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UNIVERSITÉ OMAR BONGO
.........................
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FACULTÉ DES LETTRES ET SCIENCES
HUMAINES
.........................
DÉPARTEMENT DES SCIENCES
GÉOGRAPHIQUES, ENVIRONNEMENTALES ET MARINES
........................
Master Recherche : Géosciences
Politiques du Monde Contemporain
Mémoire de fin de cycle
LE RWANDA : GÉOPOLITIQUE D'UNE PUISSANCE ÉMERGENTE
AFRICAINE
Présenté et soutenu publiquement par
: PAMBO MIHINDOU Guy Herod
Sous la direction de :
Pr. Serge LOUNGOU
Maître de conférences CAMES en géographie
politique
Année académique : 2022-2023
À
Mon grand-père MOULOUNGUI Apollinaire.
II
REMERCIEMENTS
J'adresse ma gratitude à toutes ces personnes qui de
près ou de loin, ont participé à l'aboutissement de ce
travail. Il s'agit notamment de :
-Mon Directeur de mémoire, le Professeur Serge LOUNGOU,
dont les conseils et les orientations m'ont été d'un apport
inestimable ;
-Toute l'équipe pédagogique du Département
des Sciences Géographiques, Environnementales et Marines (DSGEM)
de l'Université Omar Bongo, ainsi que les intervenants
associés au Centre d'Études et de Recherches en
Géosciences Politiques et Prospective (CERGEP) ;
-Ma famille pour le soutien indéfectible ;
-La promotion 2021-2023 du Master Recherche GPMC pour tous les
échanges fructueux autour des Géosciences Politiques ;
-Monsieur Hans De Marie HEUNGOUP (Analyste Politique Principal de
la REPAC-OIF), pour ses conseils et son soutien ;
-Monsieur KINGA MIHINDOU Carmel Léger ; -Madame Samia
CHABOUNI ;
-Mademoiselle OBONE MBA Cécilia Ariane ; -Monsieur
MOUDOUNGA MOUDOUNGA Andy ; -Mademoiselle NGAKA DIVASSA Camille ; -Monsieur
MEKAME BIE Kevin ;
-Monsieur METOULOU Larry ;
-Monsieur EDOU METOGO Léon.
III
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE 6
PREMIERE PARTIE
LES FONDEMENTS D'UN DÉPLOIEMENT DIPLOMATIQUE ET
MILITAIRE
INTENSE SUR LE CONTINENT 21
CHAPITRE 1. La géographie physique et humaine du
rwanda 22
1.1. Le cadre physique 22
1.2. Les caractéristiques démographiques et
économiques 24
CHAPITRE 2. Les mobiles d'une diplomatie active sur le
continent africain 33
2.1. Les relations avec son voisinage et le sentiment
d'encerclement comme mobiles
d'une diplomatie active. 33
2.2. Les mobiles économiques, sécuritaires et
politiques du déploiement rwandais en
Afrique 49
DEUXIEME PARTIE
L'AFRIQUE, ESPACE DE PROJECTION PRIVILEGIÉ DU
RWANDA 54
CHAPITRE 3. Les leviers de la politique
étrangère du rwanda en afrique 55
3.1. Les leviers historiques et politico-diplomatiques 55
3.2. Les leviers militaires et les moyens de séduction
65
CHAPITRE 4. Les limites de la puissance rwandaise et de
son deploiement en afrique 83
4.1. La dépendance du Rwanda vis-à-vis de ses
partenaires étrangers 83
4.2. Les stratégies rivales et la lutte pour l'influence
dans les grands lacs et au-delà 89
CONCLUSION GÉNÉRALE 97
BIBLIOGRAPHIE 97
TABLE DES ILLUSTRATIONS 97
iv
LISTE DES SIGLES
AFDL : Alliance des Forces Démocratiques pour la
Libération du Zaïre-Congo
APR : Armée Patriotique Rwandaise
BCDC : Banque commerciale du Congo
BAD : Banque africaine de développement
BM : Banque Mondiale
BNR : Banque Nationale du Rwanda
BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du
Sud
CEEAC : Communauté Économique des États
d'Afrique Centrale
CEPGL : Communauté Économique des Pays des
Grands Lacs
CIRGL : Conférence Internationale sur la Région
des Grands Lacs
CNDD-FDD : Conseil National pour la Défense de la
Démocratie - Forces de Défense de la
Démocratie
COMESA : Marché Commun de l'Afrique Orientale et
australe
EAC : Communauté des États de l'Afrique de
l'Est
FAR : Forces armées rwandaises
FARDC : Forces armées de la République
démocratique du Congo
FDLR : Front de Libération du Rwanda
FIFA : Fédération Internationale de Football
FISNUA : Force intérimaire de sécurité
des Nations Unies pour Abiyé
FPR : Front Patriotique Rwandais
FRONASA : Front For National Salvation
ICCA : International Congress and Convention Association
KCB : Kenya Commercial Bank
KCC : Kigali Convention Centre
M23 : Mouvement du 23 Mars
MINUAD : Mission conjointe des Nations Unies et l'Union
africaine au Darfour
MINUSCA : Mission Multidimensionnelle Intégrée
des Nations Unies pour la stabilisation en
Centrafrique
V
MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée
des Nations Unies pour la stabilisation au
Mali
MINUSS : Mission des Nations Unies au Soudan du Sud
MLC : Mouvement de Libération du Congo
MONUSCO : Missions des Nations Unies pour la Stabilisation en
RD Congo
NRA : National Resitance Army
OIF : Organisation Internationale de la Francophonie
OTAN : Organisation du Traité d'Atlantique Nord
PIB : Produit Intérieur Brut
PNB : Produit National Brut
RCA : République Centrafricaine
RCD : Rassemblement Congolais pour la Démocratie
RDC : République Démocratique du Congo
RED Tabara : Résistance pour un Etat de droit au
Burundi
RFI : Radio France Internationale
RNC : Congrès national du Rwanda
RPA : Rwanda Peace Academy
SDN : Société des Nations
TMB : Trust Merchant Bank
UA : Union Africaine
UE : Union Européenne
URSS : Union des République Socialistes
Soviétiques
ZLECAF : Zone de Libre Échange Continentale
Africaine
7
1. Justification du sujet
1.1. Intérêt du sujet
Au lendemain de la guerre civile et du génocide des
Tutsis entre 1990 et 1994, le Rwanda était quasiment un État
failli1. En plus de considérables pertes humaines
estimées à plus de 800 000 morts, l'économie du pays
était totalement en ruine, le PIB par habitant était
réduit de moitié, passant de 420 à 221 de dollars US entre
1993 et 1994.2 Dans ce contexte, les perspectives de
développement économique du pays apparaissaient sombres. De plus,
la configuration géographique du Rwanda présente de nombreux
désavantages : territoire enclavé, il dispose d'une superficie de
26 338 km2 pour une population estimée à 13 millions
d'habitants, soit une forte densité de population (460 h/Km2)
et, par conséquent, une intense pression sur les terres cultivables pour
ce pays essentiellement agricole.
Bien que handicapé par le manque de ressources
naturelles stratégiques, l'enclavement et l'étroitesse de son
territoire, le Rwanda a réussi à décoller sur le plan
économique et à s'imposer sur la scène africaine comme un
acteur géopolitique majeur, grâce à de bons
résultats économiques, une stabilité politique et
sécuritaire incarné par la gouvernance de Paul Kagame, au pouvoir
depuis mars 2000. Celui-ci a ainsi réussi à faire du Rwanda un
pays attractif et qui compte au niveau africain par son leadership, la
qualité de sa gouvernance et le dynamisme de son économie. En
effet, si ce micro-État3 a longtemps été
tristement célèbre en raison du génocide des Tutsis,
aujourd'hui la situation a bien changé ; il est désormais
apprécié pour ses performances économiques, au point de
susciter l'admiration des plus grandes puissances du monde, notamment les
États-Unis d'Amérique, la Grande Bretagne et la Chine, avec
lesquelles il a établi des partenariats dans divers domaines. Ce
revirement de situation est à la fois fort intéressant et
surprenant, car rien ne prédestinait le Rwanda à jouer les
premiers rôles sur le continent, encore moins au sortir du
génocide de 1994. Ce pays se distingue désormais par un
déploiement diplomatique important, comme en témoigne la
présence de ses forces armées sur plusieurs théâtres
de conflits, notamment dans le cadre des missions de maintien de la paix de
l'ONU (Darfour, République Centrafricaine, Mozambique). De fait, le
Rwanda prend de plus en plus de place sur le continent et affiche une politique
étrangère active, recherchant des
1 D. BAUCHARD. (2011). Introduction. Politique
étrangère, (1), pp.10-15.
Selon le Crisis States Research Centre de la London School of
Economics cette qualification s'applique quand un État est incapable de
remplir ses fonctions de base, et notamment d'assurer la
sécurité, intérieure comme extérieure, bien qu'il
dispose de la force légitime.
2 J. PORTE. (2021). Rwanda : un modèle de
développement efficace face au défi de sa soutenabilité.
In Rwanda : un modèle de développement efficace face au
défi de sa soutenabilité. Agence française de
développement, pp. 136.
3 Du point de vue de la morphométrie
territoriale, c'est un Etat dont la superficie oscille entre 50 000
km2 et 100 000 km2.
8
opportunités économiques et stratégiques
partout dans le monde. Les contrats de partenariats signés avec les
prestigieux clubs de football européens du Paris Saint-Germain et
d'Arsenal, entre autres exemples, sont des éléments qui
témoignent de ses ambitions dans la quête de puissance au niveau
international. Le Rwanda déjoue ainsi les analyses classiques au sujet
des « petits pays enclavés » et parvient à jouer un
rôle géopolitique généralement dévolu
à d'autres.4
L'intérêt de la présente étude est
d'apporter un éclairage sur les motivations du Rwanda et les leviers
qu'il mobilise pour peser sur les affaires du continent en tant que puissance
émergente. Elle vient compléter les études qui ont
déjà été réalisées sur ce pays en
matière de politique étrangère, notamment ceux de Samia
Chabouni5 et Paul-Simon Handy6.
1.2. Objet, objectifs et champ de l'étude
Notre travail a pour objet la montée en puissance de
l'État du Rwanda en Afrique et s'articule autour de quatre
concepts-clés : géopolitique, puissance, puissance
émergente et petit État. Dans la littérature scientifique,
ces différents concepts font l'objet de diverses interprétations
et définitions. Il est donc important de les clarifier en
précisant le sens de leur utilisation dans le cadre de notre
étude.
La géopolitique est, selon Yves Lacoste, «
l'étude des différents types de rivalités de pouvoir
sur les territoires »7. Autrement dit, elle étudie
les adversités, les concurrences et les conflits potentiels qu'il peut y
avoir sur un territoire entre plusieurs acteurs pour davantage de
contrôle et pour sa maîtrise.
Avant de définir ce qu'est une puissance
émergente, il convient de définir la notion de puissance. De
prime abord, celle-ci est difficile à cerner et à
caractériser, car les critères qui permettent de l'évaluer
sont sans cesse fluctuants et évolutifs. En relations internationales,
tout comme en géopolitique, de nombreux spécialistes s'accordent
à la définir comme étant la capacité d'agir que
possède un acteur sur la scène internationale. Ainsi, selon
Samuel Huntington « la puissance c'est la capacité d'un acteur,
habituellement mais pas forcément un gouvernement, d'influencer le
comportement des autres acteurs qui peuvent être ou ne pas être des
gouvernements »8. Dans le même ordre d'idée,
Frédéric Encel définit la puissance comme « la
capacité d'agir en toute souveraineté, à dissuader
efficacement autrui d'entraver cette
4S. CHABOUNI. (2020). Stratégies
diplomatiques rwandaises et ambitions de Kagame. In S. ALIDOU (Dir.),
Conjonctures de l'Afrique centrale 2020. Paris : L'Harmattan, pp.
61-89.
5 Ibid.
6 P-S. HANDY. (2021, 27 septembre). Rwanda :
l'émergence d'une « smart power » africaine. Institut
d'études et de sécurité. Disponible à
l'adresse :
https://issafrica.org/fr/iss-today/rwanda-lemergence-dune-smart-power-africaine
7 P. BONIFACE. (2018). La géopolitique
(5e éd.). Paris : Eyrolles, p.13.
8 P. BONIFACE. (Dir.). (1994). La puissance
internationale. Paris : Dunod, p.12.
9
capacité, et le pouvoir réel et
assumé d'imposer, le cas échéant, son autorité ou
du moins d'influer dans son intérêt et à son avantage sur
l'environnement politique, militaire, économique ou culturel.
»9. Elle repose sur deux types de facteurs : les facteurs
« classiques » et les facteurs « novateurs ». Les facteurs
« classiques » (ou Hard power) comprennent les moyens
coercitifs de la puissance. Il s'agit essentiellement des capacités
militaires, de la dimension du territoire, de la taille démographique et
des moyens économiques. Les facteurs « novateurs » (ou
Soft power) reposent sur les éléments non coercitifs de la
puissance. Ils visent à contraindre ou persuader d'autres acteurs sans
avoir recours à la force.10 Développé par
Joseph Nye dans les années 1990, le Soft power
privilégie la séduction plutôt que la coercition ; il
mobilise des ressources intangibles telles que les valeurs culturelles,
idéologiques, politiques, l'éducation de même que le
rayonnement des institutions.11 Dans son ouvrage intitulé
The Means to Success in the World Politic, J.Nye propose une vision
qui combine le Hard power et le Soft power : le smart power
ou puissance intelligente.12 Selon lui, le pouvoir intelligent n'est
ni dur ni doux, c'est l'habile combinaison des deux. La puissance intelligente
consiste pour un État à développer une stratégie
intégrée qui prend en compte les deux types de puissance pour
atteindre ses objectifs. Les éléments de la puissance moderne
combinés aux capacités économiques donnent la
possibilité aux États moins nantis en ressources naturelles
stratégiques, en superficie et même en démographie de tirer
leur épingle du jeu sur la scène internationale.
La notion de « puissance émergente » est tout
aussi complexe à cerner que celle de puissance tout court.
Associé à celui de puissance, le terme « émergence
» renvoie en premier lieu à des réalités avant tout
économiques. C'est l'économiste néerlandais Antoine Von
Agtmaël qui l'a utilisé pour la première fois en 1981; en
évoquant l'expression « marchés émergents », il
souhaite caractériser la montée en puissance de certains
marchés économiques attractifs présents dans les pays en
développement (Chine, Russie, Brésil...).13 Jim
O'neill, économiste britannique, a introduit en 2001 l'acronyme
BRIC14 (Brésil, Russie, Inde et Chine)-qui deviendra BRICS
avec l'ajout de l'Afrique du Sud en 2011-pour désigner un groupe de
9 F. ENCEL. (2021). Les voies de la puissance,
penser la géopolitique au XXIème siècle. Paris :
Odile Jacob,293p. 10S. ROSIERE. (2007). Géographie
politique et géopolitique. Une grammaire de l'espace politique.
Paris : Ellipses, p.383.
11 J.S.NYE. (1990). Soft power. Foreign
policy, (80), pp.153-171.
12 J.S.NYE. (2004). Soft power : The means to success
in world politics. Public affairs, 191p. Voir également
J.S.NYE. (2010). Le temps du smart power. Politique
internationale, (129), pp.105-116.
13 B. DESCHAUX-DUTARD & B. NIVET. (2015,
Octobre). Concepts de puissance et d'émergence. In 19ème
colloque de l'Association France-Canada d'études stratégiques
(AFCES) : Puissances émergentes et sécurité
internationale, une nouvelle donne ? 20, pp. 27-43.
14J.O'NEILL.(2011). Building better global
economic BRIC. (66), 16p. Disponible à l'adresse :
https://www.goldmansachs.com/insights/archive/archive-pdfs/build-better-brics.pdf
10
pays qui, par leurs poids économiques, sont parvenus
à atteindre des niveaux de développement proches de ceux des pays
développés. En relations internationales et en
géopolitique, une « puissance émergente » est un
État qui est appelé à exercer un rôle de premier
plan sur les affaires internationales de par son poids économique et
démographique, mais aussi de par ses capacités militaires et son
influence diplomatique.15 C'est cette définition que nous
considérerons dans la présente étude.
La définition du concept de « petit État
» dans la terminologie des relations internationales est loin de faire
l'unanimité. Cependant, bien qu'une définition qui fasse
consensus soit difficile à dégager, un certain nombre de
critères, quantitatifs et qualitatifs permettent néanmoins de
caractériser et de qualifier les États en relations
internationales. Selon les critères quantitatifs, les États sont
classés en fonction de leur superficie, population, produit national
brut (PNB), produit intérieur brut (PIB/hab.) et de leurs
dépenses militaires.16 Pour les critères quantitatifs,
une difficulté subsiste au niveau de la définition des seuils
devant déterminer la place des États. À quel seuil
démographique doit-on parler de « petit État » ? Pour
ce critère, par exemple, les organisations internationales telles que le
Commonwealth et la Banque Mondiale définissent pour les « petits
États » une population d'un demi-million d'habitants17.
Le même problème se pose lorsque l'on veut établir la
différenciation des États à partir du PNB et du PIB. En
plus des seuils difficiles à établir, on peut rencontrer des
États aux superficies et aux tailles démographiques modestes qui
ont des PNB et des PIB bien supérieurs aux États mieux
dotés en superficie et en taille démographique. C'est l'exemple
de la Suisse dont la superficie et la démographie18 sont
pourtant inférieures à celles de la République
Démocratique du Congo (RDC), et présente des indices
économiques largement supérieurs à cet État
africain, avec un PIB estimé à 84 558 dollars US en 2022, contre
à peine 47,23 dollars US pour l'ex-Zaïre19. Les
critères qualitatifs reposent, quant à eux, sur la qualité
du leadership, la capacité à entraîner l'opinion
derrière une cause nationale, la nature du caractère national, le
moral de la nation et
15F. LAFARGUE. (2011). Des économies
émergentes aux puissances émergentes. Questions
internationales, (51), pp.101-108.
16 D.TSAFACK. (2018). La Guinée
Équatoriale face au couple Cameroun-Gabon en Afrique centrale (19602012)
: Histoire d'un petit État en quête d'émancipation et de
puissance (Thèse de doctorat, Université de Dschang),416p.
Disponible à l'adresse :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-02906136
Pour les critères concernant la taille des États
voir également : A-L. SANGUIN. (1977). Géographie
politique. Paris : Puf, 183p.
17 H.W. ARMSTRONG & R. READ. (2003). The
determinants of economic growth in small states. The Round Table,
92(368), pp.99-124.
18 La Suisse a une superficie de 41 285
km2 pour une population de 8 603 900
d'habitants, tandis que la RDC a une superficie de 2 345 000
km2 pour une population évaluée,
d'après la banque mondiale, à 108 407 721
d'habitants. (2022)
19 Données économiques et
démographiques de la Banque Mondiale 2022.
11
sa confiance en elle.20 Au regard de tous ces
critères et définitions, nous considérons comme «
petit État » celui dont la superficie oscille entre 20 000 et 150
000 km2. Ce qui est le cas du Rwanda.
La présente recherche a pour objectifs : i) d'examiner
l'ensemble des moyens mobilisés par le Rwanda pour peser sur la
scène africaine par le truchement des outils du Hard power et
du Soft power ; ii) d'analyser la posture du Rwanda sur la
scène internationale et ses ambitions. Toute réflexion sur la
puissance, les moyens de son exercice et la projection sur un espace de
celle-ci sont au coeur de la géopolitique, de la
géostratégie et des relations internationales. La notion de
puissance est un des maîtres mots de la stratégie et un des
concepts-clés des relations internationales, si ce n'est son objet
central.21 Pour ces raisons, nous avons choisi d'inscrire notre
recherche dans les champs de ces trois disciplines. Nous allons convoquer les
notions de géopolitique et des relations internationales pour comprendre
ce qui motive les déploiements militaires et diplomatiques du Rwanda sur
la scène africaine depuis l'arrivée au pouvoir en 1994 du Front
Patriotique Rwandais (FRP). La géostratégie nous aidera à
cerner et identifier les stratégies (économiques, politiques,
diplomatiques, culturelles et militaires) de projection de la puissance
émergente rwandaise au niveau continental.
20 B. TONRA. (2002). Les petits pays ont aussi une
politique étrangère. In F. CHARILLON (Dir.), Politique
étrangère. Nouveaux regards, Paris : Presses de Sciences Po,
pp. 331-359.
21 S. ROSIERE, S. (2007), op.cit., p.9.
12
Carte 1. Le Rwanda à l'échelle de
l'Afrique
13
2. Revue de la littérature
Les études sur la politique étrangère et
la puissance du Rwanda en Afrique sont relativement récentes. Jusqu'au
début des années 2000, ces études portaient
essentiellement sur le génocide et les aspects technocratiques ou
coercitifs de la mise en oeuvre de l'action publique de ce pays qui connait une
croissance économique impressionnante.22 Néanmoins,
depuis le début des années 2000, de nombreuses publications de
tous ordres ont été consacrées à la diplomatie
rwandaise. Les spécialistes de la géopolitique de l'Afrique
centrale et particulièrement de la région des Grands lacs
africains y consacrent désormais une place de choix dans leurs analyses.
De cette abondante littérature, trois éléments explicatifs
de la montée en puissance du Rwanda reviennent avec insistance : la
«rente du génocide», le recours aux forces armées et
les relations diplomatiques difficiles avec les pays voisins.
Dans son article intitulé « Stratégies
diplomatiques rwandaises et ambitions de Kagame », Samia Chabouni offre
une lecture dualiste de la politique étrangère du Rwanda. D'une
part, elle montre comment le Rwanda a su s'imposer sur le continent comme une
puissance émergente à travers l'utilisation de ses forces
armées, aussi bien de façon agressive que pacifique. D'autre
part, elle examine la manière dont le Rwanda se sert du génocide
comme un outil de sa politique étrangère. A ce propos, cette
auteure qualifie le génocide comme étant une « ressource
stratégique » pour la diplomatie rwandaise.23
S'inscrivant dans la même veine, Gaëlle Loir24 et Filip
Reyntjens25 mettent en exergue l'usage du génocide comme un
outil diplomatique important pour le Rwanda. Parmi les spécialistes qui
se sont penchés sur les relations que le Rwanda entretient avec les pays
voisins on peut citer : Bernap Leloup, Filip Reyntjens et Pierre Jacquemot.
Pour le premier cité, il examine de façon chronologique
l'histoire des relations que le Rwanda entretient avec l'Ouganda, en passant
par les moments clés de rapprochement jusqu'aux différents
moments de tensions et d'affrontements militaires.26 Filip
Reyntjens27 et Pierre Jacquemot28 renseignent sur les
moyens que le Rwanda a mobilisés pour maintenir sa présence en
RDC après le second conflit du Congo notamment via des groupes
armés en
22B. CHEMOUNI. (2020). Introduction au
thème. La recherche sur l'État rwandais en débat.
Politique africaine, 160(4), 7p.
23 S. CHABOUNI. (2015). De la
bénédiction à l'isolement : le Rwanda et l'occident vers
une nouvelle rupture ? in F. REYNTJENS & al. Annuaire des grands lacs :
2015-2016. Paris : UPA-L'Harmattan, pp.279-297.
24 G. LOIR. (2005). Rwanda : le régime de la
dette perpétuelle De l'instrumentalisation des massacres et du
génocide en relations internationales. Outre-Terre, (2),
pp.415-421.
25 F. REYNTJENS. (2014). Rwanda. Gouverner
après le génocide. Bruxelles : Les belles lettres, p.158.
26 B. LELOUP. (2004). Tentatives croisées de
déstabilisation dans l'Afrique des Grands Lacs : Le contentieux
rwando-ougandais. Politique africaine, (96), pp.119-138.
27 F. REYNTJENS. (2020). L'araignée dans la
toile. Le Rwanda au coeur des conflits des Grands Lacs.
Hérodote, (1), pp.73-90
28 P. JACQUEMOT. (2014). Le Rwanda et la
République démocratique du Congo : David et Goliath dans les
Grands Lacs. Revue internationale et stratégique, (3),
pp.32-42.
14
particulier celui du M23 (ex CND). Ils expliquent comment le
Rwanda a pu devenir un acteur incontournable de la géopolitique
régionale des Grands lacs en usant de la force. Serge Loungou aborde
également la question des groupes armés à l'est de la RDC
(notamment le M23 soutenu par le Rwanda) dans un article où il
démontre que l'exploitation illicite des matières
premières est un facteur qui explique la pérennisation des
conflits dans cette partie du Congo.29 Sur l'émergence de la
puissance du Rwanda en Afrique, on note aussi les travaux de Worou A.
Chérif. Celui-ci, fait une analyse de la diplomatie rwandaise, avec en
point d'orgue ses relations avec les grandes puissances occidentales et les
éléments qui caractérisent la puissance rwandaise sur les
plans économique et militaire.30
Si les études sur la diplomatie du Rwanda en Afrique
semblent désormais abondantes, les motivations de son déploiement
intense sur le continent n'ont pas, à notre humble connaissance, fait
l'objet d'une étude scientifique poussée. Tout en s'appuyant sur
les différents travaux précités, notre étude
voudrait approfondir la réflexion sur la diplomatie rwandaise et
contribuer à combler les manquements observés en apportant un
éclairage sur les raisons du déploiement du Rwanda en Afrique,
ainsi que sur les leviers qu'il mobilise pour asseoir son influence à
l'échelle continentale.
29S. LOUNGOU. (2002). Economies parallèles
et pérennisation des conflits armés en Afrique subsaharienne.
Stratégique, (80), pp.89-109.
30A.C. WOROU. (2019). Analyse de la politique
étrangère du Rwanda : Émergence d'une puissance
régionale (Mémoire de Master). Université Toulouse 1
Capitole,75p.
15
Carte 2.Le Rwanda à l'échelle de l'Afrique
centrale
16
3. Problématique et cadre
théorique
Depuis son arrivée à la tête du Rwanda en
mars 2000, Paul Kagame31 s'est engagé à changer
l'image de son pays. Pour y parvenir, il a impulsé une nouvelle
ère de gestion du pays sur les plans économique, diplomatique et
politique. Les résultats de cette nouvelle impulsion sont perceptibles.
Sur le plan économique, le pays a enregistré la croissance
économique la plus rapide du continent en 2019, ce qui a permis de
réduire la pauvreté. Entre 2000 et 2016, celle-ci est
passée de 78 % à 57 % de la population.32 Sur le plan
diplomatique, le Rwanda a pu s'adjuger des postes importants dans des grandes
organisations internationales. L'ancienne ministre des affaires
étrangères Louise Mushikiwabo a été élue la
tête de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en 2018 ;
Monique Nsanzabaganwa, ancienne vice-gouverneur de la Banque Nationale du
Rwanda (BNR), a été élue vice-présidente de la
Commission de l'Union africaine (UA) en février 2021, chargée
d'améliorer la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation ;
François Kanimba, un autre rwandais, occupe depuis 2020 le poste de
commissaire au marché commun, affaires économiques,
monétaires et financières de la Communauté
Économique des États d'Afrique Centrale (CEEAC).En outre, sa
capitale Kigali est devenue une des places fortes du tourisme des affaires sur
le continent, où se déroulent chaque année des grandes
conférences internationales.33 Enfin, l'armée
rwandaise est devenue non seulement la principale force de la région des
Grands-Lacs, mais également l'une des plus disponibles comme force de
maintien de la paix en Afrique (Darfour, Soudan du sud, Centrafrique,
Mozambique).34 Ainsi, au gré de ses intérêts
économiques et sécuritaires, le Rwanda n'hésite pas
à faire usage de ses capacités militaires, notamment à
l'est de la RDC. En somme, visiblement offensive, l'attitude
générale du Rwanda tranche avec celle associée
généralement aux « petits États » africains.
Au regard de ce qui précède, nous sommes
amené à nous interroger : qu'est-ce qui motive son
déploiement diplomatique et militaire sur la scène africaine ?
Quels sont les leviers de ce déploiement continental ?
Nous formulons trois hypothèses.
Premièrement, à l'exemple d'Israël, le
Rwanda parait politiquement isolé dans son environnement proche en
raison des relations diplomatiques et
31 Avant d'être président de la
République il a été vice-président et ministre de
la Défense de 1994 à 2000.
32 B. CHEMOUNI. (2020), op.cit., p.13.
33 Sommet extraordinaire de l'Union
Africaine en 2018.
34 F. ENCEL. (2021), op.cit., p.9.
17
politiques difficiles qu'il entretient avec ses
voisins.35 En effet, l'État hébreu s'est toujours
senti « encerclé » par les États arabes qui l'entourent
et soutiennent la cause palestinienne.
Les guerres de Six jours (1967) et du Kippour (1973) sont des
exemples concrets de l'hostilité régionale dans laquelle
Israël évoluait à l'époque. La guerre menée en
2006 contre le Hezbollah36 dans le sud du Liban a également
contribué à renforcer la peur de l'encerclement
arabe.37 Au regard des relations pour le moins conflictuelles que le
Rwanda entretient avec une partie de son voisinage (RDC, Burundi, Ouganda),
nous postulons comme Frédéric Encel que celui-ci considère
aussi son environnement régional comme hostile.38 En plus de
son enclavement géographique, le Rwanda a développé un
complexe d'obsidionalité vis-à-vis de ses voisins. Aussi, le
déploiement important du Rwanda en Afrique vise-t-il, entre autres
à briser cet encerclement. La diplomatie active du Rwanda
matérialisée par la signature de plusieurs accords
économiques et/ou militaires avec les États situés dans la
deuxième ceinture de son voisinage ( Mozambique, République du
Congo, Soudan du Sud, Centrafrique) est dans une moindre mesure, semblable
à la stratégie d'alliance de revers adoptée par
Israël dans les années 1950 : signer des accords et nouer des
alliances avec des pays situés à rebours des pays qui lui sont
problématiques ou limitrophes.39
Deuxièmement, depuis son
arrivée au pouvoir, Paul Kagame s'attèle à se donner une
aura continentale dans une Afrique à la recherche d'un
leadership.40 Il n'hésite pas à faire des critiques
sur le fonctionnement des instances africaines qu'il estime être trop
dépendantes des subventions extérieures, notamment celles venant
des grandes puissances. Cette attitude est d'ailleurs appréciée
au niveau du continent surtout par une bonne partie de la
jeunesse.41 Il a profité de son mandat à la tête
de l'Union africaine (du 28 janvier 2018 au 11 février 2019) pour
conduire de nombreuses réformes en faveur de l'indépendance de
cette organisation continentale. Si les réformes engagées en
faveur d'une plus grande intégration et émancipation du continent
semblent conforter ses postures panafricanistes, cet engagement africain
serait,
35 S. CHABOUNI. (2020), op.cit., p.8.
36 Le Hezbollah (« Parti de Dieu »), est
un parti politique et groupe islamiste chiite basé au Liban à
Beyrouth fondé en juin 1982 et révélé publiquement
en février 1985.
