La participation de la femme à la vie politique au Tchad:1933-2003( Télécharger le fichier original )par Eugène Le-yotha Ngartebaye Université Catholique d'Afrique Centrale - Maîtrise en Sciences Sociales option Sciences Juridiques et Politiques 2003 |
Sigles et abréviationsAEF : Afrique Equatoriale Française AFJT : Association des Femmes Juristes du Tchad CCFAN : Conseil de Comite des Forces Armées du Nord CEFOD : Centre de Formation pour le Développement CELIAF : Cellule de Liaison des
Associations Féminines CNS : Conférence Nationale Souveraine CSM : Conseil Supérieur Militaire CST : Conseil Supérieur de la Transition FAR : Fédération Action pour la République FROLINAT : Front de Libération Nationale du Tchad FAN : Forces Armées du Nord GUNT : Gouvernement d'Union Nationale du Tchad PSIT : Parti Social Indépendant du Tchad MPS : Mouvement Patriotique du Tchad PPT/RDA : Parti Progressiste Tchadien/section du Rassemblement Démocratique Africain UDT : Union Démocratique Tchadien UNIR : Union Nationale pour l'Indépendance et le Révolution UDR : Union pour la Démocratie et le Renouveau URD : Union pour le Renouveau et la Démocratie UNDR : Union Nationale pour la Démocratique le Renouveau REFEMP/T : Réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad Glossaire Ø Azouma,djoukournouma : Mots issus de l'arabe tchadien qui désigne les activités de commerce organisées par les femmes Ø Koundjarambadje : Mot issu du parler ngambaye qui signifie la poule qu'on offre aux visiteurs. Ici, utiliser dans son sens figuré pour designer les femmes aux moeurs légères Ø Mad-gnon : Mot Sara ; traduit littéralement par «donner aux termites», utilisé dans le mémoire dans son sens figuré pour désigner les « femmes libres » Ø Ana mara sakit : Mot issu de l'arabe tchadien signifiant « je suis une femme seulement », employé par les femmes pour leur autoévaluation Ø Ma i dian ngoye : Mot Sara madjingaye équivalent de ana mara sakit. Ø Taama bei : Mot gorane équivalent de ana mara sakit. LISTE DES ANNEXES Annexe Guided'entretien...........................................................i Annexe II : Liste des femmes parlementaires....................................iv Annexe III : Liste des femmes membres du Gouvernement................viii Annexe IV : Quelques figures politiques féminines.............................xi INTRODUCTION GENERALELa conquête des libertés, la reconnaissance et le respect des droits des individus ne s'obtiennent pas sans heurt. Les guerres furent et demeurent nécessaires pour triompher des tyrannies. Les révolutions ont coûté d'innombrables vies humaines aux nations qui se sont soulevées pour parvenir à leur indépendance, ou aux peuples pour recouvrer leur liberté. Dans ces nations, ou au milieu de ces peuples, les hommes et les femmes ont combattu côte à côte. Toutefois, au moment de récolter les fruits du succès si durement acquis, les femmes ont été parfois privées de la récompense pour leur participation à ces différentes épreuves, ou exclues des honneurs de la victoire à laquelle elles avaient contribué. Cette discrimination trouve sa justification dans des préjugés, tel que : la femme est naturellement faible pour mener des luttes. Ces préjugés sont fondés sur des mythes et des mensonges que se font les hommes à l'égard des femmes car, comme l'écrit Pierre Bourdieu, « le mensonge à soi même, collectivement entretenu et encouragé ... est, en toute société au fondement des valeurs les plus sacrées et, par là de toute l'existence de la société »1(*). L'hégémonie masculine est pour ainsi dire inscrite dans l'objectivité des structures et dans la subjectivité des structures mentales depuis la nuit des temps. C'est ainsi que dans la cité athénienne, les femmes étaient écartées de la sphère politique sous prétexte que l'idée de « jeu politique» est une activité civile « dérivée » de « l'art de la guerre ». Cette considération de l'incapacité politique des femmes se trouve aussi