RECONNAISSANCE ET CONFLIT AU SEIN DES PRESBYTERIUMS :
UNE LECTURE A PARTIR DE LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE D'AXEL
HONNETH
TOMB TOMB Charles Dieudonné
Sous la direction de : Dr Anthony FENEUIL
Département de théologie
Mémoire présenté en vue de
l'obtention du Master II
Spécialité :
Théologie systématique
Année académique : 2022- 2023
UNIVERSITE DE LORRAINE
RECONNAISSANCE ET CONFLIT AU SEIN DES PRESBYTERIUMS :
UNE LECTURE A PARTIR DE LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE D'AXEL
HONNETH
TOMB TOMB Charles Dieudonné
Sous la direction de : Dr Anthony FENEUIL
Département de théologie
Mémoire présenté en vue de
l'obtention du Master II
Spécialité :
Théologie systématique
Année académique : 2022- 2023
CHARLES DIEUDONNÉ T 2
Dédicace
A ma nièce Badjeck Pélagie et mon très
cher ami Bayiga Matip (Baye), tous les deux rappelés à Dieu.
3
CHARLES DIEUDONNÉ T
Remerciements
Au terme de ce cycle de Master II où nous avons
travaillé sur la question de la reconnaissance mutuelle chez Axel
Honneth, je ne peux qu'exprimer le même sentiment de la reconnaissance
qui m'habite en ce moment envers Dieu qui est le début et la fin de
toute oeuvre surtout pour la ténacité et la
persévérance à nous accordées tout au long de ce
travail de recherche.
Cette reconnaissance va tout de même à l'endroit
de Monseigneur Jean-Bosco Ntep, évêque du diocèse
d'Edéa au Cameroun qui nous a donné l'opportunité et
l'autorisation à poursuivre nos études pendant ce temps de
coopération missionnaire en Belgique. Cela n'a pas été
facile. Mais ses conseils et ses encouragements nous ont permis d'aller
jusqu'au bout.
L'engendrement de ce travail n'a été possible
que grâce à l'encadrement perspicace à travers les
échanges fructueux, les propositions judicieuses, le suivi
régulier et permanent du Dr Anthony Feneuil, notre directeur à
qui nous exprimons notre totale et entière reconnaissance.
J'exprime également toute ma profonde gratitude
à tous les enseignants de Domuni Universitas et de l'Université
de Lorraine pour le chemin parcouru ensemble, particulièrement au Dr
Appolinaire Kahindo Kivyamunda pour son encadrement et son soutien multiformes
en sa qualité de notre conseiller pédagogique, au Dr Félix
koala Sibri pour ses encouragements. Je ne saurais oublier le Dr Augustin
Wiliwoli qui nous a fait découvrir Axel Honneth et les débats
autour de la question de la reconnaissance.
Je remercie particulièrement les abbés Joseph
Ndoum, Gaston Yamb, Gilles Fadel Bekada, Laurent Balog, Blaise Nzayo, Beaudouin
Habaquq Nsongan Bikaï, Jonas Moruba, Hubert Claude Minka et
Nicodème Bioumla pour leurs encouragements fraternels et
édifiants.
A ma maman, Ngo Bayeg Esther, pour son affection rassurante,
A mes neveux et nièces, particulièrement à
Ruth Céline et Francky Chloé,
A mes frères et soeurs, Ngo Bayeck Evelyne, Ngo Ntomb
odette, Maemblè Marie-Dorothée, Badjeck Anne Marie, Nkok Alice
Delphine, Biboum Barnabé, Badjeck Ntomb Paul, Ntomb Appolinaire, Loga
Roger, Badjeck Jules,
A monsieur Minka Wanda Ildevert et son épouse, Au
révérend pasteur Ntamack Josué et son épouse,
monsieur Mahi et son épouse, madame veuve Mayo Marie-Rose, madame
Bell
CHARLES DIEUDONNÉ T 4
Odile, madame Mbondo Thérèse, madame Fosso
Viviane, madame Blondeau Emilienne, madame Goueth Aurélie, madame Hot
Christiane et à ngo Mbomè Jeanne Pélagie.
A ces hommes et à ces femmes de grand coeur qui me sont
chers, aux camarades, ami.e.s et connaissances.
Un merci cordial à tous et à chacun.
5
CHARLES DIEUDONNÉ T
« La reconnaissance, c'est-à-dire la limitation du
désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre
»1
1 Honneth, A., Ce que social veut dire (tome 1
- Le déchirement du social), Paris, NRF essais - Gallimard, 2013,
p. 107.
CHARLES DIEUDONNÉ T 6
CHARLES DIEUDONNÉ T
7
Abréviations
Coll. : Collection.
CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales
Dir. : Sous la direction.
Ed. : édition.
Op.cit. : Opus citatum : OEuvre citée ; opere citato :
Dans l'oeuvre citée.
PO : Presbyterorum ordinis, Décret sur le
Ministère et la Vie des prêtres, 1965.
Propast III : Troisième projet pastoral du
diocèse d'Edéa (2016-2020).
Rééd : Réédition.
Trad. : Traduction française.
Résumé
Du déni de reconnaissance à la reconnaissance
mutuelle et authentique au sein des presbyteriums à partir des
modalités de reconnaissance intersubjective, tel a été le
parcours que nous venons d'esquisser dans le présent travail où
il était question pour nous d'analyser et d'identifier l'origine des
conflits au sein des presbyteriums afin de proposer des solutions pour passer
de la société du mépris à la société
de justice pour une « vie bonne et réussie » et permettre
à chaque membre de se réaliser lui-même.
Nous sommes partis des formes de relations de reconnaissance
aux différentes figures du mépris relevées par Axel
Honneth dans son chef-d'oeuvre La lutte pour la reconnaissance pour
mettre en exergue quelques causes des conflits au sein des presbyteriums : La
dissolution de la confiance en soi, la perte du respect de soi et la perte de
l'estime de soi. Grâce à la théorie de la lutte pour la
reconnaissance mutuelle d'Axel Honneth, nous avons perçu et
interprété ces luttes au sein des presbyteriums non à des
motifs de conservation, d'existence, de recherche d'intérêts
matériels, « d'auto-préservation individuelle » mais
plutôt à « des mobiles moraux ». Cela nous a permis de
voir comment la lutte pour la reconnaissance peut contribuer au
développement et au progrès de la société humaine
et à la formation de l'identité personnelle des individus.
C'est à travers l'amour, le droit et la
solidarité comme modalités de reconnaissance intersubjective
considérées aussi comme des « principes de justice »
qu'un être humain peut se réaliser pleinement et se voir confirmer
dans sa singularité en tant qu'individu dans ses besoins affectifs, dans
son universalité en tant qu'une personne qui a des droits au même
titre que les autres membres de la communauté et dans sa
particularité en tant que sujet dans l'appréciation positive de
ses capacités pratiques et de ses qualités propres dans un
horizon de fins communes. C'est dans cette perspective que les membres des
presbyteriums parviendront à des relations de reconnaissance
ininterrompues avec eux-mêmes de manière successive et progressive
pour une vie bonne et réussie dans la collusion et l'harmonie. Car,
c'est dans l'amour qu'on retrouve la confiance en soi, dans le droit le respect
de soi et dans la solidarité l'estime de soi.
Mots clés : Reconnaissance, conflit, mépris,
presbyteriums, amour, droit, solidarité.
Abstract
CHARLES DIEUDONNÉ T 8
From the denial of recognition to mutual and authentic
recognition within the presbyteriums from the modalities of intersubjective
recognition, such has been the path that we have just sketched in the present
work where it was a question for us of analyzing and to identify the origin of
the conflicts within the presbyteriums in order to propose solutions to move
from the society of contempt to the society of justicef or a good and
successful life and to the allow each member to realize him self.
We have started from the forms of relationships of recognition
with figures of contempt identified by Axel Honneth in his masterpiece The
struggle for recognition to highlight some causes of conflict within
presbyteriums : The dissolution of self-confidence, loss of self-respect and
loss of self-esteem. Thanks to Axel Honneth's theory of the struggle for mutual
recognition, we have perceived and interpreted these struggles within the
presbyteriums not for reasons of conservation, existence, the search for
material interests, « self-preservation individual » but rather to
moral motives. This allowed us to see how the struggle for recognition can
contribute to the development and progress of human society and to the
formation of the personal identity of individuals.
It is through love, right and solidarity as forms of
intersubjective recognition also considered as principales of justice that a
human being can fully realize himself and see himself cnfirmed in his
singularity as an individual in his needs emotional, in his universality as a
person who has rights in the same way as the other members of the commmunity
and in his particulary as a subject in the positive appreciation of his
pratical capacities and his own qualities in a horizon for common purposes. It
is in perspective that the members of the presbyteriums will achieve
uninterrupted relationships of recognition with themselves in a successive and
progressive way for a good and successful life in collusion and harmony.
Because it is in love that we find self-confidence, in right self-respect and
solidarity self-esteem.
Keywords : Recognition, conflict, contempt, presbyteriums, love,
right, solidarity.
9
CHARLES DIEUDONNÉ T
Sommaire
Table des matières
Remerciements 4
Abréviations 7
Résumé 8
Sommaire 10
INTRODUCTION GENERALE 12
CHAPITRE I : LA RECONNAISSANCE MUTUELLE ET SES DIFFERENTES
FORMES
CHEZ AXEL HONNETH 19
I. Approche terminologique 20
I.1. Qu'est-ce que la reconnaissance ? 20
I.2. L'idée de lutte pour la reconnaissance chez Hegel
20
I.3. Du modèle hégélien à la
théorie critique de lutte pour la reconnaissance mutuelle chez
Axel Honneth 23
II. Les différentes formes de reconnaissance 24
II.1. La reconnaissance amoureuse 24
II.2. La reconnaissance juridique 26
II.3. La reconnaissance « de la communauté de
valeurs » ou culturelle. 30
CHAPITRE II : LES FIGURES DU MEPRIS OU DENIS DE
RECONNAISSANCE COMME
CAUSES DES CONFLITS AU SEIN DES PRESBYTERIUMS 35
I. La figure du mépris de l'intégrité
physique 37
I.1. Définition du terme mépris 37
II. La figure du déni du droit 43
II.1. Le rapport entre le droit subjectif et le droit objectif
45
III. La figure du mépris liée à la
mésestime 48
IV. Les dénis de propriétés sociales 52
IV.1. Les capabilités 52
CHARLES DIEUDONNÉ T 10
IV.2. Les capacités éthiques 54
CHAPITRE III : L'APPORT DE LA THÉORIE DE LA
RECONNAISSANCE MUTUELLE
CHEZ AXEL HONNETH DANS LA PERSPECTIVE DE LA RÉSOLUTION
DES
CONFLITS AU SEIN DES PRESBYTERIUMS AU CAMEROUN 59
I. L'amour comme expression de la confiance de soi 61
I.1. Le travail comme une mise en oeuvre 63
II. Le droit comme source du respect de soi 68
III. La solidarité comme noyau structurel de l'estime de
soi. 72
IV. La reconnaissance par des choses 75
IV.1. La reconnaissance interobjective 76
IV.2. L'apport de l'interobjectivité dans la
théorie de lutte pour la reconnaissance 78
IV.3. De la médiation entre les sujets et les objets
79
Conclusion générale 81
Bibliographie 86
CHARLES DIEUDONNÉ T 11
INTRODUCTION GENERALE
Dans notre société actuelle où plusieurs
personnes aspirent à une « vie bonne et réussie », l'on
a souvent l'impression que celle-ci passe par la réussite
académique, professionnelle, politique, sociale, financière ou
matérielle. Mais, Axel Honneth vient donc bouleverser le paradigme dans
la pensée contemporaine grâce à la théorie de lutte
pour la reconnaissance mutuelle. Car, pour lui, c'est dans les relations de
reconnaissance réciproques que les êtres humains se confirment
mutuellement comme des sujets autonomes et individualisés2.
La Lutte pour la reconnaissance3 est un essai de la
philosophie sociale publié en 1992 par A. Honneth. Cet ouvrage qui porte
le titre de l'une des thématiques majeures que soulève son auteur
à côté d'autres sujets lancinants tels que «
pathologies et paradoxes », « la reconnaissance et ses
déformations », « les paradoxes du contemporain » n'est
traduit en français que depuis l'an 2000. Sans doute, c'est ce qui a
fait dire à Olivier Voirol, préfacier de La
société du mépris d'Axel Honneth qu': « une
grande partie des textes d'Axel Honneth ne portent pas seulement sur la
reconnaissance mais aussi sur la reconstruction patiente et systématique
d'une perspective critique s'inscrivant dans la tradition de la philosophie
sociale de la Théorie critique de l'Ecole de Francfort
»4.
Bien que la reconnaissance ne soit donc pas pour Honneth, le
seul sujet dans l'ensemble de son projet intellectuel, il le place tout au
moins au coeur de ses débats. Le débat actuel sur la notion de la
reconnaissance dans le domaine de la philosophie sociale moderne tire son
origine du thème hégélien d'une lutte pour la
reconnaissance intersubjective et atteint son paroxysme avec la nouvelle
génération de l'Ecole de Francfort, représentée par
Axel Honneth qui a donné un nouveau son de cloche à cette
philosophie et à sa théorie critique. Pour Honneth :
Il revient à Hegel le mérite d'avoir
développé une philosophie de la lutte pour la reconnaissance
mutuelle en réaction contre la philosophie anti-aristotélicienne
des modernes, celle de la lutte pour l'existence. Pour y parvenir,
2 Honneth, A., La lutte pour la
reconnaissance, Paris, Gallimard, 2021 (1992), p. 116.
3 La lutte pour la reconnaissance «
est la thèse d'habilitation d'Axel Honneth. Rédigée sous
la direction de Jürgen Habermas, elle est publiée en 1992 aux
éditions Suhrkamp Taschenbuch Wissenschaft sous le titre Kampf um
Anerkennung. Dans cet ouvrage, Axel Honneth développe une critique en
s'appuyant sur la philosophie sociale moderne qui présuppose un rapport
d'hostilité entre les individus désireux de garantir les
conditions de leur survie. Il interprète les conflits humains dans la
perspective d'une demande de reconnaissance et met en lumière la
dimension morale inhérente à tout affrontement. » Cette note
explicative est tirée de l'opuscule la collection « Connaître
une oeuvre ». Il s'agit de l'ouvrage de Axel Honneth : La Lutte pour
la reconnaissance
4 Honneth, A., La société du
mépris, Vers une nouvelle Théorie critique, trad.
française par Olivier Voirol, Pierre Rusch et Alexandre Dupeyrix, Paris,
La Découverte, 2006, p. 9.
CHARLES DIEUDONNÉ T 12
il s'est appuyé sur le modèle de la «
lutte sociale » introduit dans la réflexion philosophique par
Hobbes, mais lui donne une formulation théorique qui va permettre de
rapporter les conflits humains non pas à des motifs de conservation
individuelle, mais à des mobiles moraux5.
Si Honneth opte de s'appuyer sur Hegel pour donner de
l'impulsion à la nouvelle génération de l'Ecole de
Francfort, il a bien des raisons. Mais lesquelles ? Autrement dit, en quoi
consiste la spécificité, voire l'originalité
recherchée par Honneth par rapport aux autres auteurs antérieurs
de la tradition francfortoise ? Pour répondre à cette
préoccupation qui nous permettra de mieux comprendre la pensée de
Honneth et surtout sa théorie de la lutte pour la reconnaissance
mutuelle qui retient plus notre attention dans ce travail de recherche, il est
louable de se référer à l'article de Haud Gueguen sur
« La lecture honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la
reconnaissance ». Pour cet auteur : « L'originalité, chez
Honneth, n'est pas, en d'autres termes, d'avoir mobilisé la philosophie
hégélienne de façon centrale (ce qui, selon des
modalités différentes, est le cas chez tous les auteurs
francfortois). C'est bien plutôt d'avoir, par un prolongement de la
démarche habermasienne, opéré un infléchissement en
s'attachant à la problématique (intersubjectiviste ou
communicationnelle) de la lutte pour la reconnaissance »6.
En effet, l'originalité apportée par Honneth
vise aussi à se démarquer du groupe d'antan de l'Ecole de
Francfort « de ne plus aborder Hegel selon la problématique de la
rationalité, mais de l'appréhender à partir de la question
de la conflictualité »7. Mais, plus
précisément la spécificité honnéthienne
consiste à « montrer que, à travers le motif de la «
lutte pour la reconnaissance » (Kampf um Anerkennung), la philosophie
hégélienne permet de faire de cette conflictualité le
fondement même du point de vue normatif qui se trouve requis par la
théorie critique de la société »8.
Pour Honneth, bon nombre de ses prédécesseurs de
l'Ecole de Francfort ont minimisé la dimension psychologique des
individus ainsi que des phénomènes culturels pour laisser la
place à la formation indépendante de convictions morales et
d'orientations normatives dans
5 Honneth, A., cité par Wiliwoli, A., A.
Honneth, Lutter pour la reconnaissance. Domuni-Press, Toulouse, 2018, p.
8.
6 Haud, Gueguen., « La lecture
honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance »,
in Raisons Politiques, 2016/1 (n° 61), pp.27-43.
7 Ibid.
8 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 13
l'activité sociale9. Quant à Olivier
Voirol, d'après Axel Honneth, « la relance la plus sérieuse
de la tradition de Francfort émane de la théorie de la
communication de Jürgen Habermas »10. Pour comprendre ce
projet, Honneth s'est inspiré de la théorie critique
communicationnelle mise en exergue par Habermas. Il a cherché donc
à « intégrer la conflictualité au coeur de la
communication de façon à penser le conflit dans sa puissance
morale, et articuler ainsi le paradigme communicationnel à un paradigme
agonistique. »11. Si Habermas a élaboré la
théorie communicationnelle sans tenir compte de la
conflictualité, la nouveauté est qu'avec Hegel, Honneth veut
« réinjecter de la conflictualité au sein du champ
communicationnel de façon à réactiver, en la
renforçant moralement, la thématique marxienne d'un processus
historique tout entier mû par le phénomène de la
conflictualité. »12.
Pour appuyer et justifier la portée de cette
affirmation, Haud reprend les paroles d'Axel Honneth lors de son entretien avec
Emmanuel Renault : « Réunir Marx et Habermas, en faisant le
détour par Hegel »13. Il a donc pu mettre fin ou
à dépasser le dualisme communicationnel de Habermas et à
intégrer dans son paradigme communicationnel le phénomène
de la conflictualité. C'est ce qui amène Honneth à dire
que : « Toutes les confrontations et toutes les formes de conflits sociaux
obéissent au même schéma fondamental d'une lutte pour la
reconnaissance »14. En somme, Honneth ne perçoit pas
d'abord un conflit social en termes d'intérêts mais plutôt
comme une lutte pour la reconnaissance qui est rapportée « à
un cadre fixe d'expériences morales, à l'intérieur duquel
la réalité sociale serait interprétée selon une
grammaire morale variable de la reconnaissance et du mépris
»15.
En outre, en ce moment où le monde traverse une
période délicate et critique à cause des conflits
idéologiques et d'intérêts. L'Église et ses membres
connaissent aussi des situations conflictuelles provoquées par les
privations, le manque, l'irrespect, la mésestime, le mépris, les
offenses et les humiliations : il s'agit là des dénis de
reconnaissance. Le déni naît du refus ou du rejet de
reconnaissance de l'autre dans ce qu'il est, ce qu'il a droit, ce qu'il est
capable de faire. Cela suscite en effet un sentiment d'injustice, de plainte,
de frustration voire de souffrance chez la victime ou la personne atteinte
d'une telle blessure morale. Toutefois, « sans la
référence
9 Honneth, A., La société du
mépris. Vers une nouvelle théorie critique, op.cit., p.
11.
10 Ibid., p. 12.
11 Haud, Gueguen, « La lecture
honnéthienne de Hegel dans La lutte pour la reconnaissance »,
op.cit., pp. 27-43.
12 Ibid.
13 Honneth, A., et Renault, E., «
Entretien avec Axel Honneth. Marxisme, Philosophie sociale et
théorie critique », cité par Haud Gueguen.
14 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 275.
15 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 14
implicite aux demandes de reconnaissance que le sujet adresse
à ses semblables, les concepts de « mépris » ou
d'« offense » restent incompréhensibles »16.
La référence s'inscrit dans l'ordre de «
l'intégrité » et de « l'approbation » que les
êtres humains rencontrent chez autrui17. Au cas où
l'intégrité personnelle est menacée et l'approbation
déniée, les individus se livrent à la quête pour la
reconnaissance qui passe par la lutte et le conflit. C'est pourquoi, « le
conflit et la lutte pour la reconnaissance constituent une sorte de loi
universelle : « L'homme qui désire humainement une chose agit non
pas simplement pour s'emparer de la chose, mais pour faire reconnaître
par un autre son droit sur cette chose [...], bref pour faire reconnaître
par l'autre sa supériorité »18. Faire
reconnaître sa supériorité par un autre signifie pour nous
se faire valoriser aux yeux d'une autre conscience de soi en tant qu'un
individu qui a des besoins affectifs, une personne qui a le droit au respect
moral et un sujet digne de valeur positive ou de l'estime de soi.
Cependant, dénier le droit de reconnaissance aux
êtres humains c'est porter atteinte à leur intégrité
d'où les trois formes du mépris relevées par Axel Honneth
: La première forme de mépris est celle des humiliations
physiques à l'instar de la torture ou du viol. La seconde concerne la
privation des droits et l'exclusion sociale. La dernière forme est
liée à la dépréciation de la valeur sociale «
de certains modèles d'autoréalisation ». Par ailleurs, les
presbyteriums ne sont pas épargnés de cette réalité
des conflits moraux. C'est le cas des vicaires paroissiaux et des curés
qui s'opposent à cause de la privation des droits légaux les uns
envers les autres ou alors des évêques et des prêtres qui se
tiraillent à cause du manque de la sollicitude, du respect, de la
considération et de la méconnaissance des qualités et des
capacités de certains dans l'exercice des charges et des
responsabilités au sein des presbyteriums. Les conflits moraux ne sont
pas en effet ni étranges ni un accident dans le vécu des
presbyteriums, sans doute c'est dans ce sens que Monseigneur Jean-Bosco Ntep,
évêque du diocèse d'Edéa, dans son troisième
Projet pastoral affirmait :
Il nous faudra réduire les
contre-témoignages, [les conflits et les luttes] qui causent les
mésententes entre les membres d'une même équipe pastorale,
le
16 Ibid., p. 223.
17 Ibid.
18 Marc, E. et Picard, D., « Conflit et relation », in
Gestalt, 2015/1(46), p. 129-142. Disponible [en ligne] sur :
https :
www-cairn-info.bases-doc.univ-lorraine.fr/article.php
? ID Article=GEST_046_0129, consulté le 20 août 2023.
CHARLES DIEUDONNÉ T 15
scandale d'un presbyterium divisé. Les
désaccords ne manqueront pas. Ils sont le fruit de nos
différences et des divergences légitimes des points de vue. Mais
il faut en tout état de cause renforcer le dialogue, la collaboration et
la solidarité entre nous19.
De cette assertion naît notre étonnement et de
surcroît une expression suscite notre attention : « Le scandale d'un
presbyterium divisé ». Un presbyterium divisé est un
véritable scandale. Certes des désaccords, il y en aura toujours
; les divergences d'opinions aussi mais d'en arriver à la division c'est
là le problème. Car, ce qui caractérise un presbyterium
c'est l'unité, la communion et surtout « la fraternité
sacramentelle »20. D'après le Décret sur le
Ministère et la Vie des Prêtres : « Du fait de leur
ordination, qui les a fait entrer dans l'ordre du presbytérat, les
prêtres sont tous intimement liés entre eux par la
fraternité sacramentelle »21. Le presbyterium est donc
l'ensemble des prêtres d'un diocèse réuni autour de
l'évêque. Ce qui fait de l'Ordre des prêtres une famille et
un corps : le corps où les membres sont liés entre eux par la
fraternité sacerdotale. Ce lien est fort, plus fort que notre origine,
notre appartenance : linguistique, régionale, ethnique, tribale ou
raciale. Ce qui fonde ce lien entre les prêtres et les prêtres avec
les évêques c'est le sacrement de l'ordre et rien d'autre. Cela
peut nous pousser à s'interroger sur certaines réflexions et
expressions de l'heure telles que : « les prêtres venus d'ailleurs
». Au-delà de l'ordination sacerdotale qui fait entrer dans l'ordre
du presbytérat, il y a l'affectation au service d'un diocèse en
dépendance de l'évêque local qui fait d'un prêtre de
manière spéciale un membre d'un autre presbyterium22.
Par cette affectation et ce service, ce tiers devient membre à part
entière de ce nouveau presbyterium. Dans quelle mesure peut-on alors
qualifier les membres à part entière d'un même et unique
presbyterium les prêtres venus d'ailleurs ? C'est vrai que cette question
advient ici comme un cheveu dans la soupe. Mais elle
19 Mgr Jean-Bosco, Ntep. Avancez au large et
jetez les filets. Projet pastoral (2016-2020), Douala (Cameroun), Clamer
presse, 2016, p. 31. Désormais pour faire référence
à ce projet pastoral, nous mentionnerons simplement : (Propast III). En
réalité, si parlons du troisième projet pastoral, cela
signifie qu'il y a deux précédents du même auteur. Au cas
où un autre projet pastoral sera cité ou évoqué,
nous le préciserons. Dans l'introduction de ce document, Mgr jean-Bosco
Ntep en sa qualité d'ordinaire du lieu tient à préciser
les circonstances et les raisons de la rédaction et de la publication de
ce nouveau projet pastoral. Je cite : « Ce projet pastoral a connu de
grands moments de la réflexion et de l'activité de l'Eglise, tels
que le deuxième Synode spécial pour l'Afrique, Synode sur la
Parole de Dieu, pour ne citer que ces deux exemples. Tout cela a
conforté la foi et la conviction des pasteurs et des fidèles en
l'appel du Seigneur. Le diocèse qui abordait sa deuxième
décennie s'est consolidé dans l'organisation et la mise en place
de ses structures. Le personnel a évolué en quantité et en
qualité. La conscience d'une famille de Dieu qui évite de
réduire l'Evangile à un ensemble de textes à lire et
à commenter pour les autres, s'est aussi fait ressentir. Tous les
fidèles étaient appelés à être destinataires
et de l'Evangile » (p.5).
20 Cette expression exprime le lien qui se noue
entre les prêtres d'un même presbyterium par l'ordination. C'est ce
qui fait d'eux des frères d'une même famille, d'un même
diocèse.
21 Concile Vatican II, Décret Presbyterorum
ordinis (PO), n. 8.