37 C.BRUNEL. (2008, 11 mai). Israël : la peur
de l'encerclement. Le Journal du Dimanche. Disponible à
l'adresse :
https://www.lejdd.fr/International/Israel-la-peur-de-l-encerclement-93301-3278717
38 F. ENCEL. (2018). Atlas géopolitique
d'Israël. Paris : Autrement, 98p.
39 P. RAZOUX. (2011). Les déterminants de la
pensée stratégique d'Israël. Revue Internationale
Stratégique, (82), pp.143-145.
40C.CHATELOT. (2022, 4 janvier). « L'Union
africaine manque de dirigeants à la vision réellement
panafricaine ». Le monde Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/04/l-union-africaine-manque-de-dirigeants-a-la-vision-reellement-panafricaine_6108185_3212.
41 P. BOISSELET. (2016, 5 octobre). Rwanda : Paul
Kagame à la conquête de l'Ouest. Jeune Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/mag/359889/politique/rwanda-paul-kagame-a-conquete-de-louest/
18
pour certains, une manière pour lui de faire taire les
critiques internes et externes sur la gestion de son pays, ainsi que sur les
actions de son armée dans les Grands lacs.42 Paul Kagame
serait un « vrai faux panafricaniste » puisque, dans le même
temps, il soutient, d'après plusieurs rapports onusiens, des groupes
rebelles qui mènent des actions subversives dans son voisinage, ce qui
est contraire à l'idée de la solidarité africaine souvent
évoquée par les dirigeants rwandais lorsqu'ils déploient
leur armée sur d'autres théâtres de conflits
africains.43
Troisièmement, l'influence
grandissante du Rwanda s'explique en partie par le soutien extérieur
important dont il bénéficie pour son développement
économique. Le génocide est un élément phare de la
diplomatie rwandaise, un levier sur lequel ses promoteurs s'appuient pour
attirer une partie des investissements directs et l'aide au
développement des pays tels que les États-Unis d'Amérique
et la Grande Bretagne. Le pouvoir rwandais joue sur la responsabilité
morale de ces pays lors du génocide de 1994. Ainsi, les grandes
puissances occidentales, qui d'habitude sont sensibles aux questions des droits
humains, semblent indifférentes au sujet de l'implication du Rwanda dans
les conflits armés en cours à l'est de la RDC. Selon plusieurs
spécialistes, l'État rwandais vit d'une sorte de « rente
mémorielle » en jouant sur la culpabilité des grandes
puissances. Gaëlle Loir, par exemple, qualifie la politique
étrangère du Rwanda comme étant une « diplomatie de
la dette »44, tandis que Filip Reyntjens utilise l'expression
de « crédit génocide »45.
42 COURRIER INTERNATIONAL. (2023, 10 janvier).
Diplomatie. Comment le Rwanda s'est imposé comme
l'acteur sécuritaire incontournable en Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-comment-le-rwanda-s-est-impose-comme-l-acteur-securitaire-incontournable-en-afrique
43 GROUPE D'INITIATIVE FRANCE-RWANDA. (2021, 2
juin). Le président Paul Kagame, un vrai-faux panafricaniste. La
Tribune Franco-Rwandaise. Disponible à l'adresse :
https://www.france-rwanda.info/2019/10/le-president-paul-kagame-un-vrai-faux-panafricaniste.html
44 G. LOIR. (2005), op.cit., p.13.
45 F. REYNTJENS. (2014), op.cit., p.13.
19
Carte 3.Le Rwanda à l'échelle des Grands
Lacs
4. 20
Cadre méthodologique
Notre travail s'appuie sur une diversité de ressources
écrites et audio-visuelles, pour l'essentiel tirées d'internet.
Les sources écrites se répartissent en deux catégories :
d'une part celles à caractère académique ou scientifique ;
d'autre part celles issues des supports médiatiques et des sites
officiels du gouvernement rwandais. Les premières sont
constituées d'ouvrages, des travaux académiques ou scientifiques
(thèses, mémoires et articles); les secondes comprennent les
articles de presse de plusieurs journaux ou revues (Africa Intelligence, Jeune
Afrique, Courriel International, Le Monde, Le Soir) et des rapports de
plusieurs institutions du Rwanda tirés des sites internet officiels de
celles-ci.46
5. Annonce du plan
Le présent mémoire est subdivisé en deux
grandes parties, composées chacune de deux chapitres. La première
partie est intitulée les fondements d'un déploiement diplomatique
et militaire intense sur le continent. Le premier chapitre de cette partie
traite de la géographie physique et humaine du Rwanda et le second
aborde les mobiles d'une diplomatie active sur le continent africain. La
deuxième partie est intitulée l'Afrique, espace de projection
privilégié de la diplomatie rwandaise. Nous y aborderons dans un
premier temps les leviers de la politique étrangère du Rwanda en
Afrique et, dans un second temps, les limites de la puissance du Rwanda.
46 Il s'agit notamment des sites suivants : (
www.minecofin.gov.rw ;
minaffet.gov.rw ;
mod.gov.rw ;
www.statistics.gov.rw).
21
PREMIERE PARTIE
LES FONDEMENTS D'UN DÉPLOIEMENT DIPLOMATIQUE
ET MILITAIRE INTENSE SUR LE CONTINENT
22
CHAPITRE 1. LA GÉOGRAPHIE PHYSIQUE ET HUMAINE
DU
RWANDA
1.1. Le cadre physique
1.1.1. Éléments de géomorphologie et de
géologie du Rwanda
Situé dans la région d'Afrique centrale, entre
1°04' et 2°51' de latitude Sud et entre 28°53' et 30°53' de
longitude Est, le Rwanda se caractérise du point de vue
géomorphologique par un relief montagneux. Cette caractéristique
lui vaut le surnom de « pays des mille collines ». En effet,
l'altitude moyenne au Rwanda est de de 1 700 mètres ce qui en fait l'un
des pays du continent situé sur les terres les plus hautes. Si ce relief
est marqué par le chevauchement des pentes abrupts et nombreuses
collines, on peut néanmoins distinguer trois grandes unités
géomorphologiques. Ainsi, on observe à l'ouest et au centre-nord
du pays un relief montagneux constitué de la Crête Congo-Nil et de
ses contreforts, de la chaîne de Birunga (volcans) ainsi que des Hautes
Terres de Byumba et de Ruhengeri. Cet ensemble se caractérise par un
relief abrupt et disséqué avec des vallées
encaissées. Mises à part ces vallées, l'altitude y est
supérieure à 2 000 mètres. La Crête culmine à
3 000 mètres d'altitude mais reste à son tour dominée par
la chaîne des volcans dont le plus haut, le Kalisimbi, culmine à 4
507 mètres d'altitude. Au centre du pays, le relief est dominé
par les collines contrairement au centre et surtout au nord où les
altitudes culminent à près de 3 000 mètres. C'est
d'ailleurs cette partie du pays qui a donné au Rwanda le surnom de pays
des mille collines. L'altitude varie, en moyenne, entre 1 500 et 2 000
mètres. C'est une morphologie faiblement disséquée
appelée aussi "plateau central." Plus à l'est, s'étend une
vaste zone de plateau dite "plateau de l'est" où l'aspect collinaire
s'estompe au profit d'un relief plat, monotone, découpé de
quelques collines et de vallées lacustres. L'altitude tombe
généralement en-dessous de 1 500 mètres. Il faut ajouter
qu'à l'ouest, la Crête Congo-Nil domine le lac Kivu qui occupe le
graben du rift et se situe à 1 460 mètres
d'altitude.47
S'agissant du sol et des richesses du sous-sols le Rwanda est
peu doté en ressources naturelles, contrairement à certains de
ses voisins (la RDC, la Tanzanie et l'Ouganda). Ses ressources minières
se limitent à quelques gisements de cassitérite, de wolfram, de
colombo-tantalite, de béryl et d'un peu d'or.
47 MINISTERE DES TERRES, DE LA REINSTALLATION ET DE
L'ENVIRONNEMENT. (2003). Politique
nationale de l'environnement. 41p.Disponible à
l'adresse :
https://rema.gov.rw/fileadmin/templates/Documents/rema_doc/Policies/Rwanda%20Environmental%20Policy_F
rench.pdf
23
Carte 4. Géomorphologie du Rwanda
1.1.2. Le climat
Le Rwanda jouit d'un climat tempéré qui
oscillent autour de 18,5°C, et la pluviométrie est de l'ordre de 1
250 mm en moyenne, répartie en deux saisons inégales qui
alternent avec une petite et une grande saison sèche. Les variations
régionales de la distribution des pluies sont largement calquées
sur la configuration de son relief. Son altitude élevée comprise
généralement entre 1 400 et 3 000m adoucit les
températures et explique le climat tempéré du pays. Dans
les faits, les variations de températures se présentent comme
suit. À l'ouest et au nord, les régions de la crête, des
volcans et des hautes terres de Byumba et Ruhengeri jouissent d'un climat frais
(16°C en moyenne) et humide avec une pluviométrie moyenne
supérieure à 1 300 mm mais pouvant dépasser 1 600 mm
au-dessus de la crête et sur le piémont des volcans. La
région des collines du centre reçoit, en moyenne, entre 1 100 mm
et 1 300 mm de pluies par an. Le plateau de l'est connait un climat
relativement chaud et faiblement arrosé, avec des totaux
24
annuels de pluies généralement inférieurs
à 1 000 mm, le minimum variant autour de 800 mm. Avec des
températures quasi constantes, le climat du Rwanda reste cependant
caractérisé par des variabilités interannuelles, voire des
irrégularités notables de pluies marquées par des
excès et surtout des déficits. Ces perturbations affectent
profondément la production agricole qui enregistre parfois des
périodes de crise. Un des exemples est la crise que le pays a
enregistré au début des années 2000 à cause d'une
absence de pluies, les récoltes avaient considérablement
baissé et mis dans une situation délicate les populations qui ne
pouvaient correctement se nourrir, d'autant plus que l'essentiel des
productions servaient à la consommation des ménages.
L'hydrographie du pays est caractérisée par un réseau
dense de rivières. En dehors de la façade ouest de la
Crète Congo-Nil dont le drainage est tourné vers le fleuve Congo,
le reste du pays est drainé vers le Nil par la rivière Akagera
qui collecte presque toutes les rivières de ce bassin. L'hydrographie
reste aussi caractérisée par beaucoup de lacs entourés de
marécages.
1.2. Les caractéristiques démographiques et
économiques
1.2.1. La démographie du Rwanda
Depuis plusieurs siècles, la population du Rwanda est
composée de trois grands groupes ethniques : les Hutus, les Tutsis et
les Twas. D'après le recensement de 1991, ceux-ci représentent
respectivement, 91,1 %, 8,4 % et moins de 1 % de la population.48
Ces groupes partagent une langue commune, le kinyarwanda, langue nationale et
officielle du pays. La démographie rwandaise en 2022 selon les
données de la Banque mondiale était estimée à 13
millions d'habitants. Selon les données de l'Institut national des
statistiques du Rwanda, depuis le début des années 2000, la
population rwandaise ne cesse d'augmenter, en 2012 elle est de 10 515 973
résidents, dont 52 % sont des femmes et 48 % d'hommes.49
Depuis le recensement de 2002, la population a augmenté de 2,4 millions,
ce qui représente un taux annuel moyen de 2,6 %. Ainsi, la croissance
démographique a retrouvé son taux de croissance qui a
décliné suite aux accidents démographiques des
années 1990, marqué par la guerre civile et le génocide.
Pendant sa période précédente (c'est-à-dire
1991-2002), la croissance annuelle est tombée à 1,2 %. La grande
majorité de la population rwandaise vit dans les campagnes. En effet, on
compte à peine un peu plus de 17 % de la population qui réside en
milieu urbain, contre environ 83 % des résidents en zones rurales dont
les activités sont largement dominées par
l'agriculture.50
48 M.VERPOORTEN. (2005). Le coût en vies
humaines du génocide rwandais : le cas de la province de Gikongoro.
Population, 60, pp.401-439.
49 Ministry of Finance and Economic Planning
National Institute of Statistics of Rwanda. (2012). Fourth Population and
Housing Census. Kigali. Disponible à l'adresse :
https://www.statistics.gov.rw/home
50Ibid.
25
Alors que la densité de population était
seulement de 183 hab./km2 en 1978, et 321 hab./km2 en
2002, aujourd'hui elle est estimée à près de 460
hab./km2. Elle connait une évolution importante depuis
l'année 2012. Avec 460 hab./km2, le Rwanda est le pays le
plus densément peuplé de la région des Grands lacs
africains si on compare sa densité de population avec celle de ses
voisins. Au Burundi qui est également densément peuplé la
densité s'élève à 440 hab./km2, en
Ouganda elle est de 170 hab./km2, en République
Démocratique du Congo (RDC) elle est de 46 hab./km2 et en
Tanzanie elle s'élève à 66 hab./km2. Cette
densité de population représente l'un des défis majeurs du
Rwanda, la population ne cessant de croître alors que les ressources et
l'espace y sont limitées. En seulement 20 ans, la population a
doublé. Estimée aujourd'hui à 2,5 % par an,
l'accroissement démographique demeure particulièrement
élevé dans le pays.51 Alors que la mortalité
s'est progressivement réduite depuis l'indépendance, la
natalité a continué de croître jusque dans les
années 1980. Aussi, bien qu'ayant connu un léger ralentissement
au cours des années 1990, la natalité reste encore
élevée avec près de 4,1 enfants par femme en moyenne
(ratio divisé par deux depuis 1960).52 Par ailleurs, la
population du Rwanda étant largement rurale, la raréfaction des
terres cultivables se pose déjà avec acuité et continuera
de se poser de façon encore plus importante puisque les
prévisions démographiques du Rwanda donnent des tendances
haussières. Les données de l'évolution de la population
rwandaise selon les Nations Unies (ONU, 2019) nous permettent
d'apprécier cette constante évolution démographique depuis
les années 1950 jusqu'en 2022 (cf. graphique 1).
51 D'après les données de la Banque
Mondiale en 2018 l'accroissement démographique du Rwanda est à
peu près similaire à celle des pays voisins. En RDC elle est de
2,33% ; en Tanzanie 2,74 % ; Burundi 2,4% et Ouganda 3,18 %.
52 J. PORTE. (2021), op.cit., p.7.
26
Graphique 1. Évolution de la population Rwandaise
entre 1950 et 2022
1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015
2016 2017 2018 2019 2020
14000000
12000000
10000000
8000000
Populations
6000000
4000000
2000000
0
Années
Source : ONU, Perspectives de la population
mondiale 2019.
Tableau 1. Évolution de démographie du
Rwanda par décennies
Années
|
|
1955
|
|
1970
|
|
1980
|
|
1990
|
|
2000
|
|
2010
|
|
2020
|
|
2022
|
Pop. En million
|
2
|
527 294
|
3
|
757 358
|
5
|
153 312
|
7
|
288 882
|
7
|
933 681
|
10
|
039 338
|
12
|
952 218
|
13
|
000 000
|
Source : https://donnees.banquemondiale.org/
Au lendemain du génocide, on constate une reprise
progressive de la croissance démographique (cf. graphique 1). Elle est
liée à un double phénomène démographique.
D'abord, il y a le retour progressif des millions de rwandais Tutsis et Hutus
(modérés) sur le territoire national qu'ils avaient quitté
pour échapper aux massacres à partir de 1996-1997. Puis, cette
croissance estimée à 2,5 % par an, selon les données de
l'ONU serait en partie liée aux efforts engagés par les
gouvernants rwandais en matière d'accès aux soins et de lutte
contre la mortalité infantile. En 2000, la population rwandaise se situe
sensiblement au même niveau qu'elle était avant le génocide
de 1994 avec près de 8 millions d'habitants. La baisse de la
mortalité s'est accompagnée par la hausse de la natalité
dû à l'amélioration des conditions de vie. L'ensemble de
ces facteurs ont continué de faire évoluer la démographie
rwandaise jusqu'à atteindre les 13 millions d'habitants en 2022.
27
Carte 5. Densité de population du
Rwanda
L'analyse de cette carte nous permet d'apprécier la
répartition spatiale de la population sur le territoire rwandais, en
dégageant les disparités de peuplement entre les
différentes unités administratives, notamment les districts. Si
l'ensemble du pays est densément peuplé, on note tout de
même quelques différences en fonction des provinces. Cette
distribution inégale est en partie la conséquence des
événements tragiques de 1994 ayant entraîné des
pertes humaines considérables, plus graves dans certaines provinces que
dans d'autres. Il apparaît que la région de Kigali qui
présente la plus forte densité de population avec plus 1551
hab./km2, la raison pourrait être liée à
l'urbanisation progressive que le pays connait depuis la fin du
génocide. La création des opportunités d'emplois dans la
capitale, notamment dans les nouvelles technologies, attire de plus en plus les
jeunes et contribue à accroître la densité dans la ville.
Kigali en terme de densité est suivie par la province du nord où
on enregistre, pour les district, de cette province Musanze, Burera, Gicumbi,
Rulindo et Gakenke, une densité comprise entre
28
435-524 hab./km2.Les provinces les moins
densément peuplées sont celles de l'Est et de l'Ouest.
1.2.2. Structure de l'économie rwandaise
La croissance économique enregistrée par
l'État rwandais ces dernières années est parmi les plus
dynamiques et les plus soutenues que l'on a observé en Afrique
Subsaharienne. En effet, selon la Banque Mondiale, sur les dernières
décennies, le Rwanda a connu un taux de croissance annuel moyen de 7,8 %
entre 2000 et 2017.53 En plus du PIB, la réussite
économique rwandaise peut se résumer en ces quelques chiffres, en
valeur, le PIB est passé de 1,7 milliards à 5,6 milliards de
dollars us entre 2000 et 2010, tandis que le PIB par habitant est estimé
à 693 dollars en 2012 (contre 200 dollars en 2003). Cette
évolution est due à l'ensemble des pans de l'économie
rwandaise : la production agricole a progressé de 322 % entre 2003 et
2011, l'industrie minière a multiplié par seize ses revenus, les
industries manufacturières par quatre, les banques par trois et demi et
les transports et communications par près de cinq.54 Ces
niveaux de croissance soutenues au cours de ces décennies constituent
une véritable prouesse pour cet État aux caractéristiques
géographiques modestes. L'analyse de la structure économique du
Rwanda qui constitue l'objet de ce point nous permet de dégager les
principaux leviers de la croissance économique du Rwanda mais aussi les
principales caractéristiques de ceux-ci.
À l'origine de ces statistiques économiques
positives, se trouvent un certain nombre de réformes engagées par
les gouvernants depuis la fin des années 1990 en faveur du
développement économique. Il s'agit entre autres de la refonte du
système de gouvernance, de la lutte continuelle contre la corruption et
de la bonne utilisation des aides perçues par l'État depuis la
fin du génocide. En plus des réformes structurelles entreprises
par l'État, il est également important de souligner qu'une partie
des devises qui ont participé à la croissance économique
du Rwanda venaient de l'exploitation illégale des ressources naturelles
telles que le cobalt et l'or à l'est de la RDC, surtout pendant les deux
guerres qui ont ensanglanté ce pays à la fin des années
1990 et au début des années 2000.55
53
https://www.banquemondiale.org/fr/country/rwanda/overview
Certains spécialistes remettent toutefois en cause ses
chiffres arguant des gonflements de statistiques de la part du gouvernement
rwandais. Ceux-ci ne remettent pas néanmoins en cause le dynamisme
affiché par l'économie rwandaise depuis près de 30 ans.
Pour plus de détail sur ce sujet voir : P.FABRICIUS.
(2019, 11 octobre). Paul Kagame se brûlerait-il les ailes? Institut
d'études et de sécurité. Disponible à
l'adresse :
https://issafrica.org/fr/iss-today/paul-kagame-se-brulerait-il-les-ailes
54 J. RÉVILLON. (2014). Le Rwanda, un
modèle économique ? Les Cahiers d'Afrique de l'est,
(48), pp.51-66.
55 UN, S. C. (2003). Final Report of the Panel
of Experts on the Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of
Wealth of the Democratic Republic of the Congo (Rapport de l'ONU
S/2003/1027).
29
Aujourd'hui encore, les dirigeants de la RDC continuent
d'accuser le Rwanda de piller les ressources naturelles présentes dans
sa partie orientale via des groupes armés.
Pays sans ressources naturelles stratégiques,
l'économie rwandaise s'est longtemps reposée sur l'agriculture.
Dans les années 1970, le secteur agricole représentait plus de 50
% du PIB. Par la même occasion, ce secteur était le principal
pourvoyeur d'emplois avec des taux allant jusqu'à 90 % de la part de la
population active dans les années 1990. Malgré la baisse relative
de la part des emplois dans le secteur agricole, il représente encore
les deux tiers des emplois (cf. graphique 2).56 Dans un
mémorandum économique de 1986 la Banque mondiale signalait
déjà la part importante de ce secteur et prévenait sur la
croissance démographique exponentielle qui allait dépasser les
terres cultivables disponibles et les rendre rares. Cette
année-là près de 40 % (soit 10.000 km2) de la
superficie totale du pays était déjà cultivée et
pratiquement toutes ces surfaces étaient déjà en culture
intensive. Les pâturages représentaient environ 13 % et les
forêts 7 % des terres. Or, dans ce rapport, les experts de la Banque
Mondiale ont estimé que seulement 250.000 ha de ces terres (soit environ
10 % de la superficie totale du pays) seraient propices à l'agriculture
et/ou au pâturage.57 Dans ces conditions, les risques
liés à la sécurité alimentaire et aux famines sont
bien présents, les conflits interethniques également sont plus
susceptibles d'apparaître dans ce pays où la terre est la plupart
du temps la ressource la plus importante pour les familles. La
raréfaction des terres cultivables liée à un accroissement
démographique important ne sont pas totalement étrangers aux
guerres qui ont touché la région des Grands lacs africains par la
suite.
Graphique 2. Évolution de la part des emplois
par secteur économique entre 1991 et 2019
% de l'emploi
l
ttao e
ra
80
ar
t
100
40
60
20
0
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
2019
Années
Services Industries Agricultures
Source : Données de la banque mondiale (
https://donnees.banquemondiale.org)
56 J. PORTE. (2021), op.cit., p.7.
57 LA BANQUE MONDIALE. (1986). Rwanda
évolution récente de l'économie et de ses
différents secteurs et problèmes actuels (Rapport No.
4059-RW).
30
Face aux risques que représentent l'accroissement
démographiques et la raréfaction des terres, l'État
rwandais a entrepris depuis 2004 de diversifier son économie à
travers son «programme Vision 2020». L'objectif est de rendre son
économie moins dépendante du secteur agricole. Aujourd'hui,
même si tous les objectifs n'ont pas été atteint, notamment
celui de faire du Rwanda un pays à revenu intermédiaire,
l'économie rwandaise s'est relativement diversifiée. La part de
l'agriculture dans le PIB a progressivement diminué depuis 2011 et ne
représente plus que 24 % du PIB en 2022, selon les données du
ministère de l'économie. C'est désormais le secteur des
services qui représente le principal pilier de sa nouvelle structure
économique avec 49 % de contribution au PIB. Il concentre près de
30 % des emplois (contre moins de 10 % au début des années 1990)
et a contribué à 4,4 points de croissance du PIB en moyenne par
an depuis 2000.58 Il a été boosté par
l'expansion du commerce, des transports, des télécommunications,
des finances et de l'assurance. Ce sont des secteurs qui ont été
mis en avant dans les plans de développement rwandais (Vision 2020 et
maintenant Vision 2050). Malgré sa contribution relativement modeste au
PIB, le secteur industriel est l'autre pilier important de l'économie.
Il représente environ 18 % du PIB et emploi près de 8 % de la
population active.
Par ailleurs, ces résultats économiques
continuent de dépendre de facteurs extérieurs, y compris des
conditions climatiques et les prix mondiaux des produits de base notamment le
café et le thé qui sont les principaux produits exportés
par le pays. En effet, après avoir connu un déclin important
entre la fin des années 1990 et le début des années 2000,
ces deux produits ont participé à la croissance économique
du pays de façon significative surtout à partir de l'année
2010. Au cours de cette année, le gouvernement s'est lancé dans
la production d'un café de luxe, les parts d'exportations sont
passées de 20 millions de dollars en 2003 à plus de 60 % depuis
2010. La production de thé a connu une trajectoire similaire à
celle du café, suivant la même courbe ascendante, les exportations
de thé qui en 2000 n'atteignaient pas 20 millions de dollars,
gravitaient à partir de 2010 autour de 60 millions jusqu'en
2015.59 Outre les facteurs extérieurs précités,
le Rwanda continue d'être dépendant de l'aide internationale. Elle
est une ressource importante pour le pays car elle représente
aujourd'hui environ 15,56 % du budget national. Même si elle est en
constante diminution depuis 2013, elle reste une manne financière dont
l'économie rwandaise ne peut se passer totalement (cf. graphique 3).
58 J. PORTE. (2021), op.cit., p.7.
59 J-P. KIMONYO. (2017). Rwanda demain ! Une
longue marche vers la transformation. Paris : Karthala, 305p.
31
Graphique 3. Évolution de la composition du budget
rwandais (1995-2021)
|
|
|
Rwan
86,60%
|
6.
84,80%
|
|
|
84%
|
|
|
70%
|
|
|
|
|
|
55,70%
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
44,30%
|
|
|
|
30%
|
|
|
|
|
|
16%
|
|
15,20%
|
|
|
|
13,40%
|
|
|
|
|
|
|
1995 2005 2018/19 2019/20 2020/21
Ressources extérieures (% du budget total) Ressources
intérieures (% du budget total)
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Source : Ministère de l'économie
du Rwanda (
https://www.minecofin.gov.rw)
La lecture du graphique 3 nous permet de comprendre la
composition du budget du Rwanda depuis 1995. La composition du budget du Rwanda
provient de deux sources principalement, les ressources intérieures et
les ressources externes. Les premières sont constituées des
impôts et des taxes tandis que les secondes sont constituées des
emprunts et de l'aide internationale. Au lendemain du génocide, la part
la plus importante du budget rwandais provenait des ressources
extérieures notamment de l'aide financière des grandes puissances
occidentales. En 1995, elles représentaient 70 % du budget contre 30 %
des ressources intérieures. À partir de 2005, la part des
ressources extérieurs a commencé à baisser, bien qu'elles
constituaient toujours une part importante du budget avec une contribution de
44,5 % au budget national. Ce n'est qu'à partir de 2018 que la tendance
s'est inversée au profit des ressources économiques
intérieures. Elles représentent désormais la
majorité des ressources budgétaires de l'État rwandais
avec 84 % des part dans le budget total contre 15,20 % pour les ressources
extérieures en 2021.
32
Graphique 4. Part de chaque secteur dans le PIB en
2021
Services
46%
Agriculture impôts directs Industrie Services
Industrie
21%
Agriculture
25%
impôts directs
8%
Source : Ministère de l'économie
du Rwanda (
https://www.minecofin.gov.rw)
La lecture du graphique si dessus nous permet de constater que
selon les données du ministère de l'économie du Rwanda, en
2021, le secteur qui contribue le plus au PIB de cet État est celui des
services avec une contribution estimée à 46 %. Il devance le
secteur agricole qui a longtemps représenté la part la plus
importante de l'économie des années 1960 jusqu'en 2011 avant le
début des reformes qui ont contribué à diversifier
l'économie. Ce secteur a contribué en 2021 à hauteur de 25
% dans le PIB. Il est suivi de près par le secteur industriel (21 %) qui
a également connu un essor important à travers les processus de
diversification économiques engagés par l'État rwandais.
En dernière position, ce sont les revenus tirés de la
fiscalité, ils représentent 8% des contributions totales au PIB
rwandais.
33
CHAPITRE 2. LES MOBILES D'UNE DIPLOMATIE ACTIVE SUR LE
CONTINENT AFRICAIN
2.1. Les relations avec son voisinage et le sentiment
d'encerclement comme mobiles d'une diplomatie active.
2.1.1. Les relations rwando-ougandaises : entre alliance et
rivalité.
