SECTION.1. CADRE
CONCEPTUEL
I.1. CROISSANCE
ÉCONOMIQUE
La croissance économique désigne la variation
positive de la production de biens et de services dans une économie sur
une période donnée, généralement une période
longue. En pratique, l'indicateur le plus utilisé pour la mesurer est le
produit intérieur brut ou PIB. Il est mesuré « en volume
» ou « à prix constants » pour corriger les effets de
l'inflation. Le taux de croissance, lui, est le taux de variation du PIB. On
utilise souvent la croissance du PIB par habitant comme indication de
l'amélioration de la richesse individuelle, assimilée au niveau
de vie.
La croissance est un processus fondamental des
économies contemporaines, reposant sur le développement des
facteurs de production, lié notamment à la révolution
industrielle, à l'accèsde nouvelles ressources minérales
(mines profondes) et énergétiques (charbon, pétrole, gaz,
énergie nucléaire...) ainsi qu'au progrès technique. Elle
transforme la vie des populations dans la mesure où elle crée
davantage de biens et de services. À long terme, la croissance a un
impact important sur la démographie et le niveau de vie (à
distinguer de la qualité de vie) des sociétés qui en sont
le cadre. De même, l'enrichissement qui résulte de la croissance
économique peut permettre de faire reculer la pauvreté.
I.1.1. Définition
Les économistes utilisent le terme de croissance
conventionnellement pour décrire une augmentation de la production sur
le long terme. Selon la définition de François Perroux, la
croissance économique correspond à « l'augmentation soutenue
pendant une ou plusieurs périodes longues d'un indicateur de dimension,
pour une nation, le produit global net en termes réels. ». La
définition de Simon Kuznets va au-delà et affirme qu'il y a
croissance lorsque la croissance du PIB est supérieure à la
croissance de la population.
À court terme, les économistes utilisent
plutôt le terme d'« expansion », qui s'oppose à «
récession », et qui indique une phase de croissance dans un cycle
économique. La croissance potentielle estime l'écart entre la
croissance mesurée et celle qui serait obtenue avec une pleine
utilisation de tous les facteurs de production ; cet écart est minimal
au plus fort d'une expansion.Le terme de « croissance » s'applique
alors plus particulièrement aux économies déjà
développés(François Perroux, Dictionnaire
économique et social, Hatier 1990).
I.1.2. La mesure de la croissance
économique
La croissance économique est généralement
mesurée par l'utilisation d'indicateurs économiques dont le plus
courant est le produit intérieur brut (PIB). Il offre une certaine
mesure quantitative du volume de la production. Afin d'effectuer des
comparaisons internationales, on utilise également la parité de
pouvoir d'achat, qui permet d'exprimer le pouvoir d'achat dans une monnaie de
référence. Pour comparer la situation d'un pays à des
époques différentes on peut également raisonner à
la monnaie constante.
L'indicateur du PIB reste cependant imparfait comme mesure de
la croissanceéconomique. Il est pour cela l'objet de plusieurs
critiques.
Il ne mesure ainsi pas, ou mal, l'économie informelle.
Une part importante des transactions, non déclarées, est ainsi
perdue pour les statistiques comme le fisc. Même s'il prend en compte la
production des activités non marchandes, il ne mesure pas
l'activité de production domestique (ménages,potagers, etc.).
Selon la boutade d'Alfred Sauvy, il suffit de
se marier avec sa cuisinière pour faire baisser le PIB. Il ne mesure que
les apports de valeur ajoutée dans l'immédiat (sur une
année). Les effets de long terme, notamment dans des services tels que
l'éducation ou la santé, ne sont pas ou mal comptabilisés
à travers leur impact sur la production.
Le PIB ne mesure que la Valeur Ajoutée
produite par les agents économiques résidents. Il ne prend donc
pas en compte les transferts internationaux des ressources, alors que ces
derniers représentent souvent une part importante de leur richesse
nationale. Il est possible d'utiliser un outil plus pertinent tel que le Revenu
national brut. Enfin, il ne prend en compte que les valeurs ajoutées, et
non la richesse possédée, par un pays, sans distinguer les effets
positifs ou négatifs sur le bien-être collectif.
Dans son acception classique, le développement
économique ne se résume pas à la seule croissance
économique et des indicateurs ont été proposés pour
mesurer plus finement celui-ci, comme l'indice de développement humain
ou IDH (Pierre Maillet, La Croissance économique, Presses Universitaires
de France, inédit, 1976).
I.1.3. Histoire de la croissance
économique
Grâce au développement des statistiques
nationales, les économistes, les historiens et les démographes
ont constaté qu'avant la Révolution industrielle, la croissance
économique est essentiellement liée à celle de la
population : on produit plus parce qu'il y a plus d'individus pour
produire, mais le niveau de vie reste le même.
