CHAPITRE III LA MAUVAISE CONSERVATION DES ARCHIVES DE
RADIO ET DE TELEVISION : FACTEURS EXPLICATIFS ET CONSEQUENCES
Le patrimoine audiovisuel est mal conservé au
Bénin. Une situation qui fait craindre des risques de disparition de la
mémoire du peuple. Plusieurs facteurs se mettent ensemble pour expliquer
ce tableau peu reluisant.
I- Présentation des facteurs
La conjonction de plusieurs facteurs explique l'état des
archives audiovisuelles au Bénin. Ces facteurs les uns aussi marquants
que les autres ont jusque là constitué un blocage à
l'épanouissement du patrimoine audiovisuel.
1- Les facteurs historiques
Dans la plupart des pays africains le patrimoine documentaire
dans son ensemble a connu le chemin du péril parce que pendant longtemps
soumis à divers ennemis : dispersion, spoliation, déplacements
volontaires ou délibérés de fonds et de collections,
exactions à l'occasion de guerre ou de circonstances historiques,
obstacles politiques. Au Bénin, tout ceci n'est pas vérifiable.
Si les archives des premières années de radio au Bénin ne
sont plus identifiables sur place, c'est notamment parce que ces archives
allaient enrichir les fonds coloniaux au niveau de la métropole.
Après des campagnes de retour menées par des africains, beaucoup
de pays ont pu retrouver leurs archives qui ont tôt fait de
disparaître en raison de négligences de conservation. Il faudra
aussi mentionner que du fait que l'histoire de ces documents correspondait au
début de la radiodiffusion au Bénin, aucun véritable
travail de radiodiffusion ne se faisait pas. Mieux, les opérations de
déménagements des installations de la radio de son local originel
vers l'Ancienne Maison ont occasionné des pertes énormes. Nombre
de documents ont disparu dans ces conditions15.
Si des contraintes économiques ont expliqué
très souvent la réutilisation ou la destruction des supports, il
ne faudra pas perdre de vue les mobiles politiques qui sous-tendaient les
opérations de
15 La Radio a commencé dans un petit local
des postes en 1953. Par la suite elle a déménagé en 1957
pour s'installer dans un nouveau local appelé aujourd'hui l'Ancienne
Maison. Cette appellation arrive en comparaison à la Nouvelle Maison de
la Radio de construction récente d'où émet actuellement la
Radio
destruction de bandes. Ainsi il est rapporté que des
documents qui gênaient les régimes furent détruits sans
autres formes de procès. Mais sur cette question, aucune espèce
d'unanimité n'est pour l'heure établie.
2-Les conditions naturelles
Au Bénin, nombre de documents audiovisuels ont disparu
sous l'effet de plusieurs facteurs naturels. Au nombre de ceux-ci les
conditions climatiques semblent porter la plus lourde responsabilité. Le
Bénin en effet étant situé en zone intertropicale est
influencée par le climat qui lui est rattaché. Cela dégage
un surplus de chaleur et d'humidité qui produit des effets nocifs sur la
vie des matériels audiovisuels.
A défaut de disposer de conditions naturelles
favorables, le conditionnement par la climatisation est un
succédané dans toutes activités de conservation du
patrimoine mobile. Mais au Bénin, la problématique des moyens a
engendré un délaissement des archives dans la chaleur. Les
supports à défaut de bénéficier des conditions de
température et d'hygrométrie favorables sont abandonnés
dans des boîtiers en métal qui chauffent dans des locaux non
climatisés.
3- La nature des supports
Certains supports, notamment ceux radiophoniques ne
garantissent pas une longue conservation. Des bandes fines résistent
très peu aux intempéries. Elles ne présentent pas une
longévité souhaitée. La bonne conservation des documents
audiovisuels tient largement compte de la nature des supports.