Les relations entre le Rwanda et l'Ouganda sont sans cesse
fluctuantes. D'abord apparus comme des indéfectibles alliés au
cours des années 1990-2000, les dirigeants des deux pays entretiennent
depuis lors des relations difficiles. Pourtant, lorsque l'on jette un regard
rétrospectif sur les relations qui lient Paul Kagame et Yoweri Museveni,
elles sont loin d'être conflictuelles, les deux dirigeants se sont
mutuellement aidés dans leurs conquêtes respectives du pouvoir. En
effet, suite à la révolution Hutu de 1959, Paul Kagame fuit son
Rwanda natal en raison des discriminations dont sont victimes les membres de la
communauté Tutsi à laquelle il appartient ; il se réfugie
en Ouganda, où il passe une majeure partie de sa vie. C'est au cours de
son exil qu'il rencontre Yoweri Museveni à la fin des années
1970, puis s'engage, comme de nombreux Banyarwandas60 dont Fred
Rwigema,61 dans les rangs du Front for National Salvation
(FRONASA) puis au sein de la National Resitance Army (NRA), deux
mouvements rebelles créés par Yoweri Museveni pour combattre les
pouvoirs en place en Ouganda. En 1986, ils réussissent ensemble à
renverser le régime de Milton Obote et prennent le pouvoir à
Kampala.62
Plusieurs Banyarwandas se voient confier de nombreux postes de
responsabilité au sein de l'administration militaire ougandaise
après la prise de pouvoir par Yoweri Museveni. Paul Kagame devient major
puis directeur adjoint du renseignement, Fred Rwigema est quant à lui,
promu au poste de vice-ministre de la défense.63
L'omniprésence des « étrangers » rwandais à des
postes clés de l'État irritaient les ougandais de « souche
» surtout ceux issus de la communauté Baganda.64 Ces
nominations de rwandais à de hautes fonction militaires
étaient
60 Les Banyarwandas (pluriel : Abanyarwanda,
singulier : Umunyarwanda ; littéralement « ceux qui viennent de
l'ancien Royaume du Rwanda » ; également Banyaruanda) constituent
le groupe culturel et linguistique parlant le kinyarwanda et habitant le Rwanda
actuel et les autres territoires anciennement faisant partie du Royaume du
Rwanda avant l'arrivée du colonisateur.
61 Fondateur du Front Patriotique Rwandais (FPR).
62 S. CHABOUNI. (2013). Le Rwanda et l'Ouganda :
Alliés ou rivaux ? Le contentieux rwando-ougandais source
de déstabilisation de la région. Thinking
Africa, (1), pp.1-5. Disponible à l'adresse :
http://www.thinkingafrica.org/V2/wp-content/uploads/2013/04/TA_NAP_Samia-Chabouni_RwandaRDC.pdf
63 B. LELOUP. (2005). Le Rwanda et ses voisins.
Afrique contemporaine, 215 (3), 71p.
64 G. PRUNIER. (1993). Éléments pour
une histoire du Front patriote rwandais. Politique africaine, (51),
pp.121-138.
34
également perçu comme une erreur
stratégique par de hauts fonctionnaires ougandais au sein de la
NRA.65 Face aux critiques, Yoweri Museveni remodèle les
postes au sein de l'armée et envoie en 1990 Paul Kagame au
collège de commandement et d'état-major de l'armée
américaine basé à Fort Leavenworth dans le
Kansas.66 À la suite de la mort de Fred Rwigema, premier
commandant du FPR, lors d'une invasion manquée du Rwanda en 1990, il
rappelle Paul Kagame et l'impose comme nouveau commandant du groupe rebelle.
Yoweri Museveni lui fournit le soutien nécessaire pendant toute la
durée de la guerre civile de 1990, jusqu'à la victoire du FPR en
juillet 1994 contre le pouvoir Hutu installé au Rwanda. Jusqu'ici, tout
semblait aller bien entre les deux dirigeants.
Toutefois, à la charnière des années
1990-2000, les premières tensions entre les deux pays apparaissent, les
deux alliés historiques devenant progressivement des rivaux
régionaux. Les tensions entre les deux pays s'exacerbent lors de la
seconde67 guerre du Congo entre 19982003, avec comme pic les
affrontements entre leurs forces armées dans la ville de Kisangani
situé au nord-est de la RDC. Elles s'y sont affrontées à
trois reprises entre 1999 et 2000.68 Au-delà des simples
divergences politiques qui existent entre Paul Kagame et Yoweri Museveni, ces
affrontements traduisent en réalité l'appétit des deux
États pour cette partie du territoire congolais riche en ressources
naturelles. En mars 2001, après une brève accalmie, le
différend s'est brusquement ravivé, et le gouvernement du Rwanda
est officiellement déclaré hostile à
l'Ouganda.69 La crise est alors à son paroxysme et les
alliés d'hier se retrouvent de nouveau au bord des affrontements
militaires. Pour calmer les tensions, la Grande Bretagne, un partenaire
essentiel des deux États, engage une médiation à la suite
de laquelle on commence à observer une certaine accalmie entre les deux
parties.70 Dans le cadre de celle-ci, les deux dirigeants se
rencontrent à Londres le 29 janvier 2004. Il faut également
ajouter à la médiation britannique, les négociations
menées par les dirigeants africains. Notamment, celles de Thabo Mbeki,
président de l'Afrique du Sud et de Benjamin Mpaka, président de
la Tanzanie durant cette
La communauté Baganda appartient au royaume du
Bouganda, le plus grand des royaumes traditionnels de l'Ouganda actuel. Les
Bagandas sont le plus important groupe ethnique de l'Ouganda, ils ont eu un
rôle important dans la conquête de pouvoir qui a menée Y.
Museveni à la tête de l'Ouganda en 1986.
65 B. LELOUP. (2005), op.cit., p.33.
66 B. LELOUP. (2000). Rwanda-Ouganda : chronique
d'une guerre annoncée ? In REYNTJENS, F & MARYSSE, S. (dir.),
L'Afrique des Grands lacs. Annuaire 1999-2000. Paris : L'Harmattan,
pp.127-145.
67 La première a eu lieu entre 1996 à
1997.
68 A. ZACHARIE & F. JANNE D'OTHEE. (2003).
L'Afrique centrale dix ans après le génocide. Bruxelles
: Labor, p.48.
69 B. LELOUP. (2001). Le Rwanda dans la
géopolitique régionale. In S. MARYSSE & F. REYNTJENS (dir.),
L'Afrique des Grands lacs. Annuaire 2000-2001. Paris : L'Harmattan,
pp.75-95.
70 A. ZACHARIE & F. JANNE D'OTHEE, Ibid.
35
période.71 L'accalmie qui paraissait
s'installer entre les deux État à la suite de ces
médiations se confirme par les visites effectuées
réciproquement par les dirigeants ougandais et rwandais. En effet, au
courant des années 2003 et 2004, le président ougandais se rend
au Rwanda à deux reprises, d'abord le 12 septembre pour la
cérémonie d'investiture de Paul Kagame, puis le 7 avril 2004 pour
la commémoration du dixième anniversaire du
génocide.72 Paul Kagame quand à lui se rend à
Kampala en juin 2004 pour assister au sommet du Marché Commun de
l'Afrique Orientale et Australe (COMESA). Ainsi, sans pour autant y mettre un
terme définitif, ces rencontres entre les deux présidents
semblent fermer, du moins temporairement, ce que l'on pourrait nommer comme
étant le premier chapitre des différends rwando-ougandais.
Des points de divergences ont de nouveau resurgit entre les
deux États au début de l'année 2019. Le dernier fait en
date est la fermeture en février 2019 du poste frontière de
Gatuna, ville stratégique pour le commerce entre les deux pays
située dans le nord du Rwanda, pendant près de deux ans. La
résurgence de ces tensions est le fruit de nouvelles accusations
réciproques, chaque pays affirmant que l'autre cherche à le
déstabiliser politiquement, mais aussi sur le plan sécuritaire.
Les deux gouvernements s'accusent régulièrement d'espionnage et
les autorités rwandaises se sont insurgées à plusieurs
reprises contre des cas d'arrestations et expulsions de rwandais accusés
de travailler en Ouganda pour le compte du gouvernement rwandais. Les accusant
de compromettre sa sécurité nationale, les dirigeants ougandais
ont expulsé du territoire ougandais plusieurs hauts responsables de la
société de télécommunications Mobile Telephone
Networks (MTN), dont un ressortissant rwandais.73 Dès 2017,
la tension était déjà palpable entre les deux
gouvernements puisque l'agence de presse rwandaise Rushyashya affirmait en
février de cette année qu'une force rebelle soutenue par
l'Ouganda était en train d'être installée dans un camp
d'entraînement dans la forêt de Kijuru, à l'ouest de
Kampala, et qu'elle avait été mise en place par le Congrès
national du Rwanda (RNC) de Kayumba Nyamwasa74, avec le soutien de
l'homme d'affaires rwandais Tribert Rujugiro, un ancien bailleur de fonds du
FPR.75 Il faut dire que depuis 1999, l'Ouganda et le Rwanda sont
devenus les refuges privilégiés des déserteurs des
armées des deux pays et le passage obligé des hommes
71 F. LETOURNEUX. (2003,19 mai). Chronique d'une
guerre avortée. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/92027/archives-thematique/chronique-d-une-guerre-avort-e/
72 B. LELOUP. (2005), op.cit., p.33.
73 R. GRAS. (2019, 1 mars). Rwanda-Ouganda :
polémique autour de la fermeture d'un poste-frontière. Jeune
Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/743500/politique/rwanda-ouganda-polemique-autour-de-la-fermeture-dun-poste-frontiere/
74 Ancien chef d'état-major de l'armée
rwandaise, actuellement réfugié en Afrique du Sud.
75F. REYNTJENS. (2019). Political Chronicles of
the African Great Lakes Region 2017. Academic & Scientific
Publisher.
36
politiques qui les fuient.76 Pour ces deux
États, l'idée de voir des opposants adoubés ou soutenus
par l'autre est inconcevable et menace de facto leur sécurité. En
dépit des tensions persistantes, les deux présidents se
rencontrent de nouveau le 25 mars 2018 dans la ville de Entebbe, en Ouganda,
pour discuter des problèmes qui minent leurs relations mais aussi pour
relancer les relations de bon voisinage et redynamiser des projets communs. Au
sortir de cette rencontre, le président ougandais a
déclaré ce qui suit : « Il n'y a aucun conflit
fondamental entre l'Ouganda et le Rwanda et nous n'avons pas de problème
frontalier »77. Des discours qui n'ont pas
été suivis d'effets puisque la fermeture du poste
frontière de Gatuna intervient un an plus tard, en février 2019.
Ainsi, malgré les nombreuses tentatives de règlement pacifique de
leurs différends, notamment celle portée par Félix
Tshisekedi et ses homologues angolais João Lourenço et congolais,
Denis-Sassou Nguesso, les relations entre les deux parties restent tendues.
Pourtant, cette tentative de médiation a abouti à la signature
d'un mémorandum d'entente entre le Rwanda et l'Ouganda le 21 août
2019. La réouverture du poste frontière de Gatuna, le 28 janvier
2022, ressemble à une unième tentative de dégel des
relations entre les deux États, sans pour autant garantir la fin des
crises et la normalisation de leurs relations
bilatérales.78
Sous les différentes brouilles
diplomatico-sécuritaires entre l'Ouganda et le Rwanda couve une «
guerre » pour le leadership régional entre « frères
d'armes» d'hier. En effet, depuis son accession au pouvoir Paul Kagame
cherche à donner une place importante à son pays dans la
région, en le rendant indispensable dans de nombreux domaines tels que
la politique et la sécurité et indépendamment de son
ancien allié ougandais. Dans une interview accordée à
Jeune Afrique Paul Kagame estime que le problème entre lui et
Yoweri Museveni réside dans le fait que ce dernier, veuille se comporter
en grand frère et dicter la conduite à tenir au Rwanda. Il
déclare : « pour nous, il n'est pas acceptable d'être le
subordonné de qui que ce soit. Nous n'acceptons pas d'être
contrôlés ni utilisés. Nous sommes un petit pays, mais nous
sommes trop grands pour cela. Le problème entre nous deux est là.
Si vous arrivez à lire entre les lignes, vous pouvez comprendre ce que
je veux dire. Dans cette relation, il ne peut pas y avoir un « grand
frère » qui dit à l'autre « fais ci ou fais ça
» ».79
76 INTERNATIONAL CRISIS GROUP. (2002). Fin de
transition au Rwanda : Une libéralisation politique
nécessaire. Nairobi : International Crisis Group Press.49p.
77 S. CHABOUNI. (2020), op.cit., p.8.
78R. GRAS. (2022, 28 janvier). Rwanda-Ouganda :
enfin le dégel ? Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1303908/politique/rwanda-ouganda-enfin-le-degel/
79 F. SOUDAN & R. GRAS. (2021, Juin). PAUL
KAGAME « Le Rwanda n'est pas une monarchie ». Jeune Afrique,
(3101), pp.56-63.
37
En octobre 1990, à Bruxelles lors d'une
conférence de presse, Yoweri Museveni avait d'ailleurs utilisé le
terme anglais de « boys » pour qualifier les responsables du
FPR.80 Cette appellation est le symbole même du paternalisme
que Paul Kagame refuse dans les relations qui lient son État à
l'Ouganda. C'est lors de la première guerre du Congo (1996-1997), que
les désirs d'émancipation et de leadership du Rwanda s'affirment.
Ils s'expriment à travers le rôle crucial joué par les
troupes rwandaises dans les combats qui ont conduit Laurent
Désiré Kabila au pouvoir en 1997. En ayant entraîné
et fournit le matériel qui a servi à renverser le régime
de Mobutu Sese Seko, Paul Kagame a montré, d'une certaine façon,
à son ancien « mentor » que lui aussi était
désormais capable de faire roi dans la région.81 Cette
performance militaire a créé ce que le sociologue Roger Gould
appelle « l'ambiguïté du rang social »82, le
Rwanda n'était plus dans une position manifestement inférieure
à l'Ouganda.83 À Kisangani84, cette
volonté d'affranchissement s'est vue renforcer puisque
«l'élève» n'a pas hésité à
affronter le maître pour défendre ses intérêts dans
la région. Aujourd'hui, les problèmes entre les deux États
ne sont pas totalement résolus et continuent d'être une source
potentielle de déstabilisation pour toute la région.
2.1.2. Le Rwanda et le Burundi : des «jumeaux»
aux relations en dents de scie.
Le Rwanda et le Burundi ont en commun de nombreuses
caractéristiques. Ils ont une histoire coloniale commune puisqu'ils ont
été colonisés tous les deux par l'Allemagne puis
placés sous mandat de la Société des Nations (SDN) en
1923. Ce mandat de la SDN a été assuré par la Belgique
à la suite du traité de Versailles qui a entériné
la défaite de l'empire allemand au sortir de la première guerre
mondiale (1914-1918).85 Du point de vue du peuplement, les ethnies
que l'on retrouve dans les deux territoires sont similaires. Les populations
sont composées des Tutsis, des Twas et des Hutus. Ils parlent quasiment
la même langue, le Kirundi et le Kinyarwanda étant très
proches.86
80 En français ce terme signifie
garçons. Le président ougandais l'emploie pour signifier à
la classe politique rwandaise qu'ils sont avant tout ses produits. Cela dans le
but de les cantonner à un rôle de subalterne.
81 J.POMFRET. (1997, 9 july). Rwandans led revolt in
Congo. The Washington Post. Disponible à l'adresse :
https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1997/07/09/rwandans-led-revolt-in-congo/7d210372-e307-4222-a04b-a65cd816be5f/
82 R.V. GOULD. (2003). Collision of Wills : How
Ambiguity about Social Rank Breeds Conflict. University Of Chicago Press,
224p.
83 H. TAMM. (2018). Status competition in Africa :
Explaining the Rwandan-Ugandan clashes in the Democratic Republic of Congo.
African Affairs, 118(472), pp.509-530.
84 Ville située dans le nord-est de la
République Démocratique du Congo.
85 A. MWEZE CIRHUZA, & al. (2022). Conflits
armés dans la région de Grands-Lacs africains : une analyse
géopolitique des enjeux et des conséquences à l'est de la
République Démocratique du Congo. Revue International du
Chercheur, 3 (2), pp.252-284.
86 L.PAPY. (1982). Le Rwanda et le Burundi
d'après deux récents atlas. Cahiers d'outre-mer,
35(140), pp.379-387.
38
De plus, les deux États sont enclavés et
possèdent une petite superficie, avec une densité
démographique élevée qui se combine à une
géomorphologie faite de multiples collines. Au lendemain des
indépendances, ils ont connu de graves crises et conflits
politico-ethniques particulièrement dramatiques : le génocide des
Tutsis de 1994 pour le Rwanda, la guerre civile de 1993 pour le
Burundi.87 Ce lourd héritage colonial et guerrier, en plus
d'être la similitude la plus douloureuse entre les deux États,
continue de façonner les représentations des dirigeants des deux
pays et guide ainsi leurs politiques aussi bien sur le plan interne
qu'externe.88 Pour reprendre la formule de Floribert Manirakiza, ils
sont ce que l'on pourrait appeler des «pays jumeaux» au regard de
leurs trajectoires historiques et de leurs caractéristiques
géographiques et démographiques communes.89
Malgré cela, les relations ne sont pas toujours totalement bonnes entre
les deux pays.
Avant la colonisation, les rapports entre le Rwanda et le
Burundi sont dans l'ensemble assez bonnes, malgré des petites
périodes de crises. Avant l'arrivée des colons et leur
indépendance, le Rwanda et le Burundi sont deux royaumes qui
échangent régulièrement des biens et vivent dans une
relative harmonie.90 Ces bons rapports se perpétuent
après les indépendances, mais connaissent tout de même une
crise qui aura un impact durable sur les relations entre les deux États.
En effet, en 1963, les rapports entre le Burundi et le Rwanda sont
entachés par l'attaque menée contre le régime de
Grégoire Kayibanda, président du Rwanda à l'époque
à partir du Burundi. Cette attaque est le fruit d'une rébellion
formée principalement par des réfugiés Tutsis rwandais qui
avaient fui le Rwanda suite à la révolution Hutu de novembre
1959.91 En dépit de cet évènement, les nouveaux
présidents, Juvénal Habyarimana du Rwanda et le capitaine Michel
Micombero du Burundi, se rendent visites continuellement et des rapports assez
cordiaux entre les deux voisins reprennent. Ceux-ci se poursuivent sous le
régime de Jean Baptiste Bagaza, nouveau président du Burundi
à la suite du décès de son prédécesseur le
16 juillet 1983 des suites d'une crise cardiaque, idem lorsque Paul Kagame et
Pierre Nkurunziza arrivent au pouvoir dans les deux pays. Dans l'élan de
ces bonnes relations apparentes, Paul Kagame assiste à l'investiture de
son homologue à Bujumbura le 26 août 2005. En 2015, les relations
courtoises et plutôt bonnes observées entre les deux pays
jusqu'ici changent radicalement et se tendent. Comme il est récurrent
dans les crises qui opposent les
87 J.P. CHRETIEN. (1997). Le défi de
l'ethnisme : Rwanda et Burundi, 1990-1996. Paris : Karthala,123p.
88 P-S. HANDY & A.P. ESTIME. (2022, 11
janvier). Réconciliation entre le Burundi et le Rwanda. Institut
d'Étude de Sécurité. Disponible à l'adresse :
https://issafrica.org/fr/iss-today/la-voie-de-la-reconciliation-entre-le-burundi-et-le-rwanda
89 F. MANIRAKIZA. (2020). Le Burundi et le Rwanda :
pays jumeaux avec des relations en zigzags. Acaref, 2(5),
pp.118-130.
90 Ibid.
91 Ibid.
39
États de la région, les relations entre le
Rwanda et le Burundi deviennent difficiles du fait des accusions
réciproques de soutien aux groupes rebelles hostiles par les deux
gouvernements. Pierre Nkurunziza a accusé Paul Kagame de soutenir des
rebelles burundais opposés à son gouvernement tels que la
Résistance pour un État de Droit au Burundi (RED Tabara), tandis
que Kagame déclarait que les dirigeants burundais « massacrent
leur population du matin au soir » et abritaient des
éléments des Forces de Libération du Rwanda
(FDLR).92 Les tensions font également suite à la
réélection contestée de Pierre Nkurunziza et au coup
d'État manqué du 13 mai 2015, dont le gouvernement accuse le
Rwanda d'être le principal instigateur. À la suite de la
répression qui a suivi le coup d'État manqué, beaucoup de
burundais, dont les opposants au pouvoir, ont fui vers le Rwanda. L'octroi par
le Rwanda du statut de réfugié à ceux-ci a largement
contribué à envenimer les crispations entre les deux
pays.93 Depuis, les deux États se livrent une
véritable guerre diplomatique au sein des organisations internationales
dont ils sont membres. Le Rwanda vote par exemple contre le Burundi au sein de
la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU en 2015.94 Le 6
décembre 2019, le président burundais, Pierre Nkurunziza dans son
discours tenu à l'ouverture de la 10ème session de
l'Assemblée de la CIRGL a réitéré les agressions
rwandaises vis-à-vis de son pays en ces termes : « Le Burundi a
été victime d'agressions armées à plusieurs
reprises depuis 2015. Les attaques proviennent principalement du territoire du
Rwanda et de la RDC. Les attaquants ont été soutenus,
entraînés et équipés militairement par le Rwanda, ce
qui a malheureusement récemment perturbé la
sécurité de certains pays de la sous-région
».95 Le Rwanda est donc à partir de cette
période considéré comme un État ennemi qui menace
la sécurité du Burundi.
Ce n'est qu'en 2020, avec l'arrivée au pouvoir du
président burundais, Evariste Ndayishimiye, que des tentatives de
normalisation des relations entre les deux pays s'engagent. Ce rapprochement se
matérialise par la rencontre des ministres des affaires
étrangères burundais et rwandais au poste frontière de
Nemba le 20 octobre 2020. Au menu des échanges tenus à huit-clos,
la normalisation des relations entre les deux pays.96 Par la suite,
les rencontres entres de hauts responsables des deux pays se multiplient dans
les deux capitales. Le Premier ministre
92 F. REYNTJENS. (2016). Chronique politique du
Rwanda, 2015-2016. In REYNTJENS, F (Dir.), L'Afrique des grands lacs :
annuaire 2015-2016. Paris : L'Harmattan, pp.257-278.
93 RFI. (2015, 3 octobre). Rwanda/Burundi :
tensions entre les deux voisins. Disponible à l'adresse :
https://www.rfi.fr/fr/emission/20151003-mauvaises-relations-tensions-entre-rwanda-burundi-paul-kagame-pierre-nkurunziza
94 F. MANIRAKIZA. (2020), op.cit., p.38.
95 INTERNATIONAL CRISIS GROUP. (2020, janvier).
Éviter les guerres par procuration dans l'est de la RDC et les Grands
Lacs. Crisis Group Briefing Afrique, 150, 21p.
96 L.BROULARD. (2020, 9 octobre). Après des
années de tension, les relations se réchauffent entre le Burundi
et le Rwanda. Le monde Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/22/apres-des-annees-de-tension-les-relations-se-rechauffent-entre-le-burundi-et-le-rwanda
6057014 3212.html
40
rwandais Edouard Ngirente a participé à la
célébration du 59e anniversaire de
l'indépendance du Burundi, au cours de laquelle le président
burundais Evariste Ndayishimiye s'est engagé à rétablir
les liens avec son voisin du nord.97 Une délégation du
Conseil National pour la Défense de la Démocratie - Forces de
Défense de la Démocratie CNDD-FDD a assisté au dernier
congrès du FRP tenu les 1er et 2 avril 2023 à Kigali.
Cependant, malgré la volonté affichée par les deux
voisins, la question du rapatriement des putschistes burundais demeure un point
de tension important et n'a pas encore trouvé une issue
favorable.98 En dehors des accusations réciproques de soutien
aux groupes rebelles, les tensions entre le Rwanda et le Burundi sont aussi
très marquées par le fait ethnique. Selon Paul Simon Handy, il y
a dans l'entourage des dirigeants des deux pays des suprémacistes Hutus
et Tutsis qui alimentent l'idée d'un soutien aux groupes rebelles sur la
base ethnique en vue de l'établissement d'une région dans
laquelle l'une des deux ethnies prendrait la tête des gouvernements.
Rappelons que les élites dirigeantes en place dans les deux pays ont
mené des guerres pour renverser les Hutus au Rwanda et les Tutsis au
Burundi. En effet, quand le CNDD-FDD, au pouvoir au Burundi, à
majorité Hutu luttait contre un régime dominé par les
Tutsis, le FPR, lui, combattait un régime à dominance Hutu qui
massacrait les Tutsis en majorité.
Paul Simon Handy pense qu'il y a deux visions qui s'affrontent
et les décrit comme suit : « Il y aurait, d'un
côté les extrémistes hutus du Burundi qui pensent que le
Rwanda est dominé par des suprémacistes tutsis et que le Rwanda
ne connaîtra pas le repos tant que le Burundi ne sera pas
également dirigé par un régime tutsi. Et de l'autre des
extrémistes Tustis au Rwanda qui perçoivent dans les Hutus au
pouvoir au Burundi des individus qui partagent la même idéologie
que les Hutus rwandais qui ont commis le génocide contre les Tutsis en
1994. ».99 Quand l'un célèbre le
génocide des Tutsi de 1994, l'autre parle du génocide des Hutus
de 1972. Dans les deux cas, les minorités des Hutus et Tutsis
assassinés sont peu ou pas abordées par les pouvoir en place lors
des commémorations de ces tragédies humaines. Au Rwanda, la
mention ethnique a été supprimée des pièces
d'identité nationale alors qu'au Burundi elle continue d'exister et
s'oppose à la conception non ethnisée de la société
des dirigeants rwandais. Autant d'éléments qui
différencient les deux États et alimentent les crises entre
eux.
97 P-S. HANDY & A.P. ESTIME. (2022, 11 janvier),
op.cit., p.38.
98 RFI. (2022, 27 octobre). Burundi : les
« putschistes » réfugiés à Kigali restent une
épine dans les relations avec le Rwanda. Disponible à
l'adresse :
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221027-burundi-les-putschistes-réfugiés-à-kigali-restent-une-épine-dans-les-relations-avec-le-rwanda
99 P-S. HANDY & A.P. ESTIME. (2022, 11 janvier),
op.cit., p.38.
41
2.1.3. Rwanda-RDC : deux voisins aux relations
politico-diplomatiques tumultueuses
depuis le génocide de 1994.
Près de 20 ans après le second conflit de la RDC
(1998-2003), l'instabilité et l'insécurité demeurent les
principales caractéristiques de sa partie orientale. Les groupes
armés continuent d'y commettre des crimes, des pillages de ressources et
des exactions contre les populations civiles qui vivent dans la peur et dans un
contexte de violence permanent. C'est au prisme de ce contexte
d'insécurité et d'affrontements réguliers entre les forces
loyalistes et les groupes rebelles qu'il convient de lire les relations
conflictuelles quasi permanentes que ce géant démo-territorial
entretient avec son voisin rwandais. En effet, depuis la fin de la seconde
guerre du Congo dite « première guerre continentale africaine
»100 en référence au nombre d'acteurs
étatiques impliqués dans le conflit, le Rwanda et la RDC
s'accusent continuellement de soutenir des groupes armés rebelles qui
sont hostiles aux deux États. Quand la RDC accuse le Rwanda de soutenir
les groupes rebelles sur son sol, en particulier celui du mouvement du 23 Mars
ou M23101 à des fins économiques et d'exploitation
illicite des matières premières, le Rwanda rétorque en
accusant le gouvernement congolais de soutenir et d'héberger les
rebelles des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR)
sur son sol. Ces relations sont minées par l'existence d'un certain
nombre de groupes rebelles dans la région.
Pour une meilleure compréhension des tensions qui
caractérisent les relations politiques et diplomatiques entre la RDC et
le Rwanda, il convient de rappeler quelques faits majeurs qui permettent de
mieux rendre compte la situation actuelle. Les conflits armés dans l'est
de la RDC, qui polarisent leurs relations conflictuelles, prennent leur source
au lendemain du génocide de 1994 et des conséquences humaines
qu'il a engendrées.102 Parmi les conséquences majeures
de ce drame en dehors de la mortalité élevée, on note le
nombre de réfugiés. En effet, durant les conflits qui ont
touché la région, ils ont été des millions à
fuir dans les pays voisins où ils se sont entassés dans les camps
de réfugiés majoritairement à l'est de la RDC. A partir de
juillet 1994, ces camps de réfugiés, surtout ceux à l'est
du Zaïre, sont en plein désarroi et l'aide humanitaire peine
à y être déployée alors qu'une
épidémie de choléra fait des milliers de
victimes.103 Sadako Ogata, le Haut-Commissaire des Nations Unies
pour les réfugiés de
100 Cette expression est utilisée pour la
première fois parle géographe Rolland POURTIER dans son article
intitulé Le Congo (RDC) entre guerre et pillage (THE CONGO (DRC) AMID
WAR AND PLUNDER)
101 Le mouvement du 23 mars, également appelé
M23, est un groupe créé à la suite de la guerre du Kivu.
Il est composé d'ex-rebelles du Congrès national pour la
défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda
réintégrés dans l'armée congolaise à la
suite d'un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec le gouvernement
congolais. Ils se sont ensuite mutinés en avril 2012. Leur nom provient
des accords du 23 mars 2009, car les membres considèrent que le
gouvernement congolais n'a pas respecté les modalités de
celui-ci.
102 Y. GWET. (2023, 8 janvier). Dans le conflit Rwanda-RDC,
l'histoire bégaie-t-elle ? Jeune Afrique. Disponible à
l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1400635/politique/dans-le-conflit-rwanda-rdc-lhistoire-begaie-t-elle/
103 F. PITON. (2018). Le génocide des Tusti du
Rwanda. Paris : La Découverte, p.175.
