Université Stendhal - Grenoble 3
UFR sciences de la communication Institut de la
Communication et des Médias Master 2 Sciences de l'Information et de
la Communication
Du NOMIC au Sommet Mondial de la
Société de l'Information: Le rôle
de
l'UNESCO dans la réduction de la
fracture numérique en Afrique
Mémoire présenté par
:
Destiny TCHEHOUALI
Sous la direction de :
Monsieur Bertrand CABEDOCHE
Que Monsieur Bertrand CABEDOCHE trouve ici le
témoignage de notre profonde reconnaissance pour sa disponibilité
et pour l'encadrement rigoureux qu'il a bien accepté apporter à
l'élaboration de ce travail.
Nous tenons également à adresser nos
remerciements à Madame Isabelle PAILLIART, pour ses précieuses
orientations dans la rédaction du mémoire.
Nous ne saurions oublier les chercheurs, sans qui
cette oeuvre serait restée inachevée et qui de par leurs
réflexions ont enrichi la substance des discours soumis à notre
analyse. Un remerciement particulier à l'endroit de Madame Annie
Lenoble-Bart, Professeur à l'Université de Bordeaux 3 qui, a bien
voulu partager avec nous son avis sur les questions centrales de notre
problématique de recherche. Madame Annie Lenoble-Bart est Animatrice du
GREMA (Groupe de Recherches et d'Études sur les Médias Africains)
et Coordinatrice de l'Axe 1 du programme 2003-2006 de la Maison des Sciences de
l'Homme d'Aquitaine sur " Modèles et transferts dans la mondialisation
des Afriques : Gouvernance, démocratie, transferts et
appropriation".
Enfin, notre sincère gratitude à tous
ceux qui de près ou de loin, par leur soutien moral, leur aide
intellectuelle et leurs encouragements, ont contribué aux
différentes phases de réalisation de ce travail.
Je dédie ce travail :
· :. A mes chers parents qui ont toujours cru en moi et
qui à travers leur amour et leur soutien m'ont toujours aidé,
malgré la distance nous séparant, à surmonter les
épreuves difficiles de la vie et à relever les grands
défis de ma destinée.
· :. A tous les chercheurs, les institutions, les
organisations nationales ou internationales, les ONG ainsi qu'à toutes
les personnes physiques ou morales qui dans le monde luttent pour la
réduction de la fracture numérique Nord-Sud.
SOMMAIRE
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS 5
INTRODUCTION 6
Première partie : Cadre théorique et
méthodologique de la recherche . . 9
Chapitre 1 : Contexte théorique 10
I-Genèse de la société de l'information :
Un bref détour historique 10
II-Théories et discours sur les TIC : Délimitation
d'un champ de recherche 12
A-Le paradoxe entre déterminisme technologique et
déterminisme social 12
B-Communication internationale au coeur des Théories du
développement et du
modernisme 14
III-Problématique et objectifs de recherche 18
A-Problématique 18
B-Objectifs 20
Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche 21
I-Questions et hypothèses de recherche 21
II-Intérêt et valeur de la recherche 22
III-Méthodes de recueil des données 23
A-Population d'étude 23
B-Méthode historique et descriptive 23
C-Entrevues de recherche 24
Deuxième partie : L'Afrique dans la société
globale de l'information 26
Chapitre 1 : Du rapport McBride à la
société de l'Information 26
I-L'information à sens unique et la contestation des pays
du Sud 26
II-Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul monde
» 30
III-Conséquences de l'échec du NOMIC 33
Chapitre 2 : La facture des fractures 36
I-Fracture numérique et sous-développement en
Afrique 36
A-Fracture numérique et Développement : Quels
liens ? 37
B-Le vécu de la fracture en Afrique 40
II-Bilan sommaire et critique du SMSI : de Genève
à Tunis 43
A-Déclaration de principes et plan d'action de
Genève 44
B-Principaux engagements de Tunis 47
C-État actuel des lieux 48
Troisième partie : Solidarité numérique en
Afrique : Vers une dépendance technologique accrue de l'Afrique ou
une résorption de la fracture ? 55
Chapitre 1 : Une volonté et une mobilisation
internationale manifestes. 55
I-L'e-inclusion à travers la solidarité
numérique 55
II-L'engagement de l'UNESCO : Le PIDC à la loupe 60
III-Les autres institutions internationales : UIT, OMC, PNUD,
OIF, BM 62
Chapitre 2 : Communication internationale et souveraineté
nationale :
Les limites des organisations internationales 66
I-Les enjeux géopolitiques de la régulation de la
communication internationale... 66
II-Les limites de l'UNESCO dans sa lutte contre la fracture
numérique 67
III-Plaidoyer pour une réappropriation culturelle des TIC
en Afrique 70
CONCLUSION 73
BIBLIOGRAPHIE 80
WEBLIOGRAPHIE 83
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
· ATU : Union Africaine des
Télécommunications
· BM : Banque Mondiale
· CANAD : Central African New Agencies Development
· CEDEAO : Communauté Economique Des Etats de
l'Afrique de l'Ouest
· CSDPTT : Coopération Solidarité
Développement aux PTT
· DOT Force : Digital Opportunity Task force
· FMI : Fonds Monétaire International
· Fonds de Solidarité Numérique
· GRESEC : Groupe de Recherche Sur les Enjeux de la
Communication
· IAN : Indice d'Accès Numérique
· NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement
de l'Afrique
· NOEI : Nouvel Ordre Economique International
· NOMIC : Nouvel Ordre Mondial de l'Information et de la
Communication
· OCDE : Organisation pour la Coopération et le
Développement Economique
· OIF : Organisation Internationale de la Francophonie
· OMC : Organisation Mondiale du Commerce
· OMPI : Organisation Mondiale pour la
Propriété Intellectuelle
· ONG : Organisation Non Gouvernementale
· ONU : Organisation des Nations Unies
· PIDC : Programme International pour le
Développement de la Communication
· PIPT : Programme Intergouvernemental Information Pour
Tous
· PMA : Pays les Moins Avancés
· PMAC : Pays les Moins Avancés en Communication
· PD : Pays Développés
· PED : Pays en Développement
· PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
· RASCOM : Regional African Satellite for Communication
· SMSI : Sommet Mondial de la Société de
l'Information
· TIC : Technologies de l'Information et de la
Communication
· UIT : Union Internationale des
Télécommunications
· UNESCO : Organisation des Nations Unies pour L'Education,
la Science et la Culture
· UNICTTF: United nations Information and Communication
Technologies Task Force
INTRODUCTION
Le développement effréné des technologies
de l'information et de la communication (TIC) depuis quelques décennies
et la nouvelle configuration du monde en réseaux planétaires est
la preuve de la mondialisation de la communication que l'UNESCO définit
comme « le symbole du triomphe mondial de l'économie de
marché et de la libéralisation du commerce international ».
L'effacement des frontières et des obstacles topographiques grâce
aux « autoroutes de l'information » permet à la communication
internationale d'entretenir l'utopie macluhanienne du village global, tout en
nourrissant les imaginaires et les croyances inhérentes à la
résorption de la fracture numérique mondiale, à la libre
circulation des informations et des données, ainsi qu'à
l'échange des connaissances et des cultures dans un contexte global de
rééquilibrage des rapports humains.
Pourtant, à ces grands espoirs s'impose la
réalité de «sociétés à deux
vitesses», une société de l'information divisée et
fondée sur des bases inégalitaires où se côtoient
pauvres et riches, puissants et dominés, profiteurs et exploités,
participants et exclus, savants et ignorants. Ceci amène d'ailleurs
Marcel Merle1 a affirmé que l'évolution de l'histoire
a été scandée par une série d'innovations
techniques qui ont mené à deux mouvements contradictoires
à savoir, d'une part la tendance à l'uniformisation de la
condition humaine et d'autre part à la discrimination croissante entre
ce qu'il appelle les « bénéficiaires » et les «
laissés-pour-compte » du progrès. Face à la
recomposition générale des forces géostratégiques
sous-tendant ces inégalités, certains auteurs comme Ignacio
Ramonet se retrouvent devant le constat que : « Partout alarme et
désarroi succèdent à la grande espérance d'un
nouvel ordre mondial. Celui-ci, on le sait à présent, est
mort-né. Et nos sociétés, comme lors de
précédentes époques de transition, se demandent si elles
ne s'acheminent pas vers le chaos »2. Mais de nombreux acteurs
économiques et institutions internationales ainsi que quelques auteurs
et chercheurs en Sciences de l'information et de la Communication (SIC) tels
que Manuel Castells produisent un discours plutôt dithyrambique et
promotionnel des TIC comme solution salvatrice pour le développement
social et humain et comme issue au chaos géopolitique des
inégalités numériques de la société de
l'information.
1 MERLE Marcel., Bilan des relations
Internationales Contemporaines, Paris, Economica, 1995, pp.40-41.
2 RAMONET Ignacio, Géopolitique du
chaos, Paris, Galilée, 1997, p.1 5.
De l'ouverture des débats sur le NOMIC dans les
années 1970 jusqu'aux récents débats du Sommet Mondial de
la Société de l'Information (2003, 2005), beaucoup de
réflexions ont été produites. Cependant, durant ces trois
décennies les réflexions et propositions qui ont pris corps
à l'UNESCO avant de se déplacer et s'étendre à
d'autres institutions (Communauté européenne, OCDE, UIT,
OMC,....) semblent n'avoir pas réellement contribué à une
communication internationale équilibrée et égalitaire
à même de nous faire oublier aujourd'hui la ligne de
démarcation symbolisant la fracture « Nord/Sud » ou plus
spécifiquement les inégalités entre pays occidentaux et
pays africains en matière de communication.
Qu'est ce qui explique cette inefficacité des
stratégies de l'UNESCO dans la lutte pour le développement
international de la communication? Y aurait-il des enjeux géopolitiques
susceptibles d'argumenter en faveur d'une thèse de manipulation ou
d'influence subie par l'UNESCO et dirigée par la toute puissance
états-unienne ou occidentale ?
Dans la première partie de ce travail, nous proposons
quelques éléments de réponse à ces questions
à travers des éclaircissements théoriques. Pour ce faire,
nous avons tenu à rappeler par une brève genèse comment la
notion de « société de l'information » s'est
graduellement imposée à l'usage. Ensuite, à partir des
controverses et critiques légitimant ou accablant cette
société de l'information, nous passerons en revue les discours
déterministes sur les TIC, ainsi que les différentes
théories de développement, de modernisation
néolibérale, et d'impérialisme culturel pour
déboucher sur une problématique sous-jacente centrée sur
le rôle joué par les organisations internationales et notamment
celui de l'UNESCO dans la régulation du déséquilibre des
rapports Nord/Sud en matière de communication internationale.
Une fois ce déblayage théorique fait, nous
présenterons l'Afrique dans la société de l'information en
partant du rapport McBride et des conséquences de l'échec du
NOMIC pour vérifier les éventuels liens de causalité entre
sous développement et fracture numérique tout en nous appuyant
sur le vécu de la fracture en Afrique. Dans la dernière partie du
travail, nous nous interrogerons sur l'opportunité réelle de la
solidarité numérique en Afrique en analysant les actions de
l'UNESCO et ses limites dans la lutte contre la fracture numérique en
Afrique. Puis nous finirons sur un plaidoyer pour la réappropriation
culturelle des TIC comme mesure d'accompagnement de la solidarité
numérique, en ouvrant ainsi notre conclusion sur des perspectives de
recherches approfondies dans le cadre du doctorat.
Première partie :
Cadre théorique et
méthodologique de la recherche
Première partie : Cadre théorique et
méthodologique de la
recherche
Chapitre 1 : Contexte théorique
I- Genèse de la société de
l'information : Un bref détour historique
La Déclaration de principes de Genève
adoptée au lendemain de la première phase du Sommet Mondial de la
Société de l'Information (SMSI) par les gouvernements - avec des
apports importants de la société civile -, signale dans son
premier article : « Nous (...) proclamons notre volonté et
notre détermination communes d'édifier une société
de l'information à dimension humaine, inclusive et privilégiant
le développement, une société de l'information, dans
laquelle chacun ait la possibilité de créer, d'obtenir,
d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans laquelle les
individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en
oeuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur
développement durable et en améliorant leur qualité de
vie, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations
Unies ainsi qu'en respectant pleinement et en mettant en oeuvre la
Déclaration universelle des Droits de l'Homme ».
Société post-industrielle, ère technétronique,
société de l'information, société de la
connaissance.... Autant de pseudoconcepts pour qualifier et identifier la
portée des changements technologiques caractéristiques de notre
époque. Finalement, c'est l'expression « Société de
l'information » qui s'est imposée comme terme
hégémonique et ce comme le précisait Sally Burch, «
non pas nécessairement parce qu'elle exprime une clarté
théorique mais en raison du «baptême» qu'elle a
reçu dans les politiques officielles des pays développés
en plus du couronnement qu'a représenté un Sommet mondial
organisé en son honneur. »
Cette notion soulève des ambigüités, et des
controverses qui la rendent floue et sans définition précise.
Elle ne veut pas dire, par exemple, que chaque personne soit aujourd'hui en
possession d'une grande quantité d'informations et de connaissances,
mais indique plutôt un déplacement de l'activité humaine de
la fabrication de biens vers le traitement de l'information et du savoir. Cette
approche fait justement référence à l'apparition du terme
information society en 1973 dans l'ouvrage du sociologue et économiste
Daniel Bell intitulé Vers la société post-industrielle
: une tentative de prévision sociale. Fritz Machlup (1962) et Alain
Touraine (1969) précèdent Daniel Bell dans la lignée des
précurseurs de la nouvelle société de l'information. A en
croire Jeremy Rifkin, l'ère du capitalisme industriel est bien finie,
nous devons maintenant passer à autre chose : notamment à une
société caractérisée par
la prééminence du secteur tertiaire, la
centralité de l'information et de la connaissance et l'émergence
des nouvelles élites techniciennes et de nouveaux principes de
stratification sociale. Gaëtan Tremblay, dans l'une de ses interventions
au cours des séminaires visioconférences GPB7 organisés
par le GRESEC trouvait dans l'expression société de
l'information, « une tentative d'appréhension globale des
sociétés contemporaines ». D'autre part, la «
société de l'information », en tant que construction
politique et idéologique, s'est développée dans le cadre
de la globalisation néolibérale qui visait principalement
à accélérer l'instauration d'un marché mondial
ouvert et « autorégulé ». Cette politique était
menée en étroite collaboration avec des organismes
multilatéraux comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds
monétaire international (FMI) et la Banque mondiale afin que les pays
peu développés abandonnent les réglementations nationales
ou les mesures protectionnistes risquant de « décourager » les
investissements. Le mythe de la société de l'information a donc
été souvent utilisé pour déréguler les
marchés des TIC en creusant davantage le fossé numérique
Nord/Sud. Il n'y a alors selon Anne-Marie Laulan3 « aucun
étonnement devant l'enthousiasme industriel, financier, puis
administratif à proclamer la naissance d'une nouvelle civilisation,
fondée sur les dispositifs et systèmes que l'économie
mondialisée maîtrise fort bien, (et à son profit quasi
exclusivement). » Manuel Castells4, l'un des chercheurs qui a
le plus développé ce sujet préfère quant à
lui qu'on parle de « société informationnelle »
plutôt que de « société de l'information » en
signalant que si la connaissance et l'information sont des
éléments décisifs dans tous les modes de
développement, « le terme «informationnel»
caractérise une forme particulière d'organisation sociale, dans
laquelle la création, le traitement et la transmission de l'information
deviennent les sources premières de la productivité et du
pouvoir, en raison des nouvelles conditions technologiques apparaissant dans
cette période historique-ci ». Ce fondement d'une nouvelle
« société de l'information et du savoir » est largement
critiqué par les chercheurs des SIC qui y relèvent une sorte de
déterminisme « informationnel ». Alain Rallet (2004) le
substitue d'ailleurs à la notion de « société
numérique », alors que Bernard Miège5 trouve plus
approprié de parler de société de « communication
médiatisée » fondée sur la maîtrise non du
contenu, mais des producteurs, et médiateurs de la communication telles
que les firmes multinationales, ou les organisations internationales.
3 LAULAN Anne-Marie, Machine à
communiquer et lien social. Un texte prononcé à Tunis (SMSI)
en novembre 2005, à la table-ronde de la SFSIC.
4 CASTELLS Manuel, L'ère de
l'information, 3 tomes, Fayard, 1998-1999.
5 MIEGE Bernard, L'information - Communication,
objet de connaissance, de Boeck, 2004.
Les diverses contradictions et les multiples
définitions de la société de l'information partagent
toutes cependant la caractéristique commune d'être empreintes de
déterminisme, que ce déterminisme soit technologique ou
social.
II- Théories et discours sur les TIC :
Délimitation d'un champ de
recherche
Au carrefour des SIC et des sciences sociales, la question de
la fracture ou celle de la solidarité numérique engendrée
par les inégalités de la société de l'information
appartient au contexte global des recherches portant sur l'intégration
des technologies de l'information et de la communication dans les
sociétés. Par ailleurs, il s'avère que
l'intégration des TIC dans la sphère publique a favorisé
des discours imaginaires, riches en projections voire contradictoires. Toutes
les études menées sur les TIC se doivent alors d'être
forgées sur l'adoption d'une posture technologique explicite ou
implicite qui contribue à la fabrication des problématiques, des
méthodes et des axes d'interprétation.
Ainsi, s'agira-t-il pour nous ici de confronter quelques
discours et théories sur les TIC, de souligner leurs oppositions ou
convergences, d'être attentifs à leur révision ou à
leur inflexion pour retracer le positionnement de notre sujet par rapport
à ces différents courants de pensée.
A- Le paradoxe entre déterminisme technologique et
déterminisme social
On distingue deux principales postures relatives aux discours
sur les technologies de l'information et de la communication. Tandis que le
déterminisme technique soutient que les techniques, les pratiques des
outils vont résoudre à eux seuls les dysfonctionnements de la
société ou influer de façon exclusive les formes de
rapports sociaux, le déterminisme social prétend que ce sont les
rapports sociaux et les anciennes pratiques qui déterminent les
progrès de la technique.
Rappelons que les origines du déterminisme technique
remontent au 19ème siècle avec la naissance des utopies
technicistes qui seront à leur tour relayées un peu plus tard par
des auteurs comme Kropothkine, Geddeser, Lewis Munford, Simon Nora ou encore Al
Gore avec « les autoroutes de l'information » en 1993. Leroi Gourhan
n'hésite pas, par exemple à soutenir que : « Ce qu'il y a de
plus humain dans l'homme c'est la technique ». Mais Jacques Ellul en
parlant du bluff technologique en 1988, va plus loin car il est, quant à
lui, convaincu que : « La technique prend le pas sur le rôle
effectif de l'homme dans la société. »
Cette période est bien d'ailleurs celle de la
première génération de chercheurs sur les TIC. Il y avait
d'une part les technophobes pessimistes comme P. Virilio, qui dénoncent
les effets désastreux des TIC tout en les percevant comme les futurs
désastres de l'humanité. D'autre part, les technophiles
(prophètes du cyberespace), à l'instar de Pierre Lévy ou
de J. de Rosnay et plus récemment les disciples de Michel Maffesoli, qui
soutiennent de leur côté que les usages des TIC sont en train de
transformer radicalement et positivement la socialité contemporaine.
Norbert Wiener s'aligne dans ce courant de pensée quand il
considère que l'organisation sociale fonctionne telle une machine
autorégulée.
A l'opposé de cette posture de déterminisme
technique, le courant du déterminisme social appréhende les
rapports sociaux et les anciennes pratiques comme les facteurs
déterminant ou influençant la technique. Ce courant s'oppose
à la vision de M. Macluhan à faire du médium le message.
La technologie est le résultat d'une construction sociotechnique. Ici,
la technique est pensée en tenant compte de l'antériorité
des pratiques sociales. Il est alors beaucoup plus question d'appropriation
progressive ou de détournement des TIC au profit des individus ou des
groupes. C'est dans cette logique que de nombreuses études d'impacts ont
été réalisées par les laboratoires des grands
groupes de télécommunication tels que France
Télécom R & D. favorisant ainsi des disciplines comme
l'économie, et le marketing afin d'étudier l'offre de services
à partir des différentes dimensions de l'information :
marchandes, cognitives, communicationnelles et politiques.
A priori, notre travail pourrait être inscrit dans une
démarche de déterminisme social et cela reviendrait à
soutenir la thèse selon laquelle les relations internationales et
notamment les enjeux économiques et culturels qui les sous-tendent
déterminent l'inégale diffusion et utilisation des TIC. Dominique
Wolton précise à juste titre qu'« Il est évident que
le progrès technique et les enjeux économiques poussent davantage
vers le thème de la société de l'information, alors qu'une
approche plus critique et sociétale est davantage sensible aux
inégalités et aux interrogations sur les liens des modèles
cognitifs et rationnels liés à l'expansion des réseaux et
des théories de la société de l'information
»6. Mais au-delà de ce postulat, il s'agit pour nous
d'apprécier le rôle joué par l'UNESCO face au défi
d'une société numérique inclusive dont l'accès est
conditionné par une solidarité numérique aux pays
considérés actuellement comme des exclus et des
marginalisés.
6 WOLTON Dominique, Information Et
Communication : Dix chantiers scientifiques, culturels et politiques, in
Hermès n° 38, 2004.
Dans cette perspective d'analyse, nous sommes tenus de rester
prudents dans nos jugements en visant une certaine neutralité et par
conséquent une certaine objectivité nécessaire à
toute démarche scientifique ayant pour vocation de relativiser les
visions extrêmes d'un phénomène, qu'elles soient positives
ou négatives. Par ailleurs, il est important de mettre fin ou tout au
moins de pouvoir dépasser le paradoxe nourri par les débats sur
les logiques techniques et les logiques sociales. Ainsi, faudrait-il convenir
avec Patrice Flichy7 que « la technologie ne tombe pas du ciel
mais est un produit sociotechnique. (...) La technologie est donc le
résultat d'une construction sociotechnique que l'on peut analyser selon
trois aspects : le projet d'un inventeur, des contraintes de technologie,
d'usage et de marché, des hasards. (...) ». Bernard Miège
critiquant le techno-déterminisme, débouche de son
côté sur la nécessité d'une double médiation
sociale et technique et parle, comme Serge Proulx, d'ancrage social (le social
est dans la technique et la technique est dans le social en permanence). Il est
contre l'usage du terme d'insertion sociale des TIC, et nous aussi d'ailleurs,
puisque : « les TIC ne peuvent pas être conçus à
l'extérieur du social ».
B- Communication internationale au coeur des
Théories du
développement et du modernisme
Quoique favorisant la croissance économique, les TIC
compromettent la viabilité de nombreux systèmes
économiques traditionnels dont notamment ceux des pays du Sud compte
tenu de leur retard technologique et leur lenteur d'appropriation de ces
technologies. Ce qui aggrave les inégalités existantes. La
réduction de la fracture numérique est ainsi assimilée
à la réduction de la pauvreté. Les pays en voie de
développement en général et ceux du continent africain en
particulier se trouvent dans l'obligation de faire appel à l'aide et la
coopération internationale pour sortir de ce fossé
numérique et gravir les échelles du développement. A ce
titre, dans son discours de clôture de la Rencontre internationale Bamako
2000, le Chef d'Etat malien d'alors, Alpha Omar Konaré,
réitère son appel à une collaboration Nord-Sud, en
matière de TIC, en estimant que l'Afrique se trouve dans des conditions
politiques et intellectuelles favorables pour une révolution
technologique : « Si elle doit se préoccuper des autres aspects du
développement, elle ne peut pas pour autant laisser passer
l'opportunité d'intégrer la Société de
l'information. L'appropriation des TIC par les populations africaines constitue
en effet l'un des leviers du développement. »
7 FLICHY Patrice, Technologies et lien
social. Colloque national de Paris : Pour une refondation des
enseignements de communication des organisations 25 au 28 août
2003.
Cet appel à la coopération internationale a
entraîné l'élaboration de politiques de
développement prônées et tant promues par l'ONU, la banque
mondiale, le G8, ainsi que par les organisations de coopération et de
développement. Le recours aux concepts « fracture numérique
» et « société de l'information » aurait ainsi
permis à ces institutions de recycler les vieux concepts
évolutionnistes et technicistes des politiques de développement
et de retrouver élan, légitimité, et même argent. Du
moins c'est ce que pensent de nombreux chercheurs du Nord et du Sud dont Marie
Thorndal, la socio-économiste indépendante, qui, parlant des
organisations internationales affirme qu'elles pratiquent la théorie du
« comme si »8, c'est-àdire « Toujours faire
semblant qu'on va régler les problèmes du monde sans s'en donner
les moyens. Tenir un discours universel en le validant par des
événements enthousiastes et généreux mais sans
effet. Faire « comme si » le modèle de développement du
Nord était généralisable, « comme si » la dette
allait être remboursée, « comme si » le rattrapage du
Sud était possible, « comme si » la fracture numérique
pouvait être comblée. On change de discours, or ce sont les
règles du jeu qui doivent être revues. A terme, c'est tout le
système du multipartisme qui est en danger et l'ONU
décrédibilisée. »
En effet, la notion de « société de
l'information » et ses corollaires seraient donc mobilisés pour
masquer des relations de domination. Il convient de noter que ce n'est pas
à partir des années 90 que les Nations Unies et d'autres acteurs
de coopération internationale se sont intéressés à
l'introduction des TIC en Afrique. Déjà dans les années
1960, des initiatives avaient été prises pour que des TIC
contribuent à l'amélioration de la qualité de
l'enseignement en Afrique, et d'une manière générale
contribuent au développement. Yvonne Mignot-Lefebvre confirme d'ailleurs
que : « (...) Les premières technologies de communication sont
entrées dans les pays du Tiers-Monde en accord avec une vision
volontariste véhiculée principalement par les Nations Unies.
