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La communication politique dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000

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par Hamad Jean Stanislas Ndiaye
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Senegal) - Maitrise de Sciences Politiques 2004
  

Disponible en mode multipage

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REPUBLIQUE DU SENEGAL

************

UNIVERSITE GASTON BERGER DE SAINT-LOUIS UFR DE SCIENCES JURIDIQUE ET POLITIQUE SECTION : SCIENCE POLITIQUE

**********

MEMOIRE DE MAITRISE

THEME

LA COMMUNICATION POLITIQUE DANS LES ELECTIONS AU SENEGAL :

L'EXEMPLE DU P.S. ET DE L'A.F.P. EN L'AN

2000.

Présenté par : Sous la direction de : Hamad Jean Stanislas NDIAYE M. Adolphe DANSOU

Etudiant en 4ème année Enseignant à l'Université

de Science Politique Gaston Berger de Saint-Louis

Année académique 2004-2005

2

ABREVIATIONS

AFP Alliance des Forces de Progrès

AJ/PADS And Jef/ Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme

AOF Afrique Occidentale Française BCG Bloc des Centristes Gaïndé BDS Bloc Démocratique Sénégalais

CA 2000 Coalition pour l'Alternance 2000

CDP Garab gui Convention des Démocrates et des Patriotes Garab gui

CNTS Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal

CODE 2000 COalition De l'Espoir 2000

CONGAD Conseil des ONG du Sénégal

FMI Fonds Monétaire International

FRAP Front de Rupture pour une Alternance Populaire

FRTE Front pour la Régularité et la Transparence dans les Elections

FSD/BJ Front pour le Socialisme et la Démocratie/ Benno Jubel

NPA Nouvelle Politique Agricole

NPI Nouvelle Politique Industrielle

ONEL Observatoire National des ELections

OPNI Objets Politiques Non Identifiés

PAI Parti Africain de l'Indépendance

PAML Programme d'Ajustement économique et financier à Moyen et Long terme

PDS Parti Démocratique Sénégalais

PDS/R Parti Démocratique Sénégalais/ Rénovation

PIT Parti de l'Indépendance et du Travail

PLS Parti Libéral Sénégalais

PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement

PREF Plan de Redressement Economique et Financier

PRS Parti Républicain du Sénégal

PS Parti Socialiste

TIC Technologies de l'Information et de la Communication UNSAS Union Nationale des Syndicats Autonomes du Sénégal UPS Union Progressiste Sénégalaise

URD Union pour le Renouveau Démocratique

URD/FAL Union pour le Renouveau Démocratique/ Front pour l'Alternance

SOMMAIRE

Introduction générale.

Première Partie: La construction du discours politique de L'AFP et du PS.

Chapitre 1: Le discours politique à l'épreuve de la campagne électorale:

un discours sans conteste antagonique.

Section 1 : Le PS face au combat de la réhabilitation.

A Pour une revalidation du `contrat social'.

B Par le Pacte de Solidarité et de Croissance.

Section 2 : L'AFP face au dilemme progressiste.

A Déconstruire le régime socialiste.

B« Pour un Sénégal autrement géré ».

Chapitre 2: L'alchimie des circonstances de temps, de lieu et de personne.

Section 1 : Le changement, une aspiration partagée aux élections de l'an 2000.

A Le PS, pour un « changement dans la continuité ».

B L'AFP pour un « changement sans Diouf ».

Section 2 : Le contexte particulier de l'an 2000.

A La fatigue des sénégalais et la prégnance du changement.

B Relecture et recomposition du paysage politique sénégalais: pour une ouverture du jeu politique.

Deuxième Partie : La perception du discours politique et perspective explicative.

Chapitre 1 : Les effets de la communication politique du PS et de l'AFP.

Section 1 : Un discours aux effets réels.

A De par le jeu des alliances politiques et l'action des médias.

B De par la dimension personnelle des candidats.

Section 2 : Un impact à relativiser.

A Le rejet du discours politique.

B Le 'mal être' et 'le mal vivre' des partis politiques.

Chapitre 2 : Des limites inhérentes à la communication politique : Perspective explicative.

Section 1 : De la dynamique des « objets politiques non identifiés ».

A Le rôle des « valeurs structurantes de la tradition culturelle » et la capacité réactive

de l'individu citoyen.

B L'effritement du « ndiguel ».

Section 2 : De « La politique par le bas ».

A Médias et société civile, les « gardiens du temple » démocratique.

B Les conquêtes de la citoyenneté.

Conclusion générale

Bibliographie

Dédicaces

A toute ma famille ; A mes parents ; A tous mes frères et soeurs : chacun pour ce

qu'il est reste précieux. Fervent souhait de vous voir aller au delà de mes modestes ambitions mais surtout de trouver la voie et de donner le vrai sens à votre vie.

A Feux Estella COLY et Marie Clémence NDIAYE. A Feu Joseph Luc FAYE.

A tous ceux qui, depuis l'Immaculée Conception de Rufisque jusqu'à l'UGB, se sont évertués à faire de moi cet être plein de leur enseignement et qui leur en reste à jamais reconnaissant.

A tous les étudiants de l'UFR, en particulier à mes camarades de promotion.

A toute l'UFR : au Directeur, au PER, au PATS pour toute l'expérience partagée

et les moments vécus.

A tous les amis rencontrés à l'UGB. A tous les amis de Rufisque.

Remerciements

Monsieur Adolphe DANSOU, pour avoir bien voulu guider nos premiers pas dans

la recherche dans un constant élan de rigueur et de culte du travail bien fait. Nous retenons de lui que « le mémoire n'est pas juste une formalité pour clore le second cycle, mais bien le début de la recherche ».

Monsieur Moustapha NIASSE, Secrétaire Général de l'Alliance des Forces de

Progrès (AFP) et Monsieur Abdoulaye WILANE, Membre du Bureau Politique

du Parti Socialiste (PS) pour bien avoir voulu se prêter à nos enquêtes et interviews. Ce travail porte le sceau du réel apport de leur sollicitude.

Messieurs Alioune Badara DIOP, Antoine TINE, Abdoul Fatah NIANE et Ibrahima SILLA, enseignants à la section de science politique pour tous les conseils et échanges fructueux. Au delà de leur statut de formateurs, leur

expérience d'anciens et de pionniers nous auront humblement épargné les maladresses auxquelles nous aurions pu être exposés. En suscitant le débat, nous avons appris à leur voler un peu de leur savoir...le disciple saisit au bond toutes

les occasions d'apprendre de son maître !

A tous ceux dont, par respect pour leur humilité, nous avons été amenés à taire les noms. Ce silence n'enlève en rien leur mérite puisqu'il faut souvent se taire pour mieux être entendu.

Pas de démocratie sans communication politique

Dominique WOLTON

A cause du marketing politique, les idées ne suffisent plus pour être élu

Philippe J. MAAREK

Dans la communication, le plus compliqué n'est ni le message, ni la technique

mais le récepteur

Dominique WOLTON

INTRODUCTION GENERALE

La science politique, en étudiant le politique, n'en s'étend pas moins à la politique. Et la scène

politique nous offre des événements et des phénomènes fort intéressants pour ne pas être appréhendés et étudiés. Dans cette «autopsie» de la scène ou du jeu politique, la communication

ne saurait manquer d'être prise en compte car ce milieu, parce que politique, conserve ses réalités et principes propres qui le différencient de toute autre sphère de la société.

Cette communication propre à la sphère politique communication politique a désigné au départ, l'étude de la communication du gouvernement vers l'électorat, puis l'échange des discours politiques entre la majorité et l'opposition. Le domaine s'est ensuite élargi à l'étude du rôle des médias dans la formation de l'opinion publique, puis à l'influence des sondages sur la

vie politique. 1

Aujourd'hui, elle englobe l'étude du rôle de la communication dans la vie politique au sens large, en intégrant aussi bien les médias que les sondages, le marketing politique et la publicité

1Dominique WOLTON, Glossaire des concepts utilises voir site : www.wolton.cnrs.fr/glossaire/fr_glossaire.htm

avec un intérêt particulier pour les périodes électorales. A la limite, la communication politique désignetelle toute communication qui a pour objet la politique!

Cette définition, trop extensive, a cependant l'avantage de prendre en compte les deux grandes caractéristiques de la politique contemporaine: l'élargissement de la sphère politique et la place croissante accordée à la communication, avec le poids des médias et de l'opinion publique à travers les sondages.

La communication politique moderne ne peut plus se contenter, comme auparavant, de la

qualité littéraire des discours politiques et du brio de la rhétorique de ses énonciateurs. En effet, ainsi que le rappelle Philippe J. MAAREK « à cause du marketing politique, les idées ne suffisent plus pour être élu ». 2

En dehors de l'activité électorale, la communication politique instaure l'existence symbolique des acteurs politiques et des partis. Elle leur donne la visibilité qui leur permet d'exister dans l'espace public, et, en particulier, c'est par les stratégies de la communication politique que les partis et les acteurs collectifs de la sociabilité politique suscitent l'adhésion ou l'intérêt et engagent la permanence d'une relation médiatée aux citoyens et aux autres acteurs singuliers de

la sociabilité politique. La construction de l'identité des partis politiques s'inscrit dans trois types d'activités de communication : l'affichage et la manifestation d'une présence militante dans l'espace public (tracts, présence dans les marchés...) ; l'élaboration et la diffusion d'une presse propre, destinée aussi bien à l'usage interne (informations institutionnelles, calendrier des manifestations prévues) qu'à l'usage externe (diffusion des textes importants et des déclarations des acteurs politiques) ; l'organisation de débats, de réunions publiques et de manifestations assurant une visibilité dans l'espace public.

La communication politique, en ce sens, donne aux partis l'existence symbolique qui leur assure une place dans l'espace public, et qui rend possible la discussion publique de leurs projets et de leurs idées. C'est, enfin, sur la base de cette consistance symbolique que les partis s'engagent dans les confrontations électorales et institutionnelles qui les opposent les uns aux autres.

Or, le pouvoir n'est pas quelque chose que l'on possède, du moins, indéfiniment ; c'est une interaction. Il est généralement considéré par les politologues comme une relation entre deux

2MAAREK, Philippe J., Communication et Marketing de l'homme politique, Collection communication politique et publique, Paris, LITEC, 1992, p.1.

ou plusieurs personnes.3 Et parce qu'étant une relation, le pouvoir demeure l'enjeu majeur sinon le seul dans le combat politique qui nourrit et vivifie le jeu démocratique, un enjeu des stratégies des acteurs. Vu sous cet angle, le pouvoir doit également être légitimé, c'estàdire accepté tacitement par le peuple qui y est soumis. Alors toute stratégie est développée par les partis politiques pour séduire et s'octroyer les faveurs et le suffrage des citoyens.

Un aspect des travaux de Pierre BOURDIEU qui s'intéresse, au premier chef, à la communication politique, porte sur les discours et le champ politiques et concerne le pouvoir symbolique et leurs effets. Selon lui, la communication joue un rôle prépondérant dans le champ politique, qui comme tout autre champ, possède ses règles, épreuves et rites de passage propres, mais ce champ dépend fortement de l'extérieur; la force des agents politiques est fonction de leur capacité à mobiliser l'électorat. " La concurrence pour le pouvoir (...) s'accomplit par l'intermédiaire de la concurrence pour les profanes ou, mieux, pour le monopole du droit de parler et d'agir " au nom de la population. 4

La prééminence de la communication dans le champ politique s'explique en ce que la fonction

de mobilisation prend le pas sur la fonction d'expression des idées et des idéaux et sur la fonction de représentation. On cherche donc à faire voir et faire croire, prédire et prescrire, faire connaître et faire reconnaître.

Pour Bourdieu, si les dynamiques de pouvoir s'exercent dans tous les champs, c'est dans le

champ politique que s'établissent les catégories constitutives des oppositions sociales; " le pouvoir de représentation " qui est le propre du champ politique constitue aussi un " pouvoir de manifestation " qui " contribue à faire exister pleinement " ce qui existe à l'état tacite ou implicite, et donc à faire " surgir de nouvelles oppositions " grâce à leur apparition dans l'espace public. Il se fabrique donc à l'intérieur du champ politique " des formes de perception

et d'exposition politiques agissantes et légitimes ". 5

Aussi pour Ibrahima NDIAYE DIADJI, « parmi les champs normatifs d'action (...), les stratégies de communication auront nécessairement un rôle de plus en plus accru »6 Il ajoute que « ...Il va de soi que le parti politique qui ne sait pas comment diffuser au mieux ses

3 cf. cours de communication politique

4 Pierre Bourdieu et la communication politique : www.lasciencepolitique.com/revue/revue1/article10.htm

5 (Ibid.)

6 NDIAYE I., Etre syndicaliste aujourd'hui...Editions XAMAL, SaintLouis, 2001, p.99

opinions, ses projets, sa vision, éveille l'interrogation de ses propres militants ou sympathisants sur sa visibilité dans le champ politique ...» 7.

La forte médiatisation des campagnes électorales a fait apparaître de nouveaux éléments dans le comportement des acteurs du jeu politique. On note, en effet, une adaptation des acteurs aux nouvelles exigences médiatiques, le marketing politique fait son apparition. L'on fait même appel à de grands spécialistes du marketing politique, à l'image du PS et du candidat Abdou DIOUF, qui a accepté la proposition d'aide du français Jacques SEGUELA.

Il ressort clairement que toutes les formations en compétition se dotent de conseillers en communication et de directoires de campagne qui élaborent de véritables plans médiatiques de conquête électorale.

C'est aussi dans ce cadre du développement des technologies de l'information et de la communication (TIC), de l'essor des médias de masse et de la transformation des modes de communication des hommes politiques que s'inscrit notre étude, étude rétrospective de la campagne électorale des élections présidentielles de l'an 2000 au SENEGAL.

D'ores et déjà, ce regard a posteriori se fera au travers de quotidiens sénégalais; néanmoins, pareille approche ne devra aucunement nous contenter dans cette recherche car l'apport des quotidiens nous sera certes nécessaire et bénéfique mais pas suffisant.

Il nous faudra donc obligatoirement aller vers les partis politiques, en faisant nôtre cette formule qui veut qu' «A tout seigneur, tout honneur!»

Il demeure, cependant, qu'objet classique de la science politique, les partis politiques ont été quelque peu délaissés par la recherche depuis une vingtaine d'années. Ce désintérêt relatif est indissociable d'une recomposition des formes d'engagement et de participation politique, du déclin de la visibilité des idéologies et d'une certaine crise des modes de la représentation collective.

Les formations politiques du Sénégal n'échappent pas à cette perte de vitesse et l'on pourrait

même convenir avec Zaki LAIDI d'une « perte de sens » 8 , vu que l'échiquier politique sénégalais se trouve actuellement sujet à un bouleversement sans précédent et à une

7(Ibid. P.100)

8 LAIDI, Z., Un monde privé de sens, Editions Hachette pluriel référence, mai 2001, 330 p.

recomposition des forces politiques et des idéologies, laissant apparaître des alliances et des allégeances dont nul observateur n'aurait pu avancer le postulat.

Pour autant, les partis politiques ne sont pas morts. Si la vision idéal typique du parti de masse

a été malmenée ces dernières années, les partis, soucieux de leur survie et de leur conservation, inventent et découvrent de nouvelles pratiques et tentent de s'adapter à une société de gouvernance multi niveaux.

Dès lors, comment justifier le choix de notre étude dans le cadre précis de ce sujet ?

L'observation systématique des dispositifs de communication politique et des modèles d'interaction proposés aux populations (ou aux acteurs sociaux) peut justifier le questionnement sur la concordance réelle entre la visibilité médiatique et la lisibilité sociale ou entre le discours politique et l'expérience vécue.

Mais l'on pourrait expliquer ce choix par les particularités qu'a pu revêtir l'élection présidentielle de l'an 2000 dans l'histoire politique du Sénégal. Pour trouver réponse à ce qui aura fait la singularité de ces échéances électorales, trois axes peuvent nous aider, hormis la mémorable et historique alternance politique qui en a découlé :

D'abord, l' « essoufflement du régime socialiste » 9 . Il reste justifié par l'implosion et les querelles fratricides qui vont miner le Parti Socialiste (PS) et déboucher sur un schisme inédit avec les départs de Djibo Leity KA et de Moustapha NIASSE.

De là vont apparaître deux nouvelles formations politiques que sont, respectivement, l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD) et l'Alliance des Forces de Progrès (AFP) qui vont, pour beaucoup, contribuer à la débâcle du PS et amener pour la première fois dans l'histoire politique du Sénégal, au ballottage du candidat socialiste et à la convocation du collège électoral en vue d'un second tour aux présidentielles.

Ensuite, le nouveau visage et la recomposition du champ politique sénégalais qui en devient plus ouvert par le jeu des alliances ou coalitions et celui des nouveaux partis qui tentent de percer et de s'imposer.

9 DIOP A. B., Logiques sociales et démocratie électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et d'interprétation d'une trajectoire de crise : l'exemple de Fouta Toro (19832001) Thèse de doctorat en science politique, Université MONTESQUIEU, Bordeaux IV, IEP Bordeaux , CEAN, juillet 2002

On peut y lire une « maturité » de l'opposition politique qui fait bloc avec un seul mot d'ordre :

débouter un régime socialiste vieux de quarante ans !

Enfin, la forte aspiration des populations au changement. Ce changement s'entend tant dans un renouvellement des méthodes et pratiques politiques, que dans un renouvellement de la classe politique et plus précisément, de certains barons ou ténors, qui ont fini par lasser les citoyens.

Le « SOPI » (changement, en wolof), slogan du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) dirigé

par le candidat Abdoulaye WADE, n'aura jamais connu autant de regain d'intérêt.

Problématique

Notre étude n'aura pas pour objet le vote en tant que tel, mais sera plutôt centrée sur la communication politique de deux partis (PS et AFP) par le biais des quotidiens que sont, principalement LE SOLEIL,WALFADJRI, SUD QUOTIDIEN et LE MATIN. Ce qui n'empêchera, le cas échéant, le recours à d'autres sources médiatiques qui puissent constituer

un apport réel à notre investigation.

Cette logique adoptée nous amènera à explorer l'impact des campagnes et sorties des leaders politiques, notamment des candidats DIOUF et NIASSE, sur l'électorat sénégalais. Autrement

dit :

Quelles ont été les politiques communicationnelles initiées par les différentes formations politiques ?

Comment le PS et l'AFP ontils fait campagne en l'an 2000, dans la période officielle de campagne électorale qui constitue notre cadre de référence ?

Quel était le but de cette publicité politique ?

Comment a telle été perçue et quels ont pu en être les impacts et incidences sur l'électorat ?

Hypothèses

En se proposant d'étudier la communication politique de l'AFP et du PS dans la campagne électorale de l'an 2000 et s'inscrivant dans une dynamique d'appréciation de cette phase importante de l'évolution politique nationale, l'on pourrait partir de plusieurs schémas. Des hypothèses qui peuvent trouver crédit dans la « singularité » ,admise ou non, de cette élection. Bien singulière élection car ayant abouti à une alternance politique au sommet de l'Etat sénégalais, la première d'ailleurs issue des urnes, quarante ans après l'accession du pays à la souveraineté internationale !

On se rappelle en effet, le départ du Président Léopold Sédar SENGHOR de la tête de la magistrature suprême le 31 décembre 1980 et l'accession au pouvoir de son dauphin Abdou DIOUF qui prêtera serment dès le lendemain, 1er janvier 1981, en vertu de l'article 35 de la

constitution sénégalaise. Le président Senghor faisait modifier la Constitution pour introduire

l'article 35, en 1976, et s'assurer que le Premier ministre en fonction au moment du départ du président terminerait le mandat de ce dernier. Diouf supprimera cet article 35 après son accession au pouvoir. Il rappelle qu'en recevant Abdoulaye WADE dans les premiers mois de

sa présidence, ce dernier lui avait laissé comprendre que cet article gagnerait à être supprimé car étant « un article de fin de règne » et qu'il ne pouvait envisager d'« imposer son successeur ». Et lui de répondre que Wade avait raison.

Il s'y ajoute un fait assez nouveau au Sénégal pour manquer d'être relevé : la sollicitation par le candidat DIOUF de Jacques SEGUELA, le consultant français en marketing politique qui mena François MITTERRAND à l'Elysée en 1981 avec son slogan « LA FORCE TRANQUILLE ! ».

Le PS avait donc compris l'enjeu des cette présidentielle !

Peuton donc avancer, comme premier postulat, que les campagnes de communication de l'AFP et du PS ont eu des effets des incidences sur la cible électorale ;

Ou alors que cellesci n'auront en rien influencé les citoyens et que d'autres logiques peuvent

être invoquées car ayant pu intervenir lors des deux tours de la présidentielle de février et mars

2000.

Cadre théorique de l'analyse

Dans le cadre de cette analyse, nous nous emploierons à étudier le discours des hommes

politiques, à savoir Abdou DIOUF (PS) et Moustapha NIASSE (AFP), la politique communicationnelle de leurs partis et leurs éventuels impacts sur l'électorat sénégalais.

En période de campagne électorale, les relations avec les médias, sont de la plus haute

importance pour la politique de communication : de leur bonne qualité dépend la participation

de la presse en tant que relais d'opinion, plus ou moins volontaire, de l'action des leaders politiques et de leurs partis.

En effet, les médias participent beaucoup à l'éducation du citoyen sur la sensibilisation des

électeurs, sur les programmes d'activités des partis politiques en lice pour les élections et sur le déroulement du scrutin luimême.

Les usages politiques des médias sont une préoccupation des politiques qui recherchent un pouvoir de persuasion. La propagande est l'action exercée sur l'opinion pour l'amener à avoir certaines idées politiques et sociales, à soutenir une politique, un gouvernement, un représentant. En ce sens, la communication politique s'apparente plutôt à de l'influence. Les techniques sont celles du monde commercial, d'où le terme de « marketing politique » consistant à séduire l'électeur.

La stratégie consiste à présenter l'homme politique avec la plus grande attention, que ce soit ses manières, son allure physique, le caractère et bien d'autres images susceptibles d'influencer le vote du citoyen. En effet, rien n'est laissé au hasard, de la couleur du costume au pas à contrôler, à la coiffure et au regard, en passant par le sourire affiché et la manière de saluer les populations susceptibles de voter pour lui...

A la suite des travaux de l'Ecole de Chicago de Paul LAZARSFELD dans le cadre de l'étude

du comportement des électeurs dans le comté d'Erié, sera ton amené à la conclusion que « une personne pense politiquement comme elle est socialement » et que « les caractéristiques sociales déterminent les préférences politiques » ? ;

Ou plutôt que la communication des leaders politiques lors de ces élections aura bien été

perçue par les citoyens ?

Méthodologie de la recherche

Si nous convenons avec Norman NIE, Sydney VERBA et John PETROCIK que « le public

répond aux stimuli politiques qui lui sont offerts, (il) n'est pas déterminé uniquement par des forces psychologiques ou sociologiques, mais aussi par les problèmes du jour et par la façon dont les candidats présentent les problèmes » (NIE et ali.. The changing American Voter, Havard University Press, Cambridge, 1976, p.319), notre méthodologie consistera:

dans un premier temps, en une étape théorique, avec l'approche bibliographique qui nous renseigne sur l'état de recherche sur cette thématique de la communication politique. A cela s'ajoutent les quotidiens, articles de journaux, la documentation et les discours des candidats à des moments précis de la campagne ;

dans une seconde étape, en une phase pratique, par le biais d'entretiens et d'enquêtes sur le terrain. La première cible sera les leaders et acteurs politiques et leurs partis, qui nous intéressent dans notre étude. Nous irons aussi vers les citoyens pour recueillir les appréciations

et la perception des populations afin de juger de l'éventuel impact desdiscours sur leur

expression citoyenne ;

dans un dernier moment, en un exercice d'exploitation des données et de rédaction. Il s'agira de confronter les deux perceptions que sont celle des acteurs directs du jeu politique et celle de l'électeur.

Intérêt de l'étude

L'étude que nous nous proposons de faire s'inscrit dans une dynamique d'investissement d'un

domaine peu ou très mal connu, surtout au plan national. Nul doute que la communication politique n'en sera que mieux connue, eu égard à l'enjeu majeur qu'elle revêt dans le jeu politique. En étudiant ce phénomène par le prisme des médias, au sein du paysage politique sénégalais, notre souci ne sera pas celui du simple citoyen ou du journaliste; la vision du politologue s'inscrit bien au delà!

Investir le domaine de la communication politique, surtout au Sénégal où elle est balbutiante

(du moins dans une conception moderne, à l'image de l'exemple américain où shows et forte

médiatisation rythment les échéances électorales), nous inscrira dans une perspective prospective .Nul doute qu'au regard du fulgurant essor des TIC et de la familiarisation plus ou moins grande des citoyens avec ce qu'il est maintenant convenu d'appeler la cybercitoyenneté,

le spectacle ne fait que commencer. Alors, silence, ça tourne !

PREMIERE PARTIE

LA CONSTRUCTION

DU DISCOURS POLITIQUE DE L'AFP ET DU PS.

La communication électorale, qui regroupe l'ensemble des activités symboliques engagées dans

le cadre de l'organisation du vote, présente deux caractéristiques d'ensemble.

La première, c'est qu'elle est structurée autour de relations à des personnes. Il s'agit, en fin de compte, toujours, de présenter des candidats à des électeurs. Une telle relation, par conséquent,

va mettre en oeuvre une logique d'identification.

La deuxième caractéristique de cette communication, c'est qu'elle structure le temps politique :

la vie politique est scandée par le retour régulier d'échéances électorales, d'abord parce que les assemblées et les pouvoirs se renouvellent régulièrement, ensuite parce que, le chevauchement

de la durée des mandats organisant des cycles qui ne se correspondent pas, l'activité électorale

est une activité pratiquement continue et, de ce fait, la communication électorale occupe l'espace public de façon ininterrompue. La communication électorale joue, par conséquent, un rôle important dans la communication politique. Elle constitue, à la fois par la régularité de son retour et par la personnalisation de ses enjeux, une médiation structurante de la sociabilité politique.

Avec l'élection présidentielle des 21 février et 19 mars 2000, les hommes politiques sénégalais sont, peutêtre sans s'en rendre compte, entrés dans l'ère de la campagne électorale personnalisée. Une campagne où l'idéologie et le programme politicoéconomique sont relégués en arrière plan au profit de la politique spectacle (les temps d'antenne étaient d'ailleurs

de grandes occasions de franche rigolade pour les téléspectateurs). Dans cette formule inventée par les « communicants » Nordaméricains, seule compte l'image, la bonne image du candidat.

Le marketing politique adopte désormais les mêmes outils que la publicité. Il faut de l'argent et surtout des idées originales pour remporter une élection. L'électeur est désormais considéré comme un simple consommateur et la démocratie est devenue un vaste marché fort lucratif. Il

nous faut bien sûr relativiser car aussi bien Diouf que Niasse n'avaient les énormes et impressionnants moyens déployés par les puissants partis américains.

Si l'interprétation du discours politique consiste à faire apparaître le réel dont il se soutient, l'interprétation politique des actes et des stratégies des acteurs sociaux consiste à faire apparaître l'articulation qu'ils proposent entre le réel et le symbolique.

Ainsi, avec l'importance grandissante qu'a prise l'information audiovisuelle dans la communication politique, les gestes les plus insignifiants des hommes politiques ou leurs

"petites phrases" ont fini par prendre une consistance importante, en ce qu'ils sont toujours

articulés à leurs orientations, à leurs pratiques, à leurs choix et, de façon générale, à leur activité institutionnelle. La communication politique articule les discours des acteurs à leurs stratégies, pour construire leur signification et la faire apparaître dans l'information qu'elle diffuse.

Mais élaborer des stratégies politiques, c'est justement donner aux actes et aux décisions eux

mêmes, en dehors de leur effet sur le réel et sur les situations, une dimension symbolique qui

les rend interprétables. L'essor récent de la communication politique est lié au développement

de l'audiovisuel et, par conséquent, à la visibilité du politique par l'image, qui lui donne la consistance d'un spectacle, ce qui, d'ailleurs, ne fait que prolonger une situation ancienne qui, auparavant, n'était pas liée à l'audiovisuel mais à l'image ou, plus simplement à l'existence de foules entières qui venaient assister au spectacle. Mais cette importance de la visibilité du geste dans la communication politique tient, justement, au fait qu'elle met en évidence la relation nécessaire entre l'acte et l'interprétation politique que l'on peut lui donner.

Le combat NIASSE DIOUF étant celui d'un parti d'opposition face à celui au pouvoir, le discours apparaîtra, sans conteste, antagonique et ce, à l'épreuve de la campagne (chapitre premier).

Les réalités et les particularités de ce scrutin présidentiel de l'an 2000 au Sénégal, appartiennent à un contexte bien spécifique. Se pose alors l'alchimie des circonstances, de lieu, de temps et de personnes (chapitre second).

CHAPITRE PREMIER:

LE DISCOURS POLITIQUE A L'EPREUVE DE LA CAMPAGNE:

UN DISCOURS SANS CONTESTE ANTAGONIQUE.

Tenter de voir la construction du discours politique des deux partis que sont l'AFP et le PS, ne peut se concevoir que dans le cadre de la campagne électorale, tant au premier qu'au second tour. La campagne électorale se définit comme les activités que les candidats et leurs partis sont autorisés à entreprendre dans le but de solliciter des votes. En effet, la campagne électorale, c'est la lutte pas seulement pour l'électeur mais aussi la lutte contre l'influence des adversaires

sur l'électeur.

Il demeure aussi que le problème des stratégies de communication des partis politiques est celui

de faire parvenir leurs idées, leurs messages aux électeurs. Ce problème est résolu par la voie

de la publicité extérieure : affiches, grands écrans publicitaires, tracs, plaquettes, moyens d'information de masse. Voilà pourquoi les grandes directions du travail sur les moyens d'information de masse sont devenues la création d'évènements capables d'attirer l'intérêt du public et la recherche de liens accrus avec les journalistes.

Les approches de communication habituellement choisies ont été les discours politiques, les rencontres avec la population, les meetings. Etant donné que ce genre d'actions deviennent rapidement routinières et banales durant la campagne électorale, les partis politiques et leurs consultants ont été amenés à imaginer, en plus de ces approches traditionnelles, des évènements plus inattendus : visites inopinées, déclarations fracassantes ou scandaleuses. Ce sont particulièrement les politiques peu connus qui ont tendance à recourir à des déclarations scandaleuses afin d'acquérir un peu plus de notoriété. Logiquement, les hommes politiques du

gouvernement n'ont pas besoin de mettre en oeuvre de telles stratégies puisqu'ils font l'objet d'une attention permanente de la part des journalistes.

La présidentielle de l'an 2000 aura été, à bien des égards, un scrutin à enjeu majeur, de par ses particularités qui lui conféreront un caractère singulier. Ainsi que nous le notions plus haut, la singularité de cette élection tient à plus ou moins trois facteurs :

l'essoufflement du régime socialiste, au regard de l'implosion et des querelles fratricides qui vont apparaître et diviser le PS. Pour la première fois, l'héritage politique senghorien ne fait plus l'unanimité au sein même de ses propres rangs. Vérité confirmée par le départ de Djibo KA et de Moustapha NIASSE.

le regroupement des forces de l'opposition que l'on va assimiler à un `bloc historique'... rarement dans les annales politiques du pays, pareille coalition n'aura été notée, surtout, avec autant d'idéologies que tout sépare .Ce regroupement des principaux opposants sous la même bannière, qui n'aura pas été facile à mettre sur pied, constitue donc un signal fort et un signe plus ou moins avéré de la maturité politique d'une opposition dont le but avoué reste le même : mettre fin au long règne du PS !

la forte aspiration au changement des populations au point même que le « SOPI », slogan du candidat WADE l'opposant le plus connu pour avoir été de tous les scrutins depuis 1974, contre SENGHOR et son successeur Abdou DIOUF , n'aura jamais suscité autant d'intérêt et d'appropriation totale des citoyens. L'heure n'était plus désormais, au fatalisme et à l'abandon entre les mains d'un régime en crise et en proie à toutes sortes de critiques.

