REPUBLIQUE DU SENEGAL
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UNIVERSITE GASTON BERGER DE SAINT-LOUIS UFR DE SCIENCES
JURIDIQUE ET POLITIQUE SECTION : SCIENCE POLITIQUE
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MEMOIRE DE MAITRISE
THEME
LA COMMUNICATION POLITIQUE DANS LES ELECTIONS AU SENEGAL
:
L'EXEMPLE DU P.S. ET DE L'A.F.P. EN L'AN
2000.
Présenté par : Sous la direction
de : Hamad Jean Stanislas NDIAYE M. Adolphe DANSOU
Etudiant en 4ème année
Enseignant à l'Université
de Science Politique Gaston Berger de
Saint-Louis
Année académique 2004-2005
2
ABREVIATIONS
AFP Alliance des Forces de Progrès
AJ/PADS And Jef/ Parti Africain pour la Démocratie et le
Socialisme
AOF Afrique Occidentale Française BCG Bloc des Centristes
Gaïndé BDS Bloc Démocratique Sénégalais
CA 2000 Coalition pour l'Alternance 2000
CDP Garab gui Convention des Démocrates et des Patriotes
Garab gui
CNTS Confédération Nationale des Travailleurs du
Sénégal
CODE 2000 COalition De l'Espoir 2000
CONGAD Conseil des ONG du Sénégal
FMI Fonds Monétaire International
FRAP Front de Rupture pour une Alternance Populaire
FRTE Front pour la Régularité et la Transparence
dans les Elections
FSD/BJ Front pour le Socialisme et la Démocratie/ Benno
Jubel
NPA Nouvelle Politique Agricole
NPI Nouvelle Politique Industrielle
ONEL Observatoire National des ELections
OPNI Objets Politiques Non Identifiés
PAI Parti Africain de l'Indépendance
PAML Programme d'Ajustement économique et financier
à Moyen et Long terme
PDS Parti Démocratique Sénégalais
PDS/R Parti Démocratique Sénégalais/
Rénovation
PIT Parti de l'Indépendance et du Travail
PLS Parti Libéral Sénégalais
PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement
PREF Plan de Redressement Economique et Financier
PRS Parti Républicain du Sénégal
PS Parti Socialiste
TIC Technologies de l'Information et de la Communication UNSAS
Union Nationale des Syndicats Autonomes du Sénégal UPS Union
Progressiste Sénégalaise
URD Union pour le Renouveau Démocratique
URD/FAL Union pour le Renouveau Démocratique/ Front pour
l'Alternance
SOMMAIRE
Introduction générale.
Première Partie: La construction du discours
politique de L'AFP et du PS.
Chapitre 1: Le discours politique à
l'épreuve de la campagne électorale:
un discours sans conteste antagonique.
Section 1 : Le PS face au combat de la
réhabilitation.
A Pour une revalidation du `contrat social'.
B Par le Pacte de Solidarité et de Croissance.
Section 2 : L'AFP face au dilemme progressiste.
A Déconstruire le régime socialiste.
B« Pour un Sénégal autrement
géré ».
Chapitre 2: L'alchimie des circonstances de temps, de lieu
et de personne.
Section 1 : Le changement, une aspiration partagée
aux élections de l'an 2000.
A Le PS, pour un « changement dans la continuité
».
B L'AFP pour un « changement sans Diouf ».
Section 2 : Le contexte particulier de l'an 2000.
A La fatigue des sénégalais et la prégnance
du changement.
B Relecture et recomposition du paysage politique
sénégalais: pour une ouverture du jeu politique.
Deuxième Partie : La perception du discours
politique et perspective explicative.
Chapitre 1 : Les effets de la communication politique du
PS et de l'AFP.
Section 1 : Un discours aux effets réels.
A De par le jeu des alliances politiques et l'action des
médias.
B De par la dimension personnelle des candidats.
Section 2 : Un impact à relativiser.
A Le rejet du discours politique.
B Le 'mal être' et 'le mal vivre' des
partis politiques.
Chapitre 2 : Des limites inhérentes
à la communication politique : Perspective explicative.
Section 1 : De la dynamique des « objets
politiques non identifiés ».
A Le rôle des « valeurs structurantes de la
tradition culturelle » et la capacité réactive
de l'individu citoyen.
B L'effritement du « ndiguel ».
Section 2 : De « La politique par le bas
».
A Médias et société civile, les «
gardiens du temple » démocratique.
B Les conquêtes de la citoyenneté.
Conclusion générale
Bibliographie
Dédicaces
A toute ma famille ; A mes parents ; A tous mes
frères et soeurs : chacun pour ce
qu'il est reste précieux. Fervent souhait de
vous voir aller au delà de mes modestes ambitions mais surtout
de trouver la voie et de donner le vrai sens à votre vie.
A Feux Estella COLY et Marie Clémence NDIAYE. A Feu
Joseph Luc FAYE.
A tous ceux qui, depuis l'Immaculée Conception de
Rufisque jusqu'à l'UGB, se sont évertués à faire
de moi cet être plein de leur enseignement et qui leur en
reste à jamais reconnaissant.
A tous les étudiants de l'UFR, en particulier à mes
camarades de promotion.
A toute l'UFR : au Directeur, au PER, au PATS pour toute
l'expérience partagée
et les moments vécus.
A tous les amis rencontrés à l'UGB. A tous les amis
de Rufisque.
Remerciements
Monsieur Adolphe DANSOU, pour avoir bien voulu guider nos
premiers pas dans
la recherche dans un constant élan de rigueur et de
culte du travail bien fait. Nous retenons de lui que « le
mémoire n'est pas juste une formalité pour clore le
second cycle, mais bien le début de la recherche ».
Monsieur Moustapha NIASSE, Secrétaire
Général de l'Alliance des Forces de
Progrès (AFP) et Monsieur Abdoulaye WILANE, Membre du
Bureau Politique
du Parti Socialiste (PS) pour bien avoir voulu se
prêter à nos enquêtes et interviews. Ce travail porte le
sceau du réel apport de leur sollicitude.
Messieurs Alioune Badara DIOP, Antoine TINE, Abdoul
Fatah NIANE et Ibrahima SILLA, enseignants à la section de
science politique pour tous les conseils et échanges fructueux.
Au delà de leur statut de formateurs, leur
expérience d'anciens et de pionniers nous
auront humblement épargné les maladresses auxquelles nous
aurions pu être exposés. En suscitant le débat, nous avons
appris à leur voler un peu de leur savoir...le disciple saisit au bond
toutes
les occasions d'apprendre de son maître !
A tous ceux dont, par respect pour leur humilité, nous
avons été amenés à taire les noms. Ce silence
n'enlève en rien leur mérite puisqu'il faut souvent se taire pour
mieux être entendu.
Pas de démocratie sans communication politique
Dominique WOLTON
A cause du marketing politique, les idées ne
suffisent plus pour être élu
Philippe J. MAAREK
Dans la communication, le plus compliqué n'est ni le
message, ni la technique
mais le récepteur
Dominique WOLTON
INTRODUCTION GENERALE
La science politique, en étudiant le politique, n'en
s'étend pas moins à la politique. Et la scène
politique nous offre des événements et des
phénomènes fort intéressants pour ne pas être
appréhendés et étudiés. Dans cette
«autopsie» de la scène ou du jeu politique, la
communication
ne saurait manquer d'être prise en compte car ce
milieu, parce que politique, conserve ses réalités et
principes propres qui le différencient de toute autre sphère de
la société.
Cette communication propre à la sphère
politique communication politique a désigné au
départ, l'étude de la communication du gouvernement vers
l'électorat, puis l'échange des discours politiques entre la
majorité et l'opposition. Le domaine s'est ensuite élargi
à l'étude du rôle des médias dans la formation de
l'opinion publique, puis à l'influence des sondages sur la
vie politique. 1
Aujourd'hui, elle englobe l'étude du rôle de
la communication dans la vie politique au sens large, en
intégrant aussi bien les médias que les sondages, le marketing
politique et la publicité
1Dominique WOLTON, Glossaire des concepts utilises voir site :
www.wolton.cnrs.fr/glossaire/fr_glossaire.htm
avec un intérêt particulier pour les périodes
électorales. A la limite, la communication politique désignetelle
toute communication qui a pour objet la politique!
Cette définition, trop extensive, a cependant
l'avantage de prendre en compte les deux grandes caractéristiques de la
politique contemporaine: l'élargissement de la sphère politique
et la place croissante accordée à la communication, avec le poids
des médias et de l'opinion publique à travers les sondages.
La communication politique moderne ne peut plus se
contenter, comme auparavant, de la
qualité littéraire des discours politiques et du
brio de la rhétorique de ses énonciateurs. En effet, ainsi que
le rappelle Philippe J. MAAREK « à cause du marketing
politique, les idées ne suffisent plus pour être élu
». 2
En dehors de l'activité électorale, la
communication politique instaure l'existence symbolique des acteurs politiques
et des partis. Elle leur donne la visibilité qui leur permet d'exister
dans l'espace public, et, en particulier, c'est par les stratégies de la
communication politique que les partis et les acteurs collectifs de la
sociabilité politique suscitent l'adhésion ou
l'intérêt et engagent la permanence d'une relation
médiatée aux citoyens et aux autres acteurs singuliers de
la sociabilité politique. La construction de
l'identité des partis politiques s'inscrit dans trois types
d'activités de communication : l'affichage et la manifestation
d'une présence militante dans l'espace public (tracts, présence
dans les marchés...) ; l'élaboration et la diffusion d'une presse
propre, destinée aussi bien à l'usage interne
(informations institutionnelles, calendrier des manifestations
prévues) qu'à l'usage externe (diffusion des textes
importants et des déclarations des acteurs politiques) ;
l'organisation de débats, de réunions publiques et de
manifestations assurant une visibilité dans l'espace public.
La communication politique, en ce sens, donne aux
partis l'existence symbolique qui leur assure une place dans l'espace
public, et qui rend possible la discussion publique de leurs projets
et de leurs idées. C'est, enfin, sur la base de cette consistance
symbolique que les partis s'engagent dans les confrontations électorales
et institutionnelles qui les opposent les uns aux autres.
Or, le pouvoir n'est pas quelque chose que l'on
possède, du moins, indéfiniment ; c'est une interaction. Il
est généralement considéré par les politologues
comme une relation entre deux
2MAAREK, Philippe J., Communication et Marketing de
l'homme politique, Collection communication politique et publique,
Paris, LITEC, 1992, p.1.
ou plusieurs personnes.3 Et parce
qu'étant une relation, le pouvoir demeure l'enjeu majeur sinon le
seul dans le combat politique qui nourrit et vivifie le jeu
démocratique, un enjeu des stratégies des acteurs. Vu sous cet
angle, le pouvoir doit également être légitimé,
c'estàdire accepté tacitement par le peuple qui y est soumis.
Alors toute stratégie est développée par les partis
politiques pour séduire et s'octroyer les faveurs et le suffrage des
citoyens.
Un aspect des travaux de Pierre BOURDIEU qui
s'intéresse, au premier chef, à la communication
politique, porte sur les discours et le champ politiques et concerne le pouvoir
symbolique et leurs effets. Selon lui, la communication joue un
rôle prépondérant dans le champ politique, qui comme
tout autre champ, possède ses règles, épreuves et rites de
passage propres, mais ce champ dépend fortement de
l'extérieur; la force des agents politiques est fonction de leur
capacité à mobiliser l'électorat. " La
concurrence pour le pouvoir (...) s'accomplit par l'intermédiaire
de la concurrence pour les profanes ou, mieux, pour le monopole du
droit de parler et d'agir " au nom de la population. 4
La prééminence de la communication dans le champ
politique s'explique en ce que la fonction
de mobilisation prend le pas sur la fonction
d'expression des idées et des idéaux et sur la fonction
de représentation. On cherche donc à faire voir et faire croire,
prédire et prescrire, faire connaître et faire
reconnaître.
Pour Bourdieu, si les dynamiques de pouvoir s'exercent
dans tous les champs, c'est dans le
champ politique que s'établissent les
catégories constitutives des oppositions sociales; " le
pouvoir de représentation " qui est le propre du champ politique
constitue aussi un " pouvoir de manifestation " qui "
contribue à faire exister pleinement " ce qui existe
à l'état tacite ou implicite, et donc à faire
" surgir de nouvelles oppositions " grâce à leur
apparition dans l'espace public. Il se fabrique donc à
l'intérieur du champ politique " des formes de perception
et d'exposition politiques agissantes et légitimes
". 5
Aussi pour Ibrahima NDIAYE DIADJI, « parmi les
champs normatifs d'action (...), les stratégies de communication
auront nécessairement un rôle de plus en plus accru
»6 Il ajoute que « ...Il va de soi que le
parti politique qui ne sait pas comment diffuser au mieux ses
3 cf. cours de communication politique
4 Pierre Bourdieu et la communication politique :
www.lasciencepolitique.com/revue/revue1/article10.htm
5 (Ibid.)
6 NDIAYE I., Etre syndicaliste aujourd'hui...Editions
XAMAL, SaintLouis, 2001, p.99
opinions, ses projets, sa vision, éveille
l'interrogation de ses propres militants ou sympathisants sur sa
visibilité dans le champ politique ...»
7.
La forte médiatisation des campagnes électorales
a fait apparaître de nouveaux éléments dans le comportement
des acteurs du jeu politique. On note, en effet, une adaptation des acteurs aux
nouvelles exigences médiatiques, le marketing politique fait son
apparition. L'on fait même appel à de grands
spécialistes du marketing politique, à l'image du PS et du
candidat Abdou DIOUF, qui a accepté la proposition d'aide du
français Jacques SEGUELA.
Il ressort clairement que toutes les formations en
compétition se dotent de conseillers en communication et de
directoires de campagne qui élaborent de véritables plans
médiatiques de conquête électorale.
C'est aussi dans ce cadre du développement des
technologies de l'information et de la communication (TIC), de l'essor
des médias de masse et de la transformation des modes de
communication des hommes politiques que s'inscrit notre étude,
étude rétrospective de la campagne électorale des
élections présidentielles de l'an 2000 au SENEGAL.
D'ores et déjà, ce regard a posteriori
se fera au travers de quotidiens sénégalais;
néanmoins, pareille approche ne devra aucunement nous contenter
dans cette recherche car l'apport des quotidiens nous sera certes
nécessaire et bénéfique mais pas suffisant.
Il nous faudra donc obligatoirement aller vers les partis
politiques, en faisant nôtre cette formule qui veut qu' «A
tout seigneur, tout honneur!»
Il demeure, cependant, qu'objet classique de la science
politique, les partis politiques ont été quelque peu
délaissés par la recherche depuis une vingtaine d'années.
Ce désintérêt relatif est indissociable d'une
recomposition des formes d'engagement et de participation politique, du
déclin de la visibilité des idéologies et d'une
certaine crise des modes de la représentation collective.
Les formations politiques du Sénégal
n'échappent pas à cette perte de vitesse et l'on pourrait
même convenir avec Zaki LAIDI d'une « perte
de sens » 8 , vu que l'échiquier politique
sénégalais se trouve actuellement sujet à un
bouleversement sans précédent et à une
7(Ibid. P.100)
8 LAIDI, Z., Un monde privé de sens, Editions Hachette
pluriel référence, mai 2001, 330 p.
recomposition des forces politiques et des
idéologies, laissant apparaître des alliances et des
allégeances dont nul observateur n'aurait pu avancer le postulat.
Pour autant, les partis politiques ne sont pas morts. Si la
vision idéal typique du parti de masse
a été malmenée ces dernières
années, les partis, soucieux de leur survie et de leur conservation,
inventent et découvrent de nouvelles pratiques et tentent de
s'adapter à une société de gouvernance multi
niveaux.
Dès lors, comment justifier le choix de notre étude
dans le cadre précis de ce sujet ?
L'observation systématique des dispositifs de
communication politique et des modèles d'interaction
proposés aux populations (ou aux acteurs sociaux) peut
justifier le questionnement sur la concordance réelle entre la
visibilité médiatique et la lisibilité sociale ou entre le
discours politique et l'expérience vécue.
Mais l'on pourrait expliquer ce choix par les
particularités qu'a pu revêtir l'élection
présidentielle de l'an 2000 dans l'histoire politique du
Sénégal. Pour trouver réponse à ce qui aura fait
la singularité de ces échéances électorales,
trois axes peuvent nous aider, hormis la mémorable et historique
alternance politique qui en a découlé :
D'abord, l' « essoufflement du régime
socialiste » 9 . Il reste justifié par
l'implosion et les querelles fratricides qui vont miner le Parti Socialiste
(PS) et déboucher sur un schisme inédit avec les départs
de Djibo Leity KA et de Moustapha NIASSE.
De là vont apparaître deux nouvelles formations
politiques que sont, respectivement, l'Union pour le Renouveau
Démocratique (URD) et l'Alliance des Forces de Progrès (AFP) qui
vont, pour beaucoup, contribuer à la débâcle du PS et
amener pour la première fois dans l'histoire politique du
Sénégal, au ballottage du candidat socialiste et à
la convocation du collège électoral en vue d'un second tour
aux présidentielles.
Ensuite, le nouveau visage et la recomposition du champ
politique sénégalais qui en devient plus ouvert par le jeu
des alliances ou coalitions et celui des nouveaux partis qui tentent
de percer et de s'imposer.
9 DIOP A. B., Logiques sociales et démocratie
électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et
d'interprétation d'une trajectoire de crise : l'exemple de Fouta Toro
(19832001) Thèse de doctorat en science politique,
Université MONTESQUIEU, Bordeaux IV, IEP Bordeaux , CEAN, juillet
2002
On peut y lire une « maturité » de l'opposition
politique qui fait bloc avec un seul mot d'ordre :
débouter un régime socialiste vieux de quarante ans
!
Enfin, la forte aspiration des populations au changement. Ce
changement s'entend tant dans un renouvellement des méthodes et
pratiques politiques, que dans un renouvellement de la classe politique et plus
précisément, de certains barons ou ténors, qui ont fini
par lasser les citoyens.
Le « SOPI » (changement, en
wolof), slogan du Parti Démocratique Sénégalais (PDS)
dirigé
par le candidat Abdoulaye WADE, n'aura jamais connu autant de
regain d'intérêt.
Problématique
Notre étude n'aura pas pour objet le vote en
tant que tel, mais sera plutôt centrée sur la
communication politique de deux partis (PS et AFP) par le biais des
quotidiens que sont, principalement LE
SOLEIL,WALFADJRI, SUD QUOTIDIEN et LE
MATIN. Ce qui n'empêchera, le cas échéant, le
recours à d'autres sources médiatiques qui puissent constituer
un apport réel à notre investigation.
Cette logique adoptée nous amènera à
explorer l'impact des campagnes et sorties des leaders politiques, notamment
des candidats DIOUF et NIASSE, sur l'électorat sénégalais.
Autrement
dit :
Quelles ont été les politiques
communicationnelles initiées par les différentes formations
politiques ?
Comment le PS et l'AFP ontils fait campagne en l'an
2000, dans la période officielle de campagne électorale qui
constitue notre cadre de référence ?
Quel était le but de cette publicité politique ?
Comment a telle été perçue et quels ont pu
en être les impacts et incidences sur l'électorat ?
Hypothèses
En se proposant d'étudier la communication
politique de l'AFP et du PS dans la campagne électorale de
l'an 2000 et s'inscrivant dans une dynamique d'appréciation de
cette phase importante de l'évolution politique nationale, l'on
pourrait partir de plusieurs schémas. Des hypothèses qui
peuvent trouver crédit dans la « singularité » ,admise
ou non, de cette élection. Bien singulière élection car
ayant abouti à une alternance politique au sommet de l'Etat
sénégalais, la première d'ailleurs issue des urnes,
quarante ans après l'accession du pays à la souveraineté
internationale !
On se rappelle en effet, le départ du
Président Léopold Sédar SENGHOR de la tête de
la magistrature suprême le 31 décembre 1980 et l'accession au
pouvoir de son dauphin Abdou DIOUF qui prêtera serment dès le
lendemain, 1er janvier 1981, en vertu de l'article 35 de la
constitution sénégalaise. Le président
Senghor faisait modifier la Constitution pour introduire
l'article 35, en 1976, et s'assurer que le Premier ministre
en fonction au moment du départ du président terminerait le
mandat de ce dernier. Diouf supprimera cet article 35 après
son accession au pouvoir. Il rappelle qu'en recevant Abdoulaye WADE dans les
premiers mois de
sa présidence, ce dernier lui avait laissé
comprendre que cet article gagnerait à être supprimé car
étant « un article de fin de règne » et
qu'il ne pouvait envisager d'« imposer son successeur ».
Et lui de répondre que Wade avait raison.
Il s'y ajoute un fait assez nouveau au Sénégal
pour manquer d'être relevé : la sollicitation par le candidat
DIOUF de Jacques SEGUELA, le consultant français en marketing politique
qui mena François MITTERRAND à l'Elysée en 1981 avec son
slogan « LA FORCE TRANQUILLE ! ».
Le PS avait donc compris l'enjeu des cette présidentielle
!
Peuton donc avancer, comme premier postulat, que les
campagnes de communication de l'AFP et du PS ont eu des effets des
incidences sur la cible électorale ;
Ou alors que cellesci n'auront en rien influencé les
citoyens et que d'autres logiques peuvent
être invoquées car ayant pu intervenir lors des deux
tours de la présidentielle de février et mars
2000.
Cadre théorique de l'analyse
Dans le cadre de cette analyse, nous nous
emploierons à étudier le discours des hommes
politiques, à savoir Abdou DIOUF (PS) et
Moustapha NIASSE (AFP), la politique communicationnelle de leurs partis
et leurs éventuels impacts sur l'électorat
sénégalais.
En période de campagne électorale, les
relations avec les médias, sont de la plus haute
importance pour la politique de communication : de leur bonne
qualité dépend la participation
de la presse en tant que relais d'opinion, plus ou
moins volontaire, de l'action des leaders politiques et de leurs
partis.
En effet, les médias participent beaucoup à
l'éducation du citoyen sur la sensibilisation des
électeurs, sur les programmes d'activités des
partis politiques en lice pour les élections et sur le
déroulement du scrutin luimême.
Les usages politiques des médias sont une
préoccupation des politiques qui recherchent un pouvoir de
persuasion. La propagande est l'action exercée sur l'opinion pour
l'amener à avoir certaines idées politiques et sociales,
à soutenir une politique, un gouvernement, un
représentant. En ce sens, la communication politique s'apparente
plutôt à de l'influence. Les techniques sont celles du monde
commercial, d'où le terme de « marketing politique »
consistant à séduire l'électeur.
La stratégie consiste à présenter l'homme
politique avec la plus grande attention, que ce soit ses manières, son
allure physique, le caractère et bien d'autres images susceptibles
d'influencer le vote du citoyen. En effet, rien n'est laissé au
hasard, de la couleur du costume au pas à contrôler,
à la coiffure et au regard, en passant par le sourire affiché et
la manière de saluer les populations susceptibles de voter pour
lui...
A la suite des travaux de l'Ecole de Chicago de Paul LAZARSFELD
dans le cadre de l'étude
du comportement des électeurs dans le comté
d'Erié, sera ton amené à la conclusion que « une
personne pense politiquement comme elle est socialement » et
que « les caractéristiques sociales déterminent les
préférences politiques » ? ;
Ou plutôt que la communication des leaders
politiques lors de ces élections aura bien été
perçue par les citoyens ?
Méthodologie de la recherche
Si nous convenons avec Norman NIE, Sydney VERBA et
John PETROCIK que « le public
répond aux stimuli politiques qui lui sont offerts,
(il) n'est pas déterminé uniquement par des forces psychologiques
ou sociologiques, mais aussi par les problèmes du jour et par la
façon dont les candidats présentent les problèmes
» (NIE et ali.. The changing American Voter, Havard University
Press, Cambridge, 1976, p.319), notre méthodologie consistera:
dans un premier temps, en une étape
théorique, avec l'approche bibliographique qui nous renseigne sur
l'état de recherche sur cette thématique de la communication
politique. A cela s'ajoutent les quotidiens, articles de journaux, la
documentation et les discours des candidats à des moments précis
de la campagne ;
dans une seconde étape, en une phase pratique, par
le biais d'entretiens et d'enquêtes sur le terrain. La
première cible sera les leaders et acteurs politiques et leurs
partis, qui nous intéressent dans notre étude. Nous irons aussi
vers les citoyens pour recueillir les appréciations
et la perception des populations afin de juger de
l'éventuel impact desdiscours sur leur
expression citoyenne ;
dans un dernier moment, en un exercice d'exploitation des
données et de rédaction. Il s'agira de confronter les deux
perceptions que sont celle des acteurs directs du jeu politique et celle de
l'électeur.
Intérêt de l'étude
L'étude que nous nous proposons de faire s'inscrit
dans une dynamique d'investissement d'un
domaine peu ou très mal connu, surtout au plan
national. Nul doute que la communication politique n'en sera que mieux
connue, eu égard à l'enjeu majeur qu'elle revêt
dans le jeu politique. En étudiant ce phénomène par
le prisme des médias, au sein du paysage politique
sénégalais, notre souci ne sera pas celui du simple
citoyen ou du journaliste; la vision du politologue s'inscrit bien au
delà!
Investir le domaine de la communication politique, surtout au
Sénégal où elle est balbutiante
(du moins dans une conception moderne, à l'image de
l'exemple américain où shows et forte
médiatisation rythment les
échéances électorales), nous inscrira dans une
perspective prospective .Nul doute qu'au regard du fulgurant essor des TIC et
de la familiarisation plus ou moins grande des citoyens avec ce qu'il est
maintenant convenu d'appeler la cybercitoyenneté,
le spectacle ne fait que commencer. Alors, silence, ça
tourne !
PREMIERE PARTIE
LA CONSTRUCTION
DU DISCOURS POLITIQUE DE L'AFP ET DU PS.
La communication électorale, qui regroupe l'ensemble
des activités symboliques engagées dans
le cadre de l'organisation du vote, présente deux
caractéristiques d'ensemble.
La première, c'est qu'elle est structurée autour de
relations à des personnes. Il s'agit, en fin de compte, toujours, de
présenter des candidats à des électeurs. Une telle
relation, par conséquent,
va mettre en oeuvre une logique d'identification.
La deuxième caractéristique de cette communication,
c'est qu'elle structure le temps politique :
la vie politique est scandée par le retour régulier
d'échéances électorales, d'abord parce que les
assemblées et les pouvoirs se renouvellent régulièrement,
ensuite parce que, le chevauchement
de la durée des mandats organisant des cycles qui ne se
correspondent pas, l'activité électorale
est une activité pratiquement continue et, de ce
fait, la communication électorale occupe l'espace public de
façon ininterrompue. La communication électorale joue, par
conséquent, un rôle important dans la communication politique.
Elle constitue, à la fois par la régularité de son retour
et par la personnalisation de ses enjeux, une médiation
structurante de la sociabilité politique.
Avec l'élection présidentielle des 21
février et 19 mars 2000, les hommes politiques sénégalais
sont, peutêtre sans s'en rendre compte, entrés dans
l'ère de la campagne électorale personnalisée.
Une campagne où l'idéologie et le programme
politicoéconomique sont relégués en arrière plan
au profit de la politique spectacle (les temps d'antenne étaient
d'ailleurs
de grandes occasions de franche rigolade pour les
téléspectateurs). Dans cette formule inventée par les
« communicants » Nordaméricains, seule compte
l'image, la bonne image du candidat.
Le marketing politique adopte désormais les mêmes
outils que la publicité. Il faut de l'argent et surtout des
idées originales pour remporter une élection.
L'électeur est désormais considéré comme un
simple consommateur et la démocratie est devenue un vaste marché
fort lucratif. Il
nous faut bien sûr relativiser car aussi bien Diouf
que Niasse n'avaient les énormes et impressionnants moyens
déployés par les puissants partis américains.
Si l'interprétation du discours politique consiste
à faire apparaître le réel dont il se soutient,
l'interprétation politique des actes et des stratégies des
acteurs sociaux consiste à faire apparaître l'articulation
qu'ils proposent entre le réel et le symbolique.
Ainsi, avec l'importance grandissante qu'a prise
l'information audiovisuelle dans la communication politique, les gestes
les plus insignifiants des hommes politiques ou leurs
"petites phrases" ont fini par prendre une consistance
importante, en ce qu'ils sont toujours
articulés à leurs orientations, à
leurs pratiques, à leurs choix et, de façon
générale, à leur activité institutionnelle. La
communication politique articule les discours des acteurs à
leurs stratégies, pour construire leur signification et la faire
apparaître dans l'information qu'elle diffuse.
Mais élaborer des stratégies politiques, c'est
justement donner aux actes et aux décisions eux
mêmes, en dehors de leur effet sur le réel et sur
les situations, une dimension symbolique qui
les rend interprétables. L'essor récent de la
communication politique est lié au développement
de l'audiovisuel et, par conséquent, à la
visibilité du politique par l'image, qui lui donne la
consistance d'un spectacle, ce qui, d'ailleurs, ne fait que prolonger une
situation ancienne qui, auparavant, n'était pas liée à
l'audiovisuel mais à l'image ou, plus simplement à l'existence de
foules entières qui venaient assister au spectacle. Mais cette
importance de la visibilité du geste dans la communication politique
tient, justement, au fait qu'elle met en évidence la relation
nécessaire entre l'acte et l'interprétation politique que l'on
peut lui donner.
Le combat NIASSE DIOUF étant celui d'un parti
d'opposition face à celui au pouvoir, le discours
apparaîtra, sans conteste, antagonique et ce, à l'épreuve
de la campagne (chapitre premier).
Les réalités et les
particularités de ce scrutin présidentiel de l'an
2000 au Sénégal, appartiennent à un contexte bien
spécifique. Se pose alors l'alchimie des circonstances, de lieu,
de temps et de personnes (chapitre second).
CHAPITRE PREMIER:
LE DISCOURS POLITIQUE A L'EPREUVE DE LA CAMPAGNE:
UN DISCOURS SANS CONTESTE ANTAGONIQUE.
Tenter de voir la construction du discours politique des deux
partis que sont l'AFP et le PS, ne peut se concevoir que dans le cadre de la
campagne électorale, tant au premier qu'au second tour. La campagne
électorale se définit comme les activités que les
candidats et leurs partis sont autorisés à entreprendre dans le
but de solliciter des votes. En effet, la campagne électorale,
c'est la lutte pas seulement pour l'électeur mais aussi la lutte contre
l'influence des adversaires
sur l'électeur.
Il demeure aussi que le problème des stratégies de
communication des partis politiques est celui
de faire parvenir leurs idées, leurs messages aux
électeurs. Ce problème est résolu par la voie
de la publicité extérieure : affiches,
grands écrans publicitaires, tracs, plaquettes, moyens
d'information de masse. Voilà pourquoi les grandes directions du
travail sur les moyens d'information de masse sont devenues la
création d'évènements capables d'attirer
l'intérêt du public et la recherche de liens accrus avec les
journalistes.
Les approches de communication habituellement choisies
ont été les discours politiques, les rencontres avec la
population, les meetings. Etant donné que ce genre d'actions
deviennent rapidement routinières et banales durant la campagne
électorale, les partis politiques et leurs consultants ont
été amenés à imaginer, en plus de ces
approches traditionnelles, des évènements plus inattendus :
visites inopinées, déclarations fracassantes ou scandaleuses. Ce
sont particulièrement les politiques peu connus qui ont tendance
à recourir à des déclarations scandaleuses afin
d'acquérir un peu plus de notoriété. Logiquement, les
hommes politiques du
gouvernement n'ont pas besoin de mettre en oeuvre de telles
stratégies puisqu'ils font l'objet d'une attention permanente de la
part des journalistes.
La présidentielle de l'an 2000 aura été,
à bien des égards, un scrutin à enjeu majeur, de par ses
particularités qui lui conféreront un caractère singulier.
Ainsi que nous le notions plus haut, la singularité de cette
élection tient à plus ou moins trois facteurs :
l'essoufflement du régime socialiste, au regard de
l'implosion et des querelles fratricides qui vont apparaître et diviser
le PS. Pour la première fois, l'héritage politique senghorien ne
fait plus l'unanimité au sein même de ses propres rangs.
Vérité confirmée par le départ de Djibo KA et de
Moustapha NIASSE.
le regroupement des forces de l'opposition que l'on va
assimiler à un `bloc historique'... rarement dans les
annales politiques du pays, pareille coalition n'aura été
notée, surtout, avec autant d'idéologies que tout sépare
.Ce regroupement des principaux opposants sous la même bannière,
qui n'aura pas été facile à mettre sur pied, constitue
donc un signal fort et un signe plus ou moins avéré de la
maturité politique d'une opposition dont le but avoué reste le
même : mettre fin au long règne du PS !
la forte aspiration au changement des populations au point
même que le « SOPI », slogan du candidat WADE
l'opposant le plus connu pour avoir été de tous les
scrutins depuis 1974, contre SENGHOR et son successeur Abdou DIOUF , n'aura
jamais suscité autant d'intérêt et d'appropriation totale
des citoyens. L'heure n'était plus désormais, au fatalisme et
à l'abandon entre les mains d'un régime en crise et en proie
à toutes sortes de critiques.