Elles étaient orientées vers des objectifs éducatifs,
culturels et sociaux. Progressivement leur utilisation est de plus en plus
liée à des objectifs économiques » 9.
La société globale de l'information est bel et
bien devenue un enjeu géopolitique autour d'intérêts
financiers et économiques, et le discours qui l'entoure reste une
doctrine sur les diverses formes d'hégémonie dont les
prémisses étaient annoncées déjà depuis la
"révolution technétronique" du géopoliticien Zbigniew
Brzezinski dans les années 1960.
8 Cette théorie du « Comme si » évoque
une figure rhétorique de la langue française appelée
« l'hypostase ».
9 MIGNOT-Lefebvre Yvonne, Des mutations
technologiques, économiques et sociales sans frontières, in
Transfert des technologies de communication et développement, revue
Tiers-Monde, 1987, PP487-51 1, p.498.
Dorénavant, l'hégémonie mondiale se
manifeste à travers une triple révolution : diplomatique,
militaire et managériale menée par les Etats-Unis. C'est
l'apparition des stratégies de « soft power » et de «
global information dominance » qui alternent selon les circonstances la
diplomatie des canons et la diplomatie des réseaux (la cyberguerre) pour
réorienter le monde en fonction de ce qu'on appelle la démocratie
de marché. La politique extérieure nationale de Georges Bush dans
les années 80 légitimera la diplomatie des réseaux
à travers une sorte de droit international de la propagande : c'est la
théorie de l'ingérence, très présente aujourd'hui
dans les relations entre Etats, mais aussi dans la régulation de la
communication internationale. Pour Isabelle Pailliart, la communication
internationale mettrait ainsi fin à la capacité d'un espace
territorial à « gérer ses propres modalités
d'expression ». Dans la mesure où à travers ce processus, et
toujours selon cet auteur, « les frontières géographiques
nationales se brouillent »10, la communication donne
l'impression générale d'un affaiblissement du pouvoir
étatique national. Cette limitation de la souveraineté est «
voulue » ou acceptée par les États à travers de
traités, chartes, ou conventions... Exemple des projets de
coopération technique en matière de communication (PIDC :
Programme international de développement de la communication; Canad :
Central african new agencies developpement) et de
télécommunications.
Missé Missé dans l'un de ses
articles11 rapporte que : « Sous la contrainte de cette
théorie brandie à la fois par les organisations internationales,
les opérateurs économiques ou même les organisations de la
société civile africaine et non-africaine, tous les Etats
africains s'engagent dans cette voie, convaincus ou non». Il faut noter
que cette globalisation libérale contemporaine constitue pour le
géographe, Yves Lacoste12, «une façon
occidentale de se représenter le monde ». Cette vision du
monde, sensée se répandre au nom des libertés et du bien
de l'humanité, impose finalement sa manière d'envisager les
rapports humains, leur organisation, plus particulièrement les
échanges économiques mondiaux au détriment du continent
africain auquel on conditionne « l'aide » à l'acceptation de
ce modèle économique libéral, fixé par les
institutions multilatérales, FMI et Banque mondiale en tête. Cette
étape de la réflexion nous amène à aborder
logiquement la théorie de la modernité ou théorie de la
convergence. A ce sujet, Philippe Laburthe-Tolra et Jean-Pierre Warnier dans
Ethnologie Anthropologie nous rappellent que :
10 PAILLIART Isabelle, Les territoires de la
communication, Grenoble, PUG, 1993, p. 78, 233.
11 MISSE MISSE, Communication internationale
et souveraineté nationale : Le problème des «
ingérences » dans le nouvel ordre mondial.
12 LACOSTE Yves, « Une autre
idée du monde », in Géo, numéro spécial,
septembre 2004.
« La théorie de la modernité est une
théorie de la diffusion des innovations à partir d'un centre qui
est censé les produire : (...) l'Occident à
l'époque moderne. Pour Eisenstadt et ses contemporains, le
moteur de cette diffusion, c'est la rationalité scientifique,
donc universelle, qui s'impose à des civilisations particulières
fondées sur d'autres modes de pensée, qualifiés
de « pré-scientifiques », « pré-logiques »,
voire d'« irrationnels »13. La modernisation est
ainsi perçue comme le rouleau compresseur voué à
écraser toutes les civilisations pour les réduire au
modèle de l'Occident industrialisé.».
Cette école de la « modernisation », encore
appelée école du « développement », a vite
rencontré sa critique, articulée autour de la
référence au concept « d'impérialisme »,
étendu du politique à l'économique et au culturel : «
Le concept d'impérialisme culturel est celui qui décrit le mieux
la somme des processus par lesquels une société est
intégrée dans le système moderne mondial et la
manière dont sa strate dominante est attirée, poussée,
forcée et parfois corrompue pour modeler les institutions sociales, pour
qu'elles adoptent, ou même promeuvent les valeurs et les structures du
centre dominant du système » (Schiller, 1976). Toujours dans ce
même ordre d'idées, il est important d'évoquer les analyses
menées par Bertrand Cabedoche sur La construction de l
'étrangéité dans le discours d'information
médiatique : actualité de l'accusation d'ethnocentrisme des
médias transnationaux ? « Les analyses de la domination se
sont seulement affinées, mais elles ne concluent pas toutes pour autant
à la réhabilitation convaincante des lectures
néo-libérales. »
En sciences politiques, depuis les années
quatre-vingts, on parle de plus en plus d'« interdépendance
inégale » (Coussy14, Hassner, Smouts, Hermet...en
1980), concept qui permet de sortir des analyses classiques de la domination
pour identifier comment ces processus peuvent être, non pas subis, mais
aussi récupérés, réappropriés et
réutilisés par des pouvoirs « dominés »
à des fins internes. Le concept permet également de prendre en
considération que les puissants sur la scène internationale
tentent toujours d'utiliser leur pouvoir exorbitant, notamment pour en garantir
la reproduction». Tous ces travaux replacent la réception dans un
contexte d'acculturation en remettant en cause les rapports de dominants-
dominés.
13 LABURTHE-TOLRA P., WARNIER
J.-P., Ethnologie Anthropologie, PUF, Paris, 1993.
14 COUSSY Jean, «
Interpénétration des économies et évolution des
rapports de dépendance », Revue Française de Sciences
Politiques, « Les nouveaux centres de pouvoir dans le
système international », vol. 30, n° 2, avril 1980, pp.
262-28 1.
En confrontant ces théories, il apparaît
légitime de se focaliser sur la communication internationale dans la
« société de l'information » tout en recentrant les
questionnements fondamentaux sur le rôle des organisations
internationales dans ces rapports hégémoniques Nord/Sud ayant
hérité dans un passé récent d'une
géopolitique de l'information, d'une histoire des cultures, et de
nouvelles lois du marché cachant des conflits d'intérêts et
de pouvoir pas forcément évidents.
III- Problématique et objectifs de recherche
A- Problématique
Depuis trente ans que se sont ouverts les débats sur le
Nouvel Ordre Mondial de l'Information, la communication internationale a
semblé stagner, du moins au niveau du sens de circulation de
l'information, bien que celle-ci puisse être considérée
comme finalement décolonisée tel que le recommandait Hervé
Bourges déjà dans les années 1970. Si d'un point de vue
économique, beaucoup de facteurs de régulation des flux ont
évolué, il demeure que le contexte géopolitique dans
lequel cette évolution s'est réalisée n'a pas
profondément changé, du moins en ce qui concerne les rapports de
force entre l'Afrique et les pays industrialisés de l'occident. Du coup,
l'écart entre l'Afrique et les pays du Nord qui était
censé se réduire par les belles promesses de la
société mondiale de l'information s'est davantage creusé
même si les populations de ce continent demeurent confiantes et
optimistes sous l'effet des croyances engendrées par les discours de
promotion des TIC.
Et pourtant, depuis trente ans, au nom de la «
coopération internationale », des organisations internationales
n'avaient cessé de se mettre au devant de la lutte contre la fracture
numérique, affichant leur volonté d'aider les pays du Sud
à une appropriation progressive des TIC et à l'intégration
de ces pays dans l'e-inclusion. Mais pourquoi alors, depuis l'échec du
NOMIC jusqu'au lendemain du SMSI à Genève et Tunis, l'UNESCO, en
dépit de sa « solidarité numérique »
vis-à-vis des pays africains, n'arrive pas à
rééquilibrer les rapports humains en matière de
communication et d'accès aux TIC sans que ces pays ne demeurent
écartés par les critères géographiques et de
frontières privilégiant les pays industrialisés ?
Il importe d'interroger à nouveau l'histoire mais en
analysant cette fois-ci les éventuels enjeux géopolitiques
sous-tendus sans doute par des intérêts financiers et
hégémoniques des maîtres du monde. Il
serait encore plus intéressant et c'est là l'une des
particularités de notre travail, de nous questionner sur les probables
pressions et influences que subirait l'UNESCO. Rappelons que les maîtres
du jeu que sont les superpuissances du Nord n'hésitent pas pour imposer
leurs propres intérêts à «discipliner» les
organisations intergouvernementales en les menaçant d'un retrait (comme
cela a été le cas pour les Etats- Unis et la Grande Bretagne qui
se sont retirés de l'UNESCO pendant plus de 15 ans), et en
exerçant, à l'encontre de certains récalcitrants, la
politique de la carotte et du bâton.
« L'insubordination» et l'attitude hostile à
l'égard des intérêts occidentaux ne manquent pas de
générer de nouvelles sanctions, telles l'exclusion de la clause
de la nation la plus favorisée, ou des restrictions à
l'exportation. Les actions des organisations internationales ou
intergouvernementales seraient donc soutenues par certains pays
industrialisés qui sont les pays (donateurs) finançant souvent
les politiques de lutte contre la fracture numérique mondiale. L'UNESCO
est-elle financièrement indépendante pour mener jusqu'au bout ses
programmes en faveur du développement international de la communication
? Si non, n'estelle pas obligée de répondre à certaines
conditions ou de satisfaire certaines exigences qui lui sont imposées
?
Pour répondre à ces questions, nous aurons
à pénétrer au coeur de la communication internationale et
de la souveraineté nationale des pays afin de voir de plus près
les grandes actions menées par l'UNESCO, telles que le PIDC ou encore
l'organisation du SMSI tout en vérifiant si les enjeux
géopolitiques caractéristiques des rapports de force entre pays
du Sud et pays du Nord ne sont pas les principaux facteurs de blocage ou
d'échec de ces programmes. L'UNESCO, par ses stratégies de
diffusion des TIC en Afrique contribue-t-elle davantage à la
dépendance technologique de ces pays ? Ou ces actions favorisent-elles
vraiment la réappropriation des TIC par ces pays?
Il semblerait que le continent africain soit tombé dans
le fossé numérique creusé par la mondialisation de
l'information, laquelle mondialisation conditionne l'internationalisation et la
globalisation des échanges y compris ceux de l'information, et des
technologies. Et pour sortir de ce fossé, l'Afrique a-t-elle
nécessairement besoin de l'UNESCO ou d'autres organisations
internationales ? Pourquoi une solidarité numérique dans la
société de l'information alors que cette société
dans ses fondements sous-entend déjà des valeurs de
solidarité et d'égalité (d'accès universel et de
partage de l'information) ?
Finalement, l'appropriation ou la réappropriation des
TIC par les pays africains ne devrait-elle pas de ce fait être
repensée à un niveau plutôt national, régional et
local qu'international ? Mais les Etats africains ont-ils des budgets
suffisants pour une auto- appropriation de ces TIC ? Sont-ils prêts
à prendre en main leur destin numérique ? Avant le
développement économique, à quand d'abord
l'indépendance numérique des pays africains les moins
avancés en communication ?
B- Objectifs
Notre premier objectif à travers ce travail est de
proposer une autre lecture de l'évolution de la société de
l'information en essayant de montrer que le discours sur la « fracture
numérique » entre pays du nord et pays du sud n'est pas une
nouveauté en soi, mais une croyance récurrente soutenue par les
organisations internationales. C'est une analyse rétrospective du
discours sur l'informatisation ou l'informationnalisation (Bernard
Miège) des pays africains, tel qu'il est promu par l'UNESCO et en
même temps une confrontation de ce discours par rapport à la
réalité du bilan des activités et programmes
concrètement menés en vue d'une équitable
régulation de la communication internationale.
Le deuxième objectif que nous nous sommes fixés
est de démontrer que malgré les bonnes intentions de l'UNESCO,
ses programmes en faveur de la réduction de la fracture numérique
ont tendance à être orientés vers un déterminisme
technologique, synonyme à la fois de modernisation et de
développement. En partant du constat que les paradigmes de
l'interdépendance et de la coopération internationale sont
nourris par un impérialisme culturel, et socio-économique, nous
souhaitions pouvoir situer la responsabilité de l'UNESCO dans
l'aggravement de la fracture numérique et tirer des leçons de
l'échec du NOMIC et des modestes résultats du SMSI.
Enfin, le troisième objectif et pas des moindres, est
de pouvoir à travers ce travail jeter les bases problématiques et
méthodologiques d'une recherche plus élaborée et plus
approfondie à entreprendre au cours des trois prochaines années
et comparant les stratégies d'action de l'UIT et de l'OMC à
celles de l'UNESCO face aux enjeux culturels de la réappropriation des
TIC à des niveaux régional et national.
Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche
I- Questions et hypothèses de recherche
Voici un ensemble de questionnements et de suppositions
suscités aussi bien par des constatations empiriques que par des
discours théoriques et qui doivent faire objet de vérification
à travers les tâtonnements de notre recherche :
y' L'UNESCO subirait des influences et des pressions dans
l'élaboration de ses stratégies et dans la réalisation de
ses programmes d'action en faveur du développement de la communication.
Depuis l'échec du NOMIC et le départ d' Amadou Mahtar M'bow
à la tête de l'institution, celle-ci ne s'est-elle pas
pliée aux exigences des bailleurs de fonds et des grands financiers que
constituent les Etats-Unis et les pays industrialisés ?
y' Aujourd'hui, les mesures du progrès vers la
société de l'information se font entre autre par des indices
statistiques quantitatifs, élaborés par certaines organisations
internationales. Ces mesures se rapportent généralement aux
indications sur les équipements d'informatique et de
télécommunication... comme si la fracture statistique
reflétait réellement la fracture numérique.
y' Aux peuples sous-équipés du Sud, on fait
miroiter l'ordinateur pour tous comme un outil miracle pour passer du
sous-développement au développement, sans même se
préoccuper de l'adéquation entre technologie et contexte
d'utilisation. Sont-ce les ordinateurs qui créent la richesse ou est-ce
la richesse qui permet de s'équiper en ordinateurs?
y' Les TIC sont certes abondantes dans la «
société de l'information ». Mais elles ne sont ni
abondantes, ni accessibles de la même manière partout à
travers le monde pour qu'on puisse parler aujourd'hui d'une « nouvelle
société de l'information » basée sur des valeurs
d'égalité et d'universalité.
y' Le C de UNESCO est bien Culture et non Communication : La
division de l'information et de la communication de l'UNESCO est-elle alors
vraiment légitime ? Sa mission est-elle pour autant vouée
à l'échec ou du moins reléguée au second plan
compte tenu de la priorité donnée à la culture dans les
textes fondateurs de l'institution?
V' L'UNESCO ne pourrait à elle seule, à travers ses
missions, être à la hauteur
du rééquilibrage des rapports Nord/Sud. L'UIT
réussirait-il mieux ? Le choix de l'UIT et de l'OMC pour l'organisation
du SMSI devrait-il évoquer l'idée d'une certaine punition
infligée à l'UNESCO qui, sortant de ses prérogatives,
compromet les intérêts des Etats-Unis et de certains pays
industrialisés ?
V' L'UNESCO, à travers son discours déterministe et
déterminé de promotion
des TIC en Afrique, contribue-t-elle à l'instauration
d'une bureaucratie supranationale qui perturberait le libre jeu du commerce
mondial (ultralibéralisme ou libéralisme
dérégulateur) en défaveur des pays africains?
II- Intérêt et valeur de la recherche
Ce travail s'inscrit dans le cadre d'une recherche portant sur
l'intérêt que manifestent les organisations internationales
(UNESCO, IUT, Banque mondiale, Organisation Internationale de la Francophonie,
etc.) à la question de l'appropriation des TIC par les pays africains et
son corollaire « la fracture numérique » Nord/Sud. Mener une
enquête sur une thématique qui se situe au coeur d'une
interdisciplinarité (Sciences politiques - Sciences sociales et
économiques - Sciences de l'information et de la communication) n'est
pas une tâche aisée. Aussi, avions-nous eu dans le cadre de ce
travail quelques difficultés préliminaires pour la
délimitation du principal axe de notre recherche. Rappelons que le sujet
pose à la fois la question de la communication à l'échelle
planétaire et celle des relations internationales avec l'arbitrage de
l'UNESCO. Quoique la documentation et les théories sur les TIC et la
société mondiale de l'information soit foisonnante, Il ne serait
pas superflu d'évoquer la quasi inexistence d'ouvrages étudiant
spécifiquement le rôle même des organisations
internationales dans ce déséquilibre Nord/Sud.
En nous engageant sur cette piste de recherche, nous
espérons à travers cette étude, pouvoir apporter quelques
éléments de réponses susceptibles d'éclairer les
actions et discours de l'UNESCO en matière de lutte contre la fracture
numérique. Cependant notre travail de problématisation ne saurait
prétendre lever toutes les ambigüités et éclairer les
contradictions actuelles caractéristiques des décisions et
mesures internationales prises dans l'anti-chambre des intérêts
des pays industrialisés. L'analyse pourrait être poursuivie dans
le cadre d'une thèse dont le point de départ serait les nouvelles
problématiques qui apparaîtront dans les conclusions du
présent travail.
III- Méthodes de recueil des données
Après la délimitation de notre champ
problématique à travers l'exploration de la littérature
sur les postures de déterminismes technologique et social, nous
présentons la démarche méthodologique appropriée
pour la vérification de nos hypothèses et la réalisation
des objectifs de notre recherche.
Population d'étude
Nos analyses et investigations portent sur les organisations
internationales et plus précisément sur l'UNESCO. Ce choix se
justifie par le fait que cette institution a été la scène
des débats sur la communication dont l'ampleur et les enjeux ont
fortement marqué l'histoire des relations internationales depuis les
années 1970. Considérant les nombreuses actions menées par
l'UNESCO à travers le monde, nous avons jugé pour mieux
évaluer son rôle dans la réduction de la fracture
numérique, nous focaliser sur ses programmes et ses actions en faveur de
l'intégration de l'Afrique dans la société mondiale de
l`information. Le choix du continent africain s'avère, en effet,
pertinent car les pays africains, et notamment ceux de l'Afrique Subsaharienne,
constituent un échantillon représentatif de pays du Sud où
le seuil de la pauvreté est le plus élevé attirant du coup
l'attention des bailleurs de fonds et des organisations internationales en
matière d'aide et de coopération au développement.
Laquelle coopération inclut la diffusion des TIC en occultant parfois
les questions d'appropriation et d'intégration de ces technologies.
Laquelle coopération évoque aussi l'idée de la
solidarité numérique : un des axes de notre recherche qui
justifie une fois encore le choix de l'Afrique car c'est le Chef d'État
du Sénégal (Abdoulaye Wade) qui a fait à Genève en
2003 la proposition de constitution d'un Fonds de Solidarité
Numérique.
Méthode historique et descriptive
Pour comprendre le futur, il convient de revenir au
passé. Et comme le remarquait B. Miège, « Il importe de se
positionner par rapport au temps, le temps court » des étapes de
l'innovation, et le temps long des mouvements sociaux ». Aussi,
l'interprétation des réalités actuelles du
déséquilibre Nord/Sud et la compréhension de la part de
responsabilité de l'UNESCO passent-elles par un détour historique
et une revue de la littérature sur le sujet devant nous permettre de
faire une lecture actualisée de l'évolution de la communication
internationale par les processus de communication depuis le NOMIC
jusqu'à l'organisation
du SMSI.
Nous remontons l'échelle du temps pour situer notre
travail par rapport au contexte historique du rapport McBride tout en
parcourant au préalable une bibliographie sélective des
réflexions menées depuis l'époque.
Analyser les phénomènes de
déséquilibre de l'accès à l'information et de
fracture numérique pour situer les responsabilités tout en se
référant à un contexte historique de tensions dans les
rapports Nord-Sud pourrait déboucher sur des conclusions biaisées
et une lecture des événements influencée selon qu'on soit
au Nord ou au Sud. C'est donc conscient de ces paramètres et dans le
souci de dépasser les stéréotypes fondés sur des
prises de position subjectives, que nous nous proposons de faire une analyse
documentaire et une analyse des discours idéologiques et
idéalistes sur les TIC en nous basant ici sur le contenu des principaux
documents officiels élaborés lors du Sommet Mondial de
Genève et de Tunis (Déclaration de principes, Plan d'action,
Engagement de Tunis, Agenda de Tunis).
C- Entrevues de recherche
Nous aurions souhaité accompagner les méthodes
décrites ci-haut par la réalisation d'entrevues ou d'entretiens
de recherches semi-directifs individuels avec quelques personnes ressources
notamment des chercheurs en Sciences de l'Information et de la Communication,
du nord et du Sud, portant un intérêt au sujet de la fracture
numérique. Ceci nous aurait permis d'observer et de comparer la vision
qu'ont ces chercheurs (selon leur origine géographique Nord ou Sud) de
la problématique de la fracture numérique et le rôle
joué par les organisations internationales pour sa réduction en
Afrique.
Mais compte tenu de l'indisponibilité des chercheurs
que nous avons contactés par téléphone ou par mails et
considérant le court délai fixé pour la réalisation
de notre travail, nous n'avons pas pu obtenir de rendez-vous pour des
entretiens en face à face. Néanmoins, parmi les personnes
ressources contactées15, une au moins s'est montrée
disponible et a répondu à notre demande de collaboration en nous
envoyant par mail son point de vue sur quelques questions que nous lui avons
posées16.
15 Envois et échanges de mails avec : Claudine Carluer,
Anne-Marie Laulan, Annie Chéneau-Loquay, Annie Lenoble-Bart, Emmanuel
Eveno, Ken Lohento, Missé Missé, Alain Kiyindou, Loum Ndiaga,
Mamadou N'Diaye.
16 Vous trouverez en annexe notre entretien par mail avec Madame
Annie Lenoble-Bart.
Deuxième partie :
L'Afrique dans la société globale
de l'information
« Le numérique est entrain de créer un
homme nouveau dans une civilisation nouvelle, la société de
l'information, dans laquelle n'entre pas qui veut comme dans les premiers temps
de l'humanité. Cette fois, il faut payer pour utiliser les
équipements coûteux et complexes, ou rester isolé (...) Au
Nord, on possède à la fois l'équipement et l'argent pour
payer l'accès ou, si on ne possède pas l'équipement, le
prix à payer pour la location, l'accès et l'utilisation. Au Sud,
les exclus. Le Nord et le Sud communiquent de moins en moins, avec le risque de
ne plus pouvoir communiquer (...) » Abdoulaye Wade, Président de la
République du Sénégal. « Fossé
numérique et solidarité numérique » in Le Monde,
7 Mars 2003.
Deuxième partie : L'Afrique dans la
société globale de l'information
Chapitre 1 : Du rapport McBride à la
société de l'Information
I- L'information à sens unique et la contestation
des pays du Sud
Une analyse sémantique approfondie du concept
d'information à sens unique nous révèle que le choix du
vocable « Information » à la place de celui de «
Communication » n'est peut être pas si innocente et hasardeuse. En
effet, La démonstration nous est donnée par Antonio Pasquali
(2002), qui, se prononçant sur la distinction entre information et
communication, argumente: « Informer connote pour l'essentiel la
circulation de messages unidirectionnels, causatifs et ordonnateurs, visant
à modifier le comportement d'un récepteur passif, tandis que
communiquer fait référence à l'échange de messages
bidirectionnels, donc relationnels, dialogiques et socialisants entre des
interlocuteurs pourvus d'une même capacité, libre et
simultanée, d'émission/réception. Tandis que l'Information
tend à dissocier et à hiérarchiser les pôles de la
relation, la Communication tend plutôt à les associer ; ainsi
seule la Communication peut donner naissance à de véritables
structures sociales ».
