527
Vol. 35, no 3
La protection des savoirs traditionnels autochtones
dans les pays d'Afrique centrale membres de l'OAPI
Edson W. Toni Koumba*
RÉSUMÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .
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. . . . . . . . . . . . . .531
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LISTE DES ABRÉVIATIONS . . . . . . . . . . . . . .
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. . . . . . . . . . . . . .533
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INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.
|
. . . . . . . . . . . . . .535
|
I- LES VICISSITUDES D'UNE PROTECTION DES SAVOIRS TRADITIONNELS
PAR LE DROIT CLASSIQUE DE
L'OAPI EN AFRIQUE CENTRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . .543
A- Les lacunes d'une protection des savoirs
traditionnels
autochtones par le système de la propriété
littéraire
et artistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .544
1- La protection en filigrane des savoirs traditionnels par les
règles conventionnelles de droit d'auteur et droits connexes : une
protection insuffisante et
incomplète . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .545
(c) CIPS 2023 .
* L'auteur est magistrat en République du Congo . Il
est aussi titulaire d'un master en Droit international et comparé de
l'environnement, et il est spécialiste des interactions entre les
savoirs traditionnels et la propriété intellectuelle .
[Note : cet article a été soumis à une
évaluation à double anonymat .]
528 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
2- La protection des savoirs traditionnels autochtones,
transposée dans les législations locales de droits d'auteurs et
droits connexes : une protection à géométrie variable .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .548
B- La protection des savoirs traditionnels autochtones par les
titres de propriété industrielle : une protection
parfois inadaptée et inef~cace . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . .550
1- L'ambivalence d'une protection des savoirs traditionnels par
la propriété industrielle: une protection défensive et
positive . . . . . . . . . . . . .550
a- La protection défensive . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .551
b- La protection positive . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. .553
2- Les antinomies d'une protection des savoirs traditionnels par
la propriété industrielle . . . . . . . .555
II- LE RECOURS À DES SYSTÈMES PALLIATIFS DE
PROTECTION DES SAVOIRS TRADITIONNELS DANS LES PAYS D'AFRIQUE CENTRALE MEMBRES
DE
L'OAPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .556
A- La nécessité de recourir à un
système de propriété intellectuelle mieux adapté
à la protection des savoirs
traditionnels autochtones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .557
1- Le recours à un système sui generis
comme un régime plus adapté à une protection ef~cace
des
savoirs traditionnels autochtones . . . . . . . . . . . . . .
.558
2- L'importance d'une compétence contentieuse des
juridictions dans la protection des savoirs traditionnels autochtones par la
propriété
intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . .560
B- La nécessité de recourir à des approches
complémentaires de protection des savoirs
traditionnels autochtones . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .562
1- L'approche d'une protection des savoirs traditionnels
envisagée sous l'angle environnemental:
le mécanisme APA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . .563
La protection des savoirs traditionnels autochtones
529
2- L'approche d'une protection des savoirs
traditionnels
envisagée sous l'angle culturel : le patrimoine
culturel immatériel . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . .565
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . .567
531
RÉSUMÉ
Quarante-six ans après la signature de l'Accord de
Bangui portant création de l'Organisation africaine de la
propriété intellectuelle sur les cendres de l'OAMPI, le droit de
l'OAPI applicable dans l'ensemble des États membres, au nombre desquels
on compte six pays d'Afrique centrale, a élargi son champ d'action pour
intégrer progressivement la protection des savoirs traditionnels .
Seulement, le domaine des savoirs traditionnels en général est
très large et complexe (de façon lato sensu, il
intègre les connaissances traditionnelles associées aux
ressources génétiques, les expressions culturelles
traditionnelles, le folklore) . Malgré une prise de conscience et une
volonté d'assurer une protection et une promotion de leurs savoirs
traditionnels autochtones et de donner une place de choix à ces
minorités, leur système classique de propriété
intellectuelle composé aussi bien de la propriété
industrielle que de la propriété littéraire et artistique
reste incomplet, insuffisant, et parfois même inadéquat . Face
à ces lacunes, même le recours à un système sui
generis ne garantit pas une protection suffisante et efficace de ces
savoirs traditionnels .
Aujourd'hui, on s'accorde pour dire que cette protection est
fragmentée et partielle, elle appelle à un concours de plusieurs
instruments juridiques de portée internationale, régionale,
sous-régionale et nationale dans les domaines de l'environnement, la
culture et les droits de l'homme . À ce titre, leur adhésion
à la CDB, au protocole de Nagoya et à la TIRPAA a conduit
à la mise en place du mécanisme de l'APA . À cela s'ajoute
la protection par des instruments culturels sous l'égide de l'UNESCO
.
MOTS-CLÉS
Droit de l'OAPI - Protection - Savoirs traditionnels -
Autochtones - Pays d'Afrique centrale
533
LISTE DES ABRÉVIATIONS
ADPIC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Aspects sur
les droits de propriété intellectuelle
qui touchent au commerce
APA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Accès et partage des
avantages
ARIPO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.Organisation régionale africaine de la propriété
intellectuelle
CCCA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. .Convention convenu d'un commun accord
CDB . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .Convention sur la diversité biologique
COMIFAC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.Commission des forêts d'Afrique centrale
CPCC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .Consentement
préalable donné en connaissance
de cause
IGC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.Comité intergouvernemental pour la propriété
intellectuelle
OAMPI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.Of~ce africain de la propriété industrielle
OAPI . . . . . . . . . . . . .Organisation africaine pour
la propriété intellectuelle
OHADA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .Organisation pour l'harmonisation en
Afrique du droit des affaires
OIT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . .Organisation internationale du travail
OMC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . .Organisation mondiale du commerce
OMPI . . . . . . . . . . . . . . .Organisation mondiale de
la propriété intellectuelle
ONU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .Organisation des Nations Unies
RCA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .République centre
africaine
TIRPAA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . .Traité international sur les ressources
phytogénétiques pour l'alimentation et
l'agriculture
UNESCO . . . . . . . . . . . . .Organisation des Nations
Unies pour l'éducation,
la science et la culture
UPOV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.Union internationale pour la protection des
obtentions végétales
535
INTRODUCTION
Tous les êtres humains naissent libres et égaux
en dignité et en droits1 . Ces mots, considérés
comme « les plus beaux et les plus vibrants que contient un accord
international »2, peuvent revêtir un sens plus
spécifique et profond lorsqu'ils sont associés à d'autres
instruments juridiques internationaux pertinents sur les droits des peuples
autochtones . Cela permet ainsi de mettre en relief l'épineuse
problématique d'une protection multiforme des droits inhérents
à ces minorités3 . Mais le sujet fait couler encore
plus d'encre quand le curseur est placé sur l'angle d'une protection de
leurs savoirs traditionnels au moyen des systèmes de
propriété intellectuelle surtout dans un espace
géographique aussi singulier que celui des pays d'Afrique centrale
membres de l'Organisation africaine de la propriété
intellectuelle (ci-après « OAPI »)4 .
En effet, de nos jours, le lien entre la
propriété intellectuelle et les questions de protection ou de
promotion des savoirs traditionnels autochtones fait l'objet de débats
très intenses et controversés au sein
1 . Article 1er de la Déclaration
universelle des droits de l'Homme, AGNU, 3e sess, Doc NU A/810
(1948) Rés AG 217A (III) .
2 . Zeid Ra'ad Al Hussein, « Introduction » dans
L'édition illustrée de Déclaration universelle des
droits de l'Homme, New York, Nations Unies, 2015, à la p VII (nos
caractères italiques) .
3 . Thomas Greiber et al, Guide explicatif du Protocole de
Nagoya sur l'accès et le partage des avantages, Droit et politiques
de l'environnement, Gland (Suisse), UICN, 2014, à la p 18 ; voir aussi
Norbert Rouland, Stéphane Pierré-Caps et Jacques
Poumarède, Droit des minorités et des peuples
autochtones, Paris, Presses universitaires de France, 1996 .
4 . L'Organisation africaine de la propriété
intellectuelle (ci-après « OAPI ») est un organisme
intergouvernemental, né des cendres de l'Office africain et malgache de
la propriété industrielle (ci-après « OAMPI »),
créé au lendemain des indépendances . Institué par
l'Accord de Bangui (RCA) du 2 mars 1977, il regroupe aujourd'hui 17 pays
d'Afrique centrale et de l'ouest, pour la majorité francophone, et est
chargé de la protection et de la promotion des droits de la
propriété intellectuelle . Sa législation (Accord de
Bangui et ses annexes) s'applique de manière uniforme . L'organisation a
son siège à Yaoundé au Cameroun . Elle assure
également les fonctions d'un Office dans l'enregistrement des titres de
propriété intellectuelle (brevets, marques, indications
géographiques...) qui produisent leurs effets sur le territoire des
États membres .
536 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
de nombreuses instances internationales5 . Leur
rôle dans la préservation ou la sauvegarde des savoirs
traditionnels intéresse au plus haut point la majorité des pays
en développement et particulièrement ceux d'Afrique centrale . Un
tel intéressement traduit nécessairement une prise de conscience
de ces États à bien des égards . D'abord, la prise en
compte de l'importance et des valeurs réelles que revêtent les
savoirs traditionnels autochtones, considérés non seulement comme
un capital intellectuel, mais surtout comme un gage de l'authenticité
des valeurs morales et de l'identité culturelle et spirituelle des
communautés autochtones africaines .
Partie intégrante de leur patrimoine culturel
immatériel6, ils constituent pour chacun de ces pays un sujet
de fierté nationale et surtout un apport considérable à
leur développement économique, technologique et socioculturel .
De ce fait, ils intègrent pleinement la sphère de
l'économie de la connaissance7 dont l'émergence a
été actée dès la seconde moitié du
XXe siècle aussi bien par la création de
l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(ci-après « OMPI »)8 que par l'adoption des
Accords sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après « ADPIC
»)9 .
Ensuite, cette prise de conscience est aussi l'expression
d'une volonté réelle de mettre un terme à plusieurs
décennies de spoliation des droits des populations autochtones . En
effet, depuis de nombreuses années, malgré le foisonnement des
normes de droit international des droits de l'homme, les peuples autochtones
d'Afrique centrale ont été victimes de discrimination et de
marginalisation outre
5 . Au nombre de ces instances internationales, on peut citer,
en premier lieu, le Comité intergouvernemental de l'OMPI relatif aux
ressources génétiques, savoirs traditionnels et aux folklores,
mais aussi la SCDB et la Commission des forêts d'Afrique centrale .
À ce sujet, Daniel F Robinson, Ahmed Abdel-Latif & Pedro Roffe,
Protecting Traditional Knowledge: The WIPO Intergovernmental Committee on
Intellectual Property and Genetic Resources, Traditional Knowledge and
Folklore, New York, Routledge, 2017 ; Silke Von Lewinski, « Le
Folklore, les savoirs traditionnels et les ressources génétiques
: sujet débattu dans le contexte de la propriété
intellectuelle » (2005) 14 Propriétés Intellectuelles (PI)
22 .
6 . Voir l'article 2 alinéas 1 et 2 de la
Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel, 17 octobre 2003, 2368 RTNU 3 (entrée en vigueur
: 20 avril 2006) .
7 . Geneviève Azam, « La connaissance, une
marchandise fictive » (2007) 29:1 Revue du MAUSS 110 .
8 . Yves Reboul, « Préface » dans Le
contentieux de la propriété intellectuelle dans les États
membres de l'OAPI : recueil de décisions de justice, Collection de
l'OAPI, Yaoundé, OAPI, 2011, aux pp 3-4 .
9 . L'Accord sur les ADPIC est reproduit à l'Annexe 1C
de l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du Commerce (OMC),
signé à Marrakech au Maroc le 15 avril 1994 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
537
mesure . À ces inégalités habituelles se
sont ajoutées l'exploitation illicite, l'appropriation et l'utilisation
abusive des savoirs traditionnels intrinsèquement liés à
l'histoire et à l'identité culturelle et spirituelle de ces
communautés . On a assisté, dans ces pays, à la
montée d'une nouvelle forme de criminalité qualifiée de
biopiraterie10 .
Face à ce phénomène de spoliation
excessive de leurs savoirs traditionnels (surtout ceux liés aux
ressources génétiques) avec de graves conséquences
socioculturelles et économiques, les gouvernements des États
d'Afrique centrale ont ratifié divers instruments juridiques
internationaux . Ils ont ainsi et progressivement mis en place plusieurs
systèmes de protection de leurs savoirs traditionnels autochtones . Au
nombre de ces multiples systèmes de protection, on compte ceux
envisagés sous l'angle environnemental11,
culturel12, celui du respect des droits de l'homme13 .
Mais c'est surtout sous l'angle de la propriété intellectuelle
que cette protection trouve véritablement son assise .
