République
Démocratique du Congo
Faculté de Philosophie saint Pierre Canisius
Kimwenza - Kinshasa
FAUTE ET CHATIMENT
ESSAI SUR LE FONDEMENT DU DROIT PENAL
CHEZ FRIEDRICH NIETZSCHE
NTUNGU BAMENGA Rodrigue
Sous la direction MEMOIRE présenté en vue
du Professeur NKETO Lumba de l'obtention du grade de
Dr. en Philosophie Bachelier en Philosophie
KIMWENZA, juillet 2005
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
3
Chapitre 1 :
L'INTENTION DE NUIRE
5
I.1. LE RESSENTIMENT
6
I.1.1. Ou bien le maître est
« bon »
7
I.1.1.1. Machines totalitaires du sadisme
8
I.1.1.2. Langage et pouvoir
10
I.1.2. Ou bien l'esclave est
« bon »
11
I.1.2.1. Vengeance et « justice
privée »
12
I.1.2.2. Soulèvement des esclaves dans la
morale
13
I.2. CRIME, HUMAIN ET INHUMAIN
14
Chapitre 2 :
LA VISEE DU CHATIMENT
16
II.1. LA LOI ET LA PHILOSOPHIE PENALE
17
II.2. LA MATIERE DE LA FAUTE
19
II.2.1. Triple dimension de la faute
20
II.2.1.1. La faute civile
20
II.2.1.2. La faute criminelle
21
II.2.1.3. La faute morale
23
II.2.2. Origine et fonctions du châtiment
26
II.2.2.1. La procédure pénale
26
II.2.2.2. Buts ou fonctions du châtiment
27
II.2.2.3. La rétribution
27
II.2.2.4. La prévention individuelle
28
II.2.2.5. L'intimidation collective
29
II.2.2.6. L'élimination
29
II.3. CHATIMENT ET VENGEANCE
30
Chapitre 3 :
L'INDIVIDU COMME VOLONTE
32
III.1. Les méfaits de tout
châtiment
32
III.2. Zarathoustra et la
« Volonté de puissance »
33
III.3. L'Eternel Retour du Même
34
III.4. Le Surhomme
36
III.5. Droits de l'homme et crimes de guerre
36
CONCLUSION
38
BIBLIOGRAPHIE
40
INTRODUCTION
NIETZSCHE((*)*) savait que sa pensée la plus abyssale
susciterait mille controverses. Le maître du Soupçon est encore
coté trop bas, puisque son discours tente d'introduire un propos
"scandaleux". En ce sens, nous reconnaissons avec Paul VALADIER un risque de
contresens à aborder des questions relatives au Droit, comme si elles
constituaient chez Nietzsche une référence de premier ordre. On
ne peut lui trouver une place parmi les spécialistes du Droit. Par
contre, Nietzsche généalogiste de la morale s'adresse
particulièrement à la volonté de ses lecteurs :
peuvent-ils entendre autre chose (de choquant) que les vérités
admises a priori ?
Or cette démarche morale ne met pas en
épochè les codes juridiques. Un Droit supposé
valide, dans sa texture et son inspiration, ne peut aller contre
l'éthique, vice-versa. Ainsi, s'il ne faut pas reconnaître
à Nietzsche quelques disciples (parce qu'il était contre le
conformisme) ou chercher dans ses écrits la question de l'Etre comme
telle, l'on ne peut douter que le philosophe ait largement rencontré la
question du politique et du Droit dans la pensée occidentale. Si cette
question, chez lui, émerge d'un contexte généalogique de
la morale, Nietzsche ne peut cependant étouffer sa passion pour un sujet
dont il doit beaucoup aux écrits de Dostoïevski : le
châtiment.
Abordant ce thème vaste et peu exploité, le
présent travail voudrait interroger le juridique. Interroger sa
conception propre du châtiment, pour en faire une autopsie. C'est
pourquoi, partant de l'axiome : il n'y a pas de châtiment sans
faute, pas de faute non plus sans intention criminelle, nous voudrions saisir
le but de tout châtiment, car le Droit pénal a déçu.
Branche du Droit public qui traite des infractions et des peines,
définissant les faits punissables et les sanctions applicables, le Droit
pénal nous apprend que toute punition vise toujours un bien individuel
ou communautaire. Pourtant l'individu sanctionné est foncièrement
volonté. Volonté de changer ou de recommencer un crime
colossal.
Ainsi, notre lecture de la Généalogie de la
Morale ouvre largement sur des questions précieuses : pourquoi
faut-il punir une faute, alors que le bien accompli tous les jours n'est
guère récompensé ? En quoi le châtiment est-il
finalement bon, s'il ne voit en l'homme que son côté
répugnant ? C'est que, jusqu'à un point de vue
généalogique, les philosophies du Droit n'ont jamais
compris : de quel droit la juridiction pénale prétend-elle
punir une faute dont j'ai été la victime, en fixant la nature et
l'ampleur de la peine à ma place.
Mais ces questions ne peuvent être résolues sans
un effort méthodologique. La notion du châtiment relevant du Droit
pénal, nous ne pouvons exclure les sources juridiques très
enrichissantes, au risque de produire une dissonance sur les concepts. Ainsi,
dans les pages qui suivent, notre méthode de travail sera comparative.
Nous efforçant de comprendre la pensée de Nietzsche, nous
puiserons également dans les textes du Droit pénal pour la
compléter. Ce qui permet de subdiviser ce travail en trois parties. La
première est introductive. Elle traite de l'intention de nuire, qui
oriente toute la machine criminelle. Quand nous aborderons la seconde partie,
pointe de notre travail, il sera question du châtiment proprement
dit : visée, sens et contresens. La dernière partie enfin,
parlant de l'individu comme volonté, sera une extension de la
pensée nietzschéenne et son application au vécu
africain.
Chapitre 1
L'INTENTION DE NUIRE
On ne peut tenir un discours acceptable sur l'homme souffrant,
d'une souffrance subie, sans faire une remontée vers le pourquoi de son
tourment, comme dans une sorte de généalogie. Autrement,
le criminel ne saurait entretenir une aversion démesurée pour
l'homme si tout ce qui, en lui, est « humain, trop humain »
n'était porté par l'anima nocendi, cette intention
délibérée de nuire que l'on nomme
« préméditation ». C'est pourquoi, la
règle morale comme celle du Droit trouve difficilement soutenable la
culpabilité absolue d'un sujet dont "la faute" ne prouve aucune
intention première de nuire à autrui1(*).
Mais l'intentionnalité a priori ne suffit pas à
établir les torts, bien que toute intention s'oriente toujours vers un
but. Il semble à Georges BRIERE DE L'ISLE que l'individu qui adopte un
comportement déterminé parce qu'il veut un résultat, mais
ne sait pas que ce résultat est condamné par la loi, que cet
individu ne soit pas fautif. Car s'il y a bien eu intention et volonté
d'agir, la conscience du caractère illicite de l'acte n'y était
pas. Echappera-t-il à la loi pénale ? A priori oui, en fait
non. Cela en vertu du principe "Nul n'est censé ignorer la loi".
La complexité de telles circonspections juridiques
donne raison à Nietzsche, pour réfuter l'argument intentionnel
comme critère déterminant de la faute. Il veut une approche
originale, qui place le fondement de la culpabilité (schuld)
dans la notion matérielle de dette (schulden), sur laquelle
repose entièrement la relation créancier-débiteur. Dans ce
sens, l'endetté est un "coupable". Une culpabilité dont il
doit s'exonérer sinon en payant de son revenu, du moins « en
donnant satisfaction au créancier d'une autre manière. C'est ici
que se situe, selon Nietzsche, la relation entre la faute et la souffrance.
S'il n'est pas fait de remboursement, le créancier obtient en effet le
droit de faire souffrir son débiteur. Il lui appartient alors d'exercer
sa cruauté et de savourer le plaisir du sentiment de puissance qui lui
est ainsi conféré. Le débiteur le paye du fait qu'il
souffre. »2(*)
Dans l'histoire des hommes, cette nuisance intentionnelle a
rarement atteint la portée à la fois sadique et instinctive que
lui confère la morale nietzschéenne. En effet, pour Nietzsche, il
semble qu'il y ait au départ l'échec de la culture à
dresser le fauve humain, à conférer l'humanité à
« l'homme domestiqué »
irrémédiablement violent, qui reste envahi par le désir de
réaliser des exploits agressifs3(*). Tout bien pesé, la culture doit ressentir
comme un impératif manqué son échec à
déformer l'homme dans le sens d'une socialisation qui atrophie sa
violence native. D'ailleurs, quoi de plus expressif cette pensée
peut-elle laisser apparaître, quant à la co-originalité de
la cruauté à l'humanité et du mal à la
moralité. La cruauté se dévoile, sous cette approche,
comme une diathèse redoublée d'antipathie pour l'homme et qui
cherche un exutoire : l'homme du ressentiment. La question de la
souffrance ne se pose donc que du point de vue de cet homme faible,
accablé par un "trop plein de force" mal intentionné.
I.1. LE RESSENTIMENT
Le ressentiment, dans la pensée nietzschéenne,
est un effet vital marqué par la substitution d'un affect ou d'un
sentiment à la vraie réaction. Il est le propre des forces
réactives, pour « ces êtres à qui la vraie
réaction, celle de l'action, est interdite et qui ne trouvent
compensation que dans une vengeance imaginaire »4(*). C'est de cet affect
négatif que nous apparaît plus clairement le sens des valeurs
« bon et mauvais », « bon et
méchant » attribuées aux deux pôles de la morale
nietzschéenne, le maître et l'esclave.
Ces antithèses trouvent leur origine dans une
conscience d'impuissance et de distance, dans le sentiment
général et dominant d'une race supérieure et despotique,
par opposition à la race inférieure. Ici encore, l'on doit
s'aviser que le ressentiment est un état marquant aussi bien le
maître que l'esclave, comme nous le verrons plus loin. Les Juifs, eux,
ont spiritualisé cet affect négatif. Dans ce conflit des forces,
la bonté en soi n'existe pas ; « le bon n'est plus une
réalité donnée, mais une attitude relative à
l'autre. »5(*)
Peut alors s'opérer une évaluation contradictoire : ou bien
le maître est bon... ou bien l'esclave est bon.
I.1.1. Ou bien le
maître est « bon »
La morale des maîtres agit, croît
spontanément et s'affirme avec plus de joie et de satisfaction. Que le
maître s'interdise toute compassion pour nuire à dessein, cela ne
lui procure ni scrupules ni remords. Car en réalité, jugeant
l'esclave indigne de pitié, il révèle dans son
mépris la défense arrogante « de reconnaître
(...) la sphère qu'il méprise, celle de l'homme du commun, du bas
peuple »6(*). Le
maître ne dédaigne ce bas fond humain que pour se satisfaire
d'être lui-même toute-bonté, alors que l'esclave est
simplement « mauvais ». Est ainsi bon « le noble,
celui qui possède une puissance supérieure (...), le
maître, le capitaine, le possédant, le riche »7(*), tandis que le mauvais est
synonyme de populacier ou de faible.
A la limite de toute bonté, l'agressivité du
maître reste teintée de sadisme, de sorte qu'il trouve un objet de
satisfaction : l'esclave. Le sadisme en effet « peut s'exprimer
par une perversion en acte ou par des fantasmes conscients. Plus
généralement, on tend à l'appliquer à un mode de
relation à autrui caractérisé par le besoin de
dominer »8(*).
Pour Nietzsche, le sadisme du maître s'accompagne d'une vision immonde de
son antipode, qui rend nécessaire la volonté de
« rabaisser ». C'est ainsi qu'il peut se décharger
avec « trop de négligence, trop d'insouciance, trop de joie
intime et personnelle, pour que l'objet [de son] mépris se transforme en
une véritable caricature, en un monstre »9(*) ou, pour reprendre
KIERKEGAARD, en une "grimace d'homme".
Camille DUMOULIE trouve dans le sadisme nietzschéen
une vie autrement grave. Rallié au masochisme (comportement qui trouve
plaisir dans la souffrance physique ou morale subie) comme l'autre versant d'un
même phénomène pervers, il peut avoir pour objet de
satisfaction son propre Moi. Pratique propre à ceux que Nietzsche
appelle « les masochistes moraux », qui exhibent
théâtralement leur souffrance. Le saint et l'ascète en sont
des exemples patents10(*).
On s'en aperçoit, cette souffrance aux allures de fête trahit les
dérives à la fois totalitaires et utilitaristes du sadisme
nietzschéen : nul n'est cruel sans intérêt.
I.1.1.1. Machines totalitaires
du sadisme
Le sadisme se justifie dans ce cas par une affirmation
principale : aucun sujet raisonnable ne déchaîne une
cruauté sans profit personnel. Autrement dit, pourquoi les spectacles
cruels, sinon parce que le sadique en espère toujours un bien pour lui.
Ce bien pour lequel il peut opérer sur la victime avec « trop
de joie intime et personnelle ».
