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Le Docteur Bendjelloul: l'opposition loyale à  la colonisation ? (1930-1962)


par Hélène Koning
Sciences Po Paris - Master 2024
  

Disponible en mode multipage

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Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 1

Institut d'études politiques de Paris

ECOLE DE LA RECHERCHE DE SCIENCES PO

CHSP

Mémoire en Histoire

Le Docteur Bendjelloul :

l'opposition loyale à la colonisation ?

(1930-1962)

Hélène Koning

Mémoire dirigé par David Todd

Soutenu le 24 mai 2024

Jury :

M. M'hamed Oualdi, professeur des universités M. David Todd, professeur des universités

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Remerciements

À M'hamed Oualdi pour m'avoir proposé ce sujet stimulant et m'avoir accompagné dans les premiers mois de cette recherche.

À David Todd, mon directeur de mémoire, pour son accompagnement bienveillant et ses précieux conseils.

À la communauté du Centre d'Histoire de Sciences Po, et plus particulièrement à Guillaume Piketty, à Florence Bernault et aux participants au séminaire « Histoire des Afriques », à Louise Guttin-Vindot, ainsi qu'à Noémie Prevel du service des Ressources et de l'Information Scientifique de la bibliothèque de Sciences Po.

À mes amis et ma famille, pour leur soutien et leur intérêt pour ce travail. Merci particulièrement à ceux qui ont donné du temps pour me relire.

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Avant-propos

Les noms de ville mentionnés dans ce mémoire sont ceux qui était en cours au moment de production des sources citées. Lorsque le nom actuel de la ville est différent, il est indiqué entre parenthèses.

Exemple : Bougie (Bejaia)

La transcription des noms de familles se fait selon l'orthographe la plus courante dans les sources consultées.

Les expressions indigènes, Français musulmans ou Algériens musulmans sont synonymes dans les sources, et seront employées dans ce mémoire pour désigner les personnes colonisées vivant en Algérie à cette époque. Le terme colonisés, décrivant leur situation devant l'Etat français, sera également employé.

Les expressions colons, colonisateurs ou Européens seront de la même manière employées comme des synonymes, selon le contexte.

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Table des matières

Remerciements 3

Avant-propos 5

Introduction 9

Partie I - Le Docteur Bendjelloul, champion assimilationniste de la cause

algérienne (1930-1938) 23

I - Le réformisme assimilationniste, programme politique du Docteur Bendjelloul 25

II - Toute remise en cause du système colonial est-elle nationaliste en puissance ? 33

III - Popularité de Bendjelloul : figure de proue d'un mouvement d'ampleur dans toute

l'Algérie 42

Partie II - Adaptation stratégique de Bendjelloul dans un contexte d'instabilité

politique (1939-1945) 53

I. La poursuite des engagements de la FEM dans un contexte de crise internationale 55

II. Transposition des stratégies des élus face à la Révolution nationale 63

III. La sortie de guerre et la reprise de la vie républicaine : hésitations face à une

souveraineté française incertaine 72

Partie III - Chercher une issue au conflit colonial dans les institutions françaises

(1946-1985) 87

I. Bouleversements de l'échiquier politique algérien et installation de Bendjelloul dans la

vie politique française 89

II - À l'Assemblée Nationale (1951-1955) : persister dans la revendication légale 97

III - La motion des 61 : dernier effort des réformistes (1955 - 1962) 105

IV - La vie en métropole après la fin de la représentation politique des Algériens 113

Conclusion 119

Table des figures et Index 125

Bibliographie 126

Guide des Sources 131

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Introduction

Entre 1932 et 1938, les services de surveillance de l'administration coloniale d'Algérie ont les yeux braqués sur la Fédération des Élus Musulmans (FEM). Celle-ci organise des meetings réunissant plusieurs milliers de personnes, ses tournées électorales occasionnent des manifestations dans tout le département de Constantine, elle appelle à la mobilisation des masses colonisées dans de nombreux tracts ainsi que dans leur journal, l'Entente franco-musulmane. C'est pourtant l'application des lois françaises sur le sol algérien et la citoyenneté française pleine et entière pour les Algériens de statut musulman que revendiquent ces élus. Et la France coloniale voit cela d'un très mauvais oeil. Les partisans d'une Algérie française représentent à cette époque le courant majoritaire parmi les colonisés. Le président de la FEM, Mohammed Salah Bendjelloul, dit Docteur Bendjelloul, est le leader charismatique de ce printemps algérien des années 19301 et le champion de l'assimilationnisme en Algérie au XXe siècle : alors même qu'à partir des années 1940 cette option politique perd l'adhésion de la population et que son propre bras droit, Ferhat Abbas, devient la figure de proue du nationalisme algérien, Bendjelloul maintient ses convictions en faveur d'une Algérie rattachée à la France. Jusqu'en 1956, il reste membre des institutions françaises et utilise ses mandats pour réclamer au colonisateur des réformes en Algérie.

Pourtant, aucun travail de l'historiographie francophone ou anglophone n'est consacré à cette figure politique importante de l'Algérie avant l'indépendance. Bendjelloul est souvent mentionné dans les travaux traitant de la décennie 1930 en Algérie, sans que son parcours et ses idées ne fassent l'objet d'une étude dédiée2. Il ne semble pas non plus que l'historiographie

1 Julien Fromage, « Innovation politique et mobilisation de masse en « situation coloniale»: un « printemps algérien » des années 1930 ? L'expérience de la Fédération des Élus Musulmans du Département de Constantine » Thèse de doctorat, EHESS, Paris, 2012.

2 Charles-Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine. Tome II : De l'insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération (1954), Paris, Presses Universitaires de France, 1979. Julien Fromage dans sa thèse de 2012 consacre un chapitre entier à Bendjelloul, son arrière-plan familial, ses modes d'actions, et son rôle au sein de la FEM, et souligne qu'un travail de recherche dédié à la carrière de Bendjelloul dans son ensemble serait le bienvenu. C'est à cette tâche que s'est attelé le présent mémoire. J. Fromage, Un « printemps algérien » ? op. cit.

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arabophone se soit emparée de la figure de Bendjelloul, hormis Houari Safsaf et Fatiha Safer dans un article publié en 20211.

Bendjelloul, contrairement à d'autres personnalités ayant pris position dans le débat autour de l'indépendance de l'Algérie, n'a pas de postérité politique pour perpétuer sa mémoire. L'historiographie algérienne et l'historiographie française étudient plutôt l'impact des figures qui ont joué un rôle durant la guerre d'indépendance ou dans l'histoire du nationalisme, comme Messali Hadj et Ferhat Abbas. Les habitants de l'Algérie qui ont dû quitter le pays à l'indépendance sont trop souvent présentés comme des partisans de la France et rassemblés indistinctement sous des vocables collectifs comme « pieds noirs » ou « harkis », sans que les différents courants politiques et les raisons de leur départ ne soient précisés. Bendjelloul, partisan de la France mais dénonçant inlassablement l'oppression coloniale, ne correspond ni à l'épopée nationaliste algérienne ni au mythe du harki profrançais. L'étude de sa carrière politique apparaît donc comme un outil précieux pour nuancer les dichotomies dont souffre encore trop souvent la recherche sur le sujet.

Cette nouvelle approche de la recherche sur la décolonisation de l'Algérie est menée depuis quelques années par des chercheurs comme Fatiha Safer en Algérie ou Malika Rahal en France, dont les travaux portent respectivement sur les élites réformistes algériennes2 et sur les nuances idéologiques au sein du mouvement national3. Les figures individuelles étudiées par Rahal suivent encore souvent un parcours allant de l'assimilationnisme au nationalisme, et ne permettent pas tout à fait de remettre en question la vision téléologique du nationalisme comme aboutissement de la pensée politique des Algériens. Au-delà de l'histoire de l'Algérie, des recherches récentes ont souligné la diversité des courants de pensée et des influences politiques

1 Houari Safsaf et Fatiha Safer, « 1956 -1930 Ù?? ?? ????????? ?????? ???? ??????? ?????? ???? Ù? ?????? ???? ???????- Dr. Mohamed Salah Bendjelloul and his political struggle within the integrating elite between 1930-1956 », Maghreb Journal of Historical and Social Studies, 13-2, 2021, p. 204?224.

2 Voir par exemple Houari Safsaf et Fatiha Safer, « ????????? ??????? ?????? ????? Ù? ??????? ????????? ?????????? ??????- The Amalgamating Liberal Elite and its Positions on the Issue of Algerian National Identity », Oussour, New Ages Magazine, 11-2, 2021, p. 493?514 ; Fatiha Safer, « ????????? ????? ????? Ù? ????????? ?????? ????? [Les positions de l'élite algérienne sur la politique d'intégration de la France] », Oussour, New Ages Magazine, 5-17, 2015, p. 333?349.

3 Malika Rahal, « Les Représentants colonisés au Parlement français: le cas de l' Algérie, 1945- 1962 », Université de Bordeaux 3, 1996 ; Id. , « La place des réformistes dans le mouvement national algérien », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 83-3, 2004, p. 161?171 ; Id., L'UDMA et les Udmistes, Alger, Éditions Barzakh, 2017. Id., Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne, Paris, La Découverte., 2022 ; Id., « Mohammed Salah Bendjelloul », in Tramor Quémeneur, Ouanassa Siari Tengour, et Sylvie Thénault, Dictionnaire de la guerre d'Algérie, Paris, Bouquins, 2023.

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des militants décoloniaux. Les diverses formes de contestation du colonialisme se révèlent souvent éloignées d'un nationalisme triomphant. Frederick Cooper montre comment l'idée d'une fédération de l'Union Française faisait consensus parmi les élites colonisées au sortir de la Seconde Guerre Mondiale1. Concernant la période de la conquête française au XIXe siècle, David Todd montre que le Second Empire favorisait l'idée d'un royaume arabe distinct de la France dans sa structure administrative et sa culture, bien loin de la société inégalitaire instaurée par la politique de colonie de peuplement de la IIIe République2. David Motadel pour sa part met à jour l'alliance anti-impériale de l'Allemagne nazie avec certains militants nationalistes des colonies de leurs ennemis, particulièrement dans les colonies anglaises en Inde et au Moyen-Orient, mais aussi dans les colonies françaises et italiennes en Afrique du Nord3. Arthur Asseraf propose dans sa monographie le portrait d'un Algérien participant activement à la colonisation de l'Afrique subsaharienne pour le compte de la France, apportant une remise en cause inédite de la dichotomie colonisateurs-colonisés4. L'étude de la carrière de Bendjelloul, un assimilationniste qui n'a jamais rejoint les nationalistes et a vécu en France après l'indépendance, s'inscrit dans ce courant de réévaluation des formes d'opposition à la colonisation. Son parcours montre que les sentiments qui relient un individu à une nation sont une construction sociale autant que les nations elles-mêmes, et qu'il n'existe pas de déterminisme intellectuel qui mènerait certaines catégories de personnes à adopter les mêmes opinions. La comparaison avec l'évolution simultanée de la figure bien connue d'un Ferhat Abbas ne fait que renforcer l'étonnement face à la persistance de Bendjelloul dans la voie du réformisme : Abbas et Bendjelloul ont le même âge, ils sont tous deux Algériens et musulmans et professent les mêmes idées jusqu'en 1938. Les orientations politiques sont en partie des choix calculés, en partie le résultat de différents facteurs vécus, mais s'ajoute toujours à cela une part de subjectivité individuelle.

1 Frederick Cooper, Français et Africains ? Être citoyen au temps de la décolonisation, tr. Christian Jeanmougin, Paris, Payot, 2014.

2 David Todd, « Chapitre 2. L'Algérie, un échec de la colonisation informelle », in Un empire de velours, Paris, La Découverte, 2022, p. 63?104.

3 David Motadel, « The Global Authoritarian Moment and the Revolt against Empire », The American Historical Review, 124-3, 2019, p. 843?877, ici p. 855?857.

4 Arthur Asseraf, Le désinformateur : Sur les traces de Messaoud Djebari, un Algérien dans le monde colonial, Paris, Fayard, 2022.

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Ainsi, durant sa longue carrière politique, de 1924 à 1956, dans différentes institutions, par différents moyens et avec différents niveaux de popularité, Bendjelloul proclame ses convictions assimilationnistes : l'avenir de l'Algérie passe par l'intégration dans la nation française. Dès lors, il s'agira de suivre l'apparente constance politique de Bendjelloul : Quels sont les arguments et les raisonnements qu'il invoque pour défendre l'assimilationnisme réformiste ? Quels sont ses modes d'action politique et comment évoluent-ils face aux changements de régime en France et aux débats sur l'Algérie qui s'intensifient et se polarisent de plus en plus tout au long de sa carrière ? Le présent mémoire suivra la chronologie de la carrière de Bendjelloul, selon les institutions desquelles il a été membre et les changements de régime politique en métropole.

Revue de littérature

Le cas du Docteur Bendjelloul est un indice révélateur des biais politiques et mémoriaux des travaux sur l'évolution politique des Algériens. Il est la figure principale de la contestation du colonialisme dans les années 1930 et défend des idéaux assimilationnistes et réformistes. Il ne rejoint jamais la lutte nationaliste et occupera des mandats parlementaires dans les institutions françaises du débarquement allié en Afrique du Nord jusqu'à la première année de la guerre d'indépendance de l'Algérie.

Dans l'historiographie, comme nous avons pu le voir ci-dessus, il passe d'une image de champion du peuple algérien dans les travaux traitant du début de sa carrière, à celle d'un bourgeois profrançais déconnecté du peuple dans les travaux traitant des années 1940-1950, et souvent ces derniers ne le mentionnent même pas. La périodisation des recherches influe fortement sur la manière dont Bendjelloul est présentée, et ceux qui font l'histoire de l'Algérie choisissent souvent de ne mentionner que l'un des aspects de sa carrière, sans montrer l'évolution de son positionnement dans le paysage politique algérien. Ainsi, Charles-Robert Ageron dans son ouvrage majeur Histoire de l'Algérie Contemporaine parle de Bendjelloul comme d'un acteur central de la vie politique algérienne de la décennie 1930, assimilationniste et leader politique talentueux, mais le nom de Bendjelloul n'apparaît plus après 19461. Plus récemment, la thèse que Julien Fromage consacre au printemps politique algérien des années

1 C.-R. Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, op. cit.

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19301 n'aborde pas la carrière ultérieure de Bendjelloul. Les auteurs qui traitent de sujets plus spécifiques sur l'Algérie coloniale mentionnent Bendjelloul sans expliciter les enjeux liés aux actions de Bendjelloul durant la période qu'ils étudient2. L'article sur Bendjelloul dans le Dictionnaire de la guerre d'Algérie, signé Malika Rahal, décrit de manière factuelle et équilibrée la carrière de Bendjelloul, insistant sur la période où il a été le plus influent mais faisant également mention de sa carrière dans les institutions parisiennes après la Seconde Guerre Mondiale. À défaut de théoriser son positionnement politique, Rahal offre des formules utiles parce que s'abstenant de jugement : il est « considéré comme dangereux » par « les autorités françaises », il « revendique la citoyenneté française en même temps que le maintien de l'identité algérienne », il signe le Manifeste en 1943, il est élu dans diverses institutions et il « rallie la cause de l'indépendance » à partir de 19553. La présente recherche tentera, au-delà de ces faits, de souligner les motifs politiques guidant Bendjelloul à travers les évolutions de sa carrière politique.

Dans l'historiographie algérienne francophone, la plupart des travaux publiés en français adoptent une manière téléologique d'écrire l'histoire de l'Algérie : ils suivent le fil des figures et des idées nationalistes dès qu'elles apparaissent, sans s'intéresser outre mesure aux autres courants politiques algériens, quelle que soit l'importance qu'ils aient pu avoir en leur temps. Les auteurs algériens minimisent souvent l'ampleur du rôle de Bendjelloul dans la décennie 1930, considérant peut-être que le fait qu'il n'ait jamais rejoint le FLN discrédite l'ensemble de son action. Il est souvent mentionné comme un épiphénomène, et les auteurs se concentrent sur les nationalistes et l'Etoile Nord-Africaine. Cette dernière était pourtant marginale sur le sol algérien à l'époque où le mouvement réformiste était à son apogée. Le grand historien algérien Mahfoud Kaddache reconnaît, dans sa thèse d'État en 1980, que les élites réformistes ne sont ni passives ni béni-oui-oui. Elles réclament certes « de sérieuses réformes » dans le sens de

1 Julien Fromage, Un « printemps algérien » ? op. cit.

2 Jacques Cantier, L'Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002 ; Jacques Bouveresse, Un parlement colonial? Les Délégations financières algériennes 1898-1945, Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2008 ; Benjamin Stora, Le nationalisme algérien avant 1954, Paris, CNRS éd., 2010 ; Joshua Cole, Lethal Provocation : The Constantine Murders and the Politics of French Algeria, Ithaca London, Cornell University Press, 2019.

3 M. Rahal, « Mohammed Salah Bendjelloul », op. cit.

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l'assimilation, mais dans le but d'évoluer socialement1. Ce reproche de quête d'avantages personnels est souvent fait à l'encontre des politiciens assimilationnistes : le contraste est en effet marquant entre les sacrifices des martyrs du FLN qui ont enduré la vie au maquis, la prison, la torture et la mort pour l'indépendance de l'Algérie, et le combat des réformistes qui se déroulait sur les bancs de l'Assemblée et dans les cabinets des autorités françaises. Ce mémoire tentera de démontrer que les actions de Bendjelloul n'étaient pas uniquement motivées par la recherche de gains personnels mais sur de réelles convictions politiques.

L'affirmation de la langue arabe comme langue universitaire en Algérie rend plus difficile la prise en compte de cette historiographie dans le présent mémoire. Le seul travail récent qui mentionne le Docteur Bendjelloul semble être l'article de Fatiha Safer et Houari Safsaf, chercheurs à l'université algérienne de Sidi Bel-Abbès2. Les travaux de ces auteurs sont consacrés depuis 2015 aux réformistes et assimilationnistes algériens dans la première moitié du XXe siècle3.

Dans leur article, Safer et Safsaf reconnaissent l'importance de Bendjelloul dans les années 1930, rappelant l'expression de Mahfoud Kaddache qui évoquait un « Gandhi algérien » en raison de son refus de la lutte armée et de son attachement à exprimer ses revendications dans le cadre de la légalité coloniale4. Par rapport aux travaux plus anciens d'historiens, ils nuancent l'opposition radicale entre traîtres partisans de la France et militants héroïsés de la cause nationale et soulignent « la profondeur des divergences intellectuelles et idéologiques et des divergences entre les membres de l'élite eux-mêmes »5. Ils soulignent également que ces revendications assimilationnistes reflétaient peut-être les aspirations de l'élite francisée, mais pas celles de la population algérienne. Leur article parle très peu de la carrière de Bendjelloul dans les institutions françaises après 1945. Cette disparité est peut-être un effet de l'accès inégal

1 Mahfoud Kaddache, Histoire du nationalisme algérien. Question nationale et politique algérienne, 1919-1951, Alger, Société Nationale d'Edition et de Diffusion, 1980.

2 Houari Safsaf et Fatiha Safer, « 1956 -1930 ??? ?? ????????? ?????? ???? ??????? ?????? ???? ?? ?????? ???? ???????- Dr. Mohamed Salah Bendjelloul and his political struggle within the integrating elite between 1930-1956 », art. cit.

3 Voir note 2 page 7.

4 Mahfoud Kaddache, Histoire du mouvement national algérien, 1939-1945, Tr. M'hamed Ibn Albar, Alger, Dar El Oumma, 2011, vol. 2. Cité dans Houari Safsaf et Fatiha Safer, « ???? ??????? ?????? ???? ?? ?????? ???? ??????? 1956 -1930 ??? ?? ????????? ??????- Dr. Mohamed Salah Bendjelloul and his political struggle within the integrating elite between 1930-1956 », art. cit, p. 206.

5 Ibid., p. 211.

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aux sources suivant le pays et la langue d'origine des chercheurs, en miroir des lacunes des travaux des chercheurs français n'utilisant pas les archives en langue arabe.

L'historiographie anglophone propose souvent une perspective moins enclavée que les historiographies algériennes et françaises. Phillip Naylor par exemple propose une analyse originale du positionnement politique de Bendjelloul dans son Historical Dictionary of Algeria1. Il définit Bendjelloul comme un « nationaliste modéré », et considère que par ses efforts en faveur de l'égalité civique des Algériens, Bendjelloul a contribué au développement du nationalisme algérien, bien que les révolutionnaires aient condamné sa modération2. Cette position est assez isolée dans l'historiographie sur Bendjelloul. Cet article est très appréciable par sa nuance, l'originalité de ses analyses et par la prise en compte de la longue durée de la carrière de Bendjelloul, mais le terme « nationaliste », même modéré, ne permet pas de saisir les motivations de Bendjelloul. On préférera l'expression d'opposition loyale (« loyal opposition ») proposée par James McDougall3, insistant sur les convictions francophiles de Bendjelloul et sur son choix résolu du réformisme revendicatif comme moyen d'action.

Méthode

Le présent travail propose une vision d'ensemble de la carrière publique du Docteur Bendjelloul, de la décennie 1930 à la fin des années 1950. L'étude du parcours individuel d'un personnage aujourd'hui méconnu permet d'apporter des nuances aux différents grands récits de la période coloniale en Algérie : si Bendjelloul n'est plus connu, c'est que personne ne s'est emparé de sa mémoire pour la perpétuer et que ses idées ne semblent pas pouvoir servir une cause politique. L'étudier permet d'éclairer ce que les grands narratifs ne prennent pas en compte et d'apporter de la nuance au récit de l'évolution politique des Algériens au XXe siècle.

1 Phillip C. Naylor, « Bendjelloul, Mohammed Saleh (1893-1985) », in Historical Dictionary of Algeria, Lanham, MD, United States, Rowman & Littlefield Unlimited Model, 2015, p. 119.

2 Ibid.

3 James McDougall, A History of Algeria, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 183. « The élus thus sought to constitute a `loyal opposition', not only recognising but actively appropriating French sovereignty in Algeria, and articulating their demands on it through a vigorous and sometimes spectacularly populist politics of protest ».

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Se concentrer sur un individu est une manière de surmonter les enjolivements ou les mythes d'une histoire souvent résumée à des lieux communs : trop souvent l'histoire coloniale de la France est réduite à la guerre d'Algérie, renvoyant dos à dos colonisateurs et insurgés, minimisant les treize décennies de lutte politique et d'oppression coloniale qui ont précédé le conflit armé et l'indépendance. Suivre la carrière d'un individu sur plus de trente ans révèle la contingence des choix politiques de l'individu, les errances des politiques coloniales et de leurs services de renseignement, les différents futurs imaginés par les acteurs. La focale placée sur l'individu souligne aussi le rôle que jouent les relations humaines dans les évènements historiques. La biographie démystifie l'histoire et la ramène à hauteur d'homme. On s'inscrira ici dans ce que l'historien Pascal Balmand a appelé la biographie politique « nouvelle manière », qui « vise moins à présenter un profil dans son exhaustivité qu'à mieux cerner l'histoire collective par l'éclairage de l'histoire singulière »1. Dans un article de 1999, Guillaume Piketty défend la pertinence scientifique de l'exercice biographique en histoire, et cite la préface de Jacques Legoff à sa biographie de Saint Louis : « dessiner la courbe d'une destinée [permet de poser] ce problème des rapports de l'individu et de la collectivité, de l'initiative personnelle et de la nécessité sociale qui est, peut-être, le problème capital de l'Histoire »2.

On doit néanmoins rester en garde contre ce que Bourdieu a appelé l'illusion biographique : à suivre de trop près ce que le sujet observé dit de lui-même, on finit avec les mêmes angles morts que lui et on reproduit la partialité de sa perception de lui-même. Par exemple, l'individu se considère libre d'influences dans ses actes, et le rôle de l'historien est de révéler les tendances sociales de l'époque et la manière dont le contexte a pu l'influencer3. Dans le cadre de sa biographie de Pierre Brossolette, Piketty souligne l'acuité de ces questions de libre arbitre et de soumission à la norme dans le contexte de la résistance française à l'occupation : on pourrait en dire autant pour le contexte colonial dans lequel émerge et évolue Bendjelloul. Cependant, l'idée que le colonisé dissimule ses réelles intentions a trop souvent

1 Jacques Cantier, « Les gouverneurs Viollette et Bordes et la politique algérienne de la France à la fin des années vingt », Outre-Mers. Revue d'histoire, 84-314, 1997, p. 25?49, ici p. 47. Note 26 : Guy Bourde et Hervé Martin, Les Écoles historiques, Paris, Éditions du Seuil, 1983. Le chapitre XIV, rédigé par Pascal Balmand, est consacré au retour du politique.

2 Guillaume Piketty, « La biographie comme genre historique? Une étude de cas. », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 63, 1999, p. 119?126, ici p. 120. Pour un exemple de biographie montrant les interactions entre destin individuel et contexte impérial, voir A. Asseraf, Le désinformateur, op. cit ; M'hamed Oualdi, Un esclave entre deux empires. Une histoire transimpériale du Maghreb, Paris, Seuil, 2023.

3 Pierre Bourdieu, « L'illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-1, 1986, p. 69?72.

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été utilisée par les colonisateurs pour refuser d'entendre les revendications qui leur étaient adressées. En se basant sur les écrits de Bendjelloul, on tâchera de contourner l'a priori négatif systématique des autorités coloniales et d'envisager la possibilité que les déclarations des colonisés reflètent leurs véritables intentions. Pour autant, il n'est pas question de tomber dans l'écueil inverse et de survaloriser les sources produites par les colonisés. Dans leur article « Remettre le colonial à sa place », Camille Lefebvre et M'hamed Oualdi appellent à traiter à égalité les sources produites par les colonisateurs et celles produites par les colonisés. Les premières, rédigées en langues européennes et archivées de manière systématique, ont largement été privilégiées jusqu'à présent dans l'historiographie du fait colonial. Les travaux de recherche reproduisaient alors, sans la relativiser, l'illusion d'omniscience et de domination des autorités coloniales, manquant les interstices des sociétés coloniales. D'autre part, les sources produites par les colonisés, du fait de leur rareté relative, ont pu dans d'autres cas être employées sans la distance critique nécessaire à un usage scientifique. Oualdi et Lefebvre appellent donc à « embrasser dans un même regard la diversité des documentations contemporaines européennes et africaines en leur appliquant la même réflexivité critique »1. Lefebvre et Oualdi rejettent l'idée selon laquelle « ceux qui agiraient selon des modalités perçues comme européennes ou globalisées s'inscriraient dans le sillage de la grande effraction coloniale » et seraient moins authentiquement des témoins de leurs sociétés d'origine que d'autres « restés fidèles à des authenticités traditionnelles [...] ou nationales ». Or, soulignent-ils, les uns et les autres sont « les produits à la fois de l'histoire du moment colonial et d'une histoire qui ne se limite pas à celle-ci »2. Si dans ce texte il est question des chercheurs contemporains, nul doute que cette lecture s'applique aussi aux acteurs historiques : comment juger qu'en 1935 ou en 1945 les convictions d'un militant nationaliste algérien seraient plus authentiques que celles d'un partisan assimilationniste ? Connaître la fin de l'histoire ne justifie pas un traitement différencié des acteurs historiques et de leurs idées. Ainsi, le parcours et les prises de position de Bendjelloul révèlent certaines des stratégies et discours alternatifs disponibles pour un politicien algérien du XXe siècle, tout en contenant certains thèmes et modes d'action communs avec les nationalistes. Il n'est pas question de nier la faiblesse des

1 Camille Lefebvre et M'hamed Oualdi, « Remettre le colonial à sa place. Histoires enchevêtrées des débuts de la colonisation en Afrique de l'Ouest et au Maghreb », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 72e année-4, 2017, p. 937?943, ici p. 942.

2 Ibid.

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résultats politiques de la voie réformiste, mais d'enrichir et de nuancer la présentation qui peut être faite du paysage politique algérien pendant la colonisation, à travers le regard d'un acteur qui a imaginé d'autres solutions pour l'Algérie que le statu quo colonial ou la guerre d'indépendance.

Sources

Le sujet de ce mémoire et le choix de suivre la démarche assimilationniste de Bendjelloul a impliqué une concentration sur les sources de sa vie publique. Les sources privées des acteurs n'ont pas été employées. L'usage des sources de surveillance a été réduit et celles-ci sont employées principalement pour observer les effets des stratégies de Bendjelloul sur ses interlocuteurs coloniaux. Si l'usage de sources privées et notamment de sources en arabe serait absolument nécessaire à une étude des liens entre colonisés et des débats en leur sein, le présent mémoire est une biographie politique : la carrière de Bendjelloul au sein des institutions françaises a essentiellement produit des sources en français, permettant d'embrasser le sujet du présent mémoire sans recourir à des sources en arabe.

Puisque la présentation de la vie de Bendjelloul n'est pas la fin en soi de ce mémoire, il sera peut fait mention de sa vie personnelle ou de ses archives privées. Pour la période 19301939, les archives utilisées sont celles de la préfecture de Constantine et du Cabinet du Gouverneur Général d'Algérie (GGA)1. Ces dossiers contiennent des notes de surveillance, mais également des coupures de presse, des tracts, des comptes-rendus de meetings politiques, qui permettent un accès moins biaisé au discours de la Fédération des Élus Musulmans (FEM). Un autre moyen de retrouver le discours politique de Bendjelloul est la presse. Dans les années 1930, FEM du Département de Constantine publie son propre organe de presse, L'Entente Franco-Musulmane2. Il semble que Bendjelloul n'y écrit pas lui-même, mais on trouve souvent des articles sur les actions qu'il entreprend et des comptes-rendus plus ou moins exhaustifs de ses prises de paroles publiques. Ces journaux donnent accès à sa voix politique pour la décennie 1930, mais offrent également un regard sur l'image de leader que la FEM, c'est-à-dire les partisans de Bendjelloul, veut diffuser à son sujet.

1 Archives conservées aux Archives Nationales d'Outre-Mer (ANOM), Aix-en-Provence.

2 Les numéros consultés proviennent des archives de l'administration coloniale, mais d'autres numéros sont également conservés par la BnF.

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Pour la deuxième partie de ce mémoire, les archives concernant la période du régime de Vichy sont elles aussi celles du Cabinet du GGA et de la préfecture de Constantine. À partir de 1943, des archives d'autres fonds contiennent des enquêtes réalisées a posteriori sur des évènements survenus durant cette période et peuvent également être une source d'information sur la période de Vichy. Après le débarquement allié et la reprise de la vie politique, les procès-verbaux des séances de l'Assemblée Consultative Provisoire (ACP) et des Assemblées Constituantes sont une source abondante qui n'a pu être exploitée que par sondage1. Les archives de l'ACP sont riches en indices sur les mécanismes de reprise de la vie démocratique sous l'autorité de la France Libre2.