Seulement, envisager une étude sur la protection des
savoirs traditionnels autochtones à travers les systèmes de
propriété intellectuelle peut s'avérer être une
entreprise difficile à surmonter tant la compréhension et
l'établissement d'un lien de connexité entre les concepts de
« propriété intellectuelle » et de « savoirs
traditionnels autochtones » appellent à des analyses profondes et
minutieuses . Déjà, le terme « propriété
intellectuelle » n'est pas défini de manière
10 . La biopiraterie peut être définie comme
« l'utilisation et l'appropriation des ressources génétiques
et des connaissances traditionnelles des peuples autochtones à des fins
commerciales et de recherche sans le consentement de ces derniers et sans
contrepartie pécuniaire et non pécuniaire » : voir Joseph
Djemba Kandjo et Konstantia Koutouki, « La nécessité
d'associer la biopiraterie à la criminalité environnementale en
droit international » (2016) 49:2 Criminologie 195, à la p 196 ;
Vandana Shiva, Biopiracy: The Plunder of Nature and Knowledge, Boston,
South End Press, 1997 .
11 . Notamment à travers le mécanisme sur
l'accès et le partage des avantages (ci-après « APA »)
institué par la Convention sur la diversité biologique
(ci-après « CDB »), le Protocole de Nagoya sur
l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances
traditionnelles associées et le Traité international sur les
ressources phylogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture
(ci-après « TIRPAA ») .
12 . Un autre système de protection est envisagé
sous l'angle culturel à travers les Conventions de l'UNESCO sur la
sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles .
13 . Au nombre de ces nombreux instruments, on pourrait citer
: la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, la Convention no 169 de l'OIT relative aux droits des
peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, la
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination, etc
.
538 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
explicite dans la législation
internationale14 . Il s'entend généralement comme
« un ensemble de principes et de règles qui régissent
l'acqui-sition, l'exercice et la perte de droits et d'intérêts
relatifs à des actifs incorporels susceptibles d'être
utilisés dans le commerce » .
L'article 2 alinéa viii de la Convention instituant
l'Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle15 inclut cette définition à
travers une liste non exhaustive des différents types de droits de
propriété intellectuelle .
Le terme « savoirs traditionnels » quant à
lui est très polysémique et difficile à appréhender
. Selon les dispositions de l'article 1er alinéa 3 de l'Accord
relatif à la protection des savoirs traditionnels, additif à
l'Accord de Bangui du 26 juillet 2007 :
Est considéré comme savoir traditionnel, tout
savoir issu d'une communauté autochtone ou traditionnelle qui
résulte d'une activité intellectuelle et d'une sensibilité
ayant pour cadre un contexte traditionnel et comprend le savoir-faire, les
techniques, les innovations, les pratiques et les apprentissages, ledit savoir
s'exprimant dans le mode de vie traditionnel d'une communauté ou d'un
peuple ou étant contenu dans les systèmes de savoirs
codifiés transmis d'une génération à l'autre . Le
terme n'est pas limité à un terme technique spécifique et
peut s'appliquer à un savoir agricole, écologique ou
médical ainsi qu'à un savoir associé à des
ressources génétiques .
La difficulté réside donc dans le
caractère générique et hétérogène de
son champ sémantique . On comprend ainsi que lato sensu, les
savoirs traditionnels peuvent être assimilés aux connaissances
traditionnelles associées aux ressources génétiques ou
phylogéné-tiques16, aux expressions culturelles
traditionnelles17 et même aux
14 . Paulin Edou Edou, « Avant-propos » dans Le
contentieux de la propriété intellectuelle dans les États
membres de l'OAPI : recueil de décisions de justice, Collection de
l'OAPI, Yaoundé, OAPI, 2011, à la p 7 .
15 . La Convention instituant l'Organisation mondiale de
la Propriété Intellectuelle a été
signée à Stockholm en Suède le 14 juillet 1967 et
entrée en vigueur le 26 avril 1970 .
16 . Le terme « connaissances traditionnelles » est
employé aussi bien à l'article 8 al . 1j) de la CDB, à
l'article 7 du Protocole de Nagoya et à l'article 9 al . 2a) de la
TIRPAA .
17 . Sur les expressions culturelles traditionnelles (voir
l'art . 4 al . xii de l'Annexe VII de l'Accord de Bangui instituant
l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle,
acte du 14 décembre 2015) .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
539
expressions du folklore18 . Ils sont aussi
considérés comme une partie intégrante du patrimoine
culturel immatériel19 .
Mais la complexité tient surtout dans le fait
d'associer les savoirs traditionnels à des communautés ou des
peuples qualifiés « d'autochtones » . La question étant
de savoir ce qu'il faut entendre par « peuple autochtone » . À
ce titre, il faut rappeler avec force qu'aucune définition de cette
notion n'est internationalement retenue . Pour la plupart des organisations
internationales chargées d'examiner les questions des droits des peuples
autochtones : « Une définition stricte de cette notion n'est ni
nécessaire, ni souhaitable . Il est plus approprié et constructif
d'essayer de décrire les caractéristiques principales qui peuvent
aider à identifier ces peuples . »20 Si l'article
1er de la Convention no 169 de l'OIT relative aux peuples
indigènes et tribaux de 1989 propose une combinaison de critères
objectifs permettant d'identifier ces peuples, son article 2 renvoie la
responsabilité aux États (avec la participation des peuples
concernés) de prendre les mesures nécessaires visant à
protéger leurs droits et à garantir le respect de leur
intégrité . Plusieurs pays d'Afrique centrale ont proposé
une définition de cette notion dans le cadre de leurs
législations nationales21 . Notons en revanche que,
jusqu'à ce jour, d'autres pays ne disposent toujours pas de textes
spécifiques consacrés à la protection des droits des
peuples autochtones22 . On peut donc comprendre aisément que
si l'analyse définitionnelle de ces concepts est déjà
sujette à controverse, l'établissement du lien de
connexité est encore plus complexe . Il s'agit en réalité
d'établir une corrélation entre « l'objet
»23 de la protection et « le moyen »24 de
celle-ci dans le contexte des pays en développement et
particulièrement celui de l'Afrique centrale .
18 . Sur l'assimilation des savoirs traditionnels autochtones
à des expressions de folklore, voir l'article 68 de l'Annexe VII de
l'Accord de Bangui (révisé) signé le
24 février 1999, sur la propriété
littéraire et artistique .
19 . Les savoirs traditionnels sont considérés
comme un aspect de la définition de la notion de « patrimoine
culturel immatériel » prévu à l'article 2 al .
1er de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel de 2003 .
20 . OIT, Peuples autochtones au Cameroun : guide à
l'intention des professionnels des médias, Bureau International du
Travail, 1re éd, 2015, à la p 11 .
21 . C'est le cas de la République du Congo à
travers l'article 1er de la loi no 5-2011 du
25 février 2011 portant promotion et protection des droits
des peuples autochtones .
22 . Chardin Carel Makita Kongo, « Les défis de
l'inclusion des populations autochtones au Cameroun : cas des BAKAS »
(2019) Cahiers africains des droits de l'homme, à la p 4, en ligne : <
https://hal
.science/hal-02482182> .
23 . Par objet, il faut entendre simplement les savoirs
traditionnels autochtones, lesquels sont ici visés par la protection au
moyen des systèmes de propriété intellectuelle .
24 . Par moyen, il faut entendre les systèmes de
propriété intellectuelle, qu'il s'agisse des systèmes
conventionnels ou classiques des propriétés intellectuelles
(propriété
540 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
En parlant des moyens de cette protection, il faut rappeler
que le cadre juridique de l'espace OAPI est né d'une volonté des
États d'Afrique francophone d'intégrer le grand concert des
nations sur les questions de l'économie de l'immatériel dont la
propriété intellectuelle est le « bras armé »
juridique25 . C'est cet idéal qui les incitera, au lendemain
des indépendances, à la conclusion, le 13 septembre 1962 à
Libreville au Gabon, d'un Accord portant création de l'Office
africain et malgache de la propriété industrielle
(ci-après « OAMPI ») . Plus d'une décennie
après, à la suite du retrait de Madagascar, cet Accord sera
révisé pour donner naissance à l'Organisation africaine de
la propriété intellectuelle (ci-après « OAPI »)
. À ce jour, cette institution compte 17 États
membres26, dont 6 sont issus de l'Afrique centrale (Congo, Gabon,
République centrafricaine, Cameroun, Guinée équatoriale et
Tchad) .
Ainsi donc, le droit de l'OAPI, qualifié de « Code
de la propriété intellectuelle des États membres »,
découle de l'Accord de Bangui du 2 mars 1977 et qui a déjà
fait l'objet d'une double révision27 . Il est essentiellement
composé, à ce jour (en sus de l'Accord), de dix annexes
séparées en deux blocs . D'abord, d'un cadre portant sur la
propriété industrielle qui est un régime commun et
uniforme d'application directe au sein des États membres28 .
Ensuite, celui portant sur la propriété littéraire et
artistique (annexe VII) qui constitue un régime minimal29 .
À cela, il faudra ajouter l'Accord additif qui porte sur la protection
des savoirs traditionnels .
En l'état actuel de ce droit communautaire, on peut
constater avec force au sujet de la protection des savoirs traditionnels
autochtones dans les États d'Afrique centrale membres de l'OAPI,
contrairement à ce que l'on pourrait croire, qu'il n'y a pas un vide
juridique sur la question30 . En effet, l'article 2 alinéa
1er (j et k) de
littéraire et propriété industrielle) ou
des systèmes sui generis de protection des savoirs
traditionnels .
25 . Michel Vivant, « Préface » dans Le
contentieux de la propriété intellectuelle dans l'espace OAPI :
guide du magistrat et des auxiliaires, 1re éd,
Yaoundé, OAPI, 2009, à la p 3 .
26 . Liste des États membres de l'OAPI : le Congo, le
Cameroun, le Gabon, la République centrafricaine, le Tchad, la
Guinée équatoriale, le Mali, le Sénégal, le Burkina
Faso, le Togo, le Niger, la Mauritanie, la Guinée, la
Guinée-Bissau, le Bénin, la Côte d'Ivoire et les Comores
.
27 . L'Acte du 24 février 1999 et celui du 14
décembre 2015 .
28 . Voir les articles 5 al . 2 et 6 de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 .
29 . Voir l'article 5 alinéa 2 de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 .
30 . Nilce Ekandzi, La protection des savoirs
traditionnels médicinaux par le droit de la propriété
intellectuelle dans l'espace OAPI, thèse de doctorat en droit,
Université Paris 2 Panthéon-Assas, 2017 (non publiée) .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
541
l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015, consacre la
promotion de la protection des expressions culturelles traditionnelles et des
savoirs traditionnels . Son Annexe VII, issu de l'Acte du 24 février
1999 qui a été révisé, portait, entre autres, sur
la protection du patrimoine culturel et sur une litanie des oeuvres du
folklore31 . Dans sa nouvelle version, il considère les
expressions culturelles traditionnelles comme des oeuvres relevant du domaine
littéraire, artistique ou scientifique . De même, en 2007, les
États membres de cette organisation ont adopté un Accord additif
totalement consacré à cette protection .
Il résulte donc de tout ce qui précède
que la protection des savoirs traditionnels autochtones en Afrique centrale
n'est pas seulement tributaire des instruments sui generis . Mais,
bien au contraire, l'univers classique de la propriété
intellectuelle, fondé sur deux conventions
séculaires32 et scindées en « deux mondes »,
à savoir : celui de la propriété littéraire et
artistique et celui de la propriété industrielle offre, à
chaque pays membre une protection de leurs savoirs traditionnels autochtones
qui peuvent être soit « positive »33 soit «
défensive »34 . Seulement, qu'il s'agisse des droits
d'auteurs et connexes ou même du régime des brevets, des marques,
des indications géographiques, des dessins et modèles industriels
ou même des obtentions végétales ou du secret d'affaires,
les systèmes classiques de propriété intellectuelle
existants présentent des lacunes dans la
31 . Voir les articles 1er al . 1c), 67 et 68 de
l'Annexe VII de l'Accord de Bangui du 24 février 1999 .
32 . Par « conventions séculaires en
matière de propriété intellectuelle », on entend : la
Convention de Paris pour la protection de la propriété
industrielle du 20 mars 1883 d'une part, et la Convention de Berne pour la
protection des oeuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886,
d'autre part .
33 . Le terme protection positive désigne un
système destiné à permettre aux détenteurs qui le
souhaitent d'acquérir et de faire valoir des droits de
propriété intellectuelle sur leurs savoirs traditionnels . Cela
permet d'empêcher des formes non désirées, non
autorisées ou illégitimes d'utilisation par des tiers ou
d'exploiter commercialement les savoirs traditionnels . À ce sujet, voir
Anik Bhaduri, « Communities as Inventors: Rethinking Positive Protection
of traditional Knowledge Through Patents » (2023) The Journal of World
Intellectual Property, en ligne: <
https://onlinelibrary
.wiley .com/doi/abs/10 .1111/jwip . 12279> .