Mais aujourd'hui, poser le sadisme comme justifiable et
nécessaire pour le criminel est un dogmatisme sentencieux. Cette
légitimation du crime nous fait croire que nul n'est cruel
volontairement et garantit finalement tous les droits de nuire à
l'insensé. Il devient alors facile d'acquitter Hitler, en lui
reconnaissant un « délire » meurtrier ou un
état de démence. Nous n'aurons donc pas vu qu'il faille justement
contester tout dessein criminel à Néron ou Caligula11(*). Nietzsche compte pourtant les
aristocrates, les Allemands et les Romains parmi ces machines totalitaires de
l'histoire, où la cruauté et le sadisme ont reçu un sacre
particulier.
L'image des aristocrates d'abord est particulièrement
suggestive. L'aristocrate est « le puissant, le dominateur, mais
noirci, vu et pris à rebours par le regard venimeux du
ressentiment ». Romains, Arabes, Japonais, héros
homériques ou vikings scandinaves, tous les aristocrates se valaient en
atrocité. Ils trahissaient un fond de bestialité très
prononcé tel que, pour les victimes de cette caste
déchaînée, barbares, vandales ou ennemis méchants
furent les vrais noms pour dire « aristocrates ».
Dès lors, rien n'inspirait plus de crainte au faible que
« cette "audace" des races nobles, audace folle, absurde,
spontanée ; la nature même de leurs entreprises,
imprévues et invraisemblables (...) ; leur indifférence et
leur mépris pour toutes les sécurités du corps, pour la
vie, le bien-être ; la gaieté terrible et la joie profonde
qu'ils goûtent à toute destruction, à toutes les
voluptés de la victoire et de la cruauté »12(*). Audace, indifférence
et dégoût de l'homme, autant d'ingrédients
mêlés aux atrocités, pour que l'aristocrate se complaise
des spectacles sadiques.
L'Allemagne ensuite porte l'étendard d'une
société où la cruauté a reçu un "design"
hors du commun. Nietzsche ne se serait nullement penché sur ce tournant
accablant, si « la méfiance profonde, glaciale que l'Allemand
inspire [ne demeurait] encore un contre-coup de cette horreur insurmontable que
pendant des siècles l'Europe a éprouvée devant les fureurs
de la blonde brute germanique.»13(*) Paradoxalement, le maître du soupçon a
été coté trop bas par ses contemporains, plongé au
purgatoire d'une rumeur selon laquelle il aurait été le
prophète du Reich hitlérien et "l'autorité de
référence de la philosophie nazie".
D'aucuns étalent le mépris où ils
tiennent Nietzsche, alors que Sarah KOFMAN s'empresse de sauver l'image du
maître : « Pour les notions de "race" et de "nation" le divin
Nietzsche, le "sans patrie" n'éprouve que mépris et
horreur. »14(*)
Il prendra lui-même cette défense sur un timbre
éploré : « Nous sommes bien loin d'être
assez "allemands" au sens ou (sic.) le mot "deutsch" a cours aujourd'hui, pour
nous faire les porte-parole du nationalisme grâce auquel à
présent les peuples d'Europe se barricadent les uns contre les autres et
se mettent mutuellement en quarantaine. »15(*)
C'est au coeur de ce tournant « humain, trop
humain », où s'exerce le bras du sadisme, que Nietzsche situe
la part trop féroce du génie allemand : la guerre à
la guerre. Cependant, le scandale germanique n'est pas d'avoir consacré
Auschwitz16(*)
véritable autel d'un crime d'ailleurs justifié, quand Hermann
RAUSCHNING écrit d'une plume saccadée : « C'est le
culte du sang noble et précieux, du pur et du rayonnant joyau... Le roi
Amfortas souffre d'un mal incurable : la corruption du sang. Parsifal, le
héros ignorant et pur, doit choisir... C'est notre drame à nous
tous. Nous sommes atteints de cette peste du sang, tous souillés de la
contamination des races. Quelle est pour nous la voie de la guérison, de
l'expiation ? »17(*) C'est peu dire que de placer les fondements du crime
germanique dans les hécatombes massives et systématiques. Non, ce
n'est pas aux Juifs, Tziganes, Afro-allemands, homosexuels et autres
minorités que s'en prenait le nazisme, mais au culturel. Pourquoi
s'arroger le "droit de tuer", sinon pour en découdre avec
l'interracialité, source de métissage culturel.
Avec la culture aryenne, c'est tout l'homme qui est
désormais profané par l'éthique occidentale. Car, à
s'interroger si l'Europe de Nietzsche trouve encore en l'homme une trace du
sacré, l'on débouche sur une anthropologie sombre :
« Ayant cessé de craindre l'homme, nous avons aussi
cessé de l'aimer, de le vénérer, d'espérer en lui,
de vouloir avec lui. L'aspect de l'homme nous lasse aujourd'hui. (...) Nous
sommes fatigués de l'homme... »18(*)
Enfin, que la célébrité de la Rome
antique ait connu des avatars antisémitiques, donne une fois de plus la
victoire à la cruauté. Pour Nietzsche, la logique de mort qui
sous-tendait l'idéologie romaine trouvait dans les Juifs
« quelque chose comme une nature opposée à la sienne,
un monstre placé à son antipode ». Si les Romains
étaient les forts et les nobles jamais égalés jusqu'ici,
les Juifs par contre incarnaient le peuple sacerdotal du ressentiment par
excellence. Mais Rome représente également un instrument complexe
de cruauté, à la fois marqué par le sacre de la force et
terrassé par la victoire du Judaïsme. En même temps qu'elle
se repaît de sa domination sur la Judée, Rome insuffle aux vaincus
la possibilité d'un "jour de colère" où se judaïsera
la ville cruelle. Telle sera l'Eglise, nouvelle Rome judaïsée.
L'épiphanie de la cruauté ne s'épuise cependant pas dans
ces vestiges où l'homme est en procès contre les instincts
sadiques. Nietzsche révèle aussi dans le langage une
prétention d'autorité.
I.1.1.2. Langage et pouvoir
Nietzsche situe l'origine du langage à l'époque
des formes rudimentaires de la psychologie, où la prise de conscience de
la raison par l'homme lui ouvre la voie d'un fétichisme grossier. Il
voit autour de lui des actions et des vies qui sollicitent son esprit à
créer des concepts. Que ces concepts ne nous fassent jamais "franchir le
mur des relations, ni pénétrer dans quelque fabuleux fond
originel des choses",19(*)
montre bien l'écart entre le mot et la chose elle-même.
Commencer une étude du langage chez Nietzsche en
exposant de telles limites est une interprétation risquée. D'une
part, on peut penser que la philologie n'est qu'une « histoire des
mots » à caractère généalogique. Son
objet par excellence étant le langage courant, la philologie demeure
ainsi une science généalogique qui retourne au sens même du
concept. Le recours à l'étymologie comme généalogie
du langage vise à démontrer quel sens originaire correspond au
jugement de valeur qui s'est cristallisé dans un mot. C'est la
démonstration que Nietzsche tente de faire :
Je crois pouvoir interpréter le latin bonus
par "le guerrier", en supposant qu'avec raison je ramène bonus
à sa forme plus ancienne de duonus (comparez : bellum =
duellum = duen-lum, où ce duonus me paraît
être conservé). D'après cela, le bonus serait
l'homme du duel, de la dispute (duo), le guerrier : on voit donc ce
qui constituait la "bonté" d'un homme de la Rome antique.20(*)
D'autre part, c'est à la grammaire comme moule
systématique du langage que revient le mérite d'avoir
logé, au plus profond de l'activité langagière, la gamme
des catégories logiques et des concepts. L'esprit est donc prisonnier de
la grammaire, car on ne pense qu'en termes de sujet, verbe et
complément ; « on raisonne selon la routine
grammaticale ».21(*)
Nietzsche est donc conscient que l'on ne peut penser que selon
les formes et les limites du langage. Mais il est contestable de supposer un
langage miroir de la réalité tant que, dans la désignation
des phénomènes, l'expression langagière se base sur
l'arbitraire - ce qui n'est pas toujours vrai. Suite à ce "don"
arbitraire de concepts fait aux phénomènes, persistera toujours
l'impossibilité de penser le monde adéquatement. A vrai dire, le
langage est un lieu de pouvoir, au moins en tant qu'il opère par
contrainte et exerce un coup de force sur les choses. Pour Nietzsche, son
origine même est à rapporter à un acte d'autorité
des puissants. Il est une création des maîtres en vue de la
domination. Nommer, c'est symboliquement décider du sort de ce qu'on
nomme, s'octroyer une prééminence sur l'objet nommé.
Souvenons-nous d'ailleurs du premier acte d'autorité posé par
l'homme au principe biblique du monde. Mais revenons à notre propos, en
considérant l'autre versant du concept « bon », tel
que développé dans l'antithèse servile.
I.1.2. Ou bien l'esclave
est « bon »
Par esclaves, Nietzsche comprend ces êtres
« brimés, opprimés, souffrants, dépendants,
incertains d'eux-mêmes et fatigués »22(*). Si l'oppression fait scandale
à la dignité humaine, c'est à proprement parler chez
l'esclave qu'elle pose un problème révoltant. Tandis que la
morale des maîtres s'impose, celle des esclaves oppose un "non" qui est
son acte créateur. Mais pour prendre naissance, la morale de l'esclave a
toujours besoin de stimuli extérieurs. Son action est
foncièrement réaction, celle-ci entendue comme capacité de
ressentir et non d'agir.
Puisque "différence engendre haine" et parce que
l'esclave ne supporte pas la morale « forte » du
maître, il n'évalue ce dernier que péjorativement,
jusqu'à l'annonce d'une béatitude au profit des faibles :
Les misérables seuls sont Les bons ; les pauvres,
les impuissants, les petits seuls sont les bons ; ceux qui souffrent, les
nécessiteux, les malades, les difformes sont aussi les seuls pieux, les
seuls bénis de Dieu ; c'est à eux seuls qu'appartiendra la
béatitude. Par contre, vous autres, vous qui êtes nobles et
puissants, vous êtes de toute éternité les mauvais, les
cruels, les avides, les insatiables, les impies, et, éternellement, vous
demeurerez aussi les reprouvés, les maudits, les
damnés !23(*)
On le perçoit, l'esclave qui développe une
mentalité de victime commence par concevoir le maître qu'il
déteste comme "méchant" et il s'oppose à lui comme
"bon" : c'est l'antithèse servile. Mais la
"méchanceté" est ici une qualification seconde, qui
s'opère en compensation d'un sentiment d'impuissance. Elle trahit l'aveu
d'une défaite vitale, parce que l'esclave est incapable de contrer
l'oppression et d'en triompher. Selon l'entendement des faibles, le bon serait
donc «quiconque ne fait violence à personne, quiconque n'offense
personne, ni n'attaque, n'use pas de représailles et laisse à
Dieu le soin de la vengeance, quiconque se tient caché comme [eux],
évite la rencontre du mal et du reste attend peu de chose de la vie,
comme [eux], les patients, les humbles et les justes »24(*)
Le faible de Nietzsche n'est pourtant pas un esprit
inopérant face à la douleur qui le frappe de vive chair. Alors
que l'environnement social fait obstacle à l'éclatement de sa
haine, il éprouve « un besoin démesuré de faire
mal, de libérer sa tension intérieure en des actions et des
représentations agressives ».25(*) Rien ne le hante davantage que le besoin d'inverser
la vapeur, dans le sens d'un nivellement des différences. Si l'esclave
déteste le maître et veut le rabaisser, ce n'est que pour
hâter la volonté d'égalité et soutenir
définitivement l'abolition des écarts. En toute réaction,
il a la conscience envahie par la mémoire et ne peut oublier comme
Mirabeau26(*). C'est
pourquoi il s'acharne à une vengeance imaginaire et psychotique.
I.1.2.1. Vengeance et justice
privée
La vengeance en soi est un comportement complexe dont les
motivations répondent à plusieurs besoins : d'obtenir une
réparation ou un dédommagement ; de punir et châtier
un malfaiteur ou d'apaiser un ressentiment.27(*) Elle est une réaction négative qui fait
intervenir la haine et la rancune. Mais le dilemme du droit pénal
consiste à prononcer si chaque individu lésé a au moins
« le droit » de se venger. Ce qui revient à savoir
si, dans certains cas, la vengeance peut être "juste". En fait, toute
vengeance n'est juste que dans les limites de la loi du talion. Du point de vue
juridique, le problème ne se pose formellement pas. C'est un fait que la
plupart des législations proscrivent aujourd'hui la vengeance. Mais ici
encore, les généalogistes du Droit soulèvent une question
importante : de quel droit l'autorité judiciaire punit-elle une
faute dont je fus la victime, en fixant les modalités et la nature de la
peine à ma place ?
C'est par cet argument que la "justice privée"
prétend avoir gain de cause. En effet, si les motivations restent les
mêmes que celles de l'acte vengeur (obtenir une réparation ou un
dédommage, châtier un malfaiteur ou apaiser un ressentiment), la
justice privée accroît cependant la gravité pénale,
parce qu'elle consiste pour des individus, à faire subir une peine
à un malfaiteur, sans recours à la justice. Voilà donc une
sanction décrétée par le seul besoin de se rendre justice
par soi-même.