22 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 16
garde toute son importance et sa pertinence et
nécessite d'être approfondie. Quoi qu'on dise, la question de la
reconnaissance dans le milieu ecclésial et en l'occurrence au sein des
presbyteriums est mise en jeu. Car, c'est au sein des presbyteriums que les
hommes devraient plus qu'ailleurs se déterminer par des convictions
éthiques pour une vie bonne et réussie. Autrement dit, par leur
essence, les presbyteriums devraient être la vitrine, le lieu par
excellence où les sujets humains vivent mieux entre eux la
reconnaissance réciproque : l'amour, le respect et la solidarité.
Cependant, force est de reconnaître qu'au sein des presbyteriums la
question de la reconnaissance mutuelle se pose encore avec acuité.
Dès lors, devant une telle situation paradoxale, on est en droit de
s'interroger : qu'est-ce qui serait à l'origine des luttes entre les
membres d'un même presbyterium qui sont supposés plus qu'à
jamais et mieux que quiconque se reconnaître mutuellement comme des
individus de besoins affectifs, des personnes garantes de droits et des sujets
jouissant des qualités et des prestations particulières dans
l'optique de leur autoréalisation pour une vie socialement bonne et
réussie ?
Le présent travail revêt un double
intérêt : heuristique23 et
téléologique24. Car, notre objectif est de voir
à partir des formes de la reconnaissance mutuelle chez A. Honneth
comment certaines valeurs éthiques telles que l'amour, le droit et la
solidarité peuvent contribuer à l'intégration sociale des
personnes plus concrètement à celle des membres des presbyteriums
pour la construction des communautés plus harmonieuses, plus
authentiques et plus fraternelles permettant la reconnaissance progressive des
identités individuelles en vue de leur réalisation de
soi25. Pour ce faire, nous avons opté pour une étude
qualitative et d'appropriation basée sur la méthode diachronique
dont le point nodal est la lutte pour la reconnaissance chez Honneth qui fait
l'objet de notre recherche.
Pour justifier la portée de notre problématique
qui est de comprendre et d'expliquer la carence ou l'absence de la
reconnaissance qui entrave les rapports mutuels ou d'intégration sociale
entre les membres d'un presbyterium au point de faire naître un sentiment
de mépris, d'offense ou d'injustice entre eux, vecteur ou
déclencheur des luttes pour la reconnaissance. Pour mener à bien
notre étude, notre travail sera subdivisé en trois chapitres.
23 Le concept heuristique est l'art de trouver, de
découvrir. La méthode heuristique est une réflexion
méthodique sur une activité. « L'heuristique se distingue de
la méthodologie en ce sens qu'elle est plus une réflexion sur
l'activité intellectuelle du chercheur que sur les voies objectives de
solution ». Source : CNRTL, consulté le 15 mai 2023.
24 La téléologie est l'étude des
fins, de la finalité.
25 Honneth définit la «
réalisation de soi » comme étant un point de repère
permettant de s'interroger sur un ordre social pour savoir s'il assure à
ses membres des possibilités satisfaisantes de formation de
l'identité. (Voir, La société du mépris. Vers
une nouvelle Théorie critique, p. 179).
CHARLES DIEUDONNÉ T 17
Dans le premier chapitre, il nous revient de prime abord de
bien saisir et de mieux cerner la notion de la reconnaissance et de la
circonscrire dans le cadre de notre recherche. Car, notre prétention
n'est pas d'explorer la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle
dans sa globalité mais à partir de celle-ci répondre
à la préoccupation selon laquelle ce qui serait à
l'origine des luttes dues au manque de reconnaissance ou à la
désapprobation des identités personnelles au sein des
presbyteriums dans le but de retrouver l'authentique reconnaissance mutuelle
entre les membres. Pour ce faire, il est loisible de mettre en relief les
différentes formes d'interaction qui concourent à « la
formation de l'identité de la personne tributaire des relations de
reconnaissance dont la constitution est forcément de nature
intersubjective »26.
En outre, dans le processus de formation des divers
degrés d'autonomie, des sujets peuvent être victimes d'un mauvais
traitement, faire l'expérience d'un manque, d'une offense ou d'une
humiliation donc d'un mépris d'où le déni de
reconnaissance. Ce qui fait qu'au second chapitre, nous tenterons de mettre en
évidence les différentes figures du mépris social dans les
presbyteriums à partir des atteintes à l'intégrité
de la personne humaine qui obstrue l'autoréalisation de
l'identité individuelle des sujets humains.
Le seul désir du déni de reconnaissance est le
désir de reconnaissance. C'est la raison pour laquelle, lorsque les
sujets humains sont méconnus par refus ou par privation de
reconnaissance ou font l'expérience du mépris, ils sont
contraints de s'engager dans le conflit intersubjectif qui correspond au
degré de socialisation pour obtenir la reconnaissance de l'autonomie
jusque-là non confirmée. C'est ce qui nous amène au
dernier chapitre où nous proposons qu'il soit possible pour les
presbyteriums de passer de la carence ou de l'absence de reconnaissance
à la reconnaissance authentique. Ceci au moyen des valeurs axiologiques
proposées par Axel Honneth pour « une vie bonne et réussie
» au sein des presbyteriums. Il s'agit : de l'amour, du droit et de la
solidarité comme piliers pour la résolution des conflits au sein
des presbyteriums.
Cependant, nous verrons si « la reconnaissance de soi par
soi » est la seule expression paradigmatique de reconnaissance des sujets
humains pour une « vie éthique démocratique
»27telle que proposée par Axel Honneth.
26 Honneth, A., La société du
mépris Vers une nouvelle théorie critique, op.cit., p.
20.
27 Carré, Louis. Axel Honneth. Le droit de
la reconnaissance, Michalon, Paris, 2017, p. 33.
CHARLES DIEUDONNÉ T 18
CHAPITRE I : LA RECONNAISSANCE MUTUELLE ET
SES
DIFFERENTES FORMES CHEZ AXEL HONNETH
Le concept de reconnaissance devenu « théorie de
la reconnaissance » est une thématique actuelle abordée dans
plusieurs registres de la pensée dont les discussions convergentes et
divergentes attisent les débats et les recherches. C'est dans cette
optique que nous nous inscrivons à cette étude. Aborder une
réflexion sur la lutte pour la reconnaissance mérite de cerner
cette notion et de la situer dans son contexte. Dans ce premier chapitre
consacré à la reconnaissance mutuelle et à ses
différentes formes, d'une part, nous nous intéresserons à
la compréhension de la notion de lutte pour la reconnaissance chez A.
Honneth et ses corollaires, d'autre part, nous présenterons les trois
formes d'interaction sociale qui prouvent que les différentes formes de
reconnaissance peuvent être rapportées à des
différents degrés de la relation pratique de l'individu avec
lui-même.
CHARLES DIEUDONNÉ T 19
I. Approche terminologique
Pour comprendre la notion de la lutte pour la reconnaissance,
il nous semble important de s'arrêter un instant sur le concept
même de reconnaissance.
I.1. Qu'est-ce que la reconnaissance ?
Le mot « reconnaissance » admet plusieurs
acceptions. La définition proposée par Louis Carré nous
semble facile et complète. Celui-ci dégage une triple
signification de ce terme grâce au « Trésor de la langue
française ». Pour lui, « reconnaître » et «
reconnaissance » peuvent désigner plusieurs choses. La
première signification qu'il octroie à ce mot est : « le
fait d'« identifier quelqu'un ou quelque chose », la seconde est :
« le fait de « reconnaître officiellement l'autorité de,
la souveraineté, de reconnaître pour chef, pour maître
incontesté », la troisième est « le fait de « se
reconnaître mutuellement »28. C'est dans la
dernière signification que s'inscrit la vision honnéthienne de la
lutte pour la reconnaissance. Cependant, nous estimons encore qu'il est plus
logique et judicieux de comprendre cette notion de lutte pour la reconnaissance
à partir de Hegel pour bien appréhender la portée chez
Honneth.
I.2. L'idée de lutte pour la reconnaissance chez
Hegel
Pour Hegel, la notion de reconnaissance est indissociable
à celle de la lutte dont l'objectif est de se savoir reconnu ou
d'exister aux yeux des autres. En effet, le sujet est un
événement éthique dans la mesure où il vise la
reconnaissance intersubjective de certaines dimensions de
l'individualité humaine29. Quant à la lutte, elle est
considérée comme un moyen moral qui permet de passer d'un stade
primitif à un stade plus avancé des rapports éthiques.
Mais ce n'est pas elle qui procure « la reconnaissance satisfaisante
». La reconnaissance mutuelle tire alors son origine dans la lutte ou le
conflit né du déni de reconnaissance ou de toute autre injustice
qui désapprouve l'être humain comme une fin en soi ou une personne
porteuse d'une valeur morale ou d'une dignité pleine. La lutte pour
reconnaissance a pour socle l'intersubjectivité et pour mobile la
morale. La lutte dont il est question chez Hegel autant Honneth a une approche
sociale mais bien différente de la lutte pour l'existence. Ce qui fait
que la formation de l'identité personnelle se construit grâce aux
relations de reconnaissance. Il peut
28 Carré, Louis. Axel Honneth. Le droit de
la reconnaissance, Michalon, Paris, 2017, p. 33.
29 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 33.
CHARLES DIEUDONNÉ T 20
donc arriver que le sujet d'action soit reconnu par les autres
en vertu de ses affects, de ses besoins, de ses droits, de ses capacités
et de ses qualités : il s'agit là de la « reconnaissance
active » d'après Paul Ricoeur. Tout de même, la personne peut
aussi faire une expérience négative de la reconnaissance ou
déni de reconnaissance qui aboutira à la lutte sociale, au point
de vouloir d'être reconnu : dans ce cas on parle de la «
reconnaissance passive ».
I.2.1. Reconnaissance comme liberté et attente
Chez Hegel, la reconnaissance signifie « liberté
» et « attente ». D'une part, elle est liberté parce que
c'est lorsque je mets ma vie en danger que je prouve à autrui ma
liberté. D'autre part, elle est attente, car je veux être reconnu
par autrui. En réalité, ce modèle de lutte qui repose sur
la liberté et sur l'attente n'est pas de type agonisant. Il s'agit
là des « luttes d'honneur ». Car, les deux consciences de soi
sont en scène et en quête de confiance, du respect ou de l'estime.
Ce qui fait que chez Hegel, la reconnaissance est une valeur à valoriser
par un effort à faire pour obtenir ce qu'on veut ou recherche.
Il arrive donc que les prêtres fassent des
expériences du déni de reconnaissance ou liées à
des luttes d'honneur. Mais celles-ci peuvent changer de pan et devenir des
luttes agonisantes. Dans la mesure où, des luttes d'honneur peuvent
être source de blessure morale. Par conséquent, vecteur d'un
affrontement entre deux consciences de soi, l'une sentant son honneur en jeu
riposte pour défendre celui-ci. Au-delà de la reconnaissance
comme liberté et attente, Hegel voit la reconnaissance comme une
relation.
I.2.2. La Reconnaissance comme une forme de relation
L'expérience de travail est ce qui fonde toute relation
de reconnaissance chez Hegel. D'après Guillaume Le Blanc, « le
motif de reconnaissance est alors fixé à travers la lutte que se
vouent le maître et le valet, interprétée comme lutte
totale de deux consciences. Cette lutte pour la reconnaissance ne prend sens
pour Hegel que parce que le référentiel anthropologique a
été transformé : la définition de l'homme
générique est désormais celle d'un être qui
reconnaît et qui est reconnu. »30. Selon Le Blanc, la
lutte pour la reconnaissance totale des deux consciences dans la philosophie
hégélienne devient un événement entre le
maître et le valet à partir de la nouvelle définition de
l'homme générique. Car, d'un côté, il y a le
reconnaissant et de l'autre, le reconnu. Hegel traduit lui-même cette
réalité entre le reconnaissant et le reconnu dans la
Phénoménologie de l'Esprit en ces termes : «
L'homme est nécessairement reconnu et il est nécessairement
reconnaissant. Cette nécessité est sa propre utilité, non
pas celle de notre
30 Le Blanc, Guillaume., L'invisibilité
sociale, Paris, PUF, 2009, p. 98-99.
CHARLES DIEUDONNÉ T 21
pensée. En tant que reconnaissant, l'homme est
lui-même le mouvement et ce mouvement supprime justement son état
de nature ; il est acte de reconnaître »31. L'homme
reconnaissant est en mouvement parce qu'il attend d'être lui-même
reconnu par le reconnaissant. A ce moment, le reconnu devient le reconnaissant,
le reconnaissant le reconnu d'où la nécessité de «
l'acte de reconnaître » qui annihile le conflit ou la lutte. Si nous
restons avec Le Blanc, il voit dans « la scène
hégélienne » de la reconnaissance « une scène
totale » qui met en jeu une nouvelle idée de l'homme que le droit a
vocation à confirmer32. Ainsi, introduit-il [Hegel] la
relation de reconnaissance dans le droit sans que celle-ci soit sa
genèse. Pour lui, « le droit est la relation de la personne dans
son comportement avec l'autre » d'une part, de l'autre, « cette
relation est pour Hegel « la relation qui reconnaît
»33. D'après Le Blanc :
L'homme ne peut se saisir qu'en reconnaissant l'autre
comme son égal, et cette reconnaissance qui est source de conflits est
le contenu réel du droit. Si le maître et le valet entrent dans un
processus de lutte pour la reconnaissance culminant dans une lutte à
mort des consciences, idéalement, la reconnaissance peut être
établie pacifiquement par le droit car le droit règle les
rapports d'égalité entre les sujets qui désirent
s'entendre mais peuvent, selon leurs intérêts propres, entrer en
conflit34
Dans la relation de reconnaissance, le droit joue un
rôle important parce qu'il préside au respect de l'ordre
légal et intervient en cas de conflit entre les personnes pour
établir l'ordre déchu. C'est dans l'égalité et le
respect du droit que l'homme reconnaissant et le sujet reconnu s'accomplissent
pleinement ou s'auto-réalisent. Toutefois, le droit n'est pas le seul ni
le premier moyen qui concourt à l'effectivité de la
reconnaissance. Il semble même être le dernier recours. A ce
propos, le même auteur affirme : « Le droit fonctionne à la
reconnaissance (même s'il ne se réduit pas à elle), mais la
reconnaissance ne se cantonne pas au droit. [...] : la reconnaissance par le
droit survient quand toutes les autres formes de reconnaissance ont
échoué, soit parce qu'elles sont purement et simplement
niées, soit parce qu'elles sont insuffisantes devant l'épreuve
que traverse le sujet lésé »35. Si le droit
apparaît comme un élément facilitateur qui favorise
l'émergence de la reconnaissance mutuelle pour une bonne entente ou
lorsqu'elle est mise entre parenthèses, il s'avère que, là
où il est lésé, il y a aussi carence ou absence de
31 Ibid., p. 99.
32 Ibid.
33 Hegel, cité par Le Blanc,
L'invisibilité sociale, op.cit., p. 99.
34 Le Blanc, G., L'invisibilité
sociale, op.cit., p. 99.
35 Ibid., p. 101.
CHARLES DIEUDONNÉ T 22
reconnaissance. C'est le cas dans certains presbyteriums
où parfois quelques membres peuvent se sentir mal aimés,
regardés de travers, sans considération ou privés de leurs
droits. S'il est vrai que le droit est le dernier recours quand toutes les
autres formes de reconnaissances ont échoué ou sont
bloquées, comment Honneth a-t-il procédé à partir
du modèle hégélien pour actualiser ou reconstruire la
question de la reconnaissance intersubjective et mettre à jour la
théorie critique de la lutte pour reconnaissance mutuelle ?
I.3. Du modèle hégélien à
la théorie critique de lutte pour la reconnaissance mutuelle
chez
Axel Honneth
Pour reformuler la théorie de reconnaissance mutuelle
de Hegel, Honneth part du pragmatisme de Mead qui rejoint le jeune Hegel dans
le principe selon lequel : « La reproduction de la vie sociale s'accomplit
sous l'impératif d'une reconnaissance réciproque, parce que les
sujets ne peuvent parvenir à une relation pratique avec eux-mêmes
que s'ils apprennent à se comprendre à partir de la perspective
normative de leurs partenaires d'interaction, qui leur adressent un certain
nombre d'exigences sociales. »36. C'est la raison pour
laquelle, il se réfère à la philosophie
hégélienne et s'intéresse particulièrement à
une partie de ses écrits de jeunesse appelée la période
« d'Iéna » où parut pour la première fois «
le thème hégélien de la reconnaissance ». Hegel a eu
le mérite de reprendre le modèle de la « lutte sociale
» introduit par Machiavel et Hobbes dès le début de la
philosophie sociale et politique moderne pour lui donner une autre connotation
théorique, celle de comprendre « les conflits humains non pas
à des motifs de conservation individuelle, mais à des mobiles
moraux »37. Pour Honneth, Hegel a su recentrer le modèle
« de la lutte sociale » par une synthèse du modèle
hobbesien fondé sur « la lutte originelle de tous contre tous
» et le modèle fichtéen qui consiste à une action
réciproque entre les individus sur laquelle se fonde la relation
juridique38. La lutte pour la reconnaissance ne saurait donc
être une lutte pour la survie ou pour « l'auto-préservation
individuelle » mais plutôt elle s'inscrit dans l'ordre moral et
intersubjectif, et s'oppose à l'ontologie individualisée pour
s'ouvrir à la relation sans laquelle le sujet de l'action ne peut pas
être reconnu ni être confirmé par les autres comme un sujet
moral. Par conséquent, il est impossible de développer un rapport
positif à soi-même alors que « le fait de reconnaître
autrui tout en étant reconnu par lui apparaît comme
l'indispensable condition pour que s'instaure un rapport véritablement
libre à soi-même et à l'autre »39.
Toutefois, Selon Honneth, la
36 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 157.
37 Ibid.
38 Ibid., p. 32.
39 Carré, Louis, Axel Honneth. Le droit de
la reconnaissance, p. 39.
CHARLES DIEUDONNÉ T 23
reconnaissance constitue la force morale qui alimente
l'évolution et le progrès de la société
humaine40. C'est pourquoi, Hegel, partant de sa prémisse
intersubjective pose l'existence de différentes formes de reconnaissance
réciproque. Celles-ci se distinguent entre elles en fonction du
degré d'autonomie qu'elles apportent au sujet par le biais des
sphères ci-dessous : l'amour, le droit et l'éthicité. Des
trois sphères naissent le triptyque de la théorie reconnaissance
selon Honneth avec ses trois formes de reconnaissance : la reconnaissance
amoureuse, juridique et culturelle.
Par ailleurs, c'est dans le phénomène de la
conflictualité que l'individu se réalise et prend conscience de
son autonomie et de sa dépendance par le biais de son vis-à-vis
ou de ses partenaires d'interaction comme c'est le cas entre la mère et
l'enfant dans la reconnaissance amoureuse ou affective.
II. Les différentes formes de
reconnaissance
II.1. La reconnaissance amoureuse
La première forme de reconnaissance est basée
sur la relation d'amour : « En s'appuyant sur les travaux du psychanalyste
Donald Winnicott, Honneth prétend qu'une première
expérience de reconnaissance se joue dans les relations affectives que
nous tissons très tôt avec les personnes de notre entourage de
plus proche [..], et s'étend aux liens érotiques et amicaux que
contractent les sujets tout au long de leur vie. De manière
générale, elle est véhiculée par les affectifs
puissants entre un nombre restreint de personnes »41. C'est
à ce stade que les sujets se « confirment mutuellement dans leurs
besoins concrets comme des nécessiteux »42 . Il s'appuie
sur la théorie de la relation d'objet pour comprendre le processus de
séparation entre l'enfant et le parent qui est le premier degré
de la reconnaissance réciproque. Dans le déploiement de ce
processus, dans un premier temps, il y a une unité primitive entre le
nourrisson et la personne de référence aussi bien qu'une
dépendance de l'enfant. Au second stade marqué par «
l'équilibre précaire entre autonomie et dépendance
»43, l'enfant se démarque petit à petit de sa
mère et il acquiert grâce à l'expérience
intersubjective la sécurité émotionnelle qu'est « la
confiance en soi » tout en la reconnaissant comme l'objet de droit, ce qui
lui permet d'avoir son autonomie. En effet, d'après Winnicott, la
première étape dans ce processus de
40 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 240.
41 Ibid., p.
42 Honneth, A., La lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 162.
43 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 24
reconnaissance est le « maintien » entre la symbiose
avec la mère qui marque la sécurité et l'affirmation
individuelle de soi, porteur de l'autonomie. A ce niveau, l'enfant
dépend totalement de son partenaire d'interaction qui lui octroie une
assistance continuelle dans les premiers mois de son existence44 au
point où il est « incapable de distinguer en termes cognitifs entre
son entourage et lui-même »45.
La seconde étape est celle de « dépendance
relative ». A ce stade, l'unité symbiotique est
réfractée par l'individuation respective des partenaires. Ce qui
donne lieu à une acceptation cognitive de l'indépendance dans
l'optique d'une confiance affective dans la permanence de l'attachement
réciproque des deux partenaires46. Par ailleurs, si le sujet
aimé n'intègre pas la réalité selon laquelle
même après avoir acquis son autonomie vis-à-vis de son
partenaire d'interaction, il reste dépendant de celui-ci, alors le sujet
aimant ne saurait à son tour lui reconnaître « son nouveau
statut ». C'est la raison pour laquelle, la relation d'amour mérite
d'être reconnu dans un double processus par lequel « on affranchit
et, simultanément, on lie émotionnellement l'autre personne
»47. En effet, la relation d'amour se limite dans un cadre
restreint qui n'est pas étendue à volonté au-delà
de l'entourage immédiat. Cependant, l'amour ne se réduit pas en
un acte sexuel. Il doit se comprendre « comme un être soi-même
dans un étranger »48. C'est-à-dire que « les
relations affectives primaires supposent un équilibre précaire
entre autonomie et dépendance »49. Bien qu'il soit
limité dans un cadre d'interaction, l'amour couvre le modèle des
rapports érotiques, amicaux ou familiaux. C'est à ce premier
modèle de la reconnaissance intersubjective que « les sujets s'y
confirment mutuellement dans leurs besoins concrets, donc comme des êtres
nécessiteux »50.
La dernière étape de la relation d'amour comme
mode de reconnaissance est la « capacité à être seul
». Après la rupture du lien symbiotique avec sa mère,
l'enfant veut se rassurer que celle-ci continuera à s'occuper de lui
comme avant. Dès cet instant, l'enfant est en sécurité et
il peut également être en tranquillité avec lui-même.
Par l'expérience intersubjective, l'amour ouvre l'individu à une
certaine sécurité émotionnelle qu'est la confiance en soi.
Ce qui fait que quand l'enfant « est sûr de l'amour maternel, il
acquiert une confiance en lui-même qui
44 Ibid., p. 169.
45 Ibidem.
46 Ibid., p. 182.
47 Ibidem.
48 Hegel, G.W.F., System der Sittlichkeit,
cité par Honneth, A., p. 162.
49 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 162.
50 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 25
lui permet de rester seul sans inquiétude
»51. En outre, « la capacité d'être seul
» est la condition nécessaire de toute créativité,
infantile ou adulte. Toutefois, la capacité d'être seul augure et
garantit la possibilité d'une bonne relation communicationnelle. Car
:
Tout lien affectif fort ouvre à chacune des
personnes impliquées la possibilité d'instaurer un rapport
détendu à soi-même, dans l'oubli de la situation
particulière où elle se trouve, comme le fait le nourrisson quand
il est sûr de l'affection de sa mère. Il faudrait alors voir dans
la relation réussie un schéma d'interaction, dont la
réitération au niveau de la vie adulte atteste le bon
établissement de liens affectifs avec d'autres
personnes52.
De cette affirmation, il en découle que l'interaction
symbiotique entre la mère et l'enfant joue un rôle important dans
la structure communicationnelle de l'amour comme mode de reconnaissance
réciproque. Comme le nourrisson qui a confiance à sa mère
par le lien d'affection ainsi s'établit un rapport intersubjectif entre
des personnes qui ont aussi un lien affectif fort ou poussé. Ce qui fait
que celles-ci peuvent « se rejoindre dans une conservation à coeur
ouvert, ou en s'abandonnant au simple plaisir d'être ensemble (...). La
personne aimée, étant assurée de notre affection, trouve
la force de se retirer tranquillement en elle-même et de s'ouvrir
à elle-même, et c'est seulement par là qu'elle devient un
sujet autonome, avec lequel l'être-un peut désormais être
vécu comme une intégration réciproque.
»53. Pour qu'un sujet participe de manière autonome
à la vie publique, il a besoin de la confiance en soi « pour
contribuer, au même titre que les autres membres de la communauté,
à la formation politique »54
II.2. La reconnaissance juridique
La seconde forme de la reconnaissance mutuelle trouve son
fondement sur la relation juridique. Celle-ci est la forme intermédiaire
entre la reconnaissance affective et la reconnaissance culturelle. Le droit
intervient là où la relation d'amour s'arrête. Cependant,
« les modèles de reconnaissance juridique pénètrent
dans la sphère interne des relations primaires, parce que l'individu
doit être protégé contre le danger d'une violence physique
dont la possibilité est structurellement inscrite dans
l'équilibre précaire de tout lien émotionnel
»55.
51 Ibid., p. 177.
52 Ibid., p. 177-178.
53 Ibid., p. 179.
54 Ibid., p. 69.
55 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 297.
CHARLES DIEUDONNÉ T 26
C'est grâce à la relation juridique que nous
pouvons nous comprendre comme porteurs de droits : « si nous avons en
même temps connaissance des obligations normatives auxquelles nous sommes
tenus à l'égard d'autrui »56. En tant que porteur
de droit, nous devons connaître et reconnaître que les autres sont
aussi porteurs de droits. Comme ils ont des obligations vis-à-vis de
nous, nous avons aussi les devoirs vis-à-vis d'eux qui sont leurs
droits. Pour Honneth, la reconnaissance juridique ne désigne tout
d'abord que la relation dans laquelle l'alter et l'ego se respectent
réciproquement comme des sujets de droits. C'est pourquoi, pour :
Se reconnaître mutuellement comme des personnes
juridiques, aujourd'hui, cela implique plus de choses qu'au moment où
est né le droit moderne : le sujet, quand il se trouve reconnu
juridiquement, n'est plus seulement respecté dans sa faculté
abstraite d'obéir à des normes morales, mais aussi dans la
qualité concrète qui lui assure le niveau de vie sans lequel il
ne pourrait exercer cette première capacité57.