Sous la IVe République enfin, les archives des journaux officiels du Conseil de la République et de l'Assemblée Nationale sont aussi une source fiable pour reconstituer l'action de Bendjelloul dans ces institutions3. La faible fréquence de ses interventions au Conseil de la République et à l'Assemblée Nationale a permis une consultation assez complète des discours disponibles, ce qui permet d'étudier à travers un corpus bien défini et complet sa manière de se positionner dans le cadre des institutions françaises, et ce sur toute la période 1943-1956. Les archives de la préfecture de police de Paris ont également été consultées dans le but de comparer la surveillance politique dont Bendjelloul fait l'objet en 1930 avec celle dont il fait l'objet après-guerre4. Cependant, jusqu'au début de la guerre d'indépendance, il ne semble pas que le député Bendjelloul ait fait l'objet d'une surveillance politique en métropole. La surveillance qui reprend avec le conflit et le vote de l'état d'urgence permet essentiellement de récolter des renseignements de nature privée, peu utiles pour comprendre les rapports de Bendjelloul avec les autorités françaises.

Contrairement à une idée a priori selon laquelle le faible traitement de Bendjelloul dans la littérature signifiait une faible présence dans les sources, une difficulté de ce mémoire a plutôt été l'absence de manque. Pour les sources liées aux mandats parlementaires de Bendjelloul par

1 Le Journal officiel de la République Française est intégralement numérisé et disponible en ligne sur Gallica, le site de la bibliothèque numérique de la BnF.

2 Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine. Cotes C//15258-C//15269 pour l'ACP d'Alger et C//15270-C//15281 pour l'ACP de Paris.

3 Journal officiel de la République Française, Gallica, BnF.

4 Dossier n°106704 : Bendjelloul (1958-1961). Cote : 354W1209. Archives de la Préfecture de Police de Paris, Pré-Saint-Gervais. Consulté en partie sur dérogation du Service de la mémoire et des affaires culturelles de la Préfecture de Police.

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exemple, le constat est le même pour toute personne s'y confrontant1: utiliser ces sources implique de procéder par sondage, et parfois de renoncer à des fonds entiers. Contrairement aux mémoires de Rahal et de Roudaut, le présent travail se concentre sur un seul individu. De plus, on ne peut pas dire que ses mandats aient été caractérisés par des prises de paroles profuses. Cependant, la carrière de Bendjelloul l'a conduit à prendre part à une demi-douzaine d'institutions : Conseil général de Constantine, Délégations financières, Assemblée Consultative Provisoire, Assemblée Nationale Constituante, Conseil de la République et Assemblée Nationale. Renoncer à l'exhaustivité a permis de se concentrer sur les textes qui semblent les plus importants : les prises de paroles en séance publique et certaines des propositions de loi dont les textes étaient accessibles en ligne, indiquant qu'elles ont été publiées au Journal Officiel et diffusées plus largement dès l'époque d'émission du texte. De même, pour la décennie 1930, c'est surtout par des discours publics et des adresses au gouvernement français par courrier et dans la presse que Bendjelloul cherche à obtenir des réformes. Les archives du Conseil Général de Constantine et des Délégations financières n'ont donc pas été favorisées comme source pour la première partie de la présente étude.

Ce mémoire est divisé en trois parties qui suivent la chronologie de la carrière du Docteur Bendjelloul, en fonction des changements institutionnels auxquels il adapte son combat politique : l'Algérie sous la IIIe République du début de sa carrière en 1939, puis les institutions de Vichy et du Gouvernement Provisoire de la République Française de 1940 à 1945, et enfin les institutions métropolitaines de la IVe République de 1945 au vote de la loi d'état d'urgence en 1956, date après laquelle son action politique disparaît progressivement. Dans ce contexte instable, nous verrons dans le présent mémoire comment Bendjelloul adapte son discours et ses modes d'action, avec une certaine cohérence dont il sera discuté dans le présent mémoire.

La première partie est consacrée à la décennie 1930, la partie la plus traitée de son parcours, et analyse son programme politique et son rapport à la légalité coloniale. Nous nous demanderons ce qui dans l'action politique du Bendjelloul des années 1930 faisait de lui un personnage contestataire vu comme une menace par l'ordre colonial, sans qu'il ne soit récupérable par le récit nationaliste ultérieur.

1 Malika Rahal, Les Représentants colonisés au Parlement français, op. cit ; David Roudaut, « Les députés des départements d'Algérie sous la IVe République », Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2013.

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La seconde partie traite de la manière dont Bendjelloul ne prend pas le tournant nationaliste de la plupart de ses contemporains dans le sillage de l'échec du Congrès Musulman Algérien et de la Seconde Guerre Mondiale, ainsi que de son adaptation aux changements de régimes politiques en métropole entre 1939 et 1946.

La troisième partie, enfin, porte sur les modalités de son positionnement politique en tant qu'élu colonisé d'institutions métropolitaines entre 1946 et 1956. Nous nous pencherons sur les continuités observées entre ses discours politiques d'avant-guerre et ceux tenus au Parlement. Nous chercherons aussi les différentes manières dont Bendjelloul se positionne face aux évolutions de son contexte politique en métropole et en Algérie, sans embrasser les idées nationalistes mais sans cesser pour autant d'exprimer ses revendications au nom de ses mandants algériens.

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Partie I - Le Docteur Bendjelloul, champion

assimilationniste de la cause algérienne (1930-1938)

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I - Le réformisme assimilationniste, programme politique du Docteur Bendjelloul

Né en 1893 à Constantine d'un père instituteur de formation dans une famille de notables désargentés1, Mohammed Salah Bendjelloul effectue ses études de médecine à la faculté d'Alger dans les années 1910. Selon les documents de surveillance coloniale, Bendjelloul aurait ensuite été médecin de colonisation dans les Aurès dans les années 1920 avant d'installer son cabinet dans sa ville d'origine2. C'est à partir de ce moment que son activité politique devient publique, en tant que Président de la Fédération des Elus Musulmans (FEM) du département de Constantine, de 1932 à la Seconde Guerre Mondiale.

Durant ses études, Bendjelloul est témoin de l'essor du mouvement Jeune Algérien auquel appartiennent alors beaucoup de futurs personnages politiques de sa génération3. Ce mouvement politique, notamment dirigé par l'Emir Khaled, le petit-fils d'Abdelkader, revendique des réformes du système politique et l'égalité des droits pour les Algériens et les colons européens4. Le courant Jeune Algérien constitue l'émergence d'un discours politique assimilationniste. Les Jeunes Algériens respectent les formes et les cadres d'expression du discours politique français. Ils s'expriment en français, utilisent la presse, revendiquent l'accès aux droits civiques et à la citoyenneté française avec maintien du statut personnel musulman. Cette notion juridique distinguait les Français de statut personnel musulman des citoyens français de plein droit. Les colonisés souhaitant exercer leur pleine citoyenneté devaient renoncer à leur statut personnel musulman, ce qui s'apparente pour eux à une apostasie. L'un des combats des assimilationnistes est la revendication de la pleine citoyenneté sans abandon du statut personnel.

1 Entretien avec M'hamed Bendjelloul, fils de M.S.Bendjelloul, In Julien Fromage, Innovation politique et mobilisation de masse en « situation coloniale » : un « printemps algérien » des années 1930 ? L'expérience de la Fédération des Elus Musulmans du Département de Constantine, Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2012.

2 Sous-Direction des Services Actifs de Police - Service Central des Renseignements Généraux, « A/S de M. BENDJELLOUL Mohamed Salah, ex-député de Constantine », Gouvernement Général d'Algérie, 1958. GGA 7G 1403, ANOM, Aix-En-Provence.

3 J. McDougall, A History of Algeria, op. cit, p. 181.

4 Voir Charles-Robert Ageron, « Le mouvement «Jeune-Algérien» de 1900 à 1923 », in Genèse de l'Algérie algérienne, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2005, p. 107-130.

Dans ce mémoire, on entend par assimilationnisme une aspiration à l'égalité formulée par les colonisés dans les formes du discours politique du colonisateur. Les adhérents à cet idéal, souvent des élites éduquées, se distinguent par une francophilie affirmée et professent leur reconnaissance au colonisateur, se considérant comme les preuves de la réussite de la mission civilisatrice. Bendjelloul s'inscrit dans cette dynamique, mais y associe une stratégie de mobilisation populaire revendicative, qui légitime le mouvement tout en répandant l'idée assimilationniste au-delà de l'élite urbaine.

A - La préface de 1935, une profession d'assimilationnisme

Figure 1 Deuxième couverture de « La

Vérité sur le Malaise Algérien » de

Kessous, Bône (Annaba), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935.

En 1935, Mohammed-El-Aziz Kessous, alors rédacteur en chef de l'Entente, publie un essai de 115 pages intitulé « La Vérité sur le Malaise Algérien »1. La préface de ce livre est écrite par Bendjelloul, et est l'une des sources écrites par lui les plus longues dont nous disposions, et également la seule qui ait été publiée. « La Vérité sur le Malaise Algérien » s'inscrit résolument dans l'idée assimilationniste, et ce dès le verso de la page de titre où l'auteur dédicace son livre « à [ses] Maîtres de l'Ecole Primaire, de l'Enseignement Secondaire et des Facultés. »2.

Une analyse rapide de la couverture est révélatrice du rôle de Bendjelloul sur la scène politique algérienne des années 1930 : son nom est imprimé en plus grand que nom de l'auteur, et semble lui servir de légitimation, voire d'argument de vente.

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1 Mohammed-El-Aziz Kessous, La Vérité sur le Malaise Algérien - Préface du Dr Bendjelloul, Bône (Annaba), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935.

2 Ibid.

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Dans sa préface, Bendjelloul appelle Kessous son « cher ami » et « un des membres les plus représentatifs de la jeunesse intellectuelle indigène »1. Il loue la qualité du travail de l'auteur pour « rétablir les faits dans leur exactitude » et « exposer [les] justes revendications » des Elus Musulmans, dans un contexte de « calomnies » et de « ragots » dont ils sont victimes2. En effet, moins d'un an avant la publication de ce livre, les 3 et 5 août 1934, la ville de Constantine avait été endeuillée par de violentes émeutes antisémites, perpétrées par des Algériens musulmans partisans de Bendjelloul ayant cru, dans un contexte de tensions exacerbées par la situation coloniale, que leur leader avait été assassiné. Cette émeute avait été instrumentalisée par les ennemis de l'assimilation des colonisés comme une preuve de leur sauvagerie et du danger qu'ils représenteraient s'ils étaient intégrés au corps des citoyens français3. Afin de contrer cette campagne de diffamation, Bendjelloul professe « les sentiments et les intérêts qui lient indéfectiblement à la France » les représentants des Algériens musulmans, et espère que, grâce au travail de Kessous, « on ne mettra plus en doute [leur] patriotisme » :

La France a comblé de bienfaits notre pays, nous l'avons toujours proclamé et nous le proclamerons toujours. C'est elle qui a construit ces écoles où des milliers d'enfants s'adaptent de plus en plus à une vie moderne où l'instruction est le premier des biens ; c'est elle qui a tracé des routes, établi des ponts, construit des hôpitaux, défriché des forêts, fertilisé des marais ce dont nous lui serons éternellement reconnaissants. Mais n'est-il pas vrai que ces progrès sont encore loin de suffire à tous les besoins, qu'ils ont été inégalement répartis et que leur jouissance est pratiquement refusée à la plus grande partie de la population laborieuse ? 4

Bendjelloul reprend des thèmes rhétoriques coloniaux, comme la mission civilisatrice ou plus loin la référence à l'empire romain, mais il ne se contente pas d'acclamer la colonisation,

1 Mohammed Salah Bendjelloul, « Préface », in La Vérité sur le Malaise Algérien - Préface du Dr Bendjelloul, Bone (Annaba), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935, respectivement p. 7 et p. 5.

2 Ibid.

3 Pour une enquête de fond sur cet évènement et la complexité des facteurs ayant mené au pogrom, voir Joshua Cole, Lethal provocation, op. cit. L'auteur y présente également la rhétorique antisémite employée par Bendjelloul à cette époque à des fins électoralistes. Si les sources sélectionnées pour la réalisation de ce mémoire ne donnent pas suffisamment de matière pour discuter de cet aspect du discours politique algérien, le recours à l'antisémitisme de Bendjelloul et d'autres élus algériens musulmans est un fait avéré.

4 M. S. Bendjelloul, « Préface », art. cit., p. 7.

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comme l'ont fait les colons quelques années plus tôt lors des célébrations du centenaire de la colonisation de l'Algérie. Il commence par louer le travail accompli factuellement, avant de dénoncer les injustices dans la répartition des bénéfices en découlant. Il appelle les colonisateurs français, qui se voient comme les héritiers de l'Empire Romain en Afrique du Nord, à imiter leurs ancêtres : ne réduisant pas l'Afrique du Nord à une ressource en biens et en soldats mais laissant se développer l'élite intellectuelle : « des poètes, tel Apulée, des empereurs, tel Septime-Sévère, et des penseurs, tel Saint-Augustin »1. Plus largement, il affirme que la masse paysanne est restée dans le même état depuis la conquête malgré les nombreux bienfaits énumérés dont ne bénéficie pas la majorité des Algériens. Le principal apport de la colonisation pour ces masses est la sécurité, mais elle a été acquise au prix de la participation des Algériens à toutes les guerres du Second Empire et de la IIIe République. Cela leur confère « le droit de réclamer un traitement politique plus équitable et une vie matérielle meilleure »2. Dans ce texte, Bendjelloul reste réformiste et peu radical dans ses revendications. Il ne remet pas en cause la colonisation en soi mais appelle simplement à des améliorations : il ne dit pas que les Algériens ont droit à un traitement politique équitable mais « plus équitable » ; il ne réclame pas vie matérielle digne mais « une vie matérielle meilleure ».

Deux pôles de demande sont identifiables : la situation humanitaire, ou soulagement de « l'épouvantable misère dont souffre le paysan algérien »3, et le problème politique de la place des musulmans dans la cité française :

La France est aujourd'hui la deuxième puissance musulmane de l'Univers, et il se trouve que ses ressortissants Mahométans sont groupés à sa porte, la prolongent dans l'espace, et participent activement à sa vie économique et politique. C'est là une situation unique qui lui impose des devoirs spéciaux, très différents de ceux qui incombent aux autres puissances musulmanes, telles l'Angleterre ou la Hollande, dont les sujets mènent, à des milliers de lieux, une existence tout à fait particulière4 .

1Ibid., p. 6.

2 Ibid., p. 8.

3 Ibid.

4 Ibid., p. 9.

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A ceux qui jugent que l'Islam est incompatible avec la civilisation européenne, Bendjelloul répond avec une dimension transimpériale qui se retrouve régulièrement au cours du parcours politique de Bendjelloul. Il affirme que les spécificités de l'Algérie dans l'empire colonial donnent à la France une relation unique et une responsabilité particulière envers ces populations. La religion musulmane de celles-ci est une donnée avec laquelle la France doit composer, affirme Bendjelloul : si l'attachement des Algériens à l'Islam n'est pas négociable, il n'entre pas plus en contradiction avec le statut de citoyen français, tout comme l'attachement de certains Français à la chrétienté1.

Ainsi, l'assimilationnisme de Bendjelloul formulé dans ce texte se base sur une appropriation des motifs discursifs des colonisateurs français, pour mettre ces derniers face à leurs contradictions. Il demande d'eux ce que la propagande de la mission civilisatrice et de la France pays des Lumières promet : la liberté et l'égalité pour les colonisés. Ce texte est un aperçu clair et argumenté du programme porté par Bendjelloul en tant qu'élu au sein des institutions coloniales.

B - Être élu en situation coloniale : l'opposition loyale

Les Algériens musulmans engagés en politique présentent des opinions variées et développent différentes stratégies face aux contraintes du cadre colonial auxquelles ils sont soumis. Suite aux émeutes antisémites du 5 août évoquées plus haut, ainsi qu'à la publication à Paris de propos algériens nationalistes par l'Etoile Nord-Africaine, le Conseil général du département de Constantine se réunit et, sous la pression de leurs collègues européens, les élus indigènes de cette institution professent leur loyalisme envers la France2. Lors de cette réunion est discutée une motion aux accents pour le moins paternalistes proposée signée par les membres européens du conseil et adressées aux élus musulmans. Les conseillers musulmans

1 Ibid., p. 10. « Nous continuerons à nous sentir les Frères des autres musulmans, qu'ils soient noirs ou jaunes, de même que tous les catholiques se sentent fils de la même église, mais c'est là un sentiment élevé, qui nous honore plutôt que nous rabaisser, et qui ne nous fera jamais oublier que nous sommes français tout court. »

2 Conseil Général de Constantine, Extrait du procès-verbal de la séance du 28 octobre 1934, Constantine, Conseil Général de Constantine, 1934. In Archives de la Préfecture de Constantine, « Politique Indigène - Evènements du 5 août 1934 », 93 B3 277, ANOM, Aix-en-Provence.

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Chérif Saadane et Ferhat Abbas mènent la critique de ce texte jugé insultant, et Bendjelloul déclare :

Messieurs, je ne voterai pas le (sic) motion de M. Vallet. Si je reconnais qu'ici la souveraineté est la souveraineté française, il existe dans cette motion des considérants que je ne puis tolérer.1

C'est ici un exemple de l'opposition légale déployée par les élus algériens : dans le cadre des institutions mises en place par la République Française, face à leurs collègues européens, Bendjelloul et ses alliés s'opposent à leur vision du monde par des débats et de votes de motions. Bendjelloul affirme son attachement à la souveraineté française sur l'Algérie, condition de sa prise de parole dans le cadre de ces institutions.

Ce document témoigne d'une atmosphère politique tendue entre élus départementaux colons et colonisés, parce que les Européens remettent en question la loyauté des élus indigènes. On voit apparaître trois camps dans le discours des acteurs : les Européens colonialistes, qu'ils soient ou non arabophiles ; les élus assimilationnistes, qui sont appelés et s'appellent eux-mêmes « les jeunes »2 ; et les chefs indigènes. La sincérité de ces derniers est remise en question par les jeunes intellectuels assimilationnistes, qui essayent de faire entendre leurs revendications et de se faire une place dans la politique où jusqu'ici siégeaient les « Vieux Turbans », représentants de grandes familles algériennes. Face aux insinuations de leurs homologues européens, chaque camp rivalise de loyalisme envers la France. Bendjelloul s'écrie par exemple :

Ici, nous sommes reconnaissants à la France d'avoir fait de l'Algérie ce qu'elle est. Je suis son serviteur, je pense en français et je parle, j'ignore presque ma langue maternelle. Je tiens à le répéter, il n'y a ici qu'une souveraineté : celle de la France.3

Il est important de souligner que ses paroles répondent à une remise en cause du patriotisme des membres algériens musulmans du Conseil général du département de Constantine. Cette profession de foi profrançaise est prononcée, sinon sous la contrainte, au

1 Ibid.

2 Conseil Général de Constantine, « Procès-Verbal du 28 octobre 1934 ». Abbas en s'autodésignant, et Panisse à la page 8 en répondant à Bendjelloul.

3 Ibid., p. 8 In Archives de la Préfecture de Constantine, « Politique Indigène - Evènements du 5 août 1934 », 93 B3 277, ANOM, Aix-en-Provence.

moins sous la pression. Néanmoins, ces paroles sont celles de Bendjelloul et on peut retrouver des affirmations peut-être moins radicales mais semblables dans d'autres contextes, il semble établi que c'est bien dans le cadre de la souveraineté française que la figure de proue assimilationniste voit l'avenir de l'Algérie.

L'absence de remise en question de la souveraineté française ne signifie cependant pas l'absence de remise en question du système d'oppression colonial, et les archives de l'action des Elus constituent une description précieuse et détaillée du système colonial dans ses violences et injustices quotidiennes qu'ils dénoncent inlassablement. Dans une lettre de six pages datées du 3 avril 1934, Bendjelloul fait état au préfet de l'exaspération des populations indigènes misérables, victimes de l'arbitraire des « fonctionnaires subalternes » et de l'injuste attribution des ressources1. Il liste vingt-deux raisons de cette exaspération, dénonçant par exemple la « brutalité inouïe » qui accompagne parfois la perception des impôts (point 8), les expropriations qui « vont toujours bon train » (point 14) ou encore l'attitude réactionnaire des opposants aux réformes indigènes (point 1), réformes qu'il appelle de ses voeux en conclusion de la lettre. Il présente sa plainte comme un acte de loyauté envers la France : il voit monter la colère et le risque d'émeutes et appelle à des réformes pour éviter des affrontements qui ne feraient qu'empirer la situation.

« En pareilles circonstances, notre devoir est de vous dire franchement la vérité, en vous signalant la situation désespérée des nôtres » 2.

Si Bendjelloul ne voit pas dans l'oppression coloniale une raison de revendiquer l'indépendance, il ne s'en accommode pas pour autant. Il se mobilise pour faire cesser les injustices, mais selon les modes d'expression autorisés : la presse, les institutions françaises, les campagnes électorales, l'interpellation des autorités métropolitaines, ...

Selon une « fiche bleue » de la préfecture de Constantine, synthétisant tous les renseignements recueillis par la police de surveillance, Bendjelloul aurait envoyé en août 1932 un télégramme au président du conseil, c'est-à-dire au plus haut niveau de l'Etat français, ainsi qu'au ministre de l'Intérieur, pour dénoncer des mauvais traitements - la fiche parle de « soi-

1 Mohammed Salah Bendjelloul, « Lettre au Préfet du Département de Constantine », 3 avril 1934, 93 B3 277, ANOM, Aix-En-Provence.

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2 Ibid., p. 6.

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disant mauvais traitements » - subis par les habitants de la commune d'Aïn-M'Lila lors de la perception des impôts et demander une enquête « par des "gens de France" »1. On reconnaît ici un mode d'action politique typique de Bendjelloul tout au long de sa carrière : relayer les plaintes des populations au plus haut niveau de l'Etat, en métropole, pour dénoncer la corruption des échelons intermédiaires de l'administration française, en Algérie. Dans une lettre au journal La Dépêche de Constantine de juin 1935, Bendjelloul justifie sa pratique de contourner le Gouverneur Général pour s'adresser directement à Paris : les portes sont fermées au dialogue, et l'administration coloniale en Algérie a pris parti contre lui2.

Ainsi, par différents moyens d'action, Bendjelloul s'inscrit dans une opposition loyale au système colonial et à ses travers, sans se départir de ses convictions francophiles : il souhaite que l'Algérie devienne toujours plus française, et c'est pour cette raison qu'il critique les exactions françaises. Cette loyauté assimilationniste est mal reçue par les colons européens, qui voient dans toute critique une menace de sa souveraineté.

1 Fiche de Renseignement individuel sur Mohammed Salah Bendjelloul, In Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », 9310115, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Article de la Dépêche de Constantine du 1er février 1935 [Publication et commentaire d'une lettre du Dr Bendjelloul au Rédacteur en Chef]. In « Dossier Fédération des Elus Musulmans d'Algérie, 1935- 1936 ». 93 B3 277, ANOM, Aix-En-Provence.

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II - Toute remise en cause du système colonial est-elle nationaliste en puissance ?

La Fédération des Elus Musulmans (FEM) du Constantinois, présidée par Bendjelloul à partir de 1932, est fondée le 29 juin 1930 à Constantine par Chérif Sisbane, président de la section arabe des Délégations Financières, assemblée chargée de gérer le budget de l'Algérie indépendamment du gouvernement métropolitain1. Cette organisation a pour but « d'unir et de coordonner les efforts des représentants indigènes et de collaborer avec les pouvoirs publics, en les éclairant sur les besoins de la population musulmane »2 dans une dynamique explicitement assimilationniste3. Son action reste peu combative avant la présidence du Docteur Bendjelloul, qui lui impulse une dynamique plus populaire et contestataire.

Ce tournant revendicatif des Elus peut s'expliquer par l'humiliation du centenaire de la colonisation, fêté en grandes pompes à Alger et à Paris. Les premières générations d'intellectuels algériens ayant suivi une éducation française ne reçoivent aucune place dans ce qu'ils envisageaient pourtant comme l'occasion de marquer un tournant dans les pratiques coloniales et de faire des réformes en faveur de l'égalité des colons et des Algériens musulmans4. L'absence criante de réforme et d'intention de changement lors des célébrations du centenaire va pousser les membres de cette élite à entrer dans une démarche de contestation plus explicite.

1 Pour une étude approfondie de l'histoire et du fonctionnement des Délégations financières, voir Jacques Bouveresse, Un parlement colonial? Les Délégations financières algériennes 1898-1945, Mont-Saint-Aignan, Publications de l'Université de Rouen et du Havre, 2008.

2 Le Chef de la Sûreté Départementale, Rapport Spécial: Création d'une Fédération des élus musulmans du Département de Constantine, Constantine, Sûreté Départementale de Constantine, 1930. In Préfecture de Constantine, « Dossier Constitution de la Fédération des Elus Musulmans 1930 », 1930- 1934, 93 B3 277, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Chérif Sisbane, Note sur les réformes désirées par la Fédération des élus des indigènes du département de Constantine, Constantine, Imprimerie P. Braham, 1931.

4 Sur les enjeux entourant les fêtes du centenaire de la colonisation de l'Algérie, voir notamment Jan C. Jansen, « Fête et ordre colonial. Centenaires et résistance anticolonialiste en Algérie pendant les années 1930 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2014, vol.121 no 1, p. 61-76.

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A - La mobilisation autour du projet Viollette : l'assimilation contre l'oppression coloniale

En 1936, l'avènement du Front populaire permet pendant quelques mois d'espérer une politique coloniale libérale et réformiste. Le sénateur Maurice Viollette, ancien gouverneur général de l'Algérie très favorable aux réformes et proche de la FEM, propose au parlement un projet de loi accordant le droit de vote à un plus grand nombre de Français musulmans, sans que ceux-ci ne soient forcés à renoncer à leur statut personnel. Si les assimilationnistes soutiennent ce projet comme un premier progrès, le lobby colonial du parlement métropolitain, composé notamment des députés des colons algériens, mène durant plusieurs années une intense campagne contre la FEM et contre ce projet ; jusqu'à ce qu'il soit abandonné.

Lors d'une conférence publique à Guelma le 2 août 1937, le Docteur Bendjelloul explique à la population les raisons qui l'ont poussé à lancer un mouvement de démissions collectives des élus, suivi massivement, en particulier dans le Constantinois. L'administrateur adjoint de l'arrondissement de Jemmapes (Azzaba) rapporte ses paroles au préfet de Constantine : Bendjelloul se déclare « partisan convaincu du projet Violette », dans lequel il voit l'aboutissement des revendications de la population musulmane. Mais ses efforts se sont « toujours heurté à l'indifférence sinon à l'opposition des pouvoirs publics », et la FEM, face à cette situation, « a décidé que ses adhérents renonceraient à leur mandat en signe de protestation » 1. Avec ces démissions collectives, le but de la FEM n'est pas de sortir des institutions françaises pour couper toute relation avec le système colonial, mais d'obtenir des réformes de ce système. Pour cela, les élus utilisent les moyens légaux à leur disposition. Le dossier que les archives de la préfecture de Constantine consacrent à la FEM en 1937 permet de mieux comprendre la stratégie et les différents modes d'action de la Fédération : les rapports de surveillance traitent de ce mouvement de démissions collectives d'élus organisé à l'été 1937, mais le dossier contient aussi, par exemple, des correspondances et échanges entre Bendjelloul et l'administration pour demander des autorisations de se réunir. Par exemple, le dossier contient une copie d'une lettre datée du 3 août 1937 dans laquelle Bendjelloul informe l'administrateur de la commune mixte de Guergour de sa venue pour une réunion publique les

1 Le sous-préfet de l'arrondissement à Monsieur le Préfet - Centre d'Information et d'Etudes de Constantine, « Rapport n° 4605 - Surveillance politique Indigène - Conférence du Dr Bendjelloul ». Guelma, 1937. In Préfecture de Constantine, « Dossier sur l'action de la FEM - Journaux, rapports de surveillance et divers », août 1937, 93 B3 280, ANOM, Aix-En-Provence.

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19 et 20 août, et lui demande un local pour accueillir l'évènement. Le fonctionnaire colonial exprime ses craintes à ses supérieurs1, mais le préfet l'encourage à ne pas interdire la réunion « par caprice », d'autant plus que, « dans plus de vingt communes [...], des réunions semblables ont déjà eu lieu qui, grâce aux dispositions prises par l'Autorité Locale, n'ont provoqué aucun incident »2.

Comme le signale le préfet, Bendjelloul déploie avec la FEM une importante mobilisation politique en cet été 1937, enchaînant les réunions dans toute la région. Les administrateurs rapportent à chaque fois la présence de quelques milliers d'« indigènes ». Le Capitaine Metens, commandant de la section de gendarmerie nationale de Bougie (Bejaia), est chargé de maintenir l'ordre lors de la réunion publique « organisée par le Docteur Bendjelloul » à Kerrata (Kherrata) le 17 août 1937. Dans son rapport, il témoigne des appels au calme des orateurs, suivis par la foule présente. Ce calme contraste avec le ton revendicatif des orateurs, Abbas, Mostefaï et Bendjelloul : ils expliquent leurs démissions par une litanie de critiques de la situation d'oppression économique et juridique que subissent « les indigènes ». Ils déclarent qu'ils se mobiliseront sans se fatiguer « pour lutter jusqu'à l'amélioration de la situation des indigènes dans une Algérie Française ».3 Ils dénoncent avec vigueur l'accaparement des terres par les gros colons et les grandes compagnies terriennes, enjoignent leurs auditeurs à ne plus accepter les salaires trop bas pour peu à peu être en mesure d'exiger « un salaire égal à celui des français (sic) car les indigènes ont un ventre comme les Français »4. Le droit du sang, acquis par les sacrifices des Algériens dans les guerres coloniales et en Europe, est également invoqué. Les communes mixtes, avec leurs administrateurs et leurs caïds, doivent disparaître. Il est à noter que les mots colonisés ou système colonial ne font pas partie du vocabulaire des élus musulmans. Le compte-rendu du Capitaine Metens rapporte que la réunion se serait finie sur les mots suivants :

Nous avons vu le Gouverneur Général, des Ministres, le Président de la République, qui nous ont fait des promesses sans aucune réalisation. Nous voulons

1 Administrateur Adjoint de la commune mixte de Guergour au Sous-préfet de Bougie, Lettre n° 8991. Lafayette, 5 août 1937. In Ibid. doc.cit.