dans la philosophie d'État absolutiste conçue comme « Res Publica » d'Aristote. Mais au XVIIème siècle, Diderot se fit l'avocat de l'émancipation féminine et déclare : « dans toutes les coutumes, la cruauté des lois civiles s'est réunie contre les femmes à la cruauté de la nature. Nulle sorte de vexation que, chez les peuples policés, l'homme ne puisse exercer impunément contre la femme »2(*). Ce cri sera relayé par la déclaration de 1789 qui expose au grand jour, au nom de l'universalisme, l'imposture du « contrat unique ». Elle affirme qu'il n'y a pas de pouvoir légitime antérieur ou extérieur à la volonté de la multitude des citoyens ; dès lors l'inclusion des femmes au droit de cité que Condorcet seul ou presque appelait de ses voeux à l'aube de la révolution3(*) devient indispensable. En effet, c'est au lendemain de la révolution française que « l'esclavage marital » fut la cible d'un courant politique qui, de Mary Wollstonecraft et des Jacobins anglais aux Owenistes du XIXème siècle, fera l'autonomie de la femme, la pierre de touche d'une véritable démocratie4(*). Dans le monde comme en Afrique, cette situation de domination, de soumission et de négation de certains droits de la femme n'est pas aussi totale car il y eut des femmes qui se sont illustrées par leur présence (Brunehaut, Jeanne d'Arc) en Occident, tout comme il y eut des sociétés qui étaient gouvernées par des femmes ; on en voudra pour preuve la société Namuliziki en pays Tonga (Zambie), Reine de Saba (en Ethiopie), ou chez les Flup de Casamance (Sénégal)5(*). Consciente de cette place et voulant sortir des préjugés, la femme en Afrique a participé à « l'éveil politique ». Elle avait pris le devant des contestations coloniales : les femmes du Nigeria sur l'appel de l'Oba, fermèrent marchés et boutiques et allèrent manifester devant le bâtiment administratif6(*) ou encore participèrent à des revendications syndicales7(*). Et depuis, avec les tentatives de démocratisation vécues dans de nombreux pays d'Afrique subsaharienne à l'aube des années 1990, les femmes ont également manifesté une forte détermination à s'impliquer dans le champ politique. Mais force est de constater que cette volonté féminine d'investir le champ politique reste émaillée d'embûches en Afrique et plus particulièrement au Tchad. C'est pourquoi, la question qui nous préoccupe pour l'heure n'est plus celle du « pourquoi » les femmes ont toujours été absentes de l'activité politique mais plutôt « comment les femmes arrivent-elles à faire face aux obstacles socioculturels et politiques pour se hisser dans les instances de prise de décisions politiques ? ». En d'autres termes comment s'opère la mise en oeuvre des perspectives favorables à la participation des femmes dans les sphères décisionnelles de l'État ? A- Objet d'étude La question du rôle de la femme africaine et plus particulièrement celle de la femme tchadienne en politique mérite considération aux cotés des débats actuels sur la bonne gouvernance, la décentralisation, la lutte contre le SIDA... etc. Bon nombre d'auteurs se sont penchés sur la participation politique. Mais commençons tout d abord par clarifier le concept politique L'opinion commune s'est toujours divisée sur la valeur qu'il convient d'attribuer à l'activité politique. Pour Aristote, la politique est l'art du commandement social, l'activité pacificatrice permettant à une société divisée de s'ordonner à une fin supérieure. Selon une interprétation plus « vulgaire », la politique est une activité sale, dégradante, renvoyant soit à des `'jeux stériles'', soit à des `'bavardages artificiels'' soit enfin à des `'ambitions effrénées''. L'opinion savante se trouve aussi divisée lorsqu'il s'agit d'apprécier l'aire de la sphère politique. D'un point de vue « restrictif », la politique demeure un comportement singulier de la société distincte des autres activités sociales, assujettie à des buts et des règles spécifiques. Pour la