En effet, c'est en qualité de membre de la
communauté que le sujet est reconnu porteur du droit et peut s'attendre
à voir certaines de ses exigences satisfaites. A l'aide de ses droits
légaux, l'être humain prend conscience qu'il peut se respecter
lui-même, parce qu'il mérite le respect des autres sujets. Il
s'effectue un passage de la considération cognitive à la
reconnaissance morale depuis Kant. Ce qui fait de chaque individu une personne
et appelé d'agir envers lui selon ce à quoi nous sommes
moralement tenus par les qualités inhérentes à la personne
humaine58. En clair, le respect de soi ou la faculté positive
à soi est à la relation juridique ce que la confiance en soi est
à l'amour. Par ailleurs, les mêmes droits octroient à
l'individu « la capacité de se prononcer d'une manière
rationnelle et autonome sur des questions morales »59. Ce
faisant, les sujets se reconnaissent moralement responsables. Toutefois, le
système juridique doit être perçu comme « l'expression
des intérêts universalistes de tous les membres de la
société » où il n'existe ni exception ni
privilège mais plutôt un principe
d'égalité60. Les presbyteriums ne doivent guère
négliger ce principe d'égalité. L'égalité
implique la reconnaissance de l'autre comme également une personne digne
de respect. Dans
56 Ibid., p. 183.
57 Ibid., p. 200.
58 Ibid., p. 191.
59 Ibid., p. 194.
60 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 27
la mesure où : « Le respect n'est alors rien
d'autre que la reformulation morale, c'est-à-dire la reformalisation, de
l'égalité première donnée dans le commerce des
égaux. » 61.
En sus, l'égalité va de pair avec l'idée
du droit. Ceci a pour conséquence que, non seulement le principe
d'égalité admet l'enrichissement progressif du statut juridique
mais donne son extension à un plus grand nombre
d'individus62. Il y a alors un rapport de nécessité
entre le droit et la reconnaissance, entre l'homme et la reconnaissance. Ce qui
donne lieu au droit de la reconnaissance. Le droit de la reconnaissance, selon
Louis Carré est « une manifestation à la fois subjective et
objective de la liberté humaine, revient à poser un droit
fondamental, accordé en principe à chacun des membres de la
société, de mener une vie éthique réussie au sein
des institutions »63. Dès lors, l'homme est un
être reconnu et reconnaissant. Ce qui fait qu'il « ne peut se saisir
qu'en reconnaissant l'autre comme son égal, et cette reconnaissance qui
est source de conflits est le contenu réel du droit »64.
Par ailleurs, « reconnaissance, affirmation de l'égalité et
valeur du droit forment ainsi la trame moderne de la nouvelle définition
de l'homme. Exister comme humain, c'est être confirmé, par un
biais ou par un autre, pour une procédure de reconnaissance qui met en
jeu une communauté de sujets dont la valeur est préservée
par le droit. »65.
Somme toute, c'est « l'expérience de la
reconnaissance juridique [qui] permet au sujet de se considérer comme
une personne qui partage avec tous les autres membres de sa communauté
les caractères qui la rendent capable de participer à la
formation d'une volonté discursive »66. Selon Le Blanc,
le droit est ce qui « règle les rapports d'égalité
entre des sujets qui désirent s'entendre mais peuvent, selon leurs
intérêts propres, entrer en conflit. »67.
Dès lors, le droit s'appert donc comme une arme pour la
résolution des conflits dans les presbyteriums parce qu'il vient pour
dire et légitimer le respect de soi et celui d'autrui. Mais le droit
vient aussi pour prôner l'égalité entre les partenaires
d'interaction : évêques et prêtres, curés et
vicaires...C'est ce qui universalise la relation juridique de telle
manière qu'un nombre croissant de groupes ou de personnes exclues ou
défavorisées se voient reconnus les mêmes droits que les
autres membres de la société68. Il est bien difficile
de vivre dans une société
61 Le Blanc, G., L'invisibilité
sociale, op.cit., p. 86.
62 Ibid., p. 200.
63 Carré, L., Axel Honneth. Le droit de la
reconnaissance, op.cit., p. 117.
64 Le Blanc, G., L'invisibilité
sociale, op.cit., p. 99.
65 Ibid.
66 Ibid., p. 204-205.
67 Le Blanc, G., L'invisibilité
sociale, op.cit., p.99.
68 Ibid., p. 201.
CHARLES DIEUDONNÉ T 28
comme dans un presbyterium « sans droits individuels
». Il s'agit là de la sphère des droits fondamentaux tels
que les droits civils qui assurent aux individus la protection de leur
liberté, de leur vie et de leur propriété contre les
empiètements illégitimes69. A côté de
cela, il y a les droits politiques qui garantissent la participation aux
processus de formation de la volonté publique ou « au suffrage
universel »70. Enfin, il apparaît la gamme des droits
sociaux qui assurent à chaque individu une part équitable dans la
distribution des biens élémentaires71 d'où la
distinction faite par Louis Carré des biens fondamentaux en
matière de santé, d'éducation et de
travail72.
Si dans les presbyteriums, quelques membres font face à
certains dénis comme le problème du droit à la juste
rémunération, à la pension vieillesse, à la digne
couverture sanitaire alors qu'une partie est dignement traitée et nantie
de tous ces droits, ceux qui sont dans le manque ne peuvent avoir aucune chance
d'acquérir le respect d'eux-mêmes73 ni « de garder
la tête haute » et encore moins « de regarder les autres dans
les yeux et de se sentir fondamentalement égal de tous
»74. Alors que se considérer détenteur de droits,
« c'est développer un sentiment de fierté légitime
» et avoir un minimum de respect pour soi-même. Si les droits
fondamentaux individuels ne sont pas respectés, la personne n'a pas de
considération. Pourtant, respecter les personnes c'est respecter leurs
droits.
Pour Paul Ricoeur, la reconnaissance juridique renvoie
à la norme et à autrui. Cela implique la
réciprocité dans la reconnaissance en droit. A partir de la
norme, Ricoeur définit la reconnaissance comme le fait de « tenir
pour valable », « faire aveu de validité » ; s'agissant
de la personne, « reconnaître c'est identifier chaque personne en
tant que libre et égale à toute autre »75. Aussi
mentionne-t-il : « La reconnaissance au sens juridique ajoute ainsi
à la reconnaissance de soi en termes de capacité (selon les
analyses de notre deuxième étude) les capacités nouvelles
issues de la conjonction entre la validité universelle de la norme et la
singularité des personnes »76. Pour lui, l'enjeu est la
mise en relief de cet ensemble : « l'élargissement » de la
sphère des droits reconnus aux personnes et « l'enrichissement
» des capacités individuelles77. Si les droits
liés à la reconnaissance de la personne humaine lui sont
69 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 195.
70 Ibid., p. 195.
71 Ibid., p.195.
72 Carré L., Axel Honneth. Le
droit de la reconnaissance, op.cit., p. 49.
73 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p.203.
74 Ibid.
75 Ricoeur, P., Parcours de la
reconnaissance. Trois études, Paris, Gallimard (folio
essais), 2004, p. 309.
76 Ibid.
77 Ibid., pp. 309-310.
CHARLES DIEUDONNÉ T 29
enlevés ou refusés, cela signifie qu'on ne lui
reconnaît plus ou pas le même degré de responsabilité
morale qu'au reste des membres de la société. Dans ce cas, elle
se voit exclue, privée de ses droits au point de perdre son
intégrité sociale. Sans ce déploiement moral, le sujet ne
peut vraiment s'accomplir. Il a plutôt tendance à se faire
reconnaître ou valoir aux yeux d'autrui à travers la lutte. Si la
lutte pour la reconnaissance est un processus ancré dans le
développement des êtres humains par « la reconnaissance de
soi par soi » d'après Honneth, celle-ci passe par les
différentes relations de reconnaissance : de l'amour et de
l'amitié comme relations primaires et élémentaires
à la sphère du droit qui cherche l'égale reconnaissance
par le respect moral pour aboutir enfin à la réalisation de soi
par le biais de la reconnaissance culturelle qui prône l'estime de
soi.
II.3. La reconnaissance « de la communauté
de valeurs »78 ou culturelle.
La troisième forme de la reconnaissance mutuelle porte
sur l'estime sociale. Pour une relation ininterrompue entre les sujets humains,
« [ils] n'ont pas seulement besoin de faire l'expérience d'un
attachement d'ordre affectif et d'une reconnaissance juridique, ils doivent
aussi jouir d'une estime sociale qui leur permet de se rapporter positivement
à leurs qualités et à leurs capacités
concrètes »79. Cette dernière forme de
reconnaissance vise les qualités particulières qui
caractérisent les hommes dans leurs spécificités
personnelles alors que la reconnaissance juridique porte sur des
caractères distinctifs des sujets humains d'une manière
universelle. En réalité, « une personne ne peut se juger
« estimable » que si elle se sent reconnue dans les prestations qui
ne pourraient être aussi bien assurées par d'autres
»80. En effet, ce qui est estimé, c'est-à-dire ce
qui est reconnu dans cette sphère, ce sont les capacités et les
qualités singulières des individus. Mais également, c'est
le fait que chaque membre se sait apprécié par tous les
autres81. Il s'agit là de la solidarité qui est «
une sorte de relation d'interaction dans laquelle les sujets
s'intéressent à l'itinéraire personnel de leur
vis-à-vis, parce qu'ils ont établi
78 Honneth, A., La Lutte pour la
reconnaissance, op.cit., p. 192. C'est Honneth qui donne à la
troisième forme de la reconnaissance mutuelle le nom de « la
reconnaissance de la communauté de valeurs », p. 192. Cette
appellation nous semble judicieuse dans la mesure où ce degré de
reconnaissance englobe les autres formes et vise à valoriser les
qualités et les capacités particulières des personnes dans
leur spécificité.
79 Ibid., p. 206.
80 Ibid., p. 212.
81 Ibid., p. 218.
CHARLES DIEUDONNÉ T 30
entre eux des liens d'estime symétrique
»82. Toutefois, la solidarité est donc
conditionnée par des relations d'estime symétrique entre des
sujets individualisés et autonomes. Pour ce faire, « s'estimer
», c'est « s'envisager réciproquement à la
lumière des valeurs ». C'est ce qui donne aux qualités et
aux capacités de l'autre un rôle significatif dans la pratique
commune. L'horizon de « valeurs » reste la référence
pour apprécier des caractères individuels, parce que la «
valeur » sociale des sujets humains « se mesure à la
contribution qu'ils semblent pouvoir apporter à la réalisation
des fins poursuivies par la société »83. Dans la
mesure où, l'estime sociale se différencie du respect moral par
« le fait qu'il ne s'agit pas dans ce cas d'appliquer empiriquement des
normes universelles, intuitivement connues, mais d'évaluer d'une
manière graduée des qualités et des capacités
concrètes »84. A ce niveau, on peut parler d'une
échelle de valeurs : du moins au plus ou du pire au meilleur. Avec la
solidarité s'augure « un horizon dans lequel la concurrence
individuelle pour l'estime sociale peut se dérouler sans souffrance,
c'est-à-dire sans soumettre les sujets à l'expérience du
mépris »85. Car, les sujets sont appelés à
vivre les relations de sympathie et à regarder vers la même
direction à cause de la réalisation de leurs fins communes. En
outre, la reconnaissance culturelle apporte à l'individu le «
sentiment de sa propre valeur » appelé l'estime de soi.
L'estime de soi repose sur les qualités
particulières par lesquelles les hommes se caractérisent dans
leurs spécificités personnelles. C'est à la
société qu'il revient la fonction d'évaluer et
d'apprécier les critères sur lesquels se fonde l'estime sociale
des personnes, dont les capacités et les prestations sont jugées
intersubjectivement en fonction de leur aptitude à concrétiser
les valeurs culturellement définies de la collectivité à
partir de l'idée culturelle86. La relation de reconnaissance
culturelle renvoie aussi à l'existence d'une organisation sociale dont
la finalité commune est de réunir les individus dans une
communauté de valeurs.
Si nous nous référons à notre
définition initiale du terme presbyterium selon laquelle, c'est
l'ensemble des prêtres d'un diocèse réuni autour de leur
évêque, il apparaît clairement que l'autoréalisation
pour une vie bonne et réussie au sein d'un presbyterium se construit et
se
82 Ibid., Ici, la notion de solidarité se
rapporte à celle de « symétrique ». Pour Honneth,
« symétrique » signifie que chaque sujet reçoit, hors
de toute classification collective, la possibilité de se percevoir dans
ses qualités et ses capacités comme un élément
précieux de la société. (Voir chapitre V, p. 220-221)
83 Ibid., p. 208.
84 Ibid., p. 192.
85 Ibid., p. 221.
86 Ibid., p. 208.
CHARLES DIEUDONNÉ T 31
développe à la lumière de la
reconnaissance affective à la reconnaissance culturelle en passant par
la reconnaissance juridique.
La reconnaissance culturelle offre aux différents
membres d'un presbyterium la possibilité de reconnaître leurs
qualités et capacités individuelles mais aussi celles des autres.
Une telle reconnaissance suscite l'horizon de valeurs et crée au sein du
presbyterium « l'estime symétrique » en tant que valeur
axiologique précieuse qui favorise la plus grande symétrie ainsi
que de l'harmonie dans les rapports mutuels. Et à ce moment, l'estime de
soi devient une valeur dans « la communauté des valeurs » que
doit être le presbyterium en quête d'une reconnaissance
authentique. Si chaque membre du presbyterium se sait estimé ou reconnu
par ses prestations, l'esprit de concurrence entre les membres s'estompe et les
valeurs sociales protégées parce qu'endossées par l'estime
sociale. Car, l'expérience de l'estime sociale va toujours de pair avec
le sentiment de confiance quant aux prestations qu'on assure ou aux
capacités et qualités qu'on possède.
Par ailleurs, l'estime sociale a pour objet les fins
éthiques déterminées par chaque société. Ce
qui fait que le niveau d'appréciation des individus dépend des
valeurs admises par la société dont on appartient : les valeurs
éthiques recherchées par les individus dans la
société en général et au sein des presbyteriums en
particulier ne sont pas péremptoirement les mêmes. Toutefois,
« les qualités sur lesquelles se fonde l'appréciation
sociale d'une personne ne sont donc pas celles d'un sujet
considéré dans sa vie individuelle, mais celles d'un état
situé dans une typologie culturelle »87. C'est en effet
la valeur de « cet état » qui concourt à la
réalisation des fins de la société à travers la
contribution collective socialement définie. Ce faisant, c'est au sein
d'un même état que les sujets peuvent s'estimer mutuellement et
véritablement comme des personnes. Dans la mesure où ils
jouissent des qualités et des capacités communes sur
l'échelle des valeurs sociales d'un degré de
considération88. En effet, les capacités
développées par chacun commandent au cours de son histoire
personnelle l'estime sociale. Cela a pour conséquence,
l'individualisation des prestations que les valeurs sociales ouvrent aux
différents modes de réalisation de soi de la personne humaine.
Mais entre les états, les relations d'estime sont
hiérarchisées. Ce qui permet aux membres de la
société d'apprécier chez les représentants d'autres
états des qualités et des capacités qui contribuent
à la réalisation des valeurs communes. Par ailleurs, il y a une
sorte de coopération, de liaison ou d'interdépendance entre
l'estime de soi et l'estime sociale dans cette dernière forme de
reconnaissance qu'est « la
87 Ibid., p. 201.
88 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 32
communauté des valeurs ». Le Blanc voit dans ce
rapport une « codépendance ». Dans la mesure où
celle-ci tire son origine de l'analyse de Taylor que complète celle
d'Honneth. Pour lui, « La codépendance » dont il est question
ici accorde une place de choix « aux procédures de reconnaissance
de soi par autrui qui s'exercent dans les différentes formes de la vie
sociale »89. Ce qui fait que la société des
individus n'a de droit d'être que parce qu'elle est une
société de reconnaissance dont l'idée d'une
réalisation de soi, trouve sa limite dans l'expérience des
dépendances sociales90. Toutefois, la reconnaissance
apparaît comme une épreuve, sociale et morale. Ainsi, «
l'estime sociale, étant une part essentielle de l'estime de soi,
implique une vie relationnelle »91
Au-delà de l'appréciation à leur juste
valeur des qualités et capacités individuelles, Honneth
s'aperçoit que le contexte des sociétés modernes est
marqué par un « pluralisme axiologique », lequel « la
communauté des valeurs » se prête à « un conflit
culturel chronique »92. Par le fait que ces «
sociétés modernes sont traversées par des conflits portant
sur les valeurs à partir desquelles les contributions de chacun sont
soumises à évaluation »93 : la lutte autour des
salaires et des rémunérations professionnelles sont des cas de
figures de ce genre de conflits toujours latents sur ce qui doit compter comme
contribution individuelle significative à une communauté de
valeurs : l'homme de la reconnaissance ne peut alors être l'homme
intérieur qu'il cherche à être que pour autant qu'il est un
homme extérieur, confirmé par les autres94.
Au terme de ce chapitre qui constitue la clé de
voûte de notre réflexion sur la thématique de la
reconnaissance mutuelle chez Axel Honneth, nous avons abordé cette
question en deux temps. Dans un premier temps, nous avons suivi pas à
pas les précurseurs de ce débat qui sont Hegel et Honneth pour
comprendre l'idée de la lutte pour la reconnaissance. Ceci nous a permis
d'apprendre que Hegel a eu l'intuition de développer une philosophie de
la lutte pour la reconnaissance réciproque en réaction contre la
philosophie anti-aristotélicienne des modernes, celle de la lutte pour
l'existence, la survie ou « l'auto-préservation »
représentée par Hobbes et Machiavel pour lui donner une
formulation qui permet de rapporter les conflits humains à des mobiles
moraux. Sans doute, c'est la raison pour laquelle, Hegel considère la
lutte comme un
89 Le Blanc, G., L'invisibilité
sociale, op.cit., p. 110-111.
90 Ibid., p. 111.
91 Ibid.
92 Honneth, A., cité par Louis
Carré, Axel Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p.
50.
93 Ibid.
94 Ibid., p. 50-51.
CHARLES DIEUDONNÉ T 33
moyen moral qui consiste de passer d'un stade primitif
à un stade plus avancé. A la suite de Hegel, Honneth donne une
nouvelle impulsion à l'idée de lutte pour la reconnaissance
à partir de l'analyse faite sur l'évolution des
sociétés modernes grâce à l'apport de la psychologie
sociale, de la psychanalyse et de la sociologie. Ce faisant, il donne à
la notion de la lutte de reconnaissance un fondement « à teneur
normative » et interprète les conflits humains ou moraux dans la
perspective d'une demande de reconnaissance. Par le fait que « des sujets
ne se réalisent pleinement qu'en bénéficiant de la
reconnaissance des multiples facettes - affective, juridique, sociale- de leur
« dignité » morale »95, c'est pourquoi, au
second moment, nous identifié et analysé trois formes de
relations de reconnaissance réciproques qui se rapportent aux
différents types de rapports positifs que les sujets peuvent entretenir
avec eux-mêmes. D'abord, la reconnaissance amoureuse comme son nom
l'indique, elle est basée sur l'expérience de l'amour qui donne
accès à la confiance en soi ou à la singularité.
Ensuite, la reconnaissance juridique qui ouvre la voie au respect de soi ou
à l'universalité. Enfin, la reconnaissance culturelle,
développe la solidarité entre les sujets ou entre les groupes et
consolide l'estime de soi ou alors la particularité. A travers ces
différentes formes de relations de reconnaissance, « les individus
peuvent à chaque fois se savoir confirmés dans l'une et l'autre
des dimensions de leur autoréalisation »96.
Cependant, Honneth a eu le mérite à son tour de
relever que dans la vie courante les modalités de reconnaissance vont de
pairs avec des situations d'offense, d'humiliation et même d'injustice
d'où le déni de reconnaissance. Pour légitimer ce
mérite, Paul Ricoeur affirme : « Honneth fait correspondre à
ces trois modèles mi-spéculatifs, mi-empiriques, trois figures du
déni de reconnaissance susceptibles de fournir sur le mode
négatif une motivation morale aux luttes sociales (...). Cette mise en
parallèle constitue selon moi la contribution la plus importante de
l'ouvrage de Honneth à la théorie de la reconnaissance dans sa
phase post-hégélienne, les modèles de reconnaissance
fournissant la structure spéculative, tandis que les sentiments
négatifs confèrent à la lutte sa chair et son coeur
»97. C'est cette assertion qui nous introduit au second
chapitre qui traitera de la question des figures du mépris ou
dénis de reconnaissance comme causes de l'absence de la reconnaissance
mutuelle et authentique dans les presbyteriums.
95 Ibid., p. 25.
96 Honneth, A., La société du
mépris. Vers une nouvelle théorique critique, op.cit., p.
20.
97 RICOEUR, P., Parcours de la
reconnaissance. Trois études, op.cit., pp. 295-296.
CHARLES DIEUDONNÉ T 34
CHAPITRE II : LES FIGURES DU MEPRIS OU DENIS DE
RECONNAISSANCE COMME CAUSES DES CONFLITS AU SEIN DES PRESBYTERIUMS
Si « la reconnaissance » est la limitation du
désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre
»98, l'homme pour se réaliser pleinement dans sa
sphère sociale a toujours besoin de « se voir confirmer dans
l'autre ». C'est ce qui fait de l'homme un véritable sujet moral et
porteur de valeur. Cependant, il peut lui arriver de faire l'expérience
de la négation ou du manque de la reconnaissance ou alors se voir dans
« l'incapacité de pouvoir agir par soi-même, de telle sorte
que la vie qui est vécue est éprouvée comme une vie
inhumaine »99et devenir comme une épreuve qui touche le
sujet dans son rapport avec soi-même et avec le monde. Toutefois «
être défait de ses capacités humaines, notamment des
capacités à agir et à dire quelque chose de soi, c'est se
sentir amoindri dans sa vie d'humain »100et parfois se
considérer vraiment comme un être spolié. De telles
expériences négatives qui portent atteinte à
l'intégrité physique, sociale et à la dignité des
personnes humaines s'appellent habituellement « mépris » ou
« offense ». Cela renvoie à des formes plus ou moins graves
d'agression psychique, à l'abaissement manifeste d'une personne
privée de ses droits fondamentaux et à l'humiliation subtile qui
est infligée à un sujet, quand il est fait publiquement allusion
à ses échecs, il existe une différence catégoriale
que l'on risque de gommer si on les regroupe sous une même
dénomination101.
Pour Honneth, il existe trois catégories de figures du
mépris qui constituent selon nous les principales causes de la
dévalorisation de la personne humaine dans sa « dignité
» et son « intégrité », dans notre contexte, il
s'agit de la déshumanisation des membres des presbyteriums. La
première catégorie est la figure du mépris liée
à la violence physique. Ce type de figure du mépris est
considéré « comme la forme la plus fondamentale
d'avilissement
98 Honneth, A., Ce que social veut dire.
Le déchirement du social (I), trad. française par Pierre
Rusch, Paris, NRF essais-Gallimard, 2013, p. 107.
99 Le Blanc, G., L'invisibilité
sociale, op.cit., p.59.
100 Ibid.
101 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 224.
CHARLES DIEUDONNÉ T 35
de l'être humain »102. Car, il prive
l'être humain de son autonomie et détruit sa confiance
élémentaire dans son milieu de vie. En effet, le rapport positif
de cette forme de mépris est l'attention affective des relations
primaires103. La seconde catégorie est la figure du
mépris qui se rapporte à la privation des droits et à
l'exclusion sociale. Selon Honneth, à ce niveau, il est question «
du rabaissement d'un être humain auquel est refusé, à
l'intérieur de sa communauté, la pleine responsabilité
morale concédée en droit à cette personne juridique
»104. Le côté positif de cette forme de
mépris est le fait de se reconnaître ou de « se comprendre
comme un détenteur de droits aussi légitime » comme les
autres membres de la communauté. La dernière catégorie du
mépris est « la dépréciation de la valeur sociale
». Dans ce type de mépris, l'être humain vit dans le spectre
de la dévalorisation et de la désapprobation jusqu'à la
mésestime. A cette phase ultime, le rapport positif réside en la
« forme de reconnaissance [qui] doit présupposer
l'expérience vitale des charges partagées, elle comporte
toujours, en plus du moment cognitif du savoir éthique, le moment
affectif d'une participation solidaire »105. Lorsque les sujets
éprouvent le manque de reconnaissance à travers
l'expérience du mépris, ils sont poussés à
s'engager dans la lutte pour la reconnaissance. En outre, dans son
déploiement vers une nouvelle théorie critique, Honneth fait
l'analyse de l'évolution des sociétés modernes, il s'en
rend compte qu'une société peut bel et bien connaître ou
subir les perturbations moins en raison de la violation des principes de
justice qu'à cause d'une incapacité à assurer à ses
membres « une vie bonne et réussie ».
Dès lors, le présent chapitre est
consacré à l'identification et à l'analyse des figures du
mépris comme causes des conflits ou de l'absence de la reconnaissance au
sein des presbyteriums. Il est vrai qu'il existe une multitude de formes du
mépris. Cependant, nous les distinguerons à la suite d'Axel
Honneth en fonction de la typologie des formes de reconnaissance parce que les
formes du mépris doivent être différenciées selon
qu'elles blessent ou détruisent tel ou tel degré de la relation
à soi-même que l'individu développe dans l'échange
intersubjectif106. Notre travail sera donc articulé sur
quatre points. D'abord, le premier point portera sur la figure du mépris
qui fait trait à l'intégrité physique, ensuite le second
sur la figure du mépris en rapport avec l'exclusion ou la privation de
certains droits, le troisième point
102 Honneth, A., « Reconnaissance et reproduction
sociale », in Jean-Paul Payet et Alain Battegay (sous la dir.),
La reconnaissance à l'épreuve. Explorations
socio-anthropologiques, éd. Presses Universitaires de Septentrion,
2019 (2008), p. 45-58. Disponible [en ligne] sur : https : //
books-openedition-org.bases-doc.univ-lorraine.fr
/septentrion/38634/, consulté le 05 août 2023.
103 Ibid.
104 Ibid.
105 Ibid.
106 Ibid., p. 159.
CHARLES DIEUDONNÉ T 36
traitera de la figure du mépris liée à
l'atteinte à la dignité d'autrui. A cela s'ajoute un autre point
spécifique relatif aux dénis de propriétés
sociales.
I. La figure du mépris de
l'intégrité physique
Avant de décrire la première figure du
mépris, nous allons tenter de préciser succinctement le contenu
de la notion du mépris.