Ces enjeux du scrutin présidentiel de l'an 2000, vont donc créer le cadre d'une communication

électorale sans commune mesure. En effet, tout parti politique aspire naturellement au pouvoir

et à l'exercer. Ce qui va militer en faveur d'une âpre compétition politique 'à qui communique

le mieux !' Mais les logiques ne seront pas les mêmes suivant le camp auquel on appartient.

Pour le PS, parti au pouvoir et candidat à sa propre succession après quarante années au pouvoir (depuis le BDS, en passant par l'UPS et dernièrement le PS), l'objectif est de le conserver ; ce qui est naturel pour tout parti politique !

Pour l'AFP, par contre, le combat est tout autre. L'objectif de la formation de Moustapha

NIASSE, qui vient de quitter le PS, est de faire advenir une alternance au sommet de l'Etat ;

alternance qui implique l'éviction d'Abdou DIOUF d'avec qui le divorce est consommé.

Les objectifs étant fixés pour chaque formation politique; les candidats socialiste et progressiste croisant le fer, les stratégies de campagne vont différer.

Pour le PS et le candidat Abdou DIOUF, s'engage le combat de la réhabilitation (section 1)

au moment où l'AFP et son leader Moustapha NIASSE, pour ce scrutin qui fait office de

'baptême de feu', se trouvent face au dilemme progressiste (section 2).

Cette étude sera principalement campée sur la campagne en vue du premier tour.

SECTION 1

LE PS FACE AU COMBAT DE LA REHABILITATION.

Avancer pareil postulat qui mette le PS face au combat de la réhabilitation, ne saurait prospérer que lorsqu'on établit l'effectivité d'une situation ou d'un contexte qui convainque d'une rupture

du 'contrat social' sénégalais. L'on s'accorde néanmoins à admettre que beaucoup de facteurs y

concourent et tendent à confirmer cette situation de rupture.

En effet, la présidentielle de l'an 2000 va apparaître très délicate pour le régime socialiste et son candidat, Abdou DIOUF, qui sollicite à nouveau le suffrage de ses concitoyens pour la magistrature suprême. Le fait que ce scrutin soit estampillé 'à haut risque' pour le PS, s'explique par une impression généralisée de 'rupture du contrat social' entre le peuple sénégalais et le régime, qui s'accompagne d'une frustration plus ou moins globale et une forte tension sociale. L'Etat en est même perçu comme le « démiurge du développement » 10.

Et « le contrat social » s'est progressivement brisé, surtout après les émeutes postélectorales

de 198811 ; le pays est devenu relativement fermé à l'alternance et bloqué par un « système du parti hégémonique » et par un « corporatisme d'Etat ». L'essor démocratique a été comme paralysé par ce système centralisateur.

10 DIOUF M., Le clientélisme, la technocratie et après ? in DIOP Momar Coumba (dir.), Sénégal Trajectoires d'un Etat, Dakar, CODESRIA, Paris, Karthala, 1992, pp.233278

11 DIOP Momar Coumba (dir.), Sénégal Trajectoires d'un Etat, Dakar, CODESRIA, Paris, Karthala, 1992

En effet, depuis les événements et la tension qui avaient succédé au scrutin présidentiel de 1988

(que l'opposition et plus particulièrement, le leader du PDS estimaient avoir remporté et qui leur aurait été confisqué par le PS), jamais l'atmosphère n'aura été aussi tendu entre un pouvoir socialiste et une opposition résolue à faire advenir l'alternance. Pour ce scrutin de l'an 2000, le pire était à craindre et les médias, à l'instar du Nouvel Horizon, n'hésitent pas à titrer sur ce mois de « Février 2000 et le syndrome ivoirien : APOCALYPSE NOW ».12 .

Cette démocratie sénégalaise suscite, en effet, beaucoup de débats : le régime sénégalais a souvent été présenté comme une « semi démocratie » 13 ou une « quasidémocratie » et une démocratie sans alternance, offrant un mélange de pluralisme et d'autoritarisme.

L'absence d'alternance a été considérée pendant longtemps comme le problème majeur de la

démocratisation au Sénégal.

L'installation de structures pluralistes n'aura pas réduit à néant la persistance de dynamiques hégémoniques. 14 .

Malgré tout, le PS et son candidat n'en demeurent pas moins résolus à briguer, de nouveau, le

suffrage des sénégalais. En se présentant à nouveau devant le collège électoral et en se prêtant

au regard critique des citoyens par l'appréciation qui aurait pu être faite de son bilan, le candidat Abdou DIOUF va impressionner par sa détermination et surtout sa sérénité. Du moins pour le premier tour qui a lieu le 27 février 2000 !

Ce combat pour la réhabilitation que mène le PS aux côtés de son candidat, s'arrime à un impératif majeur pour Abdou DIOUF à savoir regagner la confiance des sénégalais, confiance qui serait matérialisée par sa réélection à la magistrature suprême. Cette invite à une revalidation du 'contrat social' par le biais d'un nouveau mandat (A), va néanmoins être fondée sur un nouveau 'contrat' ; le Pacte de Solidarité et de Croissance (B).

Pour une revalidation du 'contrat social'

12 Nouvel Horizon numéro 205 du 21 janvier 2000

13 COULON, Christian. « Senegal : the development and fragility of semidemocracy », in Diamond, Larry, Linz, Juan José, Lipset, Seymour Martin (eds.), Democracy in developing countries, vol. II : Africa, London, Adamantine Press Limited ; Boulder, Colo. : Lynne Rienner Publishers, 1988, pp. 141171 ; trad. Française par Brigitte Delorme et Bernard Vincent, in Les pays en développement et l'Expérience de la Démocratie, Paris : Nouveaux Horizons, 1993, pp. 603654

14 TINE A., Elites politiques et démocratisation au Sénégal. Pour une lecture néomachiavélienne, AISA African Institute of South Africa, Pretoria, 13

14 décembre 2004

L'élection présidentielle du 27 février 2000 aura constitué sans nul doute pour Abdou DIOUF, l'échéance la plus importante de sa longue carrière politique : les enjeux qui s'y attachent sont nombreux mais aussi, tout laisse présager que, pour le candidat socialiste, rien ne sera plus comme avant. En effet, à bien des égards, les libertés individuelles semblent restreintes pour beaucoup de ses concitoyens, si elles ne sont pas simplement confisquées par un pouvoir jugé autoritaire et très souvent porté à la répression de tout mouvement d'humeur. L'on assiste également à un réquisitoire accablant de l'économie et du social ; il s'y ajoute que l'absence d'alternance s'apprécie comme une souillure tenace.

Il demeure aussi indéniable que la dégradation de la réalité quotidienne des populations a évolué en spirale de 1981 à 2000. Il est intéressant de relever le caractère quasi paternaliste, en tout cas possessif, de la gestion du système politique sénégalais. Et parce que DIOUF aura voulu construire sa propre démocratie jusqu'au bout, selon sa cadence, les travers de ce système

lui sont fatalement imputables en l'an 2000.

Entre les intentions louables de 1981 et les faits accablants et les manquements constatés à la veille du scrutin présidentiel, un mandat de clarification et de réhabilitation est vital pour le régime socialiste et son candidat. Il lui suffit juste d'un « nouveau mandat pour un avenir rose ».15.

Et la seule alternative qui s'offre à Abdou DIOUF, est un ultime mandat, celui du 'quitte ou double', comme pour lancer au peuple sénégalais : « j'ai accompli ma part de labeur, je quitte

la conscience tranquille en espérant que cette oeuvre sera poursuivie ». Ainsi, celui qui, au démarrage de la campagne électorale, disait ne pas connaître « l'usure du pouvoir », demandera

au peuple de lui donner « un nouveau mandat pour un avenir rose ».

Mais le candidat socialiste de l'an 2000, n'a rien à voir avec le Diouf du début des années 80, qui aura su conjuguer boubou et technocratie, et naviguer, tant bien que mal, à la barre du remuant 'sunugal' (notre pirogue), entre les strictes consignes du FMI et les aléas d'une conjoncture économique et sociale de plus en plus difficile. Désigné candidat officiel du Parti socialiste, Abdou Diouf ne semble donc pas réellement avoir pleinement mesuré la lassitude des Sénégalais. En place depuis 1981, mais dans les rouages du pouvoir depuis 1960 il était

15 Quotidien Le Matin du mardi 8 février 2000

alors adjoint au Secrétaire général du gouvernement Abdou Diouf n'est visiblement plus le président dont rêve une bonne partie des électeurs, et cela, toutes classes sociales confondues. Cette situation aura constitué la charge la plus accablante qui pèse sur les épaules du candidat socialiste, en course pour un nouveau mandat, son dernier sans doute.

Que lui reprocheton ?

A titre personnel, peu de choses si ce n'est qu'il « appartient davantage au passé qu'au futur ». Durant vingt années de présidence, les changements importants réalisés dans le pays ne sautent pas aux yeux de beaucoup de sénégalais. Les infrastructures demeurent obsolètes, le pouvoir politique fonctionne selon les bonnes vieilles méthodes de clientélisme et de cooptation, et malgré des indicateurs économiques orientés au vert, rares sont les Sénégalais à véritablement profiter de la soidisant croissance de l'économie.

Face à cette situation délicate et, sans doute, inédite pour le camp socialiste qui voit le 'contrat social' sénégalais à l'épreuve16, la 'revalidation' de ce pacte n'aura pas de prix. Et dans ce combat, qui n'est sans doute pas gagné d'avance, le PS et son candidat affichent une grande sérénité et une parfaite assurance; attitude qui laissera toujours subsister des doutes même dans le camp de l'opposition pour ce qui était d'une éventuelle éviction du régime socialiste, ancré au pouvoir depuis 40 ans.

S'engagent alors une exceptionnelle politique de communication et surtout une minutieuse conquête électorale, orchestrée par un large directoire de campagne auquel s'adjoint le communicateur politique français, Jacques SEGUELA. Celui que l'on appellera le 'gourou français' foule le sol sénégalais, auréolé d'une longue liste de succès électoraux : du socialiste français Mitterrand en 1981 au président camerounais Paul Biya en 1992 en passant par le syndicaliste Lech Walesa et le travailliste israélien Ehud Barak en 1999. On le comprend donc, dès lors : l'enjeu est de taille ! Il s'agit de convaincre le plus grand nombre d'électeurs, à coup d'affiches géantes, de déclarations fracassantes, de méga meetings et de petites phrases assassines, au moment où le désintérêt des Sénégalais envers la chose politique était manifeste. Les stratégies développées de part et d'autre étaient différentes.

En effet, l'équipe du Directoire pour la Campagne d'Abdou Diouf comprend 94 membres dont

le directeur de campagne luimême, Ousmane Tanor Dieng, que le candidat socialiste avait

16 O'BRIEN D. C., Sénégal : la démocratie à l'épreuve in Revue Politique Africaine numéro 45 de Mars 1992, p.9

chargé, le 16 novembre 1999, de lui proposer les structures et les hommes qui l'assisteraient durant la cruciale dernière ligne droite de l'élection présidentielle. La taille du directoire national et sa composition témoignent d'une volonté évidente de large ouverture et de rassemblement qu'explique le souci de créer les conditions optimales d'une mobilisation électorale à la mesure de l'objectif de réélection du président Abdou Diouf, dès le premier tour.

En raison du caractère exceptionnel de l'échéance de février, le directoire national ne peut être

comparé aux précédents.

Dans les rangs du PS, on appréhende donc le réel enjeu du scrutin présidentiel « Nous savons que sur les 2.800.000 inscrits sur les listes électorales, il nous faudra mobiliser la moitié des suffrages exprimés lors du scrutin de février 2000 pour faire gagner notre candidat au premier tour ! »

Les partisans de Diouf misent aussi sur l'apparente sérénité de leur candidat qui se présente comme « ...cet hommelà, trempé aux grandes expériences qui ont fait l'histoire de l'Afrique et

du Sénégal indépendants (...) ayant l'honneur d'en être le porteur sur l'échiquier national »

et qui «...l'offre à la nation comme protocole d'encadrement de ses mutations au XXIième

siècle. »

Chaque camp avait élaboré sa tactique selon le tempérament de son candidat.

De par son expérience que nul ne peut lui contester, Diouf s'est imposé comme un homme du sérail; gouverneur de région dès l'âge de 25 ans, il a toujours été aux premières loges et aux premiers rôles dans le système qu'il a fini par diriger.

C'est cette logique qui, certainement, poussa Jacques Séguéla, à faire confectionner des posters électoraux où le président sortant apparaissait sous le manteau de la sagesse dans un sobre costume, comme pour dire aux électeurs sénégalais : « Cet homme incarne la prudence, ne choisissez pas l'aventure ! ». Et puis, en mettant l'accent sur la notion du changement

Ensemble, changeons le Sénégal», lisaiton sur une des affiches du Parti Socialiste), Diouf et

les siens voulaient sans doute "recycler" la bonne vieille recette de Wade et la présenter aux

électeurs sous des habits neufs.

La tâche sera néanmoins très rude et périlleuse pour Abdou DIOUF qui, au delà de la délicate situation dans laquelle il se trouve face au jugement des électeurs sénégalais, croise le fer avec une opposition à nouveau visage et que les dissidents (Djibo KA et Moustapha NIASSE) sont venus renforcer.

Le PS n'en affiche pas moins sérénité et conviction. Il s'affiche aussi en bon acteur du jeu politique. Pour Khalifa Sall, Chargé des élections au PS, le défi posé aux socialistes se résume

en un objectif et « Dans tous les cas, le PS souhaite des élections sincères, démocratiques et

apaisées car étant le parti le plus fort, le mieux organisé et son candidat le favori indiscutable ». Toutes raisons qui lui font dire que sa formation n'a nullement intérêt à un scrutin perturbé.

Même dans une situation trouble et délicate pour un parti au pouvoir, les socialistes, à l'image

du premier secrétaire du PS, estiment avoir un seul but, celui de la victoire de leur candidat et ce, dès le premier tour du scrutin.17.

Cette grande confiance va même faire estimer le score de la victoire à un taux de 60% des éventuels suffrages, avant de le ramener à 51%. Et déjà, six mois avant la convocation du collège électoral sénégalais, Abdou DIOUF conviait la presse nationale et internationale à une conférence au Palais Présidentiel. Lorsque les premières questions fusent, l'avertissement qui

s'y attache ne semble pas perturber ou inquiéter le Président, futur candidat, qui dit ne pas craindre de perdre la présidentielle de février 2000.

« Je ne suis pas pessimiste pour les élections de l'an 2000. Je vous l'ai déjà dit, mais nous sommes tous des croyants. Ce que Dieu décidera, c'est ce qui se fera par l'intermédiaire des voix du peuple sénégalais. Mais avec ma limitation d'homme, d'humain, et en regardant les données du problème, je n'ai pas les craintes que vous exprimez ».

Le candidat socialiste annonce plutôt, « la chronique de la défaite de l'opposition »18 .

Diouf s'est donc voulu prêt pour la revalidation du 'contrat social sénégalais'.

Tout part, en effet, du congrès d'investiture du samedi 18 décembre 1999. Ce congrès d'investiture du Parti Socialiste, a eu pour thème : "Ensemble changeons le Sénégal !". Le candidat DIOUF avouera solennellement, lors du congrès : « J'ai accepté avec enthousiasme et honneur votre investiture pour l'élection présidentielle du 27 février 2000. Je serai donc le candidat des paysans, des pasteurs, des éleveurs, des pêcheurs, le candidat des jeunes, des moins jeunes, des femmes et des travailleurs de notre pays ». Ce discours bien mûri et qui est,

du reste, graduel, s'inscrit dans un souci de reconquête d'un électorat et d'un peuple désabusé

et fortement incertain quant à son avenir.

17 Quotidien Le Soleil du samedi 12 février 2000

18 Quotidien Le Matin du Mercredi 23 février 2000

Notons aussi que malgré toutes les turbulences que connaît le parti en ce moment précis de son

évolution et comme pour narguer les dissidents et ceux qui ont préféré quitter le PS ( Djibo KA

et Moustapha NIASSE ), le Président Diouf va adresser ses félicitations au Premier secrétaire

et à l'équipe « dynamique » du Bureau politique, avec « une mention particulière » à Ousmane

Tanor Dieng, « homme de courage et de foi, de loyauté, de fidélité et de conviction qui allie à

la perfection, sens des responsabilités et détermination, sûreté du jugement et équilibre, humilité et culte de l'unité ».

Les ombres des dissidents que sont Djibo Leity KA et Moustapha NIASSE, auront plané sur cette rencontre majeure des socialistes. Le premier créera son propre parti, l'URD (Union pour le Renouveau Démocratique) en juillet 1998 ; le second en fera de même, un an après avec l'apparition sur l'échiquier politique sénégalais de l'AFP (Alliance des Forces de Progrès) créée

en juillet 1999.

Les militants du PS ne se privent pas aussi de lancer des propos à l'endroit de toute l'opposition, tant celle nouvelle à l'instar de l'AFP, Alliance des Forces de Progrès de Moustapha NIASSE (« l'Amicale des frustrés prétentieux » Afp) que celle traditionnelle et incarnée par le PDS, Parti Démocratique Sénégalais de Abdoulaye WADE (« Parti au dirigeant sénile Pds »). Ces propos de militants feront comprendre qu' « On apprendra surtout que le Parti socialiste qui a bénéficié de toute la bénédiction de toutes les grandes familles religieuses

de ce pays, dès sa création, est assis sur des bases bétonnées que des marchands d'illusions ne

pourront jamais ébranler ».

Ainsi, au besoin de transparence émis par l'opposition et plus particulièrement par le dissident Moustapha NIASSE, Me Mbaye Jacques DIOP le Députémaire de Rufisque et haut responsable socialiste, déclare que le PS n'a pas besoin de tricher pour gagner19 .

Mais le candidat socialiste invitera ses militants à combattre sur un autre registre, pour la victoire et sa réélection. Pendant sa campagne électorale, il se dit ne jamais parler de ses adversaires ou les attaquer et qu'il ne répond à aucune attaque. Il considère devoir ne parler qu'à son peuple et il ne s'adresse qu'à lui. Abdou Diouf, le candidat du Parti socialiste, affirmera en ce sens : « Si l'on m'attend sur le terrain de l'invective, de l'injure et des attaques personnelles, on ne m'y trouvera jamais ».

19 Quotidien Le Matin du vendredi 14 janvier 2000, p.5

Ces propos sonneront tel un avertissement et un appel à la retenue plus à l'endroit de ses propres militants qu'à l'encontre de l'opposition politique résolue à le détrôner. Et lorsqu'il se rend à SaintLouis, ancienne capitale du pays et de l'AOF, le candidat Diouf donne des consignes aux militants socialistes, leur demandant de ne pas répondre aux provocations de ceux qui veulent « mettre du sable dans le bol de riz »20 .Quelques jours auparavant, dans la banlieue dakaroise, il invitait les populations de Pikine à voter « dans le calme et la discipline, sans répondre à l a provocation »21.

Prospectif à souhait, le discours programme du candidat socialiste aux élections de l'an 2000 a rassuré ceux qui voulaient l'être, réconforté plus d'un militant car Abdou Diouf sera "le candidat du changement dans la préservation de nos acquis" et va proposer au peuple sénégalais "le nouvel élan" lui permettant de franchir encore une fois des étapes importantes pour son développement économique et social.

Face aux sénégalais, Diouf est donc présenté comme 'le candidat du changement'. Cet objectif qu'ils se sont résolument assigné, les militants et sympathisants du PS le fondent sur un jugement sûr, l'opinion excellente qu'ils ont du Président Abdou Diouf.

A leurs yeux, celuici est un homme bien et de bien sur tout rapport. Il a épuisé le catalogue des qualificatifs non pas dithyrambiques mais porteurs de vérité profonde et restituant au mieux le personnage, l'homme d'Etat qu'il est. Il incarne parfaitement, pour eux, les vertus et valeurs cardinales de la société, de leur culture : le don de soi, la tolérance, le sens du partage et de la solidarité, celui de l'équité et de la justice, toute chose qui participe d'une générosité d'esprit et

de coeur et dont sa gouvernance est totalement imprégnée. Cette confiance apparente fera beaucoup penser à « Abdou, l'énergie sereine », le slogan des affiches électorales du chef de file du PS en 1988.

On le voyait alors poser, le costume croisé, strictement boutonné, sur fond de « Sénégal de demain », entre champs irrigués, usines modèles et ponts suspendus. Un slogan qui valait bien cette « force tranquille » de François MITTERRAND aidé en cela par Jacques SEGUELA, et qui permit à Diouf d'être réélu avec 73% des suffrages 22 .

20 Quotidien Le Soleil du mercredi 16 février 2000

21 Quotidien Info 7 du samedi 12 février 2000

22 SAGLIO C., SENEGAL, éditions SEUIL, collection points planète, 1980 et 1990, p.70

Néanmoins, la communication politique du PS ne se limite pas qu'à celle du leader et du candidat Diouf ; le parti communique aussi, de même que certains responsables situés à des sphères de responsabilité qui ne manquent pas de les conduire à la prise de parole. Ainsi, dans certains débats pour lesquels le président candidat ne peut ni ne doit se faire entendre de peur d'éventuels effets pervers, la parole est aux autres, qui ne vont servir que de fusibles pour mettre le chef du parti à l'aise. En effet, loin de se trouver face au seul défi de la réélection d'Abdou DIOUF, son parti doit se méfier de l'opposition qui le défie et lui conteste toute légitimité sur les populations. Le 'vide' interne et le sursaut que créent l'URD de Djibo KA et l'AFP de Moustapha NIASSE, ne sont pas rassurants pour les 'dioufistes'. Une politique du

'diviser pour mieux régner' va ainsi jaillir avec certaines sorties médiatiques bien calculées et

que les organes de presse se feront le devoir de distiller.

Et lorsque la formation de Moustapha NIASSE se retrouve pour son congrès d'investiture à Kaolack le 15 janvier 2000, dans le camp socialiste régional, on minimise ce que Souleynane Thiam, envoyé spécial de l'hebdomadaire Nouvel Horizon appelle la « première démonstration

de force réussie ». Le Maire socialiste de la cité se dit ne pas être inquiet pour un congrès qui le laisse froid, lui qui appartient à un « grand parti » et dit en avoir vu d'autres. 23

Dans une interview qu'il accorde à un quotidien national, Abdourahim AGNE, Porteparole du PS, tente la diversion en déclarant que « Moustapha NIASSE n'a d'autre ambition que de coiffer Djibo KA au poteau. »24.

On peut y lire que le PS a, à un certain moment, craint une forte percée des dissidents issus de ses rangs et celle de l'AFP notamment, à tel point de voir le porte parole du PS en arriver même à envisager que le leader progressiste devance le libéral Abdoulaye WADE à l'élection et

s'impose comme la seconde force politique.

Et contrairement à ce que beaucoup d'observateurs ont pu être amenés à croire ou penser, les promesses du candidat Diouf ne seront pas apparues qu'au second tour. Les exemples le prouvent aisément.

A Louga, dans le département de Linguère, les responsables de son parti lui promettent de le réélire et de reconquérir le terrain perdu aux dernières élections législatives, face au dissident socialiste, Djibo KA.

23 Hebdomadaire Nouvel Horizon numéro 205 du 21 janvier pp. 16 et 17

24 Quotidien Le Matin du mercredi 26 janvier 2000, pp.810

Cet accueil fera dire à Abdou DIOUF que le département de « Linguère sera le bastion imprenable du PS »25. Dans le Fouta, où l'on est habitué à voter socialiste, Diouf promet aux populations de développer l'agriculture, l'élevage ainsi que de relever le taux d'alphabétisme26.

A la Bourse du Travail où il se rend pour rencontrer les travailleurs affiliés à la CNTS

(Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal), le candidat socialiste endossera les revendications des travailleurs notamment par les promesses d'une prochaine création de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM), la réinsertion des diplômés en Arabe et celle des militaires libérés27 . La banlieue dakaroise, qui reste confinée au rôle de dortoir reçoit à son tour le leader socialiste qui promet une enveloppe de 45 milliards pour l'assainissement de Rufisque, le Port minéralier de Bargny et « faire de Pikine une ville aussi belle que Dakar ». Les populations qui perçoivent dans ce message ce qu'elles voulaient entendre, disent à cet effet à Diouf qu'elles l'aiment et l'ont déjà choisi avant le jour `J'28.

Le combat de Diouf pour la réhabilitation va donner naissance à un duel à distance entre les deux chefs de partis qui ne ratent pas le rendezvous des médias. Les déclarations fracassantes

et à forte résonance ou impact ne cesseront de barrer la une de quotidiens sénégalais. Au fur et

à mesure que les étatsmajors approchent du « d » day et de l'heure fatidique du scrutin, le verbe se fait plus virulent et chaque camp, sûr de ses assises, marque son terrain. Rien en effet

ne doit laisser apparaître la cession de quelque parcelle que ce soit dans son rayonnement

politique. Entre Abdou DIOUF et Moustapha NIASSE, le combat ne manque pas d'être empreint d'idéologie et lorsque depuis Touba, capitale du Mouridisme, le successeur de Senghor (grand ami de Serigne Abdoul Ahat MBACKE) avoue ouvertement que le président poète avait prédit qu'il serait son successeur ; le leader de l'AFP lui rappelle depuis Mbour et Joal la ville natale de Senghor que ce dernier « appartient à ceux qui ne l'ont jamais trahi ».

Ces déclarations montrent, à bien des égards, que le divorce était définitivement consommé et que les dès étaient déjà jetés. Puisqu'il sollicite un nouveau mandat, Abdou DIOUF réservera son ardeur et son énergie à la conception et à la matérialisation d'idées fortes et fécondes afin

de conduire les changements nécessaires et indispensables en vue d'un avenir meilleur pour un

25 Quotidiens Le Populaire et Wal Fadjri du jeudi 17 février 2000

26 Quotidien Le Soleil 15 février 2000

27 Quotidien Wal Fadjri du 15 février 2000

28 Quotidien Le Soleil du samedi 12 et dimanche 13 février 2000

Sénégal qu'il veut, réconcilié avec luimême .Abdou Diouf, parce qu'il est condamné, veut rendre l'espérance à la nation, notamment à cette jeunesse sénégalaise, vaillante et imaginative.

Mais surtout le candidat du Ps et du changement aura laissé transparaître cet immense et profond désir qui l'habite de voir « le jeu politique au Sénégal totalement et définitivement pacifié afin que nous accédions tous ensemble à une démocratie adulte ».

Pour revalider le « contrat social » sénégalais, le candidat socialiste fera appel à un nouveau

'pacte' pour la reconquête des faveurs d'une opinion et d'un électorat tourné vers le changement avec le Pacte de Solidarité et de Croissance.

B Par le Pacte de Solidarité et de Croissance.

Quoique investi avec faste et engagement par sa propre famille politique, les Socialistes, Abdou Diouf à dire vrai, veut se révéler tout simplement le candidat de la nation, parce que se considérant celui des jeunes, des femmes et des personnes du 3è âge, celui des pasteurs, paysans et pêcheurs, celui des artisans et chefs d'entreprise, celui des cadres du Privé ou du Public, celui des intellectuels et universitaires, celui des artistes et des sportifs, celui des chefs religieux ou coutumiers. En un mot, celui d'une nation reconnaissante à laquelle il rappelle depuis Vélingara qu' « il ne faut pas désespérer » 29 puisqu'il est parvenu à créer 47.000 emplois par an. Pour reconquérir l'électorat avec lequel le fil semble très fortement rompu, le candidat socialiste ne manque pas de proposer un nouveau pacte, comme pour repartir sur de nouvelles bases et laisser entendre que tout ne sera plus comme avant. Et Diouf déroule ses projets afin

de faire advenir « un avenir en rose ». A l'image du congrès d'investiture qui lui fait confiance

en tant que candidat du parti, le leitmotiv reste le changement. Ainsi, le Pacte de Solidarité et de

Croissance qui peut apparaître comme une nouvelle charte va permettre de renouer le dialogue.

Le Pacte se veut oeuvrer pour « une société plus prospère », « plus solidaire » mais qui soit « plus humaine ». Ce triptyque devait déjà apparaître lors d'une des conférences de presse que le président accorda aux journalistes, dans le cadre des rencontres périodiques initiées par

le régime.

Dans ce faceàface avec les vecteurs de la communication politique, le futur candidat socialiste se dira être devant trois interrogations majeures :

29 Quotidien Le Matin du 8 février 2000

Comment consolider les bases du développement économique et social dans un contexte de mondialisation dominé par des règles et des normes de compétition de plus en plus dures ?

Quels moyens mettre en oeuvre pour satisfaire la demande sociale, combattre avec efficacité et résolution la pauvreté, le chômage, celui des jeunes notamment, le sousemploi et toutes ces formes de précarité qui sont autant de défis lancés à la dignité humaine ?

Comment conforter les fondements d'une démocratie sénégalaise qui intègre harmonieusement la tolérance, le consensus, le respect de l'adversaire et la responsabilité dans

le cadre d'un Etat de droit, garant des institutions républicaines, de l'unité nationale et des

libertés individuelles et collectives ?

Aussi considère til, qu'au regard de ces trois impératifs majeurs auxquels il doit trouver réponses et solutions, « il n'y a aucun sacrifice qui ne puisse être consenti à cette fin ». Lorsqu'il se fixe comme objectif de « réaliser une croissance forte et durable comme levier principal pour vaincre la pauvreté et développer l'emploi », Diouf rappelle qu'il s'agira de ne ménager aucun effort pour que le pays se présente dans les conditions de réussir son entrée dans le 3ème millénaire.

Le discours reste donc résolu et ferme et le premier des sénégalais assume en avouant que

« malgré le poids des contraintes internes et externes, nous avons gardé le cap ! ».

Le nouveau pacte à sceller porte ainsi le sceau du changement en une année phare et très importante dans la mémoire collective sénégalaise. L'an 2000 avait été prédit comme an de prospérité et de développement par un discours imaginé du président Senghor. Même le répertoire culturel et musical sénégalais avait intégré cette vision de l'an 2000 `atum natange'. Pour le PS, l'ambition du changement s'impose à l'orée du 3ème millénaire « parce que le monde lui même s'est substantiellement renouvelé et le sera davantage encore au siècle prochain ».

On le voit néanmoins, la conception du changement diffère suivant le camp dans lequel on se trouve. La conception que l'on s'en fait du côté de l'opposition, s'envisage logiquement « sans Diouf » tandis que du côté du pouvoir socialiste, elle s'entend « dans la continuité ». Cette vision dans la continuité ne pouvait s'envisager que dans une défense, par Diouf, des acquis et

de son bilan ; il se dispose aussi au dialogue et invite le peuple à l'adhésion. Pour lui le changement sera partagé ou ne sera pas, se fera dans l'unité ou ne se fera point ; son ampleur

est telle qu'il faudra plus de solidarité que par le passé et c'est pourquoi, « c'est ensemble que

le changement se fera ». En lançant un appel pour le changement et une société nouvelle, société qui change de mentalité et bannisse les mauvaises habitudes et attitudes, le candidat socialiste reconnaît la hardiesse de cette tâche. Militer pour une société plus prospère, plus solidaire et plus humaine, répond à des priorités qui se justifient, puisqu'elles sont essentiellement politiques. Le 'pacte' juge nécessaire de sauver le projet politique qu'offre le régime socialiste ; au point que, pour le successeur de Senghor, la philosophie et la philosophie sociale que le PS incarne, l'obligent à se dresser contre tout risque de délitement du souffle politique.

En ce sens, la vision du président devait évoluer et épouser les contours de la conception que s'en faisait le peuple. Pour le peuple, le président de la République se doit d'incarner, toujours

et mieux, la conception du président citoyen, proche des préoccupations du peuple, arbitre

impartial du jeu politique.

Et lorsqu'il reconnaît que la « communication du Parlement auprès des populations doit être sensiblement améliorée », le président sortant avoue une faille dans son système ; celle de la crise de la représentation. Les citoyens électeurs ne se retrouvent ni ne se reconnaissent plus dans leurs élus. Pour rectifier le tir, une nouvelle politique de proximité de même qu'une proximité politique s'imposent et il serait bien condamnable de ne pas assez les valoriser dans

le but de faciliter les consensus sociaux dont la société a besoin et de renforcer l'efficacité instrumentale qui découle de la libération des énergies et des initiatives à la base et de leur libre administration.

