Ainsi l'essence de cette interspatialité entre l'Inde
et la France, entre l'ici et l'ailleurs, fil directeur de notre recherche,
s'épanouit dans la localité. Localité qui sert de base, de
support au déploiement d'une territorialisation complexe faite d'allers
et retours.
La transformation contemporaine des sentiments
d'identité a des répercussions sur la
territorialité ; elle entraîne une réaffirmation
appuyée des formes symboliques d'identification et en ce qui nous
concerne un double processus de construction territoriale.
Les voyageurs puisent dans le monde Indien, dans l'ailleurs
des éléments constitutifs d'une nouvelle identité, ou tout
au moins voulu en tant que telle. Ce mouvement d'appropriation de
l'altérité s'inscrit dans une nouvelle transition culturelle
où la « consommation culturelle » (rendue de plus en
plus efficace par les outils et moyens de propagation de la mondialisation)
détermine l'émergence de nouvelles formes de sentiments
identitaires qui s'enchevêtrent dans une territorialisation.
L'appropriation cognitive de l'ailleurs, redéfinie au travers des
filtres perceptifs de l'individu, génère une
intériorisation de l'extériorité. Ce
phénomène est alors inverse dans le cas des populations
diasporiques indiennes.
L'ouverture de la société conçoit la
multiplication des contacts avec l'Autre, et montre la complexité et la
diversité culturelle de celui-ci. Cette confrontation élargie
conduit à des attitudes diverses, parfois défensives17(*) dans le cadre des
représentants de la diaspora indienne : l'affirmation identitaire
devient explicite (affirmation identitaire qui ne s'exprime pas dans une
structure rigide mais dans une extériorisation de
l'intériorité), mais débouchant le plus souvent sur une
« interculturation » recherchée pour les voyageurs
de l'Inde.
Le chapitre premier aura comme objectif d'expliciter les
fondements de l'attirance ou de la répulsion des voyageurs
français pour l'Inde. Sentiments ou émotions extraits à la
fois de l'imaginaire indien (exotisme, utopie), des représentations et
des perceptions, où l'hindouisme, les philosophies indiennes et
l'authenticité sont souvent les médiateurs des relations entre la
France et l'Inde. Médiateurs souvent réinterprétés
et réappropriés à l'origine de syncrétisme à
la fois musicaux, cultuels et plus généralement sociaux.
Le chapitre deux se focalisera sur la diaspora indienne et sur
ses formes de territorialités. Le développement n'est pas ici
tourné sur une dimension historique ou sur un exercice
d'épistémologie ou sémantique s'exerçant à
trouver une définition au terme de diaspora, mais s'attachera à
élucider les liens qui s'établissent entre la communauté
diasporique et l'Inde.
« L'idée diasporique permet de
dépasser le simplisme de certaines oppositions
(continuité/rupture, centre/périphérie) pour penser le
complexe, c'est-à-dire la coprésence du Même et de l'Autre,
du local et du global »18(*).
Pour plus de clarté, le terme de diaspora aura ici pour
principe de signification celui d'un statut que l'on accorderait aux
ressortissants indiens ou d'origine indienne installés en France. Statut
qui permettrait de « postuler l'existence d'une communauté
dont le nom est diaspora et qui représente à la fois la
conscience commune de l'absence physique de la patrie et de sa présence
symbolique. Il [le statut] permet d'englober les diasporas dans un seul et
même cadre significatif, indépendamment de leurs
différences sociales, économiques, politiques, culturelles, etc.
La diaspora existe, toute chose égale par ailleurs »19(*). Idéal type à la
manière de Weber, mais soumis à plusieurs discriminants :
l'illusion de la communauté, l'illusion de la continuité, la
dimension de l'identification, la dimension de la différenciation et la
dimension de l'historicité.
Le but est ici d'analyser les fondements d'une
extra-territorialité faite d'allers et de retours entre ici et
là bas et entre le passé et l'avenir.
CHAPITRE 1
ATTRACTION, RAYONNEMENT, ABSTRACTION ET APPROPRIATION : le
mythe du « dromomane »20(*) et l'antimonde indien.
INTRODUCTION AU CHAPITRE 1
L'ensemble du mémoire repose sur une hypothèse
qui guide la totalité de la démonstration. Nous posons que les
mouvements de va-et-vient entre l'Inde et la France métropolitaine sont
à l'origine d'une territorialisation double. Territorialisation duale
dont les deux faces ne sont pas forcément complémentaires. L'une
s'effectue dans l'ailleurs (en Inde), l'autre dans l'ici (en France). Il
s'agira dans ce chapitre d'entrevoir les conditions de la territorialisation
des Français en Inde. Cette territorialisation est soumise à
plusieurs conditions de réalisation. L'attraction et le rayonnement en
sont les deux premières.
L'attraction c'est-à-dire l'influence de l'Inde sur des
réalités sociales consistant à les orienter ou à
les déplacer dans sa direction est fonction de divers stimulus, parmi
eux l'imaginaire indien. Celui-ci prend diverses formes, modulées en
fonction des perceptions des individus et, est de diverses natures (imaginaire
médiatique ou touristique, imaginaire des valeurs principalement les
utopies, et imaginaire de l'expérience relatée). La notion
d'imaginaire nous aide à décrire simplement les relations entre
un sujet et d'autres domaines où s'exerce l'activité de
l'esprit : art, pensée, mythe, religion et tourisme. Au-delà
de la lecture rationnelle du monde, il existe des formes symboliques qui aident
à asseoir un lien entre nous et le monde, entre
l'intériorité et le social. Ces liens symboliques aident à
faire ainsi une transition, un relient, entre l'individu et le dehors, entre
les sujets, et entre les diverses temporalités, c'est ce
« trajet anthropologique »21(*) qui nous intéresse ici.
Lié à l'imaginaire, l'exotisme,
l'étrangeté, l'altérité,
l'hétérogène, le divers, les écarts de niveaux de
développement sont autant de notions qui provoquent des effets positifs
ou négatifs mais c'est cette attractivité qui confère
à l'Inde un certain pouvoir.
L'hindouisme est aussi l'un de ces stimuli permettant à
l'Inde de drainer plus de 90 000 français par an. Ce sont d'abord
ses préceptes qui attirent mais aussi les diverses « sagesses
orientales » que l'on retrouve dans un second temps (le temps du
retour) un peu partout en France à l'instar des centres de yoga, de
médecine ayurvédique ou encore d'écoles de musique
karnatique ou hindustani. L'hindouisme contribue à
asseoir l'imaginaire dans un creuset d'images fécond et sert de biais au
rayonnement de l'Inde en France et plus largement en Occident.
L'autre condition essentielle de la réalisation de
cette territorialisation est le déplacement, le voyage. Ce voyage
exprime une fuite momentanée dans l'ailleurs soit de façon
réelle ou virtuelle. La figure aboutit en est celle du
« dromomane » (du grec drômos, fuir,
s'échapper de la réalité) qui serait un individu en
quête de nouveaux liens sociaux, à la recherche du contact
culturel, une sorte de « routard ».
Le rayonnement de l'Inde est souligné par le
voyage ; mais celui-ci n'est que l'aboutissement de l'attraction du
sous-continent qui forge un désir de voyage. Partir suggère une
brisure ; celle-ci est d'autant plus visible chez les voyageurs au long
cours. Il nous faudra saisir de quel imaginaire l'envie de partir nous vient,
sans perdre de vue que celui-ci est doublement subjectivé et que c'est
de la compréhension de cette subjectivation que l'on pourra saisir le
fonctionnement de cette territorialisation.
Subjectivation in visu, orchestrée en France
par divers supports médiatiques et subjectivation in situ
(selon les paramètres de la première subjectivation). C'est ce
deuxième pendant qui nous intéressera le plus, car il donne lieu
à des phénomènes d'appropriation. En effet, l'espace
indien représenté selon l'imaginaire se charge de valeurs, il
porte la marque des codes culturels, des idéologies propres aux groupes
sociaux auxquels appartiennent les sujets dans la conscience desquels il
surgit et détermine des attentes motivant une subjectivation in situ
qui va générer des phénomènes de
réinterprétation et de réappropriation.
L'ensemble des voyageurs ne fait que surplomber (du haut de
l'avion) les réalités indiennes suggérant
l'émergence d'un antimonde indien, une sorte d'externalité
négative liée à la fois à l'attraction et à
l'imaginaire indien. Ce qui attire en Inde, c'est l'autre,
l'altérité radicale. Mais celle-ci se tient sous nos pas, ou
plutôt sous les ailes de nos avions, sur les écrans de nos
satellites poussant le voyage dans la simultanéité mais aussi
dans une multiplicité non maîtrisée, générant
des modifications qui interviennent dans l'ailleurs, en Inde.
Ici et ailleurs n'est plus de nul lieu tout en étant
partout.
A/ LE
CHOC DE L'INDE, OU LA RECHERCHE D'UN EXOTISME.
On associe souvent à l'Union indienne
des images diverses pourtant parfois éloignées de la
réalité. Les Français et plus largement les occidentaux
usent depuis le Moyen-Âge d'adjectifs qualificatifs divers
échafaudant une agrégation multiforme de termes atemporelle
(traversant les époques). Tours à tours figure de l'exotisme, du
dépaysement, de l'authentique ou de la « sagesse »,
les divers paysages de l'Inde participent à ce construit social
établissant l'Inde comme source d'une altérité, d'une
étrangeté radicale à la base de multiples fantasmes. La
simple évocation du nom Inde motive l'imagination (d'ailleurs,
officiellement l'Inde prend comme dénomination Union indienne ou
Bhârat).
L'imaginaire et l'exotisme sont les biais pour comprendre la
multiplicité des relations non maîtrisées qui
s'établissent entre l'Inde et la France. C'est pourquoi dans un effort
de conceptualisation, il est nécessaire de brosser un tableau complet de
l'imaginaire français de l'Inde, car c'est lui qui sera à la
source des formes de territorialisation à la fois en France mais aussi
en Inde.
1-L'imaginaire indien:
« L'image n'est pas seule en cause dans le
constat de changement que nous sommes aujourd'hui invités à
établir. Plus exactement, ce sont les conditions de circulation entre
l'imaginaire individuel (et par exemple le rêve), l'imaginaire collectif
(et par exemple le mythe) et la fiction (littéraire ou artistique, mise
en image ou non) qui ont changé. Or, c'est parce que les conditions de
circulation entre ces différents pôles ont changé que nous
pouvons nous réinterroger sur le statut actuel de l'imaginaire. La
question peut en effet se poser de la menace que fait peser sur l'imaginaire la
« fictionnalisation » systématique dont le monde est
l'objet et cette mise en fiction elle-même dépend d'un rapport de
forces très concret, très perceptible, mais dont les termes ne
sont pas faciles à identifier. [...] Tout réel serait
« halluciné » s'il n'était symbolisé,
c'est-à-dire collectivement représenté. La question
particulière porte sur le fait de savoir ce qu'il en est de notre
rapport au réel quand les conditions de la symbolisation
changent. »22(*)
L'imago en psychanalyse est la représentation des
personnes de son entourage premier qui se fixe dans l'inconscient du sujet et
oriente son mode d'appréhension d'autrui, de l'altérité.
L'imago serait donc le médiateur de l'extériorité mais par
l'intériorisation
(« intériorisation de l'extériorité »
de Pierre Bourdieu) ; l'imago est un processus mental
général qui traduit un ensemble de représentations
inconscientes et n'agit pas comme un simple fait psychique d'imagination.
L'image est alors étroitement corrélée au stade du miroir
en tant que passage du spéculaire à l'imaginaire. C'est par le
truchement de l'imaginaire et précisément par la réflexion
de sa propre image dans le miroir qu'un sujet peut appréhender
l'existence de son corps. L'identité et la similitude opèrent
dans l'imaginaire ; elles permettent au sujet de retrouver dans l'autre ce qui
lui ressemble.
L'imagologie est le règne de l'image en tant que
représentation. Représentation qui se fait par un système
de signes non verbal et non séquentiel qui forme un double analogique de
l'objet (mais, est image toute chose matérielle ou mentale).
Réelle, fictive et chimérique, l'image
prête à penser, à se penser et à faire penser :
elle est un système de signes qui médiatise le rapport de
l'individu au monde, elle convertit l'intériorité en
extériorité, en même temps qu'elle permet à une
personne d'incorporer des éléments issus de son expérience
sociale, de son vécu (donc de participer à un processus
d'identification).
Sa puissance intrinsèque est de véhiculer un
langage et une mémoire iconographique et picturale dont le signe porte
en lui un mouvement, une aspérité, une épaisseur, une
profondeur voire un silence. L'image est aussi un instrument de domination de
l'espace à la fois par son aptitude à réduire sa
complexité, par son pouvoir mnémonique, mais aussi parce qu'elle
jouit de l'effet vérité consubstantiel à l'icône.
L'image, atemporelle et fugace, conte et diffuse une histoire
allégorique parfois contextualisée. L'image se fige dans des
stéréotypes, des clichés tantôt positifs,
tantôt négatifs. L'image est virale, trouvant toujours une faille,
une diaclase afin de se glisser dans un imaginaire collectif. Toutes les images
sont déformées, elles opèrent à un double processus
de subjectivation : subjectivation in situ (par celui qui
crée l'image) et subjectivation in visu (par celui qui
contemple l'image).
L'Inde est pourvoyeuse d'images et d'imaginaire
géographique à trois ancrages possibles (qui ont la même
source) : l'imaginaire de masse, médiatique et touristique ;
l'imaginaire des valeurs et l'imaginaire de l'expérience relatée
(de l'expérience humaine issue de la confession de la complicité
d'une tiers personne : ami ou connaissance).
Figure 1/L'image : un
système langagier, la médiation de notre
« géographicité »23(*) :
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes3.png)
IMAGE
L'INDIVIDU
GROUPE SOCIAL
Le groupe social et l'individu produisent et utilisent des
images. En tant que système d'interprétation, les images ou
représentations régissent notre relation au monde, orientent et
organisent les conduites et les communications sociales. Elles confèrent
pour l'individu et/ou pour le groupe, une signification et une cohérence
à la localisation, à la distribution, à l'interaction de
phénomènes dans l'espace. L'imaginaire (ensemble d'images en
relation) contribue à organiser les conceptions, les perceptions et les
pratiques sociales.
a) L'imaginaire
médiatique et touristique :
« L'orient, soit comme image, soit comme
pensée est devenu pour les intelligences
autant que pour les imaginations une sorte de
préoccupation générale »24(*).
En ce début de XXI siècle, l'espace se
standardise. Estampillé par le sceau de la mondialisation, par les
réseaux tentaculaires de l'information, ce sont des images identiques
qui sont diffusées dans les quatre coins du globe. Les images et
imaginaires géographiques sont dans cette révolution
informationnelle les supports d'une deshistoricisation rendue effective par les
nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC), nous
transportant dans le tourbillon confus de l'instantanéité et de
l'ubiquité. Les NTIC suscitant du même coup l'apparition de corps
humain solitaire, immobile et hérissé de prothèses, des
villes désurbanisées et des sociétés dans le flou
identitaire.
Le rapport global des humains au réel se modifie sous
l'effet des représentations associées au développement des
technologies, à la planétarisation de certains enjeux et à
l'accélération de l'histoire. L'époque actuelle voit se
développer un bien remarquable paradoxe. D'un côté, de
puissants facteurs d'unification ou d'homogénéisation sont
à l'oeuvre ; d'un autre côté nous voyons des
régions ou des fédérations se disloquer, un encombrement
territorial accompagné d'un argot (pays, communauté urbaine,
communauté d'agglomération...), des particularismes s'affirmer,
des nations et des cultures revendiquer leur existence singulière. Ce
mélange d'unité et de diversité, de forces
centripètes et centrifuges, apparaît d'autant plus
déroutant qu'il est reproduit et multiplié par les médias
qui en sont à la fois l'expression et l'un des agents. L'usage que nous
sommes conduits à faire, à son propos, des termes spectacle et
regard n'a rien de métaphorique. C'est bien notre regard qui s'affole au
spectacle d'une culture qui se dissout dans les citations, les copies et les
plagias d'une identité qui se perd dans les images et les reflets, d'une
histoire que l'actualité engloutit.
Il ne s'agit pas de définir d'une manière
toutefois assez réductrice la mondialisation, mais
l'instantanéité et la réduction de l'espace-temps
introduisent une nouvelle formulation des rapports à
l'altérité ; c'est toujours par rapport à l'Autre que
se pose la question de l'identité.
Les NTIC rendent le rapport à l'autre de plus en plus
abstrait ; nous nous habituons à tout voir mais il n'est pas
certain que nous regardions encore. La substitution des médias aux
médiations contient ainsi en elle-même une possibilité
de violence. Mais le développement des médias et les changements
qui affectent la communication et l'image sont des changements
présentés le plus souvent comme culturels et il est dès
lors normal de s'interroger sur le rôle de la culture ou de l'idée
que l'on s'en fait dans l'histoire la plus récente.
En outre cette révolution informationnelle, dont les
nouvelles technologies des communications et de l'information sont le fer de
lance (on ne le redira jamais assez), alimente le mythe d'une migration
possible dans lequel se niche une certaine magie des images.
C'est entendu, l'Inde attire et suscite rejets et
fascinations, ses images reposent sur des dialectiques précises. Elle
est un véritable bassin cognitif et affectif organisant verticalement
(selon un système de pentes valeurs/désirs) et horizontalement
les rapports des individus à l'Inde.
Ce sont les clichés classiques d'une Inde
incarnée par la figure du Maharadja, du Mahatma Gandhi et de sa
résistance non-violente, satyagraha ; ou encore des
paysages largement stéréotypés, où sortant du
brouillard matinal surgissent les ghâts de
Bénarès/Varanasi, la cité des dieux, sur le fleuve
sacré, le Gange, que les supports médiatiques véhiculent
et instrumentalisent.
Ce sont aussi les contrastes entre les épices, les
palais, les couleurs, l'exégèse, les festivités versus les
images de pauvreté et de misère. C'est une nature peu
clémente, inhospitalière, sauvage, mais aussi aux attributs d'une
lumière éclatante lors de la fête du diwali par
exemple (le 26 octobre qui marque le début de la nouvelle année
hindoue ; les maisons et les bâtiments sont illuminés dans
tout le pays), d'une grande diversité.
Photo 1 : Le palais du Maharadja de
Mysore.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes4.png)
(c)Goreau, A. Février 2002. Palais de style
indo-saracène (mélange de style hindou et musulman).
« Aussi bien cet espace qu'occupe l'Inde a-t-il
été d'entrée de jeu consacré aux errances de
l'imagination. Terre de confins, mitoyenne entre réel et surréel,
monde monumental où l'inépuisable labeur de la nature livre ses
productions les plus exaspérées, jungle rutilante dont
l'arborescence dérobe l'accès, l'Inde n'aura jamais
été véritablement découverte, a fortiori
inventée »25(*). Inventée et réinventée des
milliers de fois au grès des envies et de l'imagination des individus
dont l'évolution se fait l'écho des époques.
C'est l'image d'un immobilisme séculaire, d'un temps
circulaire, de la masse, de la chaleur écrasante, des paysans besogneux.
L'imaginaire médiatique procède comme toute instrumentalisation
issue d'icônes, par effets métonymiques et synecdoques :
l'Inde c'est l'hindouisme, un pèlerinage aux sources de la sagesse,
où y abondent, maharajas à dos d'éléphants, fauves,
charmeurs de serpents, bosquets luxuriants de palmiers ou de banyans
traversés de lianes écarlates et de fleurs carnivores aux parfums
enivrants, Thugs, britanniques hautains coiffés du casque colonial,
temples...
Cet imaginaire prend ses sources dés l'antiquité
mais est relayé par le Moyen-Âge, la Renaissance, mais surtout par
le Romantisme. L'Inde existe par l'imaginaire qu'elle suscite et qui y fait
retour, qu'elle alimente et dont elle se nourrit, auquel elle donne naissance
et qui la fait renaître à chaque instant.
Si l'évolution de cet imaginaire nous intéresse,
c'est parce qu'elle concerne à la fois l'Inde -ses permanences et ses
mutations- et notre rapport à l'image, qui évolue sans cesse (la
diffusion des images sur la terre entière pose de façon plus
générale la question de l'existence quotidienne, pouvons-nous, au
travers de l'imaginaire faire de l'Inde le support de nos rêves et de nos
attentes ?). L'expression la plus probable de l'imaginaire
médiatique se traduit au cours des romans et récits
d'aventure.
Au travers des écrits des différentes
époques, le paysage indien s'avère plus qu'un décor, ou
qu'un prétexte à divers fantasmes occidentaux. Le paysage indien
et notamment celui de Ceylan (Taprobane de son nom antique) apparaissent d'une
façon paradoxale un des mythes les plus tenaces de la
chrétienté, celui du paradis terrestre, de l'Eden. Mais,
l'évolution de l'imaginaire indien n'est pas linéaire, une image
mercantile se substitue à la Renaissance à cette illusion
chrétienne, et ce n'est qu'au XIX siècle avec la
découverte des textes épiques et philosophiques de la
civilisation indienne (Mahabharata, Ramayana,
Upanishad et lois de Manu) qu'un engouement baroque (fait de
spécialistes dits « indianistes ») insufflera
à la littérature et aux arts un esprit nouveau sous la figure
d'Antoine Léonard de Chézy, d'Eugène Burnouf, ou encore
Langlois (« jusqu'à la fin du XVIII siècle, la vision
qu'avait de l'Inde l'élite cultivée était encore
tributaire de Ctésias26(*) et de Mégasthènes27(*) : un peuple de fakirs
nus, mi-hommes mi-monstres, debout en plein soleil un pied dressé
au-dessus de la tête »28(*)).
Ces images kaléidoscopes réactivent le paradoxe
d'un Occident fasciné et méfiant devant une Inde insaisissable
issue de l'enchevêtrement des realia et des mirabelia.
L'image archétypale de l'Inde se définissant depuis le
Moyen-Âge par deux thèmes particulièrement saillants, dont
perdurent encore aujourd'hui avec une moindre acuité, sinon des
variations : monstruosités et sagesses.
L'imaginaire médiatique transmet par le biais des
canaux de la télévision, des journaux ou encore des affiches et
du cinéma le portrait d'une Inde valorisée, souvent
envoûtante mais aussi déconcertante ; ce portrait
étant souvent relayé par l'imaginaire touristique.
Si d'ordinaire, on entend le paysage comme l'affichage
polysémique conscient (aménagement, politique, économique,
religieux) ou inconscient (le paysage vernaculaire) dans l'espace, dans le
temps et dans un milieu donné des statuts, des héritages, des
projets de société qui permet ainsi le balisage (ou bornage) et
l'identification d'un territoire mais qui également enregistre les
dysfonctionnements du complexe (système) milieu/société,
la mondialisation nous amène à faire le distinguo entre un
paysage à usage interne et un paysage à usage externe.
Paysage à usage externe car celui-ci est de plus en
plus un formidable outil de communication qui via l'esthétisation
devient un gage de vente pour les tours opérateurs (pour Alain Roger,
tout paysage est le produit de l'art, d'une artialisation29(*)).
Photo 2 : Paysage
« authentique » du Sud de l'Inde. Le Gopuram constituant la
tour Est du temple Minakshi-Sandareshvara ((c) Goreau, A.
Février 2002).
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes5.png)
Ce paysage se nourrit des mêmes figures, des mêmes
icônes à ceci près qu'elles prennent part à une
transformation sémantique : les rues perpendiculaires aux gopuram
de Madurai (temple Minakshi-Sandareshvara), les fêtes de
pongal au Tamil Nadu ou de sankrati au Karnataka (fête
des moissons) prennent part à l'authentique (l'authenticité a
besoin de terre battue, de spiritualité mais elle ne trompe pas. L'usage
d'artifice et de ruse n'est pas de mise), tandis que les piedmonts des
ghâts occidentaux, les Nilgiri aux stations d'altitude d'Ooty, de Munnar
ou de Kodaikanal (« cascades, sentiers enchevêtrés, et
villages perdus en pleine jungle. En prime, la richesse extravagante de la
flore, les jeux de couleurs, le lac et ses reflets, les nuages accrochés
aux montagnes raviront les passionnés de photos. [...] C'est l'endroit
rêvé »30(*)), ainsi que les filets chinois de Cochin (la
géographie universelle de Brunet illustrant même l'Inde du Sud de
cet élément) font parti du champ lexical du pittoresque,
empreint de couleur locale faisant ipso facto leur originalité, les
distinguant des autres (par un trait souvent forcé, dans ces deux
cas : la spécificité d'altitude mêlant plantations,
réserves d'animaux et fabriques de chocolat). Pour qu'un paysage soit
« pittoresque », il lui faut aussi du relief (sinon c'est
plat, morne) et du menu (sinon c'est grandiose ou sublime, à la
manière des contreforts de l'Himalaya, de Darjeeling ou de Leh, du
Cachemire et de l'Assam). Nombre de descriptions abusent de cet adjectif
quelque peu dévalué et paresseux. Cela va volontiers avec
« le vrai » et le varié, le folklorique, comme
clichés.
Le pittoresque s'arrête sur des détails, sur des
images c'est une vision bien sûr réductrice. Le pittoresque est
schématique mais c'est un élément de communication fort
à la manière de l'authentique.
Ce paysage est aussi qualifié d'exotique, à la
manière des terrains de jeux de Kipling. Imaginaire touristique empreint
des romans de Jules Verne -La Maison à Vapeur : Voyage dans
l'Inde septentrionale, Tour du monde en quatre-vingt jours-
(où le héros Philéas Fogg résume en une
suite de mots le paysage indien : « Des mosquées, des
minarets, des temples, des fakirs, des pagodes, des tigres, des serpents, des
bayadères ») : architecture, exubérance de la
flore, tout est réuni pour faire de l'Inde l'archétype de
l'exotisme.
Conflictuelle, l'image touristique tend à diviser,
plus qu'à unifier une réalité culturelle. L'imaginaire
« médiatico-touristique », véhicule une
opinion généralisée et simpliste qui peut devenir le
catalyseur d'une curiosité.
Il s'agit alors de dépasser l'image subie, d'aller
au-delà des stéréotypes et de ce paysage à usage
externe pour entrevoir un paysage fait dans le temps, dans les usages et dans
l'émotion, essayer d'atteindre l'herméneutique de l'Inde.
Cette curiosité critique vis-à-vis de
l'ignorance prenant une acuité sincère dans l'imaginaire des
valeurs et celui des expériences relatées. Etre curieux consiste
à parcourir afin de découvrir ce qui nous manque pour
reconstituer une totalité homogène et ordonnée.
b) L'imaginaire des
valeurs :
Dans les relations triangulaires de l'image (figure 1)
l'imaginaire des valeurs à l'inverse de l'imaginaire médiatique
provient de l'individu.
Ici ce n'est pas le groupe social qui produit les images mais
l'individu. Il ne s'agit pas des valeurs formalisées par les normes,
l'ethos, orientant les comportements d'une société ou d'un groupe
social. Les valeurs supposées et admises ici, couvrent des images d'un
modèle de vie susceptible d'apporter des réponses à un
Occident en quête de manque ou de perfectibilité. Les valeurs
touchent à un idéal, à une utopie, au besoin d'imaginer de
nouvelles perspectives sociales ne relevant pas de l'aliénation mais
procédant d'une conscience réflexive de l'Homme.
Utopie qui concerne la volonté de transcender
l'être-là humain, le quotidien vécu. Cependant,
l'idéologie est une conscience dont la fonction est conservatrice, alors
que celle de l'utopie est révolutionnaire. L'une et l'autre sont des
fausses consciences, de pures évasions hors des sociétés
vivantes. L'utopie répond à une métaphysique de
l'évasion, à une fuite de l'ennui reposant sur l'ambivalence
idéal/paradoxe.
Idéal, suscité par les utopies communautaires,
les sagesses orientales, la volonté individuelle d'échapper
à la « radicalisation de la
modernité »31(*) et de recréer un espace d'interaction sociale,
un maillage de lieux anthropologiques.
Idéal qui se conforte par la recherche d'une
alternative, d'une rupture de l'Occident et de l'omnipotence du
marché ; idéal fondé sur le lien social, la
collectivité à l'instar des kibboutz israéliens.