I.1. Définition du terme
mépris
Le concept du mépris utilisé dans le langage
courant pour exprimer un sentiment négatif, de dédain,
d'arrogance voire de dérision apparaît tout de même dans la
théorie de lutte pour la reconnaissance chez Axel Honneth. Ce terme
exprime la négation ou le manque de reconnaissance. Il désigne
aussi le refus de se décentrer de soi vers l'autre qui est le propre de
la reconnaissance. En effet, soumettre « autrui » au mépris
signifie refuser l'acte de décentrement de soi. En
réalité, ce concept renvoie à « l'idée selon
laquelle « les sujets sont contraints de se comporter par rapport à
la vie sociale en observateurs distanciés plutôt qu'en
participants actifs, parce que tous les calculs qu'ils font au cours de ces
actions et à propos de ce qu'ils pourraient obtenir les uns des autres
exigent une position purement rationnelle et aussi exempte d'émotions
que possible »107. Le mépris apparaît ici comme un
acte de désoeuvrement et de passivité parce que le sujet d'action
est obligé à se comporter comme un étranger devant ses
propres actions, les autres et vis-à-vis du monde. C'est la raison pour
laquelle, « le mépris désigne moins le processus de
réduction unilatérale de l'être humain à une «
chose » que l'oubli de la base relationnelle de la condition humaine, sans
laquelle il n'est pas de vie humaine possible »108. Sans aucun
rapport mutuel, le sujet d'action est considéré comme un simple
objet de transaction, sous des formes simples ou complexes109. Ceci
nous conduit aux différentes catégories de mépris
énoncées par Axel Honneth.
La première figure du mépris est la violence
physique. Celle-ci porte atteinte à l'intégrité physique
de la personne. Il s'agit là des formes de sévices par lesquelles
le sujet est dans l'incapacité à disposer de son propre corps.
C'est le genre le plus élémentaire de l'abaissement personnel. En
effet, lorsqu'on essaie de se rendre maître du corps de l'autre contre sa
volonté, quel que soit l'intention qu'on a, on le soumet à une
humiliation à nulle autre pareille qui détruit
107 Nanteuil, M., « Qui est le sujet du mépris
? », in Hunyadi, M., (sous la dir.), Axel Honneth. De la
reconnaissance à la liberté, Paris, Le Bord de l'Eau, p.
53-64.
108 Ibid.
109 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 37
son être profond et sa relation pratique à soi :
C'est le cas du viol et de la torture dont les effets psychologiques provoquent
le plus souvent la mort psychique du sujet, « une mort qui pour être
métaphorique peut devenir bien réelle ». En
réalité, la particularité de telles atteintes ne
réside pas seulement dans la douleur purement physique. A partir du
moment où la victime fait l'expérience de perdre la sensation
même de sa propre réalité, parce que soumise à la
volonté d'un autre et sans défense ; elle détruit
également la confiance en soi qui est l'émanation du noyau
structurel qu'est l'amour dont le rôle est la capacité à
coordonner son corps de façon autonome. Si le sujet perd la confiance en
soi, donc sa propre sécurité, cela affecte à coup
sûr ses relations avec les autres. Il tombe dans une sorte «
d'invisibilité sociale » parce qu'il a perdu ce qu'une vie humaine
et normale devrait avoir de soi dans son humanité.
Pour Guillaume Le Blanc, « les vies rendues invisibles
sont des vies qui ne vont plus de soi ». Une vie qui ne va plus de soi est
une vie sclérosée ou aliénée, soit parce qu'elle
est soumise à la volonté d'un autre, soit parce qu'elle est dans
l'incapacité de s'affirmer comme un sujet autonome et
individualisé, soit alors parce qu' « elle n'est pas reconnue comme
réplique crédible, pouvant être retenue dans le filet des
déclarations humaines »110. Une telle vie commence
à disparaître petit à petit dans l'environnement social.
Car, elle se sent déconsidérée et
désapprouvée voire « sans autre attache dans son
appartenance au genre humain que la honte qui ne relie le sujet honteux
à la communauté humaine que parce qu'elle sanctionne la distance
qui sépare l'un de l'autre sous la forme d'une absence de participation,
d'une impossibilité de participer. »111.
Si le sujet humain n'a plus un rapport d'estime de soi et
d'estime sociale qui le relie avec la communauté dans laquelle il vit
à cause de la honte et qu'il se sent écarté par celle-ci,
la honte vécue devient un élément d'injustice. Car, «
la honte ne désigne pas seulement une vie sans soubassements humains,
elle surgit également par l'épreuve de justice qui l'anime
»112. Aussi, devient-elle « comme épreuve totale,
psychique et affective, dans laquelle une vie voit ses possibilités
pratiques, cognitives et affectives mutilées. Être dans
l'incapacité de pouvoir agir par soi-même, c'est se sentir
méprisé en capacités humaines de base, de telle sorte que
la vie qui est vécue est éprouvée comme une vie inhumaine
»113. Si l'on nie la capacité à un sujet de
disposer librement de son propre corps, telle qu'elle s'est constituée
au cours des expériences
110 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 59.
111 Ibid., p. 59-60.
112 Ibid., 60.
113 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 38
affectives dont dépend le processus de
socialisation114, c'est le déshumaniser et le rendre
invisible.
Dans la première figure du mépris qui est
liée à l'atteinte à l'intégrité physique,
l'amour apparaît comme le substrat, ce sans quoi la confiance
élémentaire qu'une personne a en elle-même est
détruite. Les sévices corporels constituent alors le genre
élémentaire de l'abaissement personnel parce qu'ils sont capables
de retirer à la personne sa capacité à disposer de son
propre corps. Cependant, Ricoeur pense qu'au-delà du viol et de la
torture qui détruisent la confiance élémentaire
d'après Honneth, « ce qui est ici trahi, ce sont des attentes plus
complexes que celles relatives à la simple intégrité
physique. L'idée normative issue du modèle de reconnaissance
placé sous le signe de l'amour, et qui donne sa mesure à la
déception propre à ce premier type d'humiliation, paraît
plus complètement identifiée par l'idée d'approbation.
»115. Ce qui légitime la relation de reconnaissance
amoureuse entre le reconnaissant et le reconnu ainsi qu'entre amis, amants est
l'approbation.
L'approbation est le fait « de considérer l'autre
comme un individu irremplaçable »116. Donc, sans les
autres, nous ne sommes que des sujets défectueux et
incomplets117. Lorsqu'il n'y a pas approbation entre les partenaires
d'interaction, on tombe dans le mépris ou dans l'humiliation à
cause du refus ou du retrait de l'approbation. En cas de désapprobation,
« l'individu se sent comme regardé de haut, voire tenu pour rien.
Privé d'approbation, il est comme n'existant pas »118.
Si les presbyteriums vivent la carence de la reconnaissance, nous pouvons nous
demander avec Axel Honneth que : Comment l'expérience du mépris
peut-elle envahir la vie affective des membres d'un presbyterium au point de
les conduire dans les conflits sociaux, autrement dit dans une lutte pour la
reconnaissance119 ?
Comme toute personne qui a besoin d'un développement
progressif pour une relation positive avec elle-même pour devenir un
être à fois autonome et individualisé, « de
s'identifier à ses fins et à ses désirs
»120, elle est appelée à faire
l'expérience des rapports de reconnaissance mutuelle encore
appelés les formes d'interaction ou d'intégration sociale. En
effet, tout membre
114 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 226.
115 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études. op.cit., p. 300.
116 Redding, P., Hegel's Hermeneutics, cité
par Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une
réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, Paris, La
Découverte, trad. française par Franck Fischbach, 2008
(édit. Reclam, Leipzig), p. 107.
117 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une
réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, op.cit., p.
107.
118 Ibid.
119 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 225.
op.cit., p. 283.
120 Ibid.,
CHARLES DIEUDONNÉ T 39
du presbyterium qui est en quête de la reconnaissance ou
de la réalisation de soi, il est ultime qu'il suive le même
processus d'intégration sociale que nous venons d'énoncer. Il
peut alors arriver qu'au début, à mi-chemin ou à la fin de
la constitution de l'identité personnelle que le sujet fasse une
expérience du mépris ou de l'atteinte à
l'intégrité physique, sociale ou même à la
dignité de sa personne. Dès lors, on comprend qu'une vie
vécue peut être dépossédée, envahie par un
mépris qui engage à la lutte pour la reconnaissance. L'une des
causes qui met en branle l'intégrité physique au sein des petits
groupes comme les presbyteriums est le manque d'amour. Car, il provoque la
perte de confiance en soi et aux autres. Par conséquent,
l'insécurité s'installe dans les relations à cause de la
confiance élémentaire en la personne qui lui est retirée
soit par la soumission à volonté d'un autre, soit par une
simplement déception. De pareilles expériences ont des
implications négatives sur les plans cognitif, psychique et affectif.
Dans la mesure où elles peuvent être source de nombreux
traumatismes et d'addictions de tout genre dans le rang des membres des
presbyteriums. Certains deviennent aigris, d'autres démotivés et
d'autres encore révoltés. A ce moment, l'approbation qui est
supposée d'être au centre de toute relation affective devient un
événement impossible. Ainsi, les membres commencent à se
regarder avec dédain, « de haut », « se tenir pour rien
» et « comme n'existant pas » au point de perdre leur visage.
Ici, le visage ne signifie pas « la zone externe de la partie
antérieure de la tête de l'être humain ». Il n'est non
plus :
Tant la marque de présence de soi à l'autre,
ramassant l'énigme d'une silhouette, attestée aux yeux des autres
de la certitude de la présence par le rappel opiniâtre du regard,
d'une forme humaine concentrée dans les traits d'une « tête
» humaine ; il n'est plus l'indice de soi confirmé par les gestes
d'un « autrui » singulier, engageant toute une vie convoquée
sur le mode de l'intrusion dans le monde de l'autre [...]. Le visage n'est plus
ce qui ouvre la rencontre avec d'autres visages, comme un signe d'une
coprésence, mais l'appel fait à un autrui professionnel pour
prendre soin de lui121
Avec le visage qui est un appel à prendre soin, Le
Blanc nous fait entrer avec autrui dans la dynamique de la « relation
médicale » ou du « care » dont la certitude ne provient
que de l'horizon d'attente professionnelle122. Un malade a besoin du
professionnel pour le soin. Car c'est ce qui est important pour lui. « Or,
dans le soin, ce qui est si important, ce qui est à préserver,
c'est justement ce qui est fragile, précaire, vulnérable, en
premier lieu la vie
121 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 38.
122 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 40
d'autrui »123. Le visage suscite donc une
exigence de réponse, d'aide et de soutien. Ce qui donne lieu
d'approbation d'autrui par le soi : « Le visage où autrui se tourne
vers moi, ne se résorbe pas dans la représentation du visage.
Entendre sa misère qui crie justice ne consiste pas à se
représenter une image, mais à se poser comme responsable,
à la fois comme plus et comme moins que l'être qui se
présente dans le visage. Moins, car le visage me rappelle à mes
obligations et me juge [...]. Autrui qui se donne dans sa transcendance est
aussi l'étranger, la veuve et l'orphelin envers qui je suis
obligé »124. Autrui qui apparaît comme mon
vis-à-vis en tant qu'étranger, veuve ou orphelin me rappelle les
obligations que j'ai envers lui. Par conséquent, je ne saurai le
regarder de travers ou « comme n'existant pas », mais plutôt
comme un autre moi qui n'est pas moi dont j'ai la responsabilité
vis-à-vis de lui, en quelque sorte je deviens « un garant »
appelé à prendre soin de lui comme son médecin. Il s'agit
là de la « promesse éthique » selon le vocable de
Claude Romano dans son ouvrage intitulé : L'identité humaine
en dialogue125. Lorsqu'il parle de la « promesse
éthique », Claude Romano part de la notion de
l'ipséité vers une direction éthique. En effet, il aborde
le problème à partir de « l'être soi » (le
Dasein) de Heidegger pour comprendre ce concept de l'ipséité chez
Paul Ricoeur. Pour Claude Romano :
L'attitude ou la manière d'être dans laquelle
Ricoeur aperçoit le trait de l'ipséité est un engagement
à l'égard non de soi, mais d'autrui ; l'ipséité
signifie en premier lieu une fidélité à l'autre qui est
justifié à attendre de moi que je ne me dérobe pas
à ma promesse. En d'autres termes, l'ipséité doit
être repensée en fonction de ce Ricoeur appelle le « primat
éthique de l'autre que soi sur le soi », tel qu'on le trouve
à l'oeuvre chez Jean Nabert, Gabriel Marcel ou Emmanuel Levinas.
L'ipséité est d'abord une attitude fondamentale que j'adopte
à l'égard d'autrui, une responsabilité que j'assume
vis-à-vis de lui, elle dépend en son essence d'une sollicitation
éthique .
· « de toi, me dit l'autre, j'attends que tu
tiennes ta parole » ; à toi je réponds .
· « tu
peux compter sur moi 126
De cette assertion, il en résulte que la
fidélité à l'autre est la caractéristique
fondamentale de l'ipséité. Cette fidélité repose
sur la promesse éthique dont la valeur n'est pas théorique
123 Svandra, P., « Introduction à la
pensée d'Emmanuel Levinas. Le soin ou l'irréductible
inquiétude d'une responsabilité infinie » in Recherche
en soins infirmiers, 2018/1 (n° 132), p. 91-98.
124 Levinas E., Totalité et infini. Essai sur
l'extériorité, La Haye, Nijihoff, 1961, rééd.
Paris, Le Livre de poche, 2021, p. 237.
125 Romano, Cl., L'identité humaine en dialogue,
Paris, Seuil, 2022, p. 242.
126 Ibid., p. 241.
CHARLES DIEUDONNÉ T 41
mais plutôt éthico-pratique127.
Celle-ci signifie aussi la « confiance dont on se rend digne » ou
alors « fiabilité »128. A partir de ce moment,
l'ipséité devient un engagement pour moi vis-à-vis
d'autrui. C'est une responsabilité qui m'incombe. Ce qui fait encore
dire à Romano que l'ipséité est à comprendre comme
« attestation »129. Il définit le terme «
attestation » comme :
L'acte de porter garant de ses propres engagements et de
se rendre par là même digne de confiance pour autrui. Elle
définit l'ipséité pour autant que cette dernière
consiste, pourrait-on dire, en un engagement au second degré, un
engagement à tenir ses propres engagements - un engagement qui porte sur
celui qui tient parole autant que sur ce à quoi il s'engage, et que
Ricoeur appelle quelque part « la promesse de la promesse
»130
L'engagement qui relève de l'ipséité
porte la marque d'une promesse, une promesse à respecter, une parole
à tenir : celle qui engage. Il y a donc une corrélation entre
l'attestation et ipséité. Pour Romano, « l'attestation
devient la marque distinctive de l'ipséité au point que les deux
notions coïncident : « l'attestation est l'assurance - la
créance et la fiance - d'exister sur le mode de l'ipséité
» ; ou encore : « l'attestation peut être identifiée
à l'assurance que chacun a d'exister comme un même au sens de
l'ipséité »131.
127 Ibid., p. 242.
128 Ibid.
129 Ibid. Le concept « attestation » est un terme
cher à Paul Ricoeur. Selon Romano, c'est un terme qui est, affirme
Ricoeur, le « mot de passe de tout le livre ». Il s'agit du livre :
Soi-même comme un autre.
130 Ibid.
131 Ibid., p. 242-243. La notion de l'ipséité
qui nous a permis de mettre en relief la responsabilité qu'a le soi
envers autrui mérite elle-même d'être clarifiée
à partir de Paul Ricoeur dans son ouvrage : Soi-même comme un
autre. Pour l'auteur, cet ouvrage a pour objet principal de : «
Dissocier deux significations majeures de l'identité [...]
selon que l'on entend par identique l'équivalent de l'idem ou de
l'ipse latin. L'équivocité du terme « identique » sera
au coeur de nos réflexions sur l'identité personnelle et
l'identité narrative, en rapport avec un caractère majeur du soi,
à savoir la temporalité. L'identité, au sens d'idem,
déploie elle-même une hiérarchie de significations [...]
dont la permanence dans le temps constitue le degré le plus
élevé, à quoi s'oppose le différent, au sens d'ipse
n'implique aucune assertion concernant un prétendu noyau non changeant
de la personnalité. Et cela, quand bien même
l'ipséité apporterait des modalités propres
d'identité, comme l'analyse de la promesse » (Voir : Chap. 7 :
Un nouveau paradigme : l'ipséité. Ipséité et
identité chez Ricoeur), cité par Romano Claude,
L'identité humaine en dialogue, op.cit., p. 244. A partir de
cette assertion de Ricoeur, il se dégage la thèse selon laquelle
idem et ipse renvoient à deux significations distinctes de la notion
d'identité. Pour Romano, le terme identité est moins explicite en
français que dans d'autres langues à l'instar de l'anglais qui
distingue « same » du « self » alors que le français
« ne dispose que d'un seul terme, « même » pour
désigner « soi », « lui », « elle »,
« eux ». D'un côté, l'identité au sens d'idem
évoque la permanence dans le temps alors que l'identité au sens
d'ipse renvoie à ce qui « n'implique aucune assertion concernant un
prétendu noyau non changeant de la personnalité ».
D'après Romano, le concept de l'ipséité chez Ricoeur
soulève quelques apories que nous n'allons pas relever dans le
présent travail. Toutefois, signalons tout de même que pour
l'auteur susmentionné, la signification d'ipse s'est rapprochée
de celle de « même ». C'est ce qui a fait que ce « mot a
fini par perdre une partie de sa spécificité en latin ». Ce
qui permet donc d'élaborer la notion d'ipséité, c'est le
sens originel d'ipse. En somme, « l'ipséité, en un mot,
n'est pas une forme d'identité ; c'est une manière d'être
qui entretient néanmoins un certain rapport avec la question de
l'identité » (Romano, Claude, op.cit., p. 253). Par ailleurs, il
appert que l'ipséité n'a pas
CHARLES DIEUDONNÉ T 42
Après l'analyse de la première figure du
mépris, nous avons découvert que la violence physique est une
entrave au progrès et au développement de l'identité
personnelle. Mais au-delà des sévices corporels qui ont tendance
à déposséder le sujet de son propre corps, il y a à
côté des attentes complexes de l'ordre psychique, cognitif et
affectif qui touchent l'être profond de la personne au point de lui
retirer la confiance élémentaire qui est en elle, noyau
structurel de l'amour et de la placer dans un régime
d'insécurité. Aussi avons-nous insisté sur l'idée
d'approbation et de l'engagement à la responsabilité d'autrui qui
nous a conduit à des notions telles que : « la promesse
éthique », « l'ipséité » et «
l'attestation ». Quant à la deuxième figure, elle concerne
le déni du droit qui refuse au sujet la responsabilité morale ou
le respect de soi alors qu'elle est accordée aux autres sujets ou
membres de la communauté.
II. La figure du déni du droit
Si l'on s'en tient à la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme, tous les hommes naissent libres et égaux en
droits et en dignité. Refuser ou méconnaître des droits
fondamentaux à un individu est un déni du droit ou de
reconnaissance.
Etymologiquement, le mot droit vient du terme latin «
directum » qui signifie à la fois direction et directive, au sens
de norme de conduite, c'est-à-dire de la règle132. Ce
mot a des accointances avec quelques langues européennes : « right
», « Recht », « diritto », « derecho ». Si
le droit renvoie à la règle, cela implique que celle-ci est
prescrite par une autorité qui elle-même ne peut qu'exister au
sein d'un groupe dont la fonction est de diriger et de veiller sur
l'observation de la règle133. Et, par conséquent, le
droit ou la règle n'a de sens que dans un environnement social
d'où l'adage latin : « ubi societas, ibi jus, ibi societas, ubi jus
». Il n'y a pas de société sans droit, autant qu'il n'existe
pas de droit sans sujets de droit, donc sans société. Si on
s'arrête tant soit peu sur cet adage, la première prémisse
stipule qu'il n'y a pas de société sans droit. Ici, la
société peut être comprise comme « un groupement
relativement stable d'individus différenciés, entretenant des
relations denses et fréquentes en vue de la réalisation d'une fin
sociale déterminée »134. Il me semble que cette
première assertion rejoint la définition de la notion du droit
chez Axel Honneth lorsqu'il désigne le droit par l'ensemble
d'exigences
d'implication immédiate sur « l'identité
numérique » et n'a rien à voir avec le problème
« de la persistance dans le temps, comme l'ont relevé Heidegger et
Ricoeur. » (Ibid., 291). Ce qui caractérise l'ipséité
c'est la responsabilité envers autrui et « de soi-même comme
un autre ». Ici, la responsabilité ou l'engagement dont il est
question peut bien s'appeler reconnaissance qui est « la
fidélité à soi devant et pour les autres ». Car,
« c'est une attitude de fiabilité à l'égard de ses
propres engagements, en un engagement au second degré » (Ibid., p.
292).
132 Rouvillois, F., Le Droit, Paris, GF Flammarion,
1999, p. 17.
133 Ibid., p. 21.
134 Ibid., p. 17-18.
CHARLES DIEUDONNÉ T 43
qu'une personne peut légitimement s'attendre à
voir satisfaites par la société, dans la mesure où elle
est membre à part entière d'une communauté et participe de
plein droit à un ordre institutionnel135. Le droit est donc
lié à l'environnement social. Pour la bonne marche d'une
société, les sujets ont besoin de la règle ou des
règles. C'est le cas du Code du droit canonique pour l'Église
Catholique, des constitutions pour les congrégations religieuses et les
statuts et règlements pour les associations sacerdotales. C'est
l'ensemble de ces règles qui définit le cadre
d'épanouissent et le code de vie des sujets ou des groupes. C'est ce qui
légitime sans doute cette première prémisse qui repose sur
le fait qu'il n'existe pas de société sans droits ou sans
règles.
La deuxième prémisse pose le postulat selon
lequel, il n'existe pas de droit sans sujets de droit. Autrement dit, on ne
peut pas parler du droit en dehors du cadre social. A ce propos, un auteur du
nom de Rouvillois, dans son corpus sur le Droit, explique la
réalité selon laquelle le droit est inhérent à la
société. Pour ce faire, il part du roman anglais de Daniel Defoe
qui met en scène Robinson136 qui vécut tout seul dans
une île déserte pendant 28 ans avant la rencontre d'un autre
individu nommé Vendredi. A partir de cet instant, nous nous sommes
posé la question de savoir : Peut-on parler du droit avant ou
après la connaissance de Robinson avec Vendredi ? Pour Rouvillois,
l'existence d'une société implique la présence d'un droit.
Par ailleurs, la réciprocité est vraie, dans la mesure où
le droit ne se conçoit pas en dehors d'un cadre social137. Si
Robinson vécut seul dans l'île, il n'entretint aucun commerce
juridique. Il ne parlait avec personne138. Alors ces deux
activités sont des éléments fondamentaux qui concourent et
favorisent la relation avec autrui. Cependant, l'on note une différence
considérable avec l'avènement de la rencontre avec Vendredi.
Parce que, désormais, Robinson a une personne avec qui il peut
communiquer. Est-ce la seule présence de Vendredi suffit-elle pour
parler ou faire naître le droit ? Selon Rouvillois, la rencontre entre
Robinson et Vendredi peut créer un rapport de tension, de force, de
pouvoir même de confiance ou d'affection, mais jamais de rapports
juridiques à proprement parler139. La relation juridique ne
saurait se limiter à un rapport entre deux individus seulement. Elle
doit être étendue et diversifiée. Telle est la vision de
Saint Thomas d'Aquin au sujet de la famille reprise par Rouvillois : «
Ceux-ci
135 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 227.
136 Source : Wikipédia, consulté le 20 juin 2023
: Robinson Crusoé est un roman d'aventures anglais de Daniel Defoe. Il
fu écrit à la personne. L'intrigue principale du roman se
déroule sur une île déserte à l'embouchure de
l'Orénoque, près des côtés
vénézuéliennes, où Robinson après avoir fait
naufrage, vécut pendant 28 ans. Durant son séjour, il fit
connaissance d'un sauvage qu'il nomma Vendredi. Les deux compagnons
vécurent ensemble pendant plusieurs années avant de pouvoir
quitter l'île.
137 Rouvillois, F., Le Droit, op.cit., p. 18.
138 Ibid.
139 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 44
[rapports juridiques], expliquait Thomas d'Aquin à
propos de la famille, n'apparaîtront qu'ensuite, lorsque le groupe se
sera étendu et diversifié, extension qui entraîne une
hiérarchie des pouvoirs, une division du travail, et donc la
nécessité d'un droit »140. Nous venons de voir
que le droit s'inscrit et se meut dans un cadre social pour une bonne
organisation et une bonne marche de la société. S'il est vrai
qu'on ne peut pas concevoir le droit en dehors de la société,
tout de même, on peut bien se demander, qu'en est-il des droits
individuels ? Ce qui nous conduit au rapport entre le droit subjectif et le
droit objectif.
II.1. Le rapport entre le droit subjectif et le droit
objectif
Le droit subjectif est un attribut conféré
à un sujet alors que le droit objectif est basé sur la
prescription. Le droit subjectif est donc d'ordre individuel. Car, il tire son
origine de l'individu lui-même, en tant qu'être créé
ou existant doué d'une nature raisonnable et morale. D'après
Villey, l'individu et le droit constituent « le centre, et l'origine, de
l'univers juridique »141. Pour expliciter cette
définition, Rouvillois reprend le relai. Il entend par un centre, tout
ce qui est indépendant du rapport social. Car, la société
n'engendre ni ne conditionne l'existence du droit subjectif, mais plutôt
elle lui préexiste. C'est pourquoi, Robinson isolé ignore le
droit, mais conserve des droits142. Le droit ignoré par
Robinson est le droit inhérent au social. C'est-à-dire au droit
objectif. Alors que des droits dont il est question ici se rapportent aux
droits fondamentaux individuels : il s'agit là du droit subjectif. Le
droit subjectif est donc individuel et naturel contrairement au droit objectif
qui est positif. Après avoir relevé la différence entre le
droit subjectif et le droit objectif, nous pouvons se poser la question de
savoir s'il y a opposition entre le droit subjectif et le droit objectif ou
alors peut-on considérer l'un indépendamment de l'autre ?
Si nous considérons les droits subjectifs de
manière isolée, ils peuvent être conçus et
perçus en dehors du cadre social comme des attributs inaliénables
du sujet. A ce propos, Simon Goyard-Fabre pense que les « droits naturels
dont tout homme est [...] ontologiquement fondé à réclamer
le respect [...] ne possèdent par eux-mêmes et en eux-mêmes
ni dimension ni portée juridique. [...] Exigence éthique
fondamentale » placée « sous le signe de l'universel
»143. Si ces droits inaliénables du sujet sont pris
indépendamment, ils sont dépourvus de toute portée
140 Ibid.
141 Villey, M., La Formation de la pensée juridique
moderne, cité par Rouvillois, F., Le Droit, op.cit., p.
20.
142 Rouvillois, F., Le droit, op.cit., p. 20.
143 Goyard-Fabre, Simone., « Les rapports de la
philosophie et du droit », in Revue de métaphysique et de
morale, cité par Rouvillois, F., Le Droit, op.cit., p. 20.
CHARLES DIEUDONNÉ T 45
juridique positive. C'est la raison pour laquelle, il est
judicieux que ces droits soient portés par des règles.