Ces enjeux du scrutin présidentiel de l'an 2000, vont donc
créer le cadre d'une communication
électorale sans commune mesure. En effet, tout parti
politique aspire naturellement au pouvoir
et à l'exercer. Ce qui va militer en faveur d'une
âpre compétition politique 'à qui communique
le mieux !' Mais les logiques ne seront pas les mêmes
suivant le camp auquel on appartient.
Pour le PS, parti au pouvoir et candidat à sa
propre succession après quarante années au pouvoir (depuis
le BDS, en passant par l'UPS et dernièrement le PS),
l'objectif est de le conserver ; ce qui est naturel pour tout parti
politique !
Pour l'AFP, par contre, le combat est tout autre.
L'objectif de la formation de Moustapha
NIASSE, qui vient de quitter le PS, est de faire advenir une
alternance au sommet de l'Etat ;
alternance qui implique l'éviction d'Abdou DIOUF d'avec
qui le divorce est consommé.
Les objectifs étant fixés pour chaque formation
politique; les candidats socialiste et progressiste croisant le fer, les
stratégies de campagne vont différer.
Pour le PS et le candidat Abdou DIOUF, s'engage le combat de la
réhabilitation (section 1)
au moment où l'AFP et son leader Moustapha NIASSE,
pour ce scrutin qui fait office de
'baptême de feu', se trouvent face au dilemme progressiste
(section 2).
Cette étude sera principalement campée sur la
campagne en vue du premier tour.
SECTION 1
LE PS FACE AU COMBAT DE LA REHABILITATION.
Avancer pareil postulat qui mette le PS face au combat de la
réhabilitation, ne saurait prospérer que lorsqu'on établit
l'effectivité d'une situation ou d'un contexte qui convainque d'une
rupture
du 'contrat social' sénégalais. L'on s'accorde
néanmoins à admettre que beaucoup de facteurs y
concourent et tendent à confirmer cette situation de
rupture.
En effet, la présidentielle de l'an 2000 va
apparaître très délicate pour le régime socialiste
et son candidat, Abdou DIOUF, qui sollicite à nouveau le
suffrage de ses concitoyens pour la magistrature suprême. Le fait
que ce scrutin soit estampillé 'à haut risque'
pour le PS, s'explique par une impression
généralisée de 'rupture du contrat social'
entre le peuple sénégalais et le régime, qui
s'accompagne d'une frustration plus ou moins globale et une forte tension
sociale. L'Etat en est même perçu comme le «
démiurge du développement » 10.
Et « le contrat social » s'est progressivement
brisé, surtout après les émeutes postélectorales
de 198811 ; le pays est devenu relativement
fermé à l'alternance et bloqué par un «
système du parti hégémonique » et par un
« corporatisme d'Etat ». L'essor démocratique a
été comme paralysé par ce système
centralisateur.
10 DIOUF M., Le clientélisme, la technocratie
et après ? in DIOP Momar Coumba (dir.), Sénégal
Trajectoires d'un Etat, Dakar, CODESRIA, Paris, Karthala, 1992,
pp.233278
11 DIOP Momar Coumba (dir.), Sénégal
Trajectoires d'un Etat, Dakar, CODESRIA, Paris, Karthala, 1992
En effet, depuis les événements et la tension qui
avaient succédé au scrutin présidentiel de 1988
(que l'opposition et plus particulièrement, le leader
du PDS estimaient avoir remporté et qui leur aurait été
confisqué par le PS), jamais l'atmosphère n'aura
été aussi tendu entre un pouvoir socialiste et une opposition
résolue à faire advenir l'alternance. Pour ce scrutin de l'an
2000, le pire était à craindre et les médias, à
l'instar du Nouvel Horizon, n'hésitent pas à titrer sur
ce mois de « Février 2000 et le syndrome ivoirien : APOCALYPSE
NOW ».12 .
Cette démocratie sénégalaise suscite,
en effet, beaucoup de débats : le régime
sénégalais a souvent été présenté
comme une « semi démocratie » 13 ou
une « quasidémocratie » et une démocratie
sans alternance, offrant un mélange de pluralisme et d'autoritarisme.
L'absence d'alternance a été
considérée pendant longtemps comme le problème majeur de
la
démocratisation au Sénégal.
L'installation de structures pluralistes n'aura pas réduit
à néant la persistance de dynamiques hégémoniques.
14 .
Malgré tout, le PS et son candidat n'en demeurent pas
moins résolus à briguer, de nouveau, le
suffrage des sénégalais. En se présentant
à nouveau devant le collège électoral et en se
prêtant
au regard critique des citoyens par
l'appréciation qui aurait pu être faite de son bilan, le
candidat Abdou DIOUF va impressionner par sa détermination et surtout sa
sérénité. Du moins pour le premier tour qui a lieu le 27
février 2000 !
Ce combat pour la réhabilitation que mène
le PS aux côtés de son candidat, s'arrime à un
impératif majeur pour Abdou DIOUF à savoir regagner la confiance
des sénégalais, confiance qui serait matérialisée
par sa réélection à la magistrature suprême.
Cette invite à une revalidation du 'contrat social' par le
biais d'un nouveau mandat (A), va néanmoins être
fondée sur un nouveau 'contrat' ; le Pacte de Solidarité et de
Croissance (B).
Pour une revalidation du 'contrat social'
12 Nouvel Horizon numéro 205 du 21 janvier
2000
13 COULON, Christian. « Senegal : the development and
fragility of semidemocracy », in Diamond, Larry, Linz, Juan
José, Lipset, Seymour Martin (eds.), Democracy in developing
countries, vol. II : Africa, London, Adamantine Press Limited ; Boulder,
Colo. : Lynne Rienner Publishers, 1988, pp. 141171 ; trad.
Française par Brigitte Delorme et Bernard Vincent, in Les
pays en développement et l'Expérience de la
Démocratie, Paris : Nouveaux Horizons, 1993, pp. 603654
14 TINE A., Elites politiques et démocratisation au
Sénégal. Pour une lecture néomachiavélienne, AISA
African Institute of South Africa, Pretoria, 13
14 décembre 2004
L'élection présidentielle du 27 février
2000 aura constitué sans nul doute pour Abdou DIOUF,
l'échéance la plus importante de sa longue carrière
politique : les enjeux qui s'y attachent sont nombreux mais aussi, tout
laisse présager que, pour le candidat socialiste, rien ne sera
plus comme avant. En effet, à bien des égards, les
libertés individuelles semblent restreintes pour beaucoup de ses
concitoyens, si elles ne sont pas simplement confisquées par un pouvoir
jugé autoritaire et très souvent porté à la
répression de tout mouvement d'humeur. L'on assiste
également à un réquisitoire accablant de l'économie
et du social ; il s'y ajoute que l'absence d'alternance s'apprécie comme
une souillure tenace.
Il demeure aussi indéniable que la
dégradation de la réalité quotidienne des
populations a évolué en spirale de 1981 à 2000. Il est
intéressant de relever le caractère quasi paternaliste, en tout
cas possessif, de la gestion du système politique
sénégalais. Et parce que DIOUF aura voulu construire sa
propre démocratie jusqu'au bout, selon sa cadence, les travers de ce
système
lui sont fatalement imputables en l'an 2000.
Entre les intentions louables de 1981 et les faits accablants
et les manquements constatés à la veille du scrutin
présidentiel, un mandat de clarification et de réhabilitation
est vital pour le régime socialiste et son candidat. Il lui
suffit juste d'un « nouveau mandat pour un avenir rose
».15.
Et la seule alternative qui s'offre à Abdou DIOUF, est un
ultime mandat, celui du 'quitte ou double', comme pour lancer au
peuple sénégalais : « j'ai accompli ma part de labeur,
je quitte
la conscience tranquille en espérant que cette
oeuvre sera poursuivie ». Ainsi, celui qui, au démarrage
de la campagne électorale, disait ne pas connaître «
l'usure du pouvoir », demandera
au peuple de lui donner « un nouveau mandat pour un
avenir rose ».
Mais le candidat socialiste de l'an 2000, n'a rien à
voir avec le Diouf du début des années 80, qui aura su
conjuguer boubou et technocratie, et naviguer, tant bien que mal,
à la barre du remuant 'sunugal' (notre pirogue),
entre les strictes consignes du FMI et les aléas d'une
conjoncture économique et sociale de plus en plus difficile.
Désigné candidat officiel du Parti socialiste, Abdou Diouf ne
semble donc pas réellement avoir pleinement mesuré la lassitude
des Sénégalais. En place depuis 1981, mais dans les rouages du
pouvoir depuis 1960 il était
15 Quotidien Le Matin du mardi 8 février 2000
alors adjoint au Secrétaire général du
gouvernement Abdou Diouf n'est visiblement plus le président dont
rêve une bonne partie des électeurs, et cela, toutes classes
sociales confondues. Cette situation aura constitué la charge la plus
accablante qui pèse sur les épaules du candidat socialiste, en
course pour un nouveau mandat, son dernier sans doute.
Que lui reprocheton ?
A titre personnel, peu de choses si ce n'est qu'il «
appartient davantage au passé qu'au futur ». Durant vingt
années de présidence, les changements importants
réalisés dans le pays ne sautent pas aux yeux de beaucoup de
sénégalais. Les infrastructures demeurent obsolètes, le
pouvoir politique fonctionne selon les bonnes vieilles méthodes
de clientélisme et de cooptation, et malgré des indicateurs
économiques orientés au vert, rares sont les
Sénégalais à véritablement profiter de la soidisant
croissance de l'économie.
Face à cette situation délicate et, sans doute,
inédite pour le camp socialiste qui voit le 'contrat social'
sénégalais à l'épreuve16, la
'revalidation' de ce pacte n'aura pas de prix. Et dans ce combat, qui
n'est sans doute pas gagné d'avance, le PS et son candidat affichent une
grande sérénité et une parfaite assurance; attitude
qui laissera toujours subsister des doutes même dans le camp de
l'opposition pour ce qui était d'une éventuelle éviction
du régime socialiste, ancré au pouvoir depuis 40 ans.
S'engagent alors une exceptionnelle politique de
communication et surtout une minutieuse conquête électorale,
orchestrée par un large directoire de campagne auquel s'adjoint
le communicateur politique français, Jacques SEGUELA. Celui que
l'on appellera le 'gourou français' foule le sol
sénégalais, auréolé d'une longue liste de
succès électoraux : du socialiste français Mitterrand en
1981 au président camerounais Paul Biya en 1992 en passant
par le syndicaliste Lech Walesa et le travailliste israélien Ehud Barak
en 1999. On le comprend donc, dès lors : l'enjeu est de taille ! Il
s'agit de convaincre le plus grand nombre d'électeurs, à coup
d'affiches géantes, de déclarations fracassantes, de
méga meetings et de petites phrases assassines, au moment où
le désintérêt des Sénégalais envers la chose
politique était manifeste. Les stratégies
développées de part et d'autre étaient
différentes.
En effet, l'équipe du Directoire pour la Campagne d'Abdou
Diouf comprend 94 membres dont
le directeur de campagne luimême, Ousmane Tanor
Dieng, que le candidat socialiste avait
16 O'BRIEN D. C., Sénégal : la
démocratie à l'épreuve in Revue Politique
Africaine numéro 45 de Mars 1992, p.9
chargé, le 16 novembre 1999, de lui proposer
les structures et les hommes qui l'assisteraient durant la cruciale
dernière ligne droite de l'élection présidentielle.
La taille du directoire national et sa composition témoignent
d'une volonté évidente de large ouverture et de
rassemblement qu'explique le souci de créer les conditions
optimales d'une mobilisation électorale à la mesure de
l'objectif de réélection du président Abdou Diouf,
dès le premier tour.
En raison du caractère exceptionnel de
l'échéance de février, le directoire national ne peut
être
comparé aux précédents.
Dans les rangs du PS, on appréhende donc le réel
enjeu du scrutin présidentiel « Nous savons que sur les
2.800.000 inscrits sur les listes électorales, il nous faudra mobiliser
la moitié des suffrages exprimés lors du scrutin de
février 2000 pour faire gagner notre candidat au premier tour !
»
Les partisans de Diouf misent aussi sur l'apparente
sérénité de leur candidat qui se présente comme
« ...cet hommelà, trempé aux grandes expériences
qui ont fait l'histoire de l'Afrique et
du Sénégal indépendants (...) ayant
l'honneur d'en être le porteur sur l'échiquier national
»
et qui «...l'offre à la nation comme
protocole d'encadrement de ses mutations au
XXIième
siècle. »
Chaque camp avait élaboré sa tactique selon le
tempérament de son candidat.
De par son expérience que nul ne peut lui contester,
Diouf s'est imposé comme un homme du sérail; gouverneur de
région dès l'âge de 25 ans, il a toujours été
aux premières loges et aux premiers rôles dans le système
qu'il a fini par diriger.
C'est cette logique qui, certainement, poussa Jacques
Séguéla, à faire confectionner des posters
électoraux où le président sortant apparaissait sous
le manteau de la sagesse dans un sobre costume, comme pour dire aux
électeurs sénégalais : « Cet homme incarne
la prudence, ne choisissez pas l'aventure ! ». Et puis, en
mettant l'accent sur la notion du changement
(«Ensemble, changeons le Sénégal»,
lisaiton sur une des affiches du Parti Socialiste), Diouf et
les siens voulaient sans doute "recycler" la bonne vieille
recette de Wade et la présenter aux
électeurs sous des habits neufs.
La tâche sera néanmoins très rude et
périlleuse pour Abdou DIOUF qui, au delà de la délicate
situation dans laquelle il se trouve face au jugement des électeurs
sénégalais, croise le fer avec une opposition à nouveau
visage et que les dissidents (Djibo KA et Moustapha NIASSE) sont venus
renforcer.
Le PS n'en affiche pas moins sérénité
et conviction. Il s'affiche aussi en bon acteur du jeu politique. Pour
Khalifa Sall, Chargé des élections au PS, le défi
posé aux socialistes se résume
en un objectif et « Dans tous les cas, le PS souhaite
des élections sincères, démocratiques et
apaisées car étant le parti le
plus fort, le mieux organisé et son candidat le favori
indiscutable ». Toutes raisons qui lui font dire que sa
formation n'a nullement intérêt à un scrutin
perturbé.
Même dans une situation trouble et délicate pour un
parti au pouvoir, les socialistes, à l'image
du premier secrétaire du PS, estiment avoir un seul but,
celui de la victoire de leur candidat et ce, dès le premier tour du
scrutin.17.
Cette grande confiance va même faire estimer le
score de la victoire à un taux de 60% des éventuels
suffrages, avant de le ramener à 51%. Et déjà,
six mois avant la convocation du collège électoral
sénégalais, Abdou DIOUF conviait la presse nationale et
internationale à une conférence au Palais Présidentiel.
Lorsque les premières questions fusent, l'avertissement qui
s'y attache ne semble pas perturber ou inquiéter
le Président, futur candidat, qui dit ne pas craindre de perdre
la présidentielle de février 2000.
« Je ne suis pas pessimiste pour les élections
de l'an 2000. Je vous l'ai déjà dit, mais nous sommes tous des
croyants. Ce que Dieu décidera, c'est ce qui se fera par
l'intermédiaire des voix du peuple sénégalais. Mais
avec ma limitation d'homme, d'humain, et en regardant les
données du problème, je n'ai pas les craintes que vous exprimez
».
Le candidat socialiste annonce plutôt, « la
chronique de la défaite de l'opposition »18 .
Diouf s'est donc voulu prêt pour la revalidation du
'contrat social sénégalais'.
Tout part, en effet, du congrès d'investiture du
samedi 18 décembre 1999. Ce congrès d'investiture du
Parti Socialiste, a eu pour thème : "Ensemble changeons le
Sénégal !". Le candidat DIOUF avouera solennellement, lors
du congrès : « J'ai accepté avec enthousiasme et honneur
votre investiture pour l'élection présidentielle du 27
février 2000. Je serai donc le candidat des paysans, des
pasteurs, des éleveurs, des pêcheurs, le candidat des
jeunes, des moins jeunes, des femmes et des travailleurs de notre pays
». Ce discours bien mûri et qui est,
du reste, graduel, s'inscrit dans un souci de reconquête
d'un électorat et d'un peuple désabusé
et fortement incertain quant à son avenir.
17 Quotidien Le Soleil du samedi 12 février
2000
18 Quotidien Le Matin du Mercredi 23 février
2000
Notons aussi que malgré toutes les turbulences que
connaît le parti en ce moment précis de son
évolution et comme pour narguer les dissidents et ceux qui
ont préféré quitter le PS ( Djibo KA
et Moustapha NIASSE ), le Président Diouf va adresser ses
félicitations au Premier secrétaire
et à l'équipe « dynamique » du
Bureau politique, avec « une mention particulière »
à Ousmane
Tanor Dieng, « homme de courage et de foi, de
loyauté, de fidélité et de conviction qui allie
à
la perfection, sens des responsabilités et
détermination, sûreté du jugement et équilibre,
humilité et culte de l'unité ».
Les ombres des dissidents que sont Djibo Leity KA et Moustapha
NIASSE, auront plané sur cette rencontre majeure des socialistes.
Le premier créera son propre parti, l'URD (Union pour le Renouveau
Démocratique) en juillet 1998 ; le second en fera de même, un an
après avec l'apparition sur l'échiquier politique
sénégalais de l'AFP (Alliance des Forces de Progrès)
créée
en juillet 1999.
Les militants du PS ne se privent pas aussi de lancer
des propos à l'endroit de toute l'opposition, tant celle
nouvelle à l'instar de l'AFP, Alliance des Forces de
Progrès de Moustapha NIASSE (« l'Amicale des
frustrés prétentieux » Afp) que celle
traditionnelle et incarnée par le PDS, Parti Démocratique
Sénégalais de Abdoulaye WADE (« Parti au dirigeant
sénile Pds »). Ces propos de militants feront comprendre
qu' « On apprendra surtout que le Parti socialiste qui a
bénéficié de toute la bénédiction de toutes
les grandes familles religieuses
de ce pays, dès sa création, est assis sur des
bases bétonnées que des marchands d'illusions ne
pourront jamais ébranler ».
Ainsi, au besoin de transparence émis par l'opposition
et plus particulièrement par le dissident Moustapha NIASSE, Me
Mbaye Jacques DIOP le Députémaire de Rufisque et
haut responsable socialiste, déclare que le PS n'a pas besoin de tricher
pour gagner19 .
Mais le candidat socialiste invitera ses militants
à combattre sur un autre registre, pour la victoire et sa
réélection. Pendant sa campagne électorale, il se
dit ne jamais parler de ses adversaires ou les attaquer et qu'il ne
répond à aucune attaque. Il considère devoir ne parler
qu'à son peuple et il ne s'adresse qu'à lui. Abdou
Diouf, le candidat du Parti socialiste, affirmera en ce sens : «
Si l'on m'attend sur le terrain de l'invective, de l'injure et des attaques
personnelles, on ne m'y trouvera jamais ».
19 Quotidien Le Matin du vendredi 14 janvier 2000,
p.5
Ces propos sonneront tel un avertissement et un appel
à la retenue plus à l'endroit de ses propres militants
qu'à l'encontre de l'opposition politique résolue à le
détrôner. Et lorsqu'il se rend à SaintLouis, ancienne
capitale du pays et de l'AOF, le candidat Diouf donne des consignes
aux militants socialistes, leur demandant de ne pas répondre
aux provocations de ceux qui veulent « mettre du sable dans le bol
de riz »20 .Quelques jours auparavant, dans la banlieue
dakaroise, il invitait les populations de Pikine à voter « dans
le calme et la discipline, sans répondre à l a provocation
»21.
Prospectif à souhait, le discours programme du candidat
socialiste aux élections de l'an 2000 a rassuré ceux qui
voulaient l'être, réconforté plus d'un militant car
Abdou Diouf sera "le candidat du changement dans la
préservation de nos acquis" et va proposer au peuple
sénégalais "le nouvel élan" lui permettant de
franchir encore une fois des étapes importantes pour son
développement économique et social.
Face aux sénégalais, Diouf est donc
présenté comme 'le candidat du changement'. Cet objectif
qu'ils se sont résolument assigné, les militants et
sympathisants du PS le fondent sur un jugement sûr, l'opinion
excellente qu'ils ont du Président Abdou Diouf.
A leurs yeux, celuici est un homme bien et de bien sur tout
rapport. Il a épuisé le catalogue des qualificatifs non pas
dithyrambiques mais porteurs de vérité profonde et restituant au
mieux le personnage, l'homme d'Etat qu'il est. Il incarne parfaitement,
pour eux, les vertus et valeurs cardinales de la société, de
leur culture : le don de soi, la tolérance, le sens du partage et de la
solidarité, celui de l'équité et de la justice, toute
chose qui participe d'une générosité d'esprit et
de coeur et dont sa gouvernance est totalement
imprégnée. Cette confiance apparente fera beaucoup penser
à « Abdou, l'énergie sereine », le slogan des
affiches électorales du chef de file du PS en 1988.
On le voyait alors poser, le costume croisé,
strictement boutonné, sur fond de « Sénégal
de demain », entre champs irrigués, usines modèles et
ponts suspendus. Un slogan qui valait bien cette « force tranquille
» de François MITTERRAND aidé en cela par Jacques
SEGUELA, et qui permit à Diouf d'être réélu avec 73%
des suffrages 22 .
20 Quotidien Le Soleil du mercredi 16 février
2000
21 Quotidien Info 7 du samedi 12 février 2000
22 SAGLIO C., SENEGAL, éditions SEUIL, collection
points planète, 1980 et 1990, p.70
Néanmoins, la communication politique du PS ne
se limite pas qu'à celle du leader et du candidat Diouf ; le
parti communique aussi, de même que certains responsables
situés à des sphères de responsabilité qui ne
manquent pas de les conduire à la prise de parole. Ainsi, dans certains
débats pour lesquels le président candidat ne peut ni ne doit se
faire entendre de peur d'éventuels effets pervers, la parole est
aux autres, qui ne vont servir que de fusibles pour mettre le chef du
parti à l'aise. En effet, loin de se trouver face au seul défi de
la réélection d'Abdou DIOUF, son parti doit se
méfier de l'opposition qui le défie et lui conteste
toute légitimité sur les populations. Le 'vide' interne et le
sursaut que créent l'URD de Djibo KA et l'AFP de Moustapha NIASSE,
ne sont pas rassurants pour les 'dioufistes'. Une politique
du
'diviser pour mieux régner' va ainsi jaillir avec
certaines sorties médiatiques bien calculées et
que les organes de presse se feront le devoir de distiller.
Et lorsque la formation de Moustapha NIASSE se
retrouve pour son congrès d'investiture à Kaolack le 15
janvier 2000, dans le camp socialiste régional, on minimise ce que
Souleynane Thiam, envoyé spécial de l'hebdomadaire Nouvel
Horizon appelle la « première démonstration
de force réussie ». Le Maire socialiste de
la cité se dit ne pas être inquiet pour un congrès qui le
laisse froid, lui qui appartient à un « grand parti »
et dit en avoir vu d'autres. 23
Dans une interview qu'il accorde à un quotidien
national, Abdourahim AGNE, Porteparole du PS, tente la diversion en
déclarant que « Moustapha NIASSE n'a d'autre ambition que
de coiffer Djibo KA au poteau. »24.
On peut y lire que le PS a, à un certain moment, craint
une forte percée des dissidents issus de ses rangs et celle de l'AFP
notamment, à tel point de voir le porte parole du PS en arriver
même à envisager que le leader progressiste devance le
libéral Abdoulaye WADE à l'élection et
s'impose comme la seconde force politique.
Et contrairement à ce que beaucoup d'observateurs ont
pu être amenés à croire ou penser, les promesses du
candidat Diouf ne seront pas apparues qu'au second tour. Les exemples
le prouvent aisément.
A Louga, dans le département de Linguère, les
responsables de son parti lui promettent de le réélire et de
reconquérir le terrain perdu aux dernières élections
législatives, face au dissident socialiste, Djibo KA.
23 Hebdomadaire Nouvel Horizon numéro 205 du 21
janvier pp. 16 et 17
24 Quotidien Le Matin du mercredi 26 janvier 2000,
pp.810
Cet accueil fera dire à Abdou DIOUF que le
département de « Linguère sera le bastion
imprenable du PS »25. Dans le Fouta, où l'on est
habitué à voter socialiste, Diouf promet aux populations de
développer l'agriculture, l'élevage ainsi que de relever le taux
d'alphabétisme26.
A la Bourse du Travail où il se rend pour
rencontrer les travailleurs affiliés à la CNTS
(Confédération Nationale des Travailleurs du
Sénégal), le candidat socialiste endossera les
revendications des travailleurs notamment par les promesses d'une
prochaine création de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM),
la réinsertion des diplômés en Arabe et celle des
militaires libérés27 . La banlieue dakaroise, qui
reste confinée au rôle de dortoir reçoit à son tour
le leader socialiste qui promet une enveloppe de 45 milliards pour
l'assainissement de Rufisque, le Port minéralier de Bargny et
« faire de Pikine une ville aussi belle que Dakar ». Les
populations qui perçoivent dans ce message ce qu'elles voulaient
entendre, disent à cet effet à Diouf qu'elles l'aiment et
l'ont déjà choisi avant le jour `J'28.
Le combat de Diouf pour la réhabilitation va donner
naissance à un duel à distance entre les deux chefs de partis
qui ne ratent pas le rendezvous des médias. Les déclarations
fracassantes
et à forte résonance ou impact ne cesseront de
barrer la une de quotidiens sénégalais. Au fur et
à mesure que les étatsmajors approchent du
« d » day et de l'heure fatidique du scrutin, le
verbe se fait plus virulent et chaque camp, sûr de ses assises, marque
son terrain. Rien en effet
ne doit laisser apparaître la cession de quelque
parcelle que ce soit dans son rayonnement
politique. Entre Abdou DIOUF et Moustapha NIASSE, le
combat ne manque pas d'être empreint d'idéologie et lorsque
depuis Touba, capitale du Mouridisme, le successeur de Senghor (grand
ami de Serigne Abdoul Ahat MBACKE) avoue ouvertement que le président
poète avait prédit qu'il serait son successeur ; le leader de
l'AFP lui rappelle depuis Mbour et Joal la ville natale de Senghor que ce
dernier « appartient à ceux qui ne l'ont jamais trahi
».
Ces déclarations montrent, à bien des
égards, que le divorce était définitivement
consommé et que les dès étaient déjà
jetés. Puisqu'il sollicite un nouveau mandat, Abdou DIOUF
réservera son ardeur et son énergie à la conception et
à la matérialisation d'idées fortes et fécondes
afin
de conduire les changements nécessaires et indispensables
en vue d'un avenir meilleur pour un
25 Quotidiens Le Populaire et Wal Fadjri du
jeudi 17 février 2000
26 Quotidien Le Soleil 15 février 2000
27 Quotidien Wal Fadjri du 15 février 2000
28 Quotidien Le Soleil du samedi 12 et dimanche 13
février 2000
Sénégal qu'il veut, réconcilié
avec luimême .Abdou Diouf, parce qu'il est condamné, veut
rendre l'espérance à la nation, notamment à cette jeunesse
sénégalaise, vaillante et imaginative.
Mais surtout le candidat du Ps et du changement aura
laissé transparaître cet immense et profond désir qui
l'habite de voir « le jeu politique au Sénégal
totalement et définitivement pacifié afin que nous
accédions tous ensemble à une démocratie adulte
».
Pour revalider le « contrat social »
sénégalais, le candidat socialiste fera appel à un
nouveau
'pacte' pour la reconquête des faveurs d'une
opinion et d'un électorat tourné vers le changement
avec le Pacte de Solidarité et de Croissance.
B Par le Pacte de Solidarité et de Croissance.
Quoique investi avec faste et engagement par sa propre famille
politique, les Socialistes, Abdou Diouf à dire vrai, veut se
révéler tout simplement le candidat de la nation, parce
que se considérant celui des jeunes, des femmes et des personnes
du 3è âge, celui des pasteurs, paysans et pêcheurs,
celui des artisans et chefs d'entreprise, celui des cadres du
Privé ou du Public, celui des intellectuels et universitaires, celui
des artistes et des sportifs, celui des chefs religieux ou coutumiers. En
un mot, celui d'une nation reconnaissante à laquelle il
rappelle depuis Vélingara qu' « il ne faut pas
désespérer » 29 puisqu'il est parvenu
à créer 47.000 emplois par an. Pour reconquérir
l'électorat avec lequel le fil semble très fortement rompu, le
candidat socialiste ne manque pas de proposer un nouveau pacte, comme pour
repartir sur de nouvelles bases et laisser entendre que tout ne sera plus
comme avant. Et Diouf déroule ses projets afin
de faire advenir « un avenir en rose ». A
l'image du congrès d'investiture qui lui fait confiance
en tant que candidat du parti, le leitmotiv reste le
changement. Ainsi, le Pacte de Solidarité et de
Croissance qui peut apparaître comme une nouvelle charte
va permettre de renouer le dialogue.
Le Pacte se veut oeuvrer pour « une
société plus prospère », « plus solidaire
» mais qui soit « plus humaine ». Ce triptyque
devait déjà apparaître lors d'une des conférences de
presse que le président accorda aux journalistes, dans le cadre des
rencontres périodiques initiées par
le régime.
Dans ce faceàface avec les vecteurs de la
communication politique, le futur candidat socialiste se dira être
devant trois interrogations majeures :
29 Quotidien Le Matin du 8 février 2000
Comment consolider les bases du développement
économique et social dans un contexte de mondialisation dominé
par des règles et des normes de compétition de plus en plus dures
?
Quels moyens mettre en oeuvre pour satisfaire la demande
sociale, combattre avec efficacité et résolution la
pauvreté, le chômage, celui des jeunes notamment, le sousemploi et
toutes ces formes de précarité qui sont autant de défis
lancés à la dignité humaine ?
Comment conforter les fondements d'une démocratie
sénégalaise qui intègre harmonieusement la
tolérance, le consensus, le respect de l'adversaire et la
responsabilité dans
le cadre d'un Etat de droit, garant des institutions
républicaines, de l'unité nationale et des
libertés individuelles et collectives ?
Aussi considère til, qu'au regard de ces trois
impératifs majeurs auxquels il doit trouver réponses et
solutions, « il n'y a aucun sacrifice qui ne puisse
être consenti à cette fin ». Lorsqu'il se fixe comme
objectif de « réaliser une croissance forte et durable
comme levier principal pour vaincre la pauvreté et développer
l'emploi », Diouf rappelle qu'il s'agira de ne ménager aucun
effort pour que le pays se présente dans les conditions de
réussir son entrée dans le 3ème millénaire.
Le discours reste donc résolu et ferme et le
premier des sénégalais assume en avouant que
« malgré le poids des contraintes internes et
externes, nous avons gardé le cap ! ».
Le nouveau pacte à sceller porte ainsi le sceau
du changement en une année phare et très importante dans
la mémoire collective sénégalaise. L'an 2000 avait
été prédit comme an de prospérité et
de développement par un discours imaginé du
président Senghor. Même le répertoire culturel et
musical sénégalais avait intégré cette vision de
l'an 2000 `atum natange'. Pour le PS, l'ambition du changement
s'impose à l'orée du 3ème millénaire
« parce que le monde lui même s'est substantiellement
renouvelé et le sera davantage encore au siècle prochain
».
On le voit néanmoins, la conception du changement
diffère suivant le camp dans lequel on se trouve. La conception que l'on
s'en fait du côté de l'opposition, s'envisage logiquement
« sans Diouf » tandis que du côté du
pouvoir socialiste, elle s'entend « dans la continuité
». Cette vision dans la continuité ne pouvait s'envisager que
dans une défense, par Diouf, des acquis et
de son bilan ; il se dispose aussi au dialogue et
invite le peuple à l'adhésion. Pour lui le changement sera
partagé ou ne sera pas, se fera dans l'unité ou ne se fera point
; son ampleur
est telle qu'il faudra plus de solidarité que par le
passé et c'est pourquoi, « c'est ensemble que
le changement se fera ». En lançant
un appel pour le changement et une société nouvelle,
société qui change de mentalité et bannisse les
mauvaises habitudes et attitudes, le candidat socialiste reconnaît
la hardiesse de cette tâche. Militer pour une
société plus prospère, plus solidaire et plus
humaine, répond à des priorités qui se
justifient, puisqu'elles sont essentiellement politiques. Le 'pacte'
juge nécessaire de sauver le projet politique qu'offre le
régime socialiste ; au point que, pour le successeur de Senghor, la
philosophie et la philosophie sociale que le PS incarne, l'obligent à
se dresser contre tout risque de délitement du souffle
politique.
En ce sens, la vision du président devait évoluer
et épouser les contours de la conception que s'en faisait le peuple.
Pour le peuple, le président de la République se doit d'incarner,
toujours
et mieux, la conception du président citoyen,
proche des préoccupations du peuple, arbitre
impartial du jeu politique.
Et lorsqu'il reconnaît que la « communication
du Parlement auprès des populations doit être sensiblement
améliorée », le président sortant avoue une
faille dans son système ; celle de la crise de la représentation.
Les citoyens électeurs ne se retrouvent ni ne se reconnaissent plus
dans leurs élus. Pour rectifier le tir, une nouvelle politique
de proximité de même qu'une proximité politique
s'imposent et il serait bien condamnable de ne pas assez les valoriser dans
le but de faciliter les consensus sociaux dont la
société a besoin et de renforcer l'efficacité
instrumentale qui découle de la libération des énergies et
des initiatives à la base et de leur libre administration.
