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Mémoire de Master1
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Annéeuniversitaire:2022-2023
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ESPACE PUBLIC ET RATIONALITÉ COMMUNICATIONNELLE
CHEZ JÜRGEN HABERMAS.
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Soutenu par:
MOUZEMBO Divin Gloire
Master Philosophie Parcours Humanités et
Politique
Sous la direction de :
M. Samuel RENIER, Maître de conférences en
Sciences de l'éducation
Directeur du Département des Sciences de
l'éducation et de la formation
Université de Tours
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DÉDICACE
À mon défunt père MOUZEMBO
Séraphin, décédé le 17 juin 2023.
REMERCIEMENTS
«Quelle que soit la valeur du présent fait
à un homme, il n'y a qu'un mot pourtémoigner la reconnaissance
inspirée par la libéralité, et ce mot c'est : merci »
(Hampaté Bâ,1973)1(*). Par ces mots du sage de Bandiagara, nous voudrions
exprimer primo notre aimablereconnaissanceànotre Directeur de
mémoire Monsieur Samuel RENIERquiaencadréce travailavec passion
et patience.
Nous aimerions secundo remercier toute l'équipe
pédagogique de cette prestigieuse université qui n'a
ménagé aucun effort pour nous aider à atteindre une
certaine maturité épistémologique et conceptuelle. Qu'elle
reçoive sincèrement nos remerciements pourleursollicitude, leurs
conseils et surtout leur pragmatisme.Nous ne pouvons oublier nos
collègues de classe pour la fécondité des
débatssouvent abordés tous azimutsdont les apports ont
contribué peu ou prouà l'orientation de ce travail.
Tertio, nous ne saurions terminer notre propos sans dire un
profond et sincère remerciement à ma mère NZOUSSI
Thérèse Radegonde Adélaïde pour sonsoutien
indéfectible et infaillible. Qu'ilstrouvent à travers ces mots
pétris de reconnaissance et d'humilité l'expression de toute
notregratitudefiliale. Nous remercions également Patrick et Anne-Marie
Glaume, Christus et Nadège Yengopour leur aide de qualité lors de
la rédaction de ce travail.
SOMMAIRE
DÉDICACE
2
REMERCIEMENTS
3
SOMMAIRE
4
INTRODUCTION
5
Chapitre 1 : LES PRÉMISSES
PHILOSOPHIQUES DE LA NOTION D'ESPACE PUBLIC CHEZ HABERMAS
13
Chapitre 2 :
L'ESPACE PUBLIC ET LA DIALECTIQUE DE LA PUBLICITÉ
24
Chapitre 3 : DE LA TRANSFORMATION
STRUCTURELLE DE L'ESPACE PUBLIC À SA REFONDATION PAR LA
RATIONALITÉ COMMUNICATIONNELLE
43
CONCLUSION
68
LISTE DES RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES :
73
TABLE DES MATIÈRES
79
Chapitre 2 INTRODUCTION
La sphère publique comme espace de discussion et de
problématisation des thématiques de la vie publique est un espace
qui s'est construit autour de la différence entre ce qui est publicet ce
qui ne l'est pas, ce qui relève du privé. De l'agora
athénienne aux parlements modernes en passant par le forum romain,
l'idéal de publicité a été utilisé comme
medium par chaque citoyen pour justifier de façon
critique les intérêts défendus dans l'espace public de
sorte à ne promouvoir que ceux qui relèvent de
l'intérêt général et de supprimer les
intérêts particuliers. Chez les athéniens par exemple,
l'espace public pouvait être assimilé à la place publique
du marché, à l'assemblée,l'agora, au conseil, au tribunal,
lesquelles institutions avaient pour fonction de garantir le bon fonctionnement
de la démocratie et en quelque sorte l'usage public de la raison.
À côté de cet espace public dit formel,
Athènes disposait aussi d'un espace public dit informel qui se
réalisait par les discussions faites entre citoyens sur leur lieu de
travail comme les artisans, les marchands, etc. Ce monde du secteur informel de
la Grèce antique semble être très politisé
même si l'agoragrecque présente de nombreuses
inégalités relatives à la participation des citoyens
à la vie politique.
Platon comme tous les athéniens établit une
distinction nette entre le citoyen qui a voix au chapitre par sa participation
aux grandes décisions de la sphère publique2(*) quand les artisans,
étrangers et autres reçoivent le statut de
« non-citoyens »3(*). Cette analyse mitigée de Platon est le reflet
de sa conception sur la démocratie qu'il considère comme le
« régime des ignorants », un processus de
dégénérescence et de corruption où la
liberté est anarchique et démagogique. C'est le statut de citoyen
qui conditionne dans la démarche platonicienne le droit de participation
à l'agora, ce que Protagoras conteste car il est convaincu que tous
peuvent apprendre l'art de la politique et son corolaire qu'est la doxa, le
droit de donner son opinion et de le justifier publiquement ;
Socrate pour sa part doute que l'art politique puisse s'apprendre par la
rhétorique sophistique et que « la vertu politique soit
accessible à chacun »4(*):
Les athéniens sont à mon sens, comme au jugement
des autres Grecs, un peuple intelligent. Or, je vois, quand l'assemblée
se réunit, que, s'il s'agit pour la cité de constructions
à entreprendre, on appelle en consultation les architectes, s'il s'agit
des navires, les constructeurs de navires, et ainsi de suite pour toutes les
choses qu'ils considèrent comme pouvant s'apprendre et
s'enseigner ; et si quelque autre, qui ne soit pas regardé comme
technicien se mêle de donner son avis, (...) on ne l'en écoute pas
davantage, mais au contraire on se moque de lui et on fait du bruit.
Voilà comment ils se conduisent lorsque la matière en discussion
leur paraît exiger un apprentissage. S'il s'agit au contraire des
intérêts généraux de la cité, on voit se
lever indifféremment pour prendre la parole, architectes, forgerons,
corroyeurs, négociants et marins, riches et pauvres, nobles et gens
ordinaires.5(*)
Aristote, contrairement à son maitre Platon a un
jugement mesuré sur l'agora et sa portée démocratique
parce que grâce à la cité, la démocratie donne
à chaque homme la possibilité de s'exprimer, de se
réaliser, de s'accomplir réellement et d'atteindre « la
vie heureuse ». L'homme est fait en quelque sorte pour passer des
conventions politiques dans la cité6(*), pour l'organiser en fonction d'une hiérarchie
afin d'y établir un certain ordre que tous pourraient vouloir ensemble
comme modèle social de cohabitation. Aristote précise que cette
organisation politique n'est pas l'oeuvre du hasard mais émane d'une
rationalité politique qui permet à certains hommes d'avoir des
capacités « naturelles » pour
« commander » et à d'autres d'être
commandés. Comme son maitre Platon, le Stagirite définit les
esclaves comme des gens privés de la citoyenneté et
destinés aux travaux pénibles et les hommes libres (les
plébéiens), c'est-à-dire moins forts appelés
à participer aux discussions publiques d'intérêt
général. Aristote voit d'un mauvais oeil l'inclusion des
artisans, boutiquiers et paysans dans l'agora et distingue l'agora
libre, politique de l'agora économique
défenseur des intérêts privés financiers. Les
Athéniens faisaient la différence entre la sphère
publiqueet la sphère privée bien que les étrangers au
départ étaient dépourvus de droit politique. Aristote
entend préserver l'agora de l'intrusion de l'oïkos :
Il convient que sous l'emplacement (réservé aux
cultes) on établisse une agora analogue à celle qu'on
désigne sous ce nom en Thessalie ; les Thessaliens l'appellent
l'agora libre. Il la faut pure de tout trafic ; artisans, cultivateurs et
gens de cette sorte n'y pénétreront qu'appelés par les
magistrats. Cet emplacement remplirait, plus agréablement sa fonction,
si par exemple les gymnases des aînés y avaient leur place, car il
est bon que dans cet ordre aussi les différentes classes d'âges
soient séparées (...). Avoir les magistrats présents et
bien visibles renforce chez les hommes libres la véritable
révérence et la crainte.7(*)
Athènes se distingue des autres cités par sa
volonté à promouvoir sa constitution en l'inscrivant partout sur
des stèles faisant de la publicité le domaine de
« l'affiche monumentale »8(*). Les citoyens qui constituent
l'ekklèsia contrôlent le fonctionnement des institutions
publiques. Cette publicité des lois et dispositions normatives a
favorisé la construction d'une volonté publique et d'un esprit
citoyen éclairés à même de différencier ce
qui relève du privé et du « koinon, du bien
commun »9(*). La
participation des athéniens aux débats publics (privilège
réservé aux seuls citoyens) était cruciale car c'est dans
l'agora que se décidait le destin de tous et cet exercice public de la
raison loin de se réduire à de simples capacités oratoires
exigeait que l'on débatte et se convainquent mutuellement par des
arguments rationnels. Le dèmosathénien était
presque autonome, participait intensément10(*) à la vie publique
d'Athènes car il lui était exigé de savoir au moins lire
et écrire, d'être instruit pour se mettre à l'abri de toute
manipulation.
Athènes présente l'image d'une cité
libre « où le peuple règne et qui n'est pas
gouvernée par un seul citoyen » aux dires d'Euripide
(Suppliantes, 404-406), et où par souci de transparence de la
vie publique, le dèmos comme l'ekklèsia
constituaient une force morale et politique. Les citoyens ordinaires qui
étaient préférés aux élites pour prendre la
parole à la tribune participaient aux débats publics
« en réagissant plus ou moins vivement, en faisant du chahut
(thorubos). (...) Et c'est toujours à eux que le pouvoir de
décision revient : par ce tumulte délibératif
d'abord, par le vote ensuite »11(*). Les discussions sur les lieux de travail relatives
aux délibérations politiques ont longtemps animé la vie
publique d'Athènes et combattu la politique du silence ou secret
(mystikos en grec) en faveur d'une politique de transparence
(diaphaneai)12(*) :
Dans l'Athènes du Ve et IVe
siècle, des espaces interstitiels, non institutionnalisés, se
sont en effet développés dans les marges du système
démocratique ; de nombreux lieux de discussion se sont ainsi
épanouis dans le cadre offert par des hétairies et les
symposia, les banquets privés, avant d'être
relayés au IVe siècle par les écoles de
rhétorique ou de philosophie - dont les plus célèbres sont
attachées aux noms d'Isocrate, Platon ou Aristote. Dans ces espaces de
dialogue et de confrontation, certains Athéniens inventèrent un
nouvel usage politique et critique de la raison, créant ainsi une
communauté d'auteurs et d'auditeurs, encore élargie par la
diffusion grandissante de l'écrit et de ses usages au IVe
siècle.13(*)
Mais la guerre du Péloponnèse, l'effondrement
de l'empire athénien et la relative immaturité de
l'ekklèsia athénienne vont laisser le modèle
démocratique athénien basculer encore dans la tyrannie donnant
raison à Platon qui dans la République (VI, 492b I-c
8)14(*) comparait
l'ekklèsia à un torrent qui emporte tout sur son
passage. Le vacarme régnant dans l'agora lors des
délibérations, ses cris et acclamations lors des prises de parole
ont fait dire aux adversaires de la démocratie athénienne que
l'ekklèsia ressemblait plus à des
« spectateurs de paroles et à des auditeurs
d'action »15(*)
qu'à de citoyens éclairés. L'image d'uneassemblée
spectatrice, tapageuse, comique ou théâtralisée a beaucoup
influencé les représentations sur l'agora au point où
Platon compare la démocratie athénienne à une
« citée gonflée d'humeurs, d'injustice et de
démesure ». Même si son jugement est largement
influencé par la réalité de son époque et la
condamnation de son maître Socrate, l'analyse de Platon laisse entrevoir
l'image d'un espace public « corrompu » et d'un peuple
« trompé » (Aristote, Constitution
d'Athènes, 28, 3 ; 28, 4)16(*), une sphère publique « envahie par
des démagogues ambitieux qui auraient usurpé son pouvoir, pour
devenir, à sa place, les vrais acteurs de la vie
politique »17(*).
Au Moyen-Âge, le droit romain présente une forme
d'opposition entre le publicus (public) et privatus
(privé) qui n'est pas trop contraignante comme chez les Grecs et
même plus tard chez les modernes. Le public (Das Publikum) et le
privé ne s'opposent pas en soi et les seigneurs ne jouissent pas de
pouvoirs supérieurs dans la sphère publique comme les
maîtres d'esclaves de la Grèce antique. Mais le Moyen-Âge
n'est pas un vide démocratique comme le prétend Habermas. En
effet, il y a déjà chez les médiévaux la pratique
d'une intuition de publicité qui se traduit par une
célèbre formule tirée du droit civil romain stipulant que
« ce qui concerne tout le monde doit être discuté et
approuvé par tout le monde »18(*). Cette maxime est beaucoup utilisée dans
l'Église par le pape Innocent III qui fait référence aux
décisions impériales demandant que l'on ne peut rien
décider dans une procédure de justice sans avoir entendu les mis
en cause et discuté avec eux ; Saint Léon à la suite
du pape Célestin Ier19(*)disait que « celui qui devra les gouverner
tous, qu'il soit élu par tous ». En Angleterre, le roi Jean
sans Terre face à la révolte des barrons décide de
promulguer la Magna Carta (Grande Charte) pour limiter le pouvoir
royal, faire respecter certaines règles de droit et créer une
instance (Grand Conseil) qui contrôlerait de façon autonome la
politique fiscale du royaume. Dans cette charte, on peut entre autres
lire :
Aucun impôt ne sera imposé, dans notre royaume,
sans le consentement du Conseil commun de notre royaume. (...) Aucun homme
libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de
ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou
exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le
condamnerons pas non plus à l'emprisonnement sans jugement légal
de ses pairs, conformément aux lois du pays.20(*)
Malgré la difficulté de l'application des
principes de cette charte, l'on peut déjà voir une volonté
de légitimer les décisions politiques chez les
médiévaux par le consentement de la volonté populaire qui
est aussi souveraine.21(*)
Les débats sur la représentation au Moyen-Âge ne
s'inscrivent pas sous le sillage du paradigme démocratique comme nous le
connaitrons dans la modernité politique. Ils sont du ressort des
pouvoirs ou régimes princiers et monarchiques de cette époque.
L'idée d'une représentation populaire traverse les esprits dans
l'Église, en Angleterre, en France et en Sicile, bref dans les
assemblées représentatives de type
« parlementaire » qui s'imposent partout comme lieux de
« médiation du pouvoir ». Différentes
appellations servent à les désigner mais expriment la même
réalité politique : « parlement en Angleterre ou
en Sicile états généraux ou états régionaux
en France (...), Cortes dans toute la péninsule ibérique
et diètes territoriales centrale ou locale (Reichstag,
Landtage) dans la mosaïque des principautés laïques
ou ecclésiastiques de l'Europe germanique ».22(*)
La naissance de l'État moderne s'est
accompagnée de celle d'une nouvelle classe sociale appelée la
bourgeoisie qui occupera au sein du public une place
prépondérante. La bourgeoisie naissante se composera des
fonctionnaires de l'administration royale, des juristes, des médecins,
prêtres, érudits, savants. Ces nouveaux bourgeois remplacent en
réalité les « vrais bourgeois » qui
étaient « les membres des anciennes corporations, d'artisans
et de boutiquiers et qui ont subi entre-temps un recul sur
l'échelle sociale » (Habermas, 1978, p. 33-34). L'espace
public bourgeois avec la montée du capitalisme fait émerger dans
les familles bourgeoises des habitudes de lecture (cafés
littéraires, journaux politiques, Presse) se transformant en
sphère publique littéraire et plus tard en sphère publique
politique. Il s'agit là de faire un usage public et critique de sa
raison pour s'opposer aux secrets de l'État et de se former une opinion
sur la gouvernance des affaires publiques. C'est donc au coeur de la
sphère publique bourgeoise que naît l'opinion publique pour se
former un jugement sur l'administration et la politique mercantiliste du
capitalisme de l'époque. Mais au sein de l'espace public23(*), s'exprime
précisément une opinion dite publique que les uns qualifient de
réputation pour son apparente rationalité et que d'autres
reconnaissent comme détentrice d'un potentiel rationnel. La
Publicité ici devient un principe critique de transparence et
permet de remettre en cause la domination de l'État monarchique bien que
la citoyenneté dans l'espace public bourgeois soit encore comme chez les
Grecs réductibles à « l'homme
propriétaire ».La bourgeoisie en prenant le pouvoir a confondu
ses intérêts privés avec ceux dits publics, empêchant
de surcroît les pauvres de participer à des discussions publiques
ayant pour objet des questions d'intérêt général.