C'est-à-dire par le droit positif. Autrement dit, « le droit
subjectif n'acquiert une consistance effective que dans un cadre social,
à travers le droit objectif, qui apparaît alors comme le
phénomène juridique par excellence »144. Au
regard de ce qui précède, il apparaît que le droit ne se
conçoit pas en dehors de la société. Toutefois, il y a des
droits individuels fondamentaux du sujet qui sont aliénables. Cependant,
ils n'ont force de loi que s'ils sont envisagés du côté des
sujets comme « des attributs que leur confère le droit objectif.
Ou, si l'on préfère, ces attributs ne sont que les effets
dérivés de la règle, qui en demeure le fondement, la
raison et la mesure »145.
En outre, il arrive souvent que certains individus ne soient
pas reconnus comme porteurs de droits ou sujets de droits à part
entière. Ceux-là expérimentent en quelque sorte le
déni de reconnaissance ou de droit. La deuxième figure de
mépris est liée à l'exclusion de certains droits à
certains individus. Il s'agit là de l'atteinte à la
responsabilité morale qui est une indignation à l'endroit de la
personne humaine. Cette figure de mépris est caractérisée
par les expériences d'humiliation telles que « des modes de
mépris personnel dont un sujet est victime lorsqu'il se trouve
structurellement exclu de certains droits au sein de la société
»146.
Pour Honneth, le terme droit désigne l'ensemble «
des exigences qu'une personne peut légitimement s'attendre à voir
satisfaites par la société, dans la mesure où elle est
membre à part entière d'une communauté et participe de
plein droit à son ordre institutionnel »147. Si les
droits fondamentaux tels que les droits civils, politiques ou sociaux sont
refusés à un sujet ou alors si les exigences attendues ne sont
pas satisfaites, naît un sentiment de déni de droit ou de
reconnaissance qui peut se traduire par « le sentiment d'exclusion
résultant du refus d'accès aux biens élémentaires
»148. Cela signifie qu'on ne lui reconnaît pas la
responsabilité morale au même titre que les autres membres de la
société. La spécificité de ces formes de
mépris ne repose pas uniquement sur la limitation brutale de l'autonomie
de la personne, mais elle se retrouve aussi dans la privation des droits ou
dans l'exclusion sociale. Ce qui fait naître chez le sujet « le
sentiment corrélatif de ne pas avoir le statut d'un partenaire
d'interaction à part entière »149 et
possédant des mêmes droits moraux que ses semblables.
144 Rouvillois, F., op.cit., p. 21.
145 Dabin, J., Théorie générale du
droit, cité par Rouvillois, F., op.cit., p. 21.
146 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit. p. 227.
147 Ibid.
148 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 312-313.
149 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance,
op.cit., 227.
CHARLES DIEUDONNÉ T 46
Pr ailleurs, « le point le plus sensible de l'indignation
concerne le contraste insupportable, [...], entre l'attribution égale de
droits et la distribution inégale de biens dans des
sociétés comme la nôtre, qui semblent condamnées
à payer le progrès en terme de productivité dans tous les
domaines par un accroissement sensible des inégalités
»150. Une fois que le sujet est débouté
d'exigences juridiques socialement admises, il est blessé dans son
attente intersubjective d'être reconnu comme un sujet capable de former
un jugement moral151. A cet effet, « l'expérience de la
privation de droits est liée à une perte de respect de soi.
C'est-à-dire à l'incapacité de s'envisager soi-même
comme un partenaire d'interaction susceptible de traiter d'égal à
égal avec tous ses semblables »152. Un tel mépris
prive à la personne la prise en considération cognitive d'une
responsabilité morale qui a été acquise difficilement dans
le processus d'interaction sociale. Refuser à un individu un droit,
c'est le priver au respect qu'il se porte à lui-même. Autrement
dit, c'est signer son incapacité à la participation à la
formation de la volonté publique et à se prononcer sur le plan
discursif153. Ce qui met en jeu la responsabilité morale de
l'individu qui est une condition sine qua non le sujet ne peut jouir du respect
de soi ni de celui de ses partenaires d'interaction.
Pour Ricoeur, la responsabilité est « la
capacité, reconnue à la fois par la société et par
soi-même « de se prononcer d'une manière rationnelle et
autonome sur les questions morales »154. Il continue en
soulignant que la responsabilité en tant que « capacité
à répondre de soi-même est inséparable de la
responsabilité en tant que capacité à participer à
une discussion raisonnable concernant l'élargissement de la
sphère des droits, qu'ils soient civils, politiques ou sociaux
»155. Au bout du compte, « le terme responsabilité
couvre alors l'assertion de soi et la reconnaissance du droit égal
d'autrui à contribuer aux avances du droit et des droits
»156. Si la personne est dépourvue de ses droits et de
son droit, elle se sent disqualifiée et inutile dans la sphère
universelle. Et par conséquent, elle tombe dans « la mort sociale
».
Après avoir relevé les deux premières
figures du mépris ou du déni de reconnaissance qui constituent un
frein dans le processus du développement de l'identité
personnelle pour une
150 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 313.
151 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 227.
152 Ibid.
153 Ibid., 204.
154 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 313.
155 Ibid., p. 314.
156 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 47
vie éthique réussie, nous pouvons enfin mettre
en évidence la dernière figure du mépris inhérente
à l'offense ou à la mésestime.
III. La figure du mépris liée à
la mésestime
La dernière figure du mépris consiste à
juger négativement la valeur sociale de certains individus ou de
certains groupes. Cette figure prend la forme évaluative du
mépris. Elle porte le nom de « l'offense » ou de «
l'atteinte à la dignité » d'autrui comme le
dénigrement des modes de vie individuels et collectifs. La
dignité est une capacité précieuse qu'a un être
humain, et de surcroît lui confère le sentiment de «
fierté ». Pour Joel Feinberg, reprit par Axel Honneth et Paul
Ricoeur, pense que « la dignité humaine ne peut être rien
d'autre que la capacité reconnue de revendiquer un droit.
»157. Ce faisant, l'honneur, la dignité ou le statut
d'une personne, traduisent le degré « d'estime sociale »
accordé à la façon dont elle se réalise dans
l'horizon culturel d'une société donnée. Si la
hiérarchie sociale des valeurs est ainsi faite qu'elle juge
inférieurs ou imparfaits tel ou tel mode de vie, telle ou telle
conviction, alors elle interdit aux individus concernés d'attribuer
à leurs capacités personnelles une quelconque valeur sociale.
En cas de la désapprobation de certains modèles
d'autoréalisation, ceux qui s'y reconnaissent ne peuvent donner ou
conférer aucune signification positive à leur existence au sein
de la communauté. L'aboutissement d'une telle dépréciation
est le déclassement social qui va sans doute de pair avec la perte de
l'estime de soi. Ce qui fait que l'individu « n'a plus aucune chance de
pouvoir se comprendre lui-même comme un être apprécié
dans ses qualités et ses capacités caractéristiques
»158. Car, « ce qui est ici refusé à la
personne, c'est l'approbation sociale d'une forme d'autoréalisation
à laquelle elle est péniblement parvenue, grâce à
l'encouragement reçu à travers les solidarités de groupe
»159. Si le sujet parvient à être touché ou
frappé en profondeur par le dénigrement ou par la
dégradation culturelle, cela signifie que les modèles de l'estime
sociale ont été individualisés. La conséquence
immédiate de cette forme de dégradation est l'expérience
de « blessure » et de « mortification ».
Après avoir identifié et analysé les
différentes figures du mépris étudiées par Axel
Honneth dans l'évolution de l'individu dans sa singularité, son
universalité et sa particularité, il se dégage
l'hypothèse selon laquelle les « dénis de
propriétés sociales » et les dénis de
157 Feinberg, Joel., cité par Ricoeur, Paul., Parcours
de la reconnaissance. Trois études, op.cit., p. 315.
158 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 229.
159 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 48
reconnaissance peuvent être considérés
comme les causes des conflits entre les membres d'un même presbyterium.
Dans la mesure où ils sont l'expression d'un sentiment d'injustice qui
est à l'origine de la lutte pour la reconnaissance. La lutte est
comprise ici comme un moyen de relation entre la conscience de soi et l'autre
conscience de soi pour l'autoréalisation de chacune d'elle. Mais, elle
apparaît aussi comme un élément déclencheur de la
justice sociale qui vise l'amour, le droit et la solidarité entre les
hommes.
Dans le processus de la reconnaissance qui passe par la
formation de l'identité personnelle, les sujets ou quelques membres des
presbyteriums peuvent se sentir mal aimés parce qu'ils n'ont pas
confiance en eux-mêmes ou aux autres, soit parce qu'ils ont la sensation
de ne plus disposer de leurs propres corps, car soumis à la
volonté d'un autre et sans défense. Ce type d'expérience
détruit également la confiance en soi dont l'amour est le
soubassement et le rôle, la capacité à coordonner le corps
de façon autonome. Par ailleurs, au-delà des sévices
corporels, il y a l'idée d'approbation qui consiste à
considérer l'autre comme « un individu irremplaçable »
ou à le voir comme « une épiphanie » d'après
Emmanuel Levinas :
L'épiphanie du visage comme visage, ouvre
l'humanité. Le visage dans sa nudité de visage me présente
le dénuement du pauvre et de l'étranger ; mais cette
pauvreté et cet exil qui en appellent à mes pouvoirs, me visent,
ne se livrent pas à ces pouvoirs comme des données, restent
expression de visage. Le pauvre, l'étranger, se présente comme
égal. Son égalité dans cette pauvreté essentielle,
consiste à se référer au tiers, ainsi présent
à la rencontre et que, au sein de sa misère, Autrui sert
déjà. Il se joint à moi. Mais il me joint à lui
pour servir, il me commande comme un Maître160
La relation qui se noue entre moi et les autres dans «
l'épiphanie » du visage est une manifestation. En effet, le visage
de l'autre se présente à moi non comme une simple forme faciale
encore moins une invitation à la complicité mais plutôt
comme une manifestation qui est un appel à la responsabilité et
« à la présence du tiers, de l'humanité tout
entière, dans les yeux qui me regardent ». Pour Levinas, il ne
s'agit pas d'abord d'un discours à caractère moral. C'est un
appel à la fraternité humaine. Car, tous les hommes constituent
l'unité du genre humain. Le pauvre et l'étranger qui font surface
devant moi sont à considérer comme des égaux qui appellent
à l'égalité, au service et à « la
responsabilité pour soi et pour autrui ».
160 Levinas, E., Totalité et infini. Essai
sur l'extériorité, op.cit., p. 234.
CHARLES DIEUDONNÉ T 49
Si autrui est un « individu irremplaçable »
dont le visage est une « épiphanie » et que des
expériences faites par celui-ci blessent son être profond, son
amour et le place au banc des méprisés, la confiance en soi et
aux autres est en effet dissoute. Ce qui nous fait déduire que la
première cause de lutte pour la reconnaissance au sein des presbyteriums
est la perte de la confiance en soi et aux autres. A cela s'ajoute une autre
qui engendre le déni de reconnaissance parce que la grandeur morale
d'une vie est méprisée161, il s'agit du déni du
droit.
Si les droits élémentaires et fondamentaux tels
que les droits civils, politiques ou sociaux sont privés ou
refusés aux membres du presbyterium en tant que sujets ou alors si des
exigences qu'ils attendaient de la communauté ou de ceux qui sont
supposés de le faire ne sont pas satisfaites, il naît
effectivement un sentiment du déni de droit ou de reconnaissance. Un tel
sentiment se traduit par l'exclusion qui aboutit au refus d'accès aux
biens élémentaires. Si les prêtres n'ont pas accès
à une sécurité sociale par exemple, c'est-à-dire
à une bonne couverture sanitaire, à une juste
rémunération, à une pension vieille assurée, ils
sont considérés comme des exclus de la société.
Car, tout être humain aspire à ce que ses droits fondamentaux
soient respectés pour qu'il puisse se respecter soi-même et
être respecté par les autres. Pour qu'un individu agisse comme une
personne moralement responsable, il a besoin d'être protégé
par la loi contre les abus et « les empiètements » qui
menacent sa liberté, mais avoir aussi « un minimum de culture
générale et un minimum de sécurité
économique ». Si dans les presbyteriums, les membres ne
bénéficient pas de ces prérogatives, ils ne peuvent pas
agir avec fierté comme des personnes autonomes et rationnelles :
Se considérer comme détenteur de droits,
c'est développer un sentiment de fierté légitime, c'est
avoir ce minimum de respect pour soi-même sans lequel on ne serait pas
digne de l'amour et de l'estime d'autrui [...], ce n'est peut-être que
respecter leurs droits, de sorte que l'un ne va pas sans l'autre ; et ce qu'on
appelle la « dignité humaine », ce n'est peut-être rien
d'autre que la capacité reconnue de revendiquer162
Toutefois, l'originalité de cette seconde cause ou
mépris n'est pas seulement la limitation brutale de l'autonomie de la
personne, mais pour Honneth, elle se retrouve aussi dans la privation des
droits ou alors dans l'exclusion sociale. Ce qui fait naître chez le
sujet « le sentiment de ne pas avoir le statut d'un partenaire
d'interaction à part entière » et possédant les
161 Le Blanc, G., L'invisibilité morale, op.cit.,
p. 109.
162 Citation de Feinberg Joel reprise Axel Honneth. Voir La
Lutte pour la reconnaissance, p. 204.
CHARLES DIEUDONNÉ T 50
mêmes droits que les autres individus. En fait,
l'expérience de la privation de droits est liée à une
perte de respect de soi, donc à « l'incapacité de
s'envisager soi-même comme un partenaire d'interaction susceptible de
traiter d'égal à égal avec tous ses semblables
»163.
La dernière cause est l'atteinte à la
dignité d'autrui. Celle-ci consiste à juger négativement
la valeur sociale des personnes ou des groupes. Cette figure renvoie à
la forme évaluative du mépris et au dénigrement comme
modes de vie individuels et collectifs. Ce qui fait que l'aboutissement d'une
telle dépréciation est le déclassement social qui a pour
corollaire la perte de l'estime de soi. C'est le fait de n'avoir plus aucune
chance de pouvoir se comprendre lui-même comme un être
apprécié dans ses capacités et ses qualités. Si un
individu perd sa fierté d'humain, il se retrouve humilié dans son
être. C'est donc à la société qu'il revient
d'apprécier le cadre dans lequel les qualités et les
capacités sont perçues. Si dans un presbyterium, où les
membres sont supposés d'être reconnus dans leurs qualités
et capacités individuelles et particulières, cela n'est pas fait
par déni de reconnaissance ou par injustice, ceux-ci ne peuvent pas
s'accomplir pleinement en tant que sujets autonomes et individualisés.
Alors que Le rôle d'une telle reconnaissance est de préciser
l'horizon des valeurs ainsi que « de servir de système de
référence pour apprécier les caractères
individuels, parce que la « valeur » sociale de ces derniers se
mesure à la contribution qu'ils semblent pouvoir apporter à la
réalisation des fins poursuivies par la société
»164.
Une fois que les sujets ont fait l'expérience du
déni de reconnaissance, ils se trouvent donc contraints de s'engager
dans une lutte avec les autres pour parvenir à établir une
relation ininterrompue avec eux-mêmes. Dès lors, « les
dénis de reconnaissance peuvent être engendrés directement
lorsque la grandeur morale est méprisée. »165.
Une personne dont les droits ne sont pas reconnus ou refusés se
considère non respectée et exclue du cadre social. A ce niveau,
« se trouvent concernées les vies exclues : la personne, sans
logement, tend à ne plus être vue comme une personne souffrant de
conditions inhumaines de vie mais se fond, pour ainsi dire, dans le bitume des
trottoirs »166. Il est possible de rencontrer dans le rang des
membres du presbyterium des vies exclues ou inhumaines et humiliées
là où, les droits fondamentaux ne sont pas respectés. Il
va tout de même que de telles vies connaissent une vie
méprisée, mais elles sont aussi considérées comme
des vies déclassées et placées dans « le bitume des
trottoirs ».
163 Honneth, A., La Lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 227.
164 Honneth, A. La Lutte pour la reconnaissance, op.cit.
p. 209.
165 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 109.
166 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 51
Toutefois, les dénis de propriétés
sociales ouvrent un autre versant qui regarde les capacités
éthiques et les capabilités de base d'une vie qui se voit se
mutiler.
IV. Les dénis de propriétés
sociales
S'agissant des dénis de propriétés
sociales, ils vont de pairs avec les dénis de reconnaissance. Les «
dénis de propriétés sociales » sont tout ce qui
contribue à la disqualification d'une vie « en mutilant des
capabilités167 de base et les capacités
éthiques (faire, dire, se raconter) nécessaires à son
plein développement ruinent la possibilité d'une posture
individuelle et construisent dès lors des procédures
d'invisibilité active au terme desquelles des vies humaines ne sont tout
simplement plus perçues »168. Une vie n'a de sens que si
elle est vécue pleinement. C'est-à-dire si elle est reconnue,
perçue, aimée, respectée et estimée. Une vie dont
on ne reconnaît pas la valeur, le droit et la dignité est une vie
disqualifiée et « rendue invisible ». Une personne qui a fait
l'expérience de « l'invisibilité sociale
»169 a le sentiment d'être inutile dans sa vie et dans la
société.
IV.1. Les capabilités
D'après Le Blanc : « Les vies rendues invisibles
sont des vies qui ne vont plus de soi » parce qu'elles connaissent une
carence en capabilités de base et en capacités éthiques.
C'est pourquoi, lorsqu'il parle des « capabilités », il fait
une distinction normative entre la vie vécue et la vie pleinement
humaine. Pour lui, « être rendu invisible, c'est voir certaines
capabilités de base disparaître »170. Parmi, ces
capabilités, il y a la capacité de parler en son propre nom :
« Ne plus être entendu, c'est ne plus être vu du tout ».
Ici, l'invisibilité se comprend comme le fait « de n'être
personne ». En effet, « la perte de la voix engendrée par la
perte de l'audition achève
167 Le concept « capabilité » vient de
l'anglais « capability » qui signifie « capacité »
ou « liberté substantielle » qui est, suivant la
définition qu'en propose Amartya Sen, la possibilité effective
qu'un individu a de choisir diverses combinaisons de « modes de
fonctionnement ». Les « modes de fonctionnement » sont par
exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer
à la vie politique. Nicolas Journet synthétise le concept
d'Amartya Sen en indiquant que la « capabilité » est « la
possibilité pour les individus de faire des choix parmi les biens qu'ils
jugent estimables et de les atteindre effectivement. Il affirme que ce terme de
« capabilité » contient, à lui seul, l'essentiel de la
théorie de la justice sociale développée par Amartya Sen,
et que « son écho auprès des instances internationales et
des acteurs du développement humain en fait aujourd'hui une des raisons
pour lesquelles le développement d'un pays ne se mesure plus seulement
à l'aide du PIB par habitant ». Par ailleurs, « chez Amartya
Sen, la notion prend racine dans la théorie du choix social ainsi que
dans la philosophie morale et dans la philosophie de l'action analytique
». (Source : Wikipédia, consulté le 25 janvier 2023).
168 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 109.
169 L'invisibilité sociale est une vie hors du monde
humain. C'est une épreuve totale, psychique et affective, dans laquelle
une vie voit ses possibilités pratiques, cognitives et affectives
mutilées : Voir L'invisibilité sociale, chap. III, 1, p.
59).
170 Ibid., p. 65.
CHARLES DIEUDONNÉ T 52
le processus d'invisibilité sociale
»171. En effet, cette capacité peut être
refusée ou effacée, « car le contexte dans lequel elle se
développe ne la retient pas comme capacité compétente
»172. L'ébranlement de cette capabilité peut sans
doute avoir des incidences sur d'autres capabilités sous d'autres
formes. A côté de la capacité de parler, il y a
l'épreuve de la marginalisation.
L'invisibilité sociale désigne aussi « le
processus de marginalisation d'une vie progressivement effacée du socle
commun des existences du fait qu'elle est une vie marginalisée
»173. En outre, l'invisibilité sociale est une
conséquence de la marginalisation et non une donnée
immédiate de la vie ordinaire : Elle se comprend comme le « fait
d'être marginal »174. Il existe pour les vies, « des
régimes de semi-visibilité et de semi-invisibilité : une
vie est visible sous certaines capabilités, invisible sous d'autres
»175. En dernier ressort, il y a l'invisibilité sociale
qui se cache dans « l'anonymat ». Celle-ci se comprend comme «
le fait d'être sans qualités - absence revendiquée ou
attribuée »176. Une vie fragilisée ou
humiliée peut bien rester dans l'anonymat de son propre gré parce
qu'elle se sent ou se considère inutile dans la société et
par la société. Mais comment une vie humaine peut-elle se voir
sans qualités ou alors se laisser attribuer de n'avoir aucune
qualité ? Alors que nous savons bien que la qualité « humain
» est donnée une fois pour toute. Si on enlève à une
vie cette qualité, c'est la rendre vulnérable et précaire.
Si une vie se cache dans l'anonymat, cela signifie qu'elle atteste
elle-même son invisibilité et annule par conséquent sa
qualité « d'humain » pour devenir une vie
déshumanisée.
En somme, l'invisibilité totale s'inscrit dans la
négation de toutes les capabilités que peut avoir une personne et
trouve son fondement dans la « déshumanisation » la plus
grande qui est le fait de rendre une vie totalement inhumaine par la perte des
qualités sociales. Ce sont ces qualités sociales qui donnent
à la personne humaine la possibilité de prendre part à la
vie de l'espace public. Selon Le Blanc, l'invisibilité n'a pas seulement
pour origine l'absence ou le refus de perception d'une vie socialement
fragilisée. Mais, elle procède aussi :
D'une absence de participation à la qualité
des oeuvres humaines qui équivaut à une « mort sociale
» car une vie n'a alors la possibilité d'oeuvrer, ni pour autrui,
ni pour soi : elle n'a plus la possibilité de prendre soin des
171 Ibid., 6.
172 Ibid., 65.
173 Ibid., p. 6.
174 Ibid.
175 Ibid.
176 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 53
capabilités des autres vies faisant oeuvre pour les
autres, pas plus que prendre soin de ses propres capabilités dont
certaines, à commencer par celles comme le travail qui conditionnent
« les bases sociales pour le respect de soi-même et l'absence
d'humiliation », partent progressivement en quenouille. Avec le travail ou
le travail précaire, c'est la possibilité d'avoir « les
moyens de travailler comme un être humain, en exerçant sa raison
pratique et en entretenant des relations constructives de reconnaissance
mutuelle avec les autres travailleurs » qui est abîmée et, la
possibilité de développement d'une vie
humaine177
Pour l'auteur, l'invisibilité ne se limite pas en
l'absence ou au refus de la perception d'une vie marginalisée. Elle peut
aussi se référer à une action humanisante comme le travail
qui ennoblit l'homme et lui permet de s'accomplir pleinement. Si une vie est
mise au banc de touche, c'est-à-dire dans l'incapacité à
pouvoir se mouvoir par le travail, une telle vie se sent inutile et
deshumanisante. Car, le travail contribue à l'éclosion des
relations de reconnaissance mutuelle entre les hommes ou les travailleurs. Ce
qui fait que le « désoeuvrement » conduit à « la
mort sociale » ou l'invisibilité.
IV.2. Les capacités éthiques
En parlant des capacités éthiques, Guillaume Le
Blanc reprend la distinction faite par Paul Ricoeur à partir de la
« phénoménologie de l'homme capable ». De cette
distinction, il en résulte trois pouvoirs éthiques fondamentaux.
Il s'agit : du « pouvoir de dire », du « pouvoir d'agir »
et du « pouvoir de rassembler sa propre vie dans un récit
intelligible et acceptable ». En effet, « la
phénoménologie de l'homme capable » ne peut se comprendre
qu'à partir du pouvoir ultime qu'est «
l'imputabilité178, sous une forme réflexive propre
à l'imputabilité qui prend l'allure d'un énoncé
« Je crois que je peux » et qui implique la possibilité d'un
retour sur
177 Ibid., p. 64-65.
178 Pour Ricoeur, « l'imputabilité est une
capacité homogène à la série des pouvoirs et des
non-pouvoirs qui définissent l'homme capable » (cf. Le Juste
2., cité par Le Blanc, L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 80). Dans la même optique, Le Blanc stipule que
l'imputabilité est non seulement pensée comme une capacité
supplémentaire mais elle semble même au-delà de toute
capacité par le « saut qualitatif » qu'implique le travail
éthique situé à la jonction des capacités et des
incapacités » (Ibid.). Cette notion va jusqu'à rejoindre
celle de la responsabilité morale, en ce sens que « l'autre homme
», c'est-à-dire « autrui », que l'on est tenu
responsable. Car, « l'idée de l'autrui vulnérable tend
à remplacer celle de dommage commis dans la position d'objet de
responsabilité. C'est d'un autre dont j'ai la charge confiée
» (Voir : Parcours de la reconnaissance, II sur une
phénoménologie de l'homme capable, p.176).
CHARLES DIEUDONNÉ T 54
ses capacités »179. Il y a donc
d'emblée un rapport entre l'homme capable, c'est-à-dire celui qui
peut et celui qui ne peut pas, l'homme rendu incapable par
l'invisibilité. Dans la mesure où « la fragilisation des
capacités humaines ne s'effectue pas à contre-courant des
capacités. C'est dire que les capacités, non seulement sont
plurielles, mais aussi partielles, tant elles risquent d'être
fragilisées de l'intérieur de leur déploiement du fait de
la précarité ontologique de l'homme. Ainsi, les capacités
de pouvoir dire, de pouvoir faire et de pouvoir (se) raconter doivent-elles
être mises en rapport avec les incapacités linguistiques,
pratiques et narratives qui leur correspondent ?»180.
En réalité, la fragilisation des
capacités humaines n'est pas l'émanation d'un
phénomène naturel. C'est un fait culturel qui renvoie à
l'institution humaine et aux inégalités que celle-ci peut
engendrer181. Si une société ou une institution
introduit des inégalités linguistiques dans son
déploiement, cela impacte directement sur les capacités humaines.
Car, « la distribution inégale des capacités linguistiques
révèle, a contrario, que l'une « des toutes premières
modalités de l'égalité des chances concerne
l'égalité au plan du pouvoir parler, du pouvoir dire, expliquer,
argumenter, débattre »182. Peut-on parler de la
reconnaissance de soi ou d'autrui sans capacité linguistique ?