L'appel est donc lancé à une participation
politique et citoyenne et, par delà, une appropriation politique.
L'ambition du candidat socialiste, à travers le document qu'il soumet
à l'appréciation
de ses concitoyens, demeure la recréation d'une
citoyenneté qui produise de la participation en
même temps qu'elle s'en abreuve. En effet, la
contribution de la citoyenneté à l'édification
de la cité ne peut être qu'une entreprise
permanente. Il y a là néanmoins, une discipline de soi à
forger dans la conscience collective et qui doit se décliner
sur deux modes : respecter la République en honorant ses
symboles et s'imposer de soutenir la Nation de ses propres ressources.
En ce sens, la réaffirmation du rôle de l'Etat
accompagnera cet ajustement de culture républicaine.
Dans ce nouveau combat pour le renouveau au sein de la
société sénégalaise du 21ème
siècle,
les principes de bonne gestion et de bonne gouvernance
ne seraient pas oubliés afin que, désormais, tous les actes
publics portent « cette nouvelle éthique » et donnent
« ...en exemples
à voir les bons comportements qui
témoigneront de la `renaissance des valeurs' », que
le
candidat socialiste dit appeler de tous ses voeux.
Dès lors, le pacte de 'la nouvelle alliance' se
fixe trois objectifs principaux :
d'abord, « une société plus prospère
» afin de raffermir la croissance économique, d'améliorer
la gestion des affaires publiques et de construire de
nouvelles efficacités dans l'économie mondiale.
ensuite, « une société plus solidaire
» dans le sens d'améliorer la qualité de la
croissance
économique, de lutter contre la pauvreté mais
aussi, de lutter contre le chômage, les exclusions
et les discriminations.
enfin, « une société plus humaine »
qui puisse donner un nouveau souffle et un nouveau visage à la Justice,
bref une justice plus humaine ; garantir la sécurité humaine et
libérer l'imagination et la créativité.
En militant pour une « société plus
prospère », le PS ne se prive pas de défendre son
bilan. Diouf rappelle à cet effet que le but de croissance
économique de son mandat précédent consistait
à « relancer la production avec l'objectif d'assurer au
moins le doublement, en moyenne annuelle, du taux de croissance de la
production par rapport au taux de croissance démographique
».
En l'an 2000, pour le PS, cet objectif était atteint avec
un taux de croissance de 5,5% et un taux
de croissance démographique de 2,7%.
Néanmoins, il se fixe un objectif de croissance de
l'économie d'au moins 8% l'an.
Malgré tout, le tribut fut lourd pour les populations par
qui « cette croissance de la production
a été retrouvée grâce aux
efforts (...) à des moments difficiles » et qui auraient
compris en lui faisant confiance, « ...que la seule voie pour
retrouver ce sentier de la création de richesses résidait dans
l'adoption de politiques de rigueur ». Ce qui, aux yeux du
leader socialiste
a « fait que le Sénégal est devenu un
pays sécurisant, respecté et qui mérite la confiance de
ses partenaires au développement ». C'était aussi pour
dire que la voie à laquelle il avait mené ses concitoyens,
plusieurs années durant, en sollicitant leur confiance, était
pour lui « bel et bien la voie ».
Raffermir la croissance économique implique aussi
améliorer la gestion des affaires publiques car « l'idée
d'une plus grande transparence, d'une plus grande efficacité dans la
gestion de plus en plus participative des affaires publiques sera une notion
centrale de la société politique
du troisième millénaire ».
Un tel pari devra intégrer une association des
populations et des administrés qui, par le contrôle direct,
impulseront une transparence dans la gestion et une bonne gouvernance.
Ce sera le nouveau souffle de la décentralisation qui a du mal
à s'affirmer et à trouver ses marques dans
un Etat centraliste et où tout ce que l'Etat donne d'une
main, le reprend de l'autre.
La corruption ne sera pas oubliée dans la nouvelle
lutte et comme au début de ses premières années de Chef
d'Etat, le candidat socialiste envisage la création d'un Office de Lutte
Contre la Corruption. Regroupant hauts fonctionnaires et
représentants de la société civile, cet organe
bénéficierait de toutes les protections nécessaires,
conduirait ses instructions sur la base d'informations publiques ou
privées, et le cas échéant, saisirait la Justice.
Mais comme en 1981, le candidat socialiste a conscience que
son pari est à haut risque et fera face à beaucoup de
résistance dans un système corrompu et clientéliste,
fortement ancré dans la société sénégalaise.
Il s'affiche décidé et résolu et veut se donner tous les
moyens et garanties
de succès.
Diouf les trouve dans les principes qui devront guider son action
:
une volonté politique à faire partager avec toutes
les forces de progrès du pays,
un renforcement du rôle et de l'autorité des
instances de contrôle et d'inspection dont les capacités
d'intervention seront notablement accrues,
des sanctions judiciaires sévères à
appliquer chaque fois que des faits délictueux seront établis,
une vaste campagne de sensibilisation morale.
Lorsqu'il s'agit de construire de nouvelles
efficacités dans l'économie mondiale, la
compétitivité s'impose comme un impératif
catégorique. Le candidat socialiste y voit la seule stratégie
rationnelle pour non seulement survivre, mais encore tirer partie de la
mondialisation.
En sollicitant un nouveau mandat du peuple
sénégalais, Abdou DIOUF propose aussi d'oeuvrer à
l'avènement d' « une société plus solidaire
». Car au delà de la croissance économique et
de l'accumulation des richesses, s'impose une économie
équilibrée et
distributive, une économie d'initiatives et des
libertés, une économie qui s'appuie sur les
compétences et les rétribue en conséquence. C'est
donc un pari sur l'avenir et les nouvelles perspectives du nouveau
siècle ; pari qui s'envisage en ayant en vue « la
correction des éventuels déséquilibres (...) mais
surtout la réduction de la pauvreté, la création
d'emplois» afin de s'orienter vers une croissance favorable aux
catégories sociales les plus démunies. Mais
les objectifs ambitieux de réduction de la pauvreté
que se fixe le candidat socialiste, imposent
une stratégie fondée sur trois axes principaux :
imposer à la politique macroéconomique les
contraintes du développement social, grâce à la promotion
du secteur privé, à la mise en place d'infrastructures
structurantes et à une allocation des ressources publiques vers les
secteurs sociaux.
orienter les dépenses publiques vers les groupes plus
vulnérables et renforcer les organisations
professionnelles.
améliorer le niveau de couverture des services
sociaux sans oublier les volets pivots que constituent la santé et
l'éducation.
Ainsi, pour l'éducation, « l'Etat s'est
assigné l'obligation d'offrir à chaque
sénégalaise et à chaque sénégalais la
possibilité d'aller à l'école et d'y rester pendant au
moins dix ans » dans une société où le taux
d'analphabétisme est estimé en 1998 à 51,4%.
S'agissant du secteur de la santé, «
l'objectif du programme est de rendre accessibles les services de
santé primaire à toutes les sénégalaises et
à tous les sénégalais ».
L'accès aux infrastructures de base concerne aussi
l'électrification et le transport ruraux sans oublier la
possibilité pour chaque citoyen sénégalais de disposer de
l'eau potable.
Par ailleurs, un axe important de la politique de
lutte contre la pauvreté consiste en
l'encouragement à l'auto prise en charge, notamment
à travers la promotion du micro crédit, des mutuelles et caisses
d'épargne populaires.
Abdou DIOUF s'engage personnellement et de manière
audacieuse à insérer sa politique de lutte contre la
pauvreté « (...) dans une problématique du
développement humain durable » et
au delà des mesures économiques à
prendre, il envisage de mener « une croisade contre les
systèmes de gouvernance désuets et les
stratifications sociales rétrogrades qui confinent les pauvres dans
des rôles politiques et sociaux inacceptables ».
Mais l'un des problèmes majeurs auquel doit faire face
le candidat socialiste reste le chômage qui progresse sans cesse,
surtout dans une société essentiellement jeune. Cette
jeunesse avoisine 10 millions en l'an 2000 avec 58% de personnes de moins de 20
ans et presque 80% de moins de 30 ans. Il s'y ajoute que tous les ans,
près d'une centaine des milliers de personnes, selon certaines
statistiques, arrivent sur le marché de l'emploi. Le mal est profond vu
que ce chômage des jeunes a la particularité de
marginaliser et de fragiliser les forces vives de la nation,
d'augmenter les risques de recrudescence de l'insécurité et de la
délinquance. En effet, DIOUF reconnaît qu'en tant que
« facteur d'exclusion déterminant dans nos
sociétés contemporaines, le chômage trace la ligne de
démarcation et la frontière de la `fracture sociale'
». Et si son septennat passé a vu ses promesses de
20.000 emplois dépassées par le nombre de créations
annuelles effectives dans les secteurs formel et informel réunis, avec
plus
de 47.000 emplois par an, il reconnaît toutefois que
« cet objectif reste insuffisant par rapport à
une demande annuelle qui concerne près
d'une centaine de milliers de demandeurs d'emplois » et que
« dans la lutte contre le chômage, l'élargissement de la
capacité d'accueil
du système productif constitue la réponse
adéquate ».
Cette politique, tendant à améliorer les
conditions de vie, concerne d'importantes couches sociales, mais elle
sera en priorité orientée vers certaines populations en
péril « que l'ordre fondé sur l'économie de
marché rejette à la périphérie du système
social ». Ce qui conduit au fait que le prochain septennat verra
les instruments de lutte affinés, les politiques mieux
articulées et mieux coordonnées, par un changement de
méthodes et de pratiques d'approches aussi.
La pérennisation de l'emploi et son inscription dans la
durabilité ne sont pas perdues de vue
pour autant. La création d'emplois devant relever aussi
de l'entreprise individuelle, DIOUF se propose d'encourager « le
développement de l'esprit d'entreprise dès l'école
» et de veiller, dans ce cadre, « à ce que
l'Etat recentre son intervention pour asseoir une politique de
développement local qui libère les initiatives
individuelles ». Une confiance réaffirmée aux
femmes est affichée « compte tenu de leur
crédibilité et de leur dynamisme prouvés » qui
font
qu'elles « constituent aujourd'hui un levier
incontournable et doivent être des partenaires
privilégiés pour la promotion de l'emploi des jeunes
».
Mais bien plus que le chômage, ce sont les
phénomènes d'exclusion qui exhibent les complexités
les plus surprenantes et qui menacent la cohésion sociale. En somme, une
nouvelle mentalité s'impose pour créer un nouvel homo
senegalensis, agir sur les mentalités afin de changer les
stéréotypes et les symboles, par une meilleure communication
à support d'image et dans les langues nationales. Pour celui qui
sollicite à nouveau le suffrage des sénégalais,
l'entrée nécessaire de la société, du pays dans la
modernité, est à ce prix.
« Une société plus prospère » et
« plus solidaire » a aussi besoin de reposer sur « une
société
plus humaine ».
Dans une telle société plus humaine, le
premier souci consiste à « rendre la justice plus humaine
» ; ce qui se résume à « rapprocher la justice du
justiciable, rendre une justice rapide
et crédible » de sorte à faire
advenir « l'impulsion d'une politique judiciaire novatrice,
efficace
et humaine (...) plus respectueuse de la dignité et
des droits de la personne humaine ».
La protection des libertés individuelles reste une
préoccupation sans oublier celle de « veiller sur la
nécessité d'une application intelligente de la loi ».
Et pour lutter contre la délinquance juvénile, le PS se propose
de miser sur « une action de prévention et de
rééducation pour les jeunes de moins de 25 ans, la
finalité étant la réinsertion des jeunes dans le
tissu socio
économique ».
Le second volet se résume à « garantir la
sécurité humaine ».
Pour DIOUF, il faut donc tirer profit du crédit dont
semble jouir le Sénégal, « cité en exemple dans
le domaine du pluralisme politique en Afrique, des droits de
l'Homme et de l'indépendance de la Justice » mais
« ces libertés ne peuvent (...) s'épanouir que
dans une société sécurisée ». Et
« c'est pourquoi la lutte contre la délinquance, la
criminalité et les agressions constituera l'une des tâches les
plus urgentes du prochain septennat (...) la sécurité des
citoyens devant passer avant toute autre considération ».
Dans un climat apaisé et un cadre sécurisé,
l'entreprise humaine ne peut que s'épanouir.
Le dernier volet que propose le PS se veut «
libérer l'imagination et la créativité »
afin d'émanciper les énergies et la libre entreprise.
La volonté du candidat DIOUF est de ce fait, « de
persévérer dans la promotion d'un cadre de plus en plus
propice à l'éclosion du génie national ».
Cette lecture du discours politique du PS et de son candidat
qui militent en l'an 2000 pour le maintien au pouvoir tout en s'engageant dans
la signature d'un nouveau 'contrat social', nous fera voir que le
régime socialiste, loin de douter, garde une relative
sérénité et le cap qu'incarne Abdou DIOUF, pour un «
changement dans la continuité ».
Face au régime se dresse un adversaire nouveau, que le
monstre socialiste n'a jamais combattu
pour la seule raison qu'il sort de ses rangs. Et même si le
PS, amputé de Moustapha NIASSE
ne sait pas trop comment apprécier cette nouvelle venue
que constitue l'AFP, les progressistes
ne s'en trouvent pas moins confrontés à un dilemme
: le prix du schisme.
SECTION 2
L'AFP FACE AU DILEMNE PROGRESSISTE.
Au soir d'un long règne de 40 ans, le PS est affaibli par
les démons de la fragmentation, qui ont longtemps été le
lot des partis d'opposition. En effet, à l'instar de son premier combat
entrepris
au lendemain du départ de Senghor de la tête du pays
et qui va consister en une restructuration
du parti dont il hérite, Abdou DIOUF s'engagera,
à nouveau, pour tenter d'impulser une nouvelle dynamique au sein
de sa formation. Près de vingt après sa première reprise
en main du PS, il tentera encore de l'ouvrir aux jeunes « dioufistes
» et de se défaire de l'emprise des vieux barons, trop enfouis
dans leurs fiefs et leurs privilèges.
L'histoire politique du Sénégal retiendra
néanmoins que le premier combat se soldera par une victoire assez
satisfaisante pour Abdou DIOUF ; par contre, celui de la fin des années
90, qui
va apparaître quelque peu comme un 'forcing
politique interne', ne manquera pas de laisser des séquelles,
celles d'un schisme inédit. Au plan politique, le PS, pour emprunter le
langage des astrophysiciens, tel une étoile, « s'est
effondré sur luimême après avoir épuisé
sa réserve d'énergie nucléaire ». Les
parachutages ont provoqué des frustrations et des tendances,
dont certaines, en se consolidant, ont abouti en 1998 au départ de Djibo
Kâ et de ses partisans et en
1999 à celui de Moustapha Niasse.
En effet, percevant la nomination de Ousmane Tanor DIENG au poste
de Premier Secrétaire du
PS comme un simple 'parachutage' orchestré et
voulu par le maître des lieux, ces deux grands caciques et barons
incontestés du régime, décideront de rompre avec le
parti.
L'URD de Djibo Leity KA sera créée en
juillet 1998, un an avant la naissance de l'AFP de
Moustapha NIASSE, soit en juillet 1999.
Dans le cadre de l'étude présente, nous
ne nous intéresserons qu'à l'action de l'AFP de Moustapha
NIASSE. Cette formation politique émerge dans un contexte assez
particulier et plus ou moins favorable eu égard au contexte de l'an
2000, dans lequel évoluent les sénégalais.
Ce qui lui fera jouir d'une adhésion
spontanée et d'une grande sympathie politique que ne manquent
pas d'alimenter la personne même de ce diplomate, ancien Premier
Ministre et ancien Ministre des Affaires Etrangères mais qui
n'en demeure pas moins, un fidèle de Senghor.
Ce double visage de nouveau 'renégat' du PS
qui garde encore sa sympathie au prédécesseur d'Abdou DIOUF, en
l'occurrence Léopold Sédar SENGHOR principal idéologue du
PS, va le mettre dans une situation des plus délicates et
inconfortables pour un homme politique qui milite pour le changement.
Le dilemme auquel l'AFP se trouve confronté se
résume à ne pas apparaître comme 'un clone
du PS' ou encore comme un 'PS bis'.
Dès lors, les progressistes se devaient de s'apprêter en
confirmant le schisme d'avec le PS afin de tenter de s'imposer comme une
nouvelle force sur l'échiquier politique sénégalais. La
logique progressiste sera donc de tenter une déconstruction
du régime socialiste (A) sans laquelle elle manquerait son
épanouissement politique dans « un
Sénégal autrement géré »
(B).
Déconstruire le régime socialiste.
« Je suis prêt »...tel
était le cri de schisme définitivement consommé
entre Moustapha
NIASSE et le pouvoir socialiste. En choisissant cet
espoir et en l'affichant au grand jour, il s'exposait au piège
d'assumer ce passé politique, qu'il `reniait' pour porter l'AFP sur les
fonds baptismaux.
Le leader progressiste dira ne rien regretter, pour avoir
« servi avec loyauté (...), fierté » , ne
rien renier de ce passé qu'il a choisi et
qu'il assume pleinement. Il se dira même décidé
à s'engager « avec la même volonté et la
même détermination » et à se mettre à la
disposition de son pays.
Dès lors, s'inscrivant dans une dynamique d'opposition
'antidiouf', le discours de l'AFP et des compagnons de Moustapha
NIASSE ne sera pas tendre à l'endroit du régime socialiste, qui
se retrouve entre le marteau de la traditionnelle opposition et l'enclume de la
nouvelle, incarnée par les deux dissidents du PS.
Pour cet ancien membre du système
socialiste, l'objectif logique se résume en une
déconstruction du PS, idéologiquement, politiquement et
structurellement parce qu'étant une formation jugée
corruptrice des masses et usée par l'exercice du pouvoir.
Et le ton est vite donné, lorsque le 16 juin
1999 soit deux jours après la reconnaissance
officielle du parti, retentit l'appel du leader de l'AFP, un
appel par lequel le leader se dit prêt et avoir choisi l'espoir.
NIASSE y dresse un réquisitoire particulièrement virulent
contre « la mainmise de groupes d'intérêts mafieux
sur le pays, le clientélisme archaïque et
étriqué, la manipulation de la Constitution et des institutions,
l'absence totale de projet de société... » et pour
celui qui se présentera comme le plus redoutable adversaire d'Abdou
DIOUF, « changer
le Sénégal est un impératif absolu
». Convaincu que « des ruptures sont parfois
nécessaires quand vient le temps du destin », il se dit
« prêt ».
Même s'il ne manque pas d'être l'objet de
diatribes acerbes et d'une rare violence, en tout cas dans le contexte qui a
toujours été celui du Sénégal jusquelà, il
campe, dans un réquisitoire empreint d'un grand courage politique,
les maux dont souffrent, selon lui, ses compatriotes
sénégalais et dit sa décision de se
démarquer du régime socialiste. Dans sa déclaration
de
rupture, NIASSE constate que « ...les raisons
d'espérer qui étaient pour chaque sénégalais une
source de confiance, semblent inexorablement se dérober ».
Quelques temps plus tard, devant les Sénégalais de
l'étranger, à Paris, il n'hésitera pas à prendre
des accents populistes car « Pendant que les bouches pleines mentent,
inventent et manipulent,
les ventres creux meurent (...) les vieilles mamans
(...) vont acheter des os au marché pour
donner le goût de la viande au riz ».
Evoluant dans une logique de déconstruction du
régime socialiste, le diagnostic auquel il se livre est
significatif car provenant d'un homme qui fut, de tout temps, un acteur du
système et qui a toujours assumé de hautes responsabilités
dans les organes du pouvoir de l'Etat comme
du PS.
Au moment où il tourne le dos à la famille
socialiste, le leader progressiste s'estime guidé par
« la conviction de ce que le PS, miné de
l'intérieur par des luttes intestines, usé par l'exercice
du pouvoir surtout dans les 10 dernières
années du magistère de DIOUF, traduisait l'usure du pouvoir
lassé, épuisé mais imbu de sa force et du monopole qu'il
exerçait presque dans tous les domaines, sans limites et sans
contraintes ». Ce que le leader de l'AFP qualifie
d' « immobilisme dévastateur du fait de la
conscience de l'esprit impérial » ou encore
de « reflex impérial du pouvoir usé
(...) à l'image de cet Empereur qui, tant qu'il vit,
reste
Empereur ».
Il demeure néanmoins que combattre le régime
socialiste implique sans nul doute le départ de
cet « Empereur » qui dira, dès les
débuts de la campagne électorale, ne pas connaître
« l'usure
du pouvoir ».
Et même s'il le réclame ardemment parce
que souhaitable et préférable pour le peuple
sénégalais en cet instant précis de son histoire
et dans ce contexte particulier de l'an 2000, Moustapha NIASSE ne
considère pas le départ de DIOUF comme une fin en soi. «
Parce que cela aurait été vain, irresponsable,
personnellement vindicatif et sans signification » aussi
« parce que dans la vie politique, la
focalisation sur un individu devient vaine quand on
considère cette focalisation comme une fin en
soi ». Pour lui, « le départ de DIOUF
n'était qu'un point ou un aspect de la vision globale de l'AFP et de son
idéal politique (...) son départ était juste une voie
obligée pour provoquer les changements».
Dans cette visée, le leader de l'AFP soutenue par
huit autres partis dans le cadre de la CODE
2000 (Coalition De l'Espoir 2000) mettra l'accent
sur l'impératif que constitue la reconstruction de l'Etat
démocratique à un moment où « le
système politique, depuis longtemps, est conçu au travers
d'un pouvoir politique personnalisé qui sur concentre autour d'un
pouvoir présidentiel aux contours indéfinis, la quasi
totalité des pouvoirs y compris Législatif et Judiciaire
»30 .
En effet, « jamais dans l'histoire de ce pays, les
interrogations n'ont été aussi nombreuses sur tout ce qui touche
à l'avenir et aux perspectives d'une nation qui, jusquelà, avait
su faire face
à toutes les incertitudes politiques,
économiques et sociales, quelles qu'en fussent les causes,
les manifestations et les effets ».
Le tableau que dresse le candidat de la CODE 2000, est donc des
plus noirs et accablants pour
le régime socialiste. Mais le discours ne peut
prospérer que conjugué et mis en perspective face
à la réalité que vit le peuple. Et
« les événements, parfois douloureux, survenus au cours
des deux dernières décennies, ont montré que le peuple
sénégalais, fidèle à son histoire, a, chaque fois,
pris délibérément le parti de ne pas céder au
découragement, de ne pas reculer devant l'adversité, de
surmonter les épreuves et d'afficher une foi en Dieu et une
fierté enracinées dans sa culture ».
Le diplomate devenu homme politique et sachant que la
tâche de liquidation d'un système
auquel il aura appartenu de tout temps, ne sera pas
aisée, se livre donc à une plaidoirie dans laquelle la condition
de ses concitoyens est rappelée. Ce discours, à dessein,
remarque qu' « Après tant de promesses non tenues, tant de
rendezvous manqués et tant d'occasions ratées,
les sénégalais en sont arrivés,
hélas, à osciller devant l'impossible choix entre la
résignation et
la révolte ».
Mais comme face au dilemme auquel se trouvait confronté
'l'âne de Buridan', qui tant assoiffé
qu'affamé, se tenait à équidistance d'une
nourriture et d'une boisson et ne pouvait se résoudre
à choisir entre l'une et l'autre, le peuple doit opter
pour sa survie. Ce que le leader de l'AFP préconise, c'est donc le rejet
du régime en place car « jamais, sans doute, depuis 1960, le
fossé n'a été aussi grand entre ceux qui sont
censés assurer la direction du pays et nos populations ».
S'installe alors le débat sur la crise de la représentation et de
la représentativité, ravivé par « le
discrédit et la méfiance(...) forts à l'égard des
dirigeants » et « là où,
précisément, la recherche
30 Quotidien Le Matin du lundi 24 janvier 2000 p.3
de l'intérêt général devait
constituer l'unique finalité de l'action politique, l'on ne rencontre,
le plus souvent, qu'une succession de manipulations d'appareils, que de
démarches marquées du sceau d'un clientélisme
archaïque et étriqué ou encore des luttes d'influences
synonymes de courses acharnées et de dérives sapant,
gravement, le moral des sénégalais. Ces courses et
dérives, érigées en système de gouvernement, ont
débouché sur (...) un affaissement de l'Etat
et une dépréciation continue de son
autorité quand celleci ne se manifeste pas des réflexes de
violences au détriment du citoyen ».
Devant pareil constat, il invite à l'adhésion du
peuple pour changer le régime socialiste. Pour Moustapha NIASSE,
devant ce constat d'irresponsabilité « l'urgence est
à un véritable sursaut » qui redonnera ses
lettres de noblesses à la politique et qui permettra à
tous ses concitoyens d'être, après Dieu, enfin maîtres de
leur propre destin, car pour peu que le peuple dise non aux artifices
politiques et juridiques, « la route menant à un tel objectif
est accessible
et personne (...) n'a le droit de se taire, malgré les
menaces et les provocations ».
Néanmoins, il faudra attendre la campagne
électorale de la présidentielle, pour voir le discours
de l'AFP et du leader de la CODE 2000 monter d'un cran et se
faire plus virulent. Le combat s'annonçait donc difficile pour un
ancien socialiste, même ayant choisi avec beaucoup de courage
politique de rejoindre l'opposition, car il était épié et
attendu sur de nombreux terrains
à la fois. Le leader progressiste le
reconnaîtra en avouant que l'écueil qui se devait
d'être surmonté était d' « éviter la
confusion naturelle entre le PS...» qu'il venait de quitter
« ...et un
PS bis que serait l'AFP ».
En ce sens, le dilemme progressiste aura pesé
telle une épée de Damoclès au dessus de la
CODE 2000.
Le premier jet devait donc logiquement consister pour
NIASSE à discréditer le pouvoir de DIOUF par une remise en
cause de tout un système politique, tout un mode de gouvernance dans un
parti qu'il considérait comme « ayant vieilli et ayant
volontairement tourné le dos à tout effort d'innovation, de
rénovation, de rajeunissement et d'adaptation aux circonstances et
demandes du peuple sénégalais ». Et lorsque à
Kédougou, le candidat socialiste sollicite « un nouveau mandat
pour un avenir en rose », le leader de l'AFP prédit
à Bignona dans le sud, casamançais, que « le 27, le
peuple déracinera le pouvoir qui l'appauvrit »31 .
Comme pour dire
31 Quotidien Le Matin du mardi 8 février 2000
que « l'Etat ne doit pas être une abstraction au
service d'une ambition ou d'ambitions limitées
à un c ercle restreint »32).
Tout au long de la campagne électorale, le discours de
NIASSE va se résumer à une invitation
au peuple afin de faire advenir le changement au sommet de
l'Etat et de libérer les énergies pour un «
Sénégal, autrement géré ». Si pour
lui, « Rufisque a été sacrifié par
l'égocentrisme », il rappelle aux paysans de la Vallée
qu'ils ont l'avenir du Sénégal entre leurs mains et invite les
populations de Bakel à prendre leurs responsabilités le
27 février 2000. Dans la 'mythique cité du rail',
Thiès, capitale du chemin de fer, le leader progressiste martèle
encore qu' « il faut choisir entre la récession
économique et le progrès »33 . Et lorsque,
depuis Fatick, le candidat du PS annonce « la chronique de la
défaite de l'opposition », le dissident socialiste rappelle
au peuple que « DIOUF a mené le pays à l a
déroute ».
Et lors du Congrès d'investiture de l'AFP à Kaolack
le 15 janvier 2000, Madieyna DIOUF, par
ailleurs numéro 2 du parti, en dressant le
« bilan catastrophique de DIOUF » constatera
à
l'endroit de l'électorat juvénile que «
...les jeunes sont fatigués de la politique sans envergure
du PS... ».
On aura pu le comprendre : le combat pour la
déconstruction du régime socialiste a été
délicat pour le leader de l'AFP et de la CODE 2000. Mais
n'étant pas « une fin en soi » pour Moustapha
NIASSE, le départ du président Abdou DIOUF et de son
régime ne constituait qu' « un aspect de la vision globale de
l'AFP et de son idéal politique ».
Après avoir confirmé le schisme, il fallait
l'assumer et tenter de s'imposer comme une force dans le paysage politique
sénégalais. Ce qui devait constituer le prix à payer
« pour un Sénégal autrement géré
».
« Pour un Sénégal autrement
géré ».
Au regard des enjeux majeurs qui entouraient le scrutin du
27 février et plus tard du 19 mars
2000, le combat des partis d'opposition sera
principalement axé sur la transparence et la
régularité de l'élection présidentielle. L'AFP et
la CODE 2000 ne vont pas s'y soustraire, bien
32 Allocution de Moustapha NIASSE, commémoration du
3ème anniversaire de l'AFP, Dakar, samedi 24 août
2002 Hôtel Méridien Président
33 Quotidien Le Matin du 23 février 2000
au contraire car l'occasion était trop belle pour obtenir
de façon définitive, ou du moins pour
les élections du moment, toutes les garanties pour
assurer le minimum de consensus politique dans l'arène. La virulence que
l'on aura prêté au leader progressiste en quittant avec fracas le
PS, va se confirmer, s'ajoutant à une forte détermination
partagée aussi par le reste de l'opposition qui sent le moment
propice de la première alternance au sommet de l'Etat
sénégalais.
Cette référence démocratique que
constitue le Sénégal à tort ou à raison sur un
continent où le bruit des bottes ne cesse de marteler les sentiers,
avait les airs d'une démocratie sans alternance que le même parti
sous différentes appellations suivant les époques aura
dirigé.
Aussi avant d'envisager de gérer autrement le
Sénégal, fallaitil se défaire du système en
place.
Pour l'AFP, le changement devait revêtir les
habits de la bonne gouvernance et du développement auto
géré ; une nécessité qui, selon son leader
« s'est imposée d'ellemême parce que les contextes
politiques changeant, il faut savoir s'adapter aux contextes politiques sans
renoncer à ses idées et principes ». En ce sens, il ne
pouvait être incarné par DIOUF qui prétendait
établir « le changement dans la continuité ».
L'AFP et tous ses partis alliés militaient donc pour la «
remise en cause de tout un style politique, tout un mode de gouvernance (...)
dans un parti (...) vieilli et ayant volontairement tourné le dos
à tout effort d'innovation, de rénovation, de rajeunissement
et d'adaptation aux circonstances et demandes du peuple
sénégalais ».
En optant pour le « Nous avons choisi l'espoir »
et en invitant les sénégalais à construire leur
« ...avenir...maintenant », le leader de
l'AFP avoue que ce choix inscrivait son parti « dans le futur et non
dans un constat statique, factuel, figé ou une sorte de
comportement rétif. Ce slogan traduisait tout un passé que nous
venions d'évaluer dans ses composantes successives, une
résolution du moment présent s'inscrivant dans l'avenir
». Malgré tout, Moustapha NIASSE révélera que
« l'AFP a fait de la communication politique sans le savoir et sans en
prendre conscience ...le parti a juste fait confiance à une
expérience politique acquise sur le terrain...Nous avons juste
été imbus des éléments théoriques de la
communication pour essayer
de les appliquer en fonction des circonstances du
moment. Après avoir défini des objectifs
globaux et sectoriels il restait à mettre en
oeuvre nos intelligences et nos réflexes d'hommes pensants pour les
atteindre».
Mais quel devait donc être l'image de l'AFP en l'an 2000
?
Pour son leader le souci n'était pas de
préserver ou de fabriquer une quelconque image.
« L'objectif était de redonner espoir à la
jeunesse sénégalaise et de l'associer à la
constitution
et à la construction du module qui devait
constituer son avenir ». Ce qui aura permis aux camarades de
NIASSE d' « agir librement et de manière naturelle,
d'éviter la confusion naturelle entre le PS qu'il avait quitté
et un `PS bis' qu'aurait pu être l'AFP ».
Pour échapper à une telle contrainte, la formation
progressiste s'est refusée à être « un
`clone
du PS' ou un parti qui s'oppose à lui comme seule
motivation de son existence et de sa vie, comme seul élément
d'analyse comparative ». Ce que le leader résume en disant
avoir réussi à
ne pas tomber dans ce réflexelà.
Face au PS, l'AFP devait marquer sa différence et
manifester son indépendance au nom de sa propre identité et du
projet national qu'elle porte depuis sa création.
Pour l'AFP, diriger un pays c'est d'une part, « vouloir
comprendre et promouvoir ses propres
valeurs au service de l'intérêt
général (...) pour viser l'efficacité » et
d'autre part, « assurer une conduite équilibrée
des options et des actions qui font l'histoire ». Il
faut donc
« s'affranchir de tous les réflexes de
boulimie, pour que se réalisent, dans l'unité et dans la concorde
nationale, le génie sénégalais et les valeurs d'une
société apaisée et juste » de sorte à
créer ou à restaurer l'éthique politique et
républicaine. Le leader progressiste se dira « prêt
à donner au combat politique (...) une nouvelle dimension, des moyens
nouveaux et une finalité nationale pour la promotion d'un
Sénégal dirigé autrement » pour
l'idéal de liberté dont le pays semblait si
intensément avoir besoin. Dans cette nouvelle manière de
gérer, il « laisse l'entière liberté de
choisir, en toute conscience » et s'en remet à la
liberté pour chaque citoyen
de l' « accompagner et d'évoluer dans un autre
cadre ».