4- Un stockage éparpillé et
désinvolte
L'état de stockage du patrimoine audiovisuel à
l'ORTB révèle un gros malaise. Il est à mentionner la
diversification des lieux de stockage des supports. Trois endroits se partagent
sans aucune coordination les archives audiovisuelles publiques de l'ORTB :
l'ancienne maison de la radio, la nouvelle maison de la radio puis la
télévision nationale. Il existe à côté de
cela les archives de Radio Parakou qui est le sous embryon régional de
la chaîne publique radiophonique nationale. Mais notre étude ne la
prend pas en compte. Toutefois, il faut souligner le caractère
identique, sinon pire, de l'archivage à celui qui s'observe à
Cotonou. La fragilité des supports audiovisuels n'a pas induit à
leur égard une attitude conforme et de nature à les
préserver. Un document audiovisuel n'a longue vie que si les conditions
de son stockage sont réunies. Au Bénin, les
éléments de stockage sont inadéquats. Si les
matériels audiovisuels stockés à l'ancienne maison de la
radio bénéficient d'une organisation qui a besoin d'être
relevée par des conditions normales de température et
d'hygrométrie, les autres documents se trouvant à la Nouvelle
Maison de la radio et les autres supports télévision sont en
piteux état pour la grande majorité d'entre eux. Cela peut
entraîner que certains documents des débats de l'historique
Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation de février
1990 ne soient plus disponibles à l'ORTB sans que l'on sache ce qui
explique cette « catastrophe »16.
En général, les bandes pour ce qui concerne la
radio parce que ne bénéficiant d'aucun suivi sont très
souvent empilées par terre, sans boîtiers de rangement, sans
aucune identification préalable. Une situation qui ne favorise
guère la reconnaissance du contenu du matériel et pose d'ores et
déjà un véritable problème réel de
conservation. Les archives de la Nation sont par terre, à moitié
déroulées dans la poussière et la chaleur. La
rareté des bandes vierges amène les professionnels à
puiser en cas de besoin dans cet amas confus de bandes. Du coup, les originaux
sont parfois effacés pour une réutilisation du support. Aucun
système de consignation des prêts n'existe. D'où
l'imbroglio généralisé dans les sorties et les
entrées des matériels. Un matériel prêté ne
revient que si la partie emprunteuse fait diligence. Autrement, aucune
imposition ne lui est faite formellement.
Du côté des supports télé, il n'est
nullement question d'amélioration. La mémoire disparaît
là aussi à une vitesse effroyable. En dehors de quelques
documents récents qui bénéficient encore d'une attention
primaire, les plus anciens subissent le coup d'une gestion
dévergondée. Contraintes à la cohabitation avec les bus de
reportage de la télévision, les archives ont les garages comme
magasins de leurs stockages. Ce qui les expose à des moisissures et
à des décompositions chimiques, c'est-à-dire au «
syndrome de vinaigre »17. Si les précieux documents de
la conférence nationale ont presque disparu au niveau de la radio, il en
est de même au niveau de la télévision. Même s'il est
possible d'en retrouver des traces, c'est souvent à travers des
émissions consacrées à l'événement, dans les
premières années qui l'ont suivi.
Une analyse restrictive peut conduire à affirmer que le
fait que l'on n'ait pas retrouvé ces documents et plusieurs autres ne
signifie pas forcément qu'ils aient disparu. Mais le manque de soin et
l'absence de catalogage et d'identification au moment de l'entrée du
matériel peuvent en être les facteurs
16 La Conférence Nationale des Forces vives
de la Nation de Février 1990 a eu un écho retentissant aussi bien
en Afrique que dans le reste du monde. Cela a réussi à donner au
Bénin un éclat sur la scène internationale. Face à
une telle réalité, il est presque inadmissible de constater que
les archives de cet événement ne fassent pas l'objet d'une
meilleure conservation. Ceci peut s'assimiler à une catastrophe, car
c'est toute une mémoire nationale qui disparaît. 17
Décomposition chimique des supports bandes magnétiques et
qui a pour résultat de produire une odeur qui s'assimile à du
vinaigre
explicatifs.
Il y a une autre forme de stockage du matériel
née de la jalousie des producteurs face à leurs productions. Ce
qui rend les journalistes propriétaires directs de leurs
réalisations. Quoiqu'on puisse en dire, il s'agit d'une forme qui vient
pallier un manque en matière de conservation structurée. C'est
ainsi que les casiers et placards des journalistes deviennent des «
magasins de stockage » dans l'ignorance totale des conditions de
conservation. Des productions et émissions à valeur patrimoniale
(culture, interviews inédites d'hommes politiques, émissions
d'ordre artistique etc) au lieu d'échouer dans un magasin pour une
exploitation générale vivotent, comme c'est souvent la
règle, dans les débarras des rédactions et bureaux.