Les valeurs individuelles se retrouvent autour de la
proximité, de la coprésence, et de la contiguïté non
pas physique mais sociale ; une sorte de
« proxémie »32(*) partagée, c'est-à-dire l'ensemble des
observations et théories concernant l'usage que l'homme fait de l'espace
en tant que produit culturel (c'est un dépassement de la
proximité : l'espace n'est pas une donnée neutre, un simple
contenant de pratiques fonctionnelles, mais un construit culturel et
relationnel, la dimension cachée exprime des habitudes
intériorisées non objectivables. L'analyse des données
infra culturelles permettant de repérer des niveaux d'organisations
territoriales).
L'adhésion à ses valeurs, pourtant à la
base individuelles, génère la formation d'une solidarité
sociale qui se double d'une construction territoriale ; l'idéal,
l'illusion devenant une réalité tangible : les ashrams et
Auroville peuvent en être quelques-unes des illustrations.
En effet, vers la fin des années 1960 (1968 plus
précisément), des occidentaux sont pris par la volonté de
créer une « cité idéale » :
Auroville (se situant à dix kilomètres au nord de
Pondichéry). Il s'agit d'une cité qui se veut universelle
où hommes et femmes de tous pays doivent pouvoir vivre en harmonie
progressive au dessus de toute croyance, de toute politique et de toute
nationalité. Ce projet, louable au départ, est vite devenu
subversif, se rapprochant plus d'une secte (selon les indiens) que de
l'expression d'une volonté oecuménique : le contraste entre
occidentaux blancs (de toutes nationalités mais particulièrement
européens) et paysans tamouls accomplissant les travaux de construction
et les tâches besogneuses est saisissant. Architecturalement, cette
« ville » devait se concrétiser sous la forme d'une
galaxie : un point au centre représentant l'unité (le
Matrimandir, une boule sphérique et lieu de méditation),
un premier cercle pour la création et des pétales pour symboliser
le pouvoir de l'expression.
Photo 3 : Le Matrimandir
d'Auroville (noter l'attachement à l'origine étymologique latine
aurum : or).
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes6.png)
(c) A, Goreau, février 2002.
Ajoutons dans cette quête d'un idéal, les ashrams
c'est-à-dire des unités de réflexion philosophique et
spirituelle (ashram signifie « travail sur soi »). La
philosophie est à la fois manière de vivre, manière de
voir le monde, manière d'approcher le divin, grâce à la
méditation collective et à la pratique du yoga. Par exemple
l'ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry ; celui-ci a
été crée par un indien Bengali (donc interdit aux
tamouls), Aurobindo rejoint par une française Mirra Alfassa
(anciennement Mirra Richard) dit la « Mère » au
début du XX siècle.
D'une oeuvre essentiellement spirituelle, affabulatrice,
l'ashram est aujourd'hui une entreprise capitaliste recevant de multiples dons
d'occidentaux, particulièrement français, partageant les
mêmes valeurs. Entreprise, mais aussi gros propriétaire qui
gère des fermes, surveille des laboratoires, fait tourner des usines et
administre une clinique, imprime, publie, expédie par sa propre
poste.
Ainsi le paradoxe n'est jamais loin entre un idéal et
son penchant fallacieux. Ashram ou Auroville sont des figures modernes d'auto
gestion, du mythe de « phalanstère » (selon Fourier,
la société idéale devrait être divisée en
phalanges de coopération, ou communautés, chacune étant
constituée d'environ 1 600 personnes qui vivraient dans le
phalanstère, grand bâtiment communal situé au centre d'une
zone agricole. Un système de règles complexes
réglementerait la vie à l'intérieur de chaque phalange. En
vertu de ce règlement, l'affectation du travail est fonction du talent
de chacun. La propriété privée pourrait subsister, mais un
mélange des riches et des pauvres devrait faire disparaître la
hiérarchie sociale. La richesse communale du phalanstère
subviendrait généreusement aux besoins élémentaires
de ses membres. Le mariage, au sens courant, devrait être aboli et
remplacé par un système complexe réglementant le
comportement social de ceux qui mèneraient une vie commune).
L'Inde dans la continuité du courant soixante-huitard
et hippy serait l'issue d'une société marchande, arrivée
à la cinquième étape de Rostow : le
consumérisme. L'Inde est la figure du moyen de s'extirper d'une
société matérialiste, rationnelle.
Alternative reposant sur une plus grande spiritualité
dans la lignée des écrits des romantiques mais aussi sur un
différentiel important en termes de pouvoir d'achats et des substances
illicites abondantes et peu chères, faisant de Goa (et de Katmandou au
Népal) des hauts lieux de cette illusion).
La filmographie aussi est chargée de ce sens, de cette
quête de l'idéal, de cette ontologie indienne, à l'instar
de « nocturne indien » d'Alain Corneau (d'après le
roman d'Antonio Tabucchi) réalisé en 1989, qui nous évoque
la recherche de soi dans l'altérité, la multiplication des
réalités et l'illusion de l'apparence.
Paradoxe, entre cette quête de quelque chose plus
authentique, de plus « vrai », un mode de vie plus proche
de ses racines (des roots), qui se fait l'écho d'un certain
retour aux sources, « l'image de l'Inde s'ancre donc dans
l'inconscient collectif en une alternance de volupté et de sauvagerie
dans un contexte de besoin de régénération de
l'Occident »33(*) et des intérêts plus fallacieux.
Que reste-t-il du psychédélisme, de ces
utopies ? L'Inde ne fascine plus depuis qu'on l'associe au tiers-monde,
à un pays sous-développé (par opposition à l'Eden).
Par l'intermédiaire des cinéastes que cela soit dans La
cité de la joie34(*) ou dans Salaam Bombay35(*) par exemple, les
bidonvilles de Calcutta ou « les gosses des rues » de
Bombay fournissent aux français les sentiments d'horreur, d'effroi et de
pitié (qui contrastent aisément de celles
véhiculées dans l'épisode Octopussy de James Bond
ayant pour toile de fond le Lake palace hotel d'Udaipur).
Paradoxe aussi car derrière ces utopies se cachent
souvent des velléités mercantiles, capitalistes, d'accumulation
et d'homogénéisation.
Derrière cette volonté d'aller en Inde soit par
un déplacement physique ou dans l'imaginaire, l'individu veut s'extirper
du keynésianisme, du fordisme, du
« corbuséisme », de la collectivité, de la
raison, c'est-à-dire de tous les fleurons de la modernité. Mais
l'individuation plonge l'Inde dans le matériel, dans le
« non-lieu » au sens que lui donne Marc Augé.
Cette ambivalence idéal/paradoxe de l'imaginaire des
valeurs participe pleinement à donner vie au mythe du voyage.
c) Imaginaire de
l'expérience relatée :
Le but de cette analyse succincte de l'imagologie indienne
est, ni plus ni moins, de permettre la compréhension des
mécanismes de la constitution de cet entre-deux, entre un ici et un
ailleurs. Interspatialité qui peut-être de l'ordre de l'imaginaire
ou bien physique instaurant un rapport de distance entre la France et l'Inde
(matérialité malgré tout frappée d'une lourde
dimension culturelle et sensitive)
Le projet de partir se nourrit d'encouragements
suscités par l'expérience relatée des voyageurs d'hier et
d'aujourd'hui. Relation qui peut se faire sous différentes formes et
supports, mais qui stimulera invariablement l'imaginaire, le désir
d'ailleurs et le désir de l'Inde.
Bien sûr, on pense aux documentaires
télévisuels tels ceux diffusés dans les émissions
de Thalassa, dans Des racines et des ailes, Ushuaia
ou encore Faut pas rêver. Cette vulgarisation touchant un large
public se fait aussi sur le front de la lecture à l'instar des magazines
ou autres revues mensuelles comme Géo.
Nonobstant ces récits médiatiques, c'est le
filtre d'hommes et de femmes ayant vécu l'expérience en Inde qui
nous intéresse. Pragmatisme dans l'ailleurs qui rend compte d'une
rhétorique de l'expérience, de l'espace vécu, offrant une
représentation de l'Inde différente (ayant un plus grand pouvoir
d'attraction pour les jeunes générations) que celle
véhiculée par la télévision.
Rhétorique de l'expérience offrant une dimension
nouvelle : sensitive, émotive et impressionniste (en fonction du
positionnement du narrateur).
« Les précieux mots laissés par les
premiers voyageurs sont et restent des invitations au voyage cent fois plus
alléchantes que les publicités en quadrichromie des voyagistes
actuels même les plus audacieux »36(*).
Il est banal de préciser que l'on voyage d'abord par
les livres ; expérience relatée qui se fait donc via la
sphère scripturale, qui rend compte d'une proximité sentie et
ressentie où l'individu/lecteur, imagine ce que l'auteur a vécu.
Imaginaire empreint de la subjectivité de l'auteur.
Cet imaginaire marque l'expérience de l'ailleurs par le
livre déterminant une catégorie de voyageurs : les voyageurs
mentaux, certains diront voyageurs de chambre, qui parfois partent finalement
plus loin, plus en profondeur et plus librement que les masses de voyageurs
pressés de tout faire et de tout voir.
Au-delà du livre, l'expérience relatée
peut se faire dans l'échange, au cours de rencontre fortuites, ou dans
des associations philindiennes comme l'association Ganapati de
Bordeaux, ou la FAFI (fédération des associations
franco-indiennes), ou encore lors de rencontres culturelles.
Cet imaginaire est d'autant plus stimulé qu'Internet
représente un véritable vivier pour vivre l'ailleurs par
substitution.
Ces premières rencontres de l'ailleurs par le livre,
l'échange, et par les médias donnent vie au mythe et à la
recherche de l'altérité.
2- L'exotisme indien.
« Ce qui assure une unité du lien et une
jointure dans les visions du monde de l'Antiquité au XVI siècle,
malgré les ruptures et les progrès technologiques inégaux,
c'est la commune appréhension de l'altérité. Autrui, qu'il
se présente sous la figure du juif, du berbère, de l'africain, de
l'indien, du fait qu'il est imaginé avant d'être perçu, est
prédiqué de deux valeurs opératoires essentielles :
le lointain lié à l'état de la géographie et de la
cartographie d'une part, la bonté et la beauté paradisiaque
d'autre part. Cette double prédication analytique de
l'altérité va forger les symboles emblématiques sous
lesquels l'Autre sera aperçu et conçu, à savoir qu'il est
toujours exotique puisqu'il est d'un ailleurs par définition inconnu, et
qu'il est dès lors porteur des fonctions traditionnellement
accrochées à cette modalité. Ces qualités sont
nécessairement ambivalentes puisqu'on ignore la provenance et l'essence
du sujet : cruel et doux, beau et laid, blanc et basané, brut et
humanisé »37(*).
L'imaginaire fantasmagorique, le merveilleux ou le monstrueux
offrent à l'Inde une forte base « exotique » qui
s'émancipe dans la cuisine, l'architecture, le climat (la mousson
indienne), la flore, la faune, les couleurs et la population. Le
dépaysement est d'autant plus sensible que l'on visite mentalement ou
physiquement des sociétés et des paysages qui différent de
ceux qui nous entourent, il s'agit de l'altérité radicale.
L'exotique, du grec
« exôtikos » (étranger), est
frappé du sceau du divers, de la différence. Dans le domaine de
la physique, les particules exotiques sont celles dont les
caractéristiques divergent et diffèrent notablement des
caractéristiques habituelles. L'exotisme serait donc un principe de
changement, de discontinuité, de rupture avec le quotidien, le
routinier ; en bref une façon d'échapper à la
modernité, à la standardisation.
De cette manière, l'exotisme serait la
matérialisation de la rencontre avec l'altérité, de la
confrontation entre nous et eux (français et indiens), mais plus encore,
l'exotisme serait une synapse entre la normalité et le divers où
se manifesterait l'expression du désir insatiable d'occuper un espace
vierge.
Ce désir va de pair avec le mythe de la terre sauvage,
où pour avoir la prétention de l'atteindre il faut sortir des
« sentiers battus », ravir l'engouement personnel pour
l'aventure (toute proportion gardée), c'est rechercher des ambiances,
des impressions méconnues. De multiples lieux de l'Inde paraissent
satisfaire cette volonté de nu, de mystérieux. Par exemple
Gingee, gros bourg rural à une soixantaine de kilomètres
au nord-ouest de Pondichéry allie « petits monuments datant du
XVI siècle éparpillés dans une végétation
sauvage, peuplée de singes, de bruits inconnus dans
les buissons, le tout comme semi abandonné, quasiment
désert »38(*) et altérité radicale, l'ensemble
confortant un dépaysement gradué en fonction de
l'expérience de l'ailleurs et de l'imaginaire. Radicalisation de
l'altérité et de l'exotisme atteignant leur paroxysme dans les
îles Andaman et Nicobar du fait de la présence
d'éléments de population autochtone (deux groupes principaux sur
les Andaman : des populations de type Mongoloïdes arrivées par
bateau, par petites embarcations du Sud-est asiatique (Malaisie et Birmanie) et
de type Négroïdes qui seraient les descendants des bushmen
africains) d'une part et par la difficulté d'accès à cet
archipel d'autre part ; l'Etat indien hésitant encore entre
préservation et développement d'un tourisme haut de gamme
focalisé sur les ressources naturelles (récifs coralliens,
forêts, grandes étendues sablonneuses, mangroves...) à
l'instar des Maldives.
Photo 4 : Les îles Andaman :
banalement tropical pour un géographe, mais figure même de
l'exotisme pour le profane ((c) Goreau, A. Îles d'Havelok, février
2003).
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes7.png)
L'exotisme est doté d'un pouvoir d'illusion,
d'attraction et/ou de répulsion. Ensemble de sensations qui
répondent à des dualités prononcées tout en lui
étant substantiellement lié. Par exemple, l'opposition duale
entre le développement et le sous-développement (première
altérité qui naît d'une discontinuité
économique large), ou encore entre la tradition et la modernité
auxquelles s'ajoute, s'adjoint l'opposition entre eux et nous, entre indiens et
français.
En effet, la tradition vécue par le spectateur comme un
retard, lié à un état d'anomie économique, est
source de distinctions, de différentiations, voir même de
synesthésies39(*) ; la différence suscitant la comparaison
(revêtant parfois des allures de néo-colonialisme). On a
forcément à l'esprit cet exotisme indien du présent
où le « pittoresque » des campagnes (entendons ici
misère et dur labeur) rappelle la France de jadis.
Toutefois ce même écart crée motivation
et désir d'ailleurs, une envie d'aller voir sur place, de rejoindre
l'Inde. Cette même tradition peut être instrumentalisée,
stéréotypée pour en faire des clichés dotés
d'un fort pouvoir de communication et de vente. Ça et là, les
voyagistes et autres tours-opérateurs s'orientent sur deux thèmes
phares pour caractériser l'Inde : civilisation et tradition (selon
cette même nomenclature40(*)Madagascar serait plutôt tournée vers
« la nature et les grands espaces », « au fil de
l'eau » conviendrait pour les Seychelles...) qui sont les piliers
d'un édifice de multiples circuits s'orientant tous vers un exotisme du
passé. « Les couleurs du Rajasthan » (avec un
crochet tout de même en Uttar Pradesh, il ne faudrait pas manquer de voir
le Taj Mahal à Agra), « parfums du Sud » ou encore
« légendes sacrées » sont autant
d'itinéraires revisitant « les superbes témoignages de
la vieille civilisation indienne, mélange de culture hindoue,
bouddhique, musulmane, et britannique »41(*), se targuant
d'éléments architecturaux (le temple de Khajurâho, de
Kanchipuram, mosquée de Delhi et autres palais des maharadjas). Il
s'agit donc ici d'un exotisme du passé.
Cette opposition duale transcende tout en la corroborant la
première acception de l'exotisme. Cet adjectif à l'origine
s'attache à signifier une nature qui n'appartient pas au monde
européen. Ainsi l'Inde tropicale, l'Inde des forêts, la jungle de
Kipling, renfermant tigres et éléphants font figure du divers, de
dépaysement.
Mais c'est plus le différentiel économique que
l'image banalement stéréotypée d'un paysage tropical qui
attire (la possibilité de trouver dans l'ailleurs la solution à
ses envies.....). « Voyager dans le tiers monde est sans doute la
forme de tourisme qui occasionne le dépaysement le plus grand à
un habitant de pays tempéré développé :
paysages et sociétés sont radicalement exotiques car
correspondant à un climat différent (en général
tropical) [...] Il semblerait que le sous-développement soit
générateur d'exotisme. »42(*)
Ce différentiel contribue à accroître
l'image d'une Inde idyllique, d'une Inde étape sur les chemins de
Katmandu, aux utopies grandissantes à la manière d' Alex
Garland43(*) mais de
façon renouvelée par les nostalgiques des années 1960 (des
néo-psychédéliques post
« soixante-huitards », empreints de beat
génération et de culture hippie).
Image qui se concrétise dans des Etats comme celui de
Goa (« Goa est un petit paradis bourré de cocotiers, de
rizières verdoyantes, de jardins en fleurs et de longues plages de
sable. La population semble avoir hérité de la nonchalance des
Portugais, et se contentait jusqu'il y a peu des prodigieux cadeaux de la
nature »44(*)).
Goa évoque pour la population française et occidentale, la
liberté, à la fois sexuelle mais aussi via les psychotropes bons
marchés ; ces deux consommations : sexuelle et drogues,
faisant partie intégrante selon le Economic and Political
Weekly45(*) de
l'exotisme.
L'exotisme est frappé des stigmates de la
différence, c'est l'espace où le Français et plus
généralement l'Européen plongent avec fascination. Ainsi,
dans le procédé, l'exotisme agit à l'instar du
bovarysme : il s'agit de fuir dans le rêve l'insatisfaction, la
frustration éprouvée dans la vie. Mais la configuration n'est
point la même, cette fuite ne s'exerce pas dans le rêve (du moins a
demi-mot, via le prisme de l'imagologie) mais dans l'ailleurs, dans
l'étrangeté, dans l'insolite, dans le merveilleux, dans
l'inattendu, dans le surprenant voir même dans le
mystérieux ; en bref dans tout ce qui est autre
(l'hétérogène, le divers, le multiple).
« L'exotisme n'est donc pas cet état
kaléidoscopique du touriste et du médiocre spectateur mais la
réaction vive et curieuse au choc d'une individualité forte
contre une objectivité dont elle perçoit et déguste la
distance »46(*)
Mais, cette individualité est de plus en plus soumise
à de multiples facteurs d'usure qui prennent la figure de la
standardisation de la diversité via le progrès technique, la
mondialisation, la multiplication des rencontres qui génèrent
plus de non-lieux que de lieux anthropologiques. Et au total, l'espace exotique
découvert par les Français, ou fantasmé comme tel,
apparaît fort différent de l'espace indien.
3- Voyage et tourisme.
L'exotisme du passé, du
présent et celui lié au désir d'utopie, associés
à leurs images, exercent un pouvoir d'attraction différent
correspondant à des formes distinctes de tourisme, à divers
processus d'appropriation de l'espace indien.
L'imaginaire et l'exotisme suscitent le départ,
l'évasion, l'envie de partir. Etymologiquement, partir (du latin
vulgaire partire) signifie « partager,
séparer », et c'est bien de cela qu'il s'agit : se
scinder en deux, entre l'ici et l'ailleurs au profit d'une inter
spatialité de l'entre-deux.
A l'instar du mythe, le voyage possède un rôle
dans la production de l'espace, dans la somme des symboles et des
représentations, au sein de laquelle se manifeste toute la place des
objets géographiques.
Le voyage peut se faire excursion, incursion, exil
momentané, apprentissage, rite de passage, acquisition
d'expérience, balade, circuit, pérégrination ou encore
errance, mais dans tous les cas, il est une vérification.
Exercice de contrôle de l'image par le vécu, de
la représentation par la perception.
Le voyage ainsi revêt un sens social, une
herméneutique ; sens qui est plus profond lorsqu'il prend l'aspect
d'un passage, d'une initiation, à la dimension du monde. Passage ou
moment hasardeux, délicat, difficile, voir aventuré qui fait la
jonction entre eux et nous, entre la France et l'Inde, mais qui marque aussi le
risque du changement d'état. Le voyage implique dès lors une
trajection au sens d'Augustin Berque47(*), c'est-à-dire une combinaison médiale
et historique du subjectif et de l'objectif, du physique et du
phénoménal, de l'écologique et du symbolique, produisant
une médiance. Il donne consistance à l'imaginaire et permet enfin
de toucher l'Inde, d'assouvir cette soif de notre « orient
intérieur »48(*).
Figure 2 : Les mécanismes du
départ.
CONFIGURATION GLOBALE DU DEPART
Imaginaire de l'expérience
|
Imaginaire médiatico-touristique
|
Imaginaire des valeurs
|
Documents
|
Exotisme
|
Tradition
|
Récits de voyageurs
|
Peur/Misère
|
Modernité
|
Héritage familial
|
Musique
|
Utopie(s) sociale(s)
|
Cercle d'amis
|
Cinéma
|
Sagesses orientales (ashram, gourous).
|
Projet individuel ou collectif
Mythe du voyage/Mobilité humaine
![]()
Soi L'Autre L'INDE
![]()
DEPART
(c) Goreau, A.
Le voyage en Inde prend la figure du tourisme, qui
répond à plusieurs motivations. Et d'abord, il porte sur un
espace que l'on pourrait appeler affectif puisqu'il est préalablement
investi d'images et de valeurs sentimentales. A moins de se déplacer
pour rien, errance purement improductive et sans motif précis, le voyage
implique toujours une finalité plus ou moins efficace. Il est donc
inutile de tomber dans l'opposition systématique entre
« routard » et touriste ou encore entre touriste et
« vrai » voyageur. « Le touriste n'est pas ce
voyageur moutonnier qu'on imagine le plus souvent. Au fil de ses voyages, il
acquiert des compétences et des savoir-faire dont la capitalisation peut
contribuer à améliorer sa mobilité »49(*). Il faut cesser de penser que
le touriste ne voyage que dans une attente matérialiste, n'ayant que des
besoins et ipso facto ne concevant pas l'intelligence de sa
mobilité ; et qu'il ne serait pas, contrairement au voyageur, au
routard, considéré comme un acteur conscient et volontaire de sa
mobilité, animé par un projet (puisqu'il est souvent
qualifié de mouton se fondant dans une masse uniforme, ou au mieux,
marchant dans les pas des voyageurs qui l'ont nécessairement
précédé). Car, on vient toujours après d'autres, et
de ce fait on est toujours le touriste d'un autre.
Outre que le voyage sollicite un savoir-faire, une
stratégie dans l'art des repérages, des choix
d'itinéraires, des balisages, des passages, des manoeuvres d'approche
(d'ailleurs le mot anglais travel qui signifie voyage, à la
même origine étymologique que le mot travail, suggérant par
là que voyager implique une succession de tâches plus ou moins
bien maîtrisées par les voyageurs), il vise une direction et, au
loin un projet.
Le voyage mobilise une capitalisation, la mobilité
devenant un art, un investissement.
Graphique 1 : les touristes
français en Inde.
1/ Evolution en valeur absolue.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes11.png)
2/ Evolution en valeur relative (en %).
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes12.png)
Source : D'après le Statistical Abstract, India,
2001. A noter que le nombre total de touristes étrangers en Inde pour
l'années 2000 est de 2 641 157.
Le voyage en Inde connaît des soubresauts, mais le
nombre de touristes français qui touchent le sous-continent avoisine
annuellement les 90 000. L'espace touristique indien est multiple,
correspondant à l'imaginaire de chacun et à son capital de
mobilité, mais cet espace découvert par le visiteur
étranger apparaît fort différent de l'espace indien
réel ; de l'Inde telle qu'elle est dans son ensemble, mais aussi de
l'Inde en tant qu'espace vécu par les indiens eux-mêmes. Le
tourisme ou le voyage en Inde s'attarde sur des zones bien précises et
concises, et la plupart du temps il est urbain, négligeant du même
coup les campagnes indiennes où vivent pourtant les deux tiers de la
population indienne. Au total le voyageur au même titre que le chercheur
ne peut avoir qu'une vue très partielle et partiale de l'Inde (souvent
loin de la complexité de la réalité), mais cette
expérience va créditer un phénomène d'appropriation
de l'espace indien. Principe matériel qui peut toutefois se doubler d'un
phénomène d'identification ou du moins d'une
réinterprétation/recréation de l'espace visité.
Recréation qui sera empreint des figures des indes
touristiques (voir carte 1). En effet, les régions de l'Inde sont
inégalement concernées par le tourisme, (qui n'est pas une
panacée) qualitativement et quantitativement. A une Inde des
« routards », voyageant à peu de frais, parcourant
parfois de grandes distances entre des lieux privilégiés tels que
l'Etat de Goa (pour profiter des plages d'Arambole ou de Colva), celui de Jammu
Cachemire (pour participer à un trekking de haute altitude dans le
Karakoram ou dans les vallées du Ladakh) ou encore les îles
Andaman s'oppose d'une certaine manière l'Inde des
tour-opérateurs, « qui ne laissent voir de l'Inde, outre ses
aéroports et ses hôtels climatisés, que ses monuments les
plus fameux, correspondant à une clientèle
généralement plus fortunée »50(*). Vision réduite
s'attachant particulièrement au centre-ouest de la plus grande
démocratie du monde, se focalisant sur des hauts lieux comme le
Rajasthan, ses dunes (désert du Thar) et ses palais (avec pour points
d'ancrage : Bikaner, Jaisalmer, Jodhpur, Rohet, ou encore Jaïpur),
L'Uttar Pradesh avec la capitale moghole d'Agra (Fatehpur Sikri et Taj Mahal),
l'Etat du Maharastra, avec la métropole de Mumbai (Bombay), enfin Delhi
avec ses points forts, le Qutab Minar, la Connaught Place, le Raj Ghat ou
encore la mosquée Jama Masjid ; le tout orchestré par un
« guide-accompagnateur local parlant
français »51(*).
Mais de plus en plus l'espace touristique des Français,
des occidentaux se confond avec l'espace touristique des Indiens (hormis dans
les cas de tourisme balnéaire stricto sensu) par le biais principalement
de la sphère religieuse et essentiellement de l'Hindouisme et du
Bouddhisme.
Des organismes français de voyage permettent de suivre
les traces des différents pèlerinages liés à
l'hindouisme (comme l'organisme Kuoni ou Travelling Asia),
avec des repos dans des chaînes hôtelières luxueuses, il en
convient. La forme la plus impressionnante de ce prosélytisme religieux
(et son aboutissement) est sans doute celle que prend les kumbha
mela.
Dans quatre villes : Allahabad (ancienne Prayaga, Uttar
Pradesh), Nasik (Rama, le héros du Ramayana y aurait
vécu, Maharastra), Ujjain (capitale du royaume légendaire
d'Avanti, un État indien évoqué dans diverses
chroniques bouddhistes. Au IIe siècle av. J.-C., le roi de la dynastie
maurya Ashoka y réside. Madhya Pradesh) et Hardware (Etat
d'Uttaranchal) a lieu un grand pèlerinage tous les douze ans, soit un
kumbh mela tous les trois ans en Inde (l'hindouisme et sa ferveur, sa
dévotion, ravissant alors la demande en exotisme des français).
Le plus fameux et le plus visité par les indiens et les occidentaux (car
tous les ans en fait, y a lieu un pèlerinage) est celui d'Allahabad au
confluent (les zones de confluence sont sacrées dans l'hindouisme) de
trois fleuves et rivières : le Gange, la Yamuna et la Saraswati.
Là se rassemblent jusqu'à quinze millions de pèlerins
pendant plus d'une semaine.
Il s'agit dans ce genre de circuits de s'imprégner
d'ambiances, de spiritualité voir de mysticisme.
D'une façon moins prononcée, mais consubstantiel
à cette « manne religieuse », à un Sud de
l'Inde mésestimé auparavant se substitue une destination majeure
rivalisant de plus en plus avec le Rajasthan. On y vient pour voir les Gopura
de Kanchipuram, de Thanjavur et de Madurai mais aussi les temples et grottes de
Mahäbalipuram, d'Ajanta et d'Ellora ou encore les vestiges de l'ancien
Etat hindou Vijayanagar du centre du Dekkan à Hampi,
près de Bellary, dans l'État du Karnataka.
Ainsi, « il y a de la fierté chez beaucoup
d'indiens complexés par leur statut d'ancien peuple colonisé,
à voir tous ces Blancs admirer des temples hindous du VIII
siècle, à rendre en quelque sorte hommage à une
civilisation qui se trouve ainsi comme
réhabilitée »52(*).