Cette explication illustre bien le flux de circulation
verticale de l'information à sens unique caractéristique d'une
société hégémonique de l'information telle que
celle qui légitimait déjà dans les années 1970 les
rapports de dominants sur dominés.
Notre raisonnement, peut également s'appuyer sur la
théorie de l'Américain Norbert Wiener, qui en développant
le concept d'information, à la base de la notion de «
société de l'information », constatait que ce concept
souffrait déjà d'un tropisme originel qui réside dans le
schéma cybernétique même du processus de communication.
Lequel processus implique une vision de l'histoire comme représentation
linéaire et diffusionniste du progrès : L'innovation et la
modernité se diffusent du haut vers le bas, du centre vers les
périphéries, de ceux qui savent vers ceux qui sont censés
ne pas savoir.
Toutes ces constatations, toujours vérifiables
aujourd'hui, dans les relations que nous qualifions (par simple
référence au contexte historique de la géopolitique de
l'époque) de relations Nord-Sud nous renvoient donc à la
naissance des débats portant sur les inégalités en
matière d'information et de communication, à l'échelle
internationale.
En effet, Annie Chéneau-Loquay remarque que les causes
premières de la circulation à sens unique de l'information qui
dépouille les Etats du Sud et notamment les pays africains de leurs
prérogatives de gestion de leur territoire, seraient: « Le passage
à une gouvernance internationale qui favorise la mainmise des
multinationales sur les infrastructures et sur les services, la remise en cause
d'accords internationaux, et la relative dématérialisation des
nouvelles technologies.»17
Les grands groupes de presse ou conglomérats
médiatiques multinationaux (chaînes de télévision,
radios, journaux, magazines,...) ont ainsi exercé un quasi-monopole en
écartant les pays du Sud et en favorisant la circulation de
l'information et des produits culturels du Nord vers le Sud. C'est sans doute
le constat qui fait dire à Ozan Serdareglu que « les
émetteurs du Nord assignent une identité à
«l'autre» tandis que pour «les autres» (les pays du Sud),
l'enjeu n'est pas de communiquer avec le Nord. »18. Dans ce
même ordre d'idées, Herbert Schiller tout en restant radicalement
opposé au point de vue des chantres de la modernisation du Tiers-Monde,
partage néanmoins avec eux la conviction que les médias sont
d'importants agents de l'occidentalisation ou plutôt de
l'américanisation du globe.19
Le sentiment de frustration, engendré par ce qu'on
pourrait nommer sans exagérer le « diktat médiatique de
l'Occident », a amené les pays du Sud par la voix de certains
chercheurs et de représentants à l'UNESCO à axer leurs
analyses sur ces déséquilibres transfrontaliers en contestant les
stratégies de domination inhérentes.
C'est d'abord la notion du droit à la communication qui
a été publiquement avancée par Jean d'Arcy20 en
1969 au moment même où prend forme à l'Unesco le
débat sur les libertés dans le domaine de l'information. Cette
notion matrice prône le refus d'une communication depuis l'élite
vers les masses, du centre vers la périphérie, des riches en
matière de communication vers les pauvres et plaide pour le principe de
la différence : sans distinction aucune d'origine nationale, ethnique,
de langue, de religion.
17CHENEAU-LOQUAY Annie, Le fossé
numérique, l'Internet, facteur de nouvelles inégalités ?,
in revue Problèmes politiques et sociaux, n°861, p.34.
18 SERDAREGLU Ozan, « TV5, quand le Nord
et le Sud se recentrent en français : on n'habite pas un pays, on habite
une langue », pp. 187 et s., in Gilles Boëtsch et Christiane
Villain-Gandossi (sous la direction de), Les stéréotypes dans
les relations Nord-Sud, Hermès, n° 30, CNRS éditions,
2001.
19 MATTELART Tristan, La mondialisation des
médias contre la censure, de Boeck, 2002.
20 JEAN d'ARCY est le pionnier de la
télévision française, alors directeur de la division de la
radio et des services visuels au Service de l'information de l'ONU à New
York.
La Conférence Générale de l'UNESCO
organisée à Nairobi (Au Kenya) en Novembre 1976 a finalement
été le lieu de formulation des revendications des pays
dominés en faveur d'un « rééquilibrage » de
l'information entre le Nord et le Sud. Ces revendications sont
regroupées en trois chefs d'accusation : Le silence autour du
Tiers-Monde, la déformation dont les informations le concernant font
l'objet dans les médias des pays du Nord, enfin la propagande culturelle
du Nord en direction du Sud. Dès lors émergea une volonté
officielle proclamée aussi bien par les pays du Sud que par les
organisations internationales telles que l'UNESCO de libérer
l'information de l'ingérence étrangère.
Mais l'UNESCO, en libérant l'information de
l'ingérence étrangère, ne s'était-elle pas
ingérée dans la gestion des politiques publiques nationales
d'information et de communication des pays du Sud ? Puisque ses actions sont
financées par certains pays industrialisés, l'UNESCO
était-elle pour autant redevable envers ces pays en servant
éventuellement leurs intérêts ? D'où une autre
interrogation sur l'orientation donnée aux décisions de l'UNESCO
par rapport à sa neutralité effective dans la régulation
de la communication internationale. Les interventions et actions de cette
organisation internationale favorisent-elles vraiment le développement
de l'information en faveur d'un rééquilibrage des flux de
circulation ou ces décisions creusent-elles davantage le fossé
entre dominés et dominants. Mais avant toutes ces questions, il est
primordial de savoir si l'UNESCO a pour mission de réguler la
communication internationale alors que le terme même de communication
n'apparaît pas dans son sigle.
A ce sujet, Wahid Khadraoui nous apporte la réponse
dans son mémoire21 pour l'obtention du Diplôme d'Etudes
Approfondies en Sciences de l'information et de la communication. Selon lui,
quoique le terme « Communication » ne figure pas comme tel dans le
sigle de l'UNESCO, « l'importance de ce domaine d'activité n'a pas
moins été reconnue dès la création de
l'organisation ». En effet, « aux termes de son Acte constitutif,
l'UNESCO est expressément chargé de faciliter la libre
circulation des idées par le mot et par l'image et de favoriser la
croissance et la compréhension mutuelle des nations en prêtant son
concours aux organes d'information des masses. »
21 KHADRAOUI Wahid, Fractures Nord-Sud :
Origines et enjeux de la fracture numérique, l'Afrique comme exemple,
Grenoble : Institut de la Communication et des Médias, 2003, p.36
(Mémoire de DEA SIC).
Et en réalité, dans la décennie 70-80,
l'UNESCO, avec à sa tête Amadou Mahtar M'Bow, était
effectivement très sensible à cette question de
rééquilibrage des rapports en matière d'information et de
communication entre les pays industrialisés et ceux en
développement. C'est d'ailleurs l'adoption systématique par les
grands médias internationaux « prescripteurs » des
schémas de pensée des pays les plus riches que
dénonçait à l'époque Amadou Mahtar M'Bow. A la
suite du cri poussé par M'Bow, de nombreuses voix se sont
relayées pour se faire l'écho des contestations et revendications
des pays dominés. Ainsi en 1978, Hervé Bourges a publié
son ouvrage « Décoloniser l'information » dans lequel
nous notons le remarquable travail accompli par Bertrand Cabedoche qui rapporte
dans le quatrième chapitre dudit ouvrage un certain nombre d'entretiens
et d'échanges avec des journalistes du Nord et du Sud, lesquels
entretiens constatent et critiquent les lacunes et stéréotypes
forgées sur l'ethnocentrisme culturel22 de la circulation
à sens unique de l'information dans un contexte global de
dépendance néocoloniale des dominés vis-à-vis des
dominants. En 1978, les analyses critiquaient donc une construction
médiatique occidentale de l'étrangéité souvent
stéréotypée, réductrice et
linéaire.23
Mais le regard rétrospectif que nous apportons à
la lecture de ces événements nous permet aujourd'hui avec le
recul du temps et en toute objectivité d'appréhender
réellement non pas la responsabilité des médias
occidentaux déjà tant accablés par les accusations des
pays du Sud mais plutôt l'ampleur et la violence de l'affrontement
diplomatique qui se déchaîna alors à l'UNESCO. Ce qui
coûta d'ailleurs son siège à Amadou Mahtar M'Bow et
entraîna le retrait des Etats-Unis de l'Organisation.
L'UNESCO a été (peut-être d'ailleurs pour
la seule fois de son histoire) tellement engagé dans un combat qui
compromettait les intérêts des Etats-Unis au point où le
conflit diplomatique généré par la revendication du Nouvel
ordre Mondial de l'Information et de la Communication a plongé dans une
longue crise l'institution qui se proposait de devenir la « conscience
du monde et des organisations internationales ».
22 Pour Michel Lemerle : « Par un
véritable ethnocentrisme culturel, les pays riches délaissent
trop à travers les
médias les problèmes du Tiers-Monde. Ils leur
renvoient souvent une image déformée d'eux-mêmes,
créant ainsi une sorte d'effet multiplicateur de la dépendance
... ».
23 BOURGES Hervé, Décoloniser
l'information, Paris, Editions CANA, 1978, p. 134.
Nous sommes revenus sur cette partie sombre mais très
importante de l'histoire de l'UNESCO car elle pourrait justifier aujourd'hui
avec le retour des Etats-Unis au sein de l'organisation d'éventuels
motifs d'influence et de pression subies par l'UNESCO et qui
détermineraient sa position actuelle plus neutre et donc moins
engagée par rapport aux questions de régulation de la
communication internationale. A quoi donc auront finalement servi la
revendication du NOMIC et le rapport rédigé par la commission
internationale d'étude des problèmes de la communication de
l'UNESCO, composée de personnalités de renommée
internationale, et présidée par Sean Mac Bride ?
II- Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul
monde »
« D'où provient massivement l'information ? Qui la
produit ? Qui la diffuse ? Les flux Nord-Sud n'écrasent-ils pas les
cultures sous-développées, balayant les identités locales
ou nationales au profit d'une prise de contrôle du signe par une
poignée de puissances disposant des techniques et des moyens financiers
? » Telles sont selon J. Decornoy les questions auxquelles avait
tenté de répondre la communauté internationale à
travers le rapport Sean McBride, rapport intérimaire sur les
problèmes de la communication dans la société moderne. Ce
rapport a été finalement adopté à Belgrade le 25
Octobre 1980.
Notre but ici n'est évidemment pas de revenir sur le
contenu détaillé des quatre-vingts recommandations de ce rapport.
Ce serait comme le dirait Armand Mattelart « faire une
exégèse de plus du rapport McBride en tombant dans le panneau que
dénoncent les historiens : les manies de la commémoration ».
En effet, les trois dernières décennies nous laissent constater
que les technologies ont sensiblement évolué et leur diffusion
s'est un peu accélérée quoique le bilan reste
mitigé d'un pays à l'autre, et en considérant parfois un
même hémisphère géographique (Nord-Sud). Nonobstant
l'inconstance géographique du nouvel ordre économique qui selon
certains déterminerait l'ordre mondial de l'information et de la
communication, il ne serait pas superflu d'analyser les directions principales
qui ont orienté le rapport McBride afin de comprendre aujourd'hui si ce
rapport était voué à l'échec à travers la
nature de ses ambitions peut être trop idéalistes et ayant fait du
NOMIC un projet mort-né.
A un premier niveau d'analyse, nous nous arrêtons sur le
constat que ce rapport publié sous le titre « voix multiples un
seul monde », a résumé les différents concepts de la
théorie de l'information, qui s'avère encore aujourd'hui
d'actualité. En effet les rapporteurs, nous semble-t-il, se sont
inspirés du modèle psychosociologique d'Harold Lasswell à
qui l'on doit le découpage, avec précision, des différents
éléments constitutifs de l'information. Selon ce
théoricien, on ne peut décrire « convenablement une action
de communication » que si l'on répond aux questions suivantes: qui
dit quoi, par quel canal, à qui, et avec quel effet ?
La description des émetteurs, l'analyse du contenu des
messages, l'étude des canaux de transmission, l'identification des
audiences et l'évaluation des effets : tels sont les principaux
pôles autours desquels, doivent s'ordonner les études en
communication. Et ces principaux pôles de recherche sont identiques aux
questionnements de la communauté internationale tels que nous les avions
formulés au début de cette section : « D'où provient
massivement l'information ? Qui la produit ? Qui la diffuse ?... ».
Cependant, il existe une autre approche inspirée des
sciences politiques : C'est l'approche « institutionnelle » sur
laquelle Francis Balle établit un postulat en forme de double
inégalité (document CIC n°40/1979). La communication, c'est
plus que les seules techniques baptisées médias, mais c'est moins
que la totalité des échanges sociaux. Cette double
inégalité invite d'une part le chercheur à mettre en
lumière les multiples relations d'influences, de
complémentarités, d'exclusions, ou de substitutions
réciproques entre les différents modes de l'échange
social. D'autre part, elle attire l'attention du chercheur sur les
différents modes de la communication sociale; la communication
interpersonnelle, la communication institutionnelle (entre les organisations,
entre les gouvernants et les gouvernés, etc.) et la communication par
les médias. Cette approche était sans doute la plus voisine de
«l'approche globale», adoptée par les auteurs du rapport de
l'UNESCO précité, puisqu'elle a été leur cadre de
référence en traitant le concept du Nouvel Ordre Mondial de
l'Information.
Le contenu même du rapport McBride met d'abord l'accent
sur : « l'élaboration de politiques nationales de la communication
» incluant pour les pays en développement des stratégies de
développement de la radiodiffusion, des capacités de production
des programmes, des télécommunications et réseaux de
téléphone, sans oublier le développement d'agences de
presses nationales, et la production nationale de livres.
Ensuite, les membres de la commission McBride ont fait
ressortir les implications sociales de la communication et les tâches
nouvelles à assigner aux médias en tenant compte des
mécanismes nationaux d'intégration et de réappropriation
des TIC dans les secteurs les plus défavorisés et ceci sans
tomber dans le piège de l'acculturation. («Préservation de
l'identité culturelle en éliminant les situations de
dépendance mais en favorisant en même temps l'établissement
de relations avec d'autres cultures...»).
Enfin, les normes devant réguler les pratiques de
collecte de nouvelles et d'opinion n'ont pas été omises par la
Commission qui a insisté sur les mesures à prendre par chaque
pays afin de gérer ses correspondants étrangers.
Le rapport « Voix multiples, un seul monde » fait
sauter des verrous mais les nombreuses controverses et interprétations
ayant résulté de sa compréhension par les
différentes forces en présence ont rendu les négociations
difficiles au point où l'Assemblée générale de
l'UNESCO réunie à Belgrade en 1980 n'a pas pu approuver le
rapport, et s'est contentée d'en prendre acte. En réalité,
la revendication du NOMIC signifiait entre autres une élimination des
déséquilibres et inégalités en communication, une
élimination des effets négatifs des monopoles publics ou
privés excessifs, la suppression des obstacles internes et externes qui
s'opposent à une circulation libre et une diffusion plus large et mieux
équilibrée de l'information.
Malheureusement au carrefour des thèses
défendues, on note de nombreuses contradictions entre les socialistes
(soutenant la décolonisation complète de l'information), les
occidentaux (dénonçant l'hypocrisie de la démocratisation
vue comme une libération par rapport aux puissances
étrangères), et les modérés (soucieux de la
sauvegarde de leur indépendance culturelle). Le rapport McBride ne fait
donc pas l'unanimité et l'UNESCO dans une posture de juge et arbitre
n'est pas arrivé à dépasser les controverses pour
rééquilibrer le débat autour d'un consensus qui
arrangerait tout le monde.
Malgré son caractère universel, global et
multidimensionnel basé aussi bien sur la dimension sociale que le
développement de la communication au nom du principe de la
liberté de l'information, le rapport McBride a fini par accoucher d'un
NOMIC mort-né et l'UNESCO impuissant sombra dans un coma aussi bien
structurel qu'administratif et financier.
C'était pourtant prévisible et cet échec
était certainement inévitable dans la mesure où ceux
à qui profitaient le système de circulation unilatérale de
l'information (en occurrence les Etats-Unis) contrôlaient bien le
phénomène qui était organisé en faveur du centre du
système depuis très longtemps. La grande puissance ne saurait
concevoir, de renoncer à sa suprématie et de céder aux
organisations internationales la promotion à une échelle mondiale
de ce secteur stratégique. Dans son ouvrage « The Amazing
Race » paru à New York à la fin de l'année 1983,
William Davidson n'a d'ailleurs pas hésité à affirmer, que
les Etats-Unis d'Amérique avaient décidé de quitter
l'UNESCO précisément parce qu'elle favorise l'instauration du
NOMIC. Le retour des Etats-Unis ne confirmerait-il pas alors l'hypothèse
selon laquelle l'UNESCO aurait été contraint de revoir ses
politiques de développement de la communication dans un sens qui
favorise à nouveau les intérêts des Etats-Unis et ceci
après avoir subi des pressions et des restrictions budgétaires
des bailleurs de fonds américains? Il est en tout cas certain qu'avec
l'échec de l'instauration du NOMIC, les rapports Nord-Sud vont d'abord
se crisper, puis retrouveront de nouveaux centres d'intérêts
grâce aux enjeux économiques suscités par les prouesses
techniques irréfrénables des années 80-90
(émergence des débats sur les TIC).
III- Conséquences de l'échec du NOMIC
La conclusion du rapport McBride et l'échec du NOMIC
feront naître le thème de la dépendance culturelle avec
Salinas et Paldan : L'analyse du contenu n'est pas importante, mais c'est
l'analyse du processus de production de ce contenu qui compte. Ensuite,
l'UNESCO a décidé d'éradiquer de son langage
administratif, jusqu'au sigle de NOMIC. Ce tabou a paralysé dans
l'institution la possibilité d'un retour critique sur le passé et
ses contradictions. Finalement, le nouvel ordre mondial de l'information et de
la communication a été enterré par l'agence des Nations
unies, à la fin des années 80, avec la promotion d'une
«nouvelle stratégie de communication» visant à
promouvoir une large diffusion de l'information.
C'est en effet au milieu des divergences sur le rapport
McBride que l'UNESCO a organisé la réunion de la
conférence Intergouvernementale pour le Développement de la
Communication (DEVCOM). L'un des premiers succès du dialogue Nord-Sud
qui a permis à A. M. M'Bow de quitter la tête de l'UNESCO par la
grande porte, et sur une lueur d'espoir
est bien l'adoption par consensus de la résolution 4/21
décidant « d'instituer, dans le cadre de l'UNESCO, un Programme
International pour le Développement de la Communication ». Nous
reviendrons plus loin sur le bilan dont pourrait se targuer aujourd'hui ce
programme notamment en Afrique après 27 ans de coopération
internationale pour atteindre les objectifs fixés depuis 1980.
Le NOMIC a bien vite été oublié et ceci
compte tenu des changements qui se sont opérés dans la
décennie 80-90 sur la nature des discours et des débats. Masmoudi
Mustapha, qui était l'un des membres de la commission internationale
McBride sur la communication écrivait dans son ouvrage24
complémentaire au rapport que : « La commission a mis en
évidence les liens qui existent entre le NOEI25 et le NOMIC,
ce dernier étant le corollaire et une partie intégrante du
premier. Entre les deux, il existe une relation cohérente qui tient au
fait que l'information est devenue désormais une ressource
économique fondamentale, qui assume une fonction sociale essentielle,
mais qui est aujourd'hui inégalement répartie et mal
utilisée. »
Armand Mattelart évoque également ce passage
à un nouvel impératif industriel et économique lors d'un
entretien réalisé par Antonia García C. pour la revue
Cultures & Conflits (C&C) sur le thème «
Société de la connaissance, société de
l'information, société de contrôle ». Il confie
à cet effet que : « Au niveau de la politique internationale, les
débats ont également changé de nature et se sont
déplacés sur un terrain purement économique et technique.
Jusqu'au milieu des années 80, les débats sur l'avenir des
communications avaient encore lieu au sein de l'UNESCO, en présence de
nombreux représentants des pays émergents et en
développement. Aujourd'hui, les décisions les plus importantes en
matière d'information et de communication sont prises au sein de
l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de la Conférence pour le
commerce et le développement (UNCTAD), de l'Organisation pour la
Coopération et le Développement Economique (OCDE), de l'Union
Internationale des télécommunications (UIT) ou de l'Organisation
Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans ces
instances, les pays pauvres et en développement sont soit peu
représentés, soit soumis à de fortes pressions et menaces
de rétorsions. Leur participation aux débats est donc faible.
». Le même constat n'a pas non plus échappé à
Jean-François Têtu qui , lors du
24 MASMOUDI Mustapha, Voie libre pour monde
multiple, Paris, Economica, 1986.
L'auteur décrit ici l'évolution et les objectifs du
NOMIC de même que ses dimension technique, économique, sociale et
culturelle.
25 NOEI : Nouvel Ordre Economique
International.
Premier colloque franco-mexicain - Mexico du 8 au 10 avril
2002 : Identité, culture et Communication, intervint en ces termes
: « Si l'UIT a franchi le cap de deux guerres mondiales, la montée
et les désordres des totalitarismes, on voit bien, dans le combat entre
les organismes de "régulation" actuels et les tentations
d'hégémonie de la part de quelques acteurs économiques
majeurs, que l'enjeu n'est plus celui de la maîtrise idéologique
dans un territoire (ce qui serait une question de combat culturel), mais celui
de la domination des marchés. » Les enjeux que sous-entend ce
phénomène sont certes nombreux et les acteurs concernés
par l'actuelle mutation sociale et économique se manifestent
désormais tant au niveau local qu'international. Les Nations Unies,
conscientes de son ampleur et l'ONU se rendant compte depuis quelques
années du besoin d'une approche multipartite sur ces questions, a
créé un groupe d'étude sur les TIC («UN ICT Task
Force ») ayant pour vocation de réaliser un travail de
coopération entre les différents acteurs.
Il faudrait tout de même remarquer qu'en dehors des
déplacements des lieux des débats et de la nature des
débats, les acteurs qui animent les débats restent pratiquement
les mêmes. Rien n'aurait donc véritablement changé en 27
ans, puisque la communauté internationale est toujours à la
recherche d'un ordre dans un contexte de mondialisation et de globalisation qui
suggérerait ici l'idée de désordre. C'est à croire
que nous en sommes encore à ce que Sylvain Bemba (Congo)
préconisait dans les années 1978 : «assainir la conjoncture
économique mondiale» et sa phrase, « le bout du tunnel n'est
pas pour demain », semble toujours être d'actualité.Des
bouleversements géopolitiques sont cependant pointés dans le
rapport mondial sur la communication en 1997. L'UNESCO y affirme que si les
bouleversements géopolitiques ont modifié les relations entre
pays du Nord, « au Sud de nombreux pays passent d'un Tiers Monde uniforme
et pauvre à un Sud plus différencié ». En effet,
l'UNESCO défend ici l'idée selon laquelle la traditionnelle
distinction entre pays industrialisés et pays en développement
apparaît de plus en plus nuancée. Si de nombreux pays tant qu'en
Asie, qu'en Amérique Latine ou en Europe centrale et orientale
réussissent des percées économiques, l'UNESCO
précise que ces nouvelles opportunités de croissance ne peuvent
masquer les inégalités économiques majeures tant entre les
pays industrialisés et ceux en développement, qu'à
l'intérieur même des pays qui bénéficient de cette
croissance.
C'est pourquoi notre échelle d'analyse Nord-Sud ne
saurait nous élever à hauteur d'une quelconque prise de position
radicale d'appréhension des rapports géographiques
dominés- dominants, mais reste une simple référence
historique au contexte des débats sur les inégalités.
Aujourd'hui, nous notons tout comme l'UNESCO une certaine
évolution de l'échiquier géopolitique qui nous oblige
à faire évoluer aussi certains fondements de nos
réflexions. C'est ainsi qu'en dépassant les
stéréotypes, nous aborderons la question de la fracture
numérique et celle de la solidarité numérique dans un
contexte d'interdépendance inégale26.
Chapitre 2 : La facture des fractures
I- Fracture numérique et sous-développement
en Afrique
La problématique des inégalités,
notamment entre pays du nord et pays du sud, est revenue sur le devant de la
scène avec l'organisation du SMSI. Toutefois, le contexte a bien
changé et n'est plus le même que celui des années 80 que
nous avons analysé dans le chapitre précédent. De la chute
du mur de Berlin au nouvel ordre mondial prôné par la Maison
Blanche, en passant par le développement d'un nouveau capitalisme
financier et par la croissance de l'internet auprès d'une vaste
population dans les pays les plus riches, le développement de la
société de l'information n'arrive pas à être
évoqué sans la notion de la fracture numérique telle la
bonne senteur d'une rose et la douleur provoquée au toucher par ses
épines. Car en effet, les discours sur la société de
l'information sont mirobolants et insistent sur le développement de
cette société en tant que panacée aux problèmes de
sous- développement des pays africains à un point où nous
ne pouvons plus nous empêcher de nous demander : Quels liens pourrait-on
véritablement établir entre développement et fracture
numérique ?