Cette subversion/perversion du principe de Publicité au profit
de la bourgeoisie va se consolider avec l'État moderne et l'apparition
de la Presse mise au service de l'administration d'État (Habermas, 1978,
p. 32). Frédéric II, ancien roi de Prusse dans un édit de
1784 rappelle substantiellement qu'une personne privée n'est pas
habilitée à porter des jugements publics ou
dépréciatifs ou à publier des informations qui lui
parviennent. Ce décret condamnant des opinions dites publiques en se
référant à la sphère publique longtemps
considérée comme un domaine propre du pouvoir montre bien qu'en
réalité, la sphère publique s'était
séparée de la domination de l'État « pour
devenir le forum où les personnes privées rassemblées en
un public s'apprêtaient à contraindre le pouvoir de se justifier
face à une opinion publique »24(*). Ce qui était avant le publicum se
transforme en public critique, le subjectum en sujet et les
destinataires du pouvoir ses adversaires.
La Publicité jadis instrument de
démystification de la domination politique sert dorénavant une
opinion « non-publique » parce que non critique et le
public éloigné de la participation politique se contente de
consommer « passivement » les décisions politiques.
La discussion publique réduite à un produit de consommation vendu
par la culture de masse, l'on peut se demander à la suite de Habermas
comment renverser cette domination de la bourgeoisie pour lui substituer un
espace public qui promeut une opinion publique défensive de
l'intérêt général. L'analyse de cette
préoccupation est ce qui justifie notre thème de mémoire
intitulé « Espace public et rationalité
communicationnelle chez Jürgen Habermas ».Ce thème ainsi
formulé nous inspire la question majeure suivante :qu'est-ce que
l'espace public et quel rôle la raison peut-elle jour pour mettre en
place une sphère publique critique, fondatrice d'un consensus social
?
La réponse à cette question
générale nous emmènera à entreprendre dans le
premierchapitre de notre travail une étude préhistorique du
concept d'opinion publique dans la modernité politique de Locke à
Kant en passant par Rousseau et Bentham. L'opinion publique qui a besoin de la
publicité des débats pour s'instruire, contribue à la
« rationalisation de la domination », à la formation
du jugement et à la médiatisation des intérêts
universels dans l'espace public car elle est « le résultat
éclairé » de la réflexion publique,
effectuée en commun, à propos des fondements de l'ordre
social » précise Habermas (1978, p. 105).En tant que
manifestation pragmatique d'une « Publicité
informelle » au sens moderne du terme, l'opinion publique loin
d'être considérée comme doxa, réputation,
rumeur, renommée qu'on aurait auprès de la foule est avant tout
l'expression d'une réflexion privée sur les affaires publiques.
L'opinion publique s'avère être la conscience que la sphère
publique a d'elle-même par l'usage critique de sa raison. Mais qu'est-ce
qui garantit justement la « rationalité »
exprimée dans l'opinion publique ? Si l'on en croit Hegel elle est
une visée subjective de la masse souvent mue par des
intérêts privés à cause de la désorganisation
de la société civile bourgeoise, a-t-elle vraimentbesoin
de l'autorité publique, étatique pour être
réalisée de façon objective et
universelle? Nous répondrons à ces questions
en développant dans le second chapitre de notre travaill'analyse que
fait Hegel de l'opinion publique qui lui paraît
commesuperficielle,nécessitant l'intervention de l'État
pour sa maturation, l'État constitutionnel bourgeois étant dans
l'acception hégélienne la seule institution à même
de promouvoir rationnellement les intérêts communs. Hegel estime
que la sphère publique ne peut plus être considérée
comme l'un des principes de l'Aufklarüng, ni comme la
sphère où la raison devrait être
réalisée.Vision contestée par Marx pour qui l'État
en dépit d'être une entité abstraite, formelle est surtout
un adversaire de l'opinion et de la raison publiques qu'il opprime. Il n'est
pas autonome,sert de façon déguisée les
intérêts bourgeois et marginalise le prolétariat par une
« publicité manipulée » acquise à la
solde de la bourgeoisie.De ce fait, comment refonder cet espace public par une
publicité transparente, critique et rationnelle capable de créer
des normessociales universelles et consensuelles ?
Dans le dernier chapitre de notre travail, nous analyserons
la réelle « désagrégation
structurelle » subie par l'espace public bourgeois avec
l'émergence des mass media qui neutralisent l'opinion publique
en promouvant une publicité consommée et non discutée.
Contre ce modèle, Habermas propose sa théorie de la
rationalité communicationnelle pour élargir le public et l'usage
critique qu'il fait de la raison afin d'avoir une marge sur les dirigeants,
« décoloniser le monde vécu »25(*)et fonder un consensus social
acquis discursivement. La raison communicationnelle en rationalisant la
domination assume les fonctions de critique et de contrôle propres
à la sphère publique et consolide le règne d'une
« raison argumentée, justifiée » où
seul l'emporte la force sans contrainte du meilleur argument.Nous terminerons
notre travail par la critique de Ricoeursur l'agir communicationnel
habermassienqu'il considère comme une utopie politique d'autant plus que
le consensus social ne supprime pas la diversité des points de vue dans
l'espace public et son instrumentalisation par la « politique
politicienne ».
Chapitre 3 Chapitre 1 : LES
PRÉMISSES PHILOSOPHIQUES DE LA NOTION D'ESPACE PUBLIC CHEZ HABERMAS
1- Préhistoire du
concept d'opinion publique :
Dès son apparition à la fin du
XVIIIesiècle, l'espace public
(öffentlichkeit)désigne littéralement dans un
premier sens ce qu'on appelle « opinion »,
c'est-à-dire ce qui est incertain, ce qui se conçoit comme
incomplet, vague ou manquant de substance. L'idée de la doxa
platonicienne n'est pas loin de la conception de l'opinion et dans l'autre
sens, cette dernière est définie comme réputation,
renommée, considération, bref, « ce que l'on
représente pour l'opinion des autres »26(*). L'opinion apparaît dans
ce sens comme une idée dont la véracité n'a pas encore
été approuvée, éprouvée, prouvée ou
confirmée.Avant de devenir « public
opinion » comme on le connaît aujourd'hui dans sa forme
anglaise, l'opinion publique a jadis été thématisée
par Goerg Foster par la notion de public spirit bien que les deux
expressions aient le même sens à l'époque. Public
spirit désigne l'esprit du temps, la general opinion
(l'opinion générale)27(*) d'un public éclairé, infaillible
faisant montre d'une réelle efficacité oppositionnelle qui
s'agace contre la corruption de ceux qui détiennent le pouvoir au
Royaume Unides années 1730 de Bolingbroke :
« L'immédiateté d'un sens inné de la justesse et
de la justice cohabite encore, dans l'idée de public spirit,
avec cette volonté d'exprimer publiquement des arguments qui
réalise l'articulation de l'opinion et du jugement »
(Habermas, 1978, p.103).
Le concept de « public opinion » que
reprend Hobbes correspond plus à des idées d'ordre religieux
relevant du domaine privé, une « chaîne
d'opinions » partant de la foi (faith) pour aboutir au
jugement. La démarche hobbesienne catégorise donc tous les actes
de foi, de jugement et de pensée comme relevant de la structure de
l'opinion.Une année après la publication du
Léviathan, Locke développe une conception de l'opinion
comme « ce tissu informel des idées telles qu'elles sont en
usage dans le peuple, et dont le contrôle, de caractère social
(...) est plus efficace que celui de la censure
institutionnelle »28(*) et dont la fonction de censure (Law of private
censure) « devient une prise de conscience qui se dessine sur
fond d'une morale sécularisée et d'une confession devenue chose
privée » (Habermas, 1978, p.101). Il n'en demeure pas moins
que la « Law of opinion » dans la perspective
lockéenne ne se conforme pas à la dynamique d'opinion publique au
sens de discussions publiques, mais acquiert sa validité par un secret
et tacite consentement (by a secret and tacit consent). Elle
n'influence pas les lois de l'État puisqu'elle se fonde de l'avis
même de Locke sur « le consensus de personnes privées
qui n'ont pas l'autorité qu'il faudrait pour
légiférer »29(*), n'exige pas l'usage que peut faire le public de sa
raison mais inclut simplement l'idée des habitudes de pensée.
Pierre Bayle, contemporain de Locke critique cette conception
qui lui semble problématique. L'opinion devrait se fonder non pas sur
fond d'un consentement tacite mais sur la critique, le fameux règne de
la critique.30(*)
L'exercice de la critique pour Bayle est une affaire strictement privée
car « la vérité se révèle à
travers la discussion publique des critiques entre eux, mais le domaine de la
raison reste une dimension intime, opposée au domaine public de
l'État ». Cela signifie que la « critique est une
affaire privée, sans conséquence quant au pouvoir de
l'État » (Habermas, 1978, p. 102) qui peut secouer le joug de
la scholastique, de l'opinion, de l'autorité, de la barbarie et
même des préjugés. Les Encyclopédistes tout en
considérant Pierre Bayle comme leur précurseur reprendront
à nouveaux frais le sens de l'opinion comme caractérisé
par la vacuité, l'incertitude31(*).
Edmund Burke donnera à son tour une définition
pratique de l'opinion comme réflexion en privé (et non
inclination) sur une discussion publique portant sur des affaires
d'intérêt général. Les citoyens de son avis ont le
droit d'exprimer leurs points de vue sur les affaires publiques et cette
aptitude de la « publicité de la raison » est un
exercice précieux, rare à trouver dans les régimes
totalitaires. Aucun pouvoir législatif ne peut librement et pleinement
s'exercer sans rendre ou mieux tenir compte des avis de ceux que l'on doit
gouverner. Il écrit dans ce sens :
Dans un pays libre, tout homme pense qu'il est concerné
par l'ensemble des affaires publiques, qu'il a le droitde s'en faire une
opinion et de l'exprimer. Les citoyens les examinent, les analysent et
en débattent. Tandis que dans d'autres pays (...) on n'y
réfléchit pas assez, et (...) personne n'ose mettre à
l'épreuve de la discussion la force de ses opinions. (...) Par
conséquent, tout le poids que vous représentez dépend de
l'usage constant et pondéré que vous ferez de votre propre
raison » (Burke, 1977, p.119)32(*).
À la même époque, Jean-Jacques Rousseau
avait élaboré une conception de l'opinion publique presque
pareille à celle des encyclopédistes en lui retirant sa
portée éristique d'un côté tout en lui
conférant de l'autre un rôle législateur dont le censeur
est le « porte-parole ». Pour Rousseau, opinion publique ne
peut pas rimer avec critique et ceux qui utilisent la critique pour traduire
une opinion publique sont en réalité les vrais
« ennemis de l'opinion publique »33(*). C'est l'opinion non-publique
qui reçoit qualité de législateur, ce par la
Publicité des discussions à même de garantir la
transparence du contrat social. Ce dernier donne la possibilité à
chacun de soumettre ses biens et tous ses droits « afin de pouvoir
dès lors avoir part aux droits comme aux obligations de tous,
grâce à la médiation de la volonté
générale » (Habermas, 1978, p.107) ; il suffit
d'être en possession de son bon sens lors des assemblées
législatives pour voir où est l'intérêt
général selon Rousseau et éviter de donner libre
accès aux beaux parleurs souvent mus par des intérêts
contingents et particuliers. Rousseau est convaincu que la volonté
générale réside dans « un consensus des coeurs
bien plus que des arguments, des opinions »34(*).
Rousseau veut en réalité se méfier de
l'influence grandissante de « l'opinion du public
éclairé, médiatisée par la Presse et les
discussions des Salons » de son époque et défend la
démarche d'une opinion « qui émane des moeurs simples
et des coeurs naturellement bons ». Si Rousseau n'appelle pas tout
simplement opinion ou opinion publique ce qu'il désigne par
volonté générale et souveraine, c'est parce qu'il
conçoit la volonté générale comme
« l'ensemble du peuple unanime »35(*)réuni en
assemblée comme dans la Grèce antique à l'image
« d'une démocratie directe `'qui'' implique la présence
réelle de ce qui y est souverain ; la volonté
générale, en tant que corpus mysticum, est solidaire du
corpus physicum » (Habermas, 1978 ; p. 108). Rousseau
se représente de ce fait l'idée d'un plébiscite permanent
par l'agora et précisément sur la place publique qui
«dans la Grèce antique « devient le fondement de la
Constitution ; c'est à elle que l'opinion doit être
qualifiée de « publique », autrement dit aux
citoyens dont l'assemblée n'a qu'un rôle acclamatif, et non pas
à l'usage que fait de sa raison le public
éclairé »(Habermas, 1978, p. 109). Habermas lit
Rousseau comme un penseur qui exclut de la démocratie toute discussion
publique même si la Révolution française va dévoiler
les deux fonctions de l'opinion publique longtemps séparées
à savoir « son rôle de critique et de
législateur ».
Jeremy Bentham, contemporain de Rousseau a à son tour
développé le lien qui rattache l'opinion publique au principe de
Publicité car l'exercice du pouvoir politique exige des
mécanismes de contrôle permanent pour éviter cette
« foule de tentations diverses » et parfois perverses qui
guettent quiconque détient l'autorité, c'est-à-dire un
pouvoir public. Par les débats parlementaires, le public peut surveiller
ce qui se décide sur leur vie et leur existence et peut
éventuellement critiquer rationnellement l'ordre établi. Il
écrit :
Le public dans son ensemble forme un tribunal supérieur
à toutes les cours de justice rassemblées. On peut se mettre en
position de braver ses exigences, on peut les qualifier d'opinions
indécises et contradictoires qui réciproquement se
réfuteraient et s'annuleraient ; chacun devine néanmoins que
ce tribunal, bien qu'il ne soit pas à l'abri de l'erreur, est
incorruptible ; (...) qu'il a entre ses mains le destin des hommes
d'État (public men, hommes publics) et qu'on ne peut se
dérober aux arrêts qu'il rend ».36(*)
L'opinion publique se nourrit de la publicité des
débats pour s'instruire, se former et s'éloigner des
préjugés et la publicité dans la perspective benthamienne
permet d'assurer « la continuité de l'usage public d'une
raison politiquement orientée, comme elle en garantit les
fonctions ; » autrement dit, elle seule est à même
de faire que le problème de la volonté devienne un
problème de raison et aide les électeurs à agir en
connaissance de cause. Elle oblige par la discussion, les pouvoirs publics
à chercher la vérité en commun car en tant que
Volksmeinung (opinion du peuple), elle n'est rien d'autre qu'une voix
d'expression du peuple dans sa réalité constitutive.
2- La publicité
comme médiatrice de la morale et de la politique chez
Kant :
On trouve chez Emmanuel Kant l'idée selon
laquelle l'opinion publique (öffentlichemeinung) est
« en effet commandée par la volonté de rationaliser la
politique au nom de la morale » (Habermas, 1978, p.113) et que
l'usage public que font des personnes privées de la raison a pour
rôle de combattre la domination sous sa forme absolutiste. Bien que la
politique et la morale soient en conflit, Kant envisage la morale comme la
passerelle permettant de trancher les conflits d'intérêt de la vie
publique : « La vraie politique ne peut faire aucun pas sans
rendre d'abord hommage à la morale ; et bien qu'en soi la politique
fût un art difficile, ce n'en est pas un cependant que de la
réunir à la morale, car celle-ci tranche le noeud que la
politique ne peut trancher dès qu'elles sont en conflit »
(Kant, 1975, p.74)37(*).
Kant est convaincu que le pouvoir appartient à la raison et non à
la domination ou encore à un rapport de forces. La concentration du
pouvoir entre les mains du souverain ou Léviathan, la persécution
de la société civile et la neutralisation de toute forme
d'opposition face à un système de gouvernement ne sont pas de
l'ordre de la raison pratique.