34 . Le terme protection défensive
désigne un ensemble de stratégies qui vise à
empêcher l'acquisition ou la perpétuation illégitime des
droits de propriété intellectuelle par des tiers . Elle a pour
but d'empêcher des personnes étrangères à la
communauté d'acquérir des droits de propriété
intellectuelle sur des savoirs traditionnels . Voir en ce sens, Reto Hilty,
Pedro Henrique D Batista et Suelen Carls, « Traditional Knowledge,
Databases and Prior Art-Options for an Effective Defensive Use of TK Against
Undue Patent Granting » dans Research Handbook on Intellectual
Property and Cultural Heritage, Cheltenham, Royaume-Uni, Edward Elgar
Publishing, 2022 ; Margo A Bagley, « The Fallacy of Defensive Protection
for Traditional Knowledge » (2019) 58:2 Washburn Law Journal 323 .
542 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
protection des savoirs traditionnels autochtones . En effet,
l'expérience des pays d'Afrique centrale a permis de relever leur
caractère insuffisant, incomplet et parfois inadapté .
Pour pallier ces lacunes, nombreux ont appelé à
une protection plus efficace, non seulement au moyen des instruments sui
generis35, mais aussi à travers des régimes de
protection palliative tournés vers l'environnement dans le cadre des
conventions internationales sur la biodiversité qui instituent un
mécanisme d'accès et de partage des avantages (ci-après
« APA »)36 . On relève aussi des systèmes de
protection dans le cadre des conventions de l'UNESCO .
Il découle donc de cette présentation
introductive que « la protection des savoirs traditionnels autochtones par
la propriété intellectuelle dans les pays d'Afrique centrale
membres de l'OAPI » est un sujet qui suscite plusieurs interrogations,
à savoir : le droit de l'OAPI peut-il réellement garantir une
protection des savoirs traditionnels autochtones dans les pays d'Afrique
centrale ? Quel est l'impact de ce système sur ces savoirs traditionnels
autochtones? Une telle protection est-elle envisageable ? Peut-elle être
efficace et quelles en sont les limites ? Existe-t-il des mécanismes
palliatifs de protection auxquels ces États peuvent recourir?
Il ressort de tout ce qui précède que la
réponse à ces questions appelle à une analyse minutieuse
qui sera basée sur une démarche binaire, car si la protection des
savoirs traditionnels autochtones par les systèmes classiques de
propriété intellectuelle (droit de l'OAPI) reste
confrontée à plusieurs vicissitudes (I), le renforcement de cette
protection passe nécessairement par le recours à des
systèmes palliatifs (II) .
35 . Ibijoke P Byron, « The Protection of traditional
Knowledge Under the Sui Generis Regime in Nigeria » (2022) 36:1
International Review of Law, Computers & Technology 17-27 ; Surinder Kaur
Verma, « Protecting Traditional Knowledge: Is a Sui Generis System an
Answer » (2004) 7:6 Journal of World Intellectual Property 765 ; J Janewa
OseiTutu, « A Sui Generis Regime for Traditional Knowledge: The Cultural
Divide in Intellectual Property Law Emerging Scholars Series » (2011) 15:1
Marquette Intellectual Property Law Review 147 ; N S Gopalakrishnan, «
Protection of Traditional Knowledge: The Need for a Sui Generis Law in India
» (2002) 5:5 Journal of World Intellectual Property 725 ; Tatiana
López Romero, « Sui Generis Systems for the Protection of
Traditional Knowledge » (2005) 3:6 Revista Colombiana de Derecho
Internacional .
36 . Pilar Ravena de Sousa, Bruno Soeiro Vieira & Thales
Ravena Canete, « The Benefit Sharing Agreement as Protection of
Traditional Knowledge Associated with Biodiversity: Transparency in the Work of
the Natura Company in the Amazon Region » (2018) 17:2 Prisma Juridico 410
.
La protection des savoirs traditionnels autochtones
543
I- LES VICISSITUDES D'UNE PROTECTION DES SAVOIRS
TRADITIONNELS PAR LE DROIT CLASSIQUE DE L'OAPI EN AFRIQUE CENTRALE
Il faut rappeler de prime à bord que dans la plupart
des pays d'Afrique centrale et plus particulièrement ceux qui sont
membres de l'OAPI, pendant longtemps, les savoirs traditionnels autochtones ont
souvent été l'objet d'une libre appropriation ou d'une
exploitation gratuite37 . Cela était lié, entre
autres, à une méconnaissance de certains droits inhérents
aux populations autochtones, qui généralement étaient
considérées comme des sous-hommes38 et
qualifiées de façon péjorative de pygmées
. À cela, il faut ajouter que dans ces pays, malgré leur
accession à l'indépendance, les vestiges de la domination
coloniale étaient encore pesants . Ce phénomène se
manifestait aussi par une exploitation abusive et sans contrepartie de leurs
ressources naturelles et par extension de leurs savoirs traditionnels
autochtones par les anciens colonisateurs .
Au lendemain des indépendances, une prise de conscience
sur l'importance d'une économie relevant du domaine de
l'immatériel a conduit progressivement ces États à mettre
en place un cadre juridique communautaire à travers une
législation supra nationale sur la propriété
intellectuelle et un office en charge de l'administration des titres de
propriété intellectuelle . Au fil des années, le droit
substantiel et uniforme de l'OAPI qui découle de l'Accord de Bangui et
de ses annexes s'est construit suivant une approche binaire fondée tant
sur la Convention de Paris pour la protection de la propriété
industrielle du 20 mars 1883 que sur celle de Berne sur la protection des
oeuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886 . À cela,
il faudra ajouter tous les autres textes internationaux pertinents en la
matière . Seulement, prétendre à une protection efficace
des savoirs traditionnels autochtones dans les pays d'Afrique centrale membres
de l'OAPI par un système classique de propriété
intellectuelle s'avère être un défi difficile à
surmonter .
En effet, si l'Annexe VII de l'Accord de Bangui sur la
propriété littéraire et artistique longtemps
considéré comme un « régime commun
»39 à tous les États membres visait entre autres
la protection du
37 . Greiber et al, supra note 3 à la p 6 .
38 . Les peuples autochtones de la République du
Congo: discriminations et esclavage, par Roger Bouka Owoko & R E
N'zobo, Brazzaville, Observatoire congolais des droits de l'homme (OCDH), 2011
à la p 11 .
39 . Voir l'article 1er de l'Annexe VII de l'Accord de
Bangui du 24 février 1999 .
544 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
patrimoine culturel, plus précisément les
expressions du folklore et les oeuvres inspirées du folklore, cette
approche a fait l'objet d'un profond revirement dans l'Accord
révisé du 14 décembre 2015 . L'article 5 alinéa 2
fait désormais de cette annexe « un cadre normatif minimal »
qui s'applique aux « expressions culturelles traditionnelles
»40 . Ces tâtonnements dénotent qu'une protection
des savoirs traditionnels par le système de propriété
littéraire et artistique est en proie à des lacunes (A) . D'autre
part, le droit OAPI relatif à la propriété trielle,
quoiqu'étant d'application directe et uniforme au sein des États
membres, est néanmoins considéré comme inadéquat et
insuffisant lorsqu'il s'agit de garantir une protection des savoirs
traditionnels autochtones (B) .
A- Les lacunes d'une protection des savoirs traditionnels
autochtones par le système de la propriété
littéraire et artistique
L'univers de la propriété littéraire et
artistique issu du droit de l'OAPI est caractérisé à la
fois par une dichotomie et une controverse . Parlant de la dichotomie, ce droit
est essentiellement constitué de deux branches principales, à
savoir, le droit d'auteur et les droits connexes ou voisins . S'agissant de la
controverse, il faut souligner que ce droit a fait l'objet d'un grand
revirement en partant d'un régime commun et uniforme applicable de
façon directe au sein des États à celui d'un régime
d'application minimale41 qui offre aux États membres la
possibilité d'édicter des lois nationales sur le droit d'auteur
et les droits connexes .
Pourtant, bien avant la réforme de 2015, certains
États ont toujours disposé de textes internes42 dans
ce sens .
En l'état actuel du droit positif de l'OAPI, la
protection envisagée par l'Accord de Bangui au titre de la
propriété littéraire et artistique s'applique aux
expressions culturelles traditionnelles . Mais, en réalité, cette
protection se décline suivant un triptyque qui se superpose . En effet,
d'une part, cette protection est assurée par l'ordre juridique
international en matière de droit d'auteur et droits
40 . Voir en ce sens l'article 4 al . xii de l'Annexe VII de
l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015 .
41 . Voir l'article 5 al . 2 de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 .
42 . Dans ce sens, pour la République du Congo, voir :
la loi no 24/82 du 7 juillet 1982 sur les Droits d'auteur et les
droits voisins . Pour le Cameroun, voir: loi no 2000/011 du 19
décembre 2000 relative aux Droit d'auteur et droits voisins .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
545
connexes . Cet ordre apparaît en filigrane dans l'Accord
de Bangui43 et dans son Annexe VII . Il est essentiellement
constitué des textes de portée internationale auxquels tous les
pays d'Afrique centrale, membres de l'OAPI, ont adhéré en
intégrant l'OMPI . Ces textes internationaux fixent des principes,
règles et obligations minimales que chaque État membre transpose
dans son « code local » de droit d'auteur et droits connexes . C'est
la protection horizontale ou en filigrane des savoirs traditionnels par le
droit d'auteur et droits connexes (1) .
Cette protection des savoirs traditionnels autochtones par les
principes, règles et obligations qui découlent du droit
international de la propriété littéraire et artistique et
qui transitent, en filigrane, dans l'annexe VII de l'accord de Bangui reste
insuffisante et incomplète . Leur application dans les
législations nationales relatives aux droit d'auteur et droits connexes
traduit une protection des savoirs traditionnels à
géométrie variable (2) . Une protection qui renvoie
généralement aux folklores et aux oeuvres inspirées du
folklore .
1- La protection en filigrane des savoirs
traditionnels par les règles conventionnelles de droit d'auteur et
droits connexes: une protection insuffisante et
incomplète
D'une manière générale, la protection
internationale par le droit d'auteur et droits connexes est fondée sur
un corpus de normes internationales . Au premier rang de ces textes de
portée mondiale, on compte : la Convention de Berne pour la
protection des oeuvres littéraires et artistiques du 9 septembre
1886 qui a fait l'objet de plusieurs révisions . L'examen de son article
2 alinéa 1 qui dispose que « [l]es termes oeuvres
littéraires et artistiques comprennent toutes les productions des
domaines littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode
ou la forme d'expression [...] » donne lieu à une ouverture non
exhaustive dans laquelle on peut insérer la protection de certaines
formes de savoirs traditionnels autochtones à savoir les oeuvres du
folklore, inspirées du folklore ou les expressions culturelles
traditionnelles . Mais on pourrait citer aussi la Convention de Rome sur la
protection des artistes interprètes ou exécutants, des
producteurs de programmes et des organismes de radiodiffusion du 26
octobre 1961 .
43 . Le Préambule de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 vise l'ensemble du corpus juridique international de la
propriété intellectuelle . Parmi ce bloc de textes internationaux
pertinents, on compte ceux qui portent sur la propriété
littéraire et artistique .
546 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
Selon le principe des droits minimums, les
États parties doivent prévoir un niveau minimum de protection
comme envisagé dans les textes internationaux en matière de droit
d'auteur et des droits connexes dont ils sont signataires . Seulement, en
raison de leur nature particulière, certaines formes de savoirs
traditionnels autochtones ne répondent parfois pas aux conditions pour
bénéficier d'une protection au titre du droit d'auteur ou des
droits connexes . Ainsi donc, certains critères, principes et
règles énoncés dans ces textes internationaux transitent
par l'Annexe VII de l'Accord de Bangui avant d'être transposés
dans les « Codes locaux » des États membres . La prise en
compte de ces principes, critères ou obligations restreignent
considérablement les éventualités d'une protection des
savoirs traditionnels au titre de droit d'auteur et droits connexes .
Prima facie, au nombre de ces principes
internationaux généraux, on parlerait du principe de
titularité du droit d'auteur ou des droits connexes . Par
définition, le titulaire est l'auteur (le créateur)
d'une oeuvre44 littéraire, artistique ou scientifique, celui
qui a la paternité de celle-ci et qui peut se prévaloir des
droits moraux et patrimoniaux sur son oeuvre . Il peut s'agir d'une personne
physique ou morale (publique ou privée), de cotitulaires ou même
d'héritiers .
