A) faits bruts et faits institutionnels.
L'étonnement suivant ouvre la réflexion de
Searle. Un seul monde existe, mais deux réalités objectives
existent. D'une part, la réalité physique et chimique telle
qu'elle fait l'objet d'une description par les sciences correspondantes.
D'autre part, la réalité sociale objective, telle qu'elle est
construite par l'homme. Ces deux réalités diffèrent en ce
que la première existe de manière brute - elle existe sans que
l'homme ait à la penser - alors que la seconde n'existe
« que parce que nous croyons qu'elle existe. » (p.
1) La première dénote les faits bruts et la seconde les
faits institutionnels. Ces deux réalités reposent
également sur une ontologie. La réalité brute existe sur
la base d'une structure que mettent à jour les sciences physiques,
chimiques et biologiques. La réalité institutionnelle repose
aussi sur une structure, mais celle-ci n'a pas encore fait l'objet d'une
description par quelque science que ce soit. Même les fondateurs des
sciences sociales, dont on aurait pu croire qu'ils étaient les premiers
concernés par la structure fondamentale de la réalité
sociale, n'ont produit aucune description adéquate de celle-ci. La
raison en est, selon Searle, qu'ils ne disposaient pas des outils
nécessaires à une telle description. Ce que Durkheim, Simmel,
Weber ainsi que tous les principaux théoriciens de la sociologie, ont
manqué, ajoute-t-il, est une théorie adéquate
« des actes de langage, du langage performatif, de
l'intentionnalité, de l'intentionnalité collective, des
règles gouvernant les comportements et ainsi de suite. »
Le projet de Searle est de combler cette lacune et de mettre à jour la
structure invisible de la réalité sociale.
John Searle a toujours défendu un point de vue
matérialiste. Il pense que la réalité est fondamentalement
matérielle : faite d'atomes, de particules et ainsi de suite. Un
tel point de vue pourrait avoir pour conséquence de rendre absurde toute
ontologie sociale en tant que telle : si la réalité est
totalement matérielle, alors à quoi bon rechercher une structure
cachée de la réalité sociale ? La seule ontologie
sociale cohérente devrait à son tour aborder la vie en
société sous l'angle de la physique et de la chimie. Pourtant,
Searle s'écarte d'une telle opinion. Il ne s'en écarte pas
totalement, nous le verrons, puisqu'il défend une conception biologique
de l'intentionnalité collective. Il considère pourtant la
conscience comme une capacité qui institue une seconde
réalité objective, propre aux humains : « Voici le
squelette de notre ontologie : Nous vivons dans un monde
entièrement constitué de particules physiques installées
dans des champs de force. Certaines de ces particules sont organisées en
systèmes. Certains de ces systèmes sont des systèmes
vivants et certains de ces systèmes vivants ont évolué
jusqu'à l'état de conscience. Avec la conscience apparaît
l'intentionnalité, la capacité de l'organisme de
représenter des objets et des états de choses à
l'intérieur même du monde. Maintenant la question est, Comment
pouvons-nous rendre compte de l'existence des faits sociaux à partir de
cette ontologie ? » (p. 7)
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