L'auteur de la Richesse des nations recommande que
la législation politique d'un État soit soumise au contrôle
moral des personnes privées, de la société civile
constituant un public et exerçant son raisonnement dans une
sphère dite publique et jouant par-là même un rôle
politique. C'est pour dire que la société civile est à
bien des égards chez Kant la médiatrice « entre
l'État et la société » et la publicité
« doit être comprise comme ce principe qui représente la
seule instance capable de garantir l'unité de la politique et de la
morale » (Kant, 1975, p. 75). L'Öffentlichkeit comme
méthode de l'Aufklärung est un principe
d'émancipation et de maturation avec pour objectif d'élever le
public à être conscient de la responsabilité de sa
pensée : « Être mineur c'est être incapable
de se servir de son raisonnement sans la direction d'autrui, état dont
l'homme est lui-même responsable puisque la cause en réside non
dans un défaut de l'entendement, mais dans un manque de décision
et de courage » (Kant, 1947, p. 83).38(*)
Mais penser par soi-même ne suffit pas chez Kant pour
être efficace et ne met pas notre raison à l'abri de la servitude
absolutiste. Il faut que l'Aufklärung soit
médiatisé par la publicité de la raison car il est
difficile pour l'homme pris isolément de sortir de sa minorité
intellectuelle qui devient une sorte de seconde nature pour lui. Mais le
public, lui, est une source de lumière qui peut mettre à nu les
limites/failles d'un pouvoir pourvu qu'on lui laisse la liberté de le
faire car il peut penser tout haut et faire un usage critique de sa
raison :
On dit en effet que la liberté d'écrire pourrait
bien nous être retirée par une autorité supérieure,
mais que celle-ci ne saurait jamais nous retirer la liberté de
pensée. Mais alors, jusqu'où iraient nos pensées et quelle
en serait la justesse si nous ne pouvions penser en quelque sorte en
communauté avec les autres à qui nous communiquons nos
réflexions, comme ils nous font part de leurs idées (Kant,
1959).39(*)
Nonobstant le caractère élitiste et
universitaire de l'usage de cette raison dans l'espace public que Kant comme
les Encyclopédistes remettent aux seuls philosophes, la discussion
concerne le public que forme le peuple afin de l'aider à faire un usage
effectif de sa raison. Ce public qui porte des insuffisances de « la
minorité intellectuelle » est aussi composé de quelques
membres majeurs appelés à répandre leurs lumières
sur les autres et le philosophe n'est plus le seul à même
d'incarner l'Aufklärung. Cela signifie donc que la
Publiciténe se réalise pas seulement au sein de la
république des savants mais également à travers l'usage
public que font de leur raison tous ceux qui s'y entendent. L'usage de la
raison revêt chez Kant deux sens, privé et public :
« J'entends par usage public de notre propre raison
celui que l'on en fait en tant que savant devant l'ensemble du public qui lit.
J'appelle usage privé, celui qu'on a le droit de faire de sa raison
lorsqu'on occupe un poste civil ou une fonction déterminée (...)
Là il n'est donc pas permis de raisonner ; il s'agit
d'obéir. L'usage public de notre propre raison doit toujours être
libre, et lui seul peut amener les lumières parmi les hommes ; mais
son usage privé peut être très sévèrement
limité sans pour cela empêcher sensiblement le progrès des
lumières » (Kant, 1947, pp. 85-86).
Le public des hommes faisant usage de leur raison se
transforme en public des citoyens lorsqu'il s'agit de débattre sur des
questions touchant à la chose publique, le monde de vie, le monde ici
non au sens transcendantal comme concept général de tous les
phénomènes mais comme monde réel et concret. Ce monde
s'installe à travers la communication qui lie les êtres humains et
est constitué par un public de lecteurs usant de leur raison car
même le pouvoir législatif repose sur la volonté du peuple
dictée par la raison.Au fait, Habermas rappelle que l'origine empirique
des lois n'est rien d'autre que le consensus public des personnes qui font
usage de leur raison et Kant différencie ces lois dites publiques des
lois privées qui sont l'émanation d'une volonté
individuelle, des lois d'autorité qui ne sont pas explicitement
reconnues. La loi publique qui décide pour tous ce qui en l'occurrence
doit être permis ou interdit découle d'une volonté
publique, « source de tout droit, qui par conséquent ne doit
lui-même faire de tort à personne...c'est la volonté du
peuple dans son entier » (Kant, 1972, p. 36)40(*). Si l'humanité
présente une vocation naturelle à se communiquer mutuellement
tout ce qui regarde l'homme en général (Kant, 1972, p. 49), la
publicité en évitant la « culture du secret »
comme dans les cercles ésotériques est une sorte de
dévoilement de la parole rendant possibles des discussions ouvertes qui
assume en même temps la fonction d'être une « instance de
contrôle pragmatique au service de la
vérité ».
Kant le justifie si bien en ces termes dans la Critique
de la Raison pure : « La pierre de touche grâce
à laquelle nous distinguons si la croyance est une conviction ou
simplement une persuasion est donc extérieure, et consiste dans la
possibilité de communiquer sa croyance et de la trouver valable pour la
raison de tout homme » (Kant, 1963, p. 551-552)41(*). L'opinion publique acquiert
sa valeur pragmatique dans la mesure où les actions concernant le droit
d'autrui peuvent s'accorder avec le droit et la morale mais aussi dans la
« mesure où leurs actions sont justiciables de la
Publicité, voire la réclament » (Habermas,
1978, p. 117). La sphère publique dans l'esprit kantien est ce tribunal
qui jugent les actions politiques justifiées par les lois qui les
fondent et lesquelles lois ont été acceptées par l'opinion
publiques comme universelles et rationnelles. Tout régime politique
régit par des normes c'est-à-dire réunissant la
constitution civile et la paix perpétuelle remplace la loi naturelle de
la domination par le règne des lois juridiques, et la politique devient
essentiellement une morale. Si Kant est au départ dubitatif sur la
concrétisation parfaite d'un régime politique qui garantirait
l'unité de la politique et de la morale sans passer par la force, il
croit néanmoins en la perfectibilité humaine. L'antagonisme de la
société, les luttes intestines comme les guerres entre les
peuples ont permis de son avis un progrès positif de l'espèce
humaine et une amélioration constante des constitutions politiques. Ce
progrès résulte de la pure et simple contrainte imposée
par la nature afin de développer toutes les dispositions naturelles de
l'humanité en « une société civile régie
universellement par le droit » (Habermas, 1978, p. 118).
3- La sphère
publique kantienne comme légitimation et rationalisation des
intérêts universels :
Mais le principe kantien de publicité reconnaît
seulement aux propriétaires le droit de participer au fonctionnement de
la sphère publique (exercer leur droit de vote) et de faire un usage
politique de leur raison. Ils sont leurs propres maîtres, les seuls
à être autonomes en vertu de leurs biens car
« s'appartenant à eux-mêmes », tandis que les
prolétaires ou salariés ne possèdent pas de
propriété et sont à la merci de leurs maîtres au
point où cette dépendance les contraint d'échanger
seulement leur force de travail alors que « les échanges entre
propriétaires ont pour objet les marchandises qui leur
appartiennent » (p. 119). Pareille distinction bien
qu'insatisfaisante pour manifester l'égalité participative
qu'inclut la publicité peut être comblée par l'acception
selon laquelle les chances d'acquisition des biens sont égales pour tous
sans distinction évitant de ce fait toute inégalité
synonyme d'injustice dans la sphère privée. Autrement dit les
non-propriétaires bien qu'ils ne soient pas considérés
comme citoyens, peuvent toujours s'ils le souhaitent, devenir des citoyens
« au sens plein du terme » grâce à leur
talent, à la chance42(*).
Ils restent des personnes bénéficiant
« de la protection des lois, sans avoir elles-mêmes le droit de
les créer »et Kant envisage avec l'avènement du
libéralisme la naissance des conditions de possibilité d'une
égalité des chances faisant apparaître « la base
naturelle d'un ordre légal et d'une sphère publique capable
d'assumer les fonctions politiques (...) et de faire de la politique une
question que seule la morale avait à résoudre,
résultat de contraintes purement et simplement
naturelles » (Habermas, 1978, p. 120). La loi du marché
régulée donc par la libre concurrence pourrait mettre sur un
même pied d'égalité le bourgeois et l'homme, les
propriétaires et de simples individus. Il n'en demeure pas moins que
cette égalité de principe ne saurait empêcher selon Kant le
bourgeois de cacher ses intérêts égoïstes
(dédoublement sujet empirique et sujet
intelligible)43(*).
Or la subsomption de la politique sous la morale dans l'espace public a pour
conséquences de justifier l'intelligibilité et la
nécessité de toute action morale comme émanant avant tout
de notre liberté intérieure : « Toute action doit
être considérée à la fois comme libre, eu
égard à sa cause intelligible ; et comme nécessaire,
c'est-à-dire comme faisant partie de la série purement causale
qui enchaîne tous les événements du monde
sensible » (Kant, 1963, p. 394).
En envisageant la constitution d'une sphère publique
fondée sur le droit, l'auteur de Théorie et pratique44(*) entend faire de
l'éthique l'objet et la finalité de la politique et la
Publicité qui assumait le rôle de faire concorder l'agir
politique aux lois de la morale s'applique à tous membres de la
sphère sociale sans distinction du Prince au citoyen lambda. Kant
considère la « loi » morale comme ce qui prend en
compte par extrapolation l'intérêt général du public
et non le succès ou la félicité d'un État dans les
perspectives de l'atteinte d'un objectif privé c'est-à-dire
d'ordre personnel. Comme principe suprême de la sagesse politique, les
maximes politiques quant à elles « doivent, au contraire,
provenir de la pure notion du devoir d'instaurer le droit (...) quelles que
soient d'ailleurs les conséquences matérielles qui en puissent
résulter. »45(*)
La perfectibilité étant l'idéal de
l'être de l'homme dont le sens de l'existence se fixe n'a pour fin de
l'avis de Kant que la quête du « progrès vers le mieux
au point de vue de la fin morale de son être »46(*), elle se manifeste même
dans la construction continuelle de la moralité que notre
humanité essaie de consolider depuis des siècles pour
créer une société plus juste et vivable. Cette
moralité qui se régule par la présence du droit devient
l'étalon qui permet de peser plus ou moins la valeur d'une loi en
donnant la règle, le ton sur la notion de ce qui est normativement
correct. C'est au nom de la morale aussi que ceux qui doivent obéir
à une loi doivent participer à sa fondation, doivent
légiférer pour ne pas être en déphasage avec ce
qu'ils auront à observer comme idéal normatif dans leur agir et
dans leur vie. La morale pour le philosophe de Königsberg (Kant) en
dépit d'être un devoir est surtout une idée, un
idéal, les deux ayant des fonctions normatives différentes car de
même que l'idée « donne la règle, l'idéal
sert de prototype à la détermination d'une copie ; c'est le
seul moyen que nous avons de juger nos actions » dans l'espace
public. Habermas (1978, p. 123) nuance subtilement cela en ces termes :
Si l'instauration d'un ordre légal ne peut être
elle-même que de nature politique et n'être le fait que d'une
politique qui ne contredit pas les principes de la morale, le progrès de
la légalité est alors directement dépendant d'un
progrès de la moralité, et la res publica phaenomenon
devient un effet de la res publica noumenon.
Deux positions peuvent résumer la pensée
kantienne sur le lien entre légalité et moralité. D'un
côté, Kant aborde ce rapport dans un langage plutôt
juridique dans lequel la politique « fondée sur
l'éthique ne signifie rien d'autre qu'agir conformément au droit,
par devoir envers des lois positives », et la publicité dans
cette dynamique devient ce qui garantit « seulement » ce
règne des lois. De l'autre, en reconnaissant implicitement que le
règne des lois ne peut s'imposer sans une violence politique, Kant admet
presqu'officieusement la nécessité d'une politique qui repose
plus sur la morale que sur une légalité exclusive,
irréductible. La politique ne saurait être réduite in
extenso au devoir, à l'obligation qu'on a d'obéir aux lois
établies de façon positive mais doit au contraire prendre en
considération dans son processus de création des lois la
volonté générale et collective, le bien-être de tous
par le médium de la Publicité.
Médiatrice de la politique et de la morale, la
sphère publique assume dorénavant la « tâche de
faire apparaître l'unité intelligible des buts empiriques de tous,
et de faire en sorte que la légalité y procède de la
moralité » (Habermas, 1978, p. 124), aide à
réaliser l'accord des lois de la raison avec les exigences du
bien-être du public car « l'interdiction de la Publicité
entrave le progrès du peuple vers le mieux »47(*). La Publicité
en dernier ressort favorise l'unification des consciences empirique et
intelligible en questionnant la légitimité de toute contrainte
juridique et sa moralité. Bien que Kant soit perçu à
certains égards comme l'un des précurseurs du positivisme
juridique, son intuition essentielle est de montrer que la politique comme
exigence de la raison pratique a pour but la liberté, mais
« la liberté pensée comme devoir ou destination morale
de l'humanité, et non comme jouissance de soi » (Sève,
2001, p. 489)48(*). La
politiquedoit se fonder inconditionnellement sur la justice et le responsable
politique se doter de la prudence pour bien exercer sa fonction :
« On ne peut pas se contenter ici d'une demi-mesure et imaginer le
moyen-terme d'un droit [...] tenant le milieu entre le droit et
l'utilité ; la politique doit plier le genou devant la
morale » (Kant, 1975, p. 376).
La politique kantienne apparaît continuellement en
tension avec la moralité parfois même de façon
contradictoire49(*)car
Kant est convaincu que tout gouvernement qui contraindrait de façon
paternaliste (gouvernement paternel :imperium paternale)
ses citoyens à adopter son modèle du bonheur comme des
enfants mineurs constituerait « le plus grand despotisme
concevable »50(*). Même s'il y a une forte primauté chez
Kant du règne de l'a priori, du noumène, de la rigueur
de la loi d'abord sur la réalité politique en tant que
phénomène, l'on peut aussi lire Kant comme un observateur
attentif de la Révolution française ayant compris la politique
comme un espace où la parole donnée doit être
respectée. S'il est vrai qu'il lui manque une analyse du concept de
décision politique, et si l'on peut reprocher à Kant d'avoir fait
du droit comme système formel l'objet de sa pensée politique, sa
pensée se pose en s'opposant au jeu des intérêts qui dans
la perspective kantienne doit cesser d'être la source motivationnelle de
l'agir politique dans l'espace public. Sève (2001, p. 492) peut à
juste titre écrire à ce sujet :
Parce que l'exigence du bien et du juste, le respect (seul
authentique sentiment moral), l'Idée du droit, sont des forces
réelles qui existent dans l'âme, et que l'on peut et doit
cultiver. La grandeur de la pensée kantienne est d'avoir
inlassablement fait valoir que l'action politique est soumise à des
valeurs absolues, que le plus cynique des politiciens est d'ailleurs
obligé de respecter en paroles, valeurs dont la paix perpétuelle
entre les hommes est le couronnement nécessaire.
La Publicité comme médium de
la rationalité, de la moralité et de la légalité,
est aussi ce qui réunit l'empirique (phénomène) et
l'intelligible (noumène) dans une perspective de la prétention
à l'universalité. Les personnes qui font un usage public de leur
raisonnement (dans l'espace public) peuvent conclure un accord public (de tous
les jugements) sur une loi, lequel accord pour Kant est chez Hegel 51(*)« l'universalité empirique des
opinions et des pensées de la masse ». Si l'opinion publique
revêt une portée émancipatrice chez Kant et que la
Publicité du raisonnement est la pierre de touche de la
vérité, c'est-à-dire « ce grâce
à quoi la croyance peut faire la preuve qu'elle est en accord avec la
raison de chaque individu » (Habermas, 1978, p. 127), Hegel manifeste
une certaine prudence face aux limites de la société civile, de
son manque d'autonomie car composée majoritairement à son
époque des propriétaires - dira Marx - dont les richesses peuvent
constituer un obstacle dans l'objectivité des jugements et
l'impartialité des décisions. L'espace public exigeant non seulement un potentiel de
rationalité mais surtout le sacrifice de ses intérêts
égoïstes et personnels pour adopter des normes consensuelles et
universelles, Hegel apparaît avant tout comme l'un des premiers ayant
exigé la rationalisation de la domination, c'est-à-dire la
conception d'une publicité subordonnant les intérêts
individuels des propriétaires, des gouvernants « à des
règles générales exprimant des normes
universelles »52(*).