Cependant, si le droit d'auteur vise à
récompenser les créateurs (titulaires) des oeuvres en leur
octroyant des droits, alors cette protection s'applique difficilement à
une certaine forme de savoirs traditionnels autochtones . En effet, il est
établi que « les savoirs traditionnels sont un ensemble vivant de
connaissances qui sont élaborées, préservées et
transmises d'une génération à l'autre au sein d'une
communauté [...] » . Cette transmission
intergénérationnelle est donc basée sur un cycle continuel
de sorte qu'il est difficile de remonter sur plusieurs
générations pour identifier clairement le titulaire d'une
connaissance, d'une pratique ou d'un savoir-faire ancestral . Le critère
de titularité est aussi difficile à établir dans la mesure
où certaines formes de savoirs traditionnels sont intercommunautaires et
transfrontalières45 .
44 . Voir à ce titre l'article 32 de l'Annexe VII de
l'Accord de Bangui du 14 février 2015 sur la propriété
littéraire et artistique qui dispose que « [l]'auteur d'une oeuvre
est le titulaire originaire des droits moraux et patrimoniaux sur son oeuvre
» .
45 . Geoffroy Filoche, « Les connaissances, innovations
et pratiques traditionnelles en matière de biodiversité : un
kaléidoscope juridique » (2009) 72-2 Droit et société
433 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
547
Ensuite, on peut évoquer le principe de
territorialité pour dire que la protection par le droit d'auteur
est de nature territoriale . Rappelons que dans le cadre de la
propriété intellectuelle, la territorialité est
le principe selon lequel le champ d'application d'une règle et le
bénéfice d'une protection par un titre de propriété
intellectuelle sont limités dans un espace territorial bien
déterminé . On peut aussi parler du critère de
l'originalité, car, pour être protégées au
titre du droit d'auteur, les oeuvres littéraires ou artistiques doivent
être originales . Or, il est souvent difficile que des savoirs
traditionnels autochtones issus d'une transmission ancestrale et
intergénérationnelle puissent revêtir un caractère
original .
La difficulté est plus évidente, car il faut
rappeler que le concept « d'originalité » est une notion
caméléon46 qui n'est pas définie dans les
textes internationaux pertinents sur le droit d'auteur et les droits connexes,
même dans le cadre des droits nationaux . Cette notion est laissée
à la libre interprétation des juridictions internes47
.
Enfin, on pourrait terminer par le principe de la
durabilité d'une protection au titre du droit d'auteur, dont, la
durée minimale internationalement prévue est de
généralement 50 années48 . Cependant, la
durabilité ne signifie pas une pérennité ou la
non-limitation de la protection puisqu'à terme, l'oeuvre
protégée doit tomber dans le domaine public . Or, le plus
souvent, les savoirs traditionnels sont conçus pour être
perpétués d'une génération à une autre .
À ce titre, dans certaines législations nationales, on a
estimé que leur protection était sans limitation de
temps49 .
46 . Pour reprendre la belle expression du professeur Prieur
pour désigner le caractère insaisissable de la notion de
l'environnement, voir Michel Prieur, Droit de l'environnement,
7e éd, Précis Dalloz (Droit privé/Droit
public), Paris, Dalloz, 2016, à la p 1 .
47 . Sur cette question, voir par exemple Nicolas Berthold,
« L'harmonisation de la notion d'originalité en droit d'auteur
» (2013) 16:1-2 The Journal of World Intellectual Property 58 ; Basile
Ader, « L'évolution de la notion d'originalité dans la
jurisprudence » (2005) 34:2 LEGICOM 43 .
48 . Voir les articles 7 de la Convention de Berne pour la
protection des oeuvres littéraires et artistiques et 12 de l'Accord sur
les ADPIC . Dans le cadre l'Annexe VII de l'Accord de Bangui, l'article 22 fixe
la durée pour la protection au titre de droit d'auteur à 70 ans
et l'article 55 fixe la durée au titre des droits connexes à 50
ans .
49 . Sur les incompatibilités dans la
détermination de la durée pour la protection de certains savoirs
traditionnels, l'article 16 de la loi no 24/82 du 7 juillet 1982 sur
le droit d'auteur et les droits voisins dispose que « les oeuvres du
folklore national sont protégées sans limitations de temps »
. Il en est de même de l'article 7 de la loi gabonaise no 1/87
du 29 juillet 1987 instituant la protection du droit d'auteur et des droits
voisins .
548 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
Mais cette protection découle des textes internationaux
sur le droit d'auteur et droits voisins auxquels les États membres de
l'OAPI ont adhéré, en les intégrant dans l'Accord de
Bangui et partant dans son Annexe VII . Seulement, ces principes,
critères et règles généraux étant
d'application minimale, chaque État membre a procédé
à une transposition dans leur législation respective, ce qui
traduit une forme de géométrie variable dans la protection des
savoirs traditionnels .
2- La protection des savoirs traditionnels
autochtones, transposée dans les législations locales de droits
d'auteurs et droits connexes: une protection à géométrie
variable
L'hétérogénéité des textes
de droit interne sur la protection au titre du droit d'auteur et des droits
voisins est la particularité du système de l'OAPI dans
l'organisation des droits relatifs à la propriété
littéraire et artistique . En effet, en plus de l'Annexe VII de l'Accord
de Bangui sur la propriété littéraire et artistique,
certains États membres disposent également des textes internes
spécifiques en la matière . Cependant, quelle est la place de ces
textes de droit interne dans la protection des savoirs traditionnels
autochtones?
Généralement, les lois nationales des
États membres sur le droit d'auteur et droits connexes portent sur la
protection du folklore et des oeuvres inspirées du folklore . La
définition du concept de « folklore » varie d'un pays à
un autre50, il en est de même du concept « oeuvres
inspirées du folklore »51 .
Le caractère mosaïque des lois nationales sur le
droit d'auteur et les droits connexes se justifie aisément . En effet,
l'article 5 alinéa 2 du même Accord de 2015 exclut cependant
l'Annexe VII relative à la propriété littéraire et
artistique du champ des matières relevant d'une protection directe au
sein des États membres52 . En effet, il découle des
prévisions de cet article que si les Annexes relevant de la
50 . Voir l'article 2 al . 10 de la loi no 2000/011
du 19 décembre 2000 relative au droit d'auteur et aux droits voisins au
Cameroun et l'article 15 de la loi congolaise sur le droit d'auteur et droits
voisins . De même que l'article 6 al . 2 de la loi gabonaise du 29
juillet 1987 .
51 . Voir l'article 6 al . 3 de la gabonaise suscitée
et l'article 2 al . 9 de la loi camerounaise .
52 . Voir l'article 5 al . 2 de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 qui dispose: « Dans les États membres, le
présent Accord et ses Annexes tiennent lieu de lois relatives aux
matières qu'ils visent . Ils y abrogent ou empêchent
l'entrée en vigueur de toutes les dispositions contraires . L'Annexe VII
relative à la propriété littéraire et artistique
est un cadre normatif minimal » .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
549
propriété industrielle sont d'application
directe et font donc office de lois nationales au sein des États
membres, l'Annexe VII est un « cadre normatif minimal » . Il s'agit
là d'un revirement lexical juridique avec des conséquences bien
profondes sur l'avenir d'une protection des oeuvres littéraires et
artistiques dans les pays membres, car l'Accord de 1999 à son article 4
alinéa 2 étendait le caractère de « régime
commun et d'application directe » à toutes les Annexes y compris
l'Annexe VII53 . Ainsi donc, ce « régime commun »
que prévoyait l'article 1er de l'Annexe VII de l'Accord de
1999 a longtemps suscité une grande controverse54, car si ce
texte était à l'image des autres Annexes d'application uniforme
et directe dans chacun des États membres, alors pourquoi ces mêmes
États disposaient-ils de textes de droit interne sur le droit d'auteur
et les droits connexes?
Si l'article 5 alinéa 2 vient donc lever cette
ambiguïté sur la portée normative de l'Annexe VII de
l'Accord de 2015, des problèmes de contrariété demeurent
toujours, car de nombreux États d'Afrique centrale membres de l'OAPI
n'ont toujours pas réaménagé leurs législations
nationales pour mieux les arrimer à la nouvelle donne de l'Annexe VII et
aux objectifs d'intégrer la protection des savoirs traditionnels par le
droit d'auteur . Ce retard n'est pas sans conséquence sur le
régime de protection des savoirs traditionnels autochtones . En effet,
l'un des aspects que les nouvelles lois nationales sur le droit d'auteur et les
droits connexes doivent intégrer est « la protection des savoirs
traditionnels » .
Mais la protection des savoirs traditionnels autochtones ne
relève pas seulement de la propriété littéraire et
artistique . On peut également envisager une protection au moyen du
système classique de propriété industrielle .
53 . L'article 4 al . 2 de l'Accord de Bangui du 24
février 1999 dispose que « [l]'Accord et ses Annexes (y compris
l'Annexe VII) sont applicables dans leur totalité à chaque
État qui le ratifie ou qui y adhère» . Cette
prévision est aux antipodes de l'article 5 al . 2 de l'Acte du 14
décembre 2015 qui exclut l'Annexe VII de ce champ pour en faire un cadre
normatif minimal . Sur l'affirmation d'un « régime commun »,
voir aussi l'article 1er de l'Annexe VII de l'Accord de 1999 .
54 . Laurier Yvon Ngombé, « Du «régime
commun» au «cadre normatif minimal»: retour sur la
supranationalité du texte de l'OAPI sur la propriété
littéraire et artistique » (2018) 154 Revue Lamy Droit de
l'Immatériel 1 .
550 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
55 . Voir les articles 1er al . 1a) et 5 al . 2 de
l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015 qui instituent un régime
uniforme de protection de la propriété industrielle .
B- La protection des savoirs traditionnels autochtones
par les titres de propriété industrielle : une protection parfois
inadaptée et inefficace
Le droit de l'OAPI sur la propriété industrielle
est essentiellement constitué de neuf annexes (à l'exception,
rappelons-le, de l'Annexe VII) qui organisent la protection au titre de chaque
domaine . Qu'il s'agisse de l'annexe sur les brevets, les marques, les
indications géographiques, les dessins et modèles industriels,
les obtentions végétales etc ., ces Annexes sont d'application
directe sur le territoire de chaque État membre . Elles tiennent donc
lieu de lois dans les États membres55 et, à ce titre,
elles abrogent ou empêchent l'entrée en vigueur de toutes
dispositions contraires . S'agissant du lien entre les matières de la
propriété industrielle et les savoirs traditionnels autochtones,
il faut retenir que ces éléments peuvent conférer une
protection abordée sous deux angles, à savoir : celui de la
protection défensive et celui d'une protection dite positive . C'est
donc avec intérêt qu'il nous faudra examiner l'ambivalence de
cette protection qui au regard de chaque aspect de la propriété
industrielle peut s'avérer tantôt inadaptée, tantôt
inefficace (1) .
Mais la mise en évidence des lacunes et de
l'inefficacité d'une protection des savoirs traditionnels par les
systèmes classiques ou conventionnels de la propriété
industrielle tient aussi du fait d'un antagonisme entre les principes et les
règles qui régissent cette matière avec la nature, le
contenu et les caractéristiques des savoirs traditionnels autochtones
(2) .
1- L'ambivalence d'une protection des savoirs
traditionnels par la propriété industrielle: une protection
défensive et positive
Cette ambivalence tient du fait que la protection des savoirs
traditionnels par le système de propriété industrielle
peut être envisagée selon deux facettes, à savoir une
protection dite défensive (a) et une protection dite positive (b) . Dans
une approche globale, l'une de ces facettes ne peut aller sans l'autre, on
parle alors d'une protection complémentaire ou exhaustive .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
551
a- La protection défensive
Par principe, la protection défensive désigne
toutes les mesures qui consistent à interdire ou à empêcher
toutes les personnes étrangères à une communauté
autochtone d'acquérir de manière illicite les droits de
propriété intellectuelle sur les savoirs traditionnels
autochtones ou des objets relevant de ceux-ci56 .