À partir du 18èmesiècle, la
croissance économique se déconnecte de celle de la population et
l'augmentation du niveau de vie devient exponentielle, mais très
irrégulière. Après la très forte croissance
mondiale des années 1830 et la croissance mondiale des années
1850, la Grande Dépression (1873-1896) donne un sérieux coup de
frein. De même, la grande dépression des années 1930 fait
suite à la croissance économique de la Belle Époque et
à la puissante expansion des années 1920. Plus
généralement les périodes de reconstruction suivant une
guerre sont favorables, comme lors de la très forte croissance des
années 1950, socle des Trente Glorieuses.
Les historiens s'accordent sur le fait que le niveau de vie
sur l'ensemble du globe a peu évolué de l'Antiquité
jusqu'au 18èmesiècle (entre l'an 1 et l'an 1000
l'économie mondiale aurait même décliné), mis
à part une embellie en Europe occidentale entre les
10ème et 13èmesiècles,
annulés par les épidémies et les famines des
14ème et 15èmesiècles. Ils
s'accordent aussi à constater qu'il y a de grandes disparités
selon les peuples et selon les époques. Sachant qu'on a affaire à
des sociétés ou presque toute la population est rurale, il est de
toutefaçon presque impossible d'obtenir la statistique de leur
production, puisque celle-ci est presque complètement locale, voire
familiale (bâtiment, mobilier, confection, alimentation, services, ...),
et très marginalement commerciale, de telle sorte qu'il est impossible
de reconstituer un standard moyen de consommation et de l'évaluer en
monnaie.
La croissance économique, aussi bien comme
phénomène que comme donnée objectivable, est donc quelque
chose de récent, liée à l'urbanisation des
sociétés et à l'apparition de statistiques nationales.
Jusqu'aux années 1970, c'était aussi un phénomène
géographiquement limité, qui concernait surtout les pays
occidentaux et le Japon.
Les Pays-Bas sont la première société
à connaître un phénomène de croissance, au
17èmesiècle. Comme les notesHenri
Lepage en reprenant les analyses de Douglass North,
« pour la première fois dans l'histoire connue de
l'humanité, un pays se trouvait en mesure d'offrir un niveau de vie
croissant à une population croissante, et cela un siècle avant
que se manifestent les premiers signes réels de la Révolution
industrielle. »
Le phénomène s'est ensuite progressivement
étendu. La phase de développement économique depuis la
Révolution industrielle n'a aucun précédent historique.
Après le 16èmesiècle, lorsque
différentes parties du monde développent des relations
commerciales, on constate des périodes de croissance économique,
mais éphémères et marginales. Les écarts entre
conditions de vie au 18ème siècle étaient
réduits, pour certains auteurs comme Paul
Bairoch : l'Inde possédait même un niveau de
vie supérieur à l'Europe. On estime que la croissance globale de
l'économie entre 1500 et 1820 n'est que d'un trentième de ce
qu'elle a été depuis (de 247 milliards de dollars internationaux
en 1500 à 695 en 1820, puis 33 725 en1998).
Les revenus en Europe ont été multipliés
par vingt depuis 1820. L'Asie accélère aussi son rythme de
croissance depuis un demi-siècle : le niveau de vie en Chine a
été multiplié par six et celui du Japon par huit.
Cependant, au 19èmesiècle le
développement économique entraîne des bouleversements
sociaux comme l'exode rural. Le niveau de vie et le développement
n'ayant commencé à être étudiés
rigoureusement qu'au 19èmesiècle, il est cependant
difficile, faute des données, de faire une comparaison entre le
18ème siècle et le
19ème siècle (Régis Benichis et Mare
Nouschi, « histoire économique contemporaine », 2 éd.
Paris 1986. P.47).
I.1.4. Les déterminants de
la croissance
On peut distinguer plusieurs types des déterminants
à la croissance, à savoir :
Ø Les richesses naturelles ;
Ø L'environnement extérieur ;
Ø La population ;
Ø L'innovation(concept qui ne concerne pas seulement le
progrès technique) ;
Ø L'investissement ;
Ø La connaissance ;
Ø La cohérence du développement.
Les principales conclusions des travaux de Xavier
Sala-i-Martin, économiste espagnol spécialiste de la
croissance, confirment qu'il n'y a pas qu'un seul déterminant simple de
la croissance économique.
Xavier Sala-i-Martin avance par ailleurs que
le niveau initial est la variable la plus importante et la plus robuste.