Tout bien considéré, les analyses
nietzschéennes excellent à renvoyer toute considération
sur la vengeance à la sphère du Moi. Propre à l'esclave,
la vengeance est "la cruauté retournée sur elle-même",
parce qu'incapable d'agir. L'on comprend pourquoi son désir de faire mal
reste prisonnier de l'imaginaire. Enfermé dans le ressentiment,
l'esclave laisse libre cours au pouvoir qu'a son imagination de lui
créer des scènes brutales. Par cette
« autoduperie », voulue à la manière d'une
compensation, il veut prouver sa puissance et se plaît à en
contempler les preuves sanglantes.
Sur ce fond d'impuissance, l'esclave a accepté un
« droit à la souffrance », en avouant son
incapacité à triompher de grands oiseaux de proie :
« Que les agneaux aient l'horreur des grands oiseaux de proie,
voilà qui n'étonnera personne : mais ce n'est point une
raison d'en vouloir aux grands oiseaux de proie de ce qu'ils ravissent les
petits agneaux.»28(*)
Par le même stratagème, l'impuissance a pu revêtir un
apparat de vertu qui sait patienter, s'interdire les représailles et
même renoncer à une juste vendetta, pour être
compensée au centuple dans la "félicité éternelle".
A ce point, nous sommes encore balbutiants à saisir la portée
toute grave des renversements opérés par ces opprimés dans
l'histoire humaine. Renversements auxquels Nietzsche accorde une importance
particulière.
I.1.2.2. Soulèvement des
esclaves dans la morale
Pour Nietzsche, le soulèvement des esclaves dans la
morale commence « lorsque le ressentiment devient créateur et
enfante des valeurs ». Par exemple, l'on ne peut oublier la
révolte du peuple juif, parce qu'elle a été victorieuse.
Vingt siècles déjà, elle a fait école dans la
révolte morale des esclaves.
Il est indéniable que tout ce qui, sur terre, a
été entrepris contre les nobles, les puissants, les maîtres
et le pouvoir n'égale qu'apparemment le mérite des Juifs. Ce
peuple sacerdotal n'a trouvé satisfaction contre ses ennemis et
dominateurs que par un acte de vindicte essentiellement spirituel. Vengeant ses
souffrances, il a abouti au renversement des valeurs aristocratiques,
grâce à une haine d'impuissance. Désormais,
l'équation de la morale aristocratique : bon = noble = puissant =
heureux se voit tournée en dérision, au profit de l'affirmation
d'une morale qui amasse toutes les félicités du côté
des faibles : seuls les inférieurs et les misérables sont
heureux.
Reprenant l'histoire de l'affrontement entre les deux morales,
magistrale et servile, Nietzsche achève sa première dissertation
de la Généalogie de la Morale en évoquant les
phases douloureuses, qui célèbrent le triomphe des
opprimés sur les puissants : l'opposition de Rome et de la Judée,
qui finit par la victoire du Judaïsme, la Renaissance
étouffée par la réforme plébéienne et enfin
la Révolution française qui consomma la défaite de
l'idéal aristocratique. A l'horizon de toutes les analyses, une question
ultime ne peut être esquivée : n'est-ce pas le propre de
l'homme de commettre le crime ?
I.2. CRIME, HUMAIN ET
INHUMAIN
Des considérations sur le crime ont d'emblée
rendu scandaleuse la « biosophie »
nietzschéenne29(*),
qui est en dialogue lointain avec DOSTOÏEVSKI et SCHOPENHAUER. Mais, nous
le reconnaissons, tout crime est essentiellement signe d'excès, puisque
relevant de la méchanceté. Il constitue un acte proprement
humain, puisqu'il suppose la volonté et la conscience du mal,
facultés reconnues à l'homme. Dès lors, l'acte criminel
n'est possible que de la part de l'homme seul, capable d'extérioriser
cet affect négatif et rapace. L'animal échappe à toutes
les juridictions pénales non parce que dépourvu de volonté
et de conscience du crime, mais parce que n'agissant "mal" que pour
obéir aux commandements de ses instincts. Il n'est donc pas coupable.
Par ailleurs, de tout ce que retient la philosophie morale
sur la culpabilité, nous déduirons que le Droit pénal
atteint seulement l'être humain vivant, alors que jadis les animaux, les
choses, voire les cadavres, faisaient l'objet de poursuites
pénales. 30(*)
Nietzsche ne conteste pas cette vérité très ancienne,
qu'il rencontre d'ailleurs dans la tradition égypto-pharaonique. Ici, le
cadavre du débiteur ne trouvait pas grâce devant le
créancier, qui avait le droit de le dégrader ou de le torturer
rudement, « par exemple en couper une telle partie qui parût en
proportion avec l'importance de la dette ».31(*) C'est donc reconnaître
au seul homme vivant et raisonnable l'imputabilité du crime et sa
responsabilité pénale.
Mais, puisque manifestant au dehors une corruption de la
volonté humaine par le mal, le crime est également une
inhumanité. Le criminel se place ainsi au seuil de l'animalité,
en tant que la raison n'a plus de prise sur sa volonté encline aux
délits. Il frôle la bestialité et la déraison. Car
abattre volontairement un être humain ne prouve pas que le criminel est
sain d'esprit. C'est pourquoi Nietzsche fait intervenir l'exercice de la
justice corrective (ou punitive) par l'ensemble de la communauté
lésée, qui met le coupable hors la loi et rend nécessaire
le châtiment : « le criminel mérite un
châtiment parce qu'il aurait pu agir autrement »32(*).
Chapitre 2
LA VISEE DU CHATIMENT
La noblesse du droit nietzschéen porte non seulement
sur sa capacité d'évaluer les retombées sociales du
comportement, mais aussi sur son effort d'explorer l'arsenal juridique de son
temps. Cependant, comme le fait remarquer Paul VALADIER, il y a risque de
contresens à aborder des questions relatives au droit, comme si elles
constituaient chez Nietzsche une référence de premier
ordre.33(*) Il y aurait
donc quelque témérité à compter sa pensée
parmi les théories attestées par la philosophie du droit, depuis
la sophistique. Certes, s'il faut refuser à Nietzsche une ontologie
particulière, il ne fait pas de doute que le philosophe allemand ait
largement rencontré la question du politique et du droit, dans la
pensée occidentale, qu'il trouvait parfois nuisible à
l'éthique et à l'éclosion d'une culture authentique.
Mais ici encore, pense Valadier, « il faut s'aviser
que ce souci prend place à l'intérieur d'une analyse
généalogique de la morale, et plus exactement de la
volonté morale : celle qui veut (se donner) un bien et un mal, par
conséquent aussi celle qui veut ou refuse la loi, et qui le fait
à partir d'une volonté plus profonde que le droit lui-même
ou la loi »34(*). Cependant, une rupture largement critiquée
dans la conception nietzschéenne du Droit (en particulier du Droit
pénal), touche à sa retenue sur une notion incontournable :
la loi. Entre la faute et le châtiment, Nietzsche n'aurait pas raison
d'affirmer que « le criminel mérite un châtiment
puisqu'il aurait pu agir autrement »35(*), sans une mention de la loi transgressée.
Quand on connaît le principe de FEUERBACH au
XIXè siècle : "nullum crimen, nulla poena sine
lege" (nulle faute, nulle peine sans loi) ou ce que prônait
MONTESQUIEU : "nullum crimen, nulla poena, nullum judicium sine
lege" (nulle faute, nulle peine, nul procès sans loi), le
châtiment qu'entrevoit Nietzsche encourt un vice de
procédure : l'arbitraire. L'exigence d'un retour à la loi
comme source de toute organisation pénale permet
précisément d'écarter l'arbitraire, de légitimer la
faute et d'exercer le châtiment. Nietzsche a-t-il une
compréhension du châtiment différente du droit pénal
?
Toutes les juridictions reconnaissent que les sujets du droit
(créancier et débiteur, pour Nietzsche) sont
nécessairement membres d'un corps social organisé. A ce titre,
une action n'a valeur de faute que si la société, par ses organes
compétents, a d'abord défini avec précision le
comportement dont il s'agit : un comportement qui soit réellement
injuste pour tous (Nietzsche parle d'une dette impayée). Il faut ensuite
que ce comportement défini par la loi ait été
adopté par le sujet que l'on poursuit. Enfin, il faut que le
comportement adopté par l'individu poursuivi l'ait été
dans des conditions telles que l'on puisse le lui imputer, c'est-à-dire
en toute conscience36(*).
De là viennent les trois éléments classiques de la
faute en droit : les éléments légal, matériel
et moral ou intentionnel. Nietzsche ne s'est pas éloigné de cette
conception. Si notre effort dans le chapitre précédent
était d'analyser l'élément intentionnel de la faute chez
Nietzsche, voyons maintenant la manière dont il articule les deux autres
éléments.
II.1. LA LOI ET LA
PHILOSOPHIE PENALE
Ce serait faire un mauvais procès à Nietzsche
que de croire sa philosophie vide de toute réflexion sur la loi. Car,
dans la Généalogie de la morale, les concepts de
responsabilité et de socialisation de "l'homme naturel" forment une
unité prise en charge par la loi. Si la loi est habituellement une
règle régissant toute conduite en société, de sorte
que « là où est une société, là
aussi est la loi » (Ubi societas, ibi jus), l'accès
de l'animal-homme à l'univers proprement humain est, chez Nietzsche, le
fruit tardif d'une contrainte légale. Justement, puisque
« l'animal humain n'est pas préréglé sur
l'obéissance à la loi, il doit y être contraint par la
société »37(*).
On trouverait une telle procédure dans la violence que
doit faire peser le créancier sur le débiteur, non pour
l'exploiter mais pour l'élever à la responsabilité, donc
au respect de la loi. La loi est ici un instrument orienté vers la
discipline d'un animal humain capable de faire des promesses à la
société. Car en face de la contrainte, il finit par
alléguer « cinq ou six "je ne veux pas" [mieux "je ne veux
plus", par quoi il donne sa promesse du repentir] afin de jouir des avantages
de la société »38(*). Nietzsche accorde ainsi une grande importance
à l'élément légal, de sorte qu'il fonde même
l'éthique sur l'obéissance impérative à la
loi : « avoir de la morale, des moeurs, une éthique, cela
signifie obéir à une loi ou une tradition fondées en
ancienneté. Que l'on s'y soumette avec peine ou de son plein gré,
peu importe, il suffit qu'on le fasse »39(*). Il faut donc s'être
longuement exercé à obéir et dans un seul sens, pour
accéder à l'univers proprement éthique.
Soulignons en passant que c'est le plus grand mérite
de la loi attesté par la philosophie pénale, depuis PLATON (dans
Les lois IX, 862d ; XI, 934a et le Gorgias, 525b, c) :
« La loi amènera (le coupable)... soit à ne plus jamais
commettre (l'injustice) à l'avenir, soit à la commettre beaucoup
moins souvent »40(*). Autrement dit, à promettre comme l'entend
Nietzsche, une conduite dans laquelle il peut désormais se
reconnaître déterminé et uniforme jusqu'à un certain
point, semblable parmi ses semblables, régulier et, par
conséquent, appréciable. Les fondateurs du Droit moderne ne
pensent pas autrement. La septième loi de la nature de HOBBES
exige dans ce cas que le droit pénal ne considère plus la
grandeur du mal passé, mais celle du bien qui s'ensuivra. Par
conséquent, le pardon s'impose au judiciaire, quand on a obtenu des
sécurités pour l'avenir.41(*) C'est ici qu'intervient la mesure de grâce ou
l'exonération pénale du délinquant.
Saint THOMAS D'AQUIN ne limite pas le rôle de la loi au
simple fait de commander ou d'interdire, de permettre ou de rendre les
individus bons. La loi joue surtout le rôle de châtier
(S.T. II-II, q. 92, a. 2). C'est ainsi qu'une loi ayant perdu ce rôle
n'est que violence, tyrannie, perversion et corruption. Les citoyens doivent y
désobéir (S.T. II-II, q. 96, a. 5). Mais cette
désobéissance civile doit répondre à
certains critères, que la tradition retient de Martin LUTHER
KING.42(*) Primo,
assembler les faits et les analyser. Secundo, se purifier
soi-même intérieurement. Tertio, préciser les
modalités de l'agir (jour, heure, combien de temps, où et
quoi ?) et, quarto, passer à l'acte (marche, sitting,
grève, etc.). Mais tout ceci ne peut se faire qu'après avoir
épuisé toutes les possibilités de dialogue.
Quant à la responsabilité, Nietzsche souligne
qu'elle est fonction de l'oubli et de son autre, la mémoire, en liaison
étroite avec la loi. La faculté d'oubli est à elle seule
un pouvoir actif et une faculté d'enrayement. C'est à elle que
l'on attribue tout ce que "rejette" la conscience pendant la digestion
psychique. L'oubli joue un rôle important, car il permet constamment
à la conscience de fermer portes et fenêtres aux mouvements
antagonistes du monde. En ce sens, il est un principe régulateur, qui
permet d'assurer l'équilibre psychique et la tranquillité.
L'individu encourt donc le risque de dyspepsie sans l'oubli, faculté qui
procure le bonheur, la sécurité, l'espérance; bref une
conscience "douce". Pour Nietzsche, l'homme oublieux manifeste une santé
robuste.