Figure 3 : L'Hindoustan, le centre de
l'Inde touristique.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes13.png)
(c) Goreau, A. 2004. L'Hindoustan est une
« région » aux limites indéterminées
qui fait plus figure d'un contenu que d'un contenant. Ce territoire au sens de
l'appropriation repose sur de multiples points d'ancrage d'ordre culturel (la
langue hindi, la musique hindoustani, les cités sacrées de
l'Uttar Pradesh...). Cette partie du subcontinent apparaît de prime abord
comme le berceau culturel de l'Inde et c'est elle qui est le support de toute
l'imagologie indienne et des multiples circuits touristiques (dans un premier
temps en tout cas).
Figure 4 : Les Indes touristiques
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes14.png)
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes15.png)
(c) Goreau, A. 2004.
Le voyage permet d'approcher l'Inde, d'établir une
réponse physique à l'attraction, à la fascination et au
rayonnement produit par le sous-continent. Approche qui est fonction d'un
capital de mobilité, de l'hexis et de l'habitus des individus
concernés.
Voyage qui permet aussi d'apprécier la
réalité. Mais attention, celle-ci peut être
transformée, car le voyage par un passage par l'anglais trip
c'est aussi subir les effets d'hallucinogènes. On a affaire à une
réalité hallucinée, édulcorée voir
même instrumentalisée ; car le tourisme n'est qu'un
subterfuge, un procédé plus ou moins habile fait d'effets
métonymiques, de lieux, de réductions et de simplifications.
Dès lors, la construction territoriale d'un entre deux,
entre l'ici et l'ailleurs ne peut se passer du voyage mental, de l'imaginaire.
La dichotomie nomade/sédentaire apparaît obsolète ;
ici les figures d'Hermès (dieu du Commerce et des Professions
itinérantes, Hermès protégeait les voyageurs, les
commerçants, les bergers et leurs troupeaux) et d'Hestia (déesse
vierge du Foyer) apparaissent complémentaires.
Ce voyage va pourtant générer un flou
identitaire ; il va organiser un sens différent, un rôle
fomentant une identité projet produit par les sujets s'exerçant
à cette forme de mobilité au sens de Castells.
« Identité projet qui apparaît lorsque des acteurs
sociaux, sur la base du matériau culturel dont ils disposent, quel qu'il
soit, construisent une identité nouvelle qui va redéfinir leur
position dans la société »53(*).
B/ DIMENSION ANAGOGIQUE ET ALLEGORIQUE DE L'INDE.
« Je vécus là une des
périodes les plus décisives de mon séjour. Je me trouvais
soudain plongé dans cette authentique
« indianité » à laquelle j'avais tant
aspiré »54(*).
L'Inde est pourvoyeuse d'images et d'imaginaires qui
permettent de se transporter dans un univers fantasmagorique, idéal ou
obscur. Elle nourrit aussi nos utopies les plus folles, nos désirs
d'évasion, d'envie d'un système idéal. C'est aussi le
faciès par excellence de l'exotisme, du dépaysement. C'est ainsi
que bon nombre se l'approprie, parfois d'une façon moins idyllique, plus
terre à terre rehaussée de misérabilisme, de maladies,
d'étouffement et de pauvreté. L'idée que l'on s'en fait
pousse au voyage (« visiter signifie vérifier la
conformité de la copie à l'original, à savoir la
fidélité de l'image mentale ou physique avec la
réalité de l'objet, là sous les yeux »55(*)), au tourisme, à la
pérégrination. Voyage qui exprime une quête
d'authenticité, mais ailleurs, sous d'autres cieux, c'est une recherche
nostalgique de la « vraie vie » dans une
société indienne ancienne, exotique et
« traditionnelle », une recherche de la
réalité des choses.
Le temps du retour, épreuve difficile,
particulièrement pour les expatriés et les routards, dont le
temps en Inde est beaucoup plus long que celui des touristes des
tours-opérateurs (en moyenne 122 jours contre seulement 11 jours pour
les circuits organisés et séjours balnéaires56(*)) est difficile, et
teintée de nostalgie. Commence alors le flou des
références, et une réinterprétation selon ses
schèmes perceptifs des normes et valeurs de l'Inde (histoire de se
créer un territoire d'entre-deux).
Les français entretiennent une relation sacrale avec
l'Inde, faite d'une fascination mystique, philosophique contribuant à
forger la dimension anagogique du sous-continent, qui se ressent dans
l'appropriation en France des figures allégoriques de l'Inde et des
symboles de l' « indianité ».
1- L'hindouisme, le catalyseur
de l'affect.
Dans une approche téléologique de la culture,
celle-ci est un réservoir d'images dans lequel à des moments
donnés, les groupes humains puisent les ressources nécessaires
à la fabrication de références collectives.
Les productions culturelles marquent les lieux dans lesquelles
elles se déroulent : si plusieurs se révèlent
fugaces, transitoires, d'autres établissent des rapports étroits
avec les lieux dans lesquelles elles s'inscrivent.
Mais une production culturelle peut changer l'utilisation, la
perception d'un lieu, le donner à voir différemment, le
transfigurer. Les figures de l'hindouisme et la philosophie indienne font
partie de ces productions culturelles ambivalentes, à cheval entre un
fort ancrage local et allégorique et, un réservoir de
références pour les français.
Le voyageur retient de l'Inde son trait de caractère le
plus appréciable : la dimension religieuse, anagogique, tout en
opérant en parallèle une figure de rhétorique. Il use de
synecdoques (voire parfois d'un style fait d'hypallages) et écarte les
autres convictions (islam particulièrement) de son champ perceptif.
Rhétorique qui n'est pas spécifique au profane mais commune aussi
aux universitaires, aux journalistes qui parfois confondent hindous et indiens
(les hindous se définissant eux-mêmes comme ceux qui
reçoivent l'enseignement des Veda ou ceux qui suivent la voie,
dharma déterminée par les quatre castes varna
et, les quatre âges de la vie : ashrama).
L'hindouisme est l'élément qui provoque une
réaction par sa seule présence ou intervention. Réaction
qui est du domaine de l'affect : impression élémentaire
d'attraction ou de répulsion. L'affect, l'émotion prennent une
dimension sociétale plus prononcée mais servent de biais
permettant la transition avec l'altérité, l'extérieur mais
surtout de modalité de résolution des oppositions entre la
réalité et l'illusion, le virtuel et l'authentique, l'art et la
culture. L'affect sert alors de médiateur entre ici et ailleurs, entre
l'imaginaire et la réalité indienne doublement
subjectivée, in visu et in situ, et permet dès
lors de comprendre les procédés de l'élaboration d'une
interspatialité (créant une nouvelle territorialisation). Il est
difficile ici dans une perspective de géographie culturelle et sensitive
de mesurer cette attraction par des modèles scientifiques proposant des
analyses chiffrées se targuant d'une représentation des
différentes énergies concentrées et diffusées (on
est loin de pouvoir offrir une cartographie des différentes forces en
présence).
Longtemps l'imagerie de l'Inde merveilleuse a exercé
une véritable fascination sur les esprits d'Occident, tandis que ses
différences avec l'Occident voué au Logos ont toujours fait de
l'Inde, et ce encore aujourd'hui, une sorte de lieu mythique où se
cristallisent maintes aspirations secrètes et un certain
ésotérisme mystique que le rationalisme occidental refoule avec
vigueur.
Les sagesses de l'Inde, l'hindouisme et la philosophie sont
sources d'intéressement pour les français,
précisément parce qu'ils se dégagent des concepts
philosophiques occidentaux héritiers des pensées de Platon ou
d'Aristote, de même que des systèmes stoïciens, sceptiques
etc., en ce que la raison est ce qui permet d'articuler la pensée dans
un discours, et qu'en ce sens une connaissance du monde est possible : la
raison est logos, langage (Pour Hegel, « ce qui est rationnel est
réel et ce qui est réel est rationnel ». Affirmant
l'identité du rationnel et du réel, cette forme de rationalisme
est absolue). Les concepts philosophiques indiens parfois issus de textes
mythiques (donc non réels) se distinguent de la main mise de la raison,
du rationalisme, de la scientificité occidentale et de la distinction
ontologique du sujet et de l'objet.
Ainsi les Français allant en Inde, en plus du
dépaysement, de la diversité (par opposition à la
standardisation) réinventent la modernité. L'attrait est
porté sur les voies de réalisation spirituelles consubstantielles
à l'hindouisme.
En effet, la préoccupation principale des Upanishad
(textes ésotériques et mystiques indiens, regroupés dans
les aranyaka qui font partie des Veda) est la nature de
Brahma, l'âme universelle. La doctrine fondamentale
exposée est l'identité entre atman, ou l'âme, et
Brahma. Les autres thèmes abordés sont la nature et le
but de l'existence, les différentes façons de méditer et
de vénérer les dieux, l'eschatologie, le salut et la
théorie de la transmigration des âmes.
La vie humaine est également cyclique : après la
mort, l'âme passe dans un nouveau corps, qu'il soit humain, animal,
végétal ou minéral. Ce processus ininterrompu de morts et
de renaissances est appelé samsara. Cette nouvelle existence
est déterminée par les mérites et les erreurs
accumulées, conséquence de toutes les actions commises durant les
vies antérieures, ou plus généralement de ce que les
hindous appellent le karma. Il est possible d'en contrer les effets
par des rituels, des pratiques expiatoires, d'en sortir grâce à
l'expérience de la sanction et de la récompense, mais surtout par
la libération (moksha) du processus global de samsara,
qui s'obtient par le renoncement à tous les désirs mondains.
Parallèlement au sanatana dharma, de
nombreuses tentatives furent entreprises pour réconcilier les deux voies
de l'hindouisme. La Bhagavad-Gita parle de trois voies de
réalisation spirituelle. À la voie de l'action ou karma
(qui désigne ici les actes rituels et sacrificiels), et à celle
de la connaissance ou jnana (la méditation sur le Dieu
suprême recommandée par les Upanishad), vient s'ajouter une voie
médiane, bhakti ou chemin de la dévotion et de l'amour
pour Dieu : un idéal religieux qui transcende et mêle les deux
autres voies.
L'évocation de ces quelques préceptes permet de
comprendre le fossé qu'il existe entre philosophie occidentale et
orientale, et plus particulièrement indienne. Philosophie
débouchant sur plusieurs convictions religieuses (jinisme, bouddhisme,
çivaïsme etc.) pourtant née du même creuset :
l'hindouisme et qui suscitent ça et là des émules. Bien
sûr il ne s'agit pas de se convertir à l'hindouisme, mais
plutôt d'adopter une partie des concepts des Upanishad, en
adhérant par exemple aux préceptes du bouddhisme (d'ailleurs,
niché entre l'arc de Triomphe et la tour Eiffel, dans un ancien
hôtel particulier se cache un musée se consacrant au
panthéon bouddhique, recevant de multiples adeptes français).
Appropriation de l'indianité qui peut aussi se faire
sous d'autres formes à l'instar des centres d'apprentissage du Yoga
(l'un des six systèmes classiques de la philosophie hindoue qui se
distingue des autres systèmes par les méthodes de contrôle
du corps et les pouvoirs magiques attribués à ses adeptes
avancés, les doctrines et pratiques datant de la période des
Upanishad), mais aussi tantrisme, terme impropre qui n'existe pas en
sanskrit ; que cela soit en Inde (Pune ou Poona, capital intellectuel de
L'Inde organisant des séminaires d'apprentissage de la pratique des
tantras ouvert aux français) ou en France. Ainsi, qu'ils aient
reçu ou non une formation religieuse, à notre époque,
nombreux sont les français qui se tournent volontiers vers des pratiques
apparemment profanes (ou qu'ils envisagent comme telles), lesquelles en
réalité se confondent avec des rituels indissociables des
philosophies indiennes.
Le yoga affirme que, par la pratique de certaines techniques,
on peut réussir à se libérer des faiblesses de la chair,
des illusions des sens et des embûches de la pensée et à
atteindre ainsi la communion avec l'objet de la connaissance ;
« s'approchant du Kaivalaya (délivrance), les adeptes
du yoga sont présumés acquérir des pouvoirs hors du
commun. Ils deviennent insensibles à la chaleur ou au froid, aux
blessures, aux plaisirs ou aux douleurs. Ils peuvent accomplir des exploits
extraordinaires sur le plan spirituel et physique, ils sont à même
d'infléchir les lois de la nature. Ils sont en mesure de distinguer les
éléments les plus subtils de la matière et,
simultanément, de contempler l'univers dans son ensemble,
appréhendant le microcosme et le macrocosme dans la même
pensée »57(*). C'est sûrement cela qui attirait (à
l'instar de Mircea Eliade, d'Aldous Huxley et de Yehudi Menuhin) et attire
encore les adeptes occidentaux.
À l'aspect mondain de l'hindouisme correspondaient,
à l'origine, trois Veda, trois castes (varna), trois âges
de la vie (ashrama) et trois objectifs essentiels assignés
à la vie des hommes (purusharthas). La répartition des
trois premières castes (les brahmanes ou prêtres, les
kshatriya ou guerriers et les vaishya qui
représentaient le peuple) fut élaborée sur le
modèle de la division tripartite de l'ancienne société
indo-européenne. Une quatrième caste fut créée,
celle des Shudra ou serviteurs.
La stratification de la société indienne selon
les castes et l'opposition pur/impur est sans doute ce qui motive le plus le
couple attraction/répulsion, l'altérité devenant radicale
(voir C).
Toutefois, loin des préoccupations philosophiques,
l'hindouisme frappe ne serait-ce que par son caractère
surréaliste, surprenant, principalement lors des défilés
où une telle dévotion, une telle foi ne se retrouvent nulle part
ailleurs. Assister à un pèlerinage ou à une procession
revêt une grande singularité. Il n'est pas commun de faire un face
à face avec des éléphants parés d'or massif et
parcourant en ligne les ruelles d'une ville millionnaire.
Photo 5 : Procession dans le quartier
hindou à Cochin (Kérala, Inde du Sud) :
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes16.png)
(c) Goreau, A. Janvier 2003. Après s'être
arrêté devant chaque maison hindoue, pour récolter des dons
sous forme de céréales, le cortège, accompagné de
joueurs (de percussions, de flûtes et de trompette) et d'une quinzaine
d'éléphants se rend au temple pour une ultime
représentation où les sonorités répétitives
des tablas mettent en transe les dévots. Ici, rassemblement en ligne des
éléphants pour la représentation finale.
Enfin, une des dernières « sagesses
orientales » suscitant de l'admiration et une certaine appropriation
est le principe de non-violence du Mahatma. Mohandas Gandhi tenta
également d'extraire de l'hindouisme les éléments utiles
à ses objectifs sociopolitiques, et proposa son interprétation de
l'ahimsa qui devint une résistance passive pour obtenir des
réformes en faveur des intouchables et pour « chasser les
Anglais » de l'Inde.
Le voyage en Inde est de plus en plus culturel et se
concentre autour de la visite des temples et des vestiges passés de
l'hindouisme. Vestiges architecturaux dans le sens où les
édifices ont traversé les époques et que la question de la
patrimonialisation ne se pose pas encore.
C'est bien cela qui excite la curiosité et la
sagacité de l'oeil occidental : la prépondérance de
l'hindouisme et de ses concepts philosophiques dans la société
indienne. On oppose souvent le spiritualisme hindou au matérialisme
occidental mais, c'est plus dans la forme spécifiquement hindoue de
rupture avec le monde et les conceptions qui la sous-tendent, commandées
par la manière spécifiquement hindoue d'être au monde qu'il
faudrait plutôt chercher la source de la résistance à la
modernité. C'est donc cette manière d'être au monde que
certaines catégories de la population française essaie de
s'approprier via de multiples emprunts à la culture indienne (que cela
soit par l'apprentissage du yoga, des tantras, ou encore des dogmes religieux).
C'est ainsi que de nombreux indiens religieux se sont déclarés
maîtres (guru) et ont émigré vers l'Europe et les
États-Unis où ils ont inspiré bon nombre de disciples.
2) Syncrétisme
musical.
« Le sport et d'autres formes culturelles telles
que la musique et la danse sont en train d'esquisser ce que seront les cultures
de masse du XXI siècle à l'échelle de la planète.
Ces cultures émanant de l'économie-monde dessinent les contours
incertains d'un ensemble métissé où chacun est à la
fois de plusieurs lieux et de plusieurs milieux. Un imaginaire de la
diversité qui amène à relativiser sa terre natale et
à participer à l'élargissement du monde, est à
l'oeuvre aujourd'hui »58(*).
Un pas de plus est ici franchi vers les chemins de
l'interculturalité et dans l'explication des matériaux d'une
genèse territoriale entre l'ici et l'ailleurs. La musique est une forme
de production culturelle qui, de plus en plus en France se fait l'écho
de références indiennes.
La musique aspire à de multiples enjeux :
économiques, de pouvoir mais aussi et surtout de civilisation. Car la
musique comme le sport ou la danse, fait partie des phénomènes de
civilisation qui s'inscrivent sur et comme territoire-monde.
Mais quelle légitimité intellectuelle à
rechercher de l'espace dans la pratique d'écoute de la musique ?
Pour la raison essentielle que la musique est un
phénomène de société et qu'elle est le
médiateur dans la relation de l'homme à son milieu.
La musique intéresse par sa capacité à
évoquer la société. Si l'on accepte que toute culture
comprenne des organisations symboliques qui façonnent les
représentations, il paraît que le potentiel évocateur de la
musique, mis en mouvement par un processus symbolique peut-être un
vecteur essentiel de représentations. Ainsi, la musique pourrait-elle
servir de support à la circulation de représentations
collectives, compte tenu de la spécificité des processus
symboliques qui implique l'autonomie des champs de la production et de la
réception.
La musique marque le pas dans les chemins de l'acculturation,
et sert de liant à cet espace imaginé et vécu qu'est
l'Inde ; on recherche les sonorités des percussions et des
instruments à cordes pincées (comme le sitar) indiennes.
Le bhangra, est l'illustration de ce mélange
abouti, de ce syncrétisme musical qui est une matérialisation
(via une production culturelle) de cette interspatialité.
Au départ, le bhangra était un style de
danse provenant du Panjab, exécutée pour célébrer
des occasions importantes telles que la moisson, les mariages, etc. Typiquement
accompagné par des chants, il a aussi comme caractéristique le
battement de différents types de percussions. Percussions qui se
singularisent par l'emploi du dhol (tambour à deux faces
recouvertes de peaux), du dholaki (de la même famille en plus
petit, employé à la place ou en complément) et du
tabla59(*) . Des
lanières de cuir permettent de tendre les peaux et d'en faire l'accord
avec la tonalité du raga (râga ou râgam en tamoul
-terme sanskrit signifiant attirance, couleur ou passion- est un cadre
mélodique. Les raga sont basés sur les théories
védiques concernant le son et la musique). Les peaux sont
frappées avec les doigts, la paume de la main et le poignet, ce qui
permet de réaliser une grande variété de sonorités,
aigues ou graves, sèches ou profondes, cependant la frappe sur le
tambour grave sert surtout à donner la cadence.
Si, jusqu'aux années 1960, les musicologues avaient une
vision évolutionniste de l'histoire de la musique : ils
considéraient que les peuples primitifs pratiquaient une musique
rudimentaire et que le processus de civilisation avait engendré des
musiques de plus en plus sophistiquées dans le monde occidental, le
bhangra (considéré comme traditionnel et rudimentaire
jusqu'à cette même période) démontre le contraire,
à cela près que ce type musical a perdu sa dimension sociale,
culturelle et d'identification au profit d'une dimension plus marchande.
En effet, de nos jours, le nom bhangra est surtout
associé au type de musique qui utilise ce type de percussion et qui a
été développé par la communauté indienne
vivant au Royaume-Uni (issue de l'émigration punjabi, à la suite
de la vivisection entre le Pakistan et l'Union indienne lors de
l'indépendance en 1947). Percussions qui n'ont plus aucune signification
sociale en occident (sauf pour la diaspora), en terme de rites, mais qui
donnent simplement la cadence et, qui sont désormais associées
à d'autres genres musicaux. Le bhangra a toujours
été populaire parmi les personnes d'origine punjabi mais le style
a connu un renouveau et un regain d'intérêts au cours des dix
dernières années. Les arrangements traditionnels intègrent
souvent des styles musicaux contemporains. Dans cette période le
bhangra a été influencé à l'instar du
groupe Bombay Talkie ou Panjabi MC par le reggae, la techno
(comme Talvin Singh), la house, le rap, le ragga, le raggamuffin (tels
que les mélanges d'Apache indian) et la jungle. En fait, ces
synthèses sont souvent si réussies que le bhangra
moderne, la plupart du temps en provenance du Royaume-Uni est maintenant
réexporté de nouveau vers l'Inde. Dès lors, le
bhangra est référence pour les Français en
situation d' « anémie d'Inde » mais aussi
référence identitaire pour les indiens issus de la diaspora.
Toutefois ce type de musique caractérisée donc par la cadence des
percussions, est réinventé par de multiples artistes
français classés dans la mouvance Dub. Parfois le
syncrétisme et la volonté d'acculturation s'affichent même
dans les couvertures de disque. Ainsi Massilia sound système
pousse le métissage à son paroxysme (ci-contre60(*)). En effet, ce groupe
marseillais chantant en langue d'oc, tombe dans le tourbillon des
références indiennes en associant percussions et cadences
liés au bhangra dans l'ensemble de son oeuvre.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes17.png)
Le bhangra et sa réinterprétation en
France génèrent une appartenance multiple. La volonté
d'identification, d'acculturation se fait aussi par l'achat de disques de
grandes figures de la musique indienne comme Ravi Shankar (sitariste et
compositeur indien, l'un des plus célèbres musiciens de son pays,
connu en France notamment pour ses enregistrements avec le violoniste Yehudi
Menuhin) par exemple.
Genres et formes musicales circulent d'un bout à
l'autre de la terre par le biais des tournées (concerts), des disques,
et des émissions de télévision transmises par satellite.
Le phénomène musique du monde se fait le vaisseau de l'apologie
du métissage. Mélange des styles et des genres, à l'image
d'une société qui rêve de fusion culturelle.
Ainsi le syncrétisme musical issu des
références indiennes est symptomatique d'une situation beaucoup
plus générale participant à la mondialisation et à
une certaine perte de signification. Toutefois ce mélange musical en
particulier au niveau du bhangra, demeure fortement
imprégné par la thématique identitaire.
« Noyés dans l'anonymat des grandes métropoles, les
originaires d'une même communauté utilisent souvent leur musique
et leur danse traditionnelles pour perpétuer le souvenir du pays
d'origine et resserrer le lien social »61(*).
3) Appropriation des symboles de
l' « indianité ».
Le temps du retour suscite la nostalgie de l'Inde et, c'est
à ce moment précis que se délivre matériellement,
donc de façon visible cette territorialité de l'entre-deux.
Construction matérielle d'autant plus forte que le séjour ou
l'immersion mentale dans l'Inde est longue. Nostalgie qui se manifeste par
l'appropriation, ou du moins la réappropriation, des symboles, des
références de l'indianité, c'est-à-dire
d'être à l'Inde de ce qui fait la culture indienne. Si la culture
peut se définir comme « la somme des comportements, des
savoir-faire, des techniques, des connaissances et des valeurs accumulés
par les individus durant leur vie »62(*), nous nous attacherons aux formes les plus visibles
de réinterprétation /réappropriation en France tels que le
cinéma, la cuisine, les icônes des divinités du
panthéon hindou etc.
a) La cuisine:
Les habitudes culinaires ont toujours été
influencées par les règles sociales de chaque région.
L'importance du facteur culturel se fait sentir, par exemple, dans les
modifications apportées par les différentes vagues d'immigration.
L'alimentation reflète les structures de la société.
Au-delà de l'importance des pratiques alimentaires et des actes
culinaires s'y associant, soulignons que manger, cuisiner, c'est aussi et
surtout, parler un langage, parler le même langage.
La cuisine est un élément culturel fort de
différenciation de distinction entre les divers groupes sociaux, elle
permet dès lors la valorisation de l'altérité.
Ainsi il faut distinguer, opposer l'alimentation fonctionnelle
et l'alimentation authentique, chargée de sens et de valeurs. Cette
deuxième attribution n'étant opératoire la plupart du
temps que pour la population issue de la diaspora indienne. Car en pratique,
cette valorisation des particularismes alimentaires tient parfois pour la
population française du folklore. Le temps d'un repas, la maison, le
foyer deviennent un lieu de mise en scène. Tandis que d'autres voyagent
en fréquentant les « restaurants indiens » de
quartier.
La mondialisation est souvent vécue à la fois
comme la standardisation des aliments et des saveurs et, comme l'uniformisation
des goûts. La première image qui nous vient à l'esprit de
cette dynamique est la figure emblématique de la chaîne de
restaurant Mac Donald's qui nous impose un menu unique, et réduit la
diversité des identités culinaires. Paradoxalement,
l'individualisme conduit l'acteur à rechercher de l'originalité,
de l'authenticité (gage de souvenirs, telle la madeleine de
Proust)63(*) qui l'oblige
à prendre des distances avec son modèle de normes et de valeurs
culturelles. C'est ainsi que l'acteur pratiquera l'exotisme au quotidien en
fréquentant des établissements de gastronomie indienne, ou en se
composant chez lui son espace de l'ailleurs.
Pour ce faire, rien de plus simple. Depuis cinq ans des
industrielles britanniques, en majorité des émigrés
panjabi, notamment l'industrie Pataks64(*), ont mis au point une large gamme de produits
« indian food » à la disposition d'un large
public que l'on retrouve classifié dans les grandes surfaces au rayon
« cuisine du monde ».
Il s'agit là d'une gamme complète, où
l'on retrouve l'ensemble du panorama des galettes indiennes et accompagnements
conditionnés soit en conserve (type pot en verre), soit sous cellophane.
Produits la plupart du temps estampillés d'un logo à valeur
générique, comme le Taj Mahal.
Ces entreprises agro-alimentaires utilisant l'onirisme de
l'Inde pour vendre, appliquent une rationalité instrumentale à
l'alimentation. Cette cuisine n'étant plus le pôle porteur de
significations alimentaires profondes s'ancrant dans une culture et une
idéologie, à l'instar de celle de l'ailleurs, mais au
contraire, l'ici, se rapporte à des normes d'efficacité
(en termes de gain de temps et de facilités de conservation).
b) Le
cinéma :
Le cinéma est sans doute le trait le plus
caractéristique de la culture indienne et une des formes de distraction
les plus populaires ; il suffit pour s'en rendre compte de voir la cohue
qui se presse devant les salles de projection à chaque séance.
L'Inde est en première position mondiale des pays producteurs de films.
Cette production se différencie de façon régionale (en
divers centres de diffusion cinématographique : Madras, Bangalore,
Cochin et Bombay pour le Sud, versus Delhi pour le Nord), en fonction des
cultures et de la grande dichotomie Inde Dravidienne et Inde
Indo-européenne. Toutefois, au-delà des distinctions culturelles,
il existe des éléments communs à l'ensemble de la
production indienne, une « indianité » des
thèmes et des méthodes. La plupart des films (dont la
durée excède en majorité les trois heures) exploitent des
sujets sentimentaux, mêlant mythologie, hiérarchie sociale et au
sein de la famille, les comportements vis-à-vis des aînés
(triptyque de la belle-mère, du fils et de la future bru), rapports de
castes, sur fond de comédie musicale et entrecoupé de danses. Le
déroulement ou trame du film, stéréotypé, s'appuie
en général sur un amour impossible (car entre des positions
sociales trop hétéroclites), ponctué de combats, de
séquences chantées plus ou moins longues et de bouffonneries. Un
héros grassouillet à l'épaisse moustache brune, viril,
maniant à merveille l'art des poings, bien peigné et bien
habillé ; une héroïne vêtue de saris, parfois aux
cheveux lâchés et aux attitudes aguicheuses : une
liberté et une fantaisie qui transgressent les codes sociaux mais qui se
plient vite à la coercition de la société, telle est la
recette du succès.
Mais de cette énorme production, une faible
quantité se fait connaître en France et dans les festivals
internationaux. Seuls quelques films arrivent à passer outre mer et
à inonder de références indiennes la France.
Tableau 1 : L'exportation du
cinéma indien en 1996.