Elle constitue donc un véritable obstacle aux
différentes formes d'appropriation illégale des droits de
propriété intellectuelle qui découlent des savoirs
traditionnels autochtones . Dans le cadre de la propriété
industrielle, cette protection peut être envisagée pour faire
obstacle à l'enregistrement des marques, des brevets, des modèles
d'utilité, des indications géographiques ainsi que des dessins et
modèles industriels . S'agissant des marques, l'article 2 alinéa
1er de l'Annexe III de l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015 dispose
que : « Est considérée comme marque de produit ou de
service, tout signe visible ou sonore utilisé ou que l'on se propose
d'utiliser et qui est propre à distinguer les produits ou les services
d'une personne physique ou morale . »57
Ainsi, on peut constater aisément que les noms,
symboles, emblèmes et autres signes distinctifs autochtones peuvent
être utilisés comme des marques de produit, de service et
même des marques collectives ou de certification . Pour faire l'objet
d'un enregistrement, les marques doivent répondre à un certain
nombre de conditions, notamment : elles ne doivent pas être «
contraires à l'ordre public, aux bonnes moeurs ou aux lois » ni
« susceptibles d'induire en erreur le public ou les milieux commerciaux,
notamment sur l'origine géographique, la nature ou les
caractéristiques des produits ou services considérés
»58 . De ce fait, une communauté autochtone peut
s'oppo-ser à l'enregistrement d'une marque, lorsque l'utilisation du
signe distinctif est offensante et porte atteinte à
l'intégrité ou à la dignité de la communauté
autochtone59 . Tel peut être aussi le cas lorsque
56 . Hilty, Batista et Carls, supra note 34 .
57 . Cette définition est quasi similaire à celle
de l'article 15 de l'Accord sur les ADPIC .
58 . Voir l'article 3 al . 1c) de l'Annexe III de l'Accord de
Bangui du 14 décembre 2015 .
59 . On peut établir un lien entre les lois sur la
propriété industrielle et les lois portant la protection des
populations autochtones . En effet, une action tendant à s'opposer
contre l'enregistrement d'une marque peut s'appuyer sur le motif que la marque
serait contraire à une loi portant protection des populations
autochtones ou qu'elle serait susceptible de porter atteinte à
l'intégrité ou à la dignité d'une population
autochtone .
552 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
l'enregistrement vise une utilisation trompeuse des noms,
symboles ou emblèmes appartenant au peuple autochtone .
Le système de protection défensive peut
s'appliquer aussi sur les indications géographiques . En effet, dans ce
cas d'espèce, celles-ci peuvent être entendues comme toutes
indications utilisées sur des produits (étant
intrinsèquement ou substantiellement liés à un savoir
traditionnel) qui ont une origine géographique précise et qui
possèdent des qualités, une notoriété ou des
caractéristiques essentiellement tributaires de ce lieu
d'origine60 . En Afrique, généralement, les savoirs
traditionnels et expressions culturelles traditionnelles ont un lien direct
avec une région ou une localité dans laquelle est établie
une communauté autochtone et, le plus souvent, les produits agricoles,
artisanaux ou naturels sont le résultat des procédés
traditionnels, d'un savoir-faire et des connaissances issus d'une transmission
de génération en génération .
Ainsi, quand bien même les indications
géographiques ne protégeraient pas directement les savoirs
traditionnels, les communautés autochtones issues des lieux d'origine
géographique et détentrices des savoir-faire ou des
procédés qui confèrent à un produit les
caractéristiques essentielles à sa notoriété
peuvent s'opposer à toutes les formes d'appropriation illégale de
ces indications par des tiers .
S'agissant des brevets, il faut souligner qu'en Afrique
centrale, la protection défensive, quoique n'étant pas
exploitée, serait considérée comme le moyen par excellence
pour lutter contre le phénomène de la biopiraterie et
d'appropriation abusive des savoirs traditionnels autochtones associés
aux ressources génétiques . En effet, dans ces pays, le droit des
brevets a toujours été considéré comme un
système de spoliation et de pillage des savoirs traditionnels
autochtones, surtout ceux associés aux ressources
génétiques .
Rappelons que le brevet peut être entendu comme un titre
juridique qui protège une invention61 et confère
à son titulaire des droits exclusifs limités dans le temps et
dans l'espace, et ce, en échange de la divulgation de son invention .
L'article 27 alinéa 1 de l'Accord sur les ADPIC fixe (a
minima) les conditions de la brevetabilité qui ont
60 . Sur la définition des indications
géographiques voir : l'article 1er al . 1a) de l'Annexe VI de
l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015 .
61 . Sur la définition d'un « brevet », voir
l'article 1er al . 1 de l'Annexe I de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
553
été transposées dans les
législations régionales62 ou nationales63
des pays d'Afrique centrale . En effet, pour être brevetable, l'invention
doit être : nouvelle, impliquer une activité inventive et
susceptible d'appli-cation industrielle . Ainsi, les Communautés
autochtones ou même les gouvernements peuvent empêcher
l'acquisition des brevets sur la base de savoirs traditionnels en instituant
des moyens juridiques pour inscrire leurs savoirs traditionels dans
l'état de la technique64 . Cette divulgation d'un savoir
traditionnel (par la publication, la fixation, l'enregistrement65 ou
par tout autre critère juridique) avant le dépôt d'une
invention conçue à travers celui-ci aura pour effet
d'empêcher la satisfaction du critère de nouveauté, sans
lequel l'invention ne peut être brevetable . Mais ces États
peuvent aussi exiger dans leur texte que les demandeurs de brevet fassent
mention du savoir traditionnel et de son origine dans la divulgation .
Mais comme nous l'avons souligné en amont, la
protection défensive peut être appliquée de manière
complémentaire à la protection positive dans le cadre d'une
protection complète ou exhaustive .
b- La protection positive
D'une manière générale, la protection
positive des savoirs traditionnels autochtones par les mécanismes de
propriété industrielle consiste dans l'octroi, au
bénéfice des communautés autochtones, des droits de
propriété intellectuelle et l'exercice de ces droits pour
promouvoir leurs savoirs traditionnels et leur exploitation à des fins
économiques66 . Certains États d'Afrique centrale ont,
dans ce sens, introduit des dispositions relatives à cette forme de
protection dans leurs lois portant sur la protection des populations
autochtones, c'est le cas de l'article 15 de la loi no 5-2011 du 25
février 2011 portant
62 . L'Annexe I de l'Accord de Bangui sur les Brevets
d'invention qui s'applique de façon directe et uniforme au sein des
États membres de l'OAPI fixe les conditions de brevetabilité
à son article 2 al . 1 .
63 . Au titre d'une législation nationale, l'article 6
de la loi no 82-01 du 7 janvier 1982 portant propriété
industrielle en République démocratique de Congo détermine
les mêmes conditions de brevetabilité .
64 . Aux termes de l'article 3 al . 2 de l'Annexe I de
l'Accord de Bangui : « L'état de la technique est constitué
par tout ce qui est rendu accessible au public, quels que soient le lieu, le
moyen ou la manière, avant le jour du dépôt de la demande
de brevet ou d'une demande de brevet déposée à
l'étranger et dont la priorité a été valablement
revendiquée . »
65 . Les articles 248 à 254 de la loi no
1/13 du 28 juillet 2009, relative à la propriété
industrielle au Burundi, prévoient l'enregistrement de toutes les formes
des savoirs traditionnels .
66 . Bhaduri, supra note 33 .
554 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
67 . Michel Innocent Peya, Le Bassin du Congo. Monde sans
lui, monde sans vie, L'Harmattan, 2021 .
promotion et protection des droits des populations autochtones
en République du Congo qui garantit les droits de
propriété intellectuelle des populations autochtones
résultant de l'utilisation et de l'exploi-tation de leurs savoirs
traditionnels .
C'est ainsi que la notoriété qui s'attache
à certains noms, signes, symboles ou emblèmes autochtones peut
servir à la promotion d'une communauté autochtone, lorsque ces
signes distinctifs sont enregistrés comme une marque de produit,
service, collective ou de certification . De même, le savoir-faire, la
maîtrise des procédés traditionnels détenue par une
communauté autochtone qui confère à un produit agricole ou
artisanal des caractéristiques particulières peuvent donner lieu
à une protection au titre d'indications géographiques . Il faut
relever que dans les pays d'Afrique centrale, région qui couvre
également l'aire géographique des Bassins du Congo67,
considérée comme deuxième poumon écologique du
monde et qui regorge d'une biodiversité riche en ressources
génétiques auxquelles sont attachés des savoirs
traditionnels, la question des rapports entre le droit des brevets et les
savoirs traditionnels médicinaux suscitent plusieurs réactions
.
En effet, pendant longtemps, dans ces pays, on a
considéré que les brevets constituaient un instrument
d'appropriation illicite des savoirs traditionnels autochtones
médicinaux . Pourtant dans les pays développés, les
brevets délivrés sur la base des savoirs traditionnels
autochtones ou locaux sont devenus un véritable vecteur
d'émanci-pation économique pour ces communautés . C'est
ainsi qu'en 2001, la Chine a délivré 3 300 brevets pour des
innovations dans le domaine de la médecine chinoise traditionnelle . Au
Canada, certaines communautés autochtones telles que les Haïdas et
les Cherokees ont vu leurs noms, symboles et emblèmes être
utilisés au titre des marques par des sociétés non
autochtones pour commercialiser divers produits et services . En
Nouvelle-Zélande, les images de la Communauté des Maoris ont
été largement utilisées en rapport avec des marques de
jouets, des jeux vidéo, des voitures, etc .
Mais l'inefficacité d'une protection des savoirs
traditionnels par le système de la propriété industrielle
tient aussi du fait que plusieurs principes et critères qui
président à l'octroi ou à l'exercice de ces titres de
propriété sont en totale inadéquation avec le
caractère et la nature
La protection des savoirs traditionnels autochtones
555
même de ces savoirs traditionnels . C'est ainsi qu'on
examinera les antinomies de cette protection .
2- Les antinomies d'une protection des savoirs
traditionnels par la propriété industrielle
Selon le credo de la propriété industrielle, une
idée n'est pas brevetable . Autrement dit, qu'il s'agisse du droit des
marques, des dessins et modèles industriels ou des brevets, ce n'est ni
le savoir ni une idée qui est protégée68 . En
partant de ce postulat, il apparaît clairement que certains principes et
critères généraux qui gouvernent l'octroi des
différents titres de propriété industrielle sont, pour la
plupart, incompatibles à une protection directe des savoirs
traditionnels .
Pour s'en convaincre, on remarque qu'au nombre des
critères de brevetabilité, celui de la nouveauté peut
être antinomique à la protection directe des savoirs traditionnels
. En effet, le caractère immatériel et celui de la transmission
d'une génération à l'autre de ces savoirs traditionnels
peuvent remettre en cause le critère de nouveauté dans la demande
de brevetabilité d'une invention basée sur un
procédé découlant d'un savoir ancestral . Rappelons que le
critère de nouveauté, qui est une condition fondamentale et
indispensable à la brevetabilité, ne se prouve pas, seule son
absence peut être établie, et ce, lorsque ladite invention ou
ledit procédé n'existe pas dans l'état de la technique
avant la date du dépôt de la demande du brevet69 . Or,
la définition et l'étendue de l'état de la technique
varient d'un pays à un autre . Une divulgation d'un savoir traditionnel,
qui constitue la base d'une invention objet d'une demande de brevet, par voie
écrite, orale ou par usage peut être constitutive d'un acte de
destruction du critère de nouveauté et, par conséquent, un
motif de la non-brevetabilité .
Les antinomies concernent aussi les principes de
territorialité, de titularité et de durée des titres de
propriété industrielle qui sont parfois en inadéquation
avec la nature et les caractéristiques mêmes des savoirs
traditionnels . En effet, qu'il s'agisse des brevets, des marques, des
indications géographiques ou des dessins et modèles industriels,
l'octroi et l'exercice de ces titres de propriété industrielle
68 . Selon un arrêt de la Cour de Cassation
française (Cass, 1re Civ, 13 novembre 2008) « une
idée fût-elle originale, ne saurait bénéficier de la
protection du droit d'auteur » .
69 . L'article 2 al . 3 de l'Annexe I sur les inventions
brevetables de l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015, dispose que
« [s]ous réserve des dispositions de l'alinéa 2
précédent, tout substance comprise dans l'état de la
technique n'est exclue de la brevetabilité pour autant qu'elle fasse
l'objet d'une utilisation nouvelle » .
556 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
sont limités dans le temps (la temporalité) et
dans l'espace (la territorialité) et ceux-ci ne peuvent être qu'au
bénéfice d'une personne physique ou morale (titularité) .
Seulement, de par leur nature, les savoirs traditionnels autochtones sont
transmissibles d'une génération à l'autre . Cette
idée de perpétuation est antinomique à une limitation
d'une protection dans la durée . De même, ces savoirs
traditionnels ont souvent un caractère transfrontalier, or, un titre de
propriété industrielle ne produit ses effets que dans un espace
géographique déterminé, qui peut être
régional (dans le cadre de l'OAPI) ou national .
II- LE RECOURS À DES SYSTÈMES PALLIATIFS DE
PROTECTION DES SAVOIRS TRADITIONNELS DANS LES PAYS D'AFRIQUE CENTRALE MEMBRES
DE L'OAPI
La prise de conscience de l'importance, du rôle et de la
valeur des savoirs traditionnels dans les pays d'Afrique centrale ainsi que la
nécessité de leur protection par les systèmes classiques
ou conventionnels de propriété intellectuelle a fini par
révéler les limites et les insuffisances de ces systèmes .
