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Reconnaissance et conflit au sein des presbyeriums:une lecture a partir de la lutte pour la reconnaissance d'Axel Honneth


par Charles Dieudonné TOMB TOMB
Université de Lorraine-Metz - Master II en Sciences Humaines et Sociales, mention Théologie Catholique 2022
  

Disponible en mode multipage

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    RECONNAISSANCE ET CONFLIT AU SEIN DES PRESBYTERIUMS : UNE LECTURE A PARTIR DE LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE D'AXEL HONNETH

    TOMB TOMB Charles Dieudonné

    Sous la direction de : Dr Anthony FENEUIL

    Département de théologie

    Mémoire présenté en vue de l'obtention du Master II
    Spécialité : Théologie systématique

    Année académique : 2022- 2023

    UNIVERSITE DE LORRAINE

    RECONNAISSANCE ET CONFLIT AU SEIN DES PRESBYTERIUMS : UNE LECTURE A PARTIR DE LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE D'AXEL HONNETH

    TOMB TOMB Charles Dieudonné

    Sous la direction de : Dr Anthony FENEUIL

    Département de théologie

    Mémoire présenté en vue de l'obtention du Master II
    Spécialité : Théologie systématique

    Année académique : 2022- 2023

    CHARLES DIEUDONNÉ T 2

    Dédicace

    A ma nièce Badjeck Pélagie et mon très cher ami Bayiga Matip (Baye), tous les deux rappelés à Dieu.

    3

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    Remerciements

    Au terme de ce cycle de Master II où nous avons travaillé sur la question de la reconnaissance mutuelle chez Axel Honneth, je ne peux qu'exprimer le même sentiment de la reconnaissance qui m'habite en ce moment envers Dieu qui est le début et la fin de toute oeuvre surtout pour la ténacité et la persévérance à nous accordées tout au long de ce travail de recherche.

    Cette reconnaissance va tout de même à l'endroit de Monseigneur Jean-Bosco Ntep, évêque du diocèse d'Edéa au Cameroun qui nous a donné l'opportunité et l'autorisation à poursuivre nos études pendant ce temps de coopération missionnaire en Belgique. Cela n'a pas été facile. Mais ses conseils et ses encouragements nous ont permis d'aller jusqu'au bout.

    L'engendrement de ce travail n'a été possible que grâce à l'encadrement perspicace à travers les échanges fructueux, les propositions judicieuses, le suivi régulier et permanent du Dr Anthony Feneuil, notre directeur à qui nous exprimons notre totale et entière reconnaissance.

    J'exprime également toute ma profonde gratitude à tous les enseignants de Domuni Universitas et de l'Université de Lorraine pour le chemin parcouru ensemble, particulièrement au Dr Appolinaire Kahindo Kivyamunda pour son encadrement et son soutien multiformes en sa qualité de notre conseiller pédagogique, au Dr Félix koala Sibri pour ses encouragements. Je ne saurais oublier le Dr Augustin Wiliwoli qui nous a fait découvrir Axel Honneth et les débats autour de la question de la reconnaissance.

    Je remercie particulièrement les abbés Joseph Ndoum, Gaston Yamb, Gilles Fadel Bekada, Laurent Balog, Blaise Nzayo, Beaudouin Habaquq Nsongan Bikaï, Jonas Moruba, Hubert Claude Minka et Nicodème Bioumla pour leurs encouragements fraternels et édifiants.

    A ma maman, Ngo Bayeg Esther, pour son affection rassurante,

    A mes neveux et nièces, particulièrement à Ruth Céline et Francky Chloé,

    A mes frères et soeurs, Ngo Bayeck Evelyne, Ngo Ntomb odette, Maemblè Marie-Dorothée, Badjeck Anne Marie, Nkok Alice Delphine, Biboum Barnabé, Badjeck Ntomb Paul, Ntomb Appolinaire, Loga Roger, Badjeck Jules,

    A monsieur Minka Wanda Ildevert et son épouse, Au révérend pasteur Ntamack Josué et son épouse, monsieur Mahi et son épouse, madame veuve Mayo Marie-Rose, madame Bell

    CHARLES DIEUDONNÉ T 4

    Odile, madame Mbondo Thérèse, madame Fosso Viviane, madame Blondeau Emilienne, madame Goueth Aurélie, madame Hot Christiane et à ngo Mbomè Jeanne Pélagie.

    A ces hommes et à ces femmes de grand coeur qui me sont chers, aux camarades, ami.e.s et connaissances.

    Un merci cordial à tous et à chacun.

    5

    CHARLES DIEUDONNÉ T

    « La reconnaissance, c'est-à-dire la limitation du désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre »1

    1 Honneth, A., Ce que social veut dire (tome 1 - Le déchirement du social), Paris, NRF essais - Gallimard, 2013, p. 107.

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    7

    Abréviations

    Coll. : Collection.

    CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales

    Dir. : Sous la direction.

    Ed. : édition.

    Op.cit. : Opus citatum : OEuvre citée ; opere citato : Dans l'oeuvre citée.

    PO : Presbyterorum ordinis, Décret sur le Ministère et la Vie des prêtres, 1965.

    Propast III : Troisième projet pastoral du diocèse d'Edéa (2016-2020).

    Rééd : Réédition.

    Trad. : Traduction française.

    Résumé

    Du déni de reconnaissance à la reconnaissance mutuelle et authentique au sein des presbyteriums à partir des modalités de reconnaissance intersubjective, tel a été le parcours que nous venons d'esquisser dans le présent travail où il était question pour nous d'analyser et d'identifier l'origine des conflits au sein des presbyteriums afin de proposer des solutions pour passer de la société du mépris à la société de justice pour une « vie bonne et réussie » et permettre à chaque membre de se réaliser lui-même.

    Nous sommes partis des formes de relations de reconnaissance aux différentes figures du mépris relevées par Axel Honneth dans son chef-d'oeuvre La lutte pour la reconnaissance pour mettre en exergue quelques causes des conflits au sein des presbyteriums : La dissolution de la confiance en soi, la perte du respect de soi et la perte de l'estime de soi. Grâce à la théorie de la lutte pour la reconnaissance mutuelle d'Axel Honneth, nous avons perçu et interprété ces luttes au sein des presbyteriums non à des motifs de conservation, d'existence, de recherche d'intérêts matériels, « d'auto-préservation individuelle » mais plutôt à « des mobiles moraux ». Cela nous a permis de voir comment la lutte pour la reconnaissance peut contribuer au développement et au progrès de la société humaine et à la formation de l'identité personnelle des individus.

    C'est à travers l'amour, le droit et la solidarité comme modalités de reconnaissance intersubjective considérées aussi comme des « principes de justice » qu'un être humain peut se réaliser pleinement et se voir confirmer dans sa singularité en tant qu'individu dans ses besoins affectifs, dans son universalité en tant qu'une personne qui a des droits au même titre que les autres membres de la communauté et dans sa particularité en tant que sujet dans l'appréciation positive de ses capacités pratiques et de ses qualités propres dans un horizon de fins communes. C'est dans cette perspective que les membres des presbyteriums parviendront à des relations de reconnaissance ininterrompues avec eux-mêmes de manière successive et progressive pour une vie bonne et réussie dans la collusion et l'harmonie. Car, c'est dans l'amour qu'on retrouve la confiance en soi, dans le droit le respect de soi et dans la solidarité l'estime de soi.

    Mots clés : Reconnaissance, conflit, mépris, presbyteriums, amour, droit, solidarité.

    Abstract

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    From the denial of recognition to mutual and authentic recognition within the presbyteriums from the modalities of intersubjective recognition, such has been the path that we have just sketched in the present work where it was a question for us of analyzing and to identify the origin of the conflicts within the presbyteriums in order to propose solutions to move from the society of contempt to the society of justicef or a good and successful life and to the allow each member to realize him self.

    We have started from the forms of relationships of recognition with figures of contempt identified by Axel Honneth in his masterpiece The struggle for recognition to highlight some causes of conflict within presbyteriums : The dissolution of self-confidence, loss of self-respect and loss of self-esteem. Thanks to Axel Honneth's theory of the struggle for mutual recognition, we have perceived and interpreted these struggles within the presbyteriums not for reasons of conservation, existence, the search for material interests, « self-preservation individual » but rather to moral motives. This allowed us to see how the struggle for recognition can contribute to the development and progress of human society and to the formation of the personal identity of individuals.

    It is through love, right and solidarity as forms of intersubjective recognition also considered as principales of justice that a human being can fully realize himself and see himself cnfirmed in his singularity as an individual in his needs emotional, in his universality as a person who has rights in the same way as the other members of the commmunity and in his particulary as a subject in the positive appreciation of his pratical capacities and his own qualities in a horizon for common purposes. It is in perspective that the members of the presbyteriums will achieve uninterrupted relationships of recognition with themselves in a successive and progressive way for a good and successful life in collusion and harmony. Because it is in love that we find self-confidence, in right self-respect and solidarity self-esteem.

    Keywords : Recognition, conflict, contempt, presbyteriums, love, right, solidarity.

    9

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    Sommaire

    Table des matières

    Remerciements 4

    Abréviations 7

    Résumé 8

    Sommaire 10

    INTRODUCTION GENERALE 12

    CHAPITRE I : LA RECONNAISSANCE MUTUELLE ET SES DIFFERENTES FORMES

    CHEZ AXEL HONNETH 19

    I. Approche terminologique 20

    I.1. Qu'est-ce que la reconnaissance ? 20

    I.2. L'idée de lutte pour la reconnaissance chez Hegel 20

    I.3. Du modèle hégélien à la théorie critique de lutte pour la reconnaissance mutuelle chez

    Axel Honneth 23

    II. Les différentes formes de reconnaissance 24

    II.1. La reconnaissance amoureuse 24

    II.2. La reconnaissance juridique 26

    II.3. La reconnaissance « de la communauté de valeurs » ou culturelle. 30

    CHAPITRE II : LES FIGURES DU MEPRIS OU DENIS DE RECONNAISSANCE COMME

    CAUSES DES CONFLITS AU SEIN DES PRESBYTERIUMS 35

    I. La figure du mépris de l'intégrité physique 37

    I.1. Définition du terme mépris 37

    II. La figure du déni du droit 43

    II.1. Le rapport entre le droit subjectif et le droit objectif 45

    III. La figure du mépris liée à la mésestime 48

    IV. Les dénis de propriétés sociales 52

    IV.1. Les capabilités 52

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    IV.2. Les capacités éthiques 54

    CHAPITRE III : L'APPORT DE LA THÉORIE DE LA RECONNAISSANCE MUTUELLE

    CHEZ AXEL HONNETH DANS LA PERSPECTIVE DE LA RÉSOLUTION DES

    CONFLITS AU SEIN DES PRESBYTERIUMS AU CAMEROUN 59

    I. L'amour comme expression de la confiance de soi 61

    I.1. Le travail comme une mise en oeuvre 63

    II. Le droit comme source du respect de soi 68

    III. La solidarité comme noyau structurel de l'estime de soi. 72

    IV. La reconnaissance par des choses 75

    IV.1. La reconnaissance interobjective 76

    IV.2. L'apport de l'interobjectivité dans la théorie de lutte pour la reconnaissance 78

    IV.3. De la médiation entre les sujets et les objets 79

    Conclusion générale 81

    Bibliographie 86

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    INTRODUCTION GENERALE

    Dans notre société actuelle où plusieurs personnes aspirent à une « vie bonne et réussie », l'on a souvent l'impression que celle-ci passe par la réussite académique, professionnelle, politique, sociale, financière ou matérielle. Mais, Axel Honneth vient donc bouleverser le paradigme dans la pensée contemporaine grâce à la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle. Car, pour lui, c'est dans les relations de reconnaissance réciproques que les êtres humains se confirment mutuellement comme des sujets autonomes et individualisés2. La Lutte pour la reconnaissance3 est un essai de la philosophie sociale publié en 1992 par A. Honneth. Cet ouvrage qui porte le titre de l'une des thématiques majeures que soulève son auteur à côté d'autres sujets lancinants tels que « pathologies et paradoxes », « la reconnaissance et ses déformations », « les paradoxes du contemporain » n'est traduit en français que depuis l'an 2000. Sans doute, c'est ce qui a fait dire à Olivier Voirol, préfacier de La société du mépris d'Axel Honneth qu': « une grande partie des textes d'Axel Honneth ne portent pas seulement sur la reconnaissance mais aussi sur la reconstruction patiente et systématique d'une perspective critique s'inscrivant dans la tradition de la philosophie sociale de la Théorie critique de l'Ecole de Francfort »4.

    Bien que la reconnaissance ne soit donc pas pour Honneth, le seul sujet dans l'ensemble de son projet intellectuel, il le place tout au moins au coeur de ses débats. Le débat actuel sur la notion de la reconnaissance dans le domaine de la philosophie sociale moderne tire son origine du thème hégélien d'une lutte pour la reconnaissance intersubjective et atteint son paroxysme avec la nouvelle génération de l'Ecole de Francfort, représentée par Axel Honneth qui a donné un nouveau son de cloche à cette philosophie et à sa théorie critique. Pour Honneth :

    Il revient à Hegel le mérite d'avoir développé une philosophie de la lutte pour la reconnaissance mutuelle en réaction contre la philosophie anti-aristotélicienne des modernes, celle de la lutte pour l'existence. Pour y parvenir,

    2 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, Paris, Gallimard, 2021 (1992), p. 116.

    3 La lutte pour la reconnaissance « est la thèse d'habilitation d'Axel Honneth. Rédigée sous la direction de Jürgen Habermas, elle est publiée en 1992 aux éditions Suhrkamp Taschenbuch Wissenschaft sous le titre Kampf um Anerkennung. Dans cet ouvrage, Axel Honneth développe une critique en s'appuyant sur la philosophie sociale moderne qui présuppose un rapport d'hostilité entre les individus désireux de garantir les conditions de leur survie. Il interprète les conflits humains dans la perspective d'une demande de reconnaissance et met en lumière la dimension morale inhérente à tout affrontement. » Cette note explicative est tirée de l'opuscule la collection « Connaître une oeuvre ». Il s'agit de l'ouvrage de Axel Honneth : La Lutte pour la reconnaissance

    4 Honneth, A., La société du mépris, Vers une nouvelle Théorie critique, trad. française par Olivier Voirol, Pierre Rusch et Alexandre Dupeyrix, Paris, La Découverte, 2006, p. 9.

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    il s'est appuyé sur le modèle de la « lutte sociale » introduit dans la réflexion philosophique par Hobbes, mais lui donne une formulation théorique qui va permettre de rapporter les conflits humains non pas à des motifs de conservation individuelle, mais à des mobiles moraux5.

    Si Honneth opte de s'appuyer sur Hegel pour donner de l'impulsion à la nouvelle génération de l'Ecole de Francfort, il a bien des raisons. Mais lesquelles ? Autrement dit, en quoi consiste la spécificité, voire l'originalité recherchée par Honneth par rapport aux autres auteurs antérieurs de la tradition francfortoise ? Pour répondre à cette préoccupation qui nous permettra de mieux comprendre la pensée de Honneth et surtout sa théorie de la lutte pour la reconnaissance mutuelle qui retient plus notre attention dans ce travail de recherche, il est louable de se référer à l'article de Haud Gueguen sur « La lecture honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance ». Pour cet auteur : « L'originalité, chez Honneth, n'est pas, en d'autres termes, d'avoir mobilisé la philosophie hégélienne de façon centrale (ce qui, selon des modalités différentes, est le cas chez tous les auteurs francfortois). C'est bien plutôt d'avoir, par un prolongement de la démarche habermasienne, opéré un infléchissement en s'attachant à la problématique (intersubjectiviste ou communicationnelle) de la lutte pour la reconnaissance »6.

    En effet, l'originalité apportée par Honneth vise aussi à se démarquer du groupe d'antan de l'Ecole de Francfort « de ne plus aborder Hegel selon la problématique de la rationalité, mais de l'appréhender à partir de la question de la conflictualité »7. Mais, plus précisément la spécificité honnéthienne consiste à « montrer que, à travers le motif de la « lutte pour la reconnaissance » (Kampf um Anerkennung), la philosophie hégélienne permet de faire de cette conflictualité le fondement même du point de vue normatif qui se trouve requis par la théorie critique de la société »8.

    Pour Honneth, bon nombre de ses prédécesseurs de l'Ecole de Francfort ont minimisé la dimension psychologique des individus ainsi que des phénomènes culturels pour laisser la place à la formation indépendante de convictions morales et d'orientations normatives dans

    5 Honneth, A., cité par Wiliwoli, A., A. Honneth, Lutter pour la reconnaissance. Domuni-Press, Toulouse, 2018, p. 8.

    6 Haud, Gueguen., « La lecture honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance », in Raisons Politiques, 2016/1 (n° 61), pp.27-43.

    7 Ibid.

    8 Ibid.

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    l'activité sociale9. Quant à Olivier Voirol, d'après Axel Honneth, « la relance la plus sérieuse de la tradition de Francfort émane de la théorie de la communication de Jürgen Habermas »10. Pour comprendre ce projet, Honneth s'est inspiré de la théorie critique communicationnelle mise en exergue par Habermas. Il a cherché donc à « intégrer la conflictualité au coeur de la communication de façon à penser le conflit dans sa puissance morale, et articuler ainsi le paradigme communicationnel à un paradigme agonistique. »11. Si Habermas a élaboré la théorie communicationnelle sans tenir compte de la conflictualité, la nouveauté est qu'avec Hegel, Honneth veut « réinjecter de la conflictualité au sein du champ communicationnel de façon à réactiver, en la renforçant moralement, la thématique marxienne d'un processus historique tout entier mû par le phénomène de la conflictualité. »12.

    Pour appuyer et justifier la portée de cette affirmation, Haud reprend les paroles d'Axel Honneth lors de son entretien avec Emmanuel Renault : « Réunir Marx et Habermas, en faisant le détour par Hegel »13. Il a donc pu mettre fin ou à dépasser le dualisme communicationnel de Habermas et à intégrer dans son paradigme communicationnel le phénomène de la conflictualité. C'est ce qui amène Honneth à dire que : « Toutes les confrontations et toutes les formes de conflits sociaux obéissent au même schéma fondamental d'une lutte pour la reconnaissance »14. En somme, Honneth ne perçoit pas d'abord un conflit social en termes d'intérêts mais plutôt comme une lutte pour la reconnaissance qui est rapportée « à un cadre fixe d'expériences morales, à l'intérieur duquel la réalité sociale serait interprétée selon une grammaire morale variable de la reconnaissance et du mépris »15.

    En outre, en ce moment où le monde traverse une période délicate et critique à cause des conflits idéologiques et d'intérêts. L'Église et ses membres connaissent aussi des situations conflictuelles provoquées par les privations, le manque, l'irrespect, la mésestime, le mépris, les offenses et les humiliations : il s'agit là des dénis de reconnaissance. Le déni naît du refus ou du rejet de reconnaissance de l'autre dans ce qu'il est, ce qu'il a droit, ce qu'il est capable de faire. Cela suscite en effet un sentiment d'injustice, de plainte, de frustration voire de souffrance chez la victime ou la personne atteinte d'une telle blessure morale. Toutefois, « sans la référence

    9 Honneth, A., La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, op.cit., p. 11.

    10 Ibid., p. 12.

    11 Haud, Gueguen, « La lecture honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance », op.cit., pp. 27-43.

    12 Ibid.

    13 Honneth, A., et Renault, E., « Entretien avec Axel Honneth. Marxisme, Philosophie sociale et théorie critique », cité par Haud Gueguen.

    14 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 275.

    15 Ibid.

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    implicite aux demandes de reconnaissance que le sujet adresse à ses semblables, les concepts de « mépris » ou d'« offense » restent incompréhensibles »16. La référence s'inscrit dans l'ordre de « l'intégrité » et de « l'approbation » que les êtres humains rencontrent chez autrui17. Au cas où l'intégrité personnelle est menacée et l'approbation déniée, les individus se livrent à la quête pour la reconnaissance qui passe par la lutte et le conflit. C'est pourquoi, « le conflit et la lutte pour la reconnaissance constituent une sorte de loi universelle : « L'homme qui désire humainement une chose agit non pas simplement pour s'emparer de la chose, mais pour faire reconnaître par un autre son droit sur cette chose [...], bref pour faire reconnaître par l'autre sa supériorité »18. Faire reconnaître sa supériorité par un autre signifie pour nous se faire valoriser aux yeux d'une autre conscience de soi en tant qu'un individu qui a des besoins affectifs, une personne qui a le droit au respect moral et un sujet digne de valeur positive ou de l'estime de soi.

    Cependant, dénier le droit de reconnaissance aux êtres humains c'est porter atteinte à leur intégrité d'où les trois formes du mépris relevées par Axel Honneth : La première forme de mépris est celle des humiliations physiques à l'instar de la torture ou du viol. La seconde concerne la privation des droits et l'exclusion sociale. La dernière forme est liée à la dépréciation de la valeur sociale « de certains modèles d'autoréalisation ». Par ailleurs, les presbyteriums ne sont pas épargnés de cette réalité des conflits moraux. C'est le cas des vicaires paroissiaux et des curés qui s'opposent à cause de la privation des droits légaux les uns envers les autres ou alors des évêques et des prêtres qui se tiraillent à cause du manque de la sollicitude, du respect, de la considération et de la méconnaissance des qualités et des capacités de certains dans l'exercice des charges et des responsabilités au sein des presbyteriums. Les conflits moraux ne sont pas en effet ni étranges ni un accident dans le vécu des presbyteriums, sans doute c'est dans ce sens que Monseigneur Jean-Bosco Ntep, évêque du diocèse d'Edéa, dans son troisième Projet pastoral affirmait :

    Il nous faudra réduire les contre-témoignages, [les conflits et les luttes] qui causent les mésententes entre les membres d'une même équipe pastorale, le

    16 Ibid., p. 223.

    17 Ibid.

    18 Marc, E. et Picard, D., « Conflit et relation », in Gestalt, 2015/1(46), p. 129-142. Disponible [en ligne] sur :

    https : www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/article.php ? ID Article=GEST_046_0129, consulté le 20 août 2023.

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    scandale d'un presbyterium divisé. Les désaccords ne manqueront pas. Ils sont le fruit de nos différences et des divergences légitimes des points de vue. Mais il faut en tout état de cause renforcer le dialogue, la collaboration et la solidarité entre nous19.

    De cette assertion naît notre étonnement et de surcroît une expression suscite notre attention : « Le scandale d'un presbyterium divisé ». Un presbyterium divisé est un véritable scandale. Certes des désaccords, il y en aura toujours ; les divergences d'opinions aussi mais d'en arriver à la division c'est là le problème. Car, ce qui caractérise un presbyterium c'est l'unité, la communion et surtout « la fraternité sacramentelle »20. D'après le Décret sur le Ministère et la Vie des Prêtres : « Du fait de leur ordination, qui les a fait entrer dans l'ordre du presbytérat, les prêtres sont tous intimement liés entre eux par la fraternité sacramentelle »21. Le presbyterium est donc l'ensemble des prêtres d'un diocèse réuni autour de l'évêque. Ce qui fait de l'Ordre des prêtres une famille et un corps : le corps où les membres sont liés entre eux par la fraternité sacerdotale. Ce lien est fort, plus fort que notre origine, notre appartenance : linguistique, régionale, ethnique, tribale ou raciale. Ce qui fonde ce lien entre les prêtres et les prêtres avec les évêques c'est le sacrement de l'ordre et rien d'autre. Cela peut nous pousser à s'interroger sur certaines réflexions et expressions de l'heure telles que : « les prêtres venus d'ailleurs ». Au-delà de l'ordination sacerdotale qui fait entrer dans l'ordre du presbytérat, il y a l'affectation au service d'un diocèse en dépendance de l'évêque local qui fait d'un prêtre de manière spéciale un membre d'un autre presbyterium22. Par cette affectation et ce service, ce tiers devient membre à part entière de ce nouveau presbyterium. Dans quelle mesure peut-on alors qualifier les membres à part entière d'un même et unique presbyterium les prêtres venus d'ailleurs ? C'est vrai que cette question advient ici comme un cheveu dans la soupe. Mais elle

    19 Mgr Jean-Bosco, Ntep. Avancez au large et jetez les filets. Projet pastoral (2016-2020), Douala (Cameroun), Clamer presse, 2016, p. 31. Désormais pour faire référence à ce projet pastoral, nous mentionnerons simplement : (Propast III). En réalité, si parlons du troisième projet pastoral, cela signifie qu'il y a deux précédents du même auteur. Au cas où un autre projet pastoral sera cité ou évoqué, nous le préciserons. Dans l'introduction de ce document, Mgr jean-Bosco Ntep en sa qualité d'ordinaire du lieu tient à préciser les circonstances et les raisons de la rédaction et de la publication de ce nouveau projet pastoral. Je cite : « Ce projet pastoral a connu de grands moments de la réflexion et de l'activité de l'Eglise, tels que le deuxième Synode spécial pour l'Afrique, Synode sur la Parole de Dieu, pour ne citer que ces deux exemples. Tout cela a conforté la foi et la conviction des pasteurs et des fidèles en l'appel du Seigneur. Le diocèse qui abordait sa deuxième décennie s'est consolidé dans l'organisation et la mise en place de ses structures. Le personnel a évolué en quantité et en qualité. La conscience d'une famille de Dieu qui évite de réduire l'Evangile à un ensemble de textes à lire et à commenter pour les autres, s'est aussi fait ressentir. Tous les fidèles étaient appelés à être destinataires et de l'Evangile » (p.5).

    20 Cette expression exprime le lien qui se noue entre les prêtres d'un même presbyterium par l'ordination. C'est ce qui fait d'eux des frères d'une même famille, d'un même diocèse.

    21 Concile Vatican II, Décret Presbyterorum ordinis (PO), n. 8.

    22 Ibid.

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    garde toute son importance et sa pertinence et nécessite d'être approfondie. Quoi qu'on dise, la question de la reconnaissance dans le milieu ecclésial et en l'occurrence au sein des presbyteriums est mise en jeu. Car, c'est au sein des presbyteriums que les hommes devraient plus qu'ailleurs se déterminer par des convictions éthiques pour une vie bonne et réussie. Autrement dit, par leur essence, les presbyteriums devraient être la vitrine, le lieu par excellence où les sujets humains vivent mieux entre eux la reconnaissance réciproque : l'amour, le respect et la solidarité. Cependant, force est de reconnaître qu'au sein des presbyteriums la question de la reconnaissance mutuelle se pose encore avec acuité. Dès lors, devant une telle situation paradoxale, on est en droit de s'interroger : qu'est-ce qui serait à l'origine des luttes entre les membres d'un même presbyterium qui sont supposés plus qu'à jamais et mieux que quiconque se reconnaître mutuellement comme des individus de besoins affectifs, des personnes garantes de droits et des sujets jouissant des qualités et des prestations particulières dans l'optique de leur autoréalisation pour une vie socialement bonne et réussie ?

