MaItrise de Philosophie, Université de Paris Sorbonne,
année 2004-2005
L' <<optimisme>> de Leibniz
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Par Mr. L.J. Et Sous la direction de M.Fichant
INTRODUCTION
Si de manière générale il est possible de
distinguer deux types d'optimisme, le premier correspondant a un optimisme
reposant sur le sentiment, l'expérience d'une vie calme, sans malheurs
et revers de fortune et un second, réfléchi, systématique
et philosophique, c'est sans conteste a la deuxième sorte d'optimisme
que nous avons affaire avec Leibniz. En effet, méme si le
caractère de Leibniz n'est pas étranger a l'élaboration de
son système philosophique puisqu'il est sans doute le rationaliste qui a
donné le plus de crédit a la raison - en tout cas si l'on regarde
ses prédécesseurs - en formulant notamment le grand
<<principe de raison>> et, comme il est possible de le sentir lors
de la lecture de ses principaux textes, en ayant, dans tout ce qu'il traite, le
souci de rendre raison de toutes choses, il faut dire que son
<<optimisme>> repose sur la pensée, l'ordre, plus
généralement sur les principes de son système et que ce
qui transparaIt chez lui c'est la raison et non le sentiment, et si c'est ici
parler un peu trop de manière catégorique, du moins pouvons nous
dire que la raison a chez lui l'ascendance sur le sentiment. Si la
première forme d'optimisme peut être dite insuffisante, c'est bien
parce qu'elle repose et dépend de la contingence des
évènements, la créature intelligente qui laisse
dépendre sa confiance dans le cours des choses, son idée de la
perfection du monde, son point de vue sur la bonté de l'univers de
l'expérience sera très certainement amenée a changer
d'opinion en fonction de ce qui lui arrivera personnellement. Or, on le voit
parfaitement, dans un tel cas l'optimisme, mais aussi son contraire le
pessimisme, seront d'<< humeur>> plus que de raison. Il est donc
impossible pour un philosophe guidé par la raison de fonder solidement
une doctrine de cette facon. Sous sa première forme, affective,
l'optimisme est donc voué a l'incertitude et au relativisme. Cependant,
sous une forme philosophique, et plus que jamais avec Leibniz, l'optimisme se
trouve être fondé par la raison: lorsqu'on aborde la lecture des
textes de Leibniz, il s'opère peu a peu ce a quoi méme Leibniz
veut aboutir lorsqu'il établit les thèmes principaux de sa
métaphysique, c'est-à-dire une élévation, un
changement de regard sur le monde dü a un exercice réflexif et a un
décentrement du point de vue subjectif, notamment eu égard a ce
qui est directement un obstacle a toute pensée optimiste, l'existence du
mal dans le monde. Cette progression lors de l'étude de la philosophie
de Leibniz et des thèmes qui font que l'on a attribué a l'origine
le terme méme d'<< optimisme>> pour désigner sa
philosophie1 a pour
1 Le terme füt employé pour la première
fois par des jésuites dans leur Mémoires pour 1 'histoire des
sciences et des arts, en 1737 et plus particulièrement dans le compte
rendu qu'ils firent de la Théodicée de Leibniz afin d'en faire
ressortir l'idée principale et depuis vulgarisée a souhait que le
monde actuel est le meilleur des mondes possibles, c'est-à-dire un
optimum qui réalise le plus de bonheur qu'il est possible de concevoir
compte tenu de la particularité du monde. Ils écrivirent
d'ailleurs a ce sujet: <<En termes de l'art, il l'appelle la raison du
meilleur, ou plus savamment encore, et théologiquement autant que
géométriquement, le système de l'optimum ou
l'optimisme.>> En 1762 le terme est adopté par l'Académie
francaise et il sera désormais employé pour
conséquence une évolution, une modification de
l'état d'esprit, de la disposition de celui qui pense le système
: cette évolution consiste dans la transformation de la manière
d'appréhender l'univers, dans laformation ou dans le renforcement
