1.2.2. Les indicateurs de Kaufmann Kraay
et Mastruzzi.
Une équipe de chercheurs de l'Institut de la Banque
mondiale a entrepris depuis 1995 de constituer une base de données sur
la gouvernance dont la dernière actualisation date de 2007. Cette base
de données est constituée de six indicateurs de gouvernance,
obtenus pour 212 pays et territoires autonomes, à des dates
différentes (de 1996 à 2006). La diversité des indicateurs
s'explique par le caractère complexe et multidimensionnel de la
gouvernance. Tous ces indicateurs se fondent sur des perceptions,
c'est-à-dire sur l'opinion des experts concernant chaque aspect,
d'où leur caractère subjectif qui provoque souvent des
controverses autour de leur degré d'objectivité (Duc et
Lavallée 2004; Boutaleb 2004; Edison 2003).
Ces indicateurs sont exprimés par des chiffres allant de -2,5 à
+2,5 (le chiffre le plus élevé étant le plus favorable) et
sur une échelle comparative allant de 0 à 100. Ces six
indicateurs sont les suivants :
1. Les capacités
revendicatives et d'expression, (« Voice and
Accountability »), ou encore Voix citoyenne et
responsabilité : cet indicateur mesure la manière
dont les citoyens d'un pays participent à la sélection de leurs
gouvernants, ainsi que la liberté d'expression, d'association et de
presse, autrement dit les droits politiques et individuels dont jouissent les
citoyens.
2. Stabilité politique et absence de
violence : cet indicateur mesure la probabilité de
changements violents de régime ou de gouvernement, ainsi que de menaces
graves à l'ordre public, y compris le terrorisme, c'est-à-dire la
perception de la probabilité d'une déstabilisation ou d'un
renversement de gouvernement par des moyens inconstitutionnels ou violents.
3. Efficacité des pouvoirs
publics et de l'action publique - mesure la
qualité des services publics, les performances de la fonction publique
et son niveau d'indépendance vis-à-vis des pressions politiques,
la qualité de l'élaboration et de l'application des politiques,
et la crédibilité de l'engagement des pouvoirs publics à
l'égard de ces politiques.
4. Qualité de la
réglementation : cet indicateur mesure la capacité
des pouvoirs publics à élaborer et à appliquer de bonnes
politiques et réglementations favorables au développement du
secteur privé, il mesure également les entraves
règlementaires au fonctionnement des marchés.
5. Etat de droit
(« Rule of law ») : mesure le degré de
confiance qu'ont les citoyens dans les règles conçues par la
société et la manière dont ils s'y conforment et, en
particulier, le respect des contrats, les compétences de la police et
des tribunaux, ainsi que la perception de la criminalité et de la
violence. Cet indicateur rapporte la qualité du respect
des contrats légaux par le système judiciaire ou par la police,
en tenant compte du recours à la violence privée et de sa
répression.
6. Le contrôle de la
corruption : Cet indicateur mesure l'usage des
prérogatives du pouvoir à des fins personnelles, en particulier
l'enrichissement des individus disposant d'une position de pouvoir. En
particulier, il mesure l'utilisation des pouvoirs publics à des fins
d'enrichissement personnel, y compris la grande et la petite corruption, ainsi
que « la prise en otage » de l'Etat par les élites et les
intérêts privés.
Boutaleb (2004) regroupe les six indicateurs de Kaufmann et al
sous trois aspects fondamentaux de la gouvernance :
-- La catégorie représentant le processus de
gouvernance :
Ø voix et responsabilité ;
Ø instabilité politique et violence.
-- Une catégorie pour la capacité du
gouvernement :
Ø efficacité du gouvernement ;
Ø qualité de la réglementation.
-- Une autre catégorie pour le respect de la
légalité :
Ø état de droit.
Ø niveau de la corruption.
Ces six indicateurs, même s'ils peuvent être
effectivement liés à la gouvernance ne portent pas sur les
mêmes dimensions de l'action publique. Le contrôle de la corruption
et la qualité des procédures légales renvoient à la
pratique de l'action publique et gouvernementale. L'efficacité de
l'action publique et la qualité de la réglementation portent sur
le résultat de l'action publique. Enfin, la stabilité politique
et les capacités revendicatives et d'expression renvoient à la
manifestation et l'expression des positions et orientations politiques.
Néanmoins, les six indicateurs de gouvernance de Kaufmann et al (2007)
sont fortement corrélés de telle sorte qu'il devienne difficile
d'attribuer une amélioration de l'efficience à l'un des
indicateurs au dépend des autres. En effet, la stabilité
politique, l'efficacité des pouvoirs publics, la protection des droits
de l'homme et de la propriété et le contrôle de la
corruption sont tous aussi importants, l'un d'eux autant que les autres, pour
améliorer l'efficience.
Par ailleurs, l'une des complications souvent
rencontrée dans les débats sur la gouvernance est que la plupart
des indicateurs disponibles, tels que la perception de la corruption,
l'efficacité des pouvoirs publics, et le risque d'expropriation, sont
des indicateurs de résultat qui ne reflètent que partiellement la
volonté et les décisions des dirigeants politiques. Par exemple,
si on utilise uniquement des mesures de résultat pour évaluer les
efforts que fait un pays pour bien se gouverner, un nouveau gouvernement qui
est désireux de venir à bout de la corruption et qui a
hérité du régime précédent un système
de corruption fortement ancré sera pénalisé en raison du
niveau de corruption. Au lieu de punir un tel gouvernement, les partenaires de
développement devraient aider les nouveaux dirigeants à
éradiquer ce qui reste de corruption. Dans le même temps, une
appréciation de la gouvernance ne saurait reposer uniquement sur des
indicateurs absolus quant au respect de la légalité, aux
libertés civiles ou aux atouts institutionnels, étant
donné qu'un grand nombre de ces systèmes supposent, pour
être mis en oeuvre, de disposer effectivement de ressources
(PNUD 2000; Duc et Lavallée 2004). Au contraire, une
démarche plus efficace consisterait à évaluer les
améliorations des résultats et les comparer à d'autres
pays d'un niveau de revenu semblable (PNUD 2000). De nombreuses équipes
dirigeantes, dans les pays pauvres où les systèmes de
gouvernement sont fragiles, font de remarquables efforts pour les
améliorer, et ces efforts doivent être reconnus et soutenus.
Toutefois, bien qu'imprécis et imparfaits les
indicateurs et les bases de données sur la gouvernance permettent
d'isoler les pays connaissant des problèmes de gouvernance et, parfois,
d'identifier avec précision les carences existantes. Plus encore, ces
données contribuent à une meilleure connaissance des causes et
des conséquences de la mauvaise gouvernance (Duc et Lavallée
2004).
SECTION 2 : LES EVIDENCES THEORIQUES DES EFFETS DE
LA GOUVERNANCE : CAS DE LA STABILITE POLITIQUE ET LA
CORRUPTION.
2.1. Stabilité politique et dépenses
publiques
Azam et al. (1996) proposent un modèle théorique
dans lequel l'activité de rébellion de l'opposition est une
fonction croissante des activités de prédation et de
répression du gouvernement, et une fonction décroissante des
activités de redistribution. A l'aide d'un modèle probit
appliqué aux données africaines, ils concluent que le risque
politique, entendu comme la probabilité de violence politique, a un
effet néfaste sur la croissance économique. L'objectif ici est de
comprendre comment l'éruption de la violence politique dépend des
politiques économiques, dont l'adoption peut s'expliquer par l'attitude
du gouvernement envers la redistribution.
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