    Le présent travail revêt un double intérêt : heuristique23 et téléologique24. Car, notre objectif est de voir à partir des formes de la reconnaissance mutuelle chez A. Honneth comment certaines valeurs éthiques telles que l'amour, le droit et la solidarité peuvent contribuer à l'intégration sociale des personnes plus concrètement à celle des membres des presbyteriums pour la construction des communautés plus harmonieuses, plus authentiques et plus fraternelles permettant la reconnaissance progressive des identités individuelles en vue de leur réalisation de soi25. Pour ce faire, nous avons opté pour une étude qualitative et d'appropriation basée sur la méthode diachronique dont le point nodal est la lutte pour la reconnaissance chez Honneth qui fait l'objet de notre recherche.

    Pour justifier la portée de notre problématique qui est de comprendre et d'expliquer la carence ou l'absence de la reconnaissance qui entrave les rapports mutuels ou d'intégration sociale entre les membres d'un presbyterium au point de faire naître un sentiment de mépris, d'offense ou d'injustice entre eux, vecteur ou déclencheur des luttes pour la reconnaissance. Pour mener à bien notre étude, notre travail sera subdivisé en trois chapitres.

    23 Le concept heuristique est l'art de trouver, de découvrir. La méthode heuristique est une réflexion méthodique sur une activité. « L'heuristique se distingue de la méthodologie en ce sens qu'elle est plus une réflexion sur l'activité intellectuelle du chercheur que sur les voies objectives de solution ». Source : CNRTL, consulté le 15 mai 2023.

    24 La téléologie est l'étude des fins, de la finalité.

    25 Honneth définit la « réalisation de soi » comme étant un point de repère permettant de s'interroger sur un ordre social pour savoir s'il assure à ses membres des possibilités satisfaisantes de formation de l'identité. (Voir, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, p. 179).

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    Dans le premier chapitre, il nous revient de prime abord de bien saisir et de mieux cerner la notion de la reconnaissance et de la circonscrire dans le cadre de notre recherche. Car, notre prétention n'est pas d'explorer la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle dans sa globalité mais à partir de celle-ci répondre à la préoccupation selon laquelle ce qui serait à l'origine des luttes dues au manque de reconnaissance ou à la désapprobation des identités personnelles au sein des presbyteriums dans le but de retrouver l'authentique reconnaissance mutuelle entre les membres. Pour ce faire, il est loisible de mettre en relief les différentes formes d'interaction qui concourent à « la formation de l'identité de la personne tributaire des relations de reconnaissance dont la constitution est forcément de nature intersubjective »26.

    En outre, dans le processus de formation des divers degrés d'autonomie, des sujets peuvent être victimes d'un mauvais traitement, faire l'expérience d'un manque, d'une offense ou d'une humiliation donc d'un mépris d'où le déni de reconnaissance. Ce qui fait qu'au second chapitre, nous tenterons de mettre en évidence les différentes figures du mépris social dans les presbyteriums à partir des atteintes à l'intégrité de la personne humaine qui obstrue l'autoréalisation de l'identité individuelle des sujets humains.

    Le seul désir du déni de reconnaissance est le désir de reconnaissance. C'est la raison pour laquelle, lorsque les sujets humains sont méconnus par refus ou par privation de reconnaissance ou font l'expérience du mépris, ils sont contraints de s'engager dans le conflit intersubjectif qui correspond au degré de socialisation pour obtenir la reconnaissance de l'autonomie jusque-là non confirmée. C'est ce qui nous amène au dernier chapitre où nous proposons qu'il soit possible pour les presbyteriums de passer de la carence ou de l'absence de reconnaissance à la reconnaissance authentique. Ceci au moyen des valeurs axiologiques proposées par Axel Honneth pour « une vie bonne et réussie » au sein des presbyteriums. Il s'agit : de l'amour, du droit et de la solidarité comme piliers pour la résolution des conflits au sein des presbyteriums.

    Cependant, nous verrons si « la reconnaissance de soi par soi » est la seule expression paradigmatique de reconnaissance des sujets humains pour une « vie éthique démocratique »27telle que proposée par Axel Honneth.

    26 Honneth, A., La société du mépris Vers une nouvelle théorie critique, op.cit., p. 20.

    27 Carré, Louis. Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, Michalon, Paris, 2017, p. 33.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 18

    CHAPITRE I : LA RECONNAISSANCE MUTUELLE ET SES
    DIFFERENTES FORMES CHEZ AXEL HONNETH

    Le concept de reconnaissance devenu « théorie de la reconnaissance » est une thématique actuelle abordée dans plusieurs registres de la pensée dont les discussions convergentes et divergentes attisent les débats et les recherches. C'est dans cette optique que nous nous inscrivons à cette étude. Aborder une réflexion sur la lutte pour la reconnaissance mérite de cerner cette notion et de la situer dans son contexte. Dans ce premier chapitre consacré à la reconnaissance mutuelle et à ses différentes formes, d'une part, nous nous intéresserons à la compréhension de la notion de lutte pour la reconnaissance chez A. Honneth et ses corollaires, d'autre part, nous présenterons les trois formes d'interaction sociale qui prouvent que les différentes formes de reconnaissance peuvent être rapportées à des différents degrés de la relation pratique de l'individu avec lui-même.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 19

    I. Approche terminologique

    Pour comprendre la notion de la lutte pour la reconnaissance, il nous semble important de s'arrêter un instant sur le concept même de reconnaissance.

    I.1. Qu'est-ce que la reconnaissance ?

    Le mot « reconnaissance » admet plusieurs acceptions. La définition proposée par Louis Carré nous semble facile et complète. Celui-ci dégage une triple signification de ce terme grâce au « Trésor de la langue française ». Pour lui, « reconnaître » et « reconnaissance » peuvent désigner plusieurs choses. La première signification qu'il octroie à ce mot est : « le fait d'« identifier quelqu'un ou quelque chose », la seconde est : « le fait de « reconnaître officiellement l'autorité de, la souveraineté, de reconnaître pour chef, pour maître incontesté », la troisième est « le fait de « se reconnaître mutuellement »28. C'est dans la dernière signification que s'inscrit la vision honnéthienne de la lutte pour la reconnaissance. Cependant, nous estimons encore qu'il est plus logique et judicieux de comprendre cette notion de lutte pour la reconnaissance à partir de Hegel pour bien appréhender la portée chez Honneth.

    I.2. L'idée de lutte pour la reconnaissance chez Hegel

    Pour Hegel, la notion de reconnaissance est indissociable à celle de la lutte dont l'objectif est de se savoir reconnu ou d'exister aux yeux des autres. En effet, le sujet est un événement éthique dans la mesure où il vise la reconnaissance intersubjective de certaines dimensions de l'individualité humaine29. Quant à la lutte, elle est considérée comme un moyen moral qui permet de passer d'un stade primitif à un stade plus avancé des rapports éthiques. Mais ce n'est pas elle qui procure « la reconnaissance satisfaisante ». La reconnaissance mutuelle tire alors son origine dans la lutte ou le conflit né du déni de reconnaissance ou de toute autre injustice qui désapprouve l'être humain comme une fin en soi ou une personne porteuse d'une valeur morale ou d'une dignité pleine. La lutte pour reconnaissance a pour socle l'intersubjectivité et pour mobile la morale. La lutte dont il est question chez Hegel autant Honneth a une approche sociale mais bien différente de la lutte pour l'existence. Ce qui fait que la formation de l'identité personnelle se construit grâce aux relations de reconnaissance. Il peut

    28 Carré, Louis. Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, Michalon, Paris, 2017, p. 33.

    29 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 33.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 20

    donc arriver que le sujet d'action soit reconnu par les autres en vertu de ses affects, de ses besoins, de ses droits, de ses capacités et de ses qualités : il s'agit là de la « reconnaissance active » d'après Paul Ricoeur. Tout de même, la personne peut aussi faire une expérience négative de la reconnaissance ou déni de reconnaissance qui aboutira à la lutte sociale, au point de vouloir d'être reconnu : dans ce cas on parle de la « reconnaissance passive ».

    I.2.1. Reconnaissance comme liberté et attente

    Chez Hegel, la reconnaissance signifie « liberté » et « attente ». D'une part, elle est liberté parce que c'est lorsque je mets ma vie en danger que je prouve à autrui ma liberté. D'autre part, elle est attente, car je veux être reconnu par autrui. En réalité, ce modèle de lutte qui repose sur la liberté et sur l'attente n'est pas de type agonisant. Il s'agit là des « luttes d'honneur ». Car, les deux consciences de soi sont en scène et en quête de confiance, du respect ou de l'estime. Ce qui fait que chez Hegel, la reconnaissance est une valeur à valoriser par un effort à faire pour obtenir ce qu'on veut ou recherche.

    Il arrive donc que les prêtres fassent des expériences du déni de reconnaissance ou liées à des luttes d'honneur. Mais celles-ci peuvent changer de pan et devenir des luttes agonisantes. Dans la mesure où, des luttes d'honneur peuvent être source de blessure morale. Par conséquent, vecteur d'un affrontement entre deux consciences de soi, l'une sentant son honneur en jeu riposte pour défendre celui-ci. Au-delà de la reconnaissance comme liberté et attente, Hegel voit la reconnaissance comme une relation.

    I.2.2. La Reconnaissance comme une forme de relation

    L'expérience de travail est ce qui fonde toute relation de reconnaissance chez Hegel. D'après Guillaume Le Blanc, « le motif de reconnaissance est alors fixé à travers la lutte que se vouent le maître et le valet, interprétée comme lutte totale de deux consciences. Cette lutte pour la reconnaissance ne prend sens pour Hegel que parce que le référentiel anthropologique a été transformé : la définition de l'homme générique est désormais celle d'un être qui reconnaît et qui est reconnu. »30. Selon Le Blanc, la lutte pour la reconnaissance totale des deux consciences dans la philosophie hégélienne devient un événement entre le maître et le valet à partir de la nouvelle définition de l'homme générique. Car, d'un côté, il y a le reconnaissant et de l'autre, le reconnu. Hegel traduit lui-même cette réalité entre le reconnaissant et le reconnu dans la Phénoménologie de l'Esprit en ces termes : « L'homme est nécessairement reconnu et il est nécessairement reconnaissant. Cette nécessité est sa propre utilité, non pas celle de notre

    30 Le Blanc, Guillaume., L'invisibilité sociale, Paris, PUF, 2009, p. 98-99.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 21

    pensée. En tant que reconnaissant, l'homme est lui-même le mouvement et ce mouvement supprime justement son état de nature ; il est acte de reconnaître »31. L'homme reconnaissant est en mouvement parce qu'il attend d'être lui-même reconnu par le reconnaissant. A ce moment, le reconnu devient le reconnaissant, le reconnaissant le reconnu d'où la nécessité de « l'acte de reconnaître » qui annihile le conflit ou la lutte. Si nous restons avec Le Blanc, il voit dans « la scène hégélienne » de la reconnaissance « une scène totale » qui met en jeu une nouvelle idée de l'homme que le droit a vocation à confirmer32. Ainsi, introduit-il [Hegel] la relation de reconnaissance dans le droit sans que celle-ci soit sa genèse. Pour lui, « le droit est la relation de la personne dans son comportement avec l'autre » d'une part, de l'autre, « cette relation est pour Hegel « la relation qui reconnaît »33. D'après Le Blanc :

    L'homme ne peut se saisir qu'en reconnaissant l'autre comme son égal, et cette reconnaissance qui est source de conflits est le contenu réel du droit. Si le maître et le valet entrent dans un processus de lutte pour la reconnaissance culminant dans une lutte à mort des consciences, idéalement, la reconnaissance peut être établie pacifiquement par le droit car le droit règle les rapports d'égalité entre les sujets qui désirent s'entendre mais peuvent, selon leurs intérêts propres, entrer en conflit34

    Dans la relation de reconnaissance, le droit joue un rôle important parce qu'il préside au respect de l'ordre légal et intervient en cas de conflit entre les personnes pour établir l'ordre déchu. C'est dans l'égalité et le respect du droit que l'homme reconnaissant et le sujet reconnu s'accomplissent pleinement ou s'auto-réalisent. Toutefois, le droit n'est pas le seul ni le premier moyen qui concourt à l'effectivité de la reconnaissance. Il semble même être le dernier recours. A ce propos, le même auteur affirme : « Le droit fonctionne à la reconnaissance (même s'il ne se réduit pas à elle), mais la reconnaissance ne se cantonne pas au droit. [...] : la reconnaissance par le droit survient quand toutes les autres formes de reconnaissance ont échoué, soit parce qu'elles sont purement et simplement niées, soit parce qu'elles sont insuffisantes devant l'épreuve que traverse le sujet lésé »35. Si le droit apparaît comme un élément facilitateur qui favorise l'émergence de la reconnaissance mutuelle pour une bonne entente ou lorsqu'elle est mise entre parenthèses, il s'avère que, là où il est lésé, il y a aussi carence ou absence de

    31 Ibid., p. 99.

    32 Ibid.

    33 Hegel, cité par Le Blanc, L'invisibilité sociale, op.cit., p. 99.

    34 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 99.

    35 Ibid., p. 101.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 22

    reconnaissance. C'est le cas dans certains presbyteriums où parfois quelques membres peuvent se sentir mal aimés, regardés de travers, sans considération ou privés de leurs droits. S'il est vrai que le droit est le dernier recours quand toutes les autres formes de reconnaissances ont échoué ou sont bloquées, comment Honneth a-t-il procédé à partir du modèle hégélien pour actualiser ou reconstruire la question de la reconnaissance intersubjective et mettre à jour la théorie critique de la lutte pour reconnaissance mutuelle ?

    I.3. Du modèle hégélien à la théorie critique de lutte pour la reconnaissance mutuelle
    chez Axel Honneth

    Pour reformuler la théorie de reconnaissance mutuelle de Hegel, Honneth part du pragmatisme de Mead qui rejoint le jeune Hegel dans le principe selon lequel : « La reproduction de la vie sociale s'accomplit sous l'impératif d'une reconnaissance réciproque, parce que les sujets ne peuvent parvenir à une relation pratique avec eux-mêmes que s'ils apprennent à se comprendre à partir de la perspective normative de leurs partenaires d'interaction, qui leur adressent un certain nombre d'exigences sociales. »36. C'est la raison pour laquelle, il se réfère à la philosophie hégélienne et s'intéresse particulièrement à une partie de ses écrits de jeunesse appelée la période « d'Iéna » où parut pour la première fois « le thème hégélien de la reconnaissance ». Hegel a eu le mérite de reprendre le modèle de la « lutte sociale » introduit par Machiavel et Hobbes dès le début de la philosophie sociale et politique moderne pour lui donner une autre connotation théorique, celle de comprendre « les conflits humains non pas à des motifs de conservation individuelle, mais à des mobiles moraux »37. Pour Honneth, Hegel a su recentrer le modèle « de la lutte sociale » par une synthèse du modèle hobbesien fondé sur « la lutte originelle de tous contre tous » et le modèle fichtéen qui consiste à une action réciproque entre les individus sur laquelle se fonde la relation juridique38. La lutte pour la reconnaissance ne saurait donc être une lutte pour la survie ou pour « l'auto-préservation individuelle » mais plutôt elle s'inscrit dans l'ordre moral et intersubjectif, et s'oppose à l'ontologie individualisée pour s'ouvrir à la relation sans laquelle le sujet de l'action ne peut pas être reconnu ni être confirmé par les autres comme un sujet moral. Par conséquent, il est impossible de développer un rapport positif à soi-même alors que « le fait de reconnaître autrui tout en étant reconnu par lui apparaît comme l'indispensable condition pour que s'instaure un rapport véritablement libre à soi-même et à l'autre »39. Toutefois, Selon Honneth, la

    36 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 157.

    37 Ibid.

    38 Ibid., p. 32.

    39 Carré, Louis, Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, p. 39.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 23

    reconnaissance constitue la force morale qui alimente l'évolution et le progrès de la société humaine40. C'est pourquoi, Hegel, partant de sa prémisse intersubjective pose l'existence de différentes formes de reconnaissance réciproque. Celles-ci se distinguent entre elles en fonction du degré d'autonomie qu'elles apportent au sujet par le biais des sphères ci-dessous : l'amour, le droit et l'éthicité. Des trois sphères naissent le triptyque de la théorie reconnaissance selon Honneth avec ses trois formes de reconnaissance : la reconnaissance amoureuse, juridique et culturelle.

    Par ailleurs, c'est dans le phénomène de la conflictualité que l'individu se réalise et prend conscience de son autonomie et de sa dépendance par le biais de son vis-à-vis ou de ses partenaires d'interaction comme c'est le cas entre la mère et l'enfant dans la reconnaissance amoureuse ou affective.

    II. Les différentes formes de reconnaissance

    II.1. La reconnaissance amoureuse

    La première forme de reconnaissance est basée sur la relation d'amour : « En s'appuyant sur les travaux du psychanalyste Donald Winnicott, Honneth prétend qu'une première expérience de reconnaissance se joue dans les relations affectives que nous tissons très tôt avec les personnes de notre entourage de plus proche [..], et s'étend aux liens érotiques et amicaux que contractent les sujets tout au long de leur vie. De manière générale, elle est véhiculée par les affectifs puissants entre un nombre restreint de personnes »41. C'est à ce stade que les sujets se « confirment mutuellement dans leurs besoins concrets comme des nécessiteux »42 . Il s'appuie sur la théorie de la relation d'objet pour comprendre le processus de séparation entre l'enfant et le parent qui est le premier degré de la reconnaissance réciproque. Dans le déploiement de ce processus, dans un premier temps, il y a une unité primitive entre le nourrisson et la personne de référence aussi bien qu'une dépendance de l'enfant. Au second stade marqué par « l'équilibre précaire entre autonomie et dépendance »43, l'enfant se démarque petit à petit de sa mère et il acquiert grâce à l'expérience intersubjective la sécurité émotionnelle qu'est « la confiance en soi » tout en la reconnaissant comme l'objet de droit, ce qui lui permet d'avoir son autonomie. En effet, d'après Winnicott, la première étape dans ce processus de

    40 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 240.

    41 Ibid., p.

    42 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 162.

    43 Ibid.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 24

    reconnaissance est le « maintien » entre la symbiose avec la mère qui marque la sécurité et l'affirmation individuelle de soi, porteur de l'autonomie. A ce niveau, l'enfant dépend totalement de son partenaire d'interaction qui lui octroie une assistance continuelle dans les premiers mois de son existence44 au point où il est « incapable de distinguer en termes cognitifs entre son entourage et lui-même »45.

    La seconde étape est celle de « dépendance relative ». A ce stade, l'unité symbiotique est réfractée par l'individuation respective des partenaires. Ce qui donne lieu à une acceptation cognitive de l'indépendance dans l'optique d'une confiance affective dans la permanence de l'attachement réciproque des deux partenaires46. Par ailleurs, si le sujet aimé n'intègre pas la réalité selon laquelle même après avoir acquis son autonomie vis-à-vis de son partenaire d'interaction, il reste dépendant de celui-ci, alors le sujet aimant ne saurait à son tour lui reconnaître « son nouveau statut ». C'est la raison pour laquelle, la relation d'amour mérite d'être reconnu dans un double processus par lequel « on affranchit et, simultanément, on lie émotionnellement l'autre personne »47. En effet, la relation d'amour se limite dans un cadre restreint qui n'est pas étendue à volonté au-delà de l'entourage immédiat. Cependant, l'amour ne se réduit pas en un acte sexuel. Il doit se comprendre « comme un être soi-même dans un étranger »48. C'est-à-dire que « les relations affectives primaires supposent un équilibre précaire entre autonomie et dépendance »49. Bien qu'il soit limité dans un cadre d'interaction, l'amour couvre le modèle des rapports érotiques, amicaux ou familiaux. C'est à ce premier modèle de la reconnaissance intersubjective que « les sujets s'y confirment mutuellement dans leurs besoins concrets, donc comme des êtres nécessiteux »50.

    La dernière étape de la relation d'amour comme mode de reconnaissance est la « capacité à être seul ». Après la rupture du lien symbiotique avec sa mère, l'enfant veut se rassurer que celle-ci continuera à s'occuper de lui comme avant. Dès cet instant, l'enfant est en sécurité et il peut également être en tranquillité avec lui-même. Par l'expérience intersubjective, l'amour ouvre l'individu à une certaine sécurité émotionnelle qu'est la confiance en soi. Ce qui fait que quand l'enfant « est sûr de l'amour maternel, il acquiert une confiance en lui-même qui

    44 Ibid., p. 169.

    45 Ibidem.

    46 Ibid., p. 182.

    47 Ibidem.

    48 Hegel, G.W.F., System der Sittlichkeit, cité par Honneth, A., p. 162.

    49 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 162.

    50 Ibid.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 25

    lui permet de rester seul sans inquiétude »51. En outre, « la capacité d'être seul » est la condition nécessaire de toute créativité, infantile ou adulte. Toutefois, la capacité d'être seul augure et garantit la possibilité d'une bonne relation communicationnelle. Car :

    Tout lien affectif fort ouvre à chacune des personnes impliquées la possibilité d'instaurer un rapport détendu à soi-même, dans l'oubli de la situation particulière où elle se trouve, comme le fait le nourrisson quand il est sûr de l'affection de sa mère. Il faudrait alors voir dans la relation réussie un schéma d'interaction, dont la réitération au niveau de la vie adulte atteste le bon établissement de liens affectifs avec d'autres personnes52.

    De cette affirmation, il en découle que l'interaction symbiotique entre la mère et l'enfant joue un rôle important dans la structure communicationnelle de l'amour comme mode de reconnaissance réciproque. Comme le nourrisson qui a confiance à sa mère par le lien d'affection ainsi s'établit un rapport intersubjectif entre des personnes qui ont aussi un lien affectif fort ou poussé. Ce qui fait que celles-ci peuvent « se rejoindre dans une conservation à coeur ouvert, ou en s'abandonnant au simple plaisir d'être ensemble (...). La personne aimée, étant assurée de notre affection, trouve la force de se retirer tranquillement en elle-même et de s'ouvrir à elle-même, et c'est seulement par là qu'elle devient un sujet autonome, avec lequel l'être-un peut désormais être vécu comme une intégration réciproque. »53. Pour qu'un sujet participe de manière autonome à la vie publique, il a besoin de la confiance en soi « pour contribuer, au même titre que les autres membres de la communauté, à la formation politique »54

    II.2. La reconnaissance juridique

    La seconde forme de la reconnaissance mutuelle trouve son fondement sur la relation juridique. Celle-ci est la forme intermédiaire entre la reconnaissance affective et la reconnaissance culturelle. Le droit intervient là où la relation d'amour s'arrête. Cependant, « les modèles de reconnaissance juridique pénètrent dans la sphère interne des relations primaires, parce que l'individu doit être protégé contre le danger d'une violence physique dont la possibilité est structurellement inscrite dans l'équilibre précaire de tout lien émotionnel »55.

    51 Ibid., p. 177.

    52 Ibid., p. 177-178.

    53 Ibid., p. 179.

    54 Ibid., p. 69.

    55 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 297.

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    C'est grâce à la relation juridique que nous pouvons nous comprendre comme porteurs de droits : « si nous avons en même temps connaissance des obligations normatives auxquelles nous sommes tenus à l'égard d'autrui »56. En tant que porteur de droit, nous devons connaître et reconnaître que les autres sont aussi porteurs de droits. Comme ils ont des obligations vis-à-vis de nous, nous avons aussi les devoirs vis-à-vis d'eux qui sont leurs droits. Pour Honneth, la reconnaissance juridique ne désigne tout d'abord que la relation dans laquelle l'alter et l'ego se respectent réciproquement comme des sujets de droits. C'est pourquoi, pour :

    Se reconnaître mutuellement comme des personnes juridiques, aujourd'hui, cela implique plus de choses qu'au moment où est né le droit moderne : le sujet, quand il se trouve reconnu juridiquement, n'est plus seulement respecté dans sa faculté abstraite d'obéir à des normes morales, mais aussi dans la qualité concrète qui lui assure le niveau de vie sans lequel il ne pourrait exercer cette première capacité57.

    En effet, c'est en qualité de membre de la communauté que le sujet est reconnu porteur du droit et peut s'attendre à voir certaines de ses exigences satisfaites. A l'aide de ses droits légaux, l'être humain prend conscience qu'il peut se respecter lui-même, parce qu'il mérite le respect des autres sujets. Il s'effectue un passage de la considération cognitive à la reconnaissance morale depuis Kant. Ce qui fait de chaque individu une personne et appelé d'agir envers lui selon ce à quoi nous sommes moralement tenus par les qualités inhérentes à la personne humaine58. En clair, le respect de soi ou la faculté positive à soi est à la relation juridique ce que la confiance en soi est à l'amour. Par ailleurs, les mêmes droits octroient à l'individu « la capacité de se prononcer d'une manière rationnelle et autonome sur des questions morales »59. Ce faisant, les sujets se reconnaissent moralement responsables. Toutefois, le système juridique doit être perçu comme « l'expression des intérêts universalistes de tous les membres de la société » où il n'existe ni exception ni privilège mais plutôt un principe d'égalité60. Les presbyteriums ne doivent guère négliger ce principe d'égalité. L'égalité implique la reconnaissance de l'autre comme également une personne digne de respect. Dans

    56 Ibid., p. 183.

    57 Ibid., p. 200.

    58 Ibid., p. 191.

    59 Ibid., p. 194.

    60 Ibid.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 27

    la mesure où : « Le respect n'est alors rien d'autre que la reformulation morale, c'est-à-dire la reformalisation, de l'égalité première donnée dans le commerce des égaux. » 61.