42
l'époque décrivait la situation en ces termes :
« Avec sa topographie volcanique rocheuse, cette région,
déjà très peuplée, est particulièrement mal
adaptée pour accueillir des camps de réfugiés. Les
ressources en eau y manquent cruellement et l'infrastructure locale pour
soutenir une opération humanitaire de grande envergure est à peu
près nulle »104. Composés de simples civils,
mais aussi de soldats, ces réfugiés ont fini par devenir la
grande hantise des populations de la région ; ils jouent
désormais un rôle crucial dans les crises qui minent la
région depuis 1990, parmi eux on compte de nombreux criminels de guerre
qui ont fini par créer des groupes rebelles.105 Dans le cadre
du génocide, par exemple, au moment de la riposte menée par
l'Armée Patriotique Rwandaise (APR) devenu FPR en 2002 contre les
génocidaires Hutus, ils sont près de deux millions de
réfugiés qui fuient le Rwanda en direction des pays voisins,
principalement vers le Zaïre (actuelle RDC) et la Tanzanie.106
Parmi eux, près de 1,5 millions sont des Hutus, ils fuient vers la RDC
et s'entassent dans les camps de réfugiés. Ceux-ci étant
constitués des éléments des forces armées
rwandaises (FAR) et des miliciens Interahamwe107 sont
considérés par le FPR comme une menace.108 Ainsi,
craignant que ces miliciens se servent des camps de réfugiés pour
se remobiliser et s'organiser afin de mener une contre-offensive en direction
de Kigali, les forces du FRP envahissent ces camps dans le but de mettre fin
à la menace à partir de 1996.109 C'est sous couvert
d'un soulèvement des Banyamulenges contre l'administration zaïroise
et ses tracasseries, que les forces du FPR mènent leurs actions, en
attaquant les forces génocidaires en RDC.110 Il s'agit de la
première intrusion directe des forces armées du Rwanda en RDC.
Celle-ci a consacré la transposition des problèmes rwandais sur
le sol congolais.
104 UNHCR. Les réfugiés dans le monde :
Cinquante ans d'action humanitaire. Chapitre 10 : Le génocide rwandais
et ses répercussions. Disponible à l'adresse :
https://www.unhcr.org/fr/media/les-refugies-dans-le-monde-cinquante-ans-daction-humanitaire-chapitre-10-le-genocide-rwandais
105 P.B. MAKUTU KAHANDJA. (2009). La géopolitique
de l'instabilité dans la région des Grands Lacs :
Réflexions sur les réfugiés, ces acteurs-auteurs des
mutations géostratégiques. Paris : L'Harmattan-RDC, 73p.
106 Ibid.
107Les Interahamwe constituent la plus
importante des milices rwandaises créées dès 1992 par le
Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND) ,
parti du président Juvénal Habyarimana, au Rwanda. Ces milices
sont responsables de la plupart des massacres pendant le génocide en
1994.
108F. REYNTJENS. (2021). Le génocide des
tutsi au Rwanda (2e éd.). Paris : Puf, p.105.
(Collection Que sais-je ?) 109P. BLACKBURN. (1969). Génocide
et crimes de masse. L'expérience rwandaise de MSF 1982-1997, par Jean-H.
BRADOL & M. Le PAPE. Anthropologica, 60(2),
pp.548-549.
110R. POURTIER. (2006). Les réfugiés
en Afrique centrale : une approche géopolitique (Refugees in central
Africa : a geopolitical approach). Bulletin de l'Association de
géographes français, 83(1), pp.50-61.
Durant cette période les Banyamulenges s'opposent
à l'administration congolaise qu'ils accusent de les traiter comme des
« étrangers » alors qu'ils se considèrent comme
congolais. Ils revendiquent la nationalité congolaise qui leur ait
nié par le régime de Mobutu. La majorité d'entre eux sont
des descendants des tutsis rwandophones qui ont migré vers le Congo
belge pour des raisons économiques à la fin des années
1920 début des années 1960.
43
L'autre fait majeur est l'implication directe du nouveau
gouvernement rwandais, en compagnie de son allié ougandais, dans les
affaires internes de la RDC. Ils créent en 1996 la rébellion de
l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du
Zaïre-Congo (AFDL), puis aident ce mouvement, dirigé par Laurent
Désiré Kabila, à renverser Mobutu Sese Seko au pouvoir en
1997. Les régimes rwandais et congolais sont des alliés, à
la suite du renversement du président zaïrois. Mais, très
vite, Laurent Désiré Kabila souhaite se défaire de ses
alliés car il percevait mal la présence des forces
étrangères sur son sol alors que les objectifs ont
déjà été atteints. Ainsi, à partir de 1998,
il réclamait le retrait de toutes les troupes rwandaises et ougandaises
de la RDC. Cette tentative d'émancipation passait mal côté
rwandais, où l'on considérait cette décision comme une
véritable trahison de la part de Laurent Désiré Kabila, le
« produit » que le Rwanda a aidé à accéder au
pouvoir.111 Ne pouvant accepter de perdre le contrôle de
certaines ressources minières importantes présentes au Congo et
indispensables à son économie, le Rwanda envahit, le 2 août
1998, une deuxième fois le Congo, en se camouflant derrière de
nouveaux mouvements rebelles, et en arguant toujours de préoccupations
sécuritaires aux frontières avec la RDC.112 Une
nouvelle guerre éclate, et cette fois-ci le renversement du pouvoir
voulu par le Rwanda et l'Ouganda n'aboutit pas, Laurent Désiré
Kabila parvenant à rester au pouvoir grâce au soutien que lui
avaient apporté l'Angola et le Zimbabwe. Ce conflit prit fin avec la
signature de nombreux accords de paix : celui de Lusaka (Zambie) en 1999, puis
ceux de Pretoria (Afrique du Sud) et de Luanda (Angola) en 2002. Ces
traités ont relativement participé à la stabilisation de
la région en raison notamment du départ des 20 000 soldats
rwandais à l'est de la RDC en 2002.113
En dépit de ces traités et de ceux qui ont
suivi114, de la présence des forces onusiennes, de nombreux
groupes armés, parrainés par des gouvernements étrangers,
continuent à opérer sur le territoire congolais (ADF,
Maï-Maï, FDLR etc.). Parmi ces groupes, le M23 est le principal point
des tensions entre le Rwanda et la RDC. Défait par les FARDC, les forces
de la Missions des Nations Unies pour la stabilisation en RD Congo (MONUSCO) et
une force d'intervention africaine (Malawi, Tanzanie, Afrique du Sud) en 2013,
le M23 a refait surface en perpétrant de nouvelles attaques contre
l'armée congolaise dans le territoire du Rutshuru à partir de
novembre 2021. Entre le 28 et le 29 mars 2022 les combattants du M23 ont
également attaqué les forces
111 S. CHABOUNI. (2013), op.cit., p.33.
112 S. CHABOUNI. (2013), op.cit., p.33. 113P.
JACQUEMOT. (2014), op.cit., p.13. 114 Notamment ceux de Nairobi en 2006, de
Goma signé en 2009 entre le CND et le gouvernement de la RDC et de
Nairobi en 2013 signés entre le gouvernement congolais et le M23.
44
congolaises dans le Nord-Kivu.115 La
résurgence de ce mouvement rebelle a complètement sapé
tous les efforts de rapprochement que l'on a pu observer entre les deux
États ces dernières années. En effet, depuis 2016 les
dirigeants des deux pays ont entamé des processus de normalisation de
leurs relations bilatérales. Cela s'est manifesté par des visites
et des rencontres entre les deux présidents, par exemple. Paul Kagame et
Joseph Kabila se sont rencontrés à Rubavu au Rwanda en 2016 pour
évoquer les questions sécuritaires, mais aussi celles
liées aux intérêts économiques des deux
pays.116 En 2017, ils ont même signé un accord
d'exploitation commune du méthane présent dans le Lac Kivu que
les deux pays partagent.117 Ces tentatives de normalisation des
relations bilatérales se sont poursuivies malgré les changements
opérés à la tête de l'État congolais. Felix
Antoine Tshisekedi, nouveau président élu de la RDC à
partir de janvier 2019 poursuit le processus de normalisation entrepris par son
prédécesseur, Joseph Kabila. Les deux présidents se sont
rencontrés à deux reprises : le 25 juin 2021 à Rubavu,
puis le lendemain à Goma. À l'issue de ces rencontres de nouveaux
accords économiques ont été signés entre les deux
pays notamment dans le secteur minier.118 Selon un communiqué
de la présidence congolaise, la Société aurifère du
Kivu et du Maniema (Sakima SA) et celle rwandaise, Dither LTD, ont signé
« un protocole d'accord de coopération » en marge de cette
rencontre pour l'exploitation de l'or, afin de priver les groupes armés
des revenus issus de cette filière.
Le climat de détente qui semblait s'installer a
été vite rompu avec l'intensification des combats entre le M23 et
les forces armées de la RDC. Accusé par la RDC de soutenir ce
groupe rebelle, le Rwanda dément être impliqué. Depuis la
prise de la ville du Rutshuru par le M23, les deux pays se livrent une
véritable guerre des mots par médias interposés. En
réaction à la prise de Rutshuru par les rebelles, le gouvernement
congolais a expulsé l'ambassadeur du Rwanda119, une
décision regrettée par l'État rwandais qui continue de
nier son implication et son soutien aux forces du M23. Lors de
l'Assemblée des Nations Unies tenue le 13 septembre 2022 à
New-York, le président congolais, Félix Antoine Tsishekedi, a de
nouveau accusé le
115 M.HUGON. (2022,27 mai). RDC : qui sont les rebelles du M23
et pourquoi sont-ils source de tensions avec le Rwanda ?
Tv5.com. Disponible à
l'adresse :
https://information.tv5monde.com/afrique/rdc-qui-sont-les-rebelles-du-m23-et-pourquoi-sont-ils-source-de-tensions-avec-le-rwanda
116 T. KIBANGULA. (2016, 12 août). Rwanda - RDC : ce que
Kabila et Kagame se sont dit à Rubavu. Jeune Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/349037/politique/rwanda-rdc-kabila-kagame-se-dit-a-rubavu/
117 RFI. (2017, 23 mars). La RDC et le Rwanda
approfondissent la recherche scientifique autour du lac Kivu. Disponible
à l'adresse :
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20170314-rwanda-surveillance-lac-kivu-operee-une-cooperation
118 JEUNE AFRIQUE & AFP. (2021, 27 juin). Or : la RDC
et le Rwanda signent un accord sur l'exploitation minière.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1194739/economie/kinshasa-et-kigali-signent-des-accords-commerciaux-notamment-sur-lexploitation-de-lor/
119 Il s'agit de Vincent Karega.
45
Rwanda.120 Malgré la tentative de
conciliation engagée par le président français, Emmanuel
Macron en marge du sommet, la situation n'a pas évolué et les
combats continuent sur le terrain entre les FARDC et le M23.121 La
crise s'est de nouveau invitée au dernier Sommet de la Francophonie tenu
à Djerba le 19 et 20 novembre 2022 en Tunisie où le premier
ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge a refusé de poser au
côté de Paul Kagame sur la photo de famille qui a
clôturé le sommet.122 Dans un discours tenu le 30
novembre 2022 devant le Parlement, à l'occasion de la prestation de
serment de nouveaux responsables nommés au dernier conseil des
ministres, Paul Kagame a accusé son homologue congolais de jouer sur la
crise du M23 pour faire retarder les élections présidentielles
à venir.123 Félix Tsishekedi lui a répondu en
ses termes dans un discours d'État « Je pense que le
président Kagame n'a pas de qualité pour faire un quelconque
commentaire sur ce qui concerne les élections » avant de se
demander si la liberté d'expression existait au Rwanda. Il l'a
également qualifié de président rétrograde dont
l'Afrique devrait se débarrasser.124 Cette escalade verbale
montre bien à quel point la tension entre les deux États est
vive. La découverte du charnier de Kishishe dans la province du
Nord-Kivu par les forces armées congolaises rend quasiment impossible la
normalisation des relations entre les deux pays et met de facto en péril
l'ensemble des processus de négociations pacifiques engagées
à Nairobi et à Luanda125. Surtout que le M23 n'a pas
pris part aux réunions visant la fin des combats. Le retrait
amorcé par le M23 dans certaines localités n'a pas
amélioré les relations entre les deux États dont les
relations demeurent tendues.
2.1.4. Le complexe d'obsidionalité
développé par le Rwanda
En géopolitique, l'encerclement ou le complexe
d'obsidionalité relève d'abord d'un ensemble de
représentations qu'un État se fait par rapport à
l'environnement régionale dans lequel il évolue et par rapport
aux relations qu'il entretient avec ses voisins immédiats. Le
120 Pour retrouver l'intégralité du discours
voire l'adresse du site officiel des Nations Unies
https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127551
121 R. GRAS. (2023, 3 mars). Emmanuel Macron,
l'équilibriste entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Jeune
Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1422691/politique/emmanuel-macron-lequilibriste-entre-felix-tshisekedi-et-paul-kagame/
122 G. VILLADIER. (2022, 19 novembre). Sommet de la
Francophonie : la RDC refuse d'être sur la photo aux côtés
du Rwanda [Vidéo]. Disponible à l'adresse :
https://information.tv5monde.com/afrique/sommet-de-la-francophonie-la-rdc-refuse-detre-sur-la-photo-aux-cotes-du-rwanda-1438046
123 JEUNE AFRIQUE. (2022, 1er décembre).
RDC-Rwanda : Kagame accuse Tshisekedi d'utiliser la crise du M23 pour
retarder la présidentielle. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1397192/politique/rdc-rwanda-kagame-accuse-tshisekedi-dutiliser-la-crise-du-m23-pour-retarder-la-presidentielle/
124 R. GRAS. (2022, 5 décembre). RDC-Rwanda : entre
Tshisekedi et Kagame, l'escalade verbale se poursuit. Jeune Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1397972/politique/rdc-rwanda-entre-tshisekedi-et-kagame-lescalade-verbale-se-poursuit/
125 Rappelons que le mini-sommet régional de Luanda de
fin novembre n'a rien donné sur le terrain militaire. Le M23, qui ne se
dit pas concerné par l'accord de retrait de ses troupes des zones
occupées, n'a pas reculé des territoires occupés. Les
combats ont même repris ces derniers jours, violant ainsi un
cessez-le-feu qui n'aura tenu que cinq (5) petits jours.
46
complexe d'obsidionalité perçu par un
État peut être dans certains cas, directement transposé
à sa réalité géographique d'enclavement, comme nous
le postulons pour le cas du Rwanda qui est ici à l'étude. En
effet, la situation géographique d'enclavement peut dans certaines
situations renforcer le sentiment d'encerclement d'un État surtout
lorsque celui-ci entretient des relations difficiles avec son voisinage. En
pareille situation, il y a ce que l'on pourrait appeler une situation de «
double encerclement », c'est-à-dire un encerclement à la
fois géographique du fait de la situation d'enclavement et un
encerclement géopolitique liée cette fois-ci à la
perception que l'on a des pays limitrophes. Cette volonté d'isoler ou
d'encercler s'est souvent faite par le biais d'un réseau d'alliance
noué entre divers États qui ont un autre État comme ennemi
commun. À côté de ces alliances qui peuvent être
tissées entre certains pays en vue d'isoler un autre, l'encerclement
peut découler des représentations. Ainsi, sans même que les
États qui l'entourent nouent des alliances concrètes avec
l'objectif de l'isoler ou de l'encercler, un État en raison des
relations politiques et/ou diplomatiques exécrables qu'il entretient
avec ses voisins peut avoir l'impression ou le sentiment de l'être.
Le cas du Rwanda est particulièrement
intéressant. Comme nous l'avons vu plus haut, celui-ci entretient des
relations difficiles et parfois conflictuelles avec ses voisins depuis de
nombreuses années. À un moment ou à un autre, ce petit
État a joué un rôle déterminant dans les conflits
qui ont touché la région, et malgré la multitude des
acteurs impliqués dans ceux-ci, il y a joué un rôle
central.126 Aujourd'hui encore, bien que les guerres ouvertes entre
États n'existent plus dans la région, il continue d'être au
centre de toutes les attentions en raison des accusations de
déstabilisation via des groupes rebelles dont il fait l'objet par les
États qui lui sont limitrophes. Ainsi, au vu de la grave
détérioration des rapports qu'il entretient avec son voisinage,
il semble que, politiquement, le Rwanda soit mal apprécié dans la
sous-région et se trouve dans un état d'isolement, et ce depuis
quelques années déjà.127 Ce contexte a
semble-t-il nourrit chez les dirigeants rwandais l'idée selon laquelle
leur État évolue dans un environnement hostile. Cette situation
ressemble à bien des égards aux perceptions que l'État
hébreu a vis-à-vis des États arabes qui l'entourent au
début des années 1950. Ce dernier se sentait encerclé par
ses voisins arabes qu'il percevait comme hostiles.
Le sentiment d'encerclement que le Rwanda a
développé trouve également sa source dans des
représentations qui se sont forgées pendant le génocide,
surtout chez la classe dirigeante aujourd'hui majoritairement d'origine Tutsi.
Il y aurait ainsi, selon Frédéric Encel, « de nombreux
Tutsi qui se positionnent comme des «Juifs d'Afrique'', minoritaires et
qui évoluent
126 F. REYNTJENS. (2020), op.cit., p.13.
127 S. CHABOUNI. (2020), op.cit., p.8.
47
dans un environnement très hostile, objets d'une
perception fantasmatique d'hommes « élus » victimes
abandonnées d'un génocide, peuple doté d'une
combativité ayant permis de chasser ses bourreaux et de prendre le
pouvoir par les armes »128. Cette représentation
est fondée sur la mémoire génocidaire qu'ils partagent
avec Israël. Étant donné qu'un État enclavé et
surtout encerclé ne peut se mouvoir pleinement dans un environnement
hostile, le Rwanda a entrepris une diplomatie de plus en plus active
dirigée vers les pays situés à rebours de ses voisins
proches. Il a pour preuve signé des partenariats militaires avec le
Mozambique voisin de la Tanzanie et la République Centrafricaine pays
frontalier à la RDC. Il a aussi acheté des terres pour
l'agriculture en République du Congo un autre voisin de la RDC (cf.
carte 6). Il se déploie également sur le reste du continent et
même au-delà de l'Afrique, puisqu'il a des relations plutôt
bonnes avec ses partenaires européens (la Belgique, le Royaume-Unis, la
Suède etc..), américains (les États-Unis et le Canada) et
asiatiques (la Chine et l'Inde).
Cette stratégie diplomatique ressemble à
plusieurs points de vue à celle qu'Israël avait adoptée dans
les années 1950 pour briser l'encerclement arabe dont il s'est toujours
considéré victime. Cette stratégie dite de « doctrine
périphérique » ou « diplomatie de la seconde ceinture
» avait été élaborée par le premier ministre
israélien David Ben Gourion129 pour sortir l'État
hébreu de son isolement régional.130 Dans la pratique,
elle consistait à nouer des alliances stratégiques avec les
États non arabes et les minorités de la région qui
étaient situés au-delà de la première ceinture des
pays qui l'entouraient. Trois pays constituaient les piliers de cette
stratégie d'alliances de revers : l'Éthiopie, pour contrer
l'Égypte (de 1955 à 1976) ; l'Iran, pour contrer l'Irak (de 1950
à 1979) ; la Turquie, pour contrer la Syrie et l'Irak (de 1994 à
2007).131 Au demeurant, les trois dirigeants de ces États
entretenaient de bonnes relations avec les États-Unis qui au passage
sont un partenaire privilégié d'Israël. Il est donc tout
à fait compréhensible que l'État hébreu se soit
tourné vers ces pays pour mener sa stratégie de
désencerclement vis-à-vis de ses voisins arabes.
128 F. ENCEL & F. THUAL. (2011). Géopolitique
d'Israël. Paris : Le Seuil, p.18.
129 Il est le fondateur de l'État
d'Israël, dont il proclame l'indépendance le 14 mai 1948. Il est
Premier ministre du pays de 1948 à 1954 et de 1955 à 1963.
130J. SAMAAN. (2014). Israël et l'Eurasie : le
retour de la doctrine de la périphérie ?
Géoéconomie, (72), pp.139-150.
131Y. GUZANSKY & G. LINDENSTRAUSS. (2012,
July). Revival of the periphery concept in israel's forein policy ?
Strategic Assessment. 15 (2), pp.27-40.
L'Iran était dirigé par le Shah, la Turquie par
Celâl Bayar et l'Éthiopie par Haïlé
Sélassié.
48
Carte 6. Mise en perspective de la stratégie de
désencerclement du Rwanda
Cette carte montre les différentes relations que le
Rwanda entretient avec les pays voisins et ceux situés à rebours
de ces derniers. Trois pays apparaissent comme ennemis au Rwanda (Burundi, RDC,
Ouganda) en raison de leur relation difficile. Ces derniers forment le trio
d'encerclement dont le Rwanda se sent victime. Pour briser cet encerclement, le
Rwanda à la lecture de la carte, a noué des partenariats
économiques et/ou militaires avec divers pays (Mozambique, Congo, Soudan
du Sud, RCA). Si avec le Burundi, l'Ouganda et la RDC les relations sont
quasi-conflictuelles, avec les États du Kenya et de la Tanzanie,
celles-ci sont bonnes en raison notamment de la dépendance du Rwanda
vis-à-vis des débouchés maritimes que lui offrent ces deux
pays.
49
2.2. Les mobiles économiques, sécuritaires et
politiques du déploiement rwandais en Afrique
2.2.1. Les mobiles économiques
Le budget du Rwanda comporte encore une part non
négligeable de l'aide étrangère surtout, celle venant des
pays occidentaux. Bien qu'étant en constante diminution au fil des
décennies, cette aide contribue encore à 15 % des ressources
budgétaires (cf. graphique 3). La contribution financière des
États occidentaux maintient le Rwanda dans une position de
dépendance vis-à-vis de ceux-ci. Les dirigeants du Rwanda ont
d'ailleurs expérimenté la fragilité de leur
économie dépendante de l'aide en 2012, lorsque les
prévisions budgétaires ont été mises en
difficulté par la suspension et la diminution de l'aide des principaux
alliés occidentaux (États-Unis, Grande Bretagne, Suède
...). Ces coupes sont intervenues suite à la publication d'un rapport
des Nations Unies sur des crimes contre l'humanité commis en RDC, dans
lequel le Rwanda est accusé de soutenir les rebelles du M23 et d'avoir
perpétré des crimes sur des civils.132 La diminution
de l'aide étrangère a ainsi impacté l'économie
locale et a forcé l'État à revoir ses prévisions
budgétaires.133 Le Rwanda est bien conscient de sa marge de
manoeuvre parfois limitée par sa dépendance à
l'extérieur. Paul Kagame, lui-même, a reconnu que cette
dépendance représentait un défi pour l'économie de
son pays. Il a même qualifié l'aide internationale comme
étant un poison dont il faut absolument se passer.134 Il a
déclaré après les suspensions de l'aide internationale :
« Aucun pays au monde ne reçoit l'aide internationale et ne
l'utilise de meilleure façon que le Rwanda. Donc je ne suis pas
sûr que ces gens qui donnent l'aide internationale veulent que nous nous
développions. Ils donnent une aide et espèrent que nous resterons
des mendiants. Ils vous donnent de l'aide pour que vous les glorifiez et
dépendiez d'eux. Ils ne cessent de l'utiliser comme un outil de
contrôle et de gestion ».135 De plus, Paul Kagame
dans une interview accordée à Jeune Afrique fait une
analyse très lucide au sujet de la dépendance de son pays
à l'aide internationale. Il sait qu'elle ne dépend que des
critères qui sont définit par le donateur. Il déclare :
« ...nous ne sommes pas naïfs. Nous savons très bien que
l'aide dépend du bon vouloir de qui la donne ou la retire, pour des
raisons qui lui
132 UN, S. C. (2012,8 août). Letter Dated 7 August
2012 from the Coordinator of the Group of Experts on the DRC Addressed to the
Acting Chair of the Committee. (Rapport S/AC.43/2012/ COMM.32)
Voir également HUMAN RIGHTS WATCH, (2012, 11
septembre). DR Congo : M23 Rebels Committing War Crimes. Rwandan Officials
Should Immediately Halt All Support or Face Sanctions.
133 J. RÉVILLON. (2014), op.cit., p.28.
134 J. RÉVILLON. (2014), op.cit., p.28.
135Déclaration de Paul Kagamé le 4
octobre 2012, lors de l'ouverture de l'année judiciaire 2012-2013,
« Rwanda's GDP growth to slow down if aid suspension enters into 2013
», The East African, 27 octobre 2012.
50
appartiennent. ».136 Les
critères des pays occidentaux étant parfois trop liées au
contexte politique, Paul Kagame, sachant son pays souvent pointé du
doigt pour des questions liées aux pratiques démocratiques et aux
droits de l'homme a donc recherché des solutions pour palier à la
diminution des ressources financières issues de l'aide des pays
occidentaux. Ainsi, outre l'appel aux « impôts volontaires
»137 censé, y remédier, Paul Kagame entretient
depuis ces évènements une politique extérieure dynamique,
volontiers provocatrice, cherchant à se trouver de nouveaux
alliés en Afrique et en Asie, dans le but de réduire sa
dépendance à l'aide venant des pays occidentaux.138
L'autre explication économique plausible de l'intense
activité diplomatique du Rwanda, que l'on pourrait évoquer ici ;
est liée aux caractéristiques de sa géographie et à
la rareté des ressources stratégiques à forte valeur
économique sur son sol. Ces particularités l'obligent à
rechercher des partenariats avec des États qui peuvent lui offrir des
opportunités économiques en contrepartie de ses services,
notamment sur le plan militaire. Dans ce sens, le Rwanda a réussi
à acheter des terres agricoles en République du Congo. Rappelons
que la problématique de disponibilité des terres cultivables est
un véritable problème pour le Rwanda du fait de
l'étroitesse de son territoire. Avec l'acquisition de près de 12
000 hectares pendant près de 25 ans, le Rwanda s'offre une solution de
choix pour le développement de ses activités agricoles. À
travers sa filiale Crystal Ventures Limited (CVL), le Rwanda a également
acquis la gestion de la zone industrielle et commerciale de Maloukou,
située à seulement 70 km de Brazzaville.139 Il y a
aussi dans la stratégie de déploiement militaire du Rwanda en
Afrique, une volonté de désamorcer toutes les situations
sécuritaires qui pourraient mettre en difficulté son
économie. Son déploiement au Mozambique obéit parfaitement
à cette logique. En effet, en intervenant au Mozambique, le Rwanda
souhaite préserver la stabilité dans ce pays qui partage des
frontières avec la Tanzanie au nord où il achemine une part
importante de ses importations via le port de Dar es Salaam. Toute
déstabilisation de la Tanzanie aurait un impact sur l'économie
du
136 F. SOUDAN. (2013, 27 mai). Paul Kagamé : « Le
Rwanda n'a pas été fait pour moi ». Jeune Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/137351/politique/paul-kagam-le-rwanda-n-a-pas-t-fait-pour-moi/
137 T.KIBANGULA. (2012,21 août).Rwanda : « Agaciro
», ou comment Kagamé compte se passer de l'aide internationale.
Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/174666/politique/rwanda-agaciro-ou-comment-kagam-compte-se-passer-de-l-aide-internationale/
138 S. CHABOUNI. (2015), op.cit., p.13.
139O. CASLIN. (2022, 14 avril). Paul Kagame
à Brazzaville sous le signe de « l'amitié et de la
coopération » avec le Congo. Jeune Afrique. Disponible
à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1339129/politique/paul-kagame-a-brazzaville-sous-le-signe-de-lamitie-et-la-cooperation-avec-le-congo/
51
Rwanda.140 Ainsi, intervenir pour sécuriser
les parties nord du Mozambique c'est aussi s'assurer que le
phénomène ne s'exporte pas chez le voisin tanzanien où il
a ses intérêts.
2.2.2. Les mobiles sécuritaires
L'une des plus grandes préoccupations du Rwanda, depuis
la fin du génocide de 1994, est la sécurité de son
territoire. Les gouvernants actuels n'ont pas hésité, pour se
protéger d'une possible invasion ou attaque, à transgresser le
droit international en allant sur le territoire de la RDC pourchasser les
milices et les forces armées qui étaient
considérées comme responsables des massacres liés au
génocide. Aujourd'hui encore, cette préoccupation
sécuritaire n'a pas disparu puisque les dirigeants rwandais continuent
de s'inquiéter de la présence des Forces de Libération du
Rwanda (FDLR) en RDC. Selon un rapport du baromètre sécuritaire
du Kivu publié sur le site officiel de l'ONG Human Rights Watch en 2017,
les FDLR ne compteraient plus qu'entre 500 et 1000 combattants dans ses rangs,
contre 6 500 en 2008.141 En terme d'effectif, militairement, les
FDLR semblent bien plus faibles aujourd'hui qu'il y a dix ans. Ils ont
également perdu le contrôle de la majeure partie du territoire et
des zones minières qu'ils contrôlaient autrefois. Fin 2017, selon
le même rapport, les capacités opérationnelles des FDLR ont
sérieusement été limitées par son manque de
munitions, mais aussi à cause des offensives militaires conjointes
menées par les Forces armées de la République
démocratique du Congo (FARDC) et la MONUSCO au courant de l'année
2015. Néanmoins, bien qu'il se soit considérablement affaibli, il
demeure toujours un groupe redoutable en raison de son importance politique
dans la région. Les soldats qui sont encore sur le terrain sont en
grande majorité des combattants, bien entraînés et
aguerris.142 Le fait qu'il soit encore composé d'anciens
génocidaires continue de préoccuper les dirigeants actuels du
Rwanda. Dans une interview accordée 7 août 2022 aux journalistes
de Radio France Internationale (RFI), le ministre des affaires
étrangères du Rwanda143, affirmait que les FDRL
continuaient de constituer une menace pour la sécurité de son
pays et qu'ils ont même mené des attaques contre le Rwanda
à trois reprises en novembre 2021, à partir du territoire
congolais.144
140 P-S. HANDY. (2021, 27 septembre), op.cit., p.8.
141 LE BAROMETRE SECURITAIRE DU KIVU. (2017, mai). Kidnapping
contre rançon Incidents à Rutshuru, Nyiragongo et Goma
République démocratique du Congo. Disponible à l'adresse :
https://www.hrw.org/sites/default/files/supporting_resources/201805africa_drc_kivutracker_pdf_french.pdf
142 S. BUJAKERA TSIAMALA. (2021, 26 février). Assassinat
de l'ambassadeur italien : « Les FDLR sont forts et influents, mais ils ne
sont pas les seuls ». Jeune Afrique. Disponible à
l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1127877/politique/assassinat-de-lambassadeur-italien-les-fdlr-sont-forts-et-influents-mais-ils-ne-sont-pas-les-seuls/
143 Il s'agit de Vincent Biruta.
144 L'intégralité de l'interview est disponible
à l'adresse suivante :
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20220807-vincent-biruta-ce-qui-est-visible-c-est-la-pr%C3%A9sence-du-fdlr-avec-une-id%C3%A9ologie-g%C3%A9nocidaire
52
Pour faire face à cette menace, le gouvernement
rwandais a très souvent évoqué le droit de poursuite pour
justifier l'intrusion de ses forces armées dans la partie orientale de
la RDC, notamment dans la province du Nord-Kivu. Dans une interview
accordée au quotidien Jeune Afrique en février 2023,
Paul Kagame affirmait que : « la menace que représente les FDLR
peut nous amener à intervenir au Congo sans excuses ni préavis
».145 Par cette déclaration, le président
rwandais reconnait d'une certaine façon la présence de ses forces
armées dans l'est de la RDC, comme l'avait déjà
dénoncé plusieurs rapports des experts des Nations Unies. Mais,
selon lui, cette présence militaire n'aurait d'autres raisons que des
motifs liés à la sécurité de son territoire.