Nous tenterons de répondre à cette interrogation
en décortiquant le concept d'imaginaire social de la technique, lequel
concept renforce les discours favorables à l'installation des TIC en
Afrique. Et dans un second temps, il s'agira pour nous de confronter ces belles
promesses et théories de développement basées sur les TIC
par rapport au vécu même de la fracture en Afrique.
26 Pour Bertrand Cabedoche, « Le concept
d'interdépendance inégale avait fini par concurrencer
celui de dépendance, trop systématiquement
associé à l'externalité et à la
domination. Celle-ci existait, mais les minorités
n'étaient dépourvues de capacité à
révéler leurs particularités et leurs résistances
à certains moments. » Cabedoche Bertrand, «
Confondre les Représentations stéréotypés de
l'Afrique dans les médias
transnationaux ? Une démarche
épistémologiquement problématique », Colloque
«Globalisation, Communication et Cultures», Centre des Nations Unies.
Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à
Brazzaville, le 17 Avril 2007. p.4.
A- Fracture numérique et Développement: Quels
liens ?
La volonté affichée par les pays
non-alignés de mettre en place des systèmes d'information
capables de participer à l'édification nationale au lendemain des
indépendances a été vite étouffée car ces
pays manquaient de ressources matérielles et de personnes
qualifiées pour utiliser les nouveaux moyens d'information à de
véritables fins de développement socio-économique. On voit
bien donc que l'association de la technologie au développement n'est pas
un phénomène récent dans la mesure où chaque
innovation technologique, liée au secteur de l'information et de la
communication était présentée depuis les années 60
comme une solution pour que les pays pauvres amorcent le développement.
Selon Yvonne Mignot-Lefebvre : « la décolonisation ouvrait pour
beaucoup de pays nouvellement indépendants, la perspective d'un
développement autonome. Mais des objectifs prioritaires
s'imposèrent quel que fut le choix idéologique : décoller
économiquement afin de rattraper le plus vite possible les pays riches.
La croyance occidentale selon laquelle la technologie permet de résoudre
bon nombre de problèmes et de brûler les étapes
était alors bien partagée. Les télévisions
éducatives sont une illustration caractéristique de cette
croyance car elles se situaient dans un secteur résolument de pointe,
celui de l'information et de la communication et s'appliquaient au champ de
l'éducation de base qui était la préoccupation
première des responsables de cette période. Celles-ci furent
l'objet, au moins en leur début, d'un engouement extraordinaire de la
part tout à la fois des promoteurs, des financiers et des
bénéficiaires.» 27
Les bénéficiaires au rang desquels on compte les
pays africains sont justement restés pendant longtemps des
récepteurs passifs rêvant à un développement
miraculeux fondé sur l'imaginaire social des mythes de la technique.
Lewis Munford28 affirmait à juste titre : « Mettre en
mouvement les grandes masses, les arracher de la vie normale, les projeter de
l'histoire immobile vers une histoire accélérée ne peut
s'effectuer sans la production de grands rêves sociaux mobilisateurs et
des symboles qui les incarnent, (...) ni les idées, ni les rêves
ne font les révolutions mais, comment pourraient-elles se faire sans les
rêves qu'elles secrètent.» Patrice Flichy confirme
également que l'imaginaire social permet à une
société de construire une identité à travers
l'expression de ses attentes par rapport au futur et une société
sans imaginaire serait une société morte.
27 MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Technologies
de communication et d'information. Une nouvelle donne internationale ? »,
dans Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138, avril-juin 1994,
p.248.
28 MUNFORD Lewis, Du mythe de la machine, t.
II, Fayard, Paris, 1974, p. 265-309, in, Patrice Flichy, L'innovation technique
: récents développements en sciences sociales. Vers une
théorie de l'innovation, La Découverte, Paris, 2003, p. 188.
C'est de cet imaginaire social que se nourrissent les pays du
Sud et notamment les pays africains ainsi que leurs dirigeants qui sont
très ouverts et favorables à tous les discours d'installation et
de promotion des TIC en Afrique puisque comme le rappelle Annie
Chéneau-Loquay 29 , les réseaux de communications
corrects et la connectivité à Internet sont souvent
proclamés par les grands organismes de l'ONU, ou de coopération
régionale comme des leviers indispensables au développement de
l'Afrique. L'UNESCO aussi défend cette vision selon laquelle les TIC
symbolisent une nouvelle civilisation basée sur l'information et le
savoir en même temps qu'une nouvelle phase de développement
économique, social et culturel. Erkki Liikanen, Commissaire
européen chargé des Entreprises et de la Société de
l'information, insiste à son tour sur la nécessité de ne
pas isoler les TIC et de plutôt « les intégrer à une
politique globale de développement et au dialogue stratégique
avec les pays bénéficiaires. Telle est en effet la seule
manière de profiter des avantages qu'offrent les nouvelles technologies
dans tous les domaines de la vie en société. »
Dans un article sur « Les modèles
d'intégration des pays du Sud dans la « société de
l'information : entre assistanat, insertion et intégration»,
Alain Kiyindou précise que : « la tendance consiste à faire
croire que les nouvelles technologies sont obligatoires pour le
développement, que grâce à elles, le retard accumulé
pourrait être rattrapé et tous les manques comblés. Le
rapport du PNUD sur le développement humain, la déclaration de
principes du SMSI, le rapport e-inclusion de la Commission de la
Communauté Européenne en sont des exemples frappants. On retrouve
dans la plupart de ces discours, l'argument du leapfrogging en ce sens
que la diffusion des NTIC permettrait d'accélérer le processus de
développement des pays « en retard » et comblerait ainsi la
fracture du développement.»
De nombreux projets de coopération technique
dirigés par des organismes internationaux ont ainsi vu le jour et
visaient à favoriser le développement économique des pays
du Sud à travers l'introduction et la diffusion sur leurs territoires de
technologies qui étaient considérées comme
«nouvelles» à l'époque. C'est justement dans ce
contexte de la forte influence exercée par le paradigme de la
modernisation sur les théories de développement de ces
années qu'il faut mesurer l'importance acquise par les technologies de
la communication par rapport aux pratiques de coopération et de
solidarité internationale.
29 CHENEAU-LOQUAY Annie (Coord.), Quelle
insertion de l'Afrique dans les réseaux mondiaux ? Une approche
géographique, in, Enjeux des technologies de la communication en
Afrique : du téléphone à Internet, Paris, Karthala,
2000, pp. 23-61, p.42-43.
Le processus de développement par étapes (du
simple au complexe, du traditionnel au moderne), tel qu'il est
démontré par Armand Mattelart, place la communication et ses
technologies en avant-poste dans la théorie de la modernisation. Ceci se
justifie d'abord par l'importance de l'amélioration des infrastructures
de télécommunication d'une nation dans le processus de
développement de son système d'échanges commerciaux.
Ensuite, il faut reconnaître que les moyens de communication sont
perçus comme des agents de développement dans la perspective
évolutionniste d'un passage linéaire de la société
traditionnelle à la société moderne. Ils sont
assimilés à des producteurs de comportements modernes
susceptibles de remplacer les habitudes productives et de consommations
liées à la tradition. C'est sans doute pour cette raison que la
thèse modernisatrice s'accompagne de la théorie diffusionniste de
l'innovation technologique.
Mais ces théories qui servent parfois de pilier
idéologique aux stratégies adoptées par les institutions
internationales pour éradiquer au nom de la solidarité la
misère et le sous- développement des pays africains, constituent
une vision déterministe et peut-être trop idéaliste de la
fracture numérique. Continuer à croire aujourd'hui que
grâce aux TIC, on pourrait « brûler les étapes du
développement », et lutter plus efficacement contre la
pauvreté est une utopie techniciste de plus. Aux peuples
sous-équipés du Sud, on fait miroiter l'ordinateur pour tous,
outil miracle pour passer du sous-développement au développement,
sans même se préoccuper de l'adéquation entre technologie
et contexte d'utilisation. D'où la question qui est souvent posée
par les chercheurs en SIC et qui révèle une certaine illusion de
la relation de cause à effet : « Sont-ce les ordinateurs qui
créent la richesse ou est-ce la richesse qui permet de s'équiper
en ordinateurs ?». On ne saurait, en effet, apporter une réponse
rapide et tranchée à cette question sans tomber dans un
déterminisme technologique teinté de subjectivisme car la
question en elle-même sous-entend un rapport direct entre l'accès
à la technologie et les possibilités de développement. Or
quand la notion de « fracture numérique » est couplée
avec le déterminisme technique, elle apparaît plus comme un
concept idéologique ou politique que scientifique. Mais puisque notre
démarche s'inscrit dans un cadre scientifique, nous dirons que cette
question pose la complexité de la fracture numérique face
à la relation qui peut exister entre l'incorporation des TIC dans les
dynamiques sociales et la transformation sociale qu'elle implique.
L'objectivité à laquelle nous prétendons ne saurait
être remise en cause si nous concédons à Kemly Camacho que
la fracture numérique résulte des fractures sociales produites
par les inégalités sur les plans économique, politique,
social, culturel, entre les hommes et les femmes, les
générations, les zones géographiques, etc.
Cependant, à en croire Pierre Jalee30 «
C'est le caractère asymétrique, des relations
d'interdépendance entre le centre et la périphérie qui
garantit la pérennité du capitalisme, en même temps qu'il
entraîne le développement du sous-développement ».
Mattelart Armand et Erik Neveu constateront eux aussi que « La
mondialisation des économies constitue un processus de domination qui
continue à se produire ».
C'est donc à bon droit que l'on peut s'inquiéter
de l'envahissement de la « société de l'information »
par les acteurs privés et les multinationales qui la
métamorphosent en un centre commercial international ou en argument de
vente pour ordinateurs familiaux, réduisant ainsi les pays dits
arriérés à un marché de plus à
conquérir. De plus, c'est un excellent marketing pour les grandes
entreprises des télécommunications et de production et
commercialisation de matériel informatique que de réduire la
fracture numérique à la simple fracture technologique. Et c'est
ce qui ressort souvent des discours de l'UNESCO qui considèrent le
développement des infrastructures comme le principal moyen de
remédier à cette fracture technologique. L'observation des
réalités du terrain par le vécu de la fracture met
d'ailleurs vite en exergue le caractère stérile de ces
discours.
B- Le vécu de la fracture en Afrique
Afin de bien appréhender les réalités de
la fracture numérique en Afrique, une définition préalable
du concept même de la fracture numérique s'impose. Pour ce faire,
nous nous référons à la définition donnée
par Elie Michel : « D'une manière générale, le
fossé numérique peut être défini comme une
inégalité face aux possibilités d'accéder et de
contribuer à l'information, à la connaissance et aux
réseaux, ainsi que de bénéficier des capacités
majeures de développement offertes par les TIC. Ces
éléments sont quelques-uns des plus visibles du fossé
numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison
de facteurs socio-économiques plus vastes, en particulier l'insuffisance
des infrastructures, le coût élevé de l'accès, le
manque de création locale de contenus et la capacité
inégale de tirer parti, aux niveaux économiques et sociaux,
d'activités à forte intensité d'information.
»31
30 JALEE Pierre, Le pillage du Tiers Monde,
Maspero, 1975.
31 MICHEL Elie, « Le fossé
numérique. L 'Internet, facteur de nouvelles inégalités
? », in Problèmes politiques
et sociaux, la Documentation française, n°861,
août 2001, p.32.
D'après cette définition, la fracture
numérique ne représenterait donc qu'une toute petite partie de
l'ensemble des inégalités de développement. Ces
inégalités caractéristiques du "mal développement"
des pays africains se mesurent par l'usage et l'accès aux TIC comme les
téléphones portables, l'ordinateur ou le réseau Internet.
Si l'on considère avec Manuel Castells32 que l'une des
conditions nécessaires à l'intégration des Technologies de
l'Information et de la Communication c'est l'équité,
c'est-à-dire le fait de donner les mêmes chances aux populations
rurales et urbaines, aux alphabètes et aux analphabètes, aux
femmes et aux hommes, aux populations du Sud et du Nord..., « on est
appelé, tout en s'intéressant à la réduction de la
fracture numérique, à mener en parallèle une
réflexion sur les causes de ces inégalités qui, de l'avis
de nombreux experts, dépassent le cadre strictement technologique.
» Ainsi critique-t-on le concept de «fracture numérique»
en questionnant le discours dominant qui fait des technologies l'unique
instrument du bien-être collectif de demain. Le rapport mondial sur le
développement humain de 2002 souligne par exemple que malgré la
diffusion des TIC en Afrique depuis une décennie, le revenu des 5% de
personnes les plus riches au monde reste 114 fois supérieur à
celui des 5 % les plus pauvres. Ce rapport ajoute qu'au cours des années
90, le nombre de personnes vivant dans l'extrême pauvreté en
Afrique subsaharienne est passé de 242 à 300 millions confirmant
ainsi que la part du commerce extérieur dans le PNB de ces pays n'a
cessé de diminuer et reste même largement inférieur
à son niveau d'il y a 20 ans. Une régression qui s'accompagne
logiquement de la baisse de l'espérance de vie sur un continent dont la
population rurale est toujours en recherche d'eau potable,
d'électricité et n'a pas fini de relever le défi de
l'alphabétisation et de l'éducation.
James Steinberg, de la Brookings Institution de Washington,
n'aurait-il donc pas raison quand il pense que l'efficacité des TIC
comme levier de développement dépend des facteurs qui se trouvent
très souvent «en amont», comme les «ressources
cognitives» et le degré d'alphabétisation. Et sa
pensée est renchérie par celle du commissaire européen
chargé des entreprises et de la société de l'information,
Erkki Liikanen : «L'accès aux TIC, notait-il, est tributaire de la
nature de l'infrastructure d'information et de communication, de l'état
de développement des systèmes économiques et juridiques et
des capacités éducatives et formatives.»33
32 CASTELLS Manuel, La galaxie Internet,
Fayard, 2001.
33 «TIC et développement : combler la fracture
numérique», Le Courrier ACP-UE, mai-juin 2002, p.37.
Ce serait aller trop vite en besogne que de conclure à
partir de ces constats et analyses que les TIC ne servent qu'à creuser
le fossé des clivages socio-territoriaux en donnant plus d'envergure
à l'aspect horizontal de la fracture (entre régions d'un
même pays, ou entre différents pays sur le même continent
africain). Néanmoins, nous pouvons nous permettre d'affirmer sur la base
de ces réalités sociales, ou du moins sur la base de ces
réalités statistiques, que ces technologies ne sont ni une
réelle priorité, ni comme le prétendraient les discours
tenus par les organisations internationales le facteur principal
d'amélioration du bien être humain. Encore faudrait-il
vérifier si ces réalités statistiques traduisent
réellement le vécu de la fracture numérique. C'est une
autre manière de se poser la question de savoir si la fracture
statistique34 reflète réellement la fracture
numérique ou si elle n'est pas plutôt inscrite dans une tendance
technicienne et marchande. Cette dernière hypothèse
apparaît plus plausible puisque les mesures standardisées du
progrès vers la société de l'information par des indices
statistiques quantitatifs élaborés par les grandes organisations
internationales du néolibéralisme se concentrent sur des
indications sur l'infrastructure (« l'Indice d'accès
numérique ou IAN » de l'UIT et le «network readiness of
economies» de la Banque mondiale). Ces indications légitiment la
volonté de certaines multinationales à équiper la
planète en matériel informatique et en outils de
télécommunication. Or, une autre réalité que nous
ne devons pas perdre de face est bien celle de la rapide obsolescence des TIC
qui place les pays du Sud dans une perspective de course sans fin, toujours en
retard. Même si leur connectivité s'améliore dans l'absolu,
l'écart technologique perdure.
En définitive, « la techno-utopie d'une
modernité dépourvue d'un projet de société a
balayé le rêve émancipateur d'un projet de modernité
fondé sur le désir d'en finir avec les inégalités
et les injustices. Les maîtres du monde incitent d'ailleurs ouvertement
à croire que cet idéal est révolu. En lieu et place d'un
véritable projet social, le déterminisme technomarchand qui
institue la communication sans fin en héritière du progrès
sans fin. La performance des systèmes de transmission numérique
s'est trouvée propulsée en paramètre de l'évolution
de la grande famille humaine vers l'ultime phase de son histoire. Le
marché comme la technique se muent en forces de la nature. Telle est en
tout cas la représentation dominante des TIC au seuil du
troisième millénaire » 35. Et cette
représentation se traduit bien dans les réflexions ressortant des
deux phases du SMSI de Genève (2003) et de Tunis (2005).
34 Dr KSIBI Ahmed, De la fracture
numérique en Afrique à la fracture statistique, 71th IFLA General
Conference and Council, Du 14 au 18 Août 2005, Oslo, Norvège.
35 MATTELART Armand, Vers quel nouvel ordre
mondial de l'information ?, p.273, in L'idiot du village mondial Michel Sauquet
(sous la dir.), Editions Charles Léopold Mayer, 2004.
II- Bilan sommaire et critique du SMSI : de Genève
à Tunis
Le terme « société de l'information »
a été formalisé la première fois en 1998 lors de
l'Assemblée plénipotentiaire de l'UIT. C'est aussi dans la
même année que l'ONU approuve le projet d'organiser un Sommet
mondial sur la société de l'information dont l'objectif serait de
: « Faciliter effectivement le développement de la
société de l'information et contribuer à réduire la
fracture numérique ». Mais avant la tenue effective du Sommet, il y
a d'abord eu en 2000, l'organisation du Forum économique mondial de
Davos qui a lancé la Global Digital Divide Initiative, regroupant des
gouvernements, des ONG et surtout de grandes entreprises comme AOL Time Warner
et Microsoft, dans le but de «transformer le fossé numérique
en une opportunité pour la croissance ». Le G8 est ensuite
entré en scène avec la publication de la Charte d'Okinawa sur la
société globale de l'information et la mise sur pied de la
Digital Opportunity Task Force (Dot Force). En décembre 2001, la
Commission européenne a, de son côté, adopté un
projet destiné, selon les mots du commissaire au développement
Poul Nielson, à «mettre les TIC au service des pauvres de la
planète ».Ces stratégies axées sur le
développement s'accompagnent le plus souvent de mesures de privatisation
et de libéralisation qui sont présentées par leurs
promoteurs comme une condition essentielle de la baisse des coûts de
connexion et qui sont dénoncées par d'autres comme une
aggravation de la dépendance et des inégalités. Le sommet
réussira-t-il à unifier ces points de vue divergents par rapport
aux enjeux «techno-marchands» du couplage de l'informatique avec les
télécommunications pour le tant prôné «
accès universel à une multitude d'informations en temps voulu
» ? Pour Koffi Anan, « cette réunion planétaire est un
moyen unique pour développer une vision commune quant aux moyens de
surmonter le fossé numérique.» 36 Même son
de cloche chez Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT : « le Sommet doit
aboutir à une vision commune entre les chefs d'Etats, le secteur
privé et la communauté des organisations non-gouvernementales
quant à la façon d'aboutir à un développement
durable grâce aux technologies de l'information et de la
communication». La préparation du Sommet a regroupé trois
conférences préparatoires intergouvernementales (Prepcoms), ainsi
que quatre conférences régionales (Afrique; Europe, Etats-Unis et
Canada; Asie et Amérique latine). A ces réunions officielles, il
faut ajouter une longue liste de manifestations et de rencontres
organisées notamment par l'UNESCO qui a toujours joué un
rôle déterminant ces dernières années pour
promouvoir la liberté d'expression et la libre circulation de
l'information.
36 Brochure d'information du SMSI, éditée par le
Secrétariat exécutif du Sommet, Genève, juin 2002.
A- Déclaration de principes et plan d'action de
Genève
La première phase du SMSI s'est tenue à
Genève du 10 au 12 décembre et a eu pour but d'adopter une
déclaration de principes et un plan d'action. Nous n'avons nullement
l'intention de reprendre ici tous les principes de base énoncés
à Genève et sur lesquels repose la construction de la
société de l'information. Notre démarche consistera
plutôt à faire une analyse de discours en nous attardant
particulièrement sur quelques principes qui, malgré leur
prétendu caractère d'universalité, pourraient en
réalité faire plus d'exclus que d'inclus dans ladite
société de l'information. Pour planter le décor, le
premier principe s'énonce en tant qu'une conception commune de la
société de l'information : « Nous, représentants des
peuples du monde, réunis à Genève du 10 au 12
décembre 2003 pour la première phase du Sommet mondial sur la
société de l'information, proclamons notre volonté et
notre détermination communes d'édifier une société
de l'information à dimension humaine, inclusive et privilégiant
le développement, une société de l'information, dans
laquelle chacun ait la possibilité de créer, d'obtenir,
d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans laquelle les
individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en
oeuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur
développement durable et en améliorant leur qualité de
vie, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations
Unies ainsi qu'en respectant pleinement et en mettant en oeuvre la
Déclaration universelle des droits de l'homme. » Des
représentants des peuples du monde qui proclament subitement leur
volonté commune d'édifier une société de
l'information : n'est-ce pas là le retour vers une pensée holiste
confondant l'humanité à la société des «
Nous » ? L'enjeu « consiste pour nous à tirer parti
des possibilités qu'offrent les technologies de l'information et de la
communication (TIC) en faveur des objectifs de développement
énoncés dans la Déclaration du Millénaire, à
savoir éliminer l'extrême pauvreté et la faim, dispenser
à tous un enseignement primaire , favoriser l'égalité
entre hommes et femmes et rendre les femmes autonomes, lutter contre la
mortalité infantile, améliorer la santé des mères,
lutter contre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies, assurer un
environnement durable et élaborer des partenariats mondiaux pour
parvenir à un développement propice à l'instauration d'un
monde plus pacifique, plus juste et plus prospère. (...) ». Il
importe de savoir à ce niveau-ci à qui renvoie le pronom «
nous » utilisé au début de la déclaration («
l'enjeu consiste pour nous ...»).
Qui doit tirer parti des possibilités qu'offrent les
TIC ? La logique sociale et le contexte de la coopération internationale
dans lequel cette déclaration a été faite voudraient que
ce soit les pays africains et de façon générale les pays
pauvres endettés, analphabètes...
Mais dans le schéma de la politique économique
globale, c'est d'abord les autoproclamés « maîtres du monde
», les grandes multinationales et entreprises privées
américaines de fabrication d'équipements informatiques et de
télécommunications qui sont les premiers véritables
profiteurs de cette situation. Le malheur des dominés pouvant faire le
bonheur des dominants, il apparaît qu'aussi longtemps que les pays du Sud
resteraient dans leur état de nécessiteux envers les TIC pour
amorcer le développement, autant perdureront ces discours fortement
imprégnés de déterminisme technologique et dont les
intérêts mercantiles sont camouflés par l'intention
affichée et la compassion sur-médiatisée d'aide ou de
coopération : « Nous sommes résolus
à donner aux pauvres, tout particulièrement à
ceux qui vivent dans des zones isolées ou rurales et dans des zones
urbaines marginalisées, les moyens de devenir autonomes,
d'accéder à l'information et d'utiliser les TIC comme outil dans
les efforts qu'ils déploient pour s'arracher à la
pauvreté. » C'est comme si à la face du monde, on mettait en
scène des victimes qu'on vient sauver d'une incendie alors que les
auteurs de cette incendie ne sont rien d'autre que les pompiers37
jouant aux sauveurs et profitant les premiers de la situation. Ils en profitent
les premiers non pas parce qu'ils ont droit à des honneurs et des
médailles après leur acte de bravoure et de sauvetage, mais
surtout parce qu'ils en tirent des primes et des avantages financiers
importants pendant que les rescapés (ignorants et « idiots du
village planétaire ») se contentent de la satisfaction illusoire
d'avoir été sauvés. Il va sans dire que les pompiers ici
sont les Etats-Unis et leurs vassaux tandis que les victimes sont
concentrées dans les 2/3 restants de la population mondiale. Les TIC
représentent dans cette métaphore l'eau abondamment
déversée pour éteindre le feu, qui, symbolise quant
à lui le sous-développement et la misère.
Un autre principe atténue cette vision
idéalisée des TIC et de la société «
salvatrice » de l'information telle que décrite dans le principe
précédent : « Nous sommes conscients que les TIC devraient
être considérées comme un moyen et non comme une fin en
soi. » Puis il est précisé un peu plus loin que « Dans
des conditions favorables, elles peuvent être un puissant outil,
accroissant la productivité, stimulant la croissance économique,
favorisant la création d'emplois et l'employabilité et
améliorant la qualité de vie de tous. ».
Préalablement donc à la diffusion et l'intégration des TIC
comme outils de développement dans un pays, il faudrait des «
conditions favorables » qui à notre avis se rapportent à la
paix, la stabilité politique, la démocratie et la bonne
gouvernance dans un pays.
37 Nous tenons à souligner ici que le métier de
pompier est un très noble métier que nous admirons et à
l'égard duquel nous avons un immense respect. L'allusion qui y est faite
dans notre métaphore ne devrait donc en aucun cas être
interprétée comme un éventuel dénigrement ou
mépris de la profession. Elle reste en effet un simple rapprochement de
faits.