    En sus, l'égalité va de pair avec l'idée du droit. Ceci a pour conséquence que, non seulement le principe d'égalité admet l'enrichissement progressif du statut juridique mais donne son extension à un plus grand nombre d'individus62. Il y a alors un rapport de nécessité entre le droit et la reconnaissance, entre l'homme et la reconnaissance. Ce qui donne lieu au droit de la reconnaissance. Le droit de la reconnaissance, selon Louis Carré est « une manifestation à la fois subjective et objective de la liberté humaine, revient à poser un droit fondamental, accordé en principe à chacun des membres de la société, de mener une vie éthique réussie au sein des institutions »63. Dès lors, l'homme est un être reconnu et reconnaissant. Ce qui fait qu'il « ne peut se saisir qu'en reconnaissant l'autre comme son égal, et cette reconnaissance qui est source de conflits est le contenu réel du droit »64. Par ailleurs, « reconnaissance, affirmation de l'égalité et valeur du droit forment ainsi la trame moderne de la nouvelle définition de l'homme. Exister comme humain, c'est être confirmé, par un biais ou par un autre, pour une procédure de reconnaissance qui met en jeu une communauté de sujets dont la valeur est préservée par le droit. »65.

    Somme toute, c'est « l'expérience de la reconnaissance juridique [qui] permet au sujet de se considérer comme une personne qui partage avec tous les autres membres de sa communauté les caractères qui la rendent capable de participer à la formation d'une volonté discursive »66. Selon Le Blanc, le droit est ce qui « règle les rapports d'égalité entre des sujets qui désirent s'entendre mais peuvent, selon leurs intérêts propres, entrer en conflit. »67. Dès lors, le droit s'appert donc comme une arme pour la résolution des conflits dans les presbyteriums parce qu'il vient pour dire et légitimer le respect de soi et celui d'autrui. Mais le droit vient aussi pour prôner l'égalité entre les partenaires d'interaction : évêques et prêtres, curés et vicaires...C'est ce qui universalise la relation juridique de telle manière qu'un nombre croissant de groupes ou de personnes exclues ou défavorisées se voient reconnus les mêmes droits que les autres membres de la société68. Il est bien difficile de vivre dans une société

    61 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 86.

    62 Ibid., p. 200.

    63 Carré, L., Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 117.

    64 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 99.

    65 Ibid.

    66 Ibid., p. 204-205.

    67 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p.99.

    68 Ibid., p. 201.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 28

    comme dans un presbyterium « sans droits individuels ». Il s'agit là de la sphère des droits fondamentaux tels que les droits civils qui assurent aux individus la protection de leur liberté, de leur vie et de leur propriété contre les empiètements illégitimes69. A côté de cela, il y a les droits politiques qui garantissent la participation aux processus de formation de la volonté publique ou « au suffrage universel »70. Enfin, il apparaît la gamme des droits sociaux qui assurent à chaque individu une part équitable dans la distribution des biens élémentaires71 d'où la distinction faite par Louis Carré des biens fondamentaux en matière de santé, d'éducation et de travail72.

    Si dans les presbyteriums, quelques membres font face à certains dénis comme le problème du droit à la juste rémunération, à la pension vieillesse, à la digne couverture sanitaire alors qu'une partie est dignement traitée et nantie de tous ces droits, ceux qui sont dans le manque ne peuvent avoir aucune chance d'acquérir le respect d'eux-mêmes73 ni « de garder la tête haute » et encore moins « de regarder les autres dans les yeux et de se sentir fondamentalement égal de tous »74. Alors que se considérer détenteur de droits, « c'est développer un sentiment de fierté légitime » et avoir un minimum de respect pour soi-même. Si les droits fondamentaux individuels ne sont pas respectés, la personne n'a pas de considération. Pourtant, respecter les personnes c'est respecter leurs droits.

    Pour Paul Ricoeur, la reconnaissance juridique renvoie à la norme et à autrui. Cela implique la réciprocité dans la reconnaissance en droit. A partir de la norme, Ricoeur définit la reconnaissance comme le fait de « tenir pour valable », « faire aveu de validité » ; s'agissant de la personne, « reconnaître c'est identifier chaque personne en tant que libre et égale à toute autre »75. Aussi mentionne-t-il : « La reconnaissance au sens juridique ajoute ainsi à la reconnaissance de soi en termes de capacité (selon les analyses de notre deuxième étude) les capacités nouvelles issues de la conjonction entre la validité universelle de la norme et la singularité des personnes »76. Pour lui, l'enjeu est la mise en relief de cet ensemble : « l'élargissement » de la sphère des droits reconnus aux personnes et « l'enrichissement » des capacités individuelles77. Si les droits liés à la reconnaissance de la personne humaine lui sont

    69 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 195.

    70 Ibid., p. 195.

    71 Ibid., p.195.

    72 Carré L., Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 49.

    73 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p.203.

    74 Ibid.

    75 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Gallimard (folio essais), 2004, p. 309.

    76 Ibid.

    77 Ibid., pp. 309-310.

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    enlevés ou refusés, cela signifie qu'on ne lui reconnaît plus ou pas le même degré de responsabilité morale qu'au reste des membres de la société. Dans ce cas, elle se voit exclue, privée de ses droits au point de perdre son intégrité sociale. Sans ce déploiement moral, le sujet ne peut vraiment s'accomplir. Il a plutôt tendance à se faire reconnaître ou valoir aux yeux d'autrui à travers la lutte. Si la lutte pour la reconnaissance est un processus ancré dans le développement des êtres humains par « la reconnaissance de soi par soi » d'après Honneth, celle-ci passe par les différentes relations de reconnaissance : de l'amour et de l'amitié comme relations primaires et élémentaires à la sphère du droit qui cherche l'égale reconnaissance par le respect moral pour aboutir enfin à la réalisation de soi par le biais de la reconnaissance culturelle qui prône l'estime de soi.

    II.3. La reconnaissance « de la communauté de valeurs »78 ou culturelle.

    La troisième forme de la reconnaissance mutuelle porte sur l'estime sociale. Pour une relation ininterrompue entre les sujets humains, « [ils] n'ont pas seulement besoin de faire l'expérience d'un attachement d'ordre affectif et d'une reconnaissance juridique, ils doivent aussi jouir d'une estime sociale qui leur permet de se rapporter positivement à leurs qualités et à leurs capacités concrètes »79. Cette dernière forme de reconnaissance vise les qualités particulières qui caractérisent les hommes dans leurs spécificités personnelles alors que la reconnaissance juridique porte sur des caractères distinctifs des sujets humains d'une manière universelle. En réalité, « une personne ne peut se juger « estimable » que si elle se sent reconnue dans les prestations qui ne pourraient être aussi bien assurées par d'autres »80. En effet, ce qui est estimé, c'est-à-dire ce qui est reconnu dans cette sphère, ce sont les capacités et les qualités singulières des individus. Mais également, c'est le fait que chaque membre se sait apprécié par tous les autres81. Il s'agit là de la solidarité qui est « une sorte de relation d'interaction dans laquelle les sujets s'intéressent à l'itinéraire personnel de leur vis-à-vis, parce qu'ils ont établi

    78 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 192. C'est Honneth qui donne à la troisième forme de la reconnaissance mutuelle le nom de « la reconnaissance de la communauté de valeurs », p. 192. Cette appellation nous semble judicieuse dans la mesure où ce degré de reconnaissance englobe les autres formes et vise à valoriser les qualités et les capacités particulières des personnes dans leur spécificité.

    79 Ibid., p. 206.

    80 Ibid., p. 212.

    81 Ibid., p. 218.

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    entre eux des liens d'estime symétrique »82. Toutefois, la solidarité est donc conditionnée par des relations d'estime symétrique entre des sujets individualisés et autonomes. Pour ce faire, « s'estimer », c'est « s'envisager réciproquement à la lumière des valeurs ». C'est ce qui donne aux qualités et aux capacités de l'autre un rôle significatif dans la pratique commune. L'horizon de « valeurs » reste la référence pour apprécier des caractères individuels, parce que la « valeur » sociale des sujets humains « se mesure à la contribution qu'ils semblent pouvoir apporter à la réalisation des fins poursuivies par la société »83. Dans la mesure où, l'estime sociale se différencie du respect moral par « le fait qu'il ne s'agit pas dans ce cas d'appliquer empiriquement des normes universelles, intuitivement connues, mais d'évaluer d'une manière graduée des qualités et des capacités concrètes »84. A ce niveau, on peut parler d'une échelle de valeurs : du moins au plus ou du pire au meilleur. Avec la solidarité s'augure « un horizon dans lequel la concurrence individuelle pour l'estime sociale peut se dérouler sans souffrance, c'est-à-dire sans soumettre les sujets à l'expérience du mépris »85. Car, les sujets sont appelés à vivre les relations de sympathie et à regarder vers la même direction à cause de la réalisation de leurs fins communes. En outre, la reconnaissance culturelle apporte à l'individu le « sentiment de sa propre valeur » appelé l'estime de soi.

    L'estime de soi repose sur les qualités particulières par lesquelles les hommes se caractérisent dans leurs spécificités personnelles. C'est à la société qu'il revient la fonction d'évaluer et d'apprécier les critères sur lesquels se fonde l'estime sociale des personnes, dont les capacités et les prestations sont jugées intersubjectivement en fonction de leur aptitude à concrétiser les valeurs culturellement définies de la collectivité à partir de l'idée culturelle86. La relation de reconnaissance culturelle renvoie aussi à l'existence d'une organisation sociale dont la finalité commune est de réunir les individus dans une communauté de valeurs.

    Si nous nous référons à notre définition initiale du terme presbyterium selon laquelle, c'est l'ensemble des prêtres d'un diocèse réuni autour de leur évêque, il apparaît clairement que l'autoréalisation pour une vie bonne et réussie au sein d'un presbyterium se construit et se

    82 Ibid., Ici, la notion de solidarité se rapporte à celle de « symétrique ». Pour Honneth, « symétrique » signifie que chaque sujet reçoit, hors de toute classification collective, la possibilité de se percevoir dans ses qualités et ses capacités comme un élément précieux de la société. (Voir chapitre V, p. 220-221)

    83 Ibid., p. 208.

    84 Ibid., p. 192.

    85 Ibid., p. 221.

    86 Ibid., p. 208.

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    développe à la lumière de la reconnaissance affective à la reconnaissance culturelle en passant par la reconnaissance juridique.

    La reconnaissance culturelle offre aux différents membres d'un presbyterium la possibilité de reconnaître leurs qualités et capacités individuelles mais aussi celles des autres. Une telle reconnaissance suscite l'horizon de valeurs et crée au sein du presbyterium « l'estime symétrique » en tant que valeur axiologique précieuse qui favorise la plus grande symétrie ainsi que de l'harmonie dans les rapports mutuels. Et à ce moment, l'estime de soi devient une valeur dans « la communauté des valeurs » que doit être le presbyterium en quête d'une reconnaissance authentique. Si chaque membre du presbyterium se sait estimé ou reconnu par ses prestations, l'esprit de concurrence entre les membres s'estompe et les valeurs sociales protégées parce qu'endossées par l'estime sociale. Car, l'expérience de l'estime sociale va toujours de pair avec le sentiment de confiance quant aux prestations qu'on assure ou aux capacités et qualités qu'on possède.

    Par ailleurs, l'estime sociale a pour objet les fins éthiques déterminées par chaque société. Ce qui fait que le niveau d'appréciation des individus dépend des valeurs admises par la société dont on appartient : les valeurs éthiques recherchées par les individus dans la société en général et au sein des presbyteriums en particulier ne sont pas péremptoirement les mêmes. Toutefois, « les qualités sur lesquelles se fonde l'appréciation sociale d'une personne ne sont donc pas celles d'un sujet considéré dans sa vie individuelle, mais celles d'un état situé dans une typologie culturelle »87. C'est en effet la valeur de « cet état » qui concourt à la réalisation des fins de la société à travers la contribution collective socialement définie. Ce faisant, c'est au sein d'un même état que les sujets peuvent s'estimer mutuellement et véritablement comme des personnes. Dans la mesure où ils jouissent des qualités et des capacités communes sur l'échelle des valeurs sociales d'un degré de considération88. En effet, les capacités développées par chacun commandent au cours de son histoire personnelle l'estime sociale. Cela a pour conséquence, l'individualisation des prestations que les valeurs sociales ouvrent aux différents modes de réalisation de soi de la personne humaine. Mais entre les états, les relations d'estime sont hiérarchisées. Ce qui permet aux membres de la société d'apprécier chez les représentants d'autres états des qualités et des capacités qui contribuent à la réalisation des valeurs communes. Par ailleurs, il y a une sorte de coopération, de liaison ou d'interdépendance entre l'estime de soi et l'estime sociale dans cette dernière forme de reconnaissance qu'est « la

    87 Ibid., p. 201.

    88 Ibid.

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    communauté des valeurs ». Le Blanc voit dans ce rapport une « codépendance ». Dans la mesure où celle-ci tire son origine de l'analyse de Taylor que complète celle d'Honneth. Pour lui, « La codépendance » dont il est question ici accorde une place de choix « aux procédures de reconnaissance de soi par autrui qui s'exercent dans les différentes formes de la vie sociale »89. Ce qui fait que la société des individus n'a de droit d'être que parce qu'elle est une société de reconnaissance dont l'idée d'une réalisation de soi, trouve sa limite dans l'expérience des dépendances sociales90. Toutefois, la reconnaissance apparaît comme une épreuve, sociale et morale. Ainsi, « l'estime sociale, étant une part essentielle de l'estime de soi, implique une vie relationnelle »91

    Au-delà de l'appréciation à leur juste valeur des qualités et capacités individuelles, Honneth s'aperçoit que le contexte des sociétés modernes est marqué par un « pluralisme axiologique », lequel « la communauté des valeurs » se prête à « un conflit culturel chronique »92. Par le fait que ces « sociétés modernes sont traversées par des conflits portant sur les valeurs à partir desquelles les contributions de chacun sont soumises à évaluation »93 : la lutte autour des salaires et des rémunérations professionnelles sont des cas de figures de ce genre de conflits toujours latents sur ce qui doit compter comme contribution individuelle significative à une communauté de valeurs : l'homme de la reconnaissance ne peut alors être l'homme intérieur qu'il cherche à être que pour autant qu'il est un homme extérieur, confirmé par les autres94.

    Au terme de ce chapitre qui constitue la clé de voûte de notre réflexion sur la thématique de la reconnaissance mutuelle chez Axel Honneth, nous avons abordé cette question en deux temps. Dans un premier temps, nous avons suivi pas à pas les précurseurs de ce débat qui sont Hegel et Honneth pour comprendre l'idée de la lutte pour la reconnaissance. Ceci nous a permis d'apprendre que Hegel a eu l'intuition de développer une philosophie de la lutte pour la reconnaissance réciproque en réaction contre la philosophie anti-aristotélicienne des modernes, celle de la lutte pour l'existence, la survie ou « l'auto-préservation » représentée par Hobbes et Machiavel pour lui donner une formulation qui permet de rapporter les conflits humains à des mobiles moraux. Sans doute, c'est la raison pour laquelle, Hegel considère la lutte comme un

    89 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 110-111.

    90 Ibid., p. 111.

    91 Ibid.

    92 Honneth, A., cité par Louis Carré, Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 50.

    93 Ibid.

    94 Ibid., p. 50-51.

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    moyen moral qui consiste de passer d'un stade primitif à un stade plus avancé. A la suite de Hegel, Honneth donne une nouvelle impulsion à l'idée de lutte pour la reconnaissance à partir de l'analyse faite sur l'évolution des sociétés modernes grâce à l'apport de la psychologie sociale, de la psychanalyse et de la sociologie. Ce faisant, il donne à la notion de la lutte de reconnaissance un fondement « à teneur normative » et interprète les conflits humains ou moraux dans la perspective d'une demande de reconnaissance. Par le fait que « des sujets ne se réalisent pleinement qu'en bénéficiant de la reconnaissance des multiples facettes - affective, juridique, sociale- de leur « dignité » morale »95, c'est pourquoi, au second moment, nous identifié et analysé trois formes de relations de reconnaissance réciproques qui se rapportent aux différents types de rapports positifs que les sujets peuvent entretenir avec eux-mêmes. D'abord, la reconnaissance amoureuse comme son nom l'indique, elle est basée sur l'expérience de l'amour qui donne accès à la confiance en soi ou à la singularité. Ensuite, la reconnaissance juridique qui ouvre la voie au respect de soi ou à l'universalité. Enfin, la reconnaissance culturelle, développe la solidarité entre les sujets ou entre les groupes et consolide l'estime de soi ou alors la particularité. A travers ces différentes formes de relations de reconnaissance, « les individus peuvent à chaque fois se savoir confirmés dans l'une et l'autre des dimensions de leur autoréalisation »96.

    Cependant, Honneth a eu le mérite à son tour de relever que dans la vie courante les modalités de reconnaissance vont de pairs avec des situations d'offense, d'humiliation et même d'injustice d'où le déni de reconnaissance. Pour légitimer ce mérite, Paul Ricoeur affirme : « Honneth fait correspondre à ces trois modèles mi-spéculatifs, mi-empiriques, trois figures du déni de reconnaissance susceptibles de fournir sur le mode négatif une motivation morale aux luttes sociales (...). Cette mise en parallèle constitue selon moi la contribution la plus importante de l'ouvrage de Honneth à la théorie de la reconnaissance dans sa phase post-hégélienne, les modèles de reconnaissance fournissant la structure spéculative, tandis que les sentiments négatifs confèrent à la lutte sa chair et son coeur »97. C'est cette assertion qui nous introduit au second chapitre qui traitera de la question des figures du mépris ou dénis de reconnaissance comme causes de l'absence de la reconnaissance mutuelle et authentique dans les presbyteriums.

    95 Ibid., p. 25.

    96 Honneth, A., La société du mépris. Vers une nouvelle théorique critique, op.cit., p. 20.

    97 RICOEUR, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., pp. 295-296.

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    CHAPITRE II : LES FIGURES DU MEPRIS OU DENIS DE RECONNAISSANCE COMME CAUSES DES CONFLITS AU SEIN DES PRESBYTERIUMS

    Si « la reconnaissance » est la limitation du désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre »98, l'homme pour se réaliser pleinement dans sa sphère sociale a toujours besoin de « se voir confirmer dans l'autre ». C'est ce qui fait de l'homme un véritable sujet moral et porteur de valeur. Cependant, il peut lui arriver de faire l'expérience de la négation ou du manque de la reconnaissance ou alors se voir dans « l'incapacité de pouvoir agir par soi-même, de telle sorte que la vie qui est vécue est éprouvée comme une vie inhumaine »99et devenir comme une épreuve qui touche le sujet dans son rapport avec soi-même et avec le monde. Toutefois « être défait de ses capacités humaines, notamment des capacités à agir et à dire quelque chose de soi, c'est se sentir amoindri dans sa vie d'humain »100et parfois se considérer vraiment comme un être spolié. De telles expériences négatives qui portent atteinte à l'intégrité physique, sociale et à la dignité des personnes humaines s'appellent habituellement « mépris » ou « offense ». Cela renvoie à des formes plus ou moins graves d'agression psychique, à l'abaissement manifeste d'une personne privée de ses droits fondamentaux et à l'humiliation subtile qui est infligée à un sujet, quand il est fait publiquement allusion à ses échecs, il existe une différence catégoriale que l'on risque de gommer si on les regroupe sous une même dénomination101.

    Pour Honneth, il existe trois catégories de figures du mépris qui constituent selon nous les principales causes de la dévalorisation de la personne humaine dans sa « dignité » et son « intégrité », dans notre contexte, il s'agit de la déshumanisation des membres des presbyteriums. La première catégorie est la figure du mépris liée à la violence physique. Ce type de figure du mépris est considéré « comme la forme la plus fondamentale d'avilissement

    98 Honneth, A., Ce que social veut dire. Le déchirement du social (I), trad. française par Pierre Rusch, Paris, NRF essais-Gallimard, 2013, p. 107.

    99 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p.59.

    100 Ibid.

    101 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 224.

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    de l'être humain »102. Car, il prive l'être humain de son autonomie et détruit sa confiance élémentaire dans son milieu de vie. En effet, le rapport positif de cette forme de mépris est l'attention affective des relations primaires103. La seconde catégorie est la figure du mépris qui se rapporte à la privation des droits et à l'exclusion sociale. Selon Honneth, à ce niveau, il est question « du rabaissement d'un être humain auquel est refusé, à l'intérieur de sa communauté, la pleine responsabilité morale concédée en droit à cette personne juridique »104. Le côté positif de cette forme de mépris est le fait de se reconnaître ou de « se comprendre comme un détenteur de droits aussi légitime » comme les autres membres de la communauté. La dernière catégorie du mépris est « la dépréciation de la valeur sociale ». Dans ce type de mépris, l'être humain vit dans le spectre de la dévalorisation et de la désapprobation jusqu'à la mésestime. A cette phase ultime, le rapport positif réside en la « forme de reconnaissance [qui] doit présupposer l'expérience vitale des charges partagées, elle comporte toujours, en plus du moment cognitif du savoir éthique, le moment affectif d'une participation solidaire »105. Lorsque les sujets éprouvent le manque de reconnaissance à travers l'expérience du mépris, ils sont poussés à s'engager dans la lutte pour la reconnaissance. En outre, dans son déploiement vers une nouvelle théorie critique, Honneth fait l'analyse de l'évolution des sociétés modernes, il s'en rend compte qu'une société peut bel et bien connaître ou subir les perturbations moins en raison de la violation des principes de justice qu'à cause d'une incapacité à assurer à ses membres « une vie bonne et réussie ».

    Dès lors, le présent chapitre est consacré à l'identification et à l'analyse des figures du mépris comme causes des conflits ou de l'absence de la reconnaissance au sein des presbyteriums. Il est vrai qu'il existe une multitude de formes du mépris. Cependant, nous les distinguerons à la suite d'Axel Honneth en fonction de la typologie des formes de reconnaissance parce que les formes du mépris doivent être différenciées selon qu'elles blessent ou détruisent tel ou tel degré de la relation à soi-même que l'individu développe dans l'échange intersubjectif106. Notre travail sera donc articulé sur quatre points. D'abord, le premier point portera sur la figure du mépris qui fait trait à l'intégrité physique, ensuite le second sur la figure du mépris en rapport avec l'exclusion ou la privation de certains droits, le troisième point

    102 Honneth, A., « Reconnaissance et reproduction sociale », in Jean-Paul Payet et Alain Battegay (sous la dir.), La reconnaissance à l'épreuve. Explorations socio-anthropologiques, éd. Presses Universitaires de Septentrion, 2019 (2008), p. 45-58. Disponible [en ligne] sur : https : // books-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr /septentrion/38634/, consulté le 05 août 2023.

    103 Ibid.

    104 Ibid.

    105 Ibid.

    106 Ibid., p. 159.

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    traitera de la figure du mépris liée à l'atteinte à la dignité d'autrui. A cela s'ajoute un autre point spécifique relatif aux dénis de propriétés sociales.

    I. La figure du mépris de l'intégrité physique

    Avant de décrire la première figure du mépris, nous allons tenter de préciser succinctement le contenu de la notion du mépris.

    I.1. Définition du terme mépris

    Le concept du mépris utilisé dans le langage courant pour exprimer un sentiment négatif, de dédain, d'arrogance voire de dérision apparaît tout de même dans la théorie de lutte pour la reconnaissance chez Axel Honneth. Ce terme exprime la négation ou le manque de reconnaissance. Il désigne aussi le refus de se décentrer de soi vers l'autre qui est le propre de la reconnaissance. En effet, soumettre « autrui » au mépris signifie refuser l'acte de décentrement de soi. En réalité, ce concept renvoie à « l'idée selon laquelle « les sujets sont contraints de se comporter par rapport à la vie sociale en observateurs distanciés plutôt qu'en participants actifs, parce que tous les calculs qu'ils font au cours de ces actions et à propos de ce qu'ils pourraient obtenir les uns des autres exigent une position purement rationnelle et aussi exempte d'émotions que possible »107. Le mépris apparaît ici comme un acte de désoeuvrement et de passivité parce que le sujet d'action est obligé à se comporter comme un étranger devant ses propres actions, les autres et vis-à-vis du monde. C'est la raison pour laquelle, « le mépris désigne moins le processus de réduction unilatérale de l'être humain à une « chose » que l'oubli de la base relationnelle de la condition humaine, sans laquelle il n'est pas de vie humaine possible »108. Sans aucun rapport mutuel, le sujet d'action est considéré comme un simple objet de transaction, sous des formes simples ou complexes109. Ceci nous conduit aux différentes catégories de mépris énoncées par Axel Honneth.

    La première figure du mépris est la violence physique. Celle-ci porte atteinte à l'intégrité physique de la personne. Il s'agit là des formes de sévices par lesquelles le sujet est dans l'incapacité à disposer de son propre corps. C'est le genre le plus élémentaire de l'abaissement personnel. En effet, lorsqu'on essaie de se rendre maître du corps de l'autre contre sa volonté, quel que soit l'intention qu'on a, on le soumet à une humiliation à nulle autre pareille qui détruit

    107 Nanteuil, M., « Qui est le sujet du mépris ? », in Hunyadi, M., (sous la dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, Paris, Le Bord de l'Eau, p. 53-64.

    108 Ibid.

    109 Ibid.

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    son être profond et sa relation pratique à soi : C'est le cas du viol et de la torture dont les effets psychologiques provoquent le plus souvent la mort psychique du sujet, « une mort qui pour être métaphorique peut devenir bien réelle ». En réalité, la particularité de telles atteintes ne réside pas seulement dans la douleur purement physique. A partir du moment où la victime fait l'expérience de perdre la sensation même de sa propre réalité, parce que soumise à la volonté d'un autre et sans défense ; elle détruit également la confiance en soi qui est l'émanation du noyau structurel qu'est l'amour dont le rôle est la capacité à coordonner son corps de façon autonome. Si le sujet perd la confiance en soi, donc sa propre sécurité, cela affecte à coup sûr ses relations avec les autres. Il tombe dans une sorte « d'invisibilité sociale » parce qu'il a perdu ce qu'une vie humaine et normale devrait avoir de soi dans son humanité.

    Pour Guillaume Le Blanc, « les vies rendues invisibles sont des vies qui ne vont plus de soi ». Une vie qui ne va plus de soi est une vie sclérosée ou aliénée, soit parce qu'elle est soumise à la volonté d'un autre, soit parce qu'elle est dans l'incapacité de s'affirmer comme un sujet autonome et individualisé, soit alors parce qu' « elle n'est pas reconnue comme réplique crédible, pouvant être retenue dans le filet des déclarations humaines »110. Une telle vie commence à disparaître petit à petit dans l'environnement social. Car, elle se sent déconsidérée et désapprouvée voire « sans autre attache dans son appartenance au genre humain que la honte qui ne relie le sujet honteux à la communauté humaine que parce qu'elle sanctionne la distance qui sépare l'un de l'autre sous la forme d'une absence de participation, d'une impossibilité de participer. »111.