L'appel est donc lancé à une participation politique et citoyenne et, par delà, une appropriation politique. L'ambition du candidat socialiste, à travers le document qu'il soumet à l'appréciation

de ses concitoyens, demeure la recréation d'une citoyenneté qui produise de la participation en

même temps qu'elle s'en abreuve. En effet, la contribution de la citoyenneté à l'édification

de la cité ne peut être qu'une entreprise permanente. Il y a là néanmoins, une discipline de soi à forger dans la conscience collective et qui doit se décliner sur deux modes : respecter la République en honorant ses symboles et s'imposer de soutenir la Nation de ses propres ressources. En ce sens, la réaffirmation du rôle de l'Etat accompagnera cet ajustement de culture républicaine.

Dans ce nouveau combat pour le renouveau au sein de la société sénégalaise du 21ème siècle,

les principes de bonne gestion et de bonne gouvernance ne seraient pas oubliés afin que, désormais, tous les actes publics portent « cette nouvelle éthique » et donnent « ...en exemples

à voir les bons comportements qui témoigneront de la `renaissance des valeurs' », que le

candidat socialiste dit appeler de tous ses voeux.

Dès lors, le pacte de 'la nouvelle alliance' se fixe trois objectifs principaux :

d'abord, « une société plus prospère » afin de raffermir la croissance économique, d'améliorer

la gestion des affaires publiques et de construire de nouvelles efficacités dans l'économie mondiale.

ensuite, « une société plus solidaire » dans le sens d'améliorer la qualité de la croissance

économique, de lutter contre la pauvreté mais aussi, de lutter contre le chômage, les exclusions

et les discriminations.

enfin, « une société plus humaine » qui puisse donner un nouveau souffle et un nouveau visage à la Justice, bref une justice plus humaine ; garantir la sécurité humaine et libérer l'imagination et la créativité.

En militant pour une « société plus prospère », le PS ne se prive pas de défendre son bilan. Diouf rappelle à cet effet que le but de croissance économique de son mandat précédent consistait à « relancer la production avec l'objectif d'assurer au moins le doublement, en moyenne annuelle, du taux de croissance de la production par rapport au taux de croissance démographique ».

En l'an 2000, pour le PS, cet objectif était atteint avec un taux de croissance de 5,5% et un taux

de croissance démographique de 2,7%. Néanmoins, il se fixe un objectif de croissance de l'économie d'au moins 8% l'an.

Malgré tout, le tribut fut lourd pour les populations par qui « cette croissance de la production

a été retrouvée grâce aux efforts (...) à des moments difficiles » et qui auraient compris en lui faisant confiance, « ...que la seule voie pour retrouver ce sentier de la création de richesses résidait dans l'adoption de politiques de rigueur ». Ce qui, aux yeux du leader socialiste

a « fait que le Sénégal est devenu un pays sécurisant, respecté et qui mérite la confiance de ses partenaires au développement ». C'était aussi pour dire que la voie à laquelle il avait mené ses concitoyens, plusieurs années durant, en sollicitant leur confiance, était pour lui « bel et bien la voie ».

Raffermir la croissance économique implique aussi améliorer la gestion des affaires publiques car « l'idée d'une plus grande transparence, d'une plus grande efficacité dans la gestion de plus en plus participative des affaires publiques sera une notion centrale de la société politique

du troisième millénaire ».

Un tel pari devra intégrer une association des populations et des administrés qui, par le contrôle direct, impulseront une transparence dans la gestion et une bonne gouvernance. Ce sera le nouveau souffle de la décentralisation qui a du mal à s'affirmer et à trouver ses marques dans

un Etat centraliste et où tout ce que l'Etat donne d'une main, le reprend de l'autre.

La corruption ne sera pas oubliée dans la nouvelle lutte et comme au début de ses premières années de Chef d'Etat, le candidat socialiste envisage la création d'un Office de Lutte Contre la Corruption. Regroupant hauts fonctionnaires et représentants de la société civile, cet organe bénéficierait de toutes les protections nécessaires, conduirait ses instructions sur la base d'informations publiques ou privées, et le cas échéant, saisirait la Justice.

Mais comme en 1981, le candidat socialiste a conscience que son pari est à haut risque et fera face à beaucoup de résistance dans un système corrompu et clientéliste, fortement ancré dans la société sénégalaise. Il s'affiche décidé et résolu et veut se donner tous les moyens et garanties

de succès.

Diouf les trouve dans les principes qui devront guider son action :

une volonté politique à faire partager avec toutes les forces de progrès du pays,

un renforcement du rôle et de l'autorité des instances de contrôle et d'inspection dont les capacités d'intervention seront notablement accrues,

des sanctions judiciaires sévères à appliquer chaque fois que des faits délictueux seront établis,

une vaste campagne de sensibilisation morale.

Lorsqu'il s'agit de construire de nouvelles efficacités dans l'économie mondiale, la compétitivité s'impose comme un impératif catégorique. Le candidat socialiste y voit la seule stratégie rationnelle pour non seulement survivre, mais encore tirer partie de la mondialisation.

En sollicitant un nouveau mandat du peuple sénégalais, Abdou DIOUF propose aussi d'oeuvrer à l'avènement d' « une société plus solidaire ». Car au delà de la croissance économique et de l'accumulation des richesses, s'impose une économie équilibrée et

distributive, une économie d'initiatives et des libertés, une économie qui s'appuie sur les compétences et les rétribue en conséquence. C'est donc un pari sur l'avenir et les nouvelles perspectives du nouveau siècle ; pari qui s'envisage en ayant en vue « la correction des éventuels déséquilibres (...) mais surtout la réduction de la pauvreté, la création d'emplois» afin de s'orienter vers une croissance favorable aux catégories sociales les plus démunies. Mais

les objectifs ambitieux de réduction de la pauvreté que se fixe le candidat socialiste, imposent

une stratégie fondée sur trois axes principaux :

imposer à la politique macroéconomique les contraintes du développement social, grâce à la promotion du secteur privé, à la mise en place d'infrastructures structurantes et à une allocation des ressources publiques vers les secteurs sociaux.

orienter les dépenses publiques vers les groupes plus vulnérables et renforcer les organisations

professionnelles.

améliorer le niveau de couverture des services sociaux sans oublier les volets pivots que constituent la santé et l'éducation.

Ainsi, pour l'éducation, « l'Etat s'est assigné l'obligation d'offrir à chaque sénégalaise et à chaque sénégalais la possibilité d'aller à l'école et d'y rester pendant au moins dix ans » dans une société où le taux d'analphabétisme est estimé en 1998 à 51,4%.

S'agissant du secteur de la santé, « l'objectif du programme est de rendre accessibles les services de santé primaire à toutes les sénégalaises et à tous les sénégalais ».

L'accès aux infrastructures de base concerne aussi l'électrification et le transport ruraux sans oublier la possibilité pour chaque citoyen sénégalais de disposer de l'eau potable.

Par ailleurs, un axe important de la politique de lutte contre la pauvreté consiste en

l'encouragement à l'auto prise en charge, notamment à travers la promotion du micro crédit, des mutuelles et caisses d'épargne populaires.

Abdou DIOUF s'engage personnellement et de manière audacieuse à insérer sa politique de lutte contre la pauvreté « (...) dans une problématique du développement humain durable » et

au delà des mesures économiques à prendre, il envisage de mener « une croisade contre les

systèmes de gouvernance désuets et les stratifications sociales rétrogrades qui confinent les pauvres dans des rôles politiques et sociaux inacceptables ».

Mais l'un des problèmes majeurs auquel doit faire face le candidat socialiste reste le chômage qui progresse sans cesse, surtout dans une société essentiellement jeune. Cette jeunesse avoisine 10 millions en l'an 2000 avec 58% de personnes de moins de 20 ans et presque 80% de moins de 30 ans. Il s'y ajoute que tous les ans, près d'une centaine des milliers de personnes, selon certaines statistiques, arrivent sur le marché de l'emploi. Le mal est profond vu que ce chômage des jeunes a la particularité de marginaliser et de fragiliser les forces vives de la nation, d'augmenter les risques de recrudescence de l'insécurité et de la délinquance. En effet, DIOUF reconnaît qu'en tant que « facteur d'exclusion déterminant dans nos sociétés contemporaines, le chômage trace la ligne de démarcation et la frontière de la `fracture sociale' ». Et si son septennat passé a vu ses promesses de 20.000 emplois dépassées par le nombre de créations annuelles effectives dans les secteurs formel et informel réunis, avec plus

de 47.000 emplois par an, il reconnaît toutefois que « cet objectif reste insuffisant par rapport à

une demande annuelle qui concerne près d'une centaine de milliers de demandeurs d'emplois » et que « dans la lutte contre le chômage, l'élargissement de la capacité d'accueil

du système productif constitue la réponse adéquate ».

Cette politique, tendant à améliorer les conditions de vie, concerne d'importantes couches sociales, mais elle sera en priorité orientée vers certaines populations en péril « que l'ordre fondé sur l'économie de marché rejette à la périphérie du système social ». Ce qui conduit au fait que le prochain septennat verra les instruments de lutte affinés, les politiques mieux articulées et mieux coordonnées, par un changement de méthodes et de pratiques d'approches aussi.

La pérennisation de l'emploi et son inscription dans la durabilité ne sont pas perdues de vue

pour autant. La création d'emplois devant relever aussi de l'entreprise individuelle, DIOUF se propose d'encourager « le développement de l'esprit d'entreprise dès l'école » et de veiller, dans ce cadre, « à ce que l'Etat recentre son intervention pour asseoir une politique de développement local qui libère les initiatives individuelles ». Une confiance réaffirmée aux femmes est affichée « compte tenu de leur crédibilité et de leur dynamisme prouvés » qui font

qu'elles « constituent aujourd'hui un levier incontournable et doivent être des partenaires privilégiés pour la promotion de l'emploi des jeunes ».

Mais bien plus que le chômage, ce sont les phénomènes d'exclusion qui exhibent les complexités les plus surprenantes et qui menacent la cohésion sociale. En somme, une nouvelle mentalité s'impose pour créer un nouvel homo senegalensis, agir sur les mentalités afin de changer les stéréotypes et les symboles, par une meilleure communication à support d'image et dans les langues nationales. Pour celui qui sollicite à nouveau le suffrage des sénégalais, l'entrée nécessaire de la société, du pays dans la modernité, est à ce prix.

« Une société plus prospère » et « plus solidaire » a aussi besoin de reposer sur « une société

plus humaine ».

Dans une telle société plus humaine, le premier souci consiste à « rendre la justice plus humaine » ; ce qui se résume à « rapprocher la justice du justiciable, rendre une justice rapide

et crédible » de sorte à faire advenir « l'impulsion d'une politique judiciaire novatrice, efficace

et humaine (...) plus respectueuse de la dignité et des droits de la personne humaine ».

La protection des libertés individuelles reste une préoccupation sans oublier celle de « veiller sur la nécessité d'une application intelligente de la loi ». Et pour lutter contre la délinquance juvénile, le PS se propose de miser sur « une action de prévention et de rééducation pour les jeunes de moins de 25 ans, la finalité étant la réinsertion des jeunes dans le tissu socio

économique ».

Le second volet se résume à « garantir la sécurité humaine ».

Pour DIOUF, il faut donc tirer profit du crédit dont semble jouir le Sénégal, « cité en exemple dans le domaine du pluralisme politique en Afrique, des droits de l'Homme et de l'indépendance de la Justice » mais « ces libertés ne peuvent (...) s'épanouir que dans une société sécurisée ». Et « c'est pourquoi la lutte contre la délinquance, la criminalité et les agressions constituera l'une des tâches les plus urgentes du prochain septennat (...) la sécurité des citoyens devant passer avant toute autre considération ».

Dans un climat apaisé et un cadre sécurisé, l'entreprise humaine ne peut que s'épanouir.

Le dernier volet que propose le PS se veut « libérer l'imagination et la créativité » afin d'émanciper les énergies et la libre entreprise. La volonté du candidat DIOUF est de ce fait, « de persévérer dans la promotion d'un cadre de plus en plus propice à l'éclosion du génie national ».

Cette lecture du discours politique du PS et de son candidat qui militent en l'an 2000 pour le maintien au pouvoir tout en s'engageant dans la signature d'un nouveau 'contrat social', nous fera voir que le régime socialiste, loin de douter, garde une relative sérénité et le cap qu'incarne Abdou DIOUF, pour un « changement dans la continuité ».

Face au régime se dresse un adversaire nouveau, que le monstre socialiste n'a jamais combattu

pour la seule raison qu'il sort de ses rangs. Et même si le PS, amputé de Moustapha NIASSE

ne sait pas trop comment apprécier cette nouvelle venue que constitue l'AFP, les progressistes

ne s'en trouvent pas moins confrontés à un dilemme : le prix du schisme.

SECTION 2

L'AFP FACE AU DILEMNE PROGRESSISTE.

Au soir d'un long règne de 40 ans, le PS est affaibli par les démons de la fragmentation, qui ont longtemps été le lot des partis d'opposition. En effet, à l'instar de son premier combat entrepris

au lendemain du départ de Senghor de la tête du pays et qui va consister en une restructuration

du parti dont il hérite, Abdou DIOUF s'engagera, à nouveau, pour tenter d'impulser une nouvelle dynamique au sein de sa formation. Près de vingt après sa première reprise en main du PS, il tentera encore de l'ouvrir aux jeunes « dioufistes » et de se défaire de l'emprise des vieux barons, trop enfouis dans leurs fiefs et leurs privilèges.

L'histoire politique du Sénégal retiendra néanmoins que le premier combat se soldera par une victoire assez satisfaisante pour Abdou DIOUF ; par contre, celui de la fin des années 90, qui

va apparaître quelque peu comme un 'forcing politique interne', ne manquera pas de laisser des séquelles, celles d'un schisme inédit. Au plan politique, le PS, pour emprunter le langage des astrophysiciens, tel une étoile, « s'est effondré sur luimême après avoir épuisé sa réserve d'énergie nucléaire ». Les parachutages ont provoqué des frustrations et des tendances, dont certaines, en se consolidant, ont abouti en 1998 au départ de Djibo Kâ et de ses partisans et en

1999 à celui de Moustapha Niasse.

En effet, percevant la nomination de Ousmane Tanor DIENG au poste de Premier Secrétaire du

PS comme un simple 'parachutage' orchestré et voulu par le maître des lieux, ces deux grands caciques et barons incontestés du régime, décideront de rompre avec le parti.

L'URD de Djibo Leity KA sera créée en juillet 1998, un an avant la naissance de l'AFP de

Moustapha NIASSE, soit en juillet 1999.

Dans le cadre de l'étude présente, nous ne nous intéresserons qu'à l'action de l'AFP de Moustapha NIASSE. Cette formation politique émerge dans un contexte assez particulier et plus ou moins favorable eu égard au contexte de l'an 2000, dans lequel évoluent les sénégalais.

Ce qui lui fera jouir d'une adhésion spontanée et d'une grande sympathie politique que ne manquent pas d'alimenter la personne même de ce diplomate, ancien Premier Ministre et ancien Ministre des Affaires Etrangères mais qui n'en demeure pas moins, un fidèle de Senghor.

Ce double visage de nouveau 'renégat' du PS qui garde encore sa sympathie au prédécesseur d'Abdou DIOUF, en l'occurrence Léopold Sédar SENGHOR principal idéologue du PS, va le mettre dans une situation des plus délicates et inconfortables pour un homme politique qui milite pour le changement.

Le dilemme auquel l'AFP se trouve confronté se résume à ne pas apparaître comme 'un clone

du PS' ou encore comme un 'PS bis'. Dès lors, les progressistes se devaient de s'apprêter en confirmant le schisme d'avec le PS afin de tenter de s'imposer comme une nouvelle force sur l'échiquier politique sénégalais. La logique progressiste sera donc de tenter une déconstruction

du régime socialiste (A) sans laquelle elle manquerait son épanouissement politique dans « un

Sénégal autrement géré » (B).

Déconstruire le régime socialiste.

« Je suis prêt »...tel était le cri de schisme définitivement consommé entre Moustapha

NIASSE et le pouvoir socialiste. En choisissant cet espoir et en l'affichant au grand jour, il s'exposait au piège d'assumer ce passé politique, qu'il `reniait' pour porter l'AFP sur les fonds baptismaux.

Le leader progressiste dira ne rien regretter, pour avoir « servi avec loyauté (...), fierté » , ne

rien renier de ce passé qu'il a choisi et qu'il assume pleinement. Il se dira même décidé à s'engager « avec la même volonté et la même détermination » et à se mettre à la disposition de son pays.

Dès lors, s'inscrivant dans une dynamique d'opposition 'antidiouf', le discours de l'AFP et des compagnons de Moustapha NIASSE ne sera pas tendre à l'endroit du régime socialiste, qui se retrouve entre le marteau de la traditionnelle opposition et l'enclume de la nouvelle, incarnée par les deux dissidents du PS.

Pour cet ancien membre du système socialiste, l'objectif logique se résume en une déconstruction du PS, idéologiquement, politiquement et structurellement parce qu'étant une formation jugée corruptrice des masses et usée par l'exercice du pouvoir.

Et le ton est vite donné, lorsque le 16 juin 1999 soit deux jours après la reconnaissance

officielle du parti, retentit l'appel du leader de l'AFP, un appel par lequel le leader se dit prêt et avoir choisi l'espoir. NIASSE y dresse un réquisitoire particulièrement virulent contre « la mainmise de groupes d'intérêts mafieux sur le pays, le clientélisme archaïque et étriqué, la manipulation de la Constitution et des institutions, l'absence totale de projet de société... » et pour celui qui se présentera comme le plus redoutable adversaire d'Abdou DIOUF, « changer

le Sénégal est un impératif absolu ». Convaincu que « des ruptures sont parfois nécessaires quand vient le temps du destin », il se dit « prêt ».

Même s'il ne manque pas d'être l'objet de diatribes acerbes et d'une rare violence, en tout cas dans le contexte qui a toujours été celui du Sénégal jusquelà, il campe, dans un réquisitoire empreint d'un grand courage politique, les maux dont souffrent, selon lui, ses compatriotes sénégalais et dit sa décision de se démarquer du régime socialiste. Dans sa déclaration de

rupture, NIASSE constate que « ...les raisons d'espérer qui étaient pour chaque sénégalais une source de confiance, semblent inexorablement se dérober ».

Quelques temps plus tard, devant les Sénégalais de l'étranger, à Paris, il n'hésitera pas à prendre des accents populistes car « Pendant que les bouches pleines mentent, inventent et manipulent,

les ventres creux meurent (...) les vieilles mamans (...) vont acheter des os au marché pour

donner le goût de la viande au riz ».

Evoluant dans une logique de déconstruction du régime socialiste, le diagnostic auquel il se livre est significatif car provenant d'un homme qui fut, de tout temps, un acteur du système et qui a toujours assumé de hautes responsabilités dans les organes du pouvoir de l'Etat comme

du PS.

Au moment où il tourne le dos à la famille socialiste, le leader progressiste s'estime guidé par

« la conviction de ce que le PS, miné de l'intérieur par des luttes intestines, usé par l'exercice

du pouvoir surtout dans les 10 dernières années du magistère de DIOUF, traduisait l'usure du pouvoir lassé, épuisé mais imbu de sa force et du monopole qu'il exerçait presque dans tous les domaines, sans limites et sans contraintes ». Ce que le leader de l'AFP qualifie

d' « immobilisme dévastateur du fait de la conscience de l'esprit impérial » ou encore

de « reflex impérial du pouvoir usé (...) à l'image de cet Empereur qui, tant qu'il vit, reste

Empereur ».

Il demeure néanmoins que combattre le régime socialiste implique sans nul doute le départ de

cet « Empereur » qui dira, dès les débuts de la campagne électorale, ne pas connaître « l'usure

du pouvoir ».

Et même s'il le réclame ardemment parce que souhaitable et préférable pour le peuple sénégalais en cet instant précis de son histoire et dans ce contexte particulier de l'an 2000, Moustapha NIASSE ne considère pas le départ de DIOUF comme une fin en soi. « Parce que cela aurait été vain, irresponsable, personnellement vindicatif et sans signification » aussi

« parce que dans la vie politique, la focalisation sur un individu devient vaine quand on

considère cette focalisation comme une fin en soi ». Pour lui, « le départ de DIOUF n'était qu'un point ou un aspect de la vision globale de l'AFP et de son idéal politique (...) son départ était juste une voie obligée pour provoquer les changements».

Dans cette visée, le leader de l'AFP soutenue par huit autres partis dans le cadre de la CODE

2000 (Coalition De l'Espoir 2000) mettra l'accent sur l'impératif que constitue la reconstruction de l'Etat démocratique à un moment où « le système politique, depuis longtemps, est conçu au travers d'un pouvoir politique personnalisé qui sur concentre autour d'un pouvoir présidentiel aux contours indéfinis, la quasi totalité des pouvoirs y compris Législatif et Judiciaire »30 .

En effet, « jamais dans l'histoire de ce pays, les interrogations n'ont été aussi nombreuses sur tout ce qui touche à l'avenir et aux perspectives d'une nation qui, jusquelà, avait su faire face

à toutes les incertitudes politiques, économiques et sociales, quelles qu'en fussent les causes,

les manifestations et les effets ».

Le tableau que dresse le candidat de la CODE 2000, est donc des plus noirs et accablants pour

le régime socialiste. Mais le discours ne peut prospérer que conjugué et mis en perspective face

à la réalité que vit le peuple. Et « les événements, parfois douloureux, survenus au cours des deux dernières décennies, ont montré que le peuple sénégalais, fidèle à son histoire, a, chaque fois, pris délibérément le parti de ne pas céder au découragement, de ne pas reculer devant l'adversité, de surmonter les épreuves et d'afficher une foi en Dieu et une fierté enracinées dans sa culture ».

Le diplomate devenu homme politique et sachant que la tâche de liquidation d'un système

auquel il aura appartenu de tout temps, ne sera pas aisée, se livre donc à une plaidoirie dans laquelle la condition de ses concitoyens est rappelée. Ce discours, à dessein, remarque qu' « Après tant de promesses non tenues, tant de rendezvous manqués et tant d'occasions ratées,

les sénégalais en sont arrivés, hélas, à osciller devant l'impossible choix entre la résignation et

la révolte ».

Mais comme face au dilemme auquel se trouvait confronté 'l'âne de Buridan', qui tant assoiffé

qu'affamé, se tenait à équidistance d'une nourriture et d'une boisson et ne pouvait se résoudre

à choisir entre l'une et l'autre, le peuple doit opter pour sa survie. Ce que le leader de l'AFP préconise, c'est donc le rejet du régime en place car « jamais, sans doute, depuis 1960, le fossé n'a été aussi grand entre ceux qui sont censés assurer la direction du pays et nos populations ». S'installe alors le débat sur la crise de la représentation et de la représentativité, ravivé par « le discrédit et la méfiance(...) forts à l'égard des dirigeants » et « là où, précisément, la recherche

30 Quotidien Le Matin du lundi 24 janvier 2000 p.3

de l'intérêt général devait constituer l'unique finalité de l'action politique, l'on ne rencontre, le plus souvent, qu'une succession de manipulations d'appareils, que de démarches marquées du sceau d'un clientélisme archaïque et étriqué ou encore des luttes d'influences synonymes de courses acharnées et de dérives sapant, gravement, le moral des sénégalais. Ces courses et dérives, érigées en système de gouvernement, ont débouché sur (...) un affaissement de l'Etat

et une dépréciation continue de son autorité quand celleci ne se manifeste pas des réflexes de violences au détriment du citoyen ».

Devant pareil constat, il invite à l'adhésion du peuple pour changer le régime socialiste. Pour Moustapha NIASSE, devant ce constat d'irresponsabilité « l'urgence est à un véritable sursaut » qui redonnera ses lettres de noblesses à la politique et qui permettra à tous ses concitoyens d'être, après Dieu, enfin maîtres de leur propre destin, car pour peu que le peuple dise non aux artifices politiques et juridiques, « la route menant à un tel objectif est accessible

et personne (...) n'a le droit de se taire, malgré les menaces et les provocations ».

Néanmoins, il faudra attendre la campagne électorale de la présidentielle, pour voir le discours

de l'AFP et du leader de la CODE 2000 monter d'un cran et se faire plus virulent. Le combat s'annonçait donc difficile pour un ancien socialiste, même ayant choisi avec beaucoup de courage politique de rejoindre l'opposition, car il était épié et attendu sur de nombreux terrains

à la fois. Le leader progressiste le reconnaîtra en avouant que l'écueil qui se devait d'être surmonté était d' « éviter la confusion naturelle entre le PS...» qu'il venait de quitter « ...et un

PS bis que serait l'AFP ».

En ce sens, le dilemme progressiste aura pesé telle une épée de Damoclès au dessus de la

CODE 2000.

Le premier jet devait donc logiquement consister pour NIASSE à discréditer le pouvoir de DIOUF par une remise en cause de tout un système politique, tout un mode de gouvernance dans un parti qu'il considérait comme « ayant vieilli et ayant volontairement tourné le dos à tout effort d'innovation, de rénovation, de rajeunissement et d'adaptation aux circonstances et demandes du peuple sénégalais ». Et lorsque à Kédougou, le candidat socialiste sollicite « un nouveau mandat pour un avenir en rose », le leader de l'AFP prédit à Bignona dans le sud, casamançais, que « le 27, le peuple déracinera le pouvoir qui l'appauvrit »31 . Comme pour dire

31 Quotidien Le Matin du mardi 8 février 2000

que « l'Etat ne doit pas être une abstraction au service d'une ambition ou d'ambitions limitées

à un c ercle restreint »32).

Tout au long de la campagne électorale, le discours de NIASSE va se résumer à une invitation

au peuple afin de faire advenir le changement au sommet de l'Etat et de libérer les énergies pour un « Sénégal, autrement géré ». Si pour lui, « Rufisque a été sacrifié par l'égocentrisme », il rappelle aux paysans de la Vallée qu'ils ont l'avenir du Sénégal entre leurs mains et invite les populations de Bakel à prendre leurs responsabilités le 27 février 2000. Dans la 'mythique cité du rail', Thiès, capitale du chemin de fer, le leader progressiste martèle encore qu' « il faut choisir entre la récession économique et le progrès »33 . Et lorsque, depuis Fatick, le candidat du PS annonce « la chronique de la défaite de l'opposition », le dissident socialiste rappelle au peuple que « DIOUF a mené le pays à l a déroute ».

Et lors du Congrès d'investiture de l'AFP à Kaolack le 15 janvier 2000, Madieyna DIOUF, par

ailleurs numéro 2 du parti, en dressant le « bilan catastrophique de DIOUF » constatera à

l'endroit de l'électorat juvénile que « ...les jeunes sont fatigués de la politique sans envergure

du PS... ».

On aura pu le comprendre : le combat pour la déconstruction du régime socialiste a été délicat pour le leader de l'AFP et de la CODE 2000. Mais n'étant pas « une fin en soi » pour Moustapha NIASSE, le départ du président Abdou DIOUF et de son régime ne constituait qu' « un aspect de la vision globale de l'AFP et de son idéal politique ».

Après avoir confirmé le schisme, il fallait l'assumer et tenter de s'imposer comme une force dans le paysage politique sénégalais. Ce qui devait constituer le prix à payer « pour un Sénégal autrement géré ».

« Pour un Sénégal autrement géré ».

Au regard des enjeux majeurs qui entouraient le scrutin du 27 février et plus tard du 19 mars

2000, le combat des partis d'opposition sera principalement axé sur la transparence et la régularité de l'élection présidentielle. L'AFP et la CODE 2000 ne vont pas s'y soustraire, bien

32 Allocution de Moustapha NIASSE, commémoration du 3ème anniversaire de l'AFP, Dakar, samedi 24 août

2002 Hôtel Méridien Président

33 Quotidien Le Matin du 23 février 2000

au contraire car l'occasion était trop belle pour obtenir de façon définitive, ou du moins pour

les élections du moment, toutes les garanties pour assurer le minimum de consensus politique dans l'arène. La virulence que l'on aura prêté au leader progressiste en quittant avec fracas le PS, va se confirmer, s'ajoutant à une forte détermination partagée aussi par le reste de l'opposition qui sent le moment propice de la première alternance au sommet de l'Etat sénégalais.

Cette référence démocratique que constitue le Sénégal à tort ou à raison sur un continent où le bruit des bottes ne cesse de marteler les sentiers, avait les airs d'une démocratie sans alternance que le même parti sous différentes appellations suivant les époques aura dirigé.

Aussi avant d'envisager de gérer autrement le Sénégal, fallaitil se défaire du système en place.

Pour l'AFP, le changement devait revêtir les habits de la bonne gouvernance et du développement auto géré ; une nécessité qui, selon son leader « s'est imposée d'ellemême parce que les contextes politiques changeant, il faut savoir s'adapter aux contextes politiques sans renoncer à ses idées et principes ». En ce sens, il ne pouvait être incarné par DIOUF qui prétendait établir « le changement dans la continuité ». L'AFP et tous ses partis alliés militaient donc pour la « remise en cause de tout un style politique, tout un mode de gouvernance (...) dans un parti (...) vieilli et ayant volontairement tourné le dos à tout effort d'innovation, de rénovation, de rajeunissement et d'adaptation aux circonstances et demandes du peuple sénégalais ».

En optant pour le « Nous avons choisi l'espoir » et en invitant les sénégalais à construire leur

« ...avenir...maintenant », le leader de l'AFP avoue que ce choix inscrivait son parti « dans le futur et non dans un constat statique, factuel, figé ou une sorte de comportement rétif. Ce slogan traduisait tout un passé que nous venions d'évaluer dans ses composantes successives, une résolution du moment présent s'inscrivant dans l'avenir ». Malgré tout, Moustapha NIASSE révélera que « l'AFP a fait de la communication politique sans le savoir et sans en prendre conscience ...le parti a juste fait confiance à une expérience politique acquise sur le terrain...Nous avons juste été imbus des éléments théoriques de la communication pour essayer

de les appliquer en fonction des circonstances du moment. Après avoir défini des objectifs

globaux et sectoriels il restait à mettre en oeuvre nos intelligences et nos réflexes d'hommes pensants pour les atteindre».

Mais quel devait donc être l'image de l'AFP en l'an 2000 ?

Pour son leader le souci n'était pas de préserver ou de fabriquer une quelconque image.

« L'objectif était de redonner espoir à la jeunesse sénégalaise et de l'associer à la constitution

et à la construction du module qui devait constituer son avenir ». Ce qui aura permis aux camarades de NIASSE d' « agir librement et de manière naturelle, d'éviter la confusion naturelle entre le PS qu'il avait quitté et un `PS bis' qu'aurait pu être l'AFP ».

Pour échapper à une telle contrainte, la formation progressiste s'est refusée à être « un `clone

du PS' ou un parti qui s'oppose à lui comme seule motivation de son existence et de sa vie, comme seul élément d'analyse comparative ». Ce que le leader résume en disant avoir réussi à

ne pas tomber dans ce réflexelà.

Face au PS, l'AFP devait marquer sa différence et manifester son indépendance au nom de sa propre identité et du projet national qu'elle porte depuis sa création.

Pour l'AFP, diriger un pays c'est d'une part, « vouloir comprendre et promouvoir ses propres

valeurs au service de l'intérêt général (...) pour viser l'efficacité » et d'autre part, « assurer une conduite équilibrée des options et des actions qui font l'histoire ». Il faut donc

« s'affranchir de tous les réflexes de boulimie, pour que se réalisent, dans l'unité et dans la concorde nationale, le génie sénégalais et les valeurs d'une société apaisée et juste » de sorte à créer ou à restaurer l'éthique politique et républicaine. Le leader progressiste se dira « prêt à donner au combat politique (...) une nouvelle dimension, des moyens nouveaux et une finalité nationale pour la promotion d'un Sénégal dirigé autrement » pour l'idéal de liberté dont le pays semblait si intensément avoir besoin. Dans cette nouvelle manière de gérer, il « laisse l'entière liberté de choisir, en toute conscience » et s'en remet à la liberté pour chaque citoyen

de l' « accompagner et d'évoluer dans un autre cadre ».