PAYS
|
RECETTES DES EXPORTATIONS
(en roupies)
|
%
|
PAYS
|
RECETTES DES EXPORTATIONS
(en roupies)
|
%
|
Emirats Arabes Unis
|
69 915 116
|
33.671
|
Afrique du Sud
|
590 450
|
0.284
|
Royaume-Uni
|
41 868 025
|
20.164
|
Russie
|
588 093
|
0.283
|
Malaisie
|
21 142 746
|
10.182
|
Hong Kong
|
490 482
|
0.236
|
Etats Unis
|
16 896 880
|
8.137
|
Norvège
|
281 640
|
0.136
|
Indonésie
|
14 932 577
|
7.191
|
Liban
|
268 051
|
0.129
|
Singapour
|
13 854 723
|
6.672
|
Syrie
|
253 464
|
0.122
|
Canada
|
7035649
|
3.388
|
Maldives
|
206 502
|
0.099
|
Sri Lanka
|
3 285 040
|
1.582
|
Pérou
|
181 366
|
0.087
|
Maurice
|
2 981 131
|
1.436
|
Autriche
|
156 350
|
0.075
|
Australie
|
2 788 403
|
1.343
|
Roumanie
|
104 606
|
0.050
|
France
|
2 232 296
|
1.075
|
Maroc
|
99 946
|
0.048
|
Suisse
|
2 170 157
|
1.045
|
Tanzanie
|
96 624
|
0.047
|
Egypte
|
1 672 854
|
0.806
|
Pays-Bas
|
89 132
|
0.043
|
Pakistan
|
1 669 651
|
0.804
|
Somalie
|
43 700
|
0.021
|
Allemagne
|
1 371 353
|
0.660
|
Oman
|
27 249
|
0.013
|
Japon
|
1 222 172
|
0.589
|
Soudan
|
23 453
|
0.011
|
Philippines
|
691 431
|
0.333
|
Trinidad
|
12 967
|
0.0006
|
Kenya
|
681 778
|
0.328
|
Danemark
|
1 564
|
0.001
|
Myanmar
|
631 998
|
0.304
|
Thaïlande
|
940
|
0.000
|
Arabie Saoudite
|
598 453
|
0.288
|
TOTAL
|
207 642 433
|
|
Source : Uma J. Nair, In :
Peyroles, N-S. Géographie et cinéma en Inde du Sud, regard sur le
Tamil Nadu et la ville de Coimbatore. France, Bordeaux : TER de
maîtrise, Singaravélou (dir.), 2002.
Toutefois, depuis la fin des années 1990, de nombreux
films indiens sont diffusées en France et notamment dans des salles art
et essai à l'instar de l'Utopia à Bordeaux (qui
fonctionne en partenariat avec des associations françaises
philindiennes). Ceci n'est que la continuité d'un
phénomène commencé dans le début de la
décennie 90. En 1996, la France était la onzième
destination des exportations du cinéma indien, mais la deuxième
en Europe, après le Royaume-Uni (un des plus amples foyers
récepteurs de la diaspora indienne). Ces exportations concourent
à diffuser la culture indienne et ses fondements philosophico-religieux,
même s'il s'agit en général de films du nord de l'Inde, en
Hindi.
C'est ainsi que des longs métrages de plus de trois
heures ont fait plusieurs milliers d'entrées en France, comme
Lagaan (2001, première production indienne
sélectionnée pour les oscars), Devdas (2003) ou encore
le Mariage des moussons (1999).
Enfin le format DVD, permet de faire perdurer le rêve et
de se replonger à toute heure dans l'onirisme indien. A cela s'ajoute
des conférences et autres rétrospectives. En effet, le
cinéma de Bollywood de 1940 à nos jours s'est
affiché au centre Pompidou à Paris durant tout le mois de mars
2004.
c) L'hindouisme et ses
« dérivés » :
Shiva, Krishna, Vishnou et Ganesha (ou Ganapati) sont à
la mode en France. En sculptures ou sur des sacs en toile, ou encore inscrits
sur des vêtements, les référents de l'hindouisme
s'affichent, et deviennent source d'une consommation ostentatoire. En effet, on
ne compte plus le nombre de chaînes de magasins de vêtements (comme
la chaîne Salsa), de boutiques des stations littorales qui usent
des icônes du panthéon hindou pour vendre leurs produits.
En même temps, le mysticisme comme fer de lance du
marketing ne s'arrête pas là. Dans une France, se voulant plus
proche des territoires, de l'identité, des labels, de la culture,
beaucoup se retranchent vers de nouvelles valeurs. En particulier au niveau de
la médecine, le retour vers des pratiques plus
« naturelles », moins consommatrices en chimie et
axée sur les plantes, aboutit à une arrivée en force de
l'ayurveda, sorte de médecine alternative mêlant
phytothérapie, chiropraxie, massage et méditation (l'annuaire des
praticiens des médecines alternatives a recensé douze centre
ayurvédiques en France, la totalité gérée par des
migrants indiens et principalement du Kérala et du Maharastra).
L'ensemble de l'appropriation des symboles de
l'indianité, permet aux voyageurs de l'Inde, de retour en France d'avoir
des repères matériels, physiques et symboliques à leur
territorialité.
Mais la dimension de ces repères apparaît plus
légère en signes, et au contraire participe plutôt à
un antimonde indien, sorte d'antithèse à l'onirisme, au
spiritualisme (souvent identifiés comme les principales raisons de la
focalisation et de la fascination que le regard français porte sur
l'Inde).
C/ INTERSPATIALITE ET INTERCULTURATION.
Les relations établies entre l'Inde et la France,
entre l'ici et l'ailleurs selon leurs modalités et les
temps de contact (particulièrement longs pour les routards et les
expatriés) avec l'altérité, créent des conditions
favorables à l'interculturel, à l'acculturation et à la
formation d'enclaves, ou plutôt de non-lieux : l'avènement
des voyageurs français en Inde a façonné d'autres types
d'environnements, la logique utilitaire les domine à tel point que ce
sont souvent des espaces monofonctionnels face auxquels la population indienne
se trouve décontenancée et n'arrive pas à s'accrocher au
territoire pour bâtir son identité.
1) Altérité
et identité.
« Pour traiter de la rencontre des cultures, on
abandonne le point de vue de l'acculturation pour adopter la perspective
dynamique de l'interculturation. Il ne s'agit plus d'analyser le contact sous
le jour réducteur d'un système dominant-dominé où
le dominant réduirait quasi mécaniquement le dominé
à la conformité. On cherche à reconnaître les
contributions respectives à l'aménagement de nouvelles
réalités psychologiques englobant les divers acteurs en
présence »65(*).
L'étude du phénomène humain implique de
prendre en compte la question du sujet, de l'identité et donc de
l'altérité, et inclut en conséquence le chercheur
lui-même. La dimension de l'altérité, spécifique de
l'homme, n'est pas seulement ce qui est externe à chacun, mais aussi ce
qui l'habite de l'intérieur, et le chercheur ne peut en faire
abstraction sinon sans risquer de fausser toute sa recherche.
L' « autre », est ici tout
déplacement géographique, culturel (linguistique
particulièrement), social, psychologique vécu ou
hérité (notamment au travers des représentations) et qui
vient influer sur le processus identitaire de l'individu.
L'altérité s'impose à partir de l'expérience
même du multiple.
Figure 5 : Modes d'appréhension
de l'altérité d'après Affergan, F :
Discontinuité/rupture :
Découverte/catastrophe :
DESIR AILLEURS/LOINTAIN
FUITE EXTRANEITE/ETRANGETE
EXOTISME INQUIETUDE/SOUCI
IDENTITE
Sous cette thématique, c'est toute une
géographie du rapport à l'autre qui s'esquisse, faite de
métissage culturel et de modifications sensibles de l'identité.
La question centrale à laquelle il va nous falloir répondre est
la suivante : Comment un individu (étudiant, professionnel
expatrié, migrant français) en déplacement peut-il faire
de son expérience du séjour en Inde un élément
actif de sa « trajectoire sociale », définie selon
Bourdieu comme la série des positions successivement occupées par
un même agent dans un espace lui-même en devenir et soumis à
d'incessantes transformations ?
Insistons d'abord sur le fait que la durée du
séjour est un élément discriminant important, une faible
imprégnation dans un bassin de valeurs et de normes autres qu'à
l'ici, ne pouvant exercer une telle modification.
La question mérite d'être posée car elle a
des implications spatiales, en terme de territorialisation à la fois en
France et en Inde (voir 2).
La réponse tient en un mot : à savoir que
l'identité est faussée, ou du moins réagit au
métamorphisme de contact entre deux réalités distinctes,
créant de facto un terrain favorable à l'acculturation.
A partir d'une série de marqueurs (physiques et symboliques) qui offrent
les moyens de distinguer les similitudes et les différences, on se
rapproche et/ou on se distancie de l'autre. « Le voyage peut devenir
un temps de mises en relations interculturelles grâce auxquelles chacun
se met à l'écoute des contradictions qui traversent son parcours
de formation : entre besoin de conformité sociale et désir
d'inventivité culturelle »66(*). Désir d'inventivité qui va se teinter
d'emprunts à la culture visitée d'ordres multiples.
L'identité est conçue comme une dynamique ;
elle est un processus d'élaboration d'un système signifiant, chez
un acteur qui interagit à la fois avec d'autres acteurs et avec le
système symbolique dans lequel ils évoluent ensembles.
L'identité se révèle comme un processus dialectique, au
sens d'intégrateur des contraires, c'est-à-dire
d'intégrateur des valeurs ou/et normes de l'ailleurs.
En effet, nul ne demeure identique à lui-même
après avoir été entraîné dans les turbulences
du mouvement confus des références indiennes. Les séries
de normes qui servaient la cohésion, l'harmonie du fonctionnement des
groupes en France, pris dans la rencontre avec l'Inde, se désarticulent,
pour se recomposer en de nouvelles formations, irréductibles à
une simple juxtaposition. Car de nouvelles normes et valeurs sont
créées, formant de nouveaux systèmes de signification
mobilisables au cours des négociations identitaires qui se font jour.
Les phénomènes d'acculturation
(c'est-à-dire les processus de changements socioculturels
entraînés par le contact prolongé entre des groupes et des
individus de cultures différentes, on l'aura bien compris) sont fonction
des modalités du contact culturel. Ce dernier ne se fait plus sous la
forme d'une acculturation imposée (contexte colonial ou
néo-colonial) mais au contraire sous la forme d'une acculturation
demandée, voir même recherchée.
Mais la plupart du temps il se dessine souvent un processus
plus complexe : formation d'une culture « nouvelle »
faite de compromis, de réinterprétation de la culture indienne
(réinterprétation lacunaire par le manque de connaissance, il est
vrai) et de réorganisation de la culture française.
L'acculturation se réalise aux moyens d'attributions : d'anciennes
valeurs sont associées à des éléments nouveaux ou
de nouvelles valeurs viennent changer la signification culturelle d'anciennes
formes.
Au total, c'est plus une intelligence nomade qui s'esquisse
pour les voyageurs de l'Inde. Intelligence faite de l'expérience de la
mobilité, donc du rapport à l'autre dans la longue durée,
qui modèle une sorte de « mixte » entre la France et
l'Inde. Mélange de valeurs (choses ou manières d'être
considérées comme estimables et désirables, idéaux
plus ou moins formalisés orientant les actions et les comportements des
individus acteurs) -entre matérialisme et spiritualisme- et de normes
(règles et usages socialement prescrits caractérisant les
pratiques d'une collectivité ou d'un groupe en particulier,
déterminant une certaine contrainte sociale) à la base d'une
construction sociale et d'un lien social extra-local, qui s'épanouit
dans cet espace d'entre-deux, où la culture est un moyen de
communication, un langage qui autorise la reconnaissance et l'identification
mutuelle des acteurs qui en sont porteurs.
Bien sûr, cette dynamique interactive entre les acteurs
sociaux en présence est d'autant plus visible en France, mais cette
fois-ci dans le cas inverse, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit des
populations diasporiques indiennes. Le mélange est dès lors
inversé.
2) Quel(s) processus de
territorialisation ?
Le lien social extra-local, lié au partage des
mêmes valeurs et normes produit une certaine proximité sociale. La
signification sociale de la proximité (et contiguïté)
géographique n'est pas donnée, elle est à construire par
les acteurs sociaux, par ces voyageurs de l'Inde.
Cette construction sociale de l'espace,
déterminée par des individus qui portent ses pratiques, ses
rites, sa mémoire ou ses projets, qui s'approprient l'espace, est
à l'origine d'une territorialité. Territorialité qui
s'avère être double, l'une s'exerçant dans l'ici
et la seconde dans l'ailleurs.
Tout d'abord, en Inde s'effectue un processus de
territorialisation par les voyageurs de l'Inde et particulièrement par
ceux que l'on appelle communément les « routards ».
Territorialisation qui se fait aux dépends des lieux et des hauts lieux
de la territorialité des populations indiennes.
En effet, ce territoire extra-local, s'enracine dans des
pratiques du quotidien, dans un vécu, et il est référent
identitaire et médiateur des rapports sociaux pour les Français
voyageurs de l'Inde, mais s'avère être un vide (un non-sens) pour
les populations indiennes. Ce processus de territorialisation dans
l'ailleurs ne concerne les individus ayant une pratique sommaire de
l'Inde, c'est-à-dire les adeptes des circuits des tours
organisés, où le contact ne peut se faire en profondeur du fait
de la rapidité du passage (à l'inverse ces individus connaissent
un processus de territorialisation en France empreint des valeurs indiennes).
Ça et là, se développent des enclaves
dans l'espace indien qui servent de fondements spatiaux à cette
territorialité. Ainsi Varkala, Kovalam ou encore Gokarna illustrent ce
phénomène. Ces trois stations littorales de la côte ouest
du Kérala et du Karnataka étaient exclusivement, jusqu'aux
années 1980 des lieux de pèlerinage, des points forts de la
culture Malayalam, et plus largement de la culture Dravidienne. Mais, l'afflux
des visiteurs occidentaux motivés d'une part, par cette
spiritualité et, par la volonté de trouver une terre d'adoption
à la manière de Goa dans les années 1970, une terre
d'accueil répondant à cet orient intérieur qui nous appel
d'autre part, à générer un processus sociofuge balayant
la fonction première de ces lieux, à savoir, une fonction
identitaire. Par là même, va se substituer un
« non-lieu » à un « lieu
anthropologique », au regard de la population indienne. Population
qui entretiendrait avec ce « non-lieu » un rapport
contractuel symbolisé par sa fonction de figurant de
l'altérité, de gérant d'hôtel ou encore de gourou
d'un centre de yoga.
Rapport qui se fait gage du maintien d'activités
traditionnelles (notamment de pêche) pour offrir aux individus un certain
dépaysement se calquant sur l'imaginaire, sur l'imagologie
première de l'Inde ; la qualité d'extranéité
du voyageur ne percevant pas la confusion et justifiant ipso facto cette image
première.
De cette substitution, née la territorialisation des
voyageurs français. Dès lors, il ne s'agit plus d'une rencontre
avec l'altérité, d'un rapport aux autres, mais d'une figuration
de la radicalisation de la surmodernité, esquissant une sorte de
standardisation selon la symbolique des français.
Territorialité qui s'amplifie par le caractère
routinier de la vie quotidienne mais aussi par une certaine dynamique
ségrégationniste.
Par exemple, l'archipel des Andaman recherché par les
routards pour sa quiétude, sa beauté (mais aussi pour les
psychotropes), se double d'un visage à volonté obsidionale :
les voyageurs occidentaux se regroupent ensembles sur les mêmes
îles (Havelock et Neil situées à l'Est de Port Blair, la
capitale), se doublant parfois d'une scission souvent linguistiques. Les
chemins du quotidien se calquent sur cette
« ségrégation orchestrée » : les
voyageurs déambulent à la poursuite du chanvre, renouant avec
leurs aînés de la route des Indes, pratiquent de multiples
activités de régénération, tentant ainsi d'inscrire
leur territorialité temporaire par tout un faisceau d'activités
routinières. La coutume (au sens de répétition
quotidienne) instaurée comme rite de sociabilité s'installe aussi
dans la pratique physique des lieux. « L'habitude d'emprunter tel
itinéraire, de parcourir telle rue ou tel chemin, imprime chez tout
individu des schémas mentaux spécifiques de rapport à
l'espace Ils associent des stimulations purement sensorielles à des
impressions et à des images d'ordre affectif, esthétique ou
culturel »67(*).
Il ne s'agit pas de phénomènes isolés.
Plus de 90 000 Français se rendent chaque année en Inde.
Parmi ces individus, seuls 10% participent à des circuits
organisés, orchestrant une découverte rapide de l'Inde ; les
autres restent en moyenne 120 jours. Ce sont eux les acteurs de cette
territorialisation extra-locale. Mouvement qui en fait exprime plus une
continuité qu'une rupture. Continuité par rapport à la
territorialisation créée par les pratiquants de la route des
Indes (c'est-à-dire depuis les années 1960) mais qui toutefois
s'exprime en des termes différents (notamment par un changement de
valeurs).
Les lieux dont on parle ne sont pas ceux qui sont
voués au tourisme organisé, ces enclaves occidentales prenant
l'aspect de club argués de noms de Maharadja ou de contrées
mythiques de l'Inde. Non, il s'agit d'une construction d'un entre-soi, non pas
selon les valeurs occidentales mais d'après une certaine image de l'Inde
réinterprétée.
Approximation qui dévitalise les
propriétés identitaires, relationnelles et historiques des lieux
indiens. Lieux « anthropologiques » qui se
caractérisent par une « construction concrète et
symbolique de l'espace qui ne saurait à elle seule rendre compte des
vicissitudes et des contradictions de la vie sociale mais à laquelle se
réfèrent tous ceux à qui elle assigne une
place »68(*).
Ces lieux sont toujours principes de sens pour ceux qui l'habitent mais ont
perdu leur principe d'intelligibilité pour ceux qui l'observe.
En effet, les voyageurs de l'Inde concourent peu à peu
à transformer la nature de ces lieux par la construction d'un entre-soi
qui génère une demande d'exotisme et de symbolisme indien mais
selon les schèmes perceptifs des Français. Demande qui peu
à peu se substitue au référent engendrant une nouvelle
signification plus matérialiste et occidentale du lieu.
Puis, les représentations territoriales les plus
abstraites se nourrissent d'images et de sensations nées de la rencontre
avec ces lieux d'un exil passager. L'interspatialité sert alors de
médiation entre deux territorialités qui ne s'opposent pas mais
se complètent.
Cette construction territoriale extra-locale, se charge d'une
deuxième dimension empreinte de cette idéologie territoriale
(« qualifiant l'ensemble des représentations mentales, des
idées et des concepts, des images, des mythes et des discours, des
symboles collectifs partagés, à une époque et dans un
territoire donnés, par des groupes sociaux [...] développant un
minimum de sentiment identitaire »69(*)) confirmant une autre territorialité, cette
fois-ci dans le domaine de l'ici, en France.
Si selon Raffestin70(*), « le territoire est une
réordination de l'espace [...] il peut être
considéré comme de l'espace informé par la
sémiosphère » laquelle sert ensuite à
décrire et à définir l'écogenèse
territoriale -« processus de sémiotisation de
l'espace », alors cette territorialité prend la dimension du
foyer. Car, le domaine sémiologique s'empare des systèmes
signifiants, des questions relatives aux représentations, aux images et
aux imaginaires spatiaux.
En effet, les agencements spatiaux du foyer
élaborés en fonction de l'expérience de l'Inde
(appropriation des symboles de l'indianité) font sens pour les acteurs.
La maison devient alors espaces de signes.
Enfin, l'identification des signes spatiaux qui fixent et
manifestent des significations individuelles ou collectives peut
s'élucider aussi dans les grandes agglomérations
françaises. En effet, les manifestations qualifiées de
culturelles comme les festivals de film indien (assez courant dans la
région parisienne), la vie associative, favorise l'individu à
tisser une toile solide faite de marqueurs, et permet de faire des allers
retours entre l'ici et l'ailleurs devenu alors lointain à la fois dans
le temps et dans l'espace. La ville permet l'accès à de multiples
actes permettant d'aviver la nostalgie du voyage celui-ci devenant alors une
nécessité.
3) Une
territorialité de l'entre deux.
Ces deux faces de la territorialisation des français,
qu'elles soient « extra-local » ou « intra-
local », participent à la justification d'une
interspatialité. Cette dernière est le médiateur des
relations d'ordre affectives, symboliques, imaginaires et mythiques que les
voyageurs entretiennent avec l'Inde. Au-delà de la conciliation elle est
à la fois interface, mettant en contact deux réalités
distinctes (dont la limite n'est pas d'ordre physique mais culturelle), mais
aussi emboîtement, ou inclusion d'espace par transformation scalaire.
Cette interspatialité se régule à partir simplement de
quelques lieux utiles, des lieux de condensation du contact culturel qui
s'articulent dans une dimension plus large.
L'ici et l'ailleurs sont pourtant reliés par le
temps : temps du voyage et temps du retour. Une territorialité
temporalisée se substitue à une territorialité
régionalisée. Ainsi
« intra-territorialité » et
« extra-territorialité » donnent lieu à un
processus de construction territoriale plus générale fait de
préfixes et de suffixes : dans un premier temps territorialisation
dans l'ailleurs, puis déterritorialisation et enfin reterritorialisation
dans l'ici (où le territoire se pose comme un ensemble spatialisé
de relations de pouvoir et de stratégies identitaires).
Territorialisation dans l'ailleurs qui se manifeste
principalement par l'élaboration d'un entre soi, d'un territoire du
quotidien bien que momentané (par exemple, le temps d'une maîtrise
en Inde) mais borné par les frontières du vécu dans
l'exil, qui sont : la rue familière, le restaurant, le
cinéma, le centre de yoga, ou encore le temple. Mais cette
territorialisation dans l'ailleurs s'effectue selon l'image que l'on a
reçu de l'Inde (une image multiséculaire) et se fait au
demeurant, souvent à l'encontre des lieux de condensation culturelle
indiens. Cette territorialisation exerce une certaine transformation des
emplacements indiens travaillés par le social, traités par
l'esprit humain et pourvoyeurs de relations et d'histoire en les substituant en
des lieux vides de leurs références. Substitution qui naît
de la confrontation d'entités culturelles différentes entrant
dans une logique de relations de pouvoir.
Déterritorialisation rendue efficace par
l'affaiblissement du facteur distance (physique) du fait de la suppression
supposée de l'espace par le temps (ou par l'accélération
de la vitesse) mais aussi par une perte de la dimension matérielle
(sans un référent spatial concret). Processus le moins palpable
et contestable car l'instantanéité communicationnelle ne supprime
pas pour autant la prégnance du lieu, et n'épuise guère
les dimensions non physiques de la distance.
Enfin, reterritorialisation en France qui souligne ce voyage
par la formation en deux temps d'une identité nomade, plus ou moins
hybride (mais le métissage n'est ici qu'apparent, toujours soumis aux
fluctuations des images de l'Inde) qui se manifeste par l'appropriation des
symboles de l'indianité et d'une sorte d'extension territoriale en
France de l'Inde.
Il serait alors maintenant judicieux d'observer les
parallèles avec les migrants indiens installés en France.
CHAPITRE 2
Territorialisation et extra-territorialisation, le cas de la
diaspora indienne.
INTRODUCTION AU CHAPITRE 2
Les voyageurs de l'Inde déterminent une
territorialité temporalisée se substituant à une
territorialité régionalisée. Territorialité
constituée d'allers et retours, de compositions, de fragmentations et de
recompositions rendues efficaces par les fleurons de la
mondialisation ; à savoir : les nouvelles technologies de
l'information et des communications, et l'accroissement de l'intensité
des mobilités. Ces deux composantes plongent l'individu dans
l'interculturation, dont le référent identitaire est l'Inde. Mais
il s'agit d'une Inde subjectivée in situ (on ne peut avoir la
prétention de comprendre l'ensemble de la culture indienne par un simple
contact, alors on se rattache aux éléments les plus visibles et
les plus instrumentalisés) et in visu (au travers de toutes les
images véhiculées en Occident). Cette interculturation ne
provient pas seulement d'une dynamique de contact, parfois éclair, mais
d'une volonté, d'une recherche, voire même d'une quête de
l'étrangeté, de l'altérité, définissant
ainsi une intelligence nomade faite d'empreints à l'Inde et à la
France.
Selon Giddens, la modernité se caractérise par
le « désencastrement du temps et de
l'espace »71(*),
auparavant indissociables, quand la vie ensemble prenait une dimension locale.
La révolution des moyens de transport et de communication fait de la
maîtrise de l'espace une dimension fondamentale en réduisant le
rapport entre le temps et la distance parcourue.
Ainsi se pose l'hypothèse que la diaspora indienne en
France soit mue par une territorialité du même ordre,
c'est-à-dire temporalisée ; les NTIC offrant la
possibilité de ne plus vivre une double absence (mais au contraire une
double présence). Elles ouvrent in fine la voie à une
coprésence (extraite de la synchronisation et de la
désynchronisation des échanges) entre ici et
là-bas, entre la France et l'Inde. Coprésence qui se
complexifie en prenant des allures du dieu des Portes et des Entrées de
la mythologie romaine (son temple, situé au Forum, avait des portes
orientées à l'est et à l'ouest pour le commencement et la
fin du jour. Entre les deux se dressait sa statue à deux visages, fixant
deux directions opposées), Janus. En plus de regarder deux directions
opposées, l'Inde et la France, la diaspora indienne contemple le
passé et l'avenir.
Mais territorialité, qui comme un organisme vivant
subit différentes phases de croissance, et de manière analogue
aux voyageurs de l'Inde se traduit par un processus
« TDR »72(*) : territorialisation,
déterritorialisation et reterritorialisation, où la
reterritorialisation prend ici une dimension d'extra-territorialistion.
L'essence même de cette territorialité s'exprime
dans les enceintes de la famille, du foyer et du réseau relationnel.
L'accent est mis sur les pratiques quotidiennes des migrants indiens ou
d'origine indienne vivant en France et les différentes relations
(réelles ou imaginaires) qu'ils entretiennent avec le monde indien.
« La dénomination de ces communautés comme
immigrés avait comme corollaire l'effacement de la pertinence
de leur lieu d'origine au profit du lieu d'installation ; leur appellation
comme communautés d'émigrées inscrivait la
pertinence du lieu d'origine dans un passé révolu à jamais
alors que leur désignation aujourd'hui comme diaspora souligne
que les liens entre les lieux d'origine et d'installation se prolongeant dans
la durée sont saisis dans l'immédiateté du
présent »73(*).
Il s'agit donc de percevoir cette continuité entre
l'Inde et la France, de déterminer ses modes d'expression, leur ordre
(imaginaire, mythe ou réalité) et leur dimension afin
d'identifier les marqueurs de cette territorialité. Le fil rouge est
celui du lien et du sens social (car l'extra-territorialité
génère de nouvelles relations au sein du triptyque
territoire-culture-identité).
Cette territorialité est-elle diffuse ou
concentrée ? Quels rapports la diaspora indienne entretient-elle
avec la modernité ? A l'heure où les voyageurs de l'Inde se
détachent de la modernité, caractérisée par la
croyance en la raison, le progrès, l'universel et le stable, pour
plonger dans la postmodernité où dominent le doute,
l'éclatement, le métissage et la fluidité des
identités, exportant dans leur sillage requalification des lieux et
volonté d'interculturation en Inde ; le repli communautaire
à l'inverse se fait monnaie courante en France.
Dès lors, faut-il analyser la diaspora indienne en
terme de communauté, de Gemeinschaft, selon la distinction
proposée par Ferdinand Tönnies, caractérisée par une
solidarité mécanique et des pôles de structuration
singuliers : biologiques (famille, « ethnie »),
religieux et économiques ; ou en terme de Geselschaft,
c'est-à-dire sous la forme d'une « diaspora
hybride »74(*) ?
Faut-il rester sur une distinction, entre communautés
« centrées » et communautés
« acentrées » à savoir dans ce
deuxième cas « une construction sociale particulière
qui serait constituée par un ensemble d'orientations collectives non
hiérarchisées, une culture plurielle dépourvue de
centralité dans la manière qu'elle à de signifier les
ensembles »75(*), ou dépasser cette opposition d'ordre
méthodologiques plus que réelle pour aboutir plutôt
à un territoire de l'entre-soi ?
La mythification et la mystification de la terre
d'origine : l'Inde, effectuée via des icônes, une
mémoire et des pôles structurants, sont les catalyseurs de la mise
en place de l'extra-territorialité dont les relais sont les relations
entre l'Inde et ses citoyens a-territoriaux (ou extra-territoriaux). Le rapport
au temps et à l'espace sera analysé dans un deuxième temps
avant de conclure par un paradoxe : la diaspora indienne en France, entre
interculturation et ségrégation.