    Si le sujet humain n'a plus un rapport d'estime de soi et d'estime sociale qui le relie avec la communauté dans laquelle il vit à cause de la honte et qu'il se sent écarté par celle-ci, la honte vécue devient un élément d'injustice. Car, « la honte ne désigne pas seulement une vie sans soubassements humains, elle surgit également par l'épreuve de justice qui l'anime »112. Aussi, devient-elle « comme épreuve totale, psychique et affective, dans laquelle une vie voit ses possibilités pratiques, cognitives et affectives mutilées. Être dans l'incapacité de pouvoir agir par soi-même, c'est se sentir méprisé en capacités humaines de base, de telle sorte que la vie qui est vécue est éprouvée comme une vie inhumaine »113. Si l'on nie la capacité à un sujet de disposer librement de son propre corps, telle qu'elle s'est constituée au cours des expériences

    110 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 59.

    111 Ibid., p. 59-60.

    112 Ibid., 60.

    113 Ibid.

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    affectives dont dépend le processus de socialisation114, c'est le déshumaniser et le rendre invisible.

    Dans la première figure du mépris qui est liée à l'atteinte à l'intégrité physique, l'amour apparaît comme le substrat, ce sans quoi la confiance élémentaire qu'une personne a en elle-même est détruite. Les sévices corporels constituent alors le genre élémentaire de l'abaissement personnel parce qu'ils sont capables de retirer à la personne sa capacité à disposer de son propre corps. Cependant, Ricoeur pense qu'au-delà du viol et de la torture qui détruisent la confiance élémentaire d'après Honneth, « ce qui est ici trahi, ce sont des attentes plus complexes que celles relatives à la simple intégrité physique. L'idée normative issue du modèle de reconnaissance placé sous le signe de l'amour, et qui donne sa mesure à la déception propre à ce premier type d'humiliation, paraît plus complètement identifiée par l'idée d'approbation. »115. Ce qui légitime la relation de reconnaissance amoureuse entre le reconnaissant et le reconnu ainsi qu'entre amis, amants est l'approbation.

    L'approbation est le fait « de considérer l'autre comme un individu irremplaçable »116. Donc, sans les autres, nous ne sommes que des sujets défectueux et incomplets117. Lorsqu'il n'y a pas approbation entre les partenaires d'interaction, on tombe dans le mépris ou dans l'humiliation à cause du refus ou du retrait de l'approbation. En cas de désapprobation, « l'individu se sent comme regardé de haut, voire tenu pour rien. Privé d'approbation, il est comme n'existant pas »118. Si les presbyteriums vivent la carence de la reconnaissance, nous pouvons nous demander avec Axel Honneth que : Comment l'expérience du mépris peut-elle envahir la vie affective des membres d'un presbyterium au point de les conduire dans les conflits sociaux, autrement dit dans une lutte pour la reconnaissance119 ?

    Comme toute personne qui a besoin d'un développement progressif pour une relation positive avec elle-même pour devenir un être à fois autonome et individualisé, « de s'identifier à ses fins et à ses désirs »120, elle est appelée à faire l'expérience des rapports de reconnaissance mutuelle encore appelés les formes d'interaction ou d'intégration sociale. En effet, tout membre

    114 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 226.

    115 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études. op.cit., p. 300.

    116 Redding, P., Hegel's Hermeneutics, cité par Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, Paris, La Découverte, trad. française par Franck Fischbach, 2008 (édit. Reclam, Leipzig), p. 107.

    117 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, op.cit., p. 107.

    118 Ibid.

    119 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 225.

    op.cit., p. 283.

    120 Ibid.,

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    du presbyterium qui est en quête de la reconnaissance ou de la réalisation de soi, il est ultime qu'il suive le même processus d'intégration sociale que nous venons d'énoncer. Il peut alors arriver qu'au début, à mi-chemin ou à la fin de la constitution de l'identité personnelle que le sujet fasse une expérience du mépris ou de l'atteinte à l'intégrité physique, sociale ou même à la dignité de sa personne. Dès lors, on comprend qu'une vie vécue peut être dépossédée, envahie par un mépris qui engage à la lutte pour la reconnaissance. L'une des causes qui met en branle l'intégrité physique au sein des petits groupes comme les presbyteriums est le manque d'amour. Car, il provoque la perte de confiance en soi et aux autres. Par conséquent, l'insécurité s'installe dans les relations à cause de la confiance élémentaire en la personne qui lui est retirée soit par la soumission à volonté d'un autre, soit par une simplement déception. De pareilles expériences ont des implications négatives sur les plans cognitif, psychique et affectif. Dans la mesure où elles peuvent être source de nombreux traumatismes et d'addictions de tout genre dans le rang des membres des presbyteriums. Certains deviennent aigris, d'autres démotivés et d'autres encore révoltés. A ce moment, l'approbation qui est supposée d'être au centre de toute relation affective devient un événement impossible. Ainsi, les membres commencent à se regarder avec dédain, « de haut », « se tenir pour rien » et « comme n'existant pas » au point de perdre leur visage. Ici, le visage ne signifie pas « la zone externe de la partie antérieure de la tête de l'être humain ». Il n'est non plus :

    Tant la marque de présence de soi à l'autre, ramassant l'énigme d'une silhouette, attestée aux yeux des autres de la certitude de la présence par le rappel opiniâtre du regard, d'une forme humaine concentrée dans les traits d'une « tête » humaine ; il n'est plus l'indice de soi confirmé par les gestes d'un « autrui » singulier, engageant toute une vie convoquée sur le mode de l'intrusion dans le monde de l'autre [...]. Le visage n'est plus ce qui ouvre la rencontre avec d'autres visages, comme un signe d'une coprésence, mais l'appel fait à un autrui professionnel pour prendre soin de lui121

    Avec le visage qui est un appel à prendre soin, Le Blanc nous fait entrer avec autrui dans la dynamique de la « relation médicale » ou du « care » dont la certitude ne provient que de l'horizon d'attente professionnelle122. Un malade a besoin du professionnel pour le soin. Car c'est ce qui est important pour lui. « Or, dans le soin, ce qui est si important, ce qui est à préserver, c'est justement ce qui est fragile, précaire, vulnérable, en premier lieu la vie

    121 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 38.

    122 Ibid.

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    d'autrui »123. Le visage suscite donc une exigence de réponse, d'aide et de soutien. Ce qui donne lieu d'approbation d'autrui par le soi : « Le visage où autrui se tourne vers moi, ne se résorbe pas dans la représentation du visage. Entendre sa misère qui crie justice ne consiste pas à se représenter une image, mais à se poser comme responsable, à la fois comme plus et comme moins que l'être qui se présente dans le visage. Moins, car le visage me rappelle à mes obligations et me juge [...]. Autrui qui se donne dans sa transcendance est aussi l'étranger, la veuve et l'orphelin envers qui je suis obligé »124. Autrui qui apparaît comme mon vis-à-vis en tant qu'étranger, veuve ou orphelin me rappelle les obligations que j'ai envers lui. Par conséquent, je ne saurai le regarder de travers ou « comme n'existant pas », mais plutôt comme un autre moi qui n'est pas moi dont j'ai la responsabilité vis-à-vis de lui, en quelque sorte je deviens « un garant » appelé à prendre soin de lui comme son médecin. Il s'agit là de la « promesse éthique » selon le vocable de Claude Romano dans son ouvrage intitulé : L'identité humaine en dialogue125. Lorsqu'il parle de la « promesse éthique », Claude Romano part de la notion de l'ipséité vers une direction éthique. En effet, il aborde le problème à partir de « l'être soi » (le Dasein) de Heidegger pour comprendre ce concept de l'ipséité chez Paul Ricoeur. Pour Claude Romano :

    L'attitude ou la manière d'être dans laquelle Ricoeur aperçoit le trait de l'ipséité est un engagement à l'égard non de soi, mais d'autrui ; l'ipséité signifie en premier lieu une fidélité à l'autre qui est justifié à attendre de moi que je ne me dérobe pas à ma promesse. En d'autres termes, l'ipséité doit être repensée en fonction de ce Ricoeur appelle le « primat éthique de l'autre que soi sur le soi », tel qu'on le trouve à l'oeuvre chez Jean Nabert, Gabriel Marcel ou Emmanuel Levinas. L'ipséité est d'abord une attitude fondamentale que j'adopte à l'égard d'autrui, une responsabilité que j'assume vis-à-vis de lui, elle dépend en son essence d'une sollicitation éthique .
    · « de toi, me dit l'autre, j'attends que tu tiennes ta parole » ; à toi je réponds .
    · « tu peux compter sur moi
    126

    De cette assertion, il en résulte que la fidélité à l'autre est la caractéristique fondamentale de l'ipséité. Cette fidélité repose sur la promesse éthique dont la valeur n'est pas théorique

    123 Svandra, P., « Introduction à la pensée d'Emmanuel Levinas. Le soin ou l'irréductible inquiétude d'une responsabilité infinie » in Recherche en soins infirmiers, 2018/1 (n° 132), p. 91-98.

    124 Levinas E., Totalité et infini. Essai sur l'extériorité, La Haye, Nijihoff, 1961, rééd. Paris, Le Livre de poche, 2021, p. 237.

    125 Romano, Cl., L'identité humaine en dialogue, Paris, Seuil, 2022, p. 242.

    126 Ibid., p. 241.

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    mais plutôt éthico-pratique127. Celle-ci signifie aussi la « confiance dont on se rend digne » ou alors « fiabilité »128. A partir de ce moment, l'ipséité devient un engagement pour moi vis-à-vis d'autrui. C'est une responsabilité qui m'incombe. Ce qui fait encore dire à Romano que l'ipséité est à comprendre comme « attestation »129. Il définit le terme « attestation » comme :

    L'acte de porter garant de ses propres engagements et de se rendre par là même digne de confiance pour autrui. Elle définit l'ipséité pour autant que cette dernière consiste, pourrait-on dire, en un engagement au second degré, un engagement à tenir ses propres engagements - un engagement qui porte sur celui qui tient parole autant que sur ce à quoi il s'engage, et que Ricoeur appelle quelque part « la promesse de la promesse »130

    L'engagement qui relève de l'ipséité porte la marque d'une promesse, une promesse à respecter, une parole à tenir : celle qui engage. Il y a donc une corrélation entre l'attestation et ipséité. Pour Romano, « l'attestation devient la marque distinctive de l'ipséité au point que les deux notions coïncident : « l'attestation est l'assurance - la créance et la fiance - d'exister sur le mode de l'ipséité » ; ou encore : « l'attestation peut être identifiée à l'assurance que chacun a d'exister comme un même au sens de l'ipséité »131.

    127 Ibid., p. 242.

    128 Ibid.

    129 Ibid. Le concept « attestation » est un terme cher à Paul Ricoeur. Selon Romano, c'est un terme qui est, affirme Ricoeur, le « mot de passe de tout le livre ». Il s'agit du livre : Soi-même comme un autre.

    130 Ibid.

    131 Ibid., p. 242-243. La notion de l'ipséité qui nous a permis de mettre en relief la responsabilité qu'a le soi envers autrui mérite elle-même d'être clarifiée à partir de Paul Ricoeur dans son ouvrage : Soi-même comme un autre. Pour l'auteur, cet ouvrage a pour objet principal de : « Dissocier deux significations majeures de l'identité [...] selon que l'on entend par identique l'équivalent de l'idem ou de l'ipse latin. L'équivocité du terme « identique » sera au coeur de nos réflexions sur l'identité personnelle et l'identité narrative, en rapport avec un caractère majeur du soi, à savoir la temporalité. L'identité, au sens d'idem, déploie elle-même une hiérarchie de significations [...] dont la permanence dans le temps constitue le degré le plus élevé, à quoi s'oppose le différent, au sens d'ipse n'implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant de la personnalité. Et cela, quand bien même l'ipséité apporterait des modalités propres d'identité, comme l'analyse de la promesse » (Voir : Chap. 7 : Un nouveau paradigme : l'ipséité. Ipséité et identité chez Ricoeur), cité par Romano Claude, L'identité humaine en dialogue, op.cit., p. 244. A partir de cette assertion de Ricoeur, il se dégage la thèse selon laquelle idem et ipse renvoient à deux significations distinctes de la notion d'identité. Pour Romano, le terme identité est moins explicite en français que dans d'autres langues à l'instar de l'anglais qui distingue « same » du « self » alors que le français « ne dispose que d'un seul terme, « même » pour désigner « soi », « lui », « elle », « eux ». D'un côté, l'identité au sens d'idem évoque la permanence dans le temps alors que l'identité au sens d'ipse renvoie à ce qui « n'implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant de la personnalité ». D'après Romano, le concept de l'ipséité chez Ricoeur soulève quelques apories que nous n'allons pas relever dans le présent travail. Toutefois, signalons tout de même que pour l'auteur susmentionné, la signification d'ipse s'est rapprochée de celle de « même ». C'est ce qui a fait que ce « mot a fini par perdre une partie de sa spécificité en latin ». Ce qui permet donc d'élaborer la notion d'ipséité, c'est le sens originel d'ipse. En somme, « l'ipséité, en un mot, n'est pas une forme d'identité ; c'est une manière d'être qui entretient néanmoins un certain rapport avec la question de l'identité » (Romano, Claude, op.cit., p. 253). Par ailleurs, il appert que l'ipséité n'a pas

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    Après l'analyse de la première figure du mépris, nous avons découvert que la violence physique est une entrave au progrès et au développement de l'identité personnelle. Mais au-delà des sévices corporels qui ont tendance à déposséder le sujet de son propre corps, il y a à côté des attentes complexes de l'ordre psychique, cognitif et affectif qui touchent l'être profond de la personne au point de lui retirer la confiance élémentaire qui est en elle, noyau structurel de l'amour et de la placer dans un régime d'insécurité. Aussi avons-nous insisté sur l'idée d'approbation et de l'engagement à la responsabilité d'autrui qui nous a conduit à des notions telles que : « la promesse éthique », « l'ipséité » et « l'attestation ». Quant à la deuxième figure, elle concerne le déni du droit qui refuse au sujet la responsabilité morale ou le respect de soi alors qu'elle est accordée aux autres sujets ou membres de la communauté.

    II. La figure du déni du droit

    Si l'on s'en tient à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, tous les hommes naissent libres et égaux en droits et en dignité. Refuser ou méconnaître des droits fondamentaux à un individu est un déni du droit ou de reconnaissance.

    Etymologiquement, le mot droit vient du terme latin « directum » qui signifie à la fois direction et directive, au sens de norme de conduite, c'est-à-dire de la règle132. Ce mot a des accointances avec quelques langues européennes : « right », « Recht », « diritto », « derecho ». Si le droit renvoie à la règle, cela implique que celle-ci est prescrite par une autorité qui elle-même ne peut qu'exister au sein d'un groupe dont la fonction est de diriger et de veiller sur l'observation de la règle133. Et, par conséquent, le droit ou la règle n'a de sens que dans un environnement social d'où l'adage latin : « ubi societas, ibi jus, ibi societas, ubi jus ». Il n'y a pas de société sans droit, autant qu'il n'existe pas de droit sans sujets de droit, donc sans société. Si on s'arrête tant soit peu sur cet adage, la première prémisse stipule qu'il n'y a pas de société sans droit. Ici, la société peut être comprise comme « un groupement relativement stable d'individus différenciés, entretenant des relations denses et fréquentes en vue de la réalisation d'une fin sociale déterminée »134. Il me semble que cette première assertion rejoint la définition de la notion du droit chez Axel Honneth lorsqu'il désigne le droit par l'ensemble d'exigences

    d'implication immédiate sur « l'identité numérique » et n'a rien à voir avec le problème « de la persistance dans le temps, comme l'ont relevé Heidegger et Ricoeur. » (Ibid., 291). Ce qui caractérise l'ipséité c'est la responsabilité envers autrui et « de soi-même comme un autre ». Ici, la responsabilité ou l'engagement dont il est question peut bien s'appeler reconnaissance qui est « la fidélité à soi devant et pour les autres ». Car, « c'est une attitude de fiabilité à l'égard de ses propres engagements, en un engagement au second degré » (Ibid., p. 292).

    132 Rouvillois, F., Le Droit, Paris, GF Flammarion, 1999, p. 17.

    133 Ibid., p. 21.

    134 Ibid., p. 17-18.

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    qu'une personne peut légitimement s'attendre à voir satisfaites par la société, dans la mesure où elle est membre à part entière d'une communauté et participe de plein droit à un ordre institutionnel135. Le droit est donc lié à l'environnement social. Pour la bonne marche d'une société, les sujets ont besoin de la règle ou des règles. C'est le cas du Code du droit canonique pour l'Église Catholique, des constitutions pour les congrégations religieuses et les statuts et règlements pour les associations sacerdotales. C'est l'ensemble de ces règles qui définit le cadre d'épanouissent et le code de vie des sujets ou des groupes. C'est ce qui légitime sans doute cette première prémisse qui repose sur le fait qu'il n'existe pas de société sans droits ou sans règles.

    La deuxième prémisse pose le postulat selon lequel, il n'existe pas de droit sans sujets de droit. Autrement dit, on ne peut pas parler du droit en dehors du cadre social. A ce propos, un auteur du nom de Rouvillois, dans son corpus sur le Droit, explique la réalité selon laquelle le droit est inhérent à la société. Pour ce faire, il part du roman anglais de Daniel Defoe qui met en scène Robinson136 qui vécut tout seul dans une île déserte pendant 28 ans avant la rencontre d'un autre individu nommé Vendredi. A partir de cet instant, nous nous sommes posé la question de savoir : Peut-on parler du droit avant ou après la connaissance de Robinson avec Vendredi ? Pour Rouvillois, l'existence d'une société implique la présence d'un droit. Par ailleurs, la réciprocité est vraie, dans la mesure où le droit ne se conçoit pas en dehors d'un cadre social137. Si Robinson vécut seul dans l'île, il n'entretint aucun commerce juridique. Il ne parlait avec personne138. Alors ces deux activités sont des éléments fondamentaux qui concourent et favorisent la relation avec autrui. Cependant, l'on note une différence considérable avec l'avènement de la rencontre avec Vendredi. Parce que, désormais, Robinson a une personne avec qui il peut communiquer. Est-ce la seule présence de Vendredi suffit-elle pour parler ou faire naître le droit ? Selon Rouvillois, la rencontre entre Robinson et Vendredi peut créer un rapport de tension, de force, de pouvoir même de confiance ou d'affection, mais jamais de rapports juridiques à proprement parler139. La relation juridique ne saurait se limiter à un rapport entre deux individus seulement. Elle doit être étendue et diversifiée. Telle est la vision de Saint Thomas d'Aquin au sujet de la famille reprise par Rouvillois : « Ceux-ci

    135 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 227.

    136 Source : Wikipédia, consulté le 20 juin 2023 : Robinson Crusoé est un roman d'aventures anglais de Daniel Defoe. Il fu écrit à la personne. L'intrigue principale du roman se déroule sur une île déserte à l'embouchure de l'Orénoque, près des côtés vénézuéliennes, où Robinson après avoir fait naufrage, vécut pendant 28 ans. Durant son séjour, il fit connaissance d'un sauvage qu'il nomma Vendredi. Les deux compagnons vécurent ensemble pendant plusieurs années avant de pouvoir quitter l'île.

    137 Rouvillois, F., Le Droit, op.cit., p. 18.

    138 Ibid.

    139 Ibid.

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    [rapports juridiques], expliquait Thomas d'Aquin à propos de la famille, n'apparaîtront qu'ensuite, lorsque le groupe se sera étendu et diversifié, extension qui entraîne une hiérarchie des pouvoirs, une division du travail, et donc la nécessité d'un droit »140. Nous venons de voir que le droit s'inscrit et se meut dans un cadre social pour une bonne organisation et une bonne marche de la société. S'il est vrai qu'on ne peut pas concevoir le droit en dehors de la société, tout de même, on peut bien se demander, qu'en est-il des droits individuels ? Ce qui nous conduit au rapport entre le droit subjectif et le droit objectif.

    II.1. Le rapport entre le droit subjectif et le droit objectif

    Le droit subjectif est un attribut conféré à un sujet alors que le droit objectif est basé sur la prescription. Le droit subjectif est donc d'ordre individuel. Car, il tire son origine de l'individu lui-même, en tant qu'être créé ou existant doué d'une nature raisonnable et morale. D'après Villey, l'individu et le droit constituent « le centre, et l'origine, de l'univers juridique »141. Pour expliciter cette définition, Rouvillois reprend le relai. Il entend par un centre, tout ce qui est indépendant du rapport social. Car, la société n'engendre ni ne conditionne l'existence du droit subjectif, mais plutôt elle lui préexiste. C'est pourquoi, Robinson isolé ignore le droit, mais conserve des droits142. Le droit ignoré par Robinson est le droit inhérent au social. C'est-à-dire au droit objectif. Alors que des droits dont il est question ici se rapportent aux droits fondamentaux individuels : il s'agit là du droit subjectif. Le droit subjectif est donc individuel et naturel contrairement au droit objectif qui est positif. Après avoir relevé la différence entre le droit subjectif et le droit objectif, nous pouvons se poser la question de savoir s'il y a opposition entre le droit subjectif et le droit objectif ou alors peut-on considérer l'un indépendamment de l'autre ?

    Si nous considérons les droits subjectifs de manière isolée, ils peuvent être conçus et perçus en dehors du cadre social comme des attributs inaliénables du sujet. A ce propos, Simon Goyard-Fabre pense que les « droits naturels dont tout homme est [...] ontologiquement fondé à réclamer le respect [...] ne possèdent par eux-mêmes et en eux-mêmes ni dimension ni portée juridique. [...] Exigence éthique fondamentale » placée « sous le signe de l'universel »143. Si ces droits inaliénables du sujet sont pris indépendamment, ils sont dépourvus de toute portée

    140 Ibid.

    141 Villey, M., La Formation de la pensée juridique moderne, cité par Rouvillois, F., Le Droit, op.cit., p. 20.

    142 Rouvillois, F., Le droit, op.cit., p. 20.

    143 Goyard-Fabre, Simone., « Les rapports de la philosophie et du droit », in Revue de métaphysique et de morale, cité par Rouvillois, F., Le Droit, op.cit., p. 20.

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    juridique positive. C'est la raison pour laquelle, il est judicieux que ces droits soient portés par des règles. C'est-à-dire par le droit positif. Autrement dit, « le droit subjectif n'acquiert une consistance effective que dans un cadre social, à travers le droit objectif, qui apparaît alors comme le phénomène juridique par excellence »144. Au regard de ce qui précède, il apparaît que le droit ne se conçoit pas en dehors de la société. Toutefois, il y a des droits individuels fondamentaux du sujet qui sont aliénables. Cependant, ils n'ont force de loi que s'ils sont envisagés du côté des sujets comme « des attributs que leur confère le droit objectif. Ou, si l'on préfère, ces attributs ne sont que les effets dérivés de la règle, qui en demeure le fondement, la raison et la mesure »145.

    En outre, il arrive souvent que certains individus ne soient pas reconnus comme porteurs de droits ou sujets de droits à part entière. Ceux-là expérimentent en quelque sorte le déni de reconnaissance ou de droit. La deuxième figure de mépris est liée à l'exclusion de certains droits à certains individus. Il s'agit là de l'atteinte à la responsabilité morale qui est une indignation à l'endroit de la personne humaine. Cette figure de mépris est caractérisée par les expériences d'humiliation telles que « des modes de mépris personnel dont un sujet est victime lorsqu'il se trouve structurellement exclu de certains droits au sein de la société »146.

    Pour Honneth, le terme droit désigne l'ensemble « des exigences qu'une personne peut légitimement s'attendre à voir satisfaites par la société, dans la mesure où elle est membre à part entière d'une communauté et participe de plein droit à son ordre institutionnel »147. Si les droits fondamentaux tels que les droits civils, politiques ou sociaux sont refusés à un sujet ou alors si les exigences attendues ne sont pas satisfaites, naît un sentiment de déni de droit ou de reconnaissance qui peut se traduire par « le sentiment d'exclusion résultant du refus d'accès aux biens élémentaires »148. Cela signifie qu'on ne lui reconnaît pas la responsabilité morale au même titre que les autres membres de la société. La spécificité de ces formes de mépris ne repose pas uniquement sur la limitation brutale de l'autonomie de la personne, mais elle se retrouve aussi dans la privation des droits ou dans l'exclusion sociale. Ce qui fait naître chez le sujet « le sentiment corrélatif de ne pas avoir le statut d'un partenaire d'interaction à part entière »149 et possédant des mêmes droits moraux que ses semblables.

    144 Rouvillois, F., op.cit., p. 21.

    145 Dabin, J., Théorie générale du droit, cité par Rouvillois, F., op.cit., p. 21.

    146 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit. p. 227.

    147 Ibid.

    148 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 312-313.

    149 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., 227.

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    Pr ailleurs, « le point le plus sensible de l'indignation concerne le contraste insupportable, [...], entre l'attribution égale de droits et la distribution inégale de biens dans des sociétés comme la nôtre, qui semblent condamnées à payer le progrès en terme de productivité dans tous les domaines par un accroissement sensible des inégalités »150. Une fois que le sujet est débouté d'exigences juridiques socialement admises, il est blessé dans son attente intersubjective d'être reconnu comme un sujet capable de former un jugement moral151. A cet effet, « l'expérience de la privation de droits est liée à une perte de respect de soi. C'est-à-dire à l'incapacité de s'envisager soi-même comme un partenaire d'interaction susceptible de traiter d'égal à égal avec tous ses semblables »152. Un tel mépris prive à la personne la prise en considération cognitive d'une responsabilité morale qui a été acquise difficilement dans le processus d'interaction sociale. Refuser à un individu un droit, c'est le priver au respect qu'il se porte à lui-même. Autrement dit, c'est signer son incapacité à la participation à la formation de la volonté publique et à se prononcer sur le plan discursif153. Ce qui met en jeu la responsabilité morale de l'individu qui est une condition sine qua non le sujet ne peut jouir du respect de soi ni de celui de ses partenaires d'interaction.