thèse « extensive », par contre, la politique est omniprésente et traverse de part en part la société : « tout est politique », qu'il s'agisse de l'élection d'un Chef d'État, de l'éducation ou des chansons d'un musicien. Outre les considérations énumérées ci-haut, le vocable « politique » n'est pas perçu de la même manière selon que l'on est de tradition anglo-saxonne ou francophone. La langue anglo-saxonne, plus pragmatique que la langue française, dispose de deux termes pour définir la politique. Pour elle, le terme « politic» désigne les « produits » de l'action gouvernementale, c'est-à-dire les programmes, des décisions et d'actions imputables aux autorités politiques : on parlera ainsi de la « politique étrangère du Tchad ou du Cameroun »ou de la « politique culturelle » de Jack Lang par exemple. Et le terme « politics » désigne plutôt les « processus » liés à l'exercice et à la conquête du pouvoir d'État dans une société donnée. Mais dans la langue française, certains auteurs comme Georges Burdeau et Pierre Braud, n'hésitent pas à cultiver l'androgynie : au masculin « le politique » intègre l'ensemble des régulations qui assurent l'unité et la pérennité d'un espace social hétérogène et confidentiel ; au féminin, « la politique » indique la scène où s'affrontent les individus en compétition pour la conquête et l'exercice du pouvoir8(*); ce qui laisse une ouverture pour la participation politique. Mais, que peut-on entendre par « participation politique ? ». Participer c'est prendre part à une action, c'est contribuer soit directement ou indirectement à la construction d'une chose, d'un État, bref d'une société. Et la participation politique signifie l'acte par lequel le citoyen assume et tente d'influencer, directement ou indirectement le cours des affaires publiques dans sa société. Elle suppose une décision consciente et libre de la part du citoyen, de s'occuper de ce qui est censé orienter la vie de tous dans la cité. C'est pourquoi elle se situe à l'opposé de l'apathique c'est-à-dire du citoyen qui néglige de prendre part à la discussion et à la gestion des problèmes de la cité. Pour Huntington et Nelson9(*), la participation politique est une activité opérée par des citoyens privés `'private citizens'' et qui vise à influencer la formation des décisions gouvernementales. Selon MC Closky, la participation politique désigne les activités volontaires par lesquelles les citoyens participent aux sélections des dirigeants, directement ou indirectement, à la formation de l'action publique. Ou encore, elle renvoie comme le soulignent Verba et Nice, à ces activités exercées par des citoyens privés qui visent plus ou moins directement, à influencer la sélection du personnel gouvernemental et/ou des actions qu'il entreprend. Ces différentes définitions de la participation politique proposées par les politologues renvoient à une représentation plutôt qu'à un objet aux contours aisément délimités. Ces définitions supposent un individu, volontaire, visant à travers son action une influence sur le gouvernement. Dans une certaine mesure, la participation politique recouvre en fait un champ qui va de l'action politique à son résultat. Par ailleurs, il importe de ne pas confondre l'étude de la participation politique avec celle de l'accès légal et des conditions d'électorat et d'éligibilité. L'exclusion juridique d'une catégorie n'aboutit pas nécessairement à priver celle-ci d'une influence effective qui peut s'exercer par le biais d'une action indirecte (rôle de nombreuses femmes bien avant l'octroi du droit de vote) ou même d'une activité ouverte (jeunes étudiants non électeurs participant à la vie politique par le canal de l'action syndicale). En sens inverse, l'existence d'une franchise légale ne signifie pas nécessairement que ses bénéficiaires soient en mesure de l'utiliser (cas des noirs aux États-Unis dans les États du Sud).Dès lors, c'est quoi la vie politique ? Saisir la vie