La présence de ses troupes à l'étranger
permet également au Rwanda de veiller sur ses propres
intérêts sécuritaires. Son intervention au Mozambique par
exemple, n'est pas totalement étrangère au fait que de nombreux
opposants au régime évoluent dans ce pays. Depuis le début
de son intervention au moins un opposant au régime de Paul Kagame a
été assassiné.146 Par sa présence au
Mozambique, les dirigeants rwandais s'assurent également une certaine
proximité géographique avec l'Afrique du sud où vivent en
exil de nombreux opposants rwandais dont le plus célèbre est
Faustin Kayumba Nyamwasa 147 ancien chef d'État-Major de
l'armée rwandaise dont les troupes opèrent entre la
frontière qui sépare le Rwanda et le Kivu. Elles sont
également actives en Ouganda.148
2.2.3. Les mobiles politique
Depuis le génocide et les conséquences que ce
drame a engendrées, le Rwanda est perçu comme une puissance de
nuisance par ses voisins. Ses intrusions directes pendant les deux guerres qui
ont secoué la RDC et les soutiens aux groupes rebelles
dénoncés par de nombreux rapports onusiens, ont fait naître
un certain nombre de critiques vis-à-vis du Rwanda et ses dirigeants.
L'image positive dont bénéficie cet État en raison de ses
performances économiques a été entachée en raison
des crimes contre l'humanité qui sont commis en territoire congolais
145 JEUNE AFRIQUE, (2023, 27 janvier). Paul Kagame : M23
en RDC, Tshisekedi, Macron, présidentielle au
Rwanda...L'entretien exclusif en vidéo.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1413411/politique/paul-kagame-m23-en-rdc-tshisekedi-macron-presidentielle-au-rwanda-lentretien-exclusif-en-video/
146 COURRIER INTERNATIONAL. (2023, 10 janvier), op.cit.,
p.18.
147 Faustin KAYUMBA NYAMWASA est ancien général
des forces armées rwandaise qui vit en exil en Afrique du Sud. Il est
considéré comme l'un des principaux opposants au régime de
Paul Kagame. Fin janvier 2019, il a fait l'objet d'un mandat d'arrêt
international du gouvernement rwandais, qui l'a accusé « de
créer avec les autres partis d'opposition une rébellion dans
l'est du Congo entre Fizi et Uvira.
148 C.BRAECKMAN. (2021, 24 août). Le Rwanda sur tous les
fronts : une puissance diplomatique obtenue au bout du fusil. Le Soir.
Disponible à l'adresse :
https://www.lesoir.be/391041/article/2021-08-24/le-rwanda-sur-tous-les-fronts-une-puissance-diplomatique-obtenue-au-bout-du
53
depuis la fin des années 1990.149 Sans
être la raison principale de son engagement militaire sur le continent,
sa participation massive aux missions de maintien de la paix (OMP) et sa
contribution au rétablissement de la sécurité dans des
zones en proie à des conflits armés et à des mouvements
terroristes jouent certainement un rôle dans la perception que la
société internationale a du Rwanda.150 Combiné
aux bons résultats économiques, cet engagement militaire permet,
un tant soit peu, à contrebalancer la perception négative de ses
interventions militaires précédentes qui ont entrainé des
crimes en RDC. En se posant en pourvoyeurs de forces pour le maintien de la
paix par exemple, les dirigeants rwandais veulent montrer que leur pays, en
tant que troisième fournisseur de ces forces, est plutôt pour la
paix que pour la guerre et la déstabilisation.
D'un point de vue politique, la forte implication du Rwanda
dans le rétablissement de la paix dans de nombreuses régions sur
le continent permet de réduire les critiques vis-à-vis de leur
pays.151 Au niveau international, son engagement important dans les
OMP permet de détourner les critiques. Cela crée une image
positive du Rwanda, bien différente des crimes de guerre au Congo et des
abus du gouvernement, de plus en plus autoritaire.152 De cette
façon, les problèmes liés aux droits de l'homme et aux
pratiques démocratiques passent quelque peu au second plan. Par
ailleurs, sur le plan politique, le déploiement important du Rwanda en
Afrique est aussi lié à la recherche de nouveaux partenaires en
termes de coopérations bilatérales et multilatérales sur
divers plans, économique, sécuritaire et
stratégique.153
149 J. DEVEAUX. (2021,27 mai). Rwanda : l'image de Paul Kagame
se brouille de plus en plus. Francetvinfos. Disponible à
l'adresse :
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/rwanda/genocide-au-rwanda/rwanda-l-image-de-paul-kagame-se-brouille-de-plus-en-plus_4639581.html
150 COURRIER INTERNATIONAL. (2023,10 janvier), op.cit., p.18.
151 COURRIER INTERNATIONAL. (2023, 10 janvier), op.cit., p.18.
152 L.BROULARD. (2020, 9 octobre), op.cit., p.39.
153 P. BOISSELET. (2016,5 octobre), op.cit., p.17.
54
DEUXIEME PARTIE
L'AFRIQUE, ESPACE DE PROJECTION
PRIVILEGIÉ
DU RWANDA
55
CHAPITRE 3. LES LEVIERS DE LA POLITIQUE ETRANGERE DU
RWANDA EN AFRIQUE
3.1. Les leviers historiques et
politico-diplomatiques
3.1.1. La «rente» mémorielle comme outil
diplomatique
Dans l'histoire récente du Rwanda, l'année 1994
peut être considérée comme l'année zéro pour
l'État du Rwanda. C'est en effet, au sortir de cette année, qu'il
doit trouver les moyens de se reconstruire aussi bien économiquement,
socialement que politiquement. Pour y parvenir, les nouveaux dirigeants du
Rwanda vont se servir du drame lié au génocide comme socle de
leurs visions. Ainsi, depuis son arrivée au pouvoir, Paul Kagame utilise
l'histoire de son pays, marquée par le génocide, pour refonder sa
politique interne et extérieure. Cependant, avant de penser aux
nouvelles politiques de développement économique et sociale, les
rwandais ont dû affronter leur passé avec sa période la
plus sombre : le génocide de 1994. C'est conscient de leur histoire
commune et de l'inexactitude des différenciations ethniques faites par
les anciennes puissances coloniales que les nouveaux dirigeants du pays
engagent un processus de réconciliation important. Parmi les mesures
fortes prises par le FPR, il y a la suppression la mention ethnique de la carte
nationale d'identité et la création des tribunaux traditionnels
appelés Gacaca154, pour juger les personnes
responsables des massacres liés au génocide contre les Tutsis.
Plutôt que de refouler le passé, ignorer et
masquer l'histoire, le nouveau régime décide de le
«magnifier», de le «célébrer» chaque
année avec des commémorations qui ont lieu tous les ans en avril.
De fait, le génocide est partout, à travers la politique
mémorielle très visible dans le pays depuis la fin du drame
(commémoration, mémoriaux, musées...). Au niveau interne,
le FPR veut faire des commémorations du génocide et de son lourd
passé un élément unificateur de la nouvelle nation
rwandaise. Le génocide apparait de ce fait comme un facteur
déterminant de la mobilisation des forces internes de l'Etat. Il
constitue l'un des éléments moteur de la nouvelle iconographie du
peuple rwandais. L'analyse de Jean-Paul Kimonyo155 confirme cette
idée, lorsqu'il affirme que « ce projet de transformation
socio-économique a été facilité par le
génocide parce que le génocide a permis au pays de commencer une
page blanche ; c'est beaucoup plus facile de changer un pays quand il est
complétement détruit qu'un pays où les structures existent
encore. Alors que ces structures-là étaient dysfonctionnelles.
Donc, de façon
154 Gacaca, qui se prononce « gatchatcha »,
est le nom rwandais pour tribunal communautaire villageois. Les gacaca,
tribunaux populaires organisés au Rwanda afin de juger plus de 2
millions de coupables du génocide des Tutsi, permettent une justice
transitionnelle.
155 Jean-Paul Kimonyo, écrivain et conseiller à la
présidence de la République du Rwanda à Kigali.
56
paradoxale et malheureuse la transformation du pays a
aussi été aidée par la table rase du génocide
».156
Si au niveau interne le recours à l'histoire du
génocide se veut unificateur, la récurrence et le rappel de la
responsabilité des grandes puissances sur l'avènement du
génocide dans le discours des autorités rwandaises, en tête
desquelles le président Paul Kagame, a clairement pour objectif de les
culpabiliser.157 Le génocide est un levier phare de la
diplomatie du Rwanda. À chaque commémoration, le président
Paul Kagame n'hésite pas à rappeler la responsabilité des
grandes puissances qui n'ont pas pu empêcher le drame. C'est ainsi que
lors de la commémoration en 2022, il a déclaré que :
« certains de ces pays sont grands, mais (...) ils n'ont aucune
leçon à donner à quiconque, car ils font partie de
l'histoire qui a causé la mort de plus d'un million de nos
concitoyens. Ils en sont la cause ».158 Le but
avec cette stratégie est de «contraindre» d'une certaine
façon les grandes puissances à aider le pays à se
développer. La reconnaissance du drame par les grandes puissances et
leur culpabilité font que celles-ci manifestent de la mansuétude
vis-à-vis des manoeuvres militaires entreprises par le régime
rwandais en RDC. Pourtant dénoncées par de nombreux rapports des
Nations Unies et des ONG des droits de l'homme, les restrictions liées
à la liberté d'expression et les violations des droits de l'homme
ne semblent pas non plus avoir des effets significatifs sur les relations que
les grandes puissances occidentales entretiennent avec le Rwanda. Les
puissances occidentales en particulier ne font pas preuve d'autant d'indulgence
lorsqu'il s'agit d'autres États (exemple de la Russie qui subit toute
sorte de sanctions depuis l'invasion de l'Ukraine).159 Du fait de
son histoire, le Rwanda parait moins pointé du doigt sur des questions
qui sont pourtant importantes pour les nations occidentales. Repentance, appui
politique et économique, impunité humanitaire et militaire, sont
le triptyque de cette « diplomatie de la dette » mise en place par le
régime rwandais.160 En jouant sur l'histoire du
génocide, le Rwanda a ainsi réussi à renforcer son
influence sur le continent.
Autre fait qui montre le traitement de « faveur »
dont bénéficie le Rwanda est la décision rendue par la
Cour Internationale de Justice sur les crimes commis pendant les guerres du
Congo dans les années 1990 : l'Ouganda a été sommé
de payer près de 325 millions de dollars
156 S. CHABOUNI. (2015), op.cit., p.13.
157 P. JACQUEMOT. (2014), op.cit., p.13.
158 Y. NDEA & EFE. (2022, 8 avril). Le Rwanda
commémore le 28e anniversaire du génocide des Tutsis.
Africanews. Disponible à l'adresse :
https://fr.africanews.com/2022/04/07/le-rwanda-commemore-le-28e-anniversaire-du-genocide-des-tutsis//
159 A. FOKA. (2023, 6 janvier). La chronique : qui pour sauver
la RDC ? [Vidéo]. Disponible à l'adresse :
https://www.youtube.com/watch?v=2K7mFD_1LHY&t=333s
160 G. LOIR. (2005), op.cit., p.13.
57
de dommage à la RDC, tandis que le Rwanda s'en tire
à bons comptes, la Cour ayant estimé être
incompétente pour juger sa responsabilité durant les deux guerres
du Congo.161 Une décision qui interroge alors même que
plusieurs études ont démontré que le Rwanda a même
été un des acteurs clés des conflits congolais, encore
plus que l'Ouganda pendant la seconde guerre où les forces rwandaises
ont participé aux pillages au même titre que l'Ouganda.
3.1.2. L'ouverture des représentations
diplomatiques en Afrique et les visites bilatérales
d'État
Dans le sillage des succès que l'État du Rwanda
a engrangés en terme de développement économique, les
dirigeants du Rwanda ont intensifié les actions diplomatiques du pays et
son ouverture au monde extérieur et particulièrement sur le
continent africain. L'intensification de la diplomatie du Rwanda a pour
première manifestation l'ouverture des représentations
diplomatiques en Afrique. Alors que le Rwanda ne comptait que quatorze (14)
représentations diplomatiques dans le monde en 1998, il compte
aujourd'hui trente-six (36) ambassades ou haut-commissariat162
à l'étranger dont dix-neuf en Afrique (19), ainsi que vingt-neuf
(29) consulats et autres représentations.163 La
multiplication d'ouverture de ses représentations diplomatiques dans le
monde a pour but une diversification des relations avec les États
surtout ceux-présents sur le continent africain. Le nombre de
représentation en Afrique démontre que c'est l'espace de
projection privilégié de l'État rwandais, bien que
celui-ci tisse aussi des liens avec des États qui sont situés sur
d'autres continents (Israël, Chine.).
Depuis le génocide, la diplomatie rwandaise en Afrique
a à peu près connu deux phases. Premièrement, avant de
nourrir des ambitions sur l'ensemble du continent, le Rwanda a essentiellement
focalisé ses ressources et centré sa politique
étrangère au niveau régionale particulièrement dans
les Grands lacs. Durant cette période jusqu'en 2011, le Rwanda avait
quasiment « tourné le dos » au monde francophone africain et
regardait plutôt vers l'est majoritairement anglophone.164
Comme pour symboliser sa rupture avec les États d'Afrique francophone,
le Rwanda était sorti de la CEEAC en 2007. En plus des contraintes
économiques
161 JEUNE AFRIQUE. (2022, 9 février). RDC :
l'Ouganda condamné à verser 325 millions de dollars à
Kinshasa. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1310506/politique/rdc-louganda-condamne-a-verser-325-millions-de-dollars-a-kinshasa/
Pour consulter la décision d'incompétence de la
cour sur l'implication du Rwanda concernant les crimes commis en RDC voir : La
Cour internationale de justice se déclare non-compétente dans la
dispute qui oppose le Congo
démocratique et le Rwanda. (2002, 11 juillet). Disponible
à l'adresse : à
https://news.un.org/fr/story/2002/07/11762#:~:text=La%20Cour%20internationale%20de%20justice%20(CIJ)
%20de%20La%20Haye%20s,par%2014%20juges%20contre%20deux.
162 Le haut-commissariat est l'appellation utilisée par
les États membres du Commonwealth pour désigner les
ambassades.
163
https://www.embassypages.com/rwanda_fr
164 P. BOISSELET. (2016,5 octobre), op.cit., p.17.
58
énoncées par le ministre des affaires
étrangères d'alors comme motifs de la sortie du Rwanda de la
CEEAC, il faut également noter que cette orientation diplomatique
était liée au contexte des relations que le Rwanda entretenait
avec la France dont les nouveaux dirigeants issus du groupe rebelle FPR
accusaient d'avoir laissé faire le massacre des civils
Tutsis.165 Ainsi, dès 2008, le Rwanda se consacrait tout
entier à une autre organisation régionale : EAC.166
Planche 1.Quelques rencontres bilatérales entre
Paul Kagame et d'autres chefs-d'États
Image 3 : Paul Kagame et Denis Sassou
N'guessou
(12/04/2022)
Image 1 : Umaro Sissico Embalo et Paul Kagame
(13/11/2022)
Image 2 : Faustin Archange Touadéra et
Paul Kagame
(26/10/2022)
Image 4 : Paul Kagame et Filipe Nyusi
(28/10/2022)
Sources : Les pages officielles de Paul Kagame
(Facebook et Twitter)
Deuxièmement, à partir de 2012, le Rwanda a
progressivement renoué les liens avec cette partie de l'Afrique et
applique désormais une diplomatie plus globale sur le continent. Cette
démarche est matérialisée par l'accroissement de
l'ouverture de plusieurs ambassades dans plusieurs pays situés dans
d'autres parties du continent (cf. carte 7). Dans le même temps, Paul
Kagame a aussi intensifié le nombre de ses visites officielles sur le
continent. L'augmentation de celles-ci poursuit les mêmes objectifs de
renforcement de la coopération interafricaine et de diversification de
partenaires. En 2016 par exemple, il a été parmi les
présidents qui ont le plus
165 P. BOISSELET. (2016,5 octobre), op.cit., p.17.
166 JEUNE AFRIQUE. (2016, 19 août). Afrique centrale
: le Rwanda réintègre officiellement la CEEAC. Disponible
à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/350335/economie/afrique-centrale-rwanda-reintegre-officiellement-ceac/
59
voyagé au niveau continental avec dix-huit (18) voyages
effectués.167 Très souvent ces voyages s'accompagnent
par la signature de plusieurs accords dans le domaine économique et /ou
sécuritaire. En retour, plusieurs chefs de l'État ont
également foulé le sol du Rwanda (cf. planche 1). Ces voyages ont
connu une évolution progressive suivant les années (cf. carte 8,
9, 10). À travers sa diplomatie, le Rwanda veut nouer des liens
privilégiés avec les États du continent dans le but de
résoudre non seulement ses problèmes mais aussi offrir la
possibilité aux autres de résoudre les leurs. La diplomatie du
Rwanda sur le continent est donc fondée sur la recherche des
opportunités économiques et la recherche des soutiens
politiques.
Carte 7. Représentations diplomatiques du Rwanda
en Afrique
167 M. OLIVIER. (2016, 13 décembre). Infographie :
quels sont les chefs d'État africains qui ont le plus voyagé en
2016 ? Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/382303/politique/infographie-chefs-detat-africains-voyagent-plus
60
Carte 8. Les voyages de Paul Kagame en Afrique entre 2009
et 2014
Sur la période 2009-2014 soit cinq ans, Paul Kagame a
effectué près de trente-huit voyages (38) dans dix-sept pays du
continent principalement dans les Grands-lacs (RDC, Burundi, Ouganda) et en
Afrique de l'est (Tanzanie, Kenya, Ethiopie). La concentration des voyages dans
ces régions est liée aux orientations stratégiques du
moment, le Rwanda voulant se focaliser sur son intégration à la
communauté d'Afrique de l'est.
61
Carte 9. Les voyages de Paul Kagame en Afrique entre 2015
et 2018
Entre 2015-2018, Paul Kagame a effectué près de
trente-huit voyages (52) dans vingt-trois (23) pays du continent. Si on observe
encore une forte tendance pour les pays de l'est, P. Kagame voyage un peu
partout sur le continent. Il se tourne un peu plus vers d'autres régions
(Afrique de l'ouest, Afrique du nord, Afrique centrale). Ainsi, il a
effectué des voyages dans
62
toutes les parties d'Afrique soit dans le cadre des fora
(sommet UA CEEAC, SADC) soit à titre de visites bilatérales.
Carte 10. Les voyages de Paul Kagame entre 2019 et
2022
Entre 2019-2022, on observe quasiment les mêmes tendances
que la période précédente cependant, en raison de la
pandémie du Covid-19 P. Kagame a beaucoup moins voyagé et
n'enregistre que vingt-sept (27) voyages effectués.
63
3.1.3. L'intégration régionale au coeur de la
politique étrangère du Rwanda
Dans le cadre de sa politique étrangère, le
Rwanda a fait de la coopération régionale un
élément indispensable. En effet, il est membre de plusieurs
organisations régionales, dont les objectifs sont tout autant divers. Il
s'agit notamment de : la Conférence Internationale sur la Région
des Grands Lacs (CIRGL), la Communauté Économique des Pays des
Grands Lacs (CEPGL), la Communauté Économique des États
d'Afrique Centrale (CEEAC), le Marché Commun de l'Afrique Orientale et
Australe (COMESA) et la Communauté des États de l'Afrique de
l'Est (EAC). Certaines sont essentiellement liées aux conflits dans la
région des Grands lacs ; il s'agit notamment de la Conférence
Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) qui fut
créé en 2008, suite aux nombreux conflits politiques qui ont
marqué la région des Grands lacs. La création de la CIRGL
traduit la reconnaissance de la nécessité d'un effort
concerté en vue de promouvoir la paix et le développement durable
dans la région. D'autres organisations ont une base plus
économique, avec pour objectifs d'accroître les échanges
entre les États parties ; il s'agit pour les plus importantes de la
CEEAC (1983), l'EAC (2000) et du COMESA (1994). La CEPG (1976) répond
aux mêmes objectifs d'intégration économique, mais à
l'échelle des pays des Grands lacs africains.
Deux logiques semblent guider les adhésions du Rwanda
à ces différentes organisations : l'économie et la
sécurité. D'une part, intégrer l'EAC donne la
possibilité au Rwanda de réduire les coûts des importations
et exportations de ses marchandises. En effet, pays enclavé dans
l'Afrique des Grands lacs, le Rwanda importe l'essentiel de ses marchandises
depuis les ports de Mombasa (Kenya) et de Dar es Salaam
(Tanzanie).168 Il faut aussi dire que ce tropisme est-africain fait
partie d'une logique enclenchée par les autorités rwandaises au
début des années 2000, à se tourner vers l'anglais au
regard des rapports diplomatiques particulièrement difficiles le Rwanda
entretenaient avec la France, accusée d'avoir «couvert le
génocide» contre les Tutsis.169
D'autre part, considérées comme des ilots de
paix170, les organisations régionales, assurent dans une
certaine mesure, la paix entres les États membres liés par des
pactes de non-agression. Elles ont donc un impact pacifique, dans la mesure
où elles prônent la solidarité et l'entraide comme sources
de développement plutôt que le recours à la force.
168 J. RÉVILLON. (2013). L'intégration
régionale rwandaise. HAL Open Science. 5p. Disponible à
l'adresse :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01214760
169 JEUNE AFRIQUE. (2008, 26 novembre). Kigali se tourne
résolument vers l'est. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/206585/archives-thematique/kigali-se-tourne-r-solument-vers-l-est/
170 J.S.NYE. (1971). Peace in parts : Integration and
conflict in regional organization. Boston : Little, Brown, p.108.
64
Carte 11. Le Rwanda dans les ensembles
régionaux
65
3.2. Les leviers militaires et les moyens de
séduction
3.2.1. L'armée rwandaise comme force de maintien de
la paix et d'intervention sur le continent africain
Dans sa stratégie globale de projection sur le
continent, les forces armées apparaissent comme l'un des principaux
leviers mobilisés par l'État du Rwanda. La projection du Rwanda
par le biais de ses forces armées s'opère sous deux formes : les
de maintien de la paix (OMP) et les accords de coopération militaires
bilatérales (Mozambique, RCA). Si rien ne prédisposait ce petit
État doté d'une armée de quelques 33 000 soldats à
assumer le rôle de pourvoyeur de sécurité en Afrique, son
impact sur le terrain est indéniable et les résultats sont
plutôt satisfaisants, comme nous allons le voir dans les prochains
développements.
La participation du Rwanda dans le cadre des OMP est d'abord
liée à son histoire. En effet, il faut dire que l'État du
Rwanda lui-même a été un pays hôte d'une mission
onusienne entre 1993 et 1996. Cependant, celle-ci n'a pas pu empêcher le
drame de 1994 de se produire. Le Rwanda fait partie des pays qui ont fait
l'expérience amer des limites des missions des Nations Unies en
matière protection des civiles. Les 2000 casques bleus présents
sur le territoire rwandais au cours de cette période n'ont rien pu faire
face aux massacres de masse qui ont été perpétrés
par les génocidaires Hutus.171 Depuis cette période
tragique, les nouveaux dirigeants rwandais ont fait des missions de maintien de
la paix un élément clé de leur diplomatie et un passage
quasi obligatoire pour les hommes et les femmes qui composent leurs forces
armées. Ainsi, outre la protection de l'intégrité
territoriale et le maintien de l'ordre public, les missions de maintien de la
paix font désormais parties des missions officielles de l'armée
rwandaise. Elles sont inscrites dans la loi fondamentale comme le dispose
l'article 173 alinéa 5 de sa constitution. Ce tournant
idéologique de l'engagement militaire du Rwanda se traduit
également par la création de leur propre centre de formation
militaire aux OMP. Créée en 2013, la Rwanda Peace
Academy (RPA)172 est aujourd'hui un vecteur d'influence puisque
cette école forme des soldats locaux et étrangers (Comores,
Kenya, Éthiopie etc.).173
171 L.BROULARD. (2022, 1er avril). Les bonnes
affaires de la diplomatie militaire du Rwanda. Le Monde. Disponible
à l'adresse :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/04/01/les-bonnes-affaires-de-la-diplomatie-militaire-du-rwanda_6120178_3212.html
172 La Rwanda Peace Academy (RPA) est une
académie spécialisée dans la formation pour les missions
de maintien de la paix. Autrefois octroyées par des formateurs
exclusivement occidentaux, les formations aux OMP sont de plus en plus
dispensé par les rwandais eux-mêmes au sein de cette
école.
173 L.BROULARD. (2020,9 octobre), op.cit., p.39.
66
Actuellement, le Rwanda participe à quatre OMP sur le
continent : trois comme contributeur de premier plan au sein de la MINUSS
(Soudan du Sud), de la MINUSCA (République centrafricaine) et de la
MINUAD (Darfour), et de façon plus modeste au sein de la FISNUA
(région disputée d'Abiyé, entre les deux Soudan). (cf.
carte 12). Depuis sa première participation au Darfour en 2007, le
Rwanda est devenu au fil des années l'un des principaux contributeurs
aux missions onusiennes avec près de 5 752 hommes et femmes
engagés principalement sur le continent africain.174 Il est
le troisième fournisseur de soldats au sein des OMP dans le monde et le
deuxième en Afrique après le Ghana (cf. graphique
5).175 Le choix d'envoyer des troupes au Darfour comme premier lieu
de sa participation aux OMP n'était pas anodin. En effet, ce choix
intervient dans un contexte où les crimes commis au Darfour sont
qualifiés en 2004 de génocide par l'administration des
États-Unis.176 Par cette intervention, le Rwanda s'offre une
opportunité de choix et se donne la possibilité de faire valoir
sa conception des OMP, surtout en matière de protection des populations
civiles. L'objectif au Darfour est de montrer que la nouvelle classe dirigeante
rwandaise est à nouveau capable d'arrêter un génocide,
contrairement aux Nations Unies qui n'ont pas pu le faire en 1994. Les
dirigeants rwandais actuels considèrent au vue de l'histoire de leur
pays qu'il est de leur devoir d'arrêter des génocides ailleurs,
étant donné que l'ONU n'a pas joué ce rôle quand il
le fallait sur leur territoire.177 Au-delà du symbole,
l'intervention du Rwanda au Darfour procède avant tout d'une
stratégie qui a pour objectif de redorer l'image du pays et à le
positionner comme un État capable d'aider les autres malgré ses
propres défis internes. Mais surtout, cette intervention vise à
marquer une rupture avec les méthodes des Nations Unies qui ont
montré leurs inefficacités en matière de protection des
populations civiles en période de conflit.
174
https://peacekeeping.un.org/fr/troop-and-police-contributors.
175 Ces données ont été prises au mois
d'octobre 2022.
176 E.A. HEINZE. (2007). The rhetoric of genocide in US
forgien Policy : Rwanda and Darfur compared. Political Science
Quarterly, 122, (3), pp. 359-383.
177 N. WILÉN, & G. BIRANTAMIJE. (2015).
L'engagement du Burundi et du Rwanda dans les opérations de maintien de
la paix : quels bénéfices pour les capacités nationales de
défense ? Etude comparée. Étude Prospective et
Stratégique, (1506415103), 41p.
67
Graphique 5. Les 5 principaux pays fournisseurs de
soldats aux OMP
Bangladesh
7017
Inde
5887
Nepal
5692
Pakistan
4327
Rwanda
5752
8000
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
Total
Source :
https://peacekeeping.un.org/fr/troop-and-police-contributors.
Tableau 2. Le nombre de soldats rwandais
déployés dans le cadre des OMP
Noms des missions
|
Pays
|
Nombre de soldats déployés
|
MINUSS
|
Soudan du Sud
|
3 064
|
MINUAD
|
Darfour
|
1 164
|
MINUSCA
|
Centrafrique
|
2 218
|
Source :
https://peacekeeping.un.org
Réalisation : PAMBO MIHINDOU Guy Herod
Le tableau ci-dessus montre que le plus gros contingent des
soldats rwandais déployés dans le cadre des OMP se situe au
Soudan du Sud. Il est suivi respectivement par celui présent en
République Centrafricaine et celui de la mission du Darfour.