En s'engageant dans l'opposition sénégalaise il
avait « fait le choix de lutter pour l'avènement d'un nouveau
type de société qui refuse définitivement la
division des populations en deux catégories :celle de ceux qui
produisent en souffrant,comme les paysans et les travailleurs de tous niveaux
et celle de ceux qui profitent de la souffrance des autres, dans les
villes et les campagnes, en se hissant à des postes de
responsabilités où ils trônent et croient que leur
pouvoir du moment les couvre de privilèges et les place audessus de la
loi et du droit »34 Ce
34 Allocution de Moustapha NIASSE, commémoration du
3ème anniversaire de l'AFP, Dakar, samedi 24 août
2002 Hôtel Méridien Président
qui traduit une volonté de contribuer, sous un jour et
avec un mode nouveaux, à la nécessaire reprise de conscience des
maux dont souffrait le pays 35
Dans la communication politique de son leader lors de cette
campagne placée sous le sceau de l'éthique et de la morale, les
signes n'auront pas manqué, tel ce mouchoir blanc que s'emploie
à agiter le candidat de l'AFP et de la CODE 2000. Il
avouera en tenir l'inspiration de Kenneth KAUNDA, ancien Président de la
Zambie (ex Rhodésie du Nord) , qui le tenait à la main et du
Président Léopold Sédar SENGHOR qui l'avait toujours dans
sa poche. Sa synthèse à lui aura
été de « l'avoir à
portée de main et de l'agiter » ; le sens qui s'y
attache demeure « une
adhésion à la pureté, à
l'honnêteté, la volonté de vivre en homme libre et de
lutter contre la corruption ».
En tentant d'apprécier le discours politique de
ces deux formations que sont le PS et l'AFP, nous avons pu prendre
la mesure de tout l'antagonisme qu'un tel duel à distance
pouvait sécréter. Le discours sera, sans conteste, apparu
contradictoire pour deux partis aux objectifs foncièrement
opposés; le PS misant sur son maintien au pouvoir par une confiance
renouvelée à son leader au travers d'un nouveau mandat et l'AFP,
nouvelle formation dont le chef de file est issu des rangs socialistes et qui
s'oppose désormais au régime d'Abdou DIOUF.
CHAPITRE 2:
L'ALCHIMIE DES CIRCONSTANCES DE TEMPS, DE LIEU ET DE
PERSONNE
Il demeure que tout discours reste tributaire du contexte
qui lui préside, le reçoit et lui donne
corps. En ce sens, le discours de l'AFP et du PS
devait évoluer et épouser les attentes des populations,
auxquelles il était destiné car, après tout, «
vox populi, vox dei »( parole du peuple, parole de dieu). Aussi, de
ce point de vue, seraitil intéressant pour nous, de situer ce langage
politique dans le contexte particulier qui aura été le
sien et de donner raison à François MITTERRAND pour
qui« en politique, l'événement est roi ».
35 111 propositions pour le Sénégal,
réalisé par l'ANCP en marge du congrès ordinaire de l'AFP,
1er et 2 mars
2003, CICES Dakar
Cette formule de « l'alchimie des circonstances...
» que nous empruntons à Antoine TINE 36 nous
renseigne que la légitimité accordée à une
organisation politique est circonstancielle, contingente et mobile, car
elle est tributaire des choix, des préférences du moment
et des conjectures historiques.
En effet, elle suit, selon une conception de Machiavel,
les vents de la " fortuna " et de la
" virtù ». Voilà pourquoi les
allégeances politiques sont réversibles et pour nous en
convaincre, notons que les mutations dans le champ politique
sénégalais le montrent à suffisance : ce qui
est désigné sous le nom de "transhumance
politique" n'estil pas l'indice que le politique est
polymorphe et que l'allégeance accordée
à un groupe politique obéit à une "morale du
provisoire"; elle est propice aux variations de l'histoire, au jeu complexe des
opportunités et se transforme sous "l'aiguillon de la
nécessité " du moment favorable. C'est que
l'allégeance politique est une ruse, une tactique de positionnement.
Aussi, convientil d'être souple dans l'analyse de la
formation des identités politiques.
Mais s'il existe bien une note d'unanimité dans
ce scrutin présidentiel sénégalais, elle peut
certainement se faire autour de la prégnance du changement
(Section 1). Tant les partis d'opposition que le régime socialiste
vont s'y identifier même s'il demeure indéniable que la conception
que l'on s'en fait dans les deux camps, est loin d'être identique. Parler
de l'alchimie des circonstances, ne saurait aussi se départir du
contexte singulier que constitue l'année 2000 sur la scène
politique sénégalaise (Section 2). Pour bien appréhender
ce changement envisagé tant au PS qu'à l'AFP, nous nous
intéresserons davantage à leur campagne lors du second tour.
SECTION 1 : Le changement, une aspiration partagée
aux élections de l'an 2000.
Si l'on parcourt ou retrace l'histoire politique du
Sénégal, du moins depuis l'avènement du PDS
en 1974 et l'instauration du multipartisme, le changement ou
« sopi » en wolof, reste incarné par ce parti et son
leader Abdoulaye WADE. En effet, « c'est d'abord et surtout le PDS
qui a donné cette leçon de citoyenneté
»37. On y croyait à peine parmi les citoyens, mais
le parti de
36 TINE A., Allégeances partisanes et multipartisme :
éléments d'une problématique de la pluralisation des
identités politiques et de la légitimation
démocratique.
www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol7ns/tine.rtf ou
www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol7ns/arti5.html
Abdoulaye WADE s'est obstiné derrière le
'Pape du sopi', malgré de nombreuses défaites,
à proclamer la possibilité d'un changement de
régime. Sopi ! Le mot est bien choisi, tout le monde
peut s'en servir et le définir à sa façon.
Selon Michel CROZIER « le changement n'est ni
une étape logique d'un développement humain
inéluctable, ni l'imposition d'un modèle d'organisation sociale
meilleur parce que plus rationnel, ni même le résultat naturel des
luttes entre les hommes et leurs rapports de force. Il
est d'abord la transformation d'un système d'action
»38 .
Le scrutin de l'an 2000 aura montré que les formations
politiques en lice ne vont pas se priver
de parler de ce changement, à la
sénégalaise. Mais la grande surprise viendra du fait que
même
le PS, qui sollicite un nouveau mandat, va épouser les
contours de ce Sopi, envisagé comme un
« changement dans la continuité » (A).
L'AFP, qui rejoint dorénavant le camp de l'opposition va naturellement
prôner ce changement, qu'il envisage « sans DIOUF »
(B).
A Le PS, pour un « changement dans la
continuité ».
De par les discours de tous les étatsmajors
politiques en présence lors de ce scrutin, le changement sera
apparu comme la seule constante, le PS allant même
jusqu'à s'en réclamer « dans la continuité
». Cette attitude devait répondre au souci de
reconquérir un peuple avide de changement et de nouveau souffle.
Ainsi au second tour, la politique du candidat DIOUF qui est
en tête avec 41% des suffrages contre 31 % pour Abdoulaye WADE, va
radicalement changer de stratégie pour épouser les contours
du sopi réclamé par les citoyens
sénégalais. En effet, avec les départs de KA et de
NIASSE, cette irruption des forces de révolte sur la
scène politique et sociale aura pris au dépourvu le pouvoir
qui, désespéramment, tenta de s'approprier le mouvement du
changement.
Le candidat Abdou DIOUF va prendre la mesure du péril et
n'hésitera pas à se lancer dans les
37 O'BRIEN D C., Le sens de l'Etat au
Sénégal in Le Sénégal
contemporain,(sous la direction de) Momar
Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et
Sociétés, Paris, 2002, p.504
38 CROZIER M., L'acteur et le système, Paris,
Seuil, 1977
promesses les plus spectaculaires : tout ce qui était
refusé est désormais accordé sans condition
-sinon celle d'un nouveau mandat , pour annihiler le mouvement
de défiance et de rejet; le candidat socialiste acceptera même le
principe d'un faceàface avec WADE dans le cadre d'un débat
contradictoire39.
La campagne pour le deuxième tour va être
davantage axée sur la proximité parce qu'il fallait pour DIOUF
« être beaucoup plus proche des citoyens ». Il aura
vite remarqué que lors des grands meetings, « on n'a
pas le temps vraiment de conduire le dialogue avec les
populations » et laisse entendre que le problème c'est qu'
« il faut avoir une grande capacité d'écoute, il faut
écouter les populations, les citoyens, et il faut écouter les
jeunes ».
Les "verts" l'avaient si bien compris qu'ils
essayèrent de rectifier leur tir au second tour en
faisant mener à leur candidat une campagne de
proximité. Le président sortant, pour la première
fois, accepta de descendre dans "l'espace public" en initiant des
dialogues directs avec les jeunes, les personnes âgées, les
paysans, etc., qui se relayèrent pour lui poser des questions
sur sa gestion et ses ambitions pour le Sénégal s'il passait le
cap du 19 mars. C'était cette quête effrénée,
obsessionnelle, parfois pathétique des suffrages qui le poussa à
accepter, pour la première fois, d'être l'invité, pendant
près de deux heures, d'une émission populaire en wolof de la
radio privée Sud FM.
Il souhaite au cours de cette campagne du 2e tour,
vraiment privilégier l'écoute, puisqu'il reconnaît avoir
« décrypté le message ». Il mise aussi sur le
fait que « l'écoute permettra de savoir dans les
détails, encore davantage, sur les changements qui sont souhaités
par toutes
les populations et en particulier par la frange jeune
».
Il s'agit de ne pas être des marchands d'illusions, ne pas
promettre la lune, mais de dire ce qui
est possible. Pour lui, « il faut aller à
l'idéal, en partant du réel », selon la belle formule
de Jean Jaurès et il invite ses concitoyens à s'accorder
car étant « prêt à faire ce que veut le
peuple », dont il se veut être l'esclave.
Pour le candidat socialiste dont le parti sort quelque peu groggy
du premier tour, les « gens ne
se sont pas donnés la peine de lire le pacte de
croissance et de solidarité » qu'il leur proposait.
« En tenant compte du message fort »
reçu, « en faisant une campagne de proximité,
en explicitant mieux ce programme » il se dit convaincu de pouvoir
combler le gap et de s'assurer
la victoire au second tour.
39 Quotidien Le Matin 7 mars 2000
C'est juste qu' « il y a eu une absence de dialogue au
niveau approprié ».
Le PS sort donc groggy du premier tour. Ce que DIOUF
reconnaît puisque « un deuxième tour de scrutin n'a
jamais eu lieu au Sénégal et il n'était pas facile de s'y
adapter ».Il lui reste cependant à sonner la
remobilisation car les arguments ne manquent pas ; rassembler les
dernières forces et « comme un seul homme », aller
« tendre la main à ceux qui n'avaient pas voté »
pour le PS mais qui restent tout de même « des citoyens
libres de voter pour le candidat
de leur choix au deuxième tour, nonobstant les
consignes des candidats du premier tour ». Le
devoir du PS se devait donc d'être une tentative pour leur
expliquer son projet pour le Sénégal
et les amener à voter socialiste. Dès lors,
pour le leader socialiste, le ballottage et l'inédit second tour
ne pouvaient certainement pas constituer un échec pour son
parti car, pour
lui « l'échec ne se mesure pas à cela
».
Et même si « Les réussites (...)
politiques sont indéniables...Maintenant, il s'agit d'opérer les
changements » ; les socialistes étant «
maintenant mûrs pour les changements majeurs
réclamés par le peuple sénégalais ».
Le changement passera aussi irrémédiablement, en
cas de réélection du président sortant, par
un changement « Non seulement au niveau des structures,
des politiques, mais aussi au niveau des hommes. C'est clair et net
». DIOUF s'érigera donc en « l'homme de ces
changements »,
lui pour qui, « peu de gens connaissent ce peuple mieux
» que lui « pour l'avoir tant de fois servi et tant de fois
écouté dans ses épreuves les plus difficiles
».
Il propose dès lors au peuple de conquérir
ensemble « un avenir de progrès pour tous, donc de paix !
» Mais aussi pour DIOUF « il faut aller vers les
jeunes, les écouter d'abord et leur parler ensuite. Parce que si on
ne les écoute pas, ils auront le sentiment qu'on les ignore. Il faut les
écouter et leur parler », afin de comprendre leurs
préoccupations en leur proposant des solutions.
Au sortir du premier tour, DIOUF tire l'enseignement en ces
termes : « je m'engage pour des changements rapides et profonds (...)
Le peuple sénégalais a adressé à tous les
candidats, en particulier à moi qui ai en charge les destinées du
pays et qui suis arrivé en tête au premier tour du scrutin, un
message très fort pour le changement. Donc, je n'avais pas tort, pendant
la campagne électorale, de dire que je voulais changer le
Sénégal avec les Sénégalais. J'ai compris ce
message. J'ai compris surtout que le peuple sénégalais aspirait
au changement, à
un changement profond et accéléré. Je
suis venu lui dire que je suis prêt à aller dans le sens qu'il a
indiqué. Je m'engage, si je suis élu, à agir dans le sens
de ce changement accéléré et profond. Je m'engage à
réaliser ce changement dans tous les domaines de la vie nationale : dans
le domaine politique, économique, social, culturel. Je m'engage
surtout à réaliser les aspirations des jeunes à un pl
ein emploi décent et rémunérateur ».
Il s'engage aussi à lutter avec encore plus de
vigueur contre la pauvreté pour la réduire de façon
drastique et à terme, la supprimer définitivement du pays ;
à lutter contre l'insécurité dans tous les domaines qu'il
s'agisse de santé, d'environnement, d'éducation, bref dans
tous
les domaines de la vie nationale. Notons que le
président Abdou Diouf fera la même
déclaration en wolof pour une plus large diffusion de son
message.
En effet, il va au deuxième tour « avec la
volonté de gagner » aux côtés de son parti et de
ses alliés en préservant d `abord les acquis, pour ensuite
conserver ce qu'ils avaient obtenu au 1er tour. Mais DIOUF veut «
aussi élargir » et il sait que s'il veut gagner il
lui faut avoir des suffrages supplémentaires par rapport au premier
tour. Ce qui peut être atteint « par un travail
méthodique et sérieux et (...) un vrai travail de
proximité pour amener les abstentionnistes à voter au second tour
».
Après avoir entendu le peuple sénégalais
pendant la campagne électorale, après avoir
décrypté
le message du peuple sénégalais à
l'occasion du premier tour, il se dit comprendre « que le peuple
voulait des changements plus profonds et plus rapides ». Diouf et son
parti se lancent alors dans une politique de charme en direction de
l'électorat urbain, notamment de Dakar et Pikine, qui leur avait
largement tourné le dos le 27 février.
Face à un tel climat d'incertitude et à la
rapidité avec laquelle la plupart des chefs de parti ont discuté
avec et rejoint le camp de l'alternance incarné par WADE son concurrent
immédiat et adversaire au second tour, le tour du 19 mars sera
encore plus crucial que ne l'aura été le premier tour pour
le PS.
En ce sens, le camp socialiste reconnaît que rien ne sera
facile et sonne le rassemblement de cette grande famille. Les dissidences
conduites par Djibo KA et Moustapha NIASSE avaient
été fatales au PS et c'est la raison pour laquelle,
dès la publication des résultats du premier
tour du scrutin, plusieurs tentatives ont été
faites auprès de ces derniers pour reconstruire l'unité
autour de DIOUF.
Ce que fera savoir Khalifa SALL chargé des
élections du PS et pour qui « le parti reste ouvert
à tous »40 ; le candidat
socialiste entre les deux tours adressera une invite personnelle au
leader de l'URD pour amener à ses côtés « les
changements que veut le pays »41 .
Djibo KA rejoindra DIOUF mais ce retournement de veste
eut des effets assez limités en raison de la rébellion
immédiate des segments de son parti, issus de la gauche
sénégalaise, qui firent scission et se constituèrent en
URD/FAL.
B L'AFP pour un «changement sans Diouf ».
La stratégie de NIASSE, candidat de l'AFP et
de la CODE 2000 au second tour du scrutin
s'inscrit dans une logique de fermeté et de
détermination. Le schisme se confirme et le camp progressiste persiste
dans son discours de déconstruction du régime socialiste.
Parler d'une prégnance du changement, nous oblige
en conséquence, à tenter de voir la conception que l'on
s'en fait dans le camp de l'AFP et de la CODE 2000. Etant tête de file
de cette coalition, le leader progressiste va naturellement placer en orbite
son parti, l'AFP qui va désormais incarner la vision de l'ensemble du
groupe politique mis sur pied.
En l'an 2000, l'AFP se voulait « être un moteur de
l'alternance politique en laquelle le peuple
sénégalais avait placé tant
d'espérance » et militera pour un changement
radical: un changement de régime politique, de la constitution et des
institutions, un changement dans la volonté réelle de changer le
pays et de le faire évoluer, un changement des mentalités par
le biais d'une éthique sociale et d'une éthique
républicaine.
La base devait se résumer dans sa devise : FOI,
PATRIOTISME, SOLIDARITE.
40 Quotidien Le Matin du Mardi 29 février 2000
41 Quotidien Le Matin du 14 mars 2000
Ainsi le parti du progrès voulait « participer
à l'élargissement des aspirations légitimes vers de vrais
changements dans le mode de gouvernement du pays et pour une prise
en charge consciente et organisée des responsabilités (...) vis
à vis du peuple sénégalais » 42.
La priorité réside aussi dans la
moralisation de l'espace politique sénégalais pour la
consolidation et le renforcement de la démocratie, en un moment
où celleci se trouve gravement « malmenée par des
dérives morales et des comportements politiques qui ont tendance
à tourner le dos à l'éthique de responsabilité et
à l'éthique de conviction ». Lors de ces
élections, comme les précédentes, la dénonciation
de la corruption du régime socialiste sera
au coeur du débat.
Dans ce contexte où tout bascule pour le PS,
ayant suffisamment tâté le pouls de ses concitoyens, le
leader de l'AFP va rapidement trouver un slogan qui a le double avantage de
'faire mouche' et de conférer une identité
politique par rapport au mouvement sopi, à travers
son « na dem ! na dem ! na dema dema dem ! » (Qu'il
parte ! Qu'il s'en aille !).
C'est ainsi qu'aux appels à l'unité autour
de DIOUF entre les deux tours, NIASSE, s'étant inscrit
dès le début de la campagne dans une stratégie visant
à saper le régime socialiste, ne pouvait faire volteface.
Il durcit le ton et maintient le cap ; ce qu'il va exprimer de
manière très imagée par « la voiture dans
laquelle je me trouve est déjà en marche et ne peut pas faire
marche arrière ».
En réalité, NIASSE opposait ainsi un
fin de nonrecevoir à toutes les tentatives de
réconciliation avec DIOUF et dès le 28 février 2000,
lendemain du premier tour, il ne laisse planer aucun doute sur son refus de
reporter ses éventuels suffrages sur le candidat socialiste43
.
42 Allocution de Moustapha NIASSE, commémoration du
3ème anniversaire de l'AFP, Dakar, samedi 24 août
2002 Hôtel Méridien Président
43 Quotidien Le Matin du lundi 28 février 2000
La logique sera confirmée quelques jours plus tard avec
l'appel à « voter WADE », le candidat
de l'opposition le mieux placé et étant
arrivé en seconde position derrière DIOUF44
. Il appréciera ce report de votes sur le candidat de la
CA 2000 comme étant « une attitude de logique...et non
d'appréciation ou de choix ».
Aussi, pour faire advenir ce changement, le point focal de la
campagne de la coalition dirigée par Moustapha NIASSE se trouvera
être le combat de tout le reste de l'opposition : lutter pour
un scrutin transparent et régulier.
L'exigence de transparence du scrutin et la
sécurisation du processus électoral vont rythmer les
débats de la campagne surtout dans le camp de l'opposition
politique45 . Et même si elle incarne une coalition
avec la CODE 2000, l'AFP rejoint tous les autres partis qui
s'érigent contre le pouvoir socialiste, dans la cadre du FRTE.
Pour sa part, la formation de NIASSE entend s'inscrire dans la voie de la
légalité, avec la présence active et nombreuse
d'observateurs aux élections, afin d'éviter des pratiques
frauduleuses telles que « votes multiples, votes d'absents ou de
mineurs et même de morts... ». Il s'agit donc d'opposer des
contre ruses aux éventuelles ruses du pouvoir. Le discours est
significatif car il provient de quelqu'un qui sort du régime socialiste
luimême et le connaît parfaitement.
La sécurisation du processus électoral
cache le débat de « l'affaire des cartes
israéliennes » pour laquelle, « l'AFP veut enfoncer
l'ONEL » selon les journalistes Jean DEMBA et Alioune FALL et
« rejette les aveux de Lamine CISSE » d'après Diaw
MBODJI46 .
Cette affaire des cartes israéliennes était,
une occasion pour les candidats de l'opposition de tirer à bout portant
sur l'organisation des élections. La mise à nu de la fabrication
secrète de cartes d'électeurs en Israël est une
aubaine pour mettre davantage de pression sur l'Administration, le
Ministre de l'Intérieur et le PS qu'aucun leader politique ne
voulait épargner. Moustapha NIASSE, qui va révéler
le « scandale » y est allé crescendo dans les
révélations, tenant en haleine les sénégalais
mais aussi ses partenaires du FRTE et même le Ministre de
l'Intérieur. Ce dernier n'a pu qu'avouer l'opération
secrète de fabrication de ces cartes et s'enfoncer davantage en
révélant sa correspondance « de rattrapage »
adressée à l'ONEL pour l'en informer.
44 Quotidien Wal Fadjri du mercredi 1er mars 2000
45 Lire à ce sujet l'entretien accordé par le SG de
l'AFP à Sud Quotidien le 14 janvier 2000
46 Quotidien Le Matin du jeudi 13 janvier 2000 p.2
Le chef de file de la CODE 2000 n'en oublie pas le régime
socialiste et c'est ainsi qu'à Kaolack lors du congrès
d'investiture de l'AFP, les révélations étaient aussi au
rendezvous.
Il enfonce le clou en accusant nommément le duo
'CISSETanor' (le Général Lamine CISSE ministre de
l'intérieur et Ousmane Tanor DIENG, premier secrétaire du
PS) et dévoilant comment le Ministre de l'Intérieur et le
Premier Secrétaire du PS auraient radié les militants de l'AFP du
fichier électoral. En effet, « ...les jeunes, âgés
de 18 à 25 ans, qui se sont inscrits en masse sur les listes
électorales, ont été éliminés du fichier.
Cela montre que le PS se sait déjà perdant et veut
frauder... »47 . Sans doute, le leader
progressiste ne manquait pas d'informations pour devancer tous ses
alliés dans la bataille pour la transparence et la
régularité
du scrutin mais il est allé un peu plus loin dans sa
conquête du leadership de l'opposition et du
pouvoir, annonçant en prime qu'il serait à la
tête de la manifestation du FRTE du 2 février 2000 dans les rues
de la capitale. Cette marche aura eu pour but de réclamer la
transparence dans le scrutin comme l'indique son nom.
Dans cette bataille, le système et le fichier
électoraux vont occuper une place prépondérante. Le cadre
est donc trouvé au sein du FRTE qui regroupe cinq candidats à
l'élection présidentielle à savoir Abdoulaye WADE,
Moustapha NIASSE, Djibo Leity KA, Mademba SOCK et Iba Der THIAM. En ce sens,
les partis de l'opposition vont exercer un contrôle rapproché du
processus électoral à travers les demandes relatives à la
fiabilité du fichier électoral, la contestation de l'impression
des cartes d'électeurs en Israël48, la
distribution des cartes d'électeurs et le contrôle du
déroulement du scrutin.
Cette démarche va se traduire par la pression
exercée sur les services du Ministère de l'Intérieur
intervenant dans le processus électoral, la contestation du choix du
président DIOUF nommant
à la tête de l'ONEL un de ses proches (le
Général Abdoulaye DIENG), le débat autour des
cartes électorales `sénégalaises' et
`israéliennes' ou le trafic de pièces d'état civil et de
fausses cartes d'identité.
Le FRTE va donc s'ériger en sentinelle pour la
sécurisation du processus et du fichier. Et le point culminant de ses
protestations a été la marche organisée le 2
février 2000 pour remettre
en cause les conditions de l'impression secrète de cartes
d'électeurs en Israël. 49
47 Quotidien Le Matin du lundi 17 janvier 2000 p.2
48 Lire la résolution du FRTE en date du 10 janvier 2000
dans Sud Quotidien du 11 janvier 2000 ainsi que I. SENE, « le contentieux
sur les cartes israéliennes : les tenants et les aboutissants »
dans Le Matin des 17 et 18 février 2000. Lire aussi Wal Fadjri des 11,
16 et 27 février 2000
49 Voir le CR de la marche du FRTE, Wal Fadjri du 3
février 2000
Section 2 : Le contexte particulier de l'an 2000.
Le contexte de février 2000 aura sans nul doute
été celui d'un scrutin particulier au regard de la
forte aspiration au changement. Un vocable que
s'approprient tant les partis politiques du
Sénégal, que le commun des citoyens. En effet,
« les sénégalais sont fatigués », pour
reprendre
les mots de Kéba MBAYE, ancien président de la
cour suprême du Sénégal en 1981 (A). A cela viendra
s'ajouter le nouveau visage qui caractérise le paysage politique
national. L'AFP et l'URD intègrent le jeu politique, sous la
bannière de l'opposition et le PS ne se livre plus à son
perpétuel faceàface DIOUFWADE ; au même moment des leaders
religieux concourent au suffrage des sénégalais et situation
inédite, un leader syndical s'invite dans cette arène
très fermée.
On assiste en ce sens à une relecture et à une
recomposition dans le jeu politique national (B).
A La fatigue des sénégalais et la
prégnance du changement.
« Les Sénégalais sont
fatigués... » avait dit Kéba MBAYE, alors
président de la Cour suprême
en janvier 1981, lors de la prestation de serment
d'Abdou Diouf, qui venait de succéder à Léopold
Sédar Senghor, démissionnaire. Ces mots du magistrat
faisaient aussi penser à l'avertissement que Serigne Abdou Lahat
MBACKE, alors Khalife Général des Mourides, lança au
prédécesseur d'Abdou DIOUF, dans un entretien rapporté par
le Quotidien national Le Soleil du 23 juin 1980 et faisant comprendre
au Président que « baykat yi da nio sonn » (les paysans
sont fatigués...ils ont besoin de boire et de manger). 50
Passé le mythe de l'an 2000
`atum naatange' (année du
développement et de la prospérité, selon un
célèbre slogan politicien) et la 'prophétie' par
laquelle « en l'an 2000, Dakar sera comme Paris »
(Senghor),
50 DIOP M. C., et DIOUF M., Le Sénégal sous
Abdou DIOUF Etat et société, collection Les Afriques,
Karthala,
1990, p.70
les sénégalais se retrouvent, lors du
scrutin présidentiel de la même année, devant la
réalité d'un pays qui, à l'instar du reste du continent
africain, aborde l'étape du troisième millénaire avec un
certain nombre de convictions et d'espoirs, mais aussi beaucoup
d'incertitudes.
L'étude du contexte particulier de l'an 2000 qui
imprime une spécificité certaine à cette
élection, nous ramène à évoquer
« Le Sénégal sous Abdou DIOUF »51
.
Se livrant au diagnostic du Sénégal lors du
régne de DIOUF et surtout vers les dernières années
de son régime socialiste, le sociologue Malick NDIAYE
relève une ambiguïté puisqu' « on a pris
conscience que l'on peut contraindre sans avoir raison et même
se faire applaudir » 52. Mais le peuple ne se plie
plus à la fatalité « de sorte que quand
Monsieur LOUM (PM de DIOUF) dit qu' « il faut payer les impôts
!», un citoyen se lève pour dire que « non ! car si l'on paie
on renforce le parti au pouvoir qui pille les deniers publics ».
Et « lorsque l'excédent du monde rural colonise
le secteur commercial et informel, il refuse
pour la plupart de payer le 'diouty' au fisc ».
Le diagnostic débouche sur une crise de la famille et
de la sphère politique. « La famille est perturbée, elle
est à la dérive car le père perd son emploi et `ferme les
yeux' ; la mère ne peut plus demander à sa fille où elle
va ou même de porter plus décent ; le fils et la fille ont des
besoins sur terre et peuplent la maison de petitsfils pour papa et
maman... ». Ce qui peut apparaître anodin au point de friser
le ridicule, n'a rien de tel mais traduit bien une perte de sens et un
délitement qui s'opère au sein de la société. Au
moment où l'autorité des parents s'effrite parce qu'ils ne sont
plus en mesure, pour beaucoup, de subvenir à tous les besoins de la
famille ; la maman se débrouille comme le traditionnel `goorgorlu'
qui n'assure plus vraiment
la dépense quotidienne, ayant perdu son travail ou
ayant toujours été au chômage ; les enfants pour leur part,
se voient ainsi affranchis de quelque autorité ou tutelle et sont
'laissés à eux mêmes', ce qui ne manque pas de
leur 'pousser des ailes', de liberté, de mieuxêtre mais
surtout d'indépendance et d'autonomie.
La même crise secoue l'Etat qui est en perte de vitesse
dans un monde globalisé et où seules compétitivité
et concurrence existent comme valeurs et repères. L'Etat montre donc ses
limites
et ne peut plus assurer et assumer ses fonctions traditionnelles.
Devant pareil `recul de l'Etat',
51 cf. ouvrage de Mamadou DIOUF et Momar Coumba DIOP., Le
Sénégal sous Abdou DIOUF Etat et société,
collection Les Afriques, Karthala, 1990
52 Communication sur « Le phénomène
religieux au Sénégal », rencontre de la
Coordination des Etudiants
Catholiques du Sénégal, Dakar, UCAD 2 , samedi 1er
mai 2004
la quête d'un nouveau sens s'installe et les populations
conscientes que l'Etat n'est pas toujours omnipotent, aspirent à
prendre en main leur propre destin. Finis le fatalisme et
la soumission ! Ces individus avaient en partie, une tendance ou une propension
à supporter et à subir les événements, les
privations et les frustrations, comme s'ils avaient perdu leur
capacité
de s'émouvoir et de s'indigner. Cette propension
progressive à s'accrocher et à ne se référer
qu'au passé ou à ne vivre que dans le présent et
« tout, tout de suite, ici et maintenant »,
traduisait le fait qu'ils étaient si peu confiants en
l'avenir. Les inégalités se creusent et le fatalisme et
l'indifférence submergent certaines populations en en faisant des
spectateurs désabusés ou des acteurs de l'érosion
sociale, culturelle et économique du pays.
En 2000, la prégnance du changement ne peut
plus se nier car « les gens ont l'impression d'avoir atteint
le fond du gouffre et de n'avoir plus rien à perdre, face
à un parti Etat qui cherche ses marques depuis trente ans
et qui érige le tâtonnement en règle »
53. Le mécontentement politique se traduit aussi par
le refus de la situation existante, la revendication d'un changement des
mentalités et d'une redéfinition des structures
participatives de la vie publique. Aussi les démons de la violence
guettent les jeunes désoeuvrés et une vaste couche de
la population, rurale comme urbaine, frappée par la crise
sociale.
Et « après tant de promesses non tenues (...)
le discrédit et la méfiance n'ont été aussi forts
à l'égard des dirigeants »54 .
« En vérité, le concept du sopi n'est pas
réductible à un slogan creux, tant s'en faut ; il
s'enracine dans l'âme damnée d'un peuple qui lutte pour
faire triompher l'ambition imprescriptive de justice sociale »
55 .
La lutte pour le changement et l'alternance devient alors une
lutte pour la survie qui prend les formes du parricide, tel «
l'alternance ou la mort ». En l'an 2000, 34% des
sénégalais vivent en dessous du seuil de pauvreté au
moment où les idéologues du régime socialiste brandissent
fièrement, tels des taquins, le taux de croissance qui préfigure
l'entrée du Sénégal dans le club des pays
émergents.
En effet, à la veille de la présidentielle de l'an
2000, le Sénégal, qui aurait pu prétendre à ce que,
conformément à la prophétie du président
poète, Dakar soit comme Paris, se trouve « dans
un contexte économique et politique marqué
notamment par la désespérance et la désertion du
rêve d'un grand soir évanescent » et face
à un « système gangrené par l'immobilisme,
la
53 Djibril SYLLA , Sud Quotidien du 1er avril 1999
54 Moustapha NIASSE « Je suis prêt », discours du
16 juin 1999
55 NDIAYE A. M., et SY A. A., Les conquêtes de la
citoyenneté Essai politique sur l'alternance, Harmattan, Paris
2001, p.50
gabegie et un fort sentiment d'impunité né du
mépris »56 . Ainsi, les auteurs des «
conquêtes de
la citoyenneté » invitent t'ils, dans leurs
avantpropos, à remarquer que le succès du sopi et de
la volonté du changement, « n'est pas
réductible à l'alternance, même si celleci n'est pas une
rotation du pouvoir d'un parti à un autre. Il s'agit d'un mouvement
social qui déborde le cadre d'un scrutin dont il se sert comme
prétexte pour déployer son cours à l'échelle
de l'espace politique »57 .
La compréhension que le peuple se faisait du
changement avait une connotation purement sociale : d'abord, le changement
comme nécessité pour le progrès social et ensuite, la
nécessité d'une meilleure gestion de la demande sociale.