Chapitre 4 : L'ESPACE PUBLIC
ET LA DIALECTIQUE DE LA PUBLICITÉ
1- Opinion publiqueet
société civile-bourgeoise chez Hegel :
Hegel est souvent considéré comme le
maître à penser de Marx. S'il est reconnu à Karl Marx
d'être le père fondateur du marxisme, Hegel en est en quelque
sorte le « grand-père ». Hegel développe une
conception duplique, une injonction paradoxale de l'opinion publique. D'un
côté,il met en valeur le rôle de l'opinion publique comme
moyen nécessaire pour contrôler le fonctionnement de
l'administration et la qualité de la publicité des débats
parlementaireset tandis que d'autre part il souligne les contradictions
internes à la société civile53(*)qui est traversée
« de tensions dues à la prééminence des
volontés subjectives et des intérêts égoïstes
individuels »54(*). Hegel (2013, § 318) affirme :
« L'opinion publique mérite aussi bien
d'être appréciée que d'être respectée
que méprisée, méprisée quant à sa
conscience et à son expression-extérieure concrètes,
respectée quant à son assise essentielle, laquelle ne fait que
paraître, plus ou moins mélangée, dans ce
concret-là. Puisqu'elle n'a pas en elle l'étalon de
la distinction ni la capacité de promouvoir au-dedans de soi
l'aspect substantiel jusqu'au savoir déterminé,
l'indépendance à son égard est la première
condition formelle pour atteindre quelque chose de grand et de rationnel (dans
l'effectivité comme dans la science)»55(*).
Ce qui préoccupe Hegel, c'est le caractère
éclectique, populaire de l'opinion publique qui bien qu'ayant pour
mission principale la « rationalisation de la domination »,
manque de structure en tant que telle d'autant plus que de son propre aveu le
peuple n'a pas de capacité politique (de gouverner) et il est
vraisemblablement « est cette partie de l'État qui ne sait pas
ce qu'elle veut » (Hegel, 2013, § 302). L'opinion publique ne
représente pas l'expression rationnelle de l'Esprit universel d'un
peuple (Volksgeist), et la « masse informe » de
l'opinion publique n'a pas encore conscience d'elle-même. Elle est
contradictoire parce qu'elle offre à la fois un contenu universel ou
substantiel traduisant la volonté d'expression du plus grand nombre et a
aussi une dimension particulière émanant des sujets particuliers
qui défendent chacun leurs propres intérêts (contingence de
l'opinion subjective § 317).
L'opinion subjective qui est remplie d'elle-même n'est
pas pour Hegel à première vue objectivement connaissable et
sérieusement éprouvée : elle « a sa racine
dans les intérêts et les occupations orientés vers le
particulier, là où la contingence, la variabilité et
l'arbitre (l'arbitraire) ont le droit de s'épancher »
(Hegel, 2013, § 310). La confiance purement subjective et ce qu'on appelle
« l'opinion des électeurs » sont autant
d'extrêmes unilatéraux qui font « contraste avec les
propriétés concrètes qui sont requises en vue de la
délibération des affaires d'État ». C'est donc
l'État qui donne à l'opinion publique la valeur d'être une
connaissance universelle56(*) par la « publicité des
débats des états » (§ 314), à travers la
délibération et à la décision relatives aux
affaires universelles de la société. Hegel (2013, § 315)
écrit :
L'ouverture de cette occasion de [recevoir des] connaissances
a l'aspect plus universel suivant [:] l'opinion publique parvient
enfin ainsi à une capacité de juger plus rationnellement
à ce sujet ; puis elle apprend aussi à connaître
et à respecter les affaires, les talents, les vertus et les aptitudes
des instances-administratives de l'État et des fonctionnaires. De
même que ces talents, avec cette publicité, reçoivent une
puissante occasion de se développer et un théâtre pour
acquérir un honneur élevé, de même est-elle en
retour un remède contre l'outrecuidance des individus-singuliers et de
la multitude et, pour ceux-ci, un moyen de se cultiver, en l'occurrence un des
plus grands.
L'opinion publique apparaît aussi chez Hegel comme une
liberté subjective formelle permettant aux individus d'avoir et
d'exprimer « leurs opinions et leurs conjectures propres à
propos des affaires universelles » même si elle se manifeste
dans le champ du particulier, du propre à l'opposé de
« l'universel en soi et pour soi » qui incarne le
substantiel, le vrai nécessaire pour légiférer. Elle
traduit à la fois « l'essentialité tout aussi
immédiatement que l'inessentialité » et a une
portée plutôt pédagogique et la publicité des
débats parlementaires est un instrument de l'acculturation politique du
peuple, de son « auto-éducation » qui permet de
convertir à l'universel les points de vue sociaux particuliers sans
être réprimés (Hegel, 2013, § 316). Portant en elle
des « traces de la raison », les principes substantiels
éternels de la justice et la constitution, elle est traversée par
une pluralité de préjugés et ressemble plus à une
pensée « ergoteuse » selon l'expression
hégélienne, c'est-à-dire une pensée incline au
bavardage creux et inefficace sur les règlements et les rapports de
l'État.
Du fait de son mode de fonctionnement, l'opinion publique est
contestable57(*),
même dangereuse car elle emprunte le « jargon de
l'authenticité et est le vrai dans la forme du
non-vrai »58(*)
avec un contenu mauvais, « le mauvais est ce qui est tout à
fait particulier et propre en son contenu, le rationnel est au contraire
l'universel en et pour soi, et le propre est ce à propos de quoi
l'opinion se figure être quelque chose » (Hegel, 2013,
§ 317). Sa contingence, son ignorance, sa perversion, la fausseté
de ses notions et de ses jugements ne retirent pas pour autant totalement
à l'opinion publique de revêtir une force de renversement et
d'autorité » car « La masse peut frapper. C'est
là qu'elle est respectable. Mais juger lui réussit
impitoyablement ». Hegel identifie parfois l'opinion publique
à une masse compacte marquée par l'ignorance, réunissant
infiniment en elle de façon immédiate vérité et
erreur59(*) qu'il ne
faut pas « véritablement prendre au
sérieux »60(*).
C'est par ignorance61(*) que le peuple peut se laisser tromper62(*), dans sa manière de se
représenter la réalité63(*), de juger ses actions et tous les
événements qui lui arrivent mais pas sur l'essentiel, et
l'opinion publique ne saurait être une manière sérieuse de
penser l'espace public car ne disposant d'aucune force obligatoire64(*)« Quelque passion que
l'on mette dans l'opinion qu'on émet, et si sérieusement que l'on
affirme ou que l'on attaque et controverse, ceci n'est pas un critère de
ce à quoi l'on a affaire en fait ; mais cet acte-d'opiner se
laisserait convaincre de tout, sauf de ce que son sérieux n' a rien de
sérieux » (Hegel, 2013 ; § 317). En dépit de
trouver sa forme rationnelle et universelle dans les débats
parlementaires et les procédures de délibération,
l'opinion publique est en outre ordonnée et mieux orientée
grâce à l'État pour cesser d'être un discours
ergoteur. Autrement dit pour Hegel, l'État est l'instance par excellence
de rationalisation65(*) de
l'opinion publique parce qu'il a un sens rationnel profond des
intérêts universels et est le cadre de la médiatisation de
la morale et de la liberté d'expression. La liberté de la
communication publique, l'envie de satisfaire cette « impulsion
dévorante que l'on a de dire et d'avoir dit son opinion, a sa garantie
directe dans les lois et règlements de police et de droit qui
empêchent d'une part des dérèglements, et d'autre part les
punissent » (Hegel, 2013, § 319).
Cela va sans dire que l'expression de l'opinion publiquereste
tout de même garantie « dans la rationalité de la
constitution », le gouvernement, mieux l'État qui cherche
avant tout à promouvoir au-dessus des émotions et des passions
potentiellement contenues dans les différents points de vue de ses
citoyens le discernement ferme et cultivé de ses intérêts.
L'État chez Hegel s'intéresse moins aux ragots citoyens, à
ce qu'il y a de moins important dans son fonctionnement et la poursuite de ses
objectifs, « de surcroît, [la liberté de
la communication publique a sa garantie] dans l'indifférence et le
mépris envers le discours superficiel et haineux auquel ceci se rabaisse
nécessairement bientôt » (Hegel, 2013, § 319). Dire
que le droit d'avoir son opinion c'est avoir la liberté de dire et
d'écrire ce que l'on veut ou la liberté de faire ce
que l'on veut relève de l'opiniâtreté, de la
grossièreté et de la superficialité tout
à fait contraires, incultes de la représentation66(*).
Aussi, l'acte-d'opiner contient-il ce qu'il y a de plus
fugitif, de plus particulier, de plus contingent pour le Maître de
Berlin67(*) qu'il consiste
parfois à tenir un discours dans une diversité infinie de contenu
et de tournures dans la posture de l'expression-extérieure
indéterminée et subjective. Ce manque de
déterminité de l'opinion publique qui pousse parfois les
gens à émettre à l'encontre des lois la prétention
selon laquelle « la décision judiciaire est un jugement
subjectif », est ce qui ne peut permettre aux lois émanant de
l'opinion publique d'accéder au statut de loi effective car il
leur manque la déterminité objective68(*)exigée de la
loi69(*).
L'acte-d'opiner serait donc réduit à un acte purement et
simplement subjectif par son contenu et par sa forme, à quelque chose
d'insignifiant70(*)
manquant d'importance d'une part, et méritant de l'autre une certaine
forme de respectabilité et de considération
précisément parce que cet acte-d'opiner « (en tant qu'il est
ma propriété, est en l'occurrence ma
propriété la plus spirituelle) et pour l'acte-de-dire
(en tant qu'expression-extérieure et usage de cette
propriété mienne) »71(*).
D'où Hegel entreprend une démarcation entre les
sciences et l'opinion publique. Les premières, c'est-à-dire les
sciences ne se trouvent guère « de manière
générale, sur le terrain de l'opinion et des vues subjectives
(...) leur exposition ne consiste pas en l'art des tournures, de l'allusion, du
demi-mot et du demi-mensonge, mais dans l'énonciation sans
ambigüité, déterminée et ouverte de la signification
et du sens »72(*). La seconde, quant à elle, porte en germe une
forme de dangerosité pour les individus, la société et
l'État et étant le déni du droit, elle mérite en
vertu de son impuissance d'être méprisée73(*) (opinions subversives) parce
qu'elle ressemble plus à une étincelle tombant sur une terre
ferme où elle disparaît sans laisser de trace. La science de
l'entendement contrairement à l'opinion publique, possède une
valeur éthique qui peut se justifier par la confiance que l'État
lui fait. Si l'opinion publique comme subjectivité de la
vie extérieure est un acte-d'opiner et d'ergoter sur la
« dissolution de la vie subsistante de l'État » qui
se trouve être détruite par sa contingence, elle peut tout de
même acquérir « son effectivité véritable
en son contraire, la subjectivité en tant qu'elle est identique
à la volonté substantielle »74(*).
Il n'en demeure pas moins que c'est l'État concret
comme le tout articulé de ses membres particuliers qui est le
garant de la participation des citoyens75(*) à la vie publique même si la
citoyenneté politique (démocratique) dépend de leur
qualification sociale. L'État refuse d'être un membre abstrait de
la vie réelle et refuse surtout la présence de toute forme
irrationnelle dans la vie démocratique, toute forme de pensée
superficielle se limitant à des abstractions ou des spéculations
mensongères.Comme détermination de l'universel,
l'État « contient le double moment [qui consiste à]
être personne privée et à être tout aussi
bien, en tant qu'être-pensant, conscience et vouloir de
l'universel »76(*) à la condition que cette conscience et ce
vouloir soient non pas vides mais totalement accomplis et
effectivement vivants loin de toute détermination
particulière ni individuelle. Chaque individu peut de ce fait par son
appartenance aux différentes corporations de la société
civile, à sa commune - parvenir grâce à l'État
à sa destination effective et vivante à l'universelqui
est de renoncer à la « fin égoïste,
dirigée vers son [propre] aspect-particulier » en se
saisissant et en se mettant en oeuvre soi-même comme fin universelle. La
fin (finalité) de la société civile dans sa
concrétude n'étant rien d'autre que
l'épanouissement et le bien-être de ses membres, tout
« membre de la société civile est, d'après son
talent particulier, membre de la corporation »77(*).
La députation entendue comme procédure en vue
de la délibération sur les affaires universelles acquiert le
statut de médiatisation et de représentation des
intérêts essentiellement universalisables. Elle exige des
candidats une disposition d'esprit, le talent et la connaissance des
institutions et des intérêts de l'État et de la
société civile, « lesquels sont acquis grâce
à la conduite effective des affaires dans des fonctions
d'autorité ou des fonctions d'État et
confirmés par les actes, ainsi que dans le sens de
l'autorité et le sens de l'État qui se forment et
s'éprouvent par-là » (Hegel, 2013, § 310). Bien
que fondus dans la masse des intérêts particuliers de/dans
l'opinion publique, les députés78(*)ne sont pas des représentants
d'individus-singuliers mais plutôt ceux des grands
intérêts sociaux ou de l'une des sphères (corporation)
essentielles de la société. En représentant leur
propre élément objectif, ils viennent défendre la
confiance mise en eux par leur électorat « ce
d'autant moins que leur réunion a pour destination d'être une
assemblée vivante, où l'on s'instruit et se convainc
mutuellement, où l'on délibère en commun »
(Hegel, 2013, § 309).
Hegel va à l'encontre de la tendance des
députés de son époque qui ont longtemps fait du Parlement
un espace conflictuel de règlement de compte individuel, et s'oppose
à la notion de députation comme mandat impératif79(*). Les députés
sont bien les représentants du peuple pour Hegel, contrairement à
Rousseau pour qui le peuple souverain ne peut avoir des représentants,
sauf à abdiquer sa souveraineté, mais tout au plus des
commissaires80(*). La
médiation représentative du peuple politiquement constitué
étant possible grâce à l'État (la
société civile81(*) ne pouvant le faire à cause de ses divisions
internes) et indirectement à l'opinion publique, les
députés siégeant au titre de représentants des
grands intérêts de la nation se doivent de trouver un
consensus82(*) lors
des assemblées délibératives : « Une autre
présupposition qui réside dans la représentation selon
laquelle tous doivent participer aux affaires de l'État, c'est
que tous s'entendent à ces affaires (Hegel, 2013, §
308).
Ø Distinction hégélienne entre
société civile-bourgeoise et État
Il existe une différence établie par Hegel
entre société civile-bourgeoise et État dont les origines
remontent seulement au XVIIIe siècle concevant la
société civile comme une association (Verbindung)
d'individus autonomes « réunis dans une universalité
seulement formelle par leurs besoins et l'organisation du travail permettant
par ses fruits de satisfaire ces besoins, au moyen d'une
constitution-juridique garantissant la sécurité des
personnes et la propriété des biens, ainsi que d'une
réglementation (ordre) extérieure destinée
à préserver les intérêts particuliers et
communs » (Hegel, 2013, § 157). L'État en tant
« qu'effectivité de la volonté substantielle,
[...] le rationnel en et pour soi »83(*), cherche à reprendre et
à rassembler ces penchants extérieurs de la société
civile autour de la fin effective de « l'universel
substantiel et de la vie publique qui lui est dédiée, - dans la
constitution-étatique ».
L'ambivalence que revêt le concept d'opinion publique
est selon le philosophe de Berlin la « conséquence directe de
la désorganisation de la société
civile »84(*)qui
ne peut pas être confondue ni réduite à l'État qui a
pour fin en soi, immobile, absolue, la garantie suprême de la
liberté et non la satisfaction des intérêts partisans. Ces
derniers font en sorte que ceux qui composent la sphère publique peuvent
se constituer en adversaires de l'État au nom de leurs
intérêts, d'où la nécessité pour
l'État de créer des liens corporatifs afin de contrer cette
désorganisation, ramener à l'universel ce particularisme
dangereux des propriétaires85(*) dont les intérêts demeurent personnels.
L'État constitutionnel bourgeois a aussi pour but d'aider les individus
à mener une vie universelle par l'unité de la volonté
objective et subjective :
« Si l'État est confondu avec la
société civile et si sa destination est située dans la
sécurité et la protection de la propriété et de la
liberté personnelle, l'intérêt des individus-singuliers
comme telsest alors la fin dernière en vue de laquelle ils sont
réunis, et il s'ensuit également que c'est quelque chose qui
relève du bon plaisir que d'être membre de l'État. Or
celui-ci a un tout autre rapport à l'individu ; attendu qu'il
(État) est esprit objectif, l'individu n'a lui-même
d'objectivité, de vérité et d'éthicité que
s'il en est membre » (Hegel, 2013, § 258, p. 417).
