3. Jeux, mondes virtuels et
communication via les médias à base de réseau(x) :
C'est en l'année deux mille de notre ère que le
secteur mondial des jeux vidéos a pour la première fois
dépassé en chiffre d'affaire celui du cinéma. Ceci montre
bien l'importance de la mécanique d'agrément qui peut être
un moteur à la fois pour l'économie et la science. Les jeux sont
associés à l'idée de plaisir, de loisirs. Avec
l'éducation du plaisir, des sentiments naissent de nouvelles
possibilités d'intégration. Le public est large, cultivé,
pas forcément spécialiste. Les jeux sont à l'origine d'un
espace de liberté qui gagne en intérêt. Petit à
petit l'humain s'intègre lui-même aux oeuvres virtuelles avec
lesquelles tantôt il se confond voire disparaît une première
fois, tantôt il se ressemble, tantôt il se différencie voire
s'oppose, tantôt il n'existe plus du tout et disparaît une
deuxième fois.
Issus du monde des cédéroms, les jeux interactifs
numérisés tendent à migrer vers les réseaux
notamment Internet au fur et à mesure que la bande passante disponible
permet de reproduire en ligne au moins une partie des caractéristiques
rencontrées sur ordinateur local. Les jeunes disposant de liaisons
rapides tarifées sur une base forfaitaire en profitent pour organiser
des compétitions dans le contexte spatio-temporel offert par certains
jeux. De nouvelles communautés naissent de ces duels virtuels, version
planétarisée des gendarmes et voleurs d'antan. Ces jeux, tels
"Tomb Raider", se présentent aussi sous forme de séries ou de
feuilletons interactifs, de plus en plus associés à des montages
en réseaux (réseau de joueurs dans une même salle ou bien
éloignés, par grappes ou un à un, fixes ou non dans le
temps).
Une même héroïne, par exemple Lara Croft qui a
même donné récemment un film, maintient la
continuité narrative d'une série de feuilletons interactifs. Son
succès auprès des adolescents ne dépend certainement pas
seulement de ses qualités combatives, mais également de son
apparence passablement "sexy" qui a d'ailleurs engendré des sites web
parodiques où elle apparaît un peu moins vêtue. Commercial,
le système se décline et s'étend aisément au
cinéma, aux jouets, aux vêtements etc... Le style Lara Croft est
aussi une marque débordant sur un way of life.
Les créatures virtuelles ou artificielles peuplent une
zone particulière de notre imaginaire, nourrie de vieilles
légendes, d'espoirs et de peurs ancestrales comme de mythes futuristes.
Elles sont largement présentes dans notre environnement quotidien. Les
inforoutes de demain ne nous promettent-elles pas des "créatures
virtuelles" qui matérialiseraient nos fantasmes, et jusqu'au "cybersexe"
?
Malgré l'allure de modernité dont se parent ces
promesses, les créatures artificielles constituent une
réalité ancienne qu'ont porté successivement la
mythologie, la religion ou la magie, puis la littérature et le
cinéma, en particulier dans la science-fiction. Entre la statue
animée dont Pygmalion tombe amoureux, le Golem, figure de glaise qui
traverse le Moyen Age et la Renaissance, le monstre du Docteur Frankenstein,
les robots et autres ordinateurs intelligents des vingtième et
vingt-et-unième siècles, le lien qui existe joue un rôle
peut-être capital dans l'histoire des cultures humaines.
Les petites caméras ou "webcam" ancrent de nouvelles
pratiques culturelles, souvent plus amusantes que sinistres, en dépit de
certaines critiques. Un nostalgique de Paris peut ainsi s'amuser à
vérifier l'état des Champs Elysées à tout moment.
L'exercice parait frivole, l'est certainement, et pourtant attire de nombreux
internautes. Judicieuse volonté de dominer l'espace ou bien jeux
infantiles ? Le phénomène mérite certainement une
interprétation.
Parmi les formes de communication inventées dans le
réseau, l'Internet Relay Chat (IRC) offre à ses adeptes la
possibilité de communiquer en se regroupant dans des "canaux" parfois
fugaces, à l'accès plus ou moins ouvert. Le chat ou "bavardage",
"causerie" électronique, véritable phénomène
social, apparaît comme le haut lieu de toutes les clandestinités,
undergrounds et trocs divers. Outil incontournable pour l'échange de
photos, de logiciels ou d'airs à la mode, il est désormais
colonisé par des centaines de milliers d'adolescents. Il est
désormais doté de cams ou caméras numériques,
ouvrant ainsi la possibilité d'usages qui vont de la télé-
conférence sérieuse à l'exhibitionnisme en temps
réel. On peut ainsi surveiller la météo à
Séoul ou la chambre à coucher d'une jeune américaine. En
parallèle, les MUDs (Multi- User Dungeons ou Domains) et des MOO (Multi-
User Object- Oriented Environnements) offrent la possibilité de mener
des jeux de rôle dans des espaces décrits en mots (pièces,
grottes, châteaux, etc..), mais déjà leur importance
s'estompe au profit d'espaces virtuels multimédias qui se multiplient,
accompagnés de leurs "avatars" et transmettant souvent la voix.