En s'engageant dans l'opposition sénégalaise il avait « fait le choix de lutter pour l'avènement d'un nouveau type de société qui refuse définitivement la division des populations en deux catégories :celle de ceux qui produisent en souffrant,comme les paysans et les travailleurs de tous niveaux et celle de ceux qui profitent de la souffrance des autres, dans les villes et les campagnes, en se hissant à des postes de responsabilités où ils trônent et croient que leur pouvoir du moment les couvre de privilèges et les place audessus de la loi et du droit »34 Ce

34 Allocution de Moustapha NIASSE, commémoration du 3ème anniversaire de l'AFP, Dakar, samedi 24 août

2002 Hôtel Méridien Président

qui traduit une volonté de contribuer, sous un jour et avec un mode nouveaux, à la nécessaire reprise de conscience des maux dont souffrait le pays 35

Dans la communication politique de son leader lors de cette campagne placée sous le sceau de l'éthique et de la morale, les signes n'auront pas manqué, tel ce mouchoir blanc que s'emploie

à agiter le candidat de l'AFP et de la CODE 2000. Il avouera en tenir l'inspiration de Kenneth KAUNDA, ancien Président de la Zambie (ex Rhodésie du Nord) , qui le tenait à la main et du Président Léopold Sédar SENGHOR qui l'avait toujours dans sa poche. Sa synthèse à lui aura

été de « l'avoir à portée de main et de l'agiter » ; le sens qui s'y attache demeure « une

adhésion à la pureté, à l'honnêteté, la volonté de vivre en homme libre et de lutter contre la corruption ».

En tentant d'apprécier le discours politique de ces deux formations que sont le PS et l'AFP, nous avons pu prendre la mesure de tout l'antagonisme qu'un tel duel à distance pouvait sécréter. Le discours sera, sans conteste, apparu contradictoire pour deux partis aux objectifs foncièrement opposés; le PS misant sur son maintien au pouvoir par une confiance renouvelée à son leader au travers d'un nouveau mandat et l'AFP, nouvelle formation dont le chef de file est issu des rangs socialistes et qui s'oppose désormais au régime d'Abdou DIOUF.

CHAPITRE 2:

L'ALCHIMIE DES CIRCONSTANCES DE TEMPS, DE LIEU ET DE PERSONNE

Il demeure que tout discours reste tributaire du contexte qui lui préside, le reçoit et lui donne

corps. En ce sens, le discours de l'AFP et du PS devait évoluer et épouser les attentes des populations, auxquelles il était destiné car, après tout, « vox populi, vox dei »( parole du peuple, parole de dieu). Aussi, de ce point de vue, seraitil intéressant pour nous, de situer ce langage politique dans le contexte particulier qui aura été le sien et de donner raison à François MITTERRAND pour qui« en politique, l'événement est roi ».

35 111 propositions pour le Sénégal, réalisé par l'ANCP en marge du congrès ordinaire de l'AFP, 1er et 2 mars

2003, CICES Dakar

Cette formule de « l'alchimie des circonstances... » que nous empruntons à Antoine TINE 36 nous renseigne que la légitimité accordée à une organisation politique est circonstancielle, contingente et mobile, car elle est tributaire des choix, des préférences du moment et des conjectures historiques.

En effet, elle suit, selon une conception de Machiavel, les vents de la " fortuna " et de la

" virtù ». Voilà pourquoi les allégeances politiques sont réversibles et pour nous en convaincre, notons que les mutations dans le champ politique sénégalais le montrent à suffisance : ce qui

est désigné sous le nom de "transhumance politique" n'estil pas l'indice que le politique est

polymorphe et que l'allégeance accordée à un groupe politique obéit à une "morale du provisoire"; elle est propice aux variations de l'histoire, au jeu complexe des opportunités et se transforme sous "l'aiguillon de la nécessité " du moment favorable. C'est que l'allégeance politique est une ruse, une tactique de positionnement.

Aussi, convientil d'être souple dans l'analyse de la formation des identités politiques.

Mais s'il existe bien une note d'unanimité dans ce scrutin présidentiel sénégalais, elle peut certainement se faire autour de la prégnance du changement (Section 1). Tant les partis d'opposition que le régime socialiste vont s'y identifier même s'il demeure indéniable que la conception que l'on s'en fait dans les deux camps, est loin d'être identique. Parler de l'alchimie des circonstances, ne saurait aussi se départir du contexte singulier que constitue l'année 2000 sur la scène politique sénégalaise (Section 2). Pour bien appréhender ce changement envisagé tant au PS qu'à l'AFP, nous nous intéresserons davantage à leur campagne lors du second tour.

SECTION 1 : Le changement, une aspiration partagée aux élections de l'an 2000.

Si l'on parcourt ou retrace l'histoire politique du Sénégal, du moins depuis l'avènement du PDS

en 1974 et l'instauration du multipartisme, le changement ou « sopi » en wolof, reste incarné par ce parti et son leader Abdoulaye WADE. En effet, « c'est d'abord et surtout le PDS qui a donné cette leçon de citoyenneté »37. On y croyait à peine parmi les citoyens, mais le parti de

36 TINE A., Allégeances partisanes et multipartisme : éléments d'une problématique de la pluralisation des identités politiques et de la légitimation démocratique. www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol7ns/tine.rtf ou www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol7ns/arti5.html

Abdoulaye WADE s'est obstiné derrière le 'Pape du sopi', malgré de nombreuses défaites, à proclamer la possibilité d'un changement de régime. Sopi ! Le mot est bien choisi, tout le monde peut s'en servir et le définir à sa façon.

Selon Michel CROZIER « le changement n'est ni une étape logique d'un développement humain inéluctable, ni l'imposition d'un modèle d'organisation sociale meilleur parce que plus rationnel, ni même le résultat naturel des luttes entre les hommes et leurs rapports de force. Il

est d'abord la transformation d'un système d'action »38 .

Le scrutin de l'an 2000 aura montré que les formations politiques en lice ne vont pas se priver

de parler de ce changement, à la sénégalaise. Mais la grande surprise viendra du fait que même

le PS, qui sollicite un nouveau mandat, va épouser les contours de ce Sopi, envisagé comme un

« changement dans la continuité » (A). L'AFP, qui rejoint dorénavant le camp de l'opposition va naturellement prôner ce changement, qu'il envisage « sans DIOUF » (B).

A Le PS, pour un « changement dans la continuité ».

De par les discours de tous les étatsmajors politiques en présence lors de ce scrutin, le changement sera apparu comme la seule constante, le PS allant même jusqu'à s'en réclamer « dans la continuité ». Cette attitude devait répondre au souci de reconquérir un peuple avide de changement et de nouveau souffle.

Ainsi au second tour, la politique du candidat DIOUF qui est en tête avec 41% des suffrages contre 31 % pour Abdoulaye WADE, va radicalement changer de stratégie pour épouser les contours du sopi réclamé par les citoyens sénégalais. En effet, avec les départs de KA et de NIASSE, cette irruption des forces de révolte sur la scène politique et sociale aura pris au dépourvu le pouvoir qui, désespéramment, tenta de s'approprier le mouvement du changement.

Le candidat Abdou DIOUF va prendre la mesure du péril et n'hésitera pas à se lancer dans les

37 O'BRIEN D C., Le sens de l'Etat au Sénégal in Le Sénégal contemporain,(sous la direction de) Momar

Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.504

38 CROZIER M., L'acteur et le système, Paris, Seuil, 1977

promesses les plus spectaculaires : tout ce qui était refusé est désormais accordé sans condition

-sinon celle d'un nouveau mandat , pour annihiler le mouvement de défiance et de rejet; le candidat socialiste acceptera même le principe d'un faceàface avec WADE dans le cadre d'un débat contradictoire39.

La campagne pour le deuxième tour va être davantage axée sur la proximité parce qu'il fallait pour DIOUF « être beaucoup plus proche des citoyens ». Il aura vite remarqué que lors des grands meetings, « on n'a pas le temps vraiment de conduire le dialogue avec les populations » et laisse entendre que le problème c'est qu' « il faut avoir une grande capacité d'écoute, il faut écouter les populations, les citoyens, et il faut écouter les jeunes ».

Les "verts" l'avaient si bien compris qu'ils essayèrent de rectifier leur tir au second tour en

faisant mener à leur candidat une campagne de proximité. Le président sortant, pour la première fois, accepta de descendre dans "l'espace public" en initiant des dialogues directs avec les jeunes, les personnes âgées, les paysans, etc., qui se relayèrent pour lui poser des questions sur sa gestion et ses ambitions pour le Sénégal s'il passait le cap du 19 mars. C'était cette quête effrénée, obsessionnelle, parfois pathétique des suffrages qui le poussa à accepter, pour la première fois, d'être l'invité, pendant près de deux heures, d'une émission populaire en wolof de la radio privée Sud FM.

Il souhaite au cours de cette campagne du 2e tour, vraiment privilégier l'écoute, puisqu'il reconnaît avoir « décrypté le message ». Il mise aussi sur le fait que « l'écoute permettra de savoir dans les détails, encore davantage, sur les changements qui sont souhaités par toutes

les populations et en particulier par la frange jeune ».

Il s'agit de ne pas être des marchands d'illusions, ne pas promettre la lune, mais de dire ce qui

est possible. Pour lui, « il faut aller à l'idéal, en partant du réel », selon la belle formule de Jean Jaurès et il invite ses concitoyens à s'accorder car étant « prêt à faire ce que veut le peuple », dont il se veut être l'esclave.

Pour le candidat socialiste dont le parti sort quelque peu groggy du premier tour, les « gens ne

se sont pas donnés la peine de lire le pacte de croissance et de solidarité » qu'il leur proposait.

« En tenant compte du message fort » reçu, « en faisant une campagne de proximité, en explicitant mieux ce programme » il se dit convaincu de pouvoir combler le gap et de s'assurer

la victoire au second tour.

39 Quotidien Le Matin 7 mars 2000

C'est juste qu' « il y a eu une absence de dialogue au niveau approprié ».

Le PS sort donc groggy du premier tour. Ce que DIOUF reconnaît puisque « un deuxième tour de scrutin n'a jamais eu lieu au Sénégal et il n'était pas facile de s'y adapter ».Il lui reste cependant à sonner la remobilisation car les arguments ne manquent pas ; rassembler les dernières forces et « comme un seul homme », aller « tendre la main à ceux qui n'avaient pas voté » pour le PS mais qui restent tout de même « des citoyens libres de voter pour le candidat

de leur choix au deuxième tour, nonobstant les consignes des candidats du premier tour ». Le

devoir du PS se devait donc d'être une tentative pour leur expliquer son projet pour le Sénégal

et les amener à voter socialiste. Dès lors, pour le leader socialiste, le ballottage et l'inédit second tour ne pouvaient certainement pas constituer un échec pour son parti car, pour

lui « l'échec ne se mesure pas à cela ».

Et même si « Les réussites (...) politiques sont indéniables...Maintenant, il s'agit d'opérer les changements » ; les socialistes étant « maintenant mûrs pour les changements majeurs réclamés par le peuple sénégalais ».

Le changement passera aussi irrémédiablement, en cas de réélection du président sortant, par

un changement « Non seulement au niveau des structures, des politiques, mais aussi au niveau des hommes. C'est clair et net ». DIOUF s'érigera donc en « l'homme de ces changements »,

lui pour qui, « peu de gens connaissent ce peuple mieux » que lui « pour l'avoir tant de fois servi et tant de fois écouté dans ses épreuves les plus difficiles ».

Il propose dès lors au peuple de conquérir ensemble « un avenir de progrès pour tous, donc de paix ! » Mais aussi pour DIOUF « il faut aller vers les jeunes, les écouter d'abord et leur parler ensuite. Parce que si on ne les écoute pas, ils auront le sentiment qu'on les ignore. Il faut les écouter et leur parler », afin de comprendre leurs préoccupations en leur proposant des solutions.

Au sortir du premier tour, DIOUF tire l'enseignement en ces termes : « je m'engage pour des changements rapides et profonds (...) Le peuple sénégalais a adressé à tous les candidats, en particulier à moi qui ai en charge les destinées du pays et qui suis arrivé en tête au premier tour du scrutin, un message très fort pour le changement. Donc, je n'avais pas tort, pendant la campagne électorale, de dire que je voulais changer le Sénégal avec les Sénégalais. J'ai compris ce message. J'ai compris surtout que le peuple sénégalais aspirait au changement, à

un changement profond et accéléré. Je suis venu lui dire que je suis prêt à aller dans le sens qu'il a indiqué. Je m'engage, si je suis élu, à agir dans le sens de ce changement accéléré et profond. Je m'engage à réaliser ce changement dans tous les domaines de la vie nationale : dans le domaine politique, économique, social, culturel. Je m'engage surtout à réaliser les aspirations des jeunes à un pl ein emploi décent et rémunérateur ».

Il s'engage aussi à lutter avec encore plus de vigueur contre la pauvreté pour la réduire de façon drastique et à terme, la supprimer définitivement du pays ; à lutter contre l'insécurité dans tous les domaines qu'il s'agisse de santé, d'environnement, d'éducation, bref dans tous

les domaines de la vie nationale. Notons que le président Abdou Diouf fera la même

déclaration en wolof pour une plus large diffusion de son message.

En effet, il va au deuxième tour « avec la volonté de gagner » aux côtés de son parti et de ses alliés en préservant d `abord les acquis, pour ensuite conserver ce qu'ils avaient obtenu au 1er tour. Mais DIOUF veut « aussi élargir » et il sait que s'il veut gagner il lui faut avoir des suffrages supplémentaires par rapport au premier tour. Ce qui peut être atteint « par un travail méthodique et sérieux et (...) un vrai travail de proximité pour amener les abstentionnistes à voter au second tour ».

Après avoir entendu le peuple sénégalais pendant la campagne électorale, après avoir décrypté

le message du peuple sénégalais à l'occasion du premier tour, il se dit comprendre « que le peuple voulait des changements plus profonds et plus rapides ». Diouf et son parti se lancent alors dans une politique de charme en direction de l'électorat urbain, notamment de Dakar et Pikine, qui leur avait largement tourné le dos le 27 février.

Face à un tel climat d'incertitude et à la rapidité avec laquelle la plupart des chefs de parti ont discuté avec et rejoint le camp de l'alternance incarné par WADE son concurrent immédiat et adversaire au second tour, le tour du 19 mars sera encore plus crucial que ne l'aura été le premier tour pour le PS.

En ce sens, le camp socialiste reconnaît que rien ne sera facile et sonne le rassemblement de cette grande famille. Les dissidences conduites par Djibo KA et Moustapha NIASSE avaient

été fatales au PS et c'est la raison pour laquelle, dès la publication des résultats du premier

tour du scrutin, plusieurs tentatives ont été faites auprès de ces derniers pour reconstruire l'unité autour de DIOUF.

Ce que fera savoir Khalifa SALL chargé des élections du PS et pour qui « le parti reste ouvert

à tous »40 ; le candidat socialiste entre les deux tours adressera une invite personnelle au leader de l'URD pour amener à ses côtés « les changements que veut le pays »41 .

Djibo KA rejoindra DIOUF mais ce retournement de veste eut des effets assez limités en raison de la rébellion immédiate des segments de son parti, issus de la gauche sénégalaise, qui firent scission et se constituèrent en URD/FAL.

B L'AFP pour un «changement sans Diouf ».

La stratégie de NIASSE, candidat de l'AFP et de la CODE 2000 au second tour du scrutin

s'inscrit dans une logique de fermeté et de détermination. Le schisme se confirme et le camp progressiste persiste dans son discours de déconstruction du régime socialiste.

Parler d'une prégnance du changement, nous oblige en conséquence, à tenter de voir la conception que l'on s'en fait dans le camp de l'AFP et de la CODE 2000. Etant tête de file de cette coalition, le leader progressiste va naturellement placer en orbite son parti, l'AFP qui va désormais incarner la vision de l'ensemble du groupe politique mis sur pied.

En l'an 2000, l'AFP se voulait « être un moteur de l'alternance politique en laquelle le peuple

sénégalais avait placé tant d'espérance » et militera pour un changement radical: un changement de régime politique, de la constitution et des institutions, un changement dans la volonté réelle de changer le pays et de le faire évoluer, un changement des mentalités par le biais d'une éthique sociale et d'une éthique républicaine.

La base devait se résumer dans sa devise : FOI, PATRIOTISME, SOLIDARITE.

40 Quotidien Le Matin du Mardi 29 février 2000

41 Quotidien Le Matin du 14 mars 2000

Ainsi le parti du progrès voulait « participer à l'élargissement des aspirations légitimes vers de vrais changements dans le mode de gouvernement du pays et pour une prise en charge consciente et organisée des responsabilités (...) vis à vis du peuple sénégalais » 42.

La priorité réside aussi dans la moralisation de l'espace politique sénégalais pour la consolidation et le renforcement de la démocratie, en un moment où celleci se trouve gravement « malmenée par des dérives morales et des comportements politiques qui ont tendance à tourner le dos à l'éthique de responsabilité et à l'éthique de conviction ». Lors de ces élections, comme les précédentes, la dénonciation de la corruption du régime socialiste sera

au coeur du débat.

Dans ce contexte où tout bascule pour le PS, ayant suffisamment tâté le pouls de ses concitoyens, le leader de l'AFP va rapidement trouver un slogan qui a le double avantage de

'faire mouche' et de conférer une identité politique par rapport au mouvement sopi, à travers

son « na dem ! na dem ! na dema dema dem ! » (Qu'il parte ! Qu'il s'en aille !).

C'est ainsi qu'aux appels à l'unité autour de DIOUF entre les deux tours, NIASSE, s'étant inscrit dès le début de la campagne dans une stratégie visant à saper le régime socialiste, ne pouvait faire volteface.

Il durcit le ton et maintient le cap ; ce qu'il va exprimer de manière très imagée par « la voiture dans laquelle je me trouve est déjà en marche et ne peut pas faire marche arrière ».

En réalité, NIASSE opposait ainsi un fin de nonrecevoir à toutes les tentatives de réconciliation avec DIOUF et dès le 28 février 2000, lendemain du premier tour, il ne laisse planer aucun doute sur son refus de reporter ses éventuels suffrages sur le candidat socialiste43 .

42 Allocution de Moustapha NIASSE, commémoration du 3ème anniversaire de l'AFP, Dakar, samedi 24 août

2002 Hôtel Méridien Président

43 Quotidien Le Matin du lundi 28 février 2000

La logique sera confirmée quelques jours plus tard avec l'appel à « voter WADE », le candidat

de l'opposition le mieux placé et étant arrivé en seconde position derrière DIOUF44 . Il appréciera ce report de votes sur le candidat de la CA 2000 comme étant « une attitude de logique...et non d'appréciation ou de choix ».

Aussi, pour faire advenir ce changement, le point focal de la campagne de la coalition dirigée par Moustapha NIASSE se trouvera être le combat de tout le reste de l'opposition : lutter pour

un scrutin transparent et régulier.

L'exigence de transparence du scrutin et la sécurisation du processus électoral vont rythmer les débats de la campagne surtout dans le camp de l'opposition politique45 . Et même si elle incarne une coalition avec la CODE 2000, l'AFP rejoint tous les autres partis qui s'érigent contre le pouvoir socialiste, dans la cadre du FRTE. Pour sa part, la formation de NIASSE entend s'inscrire dans la voie de la légalité, avec la présence active et nombreuse d'observateurs aux élections, afin d'éviter des pratiques frauduleuses telles que « votes multiples, votes d'absents ou de mineurs et même de morts... ». Il s'agit donc d'opposer des contre ruses aux éventuelles ruses du pouvoir. Le discours est significatif car il provient de quelqu'un qui sort du régime socialiste luimême et le connaît parfaitement.

La sécurisation du processus électoral cache le débat de « l'affaire des cartes israéliennes » pour laquelle, « l'AFP veut enfoncer l'ONEL » selon les journalistes Jean DEMBA et Alioune FALL et « rejette les aveux de Lamine CISSE » d'après Diaw MBODJI46 .

Cette affaire des cartes israéliennes était, une occasion pour les candidats de l'opposition de tirer à bout portant sur l'organisation des élections. La mise à nu de la fabrication secrète de cartes d'électeurs en Israël est une aubaine pour mettre davantage de pression sur l'Administration, le Ministre de l'Intérieur et le PS qu'aucun leader politique ne voulait épargner. Moustapha NIASSE, qui va révéler le « scandale » y est allé crescendo dans les révélations, tenant en haleine les sénégalais mais aussi ses partenaires du FRTE et même le Ministre de l'Intérieur. Ce dernier n'a pu qu'avouer l'opération secrète de fabrication de ces cartes et s'enfoncer davantage en révélant sa correspondance « de rattrapage » adressée à l'ONEL pour l'en informer.

44 Quotidien Wal Fadjri du mercredi 1er mars 2000

45 Lire à ce sujet l'entretien accordé par le SG de l'AFP à Sud Quotidien le 14 janvier 2000

46 Quotidien Le Matin du jeudi 13 janvier 2000 p.2

Le chef de file de la CODE 2000 n'en oublie pas le régime socialiste et c'est ainsi qu'à Kaolack lors du congrès d'investiture de l'AFP, les révélations étaient aussi au rendezvous.

Il enfonce le clou en accusant nommément le duo 'CISSETanor' (le Général Lamine CISSE ministre de l'intérieur et Ousmane Tanor DIENG, premier secrétaire du PS) et dévoilant comment le Ministre de l'Intérieur et le Premier Secrétaire du PS auraient radié les militants de l'AFP du fichier électoral. En effet, « ...les jeunes, âgés de 18 à 25 ans, qui se sont inscrits en masse sur les listes électorales, ont été éliminés du fichier. Cela montre que le PS se sait déjà perdant et veut frauder... »47 . Sans doute, le leader progressiste ne manquait pas d'informations pour devancer tous ses alliés dans la bataille pour la transparence et la régularité

du scrutin mais il est allé un peu plus loin dans sa conquête du leadership de l'opposition et du

pouvoir, annonçant en prime qu'il serait à la tête de la manifestation du FRTE du 2 février 2000 dans les rues de la capitale. Cette marche aura eu pour but de réclamer la transparence dans le scrutin comme l'indique son nom.

Dans cette bataille, le système et le fichier électoraux vont occuper une place prépondérante. Le cadre est donc trouvé au sein du FRTE qui regroupe cinq candidats à l'élection présidentielle à savoir Abdoulaye WADE, Moustapha NIASSE, Djibo Leity KA, Mademba SOCK et Iba Der THIAM. En ce sens, les partis de l'opposition vont exercer un contrôle rapproché du processus électoral à travers les demandes relatives à la fiabilité du fichier électoral, la contestation de l'impression des cartes d'électeurs en Israël48, la distribution des cartes d'électeurs et le contrôle du déroulement du scrutin.

Cette démarche va se traduire par la pression exercée sur les services du Ministère de l'Intérieur intervenant dans le processus électoral, la contestation du choix du président DIOUF nommant

à la tête de l'ONEL un de ses proches (le Général Abdoulaye DIENG), le débat autour des

cartes électorales `sénégalaises' et `israéliennes' ou le trafic de pièces d'état civil et de fausses cartes d'identité.

Le FRTE va donc s'ériger en sentinelle pour la sécurisation du processus et du fichier. Et le point culminant de ses protestations a été la marche organisée le 2 février 2000 pour remettre

en cause les conditions de l'impression secrète de cartes d'électeurs en Israël. 49

47 Quotidien Le Matin du lundi 17 janvier 2000 p.2

48 Lire la résolution du FRTE en date du 10 janvier 2000 dans Sud Quotidien du 11 janvier 2000 ainsi que I. SENE, « le contentieux sur les cartes israéliennes : les tenants et les aboutissants » dans Le Matin des 17 et 18 février 2000. Lire aussi Wal Fadjri des 11, 16 et 27 février 2000

49 Voir le CR de la marche du FRTE, Wal Fadjri du 3 février 2000

Section 2 : Le contexte particulier de l'an 2000.

Le contexte de février 2000 aura sans nul doute été celui d'un scrutin particulier au regard de la

forte aspiration au changement. Un vocable que s'approprient tant les partis politiques du

Sénégal, que le commun des citoyens. En effet, « les sénégalais sont fatigués », pour reprendre

les mots de Kéba MBAYE, ancien président de la cour suprême du Sénégal en 1981 (A). A cela viendra s'ajouter le nouveau visage qui caractérise le paysage politique national. L'AFP et l'URD intègrent le jeu politique, sous la bannière de l'opposition et le PS ne se livre plus à son perpétuel faceàface DIOUFWADE ; au même moment des leaders religieux concourent au suffrage des sénégalais et situation inédite, un leader syndical s'invite dans cette arène très fermée.

On assiste en ce sens à une relecture et à une recomposition dans le jeu politique national (B).

A La fatigue des sénégalais et la prégnance du changement.

« Les Sénégalais sont fatigués... » avait dit Kéba MBAYE, alors président de la Cour suprême

en janvier 1981, lors de la prestation de serment d'Abdou Diouf, qui venait de succéder à Léopold Sédar Senghor, démissionnaire. Ces mots du magistrat faisaient aussi penser à l'avertissement que Serigne Abdou Lahat MBACKE, alors Khalife Général des Mourides, lança au prédécesseur d'Abdou DIOUF, dans un entretien rapporté par le Quotidien national Le Soleil du 23 juin 1980 et faisant comprendre au Président que « baykat yi da nio sonn » (les paysans sont fatigués...ils ont besoin de boire et de manger). 50 Passé le mythe de l'an 2000

`atum naatange' (année du développement et de la prospérité, selon un célèbre slogan politicien) et la 'prophétie' par laquelle « en l'an 2000, Dakar sera comme Paris » (Senghor),

50 DIOP M. C., et DIOUF M., Le Sénégal sous Abdou DIOUF Etat et société, collection Les Afriques, Karthala,

1990, p.70

les sénégalais se retrouvent, lors du scrutin présidentiel de la même année, devant la réalité d'un pays qui, à l'instar du reste du continent africain, aborde l'étape du troisième millénaire avec un certain nombre de convictions et d'espoirs, mais aussi beaucoup d'incertitudes.

L'étude du contexte particulier de l'an 2000 qui imprime une spécificité certaine à cette

élection, nous ramène à évoquer « Le Sénégal sous Abdou DIOUF »51 .

Se livrant au diagnostic du Sénégal lors du régne de DIOUF et surtout vers les dernières années

de son régime socialiste, le sociologue Malick NDIAYE relève une ambiguïté puisqu' « on a pris conscience que l'on peut contraindre sans avoir raison et même se faire applaudir » 52. Mais le peuple ne se plie plus à la fatalité « de sorte que quand Monsieur LOUM (PM de DIOUF) dit qu' « il faut payer les impôts !», un citoyen se lève pour dire que « non ! car si l'on paie on renforce le parti au pouvoir qui pille les deniers publics ».

Et « lorsque l'excédent du monde rural colonise le secteur commercial et informel, il refuse

pour la plupart de payer le 'diouty' au fisc ».

Le diagnostic débouche sur une crise de la famille et de la sphère politique. « La famille est perturbée, elle est à la dérive car le père perd son emploi et `ferme les yeux' ; la mère ne peut plus demander à sa fille où elle va ou même de porter plus décent ; le fils et la fille ont des besoins sur terre et peuplent la maison de petitsfils pour papa et maman... ». Ce qui peut apparaître anodin au point de friser le ridicule, n'a rien de tel mais traduit bien une perte de sens et un délitement qui s'opère au sein de la société. Au moment où l'autorité des parents s'effrite parce qu'ils ne sont plus en mesure, pour beaucoup, de subvenir à tous les besoins de la famille ; la maman se débrouille comme le traditionnel `goorgorlu' qui n'assure plus vraiment

la dépense quotidienne, ayant perdu son travail ou ayant toujours été au chômage ; les enfants pour leur part, se voient ainsi affranchis de quelque autorité ou tutelle et sont 'laissés à eux mêmes', ce qui ne manque pas de leur 'pousser des ailes', de liberté, de mieuxêtre mais surtout d'indépendance et d'autonomie.

La même crise secoue l'Etat qui est en perte de vitesse dans un monde globalisé et où seules compétitivité et concurrence existent comme valeurs et repères. L'Etat montre donc ses limites

et ne peut plus assurer et assumer ses fonctions traditionnelles. Devant pareil `recul de l'Etat',

51 cf. ouvrage de Mamadou DIOUF et Momar Coumba DIOP., Le Sénégal sous Abdou DIOUF Etat et société, collection Les Afriques, Karthala, 1990

52 Communication sur « Le phénomène religieux au Sénégal », rencontre de la Coordination des Etudiants

Catholiques du Sénégal, Dakar, UCAD 2 , samedi 1er mai 2004

la quête d'un nouveau sens s'installe et les populations conscientes que l'Etat n'est pas toujours omnipotent, aspirent à prendre en main leur propre destin. Finis le fatalisme et la soumission ! Ces individus avaient en partie, une tendance ou une propension à supporter et à subir les événements, les privations et les frustrations, comme s'ils avaient perdu leur capacité

de s'émouvoir et de s'indigner. Cette propension progressive à s'accrocher et à ne se référer qu'au passé ou à ne vivre que dans le présent et « tout, tout de suite, ici et maintenant », traduisait le fait qu'ils étaient si peu confiants en l'avenir. Les inégalités se creusent et le fatalisme et l'indifférence submergent certaines populations en en faisant des spectateurs désabusés ou des acteurs de l'érosion sociale, culturelle et économique du pays.

En 2000, la prégnance du changement ne peut plus se nier car « les gens ont l'impression d'avoir atteint le fond du gouffre et de n'avoir plus rien à perdre, face à un parti Etat qui cherche ses marques depuis trente ans et qui érige le tâtonnement en règle » 53. Le mécontentement politique se traduit aussi par le refus de la situation existante, la revendication d'un changement des mentalités et d'une redéfinition des structures participatives de la vie publique. Aussi les démons de la violence guettent les jeunes désoeuvrés et une vaste couche de

la population, rurale comme urbaine, frappée par la crise sociale.

Et « après tant de promesses non tenues (...) le discrédit et la méfiance n'ont été aussi forts à l'égard des dirigeants »54 . « En vérité, le concept du sopi n'est pas réductible à un slogan creux, tant s'en faut ; il s'enracine dans l'âme damnée d'un peuple qui lutte pour faire triompher l'ambition imprescriptive de justice sociale » 55 .

La lutte pour le changement et l'alternance devient alors une lutte pour la survie qui prend les formes du parricide, tel « l'alternance ou la mort ». En l'an 2000, 34% des sénégalais vivent en dessous du seuil de pauvreté au moment où les idéologues du régime socialiste brandissent fièrement, tels des taquins, le taux de croissance qui préfigure l'entrée du Sénégal dans le club des pays émergents.

En effet, à la veille de la présidentielle de l'an 2000, le Sénégal, qui aurait pu prétendre à ce que, conformément à la prophétie du président poète, Dakar soit comme Paris, se trouve « dans

un contexte économique et politique marqué notamment par la désespérance et la désertion du rêve d'un grand soir évanescent » et face à un « système gangrené par l'immobilisme, la

53 Djibril SYLLA , Sud Quotidien du 1er avril 1999

54 Moustapha NIASSE « Je suis prêt », discours du 16 juin 1999

55 NDIAYE A. M., et SY A. A., Les conquêtes de la citoyenneté Essai politique sur l'alternance, Harmattan, Paris 2001, p.50

gabegie et un fort sentiment d'impunité né du mépris »56 . Ainsi, les auteurs des « conquêtes de

la citoyenneté » invitent t'ils, dans leurs avantpropos, à remarquer que le succès du sopi et de

la volonté du changement, « n'est pas réductible à l'alternance, même si celleci n'est pas une rotation du pouvoir d'un parti à un autre. Il s'agit d'un mouvement social qui déborde le cadre d'un scrutin dont il se sert comme prétexte pour déployer son cours à l'échelle de l'espace politique »57 .