politique, c'est opérer une distinction d'avec la société politique ; c'est distinguer le cadre de l'action elle-même. En effet, la société politique est le cadre à l'intérieur duquel s'inscrivent, s'expriment et se développent toutes les relations qui s'établissent entre les hommes, individuellement et en groupe. Elle a vocation pour en assumer la symbiose. A ce titre, on la qualifie de globale - et parfois à la suite de Hegel, `'de civile''- . La vie politique représente l'ensemble des actes de toute nature qui sont accomplis pour permettre le fonctionnement de l'appareil de commandement suprême et régler son orientation. C'est en somme la partie des relations humaines qui touche à l'agrégation autoritaire de la société. Dans cette perspective, la participation des femmes à la vie politique au Tchad traduit l'intervention du citoyen dans le domaine spécialisé des affaires publiques, dans le cas d'espèce à l'assemblée nationale et au gouvernement de 1993 à 2003. B -Contexte d'étude Carrefour où se rencontrent l'Afrique du Nord arabo-musulmane et l'Afrique subsaharienne, le Tchad comme de nombreux pays africains est une création coloniale. Devenu République en 1958, il acquiert son indépendance le 11 août 1960. Il couvre une superficie de 1 284 000 km2 sur laquelle vivent environ 8 000 000 d'individus parmi lesquels on dénombre 52% de femmes, dont la majeure partie vit dans le milieu rural. Sans aucune ouverture sur la mer, le territoire tchadien est entouré par le Soudan à l'Est, la Libye au Nord, le Niger, le Nigeria, le Cameroun à l'ouest et au Sud par la République Centrafricaine. Depuis l'indépendance, le pays est resté, sans discontinuer, en proie à la guerre civile itinérante opposant les pouvoirs centraux successifs à des groupes armés qui cherchent à les renverser. Ceux-ci, le plus souvent, parviennent à leurs fins avant d'être eux-mêmes chassés du pouvoir. C'est donc un cycle infernal de prise violente de pouvoir que le pays a connu depuis à peu près trois décennies. Cette situation de guerre a « militarisé la vie politique » pour ainsi dire, excluant de ce fait la femme de l'activité politique car la redistribution des postes politiques se fait au prorata des moyens mis en oeuvre pour soutenir les rebelles ou sa participation personnelle. L'exclusion des femmes s'accentue aussi par le fait que le vivier producteur des acteurs de la scène politique tchadienne est resté pendant longtemps des chefs traditionnels qui voient leurs fils promus à des rangs de ministres, et en guise de récompense politique pour leur participation à la consolidation et l'instauration de l'administration. A ce contexte de guerre, il faut aussi ajouter le poids des facteurs socioculturels qui fait que les femmes n'apparaissent pratiquement pas dans la sphère publique. Cette situation a eu d'importants effets sur l'éducation, chose qui se ressent aujourd'hui avec le taux d'analphabétisme féminin élevé à 87%. Mais depuis l'amorce du processus de la démocratisation, on assiste à une nette présence féminine dans le domaine public à travers les associations et leur militantisme dans les partis politiques. Au delà de l'avènement du multipartisme, il faut aussi reconnaître le processus de mutations socioéconomiques que connaît le pays et qui a induit des changements sociaux dans le statut de la femme. C'est dans ce contexte où la femme se manifeste de plus en plus publiquement qu'il convient de s'interroger sur les stratégies qu'utilisent ces femmes pour se placer dans les instances de prise de décision. Le champ de l'étude c'est-à-dire l'espace territorial dans lequel se sont déroulées nos investigations est le Tchad, plus précisément N'Djaména. Ce choix s'explique par le fait qu'il s'agit de la capitale politique du pays, siège des institutions politiques et administratives du pays. Par ailleurs, parler de la vie politique au Tchad, reviendrait à évoquer la situation des élus locaux, de tous les