En démasquant le système économique
libéral où la société civile se trouve au coeur des
intérêts économiques, réalise d'énormes
profitset surtout «où « chacun cherche à
satisfaire ses besoins particuliers en poursuivant ses buts
égoïstes 86(*)», Hegel entend promouvoir l'idée de la
régulation de la société civile par l'État qui est
« par essence, une organisation de maillons tels qu'ils sont pour
soi des cercles, et, en lui, aucun moment ne doit se montrer comme une
multitude inorganique » (Hegel, 2013, § 303, p. 507).
L'État en rassemblant des individus-singuliers c'est-à-dire le
peuple comme un être-ensemble dans une multitude
cherche avant tout à favoriser leur bien-être et leur
épanouissement, s'oppose aux penchants individualistes ou atomistiques
de ses citoyens : « La satisfaction de chacun est attendue de la
confrontation externe, du calcul d'intérêt et de la
résultante des intérêts particuliers cherchant leur
expression libérale. C'est donc le règne du chacun pour soi,
duquel l'on attend automatiquement, comme d'un « système de
l'atomistique » (...) le règne du chacun pour tous et du tous
pour chacun »87(*).
La réduction de la sphère publique à un
« outil pédagogique »et non plus à une
« sphère où la raison devrait se
réaliser » ou se déployer dans la dynamique de
l'Aufklärung fait en sorte que l'opinion publique devienne «au
contraire le principe d'une éducation civique dispensée par
l'autorité88(*) qui
ainsi la récupère ». Autrement dit, ce n'est plus
à l'opinion publique d'être médiatrice de la Raison et de
promouvoir par son seul pouvoir (arbitre) sans la présence de
l'autorité étatiqueEt l'État comme
réalité morale par sa seule existence assume avec Hegel la
tâche de concrétiserle règne de la rationalité au
sein d'un ordre juste et parfait, tendance qui sépare donc toute
idée d'accord de la politique et de la morale d'autant plus que la
rationalisation de la domination par la Publicité est un faux
problème89(*).
L'entité régalienne en dépit d'incarner
« l'objectivité morale » est par nature
l'émanation même de la justice car « aucune
décision judiciaire est un jugement subjectif ». Ne pas
reconnaître cette puissance de l'État qui demeure objectif,
dénigrer le gouvernement et ses instances administratives, ses
fonctionnaires apparaissent aux yeux de Hegel comme autant de crimes ou
délits aux degrés les plus divers90(*), l'expression-extérieure du terrain
subjectif déterminé par la particularité
:
On a, un temps, beaucoup glosé sur l'opposition de la
morale et de la politique et sur l'exigence que la seconde soit conforme
à la première. Il nous appartient de remarquer que de
manière générale à ce propos que le bien-être
d'un État a une tout autre justification que le bien-être de
l'individu-singulier et que la substance éthique, l'État, a
immédiatement son être-là, c'est-à-dire son droit,
non pas dans une existence abstraite, mais dans une existence concrète
[ ;] seule cette existence concrète, et non pas l'une des multiples
pensées universelles que l'on tient pour des injonctions morales, peut
être principe de son action et de sa conduite. S'agissant du
caractère présumé contraire au droit que doit toujours
avoir la politique dans cette opposition présumée, ce point de
vue repose encore bien plus sur la superficialité des
représentations de la moralité, de la nature de l'État et
du rapport de celui-ci avec le point de vue moral(Hegel, 2013, § 337, p.
540).
La sphère publique n'étant plus que l'ombre
d'elle-même à cause des contradictions de son propre
système, Hegel en conclut qu'une société anarchique ne
saurait s'émanciper de la domination et que même la
société civile eu égard à sa tendance naturelle
à la désorganisation mérite d'être
intégrée à l'État même par la
force91(*). Si
Hegel semble ignorer que les progrès accomplis par les états
constitutionnels en matière de défense des intérêts
communs (corporations) furent rendus possibles grâce à la
société civile qu'il disqualifie presque au profit de
l'État, Marx lui fait remarquer plutôt que la révolution
politique ayant abouti à la constitution de l'État politique en
abolissant la société civile a consolidé la domination des
propriétaires dorénavant « seuls maîtres de l'espace
public par leurs propriétés »92(*).S'ensuit une critique de Karl
Marx sur la sphère publique politiquement constituée et
dominée par la bourgeoisie.
2- Karl Marx :
critique de l'État et du droit politique
hégéliens :
Grand lecteur de Hegel, Karl Marx a entrepris une grande
critique de l'hégélianisme car n'étant pas convaincu par
toute la rationalité du réel et toute la réalité de
la raison se déployant dans le système hégélien,
précisément dans l'État moderne « tel que Hegel
en a déchiffré la rationalité
essentielle »93(*). D'emblée, il sied de rappeler l'importance de
l'influence intellectuelle et culturelle large, haute et profonde
qu'exerçait la pensée de Hegel sur la génération de
Marx d'autant plus que « la tâche critique est la forme que
prenait toute la philosophie post-hégélienne ou « jeune
hégélienne » de gauche après la disparition du
philosophe de Berlin » (Quelquejeu, 1979, p. 21). Marx entreprend une
critique radicale du concept hégélien de l'État en
analysant scrupuleusement la structure cachée du pouvoir politique
effectif : « Hegel - écrit Marx - n'est pas à
blâmer parce qu'il décrit l'essence de l'État moderne comme
elle est mais parce qu'il allègue ce qui est comme l'essence de
l'État » (Marx, 1975, p. 113).94(*)
En publiant en 1842 l'article intitulé
« Débats sur la liberté de la
presse »95(*),
Marx se fait connaître du grand public par sa critique remarquable sur la
Diète (institution représentative reposant sur les états -
Stande - que défendait Hegel dans ses Principes de la
philosophie du droit)96(*) comme grand journaliste politique vigilant
à la fois ironique, tranchant et profond. Marx rend compte dans cet
article des débats tenus à la Diète97(*) dans laquelle assemblée
« les orateurs bourgeois défendent alors la liberté de
la presse au nom de principes qui, d'après lui, en trahissent
le sens »98(*),
censure des articles de façon arbitraire alors que la loi que
l'État est censé promouvoir a pour vocation de garantir les
libertés individuelles et collectives et non de les restreindre ni de
les réprimer. Si Marx affirme avec insistance que « La
liberté de la presse, c'est la liberté pour la presse de
n'être pas un métier », c'est précisément
parce que la liberté d'informer, de s'exprimer, de prendre position
porte avant tout une dimension collective, sociale qui ne doit pas se
réduire à la seule portée individuelle de son auteur ni
à sa personne. Cette liberté est en principe garantie par
l'État hégélien qui en tant que
« réalité effective de la volonté substantielle,
réalité qu'il possède dans la conscience de soi
particulière élevée à son universalité est
le rationnel en soi et pour soi » (Hegel, 2013, § 248), la
réalité effective de la liberté concrète.
Mais la liberté d'opinion de Marx va tout de suite se
heurter à la réglementation de la censure de ses écrits
que lui impose l'administration prussienne qui ira même jusqu'à
envisager la suppression de la Gazette Rhénane devenue le lieu
d'expression et des opinions de Marx. Cette censure dont il est victime permet
au jeune Marx de réfléchir sur les fondamentaux de l'État
hégélien qui ont nourri son esprit politique de jeunesse avec les
idéaux de liberté, de rationalité, d'universalité,
l'État selon Hegel étant opposé aux intérêts
particuliers ou partisans de quelques -uns. Au-delà, son
analyse des procès-verbaux lors des délibérations de la
Diète aide Marx à démasquer de façon
décisive la vraie nature de l'État : « loin de se
comporter comme une assemblée politique selon les règles d'un
État véritable, garant de l'intérêt collectif, la
Diète s'est comportée comme une assemblée de
propriétaires. L'État concret est celui de la
propriété privée » (Quelquejeu, 1979, p. 28).
L'intérêt privé est en
réalité le but final de l'État qui prétend s'y
opposer et son souhait caché est le périssement du monde du droit
et de la liberté pourvu que les intérêts des
propriétaires soient assurés et que les prolétaires soient
tenus au silence. Dans ses articles consacrés à la Loi sur
les vols de bois publiés par la Gazette Rhénane les
25, 27, 30 octobre et les 1eret 3 novembre 1842, Marx s'oppose avec
véhémence au fait qu'un droit de l'État puisse ne pas
s'appliquer à certains particuliers (propriétaires) en vertu de
leur influence et des intérêts économiques qu'ils ont dans
l'exploitation du bois. En refusant de sanctionner des voleurs de bois qui sont
ses ennemis, l'État se laisse voler une partie de son autorité
par la classe dominante des propriétaires qui s'est appropriée le
pouvoir d'État à tel point que ce dernier n'a de valeur que
formelle et non matérielle :
Que la propriété privée n'ayant pas les
moyens de s'élever au point de vue de l'État, l'État a
l'obligation de s'abaisser aux moyens, contraires à la raison et au
droit, de la propriété privée. [...] Cette
prétention de l'intérêt privé, dont l'âme
misérable n'a jamais été éclairée ni
traversée par une pensée d'État, constitue pour
l'État une leçon sévère et profonde. Que
l'État condescende, ne fût-ce que sur un seul point, à agir
non pas à sa propre façon, mais à la façon de
l'intérêt privé, la conséquence immédiate en
sera que, pour la forme de ses moyens, il devra s'accommoder aux limites de la
propriété privé (Marx, 1952, p. 146-147).99(*)
Cela signifie tout simplement pour Marx que l'État
hégélien est envahi substantiellement par des
intérêts privés qui menacent la réalisation de son
universalité et pervertissent son orthodoxie. Les
autorités de l'État, les représentants du peuple et tous
ceux qui siègent à la Diète ne sont que des
domestiques des propriétaires des forêts dont les
intérêts sont « l'âme qui fait marcher
l'État. Tous les organes de l'État sont des oreilles,
des yeux, des bras et des jambes avec lesquels l'intérêt du
propriétaire de forêts écoute, espionne, évalue,
protège, saisit et court »100(*). C'est donc à contrecoeur que Marx suit les
débats ennuyeux de la Diète qui est à ses yeux ni
plus ni moins « une assemblée ne comprenant que des
représentants d'intérêts privés »,
une assemblée qui ne peut pas légiférer en faveur du
pauvre, de la veuve, du veuf et de l'orphelin.
Pendant que la philosophie (Hegel) chercher à
légitimer l'État rationnel et ses idéaux de
réalisation de la liberté, d'universalisation des
intérêts publics, de publicité de la raison et
d'égalité des hommes via les droits de l'Homme, Marx constate que
le vrai pouvoir, le pouvoir effectif, lui, est entre les mains des
propriétaires et de leurs intérêts privés
(Quelquejeu, 1979, p. 29). La prise en compte de la réalité
politique dans toute sa matérialité en cherchant à la
transformer par le changement de leurs rapports est ce qui devrait
préoccuper la philosophie selon Marx car s'il existe un mensonge
légal, c'est « le mensonge que l'État est
l'intérêt du peuple ou le peuple l'intérêt de
l'État. C'est dans le contenu que ce mensonge se
dévoilera » (Marx, 1975, p. 115)101(*).C'est ce mensonge qu'il
faudrait selon Marx soit dissoudre totalement, soit changer en une
vérité car en dépit d'être mensonge, il est surtout
une illusion politique comme le fut jadis le pouvoir politique
métaphysique :
« Partout l'État suppose la raison comme
réalisée. Mais partout il tombe également dans la
contradiction entre sa définition théorique et ses
hypothèses réelles. Dans ce conflit de l'État politique
avec lui-même, la vérité sociale peut donc être
dégagée partout. De même que la religion est le sommaire
des luttes théoriques de l'humanité, l'État politique est
le sommaire de ses luttes pratiques. L'État politique exprime donc sous
sa forme sub specie rei publicae toutes les luttes sociales, tous les
besoins sociaux, toutes les vérités sociales. [...] Le critique
ne peut donc pas seulement, il doit s'occuper de ces questions politiques -
[...] Rien ne nous empêche donc de rattacher notre critique à la
critique de la politique, à la prise de parti en politique, donc
à des luttes réelles et de l'y identifier »102(*)
Dans la Critique du droit politique
hégélien, Marx s'intéresse principalement aux
paragraphes 261-313 des Principes de la philosophie du droit de Hegel
qu'il revisite à nouveaux frais tant le système
hégélien ne le convainc guère qu'il est
scandalisé par le gouvernement de son époque souffrant
d'une administration incapable et corrompue. Marx s'attaque pour le moins
à la structure de l'État, son organisation, son fonctionnement et
sa structuration ; il cherche à comprendre les racines
réelles du pouvoir d'État en entreprenant une révision
critique de la Philosophie du droit de Hegel et tente de
« résoudre les doutes qui l'assaillaient ». La
compréhension hégélienne de l'État permet à
Marx de voir l'essence de cet État moderne comme avant tout un
État bourgeois dont les fonctions que Hegel leur assigne sont en
contradiction avec leurprétendue essence. Cet État ne
garantit pas la liberté publique universelle encore moins la
liberté de l'opinion publique, et il se trouve que le peuple attache
plus d'importance et de crédibilité aux états ou
corporations qu'aux institutions publiques qui sont censées garantir et
confirmer sa liberté et son assurance :
Mes recherches aboutirent à ce résultat que les
rapports juridiques - ainsi que les formes de l'État - ne peuvent
être compris ni par eux-mêmes, ni par la prétendue
évolution générale de l'esprit humain, mais qu'ils
prennent au contraire leurs racines dans les conditions matérielles
d'existence dont Hegel, à l'exemple des Anglais et des Français
du dix-huitième siècle, comprend l'ensemble sous le nom de
«société civile » (bürgerliche Gesellschaft ), et
que l'anatomie de la société civile doit être
cherchée à son tour dans l'économie politique (Marx, 1957,
p. 4).103(*)
3-
Députation et représentation publique réelle : Marx
et le formalisme de l'État hégélien :
Hegel pour Marx s'est montré
non-critique104(*)avec la réalité en
méprisant formellement l'esprit de l'État, l'esprit
éthique, la conscience de l'État là où il les
rencontrait sous une forme ou figure empirique réelle,
c'est-à-dire dans le quotidien de ses contemporains (Marx, 1975, p.
109). En faisant preuve de « mysticisme », de mystification
patente, d'abstraction mystique ou fantasmatique de la réalité
politique, Hegel idéalise la bureaucratie et empirise la conscience
publique, populaire, qui en réalité est la source légitime
de tout État105(*). Mais Hegel n'est pas à blâmer
« parce qu'il décrit l'essence de l'État moderne comme
elle est mais parce qu'il allègue ce qui est comme l'essence de
l'État. Que le raisonnable soit réel c'est ce qui se montre
justement dans la contradiction de la réalité
déraisonnable qui toujours et partout est le contraire de ce
qu'elle énonce et énonce le contraire de ce qu'elle
est » (Marx, 1975, 113). Si Hegel parle de la
« subordination » et de la
« dépendance » comme deux modes de
comportement de l'État à l'égard de ses sujets, c'est
justement parce que l'État est une réalité
extérieure qui ignore sa propre nécessité
intérieure en empruntant une identité extérieure
obtenue par force.
Avec une identité extérieure, l'État
perd de son efficacité et devient le mobile mystifié de la
pensée abstraite106(*) et individuelle du souverain qui au nom de son
arbitraire en incarne la rationalité et la justesse par la clarté
de ses vues, Hegel pensant que la souveraineté populaire est un leurre
et seul le monarque peut bien l'incarner dans l'État constitutionnel.
Au-delà, la souveraineté du monarque est chez Hegel plutôt
corporelle dans l'ordre de la naissance naturelle.
« À la pointe extrême de l'État déciderait
par conséquent, au lieu de la raison, la simple physis. La
naissance déterminerait la qualité du monarque comme elle
détermine la qualité du bétail » (Marx, 1975, p.
73). De même, Marx pense que la monarchie est une inconséquence,
« une espèce et une mauvaise espèce », une
partie qui détermine le caractère du tout (une minorité de
riches prolétaires qui contrôle tout le système de
l'État), alors que la démocratie est la vérité de
la monarchie qui ne peut pas être comprise par elle-même. En tout
état de cause, la monarchie estcensée être
seulement « forme » mais elle falsifie le
« contenu » et refuse l'idée de toute
représentation populaire véritable expression de son
identité107(*) :
Dans la monarchie, le tout, le peuple, est subsumé sous
l'une de ses manières d'être, la constitution politique ;
dans la démocratie, la constitution elle-même
n'apparaît que comme une détermination, à savoir
comme autodétermination du peuple. Dans la monarchie nous avons le
peuple de la constitution, dans la démocratie la constitution du peuple.