2 Ibid. In Ibid.

3 Rapport du Capitaine Metens, Commandant la section sur une réunion publique à Kerrata le 17 août 1937. In Ibid.

4 Ibid. In Ibid.

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continuer nos revendications dans le calme mais si nous avons besoin de vous pour une action énergique est-ce que vous répondrez "présent" ? La masse des indigènes a répondu "Oui".1

L'assimilationnisme des Elus n'est donc pas le résultat d'un aveuglement sur la mauvaise foi de leurs interlocuteurs français, ni une acceptation résignée des injustices du système colonial. Selon ce rapport, ils affirment leur volonté de continuer à se mobiliser dans le calme et à demander à leurs partisans de faire de même. Les Elus sont bien favorables à la présence française en Algérie, mais revendiquent une réforme en profondeur du système, en fait la fin de l'oppression coloniale.

B - L'accusation de nationalisme

On l'a vu, Bendjelloul revendique une plus grande présence de la France dans le quotidien des colonisés, afin que ceux-ci aient à terme un niveau de vie et des droits égaux à ceux des Français. Les partisans de l'ordre colonial ont raison de voir ces revendications de Bendjelloul comme une menace pour l'empire français, mais formulent à tort cette menace comme étant « nationaliste », se montrant incapables de reconnaître la francophilie motivant les revendications des assimilationnistes. Ainsi, un document de six pages interne au service de surveillance politique des Indigènes de la Préfecture de Constantine, non daté et non signé, décrit Bendjelloul en « héros National », autour duquel se serait formé « une sorte de Front Commun » enthousiaste et « prêt à obéir à tous ses mots d'ordre » 2.

Un dossier de surveillance de la préfecture de Constantine sur la Fédération des Elus contient une traduction d'un article paru dans le troisième numéro du journal arabophone El Midane le 11 juillet 1937.3 Cet article contient une photographie de l'Emir Khaled, mis en scène en train de parler depuis le paradis à la nation algérienne pour l'appeler à l'unité. L'article contient également une photographie de Bendjelloul, qui appelle lui aussi à l'unité. Bendjelloul

1 Ibid.

2 Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », doc. cit.

3 « Traduction du troisième numéro d'EL MIDANE du 11 juillet 1937 », Constantine, 13 juillet 1937. In Préfecture de Constantine, « Dossier sur l'action de la FEM - Journaux, rapports de surveillance et divers », doc. cit.

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est ainsi visuellement et discursivement associé à l'émir Khaled, descendant d'Abdelkader, et est placé comme leur héritier. Il est appelé

le valeureux leader de la cause algérienne, le Docteur BENDJELLOUL qui combat les instigateurs de désordre, l'élu indépendant qui défend le peuple musulman algérien lésé dans ses droits, humilié dans sa dignité1.

Un journal, publié dans les milieux proches de la FEM, est saisi en ce même été 1937 par les services de surveillance de l'activité politique des indigènes. Le journal publie dans son premier numéro un appel au peuple algérien à sortir de sa torpeur et à voir les Français comme des ennemis desquels se libérer. Les éléments rhétoriques empruntent à un vocabulaire nationaliste, invoquant le sang des ancêtres, maudissant les « traîtres ». Le Gouverneur Général de l'Algérie prend connaissance de ce texte « d'une particulière violence » et demande au préfet de Constantine d' « inviter » Hacène El-Ouarezgui, le rédacteur du journal, « à observer plus de modération et l'informer que [le Gouverneur Général n'hésitera] pas à provoquer contre le journal toutes mesures utiles »2 en cas de récidive. Le 28 juillet, le préfet de Constantine répond au Gouverneur Général que suite à ces mises en garde, « l'intéressé » a professé son loyalisme et affirmé que « les faits signalés ne se renouvelleraient pas »3.

L'article en question contenait également une photographie de Bendjelloul, avec en légende le texte suivant :

1 Ibid.

2 Le Gouverneur Général de l'Algérie à Monsieur le Préfet de Constantine (Affaires Indigènes). Courrier n° 6643 E.S. du 17 juillet 1937 « Politique Indigène - Journal "El Midane" ». In Préfecture de Constantine, « Dossier Article du journal El Maidane du 27 juin 1937 et traduction en français par la préfecture », 93 B3 280, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Le Préfet du Département de Constantine à Monsieur le Gouverneur Général de l'Algérie (Cabinet). Courrier n° 3828 : « Politique indigène - Journal "El Midane" » du 28 juillet 1937. In Ibid.

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Figure 2 Portrait du Docteur Bendjelloul dans le journal El Midane du 27 juin 19371

Ce portrait est l'empreinte du courage qui ne peut être égalé, du caractère ferme et audacieux. - Le Docteur BENDJELLOUL, Président de la Fédération des Elus Musulmans du Département de CONSTANTINE, dirigeant du mouvement politique algérien. 2 (traduction de l'administration du Gouverneur Général)

Ainsi, sans que les discours de Bendjelloul ne soient antifrançais ou nationalistes, sa personne suscite l'admiration et l'espoir de la fin de la domination française3. Il faut cependant

1 Ibid.

2 Ibid. p. 5.

3 Préfecture de Constantine, « Dossier Article du journal El Maidane du 27 juin 1937 et traduction en français par la préfecture », doc. cit.

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relever que cet article émerge dans un milieu proche de la FEM, et que le journal est domicilié à la même adresse que l'Entente. Bendjelloul était-il au courant voire en accord avec le contenu de ce journal ? L'article nationaliste ne reprend pourtant pas les thèmes et les revendications assimilationnistes de la FEM. Pour savoir si Bendjelloul jouait double jeu entre la presse francophone de la FEM et la presse arabophone, une recherche plus approfondie sur Hacène El-Ouarezgui et sur les sociabilités politiques à Constantine serait nécessaire.

Au-delà d'idées nationalistes, il est certain que Bendjelloul a entretenu tout au long des années 1930 une rhétorique accusatrice et parfois violente envers ses adversaires défenseurs de la colonisation traditionnelle, et a fréquemment lancé des accusations de traîtrise et employé une rhétorique religieuse à des fins politiques, bien avant que le FLN ne retourne ces ressorts rhétoriques contre les assimilationnistes tels que lui. Bendjelloul a souvent employé les mêmes stratégies de diabolisation manichéenne des élus « Béni Oui-Oui » passifs face aux Français pour promouvoir son programme politique, de la même manière que les nationalistes ont par la suite diabolisé son action.

Quoi qu'il en soi, tout au long de la décennie 1930, l'activité politique des Elus est accusée d'être source d'agitation sociale. Dans un rassemblement public le 17 mai 1936, les Elus affirment devant leurs électeurs s'être abstenus de faire des meetings pendant plus d'un an en réponse à « un désir exprimé par M. Régnier » pour « dissiper le malaise algérien »1, euphémisme désignant dans les années 1930 l'animosité montante entre colonisés revendiquant des réformes et colons défendant aveuglément leurs intérêts. Ce « désir exprimé par M. Régnier » est en fait un décret de répression de l'expression politique des Algériens colonisés, dénoncé avec vigueur dans d'autres contextes par Bendjelloul et les élus comme une violation des valeurs de la France et des libertés des Algériens musulmans au même titre que le code de l'indigénat.

Le projet politique porté par Bendjelloul et la FEM s'oppose au statu quo colonial, et les garants de cet ordre des choses perçoivent le danger que représentent leurs revendications. Une des fiches de surveillance des archives de la préfecture de Constantine est intitulée « Renseignements sur la moralité, les antécédents et les tendances politiques des nouveaux Elus

1 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », L'Entente franco-musulmane, 28 mai 1936, n°29.

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aux dernières Elections aux Délégations Financières » et reprend les thèmes majeurs des autres documents produits sur le sujet par les services de surveillance de la préfecture. Cette fiche nous renseigne sur la perception de Bendjelloul par l'administration dans les années 1930 :

En résumé, le Docteur BENDJELLOUL est un adversaire dangereux de l'Autorité contre laquelle il s'est ouvertement dressé. Son caractère autoritaire, son tempérament violent, sa nature orgueilleuse, son ambition, sa moralité qui n'a pas été à l'abri de tout soupçon, font que, bien que sa valeur intellectuelle soit, au demeurant, assez moyenne, cette personnalité n'abandonnera la lutte que de vive force.

Je crois devoir, par ailleurs, mettre en garde la Haute Administration contre le peu de foi que l'on pourrait accorder aux promesses que le Docteur BENDJELLOUL pourrait faire ultérieurement.

A l'heure actuelle, il est en tout état de cause, le véritable responsable de la situation troublée et inquiétante que j'ai eu l'honneur de vous signaler. J'estime, en conclusion, qu'il constitue un danger public 1.

L'auteur de cette source présente Bendjelloul comme un ennemi déclaré de l'administration, luttant « sournoisement » contre elle. Les actes « d'hostilité ouverte contre elle » détaillés dans le document sont en fait des actes de résistance aux pressions ou d'expression d'un désaccord, comme dans cet exemple l'abstention de voter la confiance au Gouverneur Général :

A partir de ce moment, il a agi avec persévérance, tenu en haleine ses partisans et entamé sournoisement la lutte contre l'Administration.

Son premier acte d'hostilité ouverte a été de ne pas voter la mention de confiance proposée par le Conseil Général à l'adresse de Monsieur le Gouverneur Général CARDE.

1 Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », doc. cit., p. 17.

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Il a agité le premier, le projet d'une Délégation d'Elus Indigènes à PARIS. La légitime résistance de la Haute Administration lui a donné l'idée de provoquer les démissions collectives de 1933 1.

Ces extraits montrent comment l'assimilationnisme, dénoncé par la suite par les nationalistes comme une attitude passive voire une collaboration avec le système colonial, est en réalité perçu comme un défi à l'ordre colonial par les colonisateurs.

Cette source est d'une malhonnêteté évidente : elle est formulée de manière à passer rapidement sur les succès de Bendjelloul, voire à les ignorer. Par exemple, son élection n'est pas attribuée à sa campagne électorale organisée au contact des populations et dans la presse, mais est présentée comme le fruit de manigances et de manipulation de la population. Le succès électoral n'est pas explicitement mentionné, l'auteur se contentant de décrire Bendjelloul comme un ambitieux intriguant « dès que les circonstances le lui ont permis », c'est-à-dire dès son large succès électoral et populaire, pour briguer et obtenir la Présidence de la Fédération des Elus Musulmans. Ce rapport se déroule sans la moindre mention de son programme politique, comme si son seul mobile était l'influence personnelle. De plus, ses alliés sont appelés « le parti Bendjelloul », évitant ainsi à l'auteur de devoir développer sur leurs idées politiques et présentant au contraire comme une mafia ou un çoff, un groupe d'influence visant l'intérêt personnel du groupe et de sa figure de proue. Le terme « agitation » est employé en lieu et place de campagne électorale ou mobilisation politique. Le terme d'agitation montre que l'auteur de cette source considère Bendjelloul comme un ennemi qui cherche à causer du trouble, sans direction politique claire. Il insiste sur son caractère et ses écarts moraux et ne mentionne aucune de ses revendications politiques, ni de discours ou d'antécédents politiques, aux Jeunes Algériens par exemple. On sait pourtant par le reste des sources disponibles que Bendjelloul tenait des réunions et publiait des articles présentant sa stratégie d'opposition légale et ses revendications sociales et civiques pour les Algériens musulmans.

1 « RENSEIGNEMENTS sur la moralité, les antécédents et les tendances politiques des nouveaux Elus aux dernières Elections aux DELEGATIONS FINANCIèRES », s. d. In Dossier Bendjelloul de 1934 à 1940 ; Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul entre 1934 et 1940 - Surveillance politique des indigènes », 93 10 115, ANOM, Aix-En-Provence.

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III - Popularité de Bendjelloul : figure de proue d'un mouvement d'ampleur dans toute l'Algérie

Bien que les sous-entendus alarmistes des rapports de surveillance relèvent largement d'un aveuglement idéologique, il est indéniable que durant une bonne partie de la décennie 1930, la stratégie et la rhétorique de la FEM a reposé sur une sorte de culte de la personnalité envers Bendjelloul. On l'observe dans les tracts électoraux des candidats FEM, avec des expressions comme « En votant Saadane, vous votez Bendjelloul ! » ou « votre grand et dévoué serviteur Bendjelloul » 1. Cette personnalisation de la politique de la Fédération ne signifie pas pour autant l'absence de programme politique. Bendjelloul est plutôt présenté comme le champion de cet assimilationnisme revendicatif, l'incarnation du politicien colonisé audacieux et passionné. C'est peut-être sa personne qui captive les foules, mais cette popularité a bien un but politique et ne sert pas uniquement l'intérêt personnel de Bendjelloul.

A - La rhétorique musulmane, marqueur d'une identité spécifiquement algérienne

Dans l'un des dossiers de surveillance de la préfecture de Constantine consacrés aux Elus Musulmans se trouve un tract publié en réaction à une attaque perpétrée sur la voiture du candidat FEM par les partisans des candidats administratifs. Ce texte loue la réaction calme des foules et, dans la droite ligne des idéaux de légalité des réformistes assimilationnistes, les enjoint à prendre leur revanche dans une victoire électorale, en votant massivement pour Chérif Saadane2. Cette réaction calme et digne est qualifiée de « profondément islamique ». Le parti de Bendjelloul se présente comme « les défenseurs de votre foi, de votre honneur et de vos intérêts » 3, et la fin du tract finit par la triple exclamation : « Vive la France ! Vive l'Algérie ! Vive l'Islam ! ».

1 Préfecture de Constantine, « Dossier Fédération des Elus Musulmans - Tracts et divers », octobre 1934, 93 B3 277, ANOM, Aix-En-Provence.

2 « Tract bilingue adressé aux «Electeurs musulmans de la 4me Circonscription», Arrivé à la préfecture de Constantine le 12 octobre 1934 ». In Préfecture de Constantine, « Dossier Fédération des Elus Musulmans - Tracts et divers », doc. cit.

3 « Tract bilingue adressé aux «Electeurs musulmans de la 4me Circonscription», Arrivé à la préfecture de Constantine le 12 octobre 1934 », doc. cit.

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Le recours à la religion est un élément récurrent de la rhétorique politique de Bendjelloul. Dans sa préface au livre de Kessous, Bendjelloul défend l'Islam dans un discours adressé aux Français1. Ici il emploie une rhétorique islamique dans ses discours adressés aux Algériens musulmans. Par-là, il se rapproche des intérêts et de la vision du monde de ses électeurs. Ces références à la religion des électeurs, religion qui désignait également leur statut civique de Français musulmans, apparaissent dans des discours clairement en faveur de la France et de ses valeurs.

En votant en masse pour le Docteur SAADANE :

Vous votez pour BENDJELLOUL et tous ceux qui vous défendent.

Vous votez pour le respect de votre foi, de votre dignité et pour l'aboutissement de vos justes revendications.

Vous montrez que vous êtes de vrais musulmans, ayant conscience de votre dignité d'hommes, de vos devoirs et de vos droits.

Vous montrez au noble et généreux peuple de France que vous êtes dignes de sa confiance2.

De plus, les tracts de la FEM affichent le même texte en arabe et en français, souvent sur la même page. Cela montre leur ambition d'inclure dans le champ politique algérien les différents éléments de la société, les notables éduqués en français aussi bien que les arabophones3.

Certaines sources de surveillance emploient aussi un langage religieux pour parler de la popularité de Bendjelloul, mais plutôt pour dévaloriser la signification politique de l'engouement revendicatif des Algériens colonisés à partir de cette époque. Ce genre de dépolitisation orientalisante des revendications des colonisés est un fait observé dans d'autres contextes d'oppression coloniale : dans les années 1950 par exemple, la répression d'une société secrète fantasmée par autorités anglaises en actuelle Tanzanie provoquera la révolte dite

1 Voir supra, I.A-La préface de 1935, une profession d'assimilationnisme.

2 Tract bilingue adressé aux « électeurs musulmans de la 4e circonscription » du département de Constantine, In Préfecture de Constantine, « Dossier Fédération des Elus Musulmans - Tracts et divers », doc. cit.

3 Ibid.

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des Mau Mau et sa brutale répression1. Dans le dossier Bendjelloul de la préfecture de Constantine, un document interne au service de surveillance politique des indigènes emploie librement le champ lexical de la religion pour parler de la popularité de Bendjelloul dans la population musulmane algérienne : il prétend qu'on « fait croire » au peuple que Bendjelloul « a reçu une Inspiration Divine (sic) », il compare les représentants de la FEM à des « Aèdes (sic) [...] chantant la Gloire (sic) de [Bendjelloul] » et conclut en affirmant que « dans toutes les couches de la Société (sic) BENDJELLOUL apparaît comme une sorte de prophète »2. Un tel langage religieux était-il réellement employé à des fins politiques par les Elus, voire par les Algériens du peuple eux-mêmes ? De telles sources témoignent en tout cas de l'inquiétude des services de l'ordre colonial face à la très grande popularité de Bendjelloul chez ses auditeurs, qui soutiennent en masse et avec enthousiasme son action.

B - Plus qu'un leader charismatique, un programme politique

L'entreprise politique de Bendjelloul est marquée par la recherche d'un rapport direct à ses électeurs. Sa stratégie connaît un succès massif dans les années 1930 et Bendjelloul continuera dans une moindre mesure à endosser ce rôle de porte-parole du peuple jusqu'à la fin de sa carrière 3.

Le dimanche 17 mai 1936, la FEM organise une réunion publique au théâtre municipal de Constantine. Dans l'Entente du 28 mai 1936, A. Debabeche, secrétaire de la réunion, fait un rapport de cette journée4. Il évalue à cinq mille le nombre des auditeurs ayant pu assister à la réunion et estime qu'au moins autant de personnes ont dû rester dehors faute de place dans la salle. Le Docteur Bendjelloul préside la réunion, entouré des élus de la ville. L'article mentionne

1 Florence Bernault, Cours Magistral de Formation Commune Introduction du African History since 1800, « Session 9: Settlers Colonies and Violent Decolonization: South Africa and Kenya », semestre d'automne 2022, Sciences Po Paris. Cours non publié.

2 Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », doc. cit., p. 26.

3 Voir infra : partie II le télégramme à Pétain de 1942 et partie III la profession de foi de 1951 et la motion des 61 de 1955.

4 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit., p. 2.

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la présence de deux policiers chargés du service d'ordre, et au début et à la fin de la réunion, on appelle au calme, un enjeu important de la crédibilité politique des Algériens colonisés.

Bendjelloul débute en rappelant son action « et celle de ses amis (Fédération) », et remercie la population d'avoir voté « en bloc pour les indépendants », par opposition aux candidats soutenus par l'administration. Il annonce ensuite que cette réunion a pour but de renouveler l'expression de la confiance de la population envers ses mandants, et l'article témoigne du soutien enthousiaste de l'assistance en rapportant les applaudissements et les cris de celle-ci :

Vive Bendjelloul ! Vive la Fédération !

Il [Bendjelloul] demanda à la salle de se prononcer (La salle manifesta par des applaudissements répétés sa confiance au Dr Bendjelloul, à ses amis et à la Fédération).1

La désignation des autres membres de la FEM comme les « amis » de Bendjelloul est un choix sémantique qui mérite d'être souligné. Il représente l'unité des Elus autour du programme incarné par Bendjelloul, figure de proue admirée. Dans son discours, Bendjelloul reconnaît que « l'action efficace que le peuple était en droit d'attendre d'eux ne paraît pas avoir eu d'effets »2. On voit ici qu'il tire sa légitimité populaire non seulement des urnes mais aussi d'un rapport plus fréquent et plus personnel à ses électeurs. Cette démarche précède la tenue du Congrès algérien, pour lequel les élus ont besoin « d'une autorité accrue » 3.

Après que divers représentants ont exprimé l'avis et les revendications principales de l'assistance pour ce congrès, Bendjelloul répond qu'il « avait déjà envisagé toutes les réformes demandées depuis 1933 » et promet qu'il « ne cessera [de revendiquer la réalisation des revendications de la population] jusqu'à entière satisfaction de tous ses mandants. (Applaudissements) »4. En se montrant prévenant et informé sur les besoins de ses mandants, Bendjelloul reste au-dessus des délégués qui se sont exprimés, ne se montrant pas dépendant

1 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit.

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de leurs informations, ce qui relativise les allures de démocratie participative qu'aurait pu avoir cette réunion.

Ce soutien massif ne signifie pas l'absence de contestation de l'autorité de Bendjelloul comme chef du mouvement. Ainsi, le dossier de surveillance « Journal de la Fédération des Elus Musulmans », constitué autour du mois de décembre 1934 par la Sûreté Départementale de Constantine, relate entre autres les conflits qui opposent à cette époque Bendjelloul et Zenati, le rédacteur en chef du journal assimilationniste La Voix Indigène. Celui-ci a d'abord été le premier soutien de presse de la Fédération et de Bendjelloul, avant que des conflits divers ne conduisent La Voix indigène à reprendre son indépendance politique et la Fédération à fonder son propre organe de presse. Dans ce dossier de surveillance donc, l'administrateur de la commune mixte de Fedj-M'zala explique qu'une interview controversée de Bendjelloul, dans laquelle il aurait émis des réserves au sujet du projet Violette, aurait soulevé contre lui une vague de remise en question parmi ses partisans : des lettres et des délégations « lui auraient été envoyées de différents points du département » pour le sommer « de revenir sur ses déclarations »1.

L'Interview donné par le Dr Bendjelloul à la "Presse Libre" a provoqué l'indignation de Zenati et a provoqué/entraîné (sic) une rupture que l'on attendait d'ailleurs depuis longtemps. Zenati ainsi que plusieurs jeunes élus, trouvaient que Bendjelloul était trop "tiède", manquait d'allant et ne réalisait pas les espoirs que l'on avait mis en lui. [...]

On envisagerait même de lui susciter un concurrent aux prochaines élections, le Dr MOUSSA vraisemblablement, s'il ne se ralliait pas publiquement et solennellement au projet Viollette.

ABBAS et SAADANE, impatients de prendre la tête du mouvement, mènent la danse, affirmant qu'il n'est pas un chef et qu'on n'est plus sur (sic) de lui.

1 L'Administrateur de la Commune Mixte de Fedj-M'zala, Rapport au Préfet de Constantine (Affaires indigènes) n° 40.C.- Objet: Renseignements au sujet du Dr Bendjelloul et de Mr Zenati, Fedj-M'zala, Arrondissement de Constantine, Commune Mixte de Fedj-M'Zala, 1934.

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Des bruits sont répandus un peu partout contre lui. A Châteaudun, on prétendait ces jours-çi (sic), qu'il était "vendu aux Français".1

Selon l'usage des services du surveillance coloniaux, les sources de ces renseignements ne sont pas mentionnées, et la fiabilité des rumeurs évoquées dans ce rapport n'est pas évaluée. Les contestations émaneraient d'assimilationnistes déçus de le trouver moins radical que leur programme. De plus, l'administration aurait intérêt à entretenir de telles rumeurs afin de déstabiliser l'autorité de Bendjelloul. Un article de La Voix Indigène du 8 janvier 1935 prouve cependant l'existence d'une contestation de Bendjelloul au sein du camp assimilationniste. L'article retranscrit et répond à un tract intitulé « Aux Musulmans. Une mise au point » que Bendjelloul aurait fait distribuer à Constantine 2. Dans ce tract, Bendjelloul répond aux critiques qui lui sont faites suite à l'entretien controversé mentionné plus haut. Dans le tract, il affirme que soutenir le projet Violette était bien son élan personnel, et qu'il a seulement dit craindre que son adoption éventuelle ne déclenche des violences « anti-arabes »3. Ce démenti pourrait être le résultat des pressions exercées sur lui et mentionnées dans la note de surveillance, mais cette dernière est une source moins fiable que le tract et l'article de La Voix Indigène, sources produites par les acteurs de la controverse eux-mêmes.

Bendjelloul réaffirme son soutien et celui de la FEM au projet Violette, en insistant sur le maintien du statut personnel :

Ce projet que nous avons soutenu dans nos campagnes et qui reste un idéal pour les musulmans sera notre ligne de conduite et la Fédération des Elus des Musulmans [...] continuera à faire le sien (sic) et le défendra comme elle l'a défendu dans le passé, à condition que cependant notre STATUT PERSONNEL SOIT INTEGRALEMENT RESPECTE. 4 (majuscules dans l'original)

Le président de la FEM distingue dans son discours sa personne de son mouvement, tout en les montrant dans une unité d'action et de pensée. L'expression "Elus des Musulmans" (italique ajouté) accentue leur rôle de représentation du peuple et leur lien, leur service de leurs

1 Ibid. Châteaudun-du-Rhumel, actuelle Chelgoum-el-Aïd.

2 Rabah Zenati, « Le Docteur Bendjelloul », La Voix Indigène, n°299, 08/01/1935, Constantine, Imprimerie Attali.

3 Ibid.

4 Ibid.

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électeurs, qui sont intégrés à la politique et dont la mobilisation est sans cesse encouragée dans les tracts de la FEM.

Le tract se conclut par une attaque de Bendjelloul, sur la défensive, envers La Voix Indigène et son directeur, qui dans un précédent numéro avait accusé Bendjelloul de ne pas être aussi attaché que lui à l'assimilation et au projet Viollette. On voit dans la formulation de ces articles que le journal n'est pas un organe de propagande émanant directement de la FEM. Là où l'Entente se contente souvent d'acclamer et de rapporter telles quelles les actions et déclarations de Bendjelloul, La Voix Indigène témoigne d'une posture plus critique tout en restant dans l'ensemble favorable au chef de la FEM : le journal soutient le projet de Bendjelloul par conviction assimilationniste, mais reste libre de le critiquer.

On ne sait pas si les lettres de réaction à l'interview mentionnées plus haut sont envoyées par d'autres notables assimilationnistes ou si elles reflètent réellement la volonté de toutes les couches sociales de la population algérienne. Les historiens algériens s'accordent à penser que les assimilationnistes représentaient la voix de l'élite algérienne de cette époque mais pas celle de la population musulmane. Même dans ce cas, la popularité de Bendjelloul n'est pas un chèque en blanc mais est fondée sur sa fonction de représentant des aspirations de ses mandants. Bien que les assimilationnistes de cette époque soient appelés les amis ou les partisans de Bendjelloul, ce n'est pas seulement une personne charismatique qu'ils suivent mais bien des idées, un but politique.

C - L'apogée du réformisme : le Congrès Musulman Algérien

La deuxième moitié des années 1930 voit également une convergence dans la lutte des différents courants politiques algériens. Sous l'influence grandissante des Oulémas, les questions relatives à l'enseignement en arabe et à la liberté de culte musulman se greffent au programme de la FEM. Les Oulémas sont eux aussi implantés dans la ville de Constantine où ils bénéficient d'un écho important dans la population musulmane, peu encline dans sa majorité à adhérer à la vision laïcisante et francisée de la vie publique que pratique Bendjelloul. La popularité de Bendjelloul est grandissante tout au long de cette décennie, et il semble presque toucher du doigt les premiers résultats de ses revendications avec son alliance avec le sénateur

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Maurice Violette, qui défend en métropole un projet certes bien moins ambitieux que les demandes des Elus Algériens mais tout de même de tendance assimilationniste.

Avec le gouvernement du Front Populaire, Bendjelloul est un acteur majeur de l'expérience du premier Congrès Musulman Algérien (CMA), qu'il préside entre 1936 et 1938. Cette grande conférence prend des allures d'Etats généraux algériens : différents niveaux de délégués locaux préparent la réunion plusieurs mois en amont en recueillant dans des cahiers de revendications les doléances et les plaintes des Algériens colonisés, puis les délégués de tous les courants politiques algériens se réunissent à Alger à partir du 7 juin 1936 pour discuter des orientations à donner à la lutte commune. Une déclaration est rédigée, et le 22 juillet 1936 une délégation menée par le Docteur Bendjelloul est envoyée Paris pour la remettre au gouvernement 1.

La cause de la mobilisation du CMA est la misère matérielle du peuple algérien et l'absence de réformes, tandis que les autorités continuent leurs brimades. La réclamation de réformes socio-économiques est au coeur de la politique algérienne et est le moteur de la politisation des Algériens dans les années 19302.

Dans ce contexte, des partisans de la FEM se rassemblent pour une réunion d'information le matin du dimanche 17 mai 1936, puis une deuxième réunion, privée, a lieu pour les représentants des différents courants politiques de la ville de Constantine l'après-midi du même jour 3. Elle est coprésidée par Lamine Lamoudi, Cheikh Benbadis et Bendjelloul, dans cette dynamique d'union transpartisane précédant la tenue du CMA. Le but de la réunion, affirme Lamoudi, est que les représentants des « diverses couches sociales des populations musulmanes » réfléchissent ensemble à « comment sortir de la pénible situation économique et politique où se débat le peuple musulman »4. Lors de cette rencontre, Bendjelloul revendique que ce soient les élus qui représentent le peuple et non des militants, appelant ainsi les autres

1 Charles-Robert Ageron, « Sur l'année politique algérienne 1936 », in De « l'Algérie française » à l'Algérie algérienne, Saint-Denis, Éditions Bouchène, 2005, p. 387-416.

2 A. Debabeche, « Nos élus engagent une vive Action », art. cit. p2, « Nos élus engagent une vive action - Compte rendu de la séance du 17 mai 1936 ».

3 Ibid. p. 2.

4 Ibid.

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mouvements à respecter les institutions républicaines de représentation du peuple 1. On pourrait voir ici une tentative d'augmenter son prestige et celui de son groupe politique à l'occasion de cet évènement national, mais cette exigence s'inscrit aussi dans sa stratégie d'opposition institutionnelle, qu'il demande aux autres partis participant au CMA de rejoindre.

L'article 2 des statuts du CMA2 donne à l'organisation les objectifs suivants :

-Evolution des populations musulmanes

-Entente et rapprochement des races

-Harmonie et paix sociale par l'égalité des droits et des charges

-Respect absolu de toutes les convictions politiques, philosophiques et religieuses.3

Ces objectifs sont des idéaux très généraux. Le premier tiret sous-entend la nécessité de réformes socio-économiques, le troisième tiret réclame l'égalité des droits pour les musulmans et les colons : cet article deux inscrit donc le CMA dans une dynamique réformiste et assimilationniste. Les autres partis n'adhèrent pas pour autant à la vision assimilationniste, mais croient tous à ce moment-là à la pertinence de la stratégie réformiste.

Cela ne signifie pas qu'ils se rallient à Bendjelloul, qui est régulièrement accusé de vouloir s'imposer ou d'être autoritaire, et est écarté du second CMA.

Le Chef de la Sûreté Départementale, dans un rapport du 3 juin 1936, témoigne de différentes altercations entre le Docteur, qui préside la séance, et les autres participants à une réunion préparatoire au CMA 4. Les membres de la FEM reprochent par exemple à Bendjelloul ses tensions avec les communistes, qu'il appelle publiquement « les bolchévistes » et accuse de vouloir accaparer les masses.