68
Carte 12. Géographie des OMP du Rwanda en
Afrique
69
Le Rwanda justifie aussi sa participation importante aux OMP
par une volonté de résoudre les problèmes africains par
les Africains eux-mêmes, plutôt que d'attendre l'assistance
internationale. La volonté affichée par le Rwanda de s'aligner
sur l'appropriation régionale et continentale des questions de paix et
de sécurité, traduite par la doctrine de l'Union Africaine
African solutions to African problems178, est le fruit de
la posture panafricaine affichée par le président Paul Kagame
depuis son arrivé au pouvoir. Ce dernier a fait du plébiscite des
solutions interafricaines aux problèmes du continent un des principes de
sa gouvernance et de son rayonnement sur le continent. Ainsi, alors qu'on a
souvent reproché aux «Casques bleus» de l'ONU leur
passivité et leur inefficacité, les forces armées
rwandaises sont particulièrement appréciées en raison de
l'attachement qu'elles accordent à la protection des populations
civiles. Pour Paul Kagame, la protection des civiles ordinaires est même
la priorité des OPM. Lors de la conférence internationale de paix
sur la protection des civils tenue à Kigali les 28 et 29 mai 2015, il a
déclaré que : « l'objectif central des opérations
de paix est la protection des civils. Cela ne peut pas être dit assez
souvent. Ce n'est pas la protection des accords de paix ou des mandats de
l'ONU, même des casques bleus d'ailleurs, et encore moins la protection
des politiciens. La mission est de protéger les gens ordinaires les plus
à risque ». La même année, comme pour conforter
sa position de fer de lance en matière de protection des civils dans les
OMP, il a été adopté dans la capitale rwandaise, les
« principes de Kigali » par une trentaine de pays contributeurs en
«Casques bleus». Ces principes contiennent dix-huit engagements non
contraignants qui visent à rendre les forces onusiennes plus autonomes
pour sécuriser les populations.179 Au-delà de l'action
militaire, les forces armées rwandaises déployées dans le
cadre des OMP engagent également plusieurs actions sociales et
s'illustrent dans la construction des écoles et des consultations
médicales entre autres (cf. planche 2 et 3).
178 C. KUPPER, & V. MOREAU. (2020, 25 novembre). Le Rwanda
et le maintien de la paix : un ancien pays hôte devenu un contributeur de
premier plan. Grip. 17p. Disponible à l'adresse :
https://www.grip.org/rwanda-maintien-paix/
179 K. GUYON. (2023, 3 mai). Les Forces Rwandaises de
Défenses : de l'arrêt d'un génocide aux opérations
de maintien de la paix. Revue Conflits. Disponible à l'adresse
:
https://www.revueconflits.com/les-forces-rwandaises-de-defenses-de-larret-dun-genocide-aux-operations-de-maintien-de-la-paix/
70
Planche 2.Actions humanitaires de l'armée
rwandaise en faveur de la santé au Soudan du Sud
Image 1 : Consultation en ophtalmologie
Image 2 : Consultation dentaire
Source : Ministère de la défense
du Rwanda (
https://www.mod.gov.rw/)
Réalisation : PAMBO MIHINDOU G.H.
Planche 3.Actions menées par les soldats rwandais
dans le cadre de la MINUSS
Image 1 : Avant la construction de
l'école Image 2 : Début des travaux de
construction
Image 3 : Fin des travaux Image 4 :
Livraison de l'école aux autorités
Sud-Soudanaises
Source : Ministère de la défense
du Rwanda (
https://www.mod.gov.rw/)
L'engagement important du Rwanda aux OMP et l'ensemble des
actions menées par ses forces armées dans le cadre de celles-ci
ont contribué à renforcer son poids diplomatique et politique sur
la scène internationale. À travers ces interventions, le Rwanda a
gagné une certaine influence avec des bénéfices multiples
aussi bien sur le plan politico-diplomatique que sur le plan
économique.
Sur le plan économique, les bénéfices de
ces opérations profitent à l'État lui-même mais
aussi aux soldats qui sont sur le terrain de façon individuelle.
L'État perçoit des gains de près de 1 332 dollars chaque
mois par soldat déployé à travers le système de
remboursement des
71
Nations Unies. En 2019, les gains perçus par soldat
sont passés à 1 428 USD.180 Sachant que le Rwanda
possède 5 752 soldats sur le terrain, il perçoit près 98
566 272181 de dollars par an grâce aux OMP. Individuellement,
ces missions rapportent aussi des sommes importantes aux soldats, lesquels
reçoivent dans les opérations de l'ONU ou de l'UA une
indemnité mensuelle de 1028 dollars. Cette somme d'argent
représente une augmentation assez impressionnante du salaire pour eux
qui gagnent normalement environ 45 $ par mois.182
Sur le plan politique et diplomatique, c'est une « arme
» dont le Rwanda dispose pour faire entendre son point de vue sur la
scène internationale. C'est ainsi que les dirigeants rwandais n'ont pas
hésité à brandir la menace d'un retrait de leurs troupes
engagées au Soudan en 2010, ce qui aurait déstabilisé la
Mission des Nations Unies puisque les soldats rwandais constituaient la majeure
partie des «Casques bleus» engagés dans le pays. Louise
Mushikiwabo, la ministre des affaires étrangère de
l'époque, avait déclaré à ce propos : «
Nous avons clairement signifié à l'ONU que s'il publie ce rapport
au nom des Nations unies, nous n'aurons d'autre choix que de retirer nos
troupes du Darfour ».183 Cette menace est intervenue
après que des experts de l'ONU avaient prévu de publier un
rapport accablant sur les actes de l'armée rwandaise en RDC à la
charnière des années 1990-2000. En 2012, le Rwanda a de nouveau
été accusé par l'ONU de soutenir le M23 (groupe rebelles
à dominance Tutsi) qui agit en RDC. Malgré ces nouvelles
accusations, le Rwanda a réussi à obtenir un siège de
membre non permanent au Conseil de sécurité pour les
années 2013 et 2014, ce sans doute grâce à son solide
engagement dans les OMP.184 La posture adoptée par le Rwanda
à travers les menaces du retrait de ses troupes engagées au
Soudan a démontré que sa contribution importante pouvait
être un véritable moyen de pression politique vis-à-vis de
la communauté internationale.
Fort de ses réussites et surtout de la
réputation et de l'expérience acquise par ses forces
armées pendant les OMP, le Rwanda a donné une nouvelle
orientation à son déploiement militaire depuis quelques
années : en plus des OMP, il déploie ses forces armées
dans le cadre de coopérations bilatérales signées avec
d'autres États africains (cf. carte 13).
À travers cette nouvelle orientation, le Rwanda
souhaite s'imposer sur le continent comme une puissance militaire
incontournable. Sa réputation, son organisation et son efficacité
lui ont valu d'être de plus en plus sollicité pour son expertise
militaire par les autres États du continent
180 C. KUPPER. & V. MOREAU. (2020, 25 novembre), op.cit.,
p.69.
181 Pour obtenir cette somme, nous avons multiplié le
nombre de soldat par le salaire perçu 12 fois.
182 N. WILÉN, & G. BIRANTAMIJE. (2015), op.cit.,
p.66.
183 P-F.NAUDE. (2010,05 janvier). Kigali précise ses
menaces. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/184570/politique/kigali-pr-cise-ses-menaces/
184 C.KUPPER, & V. MOREAU. (2020,25 novembre), op.cit.,
p.69.
72
(Mali, Mozambique, Centrafrique, Bénin etc..).
Recherche de partenariats économiques et renforcement de sa diplomatie
semblent être les deux éléments principaux qui motivent
l'exportation de son armée au-delà de son aire de projection
habituelle.
Sur le continent, les forces armées rwandaises
interviennent principalement au Mozambique et en République
Centrafricaine. Les forces de défense rwandaises (FDR) interviennent
pour lutter contre les mouvements terroristes dans la région du Cabo
Delgado. Arrivées au Mozambique en juillet 2021, elles ont très
vites rencontré du succès dans leurs interventions. Elles sont
parvenues à reconquérir des territoires conquis en 2017 par le
mouvement terroriste Al-Shabaab. Les troupes rwandaises ont réussi
à reprendre des territoires occupés jadis par les terroristes ce
que plusieurs opérations militaires menées avant leur
arrivée par l'armée mozambicaine, les mercenaires sud-africains
du Dick Advisory Group et les russes de Wagner n'étaient parvenus
à faire.185 En Centrafrique, au cours de l'année 2020,
elles enregistrent également des succès. Grâce à
leurs interventions, les soldats rwandais ont réussi à
sécuriser le scrutin présidentiel qui était menacé
par des groupes rebelles qui progressaient vers la capitale. Grâce
à leur déploiement, le scrutin a pu se dérouler dans le
calme, Paul Kagame dans une interview accordée à Jeune
Afrique affirme même que sans l'intervention du Rwanda les
élections n'auraient pas eu lieu.186 Les succès
rencontrés par les interventions de son armée ont suscité
d'autres sollicitations sur le continent notamment celles du Bénin et du
Mali. Au Bénin des tractations pour un soutien logistique et une aide en
matière d'expertise dans la lutte contre les mouvements terroristes ont
été évoquées lors d'un point de presse donné
par le porte-parole de la présidence de l'État béninois le
9 septembre 2022 à Cotonou. Selon certaines sources, le
déploiement des forces armées rwandaises dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme au nord du Bénin a même
été discuté entre les deux États.187
Information toutefois démentie par les autorités
béninoises.
185 R. GRAS. (2021, 11 août). Rwanda : du Mozambique
à la Centrafrique, les raisons du déploiement tous azimuts de
Kigali. Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1215998/politique/rwanda-du-mozambique-a-la-centrafrique-les-raisons-du-deploiement-tous-azimuts-de-kigali/
186 F. SOUDAN, & R. GRAS. (2021, 25 mai). Paul Kagame :
« Tshisekedi, Kabila, Macron, Touadéra, ma famille et moi ».
Jeune Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1175352/politique/paul-kagame-tshisekedi-kabila-macron-touadera-ma-famille-et-moi/
187 P. DEUTSCHMANN, & al. (2022, 09 septembre). Le Rwanda sur
le point de déployer des militaires dans le nord du Bénin.
Africa Intelligence. Disponible à l'adresse :
https://www.africaintelligence.fr/afrique-ouest/2022/09/09/le-rwanda-sur-le-point-de-deployer-des-militaires-dans-le-nord-du-benin,109810948-eve
Sur le même sujet voir également : COURRIER INTERNATIONAL.
(2022, 10 novembre). Le Rwanda, nouveau
gendarme africain, déploiera-t-il ses forces au Sahel ?
Disponible à l'adresse :
https://www.courrierinternational.com/article/securite-le-rwanda-nouveau-gendarme-africain-deploiera-t-il-ses-forces-au-sahel
73
Les sollicitations maliennes procèdent d'une
volonté de diversification de ses partenaires dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme surtout après le départ des forces
armées françaises. Une des solutions pour combler le vide
laissé par les forces armées française est de recourir
à des puissances africaines. Dans ce cadre, le Rwanda en est une et
offre plusieurs possibilités surtout que des officiers rwandais ont
déjà officié au Mali à l'occasion de la Mission
multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la
stabilisation au Mali (MINUSMA). Selon un communiqué du ministère
rwandais de la défense datée du 13 mai 2022, le chef
d'état-major du Mali a effectué une visite de trois jours au
Rwanda entre le 10 et le 12 mai 2022. Durant son séjour, il s'est
entretenu avec Paul Kagame, avec le ministre de la défense rwandais,
mais aussi avec Jean Bosco Kazura, chef d'état-major des Forces de
défense du Rwanda et par ailleurs ancien commandant de la MINUSMA entre
2013 et 2014.
En définitive, le déploiement de ses forces
armées dans des zones éloignées de sa sphère
régionale témoigne de l'influence acquise par le Rwanda ces
dernières années. Il montre aussi les capacités de
projection de l'État rwandais sur le continent. En répondant
à la demande de sécurité des États comme le
Mozambique et la Centrafrique, le Rwanda s'offre un prestige sur la
scène africaine, ce qui était impensable il y a encore des
décennies. Il s'offre aussi par le biais de ses forces armées des
alliances, un soutien diplomatique des États qu'il aide et surtout il
s'offre des contrats lucratifs qui lui permettent de résoudre et de
répondre à ses propres défis internes (faiblesse des
ressources stratégiques, pression démographique et rareté
des terres).
Tableau 3. Soldats rwandais engagés par mission
d'intervention sur le sol africain
Pays
|
Total des soldats
|
Centrafrique
|
Près de 1000
|
Mozambique
|
2 500
|
Total
|
3 500
|
Sources : Le Monde et Jeune Afrique.
Réalisation : PAMBO MIHINDOU Guy Herod
D'après le tableau ci-dessus, le Rwanda possède
3 500 soldats engagés à l'échelle du continent hors OMP.
Le contingent présent au Mozambique est celui qui compte le plus de
soldats, ils sont au total 2 500 soldats engagés dans le nord-est du
Mozambique.
74
Carte 13. Les interventions militaires du Rwanda sur le
continent africain
D'après cette carte, hors OMP, le Rwanda a
envoyé des troupes essentiellement dans trois régions du
continent. Il s'agit de l'Afrique de l'ouest (Bénin), l'Afrique australe
(Mozambique) et de l'Afrique centrale (RDC, RCA). Si la présence
militaire rwandaise au Bénin, Mozambique et RCA est le fruit des
partenariats ou accords signés entre les différents
gouvernements, en RDC il en est rien. Celle-ci se fait de manière
officieuse sans accords signés entre les deux pays. Selon les Nations
Unies, l'armée rwandaise apporte un soutien logistique et militaire
à des groupes armés qui opèrent en RDC.
75
3.2.2. L'activisme militaire en RDC
Si au niveau du continent les engagements militaires rwandais
semblent salutaires, au niveau régional (dans les Grands lacs), le
déploiement de ses forces est perçu comme déstabilisateur,
surtout en RDC où il s'exerce le plus. Les raisons de cette perception
négative remontent au génocide et aux différentes
intrusions directes que le Rwanda a menées en territoire congolais.
C'est aux motifs de la protection des minorités Tutsis présentes
en RDC et de la lutte contre les génocidaires Hutus qui se sont
réfugiés dans cette partie de la RDC que le Rwanda a
justifié ses différentes intrusions.188 Puis, au moyen
de groupes rebelles le Rwanda a continué implicitement d'être
présent en RDC (RCD, CND devenu M23). Malgré la publication de
nombreux rapports de l'ONU qui mettent en évidence ses intrusions de
même que les différents soutiens logistiques apportés par
le Rwanda aux groupes rebelles pour soutenir leurs efforts de guerre (armes,
munitions...), celui-ci a toujours nié toutes implications dans les
conflits en cours dans l'est de la RDC et rejette la faute sur ce
dernier.189 Aujourd'hui encore, l'activisme militaire rwandais
continue d'être dénoncé par le gouvernement congolais qui
accuse son voisin de soutenir les rebelles du M23.190 Les pillages
des ressources orchestrées par les «seigneurs de guerres» et
l'ingérence directe du Rwanda en RDC suscitent au moins deux
constats.
Le premier, est que le Rwanda pour la défense de ses
intérêts (sécuritaires et économiques) est
prêt à braver les règles du droit international et les
accords de non-agression entre États qui ont en partage l'appartenance
à un même ensemble régional (CEEAC, EAC.). Ainsi, pour
obtenir des ressources absentes sur son territoire et essentielles pour son
développement économique, le Rwanda mène une
véritable guerre par procuration à la RDC via des groupes
armés.191 Selon une étude récemment
publiée par l'ONG Global Witness192, en 2022, 90 % des
quantités de coltan (principale source du tantale), d'étain et de
tungstène, trois minerais plus connus sous l'appellation « minerais
3T », exportés par le Rwanda sont introduits illégalement
à partir de la RDC (cf. carte 14).193 Rappelons qu'il s'est
battu contre une autre force régionale
188 F. REYNTJENS. (1999). La deuxième guerre du Congo :
plus qu'une réédition. African Affairs,
98(391), pp.242-250.
189 M. HUGON. (2022,27 mai), op.cit., p.44.
190 JEUNE AFRIQUE. (2022, 6 juin). RDC : Tshisekedi n'a
« aucun doute » sur le soutien du Rwanda aux rebelles du M23.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1351932/politique/rdc-tshisekedi-na-aucun-doute-sur-le-soutien-du-rwanda-aux-rebelles-du-m23/
191 F. REYNTJENS. (2014), op.cit., p.13.
192 C'est une ONG spécialisée dans la lutte
contre le pillage des ressources naturelles dans les pays en
développement et la corruption politique qui l'accompagne.
193 AGENCE ECOFIN. (2022, 07 juillet). 90% des minerais 3T
exportés par le Rwanda sont introduits
illégalement à partir de la RDC (Global
Witness). Disponible à l'adresse :
https://www.agenceecofin.com/mines/0707-99492-90-des-minerais-3t-exportes-par-le-rwanda-sont-introduits-illegalement-a-partir-de-la-rdc-global-witness
76
pour garder le contrôle de la ville de Kisangani dans le
même but : le contrôle des ressources minières. C'est une
posture tout à fait réaliste et militariste des relations
internationales que le Rwanda adopte dans son environnement
proche.194 Comme le veut la posture la plus radicale de ce courant,
les États sont en perpétuelle concurrence dans une anarchie
où il n'y pas de maître; c'est au plus fort d'imposer sa loi avec
comme but ultime assurer sa survie.195 En adoptant cette ligne de
conduite, le Rwanda prend sur la scène africaine une posture qui tranche
véritablement avec celle attachée aux «petits
États» qui d'ordinaire, s'abstiennent de tout conflit avec leur
voisinage et s'érigent, au contraire en médiateurs importants
dans la résolution des conflits, comme on a pu le voir par exemple avec
le Gabon dans les années 1990.196
En second lieu, les intrusions directes des forces
armées rwandaises ou via des groupes armés montrent, le niveau de
déstabilisation que le Rwanda est capable d'engendré dans une
partie importante du territoire immense de son voisin, lequel peine à en
avoir le contrôle total. En plus de la déstabilisation, ces
intrusions montrent l'influence que le Rwanda possède au-delà de
ses marges frontalières, à la manière d'un
«géant», le Rwanda souhaite imposer sa volonté et ce au
moyen de l'influence qu'il exerce sur certains groupes armés
présents en RDC.
Par ailleurs, dans un contexte régional de forte
densité démographique, surtout au Rwanda et au Burundi, les
provinces congolaises du nord et du sud Kivu apparaissent pour les populations
de ces États, où les terres sont de plus en plus rares, comme
« un eldorado » pour l'agriculture et les activités
pastorales. S'agissant de la question foncière, il y a toujours eu chez
le régime rwandais d'après-génocide une sorte de
réclamation des terres qui jadis auraient appartenu à leur pays.
Paul Kagame lui-même a abordé cette question le 15 avril 2023,
lors d'une visite d'État au Bénin où il a signifié
que le problème de la région était bien plus complexe et
que certaines portions du territoire rwandais avaient été
attribuées à l'Ouganda et à la RDC durant l'époque
coloniale. Cette raison selon lui serait une raison majeure de la crise
actuelle à l'est de la RDC.197 D'ailleurs, durant la
première guerre du Congo, dans les accords dits de Lemera
prévoyant la constitution des ADFL, une cession d'une partie du Kivu au
Rwanda aurait été prévu. Les réclamations
territoriales rwandaises se seraient fondées sur des cartes qui
194 F. RYENTJENS. (2014), op.cit., p.13.
195 D. ÉTHIER. (2010). Introduction aux relations
internationales (4e éd.). Montréal : Presse
Universitaire de Montréal,288p.
196 B. MVE EBANG. (2015). Le réalisme de la politique
étrangère des petits États africains.
Dynamiques
Internationales, (6), pp.1-21.Disponible à
l'adresse :
https://dynamiques-internationales.com/wp- content/uploads/2016/01/Mve-Ebang-Varia-09-2015-1.pdf
197 RFI. (2023, 17 avril). La RDC réagit aux
déclarations du président rwandais Paul Kagame sur les
frontières congolais. Disponible à l'adresse :
https://www.rfi.fr/fr/afrique/20230417-la-rdc-r%C3%A9agit-aux-d%C3%A9clarations-du-pr%C3%A9sident-rwandais-paul-kagame-sur-les-fronti%C3%A8res-congolaises
77
rappelaient l'extension du « grand Rwanda » avant la
colonisation.198 Sécurité, économie et
réclamations foncières semblent être les principales
raisons de l'activisme militaire du Rwanda en RDC.
Carte 14. L'activisme militaire du Rwanda en
ROC
D'après la carte ci-dessus, les provinces orientales de
la RDC (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri) qui apparaissent comme étant
très riches en ressources minières diverses (coltan,
étain, charbon, or) sont également des zones de forte
concentration des groupes armés qui opèrent en RDC. La
présence de ces derniers et les différentes intrusions de
l'armée rwandaise ne sont pas
198 F. LASSERRE, É. MOTTET, & É. GONON. (2020).
Manuel de géopolitique - 3e éd. - Enjeux de pouvoir sur des
territoires : Enjeux de pouvoir sur des territoires. Paris : Armand Colin,
p.116.
78
totalement étrangères à l'abondance des
ressources dans cette partie du Congo. En effet, le trafic de ces
matières premières constitue concomitamment une ressource
économique de premier ordre pour les groupes armés et pour leur
parrain régionaux (Rwanda, Ouganda). Les intrusions de l'armée
rwandaise ont été possible en raison de la faiblesse de
l'armée congolaise qui peine à faire respecter l'autorité
de l'État dans ces marges frontalières qui sont
travaillées par des forces centrifuges dues entre autres par
l'éloignement de la capitale Kinshasa.
Carte 15. Les circuits de passage illicites des
matières premières RDC-Rwanda
79
3.2.3. Le soft power rwandais
Le Rwanda est classé soixante quatorzième pays
le plus influent au monde et le sixième en Afrique199
derrière l'île Maurice cinquième, le Nigéria
quatrième, le Maroc troisième, l'Afrique du Sud deuxième
et l'Égypte premier.200 Pour une première apparition
dans ce classement, la position du Rwanda est surprenante compte tenu de son
histoire. Depuis l'arrivée au pouvoir de Paul Kagame, l'image du pays a
considérablement changé, il est admiré pour ses bons
résultats économiques. Aujourd'hui, le Rwanda a réussi
à s'imposer comme une puissance importante sur le continent par le biais
de son Soft power. Compris comme la capacité à
influencer les décisions d'autres acteurs internationaux (par exemple
l'État) en sa faveur sans recourir à la force, le Soft power
fait partie intégrante de la stratégie diplomatique du
Rwanda que l'on observe depuis quelques années. De ce point de vue, il
faut dire que l'État rwandais présente de nombreux atouts. En
effet, il occupe des places très honorables dans divers domaines selon
plusieurs rapports mondiaux. Selon le rapport 2019 de la Banque Mondiale, il
est le deuxième endroit en Afrique où il est le plus facile de
faire des affaires et le pays le plus compétitif du continent. Selon le
Rapport Gallup global 2019, il occupe la première place des pays
africains les plus sûres et la neuvième place au niveau mondial,
concernant les endroits les plus sûres pour les femmes.201
Kigali a également été désignée la ville la
plus propre du continent en 2018.202 Tous ces résultats
positifs sont liés à une gouvernance stricte en matière de
sécurité des biens et des personnes, mais aussi en faveur de la
protection environnementale. À ces efforts s'ajoutent ceux
engagés en faveur de la promotion des femmes et de
l'égalité entre les genres. Le Rwanda occupe ainsi la
première place au monde en ce qui concerne la
représentativité des femmes dans les institutions
constitutionnelles, notamment au sein du Parlement. En matière de lutte
contre la corruption, le Rwanda est aussi un bon exemple, puisqu'il est
classé à la quatrième place sur le continent selon le
rapport 2022 de l'ONG Transparency International.203 L'ensemble de
ces performances constituent des atouts pour le Rwanda et contribuent fortement
à renforcer son image et à promouvoir son Soft power en
Afrique.
199 Selon le rapport annuel du soft power index 2022
publié par le cabinet britannique spécialisé Brand
Finance.
200 BRAND FINANCE. (2022). Global Soft Power Index.
(Rapport 2022), 65p. Disponible à l'adresse :
www.brandfinance.com/softpower
201
https://www.gallup.com/home
problèmes les plus urgents.
Gallup est une société mondiale d'analyse et de
conseil qui aide les dirigeants et les organisations à résoudre
leurs
202 France TV infos. (2018, 2 février). Comment Kigali
est devenue une des villes les plus propres d'Afrique [Vidéo].
Disponible à l'adresse :
https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/pourquoi-kigali-est-lune-des-villes-les-plus-propres-dafrique_2590842.html
203
https://www.transparency.org/en/cpi/2022
80
Au-delà de ces performances, le Soft power du
Rwanda s'exprime à travers divers domaines. Sur le plan militaire, on
note les nombreuses actions humanitaires (construction des écoles,
consultations médicales...) menées par les soldats rwandais dans
les différentes OMP auxquelles ils participent. Celles-ci ont largement
contribué à rendre son action militaire efficace et à
renforcer le soutien et l'adhésion des populations à leurs
actions sur le terrain. Ils ont également exporté
l'Umuganda204 partout où ils interviennent,
notamment au sein de la MINUSS au Soudan du Sud où il est
expérimenté depuis 2019. Dans le sport, le Rwanda a
également su tirer son épingle du jeu. Les partenariats
signés avec les clubs prestigieux de football européens en
l'occurrence Arsenal le 23 mai 2018 dont Paul Kagame est un grand supporter, et
le Paris Saint-Germain en décembre 2019 ont également
participé à renforcer l'image du pays et booster sa
visibilité au niveau mondial comme continental. Ces partenariats sont
symbolisés par la présence du logo «Visit Rwanda»
sur le maillot de ces clubs qui comptent des millions de fans à
travers le monde. La présence de ce logo contribue fortement à
promouvoir le secteur touristique du pays puisqu'il est vu par des millions de
téléspectateurs durant les matchs. Notons qu'en plus du logo
présent sur le maillot, l'accord prévoit l'organisation d'une
« semaine du Rwanda » à Paris durant laquelle les produits
made in Rwanda seront mis en avant.205
En matière de sport, outre le football, le cyclisme et
le basketball sont des sports qui participent aussi à donner de la
visibilité au pays. Des résultats positifs ont déjà
été enregistrés dans ce sens puisque la capitale Kigali a
abrité le Championnat d'Afrique de basket-ball masculin (AfroBasket) en
2021 et sera également la première ville africaine à
accueillir les mondiaux de cyclisme sur route en 2025. Bien que très peu
réputé pour la qualité de son football, le Rwanda a
accueilli le soixante-treizième Congrès de la
Fédération internationale de football association (Fifa), le 16
mars 2023. Pour son rayonnement sur le continent, le Rwanda s'est
également lancé dans le tourisme des affaires. Kigali accueille
chaque année plus de 400 grandes conférences
internationales.206 La capitale rwandaise a accueilli des rencontres
de très haut niveau, à l'exemple du sommet Transform Africa en
mai 2015, 2016, 2017 et 2018, celui du Next Einstein Forum mars 2018, le sommet
extraordinaire de l'UA mars 2018, la réunion
204 L'Umuganda est une fête nationale au Rwanda qui a
lieu le dernier samedi de chaque mois, pour les travaux communautaires
obligatoires à l'échelle nationale de 08h00 à 11h00. Dans
le cadre des OMP, l'Umuganda permet de faire coexister et participer
les populations victimes de la guerre aux efforts de reconstruction des zones
déstabilisées par les conflits.
205 R. GRAS. (2019, 5 décembre). Partenariat Visit
Rwanda-PSG : nouveau signe du rapprochement entre Kigali et le Qatar. Jeune
Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/866180/politique/partenariat-visit-rwanda-psg-nouveau-signe-du-rapprochement-entre-le-rwanda-et-le-qatar/
206 RWANDA CONVENTION BUREAU. (2022). Rwanda Meeting planners
guide 2022. Disponible à l'adresse :
https://rcb.rw/Meeting-Planners-Guide-2022.html
81
sur la bonne gouvernance de la Fondation Mo Ibrahim avril
2018, l'Africa CEO Forum mars, 2019 et Africa Association of Central Bankers
400 délégués juillet 2019. En organisant ces
événements de classe mondiale, Kigali a été
classée deuxième ville dans le classement Afrique 2018 de
l'International Congress and Convention Association (ICCA) qui juge de
l'organisation de grandes conférences internationale.207 Ces
résultats sont liés aux effort et aux investissements entrepris
par les gouvernants rwandais en termes d'infrastructures d'accueils.
Inauguré en 2016, le Kigali Convention Center (KCC) est la parfaite
illustration des efforts consentis. Cette structure abrite un centre de
conférences de standing international avec une capacité d'accueil
de plus de 2 600 personnes.208
La compagnie aérienne Rwandair est aussi un
vecteur de puissance douce, important pour le Rwanda. Créée en
2002, Rwandair détient une flotte de plus de douze avions qui
desservent près de vingt-deux (22) destinations sur le continent (cf.
carte 16). Au fil des années, elle a réussi à compter
parmi les meilleures compagnies aériennes du continent. Elle est
classée à la septième place en Afrique selon le classement
2022 publié par l'organisme de consultation britannique Skytrax sur la
satisfaction des clients des transporteurs aériens, le World's Best
Airlines. Au niveau de la qualité de son service, son staff est
plébiscité et occupe la première place en Afrique, devant
South African Airways et Ethiopian Airlines.209 Parmi les
éléments qui constituent le soft power du Rwanda, la
personnalité du président Paul Kagame n'est pas en reste. En
effet, il est partout considéré comme un président
compétent qui a su relever un pays ruiné par l'un des conflits
les plus meurtrié de l'histoire contemporaine du continent africain. La
stabilité qu'il a instaurée dans son pays, ses réussites
économiques et l'habileté avec laquelle il parvient à
tirer profit du lourd héritage historique de son pays sont
admirés par de nombreux dirigeants qui voient parfois en lui un
modèle.210 En dépit des critiques faites à son
régime autoritaire et ses politiques d'oppression envers l'opposition,
Paul Kagame est perçu sur la scène internationale comme un leader
voire un « modèle africain », en matière de bonne
gouvernance et de gestion de l'État, grâce aux résultats
économiques de son pays.211 Le tournant technologique
engagé par le Rwanda qui souhaite devenir à terme un Hub
technologique de premier ordre dans la région d'Afrique de l'est et en
Afrique de façon générale est également un
élément attractif dont le gouvernement du Rwanda se sert pour
attirer de nombreux
207 Ibid.
208 Ibid.
209 SONGNE, M.(2022, 22 septembre).Ethiopian Airlines, Royal Air
Maroc, South African... Les meilleures
compagnies aériennes d'Afrique. Jeune Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1379694/economie/ethiopian-airlines-royal-air-maroc-south-african-les-meilleures-compagnies-aeriennes-dafrique/
210 BROULARD, L. (2022,1er avril), op.cit., p.63.
211 CHABOUNI, S. (2020), op.cit., p.8.
82
investisseurs étrangers. Dans le cadre du
développement de ce secteur, le Rwanda a réussi à attirer
l'Université américaine Carnegie Mellon qui est un des leaders
mondiaux dans la recherche et l'innovation.212
Carte 16. Les pays africains desservis par Rwandair
en Afrique
La lecture de la carte ci-dessus nous donne un aperçu
des pays couverts par la compagnie aérienne du Rwanda en Afrique. On
constate qu'elle couvre la quasi-totalité des régions du
continent à l'exception de la région nord.