La démocratie est l'énigme résolue de toutes les
constitutions. Ici, ce n'est pas seulement en soi, selon l'essence,
mais selon l'existence, la réalité, que la constitution
est continûment reconduite dans son fondement réel, l'homme
réel, le peuple réel et qu'elle est posée
comme son oeuvre propre. [...] Hegel part de l'État et fait de
l'homme l'État subjectivé. La démocratie part de l'Homme
et fait de l'État l'homme objectivé.108(*)
Être membre de l'État est une
détermination abstraite qui se conçoit comme
dessaisissement individuel en vue l'inclusion à l'ordre de l'universel
dans la perspective hégelienne. Cette abstraction qui est le reflet du
formalisme de l'État signifierait en même temps que
l'élément démocratique ne peut être conçu et
reçu à titre formel et non matériel, ce à quoi
s'oppose l'auteur du Capital. En effet, dépité
par le formalisme du droit politique de Hegel, Marx réfute
fondamentalement le formalisme de l'État hégélien qui
présuppose la participation aux délibération et
décision politiques et précisément les élections
des députés comme une procédure de valorisation des
intérêts universels des seuls députés et non des
membres de la société civile-bourgeoise (le grand nombre, la
multitude), leurs mandataires. En demandant aux députés de
valoriser les affaires universelles d'un côté et de ne
pas prendre en compte les intérêts de leur commune, de leur
corporation, Marx constate que Hegel tombe soit dans un paralogisme, soit
commet une contradiction performative sur la signification politique de
« l'universalité empirique qu'il a lui-même
défendue109(*).
Si l'on admet que la consultation et la
décision110(*)sont l'effectuation de l'État comme
affaire réelle, il en découle que tous les membres de
l'État doivent avoir un rapportà l'État comme
à leur affaire réelle et l'État doit les recevoir
comme sa partie111(*).
Leur participation réelle au fonctionnement de l'État est
nécessaire d'autant plus que les conséquences et les effets
secondaires résultant des lois votées par les
députés concernent leur vie concrète, leur monde
vécu (Habermas, 1992, p. 34)112(*). Les affaires de l'État dans leur
universalité étant une affaire politique, il s'ensuite que
prendre part aux affaires universelles de l'État c'est aussi prendre
part à l'État. Hegel, parce qu'il estime que le peuple non
souverain manquerait de maturité politique pour élire ses
représentants de façon réfléchie estime de
même que ce peuple, particulièrement les personnes privées
qui le composent ne peuvent pas directement participer aux affaires de
l'État à cause de leurs représentations
atomistiques. Mais on ne saurait réduire l'État aux
députés ou au pouvoir législatif, ce qui serait
réduire l'État à la « totalité politique
du pouvoir législatif » et limiter son existence qu'au statut
d'État politique remarque Marx (1975, p. 181). Soit
l'État existe réellement, effectivement par l'expression de la
volonté populaire, soit le peuple serait dénué de son vrai
pouvoir de membre politique réel/actifet contraint de se taire
dans le silence de son oppression ou de sa
méconnaissance :
Que par conséquent un membre de l'État, une
partie d'État prenne part à l'État et que cette
participation ne puisse apparaître que comme consultation ou
décision ou dans des formes semblables, que par
conséquent tout membre de l'État participe à la
consultation et décision (si ces fonctions sont
saisies comme les fonctions de la participation réelle de
l'État) est une tautologie. S'il est par conséquent
question de membres réels de l'État, il ne peut pas
être question de cette participation sur le monde du
devoir-être. Dans ce cas, il serait bien plutôt question
de sujets qui doivent être à ce qu'on dit les membres
de l'État et veulent l'être mais ne le sont pas
réellement.113(*)
Le désir de la société civile-bourgeoise
(de lamasse) à acquérir son existence politique réelle en
remplaçant la société civile-bourgeoise fictive
(défendant les intérêts particuliers des prolétaires
masqués en prétendus intérêts universels) se montre
à l'égard de Marx comme « l'effort de la participation
la plus universelle possible au pouvoir
législatif » (p. 182).Si la société
civile-bourgeoise réelle doit remplacer celle fictive, c'est surtout
parce que Hegel retire aux députés leur mission essentielle qui
est de « représenter les intérêts des
corporations » car en abrogeant cette fonction de
représentation des intérêts de la masse, Hegel
sépare entièrement les députés de leur fonction
de corporation. Et par là également « il
sépare la corporation d'avec soi comme d'avec son contenu réel,
car elle n'est pas censée élire de son point de vue mais
au contraire du point de vue de l'État, c'est-à-dire
qu'elle est censée élire dans sa non-existence comme
corporation » (Marx, 1975, p. 186-187).
Or, séparer l'État politique de la
société civile-bourgeoise réelle apparaît comme la
séparation des députés d'avec ses mandataires. Pour Marx,
Hegel se contredit doublement. D'abord formellement, il est dit que les
députés de la société civile-bourgeoise sont
liés à leurs commettants juste formellement parce qu'ils les
mandatent mais matériellement ils sont libres de valoriser d'autres
intérêts114(*). Ils sont mandatés formellement par les
membres de leur corporation « mais dès qu'ils le sont
réellement ils ne sont plus des commis. Ils
sont censés être des députés et ne
le sont pas » (p. 187). Ensuite matériellement, ces
députés se contredisent dans l'accomplissement de leur mission.
Ils sont mandatés pour représenter des intérêts
universels de leurs mandants alors qu'ils « représentent
réellement des affaires particulières », des
intérêts privés des propriétaires115(*). De même, Hegel
accorde à la confiance la valeur substantielle de la
députation au point où avoir confiance à son
représentant, en un homme c'est considérer qu'il aura
l'intelligence de traiter ma Chose comme sa Chose en donnant le meilleur de son
savoir et de toute sa conscience morale. Ce que semble contredire la
réalité quand l'on sait que la confiance en un élu ne
garantit ni plus ni moins la défense des intérêts de ses
mandants et ne le met pas à l'abri de toute manipulation. Mais pour
Marx, les intentions cachées de Hegel sont de vouloir céder le
pouvoir politique réel aux mains de la bureaucratie dans un élan
de confiscation totale :
Ce qu'il exige réellement ici c'est que le pouvoir
législatif soit le pouvoir réellement
gouvernant. C'est ce qu'il exprime en exigeant la bureaucratie deux
fois, une première fois comme représentation du prince et la
seconde fois comme représentante du peuple. [...] Hegel oublie en ceci
qu'il a fait partir la représentation des corporations et que
le pouvoir gouvernemental fait face directement à celles-ci. 116(*)
Là où l'inconséquence de la
pensée de Hegel et son sens de l'autorité
supérieure finissent par « être
dégoûtants »117(*) pour Marx c'est quand il surestime la valeur de
l'État au-delà de l'opinion publique qui lui paraît
subjective, avec une confiance en soi excessive. L'État
hégélien ayant pour mission de se passer du « manque de
sérieux de l'opinion publique » (Hegel, 2013, § 317, p.
521), Marx réfute ce modèle qui traduit plutôt la
servilité de son auteur « infecté de
l'arrogance mesquine du monde des fonctionnaires prussiens qui, avec
leur distinction de bureaucrates bornés, jettent un regard condescendant
sur la « confiance en soi » de « l'opinion
subjective du peuple sur lui-même ».
« L'État » est ici partout pour Hegel identique au
« gouvernement » (Marx, 1975, p. 190). Ces hauts
fonctionnaires dont l'accumulation du capital repose sur l'appropriation d'une
plus-value rendue possible par l'exploitation des ouvriers consolident au nom
de leurs intérêts privés une société de
classes au sein de laquelle « les chances d'une ascension sociale,
qui permettrait à l'ouvrier salarié de devenir lui-même
propriétaire, ne cessent de diminuer » (Habermas, 1978, p.
132).
Marx tire donc comme leçon de sa critique de la
philosophie du droit hégélien que la
« république », ce qu'on appelle
précisément un État sous sa forme constitutionnelle
bourgeoise est nécessairement le régime d'un pays où
«la sphère privée acquiert une existence
autonome ». Il va sans dire que c'est seulement là où
les sphères privées sont parvenues à une existence
autonome que la constitution s'est développée en tant que telle
(p. 71). Marx considère d'un oeil critique cette
« sphère publique politiquement orientée » et
par conséquent « l'indépendance
théorique » de l'opinion publique des propriétaires qui
font usage de leur raison en se croyant de purs et simples êtres humains
jouissant de leur autonomie » (Habermas, 1978, p. 132). La conscience
et l'opinion publiques des propriétaires est selon Marx totalement
idéologique, de l'ordre des dominants qui doivent protéger
leurs intérêts privés par le masque de l'État
totalement acquis à leur solde. Marx place la
« république » face à sa propre image qui
renvoie à une contradiction criarde d'intérêts et de
principes et dénonce l'opinion publique comme étant une fausse
conscience qui « se dissimule à elle-même son
véritable caractère qui est de masquer les intérêts
de classe de la bourgeoisie »118(*).
Ainsi, ce penchant pour les propriétaires de
privilégier leurs intérêts dans les discussions publiques
empêche selon Habermas que les décisions découlant de ces
délibérations correspondent aux idéaux de justice et de
justesse normatives au point où l'identification essentielle sur
laquelle repose l'opinion publique à savoir « l'identification
de la Publicité à la raison »
s'effondre119(*). Ce
qui entraîne en même temps l'impossibilité de créer
un cadre légal qui transformerait la « domination politique en
une autorité rationnelle sur la base d'une société civile
qui elle-même repose sur l'exercice sur l'exercice de la
violence »120(*). De même, la neutralisation des rapports de
force au sein du processus de reproduction de l'existence sociale
fût-elle efficace ni la dissolution des rapports féodaux de
domination au sein du public faisant usage de sa raison ne peuvent garantir le
dépassement de la domination politique.Étant en proie à
une crise de « mutation structurelle » et d'une
« désintégration substantielle »
menaçant sa fonction critique de « rationaliser la
domination », Habermas à la suite de Marx note que l'espace
public est devenu le lieu de propagande d'une « publicité
fabriquée et d'une opinion non-publique » qui a pour but de
manipuler le comportement électoral de la population et d'influencer son
orientation politique. C'est la publicité démonstrative et
manipulatoire qui refuse toute communication publique, intersubjective, toute
discussion rationnelle comme préalable à la validité de
toute disposition normative et considère les votants comme une
« clientèle électorale »121(*).
Chapitre 5 Chapitre 3 : DE LA
TRANSFORMATION STRUCTURELLE DE L'ESPACE PUBLIC À SA REFONDATION PAR LA
RATIONALITÉ COMMUNICATIONNELLE
1- Industrie du
divertissement et déclin de la sphère publique littéraire
bourgeoise :
La sphère publique bourgeoise s'est formée sur
fond de tensions entre la société et l'État, ces deux
entités qui formaient sa structure principale. Avec le
développement des échanges, du commerce et la formation des
États nationaux, la concentration du pouvoir public par
« l'autorité publique » voit le jour et
l'État ne peut s'empêcher d'accroître son interventionnisme
en réduisant de ce fait « l'autorité des personnes
privées sans pour autant porter réellement atteinte au
caractère privé de leurs
échanges » (Habermas, 1978, p. 150). Cet
interventionnisme serait surtout la conséquence de la transformation des
conflits d'intérêts en conflits politiques et l'extension de
l'autorité de l'État à des domaines relevant jadis du
privé le conduit à se substituer dans certaines situations au
pouvoir social. À partir du moment où la base de la sphère
publique bourgeoise (État et société) commence à se
désagréger, commencent à naître simultanément
la dialectique de la « socialisation de l'État » et
une sorte « d'étatisation progressive de la
société ».
La sphère publique politique où les personnes
rassemblées en un public réglaient ensemble leurs affaires
relatives aux échanges commence à disparaître au profit
d'un État « veilleur de nuit »122(*), ou encore un État
aux dires de Franz Leopold Neumann « aussi fort que l'exigeait, dans
l'intérêt de la bourgeoisie, la situation sociale et
politique ». Le fait que quelques-uns détiennent la plupart
des échanges d'un côté et de l'autre que la sphère
publique soit devenue un organe de l'État a occasionné une
certaine forme de violence auprès des couches sociales
paupérisées. Ce qui signifie que la sphère publique
« n'est pas parvenue à évacuer les
intérêts privés » et que les décisions de
l'État se penchent tantôt du côté des
minorités économiquement vulnérables tantôt en
faveur des propriétaires. Ces derniers ont pour le moins en commun
ceci : « l'absence de tout usage de la raison sur le plan
littéraire comme dans le domaine politique » (Habermas, 1978,
p. 171).
Le modèle des activités économiques, du
succès, de l'efficacité et de la rentabilité remplace avec
l'essor du capitalisme le paradigme de la discussion de société
entre les individus. Mais le besoin de faire usage publiquement de sa raison ne
disparaît réellement en tant que tel puisqu'il existe toujours au
XVIIIe siècle puisqu'il existe encore des activités
littéraires pour former l'opinion publique comme le
« salon » bourgeois, des forums politiques et les maisons
d'édition, les stations de radio, des associations développent
des débats publics et animent des tribunes. Malgré leur apparente
rationalité, ces activités culturelles revêtent une valeur
commerciale et ont le statut de « bien de consommation » car il
fallait payer pour lire, aller à une conférence mais
« pas pour parler de ce qu'on avait lu, vu ou entendu »
à tel point que les « débats publics, tables rondes --
l'usage que les personnes privées faisaient de leur raison devient un
show où se produisent les stars de la télé et de la
radio »123(*).
La discussion réduite à une affaire formelle, le
consensus qui en découle paraît superflu.
Cette transformation structurelle de l'espace public
s'attaque aussi aux oeuvres d'art dont la
« rationalité » était le résultat
d'une cohérence, expression d'un engagement social. Mais cette
rationalité critique de l'art s'est convertie avec l'avènement de
la société de consommation en « rationalité
instrumentale » qui abolit comme le précisent Adorno et
Horkheimer l'autonomie de l'oeuvre d'art puisque ses réalisations sont
conçues comme des marchandises que « la masse consomme
passivement »124(*). Si cette culture de masse a abouti à une
« massification des consciences » selon l'expression de
Georges Lukács125(*) dans le domaine de la culture de consommation
lié à l'art, cette tendance a des incidences aussi dans la vie et
l'engagement politique où l'industrie culturelle en plein essor cherche
uniquement l'extension de son chiffre d'affaires en offrant au public dont le
niveau culturel s'appauvrit continuellement des contenus de détente et
de distraction126(*).
Horkheimer et Adorno constatent que la fusion de la culture
et du divertissement « n'entraîne pas seulement une
dépravation de la culture, mais une intellectualisation forcée du
divertissement »127(*) et le marché du divertissement en donnant
accès au public au contenu de sa marchandise adapte le contenu de ses
productions culturelles aux attentes de cette même masse « de
sorte qu'il leur en facilite la réception sur le plan
psychologique aussi » (Habermas, 1978, p. 174). Dans La
dialectique de la raison, ils font remarquer que l'industrie culturelle
bourgeoise emprunte des voies détournées et inaperçues
pour manipuler les masses, -- l'opinion publique -- lesquelles masses qui non
seulement sont incapables de lui résister mais surtout ne le veulent pas
non plus parce qu'elles sont d'accord et approuvent ce statut de
« consommateur exploité et abusé ». Dans
l'industrie culturelle s'engage le processus autoritaire de la raison en tant
qu'instrument de domination au service de « l'abrutissement de
l'opinion publique » occasionnant le déclin de la
sphère publique128(*).
a. Les mass media et la
« publicité consommée » :
Quant aux organes publicitaires des clubs de lecture, ils
préfèrent renoncer à toute critique en court-circuitant
toute communication parce qu'ils se posent et s'imposent comme « le
seul lien existant entre l'éditeur et le lecteur. Les clubs du livre
régissent leur clientèle sans qu'il y ait d'intermédiaire
entre l'édition et la réception »128(*). Vers la fin du XIXe
siècle, le style américain de la grande Presse commence
à s'imposer sur le continent européen avec un style
d'informations qui se repose essentiellement sur des présentations
à des fins commerciales et qui élimine « les
informations et les éditoriaux politiques qui traitent de thèmes
à caractère moral comme la tempérance et le
jeu »129(*).