responsables politiques du Tchad tout en entier. Il ne saurait en être question ici, car notre projet est de nous limiter à la situation des femmes au niveau du législatif et de l'exécutif. C- Problématique La plate-forme d'action de Beijing insiste sur `'une participation égale des femmes et des hommes à la prise de décision qui établira un équilibre et correspondra mieux à la composition de la société, ce qui est nécessaire au renforcement de la démocratie''10(*). Ce débat sur la participation de la femme au développement en général et politique en particulier est aujourd'hui plus que d'actualité. Au sein des partis politiques, au Gouvernement ou au Parlement, il est désormais question de faire une place à la femme. Ainsi plusieurs acteurs ont abordé la question de la participation de la femme mais beaucoup plus sous l'angle économique. C'est ainsi que Coordonnier analysant les sociétés africaines, arrive à cette conclusion « (...) les travaux relatifs à la production agricole et artisanale seraient dévolus aux hommes, tandis que les femmes se consacraient plus spécifiquement à la transformation et à la commercialisation de ces produits »11(*).Le développement est un processus, qui pour atteindre son apogée nécessite que l'on s'appesantisse sur tous ses aspects : économique, sociologique, historique, politique, etc. C'est pourquoi certains acteurs abordent le rôle de la femme dans le développement sous l'angle de sa participation à la vie politique de sa société. L'approche politique se veut macro-structurelle d'une part et subjective d'autre part. Pour les tenants de l'analyse macro-structurelle, il faut avoir un cadre institutionnel qui permettra à la femme de s'épanouir davantage ; c'est ce qui ressort de l'analyse de Fatou LY Diop, concernant davantage les mécanismes mis en place pour promouvoir une amélioration de statut de la femme dans les différentes sphères de la société12(*). Cette opinion se trouve partagée par Ngadjui Nicolas lorsqu'il fait l'analyse de la participation politique des femmes du Cameroun à travers les textes qui leur sont favorables13(*). Mais il faut reconnaître que le cadre institutionnel présente des limites car il ne permet pas à lui seul d'appréhender la participation politique de la femme. La participation est complexe et fait appel à d'autres facteurs, notamment subjectifs liés à la personne des acteurs. C'est ainsi que Rokhaya Fall voit se dessiner une différence de statut des femmes en fonction de leur état social. Ainsi l'appartenance aux ordres supérieurs place la femme au coeur du dispositif de dévolution et d'acquisition du pouvoir14(*). Dans le même ordre d'idée, Boubacar Barry, en parlant de la « Linguer » et de la « Awo » dans le royaume de « Waolo », fit la remarque suivante : « ayant un entourage nombreux, ces princesses, par leurs fêtes fastueuses qu'elles donnaient, les cadeaux qu'elles faisaient aux nobles à titre de subsides contribuaient et jouaient un rôle important dans la succession du trône »15(*). Mais cette approche subjective reste elle aussi limitée car : · La femme est effectivement au coeur du dispositif du pouvoir : elle n'y est pas en tant qu'actrice mais plutôt en tant que médiatrice ; · La femme participe à la mise en scène, à la théâtralisation du pouvoir, mais surtout de la puissance et de la munificence. La dynamique fictive utilisée participe à l'idiome politique, elle est une manière d'inscrire symboliquement la puissance du pouvoir politique dans la réalité quotidienne. Mais compte tenu des limites que présentent les deux approches énumérées plus -haut, quelle approche conviendrait alors le mieux pour appréhender le problème de la participation de la femme à la vie politique tchadienne ? Tenant compte des limites que présentent les deux approches présentées à savoir macro structurelle et subjective, notre travail consistera à jumeler ces deux approches pour nous permettre de saisir les moyens utilisés par les