À ce jour, il y a lieu de s'interroger sur l'avenir des
mécanismes de protection des savoirs traditionnels autochtones en
Afrique centrale . La réponse à cette question appelle à
une double construction . D'abord, le recours à un système de
protection susceptible de répondre à des besoins et à des
difficultés qu'un régime classique ne satisfait pas . C'est dans
ce sens que la construction d'un système de protection sui generis
est nécessaire . Dans cette perspective, les pays membres de l'OAPI
ont adopté le 26 juillet 2007 à Niamey au Niger un Accord
relatif à la protection des savoirs traditionnels, qui est un Accord
additif à l'Accord de Bangui du 24 février 1999 .
Cet instrument communautaire qui vise la protection des
détenteurs des savoirs traditionnels contre les atteintes aux droits qui
leur sont reconnus peut être considéré comme un cadre
sui generis applicable aux États membres de l'OAPI . Seulement,
la construction d'un nouveau cadre juridique mieux adapté à la
protection des savoirs traditionnels autochtones ne suffit pas, encore faut-il
examiner la compétence judiciaire et la matière contentieuse en
lien avec cette question (A) . En effet, au niveau de l'OAPI, bien que les
États membres ont renoncé à une partie de leur
souveraineté en adoptant une législation uniforme en
matière de propriété intellectuelle et en instituant un
office commun, l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015 a
réaffirmé la compétence des juridictions civiles et
pénales au
La protection des savoirs traditionnels autochtones
557
plan national en matière de propriété
intellectuelle et par conséquent du contentieux qui résulte de la
protection des savoirs traditionnels autochtones .
Mais, comme nous l'avons déjà
évoqué, la protection des savoirs traditionnels autochtones est
une question transversale, l'envisager uniquement sous l'angle des
systèmes classiques ou même sui generis de
propriété intellectuelle serait comme voir le verre à
moitié vide . Rappelons que depuis l'adoption de la Convention sur
la diversité biologique (ci-après « CDB ») et
mieux, avec le protocole de Nagoya en 2010, la question de la protection des
connaissances traditionnelles autochtones associées aux ressources
génétiques grâce au mécanisme APA est
considérée comme un système de protection des savoirs
traditionnels adopté par les États membres de la Commission des
forêts d'Afrique centrale (ci-après « COMIFAC ») . On
peut aussi parler d'une protection de leurs savoirs traditionnels sous un angle
culturel à travers les Conventions de l'UNESCO, sur le patrimoine
culturel immatériel (B) .
A- La nécessité de recourir à un
système de propriété intellectuelle mieux adapté
à la protection des savoirs traditionnels autochtones
L'objet d'une protection par les systèmes de
propriété intellectuelle n'est pas statique, ses principes,
critères et règles s'inscrivent plutôt dans un processus
évolutif70 . Si, dans certains domaines, les systèmes
classiques de propriété intellectuelle ont réussi à
s'adap-ter malgré les multiples avancées technologiques, dans
d'autres domaines, en revanche, il est nécessaire de concevoir de
nouveaux systèmes susceptibles de répondre à une
protection mieux adaptée . C'est ainsi, par exemple, que pour
répondre aux besoins essentiels des variétés
végétales, un système sui generis avait
été mis en place à travers l'adoption de la Convention
internationale pour la protection des obtentions végétales
(ci-après « UPOV »)71 . Il en est donc de
même pour la protection des savoirs traditionnels et expressions
culturelles
70 . Denis L Bohoussou, « Préface » dans Max
Lambert Ndéma Elongué et Joseph Fometeu, dir, WIPO Collection
of Leading Judgments on Intellectual Property Rights: Members of the African
Intellectual Property Organization (1997-2018), Genève, OMPI, 2023
.
71 . Konstantia Koutouki, Nicole Matip et Serges Kwembou,
« La protection des variétés végétales en
Afrique de l'ouest et centrale » (2011) 41:1 Revue de droit
Université de Sherbrooke 133 .
558 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
traditionnelles72 . Si pour certains pays d'Afrique
membres de l'ARIPO, ce pas a été franchi avec l'adoption du
Protocole de Swakopmund en 2010, pour les pays membres de l'OAPI, cette
construction se traduit à travers l'Accord relatif à la
protection des savoirs traditionnels additifs à l'Accord de Bangui,
acte du 24 février 1999 qui a été adopté le 26
juillet 2007 à Niamey au Niger (1) .
Cependant, la nécessité d'une double
sécurité juridique et judi-ciaire appelle non seulement à
la construction d'un régime juridique sui generis uniforme,
mais aussi à celle d'une juridiction communautaire
spécialisée dans la propriété intellectuelle . Or,
en l'état actuel de l'Accord de Bangui, la compétence
contentieuse reste l'apanage des juridictions nationales . Celles-ci sont donc
compétentes pour connaître des litiges nés de la protection
des savoirs traditionnels (2) .
1- Le recours à un système sui
generis comme un régime plus adapté à une protection
efficace des savoirs traditionnels autochtones
Rappelons que, d'une manière générale, la
protection des savoirs traditionnels qui découle des systèmes
classiques de propriété intellectuelle est
considérée comme insuffisante et inadéquate lorsqu'il
s'agit de prendre en compte la nature et le caractère unique des savoirs
traditionnels . Il est donc indispensable pour les États d'Afrique
centrale membres de l'OAPI d'envisager la construction d'un système
sui generis de protection de leurs savoirs traditionnels qui soit
adapté à leur réalité . On comprend donc que
l'objet d'un tel système est de répondre aux besoins et à
des difficultés auxquels les systèmes classiques existants
n'apportent pas de véritables solutions adaptées . Ainsi, en
droit de propriété intellectuelle, un système devient
sui generis lorsque, dans sa construction, certains
éléments sont pris en compte pour mieux s'adapter aux besoins
particuliers de la matière qu'il réglemente .
L'option de recours à un système sui generis
de propriété intellectuelle est envisagée par le
Cameroun dans sa nouvelle loi no 2021/014 du 9 juillet 2021 régissant
l'accès aux ressources génétiques, à leurs
dérivés, aux connaissances traditionnelles associées et le
partage juste et équitable des avantages issus de leur utilisation . En
effet, elle dispose à l'article 19 alinéa 1 :
72 . Nicole Florence Matip et Konstantia Koutouki, « La
protection juridique du folklore dans les États membres de
l'Organisation africaine de la propriété intellectuelle »
(2008) 21:1 RQDI 243 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
559
Loin de nous l'idée de faire une analyse point par
point des éléments de cet accord pour en déterminer
l'efficacité ou non, il faut
L'État garantit des mesures pour assurer la protection
des droits de propriété intellectuelle des communautés
relatives aux connaissances traditionnelles associées, notamment par
l'utilisation des systèmes de propriété intellectuelle
existants, de droit de propriété intellectuelle adapté et
de nouveaux systèmes sui generis autonomes .
Ce pays étant membre de l'OAPI, on peut estimer qu'en
évoquant les systèmes sui generis de
propriété intellectuelle, le législateur camerounais de
2021 se réfère à la législation de l'OAPI .
Parlons de l'Accord relatif à la protection des
savoirs traditionnels additif à l'Accord de Bangui instituant l'OAPI
(acte du 24 février 1999) adopté le 26 juillet 2007 à
Niamey au Niger . On peut s'interroger si celui-ci répond
véritablement aux besoins particuliers d'une protection efficace des
savoirs traditionnels dans le contexte des États d'Afrique centrale .
À ce sujet, il faut simplement répondre que l'efficacité
d'un instrument sui generis de protection des savoirs traditionnels ne
peut être déterminée qu'à travers un examen des
différents éléments pris en compte dans sa construction ;
il s'agit entre autres : de ses objectifs, son objet, l'étendue de sa
protection, les bénéficiaires de cette protection, la
durée de celle-ci, les droits administrés, les sanctions et les
voies de recours applicables, etc .
S'agissant de l'objet, l'article 1er alinéa
1 dispose que cet accord a pour objet la protection des détenteurs des
savoirs traditionnels contre toute atteinte aux droits qui leur sont reconnus .
Il résulte de cette disposition que l'objectif du législateur
communautaire est d'assurer une préservation et une répression
contre toutes les formes d'appropriation et d'utilisation abusive,
déloyale et inéquitable des savoirs traditionnels .
En ce qui concerne la durée de protection, l'article 11
de cet accord pose un principe à son alinéa 1er avec
une protection quasi permanente à savoir : « aussi longtemps que
ces savoirs remplissent les critères de protection visés à
l'article 2 » . Ces critères de préservation sont : la
transmission intergénérationnelle, l'identification
intrinsèque à une communauté autochtone et
l'indissociabilité à l'identité de la communauté .
L'exception à ce principe est prévue à l'alinéa 2,
notamment lorsque les savoirs appartiennent à une personne physique,
dans ce cas, cette protection est fixée pour une durée de 25 ans
.
560 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
simplement voir en cet accord additif une volonté de
l'OAPI à faire un pas de plus dans la modernisation de sa
législation communautaire . L'institution à l'image de l'ARIPO
avec le Protocole de Swakopmund du 9 août 2010, s'inscrit dans une vision
de valorisation et de protection des savoirs traditionnels dans ses
États membres .
2- L'importance d'une compétence contentieuse
des juridictions dans la protection des savoirs traditionnels autochtones par
la propriété intellectuelle
Parlant de la compétence contentieuse des juridictions
des pays membres de l'OAPI en matière de propriété
intellectuelle, Denis . L . Bohoussou affirmait que « [d]e manière
progressive mais certaine, les juridictions de cet espace ont commencé
à marquer du sceau de leur science l'interprétation des concepts
contenus dans l'Accord de Bangui et ses annexes . Ainsi ont-elles
déjà apporté des précisions utiles à la
compréhension de plusieurs questions, notamment celles liées
à la compétence juridictionnelle [ . . .] »73, si
l'OAPI a pour mission, entre autres, de promouvoir la protection des
expressions culturelles traditionnelles et des savoirs
traditionnels74 . Cette protection, qui est basée sur un
droit substantiel et uniforme découlant de ses Annexes, est
appliquée en cas de contentieux par les juridictions nationales de
chaque État membre75 . Cette compétence est
bicéphale et relève des juridictions civiles (au fond et en
matière des référées) et des juridictions
pénales .
Ainsi, dans le cadre d'une protection par le droit des
brevets, aux termes des dispositions de l'Annexe I sur les brevets d'invention,
les communautés autochtones peuvent intenter des actions en
indem-nisation76, en nullité, déchéance,
contestation ou en revendication de propriété77 d'un
brevet devant les juridictions nationales compétentes . Cette
possibilité est cependant conditionnée par le fait qu'elles
doivent justifier d'un intérêt à agir78 . Elles
sont également compétentes dans
73 . Bohoussou, supra note 70 .
74 . Voir l'article 2 al . 1j) et k) de l'Accord de Bangui du 14
décembre 2015 .
75 . L'article 4 al . 1 de l'Accord dispose que « [s]auf
stipulations particulières d'une convention signée par les
États membres, les litiges relatifs à la reconnaissance, à
l'étendu ou à l'exploitation des droits prévus par le
présent Accord et ses annexes sont de la compétence des
juridictions des États membres, celles-ci sont seules compétentes
pour le contentieux pénal y afférent » .
76 . Article 10 .
77 . Article 61 .
78 . Voir les articles 46 et 47 de l'Annexe I de l'Accord de
Bangui du 14 décembre 2015 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
561
l'octroi des licences non volontaires79 . L'article
59 du même Annexe illustre parfaitement cette compétence
bicéphale reconnue au juge civil et pénal au niveau
national80 .
Dans le cadre d'une action en contrefaçon devant le
juge pénal, une Communauté autochtone cotitulaire d'un brevet
peut mettre en mouvement l'action publique (ou pénale) concurremment
avec le Procureur de la République, charge à la communauté
de prouver le préjudice qu'elle a subi du fait de la contrefaçon
. La compétence des juridictions des États membres s'étend
aux modèles d'utilité81, à des
marques82, etc .