1 Ibid. « Je voudrais qu'on laissa (sic) à la Fédération l'initiative des revendications de la masse et je demande aux militants de l'intérieur de s'entendre avec les élus de leur région ».

2 « Statuts du Congrès Musulman Algérien », 6 août 1937. In Archives du Gouvernement Général d'Algérie, Centre d'Information et d'Etudes, GGA 40G 71, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Ibid., p. 1.

4 Chef de la Sûreté Départementale, « Rapport «Congrès Musulman» de la Sûreté départementale de Constantine », Constantine, Sûreté départementale de Constantine, 3 juin 1936, 93 B3 278, ANOM, Aix-En-Provence.

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Le Petit Parisien annonce le 8 octobre 1936 la destitution du Docteur Bendjelloul comme président du CMA. Le journal publie la déclaration du comité exécutif du Congrès musulman1, qui annonce que Bendjelloul aurait donné différentes interviews controversées aux yeux du comité. Les interventions et l'attitude du Docteur sont jugées « absolument incompatibles avec l'esprit et le programme du congrès »2. Le comité déclare avoir envoyé une lettre au Docteur lui demandant de démentir ses interviews. Bendjelloul aurait refusé, entraînant donc sa destitution de la présidence du Congrès musulman.

La même déclaration affirme que « les dangers de guerre civile se précisent en Algérie de façon inquiétante »3. L'article est court, les modalités d'une telle guerre civile ne sont pas décrites plus précisément qu'avec des termes comme agitation, embrigader les musulmans, groupement de désordre, .... La seule situation qui est clairement décrite est « la création des jeunesses vertes et des armées vertes du prophète », que le communiqué dénonce comme des groupements fascistes sous un voile religieux. Le communiqué se finit par « un pressant appel à l'unité du congrès algérien du 7 juin qui doit être placé au-dessus des questions de personnalités, quelles que soient l'importance et l'influence de ces personnalités »4. Face aux périls qu'encourt l'Algérie, le comité exécutif du CMA exhorte ses soutiens à rester unis derrière lui et à ne pas suivre Bendjelloul dans sa rupture avec le CMA, qui continue d'avoir besoin de la légitimité que confère l'adhésion des masses pour faire le poids face au lobby colonial. Malheureusement, la violente et catégorique opposition des colons faisant pression sur le gouvernement conduit au retrait du projet de loi Blum-Viollette qui est suspendu définitivement le 4 mars 1938. C'est un échec politique pour l'union algérienne et également, aux yeux de beaucoup, l'échec symbolique de la solution politique dans le cadre des institutions coloniales.

Les stratégies des divers membres du CMA divergent à la suite de l'échec de leurs revendications et le rejet du projet Blum-Violette. La fondation de l'Union Populaire Algérienne par Ferhat Abbas a pu être interprétée comme un acte de sécession par les services

1 « Le docteur Benjelloul (sic) destitué de la présidence du comité exécutif du congrès musulman algérien », Le Petit Parisien, 08 octobre 1936.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ibid.

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de renseignement, y voyant un conflit personnel de Abbas contre Bendjelloul. La création d'un parti représentant la voie politique des Elus assimilationnistes a bien été un projet d'Abbas, mais qui a été soumis au vote lors d'une réunion de la FEM du 5 juillet 1937 et adopté à l'unanimité1. Ni ce parti ni celui que Bendjelloul tente de lancer en parallèle ne connaîtront de réel succès, et Charles-Robert Ageron, dans son Histoire de l'Algérie contemporaine, affirme que « l'échec personnel de Bendjelloul à la tête du Congrès musulman algérien fut aussi celui des élus ». En effet, l'échec du projet Blum-Violette et les politiques favorables au lobby colon menées sous Vichy dans les années qui suivent marquent la fin de l'âge d'or pour le courant réformiste. Plusieurs partisans de l'assimilation, déçus, se rallieront peu à peu à la solution nationaliste, désormais convaincus que le système colonial ne peut être réformé. Si l'échec du CMA marque la fin d'une décennie de grande popularité de Bendjelloul en Algérie, ce n'est pas la fin de son combat assimilationniste, qu'il poursuivra par différents moyens pendant plus de vingt ans encore.

1 Chef de la Sûreté Départementale de Constantine. Rapport n°2542 du 5.7.37. « Surveillance Politique des indigènes - Réunion chez le Dr Bendjelloul ». In Préfecture de Constantine, « Dossier sur l'action de la FEM - Journaux, rapports de surveillance et divers », op. cit.

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Partie II - Adaptation stratégique de Bendjelloul

dans un contexte d'instabilité politique (1939-1945)

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I. La poursuite des engagements de la FEM dans un contexte de crise internationale

Après l'échec des revendications du Congrès Musulman Algérien, la popularité de Bendjelloul est sérieusement entamée, avec la décrédibilisation des idées assimilationnistes. C'est aussi à cette époque qu'il se sépare de Ferhat Abbas, son lieutenant au sein de la Fédération des Elus Musulmans (FEM) depuis le début des années 1930. Ce dernier crée son propre parti, l'Union Populaire Algérienne, s'orientant vers une critique plus radicale du système colonial en tant que tel et non simplement de son fonctionnement. Bendjelloul fonde la même année le Rassemblement Franco-Musulman Algérien, qui connaît peu de succès.

Si le réformisme et l'opposition légale restent consensuels dans le paysage politique algérien contestataire, ce n'est plus le cas de l'assimilationnisme, et au sortir de la Seconde Guerre Mondiale il semble qu'une majorité de colonisés n'imaginent plus que leur pays doive rester sous la souveraineté française, et imaginent leur émancipation de diverses manières1. Pourtant, Bendjelloul maintient au travers des incertitudes géopolitiques et des changements de régime sa stratégie de collaboration avec l'Etat français dans le but d'obtenir des réformes du système colonial inégalitaire. Moins soutenu par la population et par les élus, son action à partir de 1940 semble recevoir un bien plus faible écho auprès de la France ainsi qu'auprès des Algériens.

A la fin de la période, le nationalisme a connu un tel essor que Bendjelloul apparaît comme un politicien modéré sur la scène politique algérienne et française, loin de l'image de causeur de trouble et d'ennemi du statu quo colonial qui l'auréolait durant la décennie 1930. Dans cette deuxième partie, nous verrons comment Bendjelloul développent des stratégies discursives et d'action adaptées aux bouleversements qui agitent l'Algérie entre 1939 et 1946. Ces changements permettront de révéler les parties de son discours qui perdurent dans différents contextes, par exemple l'amélioration des conditions de vie, la dénonciation des injustices coloniales ou la francophilie, et quels éléments rhétoriques sont destinés à convaincre ses différents interlocuteurs.

1 Sur l'essor du nationalisme algérien dans les années 1940, voir par exemple Annie Rey-Goldzeiguer, « 8. Le nationalisme algérien décolle », in Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945, Paris, La Découverte, 2006, p.175?196 ; Jacques Cantier, L'Algérie sous le régime de Vichy, Paris, Odile Jacob, 2002.

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A - L'engagement volontaire comme gage fort de loyalisme

A la fin de l'été 1939, la France entre en guerre. Bendjelloul et Ferhat Abbas s'engagent volontairement, et la FEM annonce cesser son action « jusqu'à la fin des hostilités »1. Entre septembre et novembre 1939, le cabinet du préfet de Constantine consacre un dossier aux « Notabilités Indigènes ayant contractées un engagement pour la durée des hostilités : Abbas et Bendjelloul »2. Y sont rapportés quelques détails concrets sur l'engagement et l'affectation de Bendjelloul et Abbas, mais les autorités françaises ne tirent pas de conséquences politiques de ce geste fort, que ce soit pour le contexte immédiat ou à plus long terme. Il faudra attendre décembre 1943 pour que l'enrôlement des populations coloniales dans la campagne de libération de la métropole soit associé à des promesses de réformes du cadre colonial3.

Le 9 septembre, un courrier adressé au Gouverneur Général de l'Algérie (GGA) Georges Le Beau, probablement par le préfet de Constantine, informe ce dernier que

f...] Seul, parmi les Notables Indigènes non soumis à des obligations militaires, le Docteur BENDJELLOUL a contracté, depuis le 30 août, un engagement volontaire pour la durée de la guerre. 4

L'intéressé aurait confirmé à l'auteur de ce courrier que « plusieurs de ses amis étaient sur le point de contracter un engagement volontaire eux aussi »5. Six jours plus tard, le préfet de Constantine adresse au GGA une notice au sujet de Bendjelloul. La notice indique qu'il s'est engagé volontairement pour la durée de la guerre depuis le 8 septembre, et a été affecté à l'Hôpital Militaire Laveran au grade de médecin-auxiliaire, au Service des fiévreux à Constantine6. Un peu plus d'un mois plus tard, c'est de l'engagement volontaire d'Abbas, contracté le 6 octobre 1939, que le préfet informe le GGA. La notice jointe au courrier indique

1 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier FEM «Entente n°134» [numéro censuré] », Alger, 02 novembre 1939, GGA 40G 71, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Préfet de Constantine, « Dossier: Notabilités Indigènes ayant contractées un engagement pour la durée des hostilités. Abbas et Bendjelloul », Constantine, Préfecture de Constantine, 15 septembre 1939, 93 B3 791, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Voir infra, le discours de De Gaulle à Constantine le 12 décembre 1943. Partie II-3, p71.

4 Préfet de Constantine, « Dossier : Notabilités Indigènes ayant contractées un engagement pour la durée des hostilités. Abbas et Bendjelloul », op. cit., 5-8.

5 Ibid. p. 5?8.

6 Ibid. p. 1?4.

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qu'Abbas a été engagé au grade de pharmacien auxiliaire à la réserve du personnel des armées mais affecté « provisoirement » à ce même Hôpital Militaire de Constantine depuis le 18 Octobre 1939 1. Dans son courrier du 9 septembre, le préfet indique également qu'une autre figure de la FEM, le Docteur Chérif Saadane, aurait lui aussi pris contact avec la Direction du Service de Santé de l'Armée pour connaître les conditions de son éventuel engagement. Il ne prend pas immédiatement sa décision définitive, et la suite du dossier ne le mentionne plus.

Pour les assimilationnistes, cette guerre est une occasion de démonstration de loyalisme, que Bendjelloul et Abbas saisissent. Le 8 novembre, Abbas passe un autre cap dans ce mode d'action politique : le préfet rapporte au GGA que Ferhat Abbas, avec qui il a eu ce jour-là un entretien, lui a déclaré vouloir rejoindre le front et non plus seulement servir dans un hôpital à l'arrière et « qu'il demanderait à M. le Docteur BENDJELLOUL de suivre son exemple »2. Abbas endosse ici un rôle de héros français idéalisé, se montrant prêt à sacrifier sa vie pour sa patrie, la France. Cette affirmation faite au préfet contient une forte dimension démonstrative, une affirmation d'appartenance à la France. Nul doute que dans l'esprit de ces hommes, une telle exemplarité appelait en retour l'accord de réformes du statut civique des colonisés aussi radicales que leur engagement.

Du côté de la FEM, l'engagement de Bendjelloul « pour la durée de la guerre » est valorisé et paraît en Une de l'Entente du jeudi 2 Novembre 19393. L'article maintient l'ambiguïté sur son affectation, ce qui permet de donner à ce texte le ton grave de dernières volontés. Ils reproduisent « l'appel émouvant » à la population algérienne que le Docteur aurait rédigé plus de deux mois plus tôt, le 30 août 1939, donc un peu plus d'une semaine avant son engagement volontaire effectif. Que la datation de cet article soit authentique ou non, elle présente l'engagement du leader comme une réaction immédiate et spontanée à l'imminence de la guerre de la métropole. Dans son texte, Bendjelloul loue l'engagement des « centaines de mille » de musulmans qui ont accompli leur devoir. Nul besoin pour le leader politique de les exhorter à rejoindre les drapeaux semble-t-il. La mobilisation est explicitement décrite comme une expression unanime de la volonté assimilationniste du peuple :

1 Ibid. p. 10?15.

2 Ibid. p. 9.

3 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier FEM «Entente n°134» [numéro censuré] », doc. cit, p. 1.

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[...] vous démontrez ,
· en volant au secours de la France menacée, que vous voulez vous mettre sur les rangs au même titre que les meilleurs fils de l'Europe ,
· vous tracez ainsi, désormais, votre voie dans l'avenir et votre place dans la Nation.
1

Ici, comme depuis le début de sa carrière, Bendjelloul lit les actions des Algériens à la lumière de ses propres convictions francophiles et assimilationnistes. Ses destinataires sont les Algériens musulmans eux-mêmes, chez qui Bendjelloul tente semble-t-il de susciter un enthousiasme patriotique en parlant comme si ces sentiments étaient déjà les leurs. Mais il s'adresse tout autant aux autorités françaises : il leur force implicitement la main en promettant à ses lecteurs que leur engagement dans la guerre leur acquiert le droit d'une pleine citoyenneté française.

Dans le même texte, Bendjelloul combat la propagande de l'ennemi allemand

qui, par une campagne insidieuse essaye de vous détourner du droit chemin de la loyauté, de la reconnaissance, du devoir et de l'honneur, et qui par ailleurs vous conteste le titre d'homme civilisé et vous classe parmi les `négroïdes à peine perfectibles par dressage' et `bien après les juifs' dont on connait sa conduite avec eux. 2

Aux sentiments pour la France qui doivent animer le colonisé, en plus de la loyauté, du devoir et de l'honneur, Bendjelloul rajoute la reconnaissance, reprenant le discours de la mission civilisatrice des mouvements coloniaux, qui considèrent que les colonisés devraient être reconnaissants envers les colonisateurs pour les progrès sociaux, techniques et moraux apportés par eux. En temps de guerre, une telle rhétorique peut être un discours dirigé en réalité vers les autorités coloniales sceptiques de la loyauté de colonisés. C'est aussi, on l'a vu, la conviction d'un assimilationniste bénéficiaire de l'école française.

Cependant, si Bendjelloul a fait sienne l'idéologie de la mission civilisatrice, il ne légitime pas pour autant les abus et ne se contente pas de son statut de colonisé, et les Elus réclament encore des réformes au début de la guerre. Le 21 août 1939, sous la présidence de Mohamed Bendjelloul, le Conseil d'administration de la Fédération des Elus de Constantine se réunit et vote à l'unanimité une motion réclamant des réformes urgentes en faveur des

1 Docteur Bendjelloul, « Aux Musulmans », L'Entente franco-musulmane n°134, 02 novembre 1939, p.1.

2 Ibid. On trouve de telles expressions dans Adolf Hitler, Mein Kampf ( Mon Combat). Tome I, tr. J. Gaudefroy-Demombynes et A. Calmettes, Nouvelles éditions latines, vers 1925, p. 106 et 475.

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Musulmans. Cette motion, accompagnée d'une lettre du Docteur Bendjelloul, est adressée au président du conseil des ministres, Edouard Daladier1. Les Elus l'y alertent sur « le mécontentement des Indigènes algériens » face au retard pris sur les promesses de réformes de la situation algérienne. La situation est d'autant plus grave que les ennemis de la France, c'est à dire les puissances de l'Axe, « [trouvent] un aliment substantiel dans l'inaction du gouvernement » pour sa propagande antifrançaise auprès des colonisés2. Ils appellent donc avec urgence à des réformes en Algérie malgré le climat de crise internationale. Ils reprennent les revendications qu'ils n'ont eu de cesse de porter depuis le début de la décennie : « le projet Viollette, l'augmentation de la représentation locale indigène dans toutes les Assemblées, l'abrogation [du décret Régnier] et [du décret] 8 mars 1938 restreignant [...] l'enseignement de la langue arabe »3. En outre, L'Entente du 2 novembre 1939 juxtapose les courriers de Bendjelloul aux autorités, les réponses de celles-ci et le cas échéant les décisions prises. La troisième page du journal est intitulée « Démarches du Président de la Fédération », et contient par exemple un arrêté préfectoral établissant l'égalité d'allocations entre mobilisés indigènes et citoyens et des courriers de Bendjelloul, dans lesquels celui-ci propose une amélioration de cet arrêté en apportant l'éclairage des conditions concrètes d'accès des Algériens Musulmans à ces allocations et en dénonçant les lacunes dans leur mise en oeuvre4. Les lecteurs peuvent ainsi constater la poursuite de l'action revendicative du président de la FEM, dans son rôle de notable relayant avec empressement les revendications des populations, notamment des plus démunis dans ce cas précis.

B - La censure

Si dans ce numéro de guerre de L'Entente, les membres de la FEM souligne aussi avec enthousiasme les adaptations faites par l'armée française pour les soldats musulmans en plein jeûne du ramadan, ils n'hésitent pas à poursuivre leur dénonciation du système colonial. Les

1 Docteur Bendjelloul, « « Les Réformes Algériennes» », L'Entente franco-musulmane n°134, 02 novembre 1939 p.1.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 « Intervention en faveur des familles des mobilisés», L'Entente franco-musulmane n°134, 02 novembre 1939 p.3.

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gros titres de ce journal lient explicitement l'appel sous les drapeaux des colonisés et leurs droits, bafoués par les autorités depuis des décennies. Certaines de ces phrases sont censurées, et une deuxième édition révisée est disponible dans le même dossier des archives du GGA.

L'en-tête de la Une est par exemple révisé. L'original rappelle les sacrifices de la guerre précédente et les déceptions répétées de l'entre-deux guerres, accusant d'égoïsme, de stupidité et d'injustice les partisans du statu quo colonial, opposés aux réformes. Dans l'édition révisée, l'en-tête n'a plus son ton revendicatif et protestataire, et se contente de valoriser les attitudes patriotes des colonisés1. Signé K.A., cet en-tête au ton bien plus désillusionné et revendicatif que l'appel du Docteur Bendjelloul publié juste en-dessous pourrait bien venir de Ferhat Abbas, responsable éditorial du journal, dont l'un des noms de plume pendant les années 1930 est Kamel Abencérages2. Mais en ce début de Seconde Guerre Mondiale, l'objectif de ces critiques amères reste d'obtenir des réformes dans le cadre des institutions françaises. En dessous de son réquisitoire signé d'un pseudonyme, Abbas signe de manière cette fois bien identifiable une adresse « A la Population Musulmane de la Circonscription de Sétif », où il vit et est élu.3 Il annonce que la FEM

cesse toute activité politique pour se consacrer tout entier au salut de la nation dont dépend notre avenir. Si la France démocratique cessait d'être puissante, notre idéal de liberté serait à jamais enseveli.4

On sait l'importance de l'argument du droit du sang versé pour les progrès des droits civiques des Algériens colonisés après la Première Guerre Mondiale, et on connaît la stratégie assimilationniste présentant les Elus et avant eux les Jeunes Algériens comme meilleurs Français que les Français eux-mêmes. En se présentant comme un Français exemplaire et héroïque, Bendjelloul et dans une plus grande mesure Abbas préparent la suite de leur combat politique. S'il semble qu'Abbas n'ait pas été envoyé au front, il est néanmoins désolant de voir l'échec de cette stratégie courageuse : ces engagements volontaires ne seront pas pris en compte

1 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier FEM «Entente n°134» [numéro censuré] », doc. cit.

2 Tramor Quémeneur, Ouanassa Siari Tengour, et Sylvie Thénault, « Abbas, Ferhat (1899-1985) », In Dictionnaire de la guerre d'Algérie, Bouquins, 2023, p. 3?146.

3 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier FEM «Entente n°134» [numéro censuré] », op. cit, p. 5.

4 Ibid.

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après la démobilisation des deux hommes en 1940 1 et seront ensuite largement éclipsés par les accusations de nationalisme dans le cas d'Abbas et de collaboration dans le cas de Bendjelloul.

1 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux) - III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », Alger, Imprimerie Fontana, septembre 1941, GGA 40G 71, ANOM, Aix-En-Provence.

Figure 3 La Une de l'Entente du 2 Novembre 1939 avant (ci-dessus) et après censure (ci-dessous (« Dossier FEM «Entente n°134» [numéro censuré] », GGA 40G 71, ANOM, Aix-

En-Provence).

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II. Transposition des stratégies des élus face à la Révolution nationale

A. Poursuite de l'action de la FEM sous un nouveau régime

Avec la démobilisation suite à la défaite française, Bendjelloul et Abbas tentent de poursuivre le combat politique de la FEM. Depuis l'échec du CMA, Bendjelloul est en perte de vitesse politiquement. La population, suite aux échecs des revendications réformistes, au changement de régime et à la suppression des instances représentatives élues, se désintéresse de la politique. Selon un rapport de renseignement du CIE, c'est pour remédier à cette indifférence à son égard que Bendjelloul recourt à sa stratégie habituelle : l'action politique auprès des autorités au nom de ses mandants, ou, selon les mots de la note de renseignements, « prouver qu'il n'hésit[e] pas à intervenir en haut lieu en faveur de ses amis »1. Dix jours après la capitulation, le 28 juin 1940, Bendjelloul écrit au préfet pour se plaindre de dérives autoritaires de l'administration, protestant contre « les vérifications d'identité entreprises par la police et les mises en résidence forcées prononcées par l'administration »2. Il jugerait que son groupement serait visé particulièrement par ces mesures d'exceptions injustifiées, contrairement à « ses anciens adversaires », et déplore que « certains agents de police mobile » aient « reçu de l'argent » des personnes interpellées « pour les remettre en liberté »3. Ainsi, dans les mois qui suivent la défaite française et l'instauration du régime de Vichy, Bendjelloul continue de jouer son rôle de notable revendicatif, relais politique des revendications de ses mandants. Toujours selon l'auteur de ce rapport, Bendjelloul parle des problèmes de la population aux autorités mais il parle aussi aux populations de ses démarches auprès des autorités, se positionnant ainsi en « champion »4, en élu digne de confiance dans son rôle d'intermédiaire entre les populations qu'il défend et l'Etat colonial. L'auteur affirme cependant que « l'enquête

1 « A/S. du Docteur Bendjelloul », Rapport de Renseignement n° 798 daté du 5 juillet 1940, Constantine, Centre d'Information et d'Etudes de Constantine, 5 juillet 1940. In Préfecture de Constantine, « Dossier Bendjelloul (1934-1940) - Surveillance politique des indigènes », op. cit.

2 « A/S. du Docteur Bendjelloul», doc. cit.

3 Ibid., p. 1.

4 Ibid., p. 2.

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menée jusqu'à présent par le Centre d'Information et d'Etude (CIE, service de surveillance) ne permet pas de supposer [que Bendjelloul cherche à] amorcer un mouvement plus ample » et pressent qu'il va s'en tenir à « la ligne adoptée depuis le début de la guerre » et que « ses sentiments envers la France ne sont pas altérés »1. Une telle formulation prudente et se refusant à être alarmiste est particulièrement rare dans les documents de surveillance coloniale, ce qui mérite d'être souligné.

Le mois suivant pourtant, peut-être suite aux encouragements de Ferhat Abbas, Bendjelloul aurait tenté de rassembler les Elus et de refaire paraître l'Entente2. Une note de surveillance mentionne un article censuré dans son ensemble dans lequel ils auraient réaffirmé le programme d'action de la FEM, et cite leurs mesures principales. L'abolition des grandes propriétés faisait déjà partie de leurs revendications passées, ainsi que la suppression des affaires indigènes, caïds, communes mixtes et services de police, c'est-à-dire la fin du système de l'administration coloniale. Mais, signe de l'époque, ils auraient proposé de remplacer la police par des milices. La réduction d'un dixième du personnel administratif, et l'amélioration de l'habitat indigène sont là encore des revendications connues par le passé mais elles sont complétées par de nouvelles mesures empruntées au programme de la révolution nationale, telles que la suppression des femmes fonctionnaires et la suppression de la prostitution dans les villes3. S'il est fiable, ce document fournit un élément important d'analyse du programme de la FEM : la direction assimilationniste et anticoloniale de leur programme ne change pas, mais la formulation des revendications précises reprend les centres d'intérêts du gouvernement auquel il s'adresse. Le démantèlement des grandes propriétés coloniales leur semblait ne pas nécessiter de traduction pour correspondre à l'idéologie de la révolution nationale. Leurs autres mesures économiques et sociales visant un assouplissement du cadre colonial sont maintenues, mais accompagnées de mesures empruntées au programme vichyste. La revendication centrale de la pleine citoyenneté sans abandon du statut personnel est quant à elle mise de côté car pensée pour un régime démocratique et donc trop opposée à la politique du nouveau régime.

1 Ibid., p. 3.

2 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux)- III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », doc. cit, p. 4.

3 Ibid.

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Le 8 août 1941, le CIE de la préfecture d'Alger informe le cabinet du préfet de l'annonce publique de collaboration faite par Bendjelloul une semaine plus tôt. Le texte a été lu à Radio Alger par l'ancien secrétaire général de la FEM, un certain Bendjemaa, et aurait causé la rupture de Bendjelloul avec plusieurs membres de la FEM, choqués par cette attitude de collaboration proactive avec les autorités vichystes1. Le texte de cette déclaration n'a pas été publié, et les circonstances précises ayant mené à cette déclaration ne sont pas connues. Un an plus tard, en septembre 1941, le service de renseignement de l'Etat Major de la 19e Région, c'est-à-dire le corps d'armée regroupant les unités militaires d'Algérie, publie une « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens »2 et analyse cette annonce publique de collaboration comme le retour d'un politicien ne pouvant plus supporter de vivre dans l'ombre. Selon le fascicule, Bendjelloul aurait souhaité continuer son action politique sous le nouveau régime, mais en aurait été empêché par la fin de la représentation démocratique. Le thème de la déception, de l'amertume face à sa popularité empêchée, est l'explication officielle reprise par toutes les sources ultérieures abordant l'attitude de Bendjelloul pendant l'administration de Vichy en Algérie. Il se serait notamment retiré dans « une attitude boudeuse » et aurait « [affecté] de se désintéresser des questions politiques » parce qu'il n'aurait pas reçu de rôle dans les nouvelles institutions, privilégièrent des politiciens plus traditionnels et moins revendicatifs3.

Dans cette source comme dans plusieurs autres, l'engagement de Bendjelloul « dans de nombreuses oeuvres sociales » en parallèle de ses actions politiques est vu uniquement comme une manoeuvre électorale visant à « conserver une certaine popularité parmi le menu peuple de Constantine, tout en lui évitant de se compromettre trop vivement aux yeux de l'Administration »4. Parmi les initiatives de bienfaisance qu'il dirige ou auxquelles il participe,

1 Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », Alger, 1944-1945, 91 1K 590/1, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux)- III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », doc. cit.

3 Le régime de Vichy remplace les institutions représentatives métropolitaines et algériennes par des collèges restreints de conseillers nommés par le gouvernement : la Commission financière algérienne, la Commission administrative départementale et le Conseil national remplacent respectivement les Délégations financières, le Conseil Général et l'Assemblée Nationale. Voir Charles-Robert Ageron, « Livre IV - Forces politiques et évolution politique de l'Algérie 1939-1954 », In Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 545?622.

4 Etat Major 19e Région, « Note sur les Partis et Groupements Musulmans Algériens (politiques et religieux)- III. Les Fédérations d'Elus Musulmans », doc. cit, p. 5.

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trois sont citées dans ce document : le Dispensaire indigène de Constantine, la Société indigène de prévoyance et le Comité des meskines. L'auteur est clair sur le fait que cette liste est non exhaustive et y voit un élément de plus pour le portrait d'agitateur public qu'il brosse de Bendjelloul1. Pourtant, cet engagement social a toujours été l'une des caractéristiques soulignées par les notes de surveillance à son sujet, depuis les années 1920, soit avant même son engagement politique dans les institutions françaises.

L'auteur de ce fascicule de 1941 présente aussi l'action individuelle des quatre leaders principaux, soulignant le déclin de la popularité de la FEM auprès des masses « se [désintéressant] de plus en plus des problèmes politiques » ainsi que la désunion régnant entre les chefs. La source affirme que cette déclaration radiophonique de Bendjelloul a provoqué la démission de Saadane et Abbas de la FEM, et qu'au cours du mois suivant cet évènement, les « milieux évolués des villes », l'électorat traditionnel des assimilationnistes, se sont ralliés à Abbas. Bendjelloul conserverait sa popularité auprès des « ruraux » et du « petit peuple urbain »2, mais pour l'élite colonisée c'est Abbas qui apparaît désormais « comme le champion du mouvement revendicatif représenté autrefois par la Fédération des Elus »3, supplantant peu à peu Bendjelloul comme figure revendicative algérienne.

B - Un témoignage d'allégeance anticolonial : le télégramme à Pétain

Durant la période de Vichy, les élus algériens, privés de représentation démocratique auprès des autorités coloniales, ont cherché à renouer le contact avec elles par d'autres moyens, dans un contexte de durcissement des discriminations envers les colonisés et d'aggravation de leur situation socio-économique4. Ainsi, Ferhat Abbas s'adresse à Pétain en 1941 par un long texte présentant la situation en Algérie, résumant les évolutions des politiques coloniales depuis 1830 et appelant à des réformes5. Le 10 Août 1942, le CIE de Constantine signale l'envoi par

1 Ibid., p. 6.

2 Ibid., p. 8.

3 Ibid.

4 Pour une analyse de la politique coloniale de Vichy, voir Jacques Cantier et Éric T. Jennings (dir), L'Empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004.

5 Voir notamment le mémoire au Maréchal Pétain de Ferhat Abbas, In Le jeune Algérien (1930) : de la colonie vers la province; (suivi de) Rapport au Maréchal Pétain (avril 1941) / Ferhat Abbas, Paris, Garnier Frères, 1981.

Bendjelloul d'un télégramme au Maréchal Pétain1. Il y annonce qu'il se rallie à l'Axe au nom des populations musulmanes, en signe de protestation contre l'emprisonnement de Gandhi par les Anglais2.

1 CIE de Constantine, Gouvernement Général d'Algérie, « A/S du Docteur Bendjelloul du 10 Août 1942 : Copie de télégramme à Pétain, Laval etc. », Rapport de renseignement, Constantine, 1942. 93 B3 785, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Sur la propagande antiimpérialiste de l'Allemagne nazie, voir D. MOTADEL, « The Global Authoritarian Moment and the Revolt against Empire », art. cit.

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GOUVERNEMENT GENERAL de l'ALGERIE

-

Direction des Affaires Musulmanes

-

Centre d'Information et d'Etudes

Alger, le 10 Août 1942

RENSEIGNEMENT

Source : C.I.E Constantine

A/S DU DOCTEUR BENDJELLOUL

Le docteur Bendjelloul vient d'envoyer à Monsieur le préfet de Constantine une lettre pour lui transmettre la copie d'un télégramme qu'il a adressé hier, 9 août, à Monsieur le Maréchal PETAIN, à Monsieur le Président LAVAL, en communication à Monsieur le Gouverneur Général, et «traduisant, écrit-il, l'état d'esprit des musulmans du monde entier».