femmes pour se hisser dans le milieu décisionnel politique, car comme le souligne Aminata Diaw, `'globalement, la question démocratique ne peut trouver, de manière exclusive, une solution dans le montage institutionnel. Elle a à affronter sans détours les problèmes culturels comme la religion, le statut de la femme dans la société qui ont des implications politiques en ce sens qu'ils sont des lieux d'élection de l'autorisation sociale ou de la tradition''16(*) Ainsi, pour pouvoir résoudre le problème posé, il convient d'émettre quelques hypothèses en guise de pré-réponses à notre inquiétude. D -Hypothèses Longtemps écartées de la scène publique en générale et politique en particulier, les femmes, de nos jours, arrivent à investir le champ politique, et cela est lié à plus d'implication des femmes dans la sphère du pouvoir. Cette implication est tributaire d'un contexte socioculturel et politique en pleine mutation, grâce à l'école, au changement de moeurs, à la multiplication des associations et groupements féminins. L'ascension est fonction des facteurs d'ordre personnel c'est-à-dire à l'origine parentale, au statut du mari, à l'importance du rôle joué dans la vie associative, et enfin au charisme de l'actrice. E -Méthodologie Il s'agit de définir notre échantillon, de parler des techniques d'investigations considérées, puis de préciser les modèles d'analyses utilisés pour ce travail. Tout d'abord, avant d'aller sur le terrain, nous avons procédé à une recherche bibliographique dans les villes de Yaoundé et N'Djaména. Dans la première, ces recherches ont eu lieu notamment dans les bibliothèques de l'UCAC (bibliothèque centrale, APDHAC), dans les centres de documentations de la coopération canadienne. Dans la seconde, ces recherches se sont déroulées dans la bibliothèque du CEFOD, au centre de documentation de l'Assemblée Nationale, au centre catholique Universitaire. A partir de nos lectures, nous avons découvert les points de vue de différents auteurs sur notre objet d'étude. C'est alors que nous nous sommes rendues sur le terrain pour effectuer l'enquête. a) L'échantillon « Il est très rare qu'on puisse étudier exhaustivement une population c'est-à-dire en interroger tous les membres : ce serait si long et si coûteux que c'est pratiquement impossible. D'ailleurs c'est inutile : interroger un nombre restreint de personnes, à condition qu'elles aient été correctement choisies, peut apporter autant d'informations ; à une certaine erreur près, erreur calculable, et qu'on peut rendre suffisamment fiable. Le problème est de choisir un groupe d'individus, un échantillon tel que les observations qu'on fera sur lui pourront être généralisées à l'ensemble de la population (...) »17(*). Notre ambition étant d'étudier la participation de la femme à la vie politique tchadienne, il eût été utile et bénéfique d'étudier le cas des actrices de la scène politique tchadienne à savoir : les élus locaux, les ambassadrices, les députés, les ministres, bref toutes les fonctions politiques occupées par les tchadiennes. Mais nos moyens ne nous ont pas permis d'étendre l'étude sur tous le pays, où 'il existe plusieurs femmes qui ont occupé des fonctions politiques; nous nous sommes limité aux femmes ministres et parlementaires. Le choix se justifie par notre souci de recueillir l'opinion des tchadiennes impliquées (ou qui ont été impliquées) dans la scène politique sur l'hypothèse du pari de promouvoir la participation des femmes dans le jeu politique dominé par la présence masculine. Ainsi le travail a porté sur un « échantillon à choix orienté ». Le nombre de personnes interrogées n'a pas été arrêté d'avance, compte tenu des difficultés, de la mobilité des femmes politiques, et du nombre très limité des femmes ministres et parlementaires, notre échantillon ne contient au total que vingt (20) femmes. Le choix de notre échantillon repose sur un critère sélectif dominant qui est l'intérêt accordé à