La compréhension que le peuple se faisait du changement avait une connotation purement sociale : d'abord, le changement comme nécessité pour le progrès social et ensuite, la nécessité d'une meilleure gestion de la demande sociale.

Avec l'échec des politiques d'ajustement structurel, une certaine distanciation entre l'Etat et le peuple se constate de même qu'une frustration plus ou moins généralisée et une forte tension sociale illustrée par les manifestations, les grèves et les revendications de toute sorte.

Les populations aspirent tout naturellement à de meilleures conditions de vie et à une adéquation entre la demande sociale et la démocratie, au moment où le PNB/ habitant par an

est d'environ 500 dollars, l'espérance de vie est de 51 ans pour les hommes et de 54 ans pour

les femmes ; ce à quoi viennent s'ajouter un fort taux d'analphabétisme et une économie très agricole mais très fortement dépendante de la pluviométrie. Malgré une nette dégradation des indicateurs sociaux depuis la dévaluation du Franc CFA en 1994, aucun frein n'a été mis à la forte augmentation du train de vie de l'Etat, à l'impunité concernant certains cas de détournements de deniers publics, à la résistance des 'grosses fortunes' à payer les impôts, à la multiplication des institutions jugées coûteuses et destinées à reclasser le personnel politique, à l'image du Sénat.

Lorsque que DIOUF se présente devant le collège électoral sénégalais, le contexte est loin de

lui être favorable car marqué par une forte détérioration de la situation sociale, une crise économique sans précédente et dont les conséquences sociales, deviennent de plus en plus difficiles à supporter pour une très large majorité de la population.

56 Idem pp 5 et 6

57 Idem p.10

Identifier les responsables de cette crise revient à saisir comment le gouvernement sénégalais essaie de régler ce que J. BAKER appelle le « paradoxe du développement » qu'il définit en ces termes : « le gouvernement est tiraillé entre le besoin d'obtenir un soutien politique qui lui impose d'être à l'écoute des doléances des communautés de base et le besoin de mettre en oeuvre une politique qui l'amène à provoquer des mutations en leur sein » 58.

Il nous faut donc remonter jusqu'au début de la magistrature de Abdou DIOUF car l'an 2000 ne peut être que l'aboutissement d'un long processus. Le départ de SENGHOR a été marqué par

le début de l'ajustement structurel avec la mise en chantier du Programme de Stabilisation

(19781979) et du Plan de Redressement Economique et Financier (19801985). Tel est donc le difficile et délicat contexte dont hérite son dauphin.

Au début des années 80 avec le PREF, le Sénégal se voit obligé de négocier un rééchelonnement de sa dette extérieure à travers le Club de Paris et les explications de la crise économique passent du registre de la conjoncture à celui des structures. De la sécheresse à la détérioration des termes de l'échange, on pointe désormais le doigt sur les fluctuations annuelles du taux de croissance, la faiblesse de la productivité des investissements et les fortes pressions sur la situation financière de l'Etat, des secteurs public et parapublic.

Cette situation d'ensemble va provoquer l'élaboration et la mise en oeuvre d'un nouveau programme en 1985, le Programme d'Ajustement économique et financier à Moyen et Long terme (PAML) qui couvre la période de 1985 à 1992.

A la différence du programme de stabilisation et de redressement qui s'attaquait à la

conjoncture, le PAML se consacre aux structures. C'est ainsi que les objectifs sont clairement définis :

une meilleure assise des bases de la croissance économique par la définition des stratégies sectorielles, la Nouvelle Politique Agricole (NPA), la Nouvelle Politique Industrielle (NPI), destinées à mettre en place un ensemble de systèmes d'incitation à la production et à l'emploi ;

une meilleure productivité des investissements avec des innovations majeures au niveau des procédures de planification ;

une réorganisation des secteurs public et parapublic ;

58 BAKER J., The paradox of development :reflexions on a study of local central relations in Senegal in M.F. LOFCHIE editions ; The state of the Nation's Constraints on Developpement in independent Africa, Los Angeles, University of California Press.1981,p.47

une poursuite de l'assainissement financier.

En ce sens, on constate un déphasage radical entre la politique d'ajustement et les modalités et procédures politiques en cours depuis l'indépendance. Ce déphasage s'explique certainement par la crise au sein de PS et de la CNTS, qui est accentuée par la technocratisation du gouvernement et de la haute administration qui commencent à échapper aux règles de la cooptation politique classique et qui essaient de s'assurer une certaine autonomie par rapport aux réseaux de clientèle.

La situation est rendue plus confuse encore par le décalage sans précédent entre le discours socialiste du régime socialiste et sa pratique économique libérale. Ce que Momar Coumba DIOP et Mamadou DIOUF relèvent en disant que « les incidences sociales, politiques et économiques des mesures préconisées s'avèrent de plus en plus inconciliables avec les contraintes du clientélisme et avec la logique du soutien mercenaire à un moment où la dégradation des conditions de vie accentue les demandes sociales de plus en plus difficiles à satisfaire » 59

De sorte que pour ce qui est du Sénégal, cette situation a augmenté les épisodes de confrontations entre certains groupes et l'Etat et affaibli le système de contrôle politique des travailleurs à travers la CNTS. Il existe aussi le fait que les mesures préconisées ont menacé les circuits financiers qui ont permis la constitution et la reproduction de la bourgeoisie bureaucratique.

Dans ces conditions, il est permis de penser que c'est tout un segment de la base sociale du

régime qui se trouve menacé. C'est là que se trouve, à notre avis, la raison des résistances par

'le haut' aux politiques d'ajustement. Cette résistance du 'haut' ne fera que défavoriser et fragiliser le 'bas' qui ne peut en voir les fruits en termes de changement de conditions de vie.

La conséquence est donc, pour l'Etat, qu'en diminuant ainsi le vaste champ qui permettait

l'entretien de sa clientèle, les nouvelles politiques diminuent en même temps la possibilité d'un contrôle social et politique efficace.

Le désengagement de l'Etat signifie la privatisation d'une partie des entreprises et donc des licenciements massifs.

Ces nouvelles politiques industrielles, bancaires, réglementaires et celles qui entreprennent la restructuration du secteur parapublic ont eu des effets très néfastes sur l'emploi : en effet, le

59DIOP M. C., et DIOUF M., Le Sénégal sous Abdou DIOUF Etat et société, collection Les Afriques, Karthala,

1990, p.147

secteur public a pratiquement arrêté de recruter, les écoles de formation sont contingentées et plusieurs entreprises, en faillite, ont fermé ou licencié leur personnel. Et pour Sud Hebdo

(Hebdomadaire qui deviendra Sud Quotidien), les mesures de libéralisation auront directement menacé 15.000 emplois.60 .

A cela viendra s'ajouter la crise de l'Université et du système éducatif, de même que l'équation

de l'insertion des jeunes diplômés.

Vingt ans après l'avertissement du Juge au nouveau président, la situation que déplorait Kéba

MBAYE s'était dégradée davantage avec la dévaluation du F CFA (en 1994), au point de créer

un ardent désir de changement chez les Sénégalais. Ce désir va coïncider avec l'aboutissement d'un long processus de luttes politiques, syndicales et sociales dont les événements post électoraux de 1988 ont été le détonateur latent, mais qui portaient, en eux, les germes de la fin d'une époque et du mythe socialiste.

En effet, pour beaucoup et surtout pour l'électorat des jeunes ce scrutin était quelque peu celui

de la détermination et restait telle une dernière chance de changer de régime pour pouvoir prétendre à des emplois. Et face à un tel défi majeur, dicté par un simple instinct basique, de survie, le Rubicon devait être franchi !

B Relecture et recomposition du paysage politique sénégalais:

pour une ouverture du jeu politique

Le Sénégal a une histoire de compétition politique et de pluralisme associatif qui date de la fin

du 19eme siècle, et tous les sénégalais n'acceptaient pas, de bon gré, la contraction de l'espace politique sous le parti unique, quelque « paternaliste » et « bienveillant » que l'Etat clientéliste senghorien ait pu être. Dès 1968, les grèves se multipliaient avec la croissance du chômage dans les villes. Vers la même époque, la mauvaise gestion par l'Etat du secteur agricole suscitait un mécontentement paysan de plus en plus vif.

En guise de réponse, les paysans furent nombreux à abandonner la culture de l'arachide qui constituait à l'époque la principale source de devises du Sénégal avec l'approbation de leurs

60 Sud Hebdo, numéro 15, 7 juillet 1988

chefs religieux, qui commençaient à prendre leurs distances par rapport au régime PS, de plus

en plus impopulaire61).

Mais lorsque se lève l'aube de l'an 2000, l'échiquier politique sénégalais est déjà riche et diversifié du fait du pluralisme. En effet, le processus de libéralisation de la vie politique que Senghor avait voulu limiter à trois courants, est encouragé et approfondi par son successeur Abdou DIOUF.

De sorte que l'on en arrive à recenser près de 70 partis politiques. Aussi la présidentielle de

l'an 2000 seratelle âprement disputée et très ouverte au regard des multiples offres des partis

en lice.

En tentant d'évoquer les particularités de ce scrutin, nous n'avons pas manqué de citer le nouveau visage et la recomposition du champ politique sénégalais qui en devient plus ouvert par le jeu des alliances ou coalitions et celui des nouveaux partis qui tentent de percer et de s'imposer.

On peut y lire une 'maturité' de l'opposition politique qui fait bloc avec un seul mot d'ordre :

débouter un régime socialiste vieux de quarante ans !

Mais ce qui reste inédit en l'an 2000, se trouve, sans conteste, dans le nouveau visage qu'a offert l'opposition politique sénégalaise, notamment avec l'apparition de l'URD et de l'AFP. Leur sécession aura été un élément de décrispation et de meilleure redynamisation de la vie nationale, par l'agrandissement de la brèche déjà ouverte dans l'ancienne bipolarisation jusqu'à présent campée par le Parti Socialiste et le Parti Démocratique Sénégalais.

Cette irruption sur la scène de l'opposition va bouleverser les calculs, les pronostics et les

données du paysage politique.

En effet, s'est constitué un 'bloc historique' car jamais l'histoire politique du pays n'aura connu pareille convergence des partis opposés au régime en place avec lequel ils ont décidé de finir à tout prix. L'illustration la plus parfaite du 'raslebol' des partis de l'opposition trouve son paroxysme lorsque, le 21 octobre 2004, elle `marche' sur Paris à l'occasion d'une visite du Président DIOUF en République Française ; visite en marge de laquelle le président devait

61 BECK Linda J., Le clientélisme au Sénégal :un adieu sans regrets ? in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.536

délivrer un important discours au Palais Bourbon, siège de l'Assemblée Nationale de France. C'est justement ce moment et cet instant précis que les leaders de l'opposition choisissent pour entrer en action par le biais d'une conférence de presse au coeur de la capitale, afin de dénoncer avec force les dérives du « modèle » de démocratie du Sénégal, un « label qui n'est plus vendable ».

Cette campagne dénonçait la « désagrégation de l'Etat » et défendait l'idée selon laquelle le

« président DIOUF, minoritaire, veut être président à vie ».

« La stabilité c'est nous ! », tel avait semblé être le cri de l'opposition qui se soude. Mais c'est surtout la crainte de voir le président DIOUF s'éterniser au pouvoir qui motive incontestablement le regroupement de l'opposition qui n'exclut pas le risque d'explosion de violence si le président s'acharne à se maintenir au pouvoir, après l'élection de l'an 2000, comme ils le soupçonnaient.

En effet, au lendemain des législatives de 1991, la majorité socialiste à l'assemblée nationale votait un amendement constitutionnel amendement Niadiar SENE62, abrogeant la limitation des mandats du président. Et pour l'opposition, DIOUF ne remporte les élections que grâce à

un système de fraude particulièrement élaboré et elle s'en disait prête à obtenir par la rue, ce

qu'on ne peut obtenir par les urnes. Le message était donc clair.

Amath DANSOKHO leader du PIT dira se battre pour que l'alternance se fasse « par les suffrages » et que personne n'empêcherait les sénégalais d' « explorer d'autres voies pour faire partir Monsieur DIOUF ». Il rappellera, pour justifier l'interpellation direct des hommes politiques français, qu'à

« toutes les élections, la veille du scrutin, il y'a des vols de jaguars français au dessus de

Dakar ».

Landing SAVANE, chef de file de AJ/PADS recommandera à cet effet, à ces « amis » du régime socialiste « de le dissuader de truquer les élections de l'an 2000 », se disant déterminé

à ne plus faire de concession.

Dans ce même registre peut s'inscrire le retour du 'pape du sopi' au Sénégal après une longue période d'exil à l'étranger. Ce come back aura donné naissance à un véritable ras de marée, d'accueil et de liesse populaire, de celui qui incarnait le sopi et que les populations, ont tenu à accompagner et à acclamer. Le succès était tel que le régime socialiste et les médias d'Etat et

62Du nom de son initiateur, le Député Niadar SENE

notamment la RTS (Radiodiffusion Télévision Sénégalaise) que beaucoup assimilent à ' RTS Rien Tous les Soirs' se seront illustrés par leur absence. Mais le relais sera passé par le biais des médias privés et notamment les stations de radio qui auront fait vivre ce retour du candidat

de la CA 2000, 'à chaud'.

Ce bloc historique de l'opposition devait réécrire l'Histoire politique du Sénégal et éloigner le spectre d'une « démocratie sans alternance ». Et si l'effritement du soutien traditionnel au pouvoir socialiste est réel, il a fallu aussi que les partis de l'opposition se montrent un peu plus

'agressifs' pour le changement en exerçant une forte pression politique sur le régime d'Abdou

DIOUF.

Cette pression n'avait qu'un seul levier : le changement, une aspiration partagée aux élections

de l'an 2000. Ce retour en force d'une opposition jadis morcelée et éparse, aura démontré un engagement politique en nette évolution.

En décidant de faire de l'échiquier politique sénégalais, un espace plus ouvert à la compétition,

le regroupement plus ou moins global de l'opposition, relevait de trois défis: D'abord, ne plus laisser DIOUF seul 'maître du jeu politique';

Ensuite, sortir de la traditionnelle bipolarisation PS/PDS;

Enfin, surmonter la fragmentation pour mettre fin a l'hégémonie du PS.

La campagne électorale aura, à cet effet, reflété une évolution générale sur une durée assez longue et les pressions d'une opposition à nouveau visage, pour une démocratie plus pluraliste

au Sénégal, ainsi que peuvent en témoigner les facteurs ciaprès:

les revendications de réformes institutionnelles, réduisant les pouvoirs du Président de la République et renforçant l'Assemblée Nationale, pour l'avènement d'un régime semi parlementaire;

l'apparition de nouveaux partis politiques sous la direction de chefs religieux, la politisation croissante de la jeune génération de petitsfils de marabouts et l'apparition plus ou moins prononcée, de thèmes religieux au cours de la campagne;

la candidature inédite d'un leader syndical autonome;

la démission de piliers du PS tels que Djibo KA et Moustapha NIASSE et leur décision de se porter candidats contre DIOUF à l'élection présidentielle ;

Au total, sept candidats se seront présentés contre DIOUF :

Abdoulaye WADE, candidat de la Coalition pour l'Alternance 2000 ; Iba Der THIAM de la Convention des Démocrates et des Patriotes (CDP Garab gui); Mademba SOCK63 , le fougueux leader syndical de l'Union Nationale des Syndicats Autonomes du Sénégal (UNSAS) avec son parti le Front de Rupture pour une Alternance Populaire (FRAP) ; Djibo Leity KA64

de l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD) ; Moustapha NIASSE65 leader de l'Alliance des Forces de Progrès (AFP) et de la Coalition De l'Espoir 2000 (CODE 2000) ; Cheikh Abdoulaye DIEYE du Front pour le Socialisme et la Démocratie/ Benno Jubel

(FSD/BJ) ; Ousseynou FALL, petitfils de Ibra FALL et leader du Parti Républicain du

Sénégal (PRS).

A l'approche du scrutin de février 2000, l'opposition aura surmonté sa fragmentation structurelle grâce à des alliances ayant débouché sur une (re)configuration politique dominée par trois grandes forces :

La CA 2000 de WADE

La CODE 2000 de NIASSE et de ses alliés ( huit partis dont l'AFP, le RND, l'Alliance Jef Jel...).

L'URD de Djibo KA.

Par cette multiplication des lieux de contestation et de mobilisation et une pratique systématique d'élargissement des fractures au sein du PS, les groupes oppositionnels offraient, aux yeux des sénégalais, les possibilités d'un compromis entre différentes sensibilités. A tort

ou à raison, ils présentaient désormais ainsi une alternative crédible au sein du paysage politique sénégalais. Et dans le cadre du FRTE, pour la première fois, ces procédures de contestation n'entraînaient ni la recherche d'une confrontation qui aurait pu aider le PS à

63 Il avait été emprisonné sous l'accusation d'avoir saboté les installations électriques du pays au cours d'une grève des employés de la société nationale SENELEC

64 Il avait quitté le PS en 1998 pour ensuite créer son parti et bénéficiait d'une grande popularité parmi les

Halpulaar et les jeunes urbains

65 Ancien PM et ancien Ministre des Affaires Etrangères, un des principaux rivaux de DIOUF au sein du PS à la succession de SENGHOR. Après avoir quitté le PS de façon officielle en 1999, il crée l'Alliance des Forces de Progrès (AFP) et a su attirer un certain nombre de cadres anciens du PS, qui avaient été marginalisés par Ousmane Tanor DIENG

recourir à des mesures exceptionnelles de contrôle de l'ordre public, ni la menace de boycott, qui aurait pu faire la part belle au parti au pouvoir.

En se politisant et en élargissant son personnel par l'adjonction d'un segment en provenance du

PS (KA et NIASSE), l'opposition sénégalaise se posait véritablement en force politique désormais prête à jouer les urnes contre Abdou DIOUF.

Cette première étude aura eu pour objet la construction du discours politique des deux formations politiques en direction de l'électorat sénégalais. Le discours sera apparu, sans conteste, antagonique: le PS s'engageant pour obtenir un nouveau mandat et l'AFP, nouvelle formation politique qui s'arrime à l'opposition et tente de s'imposer sur le champ politique national. Le discours étant prononcé, la suite de notre étude sera de tenter de voir son éventuel impact et la réception à laquelle il va donner lieu.

DEUXIEME PARTIE

LA PERCEPTION DU DISCOURS

POLITIQUE ET PERSPECTIVE

EXPLICATIVE.

« L'observance systématique des dispositifs de communication politique et des modèles

d'interaction proposés aux populations (ou aux acteurs sociaux), justifie, en outre, le questionnement sur la concordance réelle entre la visibilité médiatique et la lisibilité sociale

ou entre le discours politique et l'expérience vécue » 66

La communication politique construit une spécularité particulière : l'identité définie pour le destinataire de la communication lui donne une place d'acteur différente de celle qui est occupée par l'énonciateur. C'est la raison pour laquelle on peut articuler la communication politique à l'exercice d'un pouvoir. Elle articule aussi les discours des acteurs à leurs stratégies, pour construire leur signification et la faire apparaître dans l'information qu'elle diffuse. Mais élaborer des stratégies politiques, c'est justement donner aux actes et aux décisions euxmêmes,

en dehors de leur effet sur le réel et sur les situations, une dimension symbolique qui les rend

interprétables. En période électorale, par exemple, les médias engagent des stratégies énonciatives visant à assigner à leurs lecteurs, une place d'acteurs particuliers dans l'espace public : il s'agit moins, pour eux, de fonder des identités que d'instituer des acteurs et des stratégies : de faire de leurs destinataires les électeurs de tel ou tel autre candidat.

L'objet de cette seconde étape de notre recherche, consistera à apprécier la perception que l'électorat sénégalais se sera faite du discours de l'AFP et du PS. Ce qui revient pour nous, à en

66 MOUCHON J., La politique sous l'influence des médias, L'Harmattan, collection communication et civilisation, 1998

envisager les éventuels effets. En effet, lors de la campagne en vue du scrutin présidentiel de l'an 2000, les formations politiques auront beaucoup communiqué et émis des messages en direction des électeurs. Il faut aussi reconnaître que, dans certains cas, tels que la campagne électorale, les individus se tournent vers les médias pour y chercher des informations susceptibles de leur servir de guide et éclairer quelque peu leur choix.

L'étude des éventuels effets de cette communication occupera sans doute une importance substantielle (Chapitre 1) ; ce qui ne nous exemptera pas pour autant du devoir d'explication

de ces effets eu égard à plusieurs facteurs susceptibles d'agir sur l'électorat (Chapitre 2 ).

Chapitre 1 : Les effets de la communication politique du PS et de l'AFP.

Si pour Murray EDELMAN « Dans le monde politique contemporain, la construction du

spectacle fournit un élément de réponse important, car l'invention d' événements artificiels et

la diffusion des informations les concernant provoquent des émotions - des angoisses et des aspirations, des insécurités et des réconforts qui créent un besoin incessant des symboles légitimants » 67 , on doit admettre que le sujet qui suscite le moins de consensus dans la recherche sur les médias et la communication en général, concerne certainement leurs effets.

S'il y'a autant de débats à ce propos, c'est parce que l'on ne possède aucune mesure fiable pour prouver avec exactitude la part de leurs effets dans le comportement, les opinions et les attitudes.

En réalité, au coeur des discussions, se retrouve moins l'existence ou la nonexistence des effets ; chacun reconnaissant que les relais de la communication et la communication elle même laissent des traces ; c'est plutôt le degré d'influence des médias qui prête à discussion.

67 EDELMAN M., Pièces et Règles du jeu politique ; Editions du Seuil, Collection la couleur des idées, Paris,

1991, p.227

Les scores enregistrés par le PS et par l'AFP lors de ces élections, ne manquent pas de révéler

des effets réels sur les récepteurs de leur discours politique, tout au long de la campagne. En effet, loin d'avoir prêché 'dans le désert', des effets auront été notés, qu'ils aient été 'puissants'

ou 'limités' ; le discours sera apparu plus ou moins opérant (Section 1) quoique l'impact soit à

relativiser (Section 2).

Section 1 : Un discours aux effets réels .

Le discours politique relayé par une information médiatée se voit reconnaître une influence sur

ses destinataires. C'est même, sans doute, cela qui caractérise cette forme d'information médiatisée par rapport à l'autre forme de l'information, celle qui s'inscrit dans la communication intersubjective. En effet, la communication intersubjective constitue des identités, elle ne constitue pas des statuts ; elle porte sur des sujets et non sur des acteurs. Ce sont les médias et les formes de la communication politique qui articulent leur consistance symbolique (discours, images, représentations) aux engagements de leurs destinataires dans la pratique effective de leurs décisions et de leurs actes. C'est, d'ailleurs, pourquoi, dans la communication politique, il est possible de distinguer le rôle des énonciateurs et celui de leurs destinataires : à la différence de la communication intersubjective, la communication politique construit une spécularité particulière : l'identité définie pour le destinataire de la communication lui donne une place d'acteur différente de celle qui est occupée par l'énonciateur. En effet, la communication politique peut être articulée à l'exercice d'un pouvoir.

Dès lors comment expliquer pareil intérêt chez les citoyens sénégalais du moins ceux qui auront exprimé leur voix à l'endroit de ces deux formations politiques que sont le PS et l'AFP ?

Nous pouvons trouver les raisons des effets réels de la communication de l'AFP et du PS dans

le contexte même de cette élection par le biais du jeu des alliances et du rôle de relais joué par

les médias (A) mais aussi dans la dimension personnelle des leaders progressiste et socialiste

(B).

A De par le jeu des alliances politiques et l'action des médias.

Au début de la recherche sur la communication de masse, les chercheurs ont été convaincus de

la toute puissance des moyens de communication, qui sont apparus comme des moyens privilégiés pour façonner l'opinion du public. Les effets sont donc définis comme étant puissants avec un réel impact sur les destinataires, puisque pour Todd GILTIN « (...) les médias produisent leurs effets à long terme (...) les effets de la communication de masse doivent être analysés en termes de stabilité et de maintien du statu quo »68.

En effet pour les auteurs de l'Ecole Allemande et du modèle critique qui postulent la puissance des effets en communication, ce sont les permanences qui sont significatives. Les médias agissent non pas sur les changements d'opinion mais remplissent une fonction de reproduction ;

ils agissent comme un facteur de stabilité et plutôt que de dire à l'acteur ce qu'il faut penser, ce

à quoi il faut penser ou comment il faut penser, les médias lui disent ce à quoi il ne faut pas penser.

Avancer pareil postulat d'un 'discours aux effets réels' pourrait, à certains égards, apparaître comme une prétention mais les suffrages recueillis par les candidats socialiste et progressiste

ne sauraient être négligés. A la lecture brute des résultats du premier tour, l'on ne peut que s'en convaincre. Abdou DIOUF sort en tête du duel avec l'opposition, quelque peu éparse, avec 41% des suffrages tandis que Moustapha NIASSE avec 17%, s'impose comme la troisième force politique du pays derrière le leader charismatique du sopi, Abdoulaye WADE.

68 cf. cours de communication politique

Le PS va bénéficier du concours de nombreux mouvements de soutien qui militent pour la réélection du président sortant ; ces regroupements, même si leur apport peut être relativisé, vont drainer des « citoyens qui n'ont connu et ne veulent connaître d'autre président que DIOUF ». Certains partis vont le rejoindre au second tour, à l'image du BCG de Jean Paul DIAS qui justifie ainsi son ralliement, en mettant la jeunesse en garde contre les « marchands d'illusions » : « Nous combattions tous Abdou Diouf, mais dès l'instant que nous avons compris que celui pour qui nous menions ce combat ne le méritait pas, nous avons pris nos responsabilités. Aujourd'hui, nous soutenons fermement le candidat du Parti socialiste, parce qu'avec lui, le changement dans la continuité n'est pas un vain mot ». C'est ainsi que le PS sera soutenu par le PAI (Parti Africain de l'indépendance), le PLS (Parti Libéral Sénégalais), le PDS/R (Parti Démocratique Sénégalais/ Rénovation) et le BCG (Bloc des Centristes Gainde) dans le cadre d'une alliance dénommée Convergence Patriotique.

L'AFP de Moustapha NIASSE n'est pas en reste car elle dirige une coalition de 8 à 9 partis politiques, dénommée la CODE 2000, la Coalition De l'Espoir 2000.

Tous ces facteurs vont contribuer à faire de l'AFP, qui aura voulu s'imposer comme la clé du

changement, la troisième force politique du pays au lendemain du premier tour du scrutin et la seconde à l'issue des législatives de 2001, devant le PS.

Dans une étude qui se veut faite par le biais des quotidiens sénégalais, le rôle des médias ne peut être occulté car cette presse aura servi de relais et de support du discours politique des candidats en lice pour la présidentielle de l'an 2000.

Quand les médias engagent des campagnes d'opinion pour soutenir une cause ou un projet, ils entendent assigner au destinataire de ces campagnes la place d'acteurs prenant la décision qu'ils soutiennent : il s'agit, pour eux, de faire en sorte non seulement que leurs récepteurs ne s'identifient pas seulement symboliquement, mais aussi qu'ils adoptent les positions d'acteurs qu'ils leur assignent.

L'influence des médias ou de la communication politique désigne le degré de certitude ou de prévisibilité de cette identification d'acteur : plus il sera prévisible que ses récepteurs adoptent

la position qu'il entend leur faire prendre, plus on pourra dire qu'un discours politique aura d'influence et jouera, par conséquent, un rôle effectif dans l'espace public.

En effet, les médias sont aussi des acteurs et des relais d'influence : en assurant l'élaboration et

la circulation des idées dans l'espace public, ils constituent les agents d'influence, et, à ce titre,

il convient, sans doute, de donner au concept de médias une acception assez large ne se limitant, en particulier, pas à la fonction des organes de diffusion de l'information. Si l'on donne

le nom de médias à l'ensemble des acteurs qui élaborent et diffusent les formes de la médiation symbolique et les représentations de la sociabilité politique et des appartenances institutionnelles, il convient de désigner par ce terme l'ensemble des acteurs qui élaborent et diffusent les opinions dont l'échange et la discussion définissent les termes et les logiques de l'espace public.

L'influence des médias est, ainsi, à ce titre, de trois ordres.

D'une part, en assurant l'élaboration et la diffusion des informations sur le monde, ils donnent aux sujets de la communication et de la sociabilité un savoir sur le monde qui les met en mesure d'exercer une fonction d'acteurs dans l'espace de la délibération, puis dans celui de la diffusion.

D'autre part, en proposant des informations sur le monde, ils déplacent, restructurent, font évoluer, les termes du débat public, ne seraitce qu'en lui donnant des termes nouveaux, des désignations renouvelées et des points de vue ou des critères renouvelés sur le monde. Les médias, en ce sens, font évoluer ce que l'on peut appeler notre compétence symbolique de communication politique.

Enfin, l'influence des médias dans le débat public tient à leur aptitude à faire naître des acteurs nouveaux de la médiation politique ou à en faire disparaître d'autres. En ce sens, les médias disposent, dans le champ politique, d'une autorité symbolique : ils proposent des logiques nouvelles au débat public et, en assurant une fonction didactique auprès des sujets singuliers de

la sociabilité, ils assurent la fonction capitale de faire naître les sujets symboliques de la communication politique, à la fois en faisant apparaître les acteurs de la vie politique, leurs stratégies, leurs pouvoirs et leurs interventions dans l'espace public.

B De par la dimension personnelle des candidats.

Avec l'élection présidentielle des 21 février et 19 mars 2000, les hommes politiques sénégalais

sont, peutêtre sans s'en rendre compte, entrés dans l'ère de la campagne électorale personnalisée. Une campagne où l'idéologie et le programme politicoéconomique sont relégués en arrière plan au profit de la politique spectacle. Dans cette formule inventée par les Nordaméricains, seule compte l'image, la bonne image du candidat. Le marketing politique adopte désormais les mêmes outils que la publicité.

Le candidat socialiste sera apparu comme l'un des leaders sinon le plus charismatique de la scène politique du pays depuis le départ de Senghor. Son passé au sein de la haute administration va beaucoup militer en sa faveur avec son passé de technocrate et travailleur sérieux, rigoureux et consciencieux. Cet homme, tant par la carrure que par le regard, intime le respect et fascine même jusque dans le camp adverse de l'opposition. Et ce n'est nullement un hasard si en parlant de changement, beaucoup de sénégalais aient reconnu la grandeur et la valeur de cet homme d'Etat dont l'entourage reste, selon eux, le maillon faible . L'atmosphère tendu qui entoure le scrutin de l'an 2000 aura aussi aidé le candidat DIOUF dont le peuple a toujours gardé une image d'homme d'Etat serein, pacifique, posé et ayant un sens assez élevé des responsabilités qui sont les siennes. Aussi, va t'il sans trop le vouloir ou même s'en rendre compte, constituer l'homme de la stabilité, à un moment où certains leaders de l'opposition ne manquaient pas de faire allusion directe au coup d'Etat qui frappait la Côte d'Ivoire voisine. Il

ne fallait surtout pas que le chaos envahisse l'un des rares îlots de paix et de stabilité non seulement du brasier ouest africain, mais d'un continent secoué et déchiré par toutes sortes de conflits. DIOUF avait aussi su faire preuve de tact et de beaucoup de réalisme dans la crise avec le voisin nord mauritanien, conflit durant lequel les échos de missiles irakiens braqués sur

le Sénégal avaient fini de circuler au sein des populations.

C'est donc cet homme, n'ayant globalement rien perdu de ses valeurs humaines qui se sera présenté devant le jugement électoral des sénégalais. Sa volonté d'apaiser le climat politique aura eu des effets de même que son éternel refus de s'attaquer à ses adversaires politiques dans

les débats qui rythment la campagne ; et pour lui « sur le chemin qui nous réunit, il faut chercher ce qui nous unit ».