Ci-dessous, la copie de ce télégramme :

«Musulmans Algériens ont honneur vous exprimer respectueusement leur indignation et protestations contre arrestations Mahatma Gandhi et ses collègues Stop Vous prie les transmettre au Gouvernement britannique. Cette mesure détruit définitivement autorité et prestige britanniques auprès musulmans monde entier qui tous souhaitent avec vous victoire allemande et anéantissement total puissance anglaise Stop Vous demande autorisation prier vendredi prochain en tout lieu pour libération Gandhi et Inde et réalisation votre politique et vos voeux les plus chers Stop. Sentiments respectueux et dévoués. Dr Bendjelloul.»/.

Destinataires :

M. le Directeur des Affaires Musulmanes C.I.E. Alger

C.I.E. Oran

Figure 4 Reproduction de télégramme du 10 août 1942 de Bendjelloul au Maréchal Pétain1

1 CIE de Constantine, Gouvernement Général d'Algérie, « Copie de télégramme à Pétain », op. cit.

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Ce télégramme contient des éléments fréquents dans le discours de Bendjelloul : il se place en porte-parole de sa communauté, recourt à l'Islam et professe son loyalisme. L'argumentation de ce télégramme est surprenante en ce qu'elle diffère fortement de la grille de lecture contemporaine des enjeux de la Seconde Guerre Mondiale. Ce document semble authentique : le courrier circulant entre administrations coloniales en Algérie présente comme fiables les renseignements qu'il relaie : il cite in extenso et entre guillemets le télégramme, et mentionne précisément les dates et les moyens par lequel cette source est en leur possession : c'est Bendjelloul qui aurait lui-même envoyé une copie de ce télégramme au préfet de Constantine, peut-être pour partager cette déclaration de loyalisme aux autorités coloniales d'Algérie et améliorer ses rapports avec eux.

Premièrement, on peut remarquer la rapidité avec laquelle Bendjelloul réagit aux évènements internationaux : le 8 août 1942, Gandhi, soutenu par le parti du Congrès, appelle les Indiens à un mouvement massif de désobéissance civile pour réclamer l'indépendance de l'Inde. Le lendemain, les Anglais emprisonnent les leaders du Parti du Congrès, engendrant grèves et manifestations dans tout le sous-continent1. Selon le document ci-dessus, contenu dans les archives de la préfecture de Constantine, c'est le jour même que Bendjelloul aurait envoyé ce télégramme à Laval et Pétain, et l'aurait envoyé le lendemain, le 10 août, au préfet de Constantine, qui en fait part au Gouvernement Général d'Alger dans le courrier dont il est question ici2. Malgré le contexte de guerre mondiale et de domination coloniale, les évènements en Inde ont été connu presque immédiatement en Algérie, et pour Bendjelloul le lien entre le combat de Gandhi et ses propres opinions politiques est suffisamment fort pour que la réaction de soutien à Gandhi et de réprobation de l'action impériale anglaise soit tout aussi immédiate. Ce télégramme est un intéressant témoignage de solidarité transimpériale entre colonisés3.

Ensuite, ce télégramme nous montre les conséquences que Bendjelloul tire de cet évènement pour ses allégeances au gouvernement de Vichy et aux puissances de l'Axe. La formulation de ce texte répond au soupçon habituel de duplicité du colonisé : si avant cette arrestation, les « musulmans [du] monde entier » auraient pu être favorables aux Alliés, leur

1 Michel Boivin, « Chapitre III. L'Empire britannique et le développement du nationalisme », in Histoire de l'Inde, Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, 2021, vol.6e éd., p. 53?83.

2 CIE de Constantine, Gouvernement Général d'Algérie, « Copie de télégramme à Pétain », doc. cit.

3 Sur les horizons mondiaux créés par les médias tels que la radio, voir Arthur Asseraf, Electric News in Colonial Algeria, Oxford, New York, Oxford University Press, 2019.

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politique coloniale répressive en Inde leur fait perdre ce prestige au profit des puissances de l'Axe. Un an après sa déclaration radiophonique en faveur du nouveau gouverneur général nommé par Vichy, Bendjelloul professe franchement son ralliement à Pétain, affirme souhaiter la victoire de l'Allemagne nazie sur les Alliés, et propose de prier pour la « réalisation de [la] politique » et des « voeux les plus chers » du Maréchal. Cette profession de loyalisme est brève mais solennelle et résolue. Bendjelloul ne se contente pas d'organiser des prières publiques pour la libération de Gandhi, mais il écrit au plus haut niveau de l'Etat pour demander l'autorisation, selon son habitude. Il ajoute au coeur de sa demande une démonstration d'adhésion collective des Algériens colonisés pour les autorités françaises, voire d'affection personnelle pour le Maréchal, dans le contexte du culte de la personnalité répandu à cette époque1. Bendjelloul fait preuve d'une grande audace en écrivant au plus haut niveau de l'Etat, mais aussi en élevant à une échelle internationale son rôle de porte-parole, ici non plus seulement de ses électeurs ou des Algériens mais de toute l'Oumma, voire des colonisés du monde entier. En s'adressant à Pétain, il lui demande de transmettre de sa part au gouvernement britannique l'indignation des Musulmans Algériens. Il s'érige ici en ambassadeur des Algériens, positionnant ses revendications politiques sur la scène géopolitique internationale.

Ce télégramme est envoyé à Vichy quelques mois seulement avant le débarquement allié en Afrique du Nord. Dans la suite de sa carrière au sein des institutions françaises, on retrouve quelques accusations de collaboration contre Bendjelloul, sans qu'il ne semble avoir fait l'objet de sanctions. Sur la copie du télégramme contenue dans les archives de la préfecture du Constantine, on trouve la mention manuscrite

« Que ne publions nous ce télégramme pour ridiculiser définitivement ce pantin dangereux de Bendjelloul, qui ne sait de quoi il parle ! »2

Il semble donc qu'un lecteur ultérieur de ces archives y ait trouvé un outil pour nuire à Bendjelloul, à une époque où celui-ci occupait encore une fonction publique. Ce télégramme sera effectivement souvent mentionné par les opposants à l'élection de Bendjelloul à l'Assemblée Consultative Provisoire. Mais sa collaboration réelle ou supposée n'a pas eu

1 Voir J. Cantier, L'Algérie sous le régime de Vichy, op. cit.

2 CIE de Constantine, Gouvernement Général d'Algérie, « Copie de télégramme à Pétain », doc. cit.

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d'impact notable sur la carrière de Bendjelloul et sur ses relations avec les autorités françaises après la libération.

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III. La sortie de guerre et la reprise de la vie républicaine : hésitations face à une souveraineté française incertaine

Après le débarquement en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, les armées anglo-américaines occupent l'Algérie. Leur alliance avec les autorités vichystes d'Afrique du Nord est très contestée par les Forces Françaises Libres, ce qui entraîne un climat d'instabilité politique. Les partisans du Général De Gaulle prennent progressivement le contrôle de la vie politique algérienne dans le courant de l'hiver 1943. Pourtant, aucune mesure ne s'attaque à la colonisation, qui ne semble remise en question par aucune des forces en présence. En parallèle, les combats de la campagne de Tunisie emploient une vaste majorité de soldats maghrébins, et la préparation de la campagne d'Italie et du débarquement en Provence ne laisse pas de doute sur l'emploi massif de colonisés dans ces opérations. Alors que depuis 1939 la guerre semblait une affaire européenne, l'Afrique du Nord se retrouve au centre des attentions, et Alger devient la capitale de la France libre. Face à cette crise de souveraineté, les colonisés s'activent pour être pris en compte, non plus comme un simple réservoir de soldats, mais comme une force politique avec laquelle leurs divers interlocuteurs se doivent de composer. La fin du régime de Vichy en Afrique du Nord leur permet de retrouver une plus grande diversité de modes d'actions : certains retrouvent les institutions dans lesquelles ils étaient élus avant 1940, multiplient les rencontres avec les autorités des différentes forces d'occupation, publient des textes, organisent des réunions, des manifestations, fondent des journaux. Tous réclament avec gravité des réformes, avertissant les colonisateurs que la crise internationale ne peut éclipser la crise algérienne qui couve depuis bien trop longtemps. Dans cette partie, nous allons observer le moment crucial où la majorité des Algériens colonisés adhèrent au nationalisme. Pourtant, Bendjelloul reste le champion de l'assimilationnisme, et commence même à être reçu avec plus d'attention par les autorités coloniales, inquiètes face à la montée inexorable du nationalisme algérien.

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A - Espoirs déçus : le Manifeste et la déclaration de Constantine

Face à l'émergence d'un nouvel ordre politique et à l'imminence de la mobilisation militaire, des personnalités algériennes de différents courants se réunissent durant l'hiver 19421943 pour organiser la défense des intérêts du peuple algérien. Leur porte-parole Ferhat Abbas rédige un mémoire intitulé « L'Algérie devant le conflit colonial : Manifeste du peuple algérien » qu'ils signent et remettent le 31 mars 1943 au Gouverneur Général (GGA) Marcel Peyrouton, ainsi qu'aux autorités anglo-américaines le lendemain. Ageron rapporte que le Manifeste était initialement adressé aux Alliés par Abbas, mais que pour ménager le gouvernement provisoire français, le Docteur Bendjelloul et le Docteur Saadane aurait dissuadé Abbas d'adresser le Manifeste aux Nations unies et auraient proposé une deuxième version modifiée du manifeste, s'adressant au gouvernement français siégeant à Alger. Ageron doute cependant de la spontanéité de cette révision du manifeste, pensant que l'initiative serait en réalité l'exigence des autorités françaises 1.

Ce texte est considéré comme la première formulation du nationalisme algérien2, et par nationalisme, on entend la promotion de l'indépendance d'un peuple doté d'une unité culturelle et d'une autonomie d'action vis-à-vis d'une autorité supérieure. Le Manifeste présente un courant de pensée majeur parmi les élites algériennes, envisageant la fin de l'empire colonial français qui se dessine alors. Le discours reste teinté d'assimilationnisme et légitime ses revendications en les basant sur les valeurs républicaines françaises bafouées par la colonisation. Il emploie également la rhétorique de guerre morale employée par les Alliés. Le Manifeste est cependant sans équivoque dans ses conclusions : la colonisation est irréformable, et l'admiration que les signataires éprouvent pour la France ne justifie pas sa domination du peuple algérien. Le Manifeste du Peuple Algérien exprime bel et bien une vision nationaliste, et affirme que la création d'un Etat algérien est l'unique solution aux problèmes de la colonisation. Ce texte présente ainsi l'évolution d'une grande partie de la classe politique algérienne d'un l'assimilationnisme déçu à la revendication de l'autonomie.

1 Charles-Robert Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine. 2, De l'insurrection de 1871 au déclenchement de la guerre de libération, 1954, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, 558ss.

2 László J. Nagy « Le Manifeste du peuple algérien: document fondamental du nationalisme algérien », Chronica. 1 janvier 2004, vol.4. p. 102.

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L'argumentaire du texte puise des arguments efficaces dans le contexte géopolitique bouleversé par la guerre, en dénonçant l'enthousiasme des colons pour le pétainisme ou en comparant l'oppression coloniale à l'invasion de la France par l'Allemagne. L'exemple de l'humiliation de l'Allemagne en 1918 est rappelé comme un avertissement : maintenir les injustices entre les peuples c'est semer les germes d'une guerre future. Selon un motif rhétorique typique de la FEM, Abbas présente l'expression des revendications du peuple algérien comme sa responsabilité au service de la paix : les Algériens remplissent leur devoir en exprimant leurs revendications, aux « grandes nations » de prendre eux aussi leurs responsabilités en les prenant en compte1. Les expressions « Occident » ou « grandes nations » récurrentes dans le texte sont par contre des innovations qui indiquent que l'irruption des Alliés en Algérie donne lieu à une reconfiguration du dialogue colonial. Bien que les autorités gouvernementales françaises restent souveraines sur les populations algériennes, les puissances anglo-saxonnes sont vues comme les vainqueurs de la France, et le Manifeste montre que les Algériens se perçoivent comme occupés par les Alliés2. Le texte appelle la France à s'inspirer de la politique de l'Empire Britannique « en pays arabes » et des Etats-Unis aux Philippines : dans un contexte où la France est au bénéfice de l'alliance avec les puissances anglo-saxonnes pour la libération de son territoire métropolitain, l'évocation des Alliés comme modèles rappelle aussi discrètement que la grandeur de la France en Algérie est éclipsée par de plus grandes puissances, que l'ordre du monde change et que les colonisés y voient leur intérêt.

Après un panorama historique de la colonisation en Algérie, le manifeste conclut au sujet des projets de réformes de la colonisation qu'« aucun n'a abouti et, nous pouvons le dire maintenant, aucun ne pourra jamais aboutir »3 et annonce :

« L'heure est passée où un musulman algérien demandera autre chose que d'être un Algérien musulman. »4

Ainsi, le manifeste revendique une identité nationale, et l'abandon explicite de l'assimilationnisme par ceux qui quelques années plus tôt y voyaient la solution d'avenir de

1 Ferhat Abbas, Le Manifeste du Peuple Algérien, Paris, Orients, 2013.

2 C.-R. Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, op. cit, p. 558.

3 Ferhat Abbas, Le Manifeste du Peuple Algérien : suivi du Rappel au peuple algérien / préface de Jean Lacouture, Paris, Orients, 2013, p. 33. Comparer avec la « Motion des 61 » publiée vingt ans plus tard, voir infra.

4 Ibid., p. 35.

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l'Algérie. Cela constitue une réelle évolution du paysage politique algérien. Le Manifeste n'est pas une déclaration d'indépendance ni la formulation d'un réel programme nationaliste, mais on pourra retenir la formulation intéressante d'Ageron qui le décrit comme « une solennelle revendication de l'autonomie de la nation algérienne »1.

Bendjelloul fait également partie de la délégation qui avec Ferhat Abbas remet le mémoire au gouverneur général le 31 mai 1943. Il n'est donc pas un observateur tiède participant au manifeste sous la pression d'un contexte politique changeant, mais il s'engage personnellement dans la poursuite du projet du manifeste et se risque à le défendre devant les autorités coloniales. Il semble ainsi adhérer à l'idée qu'aucune réforme n'aboutira jamais, et que l'idéal d'émancipation des Elus ne semble plus pouvoir se réaliser que dans une Algérie souveraine.

Pourtant, quelques mois plus tard, un évènement vient réveiller les espoirs des assimilationnistes. Le 12 décembre 1943, le Général De Gaulle promet dans un discours à Constantine d'accorder les droits entiers de citoyens à plusieurs dizaines de milliers de musulmans sans renoncement à leur statut personnel, leur ouvre plusieurs postes administratifs, augmente la part de colonisés dans les assemblées locales et promet une amélioration du niveau de vie. Bendjelloul accueille avec enthousiasme ces annonces bien en-deçà des revendications du Manifeste et allant plutôt dans le sens du projet Blum-Violette abandonné quelques années plus tôt2. Dans ses mémoires de guerre, De Gaulle affirme, et cette anecdote est reprise par d'autres contemporains de l'évènement, que Bendjelloul et d'autres assimilationnistes auraient versé des larmes en entendant ce discours du 12 décembre3. Les observateurs ont bien compris que cette affirmation de l'égalité de droit entre Français et Musulmans était la réalisation de l'idéal pour lequel Bendjelloul combattait avec acharnement depuis une quinzaine d'années. Je pense que c'est cette déclaration de Constantine qui est le moment clé pour la suite de la carrière de Bendjelloul. Sa signature du manifeste en mai indiquait qu'il se laissait séduire par la revendication nationale distincte de la France, qui, alors occupée par les Allemands d'une part et les Alliés d'autre part, ne possédait plus d'autonomie sur la scène internationale ni même sur

1 Charles-Robert Ageron. « Ferhat Abbas et l'évolution politique de l'Algérie musulmane pendant la Seconde guerre mondiale » Genèse de l'Algérie algérienne. Saint-Denis : Éditions Bouchène, 2005, p. 259?284.

2 C.-R. Ageron, « Livre IV - Forces politiques et évolution politique de l'Algérie 1939-1954 », art. cit.

3 C.-R. Ageron, Histoire de l'Algérie contemporaine, op. cit, p. 564.

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son propre territoire. Mais avec le discours de Charles De Gaulle, l'espoir renaît pour les assimilationnistes. De Gaulle leur montre que la nouvelle France qu'il est en train de construire leur sera favorable. Il affirme avec audace l'égalité que même le Front Populaire n'avait pas réussi à leur accorder. Avec un tel revirement, seulement six mois après l'installation du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) à Alger, quelles transformations du système colonial ne devenaient-elles pas possibles ?

Deux jours après le discours, un arrêté institue une commission de réformes pour concrétiser les promesses faites par le Général. Diverses personnalités politiques algériennes, colons et colonisés, sont entendus, et de leurs avis divergents résulte l'ordonnance du 7 mars 1944. Même les musulmans les plus modérés la trouvent insatisfaisante : la citoyenneté française avec maintien du statut personnel est accordée seulement à 16 catégories de musulmans, ce qui représente moins de 100 000 personnes1. Le statu quo est conservé pour les millions d'autres Musulmans, et le CFLN rejette sur la future Assemblée constituante la responsabilité de statuer à leur sujet. L'abolition du code de l'indigénat et la proclamation de l'égalité civile représentent malgré tout des mesures symboliques fortes et attendues, et si cette ordonnance du 7 mars devient le texte le plus audacieux de l'histoire législative de l'Algérie française, les avancées restent dérisoires alors que le débarquement allié avait donné à certains l'espoir d'un état algérien indépendant, à d'autres celui d'une intégration totale de tous les colonisés dans la citoyenneté française. Par la suite, les revendications des partisans de l'assimilation trouveront appui sur les promesses de cette ordonnance du 7 mars, sans succès.

B - Bendjelloul, premier Algérien musulman à être élu dans une institution nationale française : l'Assemblée consultative provisoire

Pour se doter d'une légitimité plus large aux yeux des Anglo-saxons dans sa revendication de la souveraineté française, le Gouvernement Provisoire de la République Française se dote d'une Assemblée Consultative Provisoire (ACP). Comme son nom l'indique, les résolutions votées par cette assemblée ont seulement valeur d'avis pour le gouvernement2.

1 C.-R. Ageron, « Livre IV - Forces politiques et évolution politique de l'Algérie 1939-1954 », art. cit, p. 565.

2 Pierlot (Yvon Morandat), Rapport sur l'Assemblée Consultative Provisoire, Délégation A.1.I, s.d., p. 6. 72AJ/234, Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine.

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À la fin du mois d'octobre 1943 les conseillers généraux des trois départements algériens désignent leurs représentants au sein de l'Assemblée consultative. Les deux hommes qui se présentent pour le département de Constantine sont élus, Monsieur Paul Cuttoli à l'unanimité et le Docteur Bendjelloul avec 20 voix sur 22 exprimées1. Le fait qu'il soit la seule personnalité musulmane membre de l'ACP et qu'il le soit après avoir été élu par ses pairs prouve que Bendjelloul disposait d'une crédibilité certaine ou en tout cas de rapports positifs avec les autres conseillers généraux européens du département de Constantine. Bendjelloul est ensuite élu au sein de l'ACP comme président du sixième Bureau2. En cette fin de Seconde Guerre Mondiale, Bendjelloul apparaît bien intégré dans les milieux politiques européens et dans cette nouvelle institution, la première de dimension nationale dont il fasse partie.

S'il ne semble pas rencontrer d'obstacles à sa participation aux institutions du nouveau régime français, de nombreuses contestations s'élèvent cependant pour dénoncer son attitude conciliante, voire son adhésion explicite au régime de Vichy. Dans son rapport non daté sur les luttes autour de la composition de l'ACP, le résistant gaulliste de la première heure Yvon Morandat brosse un portrait à charge du délégué et du Docteur Tamzali, bien que celui-ci ne soit pas un membre officiel de l'ACP3 :

Pour en revenir aux choix des délégués coloniaux et sans faire de personnalités (sic), on peut regretter que les Docteurs BENJELLOUL et TAMZALI soient délégués. Le premier, nationaliste algérien, a toujours combattu la France, à moins que son représentant n'emploie les arguments sonnants et trébuchants, sa collusion avec les Commissions d'armistice était notoire. 4

Morandat accuse Bendjelloul d'être malhonnête et motivé par l'argent dans ses convictions politiques, mais ne donne pas plus d'explications sur l'origine de son avis sur Bendjelloul. Il tombe dans l'erreur commune d'avant-guerre consistant à considérer comme

1 Archives de l'Assemblée Consultative Provisoire, « Dossier «Conseil Général Afrique du Nord» », 17 avril - 1er novembre 1943, C//15260/94001/469, Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine.

2 Ibid.

3 Anne-Marie Gouriou, archiviste et Roseline Salmon, conservateur du patrimoine, « Annexe du répertoire: Assemblée consultative provisoire (Alger et Paris) 1944-1945 ». Le docteur Tamzali n'apparaît sur aucune des listes officielles successives des délégués de l'ACP.

4 Pierlot (Yvon Morandat), Rapport sur l'Assemblée Consultative Provisoire, doc. cit, p. 1.

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nationalistes les assimilationnistes réformistes1. Cependant, si ce document n'est pas daté, il est certain qu'il a été écrit après la publication du Manifeste du Peuple Algérien en février 1943, dont Bendjelloul est signataire. Dans son rapport désabusé sur le retour de la compétition politique et sur la dilution de l'idéal résistant, l'auteur souligne également les actes de sympathie envers Vichy de Bendjelloul comme de Tamzali. L'auteur n'a apparemment pas connaissance du télégramme de Bendjelloul à Pétain, qui aurait constitué un argument fort contre le Docteur, et il ne précise pas ce qu'il entend par « collusion avec les Commissions d'Armistice ». Il est marquant que seules les nominations des Algériens musulmans soient dénoncées dans ce rapport, alors que plusieurs autres délégués faisaient l'objet à la même époque de procédure d'invalidation pour indignité nationale : la méfiance systématique et les discriminations envers les colonisés ne vont pas prendre fin avec l'arrivée au pouvoir des résistants.

Une note de renseignements non signée datant du 9 novembre 1943 rapporte que les détracteurs sont nombreux parmi les coreligionnaires du Docteur Bendjelloul, et qu'ils font campagne contre lui auprès du comité de la libération et auprès de l'ACP en rappelant ses faits et gestes à l'époque de la révolution nationale. La déclaration de loyalisme de Bendjelloul à la radio était par nature publique, et Bendjelloul souffre en 1943 d'une réputation de collaborateur. Le 3 novembre 1943 le congrès algérois du mouvement résistant Combat écrit aux délégués de la résistance chargés des validations des délégués à l'ACP, les appelant à l'exclusion du Docteur Bendjelloul pour donner suite à la révélation du télégramme à Pétain du 9 août 1942, et plus largement « de l'attitude générale du conseiller général Bendjelloul », qu'ils décrivent comme un « pro-hitlérien », « pendant la période dite de la Révolution Nationale »2. Une aussi lourde accusation accompagnée de preuves ne pouvait que mener à la condamnation de Bendjelloul. Cependant une note manuscrite au crayon à la fin du courrier indique qu'il a été arrêté en 1942 puis remis en liberté sur l'intervention d'une personne haut placée dans le Gouvernement provisoire de la République française dont le nom est difficilement lisible. Il aurait été arrêté de nouveau la même année, peut-être par Giraud, et mis en liberté sur intervention de Robert Murphy, le représentant des Etats Unis en Afrique du Nord. Les archives dont nous disposons

1 Voir supra, Partie I « II : Toute remise en cause du système colonial est-elle nationaliste en puissance ? ». p11.

2 Archives de l'Assemblée Consultative Provisoire, « Dossier 490 Bendjelloul : voeu de Combat, mouvement de libération français tendant à l'exclusion de Mohamed Bendjelloul », novembre 1943, C15260/94001.490, Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine.

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ne permettent pas de connaître les détails des liens entre Bendjelloul et les différentes personnes mentionnées dans cette note manuscrite, mais il semble possible d'établir que Bendjelloul a bénéficié de l'appui de personnages influents parmi les Alliés afin d'échapper aux mesures d'épuration. Signe de ce contexte d'épuration, au verso de ce courrier se trouve un texte similaire appelant à l'éviction de l'ACP du résistant Henri d'Astier de La Vigerie en raison de ses convictions monarchistes et de l'irrégularité de son élection comme délégué. Le document suivant dans le dossier est le procès-verbal d'une réunion tenue deux jours après l'envoi de ce courrier. Le bureau y propose la validation de différents délégués, et parmi eux Messieurs d'Astier de La Vigerie et Bendjelloul. Une note du 22 novembre 1943 indique que Bendjelloul aurait été soumis par la commission de validation des délégués de l'ACP à « un questionnaire précis relatif à son passé politique et notamment à son attitude sous le gouvernement de Vichy »1 et que, soutenu par des collègues de l'ACP, il n'aurait pas été invalidé. La tentative de Bendjelloul d'employer son habituelle stratégie d'opposition loyale sous le régime de Vichy se retourne contre lui lors de ce changement de régime : il s'était employé à faire connaître ses actions de protestation ou sa participation au nouveau système politique, soit par la déclaration à la radio en 1941 soit en faisant lui-même suivre son télégramme à Pétain à la préfecture de Constantine et au Gouverneur Général d'Algérie, quelques mois seulement avant le débarquement allié en Afrique du Nord.

En cherchant Bendjelloul dans les archives de l'épuration, on trouve un autre document : lors de l'enquête au sujet des agissements de l'ancien ministre vichyste Max Bonnafous, Bendjelloul a témoigné par écrit de ses relations avec celui-ci lorsqu'il était préfet de Constantine entre 1940 et 19412. Bendjelloul y décrit lui-même son action et sa relation aux autorités françaises pendant la période de Vichy.

Dans son témoignage en faveur de Bonnafous, Bendjelloul loue la politique agricole de l'ancien préfet, qui allait dans le sens des revendications de la FEM en favorisant les petites exploitations. Mais c'est surtout sur le plan politique que Bendjelloul affirme avoir apprécié la gouvernance du préfet vichyste :

1 Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », doc. cit.

2 Mohamed Bendjelloul, « Déposition du Docteur Bendjelloul, délégué à l'Assemblée Consultative Provisoire. Président de la Fédération des Elus Musulmans d'Algérie », 1945. In Haute Cour de Justice, « Dossier Bonnafous - Première Partie de la Procédure, Liasse IX : Liberté provisoire et documents annexes », 3W75, Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine.

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Très informé des questions musulmanes, Monsieur Max BONNAFOUS ne fit point la politique des Grandes familles et rechercha l'aide, le concours et l'amitié des jeunes intellectuels dont j'étais, contre lesquels les hommes de VICHY voulaient jeter l'exclusive. 1

Malgré le durcissement des rapports entre les autorités coloniales et les élus musulmans pendant la période de Vichy2, Bendjelloul affirme que Max Bonnafous a donné aux élites intellectuelles musulmanes la place prépondérante qu'ils attendaient depuis le début du XXe siècle. Là où ce sont plutôt les élites traditionnelles qui étaient les interlocuteurs privilégiés du régime de Vichy3, Bonnafous leur a permis de collaborer avec lui. Bendjelloul indique également qu'il attribue à l'action de Max Bonnafous le fait de ne pas avoir été arrêté sous Vichy de même que plusieurs de ses amis et il affirme avoir collaboré avec le préfet pour lutter contre les campagnes de propagande fasciste visant la population musulmane. En conclusion il insiste encore, et jure que durant son mandat Max Bonnafous s'est toujours conduit « comme un homme de gauche et comme un républicain, comprenant et aidant l'évolution démocratique nécessaire des masses musulmanes »4. Bendjelloul s'est apparemment retrouvé en union de pensée et de vision politique avec Max Bonnafous.

Il est étonnant que Bendjelloul se révèle de cette manière alors qu'il avait lui-même fait l'objet d'accusations de collaboration suite à la révélation de son télégramme à Pétain lors de sa nomination à l'ACP deux ans plus tôt. Cela est d'autant plus étonnant qu'il le fait pour défendre un Français qui avait occupé un poste haut placé dans le gouvernement : il n'est ni un de ses mandants ni un musulman ni même un colonisé ou un indigent. Bendjelloul se sent peut-être redevable envers Bonnafous pour sa protection, dont il dit avoir bénéficié durant la période de Vichy. L'ancien ministre ne pourra plus améliorer la situation des colonisés, il ne peut donc pas s'agir d'une manoeuvre visant à obtenir en contrepartie des réformes en faveur de l'Algérie colonisée. Assiste-t-on ici à l'un des signes de la transformation de Bendjelloul en politicien français et à l'érosion de sa figure de héros combattant la France ? S'il est vrai que Bendjelloul

1 Mohamed Bendjelloul, « Déposition du Docteur Bendjelloul », doc. cit.

2 Éric T. Jennings, « La politique coloniale de Vichy », in L'Empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 13?27.

3 Ibid.

4 Mohamed Bendjelloul, « Déposition du Docteur Bendjelloul », doc. cit ; in HAUTE COUR DE JUSTICE, « Dossier Bonnafous », doc. cit.

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même dans les années 1930 a toujours tenté de faire alliance avec les politiciens français et d'entretenir avec différents courants politiques des relations cordiales, ici il semble qu'un cap est franchi : Bendjelloul vient spontanément à l'aide de Bonnafous et, en apparence du moins, sans contrepartie. Il utilise pour cela sa légitimité d'élu de l'ACP, dont il utilise le papier à entête pour faire sa déposition.

Dans cette déposition Bendjelloul se présente en quelque sorte comme un vichysto-résistant lui-même, employant les institutions de Vichy pour oeuvrer en faveur des populations musulmanes. Je pense qu'on peut étendre cette analyse à la manière dont Bendjelloul conçoit son action dans le cadre des institutions coloniales au cours de sa carrière. En France, avant que ne s'impose le grand narratif atlantiste de guerre morale, la Seconde Guerre Mondiale et l'occupation de la France par l'Allemagne était surtout comprise comme une humiliation militaire et une violation de la souveraineté nationale. Pour les Algériens colonisés, le changement de régime politique constituait moins un bouleversement majeur de leurs droits civiques ou de leurs conditions de vie que la guerre en soi.

Bendjelloul ne se contente pas d'être validé comme membre de l'ACP, et entreprend de restaurer son activité politique d'avant-guerre. Le dossier de la police des renseignements généraux de la préfecture d'Alger de 1944 contient un grand nombre de petites fiches de signalement d'une ou deux phrases indiquant sans commentaire des échanges d'argents ou des déplacements du Docteur Bendjelloul, ainsi que les personnes l'accompagnant et les endroits qu'il fréquente1. L'importance matérielle de ce dossier et la faiblesse de son contenu témoigne du regain de surveillance dont Bendjelloul est l'objet au printemps 1944. Ces rapports de surveillance mettent aussi en avant la rivalité entre les partisans d'Abbas et ceux de Bendjelloul, et la volonté de ce dernier de lutter pour faire remonter sa popularité. Ces notes laissent transparaître le contexte de dépassement politique de Bendjelloul par les Amis du Manifeste, plus radicaux. Ces derniers affirmeraient notamment que l'ancien leader mène une « politique que les `revendicatifs' ne peuvent plus admettre à l'heure actuelle »2, témoignant de l'évolution du paysage politique algérien au début des années 1940.