Avec l'échec des politiques d'ajustement structurel,
une certaine distanciation entre l'Etat et le peuple se constate de même
qu'une frustration plus ou moins généralisée et une forte
tension sociale illustrée par les manifestations, les grèves et
les revendications de toute sorte.
Les populations aspirent tout naturellement à de
meilleures conditions de vie et à une adéquation entre la
demande sociale et la démocratie, au moment où le PNB/ habitant
par an
est d'environ 500 dollars, l'espérance de vie est de 51
ans pour les hommes et de 54 ans pour
les femmes ; ce à quoi viennent s'ajouter un fort taux
d'analphabétisme et une économie très agricole mais
très fortement dépendante de la pluviométrie.
Malgré une nette dégradation des indicateurs sociaux depuis la
dévaluation du Franc CFA en 1994, aucun frein n'a été mis
à la forte augmentation du train de vie de l'Etat, à
l'impunité concernant certains cas de détournements de
deniers publics, à la résistance des 'grosses fortunes'
à payer les impôts, à la multiplication des
institutions jugées coûteuses et destinées à
reclasser le personnel politique, à l'image du Sénat.
Lorsque que DIOUF se présente devant le collège
électoral sénégalais, le contexte est loin de
lui être favorable car marqué par une
forte détérioration de la situation sociale, une crise
économique sans précédente et dont les
conséquences sociales, deviennent de plus en plus difficiles
à supporter pour une très large majorité de la
population.
56 Idem pp 5 et 6
57 Idem p.10
Identifier les responsables de cette crise revient à
saisir comment le gouvernement sénégalais essaie de régler
ce que J. BAKER appelle le « paradoxe du développement »
qu'il définit en ces termes : « le gouvernement est
tiraillé entre le besoin d'obtenir un soutien politique qui lui
impose d'être à l'écoute des doléances des
communautés de base et le besoin de mettre en oeuvre une
politique qui l'amène à provoquer des mutations en leur sein
» 58.
Il nous faut donc remonter jusqu'au début de la
magistrature de Abdou DIOUF car l'an 2000 ne peut être que
l'aboutissement d'un long processus. Le départ de SENGHOR a
été marqué par
le début de l'ajustement structurel avec la mise
en chantier du Programme de Stabilisation
(19781979) et du Plan de Redressement Economique et Financier
(19801985). Tel est donc le difficile et délicat contexte dont
hérite son dauphin.
Au début des années 80 avec le
PREF, le Sénégal se voit obligé de
négocier un rééchelonnement de sa dette
extérieure à travers le Club de Paris et les explications de la
crise économique passent du registre de la conjoncture à celui
des structures. De la sécheresse à la détérioration
des termes de l'échange, on pointe désormais le doigt
sur les fluctuations annuelles du taux de croissance, la faiblesse de la
productivité des investissements et les fortes pressions sur la
situation financière de l'Etat, des secteurs public et parapublic.
Cette situation d'ensemble va provoquer
l'élaboration et la mise en oeuvre d'un nouveau programme en
1985, le Programme d'Ajustement économique et financier à
Moyen et Long terme (PAML) qui couvre la période de 1985 à
1992.
A la différence du programme de stabilisation et
de redressement qui s'attaquait à la
conjoncture, le PAML se consacre aux structures. C'est ainsi que
les objectifs sont clairement définis :
une meilleure assise des bases de la croissance
économique par la définition des stratégies
sectorielles, la Nouvelle Politique Agricole (NPA), la Nouvelle
Politique Industrielle (NPI), destinées à mettre en place un
ensemble de systèmes d'incitation à la production et à
l'emploi ;
une meilleure productivité des investissements avec
des innovations majeures au niveau des procédures de planification
;
une réorganisation des secteurs public et parapublic ;
58 BAKER J., The paradox of development :reflexions on a
study of local central relations in Senegal in M.F. LOFCHIE editions ;
The state of the Nation's Constraints on Developpement in independent
Africa, Los Angeles, University of California Press.1981,p.47
une poursuite de l'assainissement financier.
En ce sens, on constate un déphasage radical entre la
politique d'ajustement et les modalités et procédures politiques
en cours depuis l'indépendance. Ce déphasage s'explique
certainement par la crise au sein de PS et de la CNTS, qui est
accentuée par la technocratisation du gouvernement et de la
haute administration qui commencent à échapper aux
règles de la cooptation politique classique et qui essaient de
s'assurer une certaine autonomie par rapport aux réseaux de
clientèle.
La situation est rendue plus confuse encore par le
décalage sans précédent entre le discours socialiste
du régime socialiste et sa pratique économique
libérale. Ce que Momar Coumba DIOP et Mamadou DIOUF
relèvent en disant que « les incidences sociales,
politiques et économiques des mesures préconisées
s'avèrent de plus en plus inconciliables avec les contraintes du
clientélisme et avec la logique du soutien mercenaire à
un moment où la dégradation des conditions de vie accentue les
demandes sociales de plus en plus difficiles à satisfaire »
59
De sorte que pour ce qui est du Sénégal,
cette situation a augmenté les épisodes de confrontations
entre certains groupes et l'Etat et affaibli le système de
contrôle politique des travailleurs à travers la CNTS. Il existe
aussi le fait que les mesures préconisées ont menacé les
circuits financiers qui ont permis la constitution et la
reproduction de la bourgeoisie bureaucratique.
Dans ces conditions, il est permis de penser que c'est tout un
segment de la base sociale du
régime qui se trouve menacé. C'est là que se
trouve, à notre avis, la raison des résistances par
'le haut' aux politiques d'ajustement. Cette
résistance du 'haut' ne fera que défavoriser et
fragiliser le 'bas' qui ne peut en voir les fruits en termes de
changement de conditions de vie.
La conséquence est donc, pour l'Etat, qu'en
diminuant ainsi le vaste champ qui permettait
l'entretien de sa clientèle, les nouvelles politiques
diminuent en même temps la possibilité d'un contrôle social
et politique efficace.
Le désengagement de l'Etat signifie la privatisation
d'une partie des entreprises et donc des licenciements massifs.
Ces nouvelles politiques industrielles, bancaires,
réglementaires et celles qui entreprennent la restructuration du
secteur parapublic ont eu des effets très néfastes sur l'emploi
: en effet, le
59DIOP M. C., et DIOUF M., Le Sénégal sous
Abdou DIOUF Etat et société, collection Les Afriques,
Karthala,
1990, p.147
secteur public a pratiquement arrêté de recruter,
les écoles de formation sont contingentées et plusieurs
entreprises, en faillite, ont fermé ou licencié leur
personnel. Et pour Sud Hebdo
(Hebdomadaire qui deviendra Sud Quotidien), les mesures
de libéralisation auront directement menacé 15.000
emplois.60 .
A cela viendra s'ajouter la crise de l'Université et du
système éducatif, de même que l'équation
de l'insertion des jeunes diplômés.
Vingt ans après l'avertissement du Juge au nouveau
président, la situation que déplorait Kéba
MBAYE s'était dégradée davantage avec la
dévaluation du F CFA (en 1994), au point de créer
un ardent désir de changement chez les
Sénégalais. Ce désir va coïncider avec
l'aboutissement d'un long processus de luttes politiques, syndicales et
sociales dont les événements post électoraux de 1988
ont été le détonateur latent, mais qui portaient, en eux,
les germes de la fin d'une époque et du mythe socialiste.
En effet, pour beaucoup et surtout pour l'électorat des
jeunes ce scrutin était quelque peu celui
de la détermination et restait telle une
dernière chance de changer de régime pour pouvoir
prétendre à des emplois. Et face à un tel défi
majeur, dicté par un simple instinct basique, de survie, le Rubicon
devait être franchi !
B Relecture et recomposition du paysage politique
sénégalais:
pour une ouverture du jeu politique
Le Sénégal a une histoire de
compétition politique et de pluralisme associatif qui date de la
fin
du 19eme siècle, et tous les sénégalais
n'acceptaient pas, de bon gré, la contraction de l'espace politique sous
le parti unique, quelque « paternaliste » et « bienveillant
» que l'Etat clientéliste senghorien ait pu être.
Dès 1968, les grèves se multipliaient avec la croissance
du chômage dans les villes. Vers la même époque, la
mauvaise gestion par l'Etat du secteur agricole suscitait un
mécontentement paysan de plus en plus vif.
En guise de réponse, les paysans furent nombreux
à abandonner la culture de l'arachide qui constituait à
l'époque la principale source de devises du Sénégal avec
l'approbation de leurs
60 Sud Hebdo, numéro 15, 7 juillet 1988
chefs religieux, qui commençaient à prendre leurs
distances par rapport au régime PS, de plus
en plus impopulaire61).
Mais lorsque se lève l'aube de l'an 2000,
l'échiquier politique sénégalais est
déjà riche et diversifié du fait du pluralisme. En
effet, le processus de libéralisation de la vie politique que Senghor
avait voulu limiter à trois courants, est encouragé et
approfondi par son successeur Abdou DIOUF.
De sorte que l'on en arrive à recenser près de 70
partis politiques. Aussi la présidentielle de
l'an 2000 seratelle âprement disputée et très
ouverte au regard des multiples offres des partis
en lice.
En tentant d'évoquer les particularités de
ce scrutin, nous n'avons pas manqué de citer le nouveau visage
et la recomposition du champ politique sénégalais qui en devient
plus ouvert par le jeu des alliances ou coalitions et celui des nouveaux partis
qui tentent de percer et de s'imposer.
On peut y lire une 'maturité' de l'opposition
politique qui fait bloc avec un seul mot d'ordre :
débouter un régime socialiste vieux de quarante ans
!
Mais ce qui reste inédit en l'an 2000, se
trouve, sans conteste, dans le nouveau visage qu'a offert l'opposition
politique sénégalaise, notamment avec l'apparition de l'URD
et de l'AFP. Leur sécession aura été un
élément de décrispation et de meilleure redynamisation
de la vie nationale, par l'agrandissement de la brèche
déjà ouverte dans l'ancienne bipolarisation jusqu'à
présent campée par le Parti Socialiste et le Parti
Démocratique Sénégalais.
Cette irruption sur la scène de l'opposition va
bouleverser les calculs, les pronostics et les
données du paysage politique.
En effet, s'est constitué un 'bloc historique'
car jamais l'histoire politique du pays n'aura connu pareille convergence
des partis opposés au régime en place avec lequel ils ont
décidé de finir à tout prix. L'illustration la plus
parfaite du 'raslebol' des partis de l'opposition trouve son
paroxysme lorsque, le 21 octobre 2004, elle `marche' sur
Paris à l'occasion d'une visite du Président DIOUF en
République Française ; visite en marge de laquelle le
président devait
61 BECK Linda J., Le clientélisme au
Sénégal :un adieu sans regrets ? in Le
Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba
DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris,
2002, p.536
délivrer un important discours au Palais Bourbon,
siège de l'Assemblée Nationale de France. C'est justement ce
moment et cet instant précis que les leaders de l'opposition choisissent
pour entrer en action par le biais d'une conférence de presse
au coeur de la capitale, afin de dénoncer avec force les
dérives du « modèle » de démocratie du
Sénégal, un « label qui n'est plus vendable
».
Cette campagne dénonçait la «
désagrégation de l'Etat » et défendait
l'idée selon laquelle le
« président DIOUF, minoritaire, veut être
président à vie ».
« La stabilité c'est nous ! », tel
avait semblé être le cri de l'opposition qui se soude. Mais c'est
surtout la crainte de voir le président DIOUF
s'éterniser au pouvoir qui motive incontestablement le
regroupement de l'opposition qui n'exclut pas le risque d'explosion de
violence si le président s'acharne à se maintenir au
pouvoir, après l'élection de l'an 2000, comme ils le
soupçonnaient.
En effet, au lendemain des législatives de 1991, la
majorité socialiste à l'assemblée nationale votait un
amendement constitutionnel amendement Niadiar SENE62,
abrogeant la limitation des mandats du président. Et pour l'opposition,
DIOUF ne remporte les élections que grâce à
un système de fraude particulièrement
élaboré et elle s'en disait prête à obtenir par la
rue, ce
qu'on ne peut obtenir par les urnes. Le message était donc
clair.
Amath DANSOKHO leader du PIT dira se battre pour que
l'alternance se fasse « par les suffrages » et que
personne n'empêcherait les sénégalais d' «
explorer d'autres voies pour faire partir Monsieur DIOUF ». Il
rappellera, pour justifier l'interpellation direct des hommes politiques
français, qu'à
« toutes les élections, la veille du
scrutin, il y'a des vols de jaguars français au dessus
de
Dakar ».
Landing SAVANE, chef de file de AJ/PADS recommandera
à cet effet, à ces « amis » du
régime socialiste « de le dissuader de truquer les
élections de l'an 2000 », se disant déterminé
à ne plus faire de concession.
Dans ce même registre peut s'inscrire le retour du
'pape du sopi' au Sénégal après une longue
période d'exil à l'étranger. Ce come back aura
donné naissance à un véritable ras de marée,
d'accueil et de liesse populaire, de celui qui incarnait le sopi et
que les populations, ont tenu à accompagner et à acclamer. Le
succès était tel que le régime socialiste et les
médias d'Etat et
62Du nom de son initiateur, le Député Niadar
SENE
notamment la RTS (Radiodiffusion Télévision
Sénégalaise) que beaucoup assimilent à ' RTS Rien Tous
les Soirs' se seront illustrés par leur absence. Mais le relais
sera passé par le biais des médias privés et notamment les
stations de radio qui auront fait vivre ce retour du candidat
de la CA 2000, 'à chaud'.
Ce bloc historique de l'opposition devait
réécrire l'Histoire politique du Sénégal et
éloigner le spectre d'une « démocratie sans
alternance ». Et si l'effritement du soutien traditionnel au
pouvoir socialiste est réel, il a fallu aussi que les partis de
l'opposition se montrent un peu plus
'agressifs' pour le changement en exerçant une
forte pression politique sur le régime d'Abdou
DIOUF.
Cette pression n'avait qu'un seul levier : le changement, une
aspiration partagée aux élections
de l'an 2000. Ce retour en force d'une opposition jadis
morcelée et éparse, aura démontré un engagement
politique en nette évolution.
En décidant de faire de l'échiquier politique
sénégalais, un espace plus ouvert à la
compétition,
le regroupement plus ou moins global de l'opposition, relevait de
trois défis: D'abord, ne plus laisser DIOUF seul 'maître du
jeu politique';
Ensuite, sortir de la traditionnelle bipolarisation PS/PDS;
Enfin, surmonter la fragmentation pour mettre fin a
l'hégémonie du PS.
La campagne électorale aura, à cet effet,
reflété une évolution générale sur une
durée assez longue et les pressions d'une opposition à nouveau
visage, pour une démocratie plus pluraliste
au Sénégal, ainsi que peuvent en témoigner
les facteurs ciaprès:
les revendications de réformes institutionnelles,
réduisant les pouvoirs du Président de la République
et renforçant l'Assemblée Nationale, pour
l'avènement d'un régime semi parlementaire;
l'apparition de nouveaux partis politiques sous la
direction de chefs religieux, la politisation croissante de la jeune
génération de petitsfils de marabouts et l'apparition plus
ou moins prononcée, de thèmes religieux au cours de la
campagne;
la candidature inédite d'un leader syndical autonome;
la démission de piliers du PS tels que Djibo KA et
Moustapha NIASSE et leur décision de se porter candidats contre DIOUF
à l'élection présidentielle ;
Au total, sept candidats se seront présentés
contre DIOUF :
Abdoulaye WADE, candidat de la Coalition pour l'Alternance
2000 ; Iba Der THIAM de la Convention des Démocrates et des
Patriotes (CDP Garab gui); Mademba SOCK63 , le
fougueux leader syndical de l'Union Nationale des Syndicats Autonomes du
Sénégal (UNSAS) avec son parti le Front de Rupture pour une
Alternance Populaire (FRAP) ; Djibo Leity KA64
de l'Union pour le Renouveau Démocratique (URD) ;
Moustapha NIASSE65 leader de l'Alliance des Forces de
Progrès (AFP) et de la Coalition De l'Espoir 2000 (CODE 2000)
; Cheikh Abdoulaye DIEYE du Front pour le Socialisme et la
Démocratie/ Benno Jubel
(FSD/BJ) ; Ousseynou FALL, petitfils de Ibra FALL et
leader du Parti Républicain du
Sénégal (PRS).
A l'approche du scrutin de février 2000,
l'opposition aura surmonté sa fragmentation structurelle
grâce à des alliances ayant débouché sur une
(re)configuration politique dominée par trois grandes forces :
La CA 2000 de WADE
La CODE 2000 de NIASSE et de ses alliés ( huit partis dont
l'AFP, le RND, l'Alliance Jef Jel...).
L'URD de Djibo KA.
Par cette multiplication des lieux de contestation
et de mobilisation et une pratique systématique
d'élargissement des fractures au sein du PS, les groupes oppositionnels
offraient, aux yeux des sénégalais, les possibilités d'un
compromis entre différentes sensibilités. A tort
ou à raison, ils présentaient
désormais ainsi une alternative crédible au sein du
paysage politique sénégalais. Et dans le cadre du FRTE,
pour la première fois, ces procédures de contestation
n'entraînaient ni la recherche d'une confrontation qui aurait pu
aider le PS à
63 Il avait été emprisonné sous
l'accusation d'avoir saboté les installations électriques du
pays au cours d'une grève des employés de la
société nationale SENELEC
64 Il avait quitté le PS en 1998 pour ensuite
créer son parti et bénéficiait d'une grande
popularité parmi les
Halpulaar et les jeunes urbains
65 Ancien PM et ancien Ministre des Affaires
Etrangères, un des principaux rivaux de DIOUF au sein du PS à la
succession de SENGHOR. Après avoir quitté le PS de façon
officielle en 1999, il crée l'Alliance des Forces de Progrès
(AFP) et a su attirer un certain nombre de cadres anciens du PS, qui avaient
été marginalisés par Ousmane Tanor DIENG
recourir à des mesures exceptionnelles de contrôle
de l'ordre public, ni la menace de boycott, qui aurait pu faire la part belle
au parti au pouvoir.
En se politisant et en élargissant son personnel par
l'adjonction d'un segment en provenance du
PS (KA et NIASSE), l'opposition sénégalaise
se posait véritablement en force politique désormais
prête à jouer les urnes contre Abdou DIOUF.
Cette première étude aura eu pour objet
la construction du discours politique des deux formations politiques en
direction de l'électorat sénégalais. Le discours
sera apparu, sans conteste, antagonique: le PS s'engageant pour obtenir un
nouveau mandat et l'AFP, nouvelle formation politique qui s'arrime
à l'opposition et tente de s'imposer sur le champ politique
national. Le discours étant prononcé, la suite de notre
étude sera de tenter de voir son éventuel impact et la
réception à laquelle il va donner lieu.
DEUXIEME PARTIE
LA PERCEPTION DU DISCOURS
POLITIQUE ET PERSPECTIVE
EXPLICATIVE.
« L'observance systématique des
dispositifs de communication politique et des
modèles
d'interaction proposés aux populations (ou
aux acteurs sociaux), justifie, en outre, le questionnement sur la
concordance réelle entre la visibilité médiatique et la
lisibilité sociale
ou entre le discours politique et l'expérience
vécue » 66
La communication politique construit une
spécularité particulière : l'identité
définie pour le destinataire de la communication lui donne une
place d'acteur différente de celle qui est occupée par
l'énonciateur. C'est la raison pour laquelle on peut articuler
la communication politique à l'exercice d'un pouvoir. Elle articule
aussi les discours des acteurs à leurs stratégies, pour
construire leur signification et la faire apparaître dans l'information
qu'elle diffuse. Mais élaborer des stratégies politiques, c'est
justement donner aux actes et aux décisions euxmêmes,
en dehors de leur effet sur le réel et sur les situations,
une dimension symbolique qui les rend
interprétables. En période
électorale, par exemple, les médias engagent des
stratégies énonciatives visant à assigner à
leurs lecteurs, une place d'acteurs particuliers dans l'espace public :
il s'agit moins, pour eux, de fonder des identités que
d'instituer des acteurs et des stratégies : de faire de leurs
destinataires les électeurs de tel ou tel autre candidat.
L'objet de cette seconde étape de notre recherche,
consistera à apprécier la perception que l'électorat
sénégalais se sera faite du discours de l'AFP et du PS. Ce qui
revient pour nous, à en
66 MOUCHON J., La politique sous l'influence des
médias, L'Harmattan, collection communication et civilisation,
1998
envisager les éventuels effets. En effet, lors de la
campagne en vue du scrutin présidentiel de l'an 2000, les formations
politiques auront beaucoup communiqué et émis des messages
en direction des électeurs. Il faut aussi reconnaître que,
dans certains cas, tels que la campagne électorale, les individus se
tournent vers les médias pour y chercher des informations
susceptibles de leur servir de guide et éclairer quelque peu leur
choix.
L'étude des éventuels effets de cette
communication occupera sans doute une importance substantielle (Chapitre
1) ; ce qui ne nous exemptera pas pour autant du devoir d'explication
de ces effets eu égard à plusieurs facteurs
susceptibles d'agir sur l'électorat (Chapitre 2 ).
Chapitre 1 : Les effets de la communication politique
du PS et de l'AFP.
Si pour Murray EDELMAN « Dans le monde
politique contemporain, la construction du
spectacle fournit un élément de réponse
important, car l'invention d' événements artificiels et
la diffusion des informations les concernant provoquent
des émotions - des angoisses et des aspirations, des
insécurités et des réconforts qui créent un
besoin incessant des symboles légitimants » 67
, on doit admettre que le sujet qui suscite le moins de
consensus dans la recherche sur les médias et la communication en
général, concerne certainement leurs effets.
S'il y'a autant de débats à ce propos, c'est
parce que l'on ne possède aucune mesure fiable pour prouver avec
exactitude la part de leurs effets dans le comportement, les opinions
et les attitudes.
En réalité, au coeur des discussions, se
retrouve moins l'existence ou la nonexistence des effets ; chacun
reconnaissant que les relais de la communication et la communication
elle même laissent des traces ; c'est plutôt le degré
d'influence des médias qui prête à discussion.
67 EDELMAN M., Pièces et Règles du jeu
politique ; Editions du Seuil, Collection la couleur des idées,
Paris,
1991, p.227
Les scores enregistrés par le PS et par l'AFP lors de
ces élections, ne manquent pas de révéler
des effets réels sur les récepteurs de leur
discours politique, tout au long de la campagne. En effet, loin d'avoir
prêché 'dans le désert', des effets auront
été notés, qu'ils aient été
'puissants'
ou 'limités' ; le discours sera apparu plus ou
moins opérant (Section 1) quoique l'impact soit à
relativiser (Section 2).
Section 1 : Un discours aux effets réels .
Le discours politique relayé par une information
médiatée se voit reconnaître une influence sur
ses destinataires. C'est même, sans doute, cela
qui caractérise cette forme d'information médiatisée
par rapport à l'autre forme de l'information, celle qui
s'inscrit dans la communication intersubjective. En effet, la
communication intersubjective constitue des identités, elle ne
constitue pas des statuts ; elle porte sur des sujets et non sur des acteurs.
Ce sont les médias et les formes de la communication politique
qui articulent leur consistance symbolique (discours, images,
représentations) aux engagements de leurs destinataires dans la pratique
effective de leurs décisions et de leurs actes. C'est,
d'ailleurs, pourquoi, dans la communication politique, il est possible de
distinguer le rôle des énonciateurs et celui de leurs
destinataires : à la différence de la communication
intersubjective, la communication politique construit une
spécularité particulière : l'identité
définie pour le destinataire de la communication lui donne
une place d'acteur différente de celle qui est
occupée par l'énonciateur. En effet, la communication politique
peut être articulée à l'exercice d'un pouvoir.
Dès lors comment expliquer pareil
intérêt chez les citoyens sénégalais du moins
ceux qui auront exprimé leur voix à l'endroit de ces
deux formations politiques que sont le PS et l'AFP ?
Nous pouvons trouver les raisons des effets réels de la
communication de l'AFP et du PS dans
le contexte même de cette élection par le biais du
jeu des alliances et du rôle de relais joué par
les médias (A) mais aussi dans la dimension personnelle
des leaders progressiste et socialiste
(B).
A De par le jeu des alliances politiques et l'action des
médias.
Au début de la recherche sur la communication de
masse, les chercheurs ont été convaincus de
la toute puissance des moyens de communication, qui
sont apparus comme des moyens privilégiés pour
façonner l'opinion du public. Les effets sont donc
définis comme étant puissants avec un réel impact sur
les destinataires, puisque pour Todd GILTIN « (...) les médias
produisent leurs effets à long terme (...) les effets de la
communication de masse doivent être analysés en termes de
stabilité et de maintien du statu quo »68.
En effet pour les auteurs de l'Ecole Allemande et du
modèle critique qui postulent la puissance des effets en
communication, ce sont les permanences qui sont significatives. Les
médias agissent non pas sur les changements d'opinion mais remplissent
une fonction de reproduction ;
ils agissent comme un facteur de stabilité et plutôt
que de dire à l'acteur ce qu'il faut penser, ce
à quoi il faut penser ou comment il faut penser, les
médias lui disent ce à quoi il ne faut pas penser.
Avancer pareil postulat d'un 'discours aux effets
réels' pourrait, à certains égards,
apparaître comme une prétention mais les suffrages recueillis par
les candidats socialiste et progressiste
ne sauraient être négligés. A la lecture
brute des résultats du premier tour, l'on ne peut que s'en convaincre.
Abdou DIOUF sort en tête du duel avec l'opposition, quelque peu
éparse, avec 41% des suffrages tandis que Moustapha NIASSE avec
17%, s'impose comme la troisième force politique du pays
derrière le leader charismatique du sopi, Abdoulaye WADE.
68 cf. cours de communication politique
Le PS va bénéficier du concours de
nombreux mouvements de soutien qui militent pour la
réélection du président sortant ; ces regroupements,
même si leur apport peut être relativisé, vont
drainer des « citoyens qui n'ont connu et ne veulent
connaître d'autre président que DIOUF ». Certains
partis vont le rejoindre au second tour, à l'image du BCG de
Jean Paul DIAS qui justifie ainsi son ralliement, en mettant la jeunesse en
garde contre les « marchands d'illusions » : « Nous
combattions tous Abdou Diouf, mais dès l'instant que nous avons compris
que celui pour qui nous menions ce combat ne le méritait pas,
nous avons pris nos responsabilités. Aujourd'hui, nous soutenons
fermement le candidat du Parti socialiste, parce qu'avec lui, le changement
dans la continuité n'est pas un vain mot ». C'est ainsi
que le PS sera soutenu par le PAI (Parti Africain de l'indépendance), le
PLS (Parti Libéral Sénégalais), le PDS/R (Parti
Démocratique Sénégalais/ Rénovation) et le BCG
(Bloc des Centristes Gainde) dans le cadre d'une alliance
dénommée Convergence Patriotique.
L'AFP de Moustapha NIASSE n'est pas en reste car elle dirige une
coalition de 8 à 9 partis politiques, dénommée la CODE
2000, la Coalition De l'Espoir 2000.
Tous ces facteurs vont contribuer à faire de l'AFP, qui
aura voulu s'imposer comme la clé du
changement, la troisième force politique du pays au
lendemain du premier tour du scrutin et la seconde à l'issue des
législatives de 2001, devant le PS.
Dans une étude qui se veut faite par le biais des
quotidiens sénégalais, le rôle des médias ne peut
être occulté car cette presse aura servi de relais et de support
du discours politique des candidats en lice pour la présidentielle de
l'an 2000.
Quand les médias engagent des campagnes d'opinion pour
soutenir une cause ou un projet, ils entendent assigner au destinataire de ces
campagnes la place d'acteurs prenant la décision qu'ils soutiennent :
il s'agit, pour eux, de faire en sorte non seulement que leurs
récepteurs ne s'identifient pas seulement symboliquement, mais aussi
qu'ils adoptent les positions d'acteurs qu'ils leur assignent.
L'influence des médias ou de la communication politique
désigne le degré de certitude ou de prévisibilité
de cette identification d'acteur : plus il sera prévisible que ses
récepteurs adoptent
la position qu'il entend leur faire prendre, plus on
pourra dire qu'un discours politique aura d'influence et jouera, par
conséquent, un rôle effectif dans l'espace public.
En effet, les médias sont aussi des acteurs et des relais
d'influence : en assurant l'élaboration et
la circulation des idées dans l'espace public, ils
constituent les agents d'influence, et, à ce titre,
il convient, sans doute, de donner au concept de
médias une acception assez large ne se limitant, en
particulier, pas à la fonction des organes de diffusion de
l'information. Si l'on donne
le nom de médias à l'ensemble des
acteurs qui élaborent et diffusent les formes de la médiation
symbolique et les représentations de la sociabilité politique et
des appartenances institutionnelles, il convient de désigner par ce
terme l'ensemble des acteurs qui élaborent et diffusent les opinions
dont l'échange et la discussion définissent les termes et les
logiques de l'espace public.
L'influence des médias est, ainsi, à ce titre, de
trois ordres.
D'une part, en assurant l'élaboration et la diffusion
des informations sur le monde, ils donnent aux sujets de la communication
et de la sociabilité un savoir sur le monde qui les met en
mesure d'exercer une fonction d'acteurs dans l'espace de la
délibération, puis dans celui de la diffusion.
D'autre part, en proposant des informations sur le
monde, ils déplacent, restructurent, font évoluer, les termes
du débat public, ne seraitce qu'en lui donnant des termes nouveaux, des
désignations renouvelées et des points de vue ou des
critères renouvelés sur le monde. Les médias, en ce
sens, font évoluer ce que l'on peut appeler notre
compétence symbolique de communication politique.
Enfin, l'influence des médias dans le débat
public tient à leur aptitude à faire naître des acteurs
nouveaux de la médiation politique ou à en faire
disparaître d'autres. En ce sens, les médias disposent, dans le
champ politique, d'une autorité symbolique : ils proposent des
logiques nouvelles au débat public et, en assurant une fonction
didactique auprès des sujets singuliers de
la sociabilité, ils assurent la fonction capitale
de faire naître les sujets symboliques de la communication
politique, à la fois en faisant apparaître les acteurs de
la vie politique, leurs stratégies, leurs pouvoirs et leurs
interventions dans l'espace public.
B De par la dimension personnelle des candidats.
Avec l'élection présidentielle des 21
février et 19 mars 2000, les hommes politiques
sénégalais
sont, peutêtre sans s'en rendre compte,
entrés dans l'ère de la campagne électorale
personnalisée. Une campagne où l'idéologie et
le programme politicoéconomique sont relégués en
arrière plan au profit de la politique spectacle. Dans cette formule
inventée par les Nordaméricains, seule compte l'image, la
bonne image du candidat. Le marketing politique adopte désormais
les mêmes outils que la publicité.
Le candidat socialiste sera apparu comme l'un des leaders
sinon le plus charismatique de la scène politique du pays depuis
le départ de Senghor. Son passé au sein de la haute
administration va beaucoup militer en sa faveur avec son passé
de technocrate et travailleur sérieux, rigoureux et consciencieux.
Cet homme, tant par la carrure que par le regard, intime le respect et fascine
même jusque dans le camp adverse de l'opposition. Et ce n'est nullement
un hasard si en parlant de changement, beaucoup de
sénégalais aient reconnu la grandeur et la valeur de cet
homme d'Etat dont l'entourage reste, selon eux, le maillon faible .
L'atmosphère tendu qui entoure le scrutin de l'an 2000 aura aussi
aidé le candidat DIOUF dont le peuple a toujours gardé une image
d'homme d'Etat serein, pacifique, posé et ayant un sens assez
élevé des responsabilités qui sont les siennes. Aussi, va
t'il sans trop le vouloir ou même s'en rendre compte, constituer l'homme
de la stabilité, à un moment où certains leaders de
l'opposition ne manquaient pas de faire allusion directe au coup d'Etat qui
frappait la Côte d'Ivoire voisine. Il
ne fallait surtout pas que le chaos envahisse l'un
des rares îlots de paix et de stabilité non seulement du
brasier ouest africain, mais d'un continent secoué et
déchiré par toutes sortes de conflits. DIOUF avait aussi su
faire preuve de tact et de beaucoup de réalisme dans la crise avec
le voisin nord mauritanien, conflit durant lequel les échos de missiles
irakiens braqués sur
le Sénégal avaient fini de circuler au sein des
populations.
C'est donc cet homme, n'ayant globalement rien perdu
de ses valeurs humaines qui se sera présenté devant le
jugement électoral des sénégalais. Sa volonté
d'apaiser le climat politique aura eu des effets de même que son
éternel refus de s'attaquer à ses adversaires politiques dans
les débats qui rythment la campagne ; et pour lui
« sur le chemin qui nous réunit, il faut chercher ce qui
nous unit ».
NIASSE va, pour sa part, bénéficier d'une
forte et spontanée adhésion et d'un grand élan de
sympathie. Ce qui est sans nul doute du à son
'courage politique'. Les sénégalais n'avaient jamais
été habitués à pareil schisme et cassure au sein du
régime socialiste, un parti au pouvoir qui avait plus ou moins
réussi à toujours discipliner ses troupes et les
réunir autour de l'essentiel.
En effet, son irruption sur la scène de l'opposition va
bouleverser les calculs, les pronostics et
les données du paysage politique. Plus, elle va lui
imprimer une nouvelle dimension ; celleci se caractérise notamment par
un engouement certain de la population en droit de vote pour le
scrutin de l'an 2000.
