4. Directives et
législation européenne :
Il est devenu nécessaire et urgent de trouver des
solutions aux problèmes qui se posent concernant les auteurs.
C'était déjà le sens du message qui avait
été communiqué par les chanteurs pendant la
cérémonie des Victoires de la musique en 1999, et la
démarche d'une délégation d'artistes, conduite par Nana
Mouskouri et Jean-Michel Jarre, qui a remis une pétition au Parlement
Européen pour demander une loi qui leur garantirait le droit exclusif
d'autoriser ou d'interdire l'utilisation de leurs oeuvres sur le Net notamment.
Le Parlement Européen a finalement adopté, le 10 février,
un projet de directive protégeant les droits des artistes dont les
oeuvres sont diffusés sur les réseaux comme Internet. Le principe
: étendre la législation existante sur les droits d'auteur et des
droits voisins aux nouvelles technologies de la communication, et notamment,
là encore, à Internet. Ce texte a normalement été
ratifié dans les semaines suivantes par le Conseil des ministres de
l'Europe.
Mais surtout, les professionnels de la musique appellent de leurs
voeux des solutions techniques qui empêcheraient les copies sauvages. En
attendant le Ministère de la Culture a proposé une solution
transitoire prévoyant une rémunération sur la copie
numérique. Les producteurs qui considèrent que cette compensation
sera minime demandent que la période de transition soit la plus
brève possible.
"Dès que nous avons repéré un serveur qui
propose des fichiers de musique, indique un membre du Directoire de la Sacem,
nous envoyons à son créateur un message électronique lui
demandant de cesser sa diffusion. S'il n'obtempère pas nous lui envoyons
un nouveau message plus menaçant puis nous nous adressons au service qui
l'héberge. Ce système marche plutôt bien jusqu'à
présent. Mais il y a aussi le cas des services en ligne et des sites qui
souhaitent utiliser légalement des morceaux de musique pour enrichir
leur contenu. Dans ce cas, nous leur proposerons des tarifs au forfait ou en
fonction des recettes."
Les sociétés d'auteurs travaillent aussi sur une
sorte de plaque d'immatriculation des oeuvres, l'"International Standard Work
Code", qui permettrait d'identifier un morceau et de suivre sa trace sur
n'importe quel type de support. Comme un filigrane, ce code sera
incorporé aux oeuvres numériques sans qu'il soit possible de le
retirer. Les copies ne pourront être réalisées
qu'après versement des droits qui s'y rattachent.
Reste à résoudre le problème de
l'internationalisation de ce procédé. Face à la menace
MP3, l'industrie du disque cherche aussi une alternative placée sous son
contrôle. Avec différents acteurs de l'informatique et de la
communication, les éditeurs et les producteurs de musique ont ainsi
lancé l'initiative SDMI ou Secure Digital Music Initiative, initiative
de protection de la musique numérique, qui doit notamment
développer un standard d'enregistrement impossible à pirater.
La responsabilités des contenus créés sur
Internet crée un vrai casse-tête juridique. Entre juin 1998 et
février 1999, le nombre de sites créés sur Internet en
France a été multiplié par dix. Sur 2,2 millions de
français abonnés à un fournisseur d'accès, nombreux
sont ceux qui utilisent les services de ce dernier pour créer leurs
propres pages web. Ils deviennent ainsi de véritables éditeurs de
contenus, sans être conscients des responsabilités que cela
engage. Cette nouvelle liberté d'expression entraîne la
multiplication des plaintes. L'AFA par exemple, Association des Fournisseurs
d'Accès et de services Internet reconnaît, par la voix de son
président également dirige du fournisseur d'accès Infonie,
que son association sert quotidiennement de médiateur pour régler
des problèmes à l'amiable.
"Quand une personne morale ou physique estime subir un
préjudice, elle s'adresse à l'AFA, qui prend contact avec le
fauteur de troubles".
Autre exemple, le responsable d'Altern, un hébergeur de
sites Internet, confirme qu'il reçoit pratiquement une plainte par
semaine. Il en étudie la pertinence et fait retirer le contenu litigieux
si la plainte est justifiée. Mais, dans de nombreux cas, il ne peut se
prononcer et attend donc une enquête de police pour révéler
les informations techniques qui permettent de lever l'anonymat de l'auteur.
Lorsque les avocats veulent obtenir des dommages et
intérêts pour leurs clients, ils assignent les prestataires
techniques (hébergeurs de sites ou fournisseurs d'accès). Ces
derniers font figure de cible idéale puisqu'ils forment la partie la
plus facilement localisable de la Toile. Tout le problème est de savoir
si ces prestataires techniques peuvent être tenus pour responsables des
contenus qu'ils hébergent.
Le 10 février 1999, la décision de la Cour d'appel
de Paris condamnant Altern à 405 000 francs de dommages et provisions
pour avoir laissé diffuser des photos d'Estelle Halliday nue, a
semé la confusion. "Pour cette affaire, les magistrats n'ont
été saisis qu'en référé d'une
procédure rapide qui ne leur permet pas juridiquement de trancher le
fond de l'affaire", font remarquer Maîtres Francois Bloch et Martin
Guichardon, spécialistes de la question au sein du cabinet Clifford
Chance. Est-il souhaitable que les fournisseurs d'accès et autres
professionnels d'Internet soient sanctionnés à la place des
véritables auteurs afin de les forcer à contrôler ce qui se
passe sur le Réseau ? s'interrogent les deux avocats.