Nous en concluons que contrairement à ce qui est
communément admis, les TIC ne sont pas des facteurs directs de
développement d'un pays, mais bien plutôt des
éléments de modernisation qui peuvent être très
efficaces pour l'essor économique d'un pays si celui-ci réunit
des conditions favorables au développement humain et social et
bénéficie d'un bon vent de relations régionales et
internationales. Référence est justement faite dans la
déclaration de principes à l'importance de créer un
«environnement propice». « Il est indispensable que les efforts
nationaux de développement en matière de TIC soient
étayés par un environnement international dynamique et propice,
favorable aux investissements étrangers directs, au transfert de
technologies et à la coopération internationale,
particulièrement en ce qui concerne les finances, l'endettement et le
commerce, ainsi que par une participation pleine et entière des pays en
développement aux décisions qui sont prises au plan mondial.
Améliorer la connectivité et la rendre financièrement
accessible à l'échelle mondiale contribuerait pour beaucoup
à accroître l'efficacité de ces efforts de
développement...Le meilleur moyen de favoriser un développement
durable dans la société de l'information est d'intégrer
pleinement les efforts et les programmes en matière de TIC aux
stratégies de développement nationales et régionales. Nous
nous félicitons du Nouveau partenariat pour le développement de
l'Afrique (NEPAD)38 et nous encourageons la communauté
internationale à soutenir les mesures liées aux TIC prises dans
le cadre de cette initiative ainsi que celles qui relèvent d'efforts
analogues déployés dans d'autres régions. La
répartition des fruits de la croissance alimentée par les TIC
contribue à l'éradication de la pauvreté et au
développement durable. »
En outre, la déclaration de principes de Genève
a bien mis l'accent et ceci est peut-être un acquis positif sur « la
capacité de chacun d'accéder à l'information, aux
idées et au savoir et d'y contribuer». Ceci passe forcément
par le renforcement des capacités avec des mots clés tels que :
alphabétisation, enseignement primaire universel, formation permanente
et formation des adultes, reconversion, apprentissage à distance, sans
oublier les capacités nationales en matière de
recherche-développement dans le secteur des TIC....
38 Le NEPAD résulte d'une fusion entre
le plan OMEGA Sénégalais, sa composante
économique dont l'objectif est de combler le retard qui sépare
l'Afrique des pays développés et le MAP, Millenium
African Plan, élaboré par les
Présidents MBeki d'Afrique du Sud, Obasanjo du Nigeria, Bouteflika
d'Algérie, et Moubarak de l'Egypte. Les deux plans ont été
fusionnés en un seul qui a été adopté par le Sommet
de Lusaka en 2001 pour devenir la vision de l'Afrique et sa stratégie
pour accéder au niveau mondial par la mobilisation des ressources
intérieures et extérieures, en partenariat avec le monde
développé. Les TIC sont l'un un des secteurs super prioritaire du
NEPAD.
Tous ces principes fondamentaux de l'édification d'une
société de l'information inclusive ont été
formulés autour des résolutions de respect de la diversité
culturelle, de reconnaissance du rôle des médias, et de prise en
compte des dimensions éthiques de ladite société. Ils
trouvent leur traduction dans un plan d'action rédigé sous la
forme de mesures concrètes, le but étant d'atteindre
progressivement les objectifs de développement arrêtés
à l'échelle internationale, notamment dans la Déclaration
du Millénaire, dans le Consensus de Monterrey et dans la
Déclaration et le Plan de mise en oeuvre de Johannesburg. Reste
maintenant à savoir si les gouvernements et toutes les autres parties
prenantes pourront réaliser ces objectifs en coopérant et en
travaillant de manière solidaire malgré les conflits
d'intérêts qui sont volontairement occultés dans les
débats pour donner l'impression que le « Sommet des Solutions
» tiendra toutes ses promesses. En effet, la seconde phase du SMSI sera
l'occasion d'évaluer les premiers progrès qui auront
été réalisés dans la réduction de la
fracture numérique.
B- Principaux engagements de Tunis
La phase de Tunis visait à approfondir les
thèmes liés au développement et à effectuer une
première évaluation des actions mises en oeuvre depuis le Sommet
de Genève. Mais dans les principaux engagements pris à Tunis, on
note l'emploi très répétitif de la locution verbale «
Nous réaffirmons » ou de l'adverbe « Egalement ». Si le
plan d'action de Genève a été une prise de conscience de
la fracture numérique, les engagements de Tunis auront été
simplement une réaffirmation de cette prise de conscience et une
certaine exhortation des gouvernements, du secteur privé, de la
société civile et des organisations internationales à
oeuvrer ensemble pour appliquer les engagements énoncés : «
Nous réaffirmons ce qui a été
énoncé dans les paragraphes 4, 5 et 55 de la Déclaration
de principes de Genève. Nous reconnaissons que la liberté
d'expression et la libre circulation des informations, des idées et du
savoir sont essentielles pour la société de l'information et
favorisent le développement... .Nous réaffirmons les
engagements pris à Genève et nous nous en inspirons ici
à Tunis en nous attachant aux mécanismes financiers
destinés à réduire la fracture numérique, à
la gouvernance de l'Internet et aux questions connexes, ainsi qu'au suivi et
à la mise en oeuvre des décisions de Genève et de Tunis,
visées dans l'Agenda de Tunis pour la société de
l'information. » Nous remarquons en outre que les questions de
mécanismes financiers, et d'adoption des TIC par les petites, moyennes
et micro-entreprises (PMME) ont fait l'objet d'une insistance
particulière dans les engagements de Tunis :
« Nous reconnaissons qu'il est nécessaire de
mobiliser les ressources, tant humaines que financières,
conformément au chapitre 2 de l'Agenda de Tunis pour la
société de l'information, afin d'accroître l'utilisation
des TIC au service du développement et de réaliser à
court, à moyen et à long terme des projets d'édification
de la société de l'information, dans le cadre du suivi et de la
mise en oeuvre des conclusions du SMSI... ». On retient également
de Tunis la demande faite à l'Assemblée générale
des Nations Unies de déclarer le 17 mai Journée mondiale de la
société de l'information. Ceci contribuerait à
sensibiliser l'opinion, chaque année, à l'importance de ce moyen
de communication universel et aux questions évoquées dans le
cadre du Sommet, en particulier aux perspectives qu'ouvre l'utilisation des TIC
dans les domaines économique et social, ainsi qu'aux possibilités
de réduction de la fracture numérique.
Aujourd'hui, deux ans après que les rideaux soient
tombés du côté de Tunis, il urge de savoir le sort qui a
été réservé à tous ces discours et
résolutions. Qu'est-il advenu de la mise en oeuvre des décisions
prises à Genève et à Tunis ? Tous les efforts se sont-ils
arrêtés avec la fin du sommet ? Un bref aperçu sur
l'état actuel des lieux assouvira sans doute notre curiosité sur
l'après Tunis.
C- Etat actuel des lieux
Nous ne saurions faire un état actuel des lieux et un
bilan au lendemain du SMSI sans préciser qu'il n'y a que deux ans qui
ont séparé les phases de Tunis et de Genève et que nous
sommes aujourd'hui à peine à deux années après la
clôture du sommet. Entre le Sommet sur le développement durable de
Rio, en 1992, et celui de Johannesburg, en 2002, dix ans se sont
écoulés. Pourtant ces dix années n'ont pas suffi à
une réelle mise en oeuvre des accords de Rio. Considérant donc
l'intervalle court de temps ayant séparé les deux phases du SMSI
et les dix- huit mois qui viennent de s'écouler au lendemain du sommet,
il s'avère qu'une évaluation de la mise en oeuvre du plan
d'action de Genève ne peut être que très sommaire.
Cependant nous analyserons tout au moins la teneur même des
décisions prises lors du sommet afin d'en peser la faisabilité et
de nous projeter sur les réelles retombées du SMSI.
A la première phase du SMSI à Genève en
2003, l'objectif était bien de formuler de façon parfaitement
claire une volonté politique et de prendre des mesures concrètes
pour poser les bases d'une société de l'information accessible
à tous, tout en tenant pleinement compte des différents
intérêts en jeu. Ont répondu présents à cette
grande messe de l'information 50 chefs d'État ou de Gouvernement et
Vice-présidents, 82 Ministres et 26 Vice-ministres de 175 pays, ainsi
que d'éminents représentants d'organisations internationales, du
secteur privé et de la société civile. Ils ont
apporté un appui politique à la Déclaration de principes
de Genève et au Plan d'action de Genève qui ont été
adoptés le 12 décembre 2003.
Mais pour Jean-Louis Fullsack, « le plan d'action de
Genève a été peu suivi des faits parce que sa
rédaction, pour le moins, laisse quand même des lacunes
importantes ou des flous qui empêchent les actions
développées. Je pense qu'une des grandes lacunes du plan d'action
est qu'il n'a pas réussi à travers toutes ces propositions qui
sont telles un catalogue des grands magasins. Il n'y a aucune priorité,
aucun échelonnement dans le temps, aucun calendrier et a fortiori aucun
financement (...) Le plan d'action est un document tout à fait
intéressant parce qu'il contient toute la problématique qu'il
faut résoudre mais sans en donner ni un déroulement, ni surtout
des priorités.» 39 Et à Alain Kiyindou de
renchérir : « le plan d'actions de Genève ressemble beaucoup
au plan Marshall parce qu'il est question d'investissement, de voler au secours
de populations démunies, de prêts, de donner du matériel
à des personnes qui en ont besoin. Ce qu'on oublie souvent, c'est que le
contexte n'est pas le même. Le contexte géopolitique a
changé parce qu'à l'époque du plan Marshall, il y avait
des intérêts économiques bien sûr, mais il y avait
surtout des intérêts stratégiques qui étaient
évidents. Mais aujourd'hui, ces intérêts n'existent pas.
Donc ce plan d'actions qu'on a mis en place aujourd'hui n'est pas
accompagné de moyens de réalisation.»
Deux ans plus tard à Tunis, il s'agissait justement
cette fois-ci de mettre en oeuvre ce Plan d'action de Genève et aboutir
à des solutions ainsi qu'à des accords sur la gouvernance de
l'Internet, les mécanismes de financement, et le suivi et la mise en
oeuvre des documents de Genève et Tunis.
39 Colloque Open Forum 2005 organisé par l'Agence
Universitaire de la Francophonie. Entretien avec Jean- Louis Fullsack, Alain
Kiyindou et Michel Mathien. A voir sur le site de la Chaîne Colloques
et Conférences
canalc2.tv :
http://canalc2.u-strasbg.fr/video.asp
?idvideo=4218
Quoique la mobilisation ait été plus forte
qu'à Genève (Plus de 20 000 participants représentant 174
pays, 92 organisations internationales, 606 ONG, 226 entreprises et 642
journaux, soit environ deux fois plus qu'à Genève) et même
si cette deuxième phase du sommet s'est achevée par l'adoption le
18 novembre 2005 de l'Engagement de Tunis et l'Agenda de Tunis, le sommet a eu
du mal à éclairer les controverses, notamment sur le rôle
et l'influence de la société civile. Il a pu au demeurant
insister sur les questions inhérentes au développement, à
la souveraineté nationale, à la liberté d'expression,
à l'éducation, à la diversité culturelle ou encore
au droit international. Ces sujets ont été directement
engagés et privilégiés dans la profondeur des analyses par
rapport à la question de fond, celle de la réduction de la
fracture numérique autour de laquelle les débats ont
tourné mais sans jamais mieux faire que de s'arrêter à des
engagements et des promesses en lieu et place des solutions concrètes
très attendues.
Il est ainsi regrettable que la communauté
internationale n'ait pas réussi à trouver les moyens de
transformer les principes de Genève en action afin d'éviter la
cassure du monde entre ceux qui sont dans l'économie de l'information et
de la connaissance et ceux qui restent à sa marge. Aujourd'hui,
malgré tous les espoirs suscités au lendemain du SMSI, l'euphorie
des TIC a cédé place à une «perspective enivrante
d'un monde entièrement interconnecté »40, un
monde dans lequel les réalités des inégalités
demeurent toujours très alarmantes du point de vue de l'écart qui
ne cesse de se creuser particulièrement entre les pays
développés et les pays africains : Un Africain sur 40 a le
téléphone, et il y a toujours plus de téléphones
à Manhattan que dans toute l'Afrique subsaharienne ; 90% des humains
sont exclus des réseaux de communication électronique ; 70% des
660 millions d'internautes vivent dans les pays riches (16% de la population
mondiale), 5% dans les pays les plus pauvres (40%) ; sur 10 Suisses, 7 ont un
ordinateur et 5 surfent sur le Web. En Afrique, 1 habitant sur 130 a un PC et 1
sur 150 a accès au Net.
Shashi Tharoor (Sous-secrétaire général
pour la communication et l'information publique, Nations unies) affirme que
« Nous vivons à l'ère de la révolution de
l'information, (...) une révolution qui offre beaucoup de
liberté, un peu de fraternité et aucune
égalité.». Et le SMSI, au regard de ses résultats
modestes, semble être effectivement un engagement symbolique en faveur de
plus de libertés, en faveur d'un peu de fraternité ou de
solidarité, mais pas d'égalité. Solidarité
«numérique» ? Oui. Egalité ? Non. Car la
solidarité n'a de sens
40 RIFKIN Jeremy, L'âge de l'accès,
Paris, La Découverte, 2000, pp. 295-296.
que s'il existe des inégalités. Eliminer toutes
les inégalités et se retrouver dans un monde égalitaire
est une représentation holiste, expression d'une certaine hypocrisie des
superpuissances, qui en réalité auraient beaucoup à perdre
à ce que les principes d'égalité déclarés
à Genève et réaffirmés à Tunis soient
transformés en actions, puis en réalité. Ces
superpuissances et en chef de file les Etats-Unis perdraient d'abord leur
domination sur le monde, avant de voir hypothéqués leurs
intérêts économiques inhérents à la
commercialisation de l'information marchande et la diffusion des TIC dans les
pays pauvres sous le prétexte de solidarité numérique
légitimé par les Nations-unies. Pourtant la question de
réduction des inégalités liées à la fracture
numérique était très attendue au SMSI au point où
ce sommet était qualifié au départ du « Sommet des
Solutions »41 . A l'arrivée, la Déclaration de la
société civile au SMSI, le 18 décembre 2005,
intitulée « Bien plus aurait pu être réalisé
» résume bien le constat général que le SMSI s'est
achevé sans la résolution des deux principales questions dont
cette conférence des Nations Unies devait traiter : le financement de
l'infrastructure et des services pour « mettre les TIC au service du
développement » et la «gouvernance d'Internet ».
Le sommet a néanmoins le mérite d'avoir
développé les réseaux humains Nord-Sud, d'avoir fait
naître de nouvelles collaborations et d'avoir créé des
opportunités d'affaires, en associant tous les pays, les gouvernements,
la société civile et les entreprises, à un débat
habituellement réservé aux décideurs des métropoles
technologiques. «Le tout premier résultat de cette grande messe de
l'information et de la connaissance, c'est le processus lui- même. Dans
l'esprit de ses initiateurs le SMSI devait sensibiliser les décideurs
des pays en développement à l'immense potentiel (des TIC) pour
l'expansion future des économies, l'amélioration du bien
être des populations, la cohésion sociale et l'extension de la
démocratie.»42 Quoique cet objectif,
particulièrement virtuel, fût largement atteint, il demeure un
objectif facilement muable en projet hégémonique de gouvernance
mondiale via la construction de l'intégration du monde par les
technologies.
Mais l'UNESCO, puisque c'est sur cette institution que repose
nos analyses, a-t-il été réellement impliqué dans
ce projet hégémonique ? Nous sommes au premier abord
tentés de répondre par la négative vu qu'elle n'a pas
obtenu l'organisation du SMSI qui a plutôt été
confiée à l'Union internationale des
télécommunications (UIT).
41 Cette expression a été utilisée la
première fois par Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT.
42 RENAUD Pascal, SMSI : Avancée
symbolique, résultats modestes, in Sciences au Sud, n°33.
Ce choix apparaît d'ailleurs assez ambigu puisqu'il
n'est précisé nulle part dans le mandat de l'UIT des questions se
rapportant à l'éducation, la liberté d'expression, le
respect de la diversité culturelle, la propriété
intellectuelle qui ressortent plutôt des prérogatives de l'UNESCO.
Ce choix ne saurait non plus prétendre s'être basé sur une
quelconque expérience de l'UIT sur le plan des enjeux politiques et
sociaux de la société de l'information. Beaucoup d'observateurs
dont Antonio Pasquali (ancien Sous-directeur général de l'Unesco
pour le secteur de la communication) en viennent alors à la conclusion
que le choix de l'UIT « est une façon d'institutionnaliser la
sourde oreille faite aux revendications sociales, de donner la mauvaise
réponse infrastructurelle à de bonnes questions
super-structurelles, et de maintenir la décision à
l'intérieur de la sphère du pouvoir » : une certaine
volonté d'évincer à priori des thèmes sociaux et
politiques controversés de l'agenda du Sommet.
Cependant, l'UNESCO n'est pas pour autant resté
complètement écarté de ce sommet et des débats qui
y ont été tenus. Au contraire, on note son intervention aussi
bien en aval qu'en amont de l'organisation du SMSI. En aval parce que l'UNESCO
est l'instigateur d'une longue liste de manifestations et de rencontres
préparatoires au sommet auxquelles ont participé une coalition
d'ONG concernées par la société de
l'information43. Et en amont parce qu'il lui a été
assigné trois rôle importants dans le processus de suivi et de
mise en oeuvre des résultats du SMSI : En effet, l'UNESCO est
chargé de mettre en oeuvre les activités concrètes du Plan
d'Action de Genève dans le cadre de son budget et programme
régulier. Avec l'UIT et le PNUD, l'UNESCO s'est engagé à
formuler la coordination multi-partenariats des coordonateurs des lignes
d'actions. Enfin, l'organisation doit aussi contribuer à faciliter la
mise en oeuvre cohérente des lignes d'actions dans ses domaines de
compétence. Elle agit ainsi comme coordonnateur pour les lignes
d'actions suivantes : Accès à l'information et au savoir (C3),
Téléenseignement (C7), Cyberscience (C7), Médias (C9),
Diversités et identités culturelles, diversité
linguistique et contenu local (C8), Dimensions éthiques de la
société de l'information (C 10). Ces lignes d'action font
d'ailleurs directement partie de la stratégie en quatre volets
développée par l'UNESCO pour combattre la fracture
numérique.
Malgré toutes ses missions assez nobles, du moins en
apparence, et un peu favorisée par le fait que l'organisation du SMSI ne
lui ait pas été attribué, l'UNESCO reste toujours la cible
de critiques qualifiant ses discours de « pieux discours » qui
n'arrêteront pas l'illusion du numérique. Référence
est souvent faite aux expressions «baguette magique du
développement», «numérique, salut pour les nations
pauvres» utilisées par l'UNESCO au
43 CRIS (Communication Rights in the Information
Society).
SMSI et faisant de l'instrument (les TIC), une finalité
(le développement). En réalité, il faudrait
peut-être reconnaître avec Divina Frau-Meigs44 qu'«
en tant qu'agence de l'ONU, l'UNESCO n'est habilité ni à
trancher, ni à s'autosaisir des débats. Elle ne fait que
refléter les tensions qui existent et se faire l'écho des voix
contradictoires. Les étouffer serait contraire à son mandat.
».
Mais si nous nous entendons sur le fait que l'UNESCO n'est
qu'un messager, qui d'une façon ou d'une autre subirait des pressions de
l'ONU en se voyant obligé de tenir des discours d'un certain type, alors
il nous serait facile de comprendre que l'UNESCO soit la cible de moult
critiques puisqu'il est plus facile de « tirer sur le messager » que
sur le message. Parlant de messages, arrêtons-nous sur celui
délivré par les représentants des pays en
développement et proposant l'idée d'un fonds de solidarité
numérique. La solidarité numérique est-il le dernier
espoir de développement des pays africains ? Cet espoir sera-t-il
transformé en résignation et frustration comme l'ont
été les revendications d'un NOMIC ? Quel rôle tiendra
l'UNESCO dans la concrétisation de cette solidarité ? Celui d'un
messager neutre, celui d'un arbitre influencé ou celui d'un parrain
engagé ?
44 Professeur à l'Université d'Orléans,
rédactrice en chef de la Revue française d'études
américaines et membre du comité de rédaction de
Média Morphoses (INA-PUF).
Troisième partie :
Solidarité numérique en Afrique :
Vers une dépendance technologique
accrue de l'Afrique ou une
résorption de la fracture ?
« Nous passons d'une idéologie de
compétition à une idéologie universelle de
solidarité.»
Adama Samassekou, Extrait d'une déclaration faite
à l'issue de la Prepcom de Tunis. (Juin 2004)
Troisième partie : Solidarité
numérique en Afrique : Vers une dépendance technologique
accrue de l'Afrique ou une résorption de la fracture ?
Chapitre 1 : Une volonté et une mobilisation
internationale manifestes
I- L'e-inclusion à travers la solidarité
numérique
Le 17 Mai 2006, lors de la célébration de la
première journée mondiale de la solidarité de la
société de l'information, l'UIT a décerné à
Maître Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, le prix
UIT de la société mondiale de l'information. Un prix que le
récipiendaire considère non comme une récompense mais
plutôt comme un encouragement à poursuivre avec toutes les bonnes
volontés la vulgarisation de l'ordinateur et l'accès du sud au
Web. En effet, c'est suite au succès du « Sommet de Lyon »,
qui a réuni en décembre 2003 plus de 300 élus du monde
entier pour débattre des grands enjeux de la société de
l'information au 21ème siècle, que les villes de Lyon, de
Genève, la province du Piémont et la République du
Sénégal ont engagé une initiative mondiale sur la
solidarité numérique.
L'idée45 du Fonds de solidarité
numérique a été ensuite officiellement lancée par
le Président Sénégalais à travers une proposition
des pays en développement au Sommet de Genève. Cette idée
a alors pris forme dans l'un des principes de la Déclaration de
Genève à l'issue de la première phase du SMSI : «
Nous reconnaissons que l'édification d'une
société de l'information inclusive exige de nouvelles formes de
solidarité, de partenariat et de coopération entre les
gouvernements et les autres acteurs, c'est-à-dire le secteur
privé, la société civile et les organisations
internationales. Conscients que l'objectif ambitieux de la présente
Déclaration - réduire la fracture numérique et garantir un
développement harmonieux, juste et équitable pour tous -
nécessitera un engagement ferme de la part de toutes les parties
prenantes, nous lançons un appel à la solidarité
numérique, aussi bien à l'échelle des nations qu'au niveau
international. »
45 « J'ai toujours pensé qu'une
société de l'information plus équilibrée et plus
harmonieuse devrait être fondée sur une
généralisation de l'accès à l'outil informatique
pour éviter aux pays en retard dans ce domaine les risques d'une
marginalisation irréversible. Donner à tous la possibilité
de se connecter, d'être à l'écoute, de se faire entendre et
de suivre la marche du monde: tel est le sens fondamental du Fonds de
solidarité numérique.»
Maître Abdoulaye Wade, Président du
Sénégal.
De Genève à Tunis, le principe s'est
transformé d'abord en un pacte de solidarité numérique
visant à instaurer les conditions propres de la mobilisation des
ressources humaines, financières et technologiques nécessaires
pour que tous les hommes et toutes les femmes participent à la
société de l'information naissante. Puis ce pacte s'est
mué en engagement à Tunis : « Nous nous
engageons à travailler ensemble à la mise en oeuvre du
pacte de solidarité numérique visé au paragraphe 27 du
Plan d'action de Genève. La mise en oeuvre intégrale et rapide de
ce pacte, dans le respect de la bonne gouvernance à tous les niveaux,
nécessite en particulier une solution rapide, efficace, complète
et durable au problème de la dette des pays en développement et,
le cas échéant, un système commercial multilatéral
universel, reposant sur des règles, ouvert, non discriminatoire et
équitable, qui soit susceptible par ailleurs de stimuler le
développement dans le monde entier, dans l'intérêt des pays
à tous les stades de développement ; elle nécessite
également la recherche et l'application effective d'approches et de
mécanismes internationaux concrets afin de renforcer la
coopération et l'assistance internationales en vue de réduire la
fracture numérique. »
Aujourd'hui, le résultat est bien là, faisant du
Fonds de solidarité numérique (FSN), la première
réalisation concrète de l'Agenda de Tunis, une nouvelle
organisation mondiale entièrement dédiée à la lutte
contre la fracture numérique et créée pour financer le
développement d'une société de l'information plus
équitable. Mais pour Meryem Marzouki, « s'il a
déjà commencé à fonctionner et affiche
désormais l'ambition d'ancrer dans le droit international le principe
d'un financement innovant pour réduire la fracture numérique
», le FSN n'en a pas moins fait l'objet de controverses entre les
États comme au sein de la société civile. Les
gouvernements du Nord, en particulier ceux de l'Union européenne et des
États- Unis, ont fait valoir leur scepticisme vis-à-vis du
fonctionnement des mécanismes de financement existants, notamment en ce
qui concerne la transparence de la gestion et de l'attribution des fonds, et
l'évaluation de leurs résultats en termes de financement du
développement mondial.» 46 Au fait, ce que ne semblent
pas avoir compris les pays du Nord, c'est qu'il ne faudrait pas confondre les
financements de la coopération bilatérale et le fonds qui serait
engagé au nom de la solidarité numérique. Ces pays
voudraient que l'Afrique utilise les mécanismes de coopération
déjà en place, en les perfectionnant au besoin. Or, la
solidarité numérique est un plus qui vient s'ajouter aux
mécanismes existants de coopération.