A/ LE PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE
L'EXTRA-TERRITORIALITE.
« La constitution d'une identité ici ne
peut être comprise que replacée dans l'ensemble diasporique, dans
un nous éclaté géographiquement mais reconstitué
dans chacune des localités de la diaspora. Cette identité
diasporique est à appréhender à travers les rapports au
territoire et au processus d'extra-territorialité. La situation
migratoire pose la question du lien entre identité et territoire, la
réponse est trouvée dans un processus d'extra-territorialisation
dans lequel la culture, comme l'ensemble des formes intériorisées
devient le lieu principal de fixation des identités »76(*).
Peut-on parler de territoire, de territorialité et de
territorialisation pour un peuple et/ou une communauté en dispersion
(c'est-à-dire dans une configuration quasi-ubiquitaire) ?
L'interrogation pour certain peut paraître tenir du non-sens (voir
même du contre-sens) mais elle suscite l'intérêt d'entre
apercevoir la triangulation qui s'échafaude entre territoire, culture et
identité dont l'Inde et la France sont à la fois les deux
directions opposées mais aussi les référents.
La diaspora suppose un ancrage fort dans le territoire
d'installation et une coupure nette avec le territoire d'origine. Trois types
d'appoint favorisent l'essor des liens communautaires à distance :
le développement des transports, les facilités de communication
et le niveau de compétences socio-culturelles. De plus, les relations
avec le pays d'origine, l'Inde sont devenues avec les nouvelles technologies de
l'information et des communications, de l'ordre du quotidien. La fracture entre
ailleurs et ici est compensée le plus souvent
(au-delà des relations qui tiennent de l'instantané) par la
création dans l'ici, en France, de marqueurs territoriaux, de
lieux de mémoires assurant le lien avec l'ailleurs.
Lien qui s'effectue à l'aide d'emblèmes, d'une
iconographie territoriale et de divers pôles structurant.
Les représentants de la diaspora indienne en France
sont peu nombreux par rapport aux autres pays comme le Royaume-Uni. Les
estimations du High Level Commitee on Indian Diaspora font état
de 65 000 individus en France77(*) qu'ils soient NRI78(*) (Non Resident Indians :
catégorie créée par le gouvernement de l'union indienne
dans les années 1970 pour désigner les citoyens indiens vivant
à l'étranger et leur proposer des programmes d'investissement en
Inde) ou PIO (catégorie instituée en 1999 par le gouvernement de
l'union indienne pour qualifier tout citoyen d'un autre pays ayant
été citoyen indien, ou dont l'un des ascendants est né et
a résidé en Inde).
Cette présence est dès lors l'aboutissement d'un
long processus ; la diaspora indienne étant un « peuple
monde de longue durée »79(*) .
Figure 6 : Trajectoire spatio-temporelle
des indiens.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes18.png)
(c) Bruneau, M. Peuples- monde de la longue
durée : Grecs, Indiens, Chinois. In : L'espace
géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 2001,
p193-212.
C'est l'organisation, les pôles structurant de
l'expérience collective, la mémoire et les images de cette masse
chiffrée d'individus qui nous intéresse ici.
1) Mythification de la terre
d'origine.
La dimension territoriale de la diaspora indienne en France
s'appréhende au travers l'étude des divers marqueurs territoriaux
et des instances qui les produisent. Ces marqueurs
reproduisent et rappellent le pays d'origine et c'est en cela qu'ils
exercent une sorte de mythification de l'Inde.
Cette mythification prend l'aspect d'un système de
représentations collectives qui met en ordre les connaissances et les
expériences des membres de la communauté diasporique indienne et
instaure un rapport de celle-ci au monde. Rapport qui se fait gage de sa
territorialité.
Cette mythification de la terre d'origine, est
l'élément structurant dans la dispersion de l'identité et
de la culture de la communauté. C'est elle qui fournit du lien et du
sens social à la communauté (qu'elle soit
appréhendée dans une perspective
« centrée » ou
« acentrée »).
Tout territoire social est un phénomène
immatériel et symbolique. En France, la diaspora indienne, s'approprie
un territoire à l'aide de marqueurs identitaires à forte valeur
symbolique qui reproduisent ou rappellent le pays d'origine.
C'est d'abord la maison familiale. « La maison,
construite grâce à la mobilisation des ressources communautaires
et des énergies familiales, incarne un lieu de pérennité
identitaire, un monde clos qui abrite le statut familial en lui permettant de
se soustraire au regard des autres »80(*).
La maison est la toile de fond de l'apprentissage des normes
et des valeurs de la communauté. C'est le lieu où la famille
jouit de sa position de première instance de socialisation qui se joue
sur deux tableaux : d'une part un mécanisme d'instruction et de
formation, elle transmet à ses membres l'acquisition de réflexes,
de savoir-faire, d'habitudes. Et un second mécanisme
d'intériorisation (faire sienne les valeurs et les normes de la
communauté) - assimilation d'autre part.
Marquage territorial qui se fait aussi dans la maison par le
biais d'une architecture ou du moins d'une décoration spécifique.
Spécificité qui tient compte de tout un faisceau d'images ayant
attrait à plusieurs domaines de la terre d'origine. Ce peut-être
une image à caractère religieux, une représentation de
l'une des divinités du panthéon hindou, par exemple, ou touchant
au passé politique ou encore à l'organisation sociale.
Cette iconographie peut se doubler de l'apprentissage de la
langue d'origine. Ces deux ensembles formant une certaine continuité
territoriale et une cohésion sociale.
Dans cette volonté de mythifier la terre d'origine,
malgré l'éloignement, la cellule familiale fait aussi preuve de
continuité lors du choix du prénom des enfants.
Cette complexité de prérogatives permet
d'entretenir à la maison familiale l'image d'un
« micro-territoire de diaspora »81(*) assurant lien et
cohésion sociale, préservant ainsi ses membres d'une coupure
nette entre ici et ailleurs.
Maintenir des liens apparaît indispensable pour ne pas
sombrer dans l'isolement ou dans une situation anomique.
L'entreprise familiale est le prolongement dans le monde
économique de ce micro-territoire. La diaspora indienne (mais de
façon non exclusive) est un démultiplicateur de la relation aux
autres parce qu'elle met en présence des mondes culturellement
distincts, des minorités et des majorités. D'une certaine
manière, elle déplace les frontières de
l'altérité jusqu'aux confins d'elle-même.
Par exemple, chacun a déjà été
sensible au soin apporté à la décoration dans un
restaurant indien (qu'il sert de la cuisine du Nord ou du Sud, peu
importe) ; où d'un coup d'oeil l'individu-client, jouissant d'une
qualité d'extranéité, identifie les
référents à la terre d'origine (statue de divinité,
autel, encens qui se consume, motifs des tapisseries ou des peintures...).
Puis, les édifices religieux participent à ce
marquage territorial. Ça et là en France, la diaspora indienne
coupée de son territoire d'origine se constitue des points d'ancrages
essentiels pour la formation et la consolidation de son identité. Ce
sont des éléments de réinterprétation de hauts
lieux, des noeuds de sa territorialité.
Une haute valeur symbolique leur est attachée, valeur
puisée dans la religion (hindouisme, islam ou sikhisme) ou dans
l'histoire politique de la terre d'origine (car ces lieux ont pris forme en
Inde et, au moment du déracinement ils ont pu être détruits
ou abandonnés).
Ces lieux reconstitués en France sous la forme la
plupart du temps d'édifices religieux, remplissent une fonction :
ils expriment la quintessence. « Le lieu choisi est destiné
à rendre la quintessence manifeste »82(*).
Ainsi, la diaspora via son ou ses idéologies suivant
les groupes (car il existe plusieurs diasporas dans la diaspora indienne :
Tamoule, Sikhe/Panjabi, Gujarâtî, Jaïn, Chettiar,
Pondichérienne...), pave le territoire qu'elle domine de signes
destinés à manifester sa présence à toutes les
échelles : des autels des dieux de l'unité familiale, de la
maison, jusqu'aux grandes métropoles françaises (Paris
essentiellement).
Signes de reconnaissance et d'appartenance à la
communauté ou au groupe qui se décèlent aussi dans la
toponymie, ou plus exactement dans les noms donnés à ces hauts
lieux.
En France, le premier temple hindou, le temple Sri Manicka
Vinayakar Alayam dédié à Ganesha, a été
fondé le 4 février 1985. Ce dernier se trouve à Paris, et
représente le noyau de condensation de ce que l'on pourrait appeler un
« quartier indien », c'est-à-dire
dans un espace géographique se situant grosso modo entre la gare du Nord
et le boulevard de la Chapelle et prenant en écharpe la rue Philippe de
Girard pour finir entre la rue Lafayette et la rue de l'Aqueduc. Le coeur de ce
quartier en est la rue du faubourg saint Denis.
Ce temple célèbre par un ou plusieurs
prêtres trois pûjas par jour (mais celles-ci peuvent aussi
être célébrées à domicile, sur un autel
individuel). La pûja est un rituel extrêmement important dans la
tradition hindoue. Les Hindous vénèrent des divinités de
pierre ou de métal, non en tant que symboles mais en tant que corps
physique des Dieux (pendant la cérémonie, les Dieux utilisent ces
formes pour répandre leur puissance et leur bénédiction
aux fidèles). La pûja est une communion entre les Dieux et le
Monde. L'officiant ou poujari, baigne, recouvre d'huile et invoque les
statues des Dieux. En plus, il fait fonction d'astrologue, de médecin,
d'exorciste et de directeur spirituel. Le temple de Ganesha ou
temple Sri Manicka Vinayakar Alayam à Paris organise aussi des
services religieux à domicile effectués en langue Sanskrite par
des prêtres indiens (voir annexe 1). Services qui prennent la forme de
mariages, célébrations ou service funéraire mais aussi des
rituels pour éloigner les maux de la famille, éviter les dettes
ou parvenir à ses fins.
Photo 6 : Célébration d'un
mariage au temple Sri Manicka Vinayakar Alayam.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes19.png)
(c)
www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.
Ainsi ce temple, en plus d'exercer une fonction de marqueur de
la territorialité de la diaspora indienne dans l'ici, agit
comme un pôle structurant de cette dernière. Structuration par les
rituels, les cultes quotidiens qu'ils soient à domicile ou au temple,
mais aussi par des manifestations religieuses hors des murs de
l'édifice, générant un face à face entre l'Inde et
la France.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes20.png)
Ce haut lieu s'apprécie par rapport à ce qui
l'environne, qui ne l'est pas. Il naît de la différence et se
maintien par la distinction. Dès lors cette confrontation tient plus
à une conséquence de l'extra-territorialisation de
l'altérité.
Photo 7 : Ci-contre le huitième
grand défilé de Ganesh à Paris
Source :
www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.
Le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam célèbre
toutes les fêtes du calendrier hindou. Pour les plus importantes
d'entre-elles, il organise des défilés dans les rues du quartier
« indien » de Paris. Celui de Ganesh est le plus
connu, mais il y a aussi la grande parade du char de Jagannath (fin juin). Les
deux processions se déroulent de la même manière : le
dieu est promené sur un palanquin imposant, au son des conques, des
flûtes, des tambours et des champs rituels, arrosé par la foule
d'eau de rose, de lait et de riz. Des centaines de noix de coco sont
brisées par les fidèles au passage du cortège, en guise
d'offrande.
D'autres fêtes moins spectaculaires rythment la vie de
la communauté indienne, comme pongal (nouvel an tamoul, mi
janvier), holi (fête des couleurs, en mars) ou durga
puja (fête de l'automne).
Planche 1 : Une confrontation
France-Inde : le huitième grand défilé du char de
Ganesha.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes21.png)
(c)
www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.
Enfin, dernière instance, dernier pôle qui
remplit cette fonction de marquage territorial : les associations.
Celles-ci favorisent la mise en place de contacts entre les
groupes et l'organisation d'activités visant à préserver
l'identité diasporique. Elles font la relation entre l'Inde, la France
et la diaspora, de sorte que ces associations peuvent devenir directement les
relais de l'Inde en France.
Le nombre des associations d'indiens en France ne cesse
d'augmenter. Ainsi, la diaspora indienne par le biais de ces associations
accroît sa capacité d'action, d'agir territorial et,
réalise précisément un processus interpolaire : une
forme associative en France mais dans une localisation multiple. Bien que cela
n'est aucune valeur scientifique : si l'on introduit comme discriminants
de recherche les termes « associations indiennes en
France » sur Internet, le moteur de recherche fournit
approximativement plus de 90 000 réponses. Parmi lesquelles on
trouve l'association française des Télougou, l'association des
migrants de l'Inde, ou encore divers groupements reprenant le découpage
linguistique de Nehru (association des Tamouls de France, des Panjabi de
France...).
La diaspora indienne apparaît donc active voir
activiste. Ces qualificatifs confèrent aux groupes de migrants indiens
une dimension à la fois évanescente et fragile mais
également vivace dans leur versatilité grâce à leur
configuration ubiquitaire.
Toutefois, ces associations sont d'ordres différents et
les efforts pour les fédérer en une seule et unique force
d'action ont jusqu'alors peu porté leurs fruits en comparaison des
groupements fondés sur quatre dimensions qui sont la religion (hindoue,
sikhe, parsie, islam), la langue (hindi, tamoul, panjabi, telugu), la
région d'origine (Pondichéry, Tamil Nadu, Pendjab, Gujarat,
Andhra Pradesh, Sri Lanka) et la caste. Mais on peut tout de même noter
une certaine réussite pour la FAFI (fédération des
associations franco-indiennes) bien qu'il s'agisse au départ d'une
initiative de la communauté tamoule.
En effet, cette association fondée en mars 1996 (dont
le but principal est de construire un « Centre Culturel
Indien » à Paris) est le fruit d'une longue maturation issue
de l'initiative de la France tamil sangam ou fédération
tamoule de France.
L'ensemble de ces groupements et de ces coalitions
volontaires, institués par plusieurs personnes s'unissant dans une
entreprise commune et s'enchâssant dans le cadre de la loi du
1er juillet 1901, prennent une autre dimension avec les NTIC.
Dès lors, le tamilnet83(*), sorte de toile transnationale permet aux tamouls de
puiser toutes sortes d'informations sur leur Etat d'origine, (le Tamil Nadu)
mais aussi sur d'autres thématiques qui cristallisent l'opinion comme
le renouvellement des conflits au Sri Lanka, ils peuvent aussi acquérir
et écouter les dernières compositions à la mode dans
l'ensemble du faisceau de la diaspora tamoule84(*). Encore plus étonnant, le net permet aux
familles indiennes de trouver depuis la France une femme pour leur fils, qui
répondra aux exigences d'appartenance linguistique, culturelle et
hiérarchique (de caste similaire). En effet, plusieurs sites sont
spécialisés sur les mariages (
www.punjabimarriage.com par
exemple), certains affichent clairement leurs objectifs en proposant des unions
arrangées85(*). La
révolution Internet a modifié le marché matrimonial en le
transformant.
Cette révolution est le support à un lien et
à une cohésion sociale hors de la terre d'origine. Mais elle peut
aussi servir des l'intérêts plus pernicieux, voir subversifs.
En effet, les NTIC peuvent alimenter des mouvements violents
orchestrés par des retour d'argent désormais immatériels
alimentant par exemple la LTTE (Tigres de la libération de l'Eelam
tamoul) ; cette dernière revendiquant la séparation des
régions nord et est du Sri Lanka, à majorité tamoule.
La communauté indienne visible ici, en
France, est le prolongement, l'extension extra-territoriale de
l'identité de la terre d'origine, mais en reste un
référent majeur, par exemple dans la distance et les moyens de la
surmonter. Les marqueurs territoriaux, ces différents points d'ancrage
de la diaspora dans le territoire forment une véritable épine
dorsale pour la communauté indienne. Cette communauté, même
dépouillée de la plupart de ses racines, de toutes projections
matérielles dans l'ailleurs, impose les notions de
continuité, de cohésion, d'équilibre et de reproduction.
2) Une mystification de la terre
d'origine : le cas des Sikhs de France.
« Les diasporas se fondent dans leur rapport avec
le temps et la mémoire. Elles s'enracinent dans la longue durée
[...] Le territoire existe surtout en tant que territoire d'origine,
c'est-à-dire situé dans le temps et objet d'une
mémoire »86(*).
Les communautés diasporiques indiennes en France
maintiennent de forts liens affectif et matériels avec leur pays
d'origine et arborent des signes mnémoniques qui rappellent leurs
racines. La communauté Sikhe de France ne déroge pas à la
règle, elle exerce des contacts multiples entre les groupes et
organisent des activités visant à préserver cette
identité. Mais au-delà de la mythification de la terre d'origine
se fonde une certaine mystification ayant pour base une instrumentalisation de
la mémoire collective.
La dimension n'est pas la même, il ne s'agit plus de
marqueurs territoriaux, mais des liens qui s'immiscent entre la terre d'origine
et la communauté dispersée. Relations qui se teintent d'un mythe
prépondérant du retour, et de la volonté de créer
un Etat (création dans la sécession).
La diaspora indienne à la différence de la
diaspora juive ou arménienne ne s'inscrit pas dans une dimension
traumatique liée à une déportation ou à un
génocide ; il s'agit d'une diaspora marchande. Toutefois à
l'instar de ces deux dernières, la communauté sikhe est
animée par la volonté de créer un Etat où pourrait
venir s'y rassembler les différents groupes dispersés.
Volonté de création qui alimente le mythe d'un retour.
Les Sikhs comptent aujourd'hui environ 22 millions d'adeptes
dans le monde, dont la plupart sont originaires de la région du Pendjab,
dans le nord-ouest du Pakistan et dans les régions limitrophes de
l'Inde, où les dix gourous fondateurs vécurent et
enseignèrent. Cependant, l'émigration massive des Sikhs au cours
du siècle dernier a entraîné la constitution d'une grande
diaspora. On estime actuellement à deux millions le nombre de Sikhs
vivant hors de l'Inde. Cette communauté sikhe en exil est issue de trois
vagues d'immigration. Jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, les
Sikhs du Royaume-Uni se comptaient par milliers. La deuxième vague fut
celle de 1947, consécutive à la partition (entre l'Inde et le
Pakistan). Le dernier flux migratoire sikh succéda à
l'opération Blue Star, c'est-à-dire à l'assaut,
par l'armée indienne, en juin 1984, du Temple d'or d'Amritsar, haut lieu
des préceptes religieux sikh.
Les Sikhs sont assimilés et appelés punjabis
(mais il ne faut pas faire la confusion, la communauté punjabi en France
compte 15 000 individus87(*)), du nom de l'Etat dans lequel ils sont
majoritaires : le Pendjab. En France au début des années
1980 (avant l'opération Blue Satr), ils étaient une
centaine, aujourd'hui les représentants de cette communauté sont
entre 5 000 et 7 000 (soit approximativement l'équivalent de 0.35%
de l'ensemble de la communauté diasporique !), principalement
installés dans les communes de la banlieue parisienne
(particulièrement à Bondy, Aubervilliers, Drancy et dans l'Est).
Ils ont ouvert plusieurs « gurdwara » ou lieux de
culte, abritant le livre saint (livre saint des Sikhs : l'Adi
Granth88(*)) en
Europe (à titre de comparaison : un en Belgique, six aux Pays-Bas
et onze en Allemagne, tous situés dans les grandes métropoles
connectées aux réseaux internationaux par le biais
d'aéroports ou de noeuds ferroviaires).
En France, on comptabilise cinq temples sikh (dont trois pour
l'ensemble de l'agglomération parisienne), mais seul le plus ancien et
le plus grand gurdwara de France, le Gurdwara Sahib se
situant à Bobigny (s'il ne paie pas de mine du point de vue
architectural : un simple bâtiment crépi de blanc que seul un
fanion orange frappé du khanda, l'emblème sikh vient
distinguer, il brasse un millier de fidèles) est recensé par les
associations et réseaux Sikhs mondiaux.
Photo 8 : Le Gurdwara Sahib de
Bobigny.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes22.png)
(c) Goreau, A. Mai 2004. Derrière la
façade de cette maison, que seul un fanion orange frappé du
khanda distingue, se cache en réalité le gurdwara sahib.
Avant d'y pénétrer, à l'instar des temples hindous de
l'agglomération, il est indispensable de se déchausser, mais en
plus il faut se vêtir du turban et se laver les mains abondamment. Le
rez-de-chaussée abrite les cuisines mais aussi une salle où sont
entreposées les divers portraits de l'ensemble des gurus fondateurs.
Bien sûr au centre de chaque pièce du Gurdwara
siège en position centrale une photo aux dimensions
imposantes du temple d'or d'Amritsar. Le rez-de-chaussée sert aussi de
salle à manger. L'ensemble des membres affiliés au gurdwara
peuvent s'y restaurer (chaque membre fournissant par mois l'équivalent
de 10% de son salaire ; la somme étant répartie entre les
frais de fonctionnement des lieux et l'assistance aux membres les plus
nécessiteux). Le premier étage, est quant à lui
réservé à la prière. Une zone de
« circumvolution » fait face à l'Adi
Granth.
D'ailleurs, le site Internet
www.sikh.net divulgue l'ensemble des
informations au sujet de l'accessibilité au lieu de culte, notamment
à partir de Londres.
Ni hindous, ni musulmans, les Sikhs appartiennent à une
religion syncrétiste, qui fit son apparition à la fin du XV
siècle, avec son fondateur, Gourou Nanak89(*). Son recueil de poésie mystique constitue la
base de toute l'activité religieuse dans les lieux de culte Sikhs ou
Gurdwara.
Les Sikhs doivent être fidèles aux cinq articles
dont le nom commence par un K (il s'agit de la plus importante contribution de
Govind Singh, de son vrai nom Gobind Rai, à la
tradition sikh qui fut la création de l'ordre militaire des
khalsa en 1699. Les membres de cette fraternité des « purs
» devaient marquer publiquement leur appartenance par les cinq « k
») ; prescriptions du livre sacré, le Granth
Sahib : une longue chevelure jamais coupée (kes),
souvent enserrée dans une longue mousseline de quatre à sept
mètres généralement safran (couleur du sacrifice) ou bleu
(couleur de la foi), un peigne en bois pour maintenir leurs cheveux bien
soignés (khanga ou kangh), le poignard (kirpan), la
longue culotte (kacch ou kaccha) et le bracelet d'acier autour du bras
de la main qui tient le poignard (kera ou kara).
Les khalsa fondent l'orthodoxie de la religion sikhe
et, c'est l'appartenance par les cinq « k » qui fonde
l'identité de cette communauté.
Toutefois, cette identité est polymorphe
c'est-à-dire à géométrie variable. Comme les autres
communautés diasporiques de l'Union indienne, les Sikhs peuvent jouer de
multiples facettes identitaires, et invoquer leur indianité, ou leur
caractère panjabi, ou leur identité sikhe.
La mise en place de l'extra-territorialisation pour les Sikhs
de France (mais de façon non exclusive) est consubstantielle du
rêve de fonder un Etat séparatiste : le Khalistan
(qui relève plus d'une patrie mythique).
Les divergences de représentation liant espace,
identité et territoire sont inscrites au coeur du dilemme identitaire
sikh : la représentation de l'espace panjabi, la
représentation d'une identité sikhe et, enfin celle du territoire
(de ce qui aurait dû constitué le khalistan). Le concept
de territorialité, pilier de l'édification d'un Etat-nation
imaginaire constitue l'argument central de la communauté sikhe
diasporique.
La diaspora sikhe par le biais des NTIC, détermine
à la fois une force de pression, un lobby, et fournit un appui au
mouvement séparatiste in situ. En effet, il n'est guère
difficile depuis n'importe quel poste Internet d'adhérer, de cautionner
et de subventionner le National Concil of Khalisatan, l'un des
principaux artisans du mouvement séparatiste en exil dont les liens se
trouvent sur plusieurs sites portails :
www.khalistan.net ou
www.khalistan.com. Toutefois
l'ensemble des membres de la communauté ne sont pas tous
rassemblés derrière cette volonté et (d'après
divers entretiens) espèrent seulement pratiquer leur religion dans leur
terre d'accueil.
La communauté sikhe est contrainte de suspendre son
identité dans un territoire imaginaire parce que désiré,
convoqué, mais jamais réalisé. Dès lors, la
construction d'une unité dans la dispersion ne se fait pas seulement en
se référant à une mémoire collective et en
maintenant un lien social, une certaine cohésion par des marqueurs
territoriaux, ici les cinq « k », support d'une
identité. Mais la référence à un peuple, à
une nation qui n'a pas d'autre forme d'existence qu'à travers le mythe
(la patrie mythique du Khalistan), est également un moyen de
construire et de maintenir une unité et une identité. La
construction politique se préparant dans l'ici pour la
transposer dans l'ailleurs, même imaginaire est la pierre
angulaire de la construction du lien social.
3) Une identité à
géométrie variable :
« Le corps social devient le territoire en tant
qu'il permet de fixer l'identité individuelle et collective d'où
l'importance attaché à la culture »90(*).
L'identité constitue un point sensible des conditions
d'émergence d'un lieu fort. La notion d'identité spatiale
-à la fois identification à un espace et identité d'un
espace- se trouve relancée quand on l'élargit à des
appartenances multiples et dynamiques, à des choix individuels ou
collectifs. La dimension spatiale des identités permet de
vérifier que l'identité contemporaine n'est pas la simple
expression d'un passé enfoui, mais, toujours, une tension entre une
mémoire et une projection dans le futur, ces trois
éléments (mémoire, identité, projet) se modelant
mutuellement.
Véritable boîte à outils,
l'identité se façonne selon trois composantes : ontologique,
pragmatique et de valeurs (sa dimension ontologique permet à l'individu
d'établir un sens à son mode d'être, à la somme de
ses actions, la fonction pragmatique de l'identité lui permet de
négocier son évolution ontologique dictée par les attentes
sociales majoritaires. En réaction à ces perturbations intimes se
développe la valeur de l'identité, sorte d'idéal-type de
référence destiné à contrebalancer la
réalité de l'identité).
Au quotidien, la stratégie identitaire opère
dans la communauté, la famille et de façon individuelle.
Dans une situation minoritaire, la vie sociale communautaire
se structure selon un ensemble complexe et mouvant de critères
d'appartenance, dont le plus emblématique serait la langue (panjabi,
tamoule et télougou pour les groupes les plus importante en France).
Alimentée sur un plan démographique par les logiques de
regroupement familial et de migration secondaire, la communauté remplit
deux types de fonctions. Elle est à la fois source d'identité
individuelle et collective par son souci de préservation des valeurs
philosophiques, religieuses, linguistiques et politiques, de
référence. Grâce à ses réseaux
socio-économique, grâce à sa structure filandreuse (ou
réticulaire), la communauté facilite l'intégration de
nouveaux membres, et la mise au point ainsi que l'application d'un
modèle d'intégration qui atténue le choc culturel.
En France, la diaspora indienne ne constitue pas une
communauté mais plusieurs entités différenciées
culturellement et linguistiquement (comme nous l'avons vu ci-dessus). Alors,
pour plus de facilités et dans un objectif méthodologique, le
terme « communauté » (à défaut
d'employer le terme d'ethnie, trop connoté et peu approprié
à la situation, ou celui de supra-communauté, qui reste
à inventer) aura pour signification l'ensemble de la diaspora indienne
installée en France, qui a pour point commun le même
référent territorial. Et, « groupe »
désignant les distinctions au coeur de cet ensemble.
La communauté indienne en France, apparaît comme
« centrée », peu hybride. Les chiffres
publiés en 1999 par l'INSEE91(*) corroborent ce point de vue. En effet, les mariages
mixtes sont peu nombreux, ils ne sont qu'au nombre de 102 en 1999 (30 pour les
époux, 72 pour les épouses). Il n'y a donc pas de
métissage sporadique, physique.
Ainsi, le risque de morcellement, de fragmentation est
moindre lorsque la communauté se fait une enclave hermétique face
à l'acculturation.
La communauté se caractérise aussi par des
stratégies groupales dont les 10ème et le
18ème arrondissements de Paris constitue l'archétype.
Certains ont développés des activités professionnelles
à grande échelle dans la restauration, le prêt à
porter et le négoce (principalement du commerce des fruits et
légumes) qui nécessitent des pratiques de réseaux.