C'est-à-dire que, dans la plupart des cas, plus un pays est riche, moins
il croît vite. Cette hypothèse est connue sous le nom de
convergence conditionnelle. Il considère également que la taille
du gouvernement (administration, secteur public) n'a que peu d'importance. Par
contre la qualité du gouvernement a beaucoup d'importance : les
gouvernements qui causent l'hyperinflation, la distorsion des taux de change,
des déficits excessifs ou une bureaucratie inefficace ont de très
mauvais résultats. Il ajoute également que les économies
plus ouvertes tendent à croître plus vite. Enfin, l'efficience des
institutions est très importante : des marchés efficients, la
reconnaissance de la propriété privée et l'état de
droit sont essentiels à la croissance économique.
Sur une plus longue période, l'expérience
historique, notamment celle du 18èmesiècle,
suggère que l'extension des libertés économiques
(liberté d'entreprendre, liberté de circulation des idées,
des personnes et des biens) est une condition de la croissance. Au
20èmesiècle, il existe plusieurs cas où une
population partageant les mêmes antécédents historiques, la
même langue et les mêmes normes culturelles a été
divisée entre deux systèmes, l'un étant une
économie de marché et l'autre une économie
planifiée : les deux Allemagne, les deux Corée, la
République populaire de Chine et Taïwan.Dans chaque cas, les zones
ayant pratiqué l'économie de marché ont obtenu une
croissance nettement supérieure sur le long terme (Lester R. Brown,
Éco-économie, une autre croissance est possible,
écologique et durable, 2001, p. 69).
Sur le très long terme, Angus Maddison(Angus
Maddison, The World Economy: A Millennial Perspective, OCDE, Paris, 2001, page
46) identifie trois processus interdépendants qui ont permis
l'augmentation conjointe de la population et du revenu, à
savoir :
Ø La conquête ou la colonisation d'espaces
fertiles et relativement peu peuplés ;
Ø Le commerce international et les mouvements de
capitaux ;
Ø L'innovation technologique et institutionnelle.
I.1.5. Les causes fondamentales de la
croissance
Dans An Introduction to Modern Economic Growth (2008),
Daron Acemoglu distingue quatre causes fondamentales de la
croissance, à savoir :
Ø L'environnement naturel ;
Ø La culture ;
Ø Les institutions.
I.1.6. Les théories de la
croissance
Les théories explicatives de la croissance sont
relativement récentes dans l'histoire de la pensée
économique. Ces théories, sans négliger le rôle de
l'ensemble des facteurs de production tendent à mettre en avant parmi
ceux-ci le rôle primordial du progrès technique dans la
croissance. Sur le long terme, seul le progrès technique est capable de
rendre plus productive une économie. Toutefois, ces théories
expliquent encore mal d'où provient ce progrès, et en particulier
en quoi il est lié au fonctionnement de l'économie.
I.1.6.1. L'école classique
La plupart des économistes de l'école classique,
écrivant pourtant au commencement de la révolution industrielle,
pensaient qu'aucune croissance ne pouvait être durable, car toute
production devait, selon eux, inexorablement converger vers un état
stationnaire. C'est ainsi le cas de David Ricardo pour qui
l'état stationnaire était le produit des rendements
décroissants des terres cultivables, ou encore pour Thomas
Malthus qui le liait à sonprincipe de population, mais aussi
pour John Stuart Mill.
Toutefois, Adam Smith, à travers son
étude des effets de productivité induits par le
développement de la division du travail, laissait entrevoir la
possibilité d'une croissance ininterrompue. Et Jean-Baptiste
Say écrivait : « Remarquez en outre qu'il est
impossible d'assigner une limite à la puissance qui résulte pour
l'homme de la faculté de former des capitaux ; car les capitaux qu'il
peut amasser avec le temps, l'épargne et son industrie, n'ont point de
bornes. » (Traité d'économie politique, Livre I, chapitre
XII)
I.1.6.2. Schumpeter : l'innovation à l'origine de
la croissance et de ses cycles
Nikolai Kondratiev est un des premiers
économistes à montrer l'existence de cycles longs de 50 ans, et
Joseph Schumpeter développe la première
théorie de la croissance sur une longue période. Il
considère que l'innovation portée par les entrepreneurs constitue
la force motrice de la croissance. Il étudie en particulier le
rôle de l'entrepreneur dans Théorie de l'évolution
économique en 1913.
PourJoseph Schumpeter, les innovations
apparaissent par « grappes », ce qui explique la cyclicité de
la croissance économique.
Par exemple, Schumpeter retient les
transformations du textile et l'introduction de la machine à vapeur pour
expliquer le développement des années 1798-1815, ou le chemin de
fer et la métallurgie pour l'expansion de la période
1848-1873.
Schumpeter introduit enfin le concept de
« destruction créatrice » pour décrire le processus par
lequel une économie voit se substituer à un modèle
productif ancien un nouveau modèle fondé sur des innovations
(Schumpeter, Les cycles des affaires, 1939).