la chose politique et à l'implication de la femme dans l'action politique. b) Les techniques d'investigations La technique d'investigation utilisée pour recueillir les informations est l'entretien semi-direct. Avant d'aller sur le terrain, nous avons élaboré des guides d'entretien qui ont servi à questionner les femmes politiques afin de savoir comment elles sont arrivées en politiques, qu'est- ce qu'elles ont fait pour contourner les obstacles, quels sont les moyens ou les tactiques utilisés pour se hisser dans les milieux décisionnels politiques. Ce guide d'entretien contient d'une part des « questions standards » qui sont introduites au fur et à mesure que l'entretien progresse et, d'autre part des questions libres permettant de relancer le débat ou de le réorienter à chaque fois que la personne enquêtée sort de son véritable sujet. Toutefois, nous accordons plus d'importance à la progression de l'entretien lui-même, l'ordre important peu. Cet entretien est semi-direct en ce sens qu'il n'est ni entièrement ouvert ni canalisé par un grand nombre de questions prévues. Cette méthode appelée semi directe facilite le dialogue et garde toujours ouverte la possibilité d'obtenir des clarifications sur l'un ou l'autre point. Elle offre aussi une certaine liberté, tout en écartant le risque de dispersion. En outre, elle permet d'éviter de passer à côté des points importants abordés de manière spontanée les personnes interrogées. Les attitudes d'hésitations, de doute peuvent être repérées. La méthode a pour but de laisser venir l'interlocutrice afin que celle-ci parle ouvertement dans les mots qu'elle souhaite et dans l'ordre qui lui convient. c) Les modèles d'analyse Pour mieux appréhender la participation politique de la femme au Tchad ; nous allons utiliser des méthodes d'analyses qui permettent d'interpréter les comportements de ces femmes car le domaine politique est très fluctuant et chaque actrice adopte ses propres stratégies. Cela nous conduit au choix de deux modèles d'analyses à savoir : l'analyse systémique et stratégique développée par Michel Crozier et Erhard Friedberg dans `'l'acteur et le système : les contraintes de l'action collective. Il s'agit de modèles qui d'ailleurs se complètent car pour ces auteurs « sans raisonnement systémique, l'analyse stratégique ne dépasse pas l'interprétation phénoménologique. Sans vérification stratégique, l'analyse systématique reste spéculative et, sans stimulation du raisonnement stratégique, elle devient déterministe''18(*). L'homme en tant qu'acteur dans un système détermine, garde dans une certaine mesure une marge de liberté qu'il peut utiliser pour influencer ce système ; d'où sa non adhésion passive aux circonstances et aux règles, c'est ce que Michel de Certeau nomme « l'invention du quotidien »19(*). Pour ce faire, pour qu'une action collective se développe, il faut une opportunité et situation stratégique, un atout commun et une coopération qui permettent l'utilisation d'une opportunité présente et, d'une capacité interactive élevée. Pour le système, Crozier et Friedberg généralisent leur raisonnement dans des processus d'organisation qui se déploient dans des champs d'action les plus divers et qui permettent de structurer, de stabiliser et de régler les rapports entre un ensemble d'acteurs individuels et/ou institutionnels liés par des interdépendances stratégiques autour des problèmes ou d'intérêt commun. Bref, dans ces modèles d'analyses, l'homme est un acteur libre qui vit dans une société, une famille ou une organisation considérée comme un système. Ce système a ses contraintes et obligations et influence les comportements des individus qui, à leur tour, élaborent des tactiques à partir desquelles ils peuvent agir comme le souligne R. Boudon « (...) les système sociales ont une structure. Cette structure fixe (de manière plus ou moins claire et définitive selon les cas) les contraintes sans lesquelles les individus ne