En réalité, la construction d'une
compétence contentieuse de juridictions nationales en matière de
propriété intellectuelle découle d'une affirmation
progressive par les juges d'États membres dans la connaissance de ce
contentieux . Dans ce sens, le Tribunal de grande instance de Wouri
à Douala au Cameroun s'est déclaré compétent pour
connaître des oppositions, de la nullité et de la radiation des
marques83 . Cette compétence, faut-il le rappeler se
veut indépendante des procédures administratives internes
à l'OAPI . Mais, dans certains cas, les décisions rendues par le
Directeur général ou par la Commission supérieure de
recours peuvent servir de base ou même influencer le juge
national84 . Or, on déplore parfois la qualité et la
pertinence des décisions rendues par les juridictions des États
membres en matière de propriété
intellectuelle85, ce qui peut avoir des répercussions sur la
sécurisation de leurs savoirs traditionnels . Il ne peut en être
autrement, car, si le juge national est bien outillé dans les
matières classiques du droit (droit civil, pénal...), il est
cependant mal ou pas formé sur les domaines de la
propriété intellectuelle et particulièrement celui de la
protection des savoirs traditionnels autochtones
79 . Voir les articles 50 à 55 du même texte .
80 . Le juge pénal national est saisi d'une action en
contrefaçon, celle-ci est considérée comme un acte
délictuel puni des peines d'emprisonnement et d'amende (sous
réserve des circonstances aggravantes) .
81 . Articles 37, 39, 40 et suivants de l'Annexe II de
l'Accord de Bangui du 14 décembre 2015 .
82 . Articles 8, 27, 28 .
83 . TGI du Wouri (Douala), jugement COM no 7, du 5
janvier 2012, ARAL FOODS MBA c/ . DANA Holdings Limited, voir
Max Lambert Ndéma Elongué et Joseph Fometeu, dir, WIPO
Collection of Leading Judgments on Intellectual Property Rights: Members of the
African Intellectual Property Organization (1997-2018), Genève,
OMPI, 2023, aux pp 165-166 .
84 . Voir dans ce sens, CA de Lomé, Arrêt
no 70/15 du 4 mars 2015, Gnanhoue Nazaire c/ .
Établissement Sola ; TGI du Wouri (Douala), jugement
no 218 du 19 septembre 2007, Société R.M & Co.
Limited c/ . Société C.D.M (SCDM), voir id
.
85 . Edou Edou, supra note 14 à la p 5 .
562 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
et l'obligation de dire le droit, sous peine de déni de
justice, peut le conduire à mal dire le droit sur ces
questions86 .
Il paraît donc très clair que pour les pays
membres de l'OAPI, la construction d'une compétence contentieuse
réside dans une nécessité de répondre à un
double besoin de sécurité juridique et judiciaire à
travers l'érection d'une juridiction communautaire
spécialisée dans le contentieux de la propriété
intellectuelle . Cette juridiction à l'image de la Cour Commune de
Justice des États membres de l'OHADA, pourra être dotée des
compétences dans la connaissance du contentieux en lien avec la
protection des savoirs traditionnels autochtones .
B- La nécessité de recourir à des
approches complémentaires de protection des savoirs traditionnels
autochtones
Il faut relever avec force que jusqu'à ce jour, il
n'existe pas un texte de portée mondiale spécifiquement
consacré à la protection des savoirs traditionnels et
particulièrement aux savoirs traditionnels autochtones . Il en
résulte que cette protection est fragmentée, elle est
abordée de manière disparate à travers différents
instruments internationaux, régionaux et nationaux qui offrent chacun
une approche partielle et limitée de cette protection .
À ce titre, outre la protection de ces savoirs
traditionnels par les systèmes de propriété intellectuelle
à travers le droit de l'OAPI, les pays d'Afrique centrale ont
envisagé d'autres instruments de protection de leurs savoirs
traditionnels . C'est dans ce sens qu'ils ont participé à
l'adoption de la CDB87 . Cette convention sera
considérée comme le premier instrument juridiquement contraignant
de portée mondiale à aborder une protection des «
connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et
locales qui incarnent des modes de vie traditionnelle »88 sous
un angle économique et environnemental . Dix-huit ans plus tard, dans le
but de mettre en musique le troisième objectif89 de cette
convention, un protocole sur
86 . Id à la p 6 .
87 . La Convention sur la diversité biologique a
été adoptée le 22 mai 1992 et ouverte à la
signature le 5 juin 1992 lors de la Conférence des Nations Unies sur
l'environ-nement et le développement, le 29 décembre 1993, la CDB
est entrée en vigueur .
88 . Article 8 al . 1j) de la CDB .
89 . Selon l'article 1er de la CDB, cette
convention vise trois objectifs, à savoir : la conservation de la
diversité biologique ; l'utilisation durable de ses
éléments et le partage juste et équitable des avantages
découlant de l'exploitation des ressources génétiques .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
563
l'accès aux ressources génétiques et le
partage juste et équitable des avantages découlant de leur
utilisation sera adopté le 29 octobre 2010 à Nagoya au
Japon90 . Ce protocole établit une relation entre le
mécanisme APA et les connaissances traditionnelles associées aux
ressources génétiques au bénéfice des
communautés autochtones91 . La protection des connaissances
traditionnelles autochtones associées aux ressources
génétiques est donc envisagée par les pays d'Afrique
centrale à travers la mise en oeuvre du mécanisme d'accès
et partage des avantages (1) . Ce régime de protection palliative est
abordé dans un cadre sous-régional au sein de la COMIFAC et au
niveau des États membres .
Mais la protection est aussi envisagée du point de vue
culturel à travers des instruments internationaux adoptés sous
l'égide des organismes des Nations Unies, notamment l'UNESCO et au
niveau régional . Il s'agit d'une protection qui s'inscrit dans le cadre
du patrimoine culturel immatériel (2) .
1- L'approche d'une protection des savoirs
traditionnels envisagée sous l'angle environnemental: le
mécanisme APA
La protection des savoirs traditionnels autochtones dans les
pays d'Afrique centrale membres de l'OAPI est abordée de manière
fragmentée à travers divers instruments internationaux de
portée mondiale, régionale, sous-régionale et nationale .
Dans le domaine de l'environnement, ce sont les connaissances traditionnelles
associées aux ressources génétiques des communautés
autochtones qui font l'objet d'une protection suivant le mécanisme APA
qui est introduit par l'article 15 de la CDB .
Cette disposition institue le mécanisme APA sur le
fondement du principe de la souveraineté des États sur leurs
ressources naturelles en conditionnant l'accès aux ressources
génétiques et aux connaissances traditionnelles associées
au consentement préalable donné en connaissance de cause
(ci-après « CPCC ») des communau-
90 . Catherine Aubertin et Anne Nivart, dir, La nature en
partage. Autour du protocole de Nagoya, Objectifs Suds, Marseille, IRD
Éditions, 2021 ; Konstantia Koutouki et Katharina Rogalla von
Bieberstein, « The Nagoya Protocol: Sustainable Access and
Benefits-Sharing for Indigenous and Local Communities » (2012) 13:3
Vermont Journal of Environmental Law 513 .
91 . Voir les articles 5 al . 5 ; 10 ; 11 al . 2 et 18 al . 1 du
Protocole de Nagoya .
564 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
tés autochtones et locales sur la base des conditions
convenues d'un commun accord (ci-après « CCCA ») .
Il faut rappeler que la notion d'« APA » est
née avec l'avène-ment de la CDB ; elle vise à concilier
les intérêts scientifiques et commerciaux à travers la
valorisation des ressources génétiques et des connaissances
traditionnelles avec les objectifs d'équité et de justice sociale
au bénéfice des communautés autochtones et locales des
pays en développement . Le protocole de Nagoya adopté en 2010 est
donc une large déclinaison du troisième objectif et des articles
15 et 8j) de la convention . Dans ce protocole, la question des connaissances
traditionnelles associées a été abordée de
manière transversale à travers les articles 5 alinéa 5, 7,
12 et 16 .
S'agissant des pays d'Afrique centrale et de la protection des
savoirs traditionnels envisagés sous l'angle environnemental à
travers la CDB et le protocole, il faut reconnaître que tous ces pays
sont réunis au sein de la COMIFAC et leur espace géographique
couvre les forêts du Bassin du Congo, second massif forestier au monde,
après l'Amazonie . Ces forêts comportent une riche
biodiversité à laquelle sont associées les connaissances,
innovations et pratiques traditionnelles . C'est donc pour lutter contre
l'érosion de leurs ressources biologiques et les
phénomènes d'exploitation illicite et abusive que ces pays ont
adopté le traité relatif à la conservation et à la
gestion durable des écosystèmes forestiers d'Afrique
centrale92 . La COMIFAC a comme objectif, entre autres, de
promouvoir et d'accompagner les États d'Afrique centrale dans la mise en
oeuvre des cadres APA au niveau national à travers la protection des
ressources génétiques et des connaissances traditionnelles
associées des populations autochtones et locales93 .
Dans ce sens, plusieurs pays d'Afrique centrale ont
adopté des lois ou des textes réglementaires portant sur la
protection des connaissances traditionnelles autochtones et locales sur la base
de l'APA . C'est ainsi qu'en République du Congo, la loi no
33-2020 du 8 juillet 2020 portant Code forestier vise la protection des
connais-
92 . Ce traité a été adopté le 5
février 2005 à Brazzaville (République du Congo) . Il
institue la COMIFAC à la suite de l'adoption de la Déclaration de
Yaoundé du 17 mars 1999 . Cette Déclaration sera
entérinée par la résolution no 54/214 des
Nations Unies en date du 1er février 2000 .
93 . Stratégie des pays de l'espace COMIFAC
relative à l'accès aux ressources
biolo-giques/génétiques et au partage juste et équitable
des avantages découlant de leur utilisation, Série Politique
4, Yaoundé, Commission des Forêts d'Afrique Centrale, 2011
à la p ii .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
565
sances traditionnelles des populations autochtones aux
articles 157, 158 et 246, ce dernier article sanctionnant le délit de
biopiraterie94 .
Au Cameroun, c'est la loi no 2021/014 du 9 juillet
2021 régissant l'accès aux ressources génétiques,
à leurs dérivés, aux connaissances traditionnelles
associées et le partage juste et équitable des avantages qui
découlent de leur utilisation, qui donne une définition des
« connaissances traditionnelles associées »95 et
établit un lien étroit entre l'accès à ces
connaissances et les droits de la propriété
intellectuelle96 .
Cette protection des connaissances traditionnelles des
communautés autochtones est aussi associée aux ressources
phytogénétiques, sous cet angle, elle est assurée par le
Traité international sur les ressources
phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture
(ci-après « TIRPAA »)97 auquel, les pays
d'Afrique centrale ont adhéré . Mais cette protection est aussi
basée sur une approche envisagée sous l'angle culturel et,
à ce titre, on note une superposition entre les textes internationaux,
régionaux et nationaux .
2- L'approche d'une protection des savoirs
traditionnels envisagée sous l'angle culturel: le patrimoine culturel
immatériel
La fragmentation dans les approches de protection des savoirs
traditionnels autochtones dans les pays d'Afrique centrale a pour
conséquence une hétérogénéité des
instruments internationaux et nationaux de protection, ainsi qu'une
diversité des mesures de cette protection . Aussi, on relève aux
côtés des textes de droit international de l'environnement, une
protection des savoirs traditionnels garantie
94 . L'article 246 du nouveau Code forestier du Congo
érige délit, l'infraction de biopi-raterie en ces termes : «
Toute personne qui utilise ou exploite les ressources génétiques
forestières et les connaissances traditionnelles associées, sans
autorisation du ministère chargé des forêts, sera punie
d'un emprisonnement d'un an à trois ans et d'une amende de dix millions
(10 .000 .000) à trente millions (30 .000 .000) de FCFA . »
95 . Voir l'article 7 al . 13 de la loi no 2021/014
du 9 juillet 2021, les connaissances traditionnelles associées
s'entendent : « Connaissances dynamiques et évolutives,
générées dans un contexte traditionnel, collectivement
préservées et transmises de génération en
génération et qui comprennent notamment, le savoir-faire, les
techniques, les innovations, les pratiques et l'apprentissage qui subsistent
dans les ressources biologiques et les ressources génétiques .
»
96 . Voir les articles 18, 19 et suivants de la même loi
.
97 . Voir l'article 9 du TIRPAA .
566 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
La protection des savoirs traditionnels autochtones
567
par les textes internationaux sur la culture98 .
Dans ce sens, les pays d'Afrique centrale ont adhéré à de
nombreux textes internationaux sous l'égide de l'UNESCO, ceux-ci, bien
que n'offrant pas une protection spécifique des savoirs traditionnels
autochtones, touchent néanmoins certains aspects de ces savoirs,
particulièrement les expressions culturelles traditionnelles et le
folklore . En premier lieu, nous avons la Convention pour la sauvegarde du
patrimoine culturel immatériel99 qui vise entre autres la
sauvegarde et le respect du patrimoine culturel immatériel des
communautés100 . Dans sa définition du concept de
« patrimoine culturel immatériel » à l'article 2
alinéa 1 de la convention, on retrouve, en partie, une grande
assimilation aux savoirs traditionnels101 .