NIASSE va, pour sa part, bénéficier d'une forte et spontanée adhésion et d'un grand élan de

sympathie. Ce qui est sans nul doute du à son 'courage politique'. Les sénégalais n'avaient jamais été habitués à pareil schisme et cassure au sein du régime socialiste, un parti au pouvoir qui avait plus ou moins réussi à toujours discipliner ses troupes et les réunir autour de l'essentiel.

En effet, son irruption sur la scène de l'opposition va bouleverser les calculs, les pronostics et

les données du paysage politique. Plus, elle va lui imprimer une nouvelle dimension ; celleci se caractérise notamment par un engouement certain de la population en droit de vote pour le scrutin de l'an 2000.

Et le discours de NIASSE aura été « assez crédible » aux yeux du peuple.

Il est incontestable que son entrée en "indépendant" sur la scène politique aura perturbé la hiérarchie traditionnelle des partis. Niasse en jouant à fond sur son côté rassurant et sage, a su séduire pas mal de déçus du PS, qui hésitaient pour autant à s'engager aux côtés de l'imprévisible Wade. Autre facteur déterminant, l'âge. En l'an 2000, Niasse a l'avenir devant lui, Wade est en fin de carrière. Les professeurs d'université, une centaine, qui ont créé l'Alliance Nationale des Universitaires pour le Progrès (ANUP) , un groupe de soutien à Niasse, estimeront qu'il « est le seul à pouvoir assurer une alternance crédible, dans la stabilité (...)Le plus important (...), c'est de mener avec Niasse une réflexion sur le devenir du Sénégal ».

Ancien Premier Ministre, Ministre d'Etat et Ministre des Affaires Etrangères, la dimension personnelle du leader progressiste aura certainement permis une oreille attentive du côté des citoyens sénégalais, lui que l'on dit jouir d'une importante assise financière, d'un enracinement politique et des réseaux internationaux lui permettant de soutenir la confrontation avec l'entourage de DIOUF. Lisant la résolution générale du premier congrès ordinaire de l'AFP tenu à Dakar les 1er et 2 mars 2003, Bouna Mouhamed SECK, chargé des élections du parti notera que « dès la déclaration du 16 juin 1999, des milliers d'hommes, de femmes, et de jeunes

se sont faits l'écho d'un immense espoir qui a été le socle sur lequel s'est bât i le parti ».

Le contexte aura accompagné et soutenu le parti progressiste ainsi que le reconnaît son leader, pour qui, «l'AFP a vu le jour dans un contexte particulièrement riche en événements, au mois

de juillet 1999, au moment où les sénégalaises et les sénégalais étaient habités par de multiples

interrogations sur le présent et sur l'avenir de leur pays ». S'y ajoute que « cet appel avait conforté dans leur lutte, ceux qui, déjà refusaient toute compromission avec le régime en place

et s'étaient engagés dans la voie de mener à l'alternance démocratique »69 . En ce sens il

« aura contribué à transformer une aspiration en une alternance politique, en une réalité qui aura montré que le mode de développement du pouvoir au Sénégal pouvait non seulement se faire de manière démocratique, mais pouvait également s'effectuer sous la forme d'une alternance politique consacrant la chute d'un régime qui avait régné pendant quarante ans »70.

Il est aussi aisé de remarquer que le discours de NIASSE aura suscité beaucoup plus d'adhésion chez les femmes et les jeunes, piliers de l'électorat. Se voulant incarner le « Parti des Femmes et des Jeunes », le leader de l'AFP va militer pour la promotion de la Femme et du Jeune et « plus de la femme d'ailleurs, car elle est la maman du jeune mais ce dernier reste porteur d'espoir, de force et de vitalité ».

Malgré la réalité des effets du discours politique sur les citoyens, cet impact est à relativiser vu que « le discours du responsable politique, qui reste essentiellement autoréférentiel, n'est pas toujours bien et directement compris par le public ('l'électorat'). L'expression politique risque d'apparaître comme déconnectée de la réalité sociale et de perdre ainsi sa raison d'être aux yeux du citoyen confondue avec la logique médiatique actuellement dominante, la médiation ne remplit donc plus son rôle d'aide à l'échange démocratique » 71 .

Section 2 : Un impact à relativiser.

69 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal

contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002 p.597

70 Idem, p.597

71 MOUCHON J., La politique sous l'influence des médias, L'Harmattan, collection communication et civilisation, 1998, p.12

S'il est indéniable que la médiatisation contemporaine et l'essor fulgurant qui caractérise le secteur de la communication influent sur les pratiques politiques et sur les modalités de l'échange démocratique, il reste que les questions sur les effets ne peuvent en être posées sans faire un détour par le rappel de ce qui fonde la relation politique.

Il ne peut y avoir un trop grand écart entre les décisions de l'Exécutif et les aspirations de la majorité de la population sans que s'exprime la protestation politique.

L'ampleur des nombreux mouvements sociaux et la multiplication des alternances politiques, constituent des signes clairs de la volonté d'exister, d'être entendu et d'être associé à la définition des orientations qui régissent la vie commune.

Pris au piège de la formidable ouverture des réseaux d'information pour un public de plus en plus averti, les professionnels de la communication et la classe politique ont tardé à prendre la mesure des exigences qui en découlent.

Au Sénégal, la communication des partis politiques commence à se développer au moment où

le champ politique tend à se refermer sur luimême, limité à un jeu d'acteurs connivents dans la définition de leur pré carré et de leur position dominante. Et si elle traduit la professionnalisation croissante de la vie politique actuelle, leur efficacité n'est pas sans faille et leur hégémonie reste relative.

Il va de soi qu'en terme de communication politique, rien, n'est gagné d'avance et que les certitudes des mécaniques d'une adhésion ou d'une sympathie automatique de l'opinion, sont des attitudes à bannir. En reportant sans discernement ses propres états d'âme sur ceux des populations, en croyant que tout ce qu'il fait ou dit sera compris et salué par tous, l'homme politique court toujours le risque de ne rien comprendre des réactions opposées aux siennes. Les partis politiques émettent un discours et proposent ainsi une offre ; et à cette offre, les électeurs répondent de façon positive ou négative : le choix leur revient !

L'effritement de cette efficacité et de cette hégémonie s'envisagera à travers ce qui aura laissé

apparaître un certain rejet du discours politique (A). Ce qui traduit, assurément le 'malêtre' et

le 'malvivre' des partis politiques (B) confirmés par les enquêtes menées sur le terrain.

le rejet du discours politique.

Autant pour Abdou DIOUF que pour Moustapha NIASSE, le discours politique n'aura pas

toujours été opérant sur les destinataires au point que « les idées ne suffisent plus pour être

élu » 72

Mais le discours qui sera apparu le plus contesté reste, sans doute, celui du candidat socialiste.

En effet, malgré les engagements fermes d'Abdou DIOUF, candidat à sa propre réélection, le sort était déjà jeté ! L'électorat sénégalais, dans sa grande majorité, avait déjà choisi son camp... et l'appel du candidat Diouf lancé entre les deux tours au leader de l'URD, Djibo Kâ, qui a accepté, loin d'améliorer sa situation, lui aurait même valu, en plus de la scission au sein

de ce parti, selon certains observateurs, un vote sanction de militants socialistes, inquiets d'une

marginalisation certaine qui les frapperait, au cas où M. Kâ reviendrait aux affaires après la victoire du président sortant.

Et en voyant Abdou Diouf entreprendre, avec frénésie, une campagne de proximité tous azimuts entre les deux tours, beaucoup d'électeurs ont senti quelque part que c'était l'hallali et que l'alternance était à portée de bulletin. Et en pleine campagne électorale, l'ébruitage de l'augmentation du salaire des 140 députés 73 , va ajouter à leur désir d'en finir avec des gens perçus comme se servant mais qui ne servent pas l'Etat. Le président Diouf annoncera lors d'une conférence de presse au palais entre les deux tours qu'il n'avait jamais eu connaissance d'une telle décision.

Si, globalement, les facteurs susmentionnés peuvent expliquer les limites dans les effets du discours du président sortant, une radioscopie de la déroute cinglante qui en a résulté en appelle cependant d'autres, plus ou moins factuels ou liés à l'évolution même de la scène politique sénégalaise. Toute force s'épuise et le Parti Socialiste, au pouvoir depuis 40 ans, ne pouvait échapper à cette loi naturelle. L'usure du pouvoir a fait que le PS et la plupart des dirigeants qui l'incarnaient, avaient fait naître chez la majeure partie des Sénégalais, la conviction qu'on ne pouvait plus rien attendre d'eux, car malgré quatre décennies à la tête du pays, les choses sont allées de mal en pis .

72 MAAREK Philippe J., Communication et Marketing de l'homme politique, Collection communication politique et publique

73 Lire à ce propos WAL Fadjri du 19 février 2000

Le rejet du discours politique du PS traduit aussi l'échec de la campagne de Jacques SEGUELA, perçu quelque peu comme un nouveau Jean COLLIN, à propos duquel Amath DANSOKHO disait que « ce Sénégal est, sous bien des rapports, politiquement développé et ainsi, nous ne pouvons pas accepter un président qui est incapable d'assumer ses responsabilités et qui se met sous la protection de Collin. Et cet aspect est un problème politique de fond qui blesse le sentiment national des sénégalais » 74

Certes, en 2000, l'auteur de la « Force tranquille » est aux côtés du candidat socialiste, mais

« Ensemble, changeons le Sénégal », n'aura pas vraiment fait recette. En fait, le consultant

(qu'il soit américain ou français) ne transforme pas la manière de faire de la politique là où il débarque.

C'est peutêtre cela qui explique la débâcle de Séguéla et de son équipe qui, pourtant, avaient foulé le sol sénégalais, auréolés d'une longue liste de succès électoraux .Mais l'univers politique sénégalais a ses propres réalités qui n'obéissent pas forcément aux calculs et stratégies cartésiens élaborés à partir des cabinets des spécialistes occidentaux du marketing politique. Et malgré leur expérience et leurs gros moyens, ces "spécialistes du convaincre", ces "faiseurs d'images", n'ont pu faire avaler leur pilule aux électeurs sénégalais décidés à changer le cours

de leur Histoire.

Au soir du 19 mars, des analystes expliquèrent la défaite de Diouf par sa « froideur » et son

« éloignement » visàvis des préoccupations des masses populaires écartelées entre la misère,

la promiscuité et l'extrême pauvreté.

Ces masses ne comprirent peutêtre pas pourquoi, malgré ce mal vivre généralisé, les socialistes étaient allés chercher un consultant étranger (Jacques Séguéla) qu'ils auraient payé à coup de millions de francs Cfa...C'est cette méconnaissance du terrain qui a fait commettre au gourou français une erreur fatale : faire poser le candidat socialiste en costume cravate au milieu d'un champ et tenant entre ses mains une aubergine. Avec ce slogan : "Ensemble, faisons mûrir les fruits". En confondant les fruits et les légumes, il a précipité la débâcle des verts.

Qui plus est, au moment où les Politiques d'Ajustement Structurel étaient appliquées dans toute leur rigueur, atteignant les populations dans leur minimum vital, l'Etat, qui aurait dû donner l'exemple, par une cure d'amaigrissement, maintenait un train de vie assez dispendieux, allant jusqu'à augmenter le nombre des ministres dans le gouvernement et celui des parlementaires

74 Le Devoir, numéro 4, 29 mars 10 avril 1988, p.3

(les députés, plus les sénateurs). Cette attitude, que certains opposants politiques ont qualifiée

de « ma tey » (« j'en ai cure ! Je m'en fous ! », allait provoquer une profonde césure entre Diouf

et son peuple. Et dès, lors celuici était accusé d'être insensible aux maux dont souffraient les populations et cela d'autant plus que sa politique de communication fut médiocre : on le disait distant, même si ceux qui l'ont approché étaient convaincus du contraire.

La gestion socialiste a été également un autre facteur qui a pesé sur le choix des Sénégalais en l'an 2000. Que ce soit au niveau des collectivités locales, de l'appareil de l'Etat ou dans les sociétés nationales, la gestion était très souvent jugée opaque et parfois carrément ruineuse. Et

le peuple ne comprenait pas pourquoi les auteurs identifiés de malversations étaient maintenus

à leur poste ou pire, parfois promus à d'autres responsabilités. Cette impunité avait plus ou moins convaincu beaucoup de Sénégalais, qu'il n'était pas nécessaire de se tuer à la tâche « républicaine » ou pour brûler les étapes et accéder à la table de banquet, il fallait une adhésion

au PS et un militantisme d'ostentation (la transhumance précipitée de socialistes vers le PDS ou l'AFP, le prouve).

A cela, s'ajoutait la politique prédatrice développée par des lobbies de toutes sortes dont certains étaient une excroissance du pouvoir et quelques fois alliés aux monopoles, qui avec arrogance, avaient mis le territoire économique sénégalais en coupe réglée, bloquant toute possibilité de progrès au profit des populations.

On a pu dire par ailleurs au lendemain de la défaite d'Abdou Diouf, qu'il a perdu parce que la demande sociale était insatisfaite. En termes clairs, c'est le chômage et les défaillances constatées dans beaucoup de secteurs comme la santé, l'éducation, la sécurité, l'agriculture et

les routes...Au final, tous ces facteurs, dont chacun constituait un ruisseau, ont convergé pour

donner un fleuve impétueux, dont les flots ont eu raison d'un régime installé depuis l'indépendance et qui croyait en avoir encore pour longtemps sur les sénégalais.

Moustapha NIASSE aura également connu un frein à son discours.

Ainsi malgré l'engouement, l'adhésion suscitée et une campagne placée sous le sceau de l'éthique et de la morale, un échec sera noté : le candidat de l'AFP et de la CODE 2000 aura fait peur et n'aura pas totalement rassuré aux yeux de certains destinataires de son message.

Comme nous l'avons montré, dans la construction du discours politique, l'AFP et son leader ont

du affronter le dilemme progressiste qui consistait à ne pas apparaître comme le `clone du PS'

ou même un ` PS bis'.

Il faut bien admettre que la situation personnelle du Secrétaire Général de l'AFP n'était pas commode. Difficile, en effet pour lui, de trouver le ton juste pour critiquer un régime pour lequel les Sénégalais continuaient à avoir les yeux de Chimène et dans lequel il a joué les premiers rôles pendant de nombreuses années. Ce n'était pas non plus une sinécure pour quelqu'un comme Moustapha Niasse, qui a milité au sein du PS où il a occupé pratiquement tous les postes de responsabilité pendant presque quarante ans, de renier en bloc tout son bilan. Résultat, mis à part dans son fief électoral de la région de Kaolack, son message électoral n'aura pas vraiment connu une ampleur aussi grande hormis certains endroits où les soutiens ont pu agir.

L'adhésion massive et spontanée sera donc apparue comme un sursaut ponctuel, sans doute, dicté par une frustration des populations, trop longtemps contenue et qui ont semblé voir dans

le réquisitoire de l'homme leur propre discours. Mais on serait bien tenté de croire que l'engouement n'aura duré que le temps de la campagne qui devait chasser le régime socialiste.

L'impact des médias ayant transmis le message politique est aussi à relativiser, car ne manquant pas souvent à l'image des médias d'Etat de se faire instruments d'une propagande du régime

en place.

En réalité, les médias sont le moteur de la communication politique, mais à deux conditions. D'abord éviter d'être trop liés aux élites et conserver la fonction de médiation entre les

différents milieux de la société. Ils doivent refléter l'hétérogénéité de celleci. C'est leur rôle démocratique. D'autant qu'en 'haut', les dirigeants n'ont souvent plus de rapports avec la réalité

et n'y accèdent qu'à travers les médias. Si les médias ne reflètent pas mieux la diversité, le

risque d'incommunication augmente. Et le nombre de supports ne suffit pas à rendre plus transparente et compréhensible la société, car tous parlent de la même chose, au même moment. Pas assez ouverts, pas assez pluralistes, trop conformistes. L'espace médiatique ne transcrit pas assez l'hétérogénéité culturelle et sociale.

Les médias ne sont pas les portevoix des seuls hommes politiques et des sondeurs ; ils doivent refléter les autres opinions. Ils sont garants de l'hétérogénéité, faute de quoi il n'y a pas de respiration démocratique. L'éloignement et le rejet des médias de la part des citoyens peuvent

s'expliquer par leurs représentations de la vie sociale et politique. Il peut exister un rejet des médias comme, d'ailleurs, il peut exister un rejet du fait politique, auquel il est très étroitement lié. Ce désintérêt, cet absence d'engagement, marquent la limite de la communication politique comme pour mieux rappeler que l'engagement politique est, comme tout ce qui relève d'une médiation entre le singulier et le collectif, une affaire de désir : pour que s'instaure pleinement la médiation, encore fautil qu'à son pôle collectif soit effectivement articulé un pôle singulier, celui du sujet, qui ne peut exister que pour autant que l'y pousse la force réelle de son désir.

L'éloignement du sujet de la communication à l'égard des médias correspond au désintérêt. Il peut y avoir une lassitude du public pour les médias, et, en particulier, pour l'information politique dont ils sont porteurs. Mais la lassitude, le sentiment d'ennui que peut provoquer une activité, renvoie toujours à l'absence de culture ou à l'absence de désir. Le public peut s'éloigner des médias faute d'avoir été préparé à leur usage, et, à cet égard, le rôle de l'école est essentiel, mais il peut aussi s'éloigner d'eux par absence de désir pour l'engagement. C'est ce qui peut conduire, précisément, les médias, pour retrouver une puissance de captation du public condition, par ailleurs, de leurs ressources dans une économie libérale à tenir un discours lui aussi éloigné de l'engagement et du fait politique.

On peut tout de même ajouter que, la communication des partis se heurte à la nature même de

la transaction politique qui repose sur la capacité à faire adhérer à un projet politique ou à croire en un homme. De plus en plus sceptique, le récepteur garde une part de librearbitre suffisamment forte pour être capable de ne pas céder automatiquement aux sirènes de la persuasion programmée. Même repris à la télévision ou sur les ondes radio, avec l'insistance complaisante de certains commentateurs, leur effet n'a rien de mécanique.

Cependant, l'accélération de la professionnalisation politique et le rapprochement de plus en plus marqué avec la logique des campagnes publicitaires ne manquent pas d'être inquiétants au moment où les programmes des candidats se limitent à quelques vagues idées générales et à des intentions...forcement généreuses. En l'an 2000, la notion de sanction a ré émergé dans les références et dans les esprits et cette élection présidentielle a été l'occasion pour les populations, d'exercer leur libre arbitre.

Le rejet du discours politique qui est constaté dans cette étude, révèle un état et une situation

qui ont tendance à se généraliser dans l'échiquier politique non seulement national sénégalais mais mondial pourraiton dire.

En effet, mal vue parce « sale », la politique se retrouve confrontée à un 'malêtre' et à un 'mal

vivre'.

Le 'malêtre' et le 'mal vivre' des partis politiques.

L'étude des partis politiques est un objet canonique en science politique, cependant les partis politiques ont mauvaise presse. Ils sont souvent contestés, accusés de confisquer la "chose publique" et de manipuler les citoyens. Ils sont alors considérés comme des "fossoyeurs" de la démocratie (Rousseau, Guizot, Madison, Schmitt...). Cette mauvaise image est accrue par les liens fréquents entre les partis politiques et les affaires de corruption et les achats d'allégeances... Perçus comme des organisations éloignées des préoccupations du plus grand nombre, les partis politiques sont pourtant des éléments essentiels des régimes démocratiques

(Tocqueville...). En tout cas, la question se pose de savoir ce qu'est un parti politique dans un

système démocratique.

Et la réponse est bien vite trouvée : « Oui. Ce sont des dictateurs. Ils ne sont pas sincèrement démocrates. Le parti, c'est de la foutaise, un système de petits copains. Les élections, c'est de la rigolade. Moi, je le dis, ce sont des dictateurs. » 75

Le paysage politique sénégalais semble donner raison à l'auteur puisque les partis politiques jugés trop nombreux et estimés entre 84 et 89 au Sénégal, reflètent plus souvent la personnalité du leader qu'une quelconque idéologie. Le citoyen en arrive donc à être convaincu que tout dépend du label, qui reste libre sur le marche politique et que l'étiquette qui lui est apposée, importe peu.

La politique ne fait plus vraiment recette au regard des pratiques que les citoyens y décèlent et

les sempiternels revirements ne sont pas pour redonner à la volonté de gérer les affaires de la

75 KANE C.H., Les gardiens du temple, Paris, Stock, 1995, p.202

cité, ses lettres de noblesse. Il demeure aussi que « chez nous, la vie politique semble se ramener, pour beaucoup, à des luttes et à des courses pour le Pouvoir. Comme si la vie politique était un marche à conquérir ou à protéger. Les rivalités de personnes l'emportent sur

les débats de choix de société. Les moyens utilisés ne s'embarrassent guère souvent de

principes moraux et religieux. Les intérêts personnels et ceux de son clan passent avant le bien

de tous les citoyens... » 76

Le résultat est étonnant et l'éventail politique déploie toute la gamme des séductions : des conservateurs féodaux ou intégristes, jusqu'aux trotskistes ou aux populistes africains, en passant par divers échantillons de socialisme (autogestionnaire, travailliste, social démocrate, national progressiste...), les sénégalais euxmêmes se perdent et en restent perplexes.

La vérité la mieux partagée dans l'électorat est que les hommes politiques ne font plus que de

la 'politique politicienne', en fonction de leurs intérêts particuliers.

Au Sénégal, les hommes politiques ne sauraient échapper à cette critique au point même que beaucoup voient la politique comme répugnante et se convainquent que 'les promesses n'engagent que ceux qui y croient'.77). La politique n'a pas bonne presse et, pour beaucoup, elle

est devenue un moyen d'ascension sociale. Mais l'enjeu majeur qui s'attache à ce débat a trait à

la dimension éthique dans le jeu politique.

Se posent aussi la question des élites et celle du 'parachutage' politique. Cette dernière technique, qui s'est introduite dans le système politique sénégalais, frustre sur le plan psychologique, nombre de militants qui s'intéressent peu ou prou à la vie de leur parti. Ils ont cette impression que leurs voix ne comptent que les jours des élections mais que, pour tout le reste, on leur demande d'approuver et d'applaudir ce qui a été décidé à Dakar, en bureau politique...par dessus leurs têtes. L'arrogance des élites se retourne contre elles avec la fin du chantage à l'intelligence, à la compétence et produit une sorte de retour du boomerang ; Abdou DIOUF en aura fait les frais avec cette jeunesse qu'il s'était aventuré à qualifier en 1988, de

« jeunesse malsaine ».

76 Extrait de la Déclaration de l'Eglise Malienne, le 17 février 1991 rapportée par Moussa Makan CAMARA in

Questions brûlantes pour démocratie naissante, NEA Dakar 1998, p.17

77 Lire MAAREK, Philippe J. Communication et Marketing de l'homme politique, Collection communication politique et publique, Paris, LITEC, 1992

Comme pour le referendum de juillet 2005 en France sur la nouvelle constitution de l'Europe,

le rejet n'était pas pensable... Pourtant, en cas de suffrage universel, il n'y a plus de hiérarchie entre ceux d' « en haut » et ceux d' « en bas ». Enfin, c'est la preuve que ni les médias ni les élites ne font l'opinion et l'élection et qu'en sociologie électorale, la capacité de prédiction ou

de prédication est très mince. La tare de ce segment de la classe politique tient elle, dès lors, à son identité intellectuelle qui lui a rendu la société inaccessible ? Au point de reconnaître avec François ZUCCARELLI qu' « ...il leur manque le minimum d'adhésion populaire dont ils se sont coupés par une construction idéologique et des querelles de chapelles totalement obscures pour leurs concitoyens » 78

Osons poser le débat avec Dominique WOLTON : « Pourquoi si peu de modestie et d'autocritique ? Pourquoi ignorer à ce point que les citoyens ne sont pas dupes ? Que cette classe dirigeante médiatisée, pointe visible de l'iceberg, fasse attention : elle laisse dans l'ombre ces milliers d'élus (...) qui ont souvent une bien meilleure compréhension de la société que ces élites ; elle oublie les syndicats, associations, les mouvements d'éducation populaire, systématiquement identifiés à des corporatismes. Les citoyens voient tout et savent tout. Ils n'ont pas toujours raison, mais impossible de construire ce nouvel espace politique en sous estimant à ce point les récepteurs qu'ils sont ». 79

Les citoyens ont donc pris conscience de la nature de ce genre de communication, politique certes, mais plus ou moins intuitive : les partis ne communiquent véritablement que quand ils ont des manifestations en vue, les militants et éventuels électeurs étant considérés comme des acteurs passifs. Ce qui explique que souvent le discours politique soit inadapté aux réalités des populations. L'impact des politiques communicationnelles est aussi à limiter car il existe toujours des électeurs au choix déjà arrêté et les a priori ne résistent pas toujours ; ce qui explique, du reste, le basculement de beaucoup de fiefs et bastions dans un camp adverse.

Ce peu d'effet donnait le signal d'alarme du discrédit de la classe politique dans son ensemble, c'estàdire de la faillite du multipartisme. La volonté de 'Sopi' n'était pas nécessairement une acceptation du PDS au détriment du PS. Nombreux étaient, parmi la population, les Sénégalais

78 Zuccarelli F. La vie politique sénégalaise (19401988), Paris, CHEAM, 1988, p.94

79 Pas de démocratie sans communication politique, Article paru dans l'édition du journal LE MONDE du

05.06.05

qui mettaient tous les hommes politiques, à quelque bord qu'ils appartenaient, dans la même catégorie.

Néanmoins, il nous faut reconnaître que s'il est vrai que l'innocence militante a été ébranlée par

les désillusions idéologiques et les 'crimes' commis au nom des beaux principes et si les scandales politico financiers ont sapé la confiance populaire envers la classe politique, on ne peut pour autant en déduire que la dimension politique soit abandonnée. Assurément, le mécontentement politique traduit le refus de la situation existante et exprime la revendication d'un changement des mentalités et d'une redéfinition des structures participatives de la vie publique. Et « si la politique compte peu aujourd'hui, c'est parce qu'on nous a appris depuis vingt ans qu'il n'y avait, en tous domaines, `pas d'autre politique possible' » 80

Le souci majeur de notre étude aura été, au delà du recueil du discours politique des deux leaders de l'AFP et du PS, de donner la parole aux populations destinataires de ce discours. En effet, il ne convenait pas, pour nous, de nous en tenir au seul 'parler' des formations politiques ; encore nous fallaitil nous référer aux citoyens pour juger des éventuels impacts de cette communication. Cette préoccupation nous a conduit à mener des enquêtes à Dakar, Saint Louis et Rufisque.

Même si l'objectif n'était pas pour nous, une investigation sur le vote proprement dit, le premier souci consistait, dans un premier temps, à s'assurer que les composants de l'échantillon avaient effectivement voté lors de ces joutes électorales et ensuite, s'ils en étaient

au premier accomplissement de ce devoir civique.

Les réponses nous révèlent que ces citoyens n'en étaient pas à leur première expérience électorale et que depuis l'âge de la majorité civile et politique (passé de 21 à 18 ans), voter constituait pour nombre d'entre eux, mais pas tous, « un impérieux devoir ».

Quant aux motifs les ayant poussé au vote, la « volonté de changement » l'emporte même sur la volonté d'accomplir le « devoir de citoyen » ; ainsi tous invoquent le « changement ». Néanmoins, l'enquête montre que très peu d'entre eux ont vraiment pris la peine d'assister physiquement aux meetings et autres manifestations d'ordre électoral, préférant les stations de radio et certains quotidiens, « qui relayent toujours le message ». En effet pour eux, « le

80 CHEVENEMENT J.P., Le courage de décider, Editions Robert Laffont, février 2002, p.16

discours reste toujours le même » de la part des « politiciens » ; aussi se réservaientils « le choix » d' « aller tranquillement voter au jour du scrutin ».

Avaientils déjà choisi leur camp et arrêté leur vote ? A ce propos, les réponses recueillies nous renseignent que tout devait concourir au « changement » pour « qu'il (Abdou Diouf) s'en aille » : « Nafi jogge ! ». Fin en soi ou pas, les raisons pour fonder ce départ du candidat socialiste s'imposaient puisque « Yaage nafi torop ! Da nio sonnoon ! » ( Il a trop duré ! Nous étions fatigués !).

Le départ du chef de file des socialistes se présentait, quelque peu, comme un tout ou rien. Mais au delà de cette vision plus ou moins apocalyptique, tous les moyens n'étaient pas pertinents pour le traduire en réalité : le seul et unique moyen devait être le vote des citoyens ! Rares auront été les occasions de voir les citoyens sénégalais aussi sûrs de leur vote, du poids et

de la valeur réelle de la carte électorale. Ce qui ne dissipait pas entièrement des doutes quant à

l'éventualité d'une « confiscation des votes » ou de « fraudes » par le régime socialiste.

A cet titre, la communication des partis n'aura « pas vraiment » influé sur leur choix, qui reste fondamentalement motivé par le charisme et la « personnalité » du leader. Pour autant, l'impact

de « certaines promesses » ou engagements relayés par la presse, ne saurait être négligé avec notamment la sénégalisation des informations par le biais des langues nationales. L'explication

de cet usage des langues nationales et surtout du wolof, se justifie à bien des égards par le fort taux d'analphabètes au Sénégal mais aussi, par le rôle déterminant de la presse en tant que véhicule et média du discours politique, qui doit épouser les idiomes du public ciblé.

En définitive, les citoyens rencontrés se disent accorder « très peu de crédit » ou « aucun crédit » au discours politique, se rappelant toujours que « les promesses électorales n'engagent que ceux qui y croient » et que « les politiciens oublient les gens dès qu'ils sont élus ». Pareil constat traduit le fait que la politique est toujours mal vue ou perçue parce que jugée « sale » et

où tous les coups sont permis ; les hommes politiques « sont de mauvaise foi » et « ils sont

tous pareils ». C'est donc de faux discours qui lassent et amusent souvent le peuple qui n'écoute plus que par dépit ; « ils ne sont là que pour euxmêmes et seuls leurs intérêts propres dictent leurs choix et comportements ».

Ce discours pas franc des hommes politiques explique, pour nos interlocuteurs, la transhumance qui est devenue constante depuis l'alternance. Et face à l'essor noté de la

transhumance politique, naît un sentiment de « déception », de « trahison » ou de « perte de repères ou d'idéologie ». On ne laisse plus de réelle place à l'idéologie ou à l'éthique politique parce que « la politique est devenue un moyen d'ascension sociale ». Tout de même, certains enquêtés voient dans cette transhumance une réelle volonté de « participer à l'édification de la nation (...) de travailler pour le pays ». Et que cela, loin d'être décrié ou fustigé, devrait être salué et apprécié à sa juste valeur de « citoyenneté librement assumée » car « c'est un choix politique et légitime jusqu'à preuve du contraire ».

Pour ce qui est du rapport argent/vote en période électorale, l'appréciation se fait en termes

de « corruption » et d' « hypocrisie ».

Mais, il subsiste un paradoxe qui frise quelque peu le ridicule et qui veut que l'homme politique corromet ses concitoyens pour être élu et prétende, par la suite, lutter contre la corruption . Les enquêtés remettent cette attitude dans une vision machiavélique de la politique où, avec la ruse et la chance, « tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins » et seul le but final, à savoir l'élection, compte.

Si d'aucuns voient dans cette « corruption » des citoyens par les hommes politiques

un « manque de dignité », il appartient plutôt aux premiers d'éduquer les seconds et de les amener à « faire la politique autrement » ; ils reconnaissent toutefois que les citoyens restent

« fragiles et démunis » face à cet « investissement », du fait de la précarité et de l' « injuste répartition des biens ».

Pour d'autres, le phénomène argent/vote ne saurait obligatoirement être assimilable à une corruption mais comme étant plutôt « un autre moyen de convaincre l'électeur ». Voilà pourquoi, selon eux « le citoyen ne devrait, en aucun cas, avoir d'état d'âm e » car « cet argent

est et reste le sien (...) c'est l'argent du contribuable sénégalais ».

La seule attitude à adopter se résume donc à « je prends et je vote pour qui je veux ! je suis seul dans l'isoloir et face à l'urne !»