46 MARZOUKI Meryem, Le SMSI, un Sommet pour
rien ? Les principaux problèmes demeurent à l'issue du Sommet des
solutions, Communication au séminaire international « La
société de l'information dans la coopération au
développement. Un nouveau défi pour les bibliothèques
» 4-5 mai 2006, Séville.
D'ailleurs dans cette nouvelle coopération, le
rôle des entreprises privées et surtout celui des villes et des
pouvoirs locaux est déterminant car ils ont été les
premiers à appuyer la création du Fonds mondial de
solidarité numérique. Signalons au passage que la ville de Lyon
est au coeur de cette solidarité puisqu'elle abrite le siège de
l'Agence mondiale de solidarité numérique47 qui a pour
vocation de favoriser la mise en oeuvre de projets de solidarité
numérique notamment à travers les mécanismes de la
coopération décentralisée. L'agence informe, conseille et
fournit l'appui technique nécessaire à la
généralisation des bénéfices de la
Société de l'information en agissant comme catalyseur dans la
mise en oeuvre de projets. Elle facilite les synergies entre les porteurs de
projets, l'expertise nécessaire pour les mener à bien, les
bailleurs de fonds susceptibles de les financer, et toutes autres
entités pouvant contribuer à la construction d'une
société de l'information créative et solidaire. En outre,
l'Agence appuie la mise en oeuvre du Plan d'action du Sommet Mondial sur la
Société de l'Information (Genève 2003 -Tunis 2005) et la
mise en oeuvre des engagements issus du Sommet des Villes et des Pouvoirs
locaux (Lyon 2003-Bilbao 2005). S'agissant des modalités de financement
et mécanismes d'investissement devant assurer la survie du fonds, le FSN
propose un mécanisme de financement innovant pour le
développement et spécifiquement consacré à la
réduction de la fracture numérique (consistant pour les
collectivités à introduire une « clause de solidarité
numérique » dans leurs appels d'offres relatifs aux technologies de
l'information. Cette clause prévoit le reversement de 1% du montant
total du marché au FSN.) Le principe du « 1% de solidarité
numérique» basé sur la décision volontaire
d'institutions publiques ou privées, permet à tous d'agir
concrètement pour l'édification d'une société de
l'information plus équitable. Prélevé sur la marge
bénéficiaire du fournisseur, il n'implique aucun coût
direct pour l'institution qui l'applique. Clairement spécifié
lors de l'appel d'offre, son application ne peut faire l'objet d'une
interprétation ou d'une négociation. Par conséquent, il
respecte les règles de la libre concurrence. Les sommes
prélevées sur les marges bénéficiaires des
fournisseurs de biens et services relatifs aux TIC sont directement
réinvesties dans le même secteur d'activités. Cette
contribution n'est donc ni un impôt, ni un don, mais un investissement
dans les marchés de l'avenir. Les institutions qui appliquent le
principe, ainsi que les fournisseurs qui répondent aux appels d'offre
reçoivent le label de la solidarité numérique et
bénéficient de ses avantages .
47 L'Agence est reconnue par la Commission
«Société de l'information» de Cités et
Gouvernements Locaux Unis comme l'instance spécialisée dans le
soutien aux projets de coopération décentralisée dans le
domaine de la solidarité numérique.
En somme, on pourrait affirmer que le FSN n'est qu'une
fondation privée comme il en existe déjà de multiples,
dont les ressources proviennent « des contributions volontaires souscrites
par les citoyens, des financements des institutions publiques locales (villes
et régions) et nationales, ainsi que du secteur privé et de la
société civile ». Rappelons tout de même que ce Fonds
récolterait pour l'instant un montant de 8 millions d'euros avec
l'espoir chez ses promoteurs, à terme, de canaliser chaque année
des dizaines de millions.
Il importe de s'interroger sur la contribution réelle
de cette solidarité numérique pour la réduction de la
fracture numérique en Afrique puisque c'est un choix fait par les
Africains eux-mêmes. Aujourd'hui adopté par la plupart des nations
du monde, le FSN serait-il un instrument de légitimation et
d'accentuation de la dépendance du continent en matière de
transfert de technologies vers le Sud? Ou bien le FSN conduira-t-il vraiment
vers une réduction de la fracture numérique ? C'est bien ce que
semblent répondre les discours en faveur de l'e-inclusion de l'Afrique
qui fusent de toutes parts (ONG, puissances du Nord, multinationales oeuvrant
dans les TIC...). Tous ces acteurs brandissent tel un trophée les
efforts consentis au nom de la solidarité numérique. Ceci est
bien rapporté à travers un certain nombre d'entretiens
effectués par Ndzana Mvogo Godeffroy48, envoyé
spécial du CIPUF (Carrefour International de la Presse Universitaire
Francophone), au lendemain de la clôture du SMSI à Tunis : «
"Nous, en Provence-Alpes Côte-d'Azur, nous nouons des partenariats de
solidarité numérique avec les pays de l'Afrique
méditerranéens, nous leur faisons des dotations en
matériel informatique et nous procédons à des sessions de
formation des formateurs ", confie le chef de la délégation de
cette région de France. A la question de savoir pourquoi il n'existe pas
de partenariat numérique avec l'Afrique subsaharienne, le chef de la
délégation considère qu'il appartient aux pays de
l'Afrique méditerranéenne de prendre le relais. Microsoft, quant
à lui, contribue à la solidarité numérique par des
formations en informatique disponibles sur son site ou sur support CD. Cette
formation prend le nom de " curriculum ". Après entretien avec le
représentant de cette corporation, nous constatons que ses partenaires
privilégiés dans le cadre de la solidarité
numérique sont en fait les pays de langue anglaise en Afrique.
Interrogé à ce sujet, il répond que " pour nouer des
partenariats à des centaines de milliers de kilomètres, on a
besoin de contact physique ", ce qui, de son avis, n'est pas encore
évident en Afrique francophone. »
48 NDZANA MVOGO Godeffroy, Sommet mondial de
l'information : L'Afrique à la remorque du numérique,
Novembre 2005.
Il ressort de ces analyses que la solidarité
numérique se réduit à l'installation des réseaux en
zone rurale par voie satellitaire, à des dotations en matériel
informatique, et à la formation des formateurs. Mais, en prenant en
considération le problème d'alimentation en
électricité de nombreuses régions en Afrique
subsaharienne, on est en droit de s'interroger sur l'effectivité de
telles initiatives. Si Internet ne profite qu'aux habitants des grandes
capitales africaines, alors on comprend mieux pourquoi la région
Provence-Alpes-CôteD'azur ne noue des partenariats en matière
numérique qu'avec des pays de l'Afrique méditerranéenne en
excluant l'Afrique subsaharienne. L'e-inclusion est donc partielle et s'il est
exagéré d'assimiler dès maintenant la solidarité
numérique à une solidarité géographique
fondée sur des intérêts économiques de
sécurisation des marchés, et de maîtrise de l'information
en tant que capital, nous pourrions en revanche soupçonner que la
solidarité numérique soit partiellement un facteur d'aggravation
de la dépendance technologique. Bien qu'au Sénégal, par
exemple, des jeunes Sénégalais des écoles sont mis en
connexion avec des jeunes Canadiens, ou que la
télémédecine a commencé par être une
réalité dans beaucoup de pays d'Afrique, ce serait tenir un
discours de fascination « naïve » que de se mettre tout de suite
à applaudir le FSN. Une chose est de transférer les technologies,
et une autre est de penser à l'adaptation des utilisateurs à
cette technologie. A ce niveau, il serait déjà souhaitable que
les technologies soient adaptées aux utilisateurs envers lesquels ils
sont destinés ou tout au moins que leur transfert prévoie des
mesures d'accompagnement pour leur appropriation facile par les
bénéficiaires. Ce constat remet en cause le modèle de
l'assistanat critiqué aussi par Alain Kiyindou dans les
Modèles d'intégration des pays du Sud dans la «
société de l'information ». L'assistanat consiste pour
l'essentiel à « doter les populations de matériel
nécessaire en attendant que les utilisateurs s'adaptent à la
technologie. C'est cette vision qui anime encore beaucoup de donateurs qui
trouvent d'ailleurs dans la solidarité numérique, l'occasion de
se débarrasser des ordinateurs obsolètes. » Une
réelle intégration ou inclusion de l'Afrique dans la
«Société de l'information» équivaudrait donc
à adopter une démarche différente de celle observée
jusque-là, « qui consiste essentiellement à greffer les
nouvelles technologies dans ces pays. Il s'agirait plutôt de faire en
sorte que les nouveaux outils soient complètement en accord avec les
capacités et les besoins des utilisateurs, de les intégrer dans
les tissus social et économique existant. C'est en tous cas ce qu'essaie
de faire l'UNESCO et les États concernés avec la mise en place
des Centres Multimédias Communautaires.
II- L'engagement de l'UNESCO : Le PIDC à la
loupe
Le PIDC ou Programme International pour le
Développement de la Communication est le seul forum multilatéral
du système des Nations Unies dont l'objectif principal était
depuis sa création en 1980 d'aider les pays en développement, sur
leur demande, à « identifier les besoins et domaines
prioritaires... et à élaborer leurs plans de développement
de l'information et de la communication ». Le PIDC vise également
à apporter l'appui requis pour l'élaboration des projets de
développement des infrastructures à travers l'assistance
d'experts ou de consultants de l'UNESCO. Conformément à la
résolution de Belgrade ayant abouti à son adoption, le programme
accorde une priorité décroissante aux entreprises de dimension
régionale, puis sous-régionale et enfin nationale. Ainsi est
confirmée la volonté des fondateurs du PIDC : «
d'accroître en particulier la contribution des moyens de communication
à un développement économique, social et culturel,
endogène et de favoriser l'échange international de l'information
». La spécificité du PIDC est que non seulement ce Programme
apporte une assistance aux projets relatifs aux médias, mais il vise
également à établir les conditions favorables à
l'essor de médias libres et pluralistes dans les pays en
développement.
Les efforts du PIDC ont eu un impact important dans un grand
nombre de domaines dont le développement des médias
communautaires et des organisations de radio et de télévision, la
modernisation des agences de presse nationales et régionales, et la
formation des professionnels des médias. Le PIDC a distribué
quelque 90 millions de dollars pour plus de 1000 projets dans 139 pays en
développement et pays en transition. Depuis 1980, le PIDC aide donc les
pays en développement à accroître leurs capacités en
matière de communication et à améliorer la formation dans
ce domaine. Le programme intergouvernemental « Information pour tous
» (PIPT)49, mis en place plus récemment en janvier 2001,
est une autre plate-forme de réflexions et d'actions pour soutenir le
PIDC tout en contribuant à la réduction de la fracture
numérique.
49 Le PIPT est un programme intergouvernemental
créé en 2000. Il est étroitement intégré aux
activités du Programme ordinaire de l'UNESCO, en particulier dans le
domaine de la communication et de l'information. Le PIPT travaille en
étroite collaboration avec d'autres organisations intergouvernementales
et des ONG internationales, en particulier avec celles qui sont
spécialisées dans la gestion et la préservation de
l'information, comme la Fédération internationale des
associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) et le
Conseil international des archives (CIA). Au début de 2006, on
dénombre déjà plus de 50 comités nationaux pour le
PIPT qui concrétisent l'orientation du Programme au niveau des pays et
permettent d'interpréter et de promouvoir la vision du PIPT dans les
communautés locales.
Mais depuis bientôt trois décennies, le PIDC dont
la création était intervenue dans un contexte justifié de
déséquilibre des flux transfrontières et de revendication
d'un NOMIC et qui avait pourtant pour but de « réduire
l'écart entre les divers pays dans le domaine de la communication »
n'arrive pas à prendre un véritable envol. Selon l'expression de
l'un de ses initiateurs, Mustapha Masmoudi, le programme donne aujourd'hui
l'image d'un mécanisme qui « tourne dans le vide ». En effet,
le frein au développement international de l'information et de la
communication s'explique par les difficultés financières pour
faire face aux urgences multiples dans les pays les moins avancés. Entre
temps, le nombre de ces pays, au lieu de régresser avec les programmes
de redressement structurels de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire
International a, au contraire, progressé passant de 25 pays en 1971
à 49 en 1991. Ceci nous fait penser à un probable
«développement du sous-développement » en
référence à l'expression de Pierre Jalee.
Quoiqu'il ait approuvé en vingt ans 700 projets
relatifs à la communication dans 130 pays en développement, le
PIDC n'a financé que le tiers des projets présentés. Le
montant de ces financements s'est élevé à 78 millions de
dollars, mais ceci reste une somme de loin en deçà des besoins.
« Même multiplié par dix ou vingt fois, le budget du
programme ne parviendrait à satisfaire les besoins de la communication
du Sud. Il faut explorer de nouvelles pistes de financement » estime le
Vénézuélien M. Antonio Pasquali, ancien sous-directeur
général de l'UNESCO faisant remarquer que « le
progrès technologique caractérisé par l'obsolescence
artificielle des TIC et du matériel informatique rend dérisoire
tout effort de rattrapage ». Face à l'indifférence de la
plupart des pays industrialisés du Nord (excepté l'effort
financier remarquable de la France et des pays scandinaves) par rapport
à la situation, la mission du PIDC semble relever en plein parcours de
l'impossible. Comment, en effet, développer la communication et en
équilibrer la circulation quand on sait que le taux de connexion
Internet en Afrique ne représente que 0,04% du taux mondial ? A en
croire les experts en communication ayant travaillé sur le PIDC, son
bilan après des années d'existence se résume à la
somme d'un certain nombre de carences s'énonçant en termes de
lenteur de procédures, difficulté d'apprécier la
manière dont un projet s'intègre dans le plan de
développement général d'un pays, de la justifier et de
l'évaluer, insuffisance de crédits,... Peut être que les
modestes résultats du PIDC et l'impression de blocage qui se
dégage de son bilan de fonctionnement trouveraient leurs explications
dans les raisons similaires à l'échec du NOMIC puisque le
programme était entre autre un instrument stratégique pour
baliser l'environnement à un nouvel ordre mondial tant
réclamé par les pays du Sud.
Heureusement qu'il y a aujourd'hui un regain de confiance des
donateurs ayant amené le Bureau du Programme international pour le
développement de la communication (PIDC) à décider de
financer 74 projets de développement des médias (dont 31
concernent l'Afrique) dans 59 pays en développement, lors de sa
51ème réunion annuelle (du 27 au 29 mars 2007 au Siège de
l'UNESCO). Les pays donateurs qui soutiennent le PIDC ont augmenté de
manière significative leur contribution financière en 2006, ce
qui a permis au programme de recueillir cette année près de 2,7
millions de dollars à consacrer à des projets de
développement des médias.
Les principaux donateurs ont été le Danemark
(445 000 dollars en 2006), l'Espagne (531 000 dollars en 2006), les Etats-Unis
(305 000 dollars en 2006), la Finlande (250 000 dollars en 2006), la
Norvège (654 000 dollars sur deux ans) et la Suisse (501 000 dollars sur
trois ans). La Finlande et la Norvège ont doublé leur assistance
financière au PIDC, tandis que la contribution des Etats-Unis a
été multipliée par cinq et celle de l'Espagne par dix.
Nonobstant ce regain d'intérêt des pays
donateurs, les espoirs sont beaucoup plus tournés aujourd'hui vers le
Fonds de Solidarité Numérique. Le FSN réussira-t-il
là où le PIDC semble être tombé en panne
sèche (par manque de carburant financier nécessaire pour conduire
ses nombreux projets jusqu'à terme) ? Ou l'histoire n'est-elle qu'un
éternel recommencement et que la solidarité numérique est
juste l'invention d'un nouveau concept pour entretenir les imaginaires sociaux
de la technique en Afrique et ressusciter les espoirs des actions entreprises
dans le cadre du PIDC ?
III- Les autres institutions internationales : UIT, OMC,
PNUD, OIF, BM...
L'UNESCO s'appuie dans son combat contre la fracture
numérique sur un large éventail de partenaires du système
des Nations Unies (PNUD, UIT, OMPI et la Banque mondiale). Il est
également assisté par d'autres organisations internationales et
régionales (telles que l'Union européenne), des ONG et
communautés professionnelles actives dans ses domaines de
compétence et bien sûr le secteur privé. Nous ne nous
intéresserons ici de façon brève qu'à quelques
organismes internationaux dont le rôle devient de plus en plus
déterminant en terme de contribution financière par rapport aux
intérêts économiques et culturels en jeu dans la
maîtrise de l»information et de la communication sur
l'échiquier international.
En effet, les institutions internationales et
régionales jouent pour la plupart un rôle clé lorsqu'il
s'agit d'intégrer l'utilisation des TIC dans le processus de
développement et de mettre à disposition les ressources
nécessaires pour édifier la société de
l'information et pour évaluer les progrès réalisés.
Les Nations Unies, en particulier, constituent une arène
intergouvernementale aidant à la prise de décision
concertée au niveau mondial. Elles représentent des plateformes
multi-acteurs basées sur le dialogue. Elles favorisent la
réflexion, la prise de décision et l'action autour de
problèmes globaux majeurs qui ne peuvent trouver des solutions
qu'à travers une véritable concertation internationale. De plus
en plus, elles rassemblent les différents acteurs de la
société autour d'une même table de négociation,
comme ce fut le cas lors du Sommet Mondial sur la Société de
l'Information (SMSI, Genève - Tunis).
Mais face au débat sur le financement des mesures
visant à réduire la fracture numérique, l'Organisation
Internationale de la Francophonie (OIF) est la première organisation
internationale à avoir reconnu officiellement le principe de
solidarité numérique et à avoir contribué
financièrement à la dotation initiale du Fonds de
Solidarité Numérique (F SN). Certains observateurs pourraient
expliquer cette prompte diligence de l'Organisation Internationale de la
Francophonie par le fait qu'il a à sa tête le Président
Abdou Diouf, ancien Chef d'Etat du Sénégal qui a transmis le
pouvoir à Maître Abdoulaye Wade, actuel président du
Sénégal et initiateur du FSN. Toujours est-il que l'OIF n'est pas
reconnue par les Nations Unies comme le chef de file des institutions
internationales pour l'édification de la société de
l'information.
Ce privilège revient plutôt à l'Union
Internationale des Télécommunications (UIT) dont « Les
compétences fondamentales dans le domaine des TIC - assistance pour
réduire la fracture numérique, coopération internationale
et régionale, gestion du spectre des fréquences
radioélectriques, élaboration de normes et diffusion de
l'information - sont déterminantes pour l'édification de la
société de l'information. » Le choix de l'UIT comme
institution onusienne organisatrice du SMSI, au détriment de l'UNESCO
traduit la tendance «technicoéconomique» de la priorité
stratégique pour les bailleurs de fonds états-uniens
d'accélérer la diffusion des réseaux au Sud.
L'intégration des TIC dans toutes sociétés est la
priorité affichée aux dépens de son développement
culturel et intellectuel. C'est la volonté d'équipement de la
planète toute entière, en réseaux et en ordinateurs qui
semble prioritaire afin de permettre la croissance économique via
l'ouverture de nouveaux marchés.
C'est la raison pour laquelle, nous allons nous attarder
particulièrement sur cette agence spécialisée des Nations
Unies en charge du secteur et du domaine des télécommunications.
Créée depuis 1865, l'UIT, avec ses 189 Etats membres et plus de
676 opérateurs du secteur, est selon le terme employé par
Jean-Louis Fullsack50 « la vieille dame des
télécommunications ». Elle a pour mission principale de
favoriser le développement et l'extension des réseaux et services
de communication et des TIC dans le monde entier. D'où son projet
présenté au SMSI et intitulé «Connecter le
monde» : un projet qui vise à connecter 800.000 villages à
l'horizon 2015. Mais ce projet ne saurait pour l'heure qu'être une
incantation récurrente et sans grande crédibilité. L'Union
Internationale des Télécommunications a également
signé un mémorandum d'accord avec la société Oracle
et avec Cisco Systems en vue de créer cinquante centres de formation
dans le monde. Mais l'UIT reconnaît que ses ambitions ne suffisent pas
pour relever le défi de la fracture numérique. L'UIT lance alors
un appel à d'autres organisations pour appuyer ses actions : « Les
efforts déployés en vue d'utiliser ces technologies pour
réduire la fracture numérique, ne relèvent plus du domaine
réservé de l'UIT »51.
Cet appel n'est pas tombé dans des oreilles de sourd
puisque très tôt, la Banque mondiale a pris de multiples
initiatives, dont son célèbre Programme d'information pour le
développement (InfoDev). InfoDev vise notamment la diffusion des
conseils sur la politique à suivre en matière d'utilisation des
TIC pour le développement et sur la conduite à tenir à cet
égard.
Le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD) n'est pas en marge de cette forte mobilisation internationale autour des
inégalités socio-numériques de la planète. Avec son
réseau unique 132 bureaux et son équipe de conseillers
spécialisés régionaux et mondiaux, le PNUD est en bonne
position pour promouvoir l'utilisation à grande échelle des TIC
au service du développement grâce à sa vaste
expérience dans ce domaine, notamment les projets et programmes de TIC
au service du développement : « Certes, il est indéniable
que nombre des merveilles technologiques qui fascinent le Nord ne sont d'aucune
utilité pour le Sud. Il n'en demeure pas moins que les activités
de recherche et développement ciblant des problèmes qui touchent
plus spécifiquement les pauvres -- de la lutte contre les maladies
à
50 Membre du Conseil d'administration de CSDPTT.
Directeur-adjoint honoraire de France Télécom, ancien Expert
principal près l'UIT. Il a rédigé un article
intitulé « L 'UIT, la vieille dame des
télécommunications, dans la tourmente néolibérale
» et dans lequel il dénonce les dérives de l'UIT
à travers ses choix et décisions contestables contraires aux
intérêts de la communauté mondiale, en particulier à
ceux des PeD, et en tous cas contre-productifs pour leur
développement.
51 www.itu.int/ITU/PDE/2128-089-FR.doc
l'enseignement à distance -- prouvent immanquablement
que, loin de se contenter de venir couronner le développement, la
technologie en est un instrument indispensable. »52
En outre, à la demande du G8, le PNUD
réfléchit avec la Banque mondiale aux moyens de réduire la
fracture numérique en encourageant des partenariats entre les secteurs
privés et publics. Disposant d'un Fonds d'affectation thématique
spéciale TIC, le PNUD a entrepris d'aider les pays d'Afrique en
commençant par la création de milliers de "cybercafés". Le
rôle du PNUD est, avant tout, celui d'un catalyseur de projets
plutôt que d 'investisseur. Le PNUD a par ailleurs des contacts avec des
grandes entreprises occidentales du secteur dont par exemple la
société américaine Hewlett Packard53 qui a
annoncé son intention d'investir pour un milliard de dollars, de
manière non lucrative, dans les pays en développement sur un
projet d'équipement en site Internet que piloteront des fondations
privées. Il ne serait pas superflu de signaler que la plupart des
organismes des Nations Unies sont concernés par les technologies, soit
parce qu'ils les utilisent, soit parce qu'elles ont une incidence sur le
contenu et l'exécution des programmes de coopération
technique.
C'est d'ailleurs pour cette raison que la Conférence
des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED),
grâce à son Programme relatif aux Pôles commerciaux, cherche
à encourager les petites entreprises des pays en développement
à se lancer dans le commerce électronique afin de
s'intégrer aux marchés internationaux et aux filières de
plus-value. Un autre constat important au niveau de tous ces efforts
déployés par les organisations internationales est celui du
manque de coordination entre ces projets. Cette pléthore d'initiatives
témoigne certes d'une prise de conscience récente de la
communauté internationale sur la question des fractures. Mais on en sait
peu sur l'efficacité réelle de ces programmes et projets qui,
profitant souvent des frontières poreuses de la communication
internationale, en viennent même à concurrencer les initiatives
locales, les politiques publiques en défiant ainsi la
souveraineté nationale des pays censés bénéficier
de ces projets.
52 PNUD, Rapport mondial sur le
développement humain : Mettre les nouvelles
technologies au service du développement humain, De Boeck,
2001.
53 Hewlett Packard a lancé
World e-inclusion, un projet qui prévoit la livraison
de matériels informatiques aux pays en sous-développement pour
une valeur d'un milliard de dollars. Cette livraison, qui doit concerner
"près de 1 000 villages" en Afrique, en Inde ou encore en
Chine, sera en partie gratuite et en partie financée par des programmes
de développement gouvernementaux ou internationaux.