A notre avis, la parole, l'action et le récit
contribuent au renforcement de l'identité personnelle par l'insertion du
soi dans la communauté humaine : « Se croire incapable de parler,
c'est déjà être un infirme du langage, excommunié en
quelque sorte »183. Si quelqu'un perd sa capacité
linguistique surtout son pouvoir de dire, il devient un muet, un être
méconnaissable, un homme placé « au ban de la
société ». Parce que, « la parole prononcée par
l'un est une parole adressée à l'autre ; de surcroît, il
lui arrive de répondre à une interpellation venue d'autrui
»184. La parole est un élément de la
reconnaissance parce qu'elle noue une relation entre le destinateur et le
destinataire. Elle constitue aussi la structure de base entre le locuteur et
l'interlocuteur. D'après Le Blanc, l'incapacité linguistique
s'explique par « le fait que « nul n'a la maîtrise du verbe
» mais elle a pour origine proche la vulnérabilité sociale
de celui qui est, en raison de sa position (laquelle, en son paroxysme,
peut-être une non-position), privé de parole ou dont la voix n'est
pas écoutée »185. Quelle que soit la position
dont on occupe, si on
179 Ibid., p. 81.
180 Ibid., p. 82.
181 Ibid.
182 Ibid.
183 Ricoeur, P., Le Juste 2, cité par Le Blanc,
L'invisibilité sociale, op.cit., p. 83.
184 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 158.
185 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 83.
CHARLES DIEUDONNÉ T 55
n'a pas la parole, si on est sans voix, on n'est rien. C'est
pourquoi, la parole apparaît comme un facteur utile et relationnel. A
côté de l'incapacité de parler existe l'incapacité
d'agir.
Quant à l'incapacité d'agir ou le « je peux
faire », il appert que certaines incapacités naissent de la
contingence ou de la finitude dont les causes sont : la maladie, le
vieillissement, les infirmités186. Toutefois, d'autres
incapacités trouvent leur origine dans la privation « du pouvoir
d'agir » qui est « un effet de la précarité sociale
». C'est le cas de la précarisation de l'emploi et le
développement du chômage dont évoque l'auteur cité
plus haut : « La précarisation de l'emploi et le
développement du chômage mettent en crise la puissance d'agir
individuelle et accomplissent à leur tour les processus de
déshumanisation comme symétriques de l'institution de
l'humanité »187.
Le dernier pouvoir éthique dans la
phénoménologie de l'homme capable selon Ricoeur est le «
pouvoir raconter et se raconter ». Ce pouvoir repose sur la question de
l'identité personnelle en rapport avec l'acte de raconter. « Se
raconter », sous la forme réflexive renvoie à
l'identité narrative188. La puissance narrative se
déploie dans la dialectique de l'identité du soi et de
l'identité d'autrui. Car, le récit d'une histoire de vie
personnelle se mêle toujours à celle des autres. Cependant,
Ricoeur souligne que : « Nous ne devons pas perdre de vue la
possibilité inverse, celle de l'impuissance à s'attribuer une
identité quelconque, faute d'avoir acquis la maîtrise de ce que
nous avons appelé identité narrative »189. Si
nous n'avons pas la maîtrise de l'identité narrative, on ne peut
qu'aboutir à une identité quelconque. Celle qui ne permet pas
à l'homme de faire « l'histoire de sa propre histoire ».
Autrement dit de « penser par soi-même ». Ce qui est mis
à l'épreuve, c'est la fragilisation des capacités humaines
et plus précisément l'autonomie qui voudrait que chacun «
ose penser par soi-même » et non « un autre à ta place
» d'où l'estime de soi comme un facteur de consolidation de soi et
de l'humain dans le soi.
Si les dénis de reconnaissance trouvent leur raison
d'être dans le mépris d'une vie surtout moralement, les
dénis de propriétés sociales sont engendrés
à leur tour et « indirectement lorsque la grandeur sociale d'une
vie est bafouée, du fait de la perte d'une propriété
sociale majeure, au point qu'elle donne nécessairement lieu à une
perte de reconnaissance »190. Il nous semble judicieux de
relever la différence que fait Guillaume Le
186 Ibid., p. 83-84.
187 Ibid., p. 84.
188 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 163.
189 Ricoeur, P., cité par Le Blanc, G.,
L'invisibilité sociale, op.cit., p. 84.
190 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 109.
CHARLES DIEUDONNÉ T 56
Blanc entre les dénis de reconnaissance et les
dénis de propriétés sociales. Les dénis de
reconnaissance impactent directement sur la grandeur morale d'une vie alors que
les dénis de propriétés touchent ou privent une vie de sa
visibilité dans son aspect social au point d'aboutir à la carence
ou à la perte de la reconnaissance.
Le manque de reconnaissance dans les presbyteriums peut alors
se manifester par une sorte d'invisibilité qui se traduit par
l'incapacité à « pouvoir dire », à «
pouvoir agir » et à « pouvoir se raconter ». Parfois,
certains membres perdent leurs capacités éthiques et leurs
capabilités parce qu'ils ne savent plus les utiliser en vertu de leur
position ou alors parce qu'ils sont privés d'une faculté telle
que la parole ou alors la capacité d'action. Par conséquent,
leurs voix ne sont plus écoutées. Si quelqu'un perd la parole, il
se sent inutile socialement ou il se considère « un moins que
« quelqu'un », comme une personne dont le titre de personne est
contesté »191. Enlever ou contester à un
être humain sa qualité de personne c'est lui refuser son
humanité qui est conférée une fois pour toute. Un tel
individu disqualifié dans ses capacités peut être
qualifié de précaire ou de subalterne. Selon Le Blanc, « se
sentir précaire, c'est se trouver dans un régime
d'insécurité tel que toute vie se voit pour ainsi dire mise entre
parenthèses »192. « Compter pour subalterne »,
sur le plan social, c'est être moins que rien, C'est être au banc
de touche de la société par rapport à l'ensemble de la
communauté.
Dans le processus de formation de l'identité
personnelle qui passe par les différentes formes de reconnaissance, les
partenaires d'interaction peuvent faire des expériences diverses comme
celles du déni de reconnaissance ou celles des injustices sociales dans
leurs rapports entre eux. Mais leur désir étant d'être
reconnu ou d'instaurer dans leurs relations un minimum de justice sociale, ces
derniers sont obligés de s'engager à la lutte pour leur
autoréalisation afin d'être confirmés comme des sujets
« autonomes et individualisés ». Ce qui fait que, « la
valeur de la reconnaissance, dans le cadre des luttes pour la reconnaissance ou
des dénis de reconnaissance, ne peut alors être
considérée comme une valeur en soi mais comme une valeur
polémique »193. Dans la mesure où la lutte pour
la reconnaissance déclenche le passage d'une forme de reconnaissance
à une autre. Mais c'est aussi un moyen pour mettre fin au déni de
reconnaissance et instaurer un ordre plus juste qui vise à la
réalisation de soi par soi.
Parvenu à la fin de ce second chapitre, il a
été question d'identifier et d'analyser les différentes
figures du mépris ou dénis de reconnaissance mis en relief par
Axel Honneth à partir
191 Ibid.
192 Ibid.
193 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 57
des formes de reconnaissance avec ses trois aspects de la
relation pratique à soi-même qui sont : la confiance en soi, le
respect de soi et l'estime de soi. Ces différentes relations pratiques
à soi correspondent aux facettes des figures du mépris qui sont
source de « la dissolution de la confiance en soi en tant que personnes
dignes d'affection, à la perte du respect de soi comme membres d'une
communauté d'égaux en droits, et à la perte de l'estime de
soi comme sujets contribuant par leurs pratiques à la vie commune
»194. Sur ce, avec Axel Honneth, nous avons relevé trois
types de figures du mépris : La figure du mépris liée
à la violence physique, la figure du mépris du déni du
droit, la figure du mépris du déni de la solidarité
sociale. A partir de ces typologies, nous avons déduit trois principales
causes ou dénis de reconnaissance qui sont à l'origine des
conflits moraux ou de la carence de reconnaissance mutuelle et authentique au
sein des presbyteriums. Ces causes sont : la perte de la confiance en soi, la
perte du respect de soi et la perte de l'estime de soi. A celles-ci s'ajoutent
les dénis de propriétés sociales comme un autre type du
déni qui participe à l'invisibilité sociale et à la
perte de la reconnaissance. Dès lors que les partenaires d'interaction
éprouvent le manque de reconnaissance à travers
l'expérience négative de ces différentes figures du
mépris ou dénis, ils sont amenés à s'engager dans
la lutte pour la reconnaissance mutuelle dans le but d'une réalisation
sans écueils de chacun dans sa singularité, son
universalité et sa particularité pour une reconnaissance
authentique. Mais c'est ce qui permet aussi de développer la relation
pratique à soi-même dans le processus de formation de
l'identité personnelle en ces différents degrés en tant
qu'individu, personne et sujet. Car, « la référence à
la reconnaissance est, chaque fois, introduite à partir de
l'expérience éprouvée comme telle d'un déni de
reconnaissance qui menace une identité sociale, culturelle ou
personnelle »195.
Si chaque fois qu'une offense, vécue comme une
injustice, est infligée à un individu ou à un groupe au
point d'en compromettre l'identité et, par suite, la viabilité,
naît le besoin et la volonté de reconnaissance196.
C'est dans cette optique que, dans les différents presbyteriums, pour
que les membres parviennent à la reconnaissance mutuelle et authentique
dans leurs relations mutuelles, il serait plausible de passer par
l'expérience successive des formes de la reconnaissance de l'amour, du
droit et de la solidarité afin qu'ils retrouvent en eux-mêmes la
confiance en soi, le respect de soi et d'estime de soi. Et finalement pour
qu'ils puissent se comprendre comme des sujets à la fois autonomes et
individualisés. Pour nous, c'est ce qui
194 Honneth, A., La société du
mépris, op.cit., p. 21.
195 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 102.
196 Ibid., p. 100.
CHARLES DIEUDONNÉ T 58
constitue l'apport de la théorie de la reconnaissance
mutuelle dans la perspective de la résolution des conflits moraux au
sein des presbyteriums.
CHAPITRE III : L'APPORT DE LA THEORIE DE
LA
RECONNAISSANCE MUTUELLE CHEZ AXEL HONNETH DANS LA
PERSPECTIVE DE LA
RESOLUTION DES CONFLITS AU SEIN DES
PRESBYTERIUMS AU CAMEROUN
Dans le processus du développement de la formation de
l'identité personnelle, l'homme moderne a besoin d'être reconnu et
de se voir confirmer par les autres. C'est ce qui a sans doute modifié
sa nouvelle conception de l'identité individuelle au point de faire dire
à Charles Taylor : « L'importance de la reconnaissance a
été modifiée et intensifiée par la nouvelle
conception de l'identité individuelle qui apparaît à la fin
du XVIIIème siècle. On pourrait parler d'une identité
individualisée, particulière à ma personne et que je
découvre en moi-même. Cette notion apparaît en même
temps qu'un idéal : être fidèle à moi-même et
à ma propre manière d'être... J'en parlerai comme d'un
idéal d'authenticité »197.
Aujourd'hui, la question de la reconnaissance est un «
idéal d'authenticité » parce qu'elle se rapporte à
« l'identité individualisée » où d'une part,
l'on voit se dessiner le subjectivisme ou alors « la valeur de la
certitude intérieure » avec Taylor. D'autre part, il se pointe
à l'horizon « la culture démocratique » d'Axel Honneth
qui s'est affirmée comme une culture subjective198. Mais
où autrui est celui qui confirme la valeur de mon identité
individuelle. En effet, avec la grammaire morale, le besoin de reconnaissance
naît d'une situation du déni ou d'injustice lorsque les individus
font l'expérience de la négation ou du
197 Taylor, Ch., Multiculturalisme, Paris, Flammarion,
1994, (traduction française), p. 44.
198 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 106.
CHARLES DIEUDONNÉ T 59
mépris de la grandeur morale de leur vie ou alors
lorsqu'ils voient que leur vie est socialement bafouée,
marginalisée, dépourvue de toutes les capabilités de base
et de toutes les capacités éthiques. C'est dans
cette optique que s'inscrit la lutte pour la reconnaissance au sein des
presbyteriums.
Par ailleurs, ceux qui font face à des conflits moraux
dus à la dissolution de la confiance en soi, à la perte du
respect de soi et à la perte de l'estime de soi ou qui connaissent
simplement l'épreuve des dénis de reconnaissance s'adonnent
à la quête de leur identité en tant que sujets autonomes et
individualisés pour une « vie bonne et réussie ». Une
telle autoréalisation n'est possible qu'à partir d'une
référence éthique à travers les différentes
formes de la reconnaissance qui correspondent aux trois sphères de
l'amour, du droit et de la solidarité199. Ce qui nous
amène à la suite d'Axel Honneth à proposer les trois
modèles de reconnaissance intersubjective sus-évoqués
comme une voie pour retrouver la reconnaissance authentique au sein des
presbyteriums.
Dans ce dernier chapitre consacré à la recherche
des solutions face aux conflits qui minent les presbyteriums, à la
lumière de la théorie de la reconnaissance mutuelle, avec Axel
Honneth, nous avons mis en lumière les différentes formes de
reconnaissance : la confiance en soi, le respect de soi et l'estime de soi qui
« créent ensemble les conditions sociales dans lesquelles les
sujets humains peuvent parvenir à une attitude positive envers
eux-mêmes »200 dont « la négation, partielle ou totale,
est l'objet du déni de reconnaissance ». Face au déni,
à l'offense ou au mépris, la demande de reconnaissance se veut
« comme une grandeur morale se référant à une
idée de la justice sociale selon laquelle toutes les vies
méritent d'être pleinement vécues et d'être
traitées comme des fins »201.
Pour une vie bonne et réussie au sein des
presbyteriums, pour que les membres se reconnaissent mutuellement comme des
individus dans leurs besoins concrets, en tant que des personnes juridiques et
les sujets dans leurs particularités individuelles, trois paradigmes
intersubjectifs sont à observer pour l'autoréalisation
personnelle de chacun. Il s'agit en premier lieu de l'amour, en second lieu du
droit et en fin de la solidarité. Après nous essayerons d'ouvrir
l'horizon pour voir si la théorie de lutte pour la reconnaissance
mutuelle telle que présentée par Axel Honneth est le seul et
l'unique modèle de reconnaissance des sujets humains.
199 Ibid., p. 147. Voir aussi La lutte pour la
reconnaissance, chap. V.
200 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 283.
201 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 95.
CHARLES DIEUDONNÉ T 60
I. L'amour comme expression de la confiance en
soi
Tout être humain a besoin de se sentir aimé pour
s'autoréaliser. L'amour est donc la forme élémentaire et
particulière de toute relation de reconnaissance. Grâce aux
travaux du psychanalyste anglais Donald Winnicott sur la théorie de la
relation d'objet, Honneth se déploie à comprendre comment
l'enfant accède à un équilibre précaire entre
autonomie et dépendance202qui constituera plus tard le nerf
de l'amour et de la confiance en soi.
D'après Winnicott, la première étape dans
ce processus de reconnaissance est le « maintien » entre l'enfant et
sa mère. C'est la phase de la sécurité et de l'affirmation
individuelle de soi dont la caractéristique spécifique est
l'autonomie. A cette phase, l'enfant ne sait rien faire sans sa mère. On
dirait qu'il dépend totalement de son partenaire d'interaction qui lui
octroie une assistance continuelle dans les premiers mois de son
existence203 au point où celui-ci est « incapable de
distinguer en termes cognitifs entre son entourage et lui-même
»204.
La seconde phase est donc celle de la « dépendance
relative » comme nous l'avons déjà évoqué plus
haut. A ce stade, Honneth perçoit la relation d'amour comme une «
symbiose réfractée par l'individuation respective des partenaires
»205. En effet, la relation d'amour se déploie
d'être reconnue dans l'acceptation cognitive et l'indépendance de
l'autre, qui repose dans le processus d'une confiance affective dans la
permanence de l'attachement réciproque des deux
partenaires206.
Bien qu'il soit limité dans un cadre d'interaction,
l'amour couvre le modèle des rapports érotiques, amicaux ou
familiaux. En effet, la relation d'amour se limite dans un cadre restreint qui
n'est pas étendue à volonté au-delà de l'entourage
immédiat. Cependant, l'amour ne veut pas dire seulement satisfaction de
l'appétit sexuel. Il doit se comprendre « comme un être
soi-même dans un étranger »207.
C'est-à-dire que « les relations affectives primaires supposent un
équilibre précaire entre autonomie et dépendance
»208. C'est à ce premier modèle de la
reconnaissance intersubjective que « les sujets s'y confirment
mutuellement dans leurs besoins concrets, donc comme des êtres
nécessiteux »209.
202 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 162.
203 Ibid., p. 169.
204 Ibid.
205 Ibid., p. 182.
206 Ibid.
207 Hegel, G.W.F., System der Sittlichkeit, cité
par Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, p. 162.
208 Honneth, A., op.cit., p. 162.
209 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 61
La dernière étape de la relation d'amour comme
mode de reconnaissance est la « capacité à être seul
». A cette dernière phase qui consiste en la rupture du lien
symbiotique avec sa mère, l'enfant veut se rassurer que celle-ci
continuera à s'occuper de lui comme avant. Dès cet instant,
l'enfant est en sécurité et il peut également être
sûr avec lui-même. Par l'expérience intersubjective, l'amour
ouvre l'individu à une certaine sécurité
émotionnelle qu'est la confiance en soi. Ce qui fait que quand l'enfant
« est sûr de l'amour maternel, il acquiert une confiance en
lui-même qui lui permet de rester seul sans inquiétude
»210.
De ce fait, la confiance en soi devient le support
élémentaire de toute autoréalisation parce qu'elle permet
à l'individu d'acquérir sa liberté intérieure
auquel cas il ne parviendrait pas à la formulation de ses propres
besoins. Par ailleurs, la confiance représente l'expérience de
l'amour comme le noyau central de toutes les formes de vie qu'on peut qualifier
d'« éthiques ». En effet, c'est dans l'expérience de
l'amour que se tisse involontairement la relation pratique de l'individu avec
d'autres. Au fond, toute relation d'amour est conditionnée par un
sentiment individuellement incontrôlable de sympathie et d'attraction
entre parent et enfant, ainsi qu'entre amis ou amants211. L'amour
est un élément fondamental et constitutif de la reconnaissance en
ce sens que l'autre tire de l'affection qu'on lui porte l'acceptation de son
autonomie. Pour Honneth et Hegel, l'amour est le noyau structurel de toute vie
éthique. En outre, « la capacité d'être seul »
est la condition nécessaire de toute créativité, infantile
ou adulte.
Car :
La vie est tout autant possibilité de faire oeuvre
que désir de reconnaissance, sentiment de compter dans le récit
de l'humanité par les actes que l'on fait, par les oeuvres produites,
qu'attente normative du verdict de l'autre. La vie désoeuvrée est
alors le revers de cette promesse d'oeuvre que la créativité des
vies ordinaires induit, et ce désoeuvrement est susceptible de
pathologies de la reconnaissance mais qui ont aussi une portée
propre212
De cette assertion, il en ressort que Guillaume Le Blanc remet
en relief le rapport entre créativité et reconnaissance. Ce lien
est soulevé en premier dans La Lutte pour la reconnaissance par
Honneth. De prime abord, il signale que cette question n'est pas dans ses
210 Ibid., p. 177.
211 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 182.
212 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 118.
CHARLES DIEUDONNÉ T 62
préoccupations même si, avec celle-ci : « On
pourrait tirer de là de vastes aperçus sur le lien entre
créativité et reconnaissance, mais cette question ne nous
intéresse pas directement ici. »213.
A contrario, la relation entre créativité et
reconnaissance retient l'attention de Guillaume Le Blanc. Dans la mesure
où, il voit la vie comme une « mise en oeuvre » qu'une simple
reconnaissance. Ce qui fait pour lui d'une vie désoeuvrée un
désastre et une « folie ». Car, « la folie est l'«
absence de l'oeuvre »214. C'est aussi à travers l'oeuvre
que l'homme est reconnu par les autres et parvient même à inscrire
son nom sur le panthéon historique de l'humanité. Une vie
désoeuvrée ne peut être que le revers de cette promesse
d'oeuvre : « Ce désoeuvrement est susceptible de pathologies qui
peuvent être partiellement des pathologies de la reconnaissance
»215. Si une vie sans travail est une vie pathologique, le
travail apparaît comme une sorte de « mise en oeuvre » selon Le
Blanc.
I.1. Le travail comme une mise en oeuvre
D'après Le Blanc, le travail est l'institution
fondamentale parmi les institutions de l'humain216. Par le travail,
l'homme s'affirme et s'humanise. Car, d'une part ceci lui permet de gagner sa
vie. Sans doute, c'est dans cette optique que Voltaire disait le travail
éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice et le besoin.
D'autre part, parce qu'il est : « l'un des modes privilégiés
de participation au monde des autres et à l'histoire des autres se voit
pour ainsi dire mis à l'oeuvre »217. En d'autres termes,
par le travail l'homme participe à l'action créatrice qui lui
donne une visibilité dans le monde et par le monde.
Pour approfondir son investigation sur la question, Le Blanc
fait appel à Hannah Arendt qui, à son tour distingue les logiques
du travail et de l'oeuvre. Pour elle, le travail doit être pensé
comme une mise en oeuvre qui intervient sur trois registres différents.
Le premier registre renvoie à la création d'un bien
matériel ou immatériel218. Ce premier niveau est
caractérisé par la distance entre le producteur et son oeuvre. Le
second registre vise à mettre en exergue les différentes
règles qui portent le travail en tant qu'activité et concourent
à l'éclosion de celui-ci. Le troisième registre enfin
concerne la transformation du patrimoine de l'humanité dans lequel
213 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p.
176.
214 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 24.
215 Ibid., p. 118.
216 Ibid., p. 24.
217 Ibid.
218 Ibid., p. 24.
CHARLES DIEUDONNÉ T 63
il s'inscrit219. En effet, le contraire d'une vie
en activité est le désoeuvrement. Le désoeuvrement est
donc selon Le Blanc, « l'inactivité d'une vie dont l'inemploi se
révèle dans le désengagement à l'égard des
tâches anodines qui règlent le cours d'une vie
»220.
Une vie désoeuvrée n'annule pas totalement la
valeur, la qualité de son autoréalisation. Cependant, cela peut
signifier que la vie « mise en oeuvre » ne va pas toujours de soi.
Car, l'invalidation d'une vie a valeur d'effacement de la possibilité de
l'oeuvre dans la mesure où celle-ci est caractérisée par
l'expérience négative voire inutile qui la place au ban de
l'humanité221. En réalité, le travail ne
déborde pas le désir de reconnaissance mais il peut quand
même le modifier.
Le premier mode de reconnaissance mutuelle est la relation
d'amour. Il ne s'agit pas ici de l'amour évangélique mais
plutôt de l'élément de l'éthicité
222qui participe dans le processus de la formation individuelle vers
« l'ethicité elle-même ». En parlant de la sphère
de l'amour, Hegel prend l'exemple de la famille pour illustrer celle-ci. Il
voit en la famille « un espace intérieur rendu intime, soustrait
aux contraintes externes »223. Selon lui, Ce qui fait de la
famille, un moment de l'ethicité, « c'est le fait que la
satisfaction naturelle des besoins s'accomplisse ici sous la forme de l'amour
réciproque, c'est-à-dire sous la forme d'une interaction qui se
produit dans la « sensation » de « mon unité avec l'autre
et de l'unité de l'autre avec moi »224. De cette
affirmation, il en ressort que l'amour est une relation de
réciprocité, d'interaction ou d'unité entre l'autre et
moi. Aimer une autre personne « c'est se comporter relativement à
elle avec la conscience de ce que « je sentirais défectueux et
incomplet » sans elle »225. Aimer c'est donc
compléter à l'autre ce qui lui manque et se compléter
soi-même.
L'amour est l'acte de l'accomplissement de soi et d'autrui.
Avoir la conscience que le moi sans autrui ou l'autre sans moi ne mène
nulle part suscite la confiance entre les partenaires d'interaction et la
communauté. Dans la mesure où « si, dans la famille, chacun
se sentirait incomplet sans l'autre, cela signifie, exprimé
positivement, que le sujet accède dans cette forme d'interaction
à une sorte d'autoaccomplissement en « se gagnant »
lui-même « dans l'autre
219 Ibid.
220 Ibid., p. 4.
221 Ibid., p. 5.
222 « Par le concept « d'éthicité
», nous désignons l'ensemble des conditions intersubjectives dont
on peut prouver qu'elles constituent les présupposés
nécessaires de la réalisation individuelle de soi. » (Voir,
Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op.cit., p. 289).
223 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une
réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, op.cit., p.
106.
224 Ibid., p. 107.
225 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 64
personne »226. C'est ce qui fait de l'amour,
« une forme de « sentiments », un savoir commun de ce que, l'un
sans l'autre, « nous » ne serions que des sujets incomplets, et donc
de ce que nous nous appartenons en tant qu' « unité
»227.
Pour Hegel, la famille est aussi le lieu de la formation et de
l'apprentissage. C'est en son sein que les membres apprennent « à
considérer l'autre comme un individu irremplaçable
»228. Si les membres de la famille sont réciproquement
conscients de l'amour qu'ils éprouvent les uns pour les autres donc du
caractère indélébile ou irremplaçable, cela doit
être perçu dans les comportements. Car, ces comportements
possèdent un caractère moral autant qu'ils contiennent une forme
déterminée de la prise en considération229. Si
l'un vaut comme irremplaçable pour l'autre, c'est en vue de l'entraide
mutuelle. C'est pourquoi, Hegel pense que l'entraide, le soin et l'assistance
constituent intérieurement des pratiques d'obligations et de droits
déterminés au sein desquels une forme de reconnaissance
réciproque accède à l'expression230 : «
Si, dans notre agir intersubjectif, nous suivons les normes morales
adéquates, alors nous nous reconnaissons par-là
réciproquement comme des sujets qui sont les uns pour les autres d'une
valeur unique, parce que, sans l'autre, nous nous sentirions comme «
défectueux et incomplets »231. Grâce à des
normes morales, les sujets peuvent se comprendre mutuellement et se confirmer
comme des valeurs en vue de leur autoréalisation. La réalisation
de soi passe par la confirmation de l'autre. C'est ce qui fait que le soi
considère l'autre comme un « individu irremplaçable ».
Cela n'est possible que dans la relation d'amour.
Si la théorie de reconnaissance vise une
société juste232 telle que Honneth l'envisage dans son
modèle théorique avec les modes de reconnaissance intersubjective
: l'amour, le droit et la solidarité. Pour lui, ces trois modes «
pris ensemble » renvoient à la notion de justice sociale : «
les trois principes institutionnalisés de l'amour, de
l'égalité et du mérité [...], pris
226 Ibid., p. 109.
227 Ibid., p. 107.
228 Redding, Paul., cité par Honneth, A., Les
pathologies de la liberté. Une réactualisation de la philosophie
du droit de Hegel, op.cit., p. 107.