    Pour Ricoeur, la responsabilité est « la capacité, reconnue à la fois par la société et par soi-même « de se prononcer d'une manière rationnelle et autonome sur les questions morales »154. Il continue en soulignant que la responsabilité en tant que « capacité à répondre de soi-même est inséparable de la responsabilité en tant que capacité à participer à une discussion raisonnable concernant l'élargissement de la sphère des droits, qu'ils soient civils, politiques ou sociaux »155. Au bout du compte, « le terme responsabilité couvre alors l'assertion de soi et la reconnaissance du droit égal d'autrui à contribuer aux avances du droit et des droits »156. Si la personne est dépourvue de ses droits et de son droit, elle se sent disqualifiée et inutile dans la sphère universelle. Et par conséquent, elle tombe dans « la mort sociale ».

    Après avoir relevé les deux premières figures du mépris ou du déni de reconnaissance qui constituent un frein dans le processus du développement de l'identité personnelle pour une

    150 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 313.

    151 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 227.

    152 Ibid.

    153 Ibid., 204.

    154 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 313.

    155 Ibid., p. 314.

    156 Ibid.

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    vie éthique réussie, nous pouvons enfin mettre en évidence la dernière figure du mépris inhérente à l'offense ou à la mésestime.

    III. La figure du mépris liée à la mésestime

    La dernière figure du mépris consiste à juger négativement la valeur sociale de certains individus ou de certains groupes. Cette figure prend la forme évaluative du mépris. Elle porte le nom de « l'offense » ou de « l'atteinte à la dignité » d'autrui comme le dénigrement des modes de vie individuels et collectifs. La dignité est une capacité précieuse qu'a un être humain, et de surcroît lui confère le sentiment de « fierté ». Pour Joel Feinberg, reprit par Axel Honneth et Paul Ricoeur, pense que « la dignité humaine ne peut être rien d'autre que la capacité reconnue de revendiquer un droit. »157. Ce faisant, l'honneur, la dignité ou le statut d'une personne, traduisent le degré « d'estime sociale » accordé à la façon dont elle se réalise dans l'horizon culturel d'une société donnée. Si la hiérarchie sociale des valeurs est ainsi faite qu'elle juge inférieurs ou imparfaits tel ou tel mode de vie, telle ou telle conviction, alors elle interdit aux individus concernés d'attribuer à leurs capacités personnelles une quelconque valeur sociale.

    En cas de la désapprobation de certains modèles d'autoréalisation, ceux qui s'y reconnaissent ne peuvent donner ou conférer aucune signification positive à leur existence au sein de la communauté. L'aboutissement d'une telle dépréciation est le déclassement social qui va sans doute de pair avec la perte de l'estime de soi. Ce qui fait que l'individu « n'a plus aucune chance de pouvoir se comprendre lui-même comme un être apprécié dans ses qualités et ses capacités caractéristiques »158. Car, « ce qui est ici refusé à la personne, c'est l'approbation sociale d'une forme d'autoréalisation à laquelle elle est péniblement parvenue, grâce à l'encouragement reçu à travers les solidarités de groupe »159. Si le sujet parvient à être touché ou frappé en profondeur par le dénigrement ou par la dégradation culturelle, cela signifie que les modèles de l'estime sociale ont été individualisés. La conséquence immédiate de cette forme de dégradation est l'expérience de « blessure » et de « mortification ».

    Après avoir identifié et analysé les différentes figures du mépris étudiées par Axel Honneth dans l'évolution de l'individu dans sa singularité, son universalité et sa particularité, il se dégage l'hypothèse selon laquelle les « dénis de propriétés sociales » et les dénis de

    157 Feinberg, Joel., cité par Ricoeur, Paul., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 315.

    158 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 229.

    159 Ibid.

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    reconnaissance peuvent être considérés comme les causes des conflits entre les membres d'un même presbyterium. Dans la mesure où ils sont l'expression d'un sentiment d'injustice qui est à l'origine de la lutte pour la reconnaissance. La lutte est comprise ici comme un moyen de relation entre la conscience de soi et l'autre conscience de soi pour l'autoréalisation de chacune d'elle. Mais, elle apparaît aussi comme un élément déclencheur de la justice sociale qui vise l'amour, le droit et la solidarité entre les hommes.

    Dans le processus de la reconnaissance qui passe par la formation de l'identité personnelle, les sujets ou quelques membres des presbyteriums peuvent se sentir mal aimés parce qu'ils n'ont pas confiance en eux-mêmes ou aux autres, soit parce qu'ils ont la sensation de ne plus disposer de leurs propres corps, car soumis à la volonté d'un autre et sans défense. Ce type d'expérience détruit également la confiance en soi dont l'amour est le soubassement et le rôle, la capacité à coordonner le corps de façon autonome. Par ailleurs, au-delà des sévices corporels, il y a l'idée d'approbation qui consiste à considérer l'autre comme « un individu irremplaçable » ou à le voir comme « une épiphanie » d'après Emmanuel Levinas :

    L'épiphanie du visage comme visage, ouvre l'humanité. Le visage dans sa nudité de visage me présente le dénuement du pauvre et de l'étranger ; mais cette pauvreté et cet exil qui en appellent à mes pouvoirs, me visent, ne se livrent pas à ces pouvoirs comme des données, restent expression de visage. Le pauvre, l'étranger, se présente comme égal. Son égalité dans cette pauvreté essentielle, consiste à se référer au tiers, ainsi présent à la rencontre et que, au sein de sa misère, Autrui sert déjà. Il se joint à moi. Mais il me joint à lui pour servir, il me commande comme un Maître160

    La relation qui se noue entre moi et les autres dans « l'épiphanie » du visage est une manifestation. En effet, le visage de l'autre se présente à moi non comme une simple forme faciale encore moins une invitation à la complicité mais plutôt comme une manifestation qui est un appel à la responsabilité et « à la présence du tiers, de l'humanité tout entière, dans les yeux qui me regardent ». Pour Levinas, il ne s'agit pas d'abord d'un discours à caractère moral. C'est un appel à la fraternité humaine. Car, tous les hommes constituent l'unité du genre humain. Le pauvre et l'étranger qui font surface devant moi sont à considérer comme des égaux qui appellent à l'égalité, au service et à « la responsabilité pour soi et pour autrui ».

    160 Levinas, E., Totalité et infini. Essai sur l'extériorité, op.cit., p. 234.

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    Si autrui est un « individu irremplaçable » dont le visage est une « épiphanie » et que des expériences faites par celui-ci blessent son être profond, son amour et le place au banc des méprisés, la confiance en soi et aux autres est en effet dissoute. Ce qui nous fait déduire que la première cause de lutte pour la reconnaissance au sein des presbyteriums est la perte de la confiance en soi et aux autres. A cela s'ajoute une autre qui engendre le déni de reconnaissance parce que la grandeur morale d'une vie est méprisée161, il s'agit du déni du droit.

    Si les droits élémentaires et fondamentaux tels que les droits civils, politiques ou sociaux sont privés ou refusés aux membres du presbyterium en tant que sujets ou alors si des exigences qu'ils attendaient de la communauté ou de ceux qui sont supposés de le faire ne sont pas satisfaites, il naît effectivement un sentiment du déni de droit ou de reconnaissance. Un tel sentiment se traduit par l'exclusion qui aboutit au refus d'accès aux biens élémentaires. Si les prêtres n'ont pas accès à une sécurité sociale par exemple, c'est-à-dire à une bonne couverture sanitaire, à une juste rémunération, à une pension vieille assurée, ils sont considérés comme des exclus de la société. Car, tout être humain aspire à ce que ses droits fondamentaux soient respectés pour qu'il puisse se respecter soi-même et être respecté par les autres. Pour qu'un individu agisse comme une personne moralement responsable, il a besoin d'être protégé par la loi contre les abus et « les empiètements » qui menacent sa liberté, mais avoir aussi « un minimum de culture générale et un minimum de sécurité économique ». Si dans les presbyteriums, les membres ne bénéficient pas de ces prérogatives, ils ne peuvent pas agir avec fierté comme des personnes autonomes et rationnelles :

    Se considérer comme détenteur de droits, c'est développer un sentiment de fierté légitime, c'est avoir ce minimum de respect pour soi-même sans lequel on ne serait pas digne de l'amour et de l'estime d'autrui [...], ce n'est peut-être que respecter leurs droits, de sorte que l'un ne va pas sans l'autre ; et ce qu'on appelle la « dignité humaine », ce n'est peut-être rien d'autre que la capacité reconnue de revendiquer162

    Toutefois, l'originalité de cette seconde cause ou mépris n'est pas seulement la limitation brutale de l'autonomie de la personne, mais pour Honneth, elle se retrouve aussi dans la privation des droits ou alors dans l'exclusion sociale. Ce qui fait naître chez le sujet « le sentiment de ne pas avoir le statut d'un partenaire d'interaction à part entière » et possédant les

    161 Le Blanc, G., L'invisibilité morale, op.cit., p. 109.

    162 Citation de Feinberg Joel reprise Axel Honneth. Voir La Lutte pour la reconnaissance, p. 204.

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    mêmes droits que les autres individus. En fait, l'expérience de la privation de droits est liée à une perte de respect de soi, donc à « l'incapacité de s'envisager soi-même comme un partenaire d'interaction susceptible de traiter d'égal à égal avec tous ses semblables »163.

    La dernière cause est l'atteinte à la dignité d'autrui. Celle-ci consiste à juger négativement la valeur sociale des personnes ou des groupes. Cette figure renvoie à la forme évaluative du mépris et au dénigrement comme modes de vie individuels et collectifs. Ce qui fait que l'aboutissement d'une telle dépréciation est le déclassement social qui a pour corollaire la perte de l'estime de soi. C'est le fait de n'avoir plus aucune chance de pouvoir se comprendre lui-même comme un être apprécié dans ses capacités et ses qualités. Si un individu perd sa fierté d'humain, il se retrouve humilié dans son être. C'est donc à la société qu'il revient d'apprécier le cadre dans lequel les qualités et les capacités sont perçues. Si dans un presbyterium, où les membres sont supposés d'être reconnus dans leurs qualités et capacités individuelles et particulières, cela n'est pas fait par déni de reconnaissance ou par injustice, ceux-ci ne peuvent pas s'accomplir pleinement en tant que sujets autonomes et individualisés. Alors que Le rôle d'une telle reconnaissance est de préciser l'horizon des valeurs ainsi que « de servir de système de référence pour apprécier les caractères individuels, parce que la « valeur » sociale de ces derniers se mesure à la contribution qu'ils semblent pouvoir apporter à la réalisation des fins poursuivies par la société »164.

    Une fois que les sujets ont fait l'expérience du déni de reconnaissance, ils se trouvent donc contraints de s'engager dans une lutte avec les autres pour parvenir à établir une relation ininterrompue avec eux-mêmes. Dès lors, « les dénis de reconnaissance peuvent être engendrés directement lorsque la grandeur morale est méprisée. »165. Une personne dont les droits ne sont pas reconnus ou refusés se considère non respectée et exclue du cadre social. A ce niveau, « se trouvent concernées les vies exclues : la personne, sans logement, tend à ne plus être vue comme une personne souffrant de conditions inhumaines de vie mais se fond, pour ainsi dire, dans le bitume des trottoirs »166. Il est possible de rencontrer dans le rang des membres du presbyterium des vies exclues ou inhumaines et humiliées là où, les droits fondamentaux ne sont pas respectés. Il va tout de même que de telles vies connaissent une vie méprisée, mais elles sont aussi considérées comme des vies déclassées et placées dans « le bitume des trottoirs ».

    163 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 227.

    164 Honneth, A. La Lutte pour la reconnaissance, op.cit. p. 209.

    165 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 109.

    166 Ibid.

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    Toutefois, les dénis de propriétés sociales ouvrent un autre versant qui regarde les capacités éthiques et les capabilités de base d'une vie qui se voit se mutiler.

    IV. Les dénis de propriétés sociales

    S'agissant des dénis de propriétés sociales, ils vont de pairs avec les dénis de reconnaissance. Les « dénis de propriétés sociales » sont tout ce qui contribue à la disqualification d'une vie « en mutilant des capabilités167 de base et les capacités éthiques (faire, dire, se raconter) nécessaires à son plein développement ruinent la possibilité d'une posture individuelle et construisent dès lors des procédures d'invisibilité active au terme desquelles des vies humaines ne sont tout simplement plus perçues »168. Une vie n'a de sens que si elle est vécue pleinement. C'est-à-dire si elle est reconnue, perçue, aimée, respectée et estimée. Une vie dont on ne reconnaît pas la valeur, le droit et la dignité est une vie disqualifiée et « rendue invisible ». Une personne qui a fait l'expérience de « l'invisibilité sociale »169 a le sentiment d'être inutile dans sa vie et dans la société.

    IV.1. Les capabilités

    D'après Le Blanc : « Les vies rendues invisibles sont des vies qui ne vont plus de soi » parce qu'elles connaissent une carence en capabilités de base et en capacités éthiques. C'est pourquoi, lorsqu'il parle des « capabilités », il fait une distinction normative entre la vie vécue et la vie pleinement humaine. Pour lui, « être rendu invisible, c'est voir certaines capabilités de base disparaître »170. Parmi, ces capabilités, il y a la capacité de parler en son propre nom : « Ne plus être entendu, c'est ne plus être vu du tout ». Ici, l'invisibilité se comprend comme le fait « de n'être personne ». En effet, « la perte de la voix engendrée par la perte de l'audition achève

    167 Le concept « capabilité » vient de l'anglais « capability » qui signifie « capacité » ou « liberté substantielle » qui est, suivant la définition qu'en propose Amartya Sen, la possibilité effective qu'un individu a de choisir diverses combinaisons de « modes de fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept d'Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu'ils jugent estimables et de les atteindre effectivement. Il affirme que ce terme de « capabilité » contient, à lui seul, l'essentiel de la théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen, et que « son écho auprès des instances internationales et des acteurs du développement humain en fait aujourd'hui une des raisons pour lesquelles le développement d'un pays ne se mesure plus seulement à l'aide du PIB par habitant ». Par ailleurs, « chez Amartya Sen, la notion prend racine dans la théorie du choix social ainsi que dans la philosophie morale et dans la philosophie de l'action analytique ». (Source : Wikipédia, consulté le 25 janvier 2023).

    168 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 109.

    169 L'invisibilité sociale est une vie hors du monde humain. C'est une épreuve totale, psychique et affective, dans laquelle une vie voit ses possibilités pratiques, cognitives et affectives mutilées : Voir L'invisibilité sociale, chap. III, 1, p. 59).

    170 Ibid., p. 65.

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    le processus d'invisibilité sociale »171. En effet, cette capacité peut être refusée ou effacée, « car le contexte dans lequel elle se développe ne la retient pas comme capacité compétente »172. L'ébranlement de cette capabilité peut sans doute avoir des incidences sur d'autres capabilités sous d'autres formes. A côté de la capacité de parler, il y a l'épreuve de la marginalisation.

    L'invisibilité sociale désigne aussi « le processus de marginalisation d'une vie progressivement effacée du socle commun des existences du fait qu'elle est une vie marginalisée »173. En outre, l'invisibilité sociale est une conséquence de la marginalisation et non une donnée immédiate de la vie ordinaire : Elle se comprend comme le « fait d'être marginal »174. Il existe pour les vies, « des régimes de semi-visibilité et de semi-invisibilité : une vie est visible sous certaines capabilités, invisible sous d'autres »175. En dernier ressort, il y a l'invisibilité sociale qui se cache dans « l'anonymat ». Celle-ci se comprend comme « le fait d'être sans qualités - absence revendiquée ou attribuée »176. Une vie fragilisée ou humiliée peut bien rester dans l'anonymat de son propre gré parce qu'elle se sent ou se considère inutile dans la société et par la société. Mais comment une vie humaine peut-elle se voir sans qualités ou alors se laisser attribuer de n'avoir aucune qualité ? Alors que nous savons bien que la qualité « humain » est donnée une fois pour toute. Si on enlève à une vie cette qualité, c'est la rendre vulnérable et précaire. Si une vie se cache dans l'anonymat, cela signifie qu'elle atteste elle-même son invisibilité et annule par conséquent sa qualité « d'humain » pour devenir une vie déshumanisée.

    En somme, l'invisibilité totale s'inscrit dans la négation de toutes les capabilités que peut avoir une personne et trouve son fondement dans la « déshumanisation » la plus grande qui est le fait de rendre une vie totalement inhumaine par la perte des qualités sociales. Ce sont ces qualités sociales qui donnent à la personne humaine la possibilité de prendre part à la vie de l'espace public. Selon Le Blanc, l'invisibilité n'a pas seulement pour origine l'absence ou le refus de perception d'une vie socialement fragilisée. Mais, elle procède aussi :

    D'une absence de participation à la qualité des oeuvres humaines qui équivaut à une « mort sociale » car une vie n'a alors la possibilité d'oeuvrer, ni pour autrui, ni pour soi : elle n'a plus la possibilité de prendre soin des

    171 Ibid., 6.

    172 Ibid., 65.

    173 Ibid., p. 6.

    174 Ibid.

    175 Ibid.

    176 Ibid.

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    capabilités des autres vies faisant oeuvre pour les autres, pas plus que prendre soin de ses propres capabilités dont certaines, à commencer par celles comme le travail qui conditionnent « les bases sociales pour le respect de soi-même et l'absence d'humiliation », partent progressivement en quenouille. Avec le travail ou le travail précaire, c'est la possibilité d'avoir « les moyens de travailler comme un être humain, en exerçant sa raison pratique et en entretenant des relations constructives de reconnaissance mutuelle avec les autres travailleurs » qui est abîmée et, la possibilité de développement d'une vie humaine177

    Pour l'auteur, l'invisibilité ne se limite pas en l'absence ou au refus de la perception d'une vie marginalisée. Elle peut aussi se référer à une action humanisante comme le travail qui ennoblit l'homme et lui permet de s'accomplir pleinement. Si une vie est mise au banc de touche, c'est-à-dire dans l'incapacité à pouvoir se mouvoir par le travail, une telle vie se sent inutile et deshumanisante. Car, le travail contribue à l'éclosion des relations de reconnaissance mutuelle entre les hommes ou les travailleurs. Ce qui fait que le « désoeuvrement » conduit à « la mort sociale » ou l'invisibilité.

    IV.2. Les capacités éthiques

    En parlant des capacités éthiques, Guillaume Le Blanc reprend la distinction faite par Paul Ricoeur à partir de la « phénoménologie de l'homme capable ». De cette distinction, il en résulte trois pouvoirs éthiques fondamentaux. Il s'agit : du « pouvoir de dire », du « pouvoir d'agir » et du « pouvoir de rassembler sa propre vie dans un récit intelligible et acceptable ». En effet, « la phénoménologie de l'homme capable » ne peut se comprendre qu'à partir du pouvoir ultime qu'est « l'imputabilité178, sous une forme réflexive propre à l'imputabilité qui prend l'allure d'un énoncé « Je crois que je peux » et qui implique la possibilité d'un retour sur

    177 Ibid., p. 64-65.

    178 Pour Ricoeur, « l'imputabilité est une capacité homogène à la série des pouvoirs et des non-pouvoirs qui définissent l'homme capable » (cf. Le Juste 2., cité par Le Blanc, L'invisibilité sociale, op.cit., p. 80). Dans la même optique, Le Blanc stipule que l'imputabilité est non seulement pensée comme une capacité supplémentaire mais elle semble même au-delà de toute capacité par le « saut qualitatif » qu'implique le travail éthique situé à la jonction des capacités et des incapacités » (Ibid.). Cette notion va jusqu'à rejoindre celle de la responsabilité morale, en ce sens que « l'autre homme », c'est-à-dire « autrui », que l'on est tenu responsable. Car, « l'idée de l'autrui vulnérable tend à remplacer celle de dommage commis dans la position d'objet de responsabilité. C'est d'un autre dont j'ai la charge confiée » (Voir : Parcours de la reconnaissance, II sur une phénoménologie de l'homme capable, p.176).

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    ses capacités »179. Il y a donc d'emblée un rapport entre l'homme capable, c'est-à-dire celui qui peut et celui qui ne peut pas, l'homme rendu incapable par l'invisibilité. Dans la mesure où « la fragilisation des capacités humaines ne s'effectue pas à contre-courant des capacités. C'est dire que les capacités, non seulement sont plurielles, mais aussi partielles, tant elles risquent d'être fragilisées de l'intérieur de leur déploiement du fait de la précarité ontologique de l'homme. Ainsi, les capacités de pouvoir dire, de pouvoir faire et de pouvoir (se) raconter doivent-elles être mises en rapport avec les incapacités linguistiques, pratiques et narratives qui leur correspondent ?»180.

    En réalité, la fragilisation des capacités humaines n'est pas l'émanation d'un phénomène naturel. C'est un fait culturel qui renvoie à l'institution humaine et aux inégalités que celle-ci peut engendrer181. Si une société ou une institution introduit des inégalités linguistiques dans son déploiement, cela impacte directement sur les capacités humaines. Car, « la distribution inégale des capacités linguistiques révèle, a contrario, que l'une « des toutes premières modalités de l'égalité des chances concerne l'égalité au plan du pouvoir parler, du pouvoir dire, expliquer, argumenter, débattre »182. Peut-on parler de la reconnaissance de soi ou d'autrui sans capacité linguistique ?

    A notre avis, la parole, l'action et le récit contribuent au renforcement de l'identité personnelle par l'insertion du soi dans la communauté humaine : « Se croire incapable de parler, c'est déjà être un infirme du langage, excommunié en quelque sorte »183. Si quelqu'un perd sa capacité linguistique surtout son pouvoir de dire, il devient un muet, un être méconnaissable, un homme placé « au ban de la société ». Parce que, « la parole prononcée par l'un est une parole adressée à l'autre ; de surcroît, il lui arrive de répondre à une interpellation venue d'autrui »184. La parole est un élément de la reconnaissance parce qu'elle noue une relation entre le destinateur et le destinataire. Elle constitue aussi la structure de base entre le locuteur et l'interlocuteur. D'après Le Blanc, l'incapacité linguistique s'explique par « le fait que « nul n'a la maîtrise du verbe » mais elle a pour origine proche la vulnérabilité sociale de celui qui est, en raison de sa position (laquelle, en son paroxysme, peut-être une non-position), privé de parole ou dont la voix n'est pas écoutée »185. Quelle que soit la position dont on occupe, si on

    179 Ibid., p. 81.

    180 Ibid., p. 82.

    181 Ibid.

    182 Ibid.

    183 Ricoeur, P., Le Juste 2, cité par Le Blanc, L'invisibilité sociale, op.cit., p. 83.

    184 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 158.

    185 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 83.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 55

    n'a pas la parole, si on est sans voix, on n'est rien. C'est pourquoi, la parole apparaît comme un facteur utile et relationnel. A côté de l'incapacité de parler existe l'incapacité d'agir.

    Quant à l'incapacité d'agir ou le « je peux faire », il appert que certaines incapacités naissent de la contingence ou de la finitude dont les causes sont : la maladie, le vieillissement, les infirmités186. Toutefois, d'autres incapacités trouvent leur origine dans la privation « du pouvoir d'agir » qui est « un effet de la précarité sociale ». C'est le cas de la précarisation de l'emploi et le développement du chômage dont évoque l'auteur cité plus haut : « La précarisation de l'emploi et le développement du chômage mettent en crise la puissance d'agir individuelle et accomplissent à leur tour les processus de déshumanisation comme symétriques de l'institution de l'humanité »187.

    Le dernier pouvoir éthique dans la phénoménologie de l'homme capable selon Ricoeur est le « pouvoir raconter et se raconter ». Ce pouvoir repose sur la question de l'identité personnelle en rapport avec l'acte de raconter. « Se raconter », sous la forme réflexive renvoie à l'identité narrative188. La puissance narrative se déploie dans la dialectique de l'identité du soi et de l'identité d'autrui. Car, le récit d'une histoire de vie personnelle se mêle toujours à celle des autres. Cependant, Ricoeur souligne que : « Nous ne devons pas perdre de vue la possibilité inverse, celle de l'impuissance à s'attribuer une identité quelconque, faute d'avoir acquis la maîtrise de ce que nous avons appelé identité narrative »189. Si nous n'avons pas la maîtrise de l'identité narrative, on ne peut qu'aboutir à une identité quelconque. Celle qui ne permet pas à l'homme de faire « l'histoire de sa propre histoire ». Autrement dit de « penser par soi-même ». Ce qui est mis à l'épreuve, c'est la fragilisation des capacités humaines et plus précisément l'autonomie qui voudrait que chacun « ose penser par soi-même » et non « un autre à ta place » d'où l'estime de soi comme un facteur de consolidation de soi et de l'humain dans le soi.

    Si les dénis de reconnaissance trouvent leur raison d'être dans le mépris d'une vie surtout moralement, les dénis de propriétés sociales sont engendrés à leur tour et « indirectement lorsque la grandeur sociale d'une vie est bafouée, du fait de la perte d'une propriété sociale majeure, au point qu'elle donne nécessairement lieu à une perte de reconnaissance »190. Il nous semble judicieux de relever la différence que fait Guillaume Le

    186 Ibid., p. 83-84.

    187 Ibid., p. 84.

    188 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 163.

    189 Ricoeur, P., cité par Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 84.

    190 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 109.

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    Blanc entre les dénis de reconnaissance et les dénis de propriétés sociales. Les dénis de reconnaissance impactent directement sur la grandeur morale d'une vie alors que les dénis de propriétés touchent ou privent une vie de sa visibilité dans son aspect social au point d'aboutir à la carence ou à la perte de la reconnaissance.

    Le manque de reconnaissance dans les presbyteriums peut alors se manifester par une sorte d'invisibilité qui se traduit par l'incapacité à « pouvoir dire », à « pouvoir agir » et à « pouvoir se raconter ». Parfois, certains membres perdent leurs capacités éthiques et leurs capabilités parce qu'ils ne savent plus les utiliser en vertu de leur position ou alors parce qu'ils sont privés d'une faculté telle que la parole ou alors la capacité d'action. Par conséquent, leurs voix ne sont plus écoutées. Si quelqu'un perd la parole, il se sent inutile socialement ou il se considère « un moins que « quelqu'un », comme une personne dont le titre de personne est contesté »191. Enlever ou contester à un être humain sa qualité de personne c'est lui refuser son humanité qui est conférée une fois pour toute. Un tel individu disqualifié dans ses capacités peut être qualifié de précaire ou de subalterne. Selon Le Blanc, « se sentir précaire, c'est se trouver dans un régime d'insécurité tel que toute vie se voit pour ainsi dire mise entre parenthèses »192. « Compter pour subalterne », sur le plan social, c'est être moins que rien, C'est être au banc de touche de la société par rapport à l'ensemble de la communauté.