Les informations sur les affaires publiques, les problèmes sociaux,
l'économie, l'éducation ou la santé qui ne
présentent pas de bénéfice immédiat pour les
médias sont évincées au profit de celles qui procurent
plus de plaisir comme les bandes dessinées, les new stories,
etc. La « distance émancipatoire »
(Mündigkeit)130(*) longtemps présente dans les médias
comme la radio et la télévision disparaît à mesure
que l'information tend à s'imposer comme vérité à
l'auditeur ou au téléspectateur par l'assimilation
« car les émissions, telles qu'elles sont diffusées par
les nouveaux média, réduisent singulièrement la
possibilité qu'ont leurs destinataires de réagir, ce qui est
moins le cas des informations imprimées » (Habermas, 1978, p.
179).
Les mass media n'ont pas selon l'analyse
habermassienne réellement remplacé la sphère publique
réelle où la subjectivité était corrélative
de la Publicité131(*). Ils ont au contraire transformé
l'espace public littéraire en un bien de consommation doté d'un
public consommateur qui vient nourrir son esprit non plus de
« thématisations contradictoires » mais des gloires
et réalisations personnelles selon une « stratégie
commerciale ». En outre, ils se répandent plus d'abord vers
les classes supérieures, celles qui sont capables de se procurer des
télévisions encore un luxe à l'époque pour ensuite
se propager vers les classes inférieures, les plus pauvres. On passe
donc d'un public qui faisait un usage culturel de sa raison à un public
de consommateurs de culture, lequel serait envahi et écartelé par
la masse des consommateurs, les journaux à sensation, la presse de
loisir :
Il est possible de résumer ainsi encore une fois le
déclin de la sphère publique littéraire : la surface
de résonance que devait constituer cette couche sociale cultivée,
et éduquée pour faire de sa raison un usage public, a volé
en éclats ; le public s'est scindé d'une part en
minorités de spécialistes dont l'usage qu'ils font de leur raison
n'est pas public, et d'autre part en cette grande masse des consommateurs d'une
culture qu'ils reçoivent par l'entremise de media publics.
Mais, par là même, le public a dû renoncer à la forme
de communication qui lui était spécifique.132(*)
Ce modèle de la culture de consommation fait son
entrée également dans les campagnes publicitaires politiques et
économiques pout contrôler et manipuler l'opinion au service des
plus forts désorganisant totalement la sphère publique qui
autrefois jouait le rôle de médiateur entre l'État et la
société. De la publicité « dispensée par
le haut », l'on ne peut attendre rien d'autre qu'une volonté
de « domination » de l'opinion non-publique dans laquelle
les catégories d'universalité, de justesse, de
vérité et de justice sont absentes. Cette
« Publicité » permet de manipuler le
public, en même temps qu'elle est le moyen dont on se sert pour se
justifier face à lui. Ainsi la
« Publicité » de manipulation prend-elle le pas sur
la Publicité critique ».133(*) La rupture du lien entre
discussion publique et norme légale a transformé l'idéal
émancipatoire de la sphère publique et son autonomie, ce qui fait
en sorte que les procédures de délibération ne peuvent
plus garantir l'intérêt général public. Les pouvoir
législatif et exécutif s'enchevêtrent dans un jeu
d'influence, le premier empiétant sur le fonctionnement de
l'administration et le second étendant son activité
au-delà de ses limites (la loi des pleins pouvoirs).
Si avant les intérêts concurrents pouvaient
trouver leur prétention à la rationalité par une
justification publique, la publicité comme commercialisation et trafic
d'influence de l'information se charge à travers la
« propagande publicitaire » s'est substituée
à la discussion rationnelle « et le consensus qui
résultait d'un usage public de la raison cède le pas au compromis
non-public qu'on arrache ou tout simplement qu'on impose »134(*). Dans ce cas de figure, les
lois promulguées et les normes sociales en vigueur sont celles qui
conviennent aux détenteurs des outils de propagande que sont les
propriétaires pour Marx et les lois sortant de telles procédures
ne peuvent plus posséder quelconque caractère de
vérité.
La sphère publique parlementaire -- la pierre de touche
de la « vérité » des lois -- elle aussi s'est
décomposée en Allemagne au début du XIXe
siècle avec un « public vassalisé »,
requis aux fins plébiscitaires d'une acclamationet totalement
éloigné des procédures d'exercice et de
rééquilibrage des pouvoirs. On ne peut plus compter sur le
principe de « Publicité » pour
« rationaliser la domination » ni d'en être garant
car sa subversion est la conséquence d'une transformation des structures
de l'espace public. C'est ce qui fait dire au professeur Gerhard Leibholz,
juriste et membre du Tribunal constitutionnel fédéral allemand
que :
La discussion perd son caractère heuristique (...). Les
discours tenus lors des réunions plénières du Parlement
n'ont plus pour fonction de convaincre les députés dont les
opinions sont divergentes, mais ils s'adressent directement à la
bourgeoisie active -- tout du moins lorsqu'il s'agit de questions fondamentales
qui décident de la vie politique (...). La sphère publique, qui
autrefois vivait des débats parlementaires en donnant de son
côté un éclat particulier au Parlement, revêt ainsi
un caractère plébiscitaire135(*)
Autant dire que les mass media comme nouvelle forme
de communication ont donné une nouvelle dynamique à l'espace
public en le modelant autrement « par une
désintégration au sein des États-providence du capitalisme
industrialisé »136(*). La sphère publique envahie par la
« commercialisation », l'on ne peut plus délimiter
la frontière qui séparait le privé du public d'autant plus
que l'autonomie de l'information relayée par les médias est sans
cesse menacée. Si avant, le contenu de l'information
médiatisée était contrôlé par les savants et
les écrivains qui en étaient les « garants de
l'objectivité morale » et de sa fiabilité137(*), au début du
XIXe siècle, la relation éditeur (gérant) et
rédacteur devient fortement intéressée en vue du profit de
l'entreprise. Rabaissée au rang d'une simple entreprise et non comme
« institution d'un public dont elle reflétait les
discussions » en assumant une fonction critique, la Presse voit
l'étau se serrer autour d'elle à travers les ordonnances des
autorités administratives et les règlements de police.
Cet interventionnisme de l'État participe de sa
volonté à restreindre l'espace public dont la puissance de
publicité devenait si menaçante avec le développement des
nouveaux médias comme la radio et la télévision. À
défaut de les contrôler ou de les nationaliser, l'État a
pris des mesures qui « transforment en organismes publics des
institutions privées qui étaient le propre d'un public
constitué par des personnes privées. (...) l'État s'est
emparé de l'héritage d'une sphère publique tombée
sous l'influence de diverses puissances sociales »138(*). De la sphère
publique impliquant les institutions du public faisant usage de sa raison
à l'abri de l'interventionnisme étatique, on est parvenu à
une sphère publique « restée sous contrôle
privé » avec une publicité tantôt
commercialisée par la Presse tantôt « concentrée
ou totalisée » par l'État. Le passage des mass
media de médiateur et stimulant de l'opinion publique à
celui de moyen de son « conditionnement »
prétendument rationnel serait l'expression de leur
caractère « plébiscitaire et ostentatoire »
et de la mutation d'intérêts privés en publics.
La publicité commerciale avec la culture
d'intégration soumet les consommateurs qui jadis constituaient un public
critique de personnes privées à la « douce
contrainte d'un perpétuel entrainement à consommer »
par le biais d'un travail ourdi de manipulation des consommateurs. La naissance
des relations publiques semble consolider selon Habermas cet état de
fait du fait que leur destinataire principal est l'opinion publique ;
c'est-à-dire les personnes privées en tant que public et non pas
directement considérées comme consommateurs. Par un
« travail sur l'opinion », les relations publiques
utilisent une stratégie planifiée et exploitent l'attention du
public par la psychologie, les techniques de la publicité graphique,
l'image, les histoires d'intérêt humain mettant en relief une
« programmation sensationnaliste ».
Ce travail sur l'opinion en dramatisant la
présentation des faits et en fabriquant des stéréotypes
appropriés n'est en réalité comme le précise
Habermas « qu'une mise en scène de l'opinion
publique »139(*). Dans sa volonté de garantir une image de
marque aux grandes firmes naissantes, la publicité
déployée dans les relations publiques a voulu un crédit
« quasi politique aux intérêts commerciaux
privés, la sorte de respect qu'on témoigne aux autorités
publiques »140(*). Dès lors que des intérêts
privés, privilégiés ont envahi la sphère publique
à travers la publicité commerciale, le consensus social qui jadis
était le résultat des opinions concurrentes s'exprimant dans des
discussions publiques n'a presque plus de lien avec l'opinion publique
censée le produire. La « publicité entendue comme un
exercice politiquement orienté du débat public, ou usage critique
de la raison publique » selon Jean-Marc Ferry141(*)s'éclipse au profit de
firmes multinationales qui font croire à leurs clients qu'ils agissent
en citoyens alors que leurs décisions sont celles des
consommateurs :
Les critères du raisonnable font défaut de toute
façon à un tel consensus fabriqué avec tous les
raffinements qu'emploient des instituts de conditionnement de l'opinion
à le produire sous l'égide d'un prétendu
intérêt général. La critique compétente qui
s'exerçait à l'occasion de problèmes discutés en
public cède la place à un conformisme atone où
règnent seules des personnifications ou des personnalités
présentées au public. L'adhésion est identifiée
à la disponibilité que la publicité requiert. La
Publicitésignifiait autrefois démystifier la domination
politique le tribunal devant le tribunal d'un usage public de la raison ;
la publicité d'aujourd'hui se contente d'accumuler les
comportements-réponses dictés parun assentiment passif. Dans la
mesure où les relations publiques en modifient la structure, la
sphère publique bourgeoise revêt à nouveau certains aspects
féodaux : les « porteurs d'offres »
déploient de la représentation face à des clients
prêts à suivre.
Comment s'est concrètement effectuée la
modification ou la déformation du rôle de l'espace
public ?
b. De la subversion du
principe de publicité :
« Aujourd'hui, l'espace public doit de nouveau
être instauré. Il « n'existe »
plus »142(*).
Tel est le propos liminaire tenu par Habermas à peine âgé
de 29 ans dans l'introduction d'une étude qu'il venait de mener avec
d'autres assistants de l'Institut für Sozialforschungsur la
problématique du lien que les étudiants entretiennent avec la
politique. Si au départ Habermas avait une lecture positive sur la
contribution des médias à la construction d'un espace public
critique et raisonné143(*), il s'est vite avisé peut-être sous
l'influence des tenants de l'École de Francfort (Horkheimer, Adorno,
Benjamin, Marcuse) que les médias étaient progressivement devenus
des instruments au service de la domination des propriétaires,
« des objets de divertissement, qui endorment le peuple et
contribuent à le maintenir dans un état de soumission et de
passivité »144(*). Les formes de conditionnement de l'opinion publique
en parfaite contradiction avec l'idéal libéral de
Publicité ont été consolidées par les
grandes entreprises privées en complicité presque inavouée
avec la bureaucratie étatique. Le pouvoir de l'administration publique a
souvent outrepassé celui du législatif et même de
l'exécutif, ce qui fait que le transfert des pouvoirs de l'État
vers les groupements sociaux a donné à l'administration le
pouvoir de « contraindre sans être réellement
contrainte », de substituer le compromis à l'autorité
de l'État. Certains accords réalisés en dehors du
Parlement, en dehors de toute Publicité l'ont été
par le biais d'une campagne d'opinion qui ne respectait pas les formes plus ou
moins rationnelles de la délibération.
Ces délibérations non-publiques ont
déguisé des intérêts privés organisés
en associations qui se sont dotés d'une structure politique à
teneur publique. Ce conflit entre intérêts public et privé
nécessitait d'être résolu sinon
rééquilibré par la sphère publique
conformément aux formes traditionnelles de l'accord et du compromis
parlementaires malgré l'existence des groupes de pression opposés
(lobbies). Mais les compromis généralement passés entre
groupementsd'intérêts divergents paraissait littéralement
marchandé parce que les décisions prises désormais
sortaient du cadre des « structures traditionnelles de l'exercice
du pouvoir (hierarchy et democracy) »145(*). Dans tous les cas, le
marchandage des compromis en sortant du domaine contrôlé par le
Parlement se pratiquait soit « officiellement, les organes de
l'État déléguant certaines de leurs compétences
à des organisations sociales, soit officieusement, par le biais d'un
transfert effectif des compétences qui s'opère en marge de la loi
(ou en constitue une violation) » (Habermas, 1978, p. 207).
Les compromis officieux passés entre ces
groupements d'intérêts divergents disposant d'une large puissance
politique ont aussi permis qu'ils échangent en forme de troc des
avantages privés, des gains personnels sans que cela ne soit
contrôlé par l'autorité du public. Après avoir
réussi à manipuler l'opinion publique, les associations
officielles reconnues par l'État et ayant un statut juridique
« ont fait sauter les limites du droit bourgeois des
associations ; leur but avoué est de convertir les
intérêts privés d'une masse d'individus en un
intérêt public commun, et de faire passer la représentation
et la revendication des intérêts qui leur sont propres pour une
défense de l'intérêt
général »146(*). Ce qui fait en sorte que le « travail
publicitaire » (Öffentlichkeitsarbeit) de ces
entités privées se focalise uniquement sur leur réputation
et leur notoriété auprès du « public
vassalisé » et ne se soucie guère de faire du contenu
d'un compromis passé le sujet d'une discussion
publique. La subversion du principe de Publicité a
transformé la sphère publique en une cour devant laquelle un
prestige est mis en scène devant un public au lieu de développer
une critique au sein de ce public :
Autrefois, la Publicité avait dû se
frayer une voie en s'opposant à la politique du secret pratiquée
par l'absolutisme : elle s'efforçait de soumettre
personnalités et problèmes à la discussion publique, et
faisait en sorte que les décisions politiques fussent révisables
devant le tribunal de l'opinion publique. De nos jours, en revanche, ce n'est
qu'avec l'aide d'une politique du secret pratiquée par les groupements
d'intérêts que la « Publicité » est
imposée : elle confère à des personnalités ou
à des choses un prestige public, et les rend par-là susceptibles
d'être adoptées sans réserve ni discussion, au sein d'un
climat d'opinion non-publique147(*).
La publicité fabriquée et démonstrative
selon les circonstances et au coup par coup entend influencer les
décisions des consommateurs par une pression politique qui subvertit
l'essentiel à savoir « le rapport qui liait le public, les
partis et le Parlement » (Habermas, 1978, p. 201). Les partis
politiques qui avaient au départ uniquement l'ambition d'être des
instruments de formation de la volonté, se voient en plus doter
d'instruments de propagande systématique appelés à donner
des mots d'ordre aux électeurs sans demander leur consentement (le parti
de classe). Le parti « intégrationniste » quant
à lui a tenté depuis son apparition au XIXe
siècle de se constituer en modèle dominant de
l'organisation politique par une stratégie qui consiste à
« disposer des moyens de pression et d'information qui permettent
d'influencer le comportement électoral de la population en la manipulant
ou en lui imposant une campane démonstrative »148(*). Tout constat fait,
même les partis politiques ne sont plus entre les mains du public mais
plutôt de ceux qui les dirigent ou les ont fondés et la
volonté de ces derniers priment sur celle des députés dans
les grandes décisions concernant les débats parlementaires. Ce
qui signifie que le député qui reçoit son mandat du
« peuple » et représenteen principeles
intérêts de ses électeurs voit son autonomie s'envoler au
profit de « différents groupes
d'intérêts » déguisés sous la
bannière de partis politiques.
Le Parlement cesse ainsi d'être le lieu
institutionnalisé de la discussion qui rassemblait des hommes
avisés de toutes les couches sociales et dont l'instrument de persuasion
restait la pragmatique du discours argumenté (à
l'intérieur comme à l'extérieur du Parlement). Cette
mutation structurelle subie par les fonctions du Parlement profite aux media
qui saisissent cette occasion pour altérer, déformer les
débats et perturber le travail parlementaire d'autant plus que les
débats parlementaires ressemblent plus à des shows, des
mises en scène dont la publicité critique a été
pervertie en Publicité « acclamative ». La
sphère judiciaire subit la même perversion selon Habermas au point
où certains procès du pénal sont jugés assez
« intéressants » pour être retransmis par les
mass media non pour permettre au public de contrôler le pouvoir
judiciaire par des analyses critiques mais pour leur vendre les plaidoyers et
envolées lyriques des avocats comme un bien de consommation culturelle.