Et le discours de NIASSE aura été « assez
crédible » aux yeux du peuple.
Il est incontestable que son entrée en
"indépendant" sur la scène politique aura perturbé
la hiérarchie traditionnelle des partis. Niasse en jouant à fond
sur son côté rassurant et sage, a su séduire pas mal de
déçus du PS, qui hésitaient pour autant à
s'engager aux côtés de l'imprévisible Wade. Autre
facteur déterminant, l'âge. En l'an 2000, Niasse a l'avenir devant
lui, Wade est en fin de carrière. Les professeurs d'université,
une centaine, qui ont créé l'Alliance Nationale des
Universitaires pour le Progrès (ANUP) , un groupe de soutien
à Niasse, estimeront qu'il « est le seul à pouvoir
assurer une alternance crédible, dans la stabilité (...)Le plus
important (...), c'est de mener avec Niasse une réflexion sur le devenir
du Sénégal ».
Ancien Premier Ministre, Ministre d'Etat et Ministre
des Affaires Etrangères, la dimension personnelle du leader
progressiste aura certainement permis une oreille attentive du
côté des citoyens sénégalais, lui que l'on dit jouir
d'une importante assise financière, d'un enracinement politique et des
réseaux internationaux lui permettant de soutenir la
confrontation avec l'entourage de DIOUF. Lisant la résolution
générale du premier congrès ordinaire de l'AFP tenu
à Dakar les 1er et 2 mars 2003, Bouna Mouhamed SECK, chargé des
élections du parti notera que « dès la
déclaration du 16 juin 1999, des milliers d'hommes, de femmes, et de
jeunes
se sont faits l'écho d'un immense espoir qui a
été le socle sur lequel s'est bât i le parti
».
Le contexte aura accompagné et soutenu le parti
progressiste ainsi que le reconnaît son leader, pour qui, «l'AFP
a vu le jour dans un contexte particulièrement riche en
événements, au mois
de juillet 1999, au moment où les
sénégalaises et les sénégalais étaient
habités par de multiples
interrogations sur le présent et sur l'avenir
de leur pays ». S'y ajoute que « cet appel avait
conforté dans leur lutte, ceux qui, déjà refusaient toute
compromission avec le régime en place
et s'étaient engagés dans la voie de
mener à l'alternance démocratique »69 .
En ce sens il
« aura contribué à transformer une
aspiration en une alternance politique, en une réalité qui aura
montré que le mode de développement du pouvoir au
Sénégal pouvait non seulement se faire de manière
démocratique, mais pouvait également s'effectuer sous la
forme d'une alternance politique consacrant la chute d'un régime qui
avait régné pendant quarante ans »70.
Il est aussi aisé de remarquer que le discours
de NIASSE aura suscité beaucoup plus d'adhésion chez les
femmes et les jeunes, piliers de l'électorat. Se voulant incarner le
« Parti des Femmes et des Jeunes », le leader de l'AFP va
militer pour la promotion de la Femme et du Jeune et « plus de la
femme d'ailleurs, car elle est la maman du jeune mais ce dernier reste porteur
d'espoir, de force et de vitalité ».
Malgré la réalité des effets du discours
politique sur les citoyens, cet impact est à relativiser vu que
« le discours du responsable politique, qui reste essentiellement
autoréférentiel, n'est pas toujours bien et directement compris
par le public ('l'électorat'). L'expression politique risque
d'apparaître comme déconnectée de la réalité
sociale et de perdre ainsi sa raison d'être aux yeux du citoyen confondue
avec la logique médiatique actuellement dominante, la médiation
ne remplit donc plus son rôle d'aide à l'échange
démocratique » 71 .
Section 2 : Un impact à relativiser.
69 MBODJI M., Le Sénégal entre
ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in
Le Sénégal
contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP,
Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002
p.597
70 Idem, p.597
71 MOUCHON J., La politique sous l'influence des
médias, L'Harmattan, collection communication et civilisation,
1998, p.12
S'il est indéniable que la médiatisation
contemporaine et l'essor fulgurant qui caractérise le secteur de
la communication influent sur les pratiques politiques et sur les
modalités de l'échange démocratique, il reste que les
questions sur les effets ne peuvent en être posées sans faire un
détour par le rappel de ce qui fonde la relation politique.
Il ne peut y avoir un trop grand écart entre les
décisions de l'Exécutif et les aspirations de la majorité
de la population sans que s'exprime la protestation politique.
L'ampleur des nombreux mouvements sociaux et la multiplication
des alternances politiques, constituent des signes clairs de la
volonté d'exister, d'être entendu et d'être
associé à la définition des orientations qui
régissent la vie commune.
Pris au piège de la formidable ouverture des
réseaux d'information pour un public de plus en plus averti, les
professionnels de la communication et la classe politique ont tardé
à prendre la mesure des exigences qui en découlent.
Au Sénégal, la communication des partis politiques
commence à se développer au moment où
le champ politique tend à se refermer sur
luimême, limité à un jeu d'acteurs connivents dans la
définition de leur pré carré et de leur
position dominante. Et si elle traduit la professionnalisation
croissante de la vie politique actuelle, leur efficacité n'est pas sans
faille et leur hégémonie reste relative.
Il va de soi qu'en terme de communication politique,
rien, n'est gagné d'avance et que les certitudes des
mécaniques d'une adhésion ou d'une sympathie automatique de
l'opinion, sont des attitudes à bannir. En reportant sans
discernement ses propres états d'âme sur ceux des
populations, en croyant que tout ce qu'il fait ou dit sera compris et
salué par tous, l'homme politique court toujours le risque de ne rien
comprendre des réactions opposées aux siennes. Les partis
politiques émettent un discours et proposent ainsi une offre ;
et à cette offre, les électeurs répondent de
façon positive ou négative : le choix leur revient !
L'effritement de cette efficacité et de cette
hégémonie s'envisagera à travers ce qui aura
laissé
apparaître un certain rejet du discours politique (A). Ce
qui traduit, assurément le 'malêtre' et
le 'malvivre' des partis politiques (B) confirmés
par les enquêtes menées sur le terrain.
le rejet du discours politique.
Autant pour Abdou DIOUF que pour Moustapha NIASSE,
le discours politique n'aura pas
toujours été opérant sur les destinataires
au point que « les idées ne suffisent plus pour
être
élu » 72
Mais le discours qui sera apparu le plus contesté reste,
sans doute, celui du candidat socialiste.
En effet, malgré les engagements fermes d'Abdou DIOUF,
candidat à sa propre réélection, le sort était
déjà jeté ! L'électorat
sénégalais, dans sa grande majorité, avait
déjà choisi son camp... et l'appel du candidat Diouf
lancé entre les deux tours au leader de l'URD, Djibo Kâ, qui a
accepté, loin d'améliorer sa situation, lui aurait même
valu, en plus de la scission au sein
de ce parti, selon certains observateurs, un vote sanction de
militants socialistes, inquiets d'une
marginalisation certaine qui les frapperait, au cas
où M. Kâ reviendrait aux affaires après la victoire du
président sortant.
Et en voyant Abdou Diouf entreprendre, avec
frénésie, une campagne de proximité tous azimuts entre
les deux tours, beaucoup d'électeurs ont senti quelque part que
c'était l'hallali et que l'alternance était
à portée de bulletin. Et en pleine campagne
électorale, l'ébruitage de l'augmentation du salaire des 140
députés 73 , va ajouter à leur désir
d'en finir avec des gens perçus comme se servant mais qui ne
servent pas l'Etat. Le président Diouf annoncera lors d'une
conférence de presse au palais entre les deux tours qu'il n'avait jamais
eu connaissance d'une telle décision.
Si, globalement, les facteurs susmentionnés
peuvent expliquer les limites dans les effets du discours du
président sortant, une radioscopie de la déroute cinglante qui en
a résulté en appelle cependant d'autres, plus ou moins
factuels ou liés à l'évolution même de la
scène politique sénégalaise. Toute force
s'épuise et le Parti Socialiste, au pouvoir depuis 40 ans, ne
pouvait échapper à cette loi naturelle. L'usure du pouvoir a fait
que le PS et la plupart des dirigeants qui l'incarnaient, avaient fait
naître chez la majeure partie des Sénégalais, la conviction
qu'on ne pouvait plus rien attendre d'eux, car malgré quatre
décennies à la tête du pays, les choses sont allées
de mal en pis .
72 MAAREK Philippe J., Communication et Marketing de
l'homme politique, Collection communication politique et publique
73 Lire à ce propos WAL Fadjri du 19
février 2000
Le rejet du discours politique du PS traduit aussi
l'échec de la campagne de Jacques SEGUELA, perçu quelque
peu comme un nouveau Jean COLLIN, à propos duquel Amath
DANSOKHO disait que « ce Sénégal est, sous bien des
rapports, politiquement développé et ainsi, nous ne pouvons
pas accepter un président qui est incapable d'assumer
ses responsabilités et qui se met sous la protection de Collin.
Et cet aspect est un problème politique de fond qui blesse le
sentiment national des sénégalais » 74
Certes, en 2000, l'auteur de la « Force tranquille
» est aux côtés du candidat socialiste, mais
« Ensemble, changeons le Sénégal
», n'aura pas vraiment fait recette. En fait, le
consultant
(qu'il soit américain ou français) ne transforme
pas la manière de faire de la politique là où il
débarque.
C'est peutêtre cela qui explique la débâcle
de Séguéla et de son équipe qui, pourtant, avaient
foulé le sol sénégalais, auréolés d'une
longue liste de succès électoraux .Mais l'univers politique
sénégalais a ses propres réalités qui
n'obéissent pas forcément aux calculs et stratégies
cartésiens élaborés à partir des cabinets des
spécialistes occidentaux du marketing politique. Et malgré leur
expérience et leurs gros moyens, ces "spécialistes du
convaincre", ces "faiseurs d'images", n'ont pu faire avaler
leur pilule aux électeurs sénégalais décidés
à changer le cours
de leur Histoire.
Au soir du 19 mars, des analystes expliquèrent la
défaite de Diouf par sa « froideur » et son
« éloignement » visàvis des
préoccupations des masses populaires écartelées entre la
misère,
la promiscuité et l'extrême pauvreté.
Ces masses ne comprirent peutêtre pas pourquoi,
malgré ce mal vivre généralisé, les
socialistes étaient allés chercher un consultant étranger
(Jacques Séguéla) qu'ils auraient payé à coup de
millions de francs Cfa...C'est cette méconnaissance du terrain qui a
fait commettre au gourou français une erreur fatale : faire poser
le candidat socialiste en costume cravate au milieu d'un champ et tenant
entre ses mains une aubergine. Avec ce slogan : "Ensemble, faisons
mûrir les fruits". En confondant les fruits et les légumes,
il a précipité la débâcle des verts.
Qui plus est, au moment où les Politiques d'Ajustement
Structurel étaient appliquées dans toute leur rigueur, atteignant
les populations dans leur minimum vital, l'Etat, qui aurait dû donner
l'exemple, par une cure d'amaigrissement, maintenait un train de vie assez
dispendieux, allant jusqu'à augmenter le nombre des ministres dans le
gouvernement et celui des parlementaires
74 Le Devoir, numéro 4, 29 mars 10 avril 1988,
p.3
(les députés, plus les sénateurs). Cette
attitude, que certains opposants politiques ont qualifiée
de « ma tey » (« j'en ai cure ! Je
m'en fous ! », allait provoquer une profonde césure entre
Diouf
et son peuple. Et dès, lors celuici était
accusé d'être insensible aux maux dont souffraient les populations
et cela d'autant plus que sa politique de communication fut médiocre :
on le disait distant, même si ceux qui l'ont approché
étaient convaincus du contraire.
La gestion socialiste a été également un
autre facteur qui a pesé sur le choix des Sénégalais en
l'an 2000. Que ce soit au niveau des collectivités locales, de
l'appareil de l'Etat ou dans les sociétés nationales, la gestion
était très souvent jugée opaque et parfois
carrément ruineuse. Et
le peuple ne comprenait pas pourquoi les auteurs
identifiés de malversations étaient maintenus
à leur poste ou pire, parfois promus à
d'autres responsabilités. Cette impunité avait plus ou
moins convaincu beaucoup de Sénégalais, qu'il n'était
pas nécessaire de se tuer à la tâche «
républicaine » ou pour brûler les étapes et
accéder à la table de banquet, il fallait une adhésion
au PS et un militantisme d'ostentation (la transhumance
précipitée de socialistes vers le PDS ou l'AFP, le prouve).
A cela, s'ajoutait la politique prédatrice
développée par des lobbies de toutes sortes dont certains
étaient une excroissance du pouvoir et quelques fois
alliés aux monopoles, qui avec arrogance, avaient mis le
territoire économique sénégalais en coupe
réglée, bloquant toute possibilité de progrès au
profit des populations.
On a pu dire par ailleurs au lendemain de la défaite
d'Abdou Diouf, qu'il a perdu parce que la demande sociale était
insatisfaite. En termes clairs, c'est le chômage et les
défaillances constatées dans beaucoup de secteurs comme la
santé, l'éducation, la sécurité, l'agriculture
et
les routes...Au final, tous ces facteurs, dont chacun constituait
un ruisseau, ont convergé pour
donner un fleuve impétueux, dont les flots ont
eu raison d'un régime installé depuis l'indépendance
et qui croyait en avoir encore pour longtemps sur les
sénégalais.
Moustapha NIASSE aura également connu un frein à
son discours.
Ainsi malgré l'engouement, l'adhésion
suscitée et une campagne placée sous le sceau de
l'éthique et de la morale, un échec sera noté : le
candidat de l'AFP et de la CODE 2000 aura fait peur et n'aura pas totalement
rassuré aux yeux de certains destinataires de son message.
Comme nous l'avons montré, dans la construction du
discours politique, l'AFP et son leader ont
du affronter le dilemme progressiste qui consistait à ne
pas apparaître comme le `clone du PS'
ou même un ` PS bis'.
Il faut bien admettre que la situation personnelle du
Secrétaire Général de l'AFP n'était pas
commode. Difficile, en effet pour lui, de trouver le ton juste pour
critiquer un régime pour lequel les Sénégalais
continuaient à avoir les yeux de Chimène et dans lequel
il a joué les premiers rôles pendant de nombreuses
années. Ce n'était pas non plus une sinécure pour
quelqu'un comme Moustapha Niasse, qui a milité au sein du PS où
il a occupé pratiquement tous les postes de responsabilité
pendant presque quarante ans, de renier en bloc tout son bilan.
Résultat, mis à part dans son fief électoral de
la région de Kaolack, son message électoral n'aura pas
vraiment connu une ampleur aussi grande hormis certains endroits où les
soutiens ont pu agir.
L'adhésion massive et spontanée sera donc
apparue comme un sursaut ponctuel, sans doute, dicté par une
frustration des populations, trop longtemps contenue et qui ont semblé
voir dans
le réquisitoire de l'homme leur propre discours.
Mais on serait bien tenté de croire que l'engouement n'aura
duré que le temps de la campagne qui devait chasser le régime
socialiste.
L'impact des médias ayant transmis le message politique
est aussi à relativiser, car ne manquant pas souvent à l'image
des médias d'Etat de se faire instruments d'une propagande du
régime
en place.
En réalité, les médias sont le moteur de la
communication politique, mais à deux conditions. D'abord éviter
d'être trop liés aux élites et conserver la
fonction de médiation entre les
différents milieux de la société. Ils
doivent refléter l'hétérogénéité de
celleci. C'est leur rôle démocratique. D'autant qu'en
'haut', les dirigeants n'ont souvent plus de rapports avec la
réalité
et n'y accèdent qu'à travers les
médias. Si les médias ne reflètent pas mieux la
diversité, le
risque d'incommunication augmente. Et le nombre de
supports ne suffit pas à rendre plus transparente et
compréhensible la société, car tous parlent de la
même chose, au même moment. Pas assez ouverts, pas assez
pluralistes, trop conformistes. L'espace médiatique ne transcrit
pas assez l'hétérogénéité culturelle et
sociale.
Les médias ne sont pas les portevoix des seuls hommes
politiques et des sondeurs ; ils doivent refléter les autres
opinions. Ils sont garants de
l'hétérogénéité, faute de quoi il n'y
a pas de respiration démocratique. L'éloignement et le rejet
des médias de la part des citoyens peuvent
s'expliquer par leurs représentations de la vie sociale
et politique. Il peut exister un rejet des médias comme, d'ailleurs,
il peut exister un rejet du fait politique, auquel il est
très étroitement lié. Ce
désintérêt, cet absence d'engagement, marquent la
limite de la communication politique comme pour mieux rappeler que
l'engagement politique est, comme tout ce qui relève d'une
médiation entre le singulier et le collectif, une affaire de
désir : pour que s'instaure pleinement la médiation, encore
fautil qu'à son pôle collectif soit effectivement articulé
un pôle singulier, celui du sujet, qui ne peut exister que pour autant
que l'y pousse la force réelle de son désir.
L'éloignement du sujet de la communication à
l'égard des médias correspond au désintérêt.
Il peut y avoir une lassitude du public pour les médias, et,
en particulier, pour l'information politique dont ils sont porteurs. Mais la
lassitude, le sentiment d'ennui que peut provoquer une activité, renvoie
toujours à l'absence de culture ou à l'absence de désir.
Le public peut s'éloigner des médias faute d'avoir
été préparé à leur usage, et, à cet
égard, le rôle de l'école est essentiel, mais il peut
aussi s'éloigner d'eux par absence de désir pour
l'engagement. C'est ce qui peut conduire, précisément, les
médias, pour retrouver une puissance de captation du public
condition, par ailleurs, de leurs ressources dans une économie
libérale à tenir un discours lui aussi éloigné de
l'engagement et du fait politique.
On peut tout de même ajouter que, la communication des
partis se heurte à la nature même de
la transaction politique qui repose sur la
capacité à faire adhérer à un projet
politique ou à croire en un homme. De plus en plus sceptique,
le récepteur garde une part de librearbitre suffisamment forte
pour être capable de ne pas céder automatiquement aux
sirènes de la persuasion programmée. Même repris à
la télévision ou sur les ondes radio, avec l'insistance
complaisante de certains commentateurs, leur effet n'a rien de
mécanique.
Cependant, l'accélération de la
professionnalisation politique et le rapprochement de plus en plus
marqué avec la logique des campagnes publicitaires ne manquent pas
d'être inquiétants au moment où les programmes des
candidats se limitent à quelques vagues idées
générales et à des intentions...forcement
généreuses. En l'an 2000, la notion de sanction a
ré émergé dans les références et dans
les esprits et cette élection présidentielle a
été l'occasion pour les populations, d'exercer leur libre
arbitre.
Le rejet du discours politique qui est constaté dans
cette étude, révèle un état et une
situation
qui ont tendance à se généraliser dans
l'échiquier politique non seulement national sénégalais
mais mondial pourraiton dire.
En effet, mal vue parce « sale », la politique
se retrouve confrontée à un 'malêtre' et à
un 'mal
vivre'.
Le 'malêtre' et le 'mal vivre' des partis
politiques.
L'étude des partis politiques est un objet canonique en
science politique, cependant les partis politiques ont mauvaise presse. Ils
sont souvent contestés, accusés de confisquer la "chose
publique" et de manipuler les citoyens. Ils sont alors considérés
comme des "fossoyeurs" de la démocratie (Rousseau, Guizot, Madison,
Schmitt...). Cette mauvaise image est accrue par les liens
fréquents entre les partis politiques et les affaires de
corruption et les achats d'allégeances... Perçus comme
des organisations éloignées des préoccupations du
plus grand nombre, les partis politiques sont pourtant des
éléments essentiels des régimes démocratiques
(Tocqueville...). En tout cas, la question se pose de
savoir ce qu'est un parti politique dans un
système démocratique.
Et la réponse est bien vite trouvée : «
Oui. Ce sont des dictateurs. Ils ne sont pas sincèrement
démocrates. Le parti, c'est de la foutaise, un système de petits
copains. Les élections, c'est de la rigolade. Moi, je le dis, ce sont
des dictateurs. » 75
Le paysage politique sénégalais semble donner
raison à l'auteur puisque les partis politiques jugés trop
nombreux et estimés entre 84 et 89 au Sénégal,
reflètent plus souvent la personnalité du leader qu'une
quelconque idéologie. Le citoyen en arrive donc à être
convaincu que tout dépend du label, qui reste libre sur le marche
politique et que l'étiquette qui lui est apposée, importe peu.
La politique ne fait plus vraiment recette au regard des
pratiques que les citoyens y décèlent et
les sempiternels revirements ne sont pas pour redonner à
la volonté de gérer les affaires de la
75 KANE C.H., Les gardiens du temple, Paris, Stock,
1995, p.202
cité, ses lettres de noblesse. Il demeure aussi
que « chez nous, la vie politique semble se ramener, pour
beaucoup, à des luttes et à des courses pour le
Pouvoir. Comme si la vie politique était un marche à
conquérir ou à protéger. Les rivalités de personnes
l'emportent sur
les débats de choix de société.
Les moyens utilisés ne s'embarrassent guère souvent
de
principes moraux et religieux. Les intérêts
personnels et ceux de son clan passent avant le bien
de tous les citoyens... » 76
Le résultat est étonnant et
l'éventail politique déploie toute la gamme des
séductions : des conservateurs féodaux ou intégristes,
jusqu'aux trotskistes ou aux populistes africains, en passant par
divers échantillons de socialisme (autogestionnaire, travailliste,
social démocrate, national progressiste...), les
sénégalais euxmêmes se perdent et en restent perplexes.
La vérité la mieux partagée dans
l'électorat est que les hommes politiques ne font plus que de
la 'politique politicienne', en fonction de leurs
intérêts particuliers.
Au Sénégal, les hommes politiques ne sauraient
échapper à cette critique au point même que beaucoup
voient la politique comme répugnante et se convainquent que
'les promesses n'engagent que ceux qui y croient'.77). La
politique n'a pas bonne presse et, pour beaucoup, elle
est devenue un moyen d'ascension sociale. Mais l'enjeu majeur qui
s'attache à ce débat a trait à
la dimension éthique dans le jeu politique.
Se posent aussi la question des élites et celle
du 'parachutage' politique. Cette dernière technique, qui
s'est introduite dans le système politique
sénégalais, frustre sur le plan psychologique, nombre de
militants qui s'intéressent peu ou prou à la vie de leur parti.
Ils ont cette impression que leurs voix ne comptent que les jours des
élections mais que, pour tout le reste, on leur demande d'approuver
et d'applaudir ce qui a été décidé à
Dakar, en bureau politique...par dessus leurs têtes. L'arrogance des
élites se retourne contre elles avec la fin du chantage à
l'intelligence, à la compétence et produit une sorte de retour du
boomerang ; Abdou DIOUF en aura fait les frais avec cette jeunesse
qu'il s'était aventuré à qualifier en 1988, de
« jeunesse malsaine ».
76 Extrait de la Déclaration de l'Eglise Malienne, le 17
février 1991 rapportée par Moussa Makan CAMARA in
Questions brûlantes pour démocratie
naissante, NEA Dakar 1998, p.17
77 Lire MAAREK, Philippe J. Communication et Marketing de
l'homme politique, Collection communication politique et publique, Paris,
LITEC, 1992
Comme pour le referendum de juillet 2005 en France sur
la nouvelle constitution de l'Europe,
le rejet n'était pas pensable... Pourtant, en cas de
suffrage universel, il n'y a plus de hiérarchie entre ceux d' «
en haut » et ceux d' « en bas ». Enfin, c'est la
preuve que ni les médias ni les élites ne font l'opinion et
l'élection et qu'en sociologie électorale, la capacité de
prédiction ou
de prédication est très mince. La tare de ce
segment de la classe politique tient elle, dès lors, à son
identité intellectuelle qui lui a rendu la société
inaccessible ? Au point de reconnaître avec François ZUCCARELLI
qu' « ...il leur manque le minimum d'adhésion populaire dont
ils se sont coupés par une construction idéologique et des
querelles de chapelles totalement obscures pour leurs concitoyens »
78
Osons poser le débat avec Dominique WOLTON
: « Pourquoi si peu de modestie et d'autocritique ? Pourquoi
ignorer à ce point que les citoyens ne sont pas dupes ? Que cette
classe dirigeante médiatisée, pointe visible de l'iceberg,
fasse attention : elle laisse dans l'ombre ces milliers d'élus
(...) qui ont souvent une bien meilleure compréhension de la
société que ces élites ; elle oublie les syndicats,
associations, les mouvements d'éducation populaire,
systématiquement identifiés à des corporatismes. Les
citoyens voient tout et savent tout. Ils n'ont pas toujours raison, mais
impossible de construire ce nouvel espace politique en sous estimant à
ce point les récepteurs qu'ils sont ». 79
Les citoyens ont donc pris conscience de la nature de
ce genre de communication, politique certes, mais plus ou moins intuitive :
les partis ne communiquent véritablement que quand ils ont des
manifestations en vue, les militants et éventuels électeurs
étant considérés comme des acteurs passifs. Ce qui
explique que souvent le discours politique soit inadapté aux
réalités des populations. L'impact des politiques
communicationnelles est aussi à limiter car il existe toujours
des électeurs au choix déjà arrêté et
les a priori ne résistent pas toujours ; ce qui
explique, du reste, le basculement de beaucoup de fiefs et bastions dans un
camp adverse.
Ce peu d'effet donnait le signal d'alarme du discrédit
de la classe politique dans son ensemble, c'estàdire de la faillite du
multipartisme. La volonté de 'Sopi' n'était pas
nécessairement une acceptation du PDS au détriment du PS.
Nombreux étaient, parmi la population, les Sénégalais
78 Zuccarelli F. La vie politique sénégalaise
(19401988), Paris, CHEAM, 1988, p.94
79 Pas de démocratie sans communication
politique, Article paru dans l'édition du journal LE
MONDE du
05.06.05
qui mettaient tous les hommes politiques, à quelque bord
qu'ils appartenaient, dans la même catégorie.
Néanmoins, il nous faut reconnaître que s'il est
vrai que l'innocence militante a été ébranlée
par
les désillusions idéologiques et les
'crimes' commis au nom des beaux principes et si les
scandales politico financiers ont sapé la confiance populaire envers la
classe politique, on ne peut pour autant en déduire que la
dimension politique soit abandonnée. Assurément, le
mécontentement politique traduit le refus de la situation existante et
exprime la revendication d'un changement des mentalités et d'une
redéfinition des structures participatives de la vie publique. Et
« si la politique compte peu aujourd'hui, c'est parce qu'on nous a
appris depuis vingt ans qu'il n'y avait, en tous domaines, `pas d'autre
politique possible' » 80
Le souci majeur de notre étude aura
été, au delà du recueil du discours politique des
deux leaders de l'AFP et du PS, de donner la parole aux populations
destinataires de ce discours. En effet, il ne convenait pas, pour nous,
de nous en tenir au seul 'parler' des formations politiques ;
encore nous fallaitil nous référer aux citoyens pour juger des
éventuels impacts de cette communication. Cette préoccupation
nous a conduit à mener des enquêtes à Dakar, Saint Louis et
Rufisque.
Même si l'objectif n'était pas pour nous,
une investigation sur le vote proprement dit, le premier souci
consistait, dans un premier temps, à s'assurer que les
composants de l'échantillon avaient effectivement voté lors de
ces joutes électorales et ensuite, s'ils en étaient
au premier accomplissement de ce devoir civique.
Les réponses nous révèlent que ces
citoyens n'en étaient pas à leur première
expérience électorale et que depuis l'âge de la
majorité civile et politique (passé de 21 à 18
ans), voter constituait pour nombre d'entre eux, mais pas tous, « un
impérieux devoir ».
Quant aux motifs les ayant poussé au vote, la
« volonté de changement » l'emporte même sur la
volonté d'accomplir le « devoir de citoyen »
; ainsi tous invoquent le « changement ».
Néanmoins, l'enquête montre que très peu d'entre eux
ont vraiment pris la peine d'assister physiquement aux meetings et autres
manifestations d'ordre électoral, préférant les stations
de radio et certains quotidiens, « qui relayent toujours le
message ». En effet pour eux, « le
80 CHEVENEMENT J.P., Le courage de décider,
Editions Robert Laffont, février 2002, p.16
discours reste toujours le même » de la
part des « politiciens » ; aussi se
réservaientils « le choix » d' « aller
tranquillement voter au jour du scrutin ».
Avaientils déjà choisi leur camp et
arrêté leur vote ? A ce propos, les réponses recueillies
nous renseignent que tout devait concourir au « changement
» pour « qu'il (Abdou Diouf) s'en aille » :
« Nafi jogge ! ». Fin en soi ou pas, les raisons
pour fonder ce départ du candidat socialiste s'imposaient puisque
« Yaage nafi torop ! Da nio sonnoon ! » ( Il a trop duré !
Nous étions fatigués !).
Le départ du chef de file des socialistes se
présentait, quelque peu, comme un tout ou rien. Mais au
delà de cette vision plus ou moins apocalyptique, tous les
moyens n'étaient pas pertinents pour le traduire en
réalité : le seul et unique moyen devait être le vote des
citoyens ! Rares auront été les occasions de voir les citoyens
sénégalais aussi sûrs de leur vote, du poids et
de la valeur réelle de la carte électorale. Ce qui
ne dissipait pas entièrement des doutes quant à
l'éventualité d'une « confiscation des
votes » ou de « fraudes » par le régime
socialiste.
A cet titre, la communication des partis n'aura « pas
vraiment » influé sur leur choix, qui reste fondamentalement
motivé par le charisme et la « personnalité »
du leader. Pour autant, l'impact
de « certaines promesses » ou engagements
relayés par la presse, ne saurait être négligé avec
notamment la sénégalisation des informations par le
biais des langues nationales. L'explication
de cet usage des langues nationales et surtout du wolof, se
justifie à bien des égards par le fort taux
d'analphabètes au Sénégal mais aussi, par le
rôle déterminant de la presse en tant que véhicule
et média du discours politique, qui doit épouser les idiomes du
public ciblé.
En définitive, les citoyens rencontrés se
disent accorder « très peu de crédit » ou
« aucun crédit » au discours politique, se rappelant
toujours que « les promesses électorales n'engagent que ceux
qui y croient » et que « les politiciens oublient les gens
dès qu'ils sont élus ». Pareil constat traduit le fait
que la politique est toujours mal vue ou perçue parce que jugée
« sale » et
où tous les coups sont permis ; les hommes
politiques « sont de mauvaise foi » et « ils
sont
tous pareils ». C'est donc de faux
discours qui lassent et amusent souvent le peuple qui n'écoute
plus que par dépit ; « ils ne sont là que pour
euxmêmes et seuls leurs intérêts propres dictent leurs choix
et comportements ».
Ce discours pas franc des hommes politiques
explique, pour nos interlocuteurs, la transhumance qui est devenue
constante depuis l'alternance. Et face à l'essor noté de
la
transhumance politique, naît un sentiment de «
déception », de « trahison » ou de «
perte de repères ou d'idéologie ». On ne laisse
plus de réelle place à l'idéologie ou à
l'éthique politique parce que « la politique est devenue un
moyen d'ascension sociale ». Tout de même, certains
enquêtés voient dans cette transhumance une réelle
volonté de « participer à l'édification de la
nation (...) de travailler pour le pays ». Et que cela, loin
d'être décrié ou fustigé, devrait être
salué et apprécié à sa juste valeur de
« citoyenneté librement assumée » car
« c'est un choix politique et légitime jusqu'à preuve
du contraire ».
Pour ce qui est du rapport argent/vote en période
électorale, l'appréciation se fait en termes
de « corruption » et d' « hypocrisie
».
Mais, il subsiste un paradoxe qui frise quelque peu
le ridicule et qui veut que l'homme politique corromet ses concitoyens
pour être élu et prétende, par la suite, lutter
contre la corruption . Les enquêtés remettent cette attitude dans
une vision machiavélique de la politique où, avec la ruse et la
chance, « tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins
» et seul le but final, à savoir l'élection, compte.
Si d'aucuns voient dans cette « corruption
» des citoyens par les hommes politiques
un « manque de dignité », il
appartient plutôt aux premiers d'éduquer les seconds et de
les amener à « faire la politique autrement » ; ils
reconnaissent toutefois que les citoyens restent
« fragiles et démunis » face
à cet « investissement », du fait de la
précarité et de l' « injuste répartition des
biens ».
Pour d'autres, le phénomène argent/vote ne
saurait obligatoirement être assimilable à une corruption
mais comme étant plutôt « un autre moyen de
convaincre l'électeur ». Voilà pourquoi, selon eux
« le citoyen ne devrait, en aucun cas, avoir d'état d'âm
e » car « cet argent
est et reste le sien (...) c'est l'argent du contribuable
sénégalais ».
La seule attitude à adopter se résume donc
à « je prends et je vote pour qui je veux ! je suis seul dans
l'isoloir et face à l'urne !»
Les propos d'un jeune propriétaire d'une galerie d'art
sont clairs à cet effet et pour qui « la politique
politicienne ne peut pas se purifier car c'est de l'ordre du matériel et
du terrestre »
(yeufou aduna la ! c'est des choses de ce bas monde
!)