Les propos d'un jeune propriétaire d'une galerie d'art sont clairs à cet effet et pour qui « la politique politicienne ne peut pas se purifier car c'est de l'ordre du matériel et du terrestre »

(yeufou aduna la ! c'est des choses de ce bas monde !)

Quant au regard à jeter sur la manière de faire la politique depuis l'avènement de l'alternance, beaucoup de nos interlocuteurs s'accordent à dire que « rien n'a fondamentalement changé »

car les méthodes sont restées les mêmes, la corruption persiste, l'impunité se maintient dans

une certaine mesure, le train de vie de l'Etat reste élevé, l'existence de faveurs partisanes et le culte de l'arbitraire persiste de même que la réaffirmation de l'allégeance du politique au religieux et les promesses non tenues.

Tout ne saurait pour autant être négatif aux yeux des enquêtés car « le citoyen est plus libre » en paroles et pensées, « le Sénégal est en chantier » au regard des infrastructures et « Wade est beaucoup plus ouvert et plus accessible que Diouf (...) il communique plus et on le voit plus ».

Le grand souhait et l'appel émis restent, en définitive, une « politique plus honnête » et

« autrement faite », plus de respect pour le peuple et les engagements pris devant lui. Ce qui doit passer par un « changement des mentalités autant chez les citoyens que chez les hommes politiques » afin de « tenir un langage vrai » et préserver une certaine « éthique » par « une plus grande culture politique ». Tout cela devrait sans doute conduire, selon eux, à un renouvellement de la classe politique sénégalaise vu que « ceuxlà s ont vieux ».

CHAPITRE 2 : DES LIMITES INHERENTES A LA COMMUNICATION POLITIQUE

: PERSPECTIVE EXPLICATIVE.

Il faut relever les capacités de résistance des citoyens face aux influences des médias qui

servent à véhiculer le message politique. Et « dès lors que l'élection sollicite ou tend à

contourner l'expression politique de l'identité sociale, il faut se garder de prédire, de figer et

de standardiser les comportements participatifs » 81

À l'augmentation des pouvoirs indirects de l'influence et des pouvoirs fondés sur les usages de

la communication, correspond une augmentation parallèle des contrepouvoirs symboliques exercés dans le débat public. Il existe, d'abord, des résistances politiques à l'hégémonie symbolique des pouvoirs fondés sur la communication. Il s'agit, au premier chef, du libre examen et de la fonction critique exercés par les acteurs de la sociabilité dans le cadre de leurs pratiques de communication et de leur activité symbolique.

81 DIOP A. B., Logiques sociales et démocratie électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et d'interprétation d'une trajectoire de crise : l'exemple de Fouta Toro (19832001) Thèse de doctorat en science politique, Université MONTESQUIEU, Bordeaux IV, IEP Bordeaux, CEAN, juillet 2002, p.29

Cet effet plus ou moins relatif des politiques communicationnelles de l'AFP et du PS sur l'électorat en l'an 2000, peut certes s'expliquer par ce rejet du discours politique et le malêtre

et le malvivre des partis politiques. Mais pareille explication ne saurait être suffisante. A ce propos, le vote reste déterminé par une double logique, une d'ordre politique et une autre, moins perceptible et latente, la dimension individuelle.

En effet, en politique, bien plus qu'en science politique, il existe d'une part, des « objets politiques non identifiés » (section 1)82), objets que les partis en lice ne maîtrisent pas toujours

et d'autre part, le jeu des acteurs euxmêmes qui, faute de voir une politique saine et bien faite,

tentent de la recréer et de la redéfinir selon leur conception propre et leur propre approche. Là

intervient « la politique par le bas » (section 2).

Section 1 : De la dynamique des « objets politiques non identifiés ».

Faire recours à Denis Constant MARTIN et à ce qu'il appelle les « objets politiques non

identifiés » , nous amènera à envisager les nouvelles manières inédites de concevoir et de faire

de la politique pour finalement mieux comprendre la perception du politique dans les sociétés, donc ce qui modèle les attitudes des citoyens et les pousse éventuellement à agir. Les individus intègrent en effet des répertoires symboliques traditionnels que leur dictent les valeurs et réalités sociales sans oublier les contre pouvoirs symboliques.

Ce qui laisse entrevoir « le rôle des valeurs structurantes de la tradition culturelle dans les comportements », pour reprendre Lancelot et la capacité réactive l'individu citoyen (A).

Ces données que le politique n'intègre pas toujours forcément dans son analyse des effets de la communication, auront laissé voir un effritement du ndigeul en l'an 2000 (B).

82 Nous empruntons l'expression à Denis Constant MARTIN: Sur la piste des OPNI (Objets Politiques Non

Identifiés), Paris, Karthala, collection Recherches internationales, 2002

Le rôle des « valeurs structurantes de la tradition culturelle » et la capacité réactive de

l'individu citoyen.

La compétition politique entre les individus se nourrit en grande partie des hiérarchies sociales

existantes au niveau local et c'est dans les relations de solidarité et de dépendance que l'on peut trouver une explication à l'évolution des allégeances politiques.

À l'augmentation des pouvoirs indirects de l'influence et des pouvoirs fondés sur les usages de

la communication, correspond une augmentation parallèle des contrepouvoirs symboliques exercés dans le débat public. Ainsi que nous le notions, il existe, d'abord, des résistances politiques à l'hégémonie symbolique des pouvoirs fondés sur la communication. Il s'agit, au premier chef, du libre examen et de la fonction critique exercés par les acteurs de la sociabilité dans le cadre de leurs pratiques de communication et de leur activité symbolique.

Il demeure aussi qu' « au Sénégal, (...) le choix électoral entretient une corrélation étroite avec

les mécanismes sociaux ; il procède d'une évaluation discursive certes, mais fondamentalement, c'est un choix motivé par des affinités objectives avant d'être rationnellement suscité » 83

R. Hackfield et J. Sprag, en étudiant le caractère des influences des moyens de communication utilisés dans la campagne électorale de 1984 aux EtatsUnis, sont arrivés à la conclusion que

les gens euxmêmes, conformément à leurs préférences politiques, créent des réseaux

d'informations par lesquels ils reçoivent une information politique. Ces réseaux, dans une mesure significative, se définissent par le contexte social et l'entourage de l'individu.

En d'autres termes, la perception des évènements politiques par les gens est influencée en premier lieu par leur entourage direct. Cela ne signifie pas que les électeurs reçoivent la plus grande part de l'information relative à la politique par des simples conversations avec leurs voisins. En effet, dans la société actuelle les mass média nationaux sont la principale source

83 DIOP A. B., Logiques sociales et démocratie électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et d'interprétation d'une trajectoire de crise : l'exemple de Fouta Toro (19832001) Thèse de doctorat en science politique, Université MONTESQUIEU, Bordeaux IV, IEP Bordeaux , CEAN, juillet 2002, p.21

d'informations politiques. Cependant, c'est particulièrement l'entourage et le contexte social qui aident les électeurs à se former une opinion politique sur les évènements actuels et à les pourvoir de sens. L'entourage social est constitué avant tout des gens avec lesquels l'individu interagit (la famille, les amis, les collègues, les voisins).

Le caractère d'influence de l'entourage ou du contexte est défini par le contenu de l'information qui circule dans ces groupes sociaux auxquels l'individu appartient. En discutant avec d'autres personnes, en échangeant avec elles des informations, il entre en contact avec les opinions diffusées dans ce milieu.

C'est que l'allégeance politique est une ruse, une tactique de positionnement. Aussi, convientil d'être souple dans l'analyse de la formation des identités politiques.

En outre, la légitimité est corrélative à l'allégeance partisane d'un individu, c'estàdire à l'ensemble des liens ou relations clientélaire, idéologique, familiale, sexuelle, primordiale qui l'identifient au sein de la scène politique. Le choix de soutenir un groupe politique dépend

de la capacité de ce dernier à répondre, d'une façon efficace, aux besoins de ses adhérents.

Souvent, ces besoins sont articulés sur la famille, sur les exigences de la vie privée et de l'économique.

Et « dans son analyse de l'orientation du comportement politique, A. Lancelot observe qu'en définitive, il s'agit de ne pas occulter le rôle fondamental et déterminant que jouent les valeurs structurantes de la tradition culturelle dans les comportements » 84

Tarik DAHOU note bien encore à ce propos la nécessité de « saisir le politique à partir des hiérarchies sociales et des pouvoirs locaux afin d'appréhender le changement de structures comme le produit de relations locales originales » et qu'il faut donc reconnaître la forte présence et la prégnance des « dépendances parentale et économique au sein des hiérarchies sociales » qui expliquent « les transformations survenant dans les relations politiques » 85.

Revenant sur la place que peuvent occuper le jeu des logiques sociales et surtout les liens de parenté, il part des « institutions aux relations politiques ». Cette lecture du politique à partir des relations n'est pas en soi nouvelle, mais elle conduit à relativiser les objets et les domaines

84 Idem

85 DAHOU Tarik, Entre parenté et politique. Développement et clientélisme dans le delta du Sénégal, Editions

Karthala et Enda Graf Sahel, Collection Hommes et Sociétés, 2004, p.16

du politique. Une telle démarche est particulièrement utile pour décrire, de manière dynamique,

les logiques du politique, mais elle dévoile aussi les effets d'échelles dans les stratégies des acteurs.

Dans cette perspective, les régulations politiques résultent des rapports sociaux quotidiens dans

de nombreuses sphères sociales qui ne sont pas forcément spécialisées dans l'organisation des rapports politiques. Et dans ces rapports sociaux, la parenté ne pourrait être occultée surtout dans nos sociétés africaines (et patriarcales pour la plupart) et celle sénégalaise plus particulièrement.

Cette parenté, selon Tarik DAHOU, « repose sur des différences statutaires qui s'articulent à d'autres types de rapports hiérarchiques pour donner le jour à des relations d'autorité publique »86. On comprend dès lors que « les stratégies politiques peuvent même s'appuyer sur

la parenté dès l'instant où il s'agit de stabiliser les coalitions afin de perpétuer leur hégémonie »87 .

Il apparaît donc que le politique est perçu comme peu autonome de l'environnement social et économique. Les rapports sociaux, de même que l'allocation de ressources, ont une influence déterminante sur les dynamiques politiques. Bien même encore, sont mises à nu, la complexité

et l'indétermination des rapports entre univers politique et univers social.

Cet espace vital propre à une communauté d'individus, la famille, le lieu de la domesticité sociale et politique, n'est pas à négliger pour comprendre le caractère opportuniste et dynamique des allégeances partisanes. La formation des allégeances partisanes n'estelle pas l'espace et le temps d'un certain "marchandage " politique suivant des critères "économiques "

(au sens étymologique), de la compétition des partis politiques sur le "marché des biens

électifs " ? Il faut enraciner la légitimité politique dans les préoccupations quotidiennes.

Des historiens ont bien montré que la légitimité politique résulte bien souvent de la valorisation

de qualités "économiques " bien spécifiques, se rapportant à des formes de clientélisme, relatives à la gestion de problèmes domestiques concernant la subsistance matérielle, la sexualité, la santé, la maladie et générant des gains économiques au profit de "clients ".

86 Ibid., p.105

87 Ibid., p.105

Nous sommes ici au coeur de l'espace public où s'exercent des dynamiques de pouvoir symboliques et matérielles. La prééminence de la communication dans le champ politique s'explique en ce que la fonction de mobilisation prend le pas sur la fonction d'expression des idées et des idéaux et sur la fonction de représentation.

Dans le champ politique s'établissent des représentations sociales; cette façon de concevoir les représentations sociales s'apparente à celle de Murray EDELMAN qui s'intéresse aux constructions symboliques par le biais du langage en politique, dans l'information, dans la bureaucratie et les professions aidantes, entre autres, constructions qui tissent les croyances sociales : caractère rationnel du choix électoral, importance des élections pour l'établissement des politiques gouvernementales, caractère rationnel et même mécanique de l'application administratif et judiciaire des lois.

Le choix dépend donc de l'enjeu des élections, des différents programmes et, bien entendu, de leur crédibilité. La volatilité électorale est alors expliquée par l'existence de ce type d'électeurs qui ne se constituent pas prisonniers d'un parti mais choisissent leur candidat en fonction des avantages qu'il peut leur procurer. Il faut relever les capacités de résistance des citoyens face aux influences des médias qui servent à véhiculer le message politique.

Les études de l'Ecole de Columbia nous renseignent beaucoup à cet effet, sous le regard de

Tanguy WUILLEME 88

Les études relatives aux effets des médias ou de la communication ont aussi été d'un grand apport. Les études que l'on peut appeler inaugurales, sont menées en 1940 par Paul LAZARSFELD et soulignent le fait que, malgré une forte exposition aux messages politiques,

les électeurs continuent d'activer leurs croyances et appartenances antérieures notamment envers les partis politiques 89. Ils révèlent aussi l'absence d'effets massifs de la propagande sur

les électeurs et introduisent la thématique de la fin de l'électeur rationnel, informé et compétent.

88 Tanguy WUILLEME , L'étude des partis sous l'angle de la communication politique : une mise en perspective. in Les partis politiques, quelles perspectives ? ( sous la direction de Dominique andolfatto, Fabienne greffet, Laurent olivier) , Paris, L'Harmattan, 2001, collection logiques politiques.

89 Lazarsfeld P., Berelson B., Gaudet H., 1944, The people Choice : how the voter makes up his mind in a presidential campaign, New York, Columbia university press

En premier lieu, force est de reconnaître que la thématique de l'électeur rationnel conduit à concentrer les études sur la réception, ou sur les leaders d'opinion et non pas sur le « qui ? », c'estàdire sur l'émetteur, notamment les partis politiques.

En second lieu, l'importance de la notion de groupe d'appartenance dans l'analyse des déterminations du comportement de vote maximise le rôle des variables à long terme et tend à occulter l'analyse des facteurs à court terme.

Troisième méditation, celle des réseaux. Et Frédéric SAWICKI de remarquer à cet effet « le rôle des trajectoires sociales et politiques qui déterminent l'acquisition de ressources et de savoirfaire spécifiques à laquelle est liée la constitution de réseaux d'interconnaissances, dont l'existence même est susceptible de générer des formes d'intérêt et d'affinités non évidemment réductibles à l a position sociale des individus » 90

Les réseaux sociaux sont crées autour d'objets multiples (clubs de pensée, groupes confessionnels, spirituels, professionnels, etc.). La communication y occupe des espaces et des temporalités invisibles à ceux qui n'y participent point.

Il apparaît donc que l'électeur ou le récepteur développe certaines capacités de résistances. Il prête une attention sélective aux messages émis ou diffusés en fonction de ses contraintes, ses centres d'intérêt ; de sorte que les messages sont réévalués en fonction des différents paysages mentaux et paradigmes. Et surtout, l'impact dépend des relations interpersonnelles : LAZARSFELD souligne le rôle des groupes de références et des leaders d'opinion proches du récepteur. L'on peut bien être amené à croire que ce dernier s'emploie souvent à réinterpréter

les contenus du message et du discours en fonction de ses ressources culturelles.

Ainsi à la problématique des effets des médias sur le public, s'est substituée la question de savoir ce que les individus faisaient des médias. Elle a permis de mieux mesurer l'impact de ces prétendus facteurs à court terme que sont l'information et la communication.

La thématique de la réception a permis de prendre en compte toutes sortes de publics en reconnaissant la validité d'une approche vers les publics dits populaires comme vers les plus instruits. Cet aspect permet de traiter toutes sortes de dispositifs de communication politique s'adressant à des publics différenciés (d'autant plus qu'au Sénégal il existe un très fort taux

90 SAWICKI F., 1988, Questions de recherche : pour une analyse locale des partis politiques, in Revue Politix, n°2, pp.1327

d'analphabétisme). Il faut donc dépasser « la démocratie des lettrés »91 car « le discours politique pour être opérant, doit absolument épouser l'idiome local pour permettre à tous les citoyens du haut et du bas , de comprendre et de s'approprier le discours des hommes politiques » 92

Par ailleurs, si l'étude s'est portée sur le récepteur dans son individualité, des ouvertures à un aspect collectif se sont fait jour. La question s'est posée de connaître l'impact du contexte et des appartenances de tous ordres sur la réception d'un individu. Des tensions existent effectivement entre les parcours, les inscriptions et les appartenances sociales des individus et la réception qu'ils font d'objets médiatiques. Tensions qui existent également entre les identités, les expériences, les représentations des individus et ces mêmes produits médiatiques. Toutes empêchent une compréhension unilatérale de la réception et des effets des médias.

Il convient ainsi de déplacer la question de l'influence sur les comportements politiques vers la question de l'influence de la communication sur les cognitions et les représentations que les individus se font des situations politiques.

Les recherches en communication politique révèlent alors la sensibilité des électeurs à la conjoncture, à des facteurs de court comme l'information médiatique.

La sensibilité à la conjoncture n'implique pas, pour autant, que l'on dénie le poids des variables à long terme93 mais si les préférences stables existent, elles sont éclairées par l'information à court terme sur la campagne et la situation de l'environnement. Les électeurs développent des processus cognitifs de recherche et de traitement de l'information en correspondance avec les mécanismes persuasifs de l'information.

Il demeure aussi que la thèse de Tarik DAHOU sur le rôle qui peut être valablement prêté à la parenté est à relativiser dans une certaine mesure. En effet, les relations hiérarchiques de la famille ne sont peut être pas plus stables que les relations politiques. Les liens qui unissent les membres de la famille évoluent et pas seulement en fonction de cycles réguliers, mais également au gré d' 'accidents de parcours' liés aux transformations économiques ou politiques. Ces impacts de l'environnement produisent des effets différents selon les réactions

91 Pour reprendre les mots de Aminata DIAW in Sénégal, Trajectoires d'un Etat (dir.), Dakar, CODESRIA, Paris, Karthala, 1992

92 cf. cours de Sociologie électorale

93 GELMAN A., KING G., 1993, Why are American Presidential election Campaign Polls so variable when votes are so predictable ?, British Journal of Political Science, n°23

du groupe, car celuici répond à ces variations par des stratégies nouvelles qui doivent être accordées avec les stratégies individuelles; ce qui ne va pas de soi. Les normes de comportement au sein de la sphère parentale sont également l'objet de négociation en fonction des rapports de force politique et ne se caractérisent pas nécessairement par la stabilité.

C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place une étude plus globale sur la communication politique en prenant en compte l'ensemble des ces données mais aussi en travaillant avec les producteurs des messages comme avec les récepteurs et les médiateurs.

L'effritement du « ndiguel » 94

Les confréries ont toujours constitué au Sénégal des lieux où les liens sont plus que solides. En effet, outre l'influence spirituelle, elles ont une assise économique et sociale certaine, qui leur permet de dégager des stratégies susceptibles d'aider leurs membres à faire face aux divers problèmes de la vie. On peut même dire que ces confréries constituent une forme de hiérarchie sociale parallèle à l'Etat, avec en leur sein des conditions particulières de participation et d'action auto définie.

Néanmoins, en l'an 2000, on assiste à un « effritement du soutien traditionnel » 95

En effet, la crise aidant, les politiques d'ajustement structurelles inopérantes - « dont la politique modeste n'a pas matière à se réjouir » 96 , l'éveil d'une conscience citoyenne mais aussi l'intervention des intellectuels, vont accentuer la retenue des chefs religieux envers l'action politique.

Il n'en demeure pas moins que certains marabouts vont s'afficher totalement pour le soutien du pouvoir, sans pour autant pouvoir garantir l'effectivité du vote de leurs disciples (talibés) par le biais de la consigne de vote (ndiguel) . Ils avaient trop tendance à perdre de vue le caractère secret du vote et le passage obligatoire par l'isoloir, pour accomplir ce devoir civique.

Ainsi que le remarque, Linda J. BECK « Dans la vie politique sénégalaise, depuis l'indépendance, la « politique politicienne » a joué un rôle fondamental pour la mobilisation

94 Employé ici au sens de consigne de vote donnée par une autorité religieuse

95 cf. Amadou DIAGNE La problématique du changement politique au Sénégal, mémoire de maîtrise de science politique, UGB de SaintLouis, année 2000/2001, p.29

96 ZUCCARELLI F., La vie politique sénégalaise 19401988, Paris, 1988, CHEAM, p.80

et la légitimation politique. Mais ainsi que l'a clairement montré la défaite électorale du président Diouf en mars 2000, la capacité des réseaux clientélaires à assurer la réélection des candidats sortants a été profondément remise en cause par des forces multiples la démocratisation, l'urbanisation, les migrations internes et les difficultés économiques de l'Etat sénégalais » 97 .

Etudiant le sens de l'Etat au Sénégal, Donald Cruise O'BRIEN relève que « le Parti socialiste

et le régime se singularisaient par la distribution de faveurs et de ressources, de soutien aux clientèles, aux clans. Pour ce faire, il passait par des intermédiaires, des personnes ayant une audience locale, du prestige et de l'autorité. C'est ainsi que certains marabouts, les chefs de confréries, sont devenus des grands électeurs, donnant des consignes de vote à leurs disciples, toujours en faveur du parti gouvernemental »98 . Mais des changements vont s'opérer dans le fonctionnement de cette relation à la fin des années 1980, en particulier à la suite du ndigeul de

1988 lors de la présidentielle. Les disciples ont montré à cette occasion qu'ils n'étaient pas

aussi obéissants qu'ils auraient pu en avoir l'air, surtout en matière électorale. Le ndigeul de

1988 va provoquer une réaction sévère des disciples, jusque dans la ville même de Touba. En effet, des lettres anonymes ont été jetées pardessus le mur extérieur de la résidence du Khalife Général des Mourides.

Les talibés font désormais la différence entre le ndigeul en matière de religion, toujours respecté et le ndigeul politique qu'ils ne se sentent plus tenus de suivre. Ce changement important est le signe palpable d'une extension du sens de l'Etat parmi l'électorat sénégalais.

Le marabout n'a plus le mandat de parler ou d'agir pour les talibés lors des scrutins.

L'effritement a aussi été secrété du dedans par certains marabouts. En effet, à la présidentielle

de 1993, le Khalife Général des Mourides, Serigne Saliou MBACKE décidait de ne plus donner

de consigne de vote à ses fidèles : il sauvegardait ainsi son autonomie, préservait la confrérie des éventuels ravages du factionnalisme politique, mais laissait aussi entendre que l'Etat n'était plus à considérer comme la propriété d'un seul homme politique, à savoir le président toujours renouvelé.

Un autre dignitaire de la confrérie mouride, Serigne Khadim MBACKE, dans une déclaration télévisée du 9 février 1988, appela à voter Wade contre Diouf car

97 Linda J. BECK, Le clientélisme au Sénégal : un adieu sans regrets ? in Le Sénégal contemporain (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés,Paris, 2002, p.529

98 O'BRIEN D. C., Le sens de l'Etat au Sénégal in Le Sénégal contemporain (sous la direction de) Momar

Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.503

« quant à Abdou Diouf, il nous a privé de travail et si Dieu veut le bonheur du peuple sénégalais, Abdou Diouf ne sera pas réélu. Inutile de continuer à prier s'il est réélu puisque Dieu nous aura abandonné ».

Et lors du processus électoral en 2000, la neutralité politique du Khalife Général des Mourides, qui a renvoyé dosàdos le pouvoir et l'opposition, est tout à fait symptomatique de la mutation que traverse la société. Cette équidistance a mis en péril le ndiguel sur lequel le système socialiste s'appuyait pour remporter les compétitions électorales depuis 1951. Le pacte ne connaissait plus sa vitalité d'antan.

Par ailleurs, à force d'appeler à voter en faveur d'un chef de parti pour donner ensuite les consignes contraires, certains marabouts vont effriter la base morale qui permettait au ndiguel

de fonctionner. Il devenait de plus en plus évident, pour les fidèles, que de telles consignes résultaient d'un marchandage dont ils ne voyaient pas les effets dans leur vie quotidienne.

En plus de ces leaders de la confrérie, plusieurs fidèles ont été révoltés par la consigne de voter pour Diouf, qu'ils considéraient comme le principal responsable de la crise économique qui les frappait de plein fouet. En tout état de cause, ces contradictions ont discrédité le mercenariat maraboutique.

On peut penser que l'intrusion des marabouts dans les processus de démocratisation est frauduleuse et porte un coup sérieux à la libéralisation du jeu politique. De plus en plus d'ailleurs, surtout dans les villes, les marabouts sont désavoués dès l'instant où ils choisissent

de soutenir un régime décrié.

Dans la période de pré campagne et de campagne pour l'élection présidentielle, une bonne partie du peuple sénégalais semble avoir rompu avec la vision obscurantiste qui concevait le pouvoir politique comme une affaire des dieux et dès lors, le pouvoir spirituel n'avait plus à interférer dans ses rapports avec ce même pouvoir politique.

A cet effet, les connexions et interactions politicoreligieuses sont de plus en plus décriées par

les citoyens. Tels ces commerçants mourides de Sandaga (grand marché de Dakar) qui se disent voter pour qui il veulent car « pour le reste, Serigne Saliou ne nous recommande que le travail

et l'adoration de Dieu ».99 .

99 Walf Fadjri du 15 novembre 1999

Le rejet se veut aussi critique et comme le note ce couturier de Sandaga, « les ndigeuls des premiers khalifes étaient désintéressés en ce sens qu'ils reposaient sur l'intérêt de la collectivité. De nos jours, les dividendes tirés des ndigueul périphériques sont toujours en espèces et le talibé n'en verra rien » 100 Naît une certaine indocilité qui ouvre une nouvelle séquence sociale. Au delà de l'apparence, c'est une remise en cause de la société dont les valeurs et les fondements doivent être réinterprétés et redéfinis. L'heure n'est désormais plus à

la convenance sociale ; c'est celle de la rupture, cette forme de résistance aux procédures de domestication de la pensée et de subordination de la conscience. Et le talibé se trouve seul face

à l'isoloir et à l'urne, échappant ainsi à tout marabout, qui ne représente plus forcément une garantie face à la montée de la contestation.

Le mouvement et l'évolution démocratique vont corroder cette forteresse qui s'ouvre progressivement aux vertus du pluralisme politique. Cette césure va créer les conditions favorables à l'esprit de libre examen duquel les talibés s'émancipent au fur et à mesure de l'emprise du consentement social. On observera une érosion de ce pacte historique, fait qui va fortement laminer le soutien rural du PS, durement éprouvé par des années de réforme économique. La tendance à l'affaiblissement du ndiguel est une des données de structure du Sénégal sous Abdou DIOUF. Elle s'explique par plusieurs facteurs largement analysés par Sheldon GELLAR et dont les plus importants peuvent être cités : 101

les conséquences de l'urbanisation sur le contrôle des fidèles et adeptes par les marabouts ;

l'institutionnalisation de l'isoloir ;

la tendance des citoyens à faire la distinction entre l'autorité politique et celle, religieuse, des marabouts ;

la réduction des ressources permettant à l'Etat d'entretenir une clientèle de plus en plus nombreuse et enfin l'action des organisations réformistes musulmanes.

L'absence de ndiguel ou sa fragmentation, le versant moral de la crise et la paupérisation accentuée de la population, ont semblé, pour certains candidats -dont le discours politique était quelque peu religieux et culturaliste à l'image de Iba Der THIAM, Cheikh Abdoulaye DIEYE

100 Ibid.

101 Voir les travaux de S. GELLAR, Le climat politique et la volonté de reforme politique et économique au

Sénégal, Rapport préparé pour l'USAID/Sénégal, Dakar, août 1997

et Ousseynou FALL ouvrir des espaces de mobilisation sur la base d'une adhésion tacite à des valeurs supposées partagées par la grande majorité de la population.

Mais les résultats du premier tour indiquent que les sénégalais, ayant recouvré une citoyenneté, n'ont prêté leur attention qu'aux propos qui avaient un rapport direct avec leurs préoccupations quotidiennes qui se résument à manger, se soigner, s'éduquer et se former, trouver du travail.

La particularité de cette élection de février mars 2000 aura été l'autonomisation en construction dans la société. Déjà, lors d'une rencontre religieuse le 31 décembre 1999, au Stade Demba DIOP de Dakar, le jeune marabout mouride Serigne Modou Kara MBACKE surnommé le marabout des jeunes essuyait des huées lorsqu'il cita le nom du premier secrétaire du PS, Ousmane Tanor DIENG, présent à la cérémonie. Ce sera aussi le cas quand, pendant le second tour, il déclare selon le quotidien Wal Fadjri, que des « visions nocturnes inspirées par Ahmadou Bamba » lui ont révélé que Diouf allait vaincre au second tour. La réaction de certains fidèles mourides a vite neutralisé les propos du jeune marabout 102

Dès lors, comment apprécier cette volonté de séparer le religieux du politique ?

Elle traduit, d'une certaine façon, que l'individu exige la reconnaissance publique de cette liberté qui lui revient de droit. Il s'agit là de mutations sociologiques profondes de la société, qui n'ont été perçues ni par le pouvoir, ni par les 'marabouts grands électeurs' qui n'ont pas vu

la transmutation, du fait de la crise et du pluralisme des médias, du 'talibé' en 'citoyen' : cette

prise en charge par luimême de son propre choix est sans aucun doute l'innovation sociale la plus importante.

Désormais, les rapports hommes politiques et citoyens électeurs se tisseront face à face.

Section 2 : De « La politique par le bas »

Cette « politique par le bas » participe de la naissance de nouveaux acteurs et de nouveaux modes de légitimation ainsi que de nouvelles formes de représentation sociale et politique. Ce

102 Wal Fadjridu 14 mars 2000.

qui aboutira à un engagement politique en nette évolution dans le champ politique sénégalais lors de la présidentielle de l'an 2000. Un engagement politique défini en sociologie électorale comme comprenant plusieurs degrés de participation au fait politique. « Il s'agit de l'inscription sur les listes électorales en passant par le vote, la recherche d'information politique, la participation actives aux activités de campagne électorale des différents partis, le militantisme dans un parti politique... ». 103

Il va de soi que dès lors que les valeurs et les modes de représentation sociale et politique échouent ou laissent entrevoir leurs limites, les citoyens se prennent à 'recréer l'ancien', mais avec leurs propres logiques et par de nouveaux modes d'action populaires et politiques.

L'expression que nous empruntons à BAYART, MBEMBE et TOULABOR104, nous fera évoquer le rôle éminemment important des médias et de la société civile sénégalais lors du scrutin de l'an 2000 (A) ; ce qui ne saurait occulter l'action des citoyens qui fera advenir « les conquêtes de la citoyenneté »(B).

A Médias et société civile, les « gardiens du temple » démocratique.

Le scrutin présidentiel de l'an 2000 aura été le lieu de voir l'action majeure et sans doute inédite de la société civile sénégalaise et des intellectuels de manière générale. Cette société civile se sera érigée en éveilleur et en meneur, telle cette 'dame liberté' guidant le Peuple d' Eugène DELACROIX. Les médias sénégalais vont fortement participer à cet élan prouvant, par cette occasion, la citoyenneté par la conscience que l'on a de ses devoirs et de ses droits mais aussi des moyens que l'on se donne pour atteindre cette citoyenneté. En ce sens, les médias et la société civile sénégalais auront été, à bien des égards, « gardiens du temple »105 de cette démocratie.

103 Cours de sociologie électorale

104 cf. La politique par le bas en Afrique noire : contribution à une problématique de la démocratie, Paris, 1992,

268 p

105 KANE C. H., Les gardiens du temple, Paris, Stock, 1995

Le défi qui se pose aux démocraties consiste à décentraliser le pouvoir politique. Il ne s'agit pas

de remplacer 'l'homme fort' du pays par des centaines 'd'hommes à poigne' à l'échelon local, mais bien au contraire de faire participer l'ensemble des citoyens dans toutes le territoire du pays. Beaucoup d'associations qui militent en faveur de la société civile à travers le monde s'emploient principalement à financer, ne seraitce qu'en partie, les activités susceptibles de promouvoir la participation des citoyens à la vie politique locale et régionale. Il demeure aussi que le débat s'installe et que le mot d'ordre est à la discussion des moyens d'améliorer la gestion des affaires publiques.

Les caractéristiques qui font de la démocratie une affaire parfois bruyante et troublante sont précisément celles qui lui donnent son dynamisme et sa souplesse.