212 J. P. KIMONYO. (2017), op.cit., p.30.
83
CHAPITRE 4. LES LIMITES DE LA PUISSANCE RWANDAISE ET
DE SON DEPLOIEMENT EN AFRIQUE
4.1. La dépendance du Rwanda vis-à-vis de ses
partenaires étrangers
4.1.1. Le Rwanda : un pays piégé par sa
géographie aux multiples contraintes
Le décollage économique du Rwanda et son statut
de puissance régionale et africaine acquis grâce à une
diplomatie intensive marquée par le déploiement de ses forces
armées sur le continent, ne doivent pas masquer les faiblesses
récurrentes de cet État qui demeure parmi les plus pauvres au
monde. Le pays fait face à une situation géographique
pénalisante : territoire exigu sans accès à la mer, et
soumis à une pression démographique. En géopolitique, la
position est un élément important qui peut conférer des
avantages ou des désavantages à un État en fonction de sa
localisation. La position par rapport au domaine maritime est l'une des plus
précieuse en géopolitique au regard des intérêts
économiques mais aussi géostratégiques qu'elle
représente pour un État.213 Disposer d'une
façade maritime confère de nombreux avantages aux États
qui en sont pourvus sur les plans économiques et stratégiques. A
contrario, les États qui en sont dépourvus sont soumis à
de nombreuses contraintes qui les relais bien souvent à la marge des
circuits d'échanges internationaux.214 Ne disposant pas de
fenêtre maritime, l'enclavement apparait pour le Rwanda comme l'une des
contraintes majeures auxquelles il fait face dans sa quête de puissance
au niveau continentale et ce pour plusieurs raisons.
D'abord, ce désavantage géographique place cet
État en situation de dépendance permanente vis-à-vis des
pays qui disposent d'une ouverture sur la mer. Il s'agit notamment du Kenya et
de la Tanzanie, qui à travers les ports de Mombasa et de Dar es Salaam,
lui donnent la possibilité de s'ouvrir au reste du monde via le
transport maritime (cf. carte 15). Ses approvisionnements en produits
manufacturés en provenance de l'étranger indispensables pour son
économie dépendent de deux corridors : le corridor nord, en
provenance du port de Mombasa via le Kenya et l'Ouganda et le corridor central,
en provenance de Dar es Salaam via la Tanzanie et le Burundi. Les importations
et exportations du Rwanda se font majoritairement via le corridor central en
raison des délais qui y sont plus courts et des coûts de transport
moins onéreux que ceux du corridor nord. En effet, les coûts de
transport des marchandises qui passent par le corridor central sont 14 % moins
élevés que ceux du corridor septentrional et la durée
213 P. GOURDIN. (2010). Géopolitiques manuel pratique.
Paris : Choiseul Editions, p.49.
214 S. ROSIÈRE. (2008). Dictionnaire de l'espace
politique. Géographie politique et géopolitique. Paris :
Armand Colin, p.88.
84
d'acheminement via celui-ci est plus courte que celle offerte
par le corridor du nord.215 Le trajet Dar es Salaam-Kigali
s'effectue en quatre jours environ alors que le trajet Mombasa - Kigali
s'effectue entre six et sept jours, en raison notamment du transit des
marchandises en Ouganda et des distances plus importantes.216 Il
faut aussi noter que ces corridors souffrent de la mauvaise qualité des
voies de communication entre les différents pays. Cela complexifie
davantage l'acheminement des marchandises vers le Rwanda. De plus, les
corridors qui partent des ports vers le Rwanda sont encore loin d'être
multimodaux, la route est toujours la principale voie utilisée pour le
transport des marchandises. Même si ces dernières années,
des efforts ont été engagés au niveau régional pour
faciliter la circulation des marchandises (réduction des documents
à remplir, initiation de plusieurs projets d'amélioration des
voies de transports), l'accès au Rwanda depuis les ports de
l'océan Indien demeure long et coûteux. Pour illustration, le
coût de transport d'un container de Mombasa à Kigali est par
exemple quatre fois supérieur à celui entre Mombasa et la
Chine.217 Ainsi, fortement dépendant de ses voisins, de leur
stabilité et de leur bon vouloir, le confinement logistique du Rwanda
est comme une épée de Damoclès qui pèse constamment
sur lui et menace ses exportations et importations de minerais et de
marchandises. Surtout qu'à un moment dans son histoire récente,
le Rwanda a eu des relations diplomatiques difficiles avec son voisin
tanzanien. La raison principale de cette période de tensions
diplomatiques a été la suggestion d'un dialogue politique entre
les FDLR et le gouvernement rwandais faite par le président de la
Tanzanie de l'époque, Jakaya Kikwete, en marge du cinquantenaire de l'UA
organisé en Ethiopie en 2013. Cette proposition venant du
président tanzanien avait donné lieu à des échanges
verbaux agressifs entre ce dernier et P. Kagame.218 Au final, si un
conflit armé n'a pas eu lieu entre les deux États, la
dépendance du Rwanda vis-à-vis du port tanzanien de Mombasa
aurait pu être utilisée pour asphyxier l'économie
rwandaise. De ce point de vue, stratégiquement, le Rwanda en cas de
confrontation directe avec son voisin se serait retrouvé fortement
handicapé. Il faut aussi noter que l'enclavement du Rwanda l'oblige
à traverser deux États (Burundi et Ouganda), avec lesquels les
relations ne sont pas toujours bonnes, avant d'accéder à la mer.
En effet, les corridors du nord et du centre passent par les capitales des deux
pays (Bujumbura et Kampala) suscités avant
215 AMBASSADE DE FRANCE AU RWANDA. (2021). Au Rwanda, des
défis à relever avant de devenir un hub logistique
régional. La Lettre économique de l'Afrique de l'Est et de
l'Océan Indien, (9), 13-14. Disponible à l'adresse :
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/5141a33b-d9b7-48f1-b21f-62c394d0747a/files/5341b983-a724-418a-bc2f-db3926ff95e4
216 Ibid.
217 Ibid.
218 JEUNE AFRIQUE. (2013, 27 août). Le Rwanda et la
Tanzanie à couteaux tirés. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/168895/politique/le-rwanda-et-la-tanzanie-couteaux-tir-s/
85
de rejoindre les côtes de l'océan Indien. Tout
comme dans le cas tanzanien, cette situation de passage obligé par les
capitales d'États considérés comme hostiles, pourrait
s'avérer extrêmement pénalisante pour l'économie du
Rwanda si jamais un conflit ouvert venait à avoir lieu.
En outre, l'étroitesse de son territoire
représente une limite interne particulièrement contraignante pour
le Rwanda. Avec une superficie d'à peine 26 338 km2, le
Rwanda ne dispose pas de grandes quantités de ressources naturelles qui
sont pourtant importantes pour son économie. L'étroitesse de son
territoire le confronte également à une importante pression
démographique caractérisée par une raréfaction des
terres cultivables. Selon les prévisions de croissance
démographique de l'ONU 2019 (scénario moyen), la population du
Rwanda pourrait attendre 23 millions d'habitants d'ici 2050. Si cette tendance
se confirmait, elle pourrait accentuer les problèmes liés
à la disponibilité des terres.
Carte 17. Les principaux débouchés
maritimes du Rwanda
86
4.1.2. Une économie encore dépendante de la
conjoncture extérieure
Depuis la fin du génocide, de nombreux efforts de
reconstruction ont été engagés par les grandes puissances
occidentales au Rwanda, d'abord sous l'égide de l'ONU puis dans le cadre
de dons et aides financières pour son développement. Du fait de
sa situation particulière post génocide, de la bonne gouvernance
qui caractérise le pays et par l'habile utilisation du drame au niveau
international, le Rwanda a pu bénéficier d'une aide
internationale importante. Celle-ci représentait la principale source de
financement du pays au lendemain du génocide. Entre 1994 et 2012, elle
constituait plus de la moitié du budget de l'État rwandais. Au
plus fort de sa participation au budget rwandais, l'aide
étrangère représentait près de 78 % des parts du
budget total (cf. graphique 2). Même si elle ne représente
aujourd'hui qu'environ 15, 20 % du budget selon les données 2021 du
ministère de l'économie, elle demeure une manne financière
importante dont le gouvernement rwandais ne peut se passer. Cette
dépendance à l'aide internationale l'oblige à être
en bon termes avec ses bailleurs de fonds, les risques de
déstabilisation de son système économique étant
importants en cas de suspension ou retrait de celle-ci. En effet, en
matière des finances publiques, la dépendance aux aides
étrangères fait peser un risque sur son économie et peut
compromettre les projets de développement envisagés sur la base
de cette manne financière. Ces conditions ne sont pas idéales
pour le Rwanda car elles limitent ses agissements en tant qu'État et
pose le problème de sa souveraineté économique. D'ailleurs
en 2012, alors que l'aide internationale représentait 48 % du budget
(cf. graphique 2), de nombreux partenaires économiques du Rwanda avaient
décidé de suspendre leurs aides en raison des accusations de
soutien à une mutinerie présente à l'est de la RDC. Suite
à ses différentes accusations, les principaux partenaires ont
suspendu leurs aides au développement et ainsi que leurs
coopérations dans le domaine militaire avec le Rwanda. Dans les faits,
les États-Unis et la Belgique ont temporairement arrêté
leurs coopérations militaires avec le Rwanda, les allemands, les
suédois et les néerlandais dans la foulée ont
partiellement interrompus des aides au développement, tout comme la
banque africaine de développement (BAD). La Grande-Bretagne, pourtant
considérée comme l'allié le plus fidèle au
gouvernement rwandais et principal contributeur au budget rwandais avait
également décidée de suspendre son aide.219
219 J. RÉVILLON. (2014), op.cit., p.28.
87
Ces suspensions ont eu des conséquences sur
l'économie du Rwanda et ont impacté la croissance de son PIB.
Celui-ci a chuté et est passé de 8,8 % en 2012 à 4,7 % en
2013.220 Cette situation a démontré que les aides
internationales perçues par le Rwanda pour soutenir son
développement, étaient conditionnées d'une certaine
façon par les agissements du Rwanda dans la région, notamment
dans la partie est de la RDC où le Rwanda est
régulièrement accusé par de nombreuses ONG et groupes
d'experts onusiens de soutenir des groupes rebelles armés. À
l'heure où le M23 est de nouveau actif à l'est de la RDC, plus de
dix ans après sa défaite contre les FARDC et la MONUSCO, le
Rwanda se retrouve de nouveau sous le feu des critiques. Il est de nouveau
accusé par son voisin de soutenir les actions militaires menées
par ce groupe rebelle. Après de long mois, d'observations, d'appel au
dialogue et au cessez le feu, les puissances occidentales partenaires
(États-Unis, Grande Bretagne, France) du Rwanda ont condamné
ouvertement son soutien au M23.221 Même si pour l'instant, ces
différentes condamnations venues du monde occidental n'ont pas
donné lieu à des sanctions sur le plan économique, comme
ce fut le cas en 2012. Toutefois, il apparait comme en 2012 que les risques de
nouvelles suspensions ou suppressions des aides internationales, planent sur le
Rwanda surtout si la situation continue de se détériorer du point
de vue sécuritaire à l'est de la RDC.222 Si il y a des
sanctions économiques contre l'État rwandais, celles-ci
pourraient impacter négativement son économie. Cette
dépendance à l'aide internationale révèle à
quel point le système économique rwandais est vulnérable
et sujet à la donne extérieure.
L'autre aspect qui rend le système économique du
Rwanda peu solide est sa dépendance au cours des matières
premières. Les principales exportations rwandaises sont le café
et le thé. L'exportation de ces produits a déjà connu des
baisses importantes dans les années 1980 et avait contrarié
l'économie rwandaise.223 Ces deux produits sont encore
aujourd'hui des ressources importantes d'exportations du Rwanda. Mais, soumis
à la conjoncture internationale, les revenus issus de l'exportation de
ces produits peuvent être revus à la baisse en cas de crise dans
le secteur et soumettraient encore une fois l'économie rwandaise
à la dure réalité de sa dépendance aux
marchés internationaux. Aides internationales et dépendances
à l'exportation
220 A. NGIRABATWARE. (2022). RWANDA : Comprendre la croissance
d'une économie de guerre pendant 30 ans. Paris : Editions du
Panthéon, 404p.
221 JEUNE AFRIQUE. (2022, 20 décembre). RDC : Paris
« condamne le soutien » du Rwanda au M23. Disponible à
l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1402516/politique/rdc-paris-condamne-le-soutien-du-rwanda-au-m23/
222LE MONDE, AFP & REUTERS. (2023, 4 mars). RDC :
en visite à Kinshasa, Emmanuel Macron appelle au respect du plan de paix
dans l'est du pays. Le monde Afrique. Disponible à l'adresse :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/04/rdc-en-visite-a-kinshasa-emmanuel-macron-appelle-au-respect-du-plan-de-paix-dans-l-est-du-pays_6164154_3212.html
223 A. NGIRABATWARE. (2022), op.cit.
88
des produits soumis à la volatilité des prix sur
le marché international sont donc les deux éléments qui
exposent l'économie rwandaise à diverses crises selon les
périodes.
4.1.3. Les problèmes dans son environnement proche
et ses capacités militaires limitées
L'environnement régional, théoriquement porteur
sur le plan économique, au regard des ressources naturelles
présentes dans la région, constitue également une limite
pour l'influence rwandaise sur le continent et singulièrement dans les
Grands lacs. Le Rwanda, qui a réussi à s'imposer comme une
puissance importante sur le continent, continue d'entretenir des relations
difficiles avec certains de ses voisins. Cette situation de crise permanente
avec les pays limitrophes pourrait à terme mettre à mal les
ambitions rwandaises dans la région. Entre sa rivalité avec
l'Ouganda et ses implications dans les conflits à l'est de la RDC, le
Rwanda peine à s'imposer comme un leader avec qui les autres pays
peuvent entretenir de bonnes relations pour la stabilité de la
région et son développement.224 À un moment ou
un autre, ses voisins l'ont désigné comme un État
ennemi.225 Avec le Burundi, si on note des avancées notables
dans leurs relations diplomatiques, les tensions sont loin d'être
résolues. Avec l'Ouganda, la situation est similaire. Mais, c'est
surtout avec la RDC que les tensions sont de plus en plus vives et semblent
s'enliser un peu plus avec la résurgence du M23. Or la posture
conflictuelle que le Rwanda entretient avec ses voisins ne favorise pas le
renforcement de son leadership dans la région. En effet, plutôt
que d'inspirer l'assurance, la cohésion comme un leader est
sensée l'être, le Rwanda inspire la méfiance et
l'inimitié. Les tensions politiques avec les autres États des
grands lacs conduisent très souvent à la fermeture des postes
frontaliers et limitent les échanges commerciaux qui sont pourtant
indispensables pour son économie. Ainsi, dans cet environnement
particulièrement instable, les bénéfices attendus de
l'approfondissement de l'EAC pour le Rwanda semblent incertains.
Dépendant des autres, le Rwanda a tout intérêt à
améliorer ses relations avec ses voisins contigus s'il veut avoir une
influence positive et renforcer sa position de leader dans la région et
sur le continent.
Dans sa stratégie de projection sur le continent,
l'armée est un élément majeur que le Rwanda exporte. Si
ces interventions efficaces au Mozambique et en RCA lui ont permis de renforcer
son statut de pourvoyeur de sécurité sur le continent, selon
certains spécialistes, l'armée rwandaise risque
l'épuisement et pourrait atteindre ses limites en termes de pourcentages
des forces qu'elle est capable de déployer en Afrique. Avec la
multiplication des conflits sur le continent, le Rwanda sera dans l'obligation
de s'imposer des limites dans sa
224 S. CHABOUNI. (2020), op.cit., p.8.
225 F. REYNTJENS. (2020), op.cit., p.13.
89
stratégie de déploiement
militaire.226 Rappelons que c'est un pays qui ne possède pas
d'industrie d'armement et, selon certaines sources, il aurait
déjà engagé dans sa stratégie de déploiement
militaire sur le continent près de 20 % de ses effectifs militaires.
Toutes ses opérations, bien que ne nous disposions pas des montants
réels dépensés par le gouvernement rwandais, celles-ci ont
un coût qui peut s'avérer être très important. Selon
le quotidien Africa Intelligence, les dépenses militaires du
Rwanda au Mozambique par exemples sont estimées par les autorités
rwandaises entre 10 et 20 millions de dollars par mois. Cela
équivaudrai, à plus de 100 millions de dollars sur presque un an
d'engagement militaire.227 Ces montants représentent des
sommes colossales que le Rwanda ne pourra évidemment pas endosser seul
sur le long terme en raison de ses capacités financières
limitées. À moins que les dirigeants rwandais n'aient recours
à des financements étrangers venant des pays de l'UE (France,
Portugal, Italie) dont les intérêts économiques des
sociétés nationales sont directement
menacés.228 En effet, dans cette partie du territoire
mozambicain, un projet important d'exploitation de gaz liquéfié
devant être exploité par les deux sociétés (Total
énergies, Eni) était en cours d'exécution avant la
détérioration des conditions sécuritaires dans la
région. C'est cette situation sécuritaire de plus en plus
délétère qui a poussé les entreprises
impliquées dans le projet à suspendre l'exploitation, estimant
que les conditions sécuritaires n`étaient plus réunies.
L'intervention du Rwanda à Cabo Delgado apparait donc comme salutaire
pour ces entreprises qui souhaitent un retour à la normale pour qu'elles
puissent poursuivre l'exécution de ce projet.
4.2. Les stratégies rivales et la lutte pour
l'influence dans les grands lacs et au-delà
4.2.1. L'Ouganda, le rival historique dans les grands
lacs
Considérée par de nombreux spécialistes
comme la zone d'influence naturelle du Rwanda, la région des Grands lacs
est pourtant une zone très disputée où se mêlent
diverses ambitions qui pourraient contrarier les aspirations rwandaises dans
cette partie du continent. Dans cette zone géographique, l'Ouganda
apparait comme la principale force rivale au pouvoir rwandais depuis la fin des
années 1990 et le début des années 2000. En effet, pendant
et au lendemain de
226 COURRIER INTERNATIONAL. (2023, 10 janvier), op.cit., p.18.
227 AFRICA INTELLIGENCE. (2022,23 juin). Mozambique LNG : les
dessous financiers de la mission rwandaise
à Cabo Delgado. Disponible à l'adresse :
https://www.africaintelligence.fr/afrique-australe-et- iles/2022/06/23/mozambique-lng--les-dessous-financiers-de-la-mission-rwandaise-a-cabo-delgado,109793956-eve
228 Ibid.
Sur le même sujet voir également S. HASTOM. (2021,
17 septembre). La France finance-t-elle l'intervention
rwandaise au Mozambique ? Courrier International.
Disponible à l'adresse :
https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/interets-la-france-finance-t-elle-lintervention-rwandaise-au-mozambique
90
la seconde guerre du Congo, les deux pays qui semblaient
être des alliés indéfectibles ont vu leurs relations
politico-diplomatiques se dégrader sur fond de lutte d'influence en RDC.
Durant ce conflit (1998-2003), les deux pays ont soutenu des groupes rebelles
concurrents dans l'est de la RDC et ont déployé leurs propres
forces armées dans ce pays.229 Le Rwanda apportait son
soutien au Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) devenu
RCD-Goma suite à une scission au sein du mouvement. L'Ouganda soutenait
pour sa part l'autre partie du RCD appelé RDC-ML et le Mouvement de
Libération du Congo (MLC) dirigé par Jean-Pierre Bemba. À
travers ces groupes rebelles, les deux pays disposaient d'une sorte de bras
armés qui menaient des actions en leur faveur (pillage de ressources par
exemple) dans les provinces du Kivu et de l'Ituri.230 Depuis, il
existe entre les deux chefs de l'État rwandais et ougandais une
véritable animosité, ceux-ci se battent continuellement pour le
leadership régional avec comme principal théâtre de
conflits l'est de la RDC. Bien plus qu'une simple zone d'influence, cette
partie de la RDC intéresse particulièrement ces deux États
en raison des ressources minières importantes dont elle regorge. Elle
s'avère être d'une importance stratégique pour les deux
pays qui se nourrissent selon plusieurs rapports onusiens et d'ONG des
matières premières des provinces orientales du
Congo.231 Ils se livrent une guerre d'influence pour garder la main
sur les circuits d'exploitations illicites de ces matières
premières, soit directement par leurs armées respectives soit au
moyen de la myriade des groupes armées qui y prolifèrent. La
résurgence du M23 ces dernières années, a remis au
goût du jour cette rivalité qui s'opère par procuration via
les mouvements rebelles présents en RDC.
Tout comme en 2000, le Rwanda et l'Ouganda se disputent la
direction d'un groupe armée, cette fois-ci, il s'agit du M23 qui
à l'origine est un mouvement proche du Rwanda et composé
majoritairement des Tutsis. Mais, lors de sa défaite en 2013, les
rebelles se sont réfugiés en Ouganda comme au Rwanda. Dans les
faits, les partisans de Bosco Ntaganda un des chefs du mouvement ont fui et ont
rendu les armes au Rwanda, tandis que plusieurs combattants qui étaient
encore fidèles à Laurent Nkunda, ont rendu les armes en
Ouganda.232 Cette configuration a donné lieu à deux
branches concurrentes au sein du mouvement chacune avec son parrain
régional. Ceux qui ont été accueillis par l'Ouganda ont
accusé leurs anciens camarades qui étaient au Rwanda d'être
les marionnettes du Rwanda et vice versa.233
229 INTERNATIONAL CRISIS GROUP. (2020, janvier). Éviter
les guerres par procuration dans l'est de la RDC et les Grands Lacs. Crisis
Group Briefing Afrique, 150,21p.
230 F. REYNTJENS. (2020), op.cit., p.13.
231 ONG WITNESS. (2005,30 juin). La paix sous tension :
dangereux et illicite commerce de la cassitérite dans l'est de la
RDC. Disponible à l'adresse : https// :
www.globalwitness.org/en/archive/7532
232 INTERNATIONAL CRISIS GROUP. (2020, janvier), op.cit.
233 ONG WITNESS. (2005, 30 juin), ibid.
91
Au coeur des rapports acrimonieux que les deux États
entretiennent se trouve également la bataille pour l'obtention des
contrats commerciaux et miniers en RDC, cette fois-ci de façon
légale pour leurs entreprises.234 En effet, si les deux
États ont bénéficié de nombreux accords
bilatéraux signés avec la RDC dans les domaines commerciaux,
économiques et sécuritaires, lorsque l'on regard d'un peu plus
près, c'est l'Ouganda qui semble avoir bénéficié
des meilleurs accords et avantages avec son voisin contigu aux grandes dame de
son rival rwandais. Ce qui est désormais en jeu ici ce sont leurs
intérêts commerciaux et économiques respectifs. Dans les
faits, chacun d'eux a signé les accords suivants : en juin 2021, les
présidents Paul Kagame et Félix Tshisekedi ont signé un
accord qui stipule que la société rwandaise Dither Ltd.,
raffinera l'or produit par Sakima (entreprise congolaise) dans le but de priver
les groupes armés de l'or de la RDC.235 La signature de cet
accord place le Rwanda dans une position stratégique favorable
puisqu'à travers sa société il est désormais au
centre de l'exploitation et peut contrôler l'ensemble de la chaîne
de production. Cette décision aurait eu pour effet de contrarier les
gouvernants ougandais.236 Dans le même temps, l'Ouganda
signait également des accords commerciaux avec la RDC. Outre les accords
commerciaux, l'Ouganda a signé un contrat de construction
routière avec les autorités congolaises. Cette route que les deux
États construisent ensemble va de Kasindi (sur la frontière)
jusqu'à Beni et Butembo (cf. carte 17). En plus d'être un projet
qui vise à favoriser les échanges entre les deux pays, elle est
pour l'Ouganda selon le Centre africain d'Étude Stratégique une
voie royale pour l'exportation des matières premières (coltan et
or) du Kivu en direction de l'Ouganda, où a été
également construite une raffinerie d'or présentée par les
autorités ougandaises comme la plus grande du continent. Celle-ci se
présente de facto comme la rivale directe de la raffinerie qui existe du
côté du Rwanda.237 Ces différents accords
signés entre la RDC et l'Ouganda combinés au déploiement
des forces armés ougandaises dans le Nord-kivu auraient
été perçus par le Rwanda comme des actes inamicaux;
d'autant plus que dans le cadre du déploiement de la force
régionale de l'EAC à l'est de la RDC, les forces armées
rwandaises sont les seules à avoir été
ostracisées.
234 AFRICA CENTER FOR STRATEGIC STUDIES. (2022, 29 juin).
Le Rwanda et la RDC en danger de guerre en tant que nouvelle
rébellion du M23 Émerge : un explicateur. Disponible
à l'adresse :
https://africacenter.org/spotlight/rwanda-drc-risk-of-war-new-m23-rebellion-emerges-explainer/
235 JEUNE AFRIQUE & AFP. (2021), op.cit., p.44.
236 AFRICA CENTER FOR STRATEGIC STUDIES. (2022,29 juin),
op.cit.
237 C. BRAECKMAN. (2022, 10 novembre). RD Congo : le
Nord-Kivu, victime des rivalités entre l'Ouganda et le Rwanda.
Courrier International. Disponible à l'adresse :
https://www.courrierinternational.com/article/analyse-rd-congo-le-nord-kivu-victime-des-rivalites-entre-l-ouganda-et-le-rwanda
92
Carte 18. Projet routier entre l'Ouganda et la
RDC
93
4.2.2. Dans les grands lacs, le Kenya passe à
l'offensive tandis que l'Angola marque son retour
Le Rwanda, dans sa stratégie de déploiement dans
les grands lacs doit en plus de l'Ouganda, faire face à la
volonté d'autres puissances régionales d'y jouer un rôle
clé. Il s'agit notamment du Kenya et de l'Angola. Si l'Angola a
déjà joué un rôle militaire et politique
déterminant en RDC, notamment pendant les deux guerres du Congo, cela
n'est pas le cas du Kenya.238 En effet, le Kenya ne s'est pas
souvent impliqué de façon directe en RDC sans doute en raison du
fait ses intérêts n'y étaient directement menacés.
Mais, depuis la résurgence du M23, la posture du Kenya semble avoir
changé. Longtemps à l'écart des conflits en cours à
l'est de la RDC, le Kenya affiche désormais une diplomatie de plus en
plus active dans la région et a fait de la lutte contre les groupes
rebelles armés un élément clé de sa diplomatie au
sein de l'EAC. Il s'implique aussi bien sur le plan militaire que politique. Le
Kenya est à l'origine de la création d'une force d'intervention
régionale qui selon les termes du président William Ruto vise
à imposer la paix en RDC.239 Ce dernier veut jouer un
rôle déterminant dans la résolution de ce conflit qui
secoue le voisin congolais depuis des décennies. Pour se faire, le Kenya
a envoyé près de 900 hommes dans le cadre de la mission militaire
de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE /EAC). Ce bataillon
constitue avec celui de l'Ouganda, l'un contingent des plus important
déployé en RDC (voir tableau 4). Cette force régionale est
en outre placée sous le commandement du général kenyan
Jeff Nyagah240. Le processus de Nairobi est sur le plan politique le
symbole des implications kenyanes dans la résolution des conflits
à l'est de la RDC. Celui-ci met un accent particulier sur la lutte
contre les groupes rebelles et est dirigé par l'ancien président
du Kenya Uhuru Kenyatta qui a le rôle de facilitateur dans les
négociations entre les différents belligérants. C'est
d'ailleurs ce dernier qui a initié la création de cette force
régionale avant que son successeur à la tête de
l'État kenyan ne maintienne l'initiative et la matérialise par le
déploiement de soldats sur le sol congolais à partir du 12
novembre 2022. Avec un coût estimé à 4,4 milliards de
shillings kényans (36,5 millions d'euros) selon les dirigeants
kényans pour une durée initiale de six mois, on pourrait
s'interroger sur les motifs d'un tel engagement de la part du Kenya en
RDC.241 Si les dirigeants kenyans évoquent la
238 F. LASSERRE, É. MOTTET, & E. GONON. (2020),
op.cit., p.77.
239 J. OTIENO. (2022,7 décembre). Est de la RDC : le
Kenya et le spectre de l'enlisement. Jeune Afrique. Disponible
à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1398685/politique/est-de-la-rdc-le-kenya-et-le-spectre-de-lenlisement/
240 Il a démissionné le 28 avril 2023 et devrait
être remplacé par un autre général kenyan.
