LES RÈGLES CONSTITUTIVES
« Nous sommes forcés de suivre les
règles qui règnent dans le milieu social où nous vivons.
L'opinion nous les impose, et l'opinion est une force morale dont le
pouvoir contraignant n'est pas moindre que celui des forces
physiques » (Durkheim,1966).
On peut présenter The Construction of Social
Reality comme contenant deux modèles ontologiques. Si l'ontologie
sociale est la partie de la philosophie qui se demande comment existent les
faits sociaux, alors elle consistera en une philosophie de
l'intentionnalité collective. Car, nous venons de le voir, l'expression
de «fait social» réfère à n'importe quel fait -
humain ou non-humain - qui implique l'intentionnalité collective. Si en
revanche l'ontologie sociale est la discipline qui se demande quel est le mode
d'existence de la réalité sociale humaine, alors elle
devra non seulement consister en une analyse de la notion
d'intentionnalité collective mais, bien plus, elle devra rendre compte
d'une catégorie particulière de phénomènes
d'intentionnalité collective, les faits institutionnels. Car
seuls ces derniers concernent la réalité sociale humaine en tant
que telle. Que ces deux modèles d'ontologie sociale aient
été réunis en un seul livre ne doit pas surprendre pour
autant, car la réalité sociale humaine contient non seulement des
faits sociaux du même ordre que les phénomènes collectifs
observés dans les sociétés animales, mais elle contient en
plus - et de manière exclusive - des faits sociaux institutionnels. Ces
derniers, toutefois, doivent être abordés différemment des
précédents, car leur existence ne peut dépendre uniquement
de l'intentionnalité collective et doit renvoyer à un autre
élément. Cet autre élément va constituer l'objet
particulier de l'ontologie sociale «humaine». Il s'agit, nous allons
le voir, de ce que Searle nomme les règles constitutives.
Voici comment Searle présente les choses. Les faits
institutionnels, à la différence des faits bruts,
requièrent pour leur existence même des
institutions. Que sont ces institutions ? La
réponse à cette question se trouve dans la distinction entre les
règles «régulatives» et les règles
«constitutives». Certaines règles régulent des
activités qui existaient déjà auparavant, alors que
d'autre créent la possibilité même des activités.
Par exemple : si la voiture et la possibilité de se rendre d'un
lieu à un autre par des routes ont été
créées à un moment T1, ce n'est qu'à un moment T2
qu'est apparue la règle R1 selon laquelle les voitures devaient rouler
à droite. R1 est par conséquent une règle
régulative. Un autre exemple est le jeu d'échec : un jour
quelqu'un a eut l'idée d'inventer un jeu qui comporterait des
pièces de valeurs différentes que l'on devrait mouvoir sur une
surface plane limitée. Après avoir réfléchi pendant
une semaine sur la forme que pourrait prendre le jeu en question, il inventa
les règles du jeu d'échecs et fabriqua le premier modèle.
Et bien ce n'est qu'une fois les règles inventées que le jeu
d'échecs se mit à exister en tant que tel. Car avant que ces
règles ne soient posées, il était impossible de jouer.
Ce sont alors bien les règles qui créent la possibilité
même de l'activité : les règles du jeu d'échec
sont des règles constitutives. Searle continue son explication des
institutions. Les règles du jeu d'échec forment un
système : elles sont interdépendantes. Ce n'est
qu'en respectant toutes les règles que je peux jouer aux échecs.
Je ne peux pas non plus ajouter arbitrairement une nouvelle règle sans
transformer le jeu d'échecs en un autre jeu. Maintenant, comment
fonctionne une règle ? Comment s'applique-t-elle à ce
qu'elle détermine ? Searle procure une description de la forme
qu'adoptent en général les règles :
« Les règles individuellement, ou quelquefois le
système collectivement, se caractérisent par la forme :
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