Du "Palace" à "Interspace", on voit se construire des
ensembles plus ou moins actifs, souvent parasités par des
considérations commerciales aux stratégies vacillantes mais
fortement expansives sinon 'expensive'. Pour autant les outils
distribués librement, peuvent donner lieu à des utilisations
intéressantes.
Les communications interpersonnelles sont animées par une
quête de reconnaissance dont dépend dans une large mesure la
perception de soi. Besoin d'existence et de considération (être
visible aux yeux d'autrui, être connu par son nom, être pris en
compte, être respecté...), besoin d'intégration (être
inclus dans un groupe ou dans une communauté, y avoir une place
reconnue, être considéré comme semblable ou égal aux
autres...), besoin de valorisation ( être jugé positivement,
donner une bonne image de soi, être apprécié...), besoin de
contrôle ( pouvoir maîtriser l'expression et l'image que l'on donne
de soi, l'accès d'autrui à sa sphère d'intimité),
besoin d'individuation (être distingué des autres, affirmer sa
personnalité propre, pouvoir être soi-même et accepté
comme tel), tels sont les besoins identitaires dont la demande de
reconnaissance dans son expression suit les lignes de force. La quête de
reconnaissance est à la fois l'un des moteurs inconscients de la
communication et l'un des processus fondamentaux à travers lesquels se
construit l'identité personnelle, qui reste très largement
dépendante du rapport aux autres et du regard d'autrui. Ce regard,
réel ou imaginaire, perçu ou anticipé, est un miroir dans
lequel l'individu recherche constamment sa propre image. Sartre : "Il suffit
qu'autrui me regarde pour que je sois ce que je suis." On touche là
à l'intimité de l'être, du moins celle qui lui était
couramment attribuée jusqu'à présent.
En réseau, notamment à travers des "chats", c'est
à la fois l'un des moteurs inconscients de la communication et l'un des
processus fondamentaux à travers lesquels se construit encore
l'identité personnelle, mais si l'on considère certains
ébats diffusés par la visioconférence de masse, force est
de considérer que la notion d'intimité a changé.
"Toute identité requiert l'existence d'un autre : de
quelqu'un d'autre, dans une relation grâce à laquelle s'actualise
l'identité de soi" et le moi intime.
Ces identités situationnelles ou circonstancielles, ces
jeux particuliers des acteurs, qui se forgent dans les communications
interpersonnelles sont un peu plus de simples rôles qu'on endosserait
comme un vêtement et qu'on abandonnerait ensuite au vestiaire. Pour
retourner, dans la plupart des cas à sa "vraie vie" qui elle ne peut
être confondue avec un jeu passager dans lequel le virtuel garantit de
toutes les douleurs et de tous les accidents non dominés.
Un peu plus avant dans le domaine de l'illusion, c'est en
intégrant la réalité virtuelle que sont nés les
jeux de la deuxième génération. Chaque joueur doit
s'équiper de lunettes stéréoscopiques, de gants tactiles,
de capteurs, afin de se plonger dans l'univers créé par
ordinateur, univers de synthèse; il peut, ainsi armé, y livrer
bataille contre des monstres en tout genre. Ces nouvelles technologies sont
actuellement plutôt réservées aux parcs d'attraction qu'aux
foyers des particuliers, ne serait-ce qu'en raison de leur coût.
L'audiovisuel a de son côté beaucoup apporté, et la
puissance des consoles et des processeurs a rendu possible le passage à
une hyper- réalité ludique.
Les mondes virtuels sont devenus les nouveaux labyrinthes, et
confrontent à de nouvelles expériences de l'espace et du corps,
à des paradoxes d'un nouveau genre. Mais surtout, ils obligent à
un effort d'intelligibilité, à une meilleure intelligence des
liens et des noeuds entrelaçant les réalités et les
apparences, les illusions et les symptômes, les images et les
modèles.
Le développement des techniques du virtuel et du
synthétique oblige à apprendre à mieux lire les images
pour mieux les comprendre, mais aussi à saisir les modèles
sous-jacents aux apparences pour voir vraiment. Jusqu'alors enfermés
dans les limites de la coupure métaphysique entre les modèles et
les images, l'humain découvre grâce aux mondes virtuels les
tissages neufs et subtils entre le domaine du conceptuel et celui du
perceptuel. Une voie large de recherche s'ouvre ainsi, à travers une
phénoménologie du virtuel.
Par ailleurs les titres à caractère "ludo-
éducatif" connaissent un succès prometteur d'un
décloisonnement possible entre les jeux et le secteur éducatif.
|