Chapitre 2 : Communication internationale et
souveraineté nationale : Les limites des organisations
internationales
I- Les enjeux géopolitiques de la régulation
de la communication internationale
Armand Mattelart54 nous rappelle que :« C'est
à l'Unesco qu'à l'occasion du débat sur le Nouvel ordre
mondial de l'information et de la communication (NOMIC) et plus tard au Gatt
qu'il apparaît que l'autodétermination dans le champ de
l'information et de la communication est imbriquée avec
l'autodétermination dans les domaines politique, social,
économique et culturel, et que la souveraineté nationale,
l'identité culturelle, l'économie nationale et même la
sécurité nationale des pays dits en développement sont
menacés par la communication internationale. »
Les TIC ont ainsi profondément recomposé le
monde depuis que la chute du mur de Berlin a consacré de nouvelles
doctrines militaires et diplomatiques basées sur la maîtrise de
l'information, ou la information dominance, socle de nouvelles
façons de faire la guerre et la paix, d'exporter le modèle de la
démocratie de marché. La mondialisation ou globalisation de
l'économie et des échanges a été ensuite
accélérée par les processus de dérégulation,
de libéralisation et de privatisation orchestrés par les
organisations intergouvernementales avec le soutien des politiques d'aide au
développement des pays industrialisés.
C'est cet environnement qui selon, Ignacio Ramonet, nous
conduit à une géopolitique du chaos, inhérente
à la révolution de l'informatique et de la communication ayant
entraîné l'explosion des marchés financiers et des
réseaux d'information : « La transmission de données
à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par
seconde) ; la numérisation des textes, des images et des sons ; le
recours, devenu banal, aux satellites de télécommunications ; la
révolution de la téléphonie, la
généralisation de l'informatique dans la plupart des secteurs de
la production et des services ; la miniaturisation des ordinateurs et leur mise
en réseau sur Internet à l'échelle planétaire ont,
peu à peu, chambardé l'ordre du monde » 55. La
communication, au coeur de ce « système hégémonique
instable et conflictuel alternant phases de stabilités, de tensions et
d'affrontements »56, devient alors un enjeu dont la
régulation est l'objet de grands débats car dessinant une
cartographie mondiale des rapports de richesse et de puissance.
54 MATTELART Armand, Passé et
présent de la "société de l'information": entre le nouvel
ordre mondial de l'information et de la communication et le sommet mondial sur
la société de l `information, p.12-13.
55 RAMONET Ignacio, Op.Cit., p.72.
56 CARROUE Laurent, Mondialisation -
Globalisation : le regard d'un géographe, APHG - Régionale de
Caen - 22 novembre 2006.
Les autoroutes de l'information globales annoncées en
1994 à Buenos Aires à l'occasion d'une conférence
générale sur le développement et les
télécommunications sous les auspices de l'UIT, ont conduit en
1995 à la « société globale de l'information »,
appellation adoptée à Bruxelles par le G7 des pays les plus
industrialisés. Cette société globale est
présentée par les partisans du free flow comme assise d'un Nouvel
ordre mondial de l'information (NOMI) qui était rejeté quelques
décennies auparavant par les mêmes acteurs. Un balbutiement de
l'histoire avec peut-être un nouveau départ : celui d'une
«société de l'information» érigée en
véritable enjeu géopolitique. Solveig Godeluck57
écrit à cet effet que « Le réseau (...) se
déploie autour d'un hypercentre américain, presque en
étoile, alors que la vertu supposée d'Internet est justement sa
décentralisation ». C'est là que réside la vraie
fracture numérique. Une fracture apparemment masquée par la
volonté des grands pays, détenteurs de la technologie et
producteurs de contenus. Derrière ce masque de bon samaritain, les pays
industrialisés imposent, ou plutôt diffusent leurs normes et leur
pouvoir. Dans cette logique, l'invocation de la souveraineté nationale
serait, quant à elle, un moyen pour certains régimes autoritaires
des pays du Sud de clamer leur exaspération face à la menace
d'une technologie qui les contourne. L'UNESCO, dans sa mission de
rééquilibrage de la circulation de l'information, a la
possibilité de profiter du terrain balisé par la subversion
numérique des territoires pour transpercer le système
informationnel des nations indépendantes et pénétrer dans
leurs politiques intérieures publiques. N'y aurait-il pas des limites
contraignant parfois l'UNESCO à rester dans un cadre bien circonscrit de
ses compétences ? Ne se heurte-t-il pas à des résistances
idéologiques locales ou régionales ?
II- Les limites de l'UNESCO dans sa lutte contre la
fracture numérique
L'UNESCO situe la lutte pour l'accès universel au
cyberespace dans le cadre d'une « info-éthique » respectant la
diversité culturelle et linguistique, garant du dialogue entre les
cultures, sans lequel le « processus de la globalisation économique
serait culturellement appauvrissant, inéquitable et injuste ». Ces
politiques de lutte contre la fracture numérique comportent quant
à elles généralement deux volets : d'une part, l'aide
à la diffusion de l'ordinateur ; d'autre part, la formation des adultes
dans le cadre de centres d'accès publics tels que les
bibliothèques, les médiathèques, les associations... Nous
revenons ici sur l'exemple des centre multimédias communautaires. Il
s'agit en effet de centres locaux où sont
57 GODELUCK Solveig, La Géopolitique
d'Internet, Paris, La Découverte, 2002, 247 p.
mises à la disposition du public des technologies de
l'information et de communication. Le terme «communautaire» se
réfère à la fois à la propriété de la
communauté et à l'accès de la communauté au centre
multimédia. Aujourd'hui, on parle de plus en plus de
télécentres communautaires polyvalents (TCP), qui sont des
structures offrant une gamme des services dans différents domaines
(éducation/formation aux affaires, de la santé au gouvernement
local). Une étude récente pour la Banque mondiale, sur les
politiques concernant les télécommunications, remet tout de
même en cause la rentabilité de ces télécentres dont
le fonctionnement est financé par des bailleurs de fonds externes. Les
télécentres, selon l'étude, ne peuvent pas être
rentables car ils sont conçus davantage en fonction d'une vision des
bailleurs de fonds qu'en fonction de ce que les communautés sont
réellement capables d'assumer. D'ailleurs le premier problème et
l'un des plus cruciaux qui se posent au niveau de ces télécentres
et face auxquels l'UNESCO reste indifférent pour des raisons
d'insuffisance budgétaire est bien le défaut de maintenance.
C'est un problème essentiellement lié au vieillissement du
matériel qui est accéléré compte tenu des dures
conditions climatiques. Etant donné le coût élevé de
l'électricité, rares son en effet les télécentres
qui sont climatisés. Ou soit, même quand le budget des factures
électriques est alloué par les organisations internationales, les
gérants desdits télécentres détournent ces
ressources financières et se sentiraient contraints de couper la
climatisation pour ne pas avoir à pays de leurs propres poches les
factures élevées. On ajoute à ces problèmes de
conditionnement des appareils et des technologies, celui du manque de personnel
qualifié pour assurer la maintenance informatique même des
ordinateurs et fichiers dans le cas des télécentres.
Mais l'UNESCO essaie surtout dans ces actions
d'intégrer toutes les dimensions socioculturelles afin de contribuer
à la réduction de la fracture numérique en plaçant
la personne humaine au centre des objectifs de développement. C'est
d'ailleurs l'importante contribution de l'institution à la
préparation du SMSI qui se résume dans les quatre points suivants
:
- s'accorder sur les principes communs qui doivent régir
la construction des sociétés du savoir ;
- accroître les possibilités d'apprendre en donnant
accès à des contenus et systèmes de prestation des
services éducatifs diversifiés ;
- renforcer les capacités en matière de recherche
scientifique, de partage de l'information et d'échanges culturels ;
- promouvoir l'utilisation des TIC aux fins du
développement des capacités, de l'autonomisation, de la
gouvernance et la participation sociale.
L'UNESCO participe profondément sur la base de ces
stratégies à la formulation de politiques au niveau national et
réalise des projets pilotes pour mieux explorer les possibilités
d'action multisectorielle sur le terrain, analyser les difficultés
réelles, les problèmes les plus urgents et tout ceci afin de
proposer des voies de solutions suivant les différents contextes
socioculturels.
Cependant, l'UNESCO rencontre tout de même dans son
combat pour la réduction de la fracture numérique en Afrique des
obstacles de natures diverses dont certains ont déjà
été évoqués au cours de ce travail. Nous citons
entre autres : le problème des infrastructures inadaptées, autant
pour les sources d'énergie que pour les équipements
informatiques, l'état embryonnaire des réseaux de
télécommunication et de diffusion de masse ; l'insuffisance des
ressources financières; l'analphabétisme persistant ; l'absence
d'un environnement scientifique apte à accueillir ces technologies ; le
manque de formation à l'utilisation des TIC ; la maintenance ou
l'assistance aléatoire ; les contenus inadaptés voire
inutilisables pour des raisons linguistiques ou culturelles. Par ailleurs,
l'UNESCO rencontre également des résistances de type
idéologique et des réticences relevant de l'ordre de la
technophobie. Notons que compte tenu de l'effet promotionnel des discours sur
les TIC, il y a plus de simples réticences technophobes que de
véritables résistances idéologiques traduisant
éventuellement le refus des populations africaines (fortement
conservatrices) à recevoir ces technologies pour des motifs de
préservation de leur identité culturelle. Le Président
Abdoulaye Wade se montrait d'ailleurs plutôt rassurant en affirmant que :
« l'identité culturelle ne signifie pas que je ne vais pas prendre
l'avion parce que mes ancêtres ne l'ont pas inventé. Il est
certain que lorsque l'on utilise ces technologies au niveau populaire, le
peuple s'y exprime et y crée selon sa culture. Apprenez à des
enfants à dessiner avec un ordinateur, l'enfant du Sénégal
ne dessinera pas comme un petit Norvégien. C'est un moyen d'expression
culturelle à la disposition de tout le monde. De plus, notre culture
sera mieux connue à travers le monde grâce aux nouvelles
technologies.» C'est justement cette dernière phrase qui confirme
l'existence des croyances qui ont fini par s'ancrer dans la mentalité
des populations africaines qui, sous l'effet des discours
répétitifs élogieux entretenus par les promoteurs des TIC
et relayés par les organisations internationales sont aujourd'hui
presqu'entièrement convaincues de l'utilité rédemptrice
des TIC.
Il ne serait pas superflu de mentionner que le contexte des
transferts de technologie du Nord vers le Sud suit la logique du schéma
de la communication tel que décrit par Shannon et Weaver avec un
émetteur (les pays industrialisés) et un récepteur
destinataire (les pays
africains). L'émetteur apporte la technologie (message)
vers les pays africains (destinataires) sans tenir compte du bruit
généré par les interférences culturelles du cadre
de réception de la technologie. Ici, seul le canal importe
réellement, la production du sens n'est pas de mise. L'information est
ainsi coupée de la culture et de la mémoire. Et ceci pourrait
être aussi une autre justification de l'attribution de l'organisation du
SMSI à l'UIT, qui est un organisme technique des Nations Unies au
détriment de l'UNESCO qui est la mémoire intellectuelle et
culturelle de la communauté internationale. Ce raisonnement
sémio-épistémologique permet de comprendre que l'OMC
traite la culture comme un « service marchand » à
l'égal des autres à l'heure même où la
diversité culturelle est au coeur des débats.
III- Plaidoyer pour une réappropriation culturelle
des TIC en Afrique
L'ancien Président français, François
Mitterand, déclarait : « Il serait désastreux d'aider
à la généralisation d'un modèle culturel unique. Ce
que les régimes totalitaires, finalement, n'ont pas réussi
à faire, les lois de l'argent alliées aux forces des techniques
vont-elles y parvenir ? »58. Cette question posée depuis
1993 reste toujours d'actualité et nous fait penser que la
représentation idéologique59 de l'univers symbolique
des techniciens, pour ne pas dire des technocrates des TIC, serait de trop
oublier les différences des cultures. Aussi une réelle
appropriation culturelle des TIC en Afrique s'avère-t-elle
nécessaire pour nous rappeler qu'il n'y a de richesses que de cultures.
Pour affranchissant l'esprit humain John Perry Barlow, dans sa
Déclaration d'indépendance du cyberspace, réclame une
indépendance de la liberté de penser, de cliquer et de surfer
dans un univers pluriculturel. « Gouvernements du monde
industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je
viens du cyberspace, le nouveau domicile de l'esprit. Vous n'avez aucune
souveraineté sur le territoire où nous nous assemblons. Nous
n'avons pas de gouvernement élu, et il est peu probable que nous en
ayons un jour : je m'adresse donc à vous avec la seule autorité
que m'accorde et que s'accorde la liberté elle- même. Je
déclare que l'espace social global que nous construisons est
naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous
imposer. Vous n'avez aucun droit moral à nous gouverner, et vous ne
possédez aucun moyen de faire respecter votre autorité que nous
avons de bonnes raisons de craindre.»
Divisée par des fractures sociales, numériques
et cognitives, la société de l'information est un alibi
idéal pour ajouter de façon subtile à
l'hégémonie économique, une autre
58 Le Monde, 25 Octobre 1993.
59 MATTELART Armand, « Les nouveaux
scénarios de la communication mondiale », in Le Monde
diplomatique, Août 1995, p.24.
hégémonie qui réduira le monde à
un seul modèle de pensée : l'hégémonie culturelle.
Comme l'écrit l'administrateur du PNUD, M. Malloch
Brown, dans la préface au rapport sur le développement humain
(2004), « si l'on veut que notre monde atteigne les objectifs de
développement du millénaire et finalement éradique la
pauvreté, il doit commencer par relever victorieusement le défi
de savoir construire des sociétés intégratrices, qui
respectent les diversités culturelles ». Pourquoi un plaidoyer
pour la diversité culturelle60 ? Tout simplement parce que
comme nous l'avons vu tout le long de ce travail, le
néo-libéralisme drainé par l'hégémonie
économique affirmée de l'hyperpuissance américaine innerve
par une hypocrisie sociale de solidarité toutes les actions
globalisantes d'un rééquilibrage des échanges à
travers le monde. Il ne s'agit pas dans la présente démarche
d'essentialiser en prescrivant le type de discours à adopter ou en
indiquant la voie à prendre. Chaque peuple doit pouvoir trouver la voie
qui est la sienne non pas en se détachant de l'héritage de
l'histoire, mais en découplant le passé du présent, et en
portant un regard nouveau vers l'Autre. Avec ce regard nouveau porté sur
l'autre, l'on ne saurait s'aligner ni derrière les fervents
détracteurs de l'occidentalisation du monde au risque de demeurer
africanophiles, ni derrière les militants de la décroissance, au
risque d'être traités d'anti-développementistes. Et c'est
en cela que ce plaidoyer va plutôt en faveur de l'écoute et de la
rencontre des cultures en faisant le pont entre ces différentes
positions fortement ethnocentristes.
De ce fait, la « diversité » ne devrait pas
être perçue comme la promotion d'une « disparité
» contre l'« homogénéité » ou la «
singularité ». Aujourd'hui, la diversité culturelle remplace
l'exception culturelle et vise à garantir le traitement particulier des
biens et des services culturels par le biais de mesures nationales ou
internationales. Synonyme de dialogue et de valeurs partagées, cette
notion pourrait être utilisée comme base d'une
réappropriation endogène des TIC par les pays africains.
D'où le paradigme de glocalization et son fameux leitmotiv : «
Think global, act local ». Armand Mattelart au cours d'une
interview, confiait justement que pour sortir du néodarwinisme
informationnel : « Il faut se réapproprier les nouvelles
technologies en construisant une alternative à la société
de l'information. Or, aujourd'hui, ceux qui osent parler d'alternative sont
aussitôt taxés de technophobes. Il n'y a aucune réflexion
sur la question essentielle. A savoir : face à un projet qui se
réduit de plus en plus à une techno-utopie, à un
déterminisme techno-marchand, peut-on opposer des projets sociaux et
d'autres formes d'appropriation de ces technologies qui pénètrent
la société ? »
60 La 33ème Conférence générale de
l'Unesco, réunie à Paris, a adopté, le 20 octobre 2005, la
Convention sur la protection et la promotion de la diversité
culturelle.
La question reste posée et pourrait faire objet d'une
étude approfondie à partir d'une démarche
ethnométhodologique pour la compréhension des usages des TIC par
l'observation de certaines populations africaines en situation de pratiques. La
certitude que nous avons à notre niveau est que l'e-inclusion ne saurait
se faire sans une démarche dans laquelle les populations
concernées prendraient une part active en choisissant les technologies
dont ils ont besoin et en les introduisant dans leur espace culturel.
Loin de viser des simples transferts, les démarches
d'e-inclusion, devraient aider les populations en marge de la
«société de l'information» à acquérir les
clés d'accès (techniques, économiques, culturelles, etc.)
leur permettant de s'insérer de façon dynamique dans les
systèmes de communication mondialisés. L'initiation à la
création de logiciels, la maîtrise des logiciels existants,
l'apprentissage de la programmation, la production des TIC à un niveau
local, voilà autant de variables du processus d'appropriation qui,
à notre avis, ne devrait plus appréhender les usages sous le seul
angle des consommateurs ou récepteurs passifs des technologies que sont
jusque là les pays africains.
Pour Alain Kiyindou, il s'agit « de promouvoir le
processus par lequel les gens deviennent les principaux acteurs de leur propre
développement». « Le mot développement, écrit
justement Bertrand Cabedoche61 en conclusion de son livre, Les
Chrétiens et le Tiers- Monde, a pu perdre de son attrait au contact
de trop d'expériences décevantes. Il reste le seul vocable que
partagent tous les humains pour dessiner leur espoir. » Et dans le
prolongement de cette pensée, B.Cabedoche constate qu'en «
accordant une place fondamentale aux expressions culturelles, certains
cherchent à y retrouver aujourd'hui la voie d'une alternative
économique, hors développement » 62. L'approche
de la diversité culturelle, qui est la nôtre, trouverait bien sa
place dans cette logique alternative.
61 CABEDOCHE Bertrand, Les chrétiens
et le tiers-monde, Paris, Karthala, 1990 (Coll. « Économie et
développement »), p. 255.
62 CABEDOCHE Bertrand, « Confondre les
Représentations stéréotypés de l'Afrique dans les
médias transnationaux ? Une démarche
épistémologiquement problématique », Colloque
«Globalisation, Communication et Cultures», Centre des Nations Unies.
Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à
Brazzaville, le 17 Avril 2007, p.1 8.
CONCLUSION
Des analyses faites dans les chapitres
précédents émerge une série de constats concernant
en premier lieu le type et la nature des discours et théories
développées sur les TIC aussi bien par des auteurs en SIC que par
des organisations internationales ; en deuxième lieu les liens entre le
sous-développement de l'Afrique et le vécu de la fracture
numérique ; ensuite le bilan du SMSI, et enfin les enjeux de la
solidarité numérique à travers l'engagement de l'UNESCO
dans la lutte contre la fracture numérique en Afrique.
Par rapport aux discours sur les TIC, nous avons pu noter
qu'ils se fondent soit sur la théorie du déterminisme
technologique, soit sur celle du déterminisme social, ou soit encore
qu'ils se positionnent au milieu de ces deux théories sous un paradigme
interactionniste entre sphère sociale et sphère technique
qualifié par certains de déterminisme socio-technique. L'aspect
politisé de ces discours sur la fracture numérique a
été dévoilé par des exemples concrets de
déclarations de certains dirigeants africains. Ces déclarations
prouvent que la finalité de ces discours est que les États
africains soutiennent la demande en matière de TIC dans un contexte
caractérisé par la libéralisation et
l'internationalisation des marchés de télécommunications.
Il s'agit là des discours « prospectifs ou préfiguratifs
» (Jean Guy Lacroix63), à finalité
idéologique et politique, et ayant pour but de convaincre la population
de la nécessité de la « nouvelle technologie » pour
assurer l'avenir et le progrès d'une « nouvelle
société » basée sur les dispositifs techniques de
communication. En outre, il y a les discours promotionnels, dont la
finalité est économique et commerciale. Ces discours ont pour but
de convaincre la clientèle visée de l'utilité, des
avantages et de l'efficacité supérieure de la technologie
proposée. Enfin toujours selon la catégorisation de Jean Guy
Lacroix, nous avons pu relever dans nos analyses les discours de type
prescriptif, au sens strict du terme, dont le but est d'initier l'usager aux
utilisations prévues et la finalité est organisationnelle ou
éducative ».
63 LACROIX Jean-Guy, « Entrez dans
l'univers merveilleux de Videoway », dans De la
télématique aux autoroutes électroniques. Le grand projet
reconduit, sous la direction de Jean- Guy Lacroix, Bernard Miège et
Gaëtan Tremblay, Québec, Presses de l'Université du
Québec, et Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1994, p.
137-162.
L'UNESCO alterne ces trois types de discours selon les
éventuelles pressions et influences qu'il subirait (de la part des
Nations Unies, des bailleurs de fonds, des multinationales privées,....)
dans le cadre de la réalisation de ses programmes d'action en faveur du
développement de la communication sur le plan international. Ceci
confirme partiellement notre hypothèse selon laquelle l'UNESCO à
travers son discours déterministe et promotionnel des TIC en Afrique,
contribuerait à l'instauration d'une bureaucratie supranationale qui
perturbe le libre jeu du commerce mondial (ultralibéralisme ou
libéralisme dérégulateur) en défaveur des pays
africains. Mais l'organisation a pris actuellement à coeur ces
dernières années le combat pour la diversité culturelle.
Ce qui sans directement infirmer notre déduction prolonge tout au moins
le délai de vérification de l'hypothèse
susmentionnée.
Au-delà des discours parfois tendancieux et
sectoriels64 des organisations internationales, nos
réflexions développées sur les conséquences de
l'échec du NOMIC après l'étouffement du rapport McBride
nous ont amené à vérifier les liens de causalité
sous-tendant la relation entre sous-développement et fracture
numérique. Il nous a été donné de démontrer
ici que les statistiques émises par certaines organisations
internationales ne reflètent pas réellement le vécu de la
fracture numérique en Afrique. Ces statistiques s'inscrivent dans une
logique technico-marchande qui réduit la fracture au manque
d'équipement en justifiant par là-même la
nécessité de diffuser les technologies et d'équiper en
matériel informatique et de télécommunications les pays
considérés comme les exclus de la société de
l'information. A cet effet, Eric Guichard remarque avec pertinence à
travers les résultats d'une enquête réalisée en 2001
« la totale disparité entre une utopie cognitive (l'acquisition des
savoirs via les TIC) et sa prétendue mesure au travers de taux
d'équipement » 65. A la question formulée dans
son article « La fracture numérique existe-t-elle ?
», il répond en définitive : « Oui, la fracture
numérique existe, et elle n'est que la traduction d'une violente
ségrégation culturelle et intellectuelle, qui ne fait que
s'amplifier avec les « technologies ». Mieux, elle apparaît
finalement, selon la conclusion de l'atelier du vendredi 8 Novembre 2002
à Bucarest lors de la Conférence régionale
Europe-Amérique sur la diversité culturelle et la
pluralité linguistique, comme une « superposition de
différentes disparités nationales et
64 Jean-François Soupizet distingue en effet deux courants
principaux issus du cloisonnement initial des TIC et de leur application : une
approche sectorielle du domaine des TIC et une approche plus
générale de leur impact. La première place le
développement des infrastructures de télécommunications au
centre des préoccupations tandis que la seconde approche élargit
l'analyse en y incluant les différents aspects des TIC, tels que
l'accès cognitif, les usages, les évolutions économiques
et sociales qui les accompagnent. (SOUPIZET
Jean-François, La fracture numérique Nord-Sud,
Ed Economica, Paris, 2005, pp. 5-6.)
65 GUICHARD Éric, « La `fracture
numérique' existe-t-elle ? », Atelier Internet, n 2. <
http://barthes.ens.fr/atelier/geo/Tilburg.html>.
internationales : facture géographique,
énergétique, technologique, linguistique, éducative et
culturelle, mais surtout sociale et économique.» Et cette
conclusion est valable à nos analyses sur les réalités de
la fracture numérique quoique nous nous accordons avec Annie
ChéneauLoquay sur le fait que « l'emploi de cette notion
reflète la persistance d'une vision linéaire et
déterministe du progrès qui, du courant cybernétique des
années quarante avec Wiener à Castels aujourd'hui, et
malgré les graves échecs de la « nouvelle économie
», voit toujours dans la réduction de cette fracture la voie royale
vers le développement et la réduction de la
pauvreté66 ». On ne devrait pas, en effet, oublier que
tout le monde ne peut pas se développer partout au même rythme.
Ainsi, « en mettant l'accent sur les inégalités et sur les
retards des pays pauvres, on occulte le fait que tout développement est
par essence inégalitaire». C'est d'ailleurs sur cette idée
réductrice de l'universalité d'accès au savoir comme
édification mythique67 d'une « société de
l'information » plus égalitaire et plein d'opportunités de
développement pour les pays du Sud que s'est fondée
l'organisation du SMSI de Genève et de Tunis. Un sommet dont le bilan
s'avère mitigé dans l'ensemble, mais assez positif sur le plan
organisationnel selon le point de vue des observateurs présents. La
participation de la société civile est reconnue comme une
originalité. Mais en réalité, la société
civile était mise en vedette au moment où dans l'ombre, les
représentants du secteur privé (pour la grande majorité
des Américains) influençaient les débats et l'orientaient
en tissant les ficelles en arrière plan. Car dans le nouveau contexte
d'interdépendance globale et selon la « nouvelle donne
internationale68 », les États-Unis au lieu d'affronter
les organisations internationales les transforment en véritables
vecteurs d'expansion du libre-échange
généralisé.