Ensuite, il y a la Convention sur la protection et la
promotion de la diversité des expressions culturelles de l'UNESCO du 20
octobre 2005 . Cette convention vise à promouvoir et à
protéger la diversité des expressions culturelles . Dans ses
articles 7 alinéa 1a) et 8 alinéa 1 et 2, elle invite les
États parties à promouvoir les expressions culturelles « y
compris celles des peuples autochtones » et à prendre des «
mesures appropriées pour protéger et préserver les
expressions culturelles » . Au niveau régional, la Charte
culturelle de l'Afrique de 1976 visait déjà « la
libération du génie créateur des peuples africains
»102 et la prise « des dispositions pour mettre fin au
pillage des biens culturels [...] dont l'Afrique a été
spoliée »103 .
Cependant, dans les pays d'Afrique centrale, la protection du
patrimoine culturel immatériel sous l'angle culturel est encore
embryonnaire et en proie à des difficultés, car elle est issue du
modèle de l'ancienne métropole104 .
98 . Pierre-Alain Collot, « La protection des savoirs
traditionnels, du droit international de la propriété
intellectuelle au système de protection sui generis »
(2007) 53 Droit et cultures Revue internationale interdisciplinaire 181 .
99 . La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel a été adoptée le 17 octobre 2003
à Paris (France), sous l'égide de l'UNESCO, lors de sa
32e session .
100 . Article 1er al . 1a) et b) de la Convention
sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel .
101 . Aux termes de l'article 2 al . 1 : « On entend par
patrimoine culturel immatériel, les pratiques, représentations,
expressions, connaissances et savoir-faire [ . . .] transmis de
génération en génération, est recréée
en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu,
de leur interaction » .
102 . Voir l'article 2b) de la Charte culturelle de l'Afrique
.
103 . Voir l'article 28 et 29 de la Charte culturelle de
l'Afrique .
104 . Ulrich Kévin Kianguebeni, La protection du
patrimoine culturel au Congo-Brazzaville, Collection Culture africaine,
Paris, L'Harmattan, 2016 .
Au Congo, l'article 1er de la loi no
9-2010 du 26 juillet 2010 portant orientation de la politique culturelle classe
dans le champ définitionnel du concept de culture : «
L'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels,
intellectuels et affectifs qui caractérisent une société
ou un groupe social [mais aussi] les modes de vie et de pensée [ . . .]
les traditions et les croyances . » Pourtant, dans sa loi portant
protection du patrimoine national culturel et naturel prise le même
jour105, les articles 2 et 4 ne visent, au titre du patrimoine
national culturel, que les biens meubles et immeubles, autrement dit le
législateur ne prend pas en compte le patrimoine culturel
immatériel .
Or, au Cameroun, l'article 3 de la loi no 2013/003
du 18 avril 2013 régissant le patrimoine culturel dispose que : «
Le patrimoine culturel est constitué des biens culturels
matériels et immatériels classifiés [ . . .] » . Au
Gabon, c'est la loi no 2/94 du 23 décembre 1994 portant
protection des biens culturels . On peut comprendre aisément que dans
ces pays, la notion de « patrimoine culturel immatériel »
subit des « glissements sémantiques »106 . Cette
disparité d'approche complexifie encore la protection des savoirs
traditionnels ou des expressions culturelles traditionnelles . Il ressort de
tout ce qui précède que la protection des savoirs traditionnels
envisagée sous l'angle culturel, bien que portée essentiellement
sur les expressions culturelles traditionnelles, reste néanmoins
fragmentée et à géométrie variable d'un pays
à un autre .
CONCLUSION
Au crépuscule de nos analyses, plusieurs questions nous
taraudent l'esprit . Premièrement, 61 ans après l'Accord de
Libreville portant création de l'Office africain et malgache de la
propriété industrielle, les pays d'Afrique centrale ont-ils
désormais un mot à dire dans le grand concert des nations sur
l'économie de l'immatériel dont la propriété
intellectuelle est le « bras armé » juridique107 ?
Dans le domaine de la protection des savoirs traditionnels autochtones, la
réponse à cette question reste très mitigée . En
effet, après nos analyses développées dans ce texte, il
apparaît clairement que le droit de l'organisation africaine de la
propriété intellectuelle qui résulte
105 . Loi no 8-2010 du 26 juillet 2010, portant
protection du patrimoine national culturel et naturel .
106 . Marie-Pierre Besnard, La mise en valeur du
patrimoine culturel par les nouvelles technologies, Caen,
Prépublications de l'Université de Caen Basse-Normandie, 2008,
à la p 4 .
107 . Vivant, supra note 25 à la p 3 .
568 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
de l'Accord de Bangui et de ses Annexes constitue pour tous
les États membres un « Code de la propriété
intellectuelle » . Mais qu'il s'agisse de la propriété
industrielle ou de la propriété littéraire et artistique,
ce système classique de protection s'avère soit incomplet,
insuffisant ou inadéquat . Même si, en 2007, un Accord relatif
à la protection des savoirs traditionnels additif à l'Accord de
Bangui avait été adopté, le recours à ce
système sui generis reste toujours insuffisant tant le domaine
de protection des savoirs traditionnels est vaste et très dynamique .
En effet, si l'on convient que la notion de « savoir
traditionnel », dans une conception lato sensu renvoie à
la fois, aux connaissances traditionnelles associées aux ressources
génétiques, aux expressions culturelles traditionnelles, oeuvres
du folklore etc ., il faut donc envisager cette protection suivant une approche
fragmentée et multiforme .
C'est en envisageant cette protection sous un angle
environnemental que les États d'Afrique centrale se sont
positionnés aux côtés des autres pays en
développement lors des négociations de la CDB pour
équilibrer l'écart « Nord-Sud » . Dans ce sens, ils ont
bénéficié d'une CDB conçue suivant un modèle
du Rio package deal . Cette convention sera considérée
comme la première tentative de la communauté internationale
à aborder la diversité biologique en tant qu'une seule et
même entité d'un instrument juridique mon-diale108 .
Elle abordait plusieurs thématiques en faveur des pays en
développement notamment celle de l'APA, la souveraineté des
États sur leurs ressources naturelles, les communautés
autochtones et locales et les connaissances traditionnelles associées
aux ressources génétiques . Ces débats controversés
sur le troisième objectif de ladite convention ont ainsi abouti à
la signature du protocole de Nagoya en 2010 sur l'accès aux ressources
génétiques et aux connaissances traditionnelles associées,
ainsi que le partage juste et équitable des avantages auquel tous les
pays de l'Afrique centrale membres de la COMIFAC sont parties . Dans ce
protocole, l'accès aux connaissances traditionnelles des
communautés autochtones et locales est soumis au consentement
préalable donné en connaissance de cause sur la base des
conventions convenues d'un commun accord .
Les pays d'Afrique centrale ont ainsi adopté des textes
législatifs ou réglementaires, envisagé des
stratégies et des politiques pour protéger leurs connaissances
traditionnelles associées aux ressources génétiques .
108 . Greiber et al, supra note 3 à la p 3 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
569
Mais cette protection sera aussi envisagée sous un
angle culturel à travers l'adoption de plusieurs textes internationaux
sur la protection du patrimoine culturel immatériel et la
diversité des expressions culturelles traditionnelles .
La seconde question est celle de savoir si, au lendemain de
leurs indépendances, les objectifs fixés par les États
africains et particulièrement ceux d'Afrique centrale à savoir
« la libération du génie créateur des peuples
africains [y compris de leurs communautés autochtones]
»109 ; la prise « des dispositions pour mettre fin au
pillage et [à la spoliation] de leur patrimoine culturel [y compris les
savoirs traditionnels autochtones] dont ils sont victimes »110
ont été atteints . Dans le domaine des savoirs traditionnels,
s'il y a eu certes une vraie prise de conscience sur la valeur, l'importance de
cette richesse immatérielle et si depuis l'indépendance à
ce jour, on a relevé dans ces pays, une véritable profusion des
normes, tous azimuts, visant la protection de leurs savoirs traditionnels
autochtones .
Seulement, pour reprendre les mots du professeur Maurice Kamto
qui, parlant de l'ineffectivité des normes des pays africains, affirmait
que « le sommeil [ou l'ineffectivité] n'est pas une
particularité des normes juridiques de l'environnement, c'est une
caractéristique du droit africain dans son ensemble : c'est tout le
droit [y compris celui qui régit la protection des savoirs traditionnels
autochtones] qui paraît en hibernation »111 . Cette
ineffectivité a eu pour conséquence l'inefficacité, on
relève à ce jour toujours des brevets qui résultent de
l'appropriation illicite des savoirs traditionnels autochtones, le
phénomène criminel de la biopiraterie reste quasiment impuni dans
ces pays . Aussi, la spoliation des savoirs traditionnels autochtones en
Afrique reste une réalité . Certains auteurs ont estimé
que « la relation entre le droit des brevets et les savoirs traditionnels
est marquée par les dénonciations des cas de biopiraterie,
qualifiés de pillages des savoirs traditionnels [ . . .] . [Et], l'objet
du droit des brevets n'est pas, à l'origine de protéger les
savoirs traditionnels . S'il se révèle protecteur, ce n'est donc
que de manière incomplète, car, tel n'est pas son objet principal
»112 .
109 . Article 2b) de la Charte culturelle de l'Afrique
.
110 . Article 28 de la Charte culturelle de l'Afrique
.
111 . Maurice Kamto, Droit de l'environnement en
Afrique, Universités francophones, Vanves, EDICEF, 1996, à
la p 18 .
112 . Choralyne Dumesnil, « Les savoirs traditionnels
médicinaux pillés par le droit des brevets ? » (2012) XXVI:3
Revue internationale de droit économique 321, à la p 336 .
570 Les Cahiers de propriété
intellectuelle
Ainsi, on peut dire sans ambages que les objectifs de
protection des savoirs traditionnels autochtones dans les États
d'Afrique centrale membres de l'OAPI, en l'état actuel, ne sont pas
totalement atteints .
Dans ces pays, bien qu'ayant adopté les Accords de
Bangui et ses Annexes, cet arsenal juridique de propriété
intellectuelle organise cette protection, certes, de façon
incomplète et partielle . Cette fragmentation du régime de
protection les a conduits à l'adoption d'autres mesures .
Mais, tout au moins, les efforts sont consentis dans la mise
en place des cadres juridiques tant au niveau régional,
sous-régional que national en ce sens . C'est ainsi que depuis le
début du XXIe siècle, ces États membres de
l'OMPI participent au Comité intergouvernemental de la
propriété intellectuelle relative aux ressources
génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC) . Ce
cadre mondial de discussion sur ces questions vise entre autres à
aboutir à la mise en place d'un cadre juridique (un ou plusieurs
instruments) international spécifiquement adapté à la
protection des savoirs traditionnels pour définir des mesures de
protection plus cohérentes, équilibrées et éviter
ainsi les lacunes et la fragmentation . Lors de sa 64e série
de réunions des assemblées des États membres de l'OMPI, du
6 au 14 juillet 2023, il a été décidé qu'« une
conférence sera convoquée au plus tard en 2024 pour conclure un
instrument juridique international sur la propriété
intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs
traditionnels associés aux ressources génétiques
»113 .
Aujourd'hui, on comprend que les savoirs traditionnels, dans
sa conception large, constituent pour les États d'Afrique centrale
membres de l'OAPI un enjeu économique de ce début du
XXIe siècle . Ils apparaissent comme un aspect important dans
une économie du savoir, pouvant efficacement contribuer au plan macro et
micro économique . Pour ces États, un long parcours a
déjà été accompli en la matière, mais le
domaine de la propriété intellectuelle est dynamique et
évolutif, le droit de l'OAPI n'en fait pas exception, il suit son
processus d'intégration des aspects de prise en compte de la protection
des savoirs traditionnels en général et ceux émanant des
communautés autochtones des pays d'Afrique centrale en particulier .
113 . Rapport sur le Comité intergouvernemental de
la propriété intellectuelle relative aux ressources
génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC),
WO/ GA/56/10, 56e sess (19 juin 2023) à la p 5 .
La protection des savoirs traditionnels autochtones
571
Sur les questions des savoirs traditionnels autochtones, les
États d'Afrique centrale avancent au rythme du reste des pays du monde,
il leur faut cependant arrimer ces savoirs traditionnels autochtones à
la recherche et développement et aux innovations technologiques pour
tirer tous les bénéfices et avantages . Il faut aussi accentuer
le niveau de protection des droits de populations autochtones pour permettre
à ces communautés de bénéficier des avantages
découlant de l'exploitation de ces connaissances . On peut donc affirmer
que dans la protection des savoirs traditionnels autochtones beaucoup reste
à faire certes, mais le meilleur pour les États d'Afrique
centrale dans ce domaine reste à venir .
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