I.1.6.3. La croissance sur le fil du
rasoir
Après la Seconde Guerre mondiale, les
économistes Harrod et Domar,
influencés par Keynes, vont chercher à
comprendre les conditions dans lesquelles une phase d'expansion peut être
durable. Ainsi, s'il ne propose pas à proprement parler une
théorie de la croissance(expliquant son origine sur une longue
période), le modèle de Harrod-Domar permet,
néanmoins, de faire ressortir le caractère fortement instable de
tout processus d'expansion. En particulier, il montre que pour qu'une
croissance soit équilibrée :
Ø C'est-à-dire que l'offre de production
augmente ni moins (sous-production) ni plus (surproduction) que la
demande ;
Ø Il faut qu'elle respecte un taux précis,
fonction de l'épargne et du coefficient de capital (quantité de
capital utilisée pour produire une unité) de l'économie.
La croissance est donc, selon une expression d'Harrod,
toujours « sur le fil du rasoir ».
Ce modèle, construit après à la guerre et
marqué par le pessimisme engendré par la crise de 1929, a
toutefois été fortement critiqué. Il suppose, en effet,
que ni le taux d'épargne, ni le coefficient de capital ne sont variables
à court terme, ce qui n'est pas prouvé.
I.1.6.4. Le modèle de
Solow
Robert Solow propose un modèle
néoclassique de croissance. Ce modèle repose essentiellement sur
l'hypothèse d'une productivité marginale décroissante du
capital dans la fonction de production. Le modèle est dit
néoclassique au sens où les facteurs de production sont
utilisés de manière efficace et rémunérés
à leur productivité marginale.
Robert Solow montre que cette économie
tend vers un état stationnaire. Dans ce modèle, la
croissance de long terme ne peut provenir que du progrès technique (et
non plus de l'accumulation du capital).
L'une des faiblesses théoriques du
modèle de Solow vient du fait qu'il considère le
progrès technique comme exogène. Autrement dit, il ne dit rien
sur la façon dont le progrès technique apparaît(Robert
Solow, « A contribution to the theory of economic growth », Quarterly
Journal of Economics, 1956).
I.1.6.5. Endogénéiser le progrès
technique : les nouvelles théories de la croissance
Les théories récentes cherchent
précisément à rendre ce facteur endogène
c'est-à-dire à construire des modèles qui expliquent son
apparition. Ces modèles ont été développés
à partir de la fin des années 1970 notamment par Paul
Romer, Robert E. Lucas et Robert
Barro. Ils se fondent sur l'hypothèse que la croissance
génère par elle-même le progrès technique. Ainsi, il
n'y a plus de fatalité des rendements décroissants : la
croissance engendre un progrès technique qui permet que ces rendements
demeurent constants. La croissance, si elle génère du
progrès technique, n'a donc plus de limite. À travers le
progrès technique, la croissance constitue un processus qui
s'auto-entretient(Jean Arrous, les théories de la croissance, seuil,
P.265).
Ces modèles expliquent que la croissance engendre du
progrès technique par trois grands mécanismes, à
savoir :
Ø Le Learning by doing : plus on produit,
plus on apprend à produire de manière efficace. En produisant, on
acquiert en particulier de l'expérience, qui accroît la
productivité ;
Ø La croissance favorise l'accumulation du capital
humain, c'est-à-dire les compétences possédées par
la main d'oeuvre et dont dépend sa productivité. En effet, plus
la croissance est forte, plus il est possible d'accroître le niveau
d'instruction de lamain-d'oeuvre, en investissant notamment dans le
système éducatif. D'une manière générale, la
hausse du niveau d'éducation de la populationpar des moyens publics ou
privés est bénéfique ;
Ø La croissance permet de financer des infrastructures
(publiques ou privées) qui la stimulent. La création de
réseaux de communication efficaces favorise, par exemple,
l'activité productive.
La principale des conclusions de ces nouvelles théories
est qu'alors même qu'elles donnent un poids important aux
mécanismes de marché, elles en indiquent nettement les limites.
Ainsi il y a souvent nécessité de créer des arrangements
en dehors du marché concurrentiel, ce qui peut impliquer une
intervention active de l'État dans la sphère économique.
En particulier, ceretour de l'État se traduit par le fait qu'il est
investi dans un triple rôle, à savoir :
Ø Encourager les innovations en créant un cadre
apte à coordonner les externalités qui découlent de toute
innovation (par exemple grâce à la protection qu'offre aux
innovateurs les brevets) ;
Ø Susciter celles-ci en investissant dans la recherche
(notamment fondamentale) et les infrastructures dont les externalités
dépassent le profit que peuvent en attendre les acteurs privés
;
Ø Améliorer le capital humain en investissant
dans le système éducatif. D'une manière
générale, c'est le rôle des politiques structurelles de
l'État, en particulier les investissements dans le capital public, qui
est ainsi souligné.
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