3. La mise à l'épreuve du système
de Leibniz
3.1. Introduction
Voici venu le moment d'entreprendre le troisième et
dernier chapitre de notre étude et qui consiste en la mise à
l'épreuve du contenu du premier chapitre à l'aide des
données du second. Cette confrontation est essentielle dans la mesure
où elle doit permettre de réunir ces deux visions
hétérogènes dans un nouveau point de vue plus abouti. Ce
sera l'occasion d'introduire de nouvelles idées et de nouveaux concepts,
dont l'apparition aura été permise par l'intérêt que
nous avons montré pour le système de Leibniz comme pour la
physique quantique, et qui justifieront la présente mise à
l'épreuve.
Nous n'entreprenons cependant pas une comparaison
systémique classique, dans la mesure où ce ne sont pas deux
systèmes philosophiques ou deux théories scientifiques qui sont
comparés entre eux, mais d'un côté un modèle
métaphysique datant du dix-septième siècle et de l'autre
une construction scientifique particulièrement originale du
vingtième siècle. Nous ne devrons donc pas oublier les mutations
épistémologiques qu'ont pu connaître la philosophie comme
les sciences naturelles entre ces deux périodes. Mais ce n'est pas pour
autant que nous allons éluder les différences, voir les
contradictions, dont témoignent ces deux points de vue en affirmant
qu'ils n'appartiennent pas à des domaines comparables. Si un
système a la prétention de décrire la
réalité physique dans la moindre mesure, il doit être mis
à l'épreuve des plus récentes avancée de la
physique moderne pour qu'il puisse prétendre à la
validité. On peut attester de la validité d'un modèle
mathématique par le simple travail de l'esprit, mais toute construction
visant à décrire des faits concrets doit se soumettre à
toutes les vérifications empiriques disponibles.
L'hétérogénéité la plus
caractéristique, qui marque un système comme celui de Leibniz et
une théorie scientifique, est dû au divorce que nous avons
déjà remarqué entre métaphysique et science. Cette
séparation épistémologique, qui imprègne
désormais toute la méthode scientifique, en est arrivée
à faire du discours métaphysique l'opposé du discours
scientifique. En général, dans la littérature scientifique
comme dans le positivisme philosophique, sont taxées de
métaphysique, avec un ton péjoratif indéniable et souvent
avoué, toute tentative de description de la réalité qui
n'est pas suffisamment appuyées sur des données empiriques. Le
système leibnizien entre tout à fait dans le cadre de cette
critique dans la mesure où il propose une description de la
réalité qui porte explicitement sur des aspects inobservables de
celle-ci. Nous devrons donc voir comment la démarche de Leibniz peut
résister à ces critiques et continuer de prétendre
à rendre compte de la matière et des corps en toute
légitimité. A cette occasion nous devrons inévitablement
revoir la question des rapports entre physique et métaphysique.
Mais le problème se complexifie si on prend la mesure
de ce que nous avons remarqué au sujet de la théorie quantique.
Dans sa formulation la plus consensuelle, celle-ci n'est pas vraiment une
description de la réalité (même empirique) à
l'échelle quantique, mais seulement un ensemble de règles de
prédiction concernant des mesures possibles sur des systèmes
physiques microscopiques. La signification ontologique de ces règles,
c'est-à-dire en termes de description de la réalité
empirique, est davantage ambiguë et équivoque quoique nous ayons
réuni, dans le chapitre précédent, de quoi préciser
le type d'interprétations viables de la mécanique quantique.
Notre exposé de la problématique quantique a en effet mis en
évidence les problèmes récurrents auxquels se confronte
toute tentative de description de la réalité. Notamment le fait
que, en conséquence de ces problèmes, les théories
à visée réaliste doivent porter sur la
réalité empirique, car la réalité
indépendante n'est pas à la portée d'une telle description
exhaustive. Cela peut être considéré, en première
analyse, comme s'opposant à la tradition philosophique systémique
dans laquelle s'inscrit Leibniz. Pour régler ce point nous devrons
éclaircir les rapports que peuvent entretenir son système avec
les deux types de réalité que nous avons empruntés
à d'Espagnat.
En raison de la rupture dont fait preuve la physique quantique
avec les axiomes traditionnels de la science, et surtout de la physique, et du
fait que Leibniz a construit son système à une période que
l'on peut associer à la fondation de cet axiomatique, la première
étape de la présente confrontation portera sur des
considérations structurelles assez générales. Par analogie
avec les deux mondes que Leibniz superpose, à savoir celui des
âmes et celui des corps, pour finir seront traités successivement
les mondes microscopique et macroscopique. Dans la seconde partie il s'agira
donc essentiellement de comparer la description du monde que propose la
microphysique à l'échelle quantique avec la théorie
leibnizienne de la substance. Dans la dernière c'est la vision
leibnizienne du monde des corps qui sera confrontée à la
manière dont la mécanique quantique se propose de rendre compte
des phénomènes macroscopiques.
|