C'est par l'entremise de l'inclusion et en considérant leurs adversaires politiques comme des concurrents et non comme des ennemis que les citoyens peuvent sauvegarder leur démocratie.

Dans ce jeu, la société civile a sa partition à jouer.

La société civile peut jouer un rôle clé dans la défense des intérêts du public, l'analyse de l'action des pouvoirs publics, la mobilisation des partisans de la réforme et le maintien de la transparence.

Les associations que forment des citoyens désireux d'améliorer leur société peuvent éduquer l'opinion publique sur des dossiers fondamentaux, mobiliser les esprits, plaider les causes d'intérêt général et suivre le comportement et les réalisations des élus. Manifestement, ce sont

là des fonctions qui ne gagnent pas toujours les faveurs de la presse ni celles des personnalités

publiques, mais cette caractéristique ne les rend que plus précieuses. Dans tous les cas, les citoyens militants doivent garder à l'esprit que l'objectif doit être d'améliorer la gestion des affaires publiques, et non pas de démolir les institutions de l'État.

La liberté d'association a permis un renforcement et une diversification toujours plus forte de la société civile, qui constitue un autre symptôme de la vigueur du pluralisme au sénégal. Les syndicats et les associations professionnelles ne sont plus de simples appendices du parti au pouvoir.

Une société civile robuste et dynamique encourage trois éléments essentiels à la démocratie : la transparence, la participation et la dynamique de la réforme politique. De par sa nature même,

le concept du gouvernement dans les règles de l'art suppose la transparence des institutions politiques et bureaucratiques. La société civile doit exercer une pression sans relâche si elle veut sortir gagnante du combat livré à la corruption dans les institutions publiques. Faute de quoi, sa croisade se trouverait ravalée au rang de la démagogie pure et simple.

Une société civile bien organisée donne des moyens d'action aux démunis et elle décuple leur voix collective dans la vie politique.

Les organisations sur lesquelles elle repose servent à éduquer les citoyens sur leurs droits et leurs devoirs. Elles incitent les citoyens à se battre pour les droits dont la jouissance est indispensable à l'amélioration de l'existence.

On est bien obligé d'admettre que les alliés les plus fidèles de la réforme durable du régime politique se situent généralement en marge du gouvernement. Il n'empêche que les pouvoirs publics et la société civile ont besoin d'agir d'un commun accord pour parvenir à imposer des réformes véritables.

Qu'on ne s'y trompe pas : la société civile ne saurait être un ersatz des partis politiques ni d'un encadrement politique responsable. Bien au contraire. L'idée n'est pas de substituer la société civile aux partis politiques, mais plutôt de faire en sorte que cellelà complète ceuxci.

De même, il serait erroné de croire que la société civile est par nature hostile au gouvernement.

Loin de constituer ce que Foucault, parlant de Don Quichotte, appelle « un signe errant dans

un monde qui ne le reconnaissait pas »106, la société civile sénégalaise se sera beaucoup investie dans l'élection de l'an 2000 et son impact aura été notable. En effet, elle va susciter beaucoup

de débats sur son existence et sa réalité et tout au long de la longue histoire politique du

Sénégal, elle n'aura pas perdu cette « capacité d'un groupe d'intellectuels donné à produire du sens social, c'estàdire un ensemble d'idées signifiantes socialement et donc en mesure d'informer une praxis collective » 107 C'est donc le réveil et la gestation d'une 'société civile' en dehors de l'espace institutionnel. Ainsi voit on une frange de l'intelligentsia exiger une présence plus significative dans l'Etat qui est le vecteur même de la modernisation. En

106 FOUCAULT M., L'ordre du discours, Paris, Gallimard, 1999, 82 p

107 El KENZ A., L'Algérie : de l'espérance du développement à la violence identitaire, in Les libertés intellectuelles en Afrique, 1995, Dakar CODESRIA, pp. 4558

disqualifiant ainsi les acteurs de la politique politicienne faite de clientélisme, de prébende et

de prédation, ces intellectuels entendent rénover la pratique politique en la rationalisant par leur propre expertise, par la technocratie.

Dans le scrutin de l'an 2000, la société civile sénégalaise aura joué un triple rôle ; d'abord de sensibilisation pour une inscription massive et d'éclairage des électeurs ; ensuite de médiation entre les différents acteurs dans la confection des listes et cartes électorales ; enfin de contrôle

et d'observation. Elle aura ainsi montré que vigilance et alerte doivent toujours l'occuper, du fait de sa neutralité présumée visàvis des acteurs du jeu social et politique.

Et comme le rappelle Bouba DIOP, Président du CONGAD, « il ne faut pas que les autorités attendent que la situation devienne complexe pour parler d'approche communautaire. Cela doit être un acte quotidien ».

La presse sénégalaise aura beaucoup contribué dans le combat pour un jeu démocratique transparent lors de ces scrutins de l'an 2000. En effet, le processus enclenché d'implication dans l'espace public et politique, par les jeunes bul faale( T'occupes pas! Laisse passer!) 108)

et leurs prédécesseurs du set setal (assainir, rendre propre), aura trouvé son achèvement à travers le rôle joué par les jeunes reporters et autres journalistes qui ont couvert les élections. C'est ainsi que « l'émergence d'une presse privée a d'abord fortement réduit le contrôle monolithique et l'influence qu'exerçait le pouvoir politique sur les médias d'Etat. Les journalistes ont joué un rôle capital dans l'ouverture d'un débat sur la citoyenneté et les capacités citoyennes, en traquant l'information et en la mettant à la disposition du public, cette information permettant la création d'une opinion et l'ouverture de débats sur des questions importantes » 109 . Le rapport du PNUD sur le développement humain rappelle à ce propos qu'avec la presse privée, « les populations sénégalaises disposent désormais de sources

108 le terme a d'abord été utilisé par le Positive Black Soul PBS, un des groupes de rap pionniers du mouvement hiphop sénégalais. Il deviendra ensuite plus populaire grâce à un jeune champion de lutte, Mohamed NDAO Tyson , considéré, comme le leader de la génération bul faale. Il donnera au concept/slogan un contenu, en prônant en direction des jeunes les notions d'effort, de rigueur, de discipline, de persévérance et de respect de l'autre

109 DIOUF M., communication à la table ronde sur Les médias contribuentils au développement de la citoyenneté au Sénégal ? organisée par l'Institut Panos, BREDA, 30 avril 1998, pp.1317

d'informations variées, ce qui a un impact direct sur leurs relations avec les classes dirigeantes mais aussi avec le personnel politique dans son ensemble » 110.

En l'an 2000, les médias sénégalais, surtout privés, se sont fait les supports et les révélateurs des mutations économiques, sociales et culturelles, parfois lentes et accélérées qui ont généré ruptures et remaniements comportementaux mais également de nouveaux types de représentation et de vision des choses. Ils auront sans doute contribué à l'amorce de profonds mouvements, de type citoyen, qui vont traverser la société sénégalaise (et la traversent encore aujourd'hui), tout en permettant aux populations urbaines comme rurales, d'avoir une perception plus globale et un plus grand champ de vision des réalités sociales, économiques et culturelles du pays.

Les journaux et radios privés, grâce à des initiatives et innovations comme les émissions interactives ( lu xew tey ou wax sa xalaat sur Sud FM et Walf FM ) ont incité les citoyens à une plus grande implication dans les affaires de la cité et à une facilité d'expression du désenchantement, des frustrations et des aspirations au développement. Grâce au rôle des médias privés et à la mobilité sociale entre le monde rural et les villes, les populations ont commencé à voir le lien de cause à effet entre la dégradation des conditions générales d'existence et la responsabilité du pouvoir en place.

Et tout cela a trouvé à s'exprimer et à se matérialiser lors de cette élection par le traitement et la diffusion de l'information instantanément grâce notamment au téléphone mobile et à Internet. Par cette magie du mobile et de l'instantané, la presse va briser cette linéarité et cette bipolarité, en aidant à l'instauration de réseaux de communication et de courroies de liaison plus vastes. Ces médias ont ainsi été d'efficaces outils d'unification, de démocratisation et de diffusion des aspirations populaires et des manifestations de liberté. Ils auront constitué un grand et solide espace de construction et d'expression d'une conscience citoyenne, d'une identité collective, de référents patriotiques et de réseaux de resocialisation. Ils auront surtout permis une certaine désacralisation de la classe politique, en se faisant l'écho et la critique des actions et de la gestion des autorités politiques et des pouvoirs publics. « Ils ont ainsi su représenter pour les populations un puissant phare qui jette un éclairage quotidien sur les péripéties et les tumultes, les erreurs et les dérapages des pouvoirs. Ce faisceau lumineux a révélé d'immenses plages de liberté d'expression à des populations jusqu'à présent cantonnées

110 PNUD, Rapport national sur le développement humain, année 2000, p.175

à des rôles de récepteurs et a représenté une caisse de résonance pour l'opposition politique à

l'ancien régime socialiste et à tous les sans voix qui n'avaient pas droit au chapitre » 111

La presse aura donc été audelà de sa mission informative, en s'impliquant dans un esprit d'éveil des consciences, dans une démarche d'éducateur, de pédagogue. Participant ainsi à l'édification d'une conscience citoyenne notamment par l'usage des langues nationales et particulièrement le wolof censé être plus véhiculaire. Ce qui a eu une portée pédagogique certaine, dans la mesure où il a été imposé aux protagonistes du jeu politique qui, jusqu'ici, affectionnaient le français à l'endroit d'un peuple grandement analphabète. Cette

'sénégalisation' des programmes radiophoniques est sans conteste une reconquête de l'identité

culturelle sans laquelle le renouveau social est un simple fantasme.

Et dans le domaine purement électoral, quand l'opposition spécule sur la fraude, la presse fournit des pièces à conviction et renforce la vigilance des citoyens. Ce faisant, la frange de l'Administration peu acquise au principe de la neutralité, est mise en demeure de rester fidèle à

la loi sous peine d'être jetée en pâture à l'opinion publique.

B « Les conquêtes de la citoyenneté »112.

En l'an 2000, la société sénégalaise offre un visage très particulier : elle est une société de

privilèges pour les uns et de privations et d'injustices pour les autres et se caractérise de plus en plus par les grandes inégalités qui se sont creusées au fil du temps, au sein des populations entre des catégories sociales. Ainsi se côtoient d'une part, et de manière très ostentatoire, le luxe et l'opulence les plus tapageurs d'une minorité et, de l'autre, la pauvreté, le dénuement, la misère et les privations de couches de plus en plus importantes de la société.

111 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.594

112 Nous empruntons l'expression à NDIAYE A. M., et SY A. A., Les conquêtes de la citoyenneté Essai politique sur l'alternance, Harmattan, Paris 2001

Devant l'absence ou l'insuffisance des solutions proposées par les pouvoirs politico administratifs à la forte demande sociale, et face à l'interventionnisme et les abus des chefferies religieuses dont les intérêts avaient beaucoup d'interférences et d'imbrications avec le politique, l'électorat sénégalais, par un long processus de mûrissement dont l'an 2000 ne semble être que l'aboutissement, va finir par se décider à prendre en main son destin, tout en s'octroyant un droit de regard, d'appréciation et de sanction sur ceux qui sollicitent son adhésion et son suffrage.

Ainsi à l'opposé de la thèse d'un certain fatalisme quasi structurel, les sénégalais présentent une auto prise en charge de leur destin et ce, dans les franges sociales les plus significativement déterminées parce qu'étant les plus touchées par les effets de la crise. L'engagement de ces catégories sociales, leurs implications, rôles et actions et leur vision affichée de ce que devrait être la société, auront constitué de sérieux indicateurs à prendre en compte.

Face à cette prolifération des facteurs de stress et à la massification des mécontentements sociaux, les populations éprouvent de plus en plus des difficultés d'utilisation judicieuse des systèmes de représentations, de défenses et de régulation des tensions sociales et des conflits individuels ; ce qui est déjà en soi un facteur de fragilité et de vulnérabilité. Et les réactions de survie apparaissent très vite.

Ce scrutin de l'an 2000 aura été l'aboutissement d'un processus long de maturation individuelle et collective qui a permis aux sénégalais d'aller vers l'alternance.

De nos jours, la mobilité sociale fait que chacun est condamné à se forger son propre destin, souvent en dépit et en dehors de sa famille, de son groupe de naissance et est tenu de se donner une place et un statut, de par sa compétence et ses mérites personnels. « Et si une telle évolution confère à l'individu une certaine solitude, elle n'en constitue pas moins un facteur d'émancipation de celuici du carcan social et culturel, voire de la tutelle familiale »113. Tout part de la rupture du contrat social: les difficultés de la vie quotidienne vont induire des stratégies de survie dont la saturation, articulée aux multiples dysfonctionnements, aura largement contribué à la maturation de certains segments de populations qui vont prendre conscience de limites objectives des institutions sociales, des pouvoirs politiques, à prendre

113 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002 p.577

convenablement en charge leurs aspirations et préoccupations. C'est ainsi qu` « au sein des classes moyennes, la sphère familiale est progressivement désertée au bénéfice de la rue et de l'informel, qui sont devenus des espaces d'expérience de recréation d'une identité, tandis que

la précarité de la vie sociale et l'improvisation, après avoir été génératrices de solitude, de

désarroi et d'insécurité, sont devenues des facteurs de maturation » 114

Le désengagement de l'Etat, la libéralisation économique, et la nécessité, pour la population, d'assurer sa survie dans un environnement économique de plus en plus hostile, ont suscité le développement d'associations populaires autonomes et dynamiques, construites autour des modes d'organisation traditionnels et ont favorisé, surtout en milieu urbain, l'expansion rapide

su secteur dit 'informel'.

Le recul de l'Etat, l'ouverture du champ politique depuis 1981, l'autonomisation de plus en plus affirmée de la société se sont traduites, d'une part, par l'émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles figures comme celle du moodu moodu ou du rappeur à côté de celle de plus en plus évanescente du penseur et d'autre part, par la constitution de nouveaux répertoires et champs symboliques.

Ce qui a eu pour conséquence de cabrer davantage un électorat qui a mûri et est largement conscientisé sur l'importance de la carte d'électeur. Et l'abaissement de l'âge du vote à 18 ans

a par ailleurs, permis à la jeunesse de s'inscrire en masse sur les listes électorales, pour sanctionner un régime qui tardait à trouver des solutions à ses problèmes. Et persiste cette tradition qui veut que « vox populi, vox dei » (parole du peuple, parole des dieux); comme pour dire avec la carte d'électeur, que certes c'est Dieu qui choisit, mais qu'Il passe par le peuple qui élit. Ce qui sans doute est compris au regard du fort taux de participation électorale car un grand nombre de citoyens qui n'avaient jamais voté ou qui avaient renoncé à accomplir ce droit devoir civique pour causes de fraudes, ont procédé à leur (ré) inscription sur les listes électorales : puisque « Ma carte d'électeur, ma force ! » (Slogan diffusé à travers les médias et incitant à l'inscription sur les listes électorales et au retrait des cartes), force devait lui rester. Aujourd'hui, le pouvoir que la carte d'électeur confère au citoyen fait de lui le véritable acteur mais aussi arbitre du jeu politique et démocratique.

114 Ibid., p.580.

En l'an 2000, les jeunes et les femmes vont se redéfinir par rapport à un ordre symbolique en déconstruisant le consensus sur lequel étaient érigés sa légitimité et son régime de validation.

Les formes d'intervention de la jeunesse dans l'espace public et politique ont été plurielles mais elles marquent surtout l'échec des politiques d'institutionnalisation des modes d'actions politiques. Cette frange juvénile va s'inscrire dans une logique de rude confrontation avec le système.

Le mouvement élève et étudiant a été le fer de lance de cette confrontation du fait de sa capacité à formuler sa propre demande par rapport au reste de la société mais aussi à cause du lieu particulier et avec ses réalités propres ou cette formulation se fait. Cette implication dans

le champ politique traduit une appréhension face au destin avec le chômage des diplômés,

l'insuffisance des bourses, la surpopulation du campus surtout de Dakar...ce qui va contribuer

à nourrir et à mûrir un sentiment de défiance à l'endroit du pouvoir. L'école a beaucoup suscité

de débats et de passions, de révoltes aussi et nombre de revendications. La réforme universitaire

a en effet, dépossédé le diplôme du baccalauréat de son aura magique, celle, pour des nombreux jeunes, d'une possible ascension sociale avec l'entrée automatique à l'université. A celleci est venue se substituer une admission à l'université ; ce qui est ressenti comme une profonde injustice et parachève de désorienter une jeunesse dont les espoirs et illusions se brisent devant les murs de ce qu'ils considèrent comme de l'exclusion.

Deux nouveaux modes d'action populaires mais aussi de déconstruction vont ainsi apparaître, à

travers le set setal et le rap, et donner corps à cette « politique par le bas ». Cette jeunesse, avec

le set setal et le rap a voulu rapporter la norme politique à une norme éthique et esthétique. Ainsi se forme ce que Achille MBEMBE appelle « un acte d'accusation de la logique des anciens »115 . Par delà ces phénomènes, les jeunes somment le reste de la société de repenser la politique et la modernité. Cette 'politique par le bas' va peu à peu s'ériger en concurrent de 'la démocratie des lettrés'.

Le discours se construit positivement autour du pôle de l'équité qui intègre toute la société dans

le mythe du développement, qui ne peut plus être opératoire à partir du paradigme de

115 MBEMBE A., Les jeunes et l'ordre politique en Afrique noire, Paris, L'Harmattan, 1985

l'exclusion. « Le sopi que s'est approprié la jeunesse est moins une contestation interne au champ politique qu'une irruption ou éruption du social dans le politique »116.

Le discours des rappeurs s'insurge contre ce que Souleymane Bachir DIOP appelle la perte de sens due à la force corrosive de la pauvreté. Plus qu'une crise des valeurs, c'est une crise des modèles qui est indexée à travers les pratiques autour d'institutions sociales telles que le baptême, le mariage et les funérailles (Bill Diakhou), les transactions sociales et financières révélatrices de moeurs délétères d'une classe sociale embourbée dans la luxure alors que l'écrasante majorité de la population se débat dans les affres de la pauvreté. « Ce sont ces modèles en crise, fruits naturels de la modernisation, qui ont hypothéqué le Développement et

les conditions de possibilité de tout futur pour les jeunes » 117

Mais ce qui reste marquant dans ce réveil du 'Sénégal d'en bas' c'est que la jeunesse a « pour une fois, transformé ses frustrations, sa hargne, ses revendications, son agressivité et sa violence habituellement exprimées dans des conduites de révolte et de casses, saccages et bagarres de rue, en détermination citoyenne. En effet, par son vote et par sa vigilance, cette jeunesse gardienne du scrutin et du respect des suffrages en février mars 2000, s'est imposée comme une entité sociale avec laquelle il faudra désormais compter » 118Ainsi, le bul faale

(T'occupes pas! Laisse passer!) a été un vaste mouvement de refus et il sera dans le hiphop sénégalais, symbole de ce refus des jeunes, un fédérateur de toute une génération de rupture, en défiance à l'endroit des politiques. Il traduit la vision de cette jeunesse, sa révolte par la banalisation, sur désir d'émancipation et d'affirmation d'une identité sociale. Ce front est à situer dans la logique des ruptures plurielles qui caractérisent nos sociétés, malgré bien des conservatismes irréductibles et des conflits de générations.

Cette musique va donc émerger et s'imposer comme une communication qui s'émancipe des modèles conventionnels et qui s'adresse à la fois aux jeunes, aux pouvoirs publics, à la société des adultes et aux parents.

116 DIAW A., Les intellectuels entre mémoire nationaliste et représentations de la modernité in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.569

117 Ibid., p.570

118 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002 p.587

Le flagrant nonrespect, par les jeunes notamment, des consignes de vote de bien de chefs religieux, traduit une certaine forme de désaveu et surtout une maturité et une responsabilité civiques de cette frange de la population électorale.

Le mbalax aura aussi aidé à apaiser les tensions et le conflit inhérents au jeu politique à travers notamment l'icône que vont constituer deux jeunes artistes, Pape et Cheikh, qui avec leur mythique « nuni nena » (c'est nous dans nous) vont s'imposer comme des régulateurs, dans un scrutin gros de tension et lourd d'incertitudes.

Les chemins de la dignité étant désormais balisés, les conquêtes de la citoyenneté sont réaffirmées. Mais, « ce n'est pas le poids électoral de la jeunesse qui a été déterminant dans l'avènement de l'alternance politique au Sénégal (en février mars 2000), mais la surveillance

du scrutin, dès avant le premier tour. Toutefois, par ses initiatives autonomes hardies lors des

scrutins, cette jeunesse, même dans sa composante partisane, s'est émancipée des cadres de contrôle des partis traditionnels et a posé le principe de son existence en tant que force en soi

et pour soi » 119

L'on aura aussi noté l'envahissement du champ politique par cette jeunesse. L'irruption dans le champ politique, selon des modalités parfois violentes, consacre l'investissement dans le présent et le refus de la vie à vivre dans le futur, selon le schéma de la classe dirigeante. Elle atteste du rejet par les jeunes des places qui leur sont assignées par le pouvoir politique jeunesse espoir de demain et par la tradition dont les perspectives de soumission des cadets aux aînés, des femmes aux hommes, sont répétées à longueur d'émissions radiotélevisées sous

le vocable de « crise des valeurs » ou de « démission des parents en matière d'éducation des enfants ».

Les femmes ne vont pas être en reste dans ce vaste mouvement de conquêtes citoyennes ; Parce que constituant plus de la moitié de la population, elles exigent maintenant que la société les reconnaisse comme des citoyennes majeures, elles qui, en tant que mères, « enseignant les règles élémentaires de la vie, le langage et l'amour et prodiguent les soins maternels prolongés qui sont la source première de la sociabilité humaine »120. Désormais, plus que des sentinelles

du passé, elles sont des agents de développement ; leviers du tissu socio économique mais

119 cf. article de PAYE M., En genre et en nombre, Sud Quotidien du 28 février 2001, p.2

120 BADINTER E., L'Un est l'Autre, Paris, Editions Odile Jacob, 1986, p.40

aussi femmes et maris à la fois puisque dans leur quête d'émancipation, « goorgorlu war na goor te war na jiguen ! aye leen ! » (La débrouillardise incombe tant à l'homme qu'à la femme ! Alors en avant !) 121

Les femmes revendiquent donc une participation significative à la vie politique nationale, puisqu'elles constituent la majorité de l'électorat avec les jeunes et avec un slogan tel que « démocratie, ou estu ? », elle l'ont réclamé fortement, en actes et plus dans les discours.

Se lit à travers ces changements, la reconnaissance de l'importance du suffrage et la force qui s'attache à la carte d'électeur, indice de participation politique ; c'est aussi la croissance de l'individualisme et du sens de l'Etat. L'idée d'un Etat démocratique au Sénégal ne peut plus être présentée comme une mauvaise plaisanterie ou une coquetterie, l'électorat ayant désormais

la preuve du pouvoir de la carte électorale. Le lien entre l'individu et l'Etat se voit ainsi

renforcé de même que sa liberté. L'objectif est donc de faire partie non pas des citoyens que l'on compte, mais de ceux qui comptent. On en revient à la sempiternelle question shakespearienne d' « être ou ne pas être ».

Comment apprécier cette citoyenneté reconquise ?

La société sénégalaise a entamé une expérience sociopolitique nouvelle à situer dans les profonds changements dont les contours restent encore difficiles à cerner mais dont les enjeux sont importants. On y lit une forme certaine d'émancipation des individus visàvis des familles

et des groupes.

Mais face aux conquêtes de la citoyenneté, une interrogation subsiste : « S'agitil là de nouveaux types de mécanismes collectifs de défense ou de simples réflexes éphémères de survie

ou bien alors ces facteurs relèveraientils et participeraientils en même temps, de mentalités et

de conduites de rupture véritable et de patriotisme, gages de maturité et prémices d'une conscience citoyenne et d'une société civile émergente ? » 122

121 générique du célèbre sketch inspiré de la BD de Alphonse MENDY alias `TT Fons', journaliste satirique et adapté au petit écran; dans « Les aventures de goorgorlu » , goor, le héros se démène pour assurer la dépense quotidienne DQ

122 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal

contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et

Sociétés, Paris, 2002 p.595

Il y'a d'abord le changement profond du rapport entre le citoyen et le pouvoir politique d'une

part, et entre ce même citoyen et certains cercles religieux, d'autre part ; cercles auxquels il est demandé de façon on ne peut plus explicite, de ne plus s'immiscer dans l'exercice du libre arbitre du citoyen notamment dans celui de ses droits civiques et dans l'expression de ses revendications en tant que citoyen qui tient désormais à demander des comptes à ceux qui le gouvernent.

A travers cette mentalité d'autodétermination, les velléités de plus en plus manifestes de l'implication citoyennes des sénégalais, se dessinent, en pointillé, les contours d'un nouveau type de sénégalais en gestation et qui, à terme, ne peut que produire un homme libre, responsable et affranchi de bien des pesanteurs des tutelles familiale et 'grégaire' . Ce qui, selon Mamadou MBODJI « ne devrait pas être une finalité en soi mais une étape qui requerra l'instauration d'un nouveau ciment de cohésion, d'appartenance, de concordance et de solidarité »123. A charge, pour cela, à l'Etat d'oeuvrer à « l'ancrage de toutes ces mutations dans une optique citoyenne, dans un esprit républicain » 124

Tirant la conclusion des résultats au lendemain du second tour du scrutin du 19 mars 2000, l'ancien Ministre socialiste chargé des relations avec les Assemblées, Papa Babacar MBAYE dira que l' « une des principales leçons qu'il faut tirer de cette situation, c'est que les citoyens

ont recouvré leur plénitude, leur liberté de choix et c'est un acquis qu'il faut saluer ».

123 Ibid., p.598

124 Ibid., p.598

CONCLUSION GENERALE

A l'entame de cette investigation scientifique, l'objectif aura consisté à tenter de voir comment

les partis politiques sénégalais et plus particulièrement, le PS et l'AFP, avaient présenté leur discours politique aux électeurs susceptibles de leur accorder leur suffrage. Il s'agissait aussi logiquement d'en apprécier les éventuels impacts sur le public ciblé pour cette circonstance historique qui s'est attachée à la présidentielle de l'an 2000 au Sénégal.

Mais au regard de cette étude, l'on serait bien tenté de conclure à un bilan mitigé car le discours aura relativement été perçu et le message reçu, dans une certaine mesure. Force est cependant

de reconnaître que cet impact est à relativiser car le citoyen récepteur est loin d'être un innocent spectateur et totalement perméable face aux stimuli qui lui sont transmis. Et la complexité que recèle le phénomène politique et électoral, promet tout pronostic ou prédiction

à la faillite et il n'y a rien de plus volatile qu'une intention de vote.

En effet, dans la communication, le plus compliqué n'est ni le message, ni la technique mais le récepteur et avec le marketing politique, les idées ne suffisent plus vraiment pour être élu. Cela témoigne sans doute des capacités de résistance et la marge de manoeuvre qui reste propriété exclusive de l'individu. Cet individu est produit d'un environnement, fruit d'un répertoire culturel, social et sociologique et parfois, sujet d'un contexte auquel il ne saurait pas toujours se soustraire et échapper. L'on en vient même à se convaincre que « la personne pense politiquement comme elle est socialement » ; qu'autrement dit, « les caractéristiques sociales déterminent les préférences politiques ».

Par ailleurs, la campagne électorale de février mars 2000 aura mis en évidence une capacité citoyenne en gestation à travers l'absence de consigne de vote ou son manque d'impact, les initiatives des associations de femmes, de jeunes ou des organisations pour la promotion des

droits humains, la forte implication des médias et de la société civile dans le débat politique avec notamment, l'ouverture d'espaces de discussion, d'interpellation ou de critique où les intellectuels ont beaucoup contribué.

Il semble bien que l'on assiste à un nouvel ordre symbolique en dehors du référentiel de l'Académie. Tel nous semble être le sens de l'appel du philosophe Ousseynou KANE qui « prie

du fond du coeur pour qu'on chasse ces marchandslà du temple sacré, avant qu'ils ne le

souillent de leurs moeurs corrompues » 125

Ce cri du coeur n'est pas fortuit car le peu d'incidence ou l'impact plus ou moins relatif du discours politique en l'an 2000 semble découler d'une mésalliance entre la logique morale et la logique politique ; ce qui ne peut que militer en défaveur des communicateurs politiques. Et

« les promesses électorales n'engagent que ceux qui y croient » a fini de constituer la vérité la

mieux partagée de nos jours, rythmés par les immenses conquêtes de la citoyenneté.

Mais les défis subsistent encore car « si le dominateur tomba (...) ce qu'il y avait de plus substantiel dans son oeuvre resta debout ; son gouvernement mort, son administration continua de vivre et toutes les fois qu'on a voulu depuis abattre le pouvoir absolu, on s'est borné à placer la tête de la liberté sur un corps servile »126; avec les comportements et les discours qui n'ont pas fondamentalement changé, l'on est passé à cette situation que Jean François HAVARD qualifie « de la victoire du sopi à la tentation du nopi » 127

En lieu et place du discours des hommes politiques (le haut) à destination des citoyens (le bas),

se déploie un mouvement contraire car le peuple réclame la parole et entre en scène...il veut un nouveau type d'homme politique, un nouveau discours politique bref, aller vers un renouveau

du champ politique sénégalais. Les dynamiques d' « en bas » agissent et réagissent, redéfinissant et recréant son propre répertoire. La communication politique en est certes à ses débuts sur la scène politique sénégalaise, du moins telle que celle de l'an 2000, où l'image et le

125 cf. article de KANE O., « La République couchée » , Quotidien Wal Fadjri numéro 2744 du 8 mai 2001

126 TOCQUEVILLE de A., L'ancien régime et la révolution

127 Revue Politique Africaine, numéro 96, décembre 2004, Sénégal 2000/ 2004, l'Alternance et ses contradictions, p.22

discours ont été très prégnants faisant penser au show à l'américaine ; et avec l'essor fulgurant des NTIC et la multiplication des médias ou véhicules d'information, nul doute, que de belles pages s'ouvrent encore...il reste à savoir quelle crédibilité l'électorat sénégalais, devenu de plus

en plus exigeant, pourra accorder aux leaders politiques.

Nous le notions dès les premières esquisses de notre analyse : la scène politique nous offre des événements et des phénomènes fort intéressants pour ne pas être appréhendés et étudiés. Avec l'Alternance de l'an 2000 et le chemin parcouru jusqu'ici par la démocratie sénégalaise, beaucoup reste à découvrir au regard de l'instabilité politique actuelle et de ce que l'on serait tenté d'apprécier en terme d'ordre politique relâché : ce qui est plutôt permanent en politique, c'est le changement...le sopi n'aura jamais connu autant de regain d'intérêt et suscité tant de passions et débats, qu'au cours de ce scrutin présidentiel de l'an 2000.

Mais quelle lecture pourrait on en faire, aujourd'hui, cinq ans après ce formidable élan démocratique ? That's the question !

QUESTIONNAIRE ADMINISTRE

1Avezvous voté lors de la Présidentielle de l'an 2000 ?

2Etaitce pour la première fois ?

3Qu'est ce qui a poussé à aller voter ?

4Avezvous suivi et/ou participé à la campagne électorale des partis politiques ?

Meetings

Rencontres avec des responsables politiques

Télévision

Radio

Presse écrite

5Est ce que la politique communicationnelle des partis politiques a pu influencer votre vote ?

6Sinon pourquoi êtesvous allé accomplir votre devoir de citoyen ? (Y'a til eu d'autres logiques sociales, culturelles ou religieuses)

7Comment percevezvous le discours des hommes politiques surtout en campagne électorale ?

8Quelle appréciation faitesvous de la transhumance dans le champ politique sénégalais ?

9Comment appréciezvous la place de l'argent dans le champ politique sénégalais, surtout lors des périodes électorales ?

10Est ce que depuis l'avènement de l'Alternance, la manière de gouverner et de gérer a changé

par rapport à l'ancien régime ?

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