A l'opposé de l'oubli, se dresse la mémoire
qui, dans le repentir promis à la société, tient
impérativement l'oubli en échec. Celui qui a souffert d'une faute
dont il a promis amendement n'oublie cependant pas le drame subi. Ainsi, la
mémoire n'a d'autre fonction que de garder une impression de la
continuité dans la conscience du sujet. Cette fonction, Nietzsche
l'illustre par l'évocation de la mnémotechnique
préhistorique, qui visait justement à créer la
mémoire de la faute chez le coupable, par des procédures
extrêmement cruelles : « on applique une chose avec un fer
rouge pour qu'elle reste dans la mémoire : seul ce qui ne cesse de
faire souffrir reste dans la mémoire ».43(*)
On le comprend sans effort, l'activité
mnémotechnique s'exécutait toujours agrémentée de
supplices. Pour Nietzsche, c'est en elle que trouvent origine les plus
épouvantables holocaustes et les engagements les plus hideux (sacrifice
du premier né), les mutilations les plus répugnantes
(castration), les rituels les plus cruels et tous les cultes religieux. Dans
une certaine mesure, tout l'ascétisme fait partie intégrante de
ce domaine où quelques idées doivent être rendues
ineffaçables, inoubliables, toujours présentes à la
mémoire. Ce qui permet alors de saisir le caractère draconien des
coutumes jadis en vigueur, « en particulier la dureté des lois
pénales ».44(*) Dureté qui vise d'une part à montrer
les difficultés que l'humanité a éprouvées pour se
rendre maîtresse de l'oubli et, d'autre part, à maintenir
présente à la mémoire des hommes la rigueur de la vie
primitive.
L'ancienne organisation pénale allemande est
particulièrement citée en exemple, elle dont les lois
frôlaient la dureté de DRACON45(*) : la lapidation, la roue, le supplice du pale,
l'écrasement sous les pieds des chevaux, l'emploi de l'huile où
l'on faisait bouillir le condamné, le supplice des lanières,
l'écorchement de la poitrine, l'enduit du miel sur le coupable et son
exposition aux piqûres des mouches, etc. Toutes ces atrocités
conduisent à la gravité, à l'emprise sur les passions.
Nietzsche peut alors poser la question généalogique de savoir
comment la conscience de la faute est venue au monde. Question qui
équivaudrait à en chercher l'élément
matériel ou la faute proprement dite.
II.2. LA MATIERE DE LA
FAUTE
Une action a valeur de faute lorsque, définie par la
loi, elle révèle suffisamment une intention de nuire. Mais la
faute non consommée atténue toujours la responsabilité du
sujet, et donc l'ampleur du châtiment. L'élément
matériel de la faute est ainsi la faute proprement dite. Celle-ci
suppose non seulement le mal pleinement commis, mais aussi les tentatives, la
complicité du sujet et la pluralité des fautes liées
à l'acte condamné. Cette logique ne se présente pas
autrement chez Nietzsche. L'élément matériel sur lequel il
fonde le sentiment de culpabilité - nous l'avons déjà
signalé - est la notion de dette impayée. Dette qui ne frustre
pas seulement le créancier, mais aussi la communauté tout
entière, qui se la fera payer de son mieux.
La faute est ici entendue comme l'art de semer des troubles,
une violation de traité ou un manque de parole envers la
communauté. La colère des créanciers et de la
communauté lésée, précipite le coupable à
l'état sauvage et le met hors la loi. Le châtiment devient alors
nécessaire ; « il est la conduite
normale »46(*).
Mais, dans l'oeuvre de Nietzsche, il serait insuffisant de saisir cette faute
sous un rapport unique. Champromis entrevoit la possibilité d'une faute
à trois dimensions : la faute civile, criminelle et morale.47(*)
II.2.1. Triple dimension de
la faute
Nous le constatons, la faute nietzschéenne gravite
jusqu'ici sur deux notions phares : l'idée d'une communauté
protectrice de sujets du droit (créancier et débiteur) et celle
matérielle de dette impayée étant à la source d'un
litige. L'entrée en jeu de ces concepts montre qu'il n'est
nullement question d'une faute au sens moral. Elle a plutôt un fondement
juridique. C'est que, en réalité, il n'est pas de droit sans
litige (dette) potentiel, ce dernier étant un conflit qui oppose deux ou
plusieurs partis. Le conflit suppose une atteinte réelle des droits
subjectifs nécessitant l'arbitrage d'un tiers,
l'autorité.48(*)
Nietzsche aura donc constaté avec raison que la société
est, à elle seule, une entité conflictuelle, litigieuse,
où les intérêts des uns et des autres sont constamment mis
en danger. C'est pourquoi, selon une compréhension plus poussée,
elle ressemble à une association de créanciers et
débiteurs, de maîtres et esclaves en opposition
perpétuelle. La notion de dette revêt ainsi chez Nietzsche une
pluralité de sens.
II.2.1.1. La faute civile
Elle n'a pas le sens d'un délit civil, d'un
comportement volontairement fautif, causant un dommage à autrui. La
faute civile chez Nietzsche est le sens primaire de la dette dont nous avons
fait une brève mention dans le chapitre précédent. Elle
repose entièrement sur l'agir du débiteur, qui ne peut
s'acquitter de sa dette envers son créancier. En revanche, ce dernier
obtient sur lui une contre-jouissance (le droit de faire souffrir), en
compensation des désagréments subis.49(*)
En effet, si cette cruauté semblait une pratique
courante de l'humanité primitive, Nietzsche a raison de faire remarquer
l'étrangeté du décret « si plus minusve
secuerunt, ne fraude esto (si c'est peu qu'ils soient mutilés,
cela peut se faire légitimement)» de la loi romaine des Douze
Tables (ca. 451 a.c.n.). La logique de ce décret voudrait souligner
qu'« en lieu et place d'un avantage, qui compense directement le
dommage causé (donc au lieu d'une compensation en argent, en biens
fonds, en possession d'une chose quelconque) il est accordé au
créancier une sorte de satisfaction en matière de
remboursement et de compensation, - la satisfaction d'exercer en toute
sécurité sa puissance sur un être réduit à
l'impuissance, la volupté "de faire le mal pour le plaisir de le
faire" ».
L'entrée de ces principes en Droit ne scandalise pas. A
l'échelle communautaire, ils attribuent plusieurs fois au
créancier son droit de maître. Droit anoblissant de pouvoir
mépriser et maltraiter un être comme quelque chose de plus bas.
Par contre, « dans le cas où le vrai pouvoir exécutif
et l'application de la peine ont déjà été
délégués à "l'autorité" »50(*), le plaisir du
créancier se limite à voir faire souffrir cet être. De la
faute civile, Nietzsche en vient à la faute criminelle, qui
élargit sa notion de dette.
II.2.1.2. La faute
criminelle
La faute criminelle se situe à l'horizon de la vie
sociale, où les rapports de la communauté avec ses membres sont,
dans leurs grandes lignes, ceux du créancier avec ses débiteurs.
L'individu est ici entouré des avantages sociaux pour lesquels il doit
faire preuve de reconnaissance au groupe tout entier, par la rectitude de son
comportement. La seule faute du sujet serait donc l'ingratitude envers la
communauté qui lui assure paix, confiance et protection. D'où la
faute criminelle est l'acte de l'individu qui nie ce qu'il doit à la
communauté. De la sorte, si quelqu'un a causé un préjudice
à la communauté, « dans le cas d'un crime par exemple,
cela signifie qu'il n'a pas rempli ses obligations envers
elle »51(*).
Mais l'on perçoit difficilement la subtilité qui fait passer
cette dette de son caractère moral (puisqu'il s'agit d'une
reconnaissance envers la communauté), à une qualification
criminelle.
On sait que le Code pénal définit le crime
comme l'infraction la plus haute, par opposition aux délits et
contraventions.52(*) Si le
manquement à ses obligations envers la communauté est
considéré comme un crime par Nietzsche, le philosophe
n'élève la réflexion à ce point que pour en montrer
toute la gravité. Le coupable a, pour le dire comme Georges GOEDERT,
rompu le contrat, il a fait des dettes dont il ne peut s'acquitter qu'en
offrant à ses prochains le plaisir de prononcer une peine contre lui.
Comment ceux-ci ne peuvent-ils d'ailleurs ressentir comme une haute trahison le
manque de parole de ce congénère « envers la
communauté qui lui assurait les avantages dont il a jusqu'alors eu sa
part »53(*). On pense même que ce coupable
revêt chez Nietzsche tous les attributs d'un débiteur qui, non
seulement ne rembourse pas les avances qui lui ont été faites,
mais encore s'attaque à son créancier. Par conséquent,
l'on ne peut pas être tendre sur le sort d'un tel sujet. Sa peine prend
la forme la plus impitoyable et la plus cruelle, permettant à tous les
membres de jouir du sentiment de puissance vis-à-vis de lui, d'autant
plus que les créanciers sont frustrés et la communauté
trahie.
Dès lors que la communauté prend en charge
l'exercice du châtiment, elle supprime au malfaiteur certaines
prérogatives dont il a jusqu'ici bénéficié :
l'assistance matérielle (il est privé de tous les biens et de
tous les avantages) et la protection sociale (il est mis hors la loi et
chassé, toute espèce d'acte hostile peut alors se commettre
contre lui). Le châtiment, dans ce registre des moeurs, est simplement
« la mimique de la conduite normale à l'égard
de l'ennemi détesté, désarmé, abattu, qui a perdu
tout droit non seulement à la protection, mais encore à la
pitié ; c'est donc là le droit de
guerre ».54(*)
Pour Nietzsche, cette dureté à l'égard du malfaiteur est
cependant le propre des sociétés faibles, celles qui soutiennent
que "tout a un prix, tout doit être payé". Par contre, à
mesure qu'une société croît en puissance, elle accorde peu
d'importance aux manquements de ses membres. Car ceux-ci ne lui paraissent plus
ni dangereux pour son existence ni subversifs.
L'on comprend pourquoi Nietzsche considère les phases
subséquentes de l'évolution du droit pénal comme
appartenant à une période où le malfaiteur déborde
de privilèges sociaux. Il n'est plus chassé ni
« privé de la paix », mais on le protège
contre le courroux de ses victimes. D'où la naissance de la
prison55(*). La
société à son tour fait effort pour localiser le cas et
obvier à un trouble plus grand. Elle recherche des équivalents
pour accommoder toute l'affaire (la compassion) et considère toute
infraction comme pouvant être acquittée. Par conséquent,
elle isole, dans une certaine mesure, le délinquant de son délit.
Ceci équivaudrait à dire que « si la puissance et la
conscience individuelle s'accroissent dans une communauté, le droit
pénal toujours s'adoucira ; dès qu'un affaiblissement ou un
danger profond se manifestent, aussitôt les formes plus rigoureuses de la
pénalité reparaissent ».56(*) Le créancier toujours
s'humanisera dans la proportion même où il s'est enrichi, et il
peut désormais supporter les préjudices sans en souffrir.
Nietzsche va même plus loin. Il imagine la possibilité de
concevoir une société qui, ayant conscience de sa puissance, peut
se payer le luxe suprême de laisser impuni l'auteur d'un crime. C'est la
grâce.
Mais en réalité, cette hypothèse est
contre la justice. Chez Nietzsche, la grâce est justement
l'autodestruction de la justice, dans la mesure où cette dernière
y finit par fermer les yeux et par laisser courir le coupable. Dans la mesure
où la recette pénale semble ainsi basée sur la
clémence, elle ouvre inéluctablement des brèches à
l'impunité pure et simple. Et puisque le châtiment perd tout droit
de cité, le pire à craindre serait l'émergence
d'initiatives privées, visant à « sanctifier la
vengeance sous le nom de la justice - comme si la justice
n'était au fond qu'une transformation du sentiment de l'offense
ressentie».57(*)
C'est donc affirmer que l'origine de la justice est à chercher dans les
régions de la vengeance, et non dans le désir
d'équité. Nous y reviendrons plus loin en parlant du rapport
entre justice et vengeance. Les considérations sur la faute criminelle
nous mettent sur les rails pour aborder la dernière dimension de la
faute, à savoir la faute morale.
II.2.1.3. La faute morale
La faute morale représente une dimension plus complexe
de la dette. Pour en comprendre l'origine, il faut considérer
l'expérience de la « mauvaise conscience ». Au sens
nietzschéen, la mauvaise conscience est la maladie dans laquelle est
tombé l'homme depuis que, demi-bête faite pour la vie sauvage, il
se trouva brutalement enfermé par l'Etat primitif dans le carcan de la
société et de la paix. Ses instincts de cruauté se
retournèrent alors contre lui et il commença à se
déchirer lui-même.58(*) A plus large échelle, la mauvaise conscience
constitue l'effet psychologique du caractère social de la contrainte
imposée à l'individu par ce passage brutal, de ce qui serait la
horde primitive à la première forme d'Etat.
Christophe COLERA a bien restitué à Nietzsche la
signification profonde de la "société primitive". Celle-ci n'est
pas un cadre de vie ordinaire, mais elle ressemble à une version de
l'In-der-Welt-sein de Heidegger. Elle est le lieu d'incarnation et de
personnification de l'individu. Les auteurs condensent ces idées dans la
notion anglaise de « Social
embodiment ».59(*) Mais, ajoute COLERA, les analyses de Nietzsche sur la
société primitive vont plus loin : la « mort de
Dieu » interdit toute volonté de retourner en arrière.