La communauté permet le positionnement par rapport
à l'altérité : les groupes indiens ou d'origine
indienne peuvent se situer à une multitude de positions en fonction de
leurs organisations sociales, de leurs perceptions identitaires, de leurs
consciences historiques, de leurs constructions socio-spatiales ; de
l'ensemble des signes de reconnaissance et d'appartenance qui font que le
groupe se considère comme un groupe.
Jusqu'à maintenant, la territorialité de la
population diasporique indienne installée en France, était
envisagée comme médiateur de la relation sociale, du lien social
entre l'ici et l'ailleurs. Mais la dimension communautaire
permet de mettre le doigt sur le contenu de cette territorialité et dote
celle-ci de certains attributs qui donnent forme à une socialité
particulière : les termes de stabilité, durée,
reproduction, contiguïté, localité, unité jalonnent
cette acception.
La communauté permet de retrouver aussi une forme de
citoyenneté dans le pays d'origine. Car certains groupes, comme les
Sikhs, ne possèdent ni la nationalité française, ni la
nationalité indienne, ni même le statut de réfugié
politique (l'Inde étant la plus grande démocratie du monde).
Plus encore que la structure communautaire, la famille
s'érige en rempart identitaire le plus solide et le plus visible contre
l'acculturation et fournit en même temps la base de l'intégration
dans la société d'accueil, dans l'ici.
La famille est la garantie de la reproduction des normes et
des valeurs des différents groupes constituant la communauté
indienne. Il n'existe pas de données précises compte tenue de la
structure familiale des immigrés indiens en France, mais on pourrait
penser qu'elle reconstitue le schéma de l'ailleurs, de la terre
d'origine et se caractériserait dès lors par une structure
élargie, rassemblant sous un même toit un groupe social assez
large, assis sur plusieurs générations.
La famille se fait le gardien des traditions, des us et
coutumes. Même pour la seconde génération issue de la
diaspora pondichérienne, souvent brillante, plus autonome et qui n'a pas
les moyens similaires de résister à l'acculturation que la
première, sans distendre les liens familiaux, elle reconnaît
à la tradition un seul territoire inaliénable : la cuisine,
rien moins ce qui demeure quand on a oublié tout le reste.
Enfin, en étroite symbiose avec les deux autres
niveaux d'analyse, la stratégie individuelle est assurément la
plus complexe et la plus mouvante des dynamiques identitaires.
On recense un continuum de réactions personnelles face
à la société française. Réactions qui sont
modulées en fonction des capacités de l'individu de se
détacher du conditionnement social, c'est-à-dire les
mécanismes par lesquels le comportement d'un individu est
influencé - sinon façonné - par son environnement social
ou dans un sens plus restreint par des instances de manipulation
(édifices religieux, associations...) émis par la
communauté et de façon plus restreinte par les groupes
« ethnoculturels ».
La diaspora émerge de la conscience qu'elle prend de
sa dispersion. « C'est en reconnaissant peu à peu les lieux
où elle se déploie qu'elle acquière progressivement la
conscience d'elle-même et qu'elle peut se représenter l'espace
physique sur lequel elle se déploie »92(*). Le couple mythification et
mystification de la terre d'origine permettent d'entrevoir les
mécanismes identitaires au sein de la communauté qui contribuent
à forger une territorialité ou plutôt un sentiment
d'exterritorialité fait de va-et-vient entre l'Inde et la France.
Mouvement alimenté par les NTIC qui permettent un
recentrage identitaire permanent, un jeu fictif de constructions et de
déconstructions à partir d'éléments intangibles.
Ce même mouvement conduit à la création
dans l'ici d'un territoire de l'entre-soi et non d'un non-lieu, d'une
a-topie au sens de MA MUNG. Selon lui, « ce qui différencie la
diaspora des autres groupes migrants c'est l'arrachement du territoire
d'origine, l'impossibilité de se reproduire dans un espace physique
clos, circonscrit et tangible [...] De fait, elle est (la diaspora) conduite
à le faire dans un espace imaginaire, fantasmé, reconstruit
à l'échelle internationale [...] Elle a conscience de soi dans un
non-lieu »93(*)
.
Nous allons à l'aide d'illustrations précises
démontrer que la diaspora indienne en France se reconstruit, au
contraire, dans un territoire fixé, borné, clos et tangible
(même si les NTIC introduisent un dépassement de ces limites et
discontinuités).
B/ INTERCULTURATION OU SÉGRÉGATION ?
L'immigration originaire du monde indien, assez
méconnue (donc mal chiffrée) en France, est apparue depuis une
vingtaine d'années. Ces migrants ont fait leur entrée en France
progressivement, se constituant en communautés et en réseaux.
Leurs lieux d'origine sont divers : Pakistan, Bangladesh, Maurice, Union
indienne, Sri Lanka... Par delà la diversité un groupe
représente le contingent le plus nombreux : il s'agit des
Tamouls.
Une partie des tamouls sont originaires des ex-comptoirs
français d'Inde du sud (se confondant avec les ressortissants
pondichériens, ayant pour point commun la civilisation dravidienne et la
langue), dont beaucoup ont acquis la nationalité française (lors
du processus de restitution des territoires à l'Union indienne). Il
s'agit du premier anneau de migration. Un petit nombre vient des Antilles et
des Mascareignes ; ce sont principalement des descendants des
coolies des plantations (après l'abolition de l'esclavage , le
manque de main d'oeuvre pousse les puissances européennes
particulièrement Royaume-Uni, France et Hollande, à trouver
d'autres solutions ; sous la pression des planteurs est mis en place le
système de l'indenture, par lequel des volontaires indiens
acceptent par contrat d'aller travailler dans les plantations pour une
période de cinq ans).
Le second anneau de migration, la dernière vague si
l'on peut dire, provient du Sri Lanka, et elle est à relier au contexte
de guerre civile qui sévit dans l'île et qui oppose depuis
quarante ans Cinghalais (bouddhistes) et Tamouls (hindous). Le nombre de
réfugiés Tamouls à travers le monde est estimé
à 700 000, soit le tiers de la population Tamoule du Sri Lanka
avant guerre94(*). En
France, les estimations oscillent entre 45 000 et 60 000 (certaines
associations tamoules vont même jusqu'à donner le chiffre de
95 000) Tamouls qui seraient présent sur le sol français
(« but only 300 have passed the stringent citizenship requirement
to read and write French fluently »95(*)).
Ces réfugiés s'avèrent constituer des
noyaux de peuplement principalement à Paris, dans des diverses villes de
banlieues : Noisy le Grand, Montreuil, Nanterre, Garges-lès-gonesse
(c'est à dire dans la couronne périurbaine nord de Paris) ;
et, le quartier de la Chapelle en est le principal noeud commercial (la
proximité de la Gare du Nord permet de faire le trajet du domicile en
banlieue jusqu'à cette aire commerciale. C'est aussi un lieu d'une
grande connexité avec l'Europe et principalement avec le
Royaume-Uni).
L'intérêt dans cette partie n'est pas
porté sur les modalités de l'immigration tamoule, sur une
quelconque digression sur le statut de réfugié et les
stratégies d'obtention des visas, mais sur l'émergence d'un
espace de l'entre-soi et des liens qui s'établissent entre la
communauté indienne et les français.
« Little India »96(*) du Faubourg-Saint-Denis, ou
plutôt little Jaffna (du nom de la capitale des régions
de langue tamoule du Sri Lanka) suscite à la fois intérêts,
controverses et tensions entre les habitants, qui semblent se cristalliser sur
cette présence tamoule : « cette communauté
majoritairement Sri-lankaise, est très sympathique, serviable, pas
violente [...] Mais elle rachète peu à peu tous les appartements
et les commerces. La population locale est exaspérée. Surtout les
personnes âgées. Le défilé du char de
Ganesh aurait été perçu comme une
provocation »97(*) (voir annexe 3).
1) Un territoire de l'entre-soi.
L'entre-soi est un réflexe, une nécessité
: la fonction d'un tel espace de regroupement est d'assurer une transition
entre l'ici et l'ailleurs, entre le monde indien et la France
afin d'atténuer le choc. Cet espace préserve les modèles
culturels, les institutions et les liens sociaux hérités de la
communauté d'origine. Il limite les effets déstructurants du choc
culturel au prix d'une agrégation/ségrégation qui
règle le jeu des proximités et des distances avec la
société environnante.
Ce regroupement constitue une sorte de pôle structurant
où s'exprime de manière amplifiée la sociabilité
tamoule et où se pratique de façon privilégiée
l'entre-soi.
Toutefois dans cet entre-soi, il faut distinguer, dissocier la
concentration résidentielle (couronne nord périurbaine de Paris)
de la concentration commerciale et religieuse (quartier de la Chapelle). Par
manque de temps et surtout par logique (l'inscription spatiale de la
concentration commerciale et religieuse étant visible dans
l'immédiat, flagrante) nous nous tiendrons qu'au deuxième
point.
La dimension religieuse et l'éducation sont les fers
de lance de ce territoire de l'entre-soi. Le quartier de la Chapelle offre la
possibilité de retrouver et de consolider, d'affermir son
identité culturelle. Ce quartier est l'expression d'une peur :
celle de la perte de l'identité tamoule.
Pour aller contre cette angoisse, la communauté
indienne et plus particulièrement les groupes tamouls, dans
l'agrégation, ont développés divers organismes et
associations à visée culturelle comme les temples et les
écoles.
Par exemple, l'institut des hautes études
universelles, située rue Philippe de Girard (donc à
proximité du temple Sri Manicka Vinayakar Alayam) participe à ce
mouvement de perpétuation communautaire. Cette école pratique le
« bilinguisme » : en fait, elle donne des cours de
français, d'informatique et offre du soutien scolaire, mais surtout on y
trouve des cours de tamoul et de bharata natyam.
Au même titre que la cellule familiale, cette
école apparaît comme une instance de socialisation et comme un
lieu de sociabilité indéniable ; elle est un instrument de
reproduction sociale et de contrôle communautaire. Elle constitue donc un
lieu de socialisation et d'identification en dehors de la famille, du voisinage
et de la communauté ; alors que le milieu scolaire
« Français » peut représenter un espace
d'éloignement communautaire, affaiblissant in fine la
chaîne de transmission des valeurs et des savoirs. D'où la
volonté chez les migrants Tamouls de créer un espace
protégé qui assurerait la reproduction communautaire.
Cette école appartient à la sphère
privée, la scolarité y est donc payante. Celle-ci est un enjeu
fondamental pour les deuxièmes générations, leur
permettant peut-être d'obtenir des emplois qualifiés. Car, le
principal handicap des migrants tamouls est celui de la langue
(« language is the major barrier for the 60,000 refugees in
France, according to V. Sanderasekaram, 51, founder and trustee of the Sri
Manicka Vinayakar Alayam of Paris »98(*)), le français est peu
ou pas parlé, dès lors le spectre des activités
rémunérées couvert par le groupe ne s'attache qu'à
des emplois où il n'y a pas besoin de parler le français, comme
« faire la plonge », agent d'entretien ou encore cuisinier.
Ainsi, cette école en permettant de maintenir le lien
communautaire, par l'apprentissage du français offre des perspectives
meilleures en terme de mobilité sociale de type verticale (qui
correspondrait à une mobilité ascendante le long de
l'échelle sociale en terme de catégorie socioprofessionnelle).
Hors de cette école, il est inutile de préciser
qu'il doit exister tout un réseau d'écoles parallèles
informelles, illégales, échappant à tout contrôle de
l'Etat français ; ou plus simplement des formes abouties
d'économie sociale et solidaire à l'instar de système
d'échanges locaux entre groupe tamoul et groupe pondichérien (ce
dernier maîtrisant mieux la langue française).
Pour les parents de la première
génération (les premiers migrants des années 1970-1980),
la présence d' « écoles tamoules » (au
sens de structure formelle ou informelle véhiculant un enseignement
collectif général, parfois même une doctrine notamment dans
le cas des temples) est une occasion rassurante d'être entre soi, de
contrôler les relations et les fréquentations de leurs enfants.
L'école permet ainsi d'amoindrir la distance culturelle
et de participer à la construction de cette temporalité
transitionnelle entre l'Inde (le monde indien) et la France.
Les temples aussi participent à cette fonction. Il
existe trois temples pour les hindous à Paris. Mais il est fort
probable, au même titre que pour les écoles, donc d'une
manière informelle, qu'il existe d'autres lieux de culte, notamment des
salles dans les villes de banlieue (mais nous n'avons pas eu d'informations
à ce sujet là, ni par Internet ni par l'enquête de
terrain).
Toutefois, il faut noter l'extrême souplesse de
l'hindouisme concernant les lieux de culte (particulièrement avant la
construction du temple Sri Manicka Vinayakar Alayam), en témoigne la
fréquentation par de nombreux hindous de la basilique du Sacré
Coeur. « Les Tamouls sri lankais à Paris, à la
recherche d'un lieu de culte, se sont rabattus sur le Sacré Coeur,
à défaut de trouver un temple hindouiste déjà
établi. Cette église suggère certaines
références : située au sommet d'une petite montagne,
elle demande une ascension pour y accéder ; large et visible, elle
s'impose à la vue comme la maîtresse de Paris ; ses coupoles
volumineuses et blanches rappellent aussi bien les stupas bouddhistes par leur
rondeur que les églises ceylanaises par leurs façades vastes et
blanches [...] L'accès à l'église nécessite une
ascension depuis la sortie du métro Anvers s'échelonnant à
travers le parc sur sept niveaux. C'est une sorte de pèlerinage en
miniature »99(*).
Dans le 18ème arrondissement, rue Philippe
de Girard, se trouve le Temple hindou de Paris (temple Sri Manicka
Vinayakar Alayam) dont la divinité principale est Ganesh
ou Ganapati, le dieu à tête d'éléphant
(selon les Purana, il a été créé par sa
mère Parvati pour monter la garde devant sa salle de bains.
Shiva, se voyant interdire l'accès à l'intimité
de son épouse, coupe la tête du jeune homme sans savoir qu'il
s'agit de son fils. Pour consoler Parvati, il promet de donner
à Ganesha la tête de la première créature qui se
présente, en l'occurrence un éléphant. Shiva donne en
outre à son fils le commandement de ses armées de ganas,
d'où son surnom de Ganapati, « chef des ganas »).
L'entrée est entièrement libre. Il a été
fondé en 1985 par Sanderasekaram, dont la famille a
établi plusieurs temples dédiés au dieu Ganesh au
Sri Lanka100(*). Suite
au miracle de Ganesh buvant du lait en 1995, un défilé est
organisé dans les rues de Paris par le temple et la communauté
depuis 1996 pour célébrer l'anniversaire du Dieu.
Ce temple jouit d'une grande importance pour plusieurs
éléments. Il est le seul organisateur du défilé de
Ganesh, manifestation qui prend de plus en plus d'ampleur, et qui
permet aux hindous de perpétuer une « tradition » ou
du moins un héritage culturel.
L'organisation du défilé offre à
l'ensemble de la communauté indienne une sorte de publicité
bienveillante, qui compense les critiques quotidiennes et permet au temple de
s'imposer au niveau religieux comme porte-parole de la communauté
hindoue (tamoule, pondichérienne, télougou ou encore panjabi).
Le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam, s'affiche
comme le « temple hindou de Paris », cette réduction
est liée à sa stratégie
« promotionnelle » : sites Internet en plusieurs
langues (français, anglais, allemand et tamoul), brochures et
affiches ; or ce n'est pas le seul temple hindou (on comptabilise trois
temples hindous dans l'agglomération parisienne dont deux en position
centrale c'est-à-dire dans la commune centre et un récemment
ouvert, en périphérie, à Evry, le Krishna Kadhy
Temple).
En effet, il en existe un deuxième situé rue du
Département. Celui là est dédié à Mariamman,
déesse primordiale dans la pratique tamoule de l'hindouisme.
Ce temple est aussi fréquenté que le premier,
mais accueil moins de visiteurs hors de la communauté Tamoule. Il
organise des cours de Tamoul et de bharat natyam. Le bharata
natyam est une forme de danse classique indienne originaire du sud qui a
été sauvé au début du XXe siècle d'un oubli
presque total101(*). Un
spectacle typique comprend les parties suivantes : Ganapati Vandana
(une prière traditionnelle d'ouverture au dieu Ganesh, qui
écarte les obstacles), Alarippu (une présentation du
tala, suite de syllabes chantées par la danseuse. Il s'agit en fait
d'une invocation des dieux pour qu'il bénisse le spectacle),
Jatiswaram (une danse abstraite où le rythme est scandé
par le tambour. La danseuse montre ici sa dextérité dans le
travail des pieds et la grâce des mouvements de son corps),
Shabdam (la danse est ici accompagnée par un poème ou
une chanson sur un thème dévotionnel ou amoureux),
Varnam (la pièce centrale du spectacle. C'est aussi la partie
la plus longue qui montre les mouvements les plus complexes et les plus
difficiles. Les positions des mains et du corps racontent une histoire,
habituellement d'amour et de désir), Padam (probablement la
partie la plus lyrique où la danseuse exprime certains formes d'amour :
dévotion à l'être suprême, amour maternel, amour des
amants séparés puis réunis) et Tillana (cette
dernière partie est une danse abstraite où la virtuosité
de la musique trouve son parallèle dans le travail des pieds et les
poses captivantes de la danseuse). Le spectacle se termine par la
récitation de quelques versets religieux en forme de
bénédiction.
Ce temple est aussi le siège de la
fédération des associations tamoules de France (France Tamil
Sangam). Cette association dont les prémices datent de 1970 (de la
troisième conférence international du Tamoul à la
Sorbonne) changeant de nom au grés des époques et des
évolutions (Manavar tamil mantram ou associations des
étudiants tamouls en 1970 ; Paris tamil sangam,
association tamoule de Paris en 1972 ; et en 1983 France tamil
sangam) fait partie intégrante de cet entre-soi communautaire et le
consolide : elle publiait (nous ne pouvons ici qu'utiliser l'imparfait car
il manque des informations sur la continuité de l'ensemble du faisceau
des activités, même sur le site Internet de l'association) dans
les années 1990-1995 deux journaux mensuels, Tamijosaï et
Parimalar (en tamoul) et célèbre au mois de janvier la
fête de Pongal.
Les temples exercent ainsi un rôle d'encadrement ;
un rôle essentiel dans la perpétuation de la temporalité
tamoule : ils imprègnent et impriment les rythmes de la vie
sociale, donnent des repères fixes et temporels, par les trois
pujas quotidiennes, par les rites mais aussi par les fêtes
(pongal, défilé de Ganesh...).
Ces temples permettent donc de retrouver un repère
temporel. De plus ils respectent le calendrier lunaire usité par les
tamouls.
Ces lieux de ressourcement culturel, au même titre que
la famille, que l'école sont des pôles structurant de l'entre-soi
communautaire.
Dès lors une question se pose : quel est la nature
des liens que la communauté tamoule entretient avec la terre d'origine,
avec le Sri Lanka ? Le CCTF ou Comité de Coordination Tamoul France
(situé rue des Pyrénées), affilié aux Tigres
joue-t-il lui aussi ce rôle de pôle structurant ?
De même, le temple dédié à
Mariamman affiche en ses lieux le portrait du leader des Tigres :
Prabhakaran (recherché avivement et présent sur les
sites d'Interpol) faut-il pour autant en déduire que cette
communauté au même titre que les Sikhs est animée par le
mythe du retour ?
Le CCTF, selon ses responsables comptabiliserait
approximativement 10 000 adhérents, ce qui laisse songeur compte
tenu de l'ensemble de la communauté tamoule évaluée entre
45 000 et 60 000 individus. Ainsi, la part de la population
diasporique tamoule avivée par le mythe du retour ou du moins soutenant
l'action des tigres et songeant à une patrie tamoule
représenterait au plus bas 16.6% et au plus haut 22.2% !
En fait, le CCTF dispose d'une emprise étendue sur la
communauté diasporique tamoule. Il investi tous les lieux du quotidien
où se joue une confrontation entre l'univers du groupe et celui de
l'extérieur, pour y favoriser un apprentissage des codes culturels. Il
cherche ainsi à créer l'émergence d'un espace
intermédiaire entre la sphère publique et la sphère
privée pour contenir une certaine acculturation.
Il s'agit d'une manoeuvre pour favoriser l'entre-soi et de
l'instrumentaliser afin de servir les intérêts des Tigres.
Enfin, l'entre-soi est favorisé par la dimension
commerciale du quartier de la Chapelle. On assiste ici à un
« commerce ethnique » qui n'a que pour seul
débouché les membres de la communauté, l'ensemble des
produits étant destiné à un groupe minoritaire. Produits
qui correspondent à des pratiques culturelles particulières.
La marchandise est présentée à
l'accoutumée, c'est-à-dire selon les habitudes du pays d'origine.
Les inscriptions sur les étiquettes voir même sur les enseignes
sont établies en langue d'origine, en tamoul.
La « décoration », ou plutôt
le soin apporté à l'intérieur et à
l'extérieur des différents magasins, manifeste explicitement
l'appartenance communautaire.
La majorité des enseignes reprennent des noms et des
éléments culturels familiers aux tamouls (Ganesha
Corner, Lal Qila, Bollywood
Paris ou encore
Sarre Palace) ou des noms de lieux (auto-école
Jaffna, Madras sweets ...).
Parmi cet espace de vente, des boutiques participent plus que
d'autre à cet entre-soi communautaire, en proposant des produits
« typiquement indiens » (bien qu'il soit assez
malaisé d'établir un idéal-type, un modèle
indien).
Ces boutiques jouent alors un rôle primordial de soutien
communautaire. Ainsi parmi ces produits on pense aux denrées
alimentaires. L'alimentation est un secteur incontournable de la Chapelle. Les
habitudes alimentaires sont un élément culturel qui se maintien
durablement, elles sont un emblème identitaire.
Le quartier joue un rôle central dans
l'approvisionnement en denrées diverses souvent d'une extrême
difficulté à trouver dans un notre contexte que celui
d'agrégation communautaire et souvent à des prix prohibitifs (la
communauté diasporique jouit souvent de liens durables avec la terre
d'origine, de réseaux avec le « pays »). Les
magasins proposent des produits divers mais toujours adoptés à
une clientèle indienne. On y trouve facilement des sacs de riz de 50Kg
en provenance du Panjab, différentes épices mais aussi les
grandes marques de nourriture indienne comme pataks. Le
18ème arrondissement constitue un centre d'approvisionnement
pour la population indienne.
On trouve également dans ces épiceries des
journaux tamouls tels que le Tamil Guardian ou d'autres
éditions en langue tamoule, ainsi que les deux journaux locaux
Eelanadu et Eelamerasu. Mais les établissements qui
remportent le plus grand consensus de la part de la communauté et ce,
sans commune mesure, sont ceux qui sont consacrées à la location
ou à la vente de vidéo et de cassettes de musique de films
indiens.
On vient pour acheter les derniers succès de
l'industrie cinématographique de Mollywood (industrie
cinématographique en tamoul, M pour Madras) mais aussi de Tollywood
(industrie cinématographique en bengali ou télougou) et de
Kollywood (industrie cinématographique en malayalam, K pour Kerala) mais
aussi les dernières musiques filmi (bandes originales des films) des
compositeurs à l'instar de Naushad, Salil Choudary ou encore
Ilaiayaraja.
La vidéo et la musique jouent un rôle essentiel
dans la sociabilité et la constitution de l'identité tamoule en
exil (on s'invite pour visionner les films mais surtout on s'imagine
là-bas, la vidéo permet de retrouver une atmosphère, une
ambiance, des couleurs de la terre d'origine...).
Photo 9 : Un des nombreux
vidéoclubs du quartier de la Chapelle :
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes23.png)
(c) Goreau, A. Mai 2004. Vidéoclub ne proposant que des
films tamouls (TMS ayant pour signification Tamil Movies). D'ailleurs
le propriétaire ne parle pas un mot français comme la plupart des
acteurs commerciaux de la Chapelle. Les membres de la communauté s'y
pressent pour acquérir les derniers succès.
Bien sûr, après l'alimentation et le
cinéma, il y à les tenues vestimentaires ; on
relèvera la présence de nombreux commerces de saris et autre
tuniques. A cela s'ajoutent les bijouteries au goût des tamouls :
c'est-à-dire des bijoux en or. Plus ciblés encore : les
vendeurs de guirlandes de fleurs que les femmes se mettent dans les cheveux ou
usitées pour les festivités hindoues.
L'ensemble commercial de la Chapelle offre aux tamouls la
possibilité de recréer leur territoire d'origine, de replonger
dans l'Inde à partir d'une aire de consommation complète ;
on y retrouve tout ce qui faisait la spécificité du mode de vie
dans l'ailleurs. On y vient pour se sentir chez soi, on y retrouve des
odeurs (celles des épices, du chia, des différents plats
cuisinés...) ; l'entre-soi communautaire participe bien
évidemment au sentiment d'exterritorialité. C'est un prolongement
de l'Inde en France. La Chapelle est aussi l'endroit où mobiliser les
réseaux, toujours à base communautaire. Cette stratégie
maintient des liens forts (« j'ai des relations avec le
pays ») avec la terre d'origine, mais cache aussi une économie
informelle, segmentant à l'infini les secteurs de distribution.
Cette recréation territoriale suscite aussi
auprès de la communauté pondichérienne une certaine
nostalgie. Cette communauté installée en France plus longuement
et durablement, maîtrisant bien le français se mêle avec
connivence à l'élaboration de l'ambiance du quartier, à la
recherche d'un passé, des racines.
2) Cosmopolis ou
claustropolis ?
Les différents groupes constitutifs de la diaspora
indienne apparaissent fermés dans une logique communautaire formant une
couche isolante et hermétique maintenant l'identité et rejetant
le plus possible les contacts culturels avec la France.
En illustrant ce chapitre par le quartier de la Chapelle, lieu
privilégié d'un entre-soi communautaire, on remarquera que les
tamouls ont développés des stratégies d'appropriation de
l'espace publique, collectif et en ont transformé les usages, suscitant
parfois des réactions de nature diverses.
Cet entre-soi communautaire se veut le prolongement
matériel d'une territorialisation qui au départ était
symbolique ; territorialisation qui se fait par la construction d'une
identité, d'une sorte de moi collectif.
Ainsi se pose la question en terme de cohabitation entre
majorité et minorité mais aussi en terme de transformation de la
nature de l'espace publique, de discontinuité, de frontières
socales-urbaines. De quelle nature sont les interactions qui découlent
de cette confrontation entre population majoritaire et population
minoritaire ? Quelles implications génère le marquage de
l'espace publique par une dissémination de signes identitaires
tamouls ?
D'ordinaire, le champ culturel des diasporas est
abordé selon trois axes méthodologiques : la
continuité pure et parfaite, la créolisation et
l'aliénation.
Dans notre étude, le contact entre l'ici et l'ailleurs
ne donne pas lieu à une créolisation mais, il est plutôt le
composé complexe d'aliénation et de continuité.
Continuité pure et parfaite dans l'ici de
l'ailleurs, visible notamment par cet entre-soi communautaire, offrant
une image cosmopolite à l'ici et, aliénation dans le
contexte d'une France républicaine et laïque (bien sûr le
terme est un peu fort car ce processus ne va pas jusqu'à
l'impossibilité de s'approprier pour les migrants indiens son histoire
d'origine et la revendiquer) où se pose de façon
renouvelée la question de l'immigration et d'une certaine manière
celle de la ségrégation.
C'est en ces termes que se définie la ville de
Paris : cosmopolis ou claustropolis.
L'adjectif cosmopolite, du grec kosmopolitès,
« citoyen du monde » confère à la ville de
Paris l'image d'un village globale, d'une citoyenneté mondiale à
l'image du village planétaire de Mac Luhan. D'ailleurs, la mairie de
Paris joue de cette présence communautaire et bâtie même des
itinéraires nommés « invitation au voyage, entre
Afrique et Asie »102(*). En réalité il s'agit d'une balade
entre l'église Saint Bernard et la Chapelle, entre quartier
« africain » et quartier « indien ».