    Dans le processus de formation de l'identité personnelle qui passe par les différentes formes de reconnaissance, les partenaires d'interaction peuvent faire des expériences diverses comme celles du déni de reconnaissance ou celles des injustices sociales dans leurs rapports entre eux. Mais leur désir étant d'être reconnu ou d'instaurer dans leurs relations un minimum de justice sociale, ces derniers sont obligés de s'engager à la lutte pour leur autoréalisation afin d'être confirmés comme des sujets « autonomes et individualisés ». Ce qui fait que, « la valeur de la reconnaissance, dans le cadre des luttes pour la reconnaissance ou des dénis de reconnaissance, ne peut alors être considérée comme une valeur en soi mais comme une valeur polémique »193. Dans la mesure où la lutte pour la reconnaissance déclenche le passage d'une forme de reconnaissance à une autre. Mais c'est aussi un moyen pour mettre fin au déni de reconnaissance et instaurer un ordre plus juste qui vise à la réalisation de soi par soi.

    Parvenu à la fin de ce second chapitre, il a été question d'identifier et d'analyser les différentes figures du mépris ou dénis de reconnaissance mis en relief par Axel Honneth à partir

    191 Ibid.

    192 Ibid.

    193 Ibid.

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    des formes de reconnaissance avec ses trois aspects de la relation pratique à soi-même qui sont : la confiance en soi, le respect de soi et l'estime de soi. Ces différentes relations pratiques à soi correspondent aux facettes des figures du mépris qui sont source de « la dissolution de la confiance en soi en tant que personnes dignes d'affection, à la perte du respect de soi comme membres d'une communauté d'égaux en droits, et à la perte de l'estime de soi comme sujets contribuant par leurs pratiques à la vie commune »194. Sur ce, avec Axel Honneth, nous avons relevé trois types de figures du mépris : La figure du mépris liée à la violence physique, la figure du mépris du déni du droit, la figure du mépris du déni de la solidarité sociale. A partir de ces typologies, nous avons déduit trois principales causes ou dénis de reconnaissance qui sont à l'origine des conflits moraux ou de la carence de reconnaissance mutuelle et authentique au sein des presbyteriums. Ces causes sont : la perte de la confiance en soi, la perte du respect de soi et la perte de l'estime de soi. A celles-ci s'ajoutent les dénis de propriétés sociales comme un autre type du déni qui participe à l'invisibilité sociale et à la perte de la reconnaissance. Dès lors que les partenaires d'interaction éprouvent le manque de reconnaissance à travers l'expérience négative de ces différentes figures du mépris ou dénis, ils sont amenés à s'engager dans la lutte pour la reconnaissance mutuelle dans le but d'une réalisation sans écueils de chacun dans sa singularité, son universalité et sa particularité pour une reconnaissance authentique. Mais c'est ce qui permet aussi de développer la relation pratique à soi-même dans le processus de formation de l'identité personnelle en ces différents degrés en tant qu'individu, personne et sujet. Car, « la référence à la reconnaissance est, chaque fois, introduite à partir de l'expérience éprouvée comme telle d'un déni de reconnaissance qui menace une identité sociale, culturelle ou personnelle »195.

    Si chaque fois qu'une offense, vécue comme une injustice, est infligée à un individu ou à un groupe au point d'en compromettre l'identité et, par suite, la viabilité, naît le besoin et la volonté de reconnaissance196. C'est dans cette optique que, dans les différents presbyteriums, pour que les membres parviennent à la reconnaissance mutuelle et authentique dans leurs relations mutuelles, il serait plausible de passer par l'expérience successive des formes de la reconnaissance de l'amour, du droit et de la solidarité afin qu'ils retrouvent en eux-mêmes la confiance en soi, le respect de soi et d'estime de soi. Et finalement pour qu'ils puissent se comprendre comme des sujets à la fois autonomes et individualisés. Pour nous, c'est ce qui

    194 Honneth, A., La société du mépris, op.cit., p. 21.

    195 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 102.

    196 Ibid., p. 100.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 58

    constitue l'apport de la théorie de la reconnaissance mutuelle dans la perspective de la résolution des conflits moraux au sein des presbyteriums.

    CHAPITRE III : L'APPORT DE LA THEORIE DE LA
    RECONNAISSANCE MUTUELLE CHEZ AXEL HONNETH DANS LA
    PERSPECTIVE DE LA RESOLUTION DES CONFLITS AU SEIN DES
    PRESBYTERIUMS AU CAMEROUN

    Dans le processus du développement de la formation de l'identité personnelle, l'homme moderne a besoin d'être reconnu et de se voir confirmer par les autres. C'est ce qui a sans doute modifié sa nouvelle conception de l'identité individuelle au point de faire dire à Charles Taylor : « L'importance de la reconnaissance a été modifiée et intensifiée par la nouvelle conception de l'identité individuelle qui apparaît à la fin du XVIIIème siècle. On pourrait parler d'une identité individualisée, particulière à ma personne et que je découvre en moi-même. Cette notion apparaît en même temps qu'un idéal : être fidèle à moi-même et à ma propre manière d'être... J'en parlerai comme d'un idéal d'authenticité »197.

    Aujourd'hui, la question de la reconnaissance est un « idéal d'authenticité » parce qu'elle se rapporte à « l'identité individualisée » où d'une part, l'on voit se dessiner le subjectivisme ou alors « la valeur de la certitude intérieure » avec Taylor. D'autre part, il se pointe à l'horizon « la culture démocratique » d'Axel Honneth qui s'est affirmée comme une culture subjective198. Mais où autrui est celui qui confirme la valeur de mon identité individuelle. En effet, avec la grammaire morale, le besoin de reconnaissance naît d'une situation du déni ou d'injustice lorsque les individus font l'expérience de la négation ou du

    197 Taylor, Ch., Multiculturalisme, Paris, Flammarion, 1994, (traduction française), p. 44.

    198 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 106.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 59

    mépris de la grandeur morale de leur vie ou alors lorsqu'ils voient que leur vie est socialement bafouée, marginalisée, dépourvue de toutes les capabilités de base et de toutes les capacités éthiques. C'est dans cette optique que s'inscrit la lutte pour la reconnaissance au sein des presbyteriums.

    Par ailleurs, ceux qui font face à des conflits moraux dus à la dissolution de la confiance en soi, à la perte du respect de soi et à la perte de l'estime de soi ou qui connaissent simplement l'épreuve des dénis de reconnaissance s'adonnent à la quête de leur identité en tant que sujets autonomes et individualisés pour une « vie bonne et réussie ». Une telle autoréalisation n'est possible qu'à partir d'une référence éthique à travers les différentes formes de la reconnaissance qui correspondent aux trois sphères de l'amour, du droit et de la solidarité199. Ce qui nous amène à la suite d'Axel Honneth à proposer les trois modèles de reconnaissance intersubjective sus-évoqués comme une voie pour retrouver la reconnaissance authentique au sein des presbyteriums.

    Dans ce dernier chapitre consacré à la recherche des solutions face aux conflits qui minent les presbyteriums, à la lumière de la théorie de la reconnaissance mutuelle, avec Axel Honneth, nous avons mis en lumière les différentes formes de reconnaissance : la confiance en soi, le respect de soi et l'estime de soi qui « créent ensemble les conditions sociales dans lesquelles les sujets humains peuvent parvenir à une attitude positive envers eux-mêmes »200 dont « la négation, partielle ou totale, est l'objet du déni de reconnaissance ». Face au déni, à l'offense ou au mépris, la demande de reconnaissance se veut « comme une grandeur morale se référant à une idée de la justice sociale selon laquelle toutes les vies méritent d'être pleinement vécues et d'être traitées comme des fins »201.

    Pour une vie bonne et réussie au sein des presbyteriums, pour que les membres se reconnaissent mutuellement comme des individus dans leurs besoins concrets, en tant que des personnes juridiques et les sujets dans leurs particularités individuelles, trois paradigmes intersubjectifs sont à observer pour l'autoréalisation personnelle de chacun. Il s'agit en premier lieu de l'amour, en second lieu du droit et en fin de la solidarité. Après nous essayerons d'ouvrir l'horizon pour voir si la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle telle que présentée par Axel Honneth est le seul et l'unique modèle de reconnaissance des sujets humains.

    199 Ibid., p. 147. Voir aussi La lutte pour la reconnaissance, chap. V.

    200 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 283.

    201 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 95.

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    I. L'amour comme expression de la confiance en soi

    Tout être humain a besoin de se sentir aimé pour s'autoréaliser. L'amour est donc la forme élémentaire et particulière de toute relation de reconnaissance. Grâce aux travaux du psychanalyste anglais Donald Winnicott sur la théorie de la relation d'objet, Honneth se déploie à comprendre comment l'enfant accède à un équilibre précaire entre autonomie et dépendance202qui constituera plus tard le nerf de l'amour et de la confiance en soi.

    D'après Winnicott, la première étape dans ce processus de reconnaissance est le « maintien » entre l'enfant et sa mère. C'est la phase de la sécurité et de l'affirmation individuelle de soi dont la caractéristique spécifique est l'autonomie. A cette phase, l'enfant ne sait rien faire sans sa mère. On dirait qu'il dépend totalement de son partenaire d'interaction qui lui octroie une assistance continuelle dans les premiers mois de son existence203 au point où celui-ci est « incapable de distinguer en termes cognitifs entre son entourage et lui-même »204.

    La seconde phase est donc celle de la « dépendance relative » comme nous l'avons déjà évoqué plus haut. A ce stade, Honneth perçoit la relation d'amour comme une « symbiose réfractée par l'individuation respective des partenaires »205. En effet, la relation d'amour se déploie d'être reconnue dans l'acceptation cognitive et l'indépendance de l'autre, qui repose dans le processus d'une confiance affective dans la permanence de l'attachement réciproque des deux partenaires206.

    Bien qu'il soit limité dans un cadre d'interaction, l'amour couvre le modèle des rapports érotiques, amicaux ou familiaux. En effet, la relation d'amour se limite dans un cadre restreint qui n'est pas étendue à volonté au-delà de l'entourage immédiat. Cependant, l'amour ne veut pas dire seulement satisfaction de l'appétit sexuel. Il doit se comprendre « comme un être soi-même dans un étranger »207. C'est-à-dire que « les relations affectives primaires supposent un équilibre précaire entre autonomie et dépendance »208. C'est à ce premier modèle de la reconnaissance intersubjective que « les sujets s'y confirment mutuellement dans leurs besoins concrets, donc comme des êtres nécessiteux »209.

    202 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 162.

    203 Ibid., p. 169.

    204 Ibid.

    205 Ibid., p. 182.

    206 Ibid.

    207 Hegel, G.W.F., System der Sittlichkeit, cité par Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, p. 162.

    208 Honneth, A., op.cit., p. 162.

    209 Ibid.

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    La dernière étape de la relation d'amour comme mode de reconnaissance est la « capacité à être seul ». A cette dernière phase qui consiste en la rupture du lien symbiotique avec sa mère, l'enfant veut se rassurer que celle-ci continuera à s'occuper de lui comme avant. Dès cet instant, l'enfant est en sécurité et il peut également être sûr avec lui-même. Par l'expérience intersubjective, l'amour ouvre l'individu à une certaine sécurité émotionnelle qu'est la confiance en soi. Ce qui fait que quand l'enfant « est sûr de l'amour maternel, il acquiert une confiance en lui-même qui lui permet de rester seul sans inquiétude »210.

    De ce fait, la confiance en soi devient le support élémentaire de toute autoréalisation parce qu'elle permet à l'individu d'acquérir sa liberté intérieure auquel cas il ne parviendrait pas à la formulation de ses propres besoins. Par ailleurs, la confiance représente l'expérience de l'amour comme le noyau central de toutes les formes de vie qu'on peut qualifier d'« éthiques ». En effet, c'est dans l'expérience de l'amour que se tisse involontairement la relation pratique de l'individu avec d'autres. Au fond, toute relation d'amour est conditionnée par un sentiment individuellement incontrôlable de sympathie et d'attraction entre parent et enfant, ainsi qu'entre amis ou amants211. L'amour est un élément fondamental et constitutif de la reconnaissance en ce sens que l'autre tire de l'affection qu'on lui porte l'acceptation de son autonomie. Pour Honneth et Hegel, l'amour est le noyau structurel de toute vie éthique. En outre, « la capacité d'être seul » est la condition nécessaire de toute créativité, infantile ou adulte.

    Car :

    La vie est tout autant possibilité de faire oeuvre que désir de reconnaissance, sentiment de compter dans le récit de l'humanité par les actes que l'on fait, par les oeuvres produites, qu'attente normative du verdict de l'autre. La vie désoeuvrée est alors le revers de cette promesse d'oeuvre que la créativité des vies ordinaires induit, et ce désoeuvrement est susceptible de pathologies de la reconnaissance mais qui ont aussi une portée propre212

    De cette assertion, il en ressort que Guillaume Le Blanc remet en relief le rapport entre créativité et reconnaissance. Ce lien est soulevé en premier dans La Lutte pour la reconnaissance par Honneth. De prime abord, il signale que cette question n'est pas dans ses

    210 Ibid., p. 177.

    211 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 182.

    212 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 118.

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    préoccupations même si, avec celle-ci : « On pourrait tirer de là de vastes aperçus sur le lien entre créativité et reconnaissance, mais cette question ne nous intéresse pas directement ici. »213.

    A contrario, la relation entre créativité et reconnaissance retient l'attention de Guillaume Le Blanc. Dans la mesure où, il voit la vie comme une « mise en oeuvre » qu'une simple reconnaissance. Ce qui fait pour lui d'une vie désoeuvrée un désastre et une « folie ». Car, « la folie est l'« absence de l'oeuvre »214. C'est aussi à travers l'oeuvre que l'homme est reconnu par les autres et parvient même à inscrire son nom sur le panthéon historique de l'humanité. Une vie désoeuvrée ne peut être que le revers de cette promesse d'oeuvre : « Ce désoeuvrement est susceptible de pathologies qui peuvent être partiellement des pathologies de la reconnaissance »215. Si une vie sans travail est une vie pathologique, le travail apparaît comme une sorte de « mise en oeuvre » selon Le Blanc.

    I.1. Le travail comme une mise en oeuvre

    D'après Le Blanc, le travail est l'institution fondamentale parmi les institutions de l'humain216. Par le travail, l'homme s'affirme et s'humanise. Car, d'une part ceci lui permet de gagner sa vie. Sans doute, c'est dans cette optique que Voltaire disait le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin. D'autre part, parce qu'il est : « l'un des modes privilégiés de participation au monde des autres et à l'histoire des autres se voit pour ainsi dire mis à l'oeuvre »217. En d'autres termes, par le travail l'homme participe à l'action créatrice qui lui donne une visibilité dans le monde et par le monde.

    Pour approfondir son investigation sur la question, Le Blanc fait appel à Hannah Arendt qui, à son tour distingue les logiques du travail et de l'oeuvre. Pour elle, le travail doit être pensé comme une mise en oeuvre qui intervient sur trois registres différents. Le premier registre renvoie à la création d'un bien matériel ou immatériel218. Ce premier niveau est caractérisé par la distance entre le producteur et son oeuvre. Le second registre vise à mettre en exergue les différentes règles qui portent le travail en tant qu'activité et concourent à l'éclosion de celui-ci. Le troisième registre enfin concerne la transformation du patrimoine de l'humanité dans lequel

    213 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 176.

    214 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 24.

    215 Ibid., p. 118.

    216 Ibid., p. 24.

    217 Ibid.

    218 Ibid., p. 24.

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    il s'inscrit219. En effet, le contraire d'une vie en activité est le désoeuvrement. Le désoeuvrement est donc selon Le Blanc, « l'inactivité d'une vie dont l'inemploi se révèle dans le désengagement à l'égard des tâches anodines qui règlent le cours d'une vie »220.

    Une vie désoeuvrée n'annule pas totalement la valeur, la qualité de son autoréalisation. Cependant, cela peut signifier que la vie « mise en oeuvre » ne va pas toujours de soi. Car, l'invalidation d'une vie a valeur d'effacement de la possibilité de l'oeuvre dans la mesure où celle-ci est caractérisée par l'expérience négative voire inutile qui la place au ban de l'humanité221. En réalité, le travail ne déborde pas le désir de reconnaissance mais il peut quand même le modifier.

    Le premier mode de reconnaissance mutuelle est la relation d'amour. Il ne s'agit pas ici de l'amour évangélique mais plutôt de l'élément de l'éthicité 222qui participe dans le processus de la formation individuelle vers « l'ethicité elle-même ». En parlant de la sphère de l'amour, Hegel prend l'exemple de la famille pour illustrer celle-ci. Il voit en la famille « un espace intérieur rendu intime, soustrait aux contraintes externes »223. Selon lui, Ce qui fait de la famille, un moment de l'ethicité, « c'est le fait que la satisfaction naturelle des besoins s'accomplisse ici sous la forme de l'amour réciproque, c'est-à-dire sous la forme d'une interaction qui se produit dans la « sensation » de « mon unité avec l'autre et de l'unité de l'autre avec moi »224. De cette affirmation, il en ressort que l'amour est une relation de réciprocité, d'interaction ou d'unité entre l'autre et moi. Aimer une autre personne « c'est se comporter relativement à elle avec la conscience de ce que « je sentirais défectueux et incomplet » sans elle »225. Aimer c'est donc compléter à l'autre ce qui lui manque et se compléter soi-même.

    L'amour est l'acte de l'accomplissement de soi et d'autrui. Avoir la conscience que le moi sans autrui ou l'autre sans moi ne mène nulle part suscite la confiance entre les partenaires d'interaction et la communauté. Dans la mesure où « si, dans la famille, chacun se sentirait incomplet sans l'autre, cela signifie, exprimé positivement, que le sujet accède dans cette forme d'interaction à une sorte d'autoaccomplissement en « se gagnant » lui-même « dans l'autre

    219 Ibid.

    220 Ibid., p. 4.

    221 Ibid., p. 5.

    222 « Par le concept « d'éthicité », nous désignons l'ensemble des conditions intersubjectives dont on peut prouver qu'elles constituent les présupposés nécessaires de la réalisation individuelle de soi. » (Voir, Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 289).

    223 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, op.cit., p. 106.

    224 Ibid., p. 107.

    225 Ibid.

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    personne »226. C'est ce qui fait de l'amour, « une forme de « sentiments », un savoir commun de ce que, l'un sans l'autre, « nous » ne serions que des sujets incomplets, et donc de ce que nous nous appartenons en tant qu' « unité »227.

    Pour Hegel, la famille est aussi le lieu de la formation et de l'apprentissage. C'est en son sein que les membres apprennent « à considérer l'autre comme un individu irremplaçable »228. Si les membres de la famille sont réciproquement conscients de l'amour qu'ils éprouvent les uns pour les autres donc du caractère indélébile ou irremplaçable, cela doit être perçu dans les comportements. Car, ces comportements possèdent un caractère moral autant qu'ils contiennent une forme déterminée de la prise en considération229. Si l'un vaut comme irremplaçable pour l'autre, c'est en vue de l'entraide mutuelle. C'est pourquoi, Hegel pense que l'entraide, le soin et l'assistance constituent intérieurement des pratiques d'obligations et de droits déterminés au sein desquels une forme de reconnaissance réciproque accède à l'expression230 : « Si, dans notre agir intersubjectif, nous suivons les normes morales adéquates, alors nous nous reconnaissons par-là réciproquement comme des sujets qui sont les uns pour les autres d'une valeur unique, parce que, sans l'autre, nous nous sentirions comme « défectueux et incomplets »231. Grâce à des normes morales, les sujets peuvent se comprendre mutuellement et se confirmer comme des valeurs en vue de leur autoréalisation. La réalisation de soi passe par la confirmation de l'autre. C'est ce qui fait que le soi considère l'autre comme un « individu irremplaçable ». Cela n'est possible que dans la relation d'amour.

    Si la théorie de reconnaissance vise une société juste232 telle que Honneth l'envisage dans son modèle théorique avec les modes de reconnaissance intersubjective : l'amour, le droit et la solidarité. Pour lui, ces trois modes « pris ensemble » renvoient à la notion de justice sociale : « les trois principes institutionnalisés de l'amour, de l'égalité et du mérité [...], pris

    226 Ibid., p. 109.

    227 Ibid., p. 107.

    228 Redding, Paul., cité par Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, op.cit., p. 107.

    229 Ibid., p. 108.

    230 Ibid., p. 109.

    231 Ibid.

    232 « D'après le modèle théorique de la reconnaissance, est juste une société structurée de manière à garantir à l'ensemble de ses membres la chance de se réaliser sur les trois plans de leurs besoins affectifs, de leurs droits et de leurs contributions à la vie sociale. » (Voir Honneth, A., cité par Louis Carré, Le droit de la reconnaissance, op.cit., pp. 59-60). Pour rendre plus explicite la notion de juste, il la définit à l'opposé : « A l'inverse, peut être dit injuste un ordre social où les possibilités d'être reconnu dans ces différents se trouvent systématiquement bloquées ou entravées. » (Voir, Louis Carré, op.cit., p. 60).

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    ensemble, déterminent ce qu'aujourd'hui, nous devons comprendre sous le terme de justice sociale »233.

    Selon Louis Carré, le premier de ces principes de justice repose sur le postulat selon lequel « qu'à chaque individu humain soient pourvus les soins et les attentions nécessaires à la formation et au maintien de son identité affective »234. Quant au second principe, il est lié au fait que les personnes qui forment la communauté juridique soient traitées équitablement du point de vue de leurs capacités rationnelles à se prononcer sur l'ensemble des affaires qui les concernent 235. Le dernier principe ou le troisième vise à ce que dans la communauté des valeurs, les membres puissent voir leurs qualités et capacités être reconnues à leur juste valeur.

    Pour un ordre social juste et pour une « vie éthique démocratique » à l'opposé d'une société de mépris, dans chaque presbyterium, les membres sont appelés à faire l'expérience de l'amour, Ceci n'est possible que dans les rapports de relations de reconnaissance à soi et aux autres. Si par extension, le presbyterium désigne une famille dont les membres sont réunis autour de leur évêque, la relation d'amour apparaît comme un fondement sans lequel son existence serait fébrile. Car, c'est au sein de la famille que les membres apprennent à se reconnaître, à s'aimer, à se faire confiance, à se respecter et à se considérer comme des « individus irremplaçables » et ceux-là qui se complètent mutuellement, tenus à s'entraider, à s'assister et à se prendre soin les uns pour les autres.

    La relation de reconnaissance de l'amour se manifeste comme la première étape à affranchir dans le cadre de la quête pour la reconnaissance mutuelle entre les membres d'un même presbyterium. Pour ce faire, chaque partenaire d'interaction doit se sentir autonome et dépendant dans un équilibre entre l'intégration et la démarcation. Autonomie et dépendance se complètent surtout dans la relation d'amour dans la mesure où elles contribuent à la réalisation de soi et à l'épanouissement des autres sujets. L'amour est donc le premier degré de la reconnaissance réciproque et de l'autoréalisation individuelle. C'est à ce niveau que nous comprenons que dans la relation d'amour, tout partenaire d'interaction est autonome mais toujours unis à l'autre ou à d'autres parce qu'ils se reconnaissent, se comprennent, se portent attention les uns aux autres afin qu'ils se sentent à l'aise dans leur particularité individuelle.

    233 Honneth, A., cité par Carré, Louis. Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 61.

    234 Ibid.

    235 Ibid.

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    Par ailleurs, dans la relation d'amour, il y a aussi la « capacité à être seul » qui donne à l'individu la confiance en soi et ce sans quoi personne ne peut participer de manière autonome à la vie publique. La confiance en soi apparaît comme un élément fondamental dans la vie des membres des presbyteriums. Il arrive parfois que ce premier degré de reconnaissance réciproque qu'est l'amour soit foiré dans les relations entre les membres d'un même et seul presbyterium : entre les prêtres et les évêques mais aussi les prêtres entre eux à cause de la dissolution de la confiance en soi et aux autres. Pour illustrer cela, Monseigneur Gérard Daucourt, évêque émérite de Nanterre déplore le fait que certains évêques ne savent pas entretenir les relations avec leurs prêtres.

    A ce propos, il affirme :

    Pour confier le ministère épiscopal à un prêtre, le premier critère devrait être l'aptitude à la relation en particulier avec ses confrères prêtres. Des prêtres, grands spirituels ou grands théologiens, voire bons managers, sont parfois appelés mais pour diverses raisons ne savent pas entretenir les relations de fraternité-paternité avec leurs prêtres. Certains sont trop timides, d'autres se prennent pour des Seigneurs ou se comportent seulement en administrateurs. Ils sont souvent malheureux et ne rendent pas les autres heureux. Il peut alors se créer des situations de blocage qui nuisent gravement à l'évangélisation et qui peuvent durer car les nonces et la Congrégation des évêques reconnaissent très rarement s'être trompés après avoir présenté au pape un prêtre pour l'épiscopat236.

    Pour Monseigneur Gérard, le lot quotidien d'un candidat à l'épiscopal ou d'un évêque est sa capacité de relation avec les autres et d'abord avec ses confrères prêtres. Le premier critère du choix d'un évêque ne devait donc pas être la science, la spiritualité ou le management mais la capacité de relations surtout la relation de reconnaissance d'amour. Par le fait que les évêques sont liés avec leurs prêtres par une confiance affective, ils sont appelés à les reconnaître comme des frères. Quant aux prêtres, attachés à leurs évêques par une sorte de symbiose réfractée marquée par la démarcation réciproque les uns pour les autres, ils sont aussi appelés à reconnaître leurs évêques comme leur père et leur ami d'où « les relations de fraternité-paternité ». Si les évêques ne font pas confiance à leurs prêtres et vice-versa, comment entretiendront-ils de bonnes relations ? Comment parviendront-ils à la reconnaissance

    236 Daucourt, G., Prêtres en morceaux, op.cit., p. 53.

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    authentique et réciproque au sein de leurs presbyteriums ? En cas d'absence de reconnaissance, la confiance en soi et aux autres est diminuée ou dissoute. De telles expériences peuvent aboutir à des situations de désapprobation, d'atteinte à l'intégrité physique, sociale ou à la dignité donc aux dénis de reconnaissance ou au mépris. Lorsqu'un individu est privé d'approbation, il est comme n'existant pas, se sentant comme regardé de haut, voire tenu pour rien237. Ce genre d'individu est considéré sur le plan social comme « un mort » parce qu'il se sent inutile, invisible et sans considération aux yeux des autres. Alors que celui qui est aimé, se sent épanoui et considéré au sein de la communauté.