Quant au regard à jeter sur la manière de faire la
politique depuis l'avènement de l'alternance, beaucoup de nos
interlocuteurs s'accordent à dire que « rien n'a
fondamentalement changé »
car les méthodes sont restées les mêmes, la
corruption persiste, l'impunité se maintient dans
une certaine mesure, le train de vie de l'Etat reste
élevé, l'existence de faveurs partisanes et le culte de
l'arbitraire persiste de même que la réaffirmation de
l'allégeance du politique au religieux et les promesses non tenues.
Tout ne saurait pour autant être négatif aux yeux
des enquêtés car « le citoyen est plus libre »
en paroles et pensées, « le Sénégal est en
chantier » au regard des infrastructures et « Wade est
beaucoup plus ouvert et plus accessible que Diouf (...) il communique plus et
on le voit plus ».
Le grand souhait et l'appel émis restent, en
définitive, une « politique plus honnête »
et
« autrement faite », plus de respect pour
le peuple et les engagements pris devant lui. Ce qui doit passer par un
« changement des mentalités autant chez les citoyens que chez
les hommes politiques » afin de « tenir un langage
vrai » et préserver une certaine « éthique
» par « une plus grande culture politique ».
Tout cela devrait sans doute conduire, selon eux, à un
renouvellement de la classe politique sénégalaise vu que
« ceuxlà s ont vieux ».
CHAPITRE 2 : DES LIMITES INHERENTES A LA COMMUNICATION
POLITIQUE
: PERSPECTIVE EXPLICATIVE.
Il faut relever les capacités de
résistance des citoyens face aux influences des médias
qui
servent à véhiculer le message politique. Et
« dès lors que l'élection sollicite ou tend
à
contourner l'expression politique de l'identité
sociale, il faut se garder de prédire, de figer et
de standardiser les comportements participatifs »
81
À l'augmentation des pouvoirs indirects de l'influence et
des pouvoirs fondés sur les usages de
la communication, correspond une augmentation
parallèle des contrepouvoirs symboliques exercés dans le
débat public. Il existe, d'abord, des résistances
politiques à l'hégémonie symbolique des pouvoirs
fondés sur la communication. Il s'agit, au premier chef, du
libre examen et de la fonction critique exercés par les acteurs de la
sociabilité dans le cadre de leurs pratiques de communication et de leur
activité symbolique.
81 DIOP A. B., Logiques sociales et démocratie
électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et
d'interprétation d'une trajectoire de crise : l'exemple de Fouta
Toro (19832001) Thèse de doctorat en science politique,
Université MONTESQUIEU, Bordeaux IV, IEP Bordeaux, CEAN, juillet 2002,
p.29
Cet effet plus ou moins relatif des politiques
communicationnelles de l'AFP et du PS sur l'électorat en l'an
2000, peut certes s'expliquer par ce rejet du discours politique et le
malêtre
et le malvivre des partis politiques. Mais pareille
explication ne saurait être suffisante. A ce propos, le vote reste
déterminé par une double logique, une d'ordre politique
et une autre, moins perceptible et latente, la dimension individuelle.
En effet, en politique, bien plus qu'en science
politique, il existe d'une part, des « objets politiques non
identifiés » (section 1)82), objets que les partis
en lice ne maîtrisent pas toujours
et d'autre part, le jeu des acteurs euxmêmes qui, faute de
voir une politique saine et bien faite,
tentent de la recréer et de la redéfinir selon leur
conception propre et leur propre approche. Là
intervient « la politique par le bas »
(section 2).
Section 1 : De la dynamique des « objets politiques
non identifiés ».
Faire recours à Denis Constant MARTIN et
à ce qu'il appelle les « objets politiques
non
identifiés » , nous amènera à
envisager les nouvelles manières inédites de concevoir et de
faire
de la politique pour finalement mieux comprendre la perception
du politique dans les sociétés, donc ce qui modèle les
attitudes des citoyens et les pousse éventuellement à agir. Les
individus intègrent en effet des répertoires symboliques
traditionnels que leur dictent les valeurs et réalités
sociales sans oublier les contre pouvoirs symboliques.
Ce qui laisse entrevoir « le rôle des
valeurs structurantes de la tradition culturelle dans les comportements
», pour reprendre Lancelot et la capacité réactive
l'individu citoyen (A).
Ces données que le politique n'intègre pas toujours
forcément dans son analyse des effets de la communication, auront
laissé voir un effritement du ndigeul en l'an 2000 (B).
82 Nous empruntons l'expression à Denis Constant
MARTIN: Sur la piste des OPNI (Objets Politiques Non
Identifiés), Paris, Karthala, collection
Recherches internationales, 2002
Le rôle des « valeurs structurantes de la
tradition culturelle » et la capacité réactive de
l'individu citoyen.
La compétition politique entre les individus se
nourrit en grande partie des hiérarchies sociales
existantes au niveau local et c'est dans les relations de
solidarité et de dépendance que l'on peut trouver une explication
à l'évolution des allégeances politiques.
À l'augmentation des pouvoirs indirects de l'influence et
des pouvoirs fondés sur les usages de
la communication, correspond une augmentation
parallèle des contrepouvoirs symboliques exercés dans le
débat public. Ainsi que nous le notions, il existe, d'abord,
des résistances politiques à l'hégémonie
symbolique des pouvoirs fondés sur la communication. Il s'agit,
au premier chef, du libre examen et de la fonction critique exercés par
les acteurs de la sociabilité dans le cadre de leurs pratiques de
communication et de leur activité symbolique.
Il demeure aussi qu' « au Sénégal, (...)
le choix électoral entretient une corrélation étroite
avec
les mécanismes sociaux ; il procède d'une
évaluation discursive certes, mais fondamentalement, c'est un choix
motivé par des affinités objectives avant d'être
rationnellement suscité » 83
R. Hackfield et J. Sprag, en étudiant le caractère
des influences des moyens de communication utilisés dans la campagne
électorale de 1984 aux EtatsUnis, sont arrivés à la
conclusion que
les gens euxmêmes, conformément à
leurs préférences politiques, créent des
réseaux
d'informations par lesquels ils reçoivent une
information politique. Ces réseaux, dans une mesure significative,
se définissent par le contexte social et l'entourage de l'individu.
En d'autres termes, la perception des
évènements politiques par les gens est influencée
en premier lieu par leur entourage direct. Cela ne signifie pas que les
électeurs reçoivent la plus grande part de l'information
relative à la politique par des simples conversations avec
leurs voisins. En effet, dans la société actuelle les mass
média nationaux sont la principale source
83 DIOP A. B., Logiques sociales et démocratie
électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et
d'interprétation d'une trajectoire de crise : l'exemple de Fouta
Toro (19832001) Thèse de doctorat en science politique,
Université MONTESQUIEU, Bordeaux IV, IEP Bordeaux , CEAN, juillet
2002, p.21
d'informations politiques. Cependant, c'est
particulièrement l'entourage et le contexte social qui aident les
électeurs à se former une opinion politique sur les
évènements actuels et à les pourvoir de sens.
L'entourage social est constitué avant tout des gens avec lesquels
l'individu interagit (la famille, les amis, les collègues, les
voisins).
Le caractère d'influence de l'entourage ou du contexte
est défini par le contenu de l'information qui circule dans ces groupes
sociaux auxquels l'individu appartient. En discutant avec d'autres personnes,
en échangeant avec elles des informations, il entre en contact
avec les opinions diffusées dans ce milieu.
C'est que l'allégeance politique est une ruse, une
tactique de positionnement. Aussi, convientil d'être souple dans
l'analyse de la formation des identités politiques.
En outre, la légitimité est
corrélative à l'allégeance partisane d'un individu,
c'estàdire à l'ensemble des liens ou relations
clientélaire, idéologique, familiale, sexuelle, primordiale qui
l'identifient au sein de la scène politique. Le choix de soutenir un
groupe politique dépend
de la capacité de ce dernier à
répondre, d'une façon efficace, aux besoins de ses
adhérents.
Souvent, ces besoins sont articulés sur la famille,
sur les exigences de la vie privée et de
l'économique.
Et « dans son analyse de l'orientation du
comportement politique, A. Lancelot observe qu'en définitive, il s'agit
de ne pas occulter le rôle fondamental et déterminant que jouent
les valeurs structurantes de la tradition culturelle dans les comportements
» 84
Tarik DAHOU note bien encore à ce propos la
nécessité de « saisir le politique à partir des
hiérarchies sociales et des pouvoirs locaux afin
d'appréhender le changement de structures comme le produit de
relations locales originales » et qu'il faut donc
reconnaître la forte présence et la prégnance des
« dépendances parentale et économique au sein des
hiérarchies sociales » qui expliquent « les
transformations survenant dans les relations politiques »
85.
Revenant sur la place que peuvent occuper le jeu des logiques
sociales et surtout les liens de parenté, il part des «
institutions aux relations politiques ». Cette lecture du politique
à partir des relations n'est pas en soi nouvelle, mais elle conduit
à relativiser les objets et les domaines
84 Idem
85 DAHOU Tarik, Entre parenté et politique.
Développement et clientélisme dans le delta du
Sénégal, Editions
Karthala et Enda Graf Sahel, Collection Hommes et
Sociétés, 2004, p.16
du politique. Une telle démarche est
particulièrement utile pour décrire, de manière
dynamique,
les logiques du politique, mais elle dévoile aussi
les effets d'échelles dans les stratégies des acteurs.
Dans cette perspective, les régulations politiques
résultent des rapports sociaux quotidiens dans
de nombreuses sphères sociales qui ne sont pas
forcément spécialisées dans l'organisation des rapports
politiques. Et dans ces rapports sociaux, la parenté ne pourrait
être occultée surtout dans nos sociétés
africaines (et patriarcales pour la plupart) et celle
sénégalaise plus particulièrement.
Cette parenté, selon Tarik DAHOU, « repose sur
des différences statutaires qui s'articulent à d'autres types
de rapports hiérarchiques pour donner le jour à des
relations d'autorité publique »86. On comprend
dès lors que « les stratégies politiques peuvent
même s'appuyer sur
la parenté dès l'instant où il
s'agit de stabiliser les coalitions afin de perpétuer leur
hégémonie »87 .
Il apparaît donc que le politique est perçu comme
peu autonome de l'environnement social et économique. Les rapports
sociaux, de même que l'allocation de ressources, ont une influence
déterminante sur les dynamiques politiques. Bien même encore, sont
mises à nu, la complexité
et l'indétermination des rapports entre univers politique
et univers social.
Cet espace vital propre à une communauté
d'individus, la famille, le lieu de la domesticité sociale et
politique, n'est pas à négliger pour comprendre le
caractère opportuniste et dynamique des allégeances
partisanes. La formation des allégeances partisanes n'estelle pas
l'espace et le temps d'un certain "marchandage " politique suivant des
critères "économiques "
(au sens étymologique), de la compétition des
partis politiques sur le "marché des biens
électifs " ? Il faut enraciner la
légitimité politique dans les préoccupations
quotidiennes.
Des historiens ont bien montré que la
légitimité politique résulte bien souvent de la
valorisation
de qualités "économiques " bien
spécifiques, se rapportant à des formes de
clientélisme, relatives à la gestion de problèmes
domestiques concernant la subsistance matérielle, la
sexualité, la santé, la maladie et générant des
gains économiques au profit de "clients ".
86 Ibid., p.105
87 Ibid., p.105
Nous sommes ici au coeur de l'espace public où
s'exercent des dynamiques de pouvoir symboliques et matérielles.
La prééminence de la communication dans le champ
politique s'explique en ce que la fonction de mobilisation prend le pas sur la
fonction d'expression des idées et des idéaux et sur la fonction
de représentation.
Dans le champ politique s'établissent des
représentations sociales; cette façon de concevoir les
représentations sociales s'apparente à celle de
Murray EDELMAN qui s'intéresse aux constructions symboliques
par le biais du langage en politique, dans l'information, dans la
bureaucratie et les professions aidantes, entre autres, constructions
qui tissent les croyances sociales : caractère rationnel du choix
électoral, importance des élections pour l'établissement
des politiques gouvernementales, caractère rationnel et même
mécanique de l'application administratif et judiciaire des lois.
Le choix dépend donc de l'enjeu des élections,
des différents programmes et, bien entendu, de leur
crédibilité. La volatilité électorale est alors
expliquée par l'existence de ce type d'électeurs qui ne se
constituent pas prisonniers d'un parti mais choisissent leur candidat en
fonction des avantages qu'il peut leur procurer. Il faut relever les
capacités de résistance des citoyens face aux influences des
médias qui servent à véhiculer le message politique.
Les études de l'Ecole de Columbia nous renseignent
beaucoup à cet effet, sous le regard de
Tanguy WUILLEME 88
Les études relatives aux effets des médias
ou de la communication ont aussi été d'un grand apport.
Les études que l'on peut appeler inaugurales, sont
menées en 1940 par Paul LAZARSFELD et soulignent le fait que,
malgré une forte exposition aux messages politiques,
les électeurs continuent d'activer leurs croyances
et appartenances antérieures notamment envers les partis politiques
89. Ils révèlent aussi l'absence d'effets massifs de
la propagande sur
les électeurs et introduisent la thématique
de la fin de l'électeur rationnel, informé et
compétent.
88 Tanguy WUILLEME , L'étude des partis sous
l'angle de la communication politique : une mise en perspective. in
Les partis politiques, quelles perspectives ? ( sous la direction de
Dominique andolfatto, Fabienne greffet, Laurent olivier) , Paris, L'Harmattan,
2001, collection logiques politiques.
89 Lazarsfeld P., Berelson B., Gaudet H., 1944, The people
Choice : how the voter makes up his mind in a presidential campaign, New
York, Columbia university press
En premier lieu, force est de reconnaître que la
thématique de l'électeur rationnel conduit à
concentrer les études sur la réception, ou sur les leaders
d'opinion et non pas sur le « qui ? », c'estàdire sur
l'émetteur, notamment les partis politiques.
En second lieu, l'importance de la notion de groupe
d'appartenance dans l'analyse des déterminations du comportement de
vote maximise le rôle des variables à long terme et tend à
occulter l'analyse des facteurs à court terme.
Troisième méditation, celle des
réseaux. Et Frédéric SAWICKI de remarquer à
cet effet « le rôle des trajectoires sociales et
politiques qui déterminent l'acquisition de ressources et de
savoirfaire spécifiques à laquelle est liée la
constitution de réseaux d'interconnaissances, dont l'existence
même est susceptible de générer des formes
d'intérêt et d'affinités non évidemment
réductibles à l a position sociale des individus »
90
Les réseaux sociaux sont crées autour
d'objets multiples (clubs de pensée, groupes confessionnels,
spirituels, professionnels, etc.). La communication y occupe des espaces et des
temporalités invisibles à ceux qui n'y participent point.
Il apparaît donc que l'électeur ou le
récepteur développe certaines capacités de
résistances. Il prête une attention sélective aux messages
émis ou diffusés en fonction de ses contraintes, ses centres
d'intérêt ; de sorte que les messages sont
réévalués en fonction des différents paysages
mentaux et paradigmes. Et surtout, l'impact dépend des
relations interpersonnelles : LAZARSFELD souligne le rôle des groupes
de références et des leaders d'opinion proches du
récepteur. L'on peut bien être amené à croire que ce
dernier s'emploie souvent à réinterpréter
les contenus du message et du discours en fonction de ses
ressources culturelles.
Ainsi à la problématique des effets des
médias sur le public, s'est substituée la question de savoir ce
que les individus faisaient des médias. Elle a permis de mieux mesurer
l'impact de ces prétendus facteurs à court terme que sont
l'information et la communication.
La thématique de la réception a permis de
prendre en compte toutes sortes de publics en reconnaissant la
validité d'une approche vers les publics dits populaires comme vers les
plus instruits. Cet aspect permet de traiter toutes sortes de dispositifs de
communication politique s'adressant à des publics
différenciés (d'autant plus qu'au Sénégal il
existe un très fort taux
90 SAWICKI F., 1988, Questions de recherche : pour une
analyse locale des partis politiques, in Revue Politix, n°2,
pp.1327
d'analphabétisme). Il faut donc dépasser
« la démocratie des lettrés »91
car « le discours politique pour être opérant,
doit absolument épouser l'idiome local pour permettre à tous les
citoyens du haut et du bas , de comprendre et de s'approprier le
discours des hommes politiques » 92
Par ailleurs, si l'étude s'est portée sur le
récepteur dans son individualité, des ouvertures à un
aspect collectif se sont fait jour. La question s'est posée de
connaître l'impact du contexte et des appartenances de tous ordres sur la
réception d'un individu. Des tensions existent effectivement entre les
parcours, les inscriptions et les appartenances sociales des individus et la
réception qu'ils font d'objets médiatiques. Tensions qui
existent également entre les identités, les
expériences, les représentations des individus et ces
mêmes produits médiatiques. Toutes empêchent une
compréhension unilatérale de la réception et des effets
des médias.
Il convient ainsi de déplacer la question de
l'influence sur les comportements politiques vers la question de l'influence de
la communication sur les cognitions et les représentations que les
individus se font des situations politiques.
Les recherches en communication politique
révèlent alors la sensibilité des électeurs
à la conjoncture, à des facteurs de court comme l'information
médiatique.
La sensibilité à la conjoncture n'implique
pas, pour autant, que l'on dénie le poids des variables
à long terme93 mais si les préférences
stables existent, elles sont éclairées par l'information
à court terme sur la campagne et la situation de l'environnement. Les
électeurs développent des processus cognitifs de
recherche et de traitement de l'information en correspondance avec
les mécanismes persuasifs de l'information.
Il demeure aussi que la thèse de Tarik DAHOU sur le
rôle qui peut être valablement prêté à la
parenté est à relativiser dans une certaine mesure. En
effet, les relations hiérarchiques de la famille ne sont peut
être pas plus stables que les relations politiques. Les liens qui
unissent les membres de la famille évoluent et pas seulement en
fonction de cycles réguliers, mais également au
gré d' 'accidents de parcours' liés aux
transformations économiques ou politiques. Ces impacts de
l'environnement produisent des effets différents selon les
réactions
91 Pour reprendre les mots de Aminata DIAW in
Sénégal, Trajectoires d'un Etat (dir.), Dakar, CODESRIA,
Paris, Karthala, 1992
92 cf. cours de Sociologie électorale
93 GELMAN A., KING G., 1993, Why are American Presidential
election Campaign Polls so variable when votes are so predictable ?,
British Journal of Political Science, n°23
du groupe, car celuici répond à ces
variations par des stratégies nouvelles qui doivent être
accordées avec les stratégies individuelles; ce qui
ne va pas de soi. Les normes de comportement au sein de la
sphère parentale sont également l'objet de négociation en
fonction des rapports de force politique et ne se caractérisent pas
nécessairement par la stabilité.
C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place une
étude plus globale sur la communication politique en prenant en compte
l'ensemble des ces données mais aussi en travaillant avec les
producteurs des messages comme avec les récepteurs et les
médiateurs.
L'effritement du « ndiguel » 94
Les confréries ont toujours constitué au
Sénégal des lieux où les liens sont plus que solides. En
effet, outre l'influence spirituelle, elles ont une assise économique et
sociale certaine, qui leur permet de dégager des stratégies
susceptibles d'aider leurs membres à faire face aux divers
problèmes de la vie. On peut même dire que ces confréries
constituent une forme de hiérarchie sociale parallèle à
l'Etat, avec en leur sein des conditions particulières de
participation et d'action auto définie.
Néanmoins, en l'an 2000, on assiste à un «
effritement du soutien traditionnel » 95
En effet, la crise aidant, les politiques d'ajustement
structurelles inopérantes - « dont la politique modeste n'a
pas matière à se réjouir » 96 ,
l'éveil d'une conscience citoyenne mais aussi l'intervention des
intellectuels, vont accentuer la retenue des chefs religieux envers
l'action politique.
Il n'en demeure pas moins que certains marabouts vont
s'afficher totalement pour le soutien du pouvoir, sans pour autant pouvoir
garantir l'effectivité du vote de leurs disciples (talibés)
par le biais de la consigne de vote (ndiguel) . Ils avaient trop
tendance à perdre de vue le caractère secret du vote et le
passage obligatoire par l'isoloir, pour accomplir ce devoir civique.
Ainsi que le remarque, Linda J. BECK «
Dans la vie politique sénégalaise, depuis
l'indépendance, la « politique politicienne » a joué un
rôle fondamental pour la mobilisation
94 Employé ici au sens de consigne de vote
donnée par une autorité religieuse
95 cf. Amadou DIAGNE La problématique du changement
politique au Sénégal, mémoire de maîtrise de
science politique, UGB de SaintLouis, année 2000/2001, p.29
96 ZUCCARELLI F., La vie politique
sénégalaise 19401988, Paris, 1988, CHEAM, p.80
et la légitimation politique. Mais ainsi que
l'a clairement montré la défaite électorale du
président Diouf en mars 2000, la capacité des réseaux
clientélaires à assurer la réélection des candidats
sortants a été profondément remise en cause
par des forces multiples la démocratisation, l'urbanisation,
les migrations internes et les difficultés économiques de l'Etat
sénégalais » 97 .
Etudiant le sens de l'Etat au Sénégal, Donald
Cruise O'BRIEN relève que « le Parti socialiste
et le régime se singularisaient par la distribution
de faveurs et de ressources, de soutien aux clientèles, aux clans. Pour
ce faire, il passait par des intermédiaires, des personnes ayant une
audience locale, du prestige et de l'autorité. C'est ainsi que certains
marabouts, les chefs de confréries, sont devenus des grands
électeurs, donnant des consignes de vote à leurs disciples,
toujours en faveur du parti gouvernemental »98 . Mais des
changements vont s'opérer dans le fonctionnement de cette relation
à la fin des années 1980, en particulier à la suite du
ndigeul de
1988 lors de la présidentielle. Les disciples ont
montré à cette occasion qu'ils n'étaient pas
aussi obéissants qu'ils auraient pu en avoir l'air,
surtout en matière électorale. Le ndigeul de
1988 va provoquer une réaction sévère des
disciples, jusque dans la ville même de Touba. En effet, des lettres
anonymes ont été jetées pardessus le mur extérieur
de la résidence du Khalife Général des Mourides.
Les talibés font désormais la
différence entre le ndigeul en matière de
religion, toujours respecté et le ndigeul politique
qu'ils ne se sentent plus tenus de suivre. Ce changement important est
le signe palpable d'une extension du sens de l'Etat parmi l'électorat
sénégalais.
Le marabout n'a plus le mandat de parler ou d'agir pour les
talibés lors des scrutins.
L'effritement a aussi été secrété du
dedans par certains marabouts. En effet, à la présidentielle
de 1993, le Khalife Général des Mourides, Serigne
Saliou MBACKE décidait de ne plus donner
de consigne de vote à ses fidèles : il
sauvegardait ainsi son autonomie, préservait la confrérie des
éventuels ravages du factionnalisme politique, mais laissait aussi
entendre que l'Etat n'était plus à considérer comme la
propriété d'un seul homme politique, à savoir le
président toujours renouvelé.
Un autre dignitaire de la confrérie mouride, Serigne
Khadim MBACKE, dans une déclaration télévisée du
9 février 1988, appela à voter Wade contre Diouf car
97 Linda J. BECK, Le clientélisme au
Sénégal : un adieu sans regrets ? in Le
Sénégal contemporain (sous la direction de) Momar Coumba
DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés,Paris,
2002, p.529
98 O'BRIEN D. C., Le sens de l'Etat au
Sénégal in Le Sénégal contemporain
(sous la direction de) Momar
Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et
Sociétés, Paris, 2002, p.503
« quant à Abdou Diouf, il nous a
privé de travail et si Dieu veut le bonheur du peuple
sénégalais, Abdou Diouf ne sera pas réélu. Inutile
de continuer à prier s'il est réélu puisque Dieu nous aura
abandonné ».
Et lors du processus électoral en 2000, la
neutralité politique du Khalife Général des Mourides, qui
a renvoyé dosàdos le pouvoir et l'opposition, est tout à
fait symptomatique de la mutation que traverse la société.
Cette équidistance a mis en péril le ndiguel sur
lequel le système socialiste s'appuyait pour remporter les
compétitions électorales depuis 1951. Le pacte ne
connaissait plus sa vitalité d'antan.
Par ailleurs, à force d'appeler à voter en
faveur d'un chef de parti pour donner ensuite les consignes contraires,
certains marabouts vont effriter la base morale qui permettait au
ndiguel
de fonctionner. Il devenait de plus en plus
évident, pour les fidèles, que de telles consignes
résultaient d'un marchandage dont ils ne voyaient pas les effets dans
leur vie quotidienne.
En plus de ces leaders de la confrérie, plusieurs
fidèles ont été révoltés par la consigne de
voter pour Diouf, qu'ils considéraient comme le principal responsable de
la crise économique qui les frappait de plein fouet. En tout état
de cause, ces contradictions ont discrédité le mercenariat
maraboutique.
On peut penser que l'intrusion des marabouts dans les
processus de démocratisation est frauduleuse et porte un coup
sérieux à la libéralisation du jeu politique. De
plus en plus d'ailleurs, surtout dans les villes, les marabouts sont
désavoués dès l'instant où ils choisissent
de soutenir un régime décrié.
Dans la période de pré campagne et de
campagne pour l'élection présidentielle, une bonne partie du
peuple sénégalais semble avoir rompu avec la vision
obscurantiste qui concevait le pouvoir politique comme une affaire des dieux et
dès lors, le pouvoir spirituel n'avait plus à interférer
dans ses rapports avec ce même pouvoir politique.
A cet effet, les connexions et interactions politicoreligieuses
sont de plus en plus décriées par
les citoyens. Tels ces commerçants mourides de Sandaga
(grand marché de Dakar) qui se disent voter pour qui il veulent car
« pour le reste, Serigne Saliou ne nous recommande que le
travail
et l'adoration de Dieu ».99 .
99 Walf Fadjri du 15 novembre 1999
Le rejet se veut aussi critique et comme le note ce
couturier de Sandaga, « les ndigeuls des premiers khalifes
étaient désintéressés en ce sens qu'ils
reposaient sur l'intérêt de la collectivité. De nos
jours, les dividendes tirés des ndigueul
périphériques sont toujours en espèces et le
talibé n'en verra rien » 100 Naît une
certaine indocilité qui ouvre une nouvelle séquence
sociale. Au delà de l'apparence, c'est une remise en cause de
la société dont les valeurs et les fondements doivent
être réinterprétés et redéfinis. L'heure
n'est désormais plus à
la convenance sociale ; c'est celle de la rupture, cette forme
de résistance aux procédures de domestication de la pensée
et de subordination de la conscience. Et le talibé se trouve
seul face
à l'isoloir et à l'urne, échappant ainsi
à tout marabout, qui ne représente plus forcément une
garantie face à la montée de la contestation.
Le mouvement et l'évolution démocratique
vont corroder cette forteresse qui s'ouvre progressivement aux
vertus du pluralisme politique. Cette césure va créer les
conditions favorables à l'esprit de libre examen duquel les
talibés s'émancipent au fur et à mesure de
l'emprise du consentement social. On observera une érosion de ce pacte
historique, fait qui va fortement laminer le soutien rural du PS,
durement éprouvé par des années de réforme
économique. La tendance à l'affaiblissement du ndiguel
est une des données de structure du Sénégal sous
Abdou DIOUF. Elle s'explique par plusieurs facteurs largement
analysés par Sheldon GELLAR et dont les plus importants peuvent
être cités : 101
les conséquences de l'urbanisation sur le contrôle
des fidèles et adeptes par les marabouts ;
l'institutionnalisation de l'isoloir ;
la tendance des citoyens à faire la distinction entre
l'autorité politique et celle, religieuse, des marabouts ;
la réduction des ressources permettant à
l'Etat d'entretenir une clientèle de plus en plus nombreuse et
enfin l'action des organisations réformistes musulmanes.
L'absence de ndiguel ou sa fragmentation, le
versant moral de la crise et la paupérisation accentuée de
la population, ont semblé, pour certains candidats -dont le discours
politique était quelque peu religieux et culturaliste à l'image
de Iba Der THIAM, Cheikh Abdoulaye DIEYE
100 Ibid.
101 Voir les travaux de S. GELLAR, Le climat politique et la
volonté de reforme politique et économique au
Sénégal, Rapport préparé
pour l'USAID/Sénégal, Dakar, août 1997
et Ousseynou FALL ouvrir des espaces de mobilisation sur la base
d'une adhésion tacite à des valeurs supposées
partagées par la grande majorité de la population.
Mais les résultats du premier tour indiquent que les
sénégalais, ayant recouvré une citoyenneté, n'ont
prêté leur attention qu'aux propos qui avaient un rapport direct
avec leurs préoccupations quotidiennes qui se résument à
manger, se soigner, s'éduquer et se former, trouver du travail.
La particularité de cette élection de
février mars 2000 aura été l'autonomisation
en construction dans la société. Déjà, lors
d'une rencontre religieuse le 31 décembre 1999, au Stade Demba
DIOP de Dakar, le jeune marabout mouride Serigne Modou Kara MBACKE
surnommé le marabout des jeunes essuyait des huées
lorsqu'il cita le nom du premier secrétaire du PS, Ousmane Tanor
DIENG, présent à la cérémonie. Ce sera aussi le cas
quand, pendant le second tour, il déclare selon le quotidien Wal
Fadjri, que des « visions nocturnes inspirées par Ahmadou
Bamba » lui ont révélé que Diouf allait
vaincre au second tour. La réaction de certains fidèles
mourides a vite neutralisé les propos du jeune marabout
102
Dès lors, comment apprécier cette volonté de
séparer le religieux du politique ?
Elle traduit, d'une certaine façon, que
l'individu exige la reconnaissance publique de cette liberté qui
lui revient de droit. Il s'agit là de mutations sociologiques profondes
de la société, qui n'ont été perçues ni par
le pouvoir, ni par les 'marabouts grands électeurs' qui n'ont
pas vu
la transmutation, du fait de la crise et du pluralisme des
médias, du 'talibé' en 'citoyen' : cette
prise en charge par luimême de son propre choix est sans
aucun doute l'innovation sociale la plus importante.
Désormais, les rapports hommes politiques et citoyens
électeurs se tisseront face à face.
Section 2 : De « La politique par le bas »
Cette « politique par le bas » participe
de la naissance de nouveaux acteurs et de nouveaux modes de
légitimation ainsi que de nouvelles formes de représentation
sociale et politique. Ce
102 Wal Fadjridu 14 mars 2000.
qui aboutira à un engagement politique en nette
évolution dans le champ politique sénégalais lors de la
présidentielle de l'an 2000. Un engagement politique défini en
sociologie électorale comme comprenant plusieurs degrés
de participation au fait politique. « Il s'agit de
l'inscription sur les listes électorales en passant par le
vote, la recherche d'information politique, la participation actives aux
activités de campagne électorale des différents partis, le
militantisme dans un parti politique... ». 103
Il va de soi que dès lors que les valeurs et
les modes de représentation sociale et politique échouent
ou laissent entrevoir leurs limites, les citoyens se prennent à
'recréer l'ancien', mais avec leurs propres logiques et par de
nouveaux modes d'action populaires et politiques.
L'expression que nous empruntons à BAYART, MBEMBE
et TOULABOR104, nous fera évoquer le rôle
éminemment important des médias et de la
société civile sénégalais lors du scrutin de
l'an 2000 (A) ; ce qui ne saurait occulter l'action des citoyens qui fera
advenir « les conquêtes de la citoyenneté
»(B).
A Médias et société civile, les «
gardiens du temple » démocratique.
Le scrutin présidentiel de l'an 2000 aura
été le lieu de voir l'action majeure et sans doute
inédite de la société civile sénégalaise et
des intellectuels de manière générale. Cette
société civile se sera érigée en éveilleur
et en meneur, telle cette 'dame liberté' guidant le Peuple d'
Eugène DELACROIX. Les médias sénégalais vont
fortement participer à cet élan prouvant, par cette occasion,
la citoyenneté par la conscience que l'on a de ses devoirs et de ses
droits mais aussi des moyens que l'on se donne pour atteindre cette
citoyenneté. En ce sens, les médias et la
société civile sénégalais auront été,
à bien des égards, « gardiens du temple
»105 de cette démocratie.
103 Cours de sociologie électorale
104 cf. La politique par le bas en Afrique noire :
contribution à une problématique de la démocratie,
Paris, 1992,
268 p
105 KANE C. H., Les gardiens du temple, Paris, Stock,
1995
Le défi qui se pose aux démocraties consiste
à décentraliser le pouvoir politique. Il ne s'agit pas
de remplacer 'l'homme fort' du pays par des
centaines 'd'hommes à poigne' à l'échelon
local, mais bien au contraire de faire participer l'ensemble des citoyens
dans toutes le territoire du pays. Beaucoup d'associations qui militent
en faveur de la société civile à travers le monde
s'emploient principalement à financer, ne seraitce qu'en partie,
les activités susceptibles de promouvoir la participation des
citoyens à la vie politique locale et régionale. Il demeure aussi
que le débat s'installe et que le mot d'ordre est à la discussion
des moyens d'améliorer la gestion des affaires publiques.
Les caractéristiques qui font de la
démocratie une affaire parfois bruyante et troublante sont
précisément celles qui lui donnent son dynamisme et sa
souplesse.
C'est par l'entremise de l'inclusion et en
considérant leurs adversaires politiques comme des concurrents
et non comme des ennemis que les citoyens peuvent sauvegarder
leur démocratie.
Dans ce jeu, la société civile a sa partition
à jouer.