TEXTE 1 : Itinéraire de balade de
la mairie de Paris :
« Face au théâtre des Bouffes du Nord,
le quartier indien prend naissance rue du Faubourg Saint-Denis. Sri lankais et
Indiens y déambulent en sari pour faire leurs achats d'épices et
de vidéocassettes. Entre restaurants tandoori et brasseries moules
frites, la gare du Nord offre un contraste surprenant avec ses statues XIX e,
son architecture de verrières et de métal, sa partie
récemment rénovée pour l'Eurostar [...] Au n°43
commence le passage Brady qui se prolonge au-delà du boulevard de
Strasbourg. Ici débuta le commerce des premiers émigrés
indiens. Le mythe est toujours là sous les verrières qui abritent
épiceries et restaurants. A la sortie du passage, la rue du
Faubourg-Saint-Denis mène à la porte du même nom : elle
marquait la limite du Paris d'autrefois et termine notre voyage d'aujourd'hui
dans le Paris d'ailleurs. Le 5 septembre aura lieu le défilé du
dieu Ganesh pour la neuvième année. Devant son char tiré
à travers les rues, les participants offriront à la
divinité, fleurs, noix de coco et pâtisseries
colorées... »
Source : mairie de Paris,
www.paris.fr, itinéraire,
« invitation au voyage ». 2004
Cet itinéraire se propose comme la rencontre entre
diverses cultures diverse « civilisations » (suivant les
propos usités par le site Internet).
La singularité du quartier de la Chapelle attire et
suscite de la curiosité. Si la majorité des clients sont des
Indiens et des Sri-lankais, il semble que cet entre-soi réponde à
des impératifs commerciaux qui pourraient l'éloigner de son
caractère spécifiquement « ethnique ».
En effet, c'est aussi un lieu fort pour les voyageurs de
l'Inde, en quête de repères et de symboles qui peuvent puiser ici
un certain ressourcement empreint de nostalgie, mais dans une moindre mesure,
il semble que français et touristes de passage fassent de ce quartier
une utilisation « exotique » (la clientèle n'est ici
élargit que par la volonté de certain impétueux de se
confronter à l'altérité). Mais, pour certains,
l'attraction vient moins de l'exotisme que de l'extrême avantage des
prix.
Bien sûr cette caractéristique est
évidente pour la restauration qui balaie une clientèle plus
large, mais on observe un attrait touristique de ce quartier ; il
apparaît dans plusieurs guides sur Paris ; c'est aussi un endroit
« branché », à la mode pour la bourgeoisie
parisienne.
En réalité, cet entre-soi communautaire permet
d'alimenter l'imagologie de l'Inde.
Mais, cet entre-soi est aussi l'illustration d'une
privatisation de l'espace publique. Privatisation qui prend toute son ampleur
lors des fêtes et principalement du défilé de Ganesh qui a
lieu tous les ans au mois de septembre, où la communauté tamoule
s'accapare trottoirs, rues, et places publiques.
C'est essentiellement cet événement qui
cristallise les critiques. D'ailleurs, une partie de la cinquième
édition du défilé en septembre 2000 avait
été interdite (voir annexe 3) par le maire du dixième
arrondissement, alimentant la polémique entre les différentes
mouvances politiques (ici entre Parti socialiste et Verts).
L'espace public est souvent défini comme un des espaces
possibles de la pratique sociale des individus. C'est un agencement qui permet
la coprésence des acteurs sociaux sortis de leur cadre domestique, mais
surtout accessible à tous et empreint d'anonymat. Il suppose donc une
séparation de sociabilités entre l'intime, soi-même, et
autrui, par de multiples sas et seuils. Ce sont ces seuils qui sont remis en
cause par cet entre-soi communautaire (qui soulève l'opposition
société d'individus/société communautaire),
l'espace publique devenant le support de l'élaboration des
sociabilités intimes. Ce manque de
« mélange » ne remplit donc pas une des conditions
sine qua non de l'espace public : l'accessibilité et tombe ainsi
dans une sorte de privatisation. Privatisation qui toutefois lors des
défilés de Ganesh rend compte d'une forme de publicisation de
l'intime, de la sphère privée.
Cet entre-soi détermine-t-il alors ce que certains
appellent un espace « priblique » : une zone tampon
où s'expriment à la fois l'individuation et la
socialisation ?
L'affirmation de cet entre-soi communautaire institue, en
quelque sorte, comme étrangers les usagers n'appartenant pas à la
communauté tamoule. Il s'instaure donc une certaine
ségrégation sur fond de frontière communautaire voir
même « ethnique ». La construction d'une aire
marquée par une faible diversité sociale donne une image de
claustopolis à la ville de Paris.
Bien sûr il ne s'agit pas d'une
ségrégation spatiale à la manière des
condominos fechados brésiliens ou des gatted
communities, alimentées par un cynisme social par une
volonté obsidionale, ni même d'un ghetto ; mais la
séparation est bien réelle et d'autant plus forte que les groupes
s'y « opposant » n'ont pas les mêmes usages du
quartier de la Chapelle. En effet, les migrants indiens y investissent des
éléments identitaires, des référents culturels mais
n'y vivent pas (en grande majorité), il s'agit d'un lieu de
sociabilité, de coprésence communautaire alors que d'autres,
« la population locale »103(*), y investi tout un mode de vie.
Cette ségrégation est d'autant plus
prégnante qu'elle se spatialise : l'ailleurs est
borné, les rues et les faubourgs deviennent les garants de cette
délimitation. A cela s'ajoutent des discontinuités d'ordre
social, en terme de richesses. Les migrants indiens occupent la plupart du
temps des emplois faiblement rémunérés (du fait notamment
de la faible maîtrise de la langue française).
Il s'agit donc plus que d'un entre-soi communautaire mais
d'une extra-territorialisation qui reprend les lignes de fractures
(culturelles, économiques...) entre la France et l'Inde.
3) La question de
l'intégration :
Cette limiogenèse issue de cette
exterritorialité, de la création d'un espace de l'entre-soi
communautaire se traduisant par tout un faisceau de limites et
discontinuités : économiques, sociales et
« ethniques », suscite tout un questionnement sur
l'intégration des migrants indiens en France.
« La question de la légitimité de leur
présence en un lieu pose le problème d'une double
intégration : intégration à une société
d'accueil et intégration à la diaspora »104(*).
L'intégration sociale désigne le processus
d'insertion des groupes ou des individus dans un même ensemble
acquérant ainsi un minimum de cohésion ; il s'agit soit
d'une situation observable à un moment donné, soit d'un processus
faisant passer d'une situation d'extériorité à une
insertion plus ou moins forte. En France, une certaine confusion a toujours
était faite entre intégration et assimilation : il
était exigé des futurs citoyens français qu'ils renoncent
à leur cultures, traditions et rites d'origine. Cette assimilation
conduit à une certaine aliénation des différents groupes
migrants, générant souvent une dégradation des
spécificités de l'autre.
Cette confusion subsiste et exerce une violence symbolique sur
les migrants indiens en France, sommés parfois de justifier leur
présence, et ceci en manifestant essentiellement leur utilité
sociale d'autant plus que la communauté tamoule manifeste son
attachement à sa terre d'origine et qu'elle est parfois
incriminée par les médias de terrorisme activiste, de trafics
illicites (drogue particulièrement).
Les migrants indiens justifient et négocient leur
présence dans la société d'accueil par une utilité
commerciale de type exotique que ce soit dans la restauration, dans le commerce
alimentaire ou dans l' « ethnic
business »105(*) (vente de saris, de guirlandes de fleurs, de statue
à l'effigie de Ganesh...). « Cette utilité est donc
placée d'emblée sous le signe de l'échange :
l'exotisme contre la présence »106(*). Mais ce contrat est
précaire car la France ne reconnaît pas sur le plan politique les
minorités ethniques et religieuse, et érige la
laïcité en valeur suprême, ou plutôt comme norme
sociale.
C'est ainsi que les derniers débats sur les signes
religieux à l'école ont abouti à l'interdiction des signes
ostensibles d'appartenance communautaire. Mais alors comment se construit
l'identité des Sikhs sans référents quotidiens ;
comment peuvent-ils marquer leur appartenance communautaire s'ils ne peuvent
être fidèles aux cinq articles ? Cette volonté
d'assimilation par la norme obéit aussi à des conte sens ;
en effet, sans leur turban (c'est sur cet élément que devrait
porter l'interdiction), c'est leur appartenance communautaire qui se
dévoile.
Tandis que l'intégration sociale des migrants indiens
à la société française est parsemée
d'embûches qui prennent plus la forme d'apories que d'obstacle ;
l'intégration à la diaspora paraît être une
réussite.
Les différents groupes de la communauté indienne
fabriquent leur intégration à la diaspora à travers la
constitution d'une mémoire et d'une histoire collective faites de
va-et-vient imaginaires et réels avec la terre d'origine.
« Cette mémoire leur permet d'articuler le sens de leur
présence en un lieu à celui d'une tangibilité recevable
par la diaspora »107(*).
C/ Continuité temporelle et spatiale ?
Si les références communes des migrants indiens
se fondent sur une expérience inscrite dans le passé -la
socialisation dans le pays d'origine-, celle-ci se manifeste dans
l'immédiateté des compétences linguistiques et sociales
d'aujourd'hui, indispensable à l'intégration économique
mais aussi sociale. Le mythe du retour permet d'entrevoir un nationalisme
à distance qui transcende l'ensemble des communautés mais
à des cohérences qui s'actualisent dans le présent bien
que sur des distances très longues. La distance et le temps semblent
être les maîtres mots des migrants indiens, élaborant tout
un jeu de va-et-vient, d'allers et de retours à la fois spatiaux mais
aussi temporels entre la France et l'Inde
1) Une présence
ambiguë :
« Pour avoir une véritable diaspora, le
simple fait de la dissémination ne suffit pas. Les spores envoyés
sur un terrain fertile peuvent prospérer mais si les plantes restent
isolées au milieu de forêts étrangères, elles
perdront rapidement leur spécificité »108(*).
La diaspora indienne est présente à la fois dans
l'ici et dans l'ailleurs, elle est un être ensemble
unitaire, c'est-à-dire qu'elle unifie à la fois le temps et
l'espace. Cette présence ambiguë, malgré des espaces rendus
disjoints par la dispersion, prend tout son sens dans la logique de
réseaux, de continuité et par les nouveaux moyens d'information
et de télécommunication. Cette double présence transcende
l'éloignement géographique entre la France et l'Inde. C'est le
concept de réseau (présent au coeur de la diaspora indienne avant
les NTIC) qui permet la préservation, une survie historique atemporelle
des spécificités culturelles des groupes de migrants formant la
communauté indienne de France.
Les NTIC placent la relation au monde sous le signe de
l'instantanéité et de l'ubiquité, Le rapport global des
communautés indiennes au réel se modifie sous l'effet des
représentations associées au développement de ces
technologies (emblèmes de la surmodernité ou de la
radicalisation de la modernité). Les NTIC permettent la mise en
place d'une culture du lien entretenue dans la mobilité.
En effet, la révolution des communications et des
moyens de transport fait de la maîtrise de l'espace une dimension
fondamentale en réduisant le rapport entre le temps et la distance
parcourue. Il est d'autant plus important qu'on parvient à se
détacher du temps. Ce temps est d'ailleurs de l'ordre de l'instant dans
le cas d'Internet.
La révolution des télécommunications et
dans notre cas : Internet et le satellite ont pratiquement réussi
à rendre potentiellement l'espace indépendant du temps.
Cette transformation à des conséquences notables
sur les migrants indiens : le maintien d'un lien malgré la
distance. Lien qui se renouvelle quotidiennement avec le pays que ce soit avec
la vie économique, politique ou culturelle, il ne suffit pour ce faire
qu'à s'engager sur la grande autoroute du web. Entre soi et l'Inde un
simple « clic » fait basculer l'individu sur un forum de
discussion élaborant des contacts avec des
« cyberindividus », ou lui permet de lire le New Indian
Express ou encore d'assister aux dernières nouveautés musicales
et télévisuelles de son pays d'origine ; le tout en ligne et
en temps réel.
La messagerie électronique, le portable, le satellite,
la vidéo, la radio désormais permettent de rester en contact dans
l'ici avec l'ailleurs et contribuent à la disparition
de l'espace. Les migrants indiens sont simultanément présents ici
et là-bas, établissant une certaine coprésence
virtuelle.
C'est surtout la messagerie électronique, les
communications par e-mail qui participent à l'élaboration
à cette coprésence virtuelle. « Partager des
banalités, la routine et les activités communes de la vie
quotidienne, accroît le sentiment d'appartenir à une
communauté et amplifie la perception d'un partage »109(*).
Toutefois, même si ces technologies ne sont pas
accessibles à tous d'une manière privative, l'ensemble de la
communauté peut en jouir par l'intermédiaire d'une personne
interposée (à la source de nouvelles sociabilités,
consolidant l'entre-soi communautaire). Il faut arrêter de croire
qu'Internet n'est disponible que pour une élite mondialisée. Le
faible coût des communications, la multiplication des browsing
centre et des accès subventionnés par les instances
publiques (dans les bibliothèques par exemple) permettent d'entretenir
un lien symbolique qui peut rattacher les familles de migrants indiens à
ce qu'elles vivent comme terre d'origine : « Le passé
inscrit dans les corps n'est plus présent que dans une autre partie,
lointaine, de l'espace. Tout ce qui peut actualiser ce passé et
réduire l'espace est bienvenu »110(*).
Mais, il ne faut pas tomber dans l'excès, dans
l'euphorie. Les NTIC ne transmettent qu'une simple information codée. A
l'inverse, l'information tacite nécessite de la proximité
physique, de la contiguïté, une certaine coprésence,
d'où une concentration communautaire, l'élaboration d'un espace
de l'entre-soi à la Chapelle. En effet, certaines informations ne
peuvent s'affranchir de la distance et nécessitent une certaine
concentration d'abord pour l'acquérir mais aussi pour la
sélectionner, il en est ainsi (à l'instar des grandes entreprises
qui se concentrent dans les plus grandes agglomérations, malgré
la révolution des NTIC, pour partager l'information) des instances de
socialisation que ce soit la sphère religieuse ou encore l'école
et du commerce. Malgré une organisation de la diaspora en réseau,
les migrants indiens ne peuvent s'affranchir d'une concentration, d'une
territorialité dans l'ici, garantie de leur reproduction. L'information
n'a pas de sens en elle-même, elle nécessite un processus qui
engage un ou plusieurs émetteurs et récepteurs. Les informations
échangées n'ont pas toute la même
propriété : certaines sont assez répétitives
et circulent sous une forme accessible à tous (information
codée), d'autres nécessitent le dialogue, la coprésence
(informations tacites). Car la compréhension en est plus
délicate ; il faut préciser, interpréter. Ces
échanges tacites ne peuvent se faire que dans un face à face et
passent donc difficilement par les nouveaux moyens de communication.
Cette différenciation information tacite/information
codée peut expliquer aussi la dissociation des espaces des migrants
indiens de Paris entre lieu de commerce et lieu d'habitation.
Comme nous l'avons dit précédemment, les
migrants indiens, Sikhs ou Tamouls, sont principalement installés dans
les communes de la banlieue parisienne (particulièrement à Bondy,
Aubervilliers, Drancy et dans l'Est pour les Sikhs, et à Noisy le Grand,
Montreuil, Nanterre, Garges-lès-gonesse pour les Tamouls), donc dans une
situation périphérique qui tranche avec la situation de
centralité de la Chapelle.
Il ne s'agit pas là d'une opposition
centre/périphérie mais bien celle entre information tacite et
information codée. Les différents groupes indiens
éclatés géographiquement dans leur installation
domestique, dans l'ensemble de la couronne Nord périurbaine de Paris
(pour des raisons aussi de coûts du foncier), pour acquérir
l'information codée, divulguée par Internet, par le satellite ou
encore par les conversations téléphoniques (que cela soit par
réseau câblé ou par satellites) ne nécessitent pas
de jouir d'une position de centralité, donc de concentration. A
l'inverse, l'information tacite nécessite la concentration que seule une
position de centralité et d'accessibilité peut offrir
malgré les coûts de transport pour s'y rendre. La Chapelle
apparaît comme un lieu de confiance, d'échange, de face à
face pour les tamouls, où s'échange un autre type d'information
que celui divulgué par le biais des NTIC. Il ne s'agit plus de
télévision, de cinéma, de prétention politique mais
de fonder un vivre ensemble, un projet que seul la proximité physique
rend efficace.
Les NTIC permettent aussi de développer des formes
alternatives de communication, de représentation et d'imagination dans
lesquelles la communauté indienne à sa place, à l'inverse
des médias français.
C'est ainsi que diverses chaînes de
télévision à « valeur communautaire »
diffusées par le satellite ont fait leur apparition. En effet, de
nombreux réseaux ont vu le jour en direction des populations vivant
à l'étranger tel que Doordarshan. Après des
débuts en langue tamoule, ce réseau diffuse des programmes dans
l'ensemble des langues du sud de l'Inde : Surya (en Malayalam),
Udaya (en Kannada), Gemini (Telugu), Sun News
(Tamoule), SS Music (une chaîne musicale pour l'ensemble de
l'aire dravidienne) et KTV (Tamoule).
2) Une communauté
transnationale ?
Si les NTIC permettent d'entretenir un lien avec l'Inde,
d'élaborer une double présence, celles-ci conduisent aussi
à des reconstructions d'ordre identitaires mais aussi d'ordre sociales
pouvant aboutir à une modification de la culture et donc à une
perte de le spécificité des migrants indiens installés en
France.
« La question particulière porte sur le fait
de savoir ce qu'il en est de notre rapport au réel quand les conditions
de la symbolisation changent »111(*).
Les cultures sont réceptives aux influences
extérieures (en un sens toutes les cultures ont été et
sont des cultures de contact), or les changements qui affectent la
communication et l'image sont des changements présentés le plus
souvent comme culturels. Si nous considérons la culture comme
étant vivante, en perpétuelle renégociations, le
contact, la mise à l'épreuve de l'autre sont plutôt
l'occasion d'une vérification ; quelles sont les réactions
de la culture en contact ?
Les NTIC portent ce contact dans le domaine de l'instant,
ainsi, la communication en ligne conduit-elle à un renforcement de la
cohésion du groupe (mais cette fois-ci à l'échelle de
l'ensemble diasporique) ou au contraire à une atomisation des individus
(l'individu se détachant de l'attraction de la communauté par le
biais du lien virtuel rendu possible par Internet et plus
particulièrement par la messagerie électronique), à une
perte de spécificité culturelle ?
Cette interrogation est d'autant plus pertinente que l'effet
premier de la révolution des communications est de fondre le local dans
le global. La dimension temporelle maîtrisée par
l'instantanéité offre une continuité aux espaces disjoints
que sont les différentes localisations de la diaspora. Les NTIC
permettent dès lors d'orchestrer un bouleversement scalaire :
« le monde est dans le lieu, le lieu est dans le monde [...]
Fulgurance scalaire où le local saisit le global en même tant
qu'il est saisit par lui »112(*).
Cette modification scalaire est entretenue par les relations
qui se tissent entre les différents pôles de la diaspora indienne
(France, Royaume-Uni, Afrique australe et orientale, Mascareignes...)
déterminant à la manière des grandes firmes un
caractère transnational à la communauté indienne.
Caractéristique que les NTIC ne font qu'amplifier et permettent
d'entretenir une conscience de la dispersion en temps réel, le monde
devenant territoire de la diaspora indienne.
Mais, c'est pousser trop loin le raisonnement. Même si
les NTIC permettent un rétrécissement scalaire et une certaine
continuité temporelle, la conscience identitaire de la communauté
indienne en France s'effectue par des efforts inouïs pour maintenir un
lien avec la terre d'origine (malgré la dispersion). Les NTIC mettent au
goût du jour la question des niveaux pertinents d'appartenance à
une seule communauté et leur articulation : le local (l'entre-soi
communautaire de la Chapelle), le régional (la France) et le global.
Cette dimension de l'articulation des échelles englobe la question de
l'unité des différentes communautés indiennes. Car le lien
en France par exemple est évident entre la communauté tamoule et
sa terre d'origine (lien qui lui permet d'ailleurs de jouir d'avantages
comparatifs pour les commerces qu'elle entretient à la Chapelle), mais
il devient plus flou entre cette même communauté et celle d'un
autre pays d'accueil. De même, quels liens entretiennent les
différents groupes constitutifs de la diaspora issue du monde
indien ? Ces liens nécessitent une territorialisation tangible
elle-même modulable en fonction des groupes présents en France.
Ainsi, des Pondichériens arrivés dans les années 1950
cohabitent avec des Sikhs, des réfugiés Bangladeshi, des
exilés Pakistanais ou Sri-lankais (ces deux derniers groupes
majoritaires ont débarqué en masse à Paris dans les
années 1970-1980, à défaut de rejoindre Londres,
fermée aux flux migratoires par la nouvelle législation de
Margaret Thatcher) ; tandis que certains transforment leur quotidien en
little Jaffna, élisant une Miss India France, d'autres
crée leur little islamabad (les Pakistanais, estimés
à 40 000 commercent autour de la gare de l'Est, vers la rue Jarry,
« semblable à une rue de Karachi, avec ses barbiers, ses
vidéoclubs et ses snacks, où défilent en boucle des clips
en ourdou »113(*)).
Ainsi, « une diaspora n'est pas un construit social,
elle est une somme : celle des membres dispersés de la population
considérée »114(*). Une situation commune ne suffit pas à
créer une conscience commune. La diaspora ne jouit donc pas pleinement
d'un caractère transnational, sinon de manière virtuelle.
3) Une continuité pour
les voyageurs de l'Inde.
Les migrants originaires du monde indien, installés en
France expriment une continuité à la fois dans le temps, au
travers des génération, mais aussi spatiale, par les liens qu'ils
entretiennent avec leur terre d'origine (continuité spatiale on l'a vu
qui s'affranchit du temps par le biais des NTIC).
Ces migrants sont aussi les médiateurs et les garants
d'une continuité à deux visages pour les voyageurs de l'Inde. En
effet, l'entre-soi communautaire tamoul de la Chapelle, expression la plus
visible de cette continuité entre la France et l'Inde, fournit des
moyens importants aux voyageurs de l'Inde (commerces, loisirs, centres divers)
de pouvoir se replonger dans cet univers onirique.
D'abord par l'intermédiaire des défilés
et des fêtes organisés par les temples hindous et les associations
franco-indiennes mais aussi par l'ensemble des pratiques exercées
à la Chapelle. Sans attendre la création du futur centre culturel
indien de Paris (à l'initiative de la FAFI), les manières de
s'immerger dans l'Inde sont multiples à l'instar des centres
d'apprentissage de bharata natyam (notamment ceux de Mandapa et de
Soleil d'or), ou ceux dédié à l'ayurveda (qui
englobe médecine, cuisine et diététique) comme celui de
Tapovan, ou encore par la pratique de hatha-yoga (qui comptabilise douze clubs
dans le quartier).
Puis, cette immersion de type indirecte s'effectue
principalement par la dimension commerciale du quartier de la Chapelle.
Commerces qui permettent d'établir un certain prolongement entre la
France et l'Inde et de retrouver des référents. Ce
peut-être les magasins de saris, de pashminas du Cachemire, de tuniques
de Khadi, ou encore de voiles multicolores du Kérala qui peuvent en
être l'intermédiaire. Ou encore les cinémas indiens du
quartier, les vidéoclubs (particulièrement Bollywood
Paris), les restaurants ou encore les ateliers du Musée Guimet.
Mais c'est surtout la présence d'une
altérité, d'une étrangeté qui confère
à ce quartier, à ce microcosme une image si particulière
que les voyageurs de l'Inde viennent retrouver.
Enfin, cette continuité qu'entretient la diaspora en
France est un élément d'instrumentalisation à la fois de
la part de la communauté mais aussi de la part de la
société d'accueil. Celle-ci s'effectue d'une part par une mise en
valeur touristique voir exotique qui sert de support à la publication de
guides d'itinéraires de « voyage urbain » (tel que
Les indes à Paris de Royer) mais aussi d'une manière
cinématographique, par exemple le film du réalisateur Vijay
Singh, One Dollar Curry, à pour toile de fond le quartier de la
Chapelle d'autre part.
Ainsi, les diverses communautés de migrants indiens
installés en France favorisent l'émergence d'un accès
à l'ailleurs pour les voyageurs de l'Inde. Ailleurs qui se prête
à la nostalgie et aux ambiances de la Chapelle.
CONCLUSION
Voyageurs de l'Inde et populations
diasporiques indiennes ou d'origines indiennes installées en France
métropolitaine ont pour trait commun le même
bassin de références identitaires et symboliques. Ces deux
groupes de population migrante se posent dans des catégories et des
conditions différenciées, mais dans tous les cas l'imaginaire
sert de biais à une construction territoriale où l'enjeu cognitif
et réflexif de l'Inde en est la pierre angulaire. Et plus largement,
c'est une nouvelle interspatialité qui se fait jour mêlant
transformations scalaires (ou plutôt inclusion d'espace
par transformation scalaire), interface entre l'Inde et la France dont les
synapses sont l'imaginaire, les NTIC (particulièrement Internet),
l'identité et la culture ; et coprésence à la fois
entre ici et là-bas, entre la France et l'Inde mais
aussi entre le passé et l'avenir (en plus de regarder deux directions
opposées).
Ce sont les NTIC qui ouvrent la voie à cette nouvelle
interspatialité.
La réflexivité prend son sens avec les nouvelles
technologies de l'information et des communications, et plus largement avec
l'ère de l'accélération. La mondialisation sous l'aspect
du rétrécissement de l'espace temps impose aux individus de
négocier des choix de style de vie parmi toute une série
d'option. Le projet de vie réfléchie devient un
élément crucial de la structuration de l'identité
personnelle.
Dans les cas des voyageurs de l'Inde, cet enjeu
réflexif se révèle par la mise à jour d'une
identité de moins en moins stable, fluide, voire même flexible se
raccrochant à une existence de l'Inde issue d'une appropriation et d'une
réinterprétation. On assiste dès lors à la
création d'une identité nomade, animée par la
volonté de l'intercultutation, du contact, de la mise en rapport directe
de deux cultures différentes.
Volontiers monstrueuse ou sage, fantastique ou
désolante, l'image archétypale de l'Inde se définit depuis
le Moyen-Âge par deux thèmes particulièrement saillants,
dont perdurent encore aujourd'hui avec une moindre acuité, sinon des
variations : Monstruosités et « sagesses »
(hindouisme et utopies en particulier). Ces images kaléidoscopes
réactivent le paradoxe d'un Occident fasciné et méfiant
devant une Inde insaisissable, onirique issue de l'enchevêtrement des
realia et des mirabelia.
L'Inde n'a donc jamais été découverte
mais sinon au moins inventée et réinventée au fur et
à mesure des évolutions, des attentes des Français. Elle
n'existe qu'au travers de la subjectivation des individus qui se la
représentent et la perçoivent d'une manière non analogue
à la population indienne.
L'imaginaire humain noue d'ailleurs avec ce qu'il imagine une
relation de complicité : lui-même est en partie le produit de
certains territoires humains et sociaux et, donnant naissance à de
nouveaux territoires, s'immerge partiellement en eux, se territorialise comme
par et avec eux. Il y a fusion partielle de ce qui imagine et de ce qui est
imaginé.
Toutefois, les NTIC bouleversent les conditions de circulation
de l'image entre l'imaginaire individuel, l'imaginaire collectif et la fiction.
C'est cette condition de circulation qui forme à la fois l'enjeu
cognitif et réflexif mais aussi cette interspatialité concernant
à la fois les voyageurs de l'Inde et les migrants indiens.
Cet imaginaire motive une double création territoriale
à laquelle on peut lui suppléer des suffixes et des
préfixes. Territorialisation en Inde par la création d'un
entre-soi élaboré en fonction de cet imaginaire pour les
voyageurs français, et inversement, création d'un
micro-territoire en France par les migrants indiens.
Ce micro-territoire de diaspora identifié dans le
mémoire au quartier de la Chapelle à Paris détermine une
reterritorialisation, faite d'imprimés identitaires extraits de la
substance territoriale de l'Union Indienne ; l'arrachement à la
terre natale constitue elle une déterritorialisation. Le processus est
identique pour les voyageurs français de l'Inde mais les étapes
n'ont pas la même signification géographique : la
reterritorialisation en France se fait dans le temps du retour, elle est
animée par la nostalgie et le flou identitaire exercé par l'Inde.
Cette conceptualisation se concrétise par des
modifications en termes d'enjeux et d'impacts de type identitaire et
paysager ; la collusion entre les deux générant une
confrontation de pouvoir et un défi de gestion, de gouvernance locale
mais aussi de développement. Ce risque prend toute son ampleur dans les
étapes de reterritorialisation pour les migrants indiens et de
territorialisation pour les voyageurs de l'Inde, c'est-à-dire lorsqu'il
y a contact culturel.