    C'est à partir de la relation d'amour que se construit progressivement et successivement des relations de reconnaissance mutuelle ou des relations d'intégration sociale entre les différents partenaires d'interaction. Ce qui nous fait dire que l'amour comme expression de la confiance en soi est le fil conducteur et le point de départ de l'intégrité personnelle dans la perspective de la quête pour la reconnaissance mutuelle au sein des presbyteriums. Hegel résume ce premier modèle de reconnaissance intersubjective en ces termes : « L'amour désigne la conscience de l'unité que je forme avec quelqu'un d'autre, de telle sorte que je ne sois pas isolé pour moi, mais qu'il ne me soit possible d'acquérir la conscience de moi que par la suppression de mon être-pour-soi et par la connaissance de moi-même comme d'une unité que je forme avec l'autre et que l'autre forme avec moi »238.

    L'amour favorise la proximité et l'unité entre les hommes. C'est dans un élan d'amour et d'unité que les membres des presbyteriums parviendront à établir des rapports « harmonieux et épanouissant à soi et aux autres, dans des relations de reconnaissance réconciliées »239vers une « vie éthique démocratique » et réussie dans un esprit de respect de soi et des autres.

    II. Le droit comme source du respect de soi

    D'après Honneth, le droit est le deuxième modèle de reconnaissance intersubjective. Il apparaît comme un autre pilier à côté de la relation de reconnaissance d'amour dans la perspective de résolution des conflits moraux au sein des presbyteriums. Le droit intervient là où la relation singulière d'amour s'arrête. Toutefois, la relation de reconnaissance juridique reste ancrer dans la relation élémentaire avec l'individu. Par le fait qu'elle joue un rôle

    237 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 300.

    238 Hegel, G. W. F., Principes de la philosophie du droit, Paris, GF Flammarion, trad. française par Jean-Louis Vieillard-Baron, p. 230.

    239 Hunyadi, Mark., (sous dir.), De la reconnaissance à la liberté : Axel Honneth est-il encore Francfortois ? », in Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, op.cit., p. 7-11.

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    important de protection de celui-ci dans la sphère primaire : « Les modèles de reconnaissance juridique pénètrent dans la sphère interne des relations primaires, parce que l'individu doit être protégé contre le danger d'une violence physique dont la possibilité est structurellement inscrite dans l'équilibre précaire de tout lien émotionnel »240. Ce qui fait de la lutte pour la reconnaissance une lutte dynamique dans le processus de la reconnaissance mutuelle.

    Par ailleurs, la notion du droit chez Honneth ne se limite pas seulement dans le cadre juridique mais il touche à la fois l'aspect subjectif et objectif de la liberté humaine. Car « il n'y a pas d'effectuation véritable de la « liberté subjective » des individus en dehors de la « liberté objective » sédimentée dans les institutions et les pratiques sociales auxquelles ils prennent part »241.

    A cette sphère, les sujets peuvent se comprendre véritablement comme des personnes qui partagent avec les autres membres de la communauté la capacité à participer à la formation d'une volonté discursive242 et à se prononcer rationnellement et de façon autonome sur des questions morales243. Ici, la personne se rapporte de manière positive à soi-même. C'est donc là où « le respect de soi » intervient. Dès lors, « On peut considérer que le respect de soi est à la relation juridique ce que la confiance en soi est à l'amour »244. En effet, ce sont des droits légaux qui permettent à l'être humain de prendre conscience qu'il peut se respecter lui-même et se voir respecter par les autres. Dans ce cas, la responsabilité morale comme « capacité à répondre de soi-même » entre en jeu. Parce que cette responsabilité « en tant que capacité à répondre de soi-même est inséparable de la responsabilité en tant que capacité à participer à une discussion raisonnable »245. La responsabilité morale est donc le noyau central du respect de soi dans le processus de la reconnaissance mutuelle.

    Quant au respect, il peut être perçu comme une sorte de commerce entre les hommes. Par le fait qu'il ne s'adresse guère aux choses, mais « toujours seulement à des personnes »246. Respecter l'autre, c'est le reconnaître comme son partenaire d'interaction ou alors comme son égal et son semblable : « Le respect n'est alors rien d'autre que la reformulation morale, c'est-

    240 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 297.

    241 Carré, L., Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 117.

    242 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 204-205.

    243 Ibid., p. 194.

    244 Ibid., p. 201.

    245 Honneth, A., cité par Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance, Trois études, op.cit., p. 313.

    246 Foessel, M. et Lamouche, F., Kant, Paris, dans la collection « Points Essais » série « Bibliothèque », 2010, p. 156.

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    à-dire la reformalisation, de l'égalité première donnée dans le commerce des égaux »247. Tous les hommes naissent libres et égaux, par conséquent, ils sont appelés à se respecter. Le respect vise ici à considérer la personne humaine comme une « fin en soi » et jamais comme un « moyen ». Ce type de respect relève de la responsabilité morale et repose à son tour sur l'idée d'un accord rationnel entre individus égaux en droits. Selon Honneth, il existe deux types de respect. Le premier est inhérent au « droit » ou respect moral alors que le second se rapporte à la « communauté des valeurs » ou à l'estime sociale. Dans le premier cas, un homme est respecté dans certaines de ses qualités. Celles-ci ont un caractère universel. Dans le second cas, ce qui est mis en évidence ce sont des qualités particulières des individus qui les distinguent des autres personnes.

    Pour Le Blanc, « le respect de l'autre, comme un autre ego égal à moi, est alors adossé à une structure de reconnaissance qui le rend possible »248. Selon lui, si le respect entre les humains se limite du point de vue de l'égalité, des choses peuvent mal se passer. Car :

    Cette forme de respect risque de masquer les dénis de méconnaissance et de reconnaissance qui peuvent manquer de s'exercer dans la vie ordinaire. [...]. Il suffit que l'autre apparaisse d'une tout autre manière pour rendre l'opération de respect délicate. Ainsi, le respect de l'autre, s'il est seulement articulé à la possibilité d'une bonne entente entre des êtres égaux, est du même coup exposé au risque du malentendu, lequel ne repose pas tant sur l'expérience de la discorde sociale ou symbolique que sur l'épreuve de la confusion des signes sociaux d'appartenance à une même classe. Le respect des égaux marque alors la fermeture des frontières du respectable à tout ce qui, socialement, est éprouvé comme différent. Si le respect ne s'exerce qu'à l'endroit de celui dans lequel il est possible socialement de se reconnaître, il risque de s'échanger en son contraire et, de forme universelle, de s'aliéner en un sentiment moral de classe qui achève le processus de distinction249

    Pour Guillaume Le Blanc, le respect ne saurait se borner sur une bonne entente entre les égaux. Sinon celui-ci devient masquer et hypothétique. Cette forme de respect ressemble à un arrangement. Il suffit un changement de statut de l'un des partenaires d'interaction pour ne plus parler de respect mais plutôt des malentendus voire des discordes. C'est la raison pour laquelle,

    247 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 87.

    248 Ibid.

    249 Ibid.

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    Le Blanc pense que « le respect doit se porter hors de la sphère des ego égaux et s'envisager plus radicalement comme sentiment moral mettant en relation des ego situés eux-mêmes dans des relations dissymétriques »250.

    Si le respect de soi ou d'autrui est encadré par la grammaire morale qui régit les relations de reconnaissance intersubjective d'une part, d'autre part, il existe le respect à l'égard de soi ou d'autrui, vu sous l'angle de la vie sociale. A partir de ces deux prémisses, Le Blanc fait une distinction entre le respect dû à la reconnaissance et le respect dû à la décence251. Pour lui, le respect de la reconnaissance relève avant tout de « l'éthicisation de la vie sociale »252 et se situe au niveau interpersonnel alors que le respect de la décence s'origine « dans une perspective qui s'efforce de resocialiser l'éthique en la considérant de l'intérieur de l'épaisseur même des relations sociales »253.

    D'après cette distinction, il appert qu'il n'y a pas d'opposition entre ces deux types de respect dont le rôle est de mettre en évidence la visibilité sociale tant sur le plan interpersonnel qu'impersonnel. Un tel rapport ne peut être pensé qu'à partir de l'invisibilité sociale. Car : « Elle n'atteint son niveau maximal que pour autant que les dénis de reconnaissance, du fait même de la non-perception de l'autre ou d'une perception biaisée qu'ils autorisent, se renforcent dans l'expérience sociale de l'humiliation engendrée par un type de société, la société indécente. S'il y a invisibilité sociale relative dans les dénis de reconnaissance de la personne méprisée, il y a invisibilité sociale absolue dans les cas où ces dénis de reconnaissance se développent à l'intérieur de sociétés humiliantes »254.

    L'invisibilité sociale est engendrée par le déni de reconnaissance ou par le mépris de la valeur morale d'une vie. Cette invisibilité peut être galopante au niveau de la société au point de rendre cette société indécente où le respect dû à la reconnaissance et le respect dû à la décence sont tronqués ou absents dans une société juste.

    250 Ibid.

    251 Ibid. Le concept de « décence » vient du latin « dicere » qui signifie « convenir ». D'après le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse de 1876 cité par Guillaume Le Blanc, « la décence désigne l'honnêteté extérieure, la bienséance qu'il est requis d'observer quant aux lieux, aux temps et aux personnes » (Voir l'invisibilité sociale, p. 156). Le Blanc ajoute que « la décence n'est pas seulement ce qui règle la forme extérieure des conduites humaines mais ce qui en vient à régler le mode d'apparition des conduites humaines dans la vie sociale [...]. Je propose de nommer « décence » ce sans quoi l'attestation de soi, à la base d'une reconnaissance de soi et des autres révélée dans le jeu des sentiments moraux, est brouillée ou indisponible ».

    252 Ibid., p. 155.

    253 Ibid.

    254 Ibid., p. 156.

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    En outre, Chez Axel Honneth, le droit est lié à la conception moderne et à l'évolution historique des sociétés occidentales. Ce qui place la personne humaine au centre de la relation juridique en tant que sujet porteur de droits. En tant que porteur de droits, l'être humain doit toujours se rappeler que les autres sont aussi des sujets porteurs de droits. Dans cette réciprocité, l'alter et l'égo se respectent mutuellement comme moralement responsables et en tant que sujets autonomes et individualisés. Ce sont des droits fondamentaux universels qui soutiennent le caractère spécifique de la forme du respect de soi. Ici, les personnes apprennent à s'envisager eux-mêmes à partir d'un autrui approbateur en tant que des êtres dotés de qualités et capacités positives255.

    En plus de l'amour, le droit apparaît comme la seconde marche qui mène vers la reconnaissance mutuelle et authentique dans ses trois registres. Parce qu'il permet la reconnaissance de soi et celle de « l'autrui généralisé ». En d'autres termes, le droit favorise l'individuation et la socialisation entre les partenaires d'interaction au sein d'une même communauté. Ce qui implique la participation de chaque sujet en tant que membre à part entière de la communauté ou du presbyterium à la formation de son identité personnelle pour « une vie bonne et réussie ». A l'amour et au droit s'ajoutent une autre forme de la reconnaissance : la solidarité comme expression de la réalisation de soi et la dernière étape à franchir dans le processus de la résolution des conflits au sein des presbyteriums.

    III. La solidarité comme noyau structurel de l'estime de soi.

    L'amour et le droit sont des conditions formelles pour une vie éthique dans la perspective de la résolution des conflits dans les presbyteriums en vue de l'autoréalisation individuelle et de la reconnaissance authentique entre les différents membres. La coexistence entre l'amour et le droit ouvre la voie à la solidarité. Quant à la solidarité, elle est l'étape culminante de cette autoréalisation de l'identité individuelle des sujets dans l'optique d'une « vie bonne et réussie ». Par conséquent, la solidarité est ce sans quoi la reconnaissance ou l'acte de reconnaissance au sein des presbyteriums ne saurait être possible. L'idée de solidarité renvoie à « une sorte de relation d'interaction dans laquelle les sujets s'intéressent à l'itinéraire personnel de leur vis-à-vis, parce qu'ils ont établi entre eux des liens d'estime symétrique »256.

    Pour parvenir à établir une relation ininterrompue avec eux-mêmes, les sujets ont besoin de faire l'expérience d'une reconnaissance juridique, de jouir d'une estime sociale qui leur

    255 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 290.

    256 Ibid., p. 218.

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    permet de rapporter positivement à leurs qualités et à leurs capacités concrètes. La spécificité de cette troisième relation de reconnaissance est la présupposition de l'existence d'un horizon de valeurs communs aux partenaires d'interaction.

    Toutefois, les rapports de l'estime sociale entre les personnes individualisées ne sont possibles que lorsqu'ils se réfèrent aux mêmes valeurs et aux mêmes fins et chacune doit mesurer l'importance de ses qualités personnelles pour la vie de l'autre257. L'estime de soi est le sentiment de sa propre valeur. S'estimer signifie s'envisager réciproquement grâce à des valeurs qui donnent aux qualités et aux capacités de l'autre une signification dans la pratique commune. La solidarité est véritablement le sentiment de sympathie pour la particularité individuelle de l'autre personne.

    Au fond, c'est en tant que partenaire d'interaction que je prends en considération les qualités propres des autres qui ne sont pas les miennes afin d'aboutir à un développement et à la réalisation des mêmes fins. Chaque membre de la société qui s'estime lui-même comme une valeur ou une fin en soi fait l'expérience de la solidarité sociale. Par ailleurs, dans les sociétés modernes, la solidarité est conditionnée par des relations d'estime symétrique entre les sujets individualisés et autonomes.

    De même, la considération sociale des sujets se rapportent à la contribution qu'ils apportent sous forme particulière d'autoréalisation au projet global de l'ensemble de la société. Car chacun se déploie à reconnaître l'importance des capacités et des qualités de l'autre. Les capacités développées par chaque sujet au cours de son histoire personnelle rythment l'estime sociale. La conséquence de tout cela est que les valeurs sociales s'ouvrent aux différents modes de réalisation de soi de la personne humaine tout en offrant un système global d'appréciation des contributions particulières258. Les rapports d'estime sociale sont un véritable enjeu d'une lutte permanente dans les sociétés modernes. Dans la mesure où les groupes s'efforcent sur le plan symbolique de valoriser les capacités liées à leur mode de vie particulier et à démontrer leur importance pour les fins communes259.

    La relation pratique à soi-même que l'estime sociale apporte aux individus entraîne la transformation de cette relation que les sujets instaurent eux-mêmes. Car, le respect lié à des prestations relève de l'individu et non du groupe. Ce qui fait que l'expérience de l'estime sociale

    257 Ibid., p. 206.

    258 Ibid., p. 214.

    259 Ibid., p. 216.

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    s'accompagne toujours d'un sentiment de confiance par rapport aux prestations qu'on assure ou aux capacités qu'on possède parce que celles-ci ne sont pas sans valeur aux yeux des autres membres de la société260.

    Si pour Paul Ricoeur, le concept d'estime sociale est différent de celui du respect de soi, comme celui-ci l'a été du concept de confiance en soi sur le plan affectif, son rôle est donc de résumer toutes les modalités de la reconnaissance mutuelle qui excède la simple reconnaissance de l'égalité des droits entre les sujets libres261. Ce qui veut dire que c'est dans la relation de reconnaissance de solidarité que s'effectue pleinement l'autoréalisation de l'identité personnelle des individus pour une vie bonne : « de la confiance en soi à l'estime de soi en passant par le respect de soi, ce sont bien les différentes formes de relations sociales qui se trouvent parcourues ainsi que les formes de reconnaissance qui leur correspondent et sont mises en jeu dans les trois sphères de l'amour, du droit et de la solidarité »262.

    Avec la solidarité s'inaugure une nouvelle ère de relation entre les humains basée sur un horizon de valeur dans lequel la concurrence est possible grâce à l'estime symétrique sans pour autant conduire aux luttes agonisantes ni même aboutir à des expériences de mépris. Tout compte fait, pour une vie réussie ou pour une reconnaissance authentique au sein des presbyteriums, elle passera nécessairement par les principes de justice qui correspondent aux trois formes de reconnaissance263 qui sont l'amour, le droit et la solidarité.

    En effet, d'après Louis Carré, comme nous l'avons déjà relevé plus haut, « le premier de ces principes de justice implique qu'à chaque individu humain soient pourvus les soins et les attentions nécessaires à la formation et au maintien de son identité affective »264. Ce premier principe renvoie à l'amour qui est le noyau élémentaire de toute la réalisation de soi et le siège de la confiance en soi dont a besoin chaque individu pour la formation et l'équilibre de son identité personnelle. Le second principe est compris comme une obligation selon laquelle tous ceux qui forment une même communauté doivent être traitées équitablement du point de vue de leurs capacités rationnelles à se prononcer sur des affaires qui les concernent265. Il s'agit là de la liberté sociale des personnes humaines qui leur permet de se comprendre et de participer à la vie publique comme des égaux et des membres à part entière de cette communauté jouissant

    260 Ibid., p. 219.

    261 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études. op.cit., p. 315.

    262 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 147.

    263 Carré, L., Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 61.

    264 Ibid.

    265 Ibid.

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    des droits et des obligations. Quant au troisième principe, il stipule que « les membres d'une même communauté puissent légitimement s'attendre à ce que leurs contributions individuelles soient reconnues à leur juste valeur »266. Ce dernier correspond à l'estime de soi qui peut être considérée comme « la reconnaissance la plus normative » des formes de reconnaissance mutuelle et authentique.

    De la carence en reconnaissance à la reconnaissance mutuelle et authentique au sein des presbyteriums, d'abord, les membres auront besoin d'être reconnus comme des individus dans leurs « affects concrets comme des êtres nécessiteux ». Pour ce faire, ils auront besoin d'être aimés et d'être reconnus par des autres comme « des individus irremplaçables ». Ensuite, ces membres voudraient se voir confirmer comme des personnes autonomes et individualisées dans leurs droits et obligations au sein de leur communauté d'appartenance. Enfin, ces derniers s'attendraient à être reconnus et appréciés à leur juste valeur comme des sujets qui partagent les mêmes fins communes à partir de leurs contributions individuelles. Ce qui fait que la réalisation de soi pour une vie bonne et réussie s'inscrit dans l'expérience de l'amour qui donne accès à la confiance en soi mais aussi dans l'expérience de la reconnaissance juridique qui s'ouvre au respect de soi et à l'expérience de la solidarité donc à l'estime de soi. Si pour Honneth, la reconnaissance authentique passe par la reconnaissance de soi par autrui, on peut bien se demander si la reconnaissance « de soi par soi » est le seul et l'unique modèle de reconnaissance des sujets humains d'où d'autres paradigmes de reconnaissance à l'exemple de la reconnaissance « interobjective ».

    IV. La reconnaissance par des choses

    La thématique de lutte pour la reconnaissance abordée par Axel Honneth a apporté un changement remarquable dans le domaine de la philosophie sociale et de sciences sociales surtout contre une tradition qui pensait que l'origine des conflits sociaux réside dans la recherche de la survie, de « l'auto-préservation individuelle » ou des intérêts matériels. Toutefois, Honneth prend le contre-pied de cette tradition lorsqu'il souligne et soutient que les conflits humains ne se rapportent pas à des motifs de conservation individuelle, mais plutôt à « des mobiles moraux »267. Une fois que les attentes morales ne sont pas pourvues ou alors sont blessées, les partenaires d'interaction s'engagent à une lutte pour la reconnaissance. Dès lors, le conflit social ne saurait être pensé en termes de lutte pour l'existence mais plutôt comme une

    266 Ibid.

    267 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 16.

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    lutte pour la reconnaissance. C'est pourquoi, dans la relation de reconnaissance, il n'existe pas de soi sans autrui. Puisqu' « il est impossible de développer un rapport positif à soi-même sans l'agir d'autrui »268. Honneth place au coeur de la théorie de lutte pour la reconnaissance les rapports intersubjectifs ou mutuels entre les sujets et les institutions sociales. Ce qui fait qu'Axel Honneth accorde très peu d'espace à la matérialité et aux objets. Il le réitère lui-même lors d'une discussion sur ce point : « Pour le dire vite, il n'y a pas d'objet, pas de matérialité, dans la théorie de la reconnaissance »269. Si la reconnaissance de soi par autrui est le seul moyen qui régit les rapports mutuels et normatifs entre les sujets, peut-on penser au rapport « sujet - objet » pour une reconnaissance plus pragmatique ? Sans doute, c'est la même question que Voirol se pose en ces termes : « Sans objet, comment le sujet peut-il prendre conscience de la consistance de son agir dans le monde et de l'agir que les partenaires déploient suite à son propre agir objectivé270 » ?

    IV.1. La reconnaissance interobjective

    La question du rapport entre le sujet et l'objet n'est pas nouveau dans le champ de la réflexion sur la reconnaissance ni même dans le projet intellectuel d'Axel Honneth. Cependant, ce dernier a mis plutôt un accent sur la dimension morale, normative et perceptive des rapports humains ou sociaux au détriment de leur matérialité. Pour Voirol, cela n'est pas surprenant si Honneth s'inscrit dans le prolongement du « paradigme » de la communication développé par Jürgen Habermas dont l'intérêt pour la moralité des processus langagiers de l'entente intersubjective est proportionnel à son désintérêt pour les questions relatives à la matérialité des rapports sociaux271. La théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle tire sa source dans « l'intersubjectivité habermasienne » en intégrant à en son sein l'aspect de conflictualité. Si cette théorie reste exclusivement normative, Voirol voit en elle un « déficit dont une des manifestations est, entre autres, la discussion interminable sur le statut du culturel et du matériel

    268 Voirol, O., « La lutte pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Estelle Ferrarese, (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont, Ed. Le Bord de l'Eau (Diagnostics), 2013, p. 165-183.

    269 Ibid., L'idée est reprise par Voirol dans son article cité ci-dessus. On peut aussi bien se référer à la note de bas de page citée par Voirol : « Pour une discussion sur ce point, voir Axel Honneth, La société du mépris, op.cit. ; sur le rapport à Mead et l'effacement de la matérialité, voir également J.P. Deranty, « The Loss of Nature in Axel Honneth's Social Philosophy », Critical Horizons, vol. 6, n° 1, 2005, p. 153-181.

    270 Voirol, O., « La lutte pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Estelle Ferrarese, (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? op.cit., p. 165-183.

    271 Ibid., p. 165-183.

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    et les liens entre reconnaissance et redistribution au sein de cette théorie »272. C'est la raison pour laquelle, il se propose de réintroduire l'idée des objets dans son champ de réflexion et de redonner une place de choix à la matérialité dans les rapports de reconnaissance. Pour mener à bien son projet, Voirol s'appuie sur Bruno Latour qui accorde un rôle important aux objets à partir de son idée de l'anthropologie symétrique radicale. Son objectif est de remettre en question les différentes oppositions classiques qui existent dans la philosophie et les sciences sociales, entre nature et culture, sujet et objet, société moderne et société traditionnelle, vrai et faux273pour mettre à jour son programme qui vise à faire entrer les « non humains », le monde des objets et la nature dans la sphère démocratique. Car, pour lui, il n'y a pas de différence entre les sujets et les objets (ou les non humains) : « Les objets sont des actants de plein droit peuplant le monde social au même titre que les sujets humains »274. Latour ne voit donc pas une certaine transcendance entre les humains et les non humains. Selon lui, ce qui fait qu'une société existe, ce sont des objets, des machines, des techniques et non pas les idées encore moins les symboles. C'est pourquoi, « décrire l'association des choses ou décrire l'association des humains est un seul et même travail »275. C'est donc dans les objets que se tisse le lien social.

    Pour Voirol, Latour accorde un rôle majeur aux objets. Pour ce faire, « il s'inscrit en faux contre une partie des sciences sociales et de la philosophie sociale contemporaine dont l'intérêt pour les objets et la matérialité est pour le moins timide. Il ouvre la voie à une conception qui confère un statut premier à la matérialité des pratiques sociales et offre une alternative à une conception du social enfermée dans les seuls rapports langagiers, les processus symboliques et les relations intersubjectives »276. Avec Latour apparaît un changement de paradigme où à travers les non humains se tissent des liens sociaux entre les sujets, où la dimension de la matérialité retrouve sa place. Ce qui ouvre un horizon nouveau à la reconnaissance interobjective. Une reconnaissance est dite interobjective si « le sujet parvient à développer un sens positif de soi dans son activité en parvenant à multiplier ses possibilités d'action et d'interaction avec son environnement »277. Dès lors, on peut se demander : quel est l'apport de l'interobjectivité dans la théorie de la reconnaissance ?

    272 Fraser, N., cité par Voirol, « La lutte pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Ferrarese, E., (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? op.cit., p. 165-183.

    273 Ibid., p. 165-183.

    274 Ibid.

    275 Latour, B., La science en action, cité par Voirol « La lutte pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Ferrarese, E., (sous dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont, Ed. Le Bord de l'Eau (Diagnostics), p. 165-183.

    276 Ibid., p. 165-183.

    277 Ibid., p. 165-183.

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    IV.2. L'apport de l'interobjectivité dans la théorie de lutte pour la reconnaissance

    La reconnaissance interobjective a pour ambition de réintroduire dans la sphère intersubjective des rapports sociaux les objets. Toutefois, Voirol part d'une objection selon laquelle, il lui semble impossible d'accepter le postulat de symétrie radicale entre les humains et les non humains dans le cadre de la théorie de la reconnaissance278. D'après lui, Honneth fait une différenciation fondamentale entre les humains et non humains : c'est ce qui lui « permet de faire de la critique de la réification, de la transformations des humains en choses »279. Ce qui est contraire avec la perspective de Latour. Dans la mesure où, « il est impossible de rendre compte et de critiquer la transformation d'un rapport entre des humains en rapports entre les choses. L'effacement de la médiation des objets chez Honneth, par le primat accordé à l'intersubjectivité symbolique, d'une part, l'impossibilité de rendre compte de la réification dans l'interobjectivité latourienne, d'autre part, incite à penser une forme de reconnaissance interobjective susceptible de faire une place accrue à l'interobjectivation sans toutefois renouer avec la symétrie latourienne »280. La première objection faite par Voirol à Latour sur la symétrie radicale entre les humains et les non humains nous semble fort pertinente. Car, il peut y avoir de liens entre les humains et les objets mais il n'en demeure pas moins qu'il y a une différence entre eux. C'est l'humain qui donne l'existence aux choses ou aux objets par le sens que celui-ci les confère. Comme le souligne Frédéric Vandenberghe : « Il suffit de suivre les objets jusqu'à leurs racines pour retrouver, en fin de parcours, les humains comme arch et comme telos. Quelle que soit la façon dont les humains sont reliés aux non-humains, ce sont toujours les humains qui rencontrent les non-humains et les dotent, le cas échéant, d'un sens, d'une valeur d'usage ou d'une valeur d'échange »281.