Les idoles antiques, les totems et tabous qui cimentaient l'ordre social
antique ne peuvent plus être restaurés. La société
primitive présente également un avantage pour Nietzsche :
elle comble les insuffisances ontologiques de l'homme et son incapacité
à garantir par lui-même le sens de la vie.
A vrai dire, cette société avec ses normes
semble ici contraindre l'homme à s'affranchir impérativement de
la vie primitive. Désormais, la liberté qu'il avait de satisfaire
ses instincts les plus sauvages n'est plus tolérée.
Cruauté, rancune, besoin de persécution, etc. doivent être
brimés pour obéir à une norme supérieure
établie par le groupe. Mais puisque l'homme assume douloureusement ce
divorce exigeant, la mauvaise conscience produit en lui un double effet. D'un
côté, l'intériorisation de la force qui ne peut plus
s'épanouir ou le retournement de la force active contre soi-même.
Ce retournement produit la douleur. De l'autre côté, cette douleur
est elle-même spiritualisée, pensée désormais comme
conséquence d'une faute : c'est la culpabilité.
La faute morale se comprend dans ce contexte. Le rapport de
droit privé entre débiteur et créancier est
transposé en une forme de dette particulière : celle
que les communautés primitives devaient aux ancêtres-dieux,
protecteurs de la race. C'est que l'on croit les générations des
vivants entièrement dépendantes des réalisations des
ancêtres. En ce sens, « on pense donc avoir une dette envers
les ancêtres, une dette qui augmente dans la mesure où la
génération devient plus puissante et plus victorieuse. Car
l'accroissement de la puissance laisse penser que les ancêtres, qui
continuent d'exister sous forme d'esprits, ont augmenté leur
aide ».60(*) Les
traditions culturelles diverses ne contestent pas cette croyance. Aussi vieille
que le monde, l'idée d'une présence ancestrale toujours agissante
fait croire à l'idée d'une dette évidente envers les
ancêtres.
Nietzsche donne à l'"assistance aux ancêtres" une
dimension plus radicale. C'est une « obligation juridique, et
nullement un simple devoir de sentiment dont on pourrait même contester
l'existence pour la plus longue période de l'espèce
humaine ».61(*)
On comprend pourquoi certaines sociétés peuvent donner force de
loi et valeur positive aux dernières volontés des mourants. La
reconnaissance à leur égard tantôt doit se traduire
« sous forme d'aliments (...), des bêtes, des chapelles, des
témoignages de vénération, avant tout de
l'obéissance - car tous les usages sont oeuvres des ancêtres,
l'expression de leurs préceptes et de leurs ordres -».
Tantôt elle doit susciter la crainte d'une contre-prestation rendue au
« créancier », et impose un rachat
considérable. Par contre, à chaque symptôme de
décadence de la race, à chaque indice de
dégénérescence ou d'accident désastreux, il revient
à l'ancêtre fondateur de ressentir le moindre degré de son
intelligence, de sa prévoyance et de l'efficacité de son pouvoir.
Ainsi, où commence la croyance en des dieux (Dieu), sinon dans cette
crainte d'un ancêtre en la protection duquel j'ai confiance.
Dans la même proportion, le sentiment de dette envers
les ancêtres a cédé à l'idée d'une dette
envers Dieu ; dette dont l'homme ne pourra jamais s'acquitter. Dieu, le
grand créancier, suscite en l'homme la conscience d'une faute permanente
dans son être même. Ainsi, la faute morale est issue du sentiment
d'offenser Dieu. L'homme se reconnaît désormais "pécheur".
Mais ce péché qui se révèle la faute la plus
hautement estimée, se retourne d'abord contre le
« débiteur » (l'homme pécheur), chez qui la
mauvaise conscience augmente, jusqu'à penser l'impossibilité
définitive du rachat. C'est l'idée de la « damnation
éternelle ».
Le même péché se retourne également
contre le "créancier" (Dieu). Que l'on considère la faute d'Adam,
le péché originel, la privation du libre-arbitre ; que l'on
cherche la nature d'où l'homme est sorti et où l'on place le
principe du mal ; que l'on gémisse enfin sur l'existence
elle-même « qui ne vaut plus la peine d'être
vécue », l'humanité se retrouve devant un paradoxe
terrible. Paradoxe d'un soulagement temporaire, qui fut le coup de la religion
chrétienne : « Dieu lui-même s'offrant en sacrifice
pour payer les dettes de l'homme, Dieu se payant à lui-même, Dieu
parvenant seul à libérer l'homme de ce qui pour l'homme est
devenu irrémissible, le créancier s'offrant pour son
débiteur, par amour (qui le croirait ?), par amour pour
son débiteur! »62(*)
Pour Nietzsche, la religion chrétienne, à la
suite du Judaïsme, est censée « avoir apporté la
libération de l'individu par la possibilité du rachat personnel
de la faute. Elle constituerait donc une révolution émancipatrice
de la condition commune. »63(*) Mais au lieu de renverser son cours funeste, elle
l'accentue. C'est « une libération qui tourne
court ». En définitive, la faute morale est une transposition
de la dette due aux ancêtres-protecteurs dans la relation de l'homme
à Dieu, où l'homme (le débiteur) a le sentiment d'une
dette persistante envers Dieu, le grand créancier. Cette dette est le
péché. La notion de faute ainsi traitée, examinons le
point crucial de notre exposé, à savoir ce qu'entraîne une
faute sur le plan social et juridique : le châtiment ou la
punition.
II.2.2. Origine et
fonctions du châtiment
C'est un principe acquis qu'il n'y a pas de châtiment
sans faute. La faute est un écart de conduite par rapport aux normes
établies, c'est pourquoi elle rend nécessaire la punition. La
gravité de cette punition dépend alors du caractère plus
ou moins inhabituel de la faute, caractère qui doit être
prouvé par le juge. Ainsi, les généalogistes du droit ont
longtemps soutenu que « expliquer une faute, c'est la
justifier ». Le regard du juge paraît donc tronqué,
partiel, puisqu'il ignore l'origine de la faute. Le travail de l'avocat au
contraire consiste à en expliquer les causes. C'est la connaissance des
causes qui diminue l'étonnement sur la faute, et partant sa
gravité même. L'acte du criminel est démontré alors
comme une nécessité parce que, dans ces conditions, nul homme
à sa place n'aurait agi autrement.64(*) Tout bien pesé, expliquer interdit de
châtier, puisque le châtiment résulte d'un défaut de
connaissance, d'une entrée superficielle dans les vues et les intentions
du criminel. La justice punitive aurait par contre quelque importance, si la
faute gardait son caractère obscur et injustifiable. D'où
l'inutilité du châtiment.
Jusqu'ici, nous avions confiance au sens du châtiment
proposé par les généalogistes du droit, quand le "but"
(par exemple la vengeance) passait pour l'origine même du
châtiment. Par exemple, nous croyions autrefois que la main était
créée pour saisir. Maintenant, il nous est permis d'en douter. Il
faut dire que Nietzsche trouve impossible de dire aujourd'hui pourquoi l'on
punit, de même qu'il reconnaît la difficulté à
définir le concept de châtiment. Car « n'est
définissable que ce qui n'a pas d'histoire ». Or le
châtiment correspond à une longue tradition historique des
peuples. Il n'est nullement un instrument « pour améliorer
celui qui châtie »65(*), pour dissuader ou pour exercer une vengeance sous le
couvert du droit. Le châtiment est plutôt un objet complexe
où Nietzsche demande de distinguer deux choses : d'une part
l'usage, l'acte, "le drame", donc la procédure ; d'autre part le
but et l'attente associés à la mise en oeuvre de cette
procédure.66(*)
II.2.2.1. La procédure
pénale
Habituellement, la procédure du châtiment
(répression) est régie par un Code de Procédure
pénale (CPP), où interviennent des dispositions juridiques assez
complexes. Pour rester fidèle aux textes de Nietzsche, nous n'y
puiserons qu'un brin de détail. Toutefois, chez Nietzsche, la
procédure du châtiment est une affaire aussi vieille que le monde.
User du drame pour punir un malfaiteur a été une pratique
relativement permanente dans l'histoire des sociétés. Que ce soit
dans les civilisations préhistoriques ou chez les peuples
mentionnés au chapitre précédent (aristocrates, Allemands,
etc.), l'application du châtiment à des fins diverses se
cristallise dans une unité difficile à résoudre : le
besoin de faire payer la faute à son auteur. Pour Nietzsche, ce besoin
jaillit de la colère que suscite la faute dans la société.
C'est dans cette même colère qu'il faut chercher à la fois
l'origine et le but du châtiment.
II.2.2.2. Buts ou fonctions du
châtiment
L'exécutant du châtiment se pose rarement la
question : "pourquoi l'on punit ?" En fait, tant d'opinions sociales
admettent que le but de tout châtiment est l'élévation du
coupable à la conscience de sa faute. Contre ces opinions
étroites, Nietzsche veut démontrer la pluralité des sens
et des fins du châtiment. D'où, le châtiment comme :
[1] moyen de mettre hors d'état de nuire et de prévenir des
dommages ultérieurs ; [2] dédommagement envers la personne
lésée ; [3] moyen d'isoler ce qui trouble
l'équilibre ; [4] moyen d'inspirer la crainte du pouvoir ; [5]
compensation des avantages dont s'est approprié le
délinquant ; [6] moyen d'éliminer un élément
dégénéré et de maintenir un type social ; [7]
fête et occasion de violence ; [8] moyen de créer une
mémoire, amendement ou avertissement ; [9] paiement d'honoraires
stipulés par le pouvoir ; [10] compromission avec l'état
primitif de la vengeance ; [11] déclaration de guerre contre un
ennemi de la paix, de la loi, de l'ordre et de l'autorité.67(*)
Des 11 sens (qui sont également des buts)
proposés par Nietzsche, dix se comprennent valablement à
l'intérieur des quatre fonctions (buts) principales du châtiment
figurant dans le droit pénal, à savoir la fonction
rétributive, la fonction de prévention individuelle, la fonction
d'intimidation collective ou de prévention générale et la
fonction éliminatrice.68(*) Mais l'énoncé du châtiment comme
« compromission avec l'état primitif de la
vengeance » semble être un ajout proprement nietzschéen,
qui trouve son sens dans l'expérience du ressentiment. Avant de mettre
en lumière ce point, analysons d'abord les différentes fonctions
ou buts du châtiment.
II.2.2.3. La rétribution
La fonction rétributive ou morale du châtiment
opère sous l'axiome : "tout a un prix, tout doit être
payé". Ainsi, lorsque le délinquant commet une infraction,
affirme NYABIRUNGU, « il contracte une dette envers la
société. Il doit la payer. Le crime est une faute que l'argent
doit payer. » Nietzsche ne s'éloigne pas d'une telle
conception. En effet, chez lui, la culpabilité ou la faute
(Schuld) est justement une dette (Schulden) envers la
société. Dette dont le payement est ici mis en exergue par une
série des rétributions d'avantages au créancier
lésé, la société. D'où le châtiment
comme : « moyen de se libérer vis-à-vis de
l'individu lésé et cela sous une forme quelconque (même
celle d'une compensation sous forme de souffrance) »[2] ;
« moyen de compensation pour les avantages dont le coupable a joui
jusque-là (par exemple lorsqu'on l'utilise comme esclave dans une
mine »[5] ; « occasion de fête pour
célébrer la défaite d'un ennemi en l'accablant de
railleries »[7] et « paiement d'honoraires fixés par
la puissance qui protège le malfaiteur contre les excès de la
vengeance »[9].
Par ailleurs, toutes les philosophies du droit admettent que
la fin poursuivie par le châtiment rétributif, répond
à une exigence morale partagée par toutes les
époques : les bons actes doivent êtres
récompensés (d'où les Ordres nationaux) et les mauvais
actes punis. Car, en face d'un crime, le sentiment général du
groupe est que « le malfaiteur mérite le châtiment parce
qu'il aurait pu agir autrement ». Cette dimension du châtiment
constitue un rappel des valeurs essentielles de la société, que
l'on ne peut violer impunément. Ainsi, le châtiment comme
rétribution d'un acte mauvais augmente l'assurance que la justice est
à l'oeuvre. D'où la seconde fonction.
II.2.2.4. La prévention
individuelle
Considérée comme la plus importante, cette
fonction du châtiment vise à empêcher le malfaiteur de
recommencer ses conquêtes. Jusqu'ici, toutes les juridictions
pénales atteignent cette finalité par intimidation ou par
amendement du criminel (le maintenir dans la bonne voie en lui inspirant des
sentiments honnêtes envers la société). Ici, on
espère soumettre le malfaiteur à des peines privatives de
liberté, en vue de sa re-socialisation. Ces peines sont d'autant plus
personnelles qu'elles entraînent des châtiments comme la prison.
Nietzsche ne pense pas autrement, lorsqu'il trouve dans ce châtiment un
« moyen d'empêcher le coupable de nuire et de continuer ses
dommages »[1]. Ou encore une « restriction et limitation
d'un trouble d'équilibre pour empêcher la propagation de ce
trouble »[3].69(*) Ce qui constitue un second rôle de la prison,
en plus de la protection qu'elle offre au criminel contre la vengeance de ses
victimes.