La société civile peut jouer un rôle
clé dans la défense des intérêts du public,
l'analyse de l'action des pouvoirs publics, la mobilisation des partisans de
la réforme et le maintien de la transparence.
Les associations que forment des citoyens
désireux d'améliorer leur société peuvent
éduquer l'opinion publique sur des dossiers fondamentaux,
mobiliser les esprits, plaider les causes d'intérêt
général et suivre le comportement et les réalisations des
élus. Manifestement, ce sont
là des fonctions qui ne gagnent pas toujours les faveurs
de la presse ni celles des personnalités
publiques, mais cette caractéristique ne les rend
que plus précieuses. Dans tous les cas, les citoyens militants
doivent garder à l'esprit que l'objectif doit être
d'améliorer la gestion des affaires publiques, et non pas de
démolir les institutions de l'État.
La liberté d'association a permis un renforcement et
une diversification toujours plus forte de la société civile,
qui constitue un autre symptôme de la vigueur du pluralisme au
sénégal. Les syndicats et les associations professionnelles
ne sont plus de simples appendices du parti au pouvoir.
Une société civile robuste et dynamique encourage
trois éléments essentiels à la démocratie : la
transparence, la participation et la dynamique de la réforme politique.
De par sa nature même,
le concept du gouvernement dans les règles de
l'art suppose la transparence des institutions politiques et
bureaucratiques. La société civile doit exercer une
pression sans relâche si elle veut sortir gagnante du combat
livré à la corruption dans les institutions publiques. Faute de
quoi, sa croisade se trouverait ravalée au rang de la démagogie
pure et simple.
Une société civile bien organisée donne des
moyens d'action aux démunis et elle décuple leur voix collective
dans la vie politique.
Les organisations sur lesquelles elle repose servent
à éduquer les citoyens sur leurs droits et leurs devoirs.
Elles incitent les citoyens à se battre pour les droits dont
la jouissance est indispensable à l'amélioration de
l'existence.
On est bien obligé d'admettre que les alliés les
plus fidèles de la réforme durable du régime politique se
situent généralement en marge du gouvernement. Il
n'empêche que les pouvoirs publics et la société civile
ont besoin d'agir d'un commun accord pour parvenir à imposer des
réformes véritables.
Qu'on ne s'y trompe pas : la société civile ne
saurait être un ersatz des partis politiques ni d'un encadrement
politique responsable. Bien au contraire. L'idée n'est pas de substituer
la société civile aux partis politiques, mais plutôt de
faire en sorte que cellelà complète ceuxci.
De même, il serait erroné de croire que la
société civile est par nature hostile au gouvernement.
Loin de constituer ce que Foucault, parlant de Don Quichotte,
appelle « un signe errant dans
un monde qui ne le reconnaissait pas
»106, la société civile
sénégalaise se sera beaucoup investie dans l'élection de
l'an 2000 et son impact aura été notable. En effet, elle va
susciter beaucoup
de débats sur son existence et sa
réalité et tout au long de la longue histoire politique
du
Sénégal, elle n'aura pas perdu cette «
capacité d'un groupe d'intellectuels donné à produire du
sens social, c'estàdire un ensemble d'idées signifiantes
socialement et donc en mesure d'informer une praxis collective »
107 C'est donc le réveil et la gestation d'une
'société civile' en dehors de l'espace
institutionnel. Ainsi voit on une frange de l'intelligentsia
exiger une présence plus significative dans l'Etat qui est
le vecteur même de la modernisation. En
106 FOUCAULT M., L'ordre du discours, Paris, Gallimard,
1999, 82 p
107 El KENZ A., L'Algérie : de l'espérance du
développement à la violence identitaire, in Les
libertés intellectuelles en Afrique, 1995, Dakar CODESRIA, pp.
4558
disqualifiant ainsi les acteurs de la politique politicienne
faite de clientélisme, de prébende et
de prédation, ces intellectuels entendent rénover
la pratique politique en la rationalisant par leur propre expertise, par la
technocratie.
Dans le scrutin de l'an 2000, la société civile
sénégalaise aura joué un triple rôle ; d'abord de
sensibilisation pour une inscription massive et d'éclairage des
électeurs ; ensuite de médiation entre les différents
acteurs dans la confection des listes et cartes électorales ; enfin de
contrôle
et d'observation. Elle aura ainsi montré que vigilance et
alerte doivent toujours l'occuper, du fait de sa neutralité
présumée visàvis des acteurs du jeu social et
politique.
Et comme le rappelle Bouba DIOP, Président du CONGAD,
« il ne faut pas que les autorités attendent que la
situation devienne complexe pour parler d'approche communautaire. Cela
doit être un acte quotidien ».
La presse sénégalaise aura beaucoup
contribué dans le combat pour un jeu démocratique
transparent lors de ces scrutins de l'an 2000. En effet, le processus
enclenché d'implication dans l'espace public et politique, par les
jeunes bul faale( T'occupes pas! Laisse passer!)
108)
et leurs prédécesseurs du set setal
(assainir, rendre propre), aura trouvé son achèvement
à travers le rôle joué par les jeunes reporters et autres
journalistes qui ont couvert les élections. C'est ainsi que «
l'émergence d'une presse privée a d'abord fortement
réduit le contrôle monolithique et l'influence
qu'exerçait le pouvoir politique sur les médias d'Etat.
Les journalistes ont joué un rôle capital dans l'ouverture
d'un débat sur la citoyenneté et les capacités
citoyennes, en traquant l'information et en la mettant à la disposition
du public, cette information permettant la création d'une opinion
et l'ouverture de débats sur des questions importantes »
109 . Le rapport du PNUD sur le développement
humain rappelle à ce propos qu'avec la presse privée,
« les populations sénégalaises disposent
désormais de sources
108 le terme a d'abord été utilisé par
le Positive Black Soul PBS, un des groupes de rap pionniers du mouvement hiphop
sénégalais. Il deviendra ensuite plus populaire grâce
à un jeune champion de lutte, Mohamed NDAO Tyson ,
considéré, comme le leader de la génération bul
faale. Il donnera au concept/slogan un contenu, en prônant en direction
des jeunes les notions d'effort, de rigueur, de discipline, de
persévérance et de respect de l'autre
109 DIOUF M., communication à la table ronde sur Les
médias contribuentils au développement de la citoyenneté
au Sénégal ? organisée par l'Institut Panos, BREDA,
30 avril 1998, pp.1317
d'informations variées, ce qui a un impact
direct sur leurs relations avec les classes dirigeantes mais aussi avec
le personnel politique dans son ensemble » 110.
En l'an 2000, les médias sénégalais,
surtout privés, se sont fait les supports et les
révélateurs des mutations économiques, sociales et
culturelles, parfois lentes et accélérées qui ont
généré ruptures et remaniements comportementaux mais
également de nouveaux types de représentation et de vision des
choses. Ils auront sans doute contribué à l'amorce de profonds
mouvements, de type citoyen, qui vont traverser la société
sénégalaise (et la traversent encore aujourd'hui), tout en
permettant aux populations urbaines comme rurales, d'avoir une
perception plus globale et un plus grand champ de vision des
réalités sociales, économiques et culturelles du pays.
Les journaux et radios privés, grâce
à des initiatives et innovations comme les émissions
interactives ( lu xew tey ou wax sa xalaat sur Sud FM et
Walf FM ) ont incité les citoyens à une plus grande
implication dans les affaires de la cité et à
une facilité d'expression du désenchantement, des
frustrations et des aspirations au développement. Grâce au
rôle des médias privés et à la mobilité
sociale entre le monde rural et les villes, les populations ont
commencé à voir le lien de cause à effet entre
la dégradation des conditions générales d'existence et
la responsabilité du pouvoir en place.
Et tout cela a trouvé à s'exprimer et à
se matérialiser lors de cette élection par le traitement et la
diffusion de l'information instantanément grâce notamment au
téléphone mobile et à Internet. Par cette magie du
mobile et de l'instantané, la presse va briser cette
linéarité et cette bipolarité, en aidant à
l'instauration de réseaux de communication et de courroies de liaison
plus vastes. Ces médias ont ainsi été d'efficaces outils
d'unification, de démocratisation et de diffusion des aspirations
populaires et des manifestations de liberté. Ils auront
constitué un grand et solide espace de construction et
d'expression d'une conscience citoyenne, d'une identité collective,
de référents patriotiques et de réseaux de
resocialisation. Ils auront surtout permis une certaine désacralisation
de la classe politique, en se faisant l'écho et la critique des actions
et de la gestion des autorités politiques et des pouvoirs
publics. « Ils ont ainsi su représenter pour les
populations un puissant phare qui jette un éclairage quotidien
sur les péripéties et les tumultes, les erreurs et les
dérapages des pouvoirs. Ce faisceau lumineux a
révélé d'immenses plages de liberté d'expression
à des populations jusqu'à présent
cantonnées
110 PNUD, Rapport national sur le développement
humain, année 2000, p.175
à des rôles de récepteurs et a
représenté une caisse de résonance pour l'opposition
politique à
l'ancien régime socialiste et à tous les sans
voix qui n'avaient pas droit au chapitre » 111
La presse aura donc été audelà de
sa mission informative, en s'impliquant dans un esprit d'éveil
des consciences, dans une démarche d'éducateur, de
pédagogue. Participant ainsi à l'édification d'une
conscience citoyenne notamment par l'usage des langues nationales et
particulièrement le wolof censé être plus
véhiculaire. Ce qui a eu une portée pédagogique
certaine, dans la mesure où il a été imposé aux
protagonistes du jeu politique qui, jusqu'ici, affectionnaient le
français à l'endroit d'un peuple grandement analphabète.
Cette
'sénégalisation' des programmes
radiophoniques est sans conteste une reconquête de l'identité
culturelle sans laquelle le renouveau social est un simple
fantasme.
Et dans le domaine purement électoral, quand
l'opposition spécule sur la fraude, la presse fournit des
pièces à conviction et renforce la vigilance des
citoyens. Ce faisant, la frange de l'Administration peu acquise au principe
de la neutralité, est mise en demeure de rester fidèle
à
la loi sous peine d'être jetée en pâture
à l'opinion publique.
B « Les conquêtes de la citoyenneté
»112.
En l'an 2000, la société
sénégalaise offre un visage très particulier : elle
est une société de
privilèges pour les uns et de privations et
d'injustices pour les autres et se caractérise de plus en plus par les
grandes inégalités qui se sont creusées au fil du
temps, au sein des populations entre des catégories sociales.
Ainsi se côtoient d'une part, et de manière très
ostentatoire, le luxe et l'opulence les plus tapageurs d'une minorité
et, de l'autre, la pauvreté, le dénuement, la misère et
les privations de couches de plus en plus importantes de la
société.
111 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et
mutations: citoyennetés en construction, in Le
Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba
DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris,
2002, p.594
112 Nous empruntons l'expression à NDIAYE A. M., et SY A.
A., Les conquêtes de la citoyenneté Essai politique sur
l'alternance, Harmattan, Paris 2001
Devant l'absence ou l'insuffisance des solutions
proposées par les pouvoirs politico administratifs à la
forte demande sociale, et face à l'interventionnisme et les abus des
chefferies religieuses dont les intérêts avaient
beaucoup d'interférences et d'imbrications avec le politique,
l'électorat sénégalais, par un long processus de
mûrissement dont l'an 2000 ne semble être que l'aboutissement,
va finir par se décider à prendre en main son destin, tout en
s'octroyant un droit de regard, d'appréciation et de sanction
sur ceux qui sollicitent son adhésion et son suffrage.
Ainsi à l'opposé de la thèse d'un
certain fatalisme quasi structurel, les sénégalais
présentent une auto prise en charge de leur destin et ce, dans les
franges sociales les plus significativement déterminées parce
qu'étant les plus touchées par les effets de la crise.
L'engagement de ces catégories sociales, leurs implications, rôles
et actions et leur vision affichée de ce que devrait être la
société, auront constitué de sérieux indicateurs
à prendre en compte.
Face à cette prolifération des facteurs de
stress et à la massification des mécontentements sociaux,
les populations éprouvent de plus en plus des difficultés
d'utilisation judicieuse des systèmes de représentations, de
défenses et de régulation des tensions sociales et des conflits
individuels ; ce qui est déjà en soi un facteur de
fragilité et de vulnérabilité. Et les réactions de
survie apparaissent très vite.
Ce scrutin de l'an 2000 aura été
l'aboutissement d'un processus long de maturation individuelle et
collective qui a permis aux sénégalais d'aller vers
l'alternance.
De nos jours, la mobilité sociale fait que chacun est
condamné à se forger son propre destin, souvent en dépit
et en dehors de sa famille, de son groupe de naissance et est tenu de se donner
une place et un statut, de par sa compétence et ses
mérites personnels. « Et si une telle évolution
confère à l'individu une certaine solitude, elle n'en constitue
pas moins un facteur d'émancipation de celuici du carcan social et
culturel, voire de la tutelle familiale »113. Tout part
de la rupture du contrat social: les difficultés de la vie
quotidienne vont induire des stratégies de survie dont la
saturation, articulée aux multiples dysfonctionnements, aura
largement contribué à la maturation de certains segments
de populations qui vont prendre conscience de limites objectives des
institutions sociales, des pouvoirs politiques, à prendre
113 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et
mutations: citoyennetés en construction, in Le
Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba
DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris,
2002 p.577
convenablement en charge leurs aspirations et
préoccupations. C'est ainsi qu` « au sein des classes
moyennes, la sphère familiale est progressivement désertée
au bénéfice de la rue et de l'informel, qui sont devenus des
espaces d'expérience de recréation d'une identité, tandis
que
la précarité de la vie sociale et
l'improvisation, après avoir été
génératrices de solitude, de
désarroi et d'insécurité, sont devenues
des facteurs de maturation » 114
Le désengagement de l'Etat, la libéralisation
économique, et la nécessité, pour la population, d'assurer
sa survie dans un environnement économique de plus en plus hostile, ont
suscité le développement d'associations populaires autonomes
et dynamiques, construites autour des modes d'organisation traditionnels et
ont favorisé, surtout en milieu urbain, l'expansion rapide
su secteur dit 'informel'.
Le recul de l'Etat, l'ouverture du champ politique depuis
1981, l'autonomisation de plus en plus affirmée de la
société se sont traduites, d'une part, par l'émergence de
nouveaux acteurs, de nouvelles figures comme celle du moodu moodu ou
du rappeur à côté de celle de plus en plus
évanescente du penseur et d'autre part, par la constitution de nouveaux
répertoires et champs symboliques.
Ce qui a eu pour conséquence de cabrer davantage
un électorat qui a mûri et est largement
conscientisé sur l'importance de la carte d'électeur. Et
l'abaissement de l'âge du vote à 18 ans
a par ailleurs, permis à la jeunesse de
s'inscrire en masse sur les listes électorales, pour sanctionner
un régime qui tardait à trouver des solutions à
ses problèmes. Et persiste cette tradition qui veut que «
vox populi, vox dei » (parole du peuple, parole des dieux); comme
pour dire avec la carte d'électeur, que certes c'est Dieu qui choisit,
mais qu'Il passe par le peuple qui élit. Ce qui sans doute est
compris au regard du fort taux de participation électorale car
un grand nombre de citoyens qui n'avaient jamais voté ou qui avaient
renoncé à accomplir ce droit devoir civique pour causes de
fraudes, ont procédé à leur (ré) inscription
sur les listes électorales : puisque « Ma carte
d'électeur, ma force ! » (Slogan diffusé à
travers les médias et incitant à l'inscription sur les listes
électorales et au retrait des cartes), force devait lui rester.
Aujourd'hui, le pouvoir que la carte d'électeur confère au
citoyen fait de lui le véritable acteur mais aussi arbitre du jeu
politique et démocratique.
114 Ibid., p.580.
En l'an 2000, les jeunes et les femmes vont se redéfinir
par rapport à un ordre symbolique en déconstruisant le consensus
sur lequel étaient érigés sa légitimité et
son régime de validation.
Les formes d'intervention de la jeunesse dans l'espace
public et politique ont été plurielles mais elles marquent
surtout l'échec des politiques d'institutionnalisation des modes
d'actions politiques. Cette frange juvénile va s'inscrire dans une
logique de rude confrontation avec le système.
Le mouvement élève et étudiant a
été le fer de lance de cette confrontation du fait de
sa capacité à formuler sa propre demande par rapport au reste de
la société mais aussi à cause du lieu particulier et avec
ses réalités propres ou cette formulation se fait. Cette
implication dans
le champ politique traduit une appréhension face au
destin avec le chômage des diplômés,
l'insuffisance des bourses, la surpopulation du campus surtout de
Dakar...ce qui va contribuer
à nourrir et à mûrir un sentiment de
défiance à l'endroit du pouvoir. L'école a beaucoup
suscité
de débats et de passions, de révoltes aussi et
nombre de revendications. La réforme universitaire
a en effet, dépossédé le
diplôme du baccalauréat de son aura magique, celle, pour
des nombreux jeunes, d'une possible ascension sociale avec l'entrée
automatique à l'université. A celleci est venue se substituer
une admission à l'université ; ce qui est ressenti comme
une profonde injustice et parachève de désorienter une
jeunesse dont les espoirs et illusions se brisent devant les murs de ce
qu'ils considèrent comme de l'exclusion.
Deux nouveaux modes d'action populaires mais aussi de
déconstruction vont ainsi apparaître, à
travers le set setal et le rap, et donner corps à
cette « politique par le bas ». Cette jeunesse, avec
le set setal et le rap a voulu rapporter la norme
politique à une norme éthique et esthétique. Ainsi se
forme ce que Achille MBEMBE appelle « un acte d'accusation de
la logique des anciens »115 . Par delà ces
phénomènes, les jeunes somment le reste de la
société de repenser la politique et la modernité. Cette
'politique par le bas' va peu à peu s'ériger en
concurrent de 'la démocratie des lettrés'.
Le discours se construit positivement autour du pôle de
l'équité qui intègre toute la société
dans
le mythe du développement, qui ne peut plus
être opératoire à partir du paradigme de
115 MBEMBE A., Les jeunes et l'ordre politique en Afrique
noire, Paris, L'Harmattan, 1985
l'exclusion. « Le sopi que s'est approprié
la jeunesse est moins une contestation interne au champ politique qu'une
irruption ou éruption du social dans le politique
»116.
Le discours des rappeurs s'insurge contre ce que Souleymane
Bachir DIOP appelle la perte de sens due à la force corrosive de la
pauvreté. Plus qu'une crise des valeurs, c'est une crise des
modèles qui est indexée à travers les pratiques
autour d'institutions sociales telles que le baptême, le mariage et
les funérailles (Bill Diakhou), les transactions sociales et
financières révélatrices de moeurs
délétères d'une classe sociale embourbée dans
la luxure alors que l'écrasante majorité de la population
se débat dans les affres de la pauvreté. « Ce
sont ces modèles en crise, fruits naturels de la modernisation, qui ont
hypothéqué le Développement et
les conditions de possibilité de tout futur pour les
jeunes » 117
Mais ce qui reste marquant dans ce réveil du
'Sénégal d'en bas' c'est que la jeunesse a «
pour une fois, transformé ses frustrations, sa hargne, ses
revendications, son agressivité et sa violence habituellement
exprimées dans des conduites de révolte et de casses,
saccages et bagarres de rue, en détermination citoyenne. En effet, par
son vote et par sa vigilance, cette jeunesse gardienne du scrutin et du respect
des suffrages en février mars 2000, s'est imposée comme une
entité sociale avec laquelle il faudra désormais compter
» 118Ainsi, le bul faale
(T'occupes pas! Laisse passer!) a été
un vaste mouvement de refus et il sera dans le hiphop sénégalais,
symbole de ce refus des jeunes, un fédérateur de toute une
génération de rupture, en défiance à l'endroit
des politiques. Il traduit la vision de cette jeunesse, sa
révolte par la banalisation, sur désir d'émancipation
et d'affirmation d'une identité sociale. Ce front est à
situer dans la logique des ruptures plurielles qui caractérisent
nos sociétés, malgré bien des conservatismes
irréductibles et des conflits de générations.
Cette musique va donc émerger et s'imposer comme une
communication qui s'émancipe des modèles conventionnels et qui
s'adresse à la fois aux jeunes, aux pouvoirs publics, à la
société des adultes et aux parents.
116 DIAW A., Les intellectuels entre mémoire
nationaliste et représentations de la modernité in Le
Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba
DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris,
2002, p.569
117 Ibid., p.570
118 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et
mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal
contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala,
Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002 p.587
Le flagrant nonrespect, par les jeunes notamment, des
consignes de vote de bien de chefs religieux, traduit une certaine forme
de désaveu et surtout une maturité et une responsabilité
civiques de cette frange de la population électorale.
Le mbalax aura aussi aidé à apaiser les
tensions et le conflit inhérents au jeu politique à travers
notamment l'icône que vont constituer deux jeunes artistes, Pape
et Cheikh, qui avec leur mythique « nuni nena » (c'est nous
dans nous) vont s'imposer comme des régulateurs, dans un scrutin
gros de tension et lourd d'incertitudes.
Les chemins de la dignité étant
désormais balisés, les conquêtes de la
citoyenneté sont réaffirmées. Mais, « ce n'est
pas le poids électoral de la jeunesse qui a été
déterminant dans l'avènement de l'alternance politique au
Sénégal (en février mars 2000), mais la
surveillance
du scrutin, dès avant le premier tour. Toutefois, par
ses initiatives autonomes hardies lors des
scrutins, cette jeunesse, même dans sa composante
partisane, s'est émancipée des cadres de contrôle des
partis traditionnels et a posé le principe de son existence en tant que
force en soi
et pour soi » 119
L'on aura aussi noté l'envahissement du champ politique
par cette jeunesse. L'irruption dans le champ politique, selon des
modalités parfois violentes, consacre l'investissement dans le
présent et le refus de la vie à vivre dans le futur, selon le
schéma de la classe dirigeante. Elle atteste du rejet par les
jeunes des places qui leur sont assignées par le pouvoir
politique jeunesse espoir de demain et par la tradition dont les perspectives
de soumission des cadets aux aînés, des femmes aux hommes, sont
répétées à longueur d'émissions
radiotélevisées sous
le vocable de « crise des valeurs » ou de
« démission des parents en matière d'éducation
des enfants ».
Les femmes ne vont pas être en reste dans ce vaste
mouvement de conquêtes citoyennes ; Parce que constituant plus de la
moitié de la population, elles exigent maintenant que la
société les reconnaisse comme des citoyennes majeures, elles
qui, en tant que mères, « enseignant les règles
élémentaires de la vie, le langage et l'amour et prodiguent les
soins maternels prolongés qui sont la source première de la
sociabilité humaine »120. Désormais, plus
que des sentinelles
du passé, elles sont des agents de
développement ; leviers du tissu socio économique mais
119 cf. article de PAYE M., En genre et en nombre,
Sud Quotidien du 28 février 2001, p.2
120 BADINTER E., L'Un est l'Autre, Paris, Editions
Odile Jacob, 1986, p.40
aussi femmes et maris à la fois puisque dans leur
quête d'émancipation, « goorgorlu war na goor te war
na jiguen ! aye leen ! » (La débrouillardise incombe tant
à l'homme qu'à la femme ! Alors en avant !)
121
Les femmes revendiquent donc une participation
significative à la vie politique nationale, puisqu'elles
constituent la majorité de l'électorat avec les jeunes et
avec un slogan tel que « démocratie, ou estu ? »,
elle l'ont réclamé fortement, en actes et plus dans les
discours.
Se lit à travers ces changements, la reconnaissance de
l'importance du suffrage et la force qui s'attache à la carte
d'électeur, indice de participation politique ; c'est aussi la
croissance de l'individualisme et du sens de l'Etat. L'idée d'un Etat
démocratique au Sénégal ne peut plus être
présentée comme une mauvaise plaisanterie ou une coquetterie,
l'électorat ayant désormais
la preuve du pouvoir de la carte électorale. Le
lien entre l'individu et l'Etat se voit ainsi
renforcé de même que sa liberté.
L'objectif est donc de faire partie non pas des citoyens que l'on compte,
mais de ceux qui comptent. On en revient à la
sempiternelle question shakespearienne d' « être ou ne pas
être ».
Comment apprécier cette citoyenneté reconquise ?
La société sénégalaise a
entamé une expérience sociopolitique nouvelle à
situer dans les profonds changements dont les contours restent encore
difficiles à cerner mais dont les enjeux sont importants. On y lit une
forme certaine d'émancipation des individus visàvis des
familles
et des groupes.
Mais face aux conquêtes de la citoyenneté,
une interrogation subsiste : « S'agitil là de nouveaux
types de mécanismes collectifs de défense ou de simples
réflexes éphémères de survie
ou bien alors ces facteurs relèveraientils et
participeraientils en même temps, de mentalités et
de conduites de rupture véritable et de
patriotisme, gages de maturité et prémices d'une conscience
citoyenne et d'une société civile émergente ? »
122
121 générique du célèbre sketch
inspiré de la BD de Alphonse MENDY alias `TT Fons', journaliste
satirique et adapté au petit écran; dans « Les aventures
de goorgorlu » , goor, le héros se démène pour
assurer la dépense quotidienne DQ
122 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et
mutations: citoyennetés en construction, in Le
Sénégal
contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP,
Editions Karthala, Collection Hommes et
Sociétés, Paris, 2002 p.595
Il y'a d'abord le changement profond du rapport entre le
citoyen et le pouvoir politique d'une
part, et entre ce même citoyen et certains cercles
religieux, d'autre part ; cercles auxquels il est demandé de
façon on ne peut plus explicite, de ne plus s'immiscer dans
l'exercice du libre arbitre du citoyen notamment dans celui de ses
droits civiques et dans l'expression de ses revendications en tant que
citoyen qui tient désormais à demander des comptes à ceux
qui le gouvernent.
A travers cette mentalité
d'autodétermination, les velléités de plus en plus
manifestes de l'implication citoyennes des sénégalais, se
dessinent, en pointillé, les contours d'un nouveau type de
sénégalais en gestation et qui, à terme, ne peut
que produire un homme libre, responsable et affranchi de bien des
pesanteurs des tutelles familiale et 'grégaire' . Ce qui, selon
Mamadou MBODJI « ne devrait pas être une finalité
en soi mais une étape qui requerra l'instauration d'un nouveau
ciment de cohésion, d'appartenance, de concordance et de
solidarité »123. A charge, pour cela,
à l'Etat d'oeuvrer à « l'ancrage de toutes ces
mutations dans une optique citoyenne, dans un esprit républicain »
124
Tirant la conclusion des résultats au lendemain
du second tour du scrutin du 19 mars 2000, l'ancien Ministre socialiste
chargé des relations avec les Assemblées, Papa Babacar MBAYE dira
que l' « une des principales leçons qu'il faut tirer de cette
situation, c'est que les citoyens
ont recouvré leur plénitude, leur
liberté de choix et c'est un acquis qu'il faut saluer ».
123 Ibid., p.598
124 Ibid., p.598
CONCLUSION GENERALE
A l'entame de cette investigation scientifique, l'objectif
aura consisté à tenter de voir comment
les partis politiques sénégalais et plus
particulièrement, le PS et l'AFP, avaient présenté
leur discours politique aux électeurs susceptibles de leur accorder leur
suffrage. Il s'agissait aussi logiquement d'en apprécier les
éventuels impacts sur le public ciblé pour cette
circonstance historique qui s'est attachée à la
présidentielle de l'an 2000 au Sénégal.
Mais au regard de cette étude, l'on serait bien
tenté de conclure à un bilan mitigé car le discours aura
relativement été perçu et le message reçu, dans une
certaine mesure. Force est cependant
de reconnaître que cet impact est à
relativiser car le citoyen récepteur est loin d'être un
innocent spectateur et totalement perméable face aux stimuli
qui lui sont transmis. Et la complexité que recèle le
phénomène politique et électoral, promet tout pronostic ou
prédiction
à la faillite et il n'y a rien de plus volatile qu'une
intention de vote.
En effet, dans la communication, le plus compliqué
n'est ni le message, ni la technique mais le récepteur et avec le
marketing politique, les idées ne suffisent plus vraiment pour
être élu. Cela témoigne sans doute des capacités de
résistance et la marge de manoeuvre qui reste propriété
exclusive de l'individu. Cet individu est produit d'un environnement,
fruit d'un répertoire culturel, social et sociologique et parfois,
sujet d'un contexte auquel il ne saurait pas toujours se soustraire et
échapper. L'on en vient même à se convaincre
que « la personne pense politiquement comme elle est socialement
» ; qu'autrement dit, « les caractéristiques sociales
déterminent les préférences politiques ».
Par ailleurs, la campagne électorale de février
mars 2000 aura mis en évidence une capacité citoyenne en
gestation à travers l'absence de consigne de vote ou son
manque d'impact, les initiatives des associations de femmes, de jeunes ou des
organisations pour la promotion des
droits humains, la forte implication des médias et de
la société civile dans le débat politique avec notamment,
l'ouverture d'espaces de discussion, d'interpellation ou de critique
où les intellectuels ont beaucoup contribué.
Il semble bien que l'on assiste à un nouvel ordre
symbolique en dehors du référentiel de l'Académie.
Tel nous semble être le sens de l'appel du philosophe Ousseynou KANE qui
« prie
du fond du coeur pour qu'on chasse ces
marchandslà du temple sacré, avant qu'ils ne le
souillent de leurs moeurs corrompues »
125
Ce cri du coeur n'est pas fortuit car le peu d'incidence ou
l'impact plus ou moins relatif du discours politique en l'an 2000 semble
découler d'une mésalliance entre la logique morale et la logique
politique ; ce qui ne peut que militer en défaveur des
communicateurs politiques. Et
« les promesses électorales n'engagent que ceux
qui y croient » a fini de constituer la vérité la
mieux partagée de nos jours, rythmés par les
immenses conquêtes de la citoyenneté.
Mais les défis subsistent encore car « si
le dominateur tomba (...) ce qu'il y avait de plus substantiel dans
son oeuvre resta debout ; son gouvernement mort, son administration
continua de vivre et toutes les fois qu'on a voulu depuis abattre
le pouvoir absolu, on s'est borné à placer la tête
de la liberté sur un corps servile »126;
avec les comportements et les discours qui n'ont pas fondamentalement
changé, l'on est passé à cette situation que Jean
François HAVARD qualifie « de la victoire du sopi à
la tentation du nopi » 127
En lieu et place du discours des hommes politiques (le haut)
à destination des citoyens (le bas),
se déploie un mouvement contraire car le peuple
réclame la parole et entre en scène...il veut un nouveau type
d'homme politique, un nouveau discours politique bref, aller vers un
renouveau
du champ politique sénégalais. Les
dynamiques d' « en bas » agissent et
réagissent, redéfinissant et recréant son propre
répertoire. La communication politique en est certes à ses
débuts sur la scène politique sénégalaise, du moins
telle que celle de l'an 2000, où l'image et le
125 cf. article de KANE O., « La République
couchée » , Quotidien Wal Fadjri numéro 2744
du 8 mai 2001
126 TOCQUEVILLE de A., L'ancien régime et la
révolution
127 Revue Politique Africaine, numéro 96, décembre
2004, Sénégal 2000/ 2004, l'Alternance et ses
contradictions, p.22
discours ont été très prégnants
faisant penser au show à l'américaine ; et avec l'essor fulgurant
des NTIC et la multiplication des médias ou véhicules
d'information, nul doute, que de belles pages s'ouvrent encore...il reste
à savoir quelle crédibilité l'électorat
sénégalais, devenu de plus
en plus exigeant, pourra accorder aux leaders politiques.
Nous le notions dès les premières esquisses de
notre analyse : la scène politique nous offre des
événements et des phénomènes fort
intéressants pour ne pas être appréhendés et
étudiés. Avec l'Alternance de l'an 2000 et le chemin
parcouru jusqu'ici par la démocratie sénégalaise,
beaucoup reste à découvrir au regard de l'instabilité
politique actuelle et de ce que l'on serait tenté d'apprécier en
terme d'ordre politique relâché : ce qui est plutôt
permanent en politique, c'est le changement...le sopi n'aura jamais
connu autant de regain d'intérêt et suscité tant de
passions et débats, qu'au cours de ce scrutin présidentiel de
l'an 2000.
Mais quelle lecture pourrait on en faire, aujourd'hui,
cinq ans après ce formidable élan démocratique ?
That's the question !
QUESTIONNAIRE ADMINISTRE
1Avezvous voté lors de la Présidentielle de
l'an 2000 ?
2Etaitce pour la première fois ?
3Qu'est ce qui a poussé à aller voter ?
4Avezvous suivi et/ou participé à la campagne
électorale des partis politiques ?
Meetings
Rencontres avec des responsables politiques
Télévision
Radio
Presse écrite
5Est ce que la politique communicationnelle des partis politiques
a pu influencer votre vote ?
6Sinon pourquoi êtesvous allé accomplir votre
devoir de citoyen ? (Y'a til eu d'autres logiques sociales, culturelles ou
religieuses)
7Comment percevezvous le discours des hommes politiques surtout
en campagne électorale ?
8Quelle appréciation faitesvous de la transhumance dans le
champ politique sénégalais ?
9Comment appréciezvous la place de l'argent dans le champ
politique sénégalais, surtout lors des périodes
électorales ?
10Est ce que depuis l'avènement de l'Alternance, la
manière de gouverner et de gérer a changé
par rapport à l'ancien régime ?
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