Photo 1 : Des boîtes de bandes magnétiques
audio stockées à l'ancienne maison de la radio
Photo2 : Les conditions de stockage de bandes audio
à l'ancienne Maison de la radio
Photo3 : Les bureaux servent de lieux de stockage de
supports télévisuels à défaut d'espace
Photo 4 : Des rayons de bandes visuelles à la
vidéothèque de la télévision nationale du
Bénin : un mélange des différents types de
supports
5- L'inexistence d'une culture de
conservation
La conservation n'est pas encore une préoccupation
passionnante au Bénin. Seule la prétention constitue
l'élément moteur qui pousse des professionnels à s'y
intéresser. Conscients que les archives audiovisuelles appartiennent au
patrimoine culturel d'un peuple et représente incontestablement la
mémoire, ils mènent compte tenu de leurs sensibilités des
actions isolées pour sauver le patrimoine audiovisuel. A
côté de cela, rien n'est entrepris de façon soutenue. A
l'origine de toute action, règne une ambition. L'absence d'ambition et
le manque de culture d'archivage expliquent une telle indifférence
vis-àvis des documents audiovisuels de la Nation. Faire de l'archivage
en général au Bénin relève encore de «
vieilleries ». Une telle conception bloque résolument la mise en
oeuvre d'initiatives ambitieuses susceptibles d'induire l'épanouissement
du secteur de la conservation des archives audiovisuelles.
6-Des archives non documentées
Pour beaucoup d'émissions et de matériels
rattachés, il n'existe plus les notices documentaires. La question des
fiches est une véritable problématique dans la réflexion
autour de l'archivage au Bénin. Beaucoup de documents n'ont plus la
chance d'être identifiés physiquement en l'absence de fiches et
d'identifications claires. Dans ces conditions, on recourt tout simplement
à leur audition pour accéder aux contenus. La conséquence
immédiate est la lenteur observée dans leur exploitation. Car si
les informations documentaires étaient existantes, elles permettraient
un gain formidable de temps et donneraient incontestablement une
identité claire à ces documents.
Photo 5 : Etat délabré de conservation
des fiches d'émissions
Photo 6 : Archivage désinvolte des fiches
documentaires manuelles à l'ancienne Maison de la radio
7- Le manque de professionnalisme et de
formation
Pendant longtemps, le volontariat, la passion et l'engagement
personnel ont été à la source de la gestion du secteur de
l'archivage audiovisuel. Peu de gens sont formés à
l'archivistique audiovisuelle. Les rares personnes qui s'y connaissent ne
bénéficient pas du recyclage approprié. Les
conséquences sur le secteur d'archivage n'ont pas alors tardé et
expliquent qu'aujourd'hui le patrimoine audiovisuel végète dans
une situation de désespoir incommensurable.
8- L'absence d'une politique nationale en
matière de conservation du patrimoine audiovisuel
A l'échelle d'un pays toute action est dictée et
soutenue par l'instauration d'une politique publique qui fixe les pratiques et
garantit la pérennité des actions. Nous savons ainsi qu'il y a
une politique publique en matière d'information, de gestion de
l'environnement, des finances publiques, du tourisme etc. La mise en oeuvre
d'une ligne directrice donne le fil d'Ariane et permet d'engager en constance
des efforts. En matière d'archivage audiovisuel, on a assisté
jusque là au Bénin à l'inexistence d'une politique. Il
aurait fallu cela pour permettre de sauver plusieurs heures d'archives
audiovisuelles. La torpeur enregistrée n'a pas arrangé la
situation. A ce jour, le Bénin éprouve du mal à rattraper
ses retards et assiste encore avec indolence à la disparition et la
dégradation des documents de son passé.
9- La diffusion, premier souci, la conservation en
simultané, dernière préoccupation
Dans la plupart des pays, les médias ont une forte
propension à la diffusion. Mais la nuance réside dans le fait que
beaucoup prévoient un système d'archivage d'actualité qui
appuie les productions quotidiennes, comme c'est le cas de Radio Finlande et de
Radio France Internationale. Au Bénin, les contraintes évidentes
de moyens limitent encore ce type d'archivage. Les émissions
diffusées ont tôt fait de passer dans l'oubli total. Rien ou
presque n'est entrepris pour immortaliser les journées
d'émissions. Il n'existe pas encore des enregistrements
simultanés (enregistrement d'une journée entière de
programme), parce que coûteux. En définitive, au Bénin, les
médias n'ont pas encore acquis la culture et la mentalité de la
conservation en simultané.
|