De toutes façons, Nietzsche doute que le
châtiment ait la propriété d'éveiller le sentiment
de culpabilité chez le malfaiteur. Il est moins encore un instrument
propice à susciter le remords, par l'emprisonnement et d'autres
procédures pénitentiaires. Car « le véritable
remords est excessivement rare, en particulier chez les malfaiteurs et les
criminels ; les prisons, les bagnes ne sont pas les endroits
propices à l'éclosion de ce ver rongeur. (...) En thèse
générale, le châtiment refroidit et
endurcit. »70(*)
Une incertitude plus grande encore plane sur l'amendement visé par le
châtiment, étant donné la rancoeur qu'éveillent chez
le coupable les représailles subies. Rancoeur dont l'origine serait
d'âpres souvenirs télescopés dans la mémoire. C'est
dans ce sens que se comprend le troisième but du châtiment.
II.2.2.5. L'intimidation
collective
La peine infligée au coupable vaut ici un
avertissement, une mise en garde ou une prévention
générale adressée aux membres de la société
qui seraient tentés d'imiter son exemple. Dans ce sens, la nature du
châtiment tendrait à décourager toute
velléité de commettre une faute semblable, parce que connaissant
les désagréments qu'elle importe. Pour NYABIRUNGU, c'est
justement en vue de cette intimidation collective que les jugements sont
publiquement rendus ou que, dans certains cas, ils sont publiés.
Le mérite d'une telle vision du châtiment est
donc de maintenir les individus sinon dans l'horreur d'un sort semblable
toujours possible, du moins dans la crainte de l'autorité judiciaire.
C'est la raison pour laquelle Nietzsche assigne deux sens spéciaux au
châtiment : « moyen d'inspirer la terreur en face de ceux
qui déterminent et exécutent le châtiment »[4] et
« moyen de créer une mémoire, soit chez celui qui subit
le châtiment (...) soit chez les témoins de
l'exécution »[8].71(*) Somme toute, le châtiment subi par autrui a
valeur d'une leçon offerte au groupe. Autrement, il peut viser
l'élimination pure et simple des sujets récidivistes.
II.2.2.6.
L'élimination
De manière générale, on peut dire que les
châtiments privatifs de liberté (comme la prison) opèrent
déjà une élimination, puisque visant à «
empêcher le coupable de nuire et de continuer ses dommages ».
Mis dans de telles conditions, il n'est donc plus en mesure de recommencer.
Mais l'élimination ici consiste en ce que, par l'exécution du
châtiment, le fautif est mis hors d'état de nuire. La peine qui
remplit excellemment ce rôle est la mort (peine capitale). On peut
comprendre pourquoi les descriptions nietzschéennes prennent ici une
fermeté inhabituelle. D'où le châtiment comme
« moyen d'éliminer un élément
dégénéré (dans certaines circonstances toute une
branche, comme le prescrit la législation chinoise : donc moyen
d'épurer la race ou de maintenir un type social.)»[6] et
châtiment comme « déclaration de guerre et mesure de
police contre un ennemi de la paix, de la loi, de l'ordre, de
l'autorité, que l'on considère dangereux pour la
communauté, un violateur des traités qui garantissent l'existence
de cette communauté, rebelle, traître et perturbateur, et que l'on
combat par tous les moyens dont la guerre permet de
disposer »[11].72(*)
On peut toutefois condamner ce darwinisme du châtiment,
qui élimine un type social "mauvais" pour faire survivre les plus aptes
aux normes de la société. Nietzsche lui-même
reconnaît le caractère non exhaustif de la liste
énoncée ci-dessus, mais il ne préfère aucune forme
du châtiment par rapport à une autre. Ce qui compte à ses
yeux, c'est que « le châtiment trouve son importance dans
toutes les circonstances ». Depuis des siècles, le droit y
trouve un auxiliaire important pour le maintien de la justice et de l'ordre.
Cependant, il reste difficile à dire si cette justice que l'on
défend en châtiant n'est pas une vengeance.
II.3. CHATIMENT ET
VENGEANCE
Nous en venons maintenant au dixième sens (but) du
châtiment proposé par Nietzsche : « compromission
avec l'état primitif de la vengeance, en tant que cet état
primitif est encore maintenu en vigueur par des races puissantes qui le
revendiquent comme un privilège. »73(*) Jusqu'ici, le Droit n'a
nullement perçu dans le châtiment quelque indice de vengeance. A
première vue, Nietzsche ne le pense pas non plus. Mais, à une
dimension généalogique de ses analyses, il y a comme un fond de
vengeance dans l'origine de la sanction pénale.
Cette vengeance ne se comprend que par l'expérience du
ressentiment telle qu'elle est vécue par les races puissantes ou les
aristocrates. En effet, l'aristocrate se reproche de ne rien valoir en
lui-même, parce qu'il est méconnu dans sa toute-puissance par le
faible. Sa souffrance est celle de ne pas être reconnu et craint comme un
puissant. D'où ses conquêtes brutales qui n'en finissent pas, pour
se faire reconnaître.74(*) Il est évident, à notre avis, que la
sanction pénale lui offre l'occasion d'exercer une vengeance
privée sous le couvert du châtiment, pour cette reconnaissance qui
tarde à venir. Cependant, comment Nietzsche trouve-t-il dans le
châtiment un moyen efficace de « compromission avec
l'état primitif de la vengeance », c'est-à-dire un
moyen d'éradiquer celle-ci ?
La question paraît plus claire, si nous la situons dans
l'évolution du droit pénal. Nietzsche signale déjà
que « la cruauté était une pratique courante à
l'humanité primitive ». La pensée juridique l'atteste,
en ajoutant que l'infraction était alors considérée comme
« une atteinte à l'ordre privé, et la justice
pénale [était] une justice privée ». Par
conséquent, la faute commise à l'égard d'autrui
était vengée en privé. Cette vengeance pouvait aller
jusqu'à l'anéantissement du malfaiteur. L'institution de la
loi du talion de 1700 a.c.n. paraît déjà un
progrès considérable, parce qu'elle limite la vengeance
privée à la proportion de l'attaque subie : « OEil
pour oeil, dent pour dent ». Jusqu'aux siècles
récents, c'est l'abandon noxal qui semblait plus juste que la
loi du talion.75(*)
L'exercice de la vengeance jadis collectif, devient de plus en plus l'affaire
d'un petit cercle. C'est en vue de contrer les dégâts d'une telle
vengeance primitive que l'Etat seul, non plus l'initiative privée, se
charge actuellement d'exercer la répression et de maltraiter le criminel
par des sanctions pénales.
On peut affirmer que le problème de Nietzsche se situe
à ce niveau : la société (elle seule) doit
châtier le malfaiteur, pour empêcher les races puissantes d'exercer
une vengeance privée sous une apparence de justice. Il est d'ailleurs
évident que Nietzsche ne dissocie pas la justice de la vengeance.
Eugène DÜHRING qu'il cite l'exprime avec plus de
clarté : « la doctrine de la vengeance traverse tous mes
écrits, toutes mes aspirations, comme le fil rouge de la
justice. » Jusqu'à un point de vue historique, le droit est le
symbole d'une lutte permanente contre les instincts de vengeance. Cependant, la
visée du châtiment examinée ci-dessus laisse persister une
insatisfaction : en quoi le châtiment est-il réellement un
bien pour l'homme, s'il porte toujours un fond de vengeance ? C'est que
toute peine est un instrument juridique dont les méfaits restent
à découvrir.
Chapitre 3
L'INDIVIDU COMME
VOLONTE
Après un long parcours à la recherche de la
visée du châtiment, nous en venons maintenant aux implications
concrètes de l'idée développée jusqu'ici. En effet,
l'individu demeure un problème. En dépit du châtiment, il
n'a jamais renoncé à un agir mauvais. Manifestement, toute
punition présente donc un versant mauvais, sinon elle rendrait toujours
l'individu meilleur.
III.1. Les méfaits
de tout châtiment
Le châtiment vise avant tout l'homme et non son acte. On
sanctionne le voleur (qui pourrait recommencer) et non le vol
déjà consommé. Alors que l'ambition de la morale est de
rendre les individus intérieurement meilleurs les uns aux autres, le
châtiment poursuit un seul but : éduquer l'homme à un
peu plus d'humanité. A côté de cet avantage, toutes les
philosophies du droit connaissent son plus grand méfait : le
châtiment ne voit en l'homme que ce qu'il y a de mauvais. Il oublie le
bien accompli tous les jours. De même, il enseigne à l'homme
à "ne pas faire... ", à cause d'une sanction toujours
possible. Ainsi, si l'homme vit dans le mensonge et avoue difficilement ses
torts, « c'est précisément le châtiment le
châtiment qui a le plus puissamment retardé le
développement du sentiment de culpabilité (...) C'est l'aspect
des procédures judiciaires et exécutives, qui empêche le
coupable de condamner en soi son méfait et la nature de son
action ».76(*)
A voir les choses de près, le châtiment est
irrationnel. Il l'est formellement parce que, en poursuivant un malfaiteur, le
policier et l'accusateur usent de moyens interdits par la loi (espionnage,
duperie, corruption, pièges et tout l'art plein de ruses et
d'artifices), sans être châtiés à leur tour. Il est
plus irrationnel encore, parce que « ces actions [du policier et de
l'accusateur] essentiellement criminelles qui n'ont même pas pour excuse
la passion : le rapt, la violence, l'outrage, l'incarcération, la
torture, le meurtre (...) -tout cela n'est donc pas condamné par le juge
et reprouvé en soi, mais seulement dans certaines circonstances
et sous certaines conditions ». 77(*) Tout bien considéré, ces constats
poussent Nietzsche à une conclusion lapidaire : « le
châtiment dompte l'homme, mais ne le rend pas meilleur ; - on
pourrait, avec plus de raison, prétendre le contraire. "Dommage rend
sage", dit le peuple. Mais, dans la mesure qu'il rend sage, il rend
mauvais. »78(*)
Cet accent pessimiste de Nietzsche ne revendique pourtant pas
l'impunité. Le châtiment reste nécessaire, tant que l'homme
demeure faillible. De ce point de vue, l'Afrique en a besoin, pour faire face
aux problèmes sociaux et politiques causés par l'excès
d'impunité. On sait que le pardon comme tel n'est pas une vertu
politique. Ainsi, les Etats africains et les institutions internationales
(Nations Unies, Union Africaine) ne gageraient rien à promettre des
châtiments complaisants aux malfaiteurs en Afrique. N'a-t-on jamais
menacé de sanctions foudroyantes les forces rebelles en RDC (cas du
cannibalisme commis en Ituri par le Mouvement pour la Libération du
Congo -MLC) et récemment au Soudan (menaces de l'ONU contre le
gouvernement de Kathoum pour la guerre au Darfour), sans exécution
concrète ? C'est dire que la paix en Afrique n'est possible
qu'à condition de restaurer la valeur du châtiment.
Néanmoins, Nietzsche estime qu'on ne peut gémir
sur le mal qui revient sans cesse dans l'agir humain. Car, en dépit du
châtiment, l'individu demeure avant tout
« volonté ». Volonté de s'améliorer,
de se conformer aux normes ou de recommencer un crime colossal. D'où
viendra le salut, sinon de « ce libérateur de la
volonté qui rendra au monde son but, à l'homme son
espérance »79(*) : Zarathoustra.
III.2. Zarathoustra et la
« Volonté de puissance »
Qui est Zarathoustra ? C'est à Heidegger que
revient le mérite d'avoir identifié ce personnage
célèbre. Zarathoustra parle (Ainsi parlait
Zarathoustra). Il parle en faveur de trois choses : la vie, la
souffrance et le cercle.80(*) Il est donc un porte-parole de ces trois idées
indissociables et les proclame. En effet, le concept de Vie revêt chez
Nietzsche un sens imparfaitement exploré jusqu'ici. La vie signifie
« volonté de puissance, trait fondamental de tout ce qui est,
et non seulement de l'homme ».81(*) D'où sa philosophie est une
biosophie. Mais le terme « volonté de
puissance » évoque à la fois beaucoup et peu. S'il ne
traduit nullement une volonté de domination et d'assimilation, ce
concept signifie la volonté de promouvoir la vie, volonté de
création et de maîtrise. Bref, selon Paul Valadier, un
« chant de bénédiction à la surabondance de la
vie ».
En soulignant la valeur de la vie, l'on ne peut oublier la
réputation légendaire de l'Afrique depuis Placide TEMPELS :
l'attachement viscéral à la vie. Si l'apport scientifique et
technologique du continent noir semble minuscule, sur le marché
mondial du 21ème siècle, certains pensent que
l'humanité attend beaucoup de l'Afrique : son profond sens de la vie, sa
chaleur humaine, son hospitalité, etc. D'un certain point de vue, on
peut croire que le clonage, l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique,
etc. ne constituent pas encore de réalités proprement africaines.
Mais les guerres, avortements, sorcellerie et autres pratiques nuisibles
à l'homme ne contestent-elles pas le respect des Africains pour la
vie ? C'est dire qu'aussi bien en Occident qu'en Afrique, la protection de
la vie et la valeur de l'homme restent méconnues.