1 Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », doc. cit.

2 Ibid.

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Le 6 juillet 1944, un rapport de la Police des Renseignements Généraux (PRG) de la préfecture d'Alger signale que le Docteur Bendjelloul a écrit la veille au commissaire à l'information afin d'être autorisé à faire reparaître « [son] journal [l'Entente] qui a paru à Alger, puis à Constantine, jusqu'en 1941 »1. Bendjelloul décrit les caractéristiques du journal, qui serait hebdomadaire et tirerait à 10 000 numéros par semaine. Il en serait le directeur politique, et un membre expérimenté de la FEM, Smaïl Lakhdari, en serait le rédacteur en chef. Les raisons avancées par Bendjelloul pour l'arrêt de l'activité de l'Entente en 1941 sont sa résistance à la censure et sa protestation contre « le numerus clausus imposé aux Médecins Israélites »2. Bendjelloul se présente comme ayant eu une place centrale dans les activités de ce journal avant la guerre, sous-entendant que ce qui y était publié était l'expression de son opinion et de sa volonté, éclipsant le rôle important des rédacteurs en chefs successifs, Kessous, et Abbas. Bendjelloul se présente aux autorités comme un homme politique influent et comme ayant résisté à la censure et à l'antisémitisme endémiques du régime de Vichy.

La situation de Bendjelloul est un cas unique à cette époque : il est le seul homme politique algérien relevant du statut musulman à représenter les colonisés algériens à l'ACP. Il ne s'agit pas d'un hasard de parcours, et on voit qu'il dispose d'un réseau fourni et efficace de soutiens dans les milieux politiques français et même peut-être au-delà. Pour autant, Bendjelloul ne considère pas sa position personnelle privilégiée comme un accomplissement, et dépose le 23 mars 1945 une proposition de loi « tendant à inviter le gouvernement à faire représenter les musulmans algériens à l'assemblée consultative provisoire par six délégués élus par les conseils généraux d'Algérie »3. Dans ce texte législatif rédigé dans un ton très personnel, Bendjelloul présente son expérience en tant qu'unique membre musulman de l'ACP. Face aux « intérêts locaux et d'ordre social ou économique des Français et des musulmans [qui] peuvent s'opposer », Bendjelloul tente de défendre les uns sans léser les autres en conciliant ces intérêts opposés, mais il reconnait que « [sa] modeste voix ne peut souvent rien au sein d'une forte majorité »4. Bendjelloul décrit comme « particulièrement angoissante » la situation politique en

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Mohamed Bendjelloul, « Proposition de résolution n°390 tendant à inviter le Gouvernement à faire représenter les musulmans algériens à l'Assemblée consultative provisoire par six délégués élus par les conseils généraux d'Algérie », Archives de l'Assemblée Consultative Provisoire, 23 mars 1945, C15248/94001.23, Archives Nationales, Pierrefitte-sur-Seine.

4 Ibid., p. 2.

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Algérie. Il présente les quatre principaux courants (PPA, Amis du Manifeste, FEM et Oulémas) et leurs revendications. Il s'attache à se montrer en lien avec chacun d'eux : il plaide depuis longtemps pour la fin de la mise en résidence surveillée de Messali Hadj, il est l'ex-collègue de Abbas, et il loue l'action des Oulémas pour la scolarisation. Il se positionne ainsi en chef de file de l'Algérie musulmane, en porte-parole consensuel et représentatif. Il montre comment la crise économique et sociale aigüe favorise ce qu'il décrit comme un « danger »1 : le développement de l'idée séparatiste ou autonomiste dans la population musulmane.

Face à l'aggravation continue en Algérie du mécontentement et de l'esprit séparatiste, la solution que propose Bendjelloul est la mise en application effective de l'ordonnance du 7 mars établissant l'égalité entre Français et Musulman. Il déplore que les décrets d'application ne soient pas encore sortis et réclame comme mesure prioritaire l'augmentation de la représentation des musulmans au sein des assemblées locales algériennes, ainsi qu'au sein de l'Assemblée consultative provisoire, mesure qui « sera de nature à apaiser les passions politiques qui s'allient en Algérie et à faire redresser promptement la situation »2. Comme avant la guerre on voit que face à la crise sociale et économique, Bendjelloul interprète les revendications populaires selon ses convictions politiques et valorise des réponses institutionnelles et l'augmentation des droits au sein des institutions coloniales françaises. Après la signature du Manifeste puis la déclaration de De Gaulle, sa foi en la citoyenneté française comme émancipation semble restaurée. On retrouve la rhétorique du devoir accompli par les élus musulmans exprimant leurs revendications, devoir d'informer les autorités françaises du danger que représenterait le maintien du statu quo et le refus de réformer le système colonial. Mais contrairement au ton revendicatif d'avant-guerre, le ton de cette proposition de résolution est grave et suppliant :

La désillusion et le désespoir de ceux-ci [les membres musulmans Algériens de l'ACP, c'est-à-dire Bendjelloul] seraient portés à leur comble et les élus fédérés perdraient tout courage si leurs efforts depuis 1931 et si l'effort de guerre apporté par l'Algérie en 1939 et 1940 et depuis 1942 à ce jour ne devait pas être couronné par la représentation de musulmans à l'Assemblée consultative provisoire.3

1 Ibid., p. 6.

2 Ibid., p. 4.

3 Ibid.

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Les émotions et le sentiment d'urgence de Bendjelloul face à la situation de l'Algérie sont explicites dans ce passage, un peu plus d'un mois avant l'insurrection du Constantinois du 8 mai 1945. L'implication émotionnelle dont Bendjelloul témoigne dans ce bref résumé de sa carrière depuis 1931 prouvent que son engagement politique va bien au-delà d'une quête d'intérêts personnels.

Ce texte n'a malheureusement pas été distribué aux délégués avant le 15 mai 1945, en même temps que vingt-deux autres propositions diverses1. Le 28 juin 1945, deux mois après les massacres de Sétif et Guelma, la SFIO propose un long texte appelant à des réformes audacieuses pour sauver l'Algérie française en faisant justice aux revendications des populations musulmanes. Les socialistes appellent notamment à la mise en application intégralement et sans délai de l'ordonnance du 7 mars 1944, trois mois après que Bendjelloul l'a demandée, apparemment sans effet. Cinq mois plus tard, le 28 juillet 1945, José Aboulker, délégué algérien de l'ACP, propose une résolution allant dans le même sens que Bendjelloul en demandant la représentation de l'Algérie à l'Assemblée constituante par un nombre égal de représentants de chaque collège électoral français et musulman2. Comme Bendjelloul dans sa proposition de résolution, il se base sur la déclaration du 7 mars 1944 affirmant que les musulmans et les colons sont également français et ont les mêmes droits. Cette résolution a été adoptée le 2 août 1945 par l'Assemblée consultative provisoire.

Les bouleversements institutionnels qui secouent la métropole pendant et après la Seconde Guerre Mondiale sont un moment propice aux espoirs d'une réforme en profondeur du système colonial et de la place des colonisés dans le monde. De nombreux courants de pensée propose des réformes, de nouvelles institutions voient le jour, le vocabulaire colonial change en partie sans que la réalité de l'oppression ne connaisse une véritable remise en question. Tout au long de ces bouleversements institutionnels et politiques, Bendjelloul poursuit sa stratégie d'opposition loyale, adaptant la formulation de ses revendications au contexte et aux régimes politiques successifs. Il n'hésite pas à prendre des risques dans l'exercice de ses mandats, que ce soit dans un contexte d'épuration pour défendre d'autres hommes accusés de

1 Assemblée Consultative Provisoire, « Feuilleton n°127 : Ordre du jour du Mardi 15 mai 1945 ».

2 Mohamed Bendjelloul, « Proposition de résolution n°390 [Représentation des Musulmans à l'ACP] », doc. cit.

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collaboration, mais aussi pour parler au nom de ses mandants algériens, en alertant les autorités françaises sur l'imminence d'une insurrection au printemps 1945. A l'Assemblée constituante, dans un contexte d'hostilité au nationalisme algérien, il poursuivra sur cette voie en réclamant l'amnistie pour les Algériens emprisonnés suite à la répression de l'insurrection du 8 mai. Les échecs répétés de ses appels ne mettent pas un terme à sa stratégie d'opposition loyale à la colonisation, et il poursuit sa carrière dans les institutions métropolitaines de la IVe République à partir de 1946, espérant peut-être que la nouvelle constitution et le renouvellement partiel de la classe politique française seront plus favorables à son idéal d'union franco-musulmane.

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Partie III - Chercher une issue au conflit colonial

dans les institutions françaises (1946-1985)

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I. Bouleversements de l'échiquier politique algérien et installation de Bendjelloul dans la vie politique française

Après la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, Bendjelloul intensifie sa stratégie d'intégration des institutions métropolitaines. Après avoir été membre de l'Assemblée Consultative à Alger et à Paris, il est élu pour faire partie de la première Assemblée Constituante. Il n'est pas membre de la deuxième Assemblée Constituante, et après le vote de la nouvelle constitution et la proclamation de la IVe République, Bendjelloul est élu conseiller de la République pour le département de Constantine entre 1946 et 1948. Il participe à la vie de ces institutions en étant membre de différentes commissions mais particulièrement sur les questions touchant l'Algérie.

A - L'Assemblée Constituante (1945-1946) : fin de non-recevoir pour les demandes de Constitution Algérienne

Après avoir été membre de l'Assemblée Consultative d'Alger puis de celle de Paris, Bendjelloul est élu à la première Assemblée Nationale Constituante de novembre 1945 à juin 1946. A partir de ce moment, son combat se déplace du sol algérien aux institutions métropolitaines. Cependant, il restera toujours en lien avec sa circonscription. Les rapports de surveillance indiquent qu'il traverse régulièrement la Méditerranée entre Paris et Alger ou Constantine1. Dans ses mandats, il s'implique surtout sur les questions en lien avec l'Algérie : son statut politique, les droits des musulmans, le respect de l'Etat de droit... Par exemple, un extrait du rapport bimensuel au gouverneur général du 30 novembre 1945 indique que le groupe parlementaire des Elus Musulmans algériens est intervenu auprès du Général De Gaulle le 26 novembre 1945 en vue de l'amnistie de tous les musulmans « ayant fait l'objet de mesures administratives ou de poursuites judiciaires » à la suite des évènements de Sétif et Guelma. Et le rapporteur de rajouter que cette démarche a été « commentée [...] dans un sens très

1 Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », Alger, 1944, 91 1K 590/1, ANOM, Aix-En-Provence.

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favorable » en milieu musulman1. Ce rapport nous renseigne aussi sur la postérité de la FEM : elle cesse d'exister en tant qu'organisation reconnue après la guerre, mais ses membres restent en lien et continuent de s'allier pour faire entendre leurs revendications.

Dans un courrier au Gouverneur Général d'Algérie (GGA) du 10 mars 1945, Bendjelloul, aux côtés de Lakhardi et de Benhabylès, sont considérés par le préfet d'Alger Louis Périllier comme des « amis de la France », changement majeur par rapport aux descriptions unanimes de Bendjelloul comme ennemi par les notes de surveillance jusqu'ici : s'il peut se montrer « assez violemment [revendicatif] », il « [n'ira] pas jusqu'au séparatisme, ni même à l'autonomie », mais « [restera] dans le cadre de la souveraineté française »2. Selon le préfet, il est urgent que l'administration coloniale renoue avec ces réformistes francophiles si elle veut contrer l'engouement nationaliste se répandant dans le pays, avec Abbas comme chef de file qu'il convient de faire « disparaî[tre] » ou en tout cas de réduire au silence3. Parmi les signataires du manifeste, Périllier affirme que plusieurs ont renié Abbas et le manifeste du peuple algérien après l'annonce par De Gaulle du 12 décembre 1943. Le préfet appelle le GGA à soutenir ces élus et fonctionnaires modérés, afin de les encourager à ne pas céder à la pression des nationalistes qui les appellent des traîtres, et à soutenir cette voie politique alternative au nationalisme en Algérie.

Le contexte du début d'année 1945 est particulièrement important pour l'Algérie : le Général De Gaulle a accordé le droit de vote à tous les hommes algériens de plus de 21 ans, et les élections prochaines apparaissent comme un plébiscite, pour ou contre les partis nationalistes, pour ou contre la souveraineté française ; le dossier « Autour des élections cantonales et législatives - Indignité de certains musulmans - Année 1945 » contient la correspondance du Gouverneur Général de l'Algérie avec le Préfet de Constantine et le Ministère de l'Intérieur au sujet des mouvements politiques algériens. Dans un compte-rendu d'entretien du 22 octobre 1945, l'auteur du rapport qui est sûrement le préfet de Constantine

1 Gouvernement Général d'Algérie, « Dossier Fédérations des Elus, surveillance : rapports de police », 1936-1945, 81F705, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Louis Périllier, Préfet d'Alger, « Lettre n. 363 Cab/P sur l'action de Ferhat Abbas » F/DELTA/RES/0192 III-8, Fonds Paul Tubert, La Contemporaine, Nanterre.

3 Ibid.

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Petitbon y décrit de manière très méprisante un entretien avec Bendjelloul, venu se plaindre de ses faibles résultats aux élections cantonales et législatives. Le préfet déroule tout son compte-rendu sur le même ton méprisant :

BENDJELLOUL voulait être plébiscité et croyait naïvement qu'il le serait, car l'homme est impulsif et prend ses désirs pour des réalités. [...] le succès de BENDJELLOUL n'est pas aussi spectaculaire qu'il aurait pu l'être. BENDJELLOUL ne peut plus se poser en président de la Fédération des Elus à la Constituante. Tant mieux pour nous.1

Ainsi, si le préfet d'Alger, moins familier de Bendjelloul, pense que la domination coloniale de la France en Algérie a besoin de s'appuyer sur les modérés, le préfet de Constantine Petitbon ne semble pas avoir pris la mesure de l'ampleur du mouvement nationaliste, et continue de voir Bendjelloul comme un ennemi dont les défaites seront bénéfiques à la cause française. Le Docteur demande que les résultats soient modifiés en sa faveur, ce à quoi le Préfet répond :

[Il] est impossible à un préfet de falsifier les résultats d'une élection. Cela se pratique peut-être en Orient, mais pas en France. 2

Cette demande de Bendjelloul semble indiquer sa certitude que les autorités coloniales peuvent influer sur les résultats des élections, sans que son interlocuteur ne reconnaisse cette possibilité, ni que l'on sache d'où Bendjelloul tire cette conviction. L'entretien se finit par un accord entre les deux hommes : le préfet va invalider l'élection de Lakhdari, l'un des partisans le plus anciens de Bendjelloul, afin de permettre que l'élu suivant sur sa liste puisse siéger. Le préfet conclut : « Nous avons gagné./. »3

Ce dossier contient plusieurs de ces analyses biaisées et contradictoires des relations entre personnalités politiques algériennes. Mis à part dans le rapport du préfet d'Alger Périllier du 10

1 « Compte-Rendu de visites BENDJELLOUL-LAKHDARI », 22 octobre 1945. In Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Autour des élections cantonales et législatives - Indignité de certains musulmans - Année 1945» », GGA 8CAB 169, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Ibid., p.4.

3 Ibid.

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mars 1945, Bendjelloul est encore souvent considéré comme un ennemi de l'administration1. Y sont par exemple mentionnées des « manoeuvres » de Bendjelloul visant selon la Police des Renseignements Généraux (PRG) à soutenir Abbas et à favoriser son élection, afin d'être associé à son succès2.

Un élément crucial de la question algérienne à cette époque est la discussion du statut de l'Algérie dans la nouvelle constitution de la IVe République. Le Journal Officiel (JO) de l'Assemblée Nationale Constituante du 7 février 1946 indique que « Mohamed Bendjelloul et plusieurs de ses collègues » ont déposé une proposition de loi « tendant à établir la Constitution de l'Algérie afin que celle-ci soit inscrite dans la Constitution de la République française »3. Le président de séance l'annonce à l'Assemblée, qui donne son assentiment pour que cette proposition soit envoyée à la Commission de la Constitution. Le texte de cette proposition de loi n'a semble-t-il pas été publié, mais ce court passage du JO reflète déjà certaines facettes du débat sur les nouvelles relations de la France à son empire colonial dans l'immédiat après-guerre. Cette proposition de loi reçoit l'assentiment sans remous de l'assemblée : si la question de l'indépendance algérienne est inacceptable en 1946, c'est aussi l'époque de l'Union Française et d'un regain d'espoir de réformes du cadre colonial pour les élites colonisées4. La proposition de Bendjelloul, autour de laquelle il a réuni des élus, probablement tous Algériens musulmans, esquisse la possibilité d'une identité légale algérienne distincte de celle de la France, mais le titre indique que cette distinction ne signifie pas séparation ou indépendance et reste dans le cadre de « la République Française »5. Une proposition de loi au titre similaire sera

1 « BENDJELLOUL ne peut plus se poser en président de la Fédération des Elus à la Constituante. Tant mieux pour nous. ». Ibid. p1.

2 Gouvernement Général de l'Algérie au Ministre de l'Intérieur, courrier 1949/CDP, 5 octobre 1945. In Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Autour des élections cantonales et législatives - Indignité de certains musulmans - Année 1945» », doc. cit.

3 Assemblée nationale Constituante, « Journal Officiel- Séance du 7 février 1946 », p. 245.

4 Frederick Cooper, Français et Africains ? Être citoyen au temps de la décolonisation, tr. Christian Jeanmougin, Paris, Payot, 2014.

5 Assemblée nationale Constituante, « Journal Officiel- Séance du 7 février 1946 », doc. cit, p. 245.

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à nouveau déposée par Bendjelloul, Ourabah et Sid Cara en 1947 au Conseil de la République1. La loi du statut de l'Algérie elle-même est votée durant la Seconde Assemblée Constituante, dans laquelle Bendjelloul n'est pas élu. Dans les conversations ultérieures au sujet de l'Algérie au parlement, ce vote du statut de l'Algérie reste évoqué comme une occasion manquée. Ainsi, le 20 février 1948 par exemple, Bendjelloul participe brièvement aux débats sur les circonscriptions algériennes par une déclaration de principe : il rappelle que le statut organique de l'Algérie a été mal voté, que les musulmans n'ont pu faire que des déclarations de principe, et que ce statut « n'a donné satisfaction ni aux Français, ni aux Musulmans, car il n'a pas résolu le malaise politique algérien »2. Il rappelle sa position déjà exprimée à l'époque : il faut « laisser le soin aux populations algériennes, françaises et musulmanes, de décider elles-mêmes et entre elles de leur propre sort et d 'établir un statut de l'Algérie »3.

B - Implication au sein du Conseil de la République (1946-1948)

Au début de la première législature du Conseil de la République, Mohammed S. Bendjelloul devient membre de la commission des affaires étrangères et de la commission du suffrage universel, du règlement et des pétitions4, deux commissions assez importantes et politisées5. L'existence d'une commission du suffrage universel, du règlement et des pétitions notamment est liée au contexte unique de cette première législature de la IVe République et fait entre autres écho aux revendications de suffrage universel portée par les Elus Algériens depuis de nombreuses années. Bendjelloul obtient également des postes au sein du Conseil de la République. Il est élu le 27 décembre 1946 l'un des six secrétaires du Conseil de la République, rôle administratif important pour la préparation des séances par exemple, ou pour la gestion des

1 Mohammed Salah Bendjelloul, Chérif Sid Cara et Abdelmajid Ourabah, « Annexe n° 208 : Proposition de loi tendant à doter l'Algérie d'une constitution, présentée par MM Bendjelloul, Sid Cara et Ourabah » in Documents Parlementaires, Conseil de la République, Paris, 1947.

2 Conseil de la République, « Journal Officiel du 20 Février 1948 », p. 314.

3 Ibid.

4 Conseil de la République, « Journal Officiel du 29 Janvier 1947 - Débats Parlementaires n°4 ».

5 David Roudaut, Les députés des départements d'Algérie sous la IVe République, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2013, p 69.

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affaires courantes de l'Assemblée. Il est élu en cinquième position avec 182 voix1, et d'après les noms de famille des autres secrétaires, il est le seul colonisé à obtenir ce poste. Bendjelloul ne se contente donc pas d'occuper son mandat parlementaire mais cherche également à se rendre présent au sein de l'institution elle-même. Cette implication dans l'institution ne porte apparemment pas de fruits. D'ailleurs, en séance plénière, Bendjelloul ne prend pas souvent la parole dans les débats, tout en restant en moyenne plus actif que ses collègues algériens musulmans2 : cette période est marquée par l'absentéisme et l'effacement croissant des députés colonisés au parlement3.

Comme avant la guerre, Bendjelloul réclame l'égalité dans la loi entre Algériens musulmans et Français, et cherche dans son mandat parlementaire des occasions de rappeler son objectif à ses collègues et de faire avancer cette cause dans des lois pensées pour la France métropolitaine. Lors du débat du 1er février 1947, on voit Bendjelloul prendre la parole pour que les cadis et autres magistrats musulmans d'Algérie soient ajoutés dans le texte d'une loi listant les types de magistrats français. En demandant que les magistrats musulmans soient compris dans cette loi portant sur le système juridique français, Bendjelloul revendique la citoyenneté ou au moins l'égalité des Français et des Algériens devant la loi, et cherche à faire prendre en compte par le droit français l'existence de ses sujets musulmans. Cette intervention de Bendjelloul ne donne pas l'occasion à des débats ni même à d'autre réaction que celle du garde des Sceaux qui lui fait une longue réponse pour dire qu'en raison du statut distinct de la justice musulmane en Algérie, il est impossible juridiquement d'accéder à sa demande, et qu'il faut repousser sa demande à un débat ultérieur du Parlement qui serait spécifiquement consacré à la question du statut de la justice en Algérie. Bendjelloul retire ses amendements4. Sans pouvoir juger de la sincérité du ministre, on constate une fois de plus le faible impact des démarches de Bendjelloul dans le cadre de sa stratégie de réformisme légal.

1 Conseil de la République, « Journal Officiel - Débats parlementaires du Vendredi 27 Décembre 1946 - 2e Séance ».

2 David Roudaut, Les députés des départements d'Algérie sous la IVe République, op. cit, p. 70.

3 Ibid.

4 Conseil de la République, « Journal Officiel du 1er Février 1947 - Débats Parlementaires n° 6 ».

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Dans le cadre de son mandat au Conseil de la République, Bendjelloul est cité comme co-auteur de quelques propositions de loi, sans que l'on puisse déduire le rôle précis qu'il a tenu dans la rédaction de chaque texte. L'une des propositions tend à « doter l'Algérie d'une Constitution »1. Ce texte nous renseigne sur l'adoption de l'idée de constitution algérienne, déjà présente dans le Manifeste du Peuple Algérien, par Bendjelloul et ses collaborateurs, Sid Cara et Ourabah, lui aussi signataire du Manifeste. Dans un contexte où plusieurs projets de statuts de l'Algérie sont déposés devant le Parlement et où « chacun prétend résoudre le problème algérien selon sa doctrine ou ses tendances », les trois députés algériens affirment que « le seul moyen logique et démocratique de trouver une solution au problème algérien est de consulter [les populations algériennes] »2. L'article unique de leur proposition de loi appelle donc à convoquer les Algériens « en un collège électoral unique appliquant le suffrage universel à tous les éléments ethniques du pays » pour qu'ils élisent leurs représentants dans le but d'établir « la Constitution algérienne ». Ce texte serait ensuite soumis au « référendum populaire algérien » : « C'est de cette manière seule que l'on saura ce que les algériens (sic) veulent faire de leur pays »3.

En 1957, le juriste Ivo Rens mentionne ce projet dans son livre L'Assemblée algérienne4, étudiant rétrospectivement ce que la vie démocratique algérienne aurait pu être : Bendjelloul, Sid Cara et Ourabah relaient par les moyens légaux et institutionnels la revendication d'une autodétermination du peuple algérien. Ils s'inspirent en outre de la procédure adoptée pour l'établissement de la Constitution de la IVe République en prévoyant que le texte élaboré en moins d'un an par l'Assemblée algérienne constituante soit soumis au peuple par référendum5. Cette demande dans les formes constitue sûrement une démonstration de loyalisme et de bonne volonté : il ne s'agit pas de faire sécession mais d'obtenir de la métropole des changements

1 M. S. Bendjelloul, C. Sid Cara et A. Ourabah, « ANNEXE N° 208 Proposition de loi tendant à doter l'Algérie d'une constitution, présentée par MM Bendjelloul, Sid Cara et Ourabah », art. cit.

2 Ibid.

3 Ibid.

4 Ivo Rens, L'Assemblée algérienne, A. Pedone, Paris, Librairie de la Cour d'Appel et de l'Ordre des Avocats, 1957. Il compte Sayah Abdelkader parmi les coauteurs de ce texte, apparemment par erreur.

5 Ibid., p. 32.

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pour l'Algérie, en respectant le cadre de la vie institutionnelle française. Selon Ivo Rens, leur proposition n'en est pas moins « une conception révolutionnaire »1. Dans l'immédiat après-guerre, l'idée d'une fédération française était en faveur dans les milieux politiques colonisés2, mais la demande d'une constitution algérienne n'en est pas moins audacieuse : Rens, écrivant en pleine guerre d'indépendance, souligne qu' « une Constituante n'aurait pu qu'entériner une manière de sécession », bien que l'idée de souveraineté algérienne ne soit pas explicite dans le texte de la proposition de loi : demander une constitution distincte de celle de la métropole coloniale, c'est reconnaître que l'Algérie n'est pas la France. Deux constitutions différentes pour la France et l'Algérie entraînent de facto une différence légale entre les deux territoires, et accordent à l'Assemblée constituante algérienne susmentionnée une forme de souveraineté sur le territoire algérien.

Ainsi, Bendjelloul poursuit son combat politique, mais il n'apparaît plus comme le tribun qu'il a été dans les années 1930, lorsqu'il était un personnage crucial du paysage politique algérien. L'impact de Bendjelloul au Conseil de la République a été limité en termes de succès politiques, bien qu'il reste présent et engagé dans diverses commissions et par des amendements et propositions de loi tout au long de son mandat. Il semble ainsi poursuivre une stratégie légale de présence au parlement, mais peut-être sans en faire une arène de combat et de confrontation. Ses revendications gardent un potentiel de réforme radicale du système colonial, mais restent lettre morte.

1 Ibid., p. 31.

2 Frederick Cooper, Français et Africains ? Être citoyen au temps de la décolonisation. tr. Christian Jeanmougin, Paris, Payot, 2014.

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II - À l'Assemblée Nationale (1951-1955) : persister dans la revendication légale

Le Docteur Bendjelloul ne se représente pas aux élections de 1948 pour le Conseil de la République, puis, en 1951, il est élu à l'Assemblée Algérienne au mois de février. Cette institution créée par la loi du 20 septembre 1947, portant sur le statut organique de l'Algérie1, remplace et élargit les prérogatives des Délégations financières2, dont Bendjelloul avait été membre avant la guerre. Le 17 mai de la même année Bendjelloul est élu à l'Assemblée nationale, institution clé de la IVe République, où se concentre son action pendant ces dernières années de sa carrière. S'il garde une rhétorique revendicative en comparaison avec les autres élus algériens, Bendjelloul apparaît désormais surtout comme un modéré proche de l'administration, par contraste avec les mouvements nationalistes.

A - L'assimilationnisme réformiste : le choix raisonnable ?

Il est difficile de trouver des sources où la voix de Bendjelloul se fait entendre sans passer par le filtre de la surveillance coloniale, qui accorde plus d'importance à ses soupçons qu'aux convictions politiques réellement exprimées par Bendjelloul. Le Barodet, recueil des professions de foi de tous les députés élus de 1882 à 2007, se révèle donc une source précieuse pour accéder à la voix politique de Bendjelloul telle qu'il la présente de lui-même à ses électeurs3. Bendjelloul se présente avec deux colistiers, Mostefa Benbhamed et Youcef Kessous : même en faisant abstraction des contraintes implicites imposées par le contexte colonial de la campagne électorale, ce texte n'est peut-être pas non plus entièrement le reflet de

1 Assemblée Nationale, « Loi n° 47-1353 du 20 septembre 1947, portant statut organique de l'Algérie ».

2 Jacques Bouveresse, Un parlement colonial ? Les Délégations financières algériennes 1898-1945, Mont-Saint-Aignan, Publications de l'Université de Rouen et du Havre, 2008.

3 Mohammed Salah Bendjelloul, Mostefa Benhamed et Youssef Dr. Kessous, « «Aux électeurs musulmans de la deuxième circonscription de Constantine» - Déclaration de la Liste des Républicains indépendants », in Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales des élections générales du 17 juin 1951, Paris, Imprimerie de la Chambre des députés, 1951, p. 927?930.

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ses idées personnelles. Malgré tout, l'étude de cette source est utile pour étudier l'expression politique de Bendjelloul à la veille de la guerre d'indépendance.

Cette profession de foi commence par des références au mois du ramadan durant lequel se déroule la campagne. Tout le premier paragraphe emploie une rhétorique religieuse pour s'excuser de rappeler les électeurs « aux sordides préoccupations politiques » au cours du mois de jeûne « qui purifiera vos coeurs et élèvera vos âmes »1. Les trois colistiers rappellent que la date des élections leur est imposée et qu'ils auraient souhaité qu'il en fût autrement. Et de clore cette captatio benevolentiae : « C'est à vous de montrer que vous êtes toujours à la hauteur des circonstances et que si pour vous le spirituel prédomine, le temporel par contre ne vous laisse pas indifférents ». On voit que les candidats de cette liste s'adressent à des électeurs d'ordinaires exclus ou en tout cas peu familiers du jeu politique français. Ils s'excusent, expliquent leurs démarches, et notamment les « raisons majeures qui les poussent à vouloir entrer au Parlement » en plus d'avoir déjà « le grand bonheur » de représenter leurs électeurs aux seins d'autres assemblées.