229 Ibid., p. 108.
230 Ibid., p. 109.
231 Ibid.
232 « D'après le modèle théorique de
la reconnaissance, est juste une société structurée de
manière à garantir à l'ensemble de ses membres la chance
de se réaliser sur les trois plans de leurs besoins affectifs, de leurs
droits et de leurs contributions à la vie sociale. » (Voir Honneth,
A., cité par Louis Carré, Le droit de la reconnaissance,
op.cit., pp. 59-60). Pour rendre plus explicite la notion de juste, il la
définit à l'opposé : « A l'inverse, peut être
dit injuste un ordre social où les possibilités d'être
reconnu dans ces différents se trouvent systématiquement
bloquées ou entravées. » (Voir, Louis Carré, op.cit.,
p. 60).
CHARLES DIEUDONNÉ T 65
ensemble, déterminent ce qu'aujourd'hui, nous devons
comprendre sous le terme de justice sociale »233.
Selon Louis Carré, le premier de ces principes de
justice repose sur le postulat selon lequel « qu'à chaque individu
humain soient pourvus les soins et les attentions nécessaires à
la formation et au maintien de son identité affective
»234. Quant au second principe, il est lié au fait que
les personnes qui forment la communauté juridique soient traitées
équitablement du point de vue de leurs capacités rationnelles
à se prononcer sur l'ensemble des affaires qui les concernent
235. Le dernier principe ou le troisième vise à ce que
dans la communauté des valeurs, les membres puissent voir leurs
qualités et capacités être reconnues à leur juste
valeur.
Pour un ordre social juste et pour une « vie
éthique démocratique » à l'opposé d'une
société de mépris, dans chaque presbyterium, les membres
sont appelés à faire l'expérience de l'amour, Ceci n'est
possible que dans les rapports de relations de reconnaissance à soi et
aux autres. Si par extension, le presbyterium désigne une famille dont
les membres sont réunis autour de leur évêque, la relation
d'amour apparaît comme un fondement sans lequel son existence serait
fébrile. Car, c'est au sein de la famille que les membres apprennent
à se reconnaître, à s'aimer, à se faire confiance,
à se respecter et à se considérer comme des «
individus irremplaçables » et ceux-là qui se
complètent mutuellement, tenus à s'entraider, à s'assister
et à se prendre soin les uns pour les autres.
La relation de reconnaissance de l'amour se manifeste comme la
première étape à affranchir dans le cadre de la
quête pour la reconnaissance mutuelle entre les membres d'un même
presbyterium. Pour ce faire, chaque partenaire d'interaction doit se sentir
autonome et dépendant dans un équilibre entre
l'intégration et la démarcation. Autonomie et dépendance
se complètent surtout dans la relation d'amour dans la mesure où
elles contribuent à la réalisation de soi et à
l'épanouissement des autres sujets. L'amour est donc le premier
degré de la reconnaissance réciproque et de
l'autoréalisation individuelle. C'est à ce niveau que nous
comprenons que dans la relation d'amour, tout partenaire d'interaction est
autonome mais toujours unis à l'autre ou à d'autres parce qu'ils
se reconnaissent, se comprennent, se portent attention les uns aux autres afin
qu'ils se sentent à l'aise dans leur particularité
individuelle.
233 Honneth, A., cité par Carré, Louis. Axel
Honneth. Le droit de la reconnaissance, op.cit., p. 61.
234 Ibid.
235 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 66
Par ailleurs, dans la relation d'amour, il y a aussi la «
capacité à être seul » qui donne à l'individu
la confiance en soi et ce sans quoi personne ne peut participer de
manière autonome à la vie publique. La confiance en soi
apparaît comme un élément fondamental dans la vie des
membres des presbyteriums. Il arrive parfois que ce premier degré de
reconnaissance réciproque qu'est l'amour soit foiré dans les
relations entre les membres d'un même et seul presbyterium : entre les
prêtres et les évêques mais aussi les prêtres entre
eux à cause de la dissolution de la confiance en soi et aux autres. Pour
illustrer cela, Monseigneur Gérard Daucourt, évêque
émérite de Nanterre déplore le fait que certains
évêques ne savent pas entretenir les relations avec leurs
prêtres.
A ce propos, il affirme :
Pour confier le ministère épiscopal à
un prêtre, le premier critère devrait être l'aptitude
à la relation en particulier avec ses confrères prêtres.
Des prêtres, grands spirituels ou grands théologiens, voire bons
managers, sont parfois appelés mais pour diverses raisons ne savent pas
entretenir les relations de fraternité-paternité avec leurs
prêtres. Certains sont trop timides, d'autres se prennent pour des
Seigneurs ou se comportent seulement en administrateurs. Ils sont souvent
malheureux et ne rendent pas les autres heureux. Il peut alors se créer
des situations de blocage qui nuisent gravement à
l'évangélisation et qui peuvent durer car les nonces et la
Congrégation des évêques reconnaissent très rarement
s'être trompés après avoir présenté au pape
un prêtre pour l'épiscopat236.
Pour Monseigneur Gérard, le lot quotidien d'un candidat
à l'épiscopal ou d'un évêque est sa capacité
de relation avec les autres et d'abord avec ses confrères prêtres.
Le premier critère du choix d'un évêque ne devait donc pas
être la science, la spiritualité ou le management mais la
capacité de relations surtout la relation de reconnaissance d'amour. Par
le fait que les évêques sont liés avec leurs prêtres
par une confiance affective, ils sont appelés à les
reconnaître comme des frères. Quant aux prêtres,
attachés à leurs évêques par une sorte de symbiose
réfractée marquée par la démarcation
réciproque les uns pour les autres, ils sont aussi appelés
à reconnaître leurs évêques comme leur père et
leur ami d'où « les relations de fraternité-paternité
». Si les évêques ne font pas confiance à leurs
prêtres et vice-versa, comment entretiendront-ils de bonnes relations ?
Comment parviendront-ils à la reconnaissance
236 Daucourt, G., Prêtres en morceaux, op.cit., p.
53.
CHARLES DIEUDONNÉ T 67
authentique et réciproque au sein de leurs
presbyteriums ? En cas d'absence de reconnaissance, la confiance en soi et aux
autres est diminuée ou dissoute. De telles expériences peuvent
aboutir à des situations de désapprobation, d'atteinte à
l'intégrité physique, sociale ou à la dignité donc
aux dénis de reconnaissance ou au mépris. Lorsqu'un individu est
privé d'approbation, il est comme n'existant pas, se sentant comme
regardé de haut, voire tenu pour rien237. Ce genre d'individu
est considéré sur le plan social comme « un mort »
parce qu'il se sent inutile, invisible et sans considération aux yeux
des autres. Alors que celui qui est aimé, se sent épanoui et
considéré au sein de la communauté.
C'est à partir de la relation d'amour que se construit
progressivement et successivement des relations de reconnaissance mutuelle ou
des relations d'intégration sociale entre les différents
partenaires d'interaction. Ce qui nous fait dire que l'amour comme expression
de la confiance en soi est le fil conducteur et le point de départ de
l'intégrité personnelle dans la perspective de la quête
pour la reconnaissance mutuelle au sein des presbyteriums. Hegel résume
ce premier modèle de reconnaissance intersubjective en ces termes :
« L'amour désigne la conscience de l'unité que je forme avec
quelqu'un d'autre, de telle sorte que je ne sois pas isolé pour moi,
mais qu'il ne me soit possible d'acquérir la conscience de moi que par
la suppression de mon être-pour-soi et par la connaissance de
moi-même comme d'une unité que je forme avec l'autre et que
l'autre forme avec moi »238.
L'amour favorise la proximité et l'unité entre
les hommes. C'est dans un élan d'amour et d'unité que les membres
des presbyteriums parviendront à établir des rapports «
harmonieux et épanouissant à soi et aux autres, dans des
relations de reconnaissance réconciliées »239vers
une « vie éthique démocratique » et réussie dans
un esprit de respect de soi et des autres.
II. Le droit comme source du respect de soi
D'après Honneth, le droit est le deuxième
modèle de reconnaissance intersubjective. Il apparaît comme un
autre pilier à côté de la relation de reconnaissance
d'amour dans la perspective de résolution des conflits moraux au sein
des presbyteriums. Le droit intervient là où la relation
singulière d'amour s'arrête. Toutefois, la relation de
reconnaissance juridique reste ancrer dans la relation
élémentaire avec l'individu. Par le fait qu'elle joue un
rôle
237 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études, op.cit., p. 300.
238 Hegel, G. W. F., Principes de la philosophie du
droit, Paris, GF Flammarion, trad. française par Jean-Louis
Vieillard-Baron, p. 230.
239 Hunyadi, Mark., (sous dir.), De la reconnaissance
à la liberté : Axel Honneth est-il encore Francfortois
? », in Axel Honneth. De la reconnaissance à la
liberté, op.cit., p. 7-11.
CHARLES DIEUDONNÉ T 68
important de protection de celui-ci dans la sphère
primaire : « Les modèles de reconnaissance juridique
pénètrent dans la sphère interne des relations primaires,
parce que l'individu doit être protégé contre le danger
d'une violence physique dont la possibilité est structurellement
inscrite dans l'équilibre précaire de tout lien émotionnel
»240. Ce qui fait de la lutte pour la reconnaissance une lutte
dynamique dans le processus de la reconnaissance mutuelle.
Par ailleurs, la notion du droit chez Honneth ne se limite pas
seulement dans le cadre juridique mais il touche à la fois l'aspect
subjectif et objectif de la liberté humaine. Car « il n'y a pas
d'effectuation véritable de la « liberté subjective »
des individus en dehors de la « liberté objective »
sédimentée dans les institutions et les pratiques sociales
auxquelles ils prennent part »241.
A cette sphère, les sujets peuvent se comprendre
véritablement comme des personnes qui partagent avec les autres membres
de la communauté la capacité à participer à la
formation d'une volonté discursive242 et à se
prononcer rationnellement et de façon autonome sur des questions
morales243. Ici, la personne se rapporte de manière positive
à soi-même. C'est donc là où « le respect de
soi » intervient. Dès lors, « On peut considérer que le
respect de soi est à la relation juridique ce que la confiance en soi
est à l'amour »244. En effet, ce sont des droits
légaux qui permettent à l'être humain de prendre conscience
qu'il peut se respecter lui-même et se voir respecter par les autres.
Dans ce cas, la responsabilité morale comme « capacité
à répondre de soi-même » entre en jeu. Parce que cette
responsabilité « en tant que capacité à
répondre de soi-même est inséparable de la
responsabilité en tant que capacité à participer à
une discussion raisonnable »245. La responsabilité
morale est donc le noyau central du respect de soi dans le processus de la
reconnaissance mutuelle.
Quant au respect, il peut être perçu comme une
sorte de commerce entre les hommes. Par le fait qu'il ne s'adresse guère
aux choses, mais « toujours seulement à des personnes
»246. Respecter l'autre, c'est le reconnaître comme son
partenaire d'interaction ou alors comme son égal et son semblable :
« Le respect n'est alors rien d'autre que la reformulation morale,
c'est-
240 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 297.
241 Carré, L., Axel Honneth. Le droit de la
reconnaissance, op.cit., p. 117.
242 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 204-205.
243 Ibid., p. 194.
244 Ibid., p. 201.
245 Honneth, A., cité par Ricoeur, P., Parcours de la
reconnaissance, Trois études, op.cit., p. 313.
246 Foessel, M. et Lamouche, F., Kant, Paris, dans la
collection « Points Essais » série « Bibliothèque
», 2010, p. 156.
CHARLES DIEUDONNÉ T 69
à-dire la reformalisation, de l'égalité
première donnée dans le commerce des égaux
»247. Tous les hommes naissent libres et égaux, par
conséquent, ils sont appelés à se respecter. Le respect
vise ici à considérer la personne humaine comme une « fin en
soi » et jamais comme un « moyen ». Ce type de respect
relève de la responsabilité morale et repose à son tour
sur l'idée d'un accord rationnel entre individus égaux en droits.
Selon Honneth, il existe deux types de respect. Le premier est inhérent
au « droit » ou respect moral alors que le second se rapporte
à la « communauté des valeurs » ou à l'estime
sociale. Dans le premier cas, un homme est respecté dans certaines de
ses qualités. Celles-ci ont un caractère universel. Dans le
second cas, ce qui est mis en évidence ce sont des qualités
particulières des individus qui les distinguent des autres personnes.
Pour Le Blanc, « le respect de l'autre, comme un autre
ego égal à moi, est alors adossé à une structure de
reconnaissance qui le rend possible »248. Selon lui, si le
respect entre les humains se limite du point de vue de l'égalité,
des choses peuvent mal se passer. Car :
Cette forme de respect risque de masquer les dénis
de méconnaissance et de reconnaissance qui peuvent manquer de s'exercer
dans la vie ordinaire. [...]. Il suffit que l'autre apparaisse d'une tout autre
manière pour rendre l'opération de respect délicate.
Ainsi, le respect de l'autre, s'il est seulement articulé à la
possibilité d'une bonne entente entre des êtres égaux, est
du même coup exposé au risque du malentendu, lequel ne repose pas
tant sur l'expérience de la discorde sociale ou symbolique que sur
l'épreuve de la confusion des signes sociaux d'appartenance à une
même classe. Le respect des égaux marque alors la fermeture des
frontières du respectable à tout ce qui, socialement, est
éprouvé comme différent. Si le respect ne s'exerce
qu'à l'endroit de celui dans lequel il est possible socialement de se
reconnaître, il risque de s'échanger en son contraire et, de forme
universelle, de s'aliéner en un sentiment moral de classe qui
achève le processus de distinction249
Pour Guillaume Le Blanc, le respect ne saurait se borner sur
une bonne entente entre les égaux. Sinon celui-ci devient masquer et
hypothétique. Cette forme de respect ressemble à un arrangement.
Il suffit un changement de statut de l'un des partenaires d'interaction pour ne
plus parler de respect mais plutôt des malentendus voire des discordes.
C'est la raison pour laquelle,
247 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 87.
248 Ibid.
249 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 70
Le Blanc pense que « le respect doit se porter hors de la
sphère des ego égaux et s'envisager plus radicalement comme
sentiment moral mettant en relation des ego situés eux-mêmes dans
des relations dissymétriques »250.
Si le respect de soi ou d'autrui est encadré par la
grammaire morale qui régit les relations de reconnaissance
intersubjective d'une part, d'autre part, il existe le respect à
l'égard de soi ou d'autrui, vu sous l'angle de la vie sociale. A partir
de ces deux prémisses, Le Blanc fait une distinction entre le respect
dû à la reconnaissance et le respect dû à la
décence251. Pour lui, le respect de la reconnaissance
relève avant tout de « l'éthicisation de la vie sociale
»252 et se situe au niveau interpersonnel alors que le respect
de la décence s'origine « dans une perspective qui s'efforce de
resocialiser l'éthique en la considérant de l'intérieur de
l'épaisseur même des relations sociales »253.
D'après cette distinction, il appert qu'il n'y a pas
d'opposition entre ces deux types de respect dont le rôle est de mettre
en évidence la visibilité sociale tant sur le plan interpersonnel
qu'impersonnel. Un tel rapport ne peut être pensé qu'à
partir de l'invisibilité sociale. Car : « Elle n'atteint son niveau
maximal que pour autant que les dénis de reconnaissance, du fait
même de la non-perception de l'autre ou d'une perception biaisée
qu'ils autorisent, se renforcent dans l'expérience sociale de
l'humiliation engendrée par un type de société, la
société indécente. S'il y a invisibilité sociale
relative dans les dénis de reconnaissance de la personne
méprisée, il y a invisibilité sociale absolue dans les cas
où ces dénis de reconnaissance se développent à
l'intérieur de sociétés humiliantes
»254.
L'invisibilité sociale est engendrée par le
déni de reconnaissance ou par le mépris de la valeur morale d'une
vie. Cette invisibilité peut être galopante au niveau de la
société au point de rendre cette société
indécente où le respect dû à la reconnaissance et le
respect dû à la décence sont tronqués ou absents
dans une société juste.
250 Ibid.
251 Ibid. Le concept de « décence » vient du
latin « dicere » qui signifie « convenir ». D'après
le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse de 1876 cité par
Guillaume Le Blanc, « la décence désigne
l'honnêteté extérieure, la bienséance qu'il est
requis d'observer quant aux lieux, aux temps et aux personnes » (Voir
l'invisibilité sociale, p. 156). Le Blanc ajoute que « la
décence n'est pas seulement ce qui règle la forme
extérieure des conduites humaines mais ce qui en vient à
régler le mode d'apparition des conduites humaines dans la vie sociale
[...]. Je propose de nommer « décence » ce sans quoi
l'attestation de soi, à la base d'une reconnaissance de soi et des
autres révélée dans le jeu des sentiments moraux, est
brouillée ou indisponible ».
252 Ibid., p. 155.
253 Ibid.
254 Ibid., p. 156.
CHARLES DIEUDONNÉ T 71
En outre, Chez Axel Honneth, le droit est lié à
la conception moderne et à l'évolution historique des
sociétés occidentales. Ce qui place la personne humaine au centre
de la relation juridique en tant que sujet porteur de droits. En tant que
porteur de droits, l'être humain doit toujours se rappeler que les autres
sont aussi des sujets porteurs de droits. Dans cette réciprocité,
l'alter et l'égo se respectent mutuellement comme moralement
responsables et en tant que sujets autonomes et individualisés. Ce sont
des droits fondamentaux universels qui soutiennent le caractère
spécifique de la forme du respect de soi. Ici, les personnes apprennent
à s'envisager eux-mêmes à partir d'un autrui approbateur en
tant que des êtres dotés de qualités et capacités
positives255.
En plus de l'amour, le droit apparaît comme la seconde
marche qui mène vers la reconnaissance mutuelle et authentique dans ses
trois registres. Parce qu'il permet la reconnaissance de soi et celle de «
l'autrui généralisé ». En d'autres termes, le droit
favorise l'individuation et la socialisation entre les partenaires
d'interaction au sein d'une même communauté. Ce qui implique la
participation de chaque sujet en tant que membre à part entière
de la communauté ou du presbyterium à la formation de son
identité personnelle pour « une vie bonne et réussie ».
A l'amour et au droit s'ajoutent une autre forme de la reconnaissance : la
solidarité comme expression de la réalisation de soi et la
dernière étape à franchir dans le processus de la
résolution des conflits au sein des presbyteriums.
III. La solidarité comme noyau structurel de
l'estime de soi.
L'amour et le droit sont des conditions formelles pour une vie
éthique dans la perspective de la résolution des conflits dans
les presbyteriums en vue de l'autoréalisation individuelle et de la
reconnaissance authentique entre les différents membres. La coexistence
entre l'amour et le droit ouvre la voie à la solidarité. Quant
à la solidarité, elle est l'étape culminante de cette
autoréalisation de l'identité individuelle des sujets dans
l'optique d'une « vie bonne et réussie ». Par
conséquent, la solidarité est ce sans quoi la reconnaissance ou
l'acte de reconnaissance au sein des presbyteriums ne saurait être
possible. L'idée de solidarité renvoie à « une sorte
de relation d'interaction dans laquelle les sujets s'intéressent
à l'itinéraire personnel de leur vis-à-vis, parce qu'ils
ont établi entre eux des liens d'estime symétrique
»256.
Pour parvenir à établir une relation
ininterrompue avec eux-mêmes, les sujets ont besoin de faire
l'expérience d'une reconnaissance juridique, de jouir d'une estime
sociale qui leur
255 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 290.
256 Ibid., p. 218.
CHARLES DIEUDONNÉ T 72
permet de rapporter positivement à leurs
qualités et à leurs capacités concrètes. La
spécificité de cette troisième relation de reconnaissance
est la présupposition de l'existence d'un horizon de valeurs communs aux
partenaires d'interaction.
Toutefois, les rapports de l'estime sociale entre les
personnes individualisées ne sont possibles que lorsqu'ils se
réfèrent aux mêmes valeurs et aux mêmes fins et
chacune doit mesurer l'importance de ses qualités personnelles pour la
vie de l'autre257. L'estime de soi est le sentiment de sa propre
valeur. S'estimer signifie s'envisager réciproquement grâce
à des valeurs qui donnent aux qualités et aux capacités de
l'autre une signification dans la pratique commune. La solidarité est
véritablement le sentiment de sympathie pour la particularité
individuelle de l'autre personne.
Au fond, c'est en tant que partenaire d'interaction que je
prends en considération les qualités propres des autres qui ne
sont pas les miennes afin d'aboutir à un développement et
à la réalisation des mêmes fins. Chaque membre de la
société qui s'estime lui-même comme une valeur ou une fin
en soi fait l'expérience de la solidarité sociale. Par ailleurs,
dans les sociétés modernes, la solidarité est
conditionnée par des relations d'estime symétrique entre les
sujets individualisés et autonomes.
De même, la considération sociale des sujets se
rapportent à la contribution qu'ils apportent sous forme
particulière d'autoréalisation au projet global de l'ensemble de
la société. Car chacun se déploie à
reconnaître l'importance des capacités et des qualités de
l'autre. Les capacités développées par chaque sujet au
cours de son histoire personnelle rythment l'estime sociale. La
conséquence de tout cela est que les valeurs sociales s'ouvrent aux
différents modes de réalisation de soi de la personne humaine
tout en offrant un système global d'appréciation des
contributions particulières258. Les rapports d'estime sociale
sont un véritable enjeu d'une lutte permanente dans les
sociétés modernes. Dans la mesure où les groupes
s'efforcent sur le plan symbolique de valoriser les capacités
liées à leur mode de vie particulier et à démontrer
leur importance pour les fins communes259.
La relation pratique à soi-même que l'estime
sociale apporte aux individus entraîne la transformation de cette
relation que les sujets instaurent eux-mêmes. Car, le respect lié
à des prestations relève de l'individu et non du groupe. Ce qui
fait que l'expérience de l'estime sociale
257 Ibid., p. 206.
258 Ibid., p. 214.
259 Ibid., p. 216.
CHARLES DIEUDONNÉ T 73
s'accompagne toujours d'un sentiment de confiance par rapport
aux prestations qu'on assure ou aux capacités qu'on possède parce
que celles-ci ne sont pas sans valeur aux yeux des autres membres de la
société260.
Si pour Paul Ricoeur, le concept d'estime sociale est
différent de celui du respect de soi, comme celui-ci l'a
été du concept de confiance en soi sur le plan affectif, son
rôle est donc de résumer toutes les modalités de la
reconnaissance mutuelle qui excède la simple reconnaissance de
l'égalité des droits entre les sujets libres261. Ce
qui veut dire que c'est dans la relation de reconnaissance de solidarité
que s'effectue pleinement l'autoréalisation de l'identité
personnelle des individus pour une vie bonne : « de la confiance en soi
à l'estime de soi en passant par le respect de soi, ce sont bien les
différentes formes de relations sociales qui se trouvent parcourues
ainsi que les formes de reconnaissance qui leur correspondent et sont mises en
jeu dans les trois sphères de l'amour, du droit et de la
solidarité »262.
Avec la solidarité s'inaugure une nouvelle ère
de relation entre les humains basée sur un horizon de valeur dans lequel
la concurrence est possible grâce à l'estime symétrique
sans pour autant conduire aux luttes agonisantes ni même aboutir à
des expériences de mépris. Tout compte fait, pour une vie
réussie ou pour une reconnaissance authentique au sein des
presbyteriums, elle passera nécessairement par les principes de justice
qui correspondent aux trois formes de reconnaissance263 qui sont
l'amour, le droit et la solidarité.
En effet, d'après Louis Carré, comme nous
l'avons déjà relevé plus haut, « le premier de ces
principes de justice implique qu'à chaque individu humain soient pourvus
les soins et les attentions nécessaires à la formation et au
maintien de son identité affective »264. Ce premier
principe renvoie à l'amour qui est le noyau élémentaire de
toute la réalisation de soi et le siège de la confiance en soi
dont a besoin chaque individu pour la formation et l'équilibre de son
identité personnelle. Le second principe est compris comme une
obligation selon laquelle tous ceux qui forment une même
communauté doivent être traitées équitablement du
point de vue de leurs capacités rationnelles à se prononcer sur
des affaires qui les concernent265. Il s'agit là de la
liberté sociale des personnes humaines qui leur permet de se comprendre
et de participer à la vie publique comme des égaux et des membres
à part entière de cette communauté jouissant
260 Ibid., p. 219.
261 Ricoeur, P., Parcours de la reconnaissance.
Trois études. op.cit., p. 315.
262 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 147.
263 Carré, L., Axel Honneth. Le droit de la
reconnaissance, op.cit., p. 61.
264 Ibid.
265 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 74
des droits et des obligations. Quant au troisième
principe, il stipule que « les membres d'une même communauté
puissent légitimement s'attendre à ce que leurs contributions
individuelles soient reconnues à leur juste valeur »266.
Ce dernier correspond à l'estime de soi qui peut être
considérée comme « la reconnaissance la plus normative
» des formes de reconnaissance mutuelle et authentique.
De la carence en reconnaissance à la reconnaissance
mutuelle et authentique au sein des presbyteriums, d'abord, les membres auront
besoin d'être reconnus comme des individus dans leurs « affects
concrets comme des êtres nécessiteux ». Pour ce faire, ils
auront besoin d'être aimés et d'être reconnus par des autres
comme « des individus irremplaçables ». Ensuite, ces membres
voudraient se voir confirmer comme des personnes autonomes et
individualisées dans leurs droits et obligations au sein de leur
communauté d'appartenance. Enfin, ces derniers s'attendraient à
être reconnus et appréciés à leur juste valeur comme
des sujets qui partagent les mêmes fins communes à partir de leurs
contributions individuelles. Ce qui fait que la réalisation de soi pour
une vie bonne et réussie s'inscrit dans l'expérience de l'amour
qui donne accès à la confiance en soi mais aussi dans
l'expérience de la reconnaissance juridique qui s'ouvre au respect de
soi et à l'expérience de la solidarité donc à
l'estime de soi. Si pour Honneth, la reconnaissance authentique passe par la
reconnaissance de soi par autrui, on peut bien se demander si la reconnaissance
« de soi par soi » est le seul et l'unique modèle de
reconnaissance des sujets humains d'où d'autres paradigmes de
reconnaissance à l'exemple de la reconnaissance « interobjective
».
IV. La reconnaissance par des choses
La thématique de lutte pour la reconnaissance
abordée par Axel Honneth a apporté un changement remarquable dans
le domaine de la philosophie sociale et de sciences sociales surtout contre une
tradition qui pensait que l'origine des conflits sociaux réside dans la
recherche de la survie, de « l'auto-préservation individuelle
» ou des intérêts matériels. Toutefois, Honneth prend
le contre-pied de cette tradition lorsqu'il souligne et soutient que les
conflits humains ne se rapportent pas à des motifs de conservation
individuelle, mais plutôt à « des mobiles moraux
»267. Une fois que les attentes morales ne sont pas pourvues ou
alors sont blessées, les partenaires d'interaction s'engagent à
une lutte pour la reconnaissance. Dès lors, le conflit social ne saurait
être pensé en termes de lutte pour l'existence mais plutôt
comme une
266 Ibid.
267 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance,
op.cit., p. 16.