(notamment parce que les raisons de cet état sont fournies et
compréhensibles) d'un état d'esprit que nous appelons
<<optimiste >. La philosophie de Leibniz, tout en étant
optimiste, a pour effet de procurer une disposition optimiste. Cependant ce
sont ici deux choses différentes car il faut non seulement
établir, par l'étude de la philosophie de Leibniz, d'oü sont
tirées les raisons d'une telle doctrine mais également comment
l'optimisme parvient a s'implanter dans la créature rationnelle,
autrement dit, comment celle-ci y a-t-elle accès: serait-ce a l'aide de
la seule raison ou bien avec l'aide d'une autre source de vérités
telle que la foi? La foi, elle aussi doit être questionnée puisque
dans le système leibnizien, et on peut méme dire dans la
particularité de l'optimisme, il est souvent question de thèmes
qui peuvent a priori sembler ne pas être du ressort de la raison car ce
n'est pas seulement a la logique, aux mathématiques, a la morale mais
également a la théologie et méme a la
Révélation que Leibniz fait appel : initialement, il faut
méme voir que la question de l'optimisme est intimement liée a
celle de l'existence de Dieu et de sa nature ou essence. La question du rapport
entre la raison et la foi semble donc être un préalable avant
toute discussion car ce qui pose problème, c'est la prétention de
la raison dans les questions d'ordre théologique. Ne revient-il pas en
effet a la foi seule d'affirmer la bonté de Dieu, la perfection de son
ouvrage ? La raison peut-elle aussi discourir sur ce qui est au premier abord
objet de foi ? L'optimisme lui-même n'est-il pas uniquement du ressort de
la foi ? Il s'agira de clarifier la position de Leibniz et notamment de voir en
quoi la conciliation qu'il opère est nécessaire pour l'objet de
sa philosophie et aussi pour nous qui souhaitons mettre a jour son
<<optimisme >. Par conséquent nous devrons montrer dans un
premier temps que la raison peut s'accorder avec la foi et possède une
plein légitimité eu égard aux sujets discutés en
théologie, de la méme manière que Leibniz entreprend de le
faire dans le Discours sur la conformité de la foi avec la raison avant
d'exposer sa Théodicée: <<Je commence par la question
préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, et de
l'usage de la philosophie dans la théologie, parce qu'elle a beaucoup
d'influence sur la matière principale que nous allons traiter (...).
> 1 Il nous faudra également montrer dans un second temps que
l'<<optimisme > de Leibniz procède a partir de la
considération de l'idée de Dieu, par conséquent totalement
a priori, ce qui supposera l'établissement de son existence et
l'explicitation de son essence pour
désigner toute opinion qui se représente le monde
comme une wuvre bonne, préférable au néant malgré
la présence du mal en son sein et oü il se réalise un
surcroIt de bonheur par rapport au malheur.
1 Leibniz, Discours de la conformité de lafoi avec la
raison, § 1 in Essais de Théodicée, Paris, GF, 1969
5inalement voir que le problème de l'optimisme se
résout dans l'étude du mécanisme de la création du
monde selon que Dieu se propose de résoudre, en ayant en vue le bien de
sa création, un problème de maximum et de minimum d'oü il
doit résulter, nous verrons pourquoi, un optimum. Nous 5inirons par
l'étude des créatures rationnelles en tant que l'optimisme peut
être pensé comme disposition et comme le résultat sur les
esprits de l'action divine en tant que l'optimum choisit, c'est-à-dire
ce monde, est également un optimum pour le développement et
l'expansion du bonheur des esprits, créatures privilégiées
de Dieu. Cette dernière étude sera menée dans l'optique
d'une compréhension des conséquences d'une telle disposition mais
également dans l'établissement des moyens pour l'atteindre, ce
qui sera aboutir a la caractérisation 5inale de l'<< optimisme
>> leibnizien.
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