Cette décision n'a pas manqué d'encourager d'autres
plaignants. "Au lendemain de la décision, la RATP et la
Confédération Nationale du Travail CNT ont assigné Altern
en référé auprès du Tribunal de Grande Instance de
Paris". S'estimant victime d'un site satirique hébergé par
Altern, la RATP attaquait à la fois l'hébergeur et l'auteur.
Toutefois le 22 mars 1999, elle s'est désistée de la
procédure. Cependant, le 15 avril suivant, le tribunal de grande
instance de Paris a dû juger en référé la plainte de
la CNT contre un message diffamatoire diffusé sur un forum de discussion
hébergé, là encore, par Altern.
L'AFA a édité un code de conduite interne, texte
rédigé à l'attention de ses membres et instituant les
pratiques et usages en matière de réseaux, public notamment. Ce
document prône l'autorégulation par les professionnels. Les
condamnations contre les prestataires techniques pourraient conduire ces
derniers à décider de ne plus offrir à leurs
abonnés des pages personnalisées. En cas d'interdiction, les
clients se tourneraient vers des fournisseurs d'accès étrangers,
très difficiles à traduire en justice, et les professionnels
français risqueraient d'être rapidement étouffés.
Le gouvernement adopte en la matière une position
attentiste :
"La lutte contre l'illégalité sur les
réseaux de communication ne peut se résumer à une action
répressive : ce mode est trop décentralisé, trop
international, pour que la réponse législative ou
réglementaire de sanction a posteriori soit la seule ; il convient de la
combiner avec l'autorégulation des acteurs, c'est-à-dire la
participation active et préventive de ceux-ci au respect de l'Etat de
droit sur les réseaux".
La difficulté pour un professionnel d'Internet est d'avoir
une connaissance précise de ses responsabilités au niveau
juridique du fait de la multiplicité de lois susceptibles de
s'appliquer", remarque Maître Guichardon. Plusieurs textes peuvent
s'appliquer, suivant que l'on s'adonne au commerce électronique ou
à la diffusion de contenus sur Internet.
En matière d'édition de contenus, il y aurait deux
régimes susceptibles de s'appliquer : la responsabilité en
cascade et la responsabilité de droit commun.
La loi de septembre 1986 sur la communication audiovisuelle a
retenu le premier des deux, directement adapté du droit de la presse de
1881, qui prévoit une responsabilité automatique du directeur de
la publication à défaut de poursuivre l'auteur du texte. Un tel
régime est difficilement transposable dans le monde des réseaux
car l'hétérogénéité des acteurs ne
correspond pas au monde éditorial classique.
Si la responsabilité en cascade est inappropriée,
il reste celui de la responsabilité de droit commun. Il prévoit
que nul n'est responsable que de son propre fait, et qu'il n'y a pas de crime
ou de délit sans intention de le commettre. La recherche de la
responsabilité doit donc se faire au cas par cas. Le juge doit remonter
jusqu'à l'auteur de l'infraction. Dans l'affaire Altern,
l'hébergeur a été considéré comme l'auteur,
car il avait permis au véritable auteur de rester anonyme.
Les professionnels veulent bien moraliser les pratiques sur
Internet, mais ne souhaitent pas endosser toutes les responsabilités des
multiples acteurs de la Toile, et aucune des catégories habituelles de
la criminologie ne s'applique pour comprendre le comportement des pirates.
Considérons les raids assez efficaces qui ont pris pour
cibles début 2000* de grands sites comme Amazon.com et Yahoo!. Ces
attaques n'ont pas pour objet de s'introduire dans les systèmes
informatiques afin de capter des données confidentielles ou de les
endommager. Aucun numéro de carte de paiement n'a été
détourné ni aucun fichier confidentiel violé.
Laure Belot et Enguérand Renault écrivent dans "Les
attaques sur le Net ébranlent la nouvelle économie" Le Monde, 11
février 2000 :"Seul le culte actif de la transparence, de
l'ouverture, de la suppression du secret explique de tels comportements
(même si, bien sûr, de véritables délinquants,
indifférents à cette mystique-là, opèrent sur le
réseau et utilisent Internet comme un outil, de la même
façon que les monte-en-l'air du début du siècle
apprenaient la serrurerie)." Le piratage est bien la dimension
secrète du culte de l'Internet et des réseaux, de cette culture
de la transparence à l'infini. Mythique transparence.
Les réseaux internationaux apparaissent comme des lieux
privilégiés d'expression et de développement de la
propagande raciste ou néo-nazie et des idéologies d'extrême
gauche.
Un site Internet peut être consulté partout dans le
monde et c'est justement cette a- territorialité qui pose
problème concernant la juridiction européenne par exemple.
Même si le projet de convention sur la
cybercriminalité est soumis rapidement à l'instance
parlementaire, il reste ensuite à convaincre les différentes
instances des différents pays concernés, car il n'existe pas de
consensus ni d'accord à ce jour en ce domaine et chaque décision
doit être répercutée au cas par cas.
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