241 N. HOCHET-BODIN, & C. PIERRET.(2022, 18 novembre). Dans
l'est de la RDC, le déploiement très calculé
des soldats kényans. Le monde Afrique. Disponible
à l'adresse :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/11/18/dans-l-est-de-la-rdc-le-deploiement-tres-calcule-des-soldats-kenyans_6150590_3212.html
94
nécessité de stabiliser et pacifier la
région dans l'intérêt de tous, il faut tout de même
noter comme première motivation à son intervention militaire, la
volonté de sécuriser ses propres intérêts en RDC et
l'intention d'y jouer un rôle central en tant que première
puissance économique de la région. L'adhésion de la RDC au
sein de l'EAC ayant ouvert de nouvelles perspectives économiques pour
l'ensemble des pays de la région, se sont plusieurs entreprises des
autres États parties (kenyanes notamment) qui se sont lancées
à la conquête des opportunités économiques en RDC.
Depuis 2021, ce sont près de vingt nouvelles entreprises kenyanes
(principalement des banques) qui se sont établies en RDC. Il s'agit
notamment d'Equity Group, le premier établissement financier d'Afrique
de l'Est, qui dès 2015, a racheté ProCrédit Bank, puis la
Banque commerciale du Congo (BCDC) en 2020, devenant ainsi le plus grand
réseau de services financiers existant en RDC. Quant à la Kenya
Commercial Bank (KCB), possession de l'État kényan, elle a
acquis, en août 2022, 85 % des actions de la Trust Merchant Bank (TMB),
bien connue du secteur minier dans la province congolaise du
Katanga.242 Nonobstant les minéraux et son investissement
dans le domaine bancaire en RDC, le Kenya souhaite développer un
commerce bilatéral plus étroit avec la RDC et ambitionne de faire
du port stratégique de Mombasa la principale porte d'entrée des
marchandises du Congo et sa principale porte d'exportation des
marchandises.243
Tableau 4. Soldats par pays de l'EAC
déployés dans le cadre de la lutte contre les groupes
armés en RDC
Pays
|
Nombre de soldats
|
Kenya
|
900
|
Ouganda
|
1000
|
Tanzanie
|
Pas de données
|
Burundi
|
600
|
Soudan du sud
|
750
|
Total
|
3 250
|
Sources : Courriel International et Jeune
Afrique Réalisation : PAMBO MIHINDOU Guy Herod
242 Ibid.
243 COURRIER INTERNATIONAL. (2022, 23 novembre). Le Kenya
veut «imposer la paix» dans l'«est troublé»
de la République démocratique du Congo.
Disponible à l'adresse :
https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-le-kenya-veut-imposer-la-paix-dans-l-est-trouble-de-la-republique-democratique-du-congo
95
L'investissement de l'Angola dans la région des grands
lacs n'est pas nouveau si l'on se refaire à l'histoire des conflits qui
ont touché cette partie du continent, notamment dans les années
1990. Arguant des préoccupations sécuritaires, l'Angola par le
biais des dirigeants du Mouvement pour la Libération de l'Angola (MPLA)
s'est lancée dans une série d'interventions militaires tout
azimut entre 1990 et 2003 en Afrique centrale.244 Il a
apporté son soutien à toutes les rebellions qui voulaient
renverser des régimes qui soutenaient les actions de l'Union pour
l'indépendance totale de l'Angola (UNITA) et des Forces de
Libération de l'enclave de Cabinda (FLEC). En 1997, il a fourni un appui
matériel et logistique aux Tigres de Katanga en soutien à
l'offensive de l'Alliance des forces démocratiques pour la
libération du Congo (AFDL) contre le président zaïrois
Mobutu et pour mener des attaques contre les bastions de l'UNITA que Mobutu
avait accueillis. En 1998, les troupes angolaises sont parties de Cabinda pour
soutenir le nouveau président, Laurent Désiré Kabila, dans
la deuxième guerre en RDC (ex-Zaïre).245 C'est l'attaque
du Rwanda à Kitona durant ce second conflit du Congo qui avait convaincu
l'Angola d'intervenir surtout que cette zone était très proche
d'importants gisements pétroliers de Cabinda. Le projet de
déstabilisation et de renversement du président Kabila
initié par le Rwanda menaçait de facto les intérêts
économiques stratégiques de l'Angola.246 En
intervenant dans ce second conflit, les forces angolaises ont ainsi
contrecarré les ambitions des dirigeants rwandais qui voulaient
renverser Laurent Désiré Kabila et installer un régime qui
serait acquis à leur cause.
Aujourd'hui, même si l'investissement angolais dans la
crise congolaise actuelle se limite à la conduite de la médiation
entre les parties en conflit sous les auspices de l'UA, le déploiement
prochain de soldats angolais à l'est de la RDC comme annoncé par
les dirigeants angolais semble rappeler un vieux scénario de
régionalisation du conflit. D'après un communiqué de la
présidence angolaise, l'objectif principal des soldats qui seront
déployés en RDC sera de sécuriser les zones où sont
stationnés les membres du M23 dans l'est du pays et de protéger
l'équipe chargée de surveiller le respect du
cessez-le-feu.247 Riche en ressources naturelles, l'est de la RDC
est de fait de plus en plus convoité et le Rwanda voit arriver dans sa
sphère d'influence une multitude d'acteurs y compris l'Angola qui
nourrissent eux aussi des ambitions économiques dans la région
contrariant ainsi les siennes.
244 P. LE BILLON, & al. (2008). Au-delà du
pétro-militarisme. Politique africaine, 110(2),
pp.102-121.
245 Ibid.
246 F. LASSERRE, É. MOTTET, & E. GONON. (2020),
op.cit., p.77.
247 JEUNE AFRIQUE & AFP. (2023, 11 mars). L'Angola va
envoyer des troupes en RDC après l'échec du cessez-
le-feu. Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/1426376/politique/langola-va-envoyer-des-troupes-en-rdc-apres-lechec-du-cessez-le-feu/
96
4.2.2. L'Afrique du Sud, concurrente au déploiement
militaire rwandais au Mozambique
Depuis l'assassinat de Patrick Karegeya en 2013 dans un
hôtel à Johannesburg et la tentative d'assassinat Kayumba
Nyamwasa, le Rwanda et l'Afrique du Sud entretiennent des relations difficiles
même si on note quelques tentatives de rapprochements depuis
l'arrivée au pouvoir de Cyril Ramaphosa en 2018. L'Afrique du Sud depuis
2004 est devenue un lieu de refuge privilégié pour les dissidents
du FPR autres fois proches de Paul Kagame qui sont passés dans
l'opposition. Suite à l'assassinat de Patrick Karegeya, trois diplomates
rwandais ont été expulsés par l'Afrique du Sud, par
réciprocité, le Rwanda a également expulsé six
diplomates sud-africains. Ces différentes expulsions avaient
achevé d'empoisonner les relations entre les deux pays. La
présence des anciens cadres et éléments importants du
dispositif sécuritaire du Rwanda en Afrique du Sud n'a jamais plu aux
dirigeants rwandais qui leur accuse de se servir de leur exil dans ce pays pour
préparer le renversement et la déstabilisation du pourvoir
rwandais.
En 2018, alors que le Rwanda prenait la tête de l'UA, la
tension entre les deux pays s'était invitée au cours de la mise
en route des reformes menées par Paul Kagame. Jacob Zuma
président sud-africain de l'époque avait présenté
les notes de la Communauté de développement d'Afrique austral
(SADC), qui critiquaient le manque de consultation de l'administration de Paul
Kagame dans la conduite des réformes, ce qui avait passablement
irrité les diplomates rwandais.248 En plus de ces
éléments qui rendent les relations politico-diplomatiques entre
les deux pays difficiles, l'armée rwandaise se projette désormais
dans la sphère d'influence du géant sud-africain notamment au
Mozambique. La présence de l'armée rwandaise n'est pas
forcément quelques choses qui plait aux dirigeants sud-africains. Ils
rechignent à ne voir dans l'intervention rwandaise, discrètement
négociée pendant plusieurs mois avec le Mozambique, qu'un acte de
simple solidarité. Cette préoccupation semble être
légitime sachant que l'Afrique du sud qui est voisine au Mozambique
héberge des opposants rwandais qui ont déjà
été des cibles de plusieurs tentatives d'assassinat. La
présence des troupes rwandaises peut être perçue comme une
menace pour la vie de ceux-ci. Sous l'égide de la SADC, l'Afrique du Sud
a également déployé des soldats au Mozambique dans le
cadre une intervention régionale. Même si ses résultats
contrairement à ceux enregistrés par le Rwanda semblent mitiger
et moins bons, sa présence au Mozambique sert surtout à ne pas
laisser le champ libre au Rwanda dans sa zone d'influence. L'envoi des troupes
de la SADC ressemble ainsi à une tentative de contre influence
248 R. GRAS. (2018, 11 décembre). Rwanda-Afrique du Sud :
rapprochement laborieux entre Kigali et Pretoria,
qui a rappelé son ambassadeur. Jeune Afrique.
Disponible à l'adresse :
https://www.jeuneafrique.com/683302/politique/rwanda-afrique-du-sud-rapprochement-laborieux-entre-kigali-et-pretoria-qui-a-rappele-son-ambassadeur/
97
menée contre le Rwanda dans un espace que les
dirigeants de l'Afrique du Sud considèrent comme leur
pré-carré.
99
La présente étude avait pour objectif de
démontrer que le Rwanda, à travers son déploiement
diplomatique et militaire en Afrique, est devenu une puissance que l'on
pourrait qualifier « d'émergente » sur le continent. Pour
mener à bien ce travail, nous avons choisi de le subdiviser en deux
parties.
Dans la première partie, il s'agissait en premier lieu
de faire la description physique du Rwanda et d'identifier les principales
caractéristiques de sa structure démographique et
économique. Il ressort ainsi que le Rwanda est constitué d'un
relief majoritairement dominé par les collines, qui connait une forte
densité de population (440hab./km2). La structure de
l'économie rwandaise repose sur trois principaux piliers : le secteur
des services contribue à hauteur de 46 % au PIB national ; le secteur
agricole à 25 % ; le secteur industriel à 21%. Il faut noter que
cette économie est fortement dépendante de l'aide
étrangère et particulièrement celle venant des donateurs
occidentaux. Malgré les avancées notables et la diminution
progressive de la part de ces aides dans le budget rwandais depuis 2018,
celles-ci représentent encore une source de financement importante. En
2021, l'aide étrangère représentait 15,20 % des parts dans
la constitution du budget national.
Les raisons du déploiement du Rwanda en Afrique sont de
plusieurs ordres : économiques, sécuritaires et politiques. Sur
le plan économique, le Rwanda cherche à obtenir de nouvelles
opportunités d'affaires sur le continent pour ses entreprises dans
divers domaines (mines, transport aérien, finance). Il veut aussi, par
l'entremise de sa diplomatie, se débarrasser de l'aide
étrangère que les dirigeants perçoivent comme un «
cadeau empoisonné », et qui pose des problèmes de
souveraineté pour leur pays. La présence militaire du Rwanda en
RDC est liée à des préoccupations sécuritaires, du
moins selon les discours officiels des dirigeants rwandais. Sans réfuter
ces préoccupations d'ordre sécuritaire, l'activisme militaire du
Rwanda chez son voisin congolais est également lié à la
présence de ressources naturelles sur le sol de ce dernier, comme le
dénoncent de nombreux rapports des Nations Unies et ONG humanitaires.
Au-delà des grands lacs, en plus de vouloir lutter contre des mouvements
dissidents, ces interventions militaires visent également à
obtenir des accords lucratifs dans certains domaines, notamment l'exploitation
de minerais précieux (RCA, Mozambique) en contrepartie de son
investissement militaire. En plus des raisons précédemment
énumérées, il faut y ajouter le complexe
d'obsidionalité que le Rwanda a développé dans la
région des grands lacs africains en raison de l'hostilité
régionale dans laquelle il évolue. Pour essayer de briser cet
encerclement, le Rwanda a déployé une stratégie d'alliance
de revers qui est à peu près similaire à celle
qu'Israël avait développée dans les années 1950 pour
sortir de l'encerclement arabe. Le Rwanda a ainsi renforcé ses relations
diplomatiques avec les pays qui sont situés à rebours de ses
voisins. Ces
100
rapprochements diplomatiques se sont
matérialisés par la signature de plusieurs partenariats et
accords économiques et/ou militaires avec la République
Centrafricaine, la République du Congo et le Mozambique.
Dans la seconde partie, nous avons présenté le
continent africain comme l'espace privilégié de la diplomatie du
Rwanda. Pour parvenir à son dessein (ou objectifs), le Rwanda utilise
à la fois le Hard power et le Soft power. Dans le
premier chapitre, nous apportons un éclairage sur les leviers de la
diplomatie africaine du Rwanda. Nous démontrons que le Rwanda s'appuie
à la fois sur son histoire, ses forces armées, ses
représentations diplomatiques et l'intégration régionale
comme des leviers importants de sa diplomatie. L'histoire tragique du
génocide a permis au Rwanda de bénéficier d'un soutien
important au niveau international ce qui lui a permis de légitimer ses
actions militaires à l'est de la RDC. Elle lui a également permis
d'obtenir des aides importantes en matière de finances pour son
développement de la part des grandes puissances occidentales (France,
États-Unis d'Amérique, Grande Bretagne). Étant
enclavé, le Rwanda a également fait de l'intégration
régionale un levier important de sa diplomatie, son appartenance
à l'EAC lui ayant notamment permis de bénéficier des
débouchés maritimes des ports de Mombasa (Kenya) et de Dar es
Salaam (Tanzanie). Dans sa stratégie de déploiement et de
puissance sur le continent, le Rwanda a multiplié les ouvertures de
représentations diplomatiques, passant de quatorze en 1994 à
vingt-huit en 2020 dont dix-neuf sur le continent. L'ouverture de ses
représentations diplomatiques s'est accompagnée de la
multiplication des voyages officielles du président Paul Kagame à
travers le continent ; l'année charnière de ses
déplacements continentaux a été 2016, avec pas moins de
dix-huit voyages effectués à travers le continent. De tous les
leviers que le Rwanda mobilise, il apparait dans le cadre de notre étude
que l'armée est son principal instrument de projection. Il
déploie ses forces partout où le besoin se fait sentir,
tantôt dans le cadre des opérations onusiennes, tantôt dans
le cadre d'accords bilatéraux, avec pour objectif d'assurer la
protection de ses intérêts économiques et politiques. Il
apporte aussi des soutiens officieux à des groupes rebelles en RDC.
Enfin, le Rwanda mobilise également son Soft power pour attirer
des investisseurs sur son territoire et pour avoir une bonne image au niveau du
continent. Ce Soft power s'exprime à travers les bonnes places
que le Rwanda a réussi à obtenir dans différents
classements internationaux qu'il s'agisse de lutte contre la corruption, de
lutte contre les inégalités entre les genres et bien d'autres. Il
occupe la sixième place des pays africains qui sont les plus influents
en 2022 par le biais de son Soft power.
Le second chapitre présente les limites de la puissance
rwandaise et de son déploiement sur le continent. Nous notons que le
Rwanda, malgré son statut de puissance africaine, fait face
101
à de nombreux défis internes et externes qui
fragilisent quelques peu ses désirs de puissance à
l'échelle continentale. Il a une économie encore trop soumise
à la conjoncture extérieure, qu'il s'agisse des aides
financières occidentales ou des fluctuations des prix de ses principaux
produits d'exportation (thé, café). Il est aussi dépendant
de la stabilité des pays voisins, notamment ceux qui lui offrent des
débouchés maritimes. Cette dépendance stratégique
constitue une faiblesse puisqu'il est soumis à leur bonne
volonté. Au plan interne, le Rwanda demeure parmi les États les
plus pauvres du monde avec une densité de population très
élevée (460 h/km2). Celle-ci pourrait devenir une
vraie source de tensions si les taux de natalité du Rwanda (29,1 %) ne
baissent pas significativement dans les prochaines années. En outre, il
fait face à une hostilité régionale permanente qui
l'empêche de véritablement se positionner en leader de la
région des grands lacs. En plus de l'Ouganda qui est son principal rival
régional, le Rwanda est confronté à l'offensive d'autres
puissances régionales dans sa zone d'influence. Parmi celles-ci, les
principales sont le Kenya et l'Angola qui se projettent dans la région
en vue de protéger leurs intérêts respectifs. Au sein de la
SADC, où le Rwanda se projette également, il doit faire à
la concurrence de l'Afrique du Sud qui perçoit mal sa présence
dans sa zone d'influence naturelle (Mozambique).
Parvenu au terme de ce travail dont l'objectif était de
répondre à la question de savoir ce qui motive le
déploiement diplomatique et militaire du Rwanda sur la scène
africaine ainsi que les leviers de ce déploiement, il ressort que les
trois hypothèses émises au début de cette analyse ont
toutes été vérifiées. S'agissant de la
première hypothèse (le déploiement intense du Rwanda a
pour objectif de briser le sentiment d'encerclement dont il se sent victime au
niveau régional), elle a été confirmée, car nous
voyons que les relations difficiles que le Rwanda entretient avec son voisinage
depuis des années coïncident (surtout entre 2015 et 2022) avec son
déploiement dans les pays qui sont situés à rebours de
ceux-ci. La deuxième hypothèse (le déploiement du Rwanda
est motivé par l'ambition politique de faire passer ses problèmes
internes au second plan) est confirmée. Elle est une raison certes mais
pas si déterminante car se sont en réalité les raisons
économiques qui guident la quête de puissance du Rwanda. La
troisième hypothèse (l'influence acquise par le Rwanda sur le
continent est également liée au soutien important dont il
bénéficie de la part des grandes puissance occidentale) a
également pu être confirmée puisque nous l'avons vu en
faisant culpabiliser les grandes puissances quant à leur
responsabilité sur l'avènement du génocide de 1994, le
Rwanda bénéficie de leur soutien et mène des intrusions
armées en RDC sans avoir la crainte d'être sanctionné car
protéger par ces mêmes grandes puissances malgré
l'épisode des sanctions intervenues en 2012 suite à la
publication d'un
102
rapport des Nations Unies qui condamnait les incursions
armées du Rwanda et les pillages systématiques des ressources par
celles-ci en RDC.
La réussite économique et le nouveau statut
acquis par le Rwanda sur le continent sont en grande partie l'oeuvre du
président Paul Kagame. Ancien chef rebelle, il a réussi à
faire de son pays un État particulièrement stable grâce
à de bons résultats économiques. Comme de nombreux
dirigeants d'Afrique centrale, Paul Kagame jouit d'une longévité
au pouvoir, avec près de vingt-trois ans passé à la
tête de son pays, la modification constitutionnelle intervenue en 2015
lui permettant de rester au pouvoir jusqu'en 2034. Après une telle
longévité, la question «sensible» de la succession
devra se poser à un moment ou un autre. En étant aussi
omniprésent, Paul Kagame a incarné les réussites du pays
sa personnalité se confondant parfois à l'État. Face
à un environnement régional toujours plus hostile, la menace des
FDLR toujours présents et les blessures du génocide toujours en
cours de cicatrisation, des interrogations subsistent quant à la
pérennisation de la stabilité du pays après son
départ. L'expérience dans d'autres États africains
(Côte-d'Ivoire, Togo) a démontré qu'en l'absence d'un
numéro deux clairement identifié et capable de maintenir les
équilibres existants, le départ du leader charismatique a souvent
donnée lieu à des luttes fratricides pour la succession à
la tête de l'État.249 Ainsi, on pourrait assister
à des querelles intestines au sein même du FPR pour la succession
de Paul Kagame. Un tel scénario est à craindre car les guerres
autour de la succession conduisent très souvent à la
désintégration des solidarités construites
artificiellement autour de la figure tutélaire du chef de l'État
et peuvent directement affecter l'équilibre national.250
L'après Paul Kagame peut également faire rejaillir la question
des clivages ethniques toujours en cours de cicatrisation. Une mauvaise gestion
de la transition pourrait conduire à de nouvelles querelles ethniques
Hutus/Tutsis.
Tout ceci amène à s'interroger sur l'avenir
sociopolitique du Rwanda après le départ de Paul Kagame. Cet
État demeura-t-il toujours aussi stable ? La cohésion et la
réconciliation entre les «ethnies» amorcées sous sa
houlette ne seront-elles pas brisées ? Et surtout jusqu'où ira le
Rwanda dans sa quête de puissance à l'échelle continentale
?
249 S. LOUNGOU. (2022). Des « guerres » de
succession en Guinée Équatoriale, au Congo et au Cameroun. Vers
un embrasement de l'Afrique centrale ?
Diploweb.com : la revue
géopolitique. Disponible à l'adresse : Géopolitique.
Vers un embrasement de l'Afrique centrale ? (
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250 Ibid.
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-www.minaffet.gov.rw
-www.minecofin.gov.rw
-www.statistics.gov.rw
116
Liste des cartes :
Carte 1. Le Rwanda à l'échelle de
l'Afrique 12
Carte 2.Le Rwanda à l'échelle de
l'Afrique centrale 15
Carte 3.Le Rwanda à l'échelle des Grands
Lacs 19
Carte 4. Géomorphologie du Rwanda 23
Carte 5. Densité de population du Rwanda
27
Carte 6.Mise en perspective de la stratégie de
désencerclement du Rwanda 48
Carte 7.Représentations diplomatiques du Rwanda
en Afrique 59
Carte 8.Les voyages de Paul Kagame en Afrique entre
2009 et 2014 60
Carte 9. Les voyages de Paul Kagame en Afrique entre
2015 et 2018 61
Carte 10. Les voyages de Paul Kagame entre 2019 et 2022
62
Carte 11.Le Rwanda dans les ensembles régionaux
64
Carte 12.Géographie des OMP du Rwanda en Afrique
68
Carte 13.Les interventions militaires du Rwanda sur le
continent africain 74
Carte 14.L'activisme militaire du Rwanda en RDC
77
Carte 15.Les circuits de passage illicites des
matières premières RDC-Rwanda 78
Carte 16.Les pays africains desservis par Rwandair
en Afrique 82
Carte 17.Les principaux débouchés
maritimes du Rwanda 85
Carte 18.Projet routier entre l'Ouganda et la RDC
92
Liste des graphiques :
Graphique 1. Évolution de la population
Rwandaise entre 1950 et 2022 26
Graphique 2.Évolution de la part des emplois par
secteur économique entre 1991 et 2019
29
Graphique 3.Composition du budget de l'État
entre 1995 et 2021 31
Graphique 4.Part de chaque secteur dans le PIB en 2021
32
Graphique 5.Les cinq (5) principaux pays fournisseurs
de soldats aux OMP au 31 octobre
2022 67
117
Liste des planches :
Planche 1.Quelques rencontres bilatérales entre
Paul Kagame et d'autres chefs-d'États
58
Planche 2.Actions humanitaires en faveur de la
santé au Soudan du Sud 70
Planche 3.Actions menées par les soldats
rwandais dans le cadre de la MINUSS 70
Liste des tableaux :
Tableau 1. Évolution de démographie du
Rwanda par décennies 26
Tableau 2. Le nombre de soldats rwandais
déployés dans le cadre des OMP 67
Tableau 3. Soldats rwandais engagés par mission
d'intervention sur le sol africain 73
Tableau 4. Soldats par pays de l'EAC
déployés dans le cadre de la lutte contre les
groupes armés en RDC 94
118
TABLE DES MATIERES
DEDICACE i
REMERCIEMENTS ii
SOMMAIRE iii
LISTE DES SIGLES iv
INTRODUCTION GENERALE 6
1. Justification du sujet 7
1.1. Intérêt du sujet 7
1.2. Objet, objectifs et champ de l'étude 8
2. Revue de littérature 13
3. Problématique et cadre théorique 16
4. Cadre méthodologique 20
5. Annonce du plan 20
PREMIERE PARTIE 21
LES FONDEMENTS D'UN DÉPLOIEMENT DIPLOMATIQUE ET
MILITAIRE
INTENSE SUR LE CONTINENT 21
CHAPITRE 1. LA GÉOGRAPHIE PHYSIQUE ET HUMAINE DU
RWANDA 22
1.1. Le cadre physique 22
1.1.1. Éléments de géomorphologie et de
géologie du Rwanda 22
1.1.2. Le climat 23
1.2. Les caractéristiques démographiques et
économiques 24
1.2.1. La démographie du Rwanda 24
1.2.2. Structure de l'économie rwandaise 28
CHAPITRE 2. LES MOBILES D'UNE DIPLOMATIE ACTIVE SUR
LE
CONTINENT AFRICAIN 33
2.1. Les relations avec son voisinage et le sentiment
d'encerclement comme mobiles
d'une diplomatie active. 33
2.1.1. Les relations rwando-ougandaises : entre alliance et
rivalité. 33
2.1.2. Le Rwanda et le Burundi : des «jumeaux» aux
relations en dents de scie 37
2.1.3. Rwanda-RDC : deux voisins aux relations
politico-diplomatiques tumultueuses
depuis le génocide de 1994 41
2.1.4. Le complexe d'obsidionalité développé
par le Rwanda 45
2.2. Les mobiles économiques, sécuritaires et
politiques du déploiement rwandais en
Afrique 49
2.2.1. Les mobiles économiques 49
2.2.2. Les mobiles sécuritaires 51
2.2.3. Les mobiles politique 52
119
DEUXIEME PARTIE 54
L'AFRIQUE, ESPACE DE PROJECTION PRIVILEGIÉ DU
RWANDA 54
CHAPITRE 3. LES LEVIERS DE LA POLITIQUE ETRANGERE DU
RWANDA EN
AFRIQUE 55
3.1. Les leviers historiques et politico-diplomatiques 55
3.1.1. La «rente» mémorielle comme outil
diplomatique 55
3.1.2. L'ouverture des représentations diplomatiques
en Afrique et les visites
bilatérales d'État 57
3.1.3. L'intégration régionale au coeur de la
politique étrangère du Rwanda 63
3.2. Les leviers militaires et les moyens de séduction
65
3.2.1. L'armée rwandaise comme force de maintien de
la paix et d'intervention sur le
continent africain 65
3.2.2. L'activisme militaire en RDC 75
3.2.3. Le soft power rwandais 79
CHAPITRE 4. LES LIMITES DE LA PUISSANCE RWANDAISE ET DE
SON
DEPLOIEMENT EN AFRIQUE 83
4.1. La dépendance du Rwanda vis-à-vis de ses
partenaires étrangers 83
4.1.1. Le Rwanda : un pays piégé par sa
géographie aux multiples contraintes 83
4.1.2. Une économie encore dépendante de la
conjoncture extérieure 86
4.1.3. Les problèmes dans son environnement proche
et ses capacités militaires
limitées 88
4.2. Les stratégies rivales et la lutte pour l'influence
dans les grands lacs et au-delà 89
4.2.1. L'Ouganda, le rival historique dans les grands lacs 89
4.2.2. Dans les grands lacs, le Kenya passe à l'offensive
tandis que l'Angola marque
son retour 93
4.2.2. L'Afrique du Sud, concurrente au déploiement
militaire rwandais au
Mozambique 96
CONCLUSION GÉNÉRALE 97
BIBLIOGRAPHIE 97
TABLE DES ILLUSTRATIONS 97
120
Résumé : Longtemps connu et
tristement célèbre en raison du génocide des Tutsis qui a
fait plus de 800 000 victimes en 1994, l'État failli qu'est le Rwanda au
sortir de cette crise, a réussi à s'imposer comme un acteur
géopolitique majeur sur la scène africaine ces dernières
décennies. Depuis 1994, sous la houlette de Paul Kagame, le Rwanda a
entrepris un déploiement diplomatique et militaire important à
l'échelle continentale. Celui-ci est motivé par plusieurs raisons
: sécuritaire, économique, politique. Il est également
lié au complexe d'obsidionalité dont le Rwanda se sent victime
dans la région des Grands-lacs. Pour parvenir à son dessein (ou
objectifs) le Rwanda mobilise à la fois le Hard et le Soft power
dans sa politique étrangère en Afrique. Dans sa
stratégie diplomatique, l'armée apparaît comme le principal
outil de sa projection sur le continent. Elle intervient sur plusieurs
théâtres de conflits au sein des OMP (Soudan du, RCA, Darfour) et
dans le cadre d'accords bilatéraux (Mozambique, RCA, Bénin). Si
le Rwanda est parvenu à devenir un acteur important de la scène
africaine, il doit néanmoins faire face à la concurrence d'autres
États (Ouganda, Afrique du Sud, Kenya, Angola) et à de nombreux
défis internes (enclavement, pression démographique) qui peuvent
freiner sa montée en puissance.
Mots-clés : Rwanda, Géopolitique,
Petit-État, Puissance.
Abstract : Long known and sadly famous
because of the genocide of the Tutsis which made more than 800,000 victims in
1994, the failed state that is Rwanda at the end of this crisis, succeeded in
imposing itself as a major geopolitical actor on the African scene in recent
decades. Since 1994, under the leadership of Paul Kagame, Rwanda has undertaken
a major diplomatic and military deployment on a continental scale. This is
motivated by several reasons : security, economic, political. It is also linked
to the obsidional complex of which Rwanda feels victim in the Great Lakes
region. To achieve its purpose (or objectives) Rwanda mobilizes both hard and
soft power in its foreign policy in Africa. In its diplomatic strategy, the
army appears to be the main tool for its projection on the continent. It
intervenes in several theaters of conflict within PKOs (Sudan, CAR, Darfur) and
within the framework of bilateral agreements (Mozambique, CAR, Benin). If
Rwanda has managed to become an important player on the African scene, it must
nevertheless face competition from other States (Uganda, South Africa, Kenya,
Angola) and many internal challenges (landlocked, demographic pressure) which
can slow down its rise.
Keywords : Rwanda, Geopolitics, Small State,
Power.
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