Tout déplacement quelle que soit sa portée et sa
motivation, nous entraîne sur le territoire des autres,
c'est-à-dire dans un espace produit et approprié, où de ce
fait des conflits de tous ordres peuvent intervenir. Ces conflits proviennent
de la redéfinition des lieux, des phénomènes de
réinterprétation. Bouleversement en terme d'identité, de
référents mais aussi au niveau du paysage. Peu à peu, un
paysage constitué de lieux de « solitude » (ces
espaces d'installation à la circulation accélérée,
ne créant ni identité singulière, ni relation mais
solitude et similitude) se substitue à un paysage vernaculaire à
usage interne servant de codification sociale (les groupes inscrivant dans ce
dernier leur signature sociale).
Le rapport à l'autre est empreint du poids des images,
des stéréotypes générant parfois de
véritables non-lieux dans le cas des circuits touristiques en Inde,
où cette fois, les voyageurs entretiendraient un rapport contractuel
avec celui-ci qui prendrait la forme de ces hôtels standardisées
parfois ornés d'une certaine architecture typée faisant foi d'une
archaïsation du paysage. Les individus ne sont identifiés,
localisées et socialisés qu'à l'entrée ou à
la sortie de ces non-lieux.
D'une autre manière, la création d'espace
d'entre-soi (en Inde pour les français et en France pour les migrants
indiens) ouvre la voie à des rapports conflictuels en terme de pouvoir
mais aussi de gestion. Ces territoires ne s'ancrent pas dans cette
radicalisation de la modernité car ils sont les supports de nouveaux
liens sociaux, d'utopies, ou encore de mémoire mais leur
« écogenèse »115(*) se fait au détriment
d'autres territoires.
Ainsi, sommes-nous capables d'investir des lieux multiples
sans en changer les significations et les signatures sociales,
c'est-à-dire sans générer de plus amples perturbations
identitaires ? L'ampleur et la légitimité de cette
interrogation prenant pied dans la révolution des
télécommunications. D'ailleurs, le virtuel peut-il être un
enjeu de pouvoir en terme d'appropriation ? Pour sûr il permet
d'accroître la confusion des références entre la France et
l'Inde (confusion que la couverture de ce mémoire essaie de
symboliser).
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Sites Internet.
www.fafi.org/index.html
Fédération des associations franco-indiennes.
www.jaia-bharati.org Site de
l'association franco-indienne du même nom.
www.amb-inde.fr Site de l'ambassade
de l'Inde (multiples liens avec des associations indiennes).
www.terredasie.com/Pages/assoinde.htm
Répertoire des différentes associations indiennes de France.
www.tabla.fr.st/ Site
d'apprentissage et de présentation des tablas.
www.pataks.co.uk Site de
l'entreprise Pataks.
www.khalistan.net Portail
d'accueil « the new global reality ».
www.nriol.com
www.indiandiaspora.nic.in/
www.indiandiaspora.nic.in/contents.htm
www.tamilnet.com méta
réseau tamoul.
www.vivaaha.org site sur les divers
mariages hindous.
www.hinduismtoday.org site du
journal « hinduism today ».
www.intamm.com site portail de la
communauté tamoule.
www.thendal.com site d'une station
de radio tamoule, où l'on peut acheter les derniers tubes tamouls.
www.paris.fr Voire en particulier le
journal de la mairie de Paris et le chapitre « invitation au
voyage » qui présente un itinéraire de balade
touristique sous l'angle de « l'exotisme » (selon les mots
de la mairie de paris) entre l'église saint Bernard et la place de la
chapelle.
www.uohyd.ernet.in/sss/cinddiaspora/centre1.html
Centre d'étude de la diaspora indienne, université
d'Hyderabad.
Articles de journaux
Hinduism Today. Diaspora. March-april 2001. En ligne,
www.hinduismtoday.com
Hinduism Today. Special report. April 1997. En ligne,
www.hinduismtoday.com
Perrier, J.L. Little India à Paris.
In : le Monde, 24 octobre 1992.
Ternisien, X. polémique à Paris au sujet d'une
célébration hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.
ANNEXES
ANNEXE 1 : LES SERVICES RELIGIEUX
PROPOSÉS PAR LE TEMPLE.
Ganapati Agni Homam : Rituel et Feu sacré
dédiés au dieu Ganesha. Pour enlever les obstacles sur notre
route, faciliter nos actions et développer nos entreprises.
Skanda Agni Homam : Rituel et Feu sacré
dédié à Skanda (Mourouga, fils de Shiva). En cas de
conflits de justice, Pour être libéré de ses ennemis.
Se fait uniquement au temple. 1316 mantras, la cérémonie
dure 4 heures.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes24.png)
Rudra Agni Homam : En l'honneur de dieu Siva.
Rituel et feu sacré. Protection des personnes, des maisons et des
véhicules. Pour assurer la prospérité des entreprises.
Fait au temple uniquement.
Sri Lalita Sahasranamam : Rituel des 1008 noms
de la déesse avec des fleurs. Pour favoriser l'étude, et en cas
de problèmes familiaux.
Sri Durga Agni Homam : Rituel et Feu
sacré dédié à la Déesse Durga. Pour la
protection et le bien-être de la femme, du couple et des enfants.
L'enfantement, problèmes féminins, maladies infantiles,
éloigne les problèmes puissamment.
Vishnou sahasranamam : Rituel des 1008 noms de
Dieu Vishnou. Pour maintenir, accroître sa prospérité,
payer les dettes, accord de prêts.
Shanti Agni Homam : Rituel du Feu sacré
pour la paix et la fraternité. Active les forces de vie. Prépare
à une vie satisfaisante, heureuse et harmonieuse pour tous.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes25.png)
Lakshmi Agni Homam : Rituel et Feu sacré
dédié à la Déesse Lakshmi. Pour l'abondance
matérielle, la beauté, la prospérité de la famille.
Navagraha Agni Homam : Rituel et Feu
sacré dédié aux neufs planètes. Pour une
intercession auprès des divinités astrales en cas de
période astrologique néfaste.
Mrityounjaya Agni Homam : Rituel et Feu
sacré pour faire disparaître la peur, permettre une vie longue
sans maladie. Rituel puissant fait uniquement au temple.
Bhairava Pouja : Rituel au dieu Bhairava en cas
de maladie de peau, peur, dépression, insomnie, mauvais rêves. Se
déroule au temple uniquement.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes26.png)
Kantishti / panchavarnanoul : Rituel de
protection des personnes par les divinités majeures. Un cordon de 5
couleurs sera attaché au poignet ou au cou. Il y a aussi une amulette
contenant un diagramme magique dessiné sur une plaque de cuivre ou
d'argent pour une protection plus forte et durable. La préparation des
amulettes durera une semaine avant qu'elles soient nouées sur les
personnes. Protection contre le mauvais oeil, la malchance, la jalousie etc.
Pour les sacrements, l'astrologie et les fêtes mensuelles,
merci de vous renseigner auprès du Président du Temple.
Source : publication du temple en ligne sur internet.
ANNEXE 2 : LE POIDS DES NTIC DANS LA DIFFUSION DE
L'INFORMATION.
Ganesha Tours Paris Thousands of Hindus who
have immigrated here from Sri Lanka participated in the yearly chariot
procession of Lord Ganesha in Paris, held September 10, 2000, near the Sri
Manicka Vinayakar Alayam temple. The massive chariot carrying Lord Ganesha
departed the temple on its six-hour journey starting at 8am. It was pulled
through crowded streets by a dozen bare-chested men on foot accompanied by the
traditional nagaswaram horn and tavil drum. A leading French
magazine described the event as "a unique open and festive spectacle in Paris
for discovering the oldest religion in the world." France's Sri Manicka
Vinayakar Alayam was founded in 1983 by the current president, V.
Sanderasekaram, whose family founded many Ganesha temples in Sri Lanka.
Hinduism Today, Diaspora, March-april 2001. En ligne.
ANNEXE 3 : L'ENTRE-SOI COMMUNAUTAIRE SOURCE DE RAPPORTS
CONFLICTUELS.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes27.png)
Source: Ternisien, X. polémique à Paris au sujet
d'une célébration hindoue. In : Le Monde, 12 septembre
2000.
ANNEXE 4 : CALENDRIER DES FÊTES HINDOUES
CÉLEBRÉES Á PARIS.
![](inde-enjeu-cognitif-reflexif-etude-voyageurs-inde-populations-diasporiques-indiennes28.png)
Source : Temple Sri Manicka Vinayakar.
TABLE DES DOCUMENTS
Photographie numéro 0 : Photo montage 2
Photographie numéro 1 : Palais du Maharadja de
Mysore 25
Photographie numéro 2 : Temple de Maduraï
28
Photographie numéro 3 : Matrimandir d'Auroville
31
Photographie numéro 4 : Iles Andaman 36
Photographie numéro 5 : Procession à Cochin
51
Photographie numéro 6 : Célébration
d'un mariage 78
Photographie numéro 7 : Huitième grand
défilé 78
Photographie numéro 8 : Gurdwara Sahib 83
Photographie numéro 9 : Vidéoclub de la
Chapelle 97
Graphique 1 : Les touristes Français en Inde,
valeur absolue 41
Graphique 2 : Les touristes Français en Inde,
valeur relative 42
Figure 1 : l'image, un système langagier
23
Figure 2 : Les mécanismes du départ
40
Figure 3 : L'Hindoustan, le centre de l'Inde touristique
44
Figure 4 : les Indes touristiques 45
Figure 5 : Modes d'appréhension de
l'altérité 61
Figure 6 : Trajectoire spatio-temporelle des Indiens
74
Texte 1 : Itinéraire de balade de la mairie de
Paris 99
Tableau 1 : Exportation du cinéma indien en 1996
58
Planche 1 : Une confrontation France-Inde 79
PROJET DE THÈSE
Ce mémoire n'est qu'une étape et s'inscrit dans
un temps long. Même s'il paraît un peu prétentieux de parler
d'un projet de thèse, ce travail avait comme but principal d'entamer la
recherche en termes de conceptualisation (théorisation). Seule une
« étude de terrain » à Paris au quartier de
la Chapelle et des entretiens fournissaient des éléments
concrets à la réflexion.
Il s'agira dans un futur proche de vérifier les
hypothèses proposées (il est donc question de prolonger cet
effort de recherche entamé durant l'année de DEA et d'assouvir en
même temps une passion aigue pour le monde indien). Hypothèses qui
soulignent la formation d'une nouvelle interspatialité en
géographie (après la coprésence, l'interface et la
cospatialité) liée à l'imaginaire et à
l'identité.
L'Inde et la France en sont les exemples donnés, et
seront les supports de la réflexion. Cette interspatialité se
double d'une construction matérielle et idéelle à la fois
en Inde et en France. C'est cet espace d'entre-deux et les entre-soi
consubstantiels à sa constitution (émergeant à la fois
dans l'ailleurs et dans l'ici) qu'il s'agira d'identifier,
d'analyser avec plus de rigueur, de profondeur et de pertinence.
Ce sujet prend toute sa valeur dans notre
contemporanéité où d'une part les images et imaginaires
géographiques sont dans cette révolution informationnelle les
supports d'une deshistoricisation rendue effective par les NTIC (technologies
de l'information et de communication), nous transportant dans le tourbillon de
l'instantanéité et de l'ubiquité, et d'autre part
où l'individu est de plus en plus acteur.
Les NTIC perturbent les conditions de la réalisation de
l'identité en permettant à l'individu et plus
particulièrement aux migrants indiens d'être d'un lieu et de tout
lieu en même temps. C'est cette transformation scalaire qu'il faudra
déterminer avec plus de précision dans un but de
définition des enjeux géographiques et de pouvoir. Car les NTIC
peuvent permettre le repositionnement à la fois identitaire et
imaginaire. Toutefois il ne s'agit là que d'une information
codée. L'information tacite quant à elle nous est donnée
par les multiples formes de la territorialisation.
L'enjeu au coeur de ce projet de thèse sera
d'établir les discriminants de cette territorialité, mais surtout
les bouleversements en terme de paysage, de gestion, d'identité, de
pouvoir et de développement qu'elle engendre.
Car l'émergence des territoires de l'entre-soi
s'affilient à des conflits majeurs. La somme des frictions
interculturelles s'inscrivant dans le paysage, il est donc légitime de
s'interroger sur son contenu.
* 1 Claval, P.
Géographie culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin,
collection U, 2003, 287p.
* 2 Brunet, R ; Ferras,
R ; Théry, H. Les mots de la géographie. France,
Paris : Ed. Reclus - La Documentation Française, 1992, 518p.
* 3 Di Méo, G.
Géographie sociale et territoires. France, Paris : Ed.
Nathan université, 1998, 317p.
* 4 Bruneau, M. Diasporas et
espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection
Anthropos, 2004, 249p.
* 5 Airault, R. Fous de
l'Inde. Délires d'occidentaux et sentiment océanique.
France, Paris : Ed. Payot & Rivages, 2002, 240p.
* 6 Amirou, Rachid.
Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. France,
Paris : Ed. PUF, La sociologie, 1995, 281p.
* 7 Brunet, R. Espace,
perception et comportement. In : L'espace
géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Doin, 1974,
p189-204.
* 8 Bonnemaison, J ;
Cambrezy, L. Le lien territorial. Entre frontières et
identité. In : Territoire, Géographie
et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p7-19.
* 9 Bonnemaison, J ;
Cambrezy, L. Le lien territorial. Entre frontières et
identité. In : Territoire, Géographie
et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p7-19.
* 10 Debarbieux, B. Le
lieu, le territoire et trois figures de rhétorique.
In : L'espace géographique, Num2, France,
Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 1995, p97-112.
* 11 Augé, M.
Non-lieux, introduction à une anthropologie de la
surmodernité. France, Paris : Ed. Le Seuil, 1992.
* 12 Bonnemaison, J ;
Cambrezy, L. Le lien territorial. Entre frontières et
identité. In : Territoire, Géographie
et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p7-19.
* 13Ibid.
* 14 La mondialisation repose
notamment sur une survalorisation des différentiels géographiques
et sur des réseaux logistiques où la distance euclidienne devient
une distance en terme de système.
* 15 Giddens, A. Les
conséquences de la modernité. France, Paris : Ed.
L'Harmattan, 1994.
* 16 Claval, P. Le
territoire dans la transition à la postmodernité.
In : Territoire, Géographie et cultures, Num20,
France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p93-111.
* 17 Cet adjectif qualificatif
n'est pas employé ici dans un sens péjoratif.
* 18Dufoix, S. Les
diasporas. France, Paris : Ed. PUF, collection Que sais-je ?
2003, 127p.
* 19 Ibid
* 20 Airault, R. Fous de
l'Inde. Délires d'occidentaux et sentiment océanique.
France, Paris : Ed. Payot & Rivages, 2002, 240p.
* 21 Durand, Gilbert. Les
structures anthropologiques de l'imaginaire. France, Paris : Ed.
Bordas, collection « Dunod », 11ed, 1992, 505p.
* 22 Augé, M.
L'impossible voyage. Le tourisme et ses images. France, Paris :
Ed. Payot et Rivages, 1997, 187p.
* 23 Dardel, E. L'homme et
la terre. France, Paris : Ed. CTHS, 1990, 199p.
* 24 Victor Hugo, preface des
Orientales, 1829.
* 25 Weinberger-Thomas, C
(dir.). L'Inde et l'imaginaire. France, Paris : Ed. EHESS,
collection « Purusartha », 1988, 281p.
* 26 Historien et
médecin grec, auteur de Indika.
* 27 Historien et
géographe grec qui fut envoyé par Séleucos Nicator
auprès du roi indien Chandragupta et a rapporté sur ces
régions un des plus grand témoignage de l'époque.
* 28 Vincent, R (dir.).
L'aventure des français en Inde, XVII-XX siècle. India,
Pondicherry : Ed. Kailash, 1995, 240p.
* 29 Roger, A. Histoire
d'une passion théorique ou comment on devient un rabiolot du
paysage. In : Cinq propositions pour une
théorie du paysage. France, Paris : Ed. Champ vallon, 1994,
122p.
* 30 Description de Kodaikanal,
in Guide du routard. Inde du Sud. France,
Paris : Ed. Hachette Tourisme, 2003, 419p.
* 31 Giddens, A. Les
conséquences de la modernité. France, Paris : Ed.
L'Harmattan, 1994.
* 32 Hall, E-T. La
dimension cachée. France, Paris : Ed : Seuil (pour la
traduction française), 1971, 254p.
* 33 Champion, c.
L'imaginaire tropical: le paysage indien dans les romans populaires
français, 1860-1920. In : Weinberger-Thomas,
C (dir.). L'Inde et l'imaginaire. France, Paris : Ed. EHESS, collection
« Purusartha », 1988, p91-123.
* 34 Film Franco-anglais de
Roland Joffé (1992), adapté du livre de Dominique Lapierre.
* 35 Film Franco-indien (1988)
de Mira Nair, interprété par des enfants des rues de Bombay.
* 36 Franck, M.
Désir d'ailleurs. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1998,
320p.
* 37 Affergan, F.
Dépaysement. In : Affergan, F. Exotisme
et altérité. France, Paris : Ed. PUF, 1987, p27-132.
* 38 Guide du routard. Inde
du Sud. France, Paris : Ed. Hachette Tourisme, 2003, 419p.
* 39 De comparaisons, à
la manière de Mircea Eliade : « Parfois je me joignais
à un groupe pour deux ou trois jours, afin d'aller à Ghoum
visiter l'un des monastères bouddhistes, ou pour aller contempler
à l'aube, depuis la colline de Tigu, la cime blanche et nacrée de
l'Everest qui se dressait 200km plus à l'ouest. [...] Quand parfois il
faisait froid et qu'il y avait du brouillard, j'avais l'impression de retrouver
le ciel des Carpates. »
* 40 Dans le dépliant
Jet tours, hiver 2003/2004.
* 41 Landy, F. Le tourisme
en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In :
l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993,
p92-102.
* 42Landy, F. Le tourisme
en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In :
l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993,
p92-102.
* 43Garland, A. La
plage. France, Paris : Hachette littérature, 1998, 545p.
* 44Lonely planet, South India,
2003.
* 45Routledge, P. Consuming
Goa. Tourist site as dispensable space. In : Economic and
political weekly. India, Delhi. 2000, p2647-2656.
* 46 Segalen, V. Essai sur
l'exotisme, une esthétique du divers. France, Paris : Ed. Fata
Morgana, 1978, 91p.
* 47 Berque, A (dir.). Cinq
propositions pour une théorie du paysage. France, Paris : Ed.
Champ vallon, 1994, 122p.
* 48 Lenoir, F. L'Orient
intérieur. In : Lenoir, F. La rencontre du
bouddhisme et de l'occident. France, Paris : Ed. Fayard, 1999,
p347-354.
* 49 Cériani, G ;
Knafou, R ; Stock, M. Les compétences
cachées du touriste. In : Voyage migration
mobilité. France, Paris : Ed. Sciences humaines, mensuel, NUM 145,
janvier 2004, p28-30.
* 50 Landy, F. Le tourisme
en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In :
l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993,
p92-102.
* 51 Selon l'expression
utilisée dans les brochures détaillées des voyagistes.
* 52 Landy, F. Le tourisme
en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In :
l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993,
p92-102.
* 53 Castells, M. Les
paradis communautaires ; identité et sens dans la
société en réseau. In :
L'ère de l'information-le pouvoir de l'identité. France,
Paris : Ed. Fayard, Tome 2, 1999, p15-88.
* 54 Eliade, M. Sur
l'érotique mystique indienne. France, Paris : Ed. L'Herne,
collection « Confidences », 1997, 104p.
* 55 Amirou, Rachid.
Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. France,
Paris : Ed. PUF, La sociologie, 1995, 281p
* 56 Selon le Tourism of India
Department.
* 57 Chenet, F. La
philosophie indienne. France, Paris : Ed. Armand Colin, collection
synthèse, 1998, 96p.
* 58 Augustin, J-P ;
Malaurie, C. Le territoire-monde du surf -diffusion, médias et
énonciation. In : Géographie et culture. France,
Paris : Ed. L'Harmattan, Num21, 1997, p119-130.
* 59 Son origine remonte au
XVII siècle. Il est composé de deux fûts, un tambour
mâle, le tablâ ou dahina et un tambour femelle,
le bâyan, bâya ou dagga, accordé une
octave plus bas. Une pâte composée de farine et de poix, est
appliquée au centre de la peau pour former une pastille noire, la
shyahi, permettant de varier la tonalité rendue lors de la
frappe. Généralement, le tablâ est en bois de
rose, de jacquier ou de teck alors que le bâyan est en
métal, laiton ou cuivre (parfois argile).
* 60 La pochette ici associe
représentation de l'hindouisme, calligraphie indienne et le titre en
rapport avec bollywood. Mais l'ensemble du syncrétisme est toujours
recentré sur Marseille (en arrière plan Notre Dame de la Garde et
le titre : la sauce aïoli).
* 61 Darré, A. Musique
et politique. France, Rennes : Ed. Presses Universitaires de Rennes,
collection RES PUBLICA, 1996, 321p.
* 62 Claval, P.
Géographie culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin,
collection U, 2003, 287p.
* 63 « La
volonté d'authenticité ne se construit pas dans le vide, il lui
faut un horizon, qui en l'occurrence sera une référence
culturelle ». De Labarre, M. Modernité et
alimentation : vers une acculturation culinaire.
In : Corbeau, J-P. Cuisine, alimentation,
métissage. France, Cesson-Sévigné : Ed. Bastidiana,
NUM31-32, Dec 2000, p77-88.
* 64
www.pataks.co.uk
* 65Vinsonneau, G.
L'identité culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin/VUEF,
collection U, 2002, 234p.
* 66 Leray, C ;
Molinié, M. Le voyage à l'étranger : un
déplacement formateur. In : Malewska,
H ; Sabatier, C ; Tanon, F. Identité, acculturation et
altérité. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 2002,
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* 67 Di Méo, G.
Géographie sociale et territoires. France, Paris : Ed.
Nathan université, 1998, 317p.
* 68 Augé, M.
Non-lieux, introduction à une anthropologie de la
surmodernité. France, Paris : Ed. Le Seuil, 1992.
* 69 Di Méo, G.
Géographie sociale et territoires. France, Paris : Ed.
Nathan université, 1998, 317p.
* 70 Raffestin, C.
Ecogénèse territoriale et territorialité.
In : Auriac, f et Brunet, R (dir.). Espace, jeux et
enjeux. France, Paris : Ed. Fayard, 1986, p173-185.
* 71 Giddens, A. Les
conséquences de la modernité. France, Paris : Ed.
L'Harmattan, 1994.
* 72 Raffestin, C.
Ecogénèse territoriale et territorialité.
In : Auriac, F et Brunet, R (dir.). Espace, jeux et
enjeux. France, Paris : Ed. Fayard, 1986, p173-185.
* 73 Fibbi, R ; Meyer,
J-B. Le lien plus que l'essence. In : Diasporas,
développements, mondialisations. Autrepart. France, La tour
d'Aigues : Ed. de l'Aube, IRD, 2002, p5-22.
* 74 Chivallon, C. Repenser
le territoire à propos de l'expérience antillaise.
In : Territoire, Géographie et cultures, Num20,
France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p45-54.
* 75 Chivallon, C. Cité
dans : Bruneau, M. Diasporas et espaces transnationaux. France,
Paris : Ed. Economica, collection Anthropos, 2004, 249p.
* 76 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 77
www.indiandiaspora.nic.in/
* 78
www.nriol.com
* 79 Bruneau, M. Peuples-
monde de la longue durée : Grecs, Indiens, Chinois. In :
L'espace géographique, Num3, France, Montpellier : Ed.
Belin-Reclus, 2001, p193-212.
* 80 Hovanessian, M. Les
Arméniens et leurs territoires. France, Paris : Ed. Autrement,
1995, 173p.
* 81 Bruneau, M. Diasporas
et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection
Anthropos, 2004, 249p.
* 82 Gentelle, P. Haut
lieu. In : L'espace géographique, Num2,
France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 1995, p135-138.
* 83
www.tamilnet.com
* 84
www.intamm.com
* 85
www.thendal.com
* 86 Bruneau, M. Diasporas
et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection
Anthropos, 2004, 249p.
* 87Selon les estimations
données par
www.sikh.net
* 88 Sorte de Bible de
1 430 pages contenant l'enseignement de Gourou Nanak et des autres
Gourous.
* 89 Désirant mettre fin
aux conflits fréquents entre hindous et musulmans, il voulut faire en
quelque sorte une synthèse de l'islam et de l'hindouisme. Il lutta
contre les excès et les injustices de la caste des brahmanes et contre
le sectarisme musulman, et entreprit de propager une nouvelle religion à
base de monothéisme et de tolérance universelle. Il
s'établit comme le grand gourou de cette nouvelle religion. Né
hindou, Nanak croyait à la transmigration des âmes mais pas
à l'intouchabilité. Il répudiait les propos de
mépris de beaucoup d'hindous de caste à l'égard des
parias.
* 90 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 91 Insee : La situation
démographique en 1999 - Mouvement de population. Mariages mixtes et
mariages entre étrangers par nationalité du conjoint.
* 92 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 93 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 94 Hinduism Today. Special
report. April 1997. En ligne,
www.hinduismtoday.com
* 95 Ibid
* 96 Perrier, J.L. Little
India à Paris. In : le Monde, 24 octobre
1992.
* 97 Tony Dreyfus, maire PS du
dixième arrondissement, cité dans : Ternisien, X.
polémique à Paris au sujet d'une célébration
hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.
* 98 Hinduism Today. Special
report. April 1997. En ligne,
www.hinduismtoday.com
* 99 Robuchon, G. Pratiques
sociales et pratiques religieuses des Tamouls au Sacré Coeur de
Paris. In : Piault, M-H. Vers des
sociétés pluriculturelles : études comparatives et
situation en France. France, Paris : Ed. ORSTOM, 1987, p332-336.
* 100 Hinduism Today. Special
report. April 1997. En ligne,
www.hinduismtoday.com
* 101 L'origine du nom
Bharata Natyam provient de Bharata, le nom indien de l'Inde
et de natyam, le mot tamoul pour danse. Les gouverneurs britanniques
désapprouvaient cette forme de danse car les seules femmes qui la
pratiquaient étaient les devadasis, appelées "spécialistes
des rituels du temple" ce qui ne trompait pas les Anglais, car en fait, leur
spécialité était de prendre soin des besoins charnels des
fidèles masculins, soit une forme de prostitution ritualisée. Les
Britanniques interdisent, d'ailleurs, le système des devadasis
en 1925. Une femme, Shrimati Rukmini Devi Arundale,
élève alors le Bharata Natyam en une forme d'art,
déconnectée de son passé controversé. Elle fonde
l'école Kalakshetra dans la périphérie de Madras
(aujourd'hui Chennai) pour l'enseigner et pour favoriser
l'étude d'autres formes de l'art indien comme par exemple la musique.
C'est une danse en solo, dans le style lasya, féminin et
gracieux, par opposition au style tandava masculin.
* 102 www.paris.fr
* 103 Ternisien, X.
polémique à Paris au sujet d'une célébration
hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.
* 104 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 105 Raulin, A. Commerce
et inter-ethicité : les affinités culturelles.
In : Piault, M-H. Vers des sociétés
pluriculturelles : études comparatives et situation en France.
France, Paris : Ed. ORSTOM, 1987, p301-306.
* 106 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 107 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 108
Prévélakis, G (dir.). Les réseaux des diasporas.
France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, 444p.
* 109 Georgiou, M. Les
diasporas en ligne : une expérience concrète du
transnationalisme. In : Migrants.com. Hommes et migrations, vol 149, NUM
1240, nov-dec 2002, p10-18.
* 110 Dufoix, S. Les
diasporas. France, Paris : Ed. PUF, collection Que sais-je ?
2003, 127p.
* 111 Augé, M.
Les formes de l'oubli. France, Paris : Ed. Payot et Rivages,
1998, 119p.
* 112 Ma Mung, E. La
diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap :
Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.
* 113 Marco polo, NUM 5, mai
2004.
* 114 Dufoix, S. Les
diasporas. France, Paris : Ed. PUF, collection Que sais-je ?
2003, 127p.
* 115 Raffestin, C.
Ecogénèse territoriale et territorialité.
In : Auriac, F et Brunet, R (dir.). Espace, jeux et
enjeux. France, Paris : Ed. Fayard, 1986, p173-185.
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