CHARLES DIEUDONNÉ T 75
lutte pour la reconnaissance. C'est pourquoi, dans la relation
de reconnaissance, il n'existe pas de soi sans autrui. Puisqu' « il est
impossible de développer un rapport positif à soi-même sans
l'agir d'autrui »268. Honneth place au coeur de la
théorie de lutte pour la reconnaissance les rapports intersubjectifs ou
mutuels entre les sujets et les institutions sociales. Ce qui fait qu'Axel
Honneth accorde très peu d'espace à la matérialité
et aux objets. Il le réitère lui-même lors d'une discussion
sur ce point : « Pour le dire vite, il n'y a pas d'objet, pas de
matérialité, dans la théorie de la reconnaissance
»269. Si la reconnaissance de soi par autrui est le seul moyen
qui régit les rapports mutuels et normatifs entre les sujets, peut-on
penser au rapport « sujet - objet » pour une reconnaissance plus
pragmatique ? Sans doute, c'est la même question que Voirol se pose en
ces termes : « Sans objet, comment le sujet peut-il prendre conscience de
la consistance de son agir dans le monde et de l'agir que les partenaires
déploient suite à son propre agir objectivé270
» ?
IV.1. La reconnaissance interobjective
La question du rapport entre le sujet et l'objet n'est pas
nouveau dans le champ de la réflexion sur la reconnaissance ni
même dans le projet intellectuel d'Axel Honneth. Cependant, ce dernier a
mis plutôt un accent sur la dimension morale, normative et perceptive des
rapports humains ou sociaux au détriment de leur
matérialité. Pour Voirol, cela n'est pas surprenant si Honneth
s'inscrit dans le prolongement du « paradigme » de la communication
développé par Jürgen Habermas dont l'intérêt
pour la moralité des processus langagiers de l'entente intersubjective
est proportionnel à son désintérêt pour les
questions relatives à la matérialité des rapports
sociaux271. La théorie de lutte pour la reconnaissance
mutuelle tire sa source dans « l'intersubjectivité habermasienne
» en intégrant à en son sein l'aspect de
conflictualité. Si cette théorie reste exclusivement normative,
Voirol voit en elle un « déficit dont une des manifestations est,
entre autres, la discussion interminable sur le statut du culturel et du
matériel
268 Voirol, O., « La lutte pour l'interobjectivation.
Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Estelle Ferrarese,
(sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont,
Ed. Le Bord de l'Eau (Diagnostics), 2013, p. 165-183.
269 Ibid., L'idée est reprise par Voirol dans son
article cité ci-dessus. On peut aussi bien se référer
à la note de bas de page citée par Voirol : « Pour une
discussion sur ce point, voir Axel Honneth, La société du
mépris, op.cit. ; sur le rapport à Mead et l'effacement de
la matérialité, voir également J.P. Deranty, « The
Loss of Nature in Axel Honneth's Social Philosophy », Critical Horizons,
vol. 6, n° 1, 2005, p. 153-181.
270 Voirol, O., « La lutte pour l'interobjectivation.
Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Estelle Ferrarese,
(sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la reconnaissance ? op.cit.,
p. 165-183.
271 Ibid., p. 165-183.
CHARLES DIEUDONNÉ T 76
et les liens entre reconnaissance et redistribution au sein de
cette théorie »272. C'est la raison pour laquelle, il se
propose de réintroduire l'idée des objets dans son champ de
réflexion et de redonner une place de choix à la
matérialité dans les rapports de reconnaissance. Pour mener
à bien son projet, Voirol s'appuie sur Bruno Latour qui accorde un
rôle important aux objets à partir de son idée de
l'anthropologie symétrique radicale. Son objectif est de remettre en
question les différentes oppositions classiques qui existent dans la
philosophie et les sciences sociales, entre nature et culture, sujet et objet,
société moderne et société traditionnelle, vrai et
faux273pour mettre à jour son programme qui vise à
faire entrer les « non humains », le monde des objets et la nature
dans la sphère démocratique. Car, pour lui, il n'y a pas de
différence entre les sujets et les objets (ou les non humains) : «
Les objets sont des actants de plein droit peuplant le monde social au
même titre que les sujets humains »274. Latour ne voit
donc pas une certaine transcendance entre les humains et les non humains. Selon
lui, ce qui fait qu'une société existe, ce sont des objets, des
machines, des techniques et non pas les idées encore moins les symboles.
C'est pourquoi, « décrire l'association des choses ou
décrire l'association des humains est un seul et même travail
»275. C'est donc dans les objets que se tisse le lien
social.
Pour Voirol, Latour accorde un rôle majeur aux objets.
Pour ce faire, « il s'inscrit en faux contre une partie des sciences
sociales et de la philosophie sociale contemporaine dont l'intérêt
pour les objets et la matérialité est pour le moins timide. Il
ouvre la voie à une conception qui confère un statut premier
à la matérialité des pratiques sociales et offre une
alternative à une conception du social enfermée dans les seuls
rapports langagiers, les processus symboliques et les relations
intersubjectives »276. Avec Latour apparaît un changement
de paradigme où à travers les non humains se tissent des liens
sociaux entre les sujets, où la dimension de la
matérialité retrouve sa place. Ce qui ouvre un horizon nouveau
à la reconnaissance interobjective. Une reconnaissance est dite
interobjective si « le sujet parvient à développer un sens
positif de soi dans son activité en parvenant à multiplier ses
possibilités d'action et d'interaction avec son environnement
»277. Dès lors, on peut se demander : quel est l'apport
de l'interobjectivité dans la théorie de la reconnaissance ?
272 Fraser, N., cité par Voirol, « La lutte
pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et la reconnaissance
», in Ferrarese, E., (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour la
reconnaissance ? op.cit., p. 165-183.
273 Ibid., p. 165-183.
274 Ibid.
275 Latour, B., La science en action, cité par
Voirol « La lutte pour l'interobjectivation. Remarques sur l'objet et
la reconnaissance », in Ferrarese, E., (sous dir.), Qu'est-ce que
lutter pour la reconnaissance ? Lormont, Ed. Le Bord de l'Eau
(Diagnostics), p. 165-183.
276 Ibid., p. 165-183.
277 Ibid., p. 165-183.
CHARLES DIEUDONNÉ T 77
IV.2. L'apport de l'interobjectivité dans la
théorie de lutte pour la reconnaissance
La reconnaissance interobjective a pour ambition de
réintroduire dans la sphère intersubjective des rapports sociaux
les objets. Toutefois, Voirol part d'une objection selon laquelle, il lui
semble impossible d'accepter le postulat de symétrie radicale entre les
humains et les non humains dans le cadre de la théorie de la
reconnaissance278. D'après lui, Honneth fait une
différenciation fondamentale entre les humains et non humains : c'est ce
qui lui « permet de faire de la critique de la réification, de la
transformations des humains en choses »279. Ce qui est
contraire avec la perspective de Latour. Dans la mesure où, « il
est impossible de rendre compte et de critiquer la transformation d'un rapport
entre des humains en rapports entre les choses. L'effacement de la
médiation des objets chez Honneth, par le primat accordé à
l'intersubjectivité symbolique, d'une part, l'impossibilité de
rendre compte de la réification dans l'interobjectivité
latourienne, d'autre part, incite à penser une forme de reconnaissance
interobjective susceptible de faire une place accrue à
l'interobjectivation sans toutefois renouer avec la symétrie latourienne
»280. La première objection faite par Voirol à
Latour sur la symétrie radicale entre les humains et les non humains
nous semble fort pertinente. Car, il peut y avoir de liens entre les humains et
les objets mais il n'en demeure pas moins qu'il y a une différence entre
eux. C'est l'humain qui donne l'existence aux choses ou aux objets par le sens
que celui-ci les confère. Comme le souligne Frédéric
Vandenberghe : « Il suffit de suivre les objets jusqu'à leurs
racines pour retrouver, en fin de parcours, les humains comme arch et comme
telos. Quelle que soit la façon dont les humains sont reliés aux
non-humains, ce sont toujours les humains qui rencontrent les non-humains et
les dotent, le cas échéant, d'un sens, d'une valeur d'usage ou
d'une valeur d'échange »281.
La seconde objection formulée par Voirol à
l'endroit de Latour porte sur la question de la morale et du statut de la
normativité à partir du rapport entre l'anthropologie
symétrique et la théorie de la reconnaissance. Pour la
théorie de la reconnaissance, la médiation est normative entre
les sujets. En revanche, la médiation par les objets prônée
par Latour intègre peu la dimension morale. Pour lui, ce qui compte le
plus c'est ce qui fait le lien, les modalités de l'assemblage et non des
questions normatives. Si c'est de cette façon qu'est articulée
la
278 Ibid.
279 Ibid.
280 Ibid.
281 Vandenberghe, F., Complexité du post-humaine.
Trois essais dialectiques sur la sociologie de Bruno Latour, Paris,
l'Harmattan, 2006. (Voir aussi l'article de Voirol sur La lutte pour
l'interobjectivation. Les remarques sur l'objet et la reconnaissance).
CHARLES DIEUDONNÉ T 78
problématique de la reconnaissance, cela signifie que
« toute interobjectivité est une manière, même
implicite, de conférer une reconnaissance à des destinataires en
tant qu'elle est configurée dans l'objet s'adressant à eux
à titre de programmes d'action »282. Si tel est le cas,
d'après Voirol, la théorie de la reconnaissance peut corriger ce
déficit normatif de l'interobjectivation latourienne par
l'intégration « d'une composante morale dans les objets et les
actions qu'ils engagent par leurs programmes d'action »283. Ce
n'est qu'à partir de ce moment qu'il est possible de penser au rapport
intersubjectif entre les sujets dans la médiation avec les objets.
IV.3. De la médiation entre les sujets et les
objets
La médiation entre le sujet et l'objet est possible si
elle s'opère dans la perspective de l'autre pour accéder au sens
de ses propres actions et développer un rapport à
soi284. Cet autre qui vient pour faire corps entre le sujet et
l'objet n'est pas toujours un humain. Il peut être une activité
particulière. Ce qui fait que la reconnaissance de soi par autrui entre
dans le sillage de la reconnaissance de soi dans quelque chose et elle devient
une reconnaissance à l'oeuvre : « Les sujets demandent à
être reconnus par d'autres sujets mais ils cherchent aussi à se
reconnaître, à leurs propres yeux, dans ce qu'ils font
»285 d'où l'importance de la reconnaissance par les
choses. Toutefois, il est possible d'envisager les relations de reconnaissance
entre les sujets dans leurs rapports intersubjectifs mais aussi en termes
d'interobjectivation permettant de mettre en exergue « le rôle de la
matérialité des objets dans la formation du rapport à soi,
mais aussi du rapport aux autres par la médiation des objets
»286.
Le désir d'être reconnu est donc au coeur de la
lutte pour la reconnaissance. Être reconnu, « c'est être
identifié, or il y a aussi un plaisir à se rendre
méconnaissable ». Dans le cas des presbyteriums, certains membres
se heurtent à l'exigence de la reconnaissance soit par manque de
confiance en soi, soit alors par dissolution de l'estime de soi. Par
conséquent, ces membres peuvent vouloir légitimement
échapper à l'approbation des autres plutôt que de se
soumettre à elle287. Echapper à l'approbation des
autres c'est remettre en cause l'attitude positive envers soi-même et la
valeur que les autres vous accorde. De tels membres ne peuvent que
trouvées
282 Ferrarese, E., (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour
la reconnaissance ? op.cit., p. 178.
283 Ibid., p. 179.
284 Ibid.
285 Le Blanc, G., L'invisibilité sociale,
op.cit., p. 122.
286 Ferrarese, E., (sous la dir.), Qu'est-ce que lutter pour
la reconnaissance ? op.cit., p. 180-181.
287 KEDE, J.D., « De la réception de l'oeuvre
d'Axel Honneth », in Hunyadi, M. (sous la dir.), Axel Honneth. De
la reconnaissance à la liberté, op.cit., p. 33-40.
CHARLES DIEUDONNÉ T 79
des stratégies de fuite en avant comme celles de
déguisement, de dédoublement, de falsification et
d'occultation288 pour ne pas tomber dans la désapprobation,
la frustration, l'humiliation voire le mépris. Quoi qu'on dise le
désir de reconnaissance de soi par autrui ou par le biais des objets
restent au centre de la lutte pour la reconnaissance en vue de
l'autoréalisation pour une vie bonne et réussie.
A la fin de ce dernier chapitre, il a été
question de l'apport de la théorie de la lutte pour la reconnaissance
mutuelle dans la résolution des conflits au sein des presbyteriums. Nous
sommes partis du postulat selon lequel, c'est dans les presbyteriums où
la reconnaissance mutuelle devrait se vivre entre les membres plus qu'ailleurs.
Mais force est de constater que c'est là où l'on fait plus
l'expérience du déni de reconnaissance ou du mépris comme
partout ailleurs où les hommes vivent ensemble. Comment
l'expérience du mépris peut-elle envahir la vie affective des
sujets humains au point de les jeter dans la résistance et
l'affrontement social, autrement dit, dans la lutte pour la
reconnaissance289 ? Si l'expérience du mépris conduit
à la lutte pour la reconnaissance c'est en vue de la réalisation
de soi. Car, « la lutte pour la reconnaissance constitue la force morale
qui alimente le développement et le progrès de la
société humaine »290. C'est ainsi que pour
retrouver la reconnaissance authentique au sein des presbyteriums, à
partir des modèles de reconnaissance intersubjective chez Axel Honneth,
nous avons proposé trois piliers comme solution pour la
résolution des conflits. Il s'agit de l'amour, du droit et de la
solidarité. C'est à travers ces trois sphères à
franchir de manière successive et progressive que les différents
membres des presbyteriums parviendront à la formation de leur
identité personnelle. Aussi pourront-ils être reconnus et se voir
confirmer comme des sujets individualisés et autonomes. Par ailleurs, la
reconnaissance de soi par autrui n'apparaît pas comme le seul et l'unique
moyen de la reconnaissance intersubjective. Parce qu'à
côté, il est possible d'envisager un autre paradigme de
reconnaissance. Il s'agit de la reconnaissance interobjective dont le
rôle est d'intégrer la matérialité des objets dans
la formation du rapport à soi, mais aussi du rapport aux autres par la
médiation des objets.
288 Ibid.
289 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, p.
225.
290 Ibid., p. 240.
CHARLES DIEUDONNÉ T 80
Conclusion générale
Au terme de ce travail qui a été consacré
principalement à la thématique de la reconnaissance chez Axel
Honneth, notre objectif a été d'évaluer le passage de la
carence ou du déni de reconnaissance à la reconnaissance mutuelle
et authentique au sein des presbyteriums. Nous sommes partis de la critique
anti-aristotélicienne formulée par Hegel à l'endroit de
Hobbes et de Machiavel pour qui les luttes sociales sont
interprétées à des motifs de conservation, de survie,
d'existence, « d'auto-préservation individuelle » et de
recherche d'intérêts matériels. Mais, Axel Honneth,
à la suite de Hegel, vient en effet changer cette manière de
penser à partir du thème hégélien de «
l'idée première » et donne aux conflits moraux une
signification ou une interprétation « à teneur normative
». Ce faisant, nous nous sommes intéressés à Axel
Honneth et à sa théorie de la lutte pour la reconnaissance
mutuelle. C'est ce qui a constitué la clé de voûte de notre
recherche sur la reconnaissance et les conflits
CHARLES DIEUDONNÉ T 81
au sein des presbyteriums au à partir de la
pensée d'Axel Honneth et plus précisément de son
chef-d'oeuvre : La Lutte pour la reconnaissance.
Notre hypothèse de recherche a consisté à
savoir pourquoi l'absence de l'harmonie, de la collusion, de la reconnaissance
entre les membres d'un même et seul presbyterium surtout là
où la reconnaissance devrait mieux se vivre qu'ailleurs. Pour
répondre à cette préoccupation, nous avons articulé
notre travail en trois chapitres.
D'abord, dans le premier chapitre, d'une part, nous avons
tenté de clarifier la notion même de reconnaissance. Avec Axel
Honneth, nous avons retenu cette définition qui nous semble être
le résumé de ce travail: La reconnaissance est la limitation
du désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre. Pour
nous, la reconnaissance est un mouvement réciproque qui se noue entre le
reconnaissant et le reconnu, où chaque partenaire d'interaction cherche
à se « décentrer » sur lui-même au profit de
l'autre. C'est dans la relation de reconnaissance que les êtres humains
apprennent à se voir et à se confirmer mutuellement comme des
sujets autonomes et individualisés. Toutefois, « se
reconnaître réciproquement ne signifie pas seulement aller
à la rencontre de quelqu'un avec une attitude déterminée,
confirmatrice, mais cela signifie aussi et d'abord se comporter par rapport
à l'autre de la manière déterminée qui est
exigée par la forme correspondante de reconnaissance
»291. D'Axel Honneth, il en découle qu'une
manière déterminée « de traiter réciproquement
»292ne signifie pas de poser des actes indépendants.
Cela veut dire qu'il existe une pluralité « d'actions qui sont,
chacune, caractérisées par leur commune propriété
consistant à pouvoir articuler une forme déterminée de la
reconnaissance réciproque »293. D'autre part, nous avons
mis en exergue les formes d'interaction sociale ou de relations de
reconnaissance réciproques qui se rapportent aux différents types
de rapports positifs que les sujets peuvent entretenir avec eux-mêmes.
D'après Axel Honneth, il existe trois formes de relations de
reconnaissance : La reconnaissance amoureuse dont le noyau structurel est
l'amour qui donne la voie d'accès à la confiance en soi. La
reconnaissance juridique ouvre la voie au respect de soi et permet au sujet de
se considérer comme une personne égale en droits à tous
les autres membres de la communauté. La reconnaissance culturelle ou
celle de la « communauté des valeurs » portent sur
l'appréciation positive des capacités pratiques des
291 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une
réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, trad.
française par Franck Fischbach, op.cit., p. 89.
292 Ibid.
293 Ibid., p. 89-90.
CHARLES DIEUDONNÉ T 82
sujets ainsi que sur leurs qualités propres. La
solidarité est à la base de cette forme de reconnaissance et
consolide l'estime de soi entre les sujets qui partagent les mêmes
fins.
Ensuite, dans le second chapitre, notre intérêt a
porté essentiellement sur les expériences négatives qui
portent atteinte à l'intégrité physique, sociale et
à la dignité de la personne humaine. C'est ce qu'Axel Honneth
appelle « mépris » ou « offense ». Le mépris
est la négation ou le manque de reconnaissance. Il désigne aussi
le refus de décentrement de soi vers l'autre. A partir des
modalités de reconnaissance avec ses aspects de la relation pratique
à soi-même, Axel Honneth dégage trois figures du
mépris ou du déni de reconnaissance : La première figure
du mépris est liée à la violence physique, la seconde au
déni du droit et la troisième figure à la
mésestime. S'appuyant sur la relation pratique à soi, nous avons
déduit à partir de la typologie des figures de mépris
identifiée par Honneth les causes qui sont à l'origine des
conflits ou du déni de reconnaissance au sein des presbyteriums. Nous
avons entre autres la dissolution de la confiance en soi, la perte du respect
de soi et la mésestime ou la perte de l'estime de soi. A ces trois
dénis de reconnaissance, nous en avons ajouté un autre que
Guillaume Le Blanc appellent les dénis de propriétés
sociales qui concernent les capabilités de base et les capacités
éthiques d'une vie qui « se voit se mutiler ».
C'est-à-dire une vie dont on ne reconnaît pas la valeur, le droit
et la dignité. Il s'agit là d'une vie disqualifiée ou
« rendue invisible ». Une personne qui fait l'expérience d'une
telle vie a socialement le sentiment d'être inutile dans la
société. Dans les presbyteriums, ceux qui font de telles
expériences ont aussi le sentiment de perdre leur dignité et leur
intégrité, d'être invisibles, inutiles et voire
placés aux calendes grecques.
S'il est vrai que le seul désir du déni de
reconnaissance est le désir de reconnaissance, toute personne soucieuse
de son autoréalisation pour une vie bonne et réussie est
contrainte de s'engager à la lutte intersubjective ou pour la
reconnaissance. C'est la raison pour laquelle, dans le présent travail,
notre objectif n'était pas d'explorer dans la globalité la
pensée d'Axel Honneth, mais à partir de sa théorie de
lutte pour la reconnaissance mutuelle de tenter de trouver les causes de
l'absence ou de la carence de la reconnaissance au sein des presbyteriums ainsi
que les solutions pour faire face à ce déni. A la lumière
de cette théorie, nous avons dégagé les différentes
formes de reconnaissance qui vont toujours de pairs avec des situations
d'offense, d'humiliation et même d'injustice. C'est ce qui nous a
amené à la phase ultime de notre recherche qui consiste en la
proposition de quelques pistes pour la résolution des conflits au sein
des presbyteriums et la valorisation de ses membres.
CHARLES DIEUDONNÉ T 83
Enfin, quant au dernier chapitre, il a été
question pour nous de proposer de manière explicite et concrète
l'apport de la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle dans
l'intégration sociale des personnes et plus précisément
celle des membres des presbyteriums pour passer d'une société de
mépris à une société de justice où des
relations de reconnaissance seront plus harmonieuses et basées sur des
valeurs éthiques telles que l'amour, le droit et la solidarité
qui sont selon Honneth « les conditions formelles des rapports
d'interaction dans lesquels les êtres humains peuvent être
assurés de leur « dignité » et de leur
intégrité »294
L'amour est le noyau structurel élémentaire qui
donne accès à la confiance en soi. C'est en son sein que les
membres de la collectivité apprennent « à considérer
l'autre comme un individu irremplaçable ».
Le droit est la seconde sphère où la personne
humaine est reconnue sur le plan universel comme égale en droits par
rapport à tous les autres membres de la communauté. Le respect de
soi est au droit, ce que la confiance en soi est à l'amour.
La solidarité est la dernière sphère de
la relation de reconnaissance où est développée l'estime
de soi. C'est le résumé entre la confiance en soi et le respect
de soi.
C'est dans ces trois sphères qu'un être humain
peut être reconnu et se voir confirmé dans sa singularité,
son universalité et sa particularité. Cependant, il
apparaît clairement que la reconnaissance de soi par autrui n'est pas le
seul et unique moyen de reconnaissance des sujets humains. La reconnaissance
interobjective est une possibilité de reconnaissance à envisager
que nous pouvons qualifier de reconnaissance par des choses, à l'instar
de la reconnaissance par le travail. Toutefois, nous sommes conscients de
n'avoir pas abordé tous les aspects de la question de reconnaissance au
sein des presbyteriums. Nous avons essayé à notre niveau d'ouvrir
la piste sur des éventuelles recherches, entre autres sur : La
reconnaissance et les cultures, la reconnaissance et la question de la retraite
des prêtres, la reconnaissance et la mémoire historique...
La question de la reconnaissance a fort bien retenu notre
attention. Elle nous a permis de comprendre que les luttes sociales en
l'occurrence des conflits au sein des presbyteriums ne peuvent pas seulement
être interprétés à des motifs d'existence, de
survie, de pouvoir, d'avoir, de recherche d'intérêts
matériels et « d'auto-préservation individuelle » mais
à des « mobiles
294 Honneth, A., « Reconnaissance et reproduction
sociale », in Jean-Paul Payet et Alain Battegay (sous dir.), La
reconnaissance à l'épreuve. Explorations
socio-anthropologiques, op.cit., p. 45-58.
CHARLES DIEUDONNÉ T 84
moraux ». Au regard de ce qui précède, il
en résulte que le déni de reconnaissance qui se traduit par le
refus ou le rejet ou par une autre forme d'injustice sont à la source
des conflits au sein des presbyteriums.
Cependant, quoi qu'on dise, bien que les membres des
presbyteriums soient tendus vers la quête pour la reconnaissance dans
l'optique de leur autoréalisation individuelle, ils ont aussi besoin des
moyens matériels et financiers pour s'accomplir pleinement dans un
contexte surtout du manque et parfois d'injustice dans la répartition
des biens. C'est pourquoi, à la fin de ce travail, nous reprenons le
point de vue de Nancy Fraser qui stipule que : « Pas de reconnaissance
sans redistribution ». Celui-ci nous semble pertinent surtout dans le
contexte des églises d'Afrique où le problème
matériel des membres des presbyteriums se pose encore
sérieusement. Face à cette objection qui exclut la dimension de
la redistribution matérielle dans l'ancrage de la reconnaissance,
Honneth pense que « c'est Nancy Fraser qui a le plus fortement
formulé ce reproche qui n'a pas manqué de frapper les esprits :
elle soutient qu'une morale sociale de la reconnaissance ne peut prendre en
compte que ce qu'on nomme aujourd'hui la « politique de l'identité
», mais que dans ce cadre, les formes traditionnelles de la politique de
redistribution ne peuvent être prises en compte »295.
Toutefois, Honneth continue sa réflexion en ces termes
: « Je suis convaincu que ce reproche repose sur un grave malentendu que
rend d'ailleurs tout à fait compréhensible une certaine tendance
répandue dans les publications politico-philosophiques [...]. Je crois
qu'il y a là un malentendu ruineux provoqué en premier lieux par
Charles Taylor dans son livre sur La politique de la reconnaissance
»296. De ces objections de Nancy Fraser et Charles Taylor,
Honneth arrive à la conclusion selon laquelle :
Dans la conception de l'éthicité
démocratique que j'ai proposée, les revendications touchant
à la redistribution matérielle découlent de deux sources
différentes. D'un côté, elles dérivent des
implications normatives de l'égalité des droits, laquelle promet
aux membres d'une communauté démocratique une
égalité de traitement basée sur le droit : il est clair en
effet que la garantie des droits sociaux, ainsi que la redistribution qui en
découle, ont pour fonction normative de donner à chaque citoyen
et citoyenne la chance effective de participer au processus démocratique
de la construction publique d'une communauté de droit. D'un autre
côté, les exigences
295 Ibid.
296 Ibid.
CHARLES DIEUDONNÉ T 85
relatives à la redistribution découlent
également de l'idée normative selon laquelle chaque membre d'une
société démocratique doit avoir la chance d'être
estimé socialement ses contributions
individuelles297.
Bibliographie
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II. Autres ouvrages de
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Remarques sur l'objet et la reconnaissance », in Estelle Ferrarese,
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20 juin 2023.
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