Dans le paragraphe suivant, Bendjelloul et ses colistiers regrettent de ne pas pouvoir présenter aux musulmans une liste d'union, « persuadés que seul le travail dans l'union est profitable »2. Déplorant les « intransigeances » des autres partis et confiants du vote des Algériens de leur circonscription, ils se présentent malgré tout. Le thème de l'union est un mot clé du discours politique de Bendjelloul. Une douzaine d'années plus tôt, le Congrès musulman qu'il présidait se réunissait également en affirmant qu'un esprit d'union était nécessaire à l'action politique algérienne face à l'hostilité du lobby colonial. Quelques années plus tard, le groupe des 61 est aussi un moment d'union des Algériens encore élus dans les institutions françaises, réunis par le sentiment d'urgence face à l'entêtement des autorités coloniales. Dans cette profession de foi, l'union est définie comme la primauté de l'intérêt collectif des musulmans, par opposition aux intérêts de quelques individus.

Après cette explication du contexte de l'élection, la suite du texte expose le programme des candidats pour les domaines économiques, sociaux, culturels et politiques. Le volet économique se propose de diminuer les charges pour le contribuable en réduisant le train de vie

1 Ibid.

2 Ibid.

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de l'Etat, sans donner de précisions sur des mesures concrètes. Ils promettent aussi de réclamer des crédits pour relancer les affaires des Algériens, agriculteurs ou commerçants. Peut-on, à défaut de la notion anachronique de populisme, parler de clientélisme ici ? Ou bien est-ce simplement la compréhension de la politique de ces élus qui se voient comme des relais des besoins et des revendications de leurs mandants ? L'appréciation, notables ou démagogues, dépend ici de l'épistémè politique choisie.

Le volet social de leur programme, traité avec gravité, réclame « l'application des lois sociales et de la sécurité sociale en Algérie avec les mêmes conditions qu'en France », notamment concernant le chômage. Le volet culturel enfin met l'accent sur l'éducation nécessaire en français et en arabe, afin « d'harmoniser notre double qualité de citoyen et de musulman pour le plus grand bien du pays et des musulmans ». On voit bien ici en quoi l'assimilationnisme des élus algériens au cours de la période coloniale diffère de ce qui est entendu aujourd'hui par assimilation en France : pas question ici d'effacer les particularités culturelles et religieuses des Algériens colonisés, mais au contraire de traiter leur culture avec le même respect des libertés que celle des nationaux français de métropole.

Les trois candidats modérés présentent implicitement leur stratégie politique en situation coloniale : par leur radicalité, les nationalistes n'ont rien apporté et attirent sur eux la répression. Avec des revendications moins frontales, les modérés se présentent comme plus raisonnables et donc susceptibles d'obtenir des résultats. La liste de Bendjelloul se décrit comme réaliste à deux reprises dans l'exposition de son programme. Ils présentent leur stratégie d'opposition légale : ils feront « de [leur] mieux pour faire améliorer certains textes » régissant les Algériens musulmans, mais « en réalistes » ils s'emploieront surtout à tirer le maximum d'avantages des textes tels qu'ils existent déjà, conscients de la difficulté pour un politicien colonisé de modifier la loi de l'Etat colonial, même lorsqu'il est élu dans les institutions métropolitaines. Le texte ne laisse pas pour autant sous-entendre que les élus partent battus dans la bataille parlementaire pour les droits des Algériens, et la suite montre qu'ils comptent avoir une action revendicative selon leurs convictions assimilationnistes :

La Constitution nous reconnaît la qualité de citoyens et c'est en partant de ce principe que nous chercherons à être traités comme tels. Combattre les illégalités, faire cesser les abus, revendiquer notre place partout, arriver à participer au gouvernement du pays par notre présence partout, voilà les réalisations qui ne

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manqueront pas d'être heureuses dans votre marche progressive vers l'égalité pure et simple1.

Ce texte est une sorte de manifeste de l'assimilationnisme comme idéal politique. L'égalité et la citoyenneté promises par les textes de loi sont à conquérir par le colonisé, qui se base sur ces textes de loi et sur les moyens institutionnels à sa disposition pour les revendiquer.

Si on compare cette profession de foi avec les trois autres listes élues pour les autres circonscriptions du département de Constantine, on remarque que la liste de Bendjelloul publie un texte plus structuré et deux fois plus long que les autres. Si tous les candidats assurent les électeurs d'être « profondément conscient[s] de vos intérêts et de vos devoirs »2 et d'avoir pour seule ambition de les servir, la liste de Bendjelloul est la seule à recourir à une rhétorique religieuse et à s'adresser aux électeurs en faisant référence à leur contexte de manière à ce qu'ils se sentent concernés. Les autres élus ne font référence ni au contexte politique de leur élection, ni aux autres partis, ni à de précédents mandats... Ils passent sous silence l'existence de partis plus radicaux, se plaçant en décalage avec la réalité de la montée du nationalisme parmi leurs électeurs. Par exemple, la liste de Benaly Chérif présente une variation plus universaliste de l'assimilationnisme. Ils promettent d'avoir pour unique but de servir « la cause de l'Algérie et de tous ses habitants que le destin a solidairement unis »3. Pas de rhétorique proprement musulmane ici, contrairement à la liste de Bendjelloul qui assume de s'adresser aux électeurs du second collège, composé uniquement d'Algériens musulmans. Chez Benaly Chérif, les Européens semblent inclus dans la communauté algérienne que les députés s'engagent à servir. Le fond assimilationniste transparaît malgré tout dans les mesures proposées, qui peuvent se résumer à la volonté d'élever le niveau de vie des Algériens au niveau de celui des Français.

1 Ibid.

2 Ibid.

3 Chambre des Députés, « Programmes électoraux des élus du deuxième collège du département de Constantine », Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales des élections générales du 17 juin 1951, 1952.

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Particularité de la profession de foi de ce candidat, la clôture du discours par les exclamations « Vive l'Algérie ! Vive la France ! »1.

Pour conclure, l'argumentaire de la liste de Bendjelloul ne capitalise pas sur la personne de l'ancien leader, rompant avec la forte personnification de la communication de la FEM dans les années 1930 : son nom n'est jamais mentionné et c'est toujours au pluriel que le document s'adresse au lecteur. C'est seulement dans les deux dernières phrases qu'il est fait mention du « passé » des trois candidats, et nul doute qu'ici c'est surtout du passé de Bendjelloul dont il est question, mais sans que le texte ne l'évoque explicitement. En guise de signature, les noms des trois hommes sont écrits sobrement, sans autre mention, contrairement aux professions de foi des autres élus du département, qui signent en indiquant leurs mandats précédents et leurs titres : est-ce un signe que sa popularité a baissé dans sa circonscription ? Ou bien est-ce le résultat de négociations avec les deux colistiers, ou même le reflet de cette volonté politique d'union de la classe politique musulmane qui les empêche d'ériger Bendjelloul en leader comme c'était le cas lors des campagnes électorales dans les années 1930 ?

Dans leur profession de foi de 1951, Bendjelloul et ses colistiers expliquent leur absence de la précédente législature par leur volonté de « laiss[er] la place à d'autres pour leur donner la possibilité de réaliser leur programme », et leur retour pour les élections de 1951 par la déception des espoirs que ces partis avaient suscité2. Bendjelloul se positionne ainsi au-dessus du jeu politique, maîtrisant ses rouages et les expliquant aux électeurs. Quelle part de vrai y a-t-il dans cette affirmation ? Y avait-il réellement eu des négociations avec l'Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) par exemple pour que Bendjelloul ne se présente pas et leur laisse leur chance ? Cela semble peu probable : l'engouement populaire massif pour les partis nationalistes depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la lame de fond électorale en leur faveur aux premières élections de la IVe République, auraient assuré l'élection des nationalistes sans l'aide des modérés, avant que l'Etat colonial n'intervienne pour truquer les votes en faveur de ces derniers. Dès les premières années de la IVe République, le fait que les élections en Algérie soient truquées est un fait établi, et publiquement dénoncé au moins par les députés communistes. Au cours des débats autour de la modification des

1 Ibid., p. 930.

2 M. S. Bendjelloul, M. Benhamed et Y. Dr. Kessous, « Barodet », doc. cit.

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circonscriptions algériennes le 20 février 1948, le conseiller de la République Marcel Lemoine s'élève contre des fraudes électorales et un découpage artificiel des circonscriptions en Algérie : déséquilibrer la représentation démocratique empêche l'élection d'une « gamme comportant des représentants de toutes les tendances, pouvant donner des garanties de calme et d'harmonie dans un pays où deux populations vivent et veulent vivre côte à côte », et pousse à la formation de « deux blocs qui se heurtent et se dressent violemment l'un contre l'autre, presque sans trait d'union, avec tous les graves dangers qui en résultent »1.

Pour conclure, la liste de Bendjelloul se montre convaincue de la plus grande efficacité de la stratégie légale et réformiste, notant les faibles résultats des mandats des députés sortants. Cette stratégie discursive peut paraître malhonnête au regard du contexte d'intensification des diverses formes de répression de la politique algérienne, et particulièrement envers les partis nationalistes. De plus, il ne semble pas que les précédents mandats des candidats de cette liste aient été plus fructueux. Ici se pose encore la question des raisons de la persévérance du combat assimilationniste légal de Bendjelloul : après vingt ans passés à combattre l'oppression coloniale en tentant d'intégrer de nombreuses institutions françaises, le Docteur Bendjelloul n'a pas connu beaucoup de succès. Pourtant, il affirme continuer à croire en l'obtention de réformes en vue de l'égalité des Algériens avec les Français. Les sources dont nous disposons ne nous donnent pas d'indices permettant de mettre en doute cette foi en la stratégie d'opposition légale qu'il professe ici devant ses électeurs.

B - Être élu algérien dans un contexte de guerre de décolonisation

Le 17 juin 1951, Bendjelloul et ses deux colistiers sont élus avec 74,5 % des voix exprimées, occupant donc les trois sièges à pourvoir pour le département de Constantine à l'Assemblée Nationale2. Il s'investit dans différentes commissions : justice et législation jusqu'en 1953, puis commission de l'intérieur et commission des pensions jusqu'en 19553.

1Conseil de la République, « Journal Officiel du 20 Février 1948 », doc. cit, p. 315.

2 Mohamed, Salah Bendjelloul - Base de données des députés français depuis 1789 - Assemblée nationale, https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/615, consulté le 7 mai 2024.

3 Assemblée Nationale, « Feuilletons parlementaires du 5 juillet au 6 décembre 1951 - Tome Premier ».

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Comme au Conseil de la République, il s'emploie à ce que l'Algérie soit prise en compte dans les textes votés pour la métropole, proposant par exemple une loi « tendant à étendre à l'Algérie les dispositions prises en métropole en faveur de l'enseignement privé », qui ne sera pas adoptée1.

La fin de son mandat est marquée par le déclenchement de la guerre d'indépendance, et l'Assemblée devient une arène où s'opposent des visions irréconciliables sur la politique à suivre, entrainant des changements de gouvernement à répétition. A l'été 1954 déjà, Bendjelloul aurait pris la parole pour « une mise en garde solennelle » du gouvernement, « au nom de l'Islam » : la situation en Algérie est critique, le prestige de la France est « tombé à zéro auprès des populations musulmanes »2. Après la Toussaint rouge et la déclaration de guerre du FLN contre la France, Bendjelloul multiplie les interpellations au gouvernement et à ses collègues, prend la parole pour souligner la gravité de la situation dans les départements algériens. Plusieurs autres députés prennent conscience de la gravité d'une situation que Bendjelloul exposait déjà dix ans auparavant. Le conflit s'enlise, la loi instaurant l'état d'urgence est votée dans la nuit du 31 mars 1955 après des débats houleux, au cours desquels Bendjelloul a fait partie des opposants à cette mesure. Cette loi implique que les élections ne soient pas tenues en Algérie tant que l'état d'urgence n'est pas levé, les Algériens ne sont donc plus représentés à l'Assemblée après la fin de cette deuxième législature en 1956.

Lors des débats du 4 février 1955, Bendjelloul affirme que la France ne peut désormais plus se contenter de répression des insurgés ou même de réformes progressives, et appelle encore de ses voeux une assimilation totale de l'Algérie à la France :

Il n'y a pas d'autre terme à l'évolution de l'Algérie que l'autonomie (...) ou l'assimilation totale (...). Nous sommes, nous, partisans des réformes qui conduiront à l'assimilation de l'Algérie et de la métropole.3

1 Mohamed, Salah Bendjelloul - Base de données des députés français depuis 1789 - Assemblée nationale, https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/615, art. cit.

2 Assemblée Nationale, « Journal Officiel du 10 août 1954 - Débats Parlementaires ».

3 Assemblée Nationale, « Journal Officiel du 4.2.55 - 2e séance ». Cité d'après Mohamed, Salah Bendjelloul - Base de données des députés français depuis 1789 - Assemblée nationale, https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/615, art. cit.

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En ce début de guerre d'indépendance, Bendjelloul n'a pas encore renoncé à l'assimilation et au réformisme. Il sait la gravité et la profondeur de la crise. Il sait que les chances de réussite d'une politique d'intégration de l'Algérie à la métropole coloniale ont disparu depuis longtemps aux yeux des nationalistes algériens, et que les colons français n'ont pas témoigné de changement d'état d'esprit. De la part d'un homme qui connaît bien le contexte algérien, continuer de croire à l'assimilation ne relève plus du calcul politique rationnel mais de la conviction intime ou de la croyance. Cette conviction disparaît rapidement dans les mois de guerre qui suivent cette déclaration, et à partir de l'été 1955, Bendjelloul rejette officiellement la politique d'intégration, après trente ans de persistance dans le combat assimilationniste. Les contemporains de Bendjelloul perçoivent la profondeur de ce changement chez celui qui s'était « jusqu'ici signalé au Palais Bourbon, par son extrême francophilie »1. Si désormais Bendjelloul abandonne le volet assimilationniste de son combat politique, il ne se retire pas pour autant et poursuit son action revendicative légale au sein du Groupe des 61.

1 J.F. Dupeyron, « Les semaines algériennes succèdent aux semaines marocaines », Sud Ouest, 26 septembre 1955.

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III - La motion des 61 : dernier effort des réformistes (1955 - 1962)

Après le début de la guerre d'indépendance en novembre 1954, Bendjelloul occupe encore son mandat pendant un an, jusqu'au vote de l'état d'urgence en Algérie en 1955, en conséquence duquel les élections ne sont plus tenues sur le sol algérien. Dans ce contexte, il est l'artisan majeur d'une déclaration commune de soixante-et-un élus algériens de différentes institutions françaises, dite « Motion des 61 »1. Publiée le 20 août 1955, cette motion reconnaît que l'idée nationaliste est désormais majoritaire dans la population algérienne et que leurs représentants élus se doivent de relayer cette orientation.

Les signataires de la motion représentent différentes tendances politiques. On y retrouve notamment Ferhat Abbas2, leader de l'UDMA depuis la fin de la guerre, ce qui montre que la rupture idéologique ou personnelle entre lui et Bendjelloul n'était pas totale, comme le croient les services de renseignements depuis le milieu des années 1940. Cette diversité de signataires s'inscrit en continuité de la volonté de Bendjelloul d'être l'interlocuteur de l'Etat français au nom d'une Algérie unie dans ses revendications. Son aspiration au leadership lui impose d'être consensuel. Dans le cas de la motion des 61, cette union réussit à attirer l'attention voire à inquiéter les autorités françaises, qui multiplient les notes de surveillance au sujet des différents signataires3. Cet acte perçu comme une forme de rébellion nationaliste au sein même des institutions coloniales provoque une crise politique.

L'appréciation de l'importance de Bendjelloul au sein du Groupe des 61 varie selon les documents de ce dossier4. Ainsi, dans une note du 12 avril 1956, le Chef de la PRG d'Alger résume les différentes tendances au sein des 61 en citant les principaux chefs de file de chacune,

1 Phillip C. Naylor, « Bendjelloul, Mohammed Saleh (1893-1985) », in Historical Dictionary of Algeria, Lanham, MD, United States, Rowman & Littlefield Unlimited Model, 2015, p. 119.

2 Gouvernement Général de l'Algérie, « Liste des signataires de la motion Bendjelloul (Motion hostile à l'intégration) », 1955, GGA 11CAB 78, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier Assemblée Algérienne - session du 27.9.55- réformes-intégration », 27 septembre 1955, GGA 11CAB 78, ANOM, Aix-En-Provence.

4 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier Comité de Coordination et d'action des Elus Musulmans dit «Groupe des 61» », 1955 -1957, GGA 12CAB 205, ANOM, Aix-En-Provence.

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et Bendjelloul n'apparaît pas1. Cela peut être simplement le signe que Bendjelloul est déjà démissionnaire et ne participe donc pas à ces questionnements entre élus siégeant encore, mais cela nous invite à voir que le groupe des 61 n'est pas un groupe structuré avec des leaders identifiés et une ligne claire, mais désigne plutôt un ensemble de personnalités élues au déclenchement de la guerre d'indépendance algérienne et s'accordant pour publier des textes revendicatifs. Deux ans plus tard, le « Groupe des 61 » semble toujours actif, et le chef de la PRG propose une analyse de leurs motivations 2 : les bourgeois musulmans qui étaient en politique pendant la colonisation ne veulent pas d'une victoire totale du FLN mais cherchent à conserver leur statut au moyen d'une accession à l'indépendance « en accord avec la France », « à échéance plus ou moins lointaine ». Cette vision du notable opportuniste agissant par crainte pour son influence est souvent reprise dans l'historiographie française et algérienne. Cela contredit ce que ces hommes présentent d'eux-mêmes dans les textes qu'ils publient, et, bien qu'il ne faille pas accepter sans analyse leur discours ou nier la diversité de leurs motivations, ce serait une erreur également d'en faire totalement abstraction et de prendre pour argent comptant les commentaires hostiles de l'administration coloniale.

A - Une pluralité de leaders et une unité relative

Les archives administratives disponibles révèlent que la question de « l'interlocuteur valable » est cruciale durant cette période de crise. Les différentes personnalités ou tendances s'accusent de vouloir « jouer à l'interlocuteur valable », seul capable de parler au nom du peuple algérien, selon les mots du Gouverneur Général Jacques Soustelle3. Le dossier de surveillance « Dossier Comité de Coordination et d'action des Elus Musulmans dit «Groupe

1 « Note de renseignements du 12.4.56 : A/S activité du groupe des "61" ». In Ibid., p. 41.

2 Le Commissaire Divisionnaire - Chef de la PRG Jean Fachot, « A/S activité du Docteur BENDJELLOUL Mohamed [Au sujet d'un voyage de Bendjelloul en France] », Note de Renseignement, Constantine, Police des Renseignements Généraux, 16 avril 1958, 91 4I 170, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Voir par exemple la note de renseignements du 3 janvier 1956 « A/S du Comité de Coordination et d'Action des Elus Musulmans dit groupe des "61" », In Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier "Groupe des 61" », doc. cit, p. 13.

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des 61» » (1955-1957)1 témoigne des luttes entre courants algériens et en leur sein pour définir qui représente légitimement la volonté du peuple algérien, et qui est l'interlocuteur de l'Etat français.

Un sujet majeur de désaccord au sein du groupe des 61 est la question de la démission comme stratégie de revendication politique. D'une part, certains refusent de démissionner et d'abandonner les derniers lieux dédiés au dialogue avec la France, tandis que d'autres prônent une démission collective en signe de protestation. Parmi ces derniers se trouve Bendjelloul, qui avait déjà lancé un mouvement de démission collective en 1935, mais aussi Abbas et Abd-el-Kader Cadi. Ce dernier avait été élu aux législatives de 1951 dans la première circonscription de Constantine sans même avoir publié de programme électoral, indice fort que ce député aurait été au bénéfice de truquages des élections par l'administration coloniale2. Sa présence dans cette liste des membres du groupe des 61 partisans de la démission collective nous indique que des hommes élus avec le soutien des autorités françaises peuvent quatre ans plus tard s'engager activement dans ce mouvement revendiquant l'autonomie algérienne. De la même manière, il est important de noter que leurs adversaires, les opposants aux démissions, ne sont pas pour autant opposants au nationalisme ou satisfaits de la politique française : dans une motion opposée aux démissions3, ils utilisent l'expression « poste de combat » pour parler de leurs mandats électifs, et enjoignent leurs collègues à y rester coûte que coûte. Ils réclament une « politique de respect de la personnalité algérienne et d'autonomie dans l'interdépendance » et dénoncent la répression que subissent les populations musulmanes. Ils dénoncent également la politique « dite d'intégration » qu'ils considèrent comme une « duperie »4. Ainsi, pour les différents membres du Groupe des 61, quelle que soit leur tendance, le fait que l'Algérie doive devenir indépendante semble être acté et inéluctable. Ils se différencient cependant des militants nationalistes en ce qu'ils prévoient d'obtenir cette autonomie par des moyens légaux. Ils

1 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Groupe des 61» », doc. cit.

2 Chambre des Députés, « Programmes électoraux des élus du deuxième collège du département de Constantine », art. cit.

3 « Motion à la suite de la réunion du groupe des «61» tenue ce 23 décembre 1955 ». In Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Groupe des 61» », doc. cit.

4 « Motion à la suite de la réunion du groupe des «61» tenue ce 23 décembre 1955 », doc. cit.

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semblent ne pas avoir perdu tout espoir de dialogue avec à France. L'accent mis par la métropole coloniale sur le combat contre le FLN empêche le dialogue avec les éléments nationalistes pacifiques, qui emploient les moyens légaux de contestation pour revendiquer l'autonomie de l'Algérie.

Une semaine après la publication de la motion du 23 décembre 1955 exprimant la position des opposants à la stratégie démissionnaire, une motion est votée par une large majorité du Groupe des 61, voire à l'unanimité selon le chef des RG du district d'Alger1. Le texte se présente comme une réaction à une motion signée par quatre-vingt-deux maires algériens, qui les accusent d'instrumentaliser la crise dans leur intérêt politique. En réponse à cette attaque des colons européens, les signataires réaffirment vigoureusement la nécessité de reconnaître « le principe d'une nationalité algérienne » et « la nécessité de convier au dialogue [...] les représentants qualifiés des populations musulmanes de toutes tendances, ce qui exclut tout pourparler avec les édiles municipaux d'Algérie »2. Ils réclament pour cela la libération de tous les internés politiques. Au moment où cette motion est rédigée, la France n'a pas de gouvernement auquel s'adresser du fait de l'intense instabilité politique de cette fin de IVe République. Les signataires de la motion donnent un mois au futur gouvernement pour « promouvoir une politique conforme aux aspirations légitimes du peuple algérien »3. Dans le cas contraire, ils démissionneront collectivement. En fait, la majorité des signataires s'abstiendra de démissionner. Le rassemblement des tendances opposées du Groupe des 61 pour cette motion indique la difficulté pour les élus du second collège de se faire entendre par le gouvernement, et la nécessité de faire des compromis et de former des délégations et des motions communes pour tenter de maximiser leurs chances d'être entendus. Leurs nombreuses tentatives entre 1955 et 1958 resteront lettre morte.

1 Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Groupe des 61» », doc. cit.

2 Ibid.

3 Ibid.

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B - Les craintes des autorités coloniales

L'intense lutte autour de la parole légitime et de la représentation de la volonté du peuple a lieu dans un contexte d'instabilité politique chronique en métropole et d'un manque de capacité de décision. Ainsi, ces sources indiquent aussi une crise de la gouvernance du côté des Français : les notes sont essentiellement descriptives, les informations sont envoyées aux supérieurs hiérarchiques sans qu'on ne voie formulées des indications claires sur la conduite à tenir ou sur la réponse à apporter aux revendications des élus algériens. Ce dossier révèle en outre la crainte de la France que les élus soient en lien avec le FLN1. Plusieurs notes de surveillances reproduisent les témoignages d'indicateurs de renseignement affirmant que tel ou tel membre du Groupe des 61 s'apprête à rejoindre le FLN au Caire pour s'accorder, ou qu'un membre du FLN a pris contact avec les 61. Bendjelloul apparaît plusieurs fois dans ces rumeurs, peut-être en raison de ses liens avec Ferhat Abbas, qui se trouve au Caire, peut-être aussi en raison de sa réputation d'ancien leader contestataire, voire d'ennemi de la France. Le 25 avril, soit vingt-deux jours plus tard, un autre renseignement indique que le FLN a pris contact avec les 61 et que « Fares, Ould Aoudia et Mesbah [trois leaders du mouvement] ont aussitôt été désignés » pour rejoindre le FLN au Caire, et aucune mention de Bendjelloul n'est faite. Ces informations contradictoires montrent le peu de crédit qu'il faut accorder aux rumeurs transmises dans ces notes de renseignement. En outre, d'autres notes de renseignements font état de menaces envers les élus algériens ou de distanciation explicite du FLN, qui affirme ne pas avoir besoin de la solution légale proposée par les 61. On sait par ailleurs que le FLN a été fondé justement par des anciens partisans de Messali Hadj, lassés par les échecs répétés du réformisme. Ainsi, sans que l'on puisse en être certain, il semble tout de même peu probable que des liens significatifs aient été établis. En revanche, il est vrai que Ferhat Abbas a signé en 1955 la première motion du Groupe des 61, indiquant que celui qui deviendra en septembre 1958 le président du gouvernement provisoire de la République Algérienne était en lien avec Bendjelloul et les élus. On peut imaginer que ces liens éventuels aient perduré pendant la guerre, mais les indices manquent. N'ayant à disposition que les sources de l'administration sur cette

1 Ibid.

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question, nous sommes forcés de partager son incertitude sur les rapports entre les nationalistes modérés et le FLN1.

Quoi qu'il en soit, ces sources suggèrent que la politique algérienne n'est pas aussi polarisée et cloisonnée qu'une lecture a posteriori le laisse à penser : des élus modérés rentrent en contact avec des élus moins modérés, on cherche des alliances, parfois des menaces sont adressées par le FLN aux modérés, les élus circulent entre Alger et Paris, se rendent parfois au Caire ou à Genève, s'y rencontrent, ... Le fait que la PRG prenne au sérieux ces rumeurs montre que Bendjelloul était encore perçu par l'administration comme le leader des modérés et comme un danger potentiel, se situant vers le milieu du spectre allant des loyalistes aux insurgés2.

L'action de Bendjelloul au sein du Groupe des 61 pourrait apparaître comme un revirement final après une carrière de loyaliste. En prenant en compte les revendications contenues dans les diverses motions produites par le groupe, on peut pourtant contredire cette appellation de loyaliste à l'égard de Bendjelloul. Après une longue carrière à ne voir l'avenir de l'Algérie que sous la souveraineté française, il se montre prêt à reconnaître la volonté de la population, et à relayer cette réalité aux autorités coloniales. Le terme d'opposition loyale lui convient mieux : il poursuit un idéal d'Algérie développée selon des critères français et défend en cela une forme d'assimilation, plus économique et sociale que culturelle. Il utilise pour cela les outils que la législation française et ses institutions mettent à sa disposition, n'hésitant pas à braver l'autorité tout en restant dans le cadre de la légalité : il ne semble donc pas que son assimilationnisme découle d'une volonté de plaire à l'Administration coloniale. Lorsqu'un gouvernement s'éloigne de son idéal pour l'Algérie ou que la violence de la guerre d'indépendance semble enterrer tout espoir de voir cet idéal se réaliser, il prend la parole, s'efforce de rassembler les figures politiques algériennes autour de ce qu'il voit comme le bien de l'Algérie, de la même manière qu'il justifiait sa collaboration avec les Français par le bien de l'Algérie.

1 Parmi les nombreuses notes de renseignements craignant des liens entre le FLN et les 61, voir « Note de renseignements du 25.4.56 : A/S activité du groupe des "61" » In Ibid.

2 Note de renseignements du 3.4.56, Alger, PRG N° 3806. Réponse à la note du 25 mai par le chef PRG au directeur de la sûreté nationale en Algérie, du 29.6.56 : A/S du groupe des «61», confirmant que Bendjelloul avait été chargé par le Groupe des 61 de prendre contact avec les leaders des Mouvements Nationalistes Algériens ». In Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Groupe des 61» », doc. cit.

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C - Bendjelloul, défenseur des Algériens même pendant la guerre

Selon les différents rapports des RG, la motion des 61 était un véritable projet politique pour Bendjelloul. Il aurait voyagé pour mobiliser ses membres et aurait voulu prendre le leadership des 61 pour en faire un mouvement là où d'autres signataires s'opposaient à en faire un parti unifié au nom duquel un représentant pourrait parler1. Un rapport réalisé par la PRG du Département de Constantine en août 1958 résume en une page ce que l'administration coloniale sait de sa carrière politique2. Ce document est partiel, voire volontairement partial : la rubrique « Attitude politique passée » ne contient que l'expression « Opportuniste » : le seul dénominateur commun des actions de Bendjelloul aurait été son intérêt personnel. Au sujet de l'engagement de Bendjelloul dans la motion des 61, l'auteur emploie également le mot « opportuniste ». L'une des thèses de ce mémoire est qu'au-delà de la quête de l'intérêt personnel, ce sont les convictions politiques de Bendjelloul qui guident son action : il croit en la France, déplore les oppressions du système colonial en Algérie et veut obtenir des réformes démocratiques par des moyens légaux.

L'auteur de ce rapport de 1958 indique qu'en plus de la motion, Bendjelloul s'efforce de centraliser les plaintes de « "victimes de la répression" » (guillemets dans le texte original) et considère cette action comme un « soutient (sic) discret à la Rébellion » visant à « discréditer les Forces de l'Ordre ». Son travail de centralisation des plaintes de la population est vu comme séditieux et intéressé, et n'est pas reconnu comme la poursuite de la stratégie d'opposition loyale qui caractérise Bendjelloul depuis le début de sa carrière3. Le commissaire Maurin ne voit dans les populations colonisées que des ennemis et non des citoyens contrairement à Bendjelloul, leur élu, qui les représente et les défend face au gouvernement français. Cette

1 Le Chef de Service de la Sûreté Nationale chargé de la Surveillance du Territoire en Algérie et au Sahara à Monsieur le Général d'Armée, « Renseignements sur le Docteur Bendjelloul Mohamed, ancien député [activités assez suspectes] », Rapport de surveillance, n.d., été 1957, 91 1K 590, ANOM, Aix-En-Provence.

2 R. Maurin, Commissaire Principal Adjoint des Renseignements Généraux du District, « Notice de Renseignements sur Bendjelloul » (Constantine : Police des Renseignements Généraux du Département de Constantine, 12 août 1958), 91 4I 170, ANOM, Aix-En-Provence.

3 Le Chef de Service de la Sûreté Nationale chargé de la Surveillance du Territoire en Algérie et au Sahara, « Renseignements sur le Docteur Bendjelloul Mohamed, ancien député - activités assez suspectes », doc. cit.

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action de centralisation et de relais des plaintes des populations par Bendjelloul contient un discours politique : ce geste professe la volonté de Bendjelloul de voir l'Algérie reconnue comme la France. Bendjelloul relaie les plaintes des Algériens auprès de leur gouvernement, le tenant ainsi pour responsable de ses actes devant ses ressortissants, comme il l'est devant les citoyens français de la rive nord de la Méditerranée. Son comportement contraste d'autant plus avec le FLN, qui, lui, réagit aux manquements de l'Etat français en le remplaçant, et met en place des relations proto-étatiques avec les Algériens au fur et à mesure de la guerre1.