Par ailleurs, certains pensent que le monde, pour Nietzsche,
est volonté de puissance, au sens de la Lebenswelt
husserlienne. La volonté de puissance s'avère ainsi un
idéal éthique puissant, parce que teintée
d'efficacité et de progrès : volonté (Will)
exprime une tension, "un mouvement vers". Dans ce sens, la "souffrance" chez
Nietzsche est cette Vie qui tarde à venir, car « tout ce qui
souffre veut vivre ».82(*) Nous saisissons alors la portée d'une telle
proposition : la souffrance n'a de fin que si advient un monde de la vie.
Monde dans lequel ni faute ni châtiment ne sont possibles, puisque
l'individu devient promoteur de la vie. Par ailleurs, Zarathoustra proclame
également le « cercle ». Celui-ci est le symbole de
l'anneau, dont la courbe revenant sur elle-même, figure cet Identique qui
revient toujours. D'où Zarathoustra enseigne deux choses :
l'Eternel Retour et le Surhomme.
III.3. L\u8217Eternel
Retour du Même
Heidegger condense l'idée développée
ci-dessus en une seule proposition : « Que tout ce qui est est
volonté de puissance, laquelle souffre comme volonté
créatrice se heurtant elle-même et se veut ainsi elle-même
dans le retour éternel de l'Identique.»83(*) L'Eternel Retour
présente le même caractère équivoque que la
"volonté de puissance". Il ne se comprend qu'en recourant à
« la vision et l'énigme » de Ainsi parlait
Zarathoustra.84(*)
Zarathoustra et le nain se tiennent devant un portique sur lequel on peut
lire : « Instant ». C'est le présent. Ce
portique s'ouvre sur deux ruelles en directions opposées, et qui
semblent n'avoir pas de fin. C'est l'image du temps. Un chemin mène vers
le « Pas encore maintenant » (l'avenir), un autre vers le
« Plus maintenant » (le passé). Mais ces chemins vus
du portique ne sont pas en réalité des voies divergentes. Ils se
rejoignent en formant une boucle. Ainsi, passé et présent ne sont
plus qu'une route circulaire, passant par le point
« Instant ».85(*)
Christophe COLERA a vu juste. On peut rassembler cette
pensée de Nietzsche sous trois affirmations essentielles :
l'infinitude du temps dans le sens de l'avenir et du passé ; la
réalité du temps qui n'est plus une forme
« subjective » de l'intuition et la finitude des choses et
de leur déroulement. Si chacune des deux routes est infiniment longue
(donc éternelle dans sa durée) et si le monde est fini, alors
« tout ce que nous vivons est déjà advenu de la
même façon une infinité de fois et reviendra à
l'identique indéfiniment ». D'où la question de
Zarathoustra : « De toutes choses, ne faut-il point que tout ce
qui peut advenir une fois déjà soit advenu, ait été
fait, se soit passé ? ». Somme toute, le devenir fini qui
s'écoule dans un temps fini est condamné à se
répéter une infinité de fois, puisque passé et
présent forment un cercle. Ainsi, pour Nietzsche,
l'éternité ou la permanence ne réside pas dans une
réalité fixe, mais dans l'Eternel Retour du Même.
L'Eternel Retour de Nietzsche est aussi produit de son
époque. Il signifie finalement retour du même en Occident mais pas
au même. C'est la transvaluation. La vie est donc ce retour
éternel du « déjà vécu » dont
personne n'a conscience. Puisque rien de nouveau n'a lieu sous le soleil, la
faute et le crime appellent à un châtiment plus humain. Car,
c'est précisément dans le châtiment que se
révèle un retour intolérable de la cruauté
primitive.
C'est pourquoi, en vertu de la dignité humaine contenue
dans l'article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme (« Nul ne sera soumis à la torture, ni à
des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »),
la peine de mort et les châtiments corporels sont combattus avec
succès, parce que « avilissants et constitutifs d'un retour
inadmissible [de] la barbarie ancienne ».86(*) S'il était possible que
la peine de mort soit appliquée dans certains cas en Afrique, elle
contribuerait efficacement à réduire la criminalité et les
tentatives de rébellion. Mais ce châtiment suprême n'est
tolérable que dans les limites d'une violation des droits de l'Homme.
Dans ce cas, on serait soi-même accusé de crime volontaire.
L'Eternel Retour du Même paraît une thèse
puissante contre la mondialisation. Si en Afrique et ailleurs la mode, le
consumérisme et l'explosion du marché, l'esprit de lucre et la
recherche d'ouvertures aux autres peuples, la lutte pour la démocratie,
etc. ne sont qu'un retour des réalités très anciennes dans
les habitudes des peuples, c'est que la mondialisation qui véhicule ces
valeurs n'est pas une nouvelle donne. Par ailleurs, après la question de
l'Eternel Retour, celle du Surhomme de Nietzsche n'a jamais cessé
d'être discutée.
III.4. Le Surhomme
Zarathoustra est celui qui enseigne le
« Surhomme ». Mais il convient avant tout de
dépouiller ce vocable de toutes les résonances fausses.
Zarathoustra est celui qui enseigne le Surhomme, il n'est pas le Surhomme
lui-même. Nietzsche à son tour n'est pas Zarathoustra, il est
celui qui interroge l'être de Zarathoustra. Par le concept de "Surhomme",
Nietzsche ne désigne nullement une race qui viendra plus tard
après nous. Il ne pense pas davantage à une race d'autocrates,
qui ferait de la fureur sa loi. Le Surhomme est plutôt « celui
qui s'élève au-dessus de l'homme d'hier et d'aujourd'hui, mais
uniquement pour amener cet homme, en tout premier lieu, jusqu'à son
être, qui est toujours en souffrance, et pour l'y
établir ».87(*)
Manifestement, l'homme d'hier et d'aujourd'hui n'est plus
suffisant. Son insuffisance est de ne pas assumer la domination et la
maîtrise de la terre, parce qu'habité par l'esprit de vengeance et
le vouloir-seulement-punir. Pour que cet homme accède à
l'espérance, Zarathoustra indique un pont à franchir :
« Que l'homme soit délivré de la
vengeance ».88(*) Celle-ci entendue comme ressentiment de la
volonté, est également pour Heidegger « la poursuite
qui s'oppose et qui rabaisse ». Ainsi découvrons-nous la vraie
identité du Surhomme de Nietzsche : un homme délivré
de l'esprit de vengeance, et donc le vrai modèle humain.
Un tel idéal demeure difficile à atteindre,
étant donné le caractère conflictuel de l'homme. En
considérant tous les conflits africains par exemple, les observateurs
attentifs découvrent un même diagnostic : les rescapés
ruminent la vengeance. Dans ce cas précis, il semble utopique de
libérer définitivement ceux-ci de leur soif de vengeance, qui
appelle l'intolérance. Certains pensent d'ailleurs avec raison, que la
conjoncture socio-politique africaine soit gravement rongée par ces deux
vices, la vengeance et l'intolérance. Dans nombre de cas, ils sont
à l'origine des conflits sociaux et politiques, qui portent une atteinte
aux droits de l'Homme.
III.5. Droits de
l\u8217homme et crimes de guerre
Les articles 4 ("Nul ne sera tenu en esclavage ni en
servitude : l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous
toutes leurs formes") et 5 ("Nul ne sera soumis à la torture, ni
à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants") de
la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) semblent
particulièrement ignorés en Afrique. On connaît les
euphories du continent, après le Vent venu de l'Est en 1990 :
guerre en Casamance, crise récurrente au Soudan, génocide
rwandais, guerre en République Démocratique du Congo, au
Congo-Brazzaville, en Côte d'Ivoire, soulèvements suivis de morts
au Togo, etc.
Ce règne de la torture et tous les crimes de guerre
nous dévoilent l'autre visage de la réalité
africaine : l'impunité. Visiblement, l'Afrique aspire au respect de
la dignité et des droits de l'homme. Mais la DUDH qui prêche ce
respect n'est pas une Règle de droit. Elle n'est qu'un
« idéal commun à atteindre par tous les peuples et
toutes les nations »89(*), ne pourvoyant donc aucune sanction en cas de
violation. C'est dire que tout Etat souverain se réserve le droit de
punir les violateurs. A ce titre, le souhait de tous les Africains est que
soient sévèrement châtiés les crimes et les
seigneurs des guerres.
Pourtant, dans les dictatures connues jusqu'ici en Afrique,
toute la machine juridique semble marcher au profit des
« Intouchables », citoyens sur lesquels la loi n'a aucune
prise, la sanction non plus. En vertu de l'idéal proclamé par la
DUDH, les crimes de guerre en Afrique constituant une atteinte réelle
à la dignité humaine, devraient entraîner des sanctions
rigoureuses.
CONCLUSION
Pour tout dire, les pages précédentes ont voulu
dialoguer avec le juridique, à partir de la conception
nietzschéenne du châtiment. Il est évident que le
judiciaire ne châtie qu'une faute révélant suffisamment une
intention criminelle (anima nocendi). Nietzsche situe l'origine de
cette faute dans la notion matérielle de dette, qui cimente la relation
créancier et débiteur, maître et esclave. D'où les
liens historiques difficiles entre Aristocrates et populace, Allemands et
Juifs, Rome et Judée, semblent prolonger ce rapport de maître
à esclave, fondé sur la gravité et l'atrocité.
Bref, sur la volonté consciente de faire mal.
Puisque la faute commise lèse à la fois la
victime et la société, le criminel mérite un
châtiment, parce qu'il aurait pu agir autrement. Châtiment, puisque
son action mauvaise est signe d'ingratitude envers la société qui
lui assure protection. Mais aussi parce que le sujet accuse ainsi un
écart lamentable de conduite par rapport aux normes du groupe. Nietzsche
ne soutient nullement l'impunité. Au contraire, la société
doit sanctionner tout délit, pour se faire rétribuer ses droits
violés par le malfaiteur (rétribution), pour mettre de dernier
hors d'état de nuire (prévention individuelle), pour
décourager toute velléité du groupe à imiter son
exemple (intimidation collective), ou pour éliminer un
élément dégénéré du groupe
(élimination). En ce sens, le châtiment est un bien pour le
coupable et pour la société.
Mais dans cette affirmation s'affichent des controverses.
Comment justifier le retour constant du mal dans l'agir du malfaiteur
purifié au châtiment ? C'est que la répression, de
quelque ampleur soit-elle, n'est pas un instrument propice à rendre
l'individu définitivement bon. En effet, les philosophies du Droit ont
jusqu'ici reconnu les succès du châtiment dans la
résolution des différends. Mais Nietzsche voit dans tout acte
punisseur un versant mauvais : si l'individu vit dans le mensonge et avoue
difficilement ses fautes, n'est-ce pas par crainte du
châtiment qu'il encourt ? Encore faut-il relever que la plupart de
lois n'apprennent à l'homme que des interdits, sous peine d'une
sanction. En cela, elles le maintiennent dans une crainte permanente et
détournent la transparence de son agir.
L'on perçoit donc que le fondement du Droit
pénal réside définitivement dans la notion de
châtiment, qui découle d'une faute ayant suscité
la colère des membres du groupe. Chez Nietzsche, cette faute est
symbolisée par l'image d'une dette impayée, de sorte que
commettre un délit - ce qu'atteste le Droit pénal, c'est
contracter une dette envers la société. Cette dette se paie par
le châtiment. Le coupable est alors mis hors la loi et
châtié comme un véritable ennemi du groupe. On comprend
pourquoi le droit revient à l'Etat (et non à la personne
lésée) d'exercer le châtiment, par l'autorité
judiciaire, qui vise ainsi à empêcher la victime elle-même
d'exercer une vengeance privée. D'où l'Etat seul a le droit de
venger la faute commise à un sujet et de maltraiter le coupable, par des
sanctions pénales, au nom de la victime.
Finalement, aussi plausible que soit sa conception du
châtiment, Nietzsche n'a pas le dernier mot de la vérité.
Il est vrai que l'individu doit se libérer de l'esprit de vengeance pour
accéder à l'espérance. Nous croyons également en
l'Eternel Retour du Même, qui nous fait découvrir que toutes les
tendances modernes (mondialisation, développement durable,
démocratie, etc.) ne sont pas nouvelles. Mais, si Nietzsche ne comprend
tous les rapports intersubjectifs que dans la relation de maître à
esclave, du puissant au faible, du créancier au débiteur ou de
Rome à Judée, bref dans une relation de domination, il n'y a donc
aucune place pour l'amitié entre les hommes, malgré leurs
différences. Par conséquent, tous les principes
d'égalité (de chances, en droits, devant la justice, etc.) entre
les individus se trouvent nécessairement limités. Le Christ
n'aura donc rien apporté au monde. Quoiqu'il en soit, nous voudrions
être de ceux qui croient au bien-fondé de tout châtiment
juste, puisque mille générations d'hommes y ont recouru pour
réduire la criminalité. A bien saisir cette vérité,
le plus infaillible des hommes devrait être une divinité.
BIBLIOGRAPHIE
A. OEuvres de Nietzsche citées
1. NIETZSCHE, Friedrich, Ainsi parlait Zarathoustra,
traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, Paris,
Gallimard, 1971.
2. ,
Généalogie de la Morale, traduit par Henri Albert, Paris,
Mercure de France, 1948.
3. , Humain, trop humain I, Paris,
Gallimard, 1968.
4. , Le Gai savoir, traduit en français
par Pierre Klossovski, Paris, Gallimard, 1982.