peuvent agir (...) »20(*). Le choix de ces modèles s'explique par le fait que le gouvernement et le parlement sont des systèmes bien structurés, organisés et qui ont des fonctionnements propres. Ainsi l'analyse stratégique permet d'appréhender chaque femme, actrice de la scène politique, des stratégies qui, lui permettent d'influencer le système. Les femmes en tant qu'actrice de la scène politique arrivent à mobiliser des atouts insoupçonnables d'où la nécessité de considérer leurs stratégies c'est-à-dire de voir comment elles s'y prennent. Un certain nombre de difficultés se sont posées à nous dans le cheminement de cette étude. D'abord la documentation sur le sujet est presque inexistante au Tchad ; mais il faut reconnaître que de nombreux auteurs ont abordé ce problème sous d'autres cieux. Ensuite durant notre enquête qui a eu lieu en décembre 2003, de nombreuses femmes étaient absentes de N'Djaména soit pour des déplacements personnels soit pour des congés parlementaires. Nous avons travaillé avec celles qui étaient présentes, mais là encore, certaines d'entre elles n'étaient pas disposées à nous recevoir prétextant leurs nombreuses occupations. Malgré tous ces écueils, nous sommes parvenu à étudier le phénomène social de manière objective. Nous avons adressé plusieurs lettres aux femmes politiques pour avoir des informations susceptibles de nous aider à appréhender la question de la participation de la femme dans la politique au Tchad. Nous sommes amené dans une première partie à porter un regard sur la vie politique et les conditions de participation( Titre I) puis a évoquer la femme actrice politique dans une seconde partie (titre II). * 1 BOURDIEU P. dans sa leçon inaugurale au collège de France en 1982 cité par Philippe Braud in Collectif La place des Femmes : enjeux de l'identité et de l'égalité au regard de Sciences Sociales, Paris, Karthala, 1998 P 34 * 2 Diderot, Essai sur le caractère, les moeurs et l'esprit des femmes dans les différents siècles, Paris, Edasserat, 1875-1877, 2 vol. T II PP 258-259 * 3 Condorcet cité par Daniel Hocheclez ; et Cécile Maurice « règles et réalités. Européennes » in Pouvoirs n° 82 /1997 P. 77 * 4 Mary Wollstonecraft « Vindication of Rights of Man, 1971 cité par D. Hochder et C. Maurice op cit. * 5 COQUERY-VIDOVITCH : Les Africaines : histories des femmes d'Afrique noire, XIXè -XXè siècles, Paris Desjonguères. P. 65. * 6 Coquery op. cit. p 263 * 7 SEMBENE O, les Bouts de Bois de Dieu, Paris, presse pock 1990 p. 288 * 8 cf l'article de Grunberg G. « acteurs et comportement politique » in Cahiers français No 276 * 9 GRAWITZ M. & LECA J., Traite de sciences politiques : T3 ; action politique, Paris, PUF, 1985, p76 * 10 Rapport plan d'action des femmes à Beijing 1995. * 11 COORDONNIER Femmes Africaines et Commerce : les revendeuses de tissus de Lomé, ORSTOM Paris, 1982, p.87 * 12 LY DIOP F. , « Bilan des politiques et perspectives sur la problématique des femmes au Sénégal : l'intérêt Culturel et développement en Afrique Noire » , Claude Beauchamp (sous-Dir)Paris, Harmattan, 1997 * 13 NGADJUI N : les droits politiques de la femme au Cameroun, Yaoundé, édition Zaye, nov. 1990 * 14 ROKHAYA F., Femmes et pouvoir dans les sociétés sénégambiennes, commentaire d'histoire, Bamako, 1994 42p * 15 Boubacar Barry, le royaume du Waolo, paris Karthala, 1985, p. 85 * 16 DIAW A .Démocratie et logique identitaire en acte, l'intervention de la politique en Afrique, Dakar CODESRIA, monographie, 1994 p. 13. * 17: GHI GLEONE R.. ; MATALAN B., les enquêtes sociologiques, théories et pratiques, Paris, Armand Collin, p. 29 * 18 CROZIER & FRIELDBERG : l'acteur et le système : les contraintes de l'action collective, Paris, Seuil, 1982 p203 * 19 De CERTEAU M. L'invention du quotidien :les arts de faire , paris, Union générale d'ed.,1980,373 p. * 20 BOUDON R.: Effets pervers et ordre social, paris, PUF, 1997 P 81 |
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