1 Malika Rahal et Benjamin Thomas White, « UNHCR and the Algerian War of Independence: Postcolonial Sovereignty and the Globalization of the International Refugee Regime, 1954-63 », Journal of Global History 17, no 2 (juillet 2022): 331?52.

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IV - La vie en métropole après la fin de la représentation politique des Algériens

Après 1956, le seul titre employé par les rapports de police au sujet de Bendjelloul est « ancien député » ou « ex-député » : il n'a plus occupé de poste officiel après la fin de son mandat à l'Assemblée nationale. La fin de ses fonctions représentatives ne signifie pas pour autant la fin de son engagement politique. Les notes de renseignement à son sujet durant la guerre rapportent de multiples déplacements entre Alger et Paris, des rencontres avec des personnalités politiques françaises ou algériennes, lui prêtent des ambitions politiques et l'accusent de vouloir tirer avantage de la situation, en se posant comme représentant des populations dont il continue de relayer les plaintes au Gouvernement Français1.

A - Les rapports de Bendjelloul avec l'administration au début de la ye République

Après les deux années d'interruption de la vie électorale en Algérie, Bendjelloul se présente aux élections législatives pour la première législature de la Ve République en 1958. L'administration coloniale évalue sa candidature et des rapports de renseignement sont commandés à son sujet, résumant son parcours depuis les années 19302. Dans l'un de ces documents, le Commissaire des RG de Constantine, Charles Chabot, juge qu'il a encore un « certain potentiel électoral » et que sa candidature pourrait être un exemple de résistance au FLN pour certains intellectuels musulmans « attentistes »3. Chabot décrit Bendjelloul comme une source d'agitation politique, « nuisibl[e] à la pacification en raison du caractère fantasque

1 Parmi les très nombreux rapports à voir dans cette activité de recueil des plaintes une oeuvre antifrançaise, voir Le Commissaire Divisionnaire - Chef de la PRG Jean Fachot, « A/S activité du Docteur BENDJELLOUL Mohamed [Au sujet d'un voyage de Bendjelloul en France] », 91 4I 170, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Par exemple R. Maurin, Commissaire Principal Adjoint des Renseignements Généraux du District, « Notice de Renseignements sur Bendjelloul », doc. cit.

3 Le Commissaire Principal Charles Chabot, «Note des Renseignements Généraux sur le candidat Bendjelloul aux législatives», Constantine, Service Départemental des Renseignements Généraux de Constantine, 1958, 91 4I 170, ANOM, Aix-En-Provence.

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et contradictoire de sa personnalité et de son penchant pour la démagogie »1. Ce document manifestement hostile à Bendjelloul indique que le passage à la Ve République n'a pas signifié la fin de l'influence de l'administration française sur les élections en Algérie.

En outre, le rapport de Chabot pose la question du présent mémoire : quelle est la doctrine politique de Bendjelloul ? quel est son rapport avec la France, avec l'Algérie ? Cette source n'est cependant pas fiable lorsqu'il s'agit de juger de l'orientation politique de Bendjelloul. L'auteur adopte un a priori négatif systématique lorsqu'il commente les actions de Bendjelloul : il insiste sur des faits défavorables tels que les soupçons de collaboration pendant la guerre, tandis que toutes ses actions de bienfaisance sociale sont lues comme une stratégie électorale calculée dans le but de regagner sa popularité. Comme tous les rapports de ce genre, l'auteur ne cite pas l'origine des informations qu'il fournit, empêchant de vérifier sur quelle base il forme de tels avis. Au sujet de la position de Bendjelloul depuis « les évènements du 1er Novembre 1954 », l'auteur affirme que le Docteur n'a cessé « de prôner une assimilation totale de l'Algérie à la Métropole tout en exprimant des sentiments nettement nationalistes, voire antisémites » 2. Ainsi, l'auteur semble employer le mot nationaliste pour désigner toute revendication algérienne, et ne semble pas se questionner réellement sur les opinions politiques des colonisés. Il ne semble pas que l'on puisse s'attendre à une analyse lucide des convictions politiques de Bendjelloul au cours de sa longue carrière, que l'auteur rapporte pourtant ici avec précision. Cette source est-elle donc inexploitable ? En réalité, la volonté presque explicite de l'auteur de brosser un portrait à charge nous indique ce qui ne peut pas être dit de Bendjelloul. Par exemple, l'auteur affirme qu'il réclame l'intégration totale de l'Algérie à la France. Ce n'est pas ce qui est réclamé par le groupe des 61, qui pourrait être considéré comme son groupe politique depuis le début de la guerre. On connaît cependant les convictions assimilationnistes de Bendjelloul, et les biais de l'auteur de cette source n'hésiterait pas à l'accuser de nationalisme militant s'il en avait eu l'occasion : on peut donc considérer cette analyse des convictions politiques de Bendjelloul comme digne d'être prise en compte. Ce rapport confirme également ce que l'on sait des modes d'action politique du Docteur : les RG ne peuvent offrir aucun exemple d'appel à la vengeance ou à la sécession. Même lorsqu'on lui attribue avoir dit que « les Français sont

1 Ibid.

2 Ibid.

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tous des criminels » à la suite d'un attentat commis par un militaire, l'action à laquelle il enjoint ses auditeurs, selon ce rapport, est de formuler des doléances qu'il relayera politiquement et légalement1. Ici encore, le contexte aurait facilement permis de le présenter comme nationaliste et appelant à la violence, mais l'auteur ne parvient pas à masquer le recours résolu de Bendjelloul à des modes d'actions politiques légaux et non violents. Les convictions assimilationnistes et le choix de la revendication par voie légale apparaissent ainsi comme les caractéristiques irréfutables de la carrière de Bendjelloul, et constituent les convictions politiques guidant son action durant sa longue carrière.

B - L'émigration des élus algériens vers la métropole

« Il y a des dizaines de mille de musulmans qui ont dû quitter leurs foyers, et leurs femmes ne les ont pas suivis. Ici en France il y en a des milliers qui vivent seuls comme moi ou le Bachagha Ameziane et dont les épouses sont demeurées en Algérie. »

Lettre de Bendjelloul à sa fille2

Dans le dossier de surveillance de Bendjelloul des archives du Gouvernement Général d'Algérie, on peut trouver, dactylographiées par l'administration, des lettres assez intimes portant sur la libération d'un neveu de Bendjelloul, Hamou. Bien que le contenu de ces lettres ne soit pas politique, le courrier employé par Bendjelloul arbore un en-tête officiel : « Assemblée Nationale - République Française : Liberté-Egalité-Fraternité ». Elles permettent un regard sur la vie familiale des Algériens pendant la guerre, entre Paris, Alger et Constantine, avec des emprisonnements, des libérations, des négociations, des familles pour la plupart séparées. Cette fuite vers la France des élus algériens est attestée par l'administration dès mars 1957 au moins, par exemple dans une note datant de mars et qui montre le déplacement des

1 Sous-Direction des Services Actifs de Police - Service Central des Renseignements Généraux, « A/S de M. BENDJELLOUL Mohamed Salah, ex-député de Constantine», Gouvernement Général d'Algérie, 1958, GGA 7G 1403, ANOM, Aix-En-Provence.

2 Mohammed Salah Bendjelloul, « A/S Lettres de Monsieur Bendjelloul à sa fille et à son neveu », Paris, 14 mars 1959, In Gouvernement Général D'Algérie, « Dossier Bendjelloul », GGA 7G 1403, ANOM, Aix-En-Provence.

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démarches politiques de Bendjelloul vers les élus européens d'Algérie ou vers Paris1. Cette même note indique qu'il est de passage à Alger pour tenter d'obtenir, à l'aide un avocat algérien, la libération d'un de ses proches, Abdelmajid Bentchicou, et qu'il « semble avoir perdu toute audience auprès des élus du [deuxième] Collège » à Alger2.

En France, après la fin de ses mandats parlementaires, Bendjelloul continue d'être actif sur le plan politique, notamment au sein de la communauté Nord-Africaine de Paris. La préfecture de police de Paris lui consacre un dossier de surveillance individuel3. Ce dossier contient plutôt des éléments sur sa vie privée, et ne mentionne pas son implication dans le groupe des 61 ou sa candidature aux élections législatives de 1958, contrairement à son dossier de surveillance des RG en Algérie datant de la même période. Dans ce dossier parisien, on trouve entre autres une lettre au Préfet de Police, Maurice Papon, datant du 2 juillet 1958. Dans cette lettre, il suggère au préfet de mettre à disposition les casernes militaires désaffectées de son département, pour le logement des travailleurs nord-africains4. Il y demande aussi un emploi comme secrétaire pour la fille d'un de ses amis, Fatima D. (pseudonyme). Le dossier contient également une brève note des RG de l'année suivante, indiquant que cette même femme est accusée dans un procès pour tentative d'homicide volontaire contre son amant. La note indique que lors de son interrogatoire, F.D. aurait « accusé violemment M. Bendjelloul d'être un chef des fellaghas » et prétendu que des parents de Bendjelloul auraient transmis de l'argent en Belgique en soutien à des combattants nationalistes. Cette tentative de l'accusée de détourner l'attention de la police et de politiser son geste révèle quelque chose du climat de tension qui règne entre Algériens émigrés en métropole pendant la guerre. Elle indique aussi que l'accusée avait compris ce qui intéressait les autorités dans les affaires touchant à des Algériens, surtout des Algériens politisés comme Bendjelloul. Et elle ne s'y est pas trompée :

1 « Note de renseignements n° 2954 du 8.3.57 : A/S Passage à Alger du Docteur Bendjelloul ». In Gouvernement Général de l'Algérie, « Dossier «Groupe des 61» », doc. cit, p. 46.

2 Ibid.

3 « Dossier Bendjelloul 1958-1961 - n°106704 », 1958-1961, 354W1209, Archives de la Préfecture de Police de Paris, Pré-Saint-Gervais.

4 Mohamed Salah Bendjelloul, « Lettre à Monsieur l'Inspecteur Général de l'Administration, Préfet de Police [Maurice Papon] », Moligt-les-Bains, 2 juillet 1958, 354W1209, Archives de la Préfecture de Police de Paris, Pré-Saint-Gervais.

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les RG ne peuvent s'empêcher de signaler cette déclaration. Se peut-il que l'accusée ait été elle-même apparentée au FLN et que cette tentative d'assassinat ait eu des mobiles politiques ? D'autres sources indiquent que Bendjelloul avait déjà été parmi les cibles potentielles des nationalistes1. Aussi l'intitulé du dossier de police judiciaire « Tentative d'homicide volontaire sur Bendjelloul » aurait pu laisser croire à une tentative d'assassinat politique. Cependant, le dossier de police judiciaire, consulté sur dérogation, révèle une affaire purement privée, sans implications politiques : l'accusée est en fait la maîtresse parisienne de Bendjelloul, vivant avec lui à Paris avant que sa femme ne le rejoigne en France.

Dans le dossier de surveillance de Bendjelloul de la préfecture de police de Paris, les derniers documents datent de 1983, deux ans avant la mort du Docteur qui a alors 90 ans. Bendjelloul s'est installé à Paris avec sa femme, et suite aux différentes réformes de la propriété, le couple a perdu ses revenus. Bendjelloul écrit donc au Ministre des rapatriés pour demander que lui soit attribuée une licence de taxi pour subvenir à ses besoins. Cette dernière trace nous renseigne sur la fin de la vie de Bendjelloul : il n'a pas trouvé sa place dans l'Algérie indépendante, et continue jusqu'au bout de s'adresser au plus haut niveau de l'Etat pour demander une amélioration de sa situation matérielle, ici seulement la sienne. Il ne parle plus au nom d'autres, n'a pas cherché à coaliser d'autres personnes dans son cas pour parler en leur nom. Le dossier indique que sa demande n'a pas abouti.

1 Voir par exemple Gouvernement Général de l'Algérie, « [Dossier Bendjelloul - 1946] ». En 1945 déjà, le cabinet du gouverneur général indique au ministère de l'Intérieur avoir été mis au courant d'un projet d'assassinat de Bendjelloul par deux personnes arrêtées, soupçonnées d'être membre du PPA.

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Conclusion

Etudier le parcours politique de Bendjelloul donne à voir ses moyens d'action variés, à travers plusieurs régimes politiques et de nombreuses institutions. Sa trajectoire offre un point de vue riche sur la vie politique algérienne dans le courant du XXe siècle. Sa popularité décline progressivement, et il ne connaît aucun succès politique significatif, ni durant sa carrière ni après celle-ci. La popularité de l'idée assimilationniste telle que la conçoit Bendjelloul décline également : l'émancipation des colonisés se fait par l'accès à la souveraineté nationale, par la création d'une nation algérienne indépendante sur le plan institutionnel et culturel, et non par l'intégration égalitaire des Algériens et de leur culture dans les institutions de la nation française. A chaque étape de son parcours, on voit Bendjelloul vivre selon ses convictions assimilationnistes, revendiquant son algérianité au sein des institutions françaises et du système colonial. Avec les évolutions de son contexte, il reformule, adapte, développe ou réduit à l'essentiel ses revendications en faveur de la concorde franco-musulmane, de l'intégration des Algériens musulmans dans la nation française. Après l'indépendance, il reste vivre en France, et nous ne disposons pas de sources en dévoilant les raisons. Est-ce le choix d'un francophile revendiqué, admirant la qualité de vie, les institutions, les valeurs de la métropole coloniale dans laquelle il s'est formé comme homme politique ? Ou est-ce le destin forcé d'un modéré menacé par le FLN et empêché de finir ses jours sur sa terre natale ?

Cette étude n'avait pas vocation à l'exhaustivité. Plusieurs aspects de la vie de Bendjelloul, comme les premières années de sa carrière ou ses engagements en dehors de l'action politique, n'ont pas été abordés. Les sources sélectionnées ont permis de montrer que si Bendjelloul n'est certainement pas nationaliste dans sa conception de l'Algérie et dans son rapport à la France, c'est bien vers la fin du système colonial que son action politique est dirigée. Pour lui, l'assimilation signifie l'élévation des Algériens colonisés au niveau de vie des Européens et l'octroi des mêmes droits civiques, abolissant les discriminations sur lesquelles se basent le système colonial. Il utilise pour cela les outils que la législation française et ses institutions mettent à sa disposition, n'hésitant pas pour autant à braver l'autorité : son assimilationnisme ne découle donc pas d'une volonté de plaire à l'autorité coloniale, et collaborer avec elle est pour cet homme politique un moyen pragmatique d'atteindre ses objectifs.

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1 Voir par exemple les accusations rapportées par le préfet d'Alger dans Préfecture de Constantine - Affaires Indigènes, « Dossier [Assemblée Générale FEM du 29 Avril 1934] », Constantine, 1934, 93 30 284, ANOM, Aix-en-Provence ; et les accusations d'opportunisme dans Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », Alger, 1944-1945, 911K590/1, ANOM, Aix-en-Provence ; Le Chef de Service de la Sûreté Nationale chargé de la Surveillance du Territoire en Algérie et au Sahara, « Renseignements sur le Docteur

La France métropolitaine apparaît comme l'arbitre capable de réguler les méfaits de la société coloniale, et un des éléments les plus récurrents de l'action de Bendjelloul est le recours au plus haut niveau de l'Etat pour exprimer ses revendications. Ce trait caractéristique témoigne d'une foi en l'autorité du pouvoir central français qui serait le garant des valeurs républicaines d'égalité et de droits humains.

Les changements répétés de gouvernement et de régimes politiques ont fait perdurer l'espoir que les réformes promises seraient bientôt mises en oeuvre. Régulièrement, des évènements semblent indiquer une évolution des mentalités françaises : l'élection du Front populaire et le projet Blum Viollette, la nouvelle politique coloniale annoncée par De Gaulle au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les opportunités pour Bendjelloul de devenir un élu parisien pour porter lui-même ses revendications au coeur de l'État colonial. Ces espoirs, systématiquement déçus, expliquent peut-être en partie la persévérance de Bendjelloul, sans expliquer pourquoi plusieurs de ses collègues auparavant assimilationnistes rejettent la politique d'intégration bien avant 1955. Une limite inhérente à ce projet est liée à l'individualité des résultats : les dynamiques constatées chez Bendjelloul sont-elles généralisables à sa cohorte politique ? Il est marquant de retrouver parmi les signataires de la motion des 61 des noms déjà présents dans les archives datant des années 1930, comme Smail Lakhdari ou le Docteur Tamzali. Un travail de thèse souhaitant approfondir la question du courant réformiste algérien tirerait profit d'une approche prosopographique de ces contemporains assimilationnistes de Bendjelloul, en plaçant ce courant dans le contexte maghrébin, voire plus largement dans le contexte des colonies françaises.

Cet idéal de libération de l'Algérie par l'assimilation, idéal d'être aussi libre que les Français de France, n'est pas seulement un idéal individuel pour Bendjelloul. La personnalisation de sa politique dans les années 1930 puis son implication dans des affaires de trafic ou de collaboration et ses fréquentes affirmations de loyalisme ont fait dire à certains que c'était son intérêt personnel ou l'intérêt de sa classe sociale qui motivait l'action de Bendjelloul1. En étudiant ses revendications, on voit que ce sont ses électeurs que Bendjelloul

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place au coeur de son action. L'élu relaie les plaintes concrètes des populations aux autorités françaises : en attribuant à celles-ci la responsabilité des conditions de vie et les droits des Algériens musulmans, il affirme les droits de ses mandants auprès de leur gouvernement, à égalité avec les Français. Pour cela, il reformule les plaintes selon ses convictions assimilationnistes, mais il adapte également son expression politique à ses interlocuteurs, pour les convaincre que promouvoir la cause des Algériens musulmans est dans leur intérêt. Comme la plupart des réformistes des années 1930, il reprend certaines antiennes de l'idée de mission civilisatrice. Puis, durant la Seconde Guerre Mondiale, il souligne l'importance stratégique pour la France de donner tort à la propagande allemande en créant un sentiment de loyauté envers la métropole chez les Musulmans : pour que ceux-ci acceptent de se battre pour une France libérée et souveraine, il faut leur donner des raisons d'imaginer leur propre liberté dans ce cadre français à restaurer. Dans le contexte de réflexion sur les nouvelles institutions de la IVe République et de l'Union Française enfin, il fait partie des hommes politiques algériens qui placent l'Algérie au coeur des débats sur le fédéralisme, la constitution, la citoyenneté, le suffrage universel. Ces trois exemples montrent que le dénominateur commun de son action est le progrès du niveau de vie et des droits des Algériens : ses emprunts aux programmes de la mission civilisatrice, de la victoire alliée ou du fédéralisme reflètent en réalité les intérêts de ses interlocuteurs français, dont il reprend le langage politique pour faire progresser ses revendications.

Pour Bendjelloul, l'assimilation des Algériens dans la nation française est d'abord une question de droits politiques et de niveau de vie. Les questions culturelles sont marginales dans son discours. Il souhaite que les Algériens bénéficient comme lui d'une éducation, mais plus pour les opportunités économiques et politiques que cela leur apporterait ; et lorsqu'il évoque l'Islam c'est pour insister sur l'enrichissement moral qu'est la religion pour les Français musulmans. Bendjelloul appelle de ses voeux l'entente franco-musulmane et le développement de l'Algérie, pas la dissolution de la culture algérienne musulmane dans la culture française. Cette idée est résumée dans le mantra des Elus dans les années 1930 : la citoyenneté avec maintien du statut personnel.

Bendjelloul Mohamed, ancien député [activités assez suspectes] », Alger, n.d. (vers 1958), 911K590, ANOM, Aix-en-Provence.

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Bendjelloul se positionne en médiateur entre les autorités coloniales et les populations colonisées, dont il se présente comme l'interprète. Il voit leurs intérêts du côté de la citoyenneté française en raison de ses convictions personnelles, mais à partir du débarquement allié et particulièrement au sein du Groupe des 61 son action révèle que son idéal d'une Algérie française est malgré tout subordonné à l'intérêt des Algériens. Dès les années 1930, il considère comme son devoir d'avertir les colonisateurs que des réformes sont nécessaires s'ils veulent maintenir leur autorité sur les populations. A partir du milieu des années 1940, ces appels deviennent plus pressants et plus ambitieux, et Bendjelloul demande plusieurs fois au cours de ses différents mandats de doter l'Algérie d'une constitution propre, offrant l'autodétermination à tous les habitants de l'Algérie, quel que soit leur statut personnel. Dans les premiers mois de la guerre d'indépendance, il continue de se déclarer personnellement partisan de l'intégration. Mais lorsqu'il devient indéniable qu'un entêtement dans cette voie ne ferait qu'aggraver la répression envers les populations, Bendjelloul renonce publiquement à son idéal d'assimilation. Il s'efforce alors de rassembler les figures politiques algériennes autour de l'autodétermination, qu'il voit comme le bien de l'Algérie de la même manière qu'il justifiait jusqu'ici sa collaboration avec les Français par le bien de l'Algérie.

Au terme de cette étude de la carrière du Docteur Bendjelloul, on ne peut que constater l'échec des politiciens réformistes à régler le conflit colonial : sur toute la période étudiée la France refuse de collaborer avec les réformistes, et l'Algérie devient indépendante après huit années de lutte nationaliste armée, violemment réprimée par un Etat français en faillite. Discréditées par les nationalistes et écartées des négociations par la France, les élites réformistes et parmi eux Bendjelloul ne jouent pas le rôle-clé qu'ils ont cherché à avoir dans la résolution du conflit colonial en Algérie. Cette situation contraste avec la résolution d'autres conflits coloniaux ailleurs dans l'Empire français : en Côte-d'Ivoire par exemple ou au Sénégal, ce sont les modérés Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor qui sont favorisés dans les négociations avec la France et qui forment l'élite politique à l'indépendance de leurs pays respectifs1. Comment expliquer les résultats si différents des réformistes de part et d'autre du Sahara ? Si le statut particulier de l'Algérie et du lobby colonial a certainement joué un rôle

1 Frederick Cooper, Français et Africains? être citoyen au temps de la décolonisation, tr. Christian Jeanmougin, Paris, Payot, 2014.

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crucial dans cette politique coloniale différenciée, une étude comparative des idées et des parcours de réformistes de différents espaces coloniaux permettrait néanmoins d'enrichir la compréhension de la complexité des expériences coloniales dans l'Empire français. Plusieurs moments de cette étude ouvrent à une mise en perspective impériale ou transimpériale : Bendjelloul est comparé à Gandhi, il fonde en 1947 une association de soutien aux Egyptiens frappés par une épidémie de choléra, il est député au moment où l'Assemblée vote l'ordre du jour gouvernemental sur l'Indochine et débat sur l'indépendance de la Tunisie et du Maroc. L'étude des liens entre différents territoires colonisés et entre différents empires est une question de plus en plus souvent étudiée1 et qui permet de proposer une histoire des colonies décentrée de la métropole. Le milieu des assimilationnistes algériens offre un angle d'approche original à la question des relations transimpériale.

1 Voir par exemple M'hamed Oualdi, A Slave Between Empires: A Transimperial History of North Africa, New York, NY, Columbia University Press, 2020 ; Michael Goebel, Anti-Imperial Metropolis: Interwar Paris and the Seeds of Third World Nationalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Maureen Murphy, « Paris, capitale anticoloniale ? », Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, 1338, 2022, p. 19-25.

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Table des figures

Figure 1 Couverture de La Vérité sur le Malaise Algérien de Kessous. Bone, 1935 266

Figure 2 Portrait du Docteur Bendjelloul dans le journal El Midane du 27 juin 1937 388

Figure 3 La Une de l'Entente du 2 Novembre 1939 avant et après censure 622

Figure 4 Reproduction de télégramme du 10 août 1942 de Bendjelloul au Maréchal Pétain 688

Index des noms propres

Abbas (Ferhat), 9-11, 30, 35, 46, 51-52,

55-64, 66, 73-75, 81-83, 90, 92, 105,

107, 109

- Amis du Manifeste, 81, 83

- UDMA, 101, 105

Benbhamed (Mostefa), 97

Cadi (Abd-el-Kader), 99

De Gaulle (Général Charles), 56, 72, 75-

76, 83, 89-90, 121

Fédération des Élus Musulmans (FEM), 8-

9, 18, 25, 33-39, 42-50, 53, 55-60, 63-

66, 74, 79, 82-83, 90, 101, 121

Front de Libération Nationale (FLN), 13,

39, 103, 106, 108-110, 112-114, 120

Gandhi, 14, 67-70

Hadj (Messali), 10, 83, 109

-Parti du Peuple Algérien (PPA), 83

Jeunes Algériens, 28, 41, 60

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- Emir Khaled, 25, 39

Kessous (Mohammed-El-Aziz), 26-27, 43,

82, 125

Kessous (Docteur Youcef), 97, 101

Lakhdari (Docteur Smaïl), 82, 91, 121

Oulémas, 48, 83

Ourabah (Abdelmajid), 93, 95

Parti Communiste, 50, 101

Paul Cuttoli, 77

Projet Viollette, 34, 46-47, 49, 51-52, 75

Rabah Zenati, 46-47

Saadane (Docteur Chérif), 30, 42, 57, 66,

73

Sid Cara (Chérif), 93, 95

Tamzali (Docteur Abdennour), 77-80, 121

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Annie REY GOLDZEIGUER, Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945 : De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, Paris, La Découverte, 2006.

Benjamin STORA, Le nationalisme algérien avant 1954, Paris, CNRS éd., 2010.

Benjamin STORA, Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, Paris, L'Harmattan, 1985.

5) Histoire du réformisme algérien

Daho DJERBAL, « 3 - Elites locales et pouvoir politique dans l'Est algérien (1930-1940) », in Omar LARDJANE, Elites et Sociétés Algérie et Egypte, Casbah éditions, Alger, 2007.

Julien FROMAGE, « Le docteur Bendjelloul et la Fédération des élus musulmans », in Histoire de l'Algérie à la période coloniale, Paris, La Découverte, 2014, p. 398-401.

Julien FROMAGE, « Innovation politique et mobilisation de masse en « situation coloniale» : un « printemps algérien» des années 1930 ? L'expérience de la Fédération des Elus Musulmans du Département de Constantine » Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2012.

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Malika RAHAL, Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne, Paris, La Découverte, 2022.

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Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 131

Guide des Sources

Sources imprimées

1) Ouvrages

Ferhat ABBAS, Le jeune Algérien (1930) : de la colonie vers la province; (suivi de) Rapport au maréchal Pétain (avril 1941) / Ferhat Abbas, Paris, Garnier Frères, 1981.

Ferhat ABBAS, Le Manifeste du Peuple Algérien, Paris, Orients, 2013.

Mohammed Salah BENDJELLOUL, Mostefa BENHAMED et Youssef Dr. KESSOUS, « Déclaration de la Liste des Républicains indépendants », in Recueil des textes authentiques des programmes et engagements électoraux des députés proclamés élus à la suite des élections générales des élections générales du 17 juin 1951, Imprimerie de la Chambre des députés, 1951, p. 927?930, Bibliothèque de Sciences Po - Fonds numérisés. En ligne : https://bibnum.sciencespo.fr/s/catalogue/ark:/46513/sc16m27g#?c=&m=&s=&cv=

Mohammed-El-Aziz KESSOUS, La Vérité sur le Malaise Algérien - Préface du Dr Bendjelloul, Bone (Algérie), Société anonyme de l'imprimerie rapide, 1935.

Ivo RENS, L'Assemblée algérienne, A. Pedone., Paris, Librairie de la Cour d'Appel et de l'Ordre des Avocats, 1957.

2) Archives du Conseil de la République et de l'Assemblée nationale

Journaux officiels, comptes-rendus in extenso, feuilletons, bulletins et annexes au journal des débats consultés en version numérisée sur Gallica. (Sondage)

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 132

Sources Manuscrites

1) Archives de la Préfecture de Police de Paris, Pré-Saint-Gervais

Dossier Bendjelloul, n°106704, 354W120, 1958-1961. Partiellement consulté sur dérogation

Dossier Bendjelloul, Police Judiciaire, JA 427, janvier 1959. Consulté sur dérogation.

2) Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine Archives de l'Assemblée Consultative Provisoire :

- Dossier Conseil Général Afrique du Nord, C//15260/94001/469, avril-novembre 1943. Voir notamment Dossier 490 Bendjelloul : voeu de Combat, mouvement de libération français tendant à l'exclusion de Mohamed Bendjelloul.

- ACP - Proposition de résolutions, Dossiers 22 à 26 : Algérie, C//15248/94001.22-26, février-août 1945.

Archives de la Haute Cour de Justice :

- Dossier Bonnafous - Première Partie de la Procédure, Liasse IX : Liberté provisoire et documents annexes, 3W75, 1945. Voir notamment « Déposition du Docteur Bendjelloul, délégué à l'Assemblée Consultative Provisoire. Président de la Fédération des Elus Musulmans d'Algérie ».

3) Archives de La Contemporaine

- Fonds Paul Tubert, F delta res 192, 1940-1962. Tracts, notes confidentielles de la Préfecture d'Alger, rapports du Préfet de Constantine, rapports de police, le "Manifeste du peuple algérien", comptes-rendus de missions, coupures de presse.

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 133

4) Archives nationales d'Outre-Mer

- Archives de presse : L'Entente franco-musulmane, El-Midane, La Voix Indigène. (Sondage)

- Archives de la Préfecture de Constantine : Cabinet du Préfet, Centre d'Information et d'Etudes de Constantine, Sûreté départementale de Constantine puis Service Départemental des Renseignements Généraux de Constantine, Administration des Communes Mixtes. (Sondage)

Voir notamment :

o Sous-préfecture de Constantine (1945-1962) : 9314 58

o Sûreté générale, Affaires politiques : 93 B3 277-280, 93 B3 785 et 791

- Archives du Gouvernement Général d'Algérie : Cabinet du Gouverneur Général, Service Central des Renseignements Généraux. (Sondage)

Voir notamment :

o Surveillance politique des indigènes : GGA 7G 1403, GGA 40G 71, GGA 9H 23/38/53

o Cabinet civil du Gouverneur Général : GGA 8CAB 89 et 169, GGA 11CAB 78, GGA 12CAB 205

- Préfecture d'Alger : Cabinet du Préfet, Service de Liaisons Nord-Africaines, Police des Renseignements Généraux. (Sondage)

Voir notamment

o Surveillance politique des Indigènes : 91 1K 1172, 91 1K 590

o Police des Renseignements Généraux : 91 4I 170

Hélène Koning - « Le Dr Bendjelloul : l'opposition loyale à la colonisation ? (1930-1962) » - Mémoire IEP de Paris - 2024 134






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