5. ,
Par-delà le bien et le mal, Paris, Union générale
d'éditions, 1951.
6. , Vie et
Vérité, textes choisis par Jean Granier, Paris, PUF,
1977.
B. Ouvrages sur Nietzsche
1. COLERA, Christophe, Individualité et
subjectivité chez Nietzsche, Paris, L'Harmattan, 2004.
2. CREPON, Marc, Le malin génie des langues.
Nietzsche, Heidegger, Rosenzweig, Paris, J.Vrin, 2000.
3. DUMOULIE, Camille, Nietzsche et Arthaud. Pour une
éthique de la cruauté, Paris, PUF, 1992.
4. FAYE, Jean-Pierre, Le vrai Nietzsche. Guerre à la
guerre, Paris, Hermana, 1998.
5. GOEDERT, Georges, Nietzsche des valeurs
chrétiennes. Souffrance et compassion, Paris, Beauchesne,
1977.
6. HEIDEGGER, Martin, Essais et Conférences,
traduit de l'allemand par André Préau, Paris, Gallimard, 1958.
7. VALADIER, Paul, Nietzsche l'intempestif, Paris,
Beauchesne, 2000.
Autres ouvrages
1. ARCHIVES DE PHILOSOPHIE DU DROIT, t. 28, Philosophie
pénale, Paris, Sirey, 1983.
2. BOURDIN, Dominique, 50 fiches de lecture en philosophie.
De Hegel à la philosophie d'aujourd'hui, Paris, Bréal,
2000.
3. BRIERE DE L'ISLE, Georges, Cours de droit pénal
général, Paris, Les Cours du Droit, 1981.
4. Code Pénal, Paris, Dalloz, 1995.
5. DECLOUX, Simon, Cours de philosophie du Droit, Saint
Pierre Canisius Kimwenza, Inédit, 2004-2005.
6. DORON, Roland et PAROT, Françoise, Dictionnaire de
Psychologie, Paris,PUF, 1998.
7. HOBBES, Thomas, Léviathan. Traité de la
matière, de la forme et du pouvoir de la république
ecclésiastique et civile, traduit par François Tricaud,
Paris, Sirey, 1971.
8. JACOB André (dir.), Encyclopédie
philosophique universelle III. Les oeuvres philosophiques, Paris, PUF,
1992.
9. LARGUIER, Jean, Le droit pénal, Paris, PUF,
1972.
10. NYABIRUNGU, mwene Songa, Droit pénal
général zaïrois, 2ème édition,
Kinshasa, Droit et Société "DES", 1995.
11. ONU, Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, Kinshasa, s. éd., décembre 1998.
* (*) Né en Saxe en
1844, Friedrich Nietzsche est un philosophe allemand. Auteur d'une immense
bibliographie et d'une pensée riche, il fut nommé professeur de
philologie antique à l'université de Bâle. Frappé de
démence en 1889, Nietzsche mourut en 1900 à Weimar
(Allemagne).
* 1 Cfr. Art. 21-3 du
Code Pénal, Paris, Dalloz, 1995 relatif à la
responsabilité pénale : « Il n'y a point de crime
ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le
prévoit, il y a délit en cas d'imprudence, de négligence
ou de mise en danger délibérée de la personne
d'autrui. » Mais la question s'est révélée plus
délicate à la doctrine et à la jurisprudence pour
"l'infraction (tentative ou crime) impossible", qui est celle dont le
résultat recherché par l'auteur n'a pu être atteint soit
par manque d'objet, soit par inefficacité des moyens utilisés.
Faut-il punir le picpocket mettant la main dans une poche vide ? C'est un
fait que la loi sanctionne cet acte parce que révélant
suffisamment l'intention de nuire.
* 2 Georges Goedert,
Nietzsche critique des valeurs chrétiennes. Souffrance et
compassion, Paris, Beauchesne, 1977, p. 286.
* 3 Friedrich Nietzsche,
Généalogie de la Morale (GM), traduit par Henri Albert,
Paris, Mercure de France, 1948, p. 60.
* 4 GM, p. 50.
* 5 Dominique Bourdin (dir.),
50 fiches de lecture en philosophie. De Hegel à la philosophie
d'aujourd'hui, Paris, Bréal, 2000, p. 85.
* 6 GM, p. 50.
* 7 Dominique Bourdin,
op. cit., p. 85.
* 8 D. Widlöcher,
« Sadisme », in Roland Doron et Françoise Parot
(dir.), Dictionnaire de Psychologie, Paris, PUF, 1998, p. 643.
* 9 GM, p. 151.
* 10 Camille
Dumoulié, Nietzsche et Arthaud. Pour une éthique de la
cruauté, Paris, PUF, 1992, p. 21 note 24.
* 11 Néron et
Caligula furent les empereurs les plus cruels de Rome. Le premier se suicidait
en déclarant : « Qualis artifex pereo ! (Que
l'artiste [lui-même, bâtisseur de Rome] meure avec moi) »
alors que le second affirmait : « Qu'ils me haïssent pourvu
qu'ils me craignent ».
* 12 GM, pp.
58-59.
* 13 Ibidem.
* 14 Sarah Kofman
citée par Marc Crépon, Le malin génie des langues.
Nietzsche, Heidegger, Rosenzweig, Paris, J.Vrin, 2000, p.75.
* 15 Frédéric
Nietzsche, Le Gai savoir (GS), traduit en français par Pierre
Klossovski, Paris, Gallimard, 1982, p. 286.
* 16 Le 27 janvier 2005,
l'humanité entière a commémoré avec émoi le
60è anniversaire de la libération d'Auschwitz, camp où
s'est déployée la cruauté nazie.
* 17 Jean-Pierre Faye,
Le vrai Nietzsche. Guerre à la guerre, Paris, Hermana, 1998, p.
65.
* 18 GM, p. 63.
* 19 Frédéric
Nietzsche, Vie et Vérité (VV), textes choisis par Jean
Granier, Paris, PUF, 1977, p. 45.
* 20 GM, p. 39.
* 21 Frédéric
Nietzsche, Par-delà le bien et le mal (PBM), Paris, Union
générale d'éditions, 1951, p. 39.
* 22 PBM, §
260
* 23 GM, pp. 44-45.
* 24 Ibid., p.
66.
* 25 Camille
Dumoulié, op. cit., p. 21, note 24.
* 26 GM, p. 38.
Mirabeau est un personnage qui n'avait pas la mémoire des insultes et
infamies dirigées contre lui, et qui ne pouvait pardonner, pour la
simple raison qu'il oubliait.
* 27 . Selosse,
« Vengeance », in Roland Doron et Françoise Parot
(dir.), op. cit., p. 746.
* 28 GM, p. 64.
* 29 La philosophie de
Nietzsche est aussi appelée Biosophie parce qu'elle proclame la
vie. Selon Heidegger, c'est Zarathoustra qui est le porte-parole, le messager
de cette vie à promouvoir (Cfr. Chapitre 3).
* 30 Cfr. Jean Larguier,
Le droit pénal, Paris, PUF, 1972, p. 58. A ce propos, Gui-Pape
raconte que, venant de Bourgogne, il vit aux fourches patibulaires de
Châlons un cochon qui avait été condamné à
être pendu pour avoir tué un enfant. Don Martenne rapporte
également une sentence rendue, le 16 mai 1799, par le bailli de l'Abbaye
de Notre-Dame de Beaupréau, qui infligea la même peine à un
taureau coupable d'homicide envers un jeune homme de 14 à 15 ans. (Voir
Nyabirungu mwene Songa, Droit pénal général
zaïrois, Kinshasa, DES, 1995, p. 18).
* 31 GM, p. 99
* 32 GM, p. 96
* 33 Paul Valadier,
Nietzsche l'intempestif, Paris, Beauchesne, 2000, p. 51.
* 34 Ibidem.
* 35 GM, p. 96
* 36 Cfr. Georges
Brière de L'Isle, Cours de droit pénal
général, Paris, Les Cours du Droit, 1981, p. 98.
* 37 Paul Valadier,
op.cit., p. 56.
* 38 GM, p. 95
* 39 Friedrich Nietzsche,
Humain, trop humain (HTH) I, Paris, Gallimard, 1968,
pp. 96-97.
* 40 Platon cité par
Gérard Courtois, « La vengeance chez Aristote et
Sénèque à la lumière de l'anthropologie
juridique », in Archives de philosophie du Droit, tome 28,
Philosophie pénale, Paris, Sirey, 1983, p. 30.
* 41 Thomas Hobbes,
Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du
pouvoir de la république ecclésiastique et civile, traduit
par François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 153.
* 42 C'est un plaisir que le
gouvernement américain ait récemment consacré la date du
17 janvier comme journée fériée, en l'honneur de Dr
Martin Luther King.
* 43 GM, p. 92.
* 44 GM, p. 93.
* 45 Dracon,
législateur athénien dont les lois étaient tellement dures
qu'on les disait écrites en lettres de sang.
* 46 GM, pp.
112-113.
* 47 P. Champromis,
« La Généalogie de la Morale », in
André Jacob (dir.), Encyclopédie philosophique universelle
III. Les oeuvres philosophiques, Paris, PUF, 1992, p. 2007.
* 48 Simon Decloux,
Cours de philosophie du Droit, saint Pierre Canisius Kimwenza,
Inédit, 2004-2005, p. 3.
* 49 GM, p. 101.
* 50 Ibid., p.
100. Cette autorité est habituellement l'Etat. Car en
matière de pénalité, selon Georges Brière de
L'Isle, c'est l'Etat qui prend en charge l'exercice de la répression, le
droit de maltraiter le coupable au nom de la victime et le pouvoir de fixer la
peine. La justice privée (Cfr. notre chapitre précédent)
est donc interdite. L'intervention judiciaire remplace l'initiative
privée dans l'exercice de la répression.
* 51 Georges Goedert,
op. cit., p. 287.
* 52 Art. 111-1 du Code
pénal.
* 53 GM, p. 112.
* 54 Ibid., p.
113.
* 55 La prison est une
institution pénitentiaire, qui vise la correction et la
rééducation du malfaiteur. Mais elle offre ici un avantage que
Nietzsche sera le dernier à relever : la protection du malfaiteur
contre la vindicte de ses victimes.
* 56 GM, p. 114.
* 57 Ibid., p.
116.
* 58 P. Champromis, op.
cit., p. 2007.
* 59 Christophe Colera,
Individualité et subjectivité chez Nietzsche, Paris,
L'Harmattan, 2004, p. 58. Selon Colera, l'expression anglaise
« Social embodiment » ne gagnerait rien à
être traduite. « Embodiment » signifie aussi
bien incarnation que personnification. Il évoque l'idée
d'exprimer, de mettre en application (to embody), et sous-entend
également le corps (body) par lequel l'homme se rend
présent au monde.
* 60 Georges Goedert,
op. cit., p. 287.
* 61 GM, p. 145.
* 62 GM, p. 152.
* 63 Christophe Colera,
op. cit., p. 67.
* 64 Réflexion que
nous a inspirée la lecture de certaines pages Web consacrées
à Nietzsche.
* 65 GS, p. 206.
* 66 GM, p. 127.
* 67 GM, pp.
129-130.
* 68 Nyabirungu mwene Songa,
Droit pénal général zaïrois, 2è
édition, Kinshasa, Droit et Société "DES", 1995, p. 266.
En classifiant les différentes fonctions du châtiment chez
Nietzsche, nous nous appuierons sur cet ouvrage (pp. 266-268) pour
éclaircir les concepts.
* 69 GM, p. 129.
* 70 Ibid., p.
131.
* 71 GM, pp.
129-130.
* 72 Ibidem
* 73 Ibidem
* 74 Interprétation
dégagée de la lecture nietzschéenne de Martin Heidegger,
dans Essais et Conférences, traduit de l'allemand par
André Préau, Paris, Gallimard, 1958.
* 75 Nyabirungu, op.
cit., pp. 15-16. La loi du talion (lex talionis) est
consacrée dans le Code Hammourabi de Chaldée. Elle a
été reprise dans la Loi de Moïse (d'où l'allusion de
Jésus : « Vous avez appris qu'il a été dit
aux anciens : "oeil pour oeil, dent pour dent." Eh bien, moi je vous
dis... ») et dans la Loi romaine des Douze Tables
évoquée plus haut dans ce chapitre. L'abandon noxal consistait
à abandonner l'auteur d'une infraction entre les mains de la famille de
la victime, qui était libre d'en faire ce qu'elle voulait : le
vendre, en faire un esclave, le mettre à mort, etc.
* 76 GM, p. 132.
* 77 Ibidem.
* 78 Ibid., p.
135.
* 79 Ibid., p.
160.
* 80 Martin Heidegger,
op. cit., p. 118.
* 81 Ibidem.
* 82 Ibid., p.
119.
* 83 Ibidem.
* 84 Friedrich Nietzsche,
Ainsi parlait Zarathoustra (APZ), traduit de l'allemand par Maurice de
Gandillac, Paris, Gallimard, 1971, pp. 195-200.
* 85 Christophe Colera,
op. cit., p. 109.
* 86 Nyabirungu, op.
cit., p. 272.
* 87 Martin Heidegger,
op. cit., p. 122.
* 88 Ibid., p.
128.
* 89 Préambule de la
DUDH du 10 décembre 1948.