    La seconde objection formulée par Voirol à l'endroit de Latour porte sur la question de la morale et du statut de la normativité à partir du rapport entre l'anthropologie symétrique et la théorie de la reconnaissance. Pour la théorie de la reconnaissance, la médiation est normative entre les sujets. En revanche, la médiation par les objets prônée par Latour intègre peu la dimension morale. Pour lui, ce qui compte le plus c'est ce qui fait le lien, les modalités de l'assemblage et non des questions normatives. Si c'est de cette façon qu'est articulée la

    278 Ibid.

    279 Ibid.

    280 Ibid.

    281 Vandenberghe, F., Complexité du post-humaine. Trois essais dialectiques sur la sociologie de Bruno Latour, Paris, l'Harmattan, 2006. (Voir aussi l'article de Voirol sur La lutte pour l'interobjectivation. Les remarques sur l'objet et la reconnaissance).

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    problématique de la reconnaissance, cela signifie que « toute interobjectivité est une manière, même implicite, de conférer une reconnaissance à des destinataires en tant qu'elle est configurée dans l'objet s'adressant à eux à titre de programmes d'action »282. Si tel est le cas, d'après Voirol, la théorie de la reconnaissance peut corriger ce déficit normatif de l'interobjectivation latourienne par l'intégration « d'une composante morale dans les objets et les actions qu'ils engagent par leurs programmes d'action »283. Ce n'est qu'à partir de ce moment qu'il est possible de penser au rapport intersubjectif entre les sujets dans la médiation avec les objets.

    IV.3. De la médiation entre les sujets et les objets

    La médiation entre le sujet et l'objet est possible si elle s'opère dans la perspective de l'autre pour accéder au sens de ses propres actions et développer un rapport à soi284. Cet autre qui vient pour faire corps entre le sujet et l'objet n'est pas toujours un humain. Il peut être une activité particulière. Ce qui fait que la reconnaissance de soi par autrui entre dans le sillage de la reconnaissance de soi dans quelque chose et elle devient une reconnaissance à l'oeuvre : « Les sujets demandent à être reconnus par d'autres sujets mais ils cherchent aussi à se reconnaître, à leurs propres yeux, dans ce qu'ils font »285 d'où l'importance de la reconnaissance par les choses. Toutefois, il est possible d'envisager les relations de reconnaissance entre les sujets dans leurs rapports intersubjectifs mais aussi en termes d'interobjectivation permettant de mettre en exergue « le rôle de la matérialité des objets dans la formation du rapport à soi, mais aussi du rapport aux autres par la médiation des objets »286.

    Le désir d'être reconnu est donc au coeur de la lutte pour la reconnaissance. Être reconnu, « c'est être identifié, or il y a aussi un plaisir à se rendre méconnaissable ». Dans le cas des presbyteriums, certains membres se heurtent à l'exigence de la reconnaissance soit par manque de confiance en soi, soit alors par dissolution de l'estime de soi. Par conséquent, ces membres peuvent vouloir légitimement échapper à l'approbation des autres plutôt que de se soumettre à elle287. Echapper à l'approbation des autres c'est remettre en cause l'attitude positive envers soi-même et la valeur que les autres vous accorde. De tels membres ne peuvent que trouvées

    282 Ferrarese, E., (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? op.cit., p. 178.

    283 Ibid., p. 179.

    284 Ibid.

    285 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale, op.cit., p. 122.

    286 Ferrarese, E., (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? op.cit., p. 180-181.

    287 KEDE, J.D., « De la réception de l'oeuvre d'Axel Honneth », in Hunyadi, M. (sous la dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, op.cit., p. 33-40.

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    des stratégies de fuite en avant comme celles de déguisement, de dédoublement, de falsification et d'occultation288 pour ne pas tomber dans la désapprobation, la frustration, l'humiliation voire le mépris. Quoi qu'on dise le désir de reconnaissance de soi par autrui ou par le biais des objets restent au centre de la lutte pour la reconnaissance en vue de l'autoréalisation pour une vie bonne et réussie.

    A la fin de ce dernier chapitre, il a été question de l'apport de la théorie de la lutte pour la reconnaissance mutuelle dans la résolution des conflits au sein des presbyteriums. Nous sommes partis du postulat selon lequel, c'est dans les presbyteriums où la reconnaissance mutuelle devrait se vivre entre les membres plus qu'ailleurs. Mais force est de constater que c'est là où l'on fait plus l'expérience du déni de reconnaissance ou du mépris comme partout ailleurs où les hommes vivent ensemble. Comment l'expérience du mépris peut-elle envahir la vie affective des sujets humains au point de les jeter dans la résistance et l'affrontement social, autrement dit, dans la lutte pour la reconnaissance289 ? Si l'expérience du mépris conduit à la lutte pour la reconnaissance c'est en vue de la réalisation de soi. Car, « la lutte pour la reconnaissance constitue la force morale qui alimente le développement et le progrès de la société humaine »290. C'est ainsi que pour retrouver la reconnaissance authentique au sein des presbyteriums, à partir des modèles de reconnaissance intersubjective chez Axel Honneth, nous avons proposé trois piliers comme solution pour la résolution des conflits. Il s'agit de l'amour, du droit et de la solidarité. C'est à travers ces trois sphères à franchir de manière successive et progressive que les différents membres des presbyteriums parviendront à la formation de leur identité personnelle. Aussi pourront-ils être reconnus et se voir confirmer comme des sujets individualisés et autonomes. Par ailleurs, la reconnaissance de soi par autrui n'apparaît pas comme le seul et l'unique moyen de la reconnaissance intersubjective. Parce qu'à côté, il est possible d'envisager un autre paradigme de reconnaissance. Il s'agit de la reconnaissance interobjective dont le rôle est d'intégrer la matérialité des objets dans la formation du rapport à soi, mais aussi du rapport aux autres par la médiation des objets.

    288 Ibid.

    289 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, p. 225.

    290 Ibid., p. 240.

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    Conclusion générale

    Au terme de ce travail qui a été consacré principalement à la thématique de la reconnaissance chez Axel Honneth, notre objectif a été d'évaluer le passage de la carence ou du déni de reconnaissance à la reconnaissance mutuelle et authentique au sein des presbyteriums. Nous sommes partis de la critique anti-aristotélicienne formulée par Hegel à l'endroit de Hobbes et de Machiavel pour qui les luttes sociales sont interprétées à des motifs de conservation, de survie, d'existence, « d'auto-préservation individuelle » et de recherche d'intérêts matériels. Mais, Axel Honneth, à la suite de Hegel, vient en effet changer cette manière de penser à partir du thème hégélien de « l'idée première » et donne aux conflits moraux une signification ou une interprétation « à teneur normative ». Ce faisant, nous nous sommes intéressés à Axel Honneth et à sa théorie de la lutte pour la reconnaissance mutuelle. C'est ce qui a constitué la clé de voûte de notre recherche sur la reconnaissance et les conflits

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    au sein des presbyteriums au à partir de la pensée d'Axel Honneth et plus précisément de son chef-d'oeuvre : La Lutte pour la reconnaissance.

    Notre hypothèse de recherche a consisté à savoir pourquoi l'absence de l'harmonie, de la collusion, de la reconnaissance entre les membres d'un même et seul presbyterium surtout là où la reconnaissance devrait mieux se vivre qu'ailleurs. Pour répondre à cette préoccupation, nous avons articulé notre travail en trois chapitres.

    D'abord, dans le premier chapitre, d'une part, nous avons tenté de clarifier la notion même de reconnaissance. Avec Axel Honneth, nous avons retenu cette définition qui nous semble être le résumé de ce travail: La reconnaissance est la limitation du désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre. Pour nous, la reconnaissance est un mouvement réciproque qui se noue entre le reconnaissant et le reconnu, où chaque partenaire d'interaction cherche à se « décentrer » sur lui-même au profit de l'autre. C'est dans la relation de reconnaissance que les êtres humains apprennent à se voir et à se confirmer mutuellement comme des sujets autonomes et individualisés. Toutefois, « se reconnaître réciproquement ne signifie pas seulement aller à la rencontre de quelqu'un avec une attitude déterminée, confirmatrice, mais cela signifie aussi et d'abord se comporter par rapport à l'autre de la manière déterminée qui est exigée par la forme correspondante de reconnaissance »291. D'Axel Honneth, il en découle qu'une manière déterminée « de traiter réciproquement »292ne signifie pas de poser des actes indépendants. Cela veut dire qu'il existe une pluralité « d'actions qui sont, chacune, caractérisées par leur commune propriété consistant à pouvoir articuler une forme déterminée de la reconnaissance réciproque »293. D'autre part, nous avons mis en exergue les formes d'interaction sociale ou de relations de reconnaissance réciproques qui se rapportent aux différents types de rapports positifs que les sujets peuvent entretenir avec eux-mêmes. D'après Axel Honneth, il existe trois formes de relations de reconnaissance : La reconnaissance amoureuse dont le noyau structurel est l'amour qui donne la voie d'accès à la confiance en soi. La reconnaissance juridique ouvre la voie au respect de soi et permet au sujet de se considérer comme une personne égale en droits à tous les autres membres de la communauté. La reconnaissance culturelle ou celle de la « communauté des valeurs » portent sur l'appréciation positive des capacités pratiques des

    291 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, trad. française par Franck Fischbach, op.cit., p. 89.

    292 Ibid.

    293 Ibid., p. 89-90.

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    sujets ainsi que sur leurs qualités propres. La solidarité est à la base de cette forme de reconnaissance et consolide l'estime de soi entre les sujets qui partagent les mêmes fins.

    Ensuite, dans le second chapitre, notre intérêt a porté essentiellement sur les expériences négatives qui portent atteinte à l'intégrité physique, sociale et à la dignité de la personne humaine. C'est ce qu'Axel Honneth appelle « mépris » ou « offense ». Le mépris est la négation ou le manque de reconnaissance. Il désigne aussi le refus de décentrement de soi vers l'autre. A partir des modalités de reconnaissance avec ses aspects de la relation pratique à soi-même, Axel Honneth dégage trois figures du mépris ou du déni de reconnaissance : La première figure du mépris est liée à la violence physique, la seconde au déni du droit et la troisième figure à la mésestime. S'appuyant sur la relation pratique à soi, nous avons déduit à partir de la typologie des figures de mépris identifiée par Honneth les causes qui sont à l'origine des conflits ou du déni de reconnaissance au sein des presbyteriums. Nous avons entre autres la dissolution de la confiance en soi, la perte du respect de soi et la mésestime ou la perte de l'estime de soi. A ces trois dénis de reconnaissance, nous en avons ajouté un autre que Guillaume Le Blanc appellent les dénis de propriétés sociales qui concernent les capabilités de base et les capacités éthiques d'une vie qui « se voit se mutiler ». C'est-à-dire une vie dont on ne reconnaît pas la valeur, le droit et la dignité. Il s'agit là d'une vie disqualifiée ou « rendue invisible ». Une personne qui fait l'expérience d'une telle vie a socialement le sentiment d'être inutile dans la société. Dans les presbyteriums, ceux qui font de telles expériences ont aussi le sentiment de perdre leur dignité et leur intégrité, d'être invisibles, inutiles et voire placés aux calendes grecques.

    S'il est vrai que le seul désir du déni de reconnaissance est le désir de reconnaissance, toute personne soucieuse de son autoréalisation pour une vie bonne et réussie est contrainte de s'engager à la lutte intersubjective ou pour la reconnaissance. C'est la raison pour laquelle, dans le présent travail, notre objectif n'était pas d'explorer dans la globalité la pensée d'Axel Honneth, mais à partir de sa théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle de tenter de trouver les causes de l'absence ou de la carence de la reconnaissance au sein des presbyteriums ainsi que les solutions pour faire face à ce déni. A la lumière de cette théorie, nous avons dégagé les différentes formes de reconnaissance qui vont toujours de pairs avec des situations d'offense, d'humiliation et même d'injustice. C'est ce qui nous a amené à la phase ultime de notre recherche qui consiste en la proposition de quelques pistes pour la résolution des conflits au sein des presbyteriums et la valorisation de ses membres.

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    Enfin, quant au dernier chapitre, il a été question pour nous de proposer de manière explicite et concrète l'apport de la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle dans l'intégration sociale des personnes et plus précisément celle des membres des presbyteriums pour passer d'une société de mépris à une société de justice où des relations de reconnaissance seront plus harmonieuses et basées sur des valeurs éthiques telles que l'amour, le droit et la solidarité qui sont selon Honneth « les conditions formelles des rapports d'interaction dans lesquels les êtres humains peuvent être assurés de leur « dignité » et de leur intégrité »294

    L'amour est le noyau structurel élémentaire qui donne accès à la confiance en soi. C'est en son sein que les membres de la collectivité apprennent « à considérer l'autre comme un individu irremplaçable ».

    Le droit est la seconde sphère où la personne humaine est reconnue sur le plan universel comme égale en droits par rapport à tous les autres membres de la communauté. Le respect de soi est au droit, ce que la confiance en soi est à l'amour.

    La solidarité est la dernière sphère de la relation de reconnaissance où est développée l'estime de soi. C'est le résumé entre la confiance en soi et le respect de soi.

    C'est dans ces trois sphères qu'un être humain peut être reconnu et se voir confirmé dans sa singularité, son universalité et sa particularité. Cependant, il apparaît clairement que la reconnaissance de soi par autrui n'est pas le seul et unique moyen de reconnaissance des sujets humains. La reconnaissance interobjective est une possibilité de reconnaissance à envisager que nous pouvons qualifier de reconnaissance par des choses, à l'instar de la reconnaissance par le travail. Toutefois, nous sommes conscients de n'avoir pas abordé tous les aspects de la question de reconnaissance au sein des presbyteriums. Nous avons essayé à notre niveau d'ouvrir la piste sur des éventuelles recherches, entre autres sur : La reconnaissance et les cultures, la reconnaissance et la question de la retraite des prêtres, la reconnaissance et la mémoire historique...

    La question de la reconnaissance a fort bien retenu notre attention. Elle nous a permis de comprendre que les luttes sociales en l'occurrence des conflits au sein des presbyteriums ne peuvent pas seulement être interprétés à des motifs d'existence, de survie, de pouvoir, d'avoir, de recherche d'intérêts matériels et « d'auto-préservation individuelle » mais à des « mobiles

    294 Honneth, A., « Reconnaissance et reproduction sociale », in Jean-Paul Payet et Alain Battegay (sous dir.), La reconnaissance à l'épreuve. Explorations socio-anthropologiques, op.cit., p. 45-58.

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    moraux ». Au regard de ce qui précède, il en résulte que le déni de reconnaissance qui se traduit par le refus ou le rejet ou par une autre forme d'injustice sont à la source des conflits au sein des presbyteriums.

    Cependant, quoi qu'on dise, bien que les membres des presbyteriums soient tendus vers la quête pour la reconnaissance dans l'optique de leur autoréalisation individuelle, ils ont aussi besoin des moyens matériels et financiers pour s'accomplir pleinement dans un contexte surtout du manque et parfois d'injustice dans la répartition des biens. C'est pourquoi, à la fin de ce travail, nous reprenons le point de vue de Nancy Fraser qui stipule que : « Pas de reconnaissance sans redistribution ». Celui-ci nous semble pertinent surtout dans le contexte des églises d'Afrique où le problème matériel des membres des presbyteriums se pose encore sérieusement. Face à cette objection qui exclut la dimension de la redistribution matérielle dans l'ancrage de la reconnaissance, Honneth pense que « c'est Nancy Fraser qui a le plus fortement formulé ce reproche qui n'a pas manqué de frapper les esprits : elle soutient qu'une morale sociale de la reconnaissance ne peut prendre en compte que ce qu'on nomme aujourd'hui la « politique de l'identité », mais que dans ce cadre, les formes traditionnelles de la politique de redistribution ne peuvent être prises en compte »295.

    Toutefois, Honneth continue sa réflexion en ces termes : « Je suis convaincu que ce reproche repose sur un grave malentendu que rend d'ailleurs tout à fait compréhensible une certaine tendance répandue dans les publications politico-philosophiques [...]. Je crois qu'il y a là un malentendu ruineux provoqué en premier lieux par Charles Taylor dans son livre sur La politique de la reconnaissance »296. De ces objections de Nancy Fraser et Charles Taylor, Honneth arrive à la conclusion selon laquelle :

    Dans la conception de l'éthicité démocratique que j'ai proposée, les revendications touchant à la redistribution matérielle découlent de deux sources différentes. D'un côté, elles dérivent des implications normatives de l'égalité des droits, laquelle promet aux membres d'une communauté démocratique une égalité de traitement basée sur le droit : il est clair en effet que la garantie des droits sociaux, ainsi que la redistribution qui en découle, ont pour fonction normative de donner à chaque citoyen et citoyenne la chance effective de participer au processus démocratique de la construction publique d'une communauté de droit. D'un autre côté, les exigences

    295 Ibid.

    296 Ibid.

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    relatives à la redistribution découlent également de l'idée normative selon laquelle chaque membre d'une société démocratique doit avoir la chance d'être estimé socialement ses contributions individuelles297.

    Bibliographie

    I. Ouvrages principaux

    - HONNETH, A., La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000, rééd., Gallimard, coll. « Folio Essais », 2021.

    - IBIDEM, Ce que social veut dire, t. I : Le déchirement du social, trad. française par Pierre Rusch, coll. « Nrf Essais », Mayenne, Gallimard, 2013.

    - IDEM, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, trad. française par Olivier Voirol, Pierre Rusch et Alexandre Dupeyrix, La Découverte, 2006 ; nouv. Ed. La Découverte poche, 2008.

    - IDEM, Les pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, trad. française par Franck Fischbach, Paris, La Découverte, 2008.

    II. Autres ouvrages de référence

    297 Ibid.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 86

    - CAILLE, A., (sous dir.), La quête de reconnaissance : Nouveau phénomène social total,

    Paris, La Découverte, 2007.

    - CARRE L., Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, Paris, Ed. Michalon, coll.

    « Le bien commun », 2013.

    - FERRARESE, E., (sous dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont,

    Le Bord de l'Eau, 2013.

    - FRASER, N., Qu'est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, trad.

    française par Estelle Ferrarese, Paris, La Découverte, 2005 ; rééd., 2011.

    - HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l'esprit, trad. française par

    Bernard Bourgeois, Paris, Vrin, 2006.

    - IBIDEM, Principes de la philosophie du droit, trad. française par Jean-Louis Vieillard-

    Baron, Paris, GF Flammarion, 1999 ; rééd. 2021.

    - IDEM, La philosophie de l'esprit de la « Realphilosophie », Paris, PUF, 1982 (première

    édition 1805).

    - HUNYADI, M., (sous la dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté,

    Lormont, Le Bord de l'Eau, 2014.

    - LE BLANC, G., L'invisibilité sociale, Paris, PUF, 2009.

    - RICOEUR, P., Parcours de la reconnaissance. Trois études. Paris, Ed. Stock, 2004,

    rééd., Gallimard, coll. « Folio Essais », 2017.

    - IBIDEM, Devenir capable, être reconnu, revue Esprit, n° 7, juillet, 2005.

    - IDEM, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.

    - ROCHE, A., Reconnaissance et performance : proposition du concept de

    reconnaissance activatrice et d'un modèle intégrateur, Thèse de doctorat en Science de

    gestion, 12 mars 2013, Lyon.

    - ROMANO, C., L'identité humaine en dialogue, Paris, Seuil, 2022.

    - WILIWOLI, A., A. Honneth, Lutter pour la reconnaissance, Toulouse, Ed. Domuni-

    Press, coll. « Philosophie », 2018.

    III. Autres ouvrages consultés

    - ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, trad. française par Barthélemy Saint-Hilaire, revue par Alfredo Gomez-Muller, Le Livre de Poche, coll. « Classiques de la philosophie », 1992, rééd. Grafica Veneta, 2021.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 87

    - ARENDT, H (auteur)., RAYNAUD, P (sous la dir.), L'humaine condition, Paris,

    Gallimard, 2012.

    - BERGSON, H., La conscience, Paris, éd. Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot »,

    2023.

    - COULON, P., Scènes primordiales de la philosophie. De la caverne de Platon au visage

    chez Levinas, Paris, HD, 2023.

    - DAUCOURT, G., Prêtres en morceaux, Paris, Cerf, 2022.

    - FOESSEL, M. et LAMOUCHE, F., Kant, Paris, éd. Points, coll. « Essais », série

    « Bibliothèque », 2010.

    - FREUND, J., Sociologie du conflit, La politique Eclatée, collection dirigée par Lucien

    Sfez, Paris, PUF, 1983.

    - JANKELEVITCH, V., Les Vertus et l'Amour. Traité des vertus II, Paris, Flammarion,

    coll. « Champs essais », t. 1, 1986.

    - LEVINAS, E., Le temps et l'autre, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 1983. Rééd. 2014.

    - IBIDEM, Totalité et infini. Essai sur l'extériorité, La Haye, Nijhoff, 1961, rééd. Paris,

    Le Livre de poche, 1990.

    - MARQUET, D., La véritable philosophie du Christ. Aimez à l'infini, Paris, éd. J'ai Lu,

    2023.

    - MARSAN, Ch., Gérer les conflits de personnes - de management- d'organisation,

    Paris, Dunod, 2005.

    - PICARD, D., et MARC, E., Les conflits relationnels, Paris, Que sais-je ? 2020.

    - ROUSSEAU, J.-J., Du contrat social, Paris, GF Flammarion, 2012.

    - ROUVILLOIS, F., Le droit, Paris, GF Flammarion, 1999.

    - SIMMEL, G., Le conflit, trad. française par Sibylle Muller, Paris, Circé, 1995.

    - TAYLOR, C., Multiculturalisme, Paris, Flammarion, trad. française, 1994.

    - VANDENBERGHE, F., Complexité du post-humaine. Trois essais dialectiques sur la

    sociologie de Bruno Latour, Paris, l'Harmattan, 2006.

    - VILLEY, M., La formation de la pensée juridique moderne, Mont-chrestein,1968

    (nouvelle éd. PUF), coll. « Léviathan », 1999.

    IV- Articles

    CHARLES DIEUDONNÉ T 88

    - CHANIAL, P., « La reconnaissance fait-elle société ? Pour un contre-Hobbes sociologique », in Alain Caillé (sous dir.), La quête de reconnaissance. Nouveau phénomène social, Paris, La Découverte, 2007, p. 209-242.

    - FERRARESE, E., « Antagonisme et reconnaissance. Retour sur une évidence », in Estelle Ferrarese (dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont, Le Bord de l'Eau, 2013, p. 7-25.

    - FRASER, N., « Justice sociale, Redistribution et reconnaissance », in revue Mauss, La Découverte, 2004/1 (n° 23), p. 152-164.

    - HONNETH, A. et RENAULT, E., « Entretien avec Axel Honneth. Marxisme, philosophie sociale et théorie critique », Avec Marx. 25 ans d'Actuel Marx, Paris, PUF, 2011, p. 322-329.

    - HUNYADI, M., « De la reconnaissance à la liberté : Axel Honneth est-il encore Francfortois ? », in Hunyadi, M., (sous la dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, Lormont, éd. Le Bord de l'Eau, 2014, p. 7-17.

    - GUEGUEN, H., « La lecture honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance », dans Raisons Politiques, éd. Presses de Sciences, 2016 / (n° 61), p. 27-43.

    - KEDE, J. D., « La réception de l'oeuvre d'Axel Honneth », in Hunyadi, M., (sous dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, op.cit., p. 33-40.

    - SVANDRA, P., « Introduction à la pensée d'Emmanuel Levinas. Le soin ou l'irréductible inquiétude d'une responsabilité infinie » in Recherche en soins infirmiers, 2018/1 (n° 132), p. 91-98.

    - NANTEUIL, M., « Qui est le sujet du mépris ? », in Hunyadi, M., (sous la dir.), Axel Honneth. De la reconnaissance à la liberté, op.cit., p. 53-64.

    - VOIROL, O., « La lutte pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Estelle Ferrarese, (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont, Ed. Le Bord de l'Eau (Diagnostics), 2013, p. 165-183.

    V. Documents magistériels

    - CONCILE OECUMENIQUE VATICAN, II. Décret sur le Ministère et la Vie des prêtres, trad. française par Claude Wiener avec la collaboration de Henri Dénis, Jean Frisque, P. Th. Camelot, éd. du Centurion, 1965.

    CHARLES DIEUDONNÉ T 89

    - NTEP, J.-B., Avancez au large et jetez les filets, Propast III, Clamer Presse, Douala, 2016.

    VI. Dictionnaire

    - BOILLOT, H., (sous la dir.), Le Petit Larousse de la philosophie, Larousse, 2007.

    - LACOSTE, J.-Y., (sous la dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, PUF, 2007.

    VII. Sites Web

    - HONNETH, A., « Reconnaissance et reproduction », in Jean-Paul Payet et Alain Battegay (sous la dir.), La reconnaissance à l'épreuve. Explorations socio-anthropologiques, ed. Presses Universitaires de Septentrion, 2019 (2008), p. 45-58. Disponible [en ligne] sur : https : // books-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr/septentrion/38634/, consulté le 05 et 10 août 2023.

    - MARC, E. et PICARD, D., « Conflit et relation », in Gestalt, 2015/1(46), p. 129-142.

    Disponible [en ligne] sur : https : www-cairn-info.bases-doc.univ-
    lorraine.fr/article.php ? ID Article=GEST_046_0129, consulté le 20 août 2023.

    - Wikipédia, Robinson Crusoé : consulté le 20 juin 2023.

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