De l'ethnocentrisme affiché depuis les années
70, à la tentative d'imposition d'un modèle de modernité
aux sociétés considérées comme traditionnelles, en
passant par l'impérialisme néo-libéral, la
géopolitique de l'information a fini par dessiner une nouvelle
cartographie et un nouvel ordre du monde, favorable à l'assouplissement
des tensions internationales et au développement de la
coopération et de la solidarité numérique.
66 Les fractures numériques en question, quels enjeux,
quels partenariats : Thème du colloque international de Hourtin du 25 au
28 août 2003 dans le cadre de l'Université d'été de
la communication
67 Pour Michel Mathien, il s'agit de «
mythes et de réalités » qui opposent une
représentation holiste du monde
à travers des rapports égalitaires aux
réalités d'une société mondiale tourmentée
et déséquilibrée par des rapports de force. (MATHIEN
Michel, « La société de l'information » : Entre mythes
et réalités, Bruylant, Bruxelles, 2005, 432 p.)
68 MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, «
Technologies de communication et d'information. Une nouvelle donne
internationale ? », in Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138,
avril-juin 1994, p.256.
La solidarité numérique, nous l'avons vu, est un
projet porteur d'espoir et le premier résultat concret du SMSI. Mais
face à l'indifférence des superpuissances, le secteur
privé s'accapare de ce concept et y investit le plus. Ce qui
dénote une nouvelle fois d'enjeux économiques prioritaires de
pénétration des marchés au détriment d'un
véritable esprit de collaboration Nord-Sud. Un constat qui
soulève la tendance d'une certaine dépendance technologique
accentuée par cette solidarité censée faciliter
l'intégration des pays africains dans la « société de
l'information ». La solidarité numérique envers l'Afrique
pourrait bien être une équivalence de « la politique de la
main constamment tendue » par les pays africains. Le processus
d'e-inclusion vient à peine d'être lancé comme palliatif
à la fracture numérique que nous nous interrogeons sur les
véritables enjeux de cette société inclusive et sur le
sort réservé à la solidarité numérique. Une
chose est certaine : les actions menées par l'UNESCO pour le
développement de la communication internationale, notamment
l'installation au Mali, au Bénin, au Burkina, au Sénégal
et en Côte d'Ivoire... des « Centres Multimédia
Communautaires », ainsi que l'engagement de l'Organisation à
travers le PIDC se révèlent être très insuffisantes
pour la réduction de la fracture numérique. La plupart de ces
actions et de ces projets souffrant de manque de financement, sont souvent
entamés mais ont du mal à aboutir et finissent parfois à
être abandonnés aux populations qui n'arrivent même pas
à s'en servir car ces technologies sont la plupart du temps «
inadaptées ». Ce qui confirmerait que l'Afrique soit un
véritable cimetière des technologies, des technologies
inadaptées.
Mais même avec des solutions régionales
privilégiant l'adaptabilité des technologies aux
réalités locales, force est de remarquer que le coût
élevé des projets retarde leur mise en oeuvre. C'est par exemple
le cas du projet volontariste de constellation de satellites africains RASCOM
(Regional African Satellite for Communication) qui peine à être
une réalité compte tenu justement du coût de la connexion
des zones rurales aux satellites et aux câbles. Tout ceci nous
amène à la conclusion des travaux de Raphaël
Ntambue-Tshimbulu et d'Annie Chéneau-Loquay : « La
coopération avec l'Afrique subsaharienne en matière de TIC
s'inscrit dans un contexte où les coûts et les processus de mise
en oeuvre des projets d'insertion des réseaux télématiques
dépassent les capacités financières et techniques locales
et exigent à la fois l'intervention extérieure et la
participation africaine. »
Quoiqu'il en soit et sans pour autant nous enfermer dans une
critique de la coopération Nord-Sud qui condamnerait la manière
dont l'aide et la solidarité sont apportées aux pays du Sud, nous
lançons un appel à une profonde réflexion sur cette
solidarité qui semblerait toujours garder les mêmes
caractéristiques de l'aide classique perpétuant depuis toujours
la domination historique des pays du Nord sur ceux du Sud. Qu'il nous
souvienne, à cet effet, les propos très illustrateurs de Serge
Latouche69 : « La main qui reçoit l'aide est toujours en
dessous de celle qui la donne ».
Cet épineux problème de financement et celui de
l'inadaptabilité des technologies est renforcé par d'autres
difficultés telles que celle des infrastructures inadéquates, de
délestages fréquents et de manque d'énergie
électrique dans les régions enclavées et même dans
les grandes capitales africaines. Nous avons ainsi montré que toutes ces
difficultés limitent les actions de l'UNESCO et posent la
nécessité de créer un important fonds monétaire
régional et autonome pour la conduite des politiques nationales
d'appropriation des TIC en Afrique.
En complément et non en concurrence aux engagements
internationaux, le Fonds de Solidarité Numérique pourrait, s'il
était décentralisé (ce qui suppose une
délégation de gestion par grandes régions
géographiques, linguistiques et culturelles) et bien géré
dans des environnements propices de bonne gouvernance, insuffler une
réelle dynamique à la réduction de la fracture
numérique en Afrique. De plus, des programmes tels quel le Programme
Information Pour Tous (PIPT) de l'UNESCO, dans le cadre duquel les
gouvernements du monde entier se sont engagés à mobiliser les
nouvelles opportunités pour créer des sociétés
équitables grâce à un meilleur accès à
l'information, devrait pouvoir être assez valorisé pour appuyer le
PIDC et soutenir le rôle des médias face aux défis de
préservation du patrimoine culturel et immatériel (savoir) dans
le processus d'appropriation locale des TIC en Afrique.
69 Cité par Anne-Cécile Robert, L'Afrique au
secours de l'occident, Paris, Editions de L'Atelier, 2004.
Perspectives de recherches : Vers une nouvelle problématisation
|
Ce travail jette les bases d'une recherche qui débouche
sur des perspectives d'approfondissement. Nous avons situé nos
questionnements dans une analyse historique contextuelle en procédant
à un recadrage élargi sur les divers points de vue et prise de
position des différents acteurs du rapport McBride et des revendications
du NOMIC jusqu'au SMSI. Nous avons pour se faire mobiliser une revue de
littérature sur les enjeux de la communication internationale à
travers les rapports de forces auxquels sont livrés les
différents acteurs dont les prises de position varient selon le
côté duquel il se situe par rapport à la ligne fictive de
démarcation entre inclus et exclus de la « société de
l'information ».
Quelques lignes directrices peuvent cependant être
développées dans des recherches ultérieures sachant que
:
1- Les débats sont loin d'être clos suite à
la prise de conscience internationale et civile des enjeux d'une
solidarité numérique au lendemain de Tunis.
2- La solidarité numérique est un concept
émergent dont l'évaluation nécessiterait un temps
d'observation plus long (2 à 3 ans et voire plus) pour être
à même de mieux apprécier les résultats concrets de
cet engagement international et la gestion faite du Fonds de Solidarité
Numérique FSN.
3- Fractures numériques ou solidarités
numériques : Les options sont encore ouvertes, face au rôle
éminent que doivent jouer les États africains par rapport aux
politiques publiques en matière de TIC pour appuyer les actions de la
société civile en vue d'une véritable
réappropriation locale des TIC.
4- La diversité culturelle peut être un atout
à la réappropriation des TIC par les pays africains et un
élément catalyseur de la société inclusive dont
l'UNESCO pourrait se servir dans sa lutte contre la réduction de la
fracture numérique en Afrique.
5- L'hégémonie culturelle américaine et
les stéréotypes qui s'y rattachent resteront irréductibles
dans la politique étrangère70 des Etats-Unis et ceci
est une source permanente d'influences sur la communication internationale et
sur les actions des organisations internationales parfois contraintes de
s'orienter pour des raisons
70 Avec l'actuel gouvernement américain, nous sommes loin
de la sagesse et de l'humanisme du Président John Fitzgerald Kennedy qui
affirmait : « Tous les pays ont leurs traditions, leurs idées,
leurs ambitions. Nous ne les recréerons pas à notre image
».
financières vers la doxa : « ce qui est bon pour
les Etats-Unis est bon pour le reste du monde ».
6- La pluralité des usages sociaux des technologies ne
saurait être analysée selon l'unique univers symbolique des
représentations historiques des relations Nord-Sud, dans lesquelles les
cultures minoritaires subissaient la globalisation passive des standards
culturels.
Nous souhaiterions contribuer à l'approfondissement de
ces axes de recherche à l'occasion d'une thèse doctorale au cours
de laquelle notre travail sur les trois prochaines années consistera
à :
V' Approfondir les lectures et confronter les
différentes théories sur l'interdépendance dans les
relations internationales afin de réaliser une revue critique de la
littérature sur le caractère déterministe de l'imaginaire
social entretenu par les discours sur les TIC en arrière plan de la
géopolitique culturelle de l'information. (Première
année)
V' Réaliser une enquête en prenant comme terrain
d'enquête l'UNESCO et deux ou trois pays de l'Afrique Subsaharienne. Il
s'agira pour nous de prendre contact avec les responsables des commissions
nationales de l'UNESCO ou les conseillers régionaux en information et
communication dans ces pays afin de les soumettre à des entretiens
semi-directifs pour pouvoir évaluer l'efficacité des
stratégies d'action réelles de l'UNESCO dans sa lutte contre la
fracture numérique et comparer ces stratégies par rapport aux
attentes des gouvernants et des populations dans le contexte de promotion de la
diversité culturelle. Il s'agira de faire une analyse qualitative par
théorisation (Pierre Paillé). Nous procéderons à
une élaboration progressive des catégories d'hypothèses,
dans un aller-retour permanent avec les acteurs de l'Organisation (UNESCO)
après avoir exploré les événements et les opinions
(y compris celles des populations bénéficiaires des TIC) par
rapport à l'impact final réel de la lutte contre la fracture
numérique dans ces pays. (Deuxième année)
V' Vérifier les hypothèses en les confrontant aux
résultats collectés, interpréter puis tirer les
conclusions - Relecture et correction du travail (Troisième
année)
BIBLIOGRAPHIE
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l'État dans l'insertion sociale des techniques de l'information et de la
communication au Burkina-Faso, Grenoble : Institut de la Communication et des
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· DUMONT Xavier, Le déséquilibre Nord-Sud
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(Mémoire de fin d'études en Sciences politiques - Relations
internationales).
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Représentations stéréotypés de l'Afrique dans les
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«Globalisation, Communication et Cultures», Centre des Nations Unies.
Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à
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· GEORGE Éric, « Les dessous des
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· KIYINDOU Alain, «La fracture numérique
en question», in Questionner l'internationalisation, actes du
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l'information, déclaration de principes, secrétariat
général du sommet, Genève 2003.
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:
http://www.geneva2003.org/bamako2002
· Coopération Solidarité
Développement aux PTT (CSDPTT) :
http://www.csdptt.org
· Fonds mondial de Solidarité
numérique :
http://www.dsf-fsn.org
· Observatoire des Nti en Afrique - AFRICANTI (U.
Bordeaux) :
http://www.africanti.org/projet.htm
· UIT:
http://www.itu.int/wsis/
· UNESCO :
http://www.unesco.org/webworld/mdm/fr/index_mdm.html
· UNESCO : Déclaration
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http://
www.unesco.org/culture/pluralism/diversity/html_fr/index_fr.shtml.
· WSIS : http://www.wsis-online.net/
· WSIS/Geneva :
http://www.wsisgeneva2003.org/
Annexes :
- Annexe I :
ENTRETIEN AVEC ANNIE LENOBLE-BART
- Annexe II :
CARTOGRAPHIE DE LA FRACTURE
NUMERIQUE
- Annexe III :
EXTRAIT D'UNE INTERVIEW A CCORDEE AU PRESIDENT
ABDOULA YE WADE, LA UREA T DU PRIX UIT 2006 DE LA SOCIE TE MONDIALE DE
L'INFORMATION
Annexe I : Entretien avec Annie LENOBLE-BART
Madame Annie Lenoble-Bart est Professeur à
l'Université de Bordeaux 3 et Animatrice du GREMA (Groupe de Recherches
et d'Études sur les Médias Africains). Elle est aussi
Coordinatrice de l'Axe 1 du programme 2003-2006 de la Maison des Sciences de
l'Homme d'Aquitaine sur " Modèles et transferts dans la mondialisation
des Afriques : Gouvernance, démocratie, transferts et appropriation".
C'est en nous référant à ces nombreux travaux sur
l'insertion des TIC en Afrique subsaharienne et en particulier à son
article intitulé « Infos riches et infos pauvres : le fossé
numérique et la solidarité numérique dans la cyberpresse
en Afrique », que nous avons souhaité échanger avec elle et
avoir son point de vue d'experte dans le cadre de notre présente
recherche. Elle a ainsi accepté se prêter à quelques-unes
des questions que nous lui avons soumises par mail. Voici ses
réponses.
y' Question 1 : Quel regard portez-vous aujourd'hui avec le recul
du temps sur les débats et revendications du NOMIC dans les
années 1970 ?
A.Lenoble-Bart : Ces
débats étaient assez « Intéressants mais utopiques
» par rapport aux espoirs qu'ils nourrissaient.
y' Question 2 : L'actuelle « société de
l'information » reflète-t-elle réellement un nouvel ordre
mondial de l'information ou n'est-elle que le prolongement du rêve
macluhanien ? A.Lenoble-Bart : « Elle
n'est que l'illusion d'une société égalitaire toujours
basée sur les anciens rapports verticaux (Nord-Sud) de
dominants-dominés. »
y' Question 3 : Les principes et engagements de Genève
et de Tunis peuvent-ils apporter, tel qu'ils sont énoncés, des
avancées importantes dans les stratégies internationales de lutte
contre la fracture numérique ?
A.Lenoble-Bart : « Je
trouve que ce sont, comme toujours, de beaux discours qui n'aboutissent sur
rien de concret. »
y' Question 4 : Les discours tenus sur les TIC par les
organisations internationales en général sont-ils des discours
relevant des utopies technicistes ou sont-ils vraiment réalistes et
à vocation sociale?
A.Lenoble-Bart : « Ce sont
surtout des discours convenus pour être dans l'air du temps ! »
y' Question 5 : La solidarité numérique serait-elle
une nouvelle forme de dépendance techno-culturelle des pays africains
vis-à-vis de ceux industrialisés et développés ? Ou
serait- ce plutôt une vraie réponse à l'exclusion
numérique ?
A.Lenoble-Bart : « Je pense
les deux. La «vérité» est souvent ambivalente... Et les
effets pervers ne sont jamais bien loin mais surtout difficiles à
imaginer : ils sont souvent là où on ne les attend pas. Qui vivra
verra. »
Annexe II : Cartographie de la fracture
numérique en 2005
Annexe III : Extrait d'une interview accordée au
Président Abdoulaye Wade, Lauréat du Prix UIT de la
société mondiale de l'information. (17 mai 2006).
M. le Président, que signifie ce prix pour
vous?
« En portant son choix sur ma modeste personne comme
colauréat avec le professeur Muhammad Yunus de ce prix de la
société de l'information qu'elle décerne pour la
première fois, l'Union internationale des
télécommunications honore en réalité mon pays, le
Sénégal, mon continent, l'Afrique, et mieux encore, tous les
Africains qui ont voulu, ensemble, donner corps à une idée que
j'avais simplement émise. Ce prix va tout naturellement à
l'Afrique, car c'est en décembre 2003, ici même à
Genève, que j'avais proposé le concept de Fonds pour la
solidarité numérique.
J'accepte volontiers ce prix, moins comme une
récompense qu'un encouragement à poursuivre, avec toutes les
bonnes volontés, la vulgarisation de l'ordinateur, l'accès du Sud
au web, c'est-à-dire à la formation et aux connaissances, pour
combler le retard.
J'ai toujours pensé qu'une société de
l'information plus équilibrée et plus harmonieuse devrait
être fondée sur une généralisation de l'accès
à l'outil informatique, car il faut éviter que les pays en retard
dans ce domaine risquent une marginalisation irréversible. Donner
à tous la possibilité de se connecter, d'être à
l'écoute, de se faire entendre et de suivre la marche du monde: tel est
le sens fondamental du Fonds pour la solidarité numérique.
Voilà pourquoi, au-delà même de l'honneur qui
m'est fait, j'apprécie positivement que l'UIT maintienne ce dossier de
l'information au coeur de l'agenda international. »
Certains considèrent l'internet comme une
panacée, d'autres le diabolisent. Quel est votre avis?
« Le web, dans ses différentes applications, fait
désormais partie de la vie de tous les jours. Que l'on soit du Nord ou
du Sud, notre vie est influencée par les bouleversements de
l'internet.
On communique pour le meilleur, et hélas, on communique
aussi pour le pire. Nous sommes donc tous concernés par le
numérique, soit par nos propres actes, soit par les conséquences
que nous subissons. Toute la dimension de la mondialisation, portée par
les valeurs des technologies de l'information et de la communication, se
résume en ces termes. On ne choisit pas de participer à la
mondialisation: elle s'impose à nous.
Comme je le disais lors d'un séminaire que mon
Gouvernement a consacré récemment à la mondialisation,
même si on n'est pas d'accord sur le fait que la Terre tourne, elle
continue quand même son mouvement.
C'est ce constat d'une rationalité toute simple qui
fonde mon pari sur la vulgarisation des technologies de l'information et de la
communication. C'est un rendez-vous avec l'histoire que nos peuples ne
devraient pas manquer.
J'ai eu l'occasion de rappeler que le monde, depuis sa
création, se divise de plus en plus en deux communautés: celle
qui communique, et celle qui ne communique pas. Et, heureusement, aujourd'hui,
l'internet nous permet de combler ce fossé numérique, et le Fonds
pour la solidarité numérique nous offre en la matière un
mécanisme approprié.
Je demeure convaincu que la rencontre des cultures n'aura
jamais facilité autant le rapprochement des hommes qu'avec l'application
des nouvelles technologies. Le web, à l'image des anciennes
écoles de la Grèce antique, doit être vu comme un immense
espace où le donner et le recevoir de l'esprit et de la connaissance se
rencontrent sans frontières et sans préjugés -- comme
dirait Léopold Sédar Senghor. »
Que fait le Sénégal pour réduire
la fracture numérique?
« Par sa superficie, sa dimension démographique et
son potentiel en ressources naturelles, mon pays n'a pas d'atouts particuliers.
Nous avons donc misé sur la qualité de nos ressources humaines,
et c'est pourquoi je consacre 40% du budget national à
l'éducation et à la formation -- je crois, d'ailleurs, que mon
pays est le seul à atteindre cet objectif, alors que l'objectif de
l'Union africaine est de 20%. C'est pour cette raison que l'Organisation des
Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (l'UNESCO) a
classé le Sénégal comme leader mondial de
l'éducation. En faisant confiance au génie créateur du
peuple sénégalais, j'ai pour ambition de créer un
système intégré où, du préscolaire à
l'université, l'usage de l'ordinateur soit et reste une constante.
Nous avons ainsi, il y a quelques années,
inauguré le concept de la Case des tout-petits, où les enfants de
deux à six ans apprennent à se familiariser avec les jouets
modernes dont l'ordinateur de jeu: la génération de la Case des
tout-petits sera une génération très particulière,
qui vivra avec son siècle. Je considère, en effet, que l'outil
informatique est avant tout un outil. Cependant, cette lapalissade est
contrariée par la fracture numérique. »
Mais n'est-ce pas un luxe de penser à donner
à tous l'accès aux TIC?
« En effet, la fracture numérique fait de
l'ordinateur, par exemple, une fin, ou encore un luxe dont les seuls
bénéficiaires sont nécessairement choisis selon des
critères qui échappent à tout esprit épris de
connaissance et de réalisation. Car, il faut le rappeler, l'esprit
sincère qui a pour culte le savoir sait qu'en le partageant il lui donne
l'opportunité de grandir pour le bien de tous. Le programme «un
étudiant un ordinateur, un enseignant, un ordinateur», que j'ai
lancé il y a quelques années au Sénégal, s'inscrit
dans cette démarche.
Cela n'est plus un rêve depuis que le maire de
Besançon et le Président-directeur général de la
Compagnie AXA m'ont offert 30 000 ordinateurs à reconditionner. Cela
veut dire que le réseau de solidarité numérique que je
suis en train de créer au Sénégal recevra peut-être
plus d'ordinateurs qu'il n'en faut. Mais il en suffira d'un par
sénégalais et je serai satisfait. Car l'ordinateur n'est pas un
luxe, contrairement à ce que l'on croit. Quelqu'un a dit, «mais le
Président Wade, au lieu de nous parler de l'ordinateur, pourrait nous
parler des moyens de nourrir nos populations». Eh bien, c'est mal
comprendre le problème, car l'ordinateur est aussi utile dans
l'agriculture que dans les bureaux ou dans les usines. Beaucoup de fermes
modernes sont gérées aujourd'hui par l'ordinateur, et elles
fonctionnent d'autant mieux grâce aux économies de toutes sortes,
et aussi grâce à la recherche de l'efficacité. »
Pouvez-vous nous citer d'autres initiatives
entreprises par le Sénégal dans le domaine des
TIC?
« J'ai lancé l'Université du futur africain
(UFA) qui est en construction avancée. L'UFA a pour vocation de
recevoir, sans distinction de pays d'origine, tout étudiant africain
remplissant les critères pédagogiques et bilingue.
Cet établissement universitaire futuriste sera
équipé d'infrastructures de télécommunications de
pointe pour permettre à ses étudiants de se connecter à un
réseau d'universités partenaires afin de suivre des cours en
temps réel par satellite. A la fin de leur cursus, ces étudiants,
qui n'auront pas besoin d'aller aux États-Unis ou en Europe pour
accéder à la connaissance, recevront les mêmes
diplômes que ceux décernés par les universités
partenaires, et non des équivalents. Nous comptons par ce moyen
contribuer à la lutte contre la fuite des cerveaux dont souffre le
continent africain.
Autre initiative, l'intranet gouvernemental qui relie les
différents pôles de l'administration locale au
Sénégal, en attendant la connexion avec nos
représentations extérieures. Avec cet intranet, nous avons
déjà réduit de manière considérable la
facture téléphonique du gouvernement. Nous avons d'ailleurs
lancé un programme intranet au niveau de la CEDAO (Communauté
économique des États de l'Afrique de l'Ouest) et bientôt au
niveau de l'Union africaine et ceci avec la coopération de certaines
sociétés internationales spécialisées.
J'apprends que le Sénégal a été le
deuxième pays au monde, après le Japon, à avoir
relié ses administrations par un réseau unique à fibres
optiques. Cette réalisation, produit de l'expertise de jeunes
Sénégalais, rendue possible grâce à l'appui
financier de la Banque mondiale, a été facilitée par les
réformes institutionnelles qui ont abouti à la création de
l'agence de l'informatique de l'État du Sénégal. Cette
agence a permis à des ingénieurs et informaticiens
sénégalais formés et travaillant à
l'extérieur de rentrer dans leur pays et d'y valoriser leurs
compétences.
En outre, le Sénégal travaille actuellement avec
une compagnie partenaire pour lancer un logiciel en wolof, l'une de nos langues
nationales. »
La solidarité numérique se
traduit-elle uniquement par des partenariats Nord- Sud?
« La nouvelle dimension de la coopération Sud-Sud
dans le domaine de la solidarité numérique est tout aussi
importante. En effet, l'Inde et l'Afrique viennent de lancer un ambitieux
programme de coopération pour la télémédecine, la
gouvernance et la formation à distance, lequel repose sur un
réseau à satellite reliant tous les pays africains à
l'Inde, et dont le noyau se trouve à Dakar. Le potentiel de la
solidarité numérique, par la diversité des moyens mis en
oeuvre et la variété des domaines d'application, offre à
l'humanité une chance sans précédent de vaincre
l'ignorance, de combattre la pauvreté et d'assurer à tous des
conditions de vie décentes car compatibles avec la dignité
humaine.
La formidable révolution en cours ne doit laisser
personne au bord de la route, et cela est possible. Les jeunes du Sud, mis dans
les mêmes conditions de concurrence que ceux du Nord, sont parfaitement
capables de se dépasser. Comme je le dis souvent, l'ordinateur est le
domaine de la démocratie parfaite: un Sénégalais, un
Indien, un Chinois, un Américain, un Français ou un
Suédois, placés devant le même ordinateur, avancent tous
à la même vitesse -- celle de la lumière. »
Source :
http://www.itu.int/itunews/manager/display.asp?
lang=fr&year=2006&issue=05&ipage=laureates1 &ext=html
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