Les procès deviennent des spectacles pour distraire les consommateurs
par une publicité « augmentée par des impératifs
publicitaires non orthodoxes149(*). Mais la sphère publique peut toujours
être refondée malgré cette « pollution
fonctionnelle » qui l'a dénaturée et lui a
retirée sa nature « émancipatoire » des
Lumières par l'idéal-type de la communication publique. Cette qui
autorise « la confrontation libre, rationnelle et publique des
opinions »vise la pacification de rapports sociaux dans le
« monde vécu », ce « vrai espace social
dans lequel nous pouvons agir et penser avec plus d'aisance parce qu'il est
moins immédiatement soumis à la contrainte de la reproduction du
capital et de la technicisation à marche forcée qu'elle impose -
le monde de la vie vraiment vécue, de la vraie vie »150(*).
La sphère publique
désintégrée151(*), « mobilisée pour la seule
durée des élections limitée des élections et
reconstituée à titre provisoire » (Habermas, 1978, p.
219) n'est plus cette sphère fondée sur la participation continue
à l'exercice de la raison « en prise sur les pouvoirs
publics ». Si la dimension de la discussion et des arguments
opposés a été mise aux oubliettes par la culture
d'intégration fabriquée et diffusée par les
media, Habermas revendique plus que jamais sa remise en place en lieu
et place des media qui « n'ont que la fonction de supports
publicitaires »152(*). La réinvention de l'espace public par un
modèlediscursif ou communicationnel auquel un public
formé de citoyens dotés d'une autonomie politique participerait
paraît plus qu'urgente pour rationaliser réellement la domination.
L'usage public de la raison que les participants y font en élargissant
l'espace publicpourrait permettre simultanémentle consensus sur les
intérêts divergents/opposés, une rationalité
communicationnelle en vue « de la formation
démocratique de l'opinion et de la volonté »153(*). Comment Habermas entend
refonder l'espace public par sa théorie de la rationalité
communicationnelle conçue comme procédure d'une formation
discursive de l'opinion en vue du consensus social ou de
l'intercompréhension ?
2- Rationalité
communicationnelle et éthique discursive
a. Habermas et les
Lumières:
Admirateurdu modèle des Lumières
(Aufklärung) et de leur engagement émancipatoire,
Jürgen Habermas fait partie de cette longue tradition critique allemande
qui reconnaît implicitement aux philosophes des Lumières d'avoir
contribué à « émanciper » la
conscience humaine du corset des traditions154(*) et du joug du dogmatisme155(*) sans être un
« postmoderne réactionnaire »155(*). Dans un entretien
accordé à la Revue Esprit en 2015, Habermas cite clairement les
sources d'inspiration de sa théorie politique et son goût
prononcé pour la rationalisation critique de la sphère
publique :
Les facteurs déterminants de ma conception de la
démocratie restent jusqu'à aujourd'hui Kant et la
Révolution française. Dans l'immédiate
après-guerre, nous vivions dans la zone d'occupation britannique et en
savions davantage sur la démocratie anglo-saxonne. En partant de
là, au regard de l'histoire brisée de la démocratie
allemande, nous avons alors tenté de comprendre
l'incompréhensible retour dans l'abîme du fascisme. Ma
génération a été marquée par une profonde
défiance envers elle-même ; nous nous sommes mis en
quête de ces obscurs gènes ennemis de la raison qui devaient
avoirs leurs racines dans notre propre tradition.Avant même
d'étudier la philosophie, il s'agissait là pour moi de la
leçon fondamentale à tirer de la catastrophe : nos
traditions étaient remises en cause, elles ne pouvaient plus être
transmises sans faire l'objet d'une critique, il était désormais
possible de se les approprier uniquement de manière
réflexive : tout devrait être soumis au crible de
l'analyse rationnelle et être légitimé par des
arguments.156(*)
Avec les Aufklärer, l'esprit humain par la
« lumière de la raison » a osé s'affranchir
de la tutelle du sacré en se dépouillant des dieux par une forme
de « désenchantement du monde » (Weber, 2001, p.
28)157(*). Cette
prétention des modernes de guider l'homme vers « la
majorité intellectuelle »158(*) a fortement contribué à ce qu'on a
appelé la devise des Lumières : « Aude
sapere » (Ose savoir, connaître ou te servir de ton propre
entendement) ; elle a en outre favorisé le triomphe de la raison
dans l'espace public, la naissance de l'esprit critique et de l'idéal
démocratique d'inclusion et d'égalité,
d'universalité, de participation et de délibération
rationnelle159(*). Kant
lui-même qualifiait le siècle des Lumières de
« siècle de la critique » de toutes les
catégories :
Notre siècle est le siècle de la critique
à laquelle il faut se soumettre. La religion (...) et la
législation(...) veulent ordinairement y échapper ; mais alors
elles excitent contre elles de justes soupçons et nepeuvent
prétendre à cette sincère estime que la raison accorde
seulement à ce qui a pu soutenir son libreetpublic examen.160(*)
L'analyse habermassienne des espoirs de
l'Aufklarüngsur la revitalisation de l'espace public critique
fondé sur la raison et non sur l'arbitraire de « la
volonté du roi » se distingue de celle de ses
aînés de la Théorie critique que sont Horkheimer et Adorno.
Si ces derniers ont focalisé leurs analyses sur les limites et
« perversions » de la raison « totale et
totalisatrice », utilitariste, mystifiée, mystificatrice voire
dogmatique, c'est parce qu'ils ont été habités par un
« sentiment de catastrophe » à la suite des crimes
nazis de la Shoah (l'Holocauste du siècle) et donc par ricochet face aux
ratés de l'État moderne. Par la raison instrumentale, ils
entendent donc une rationalité stratégique qui sert les
intérêts du capitalisme qui « consolide plus fermement
la domination que l'absolutisme » (Marcuse, 1968)161(*). Horkheimer et Adorno
interprètent ainsi l'impératif hypothétique
kantien162(*)
commel'expressiondeladéfensedesintérêtsdelasociétéindustriellesousleprismedelamanipulationetsondevoir163(*)(agirparrespectpourlaloimorale)comme
une«tentative bourgeoise de donner au respect, sans lequel la civilisation
ne saurait exister, des fondementsautres que l'intérêt
matériel et la violence ». Cette limite de la raison des «
Aufklärer » vient
àbonpointdénoncerl'illusiond'unerationalitéayantaméliorélaqualitédel'existencehumaine
dans la vie sociale et qui n'a rien changé à la place du mythe
qu'elle prétendaitsupprimerquandbienmêmequele«
mytheestdéjàraisonetlaraisonseretourneenmythologie
»(Horkheimer&Adorno,1989,p.18)164(*).
La critique acerbe et unilatérale de la raison
instrumentale (Habermas préfère tantôt l'appeler raison
fonctionnaliste) de Horkheimer et Adorno a conduit le natif de Düsseldorf
à changer de paradigme car de son avis ses devanciers ont omis la
dimension « communicationnelle de la raison » dans l'espace
public. Habermas repositionne le sujet solitaire des modernes dans un espace
public où il communique avec ses semblables et décide avec eux
des normes sociales de leur monde vécu immédiat pour un consensus
social. Dans l'idée de la rationalité communicationnelle telle
que le préconise Habermas, le langage assume le rôle d'un
intermédiaire sollicité par les hommes pour « se faire
entendre raison mutuellement » afin de parvenir à une entente
pouvant fixer les attentes normatives de comportement réciproques dans
l'horizon de leur monde vécu commun. Par une opération
de « détranscendantalisation du sujet moral kantien, la
théorie de la rationalité communicationnelle habermassienne
renouvelle les bases de l'espace public. Ce« circuit
communicationnel »qui met ensemble des volontés individuelles
s'effectue par des actes de langage au sein d'un « projet d'une
communauté de communication idéale »165(*).
b. Éthique de la
discussion, agir communicationnel et rationalité publique
consensuelle :
La dimension publique de la raison qui se déploie dans
l'agir communicationnel habermassien dont le but est de participer à une
discussion publique et de se concentrer sur un objet commun
d'intérêt commun dans l'espace public implique des relations
interpersonnelles établies dans la communication. Cette dernière
promeut l'intersubjectivité discursive et s'assigne la difficile mission
d'unir les participants à une discussion sans prétendre
« nécessairement aplanir leur différence »
dans une sphère publique qui selon Habermas est le « coeur
d'une démocratie ». Si la sphère publique est un
élément capital pour ausculter, « tâter le
pouls » ou l'état de santé d'une démocratie,
elle permet en outre de rassembler les citoyens d'une cité qui se
rétractent souvent dans leur individualisme s'ignorant
réciproquement : « Or, entre des citoyens qui ne peuvent
plus tous se connaître personnellement, le seul moyen de créer et
de reproduire une communauté, même fragile, est d'entrer dans le
processus permettant de former une opinion et une volonté
publiques »166(*).
L'homme comme animal politique (zôon
politikon) chez Aristote est pour Habermas un animal qui existe dans un
espace public, « un animal qui ne développe les
compétences lui permettant de devenir une personne que grâce
à son insertion originelle dans un réseau public de relations
sociales »167(*). Autrement dit, c'est dans un faisceau de relations
que l'homme développe l'usage de la parole et du langage pour discuter
avec ses semblables. Si dans l'agir stratégique « l'un
influe sur l'autre empiriquement en le menaçant d'une sanction
ou en lui faisant miroiter des gratifications, dans l'activité
communicationnelle chacun est motivé rationnellement par
l'autre à agir conjointement »168(*), ce par des actes de parole
qui laissent voir explicitement ce que l'on propose dans l'espace public comme
exigences de validité pour fonder en raison une norme. Dans l'agir
« communicationnel du quotidien », les sujets
émettent implicitement leurs avis sur certaines dispositions
légale ou normative qui régissent leur monde social et le
légitiment, sur des comportements qui dérogent aux normes
préétablies. Le caractère implicite de cet agir est selon
Habermas une activité communicationnelle naïve parce qu'il lui
manquerait l'esprit de la critique objective et la dynamique de
l'appréciation intersubjective.
C'est dans la raison communicationnelle (Kommunikative
Vernunft) et particulièrement dans la discussion que les citoyens
échangent dans l'espace public des raisons afin d'examiner les
prétentions à la validité normative devenues
problématiques en usant du médium langagier pour
« communiquer et pour que chacun puisse prendre position par
« oui » ou non par « non » aux
prétentions à la validité émises par
autrui » (Habermas, 1991). Cette dynamique d'appréciation
intersubjective des propositions émises par chacun signifie le refus de
vivre dans des conventions non justifiées, des normes arbitraires,
inacceptables qui excluraient certaines personnes en avantageant d'autres et
menaceraient la cohésion sociale. Il en ressort que l'agir
communicationnel cherche les « traces d'une raison communicative, qui
trouve son origine dans les processus d'entente, dans les pratiques sociales
elles-mêmes » (Habermas, 2015, p. 49).
Les acteurs engagés dans la communication se doivent
de réguler leur agir par
desnormesacquisesensemblemalgrélacomplexitédesactionslangagièresquiexprimentàlafois
un contenu propositionnel et une intention du locuteur. Cela signifie aussi que
personnedans les discussions ne détient le monopole de la
vérité, ni ne doit imposer son point de
vueauxautressansleurconsentement.Habermas(1991,p.79)affirme :«
J'appellecommunicationnelles,lesinteractionsdanslesquelleslesparticipantssontd'accordpourcoordonner
en bonne intelligence leurs plans d'actions ; l'entente ainsi obtenue se trouve
alorsdéterminéeàla mesuredela
reconnaissanceintersubjectivedes exigencesdevalidité». Ainsi, la
raison communicationnelle est une refondation du sujet transcendantal
desmodernes qui le met peu ou prou à l'abri de l'usage d'une raison
instrumentale sans cessetournée vers la domination et la manipulation.
Habermas veut par-là « décoloniser le mondevécu
» en osant desserrer l'étau que la raison instrumentale
(marquée par le goût de l'intérêtet de la violence)
impose. En clair, la modernité est à son égard une
période qui n'a pas tenutoutes ses promesses mais de qui on a
hérité l'usage de la raison critique. Pour nuancer,Habermas(1987)
écrit :
Nous nommons instrumentale une action orientée vers le
succès, lorsque nous la considérons sousl'aspect de la poursuite
de règles techniques d'action et que nous évaluons le
degré d'efficience d'uneintervention dans un contexte d'états de
choses et d'événements ; nous nommons stratégique une
actionorientée vers le succès, lorsque nous la considérons
sous l'aspect de la poursuite de règles de
choixrationnellesetquenousévaluonsledegrédel'influenceprisesurlesdécisionsd'unpartenairerationnel.Lesactionsinstrumentalespeuventêtreraccordéesàdesinteractionssociales,(tandisque)les
actions stratégiques représentent elles-mêmes des actions
sociales. En revanche, je parle
d'actionscommunicationnelles,lorsquelesplansd'actionsdesacteursparticipantsnesontpascoordonnéspardescalculs
desuccès égocentriques,mais par des
actesd'intercompréhension.
L'éthique de la discussion telle que
développée par Jürgen Habermas peut se définir comme
une « logique de l'argumentation morale », une communication publique
destinée à l'intercompréhension présupposant un
proposant et un opposant qui par des actes de langage cherchent à fonder
en raison des normes, que tous dans l'espace public peuvent vouloir ensemble et
reconnaître de ce fait comme valides. Ce procès « fictif de
l'entente » est une forme de procedere ou procédure
où sont thématisées des exigences de vérité
prétendant à la validité normative par des participants et
ce par le biais des argumentations morales. Le caractère
procédural de cette théorie s'explique aussi par les processus
d'intercompréhension qui le jalonnent, à telle enseigne qu'elle
exige et commande par sa nature même aux participants de parvenir
à « une recherche coopérative de la vérité
organisée sous forme de compétition, telle par exemple, la
reconnaissance de la compétence et de la bonne foi des participants
» (Habermas, 1991, p.109).
Elle se veut en outre une entreprise de justification des
prétentions à la validité normative qui
n'acquièrent leur force morale donc leur valeur universelle en tant
qu'elles se justifient par de bonnes raisons qui transcendent les limites
culturelles et surtout incarnent des intérêts communs, et non
égoïstes ou particuliers. L'éthique discursive
habermassienne apparaît comme une « procédure d'après
laquelle des normes et des manières d'agir peuvent être
fondées, et respectivement critiquées »
communicationnellement (Habermas, 1992). En mettant à l'honneur les
présuppositions de l'argumentation, elle médiatise par l'usage du
langage les discussions qui favorisent la formation éclairée de
la volonté, de façon à préciser les
intérêts de tout un chacun sans déchirer le tissu social
qui relie préalablement chacun à tous. Elle est une
procédure de formation de la volonté où la
rationalité du jugement est orientée non en vertu d'une fin
stratégique, des valeurs préférentielles des participants
mais plutôt en vertu de leur justification fondée et de leur
objectivité. La volonté libre de tout participant à la
discussion est celle d'un sujet qui se laisse convaincre par des arguments
moraux ou transcendantaux, c'est-à-dire ceux « dont
l'universalité est telle qu'on ne peut rien trouver, ayant une fonction
équivalente, qui puisse y suppléer, autrement dit des arguments
relatifs à des discussions » (Habermas, 1991, p.104) ;
l'éthique du discours garantit l'égal traitement de tous les
concernés dans une dynamique interne entre le souci du bien-être
du prochain et l'intérêt pour le bien commun.
La discussion pratique « se laisse concevoir comme un
processus d'intercompréhension qui (...) sur la base des
inévitables présuppositions de l'argumentation, pousse
simultanément tous les concernés à une adoption
idéale de rôle » (Habermas, 1992). Elle permet
d'élucider argumentativement la validité des arguments, tout en
mettant au clair la distinction entre les normes réellement valides,
c'est-à-dire morales, universelles, qui méritent d'être
reconnues et celles dont la validité va de soi ou celles qui sont
simplement problématiques. On peut comprendre par-là que la
procédure « d'après laquelle nous pouvons juger des normes
et les accepter comme valides n'est pas à notre disposition, mais
s'impose à nous ; la pratique de cette procédure sert (...)
à la connaissance morale des principes d'une coexistence justement
réglée » (Habermas, 1992, p.118)169(*). Elle est l'essence
même de toute délibération dans l'espace public parce
qu'elle met en valeur l'intersubjectivité et promeut le débat et
la participation effective des destinataires de toute éventuelle
disposition normative qui, au lieu de la subir tout simplement comme c'est de
coutume dans certaines sociétés, deviennent les artisans
incontournables de son élaboration, de sa fondation. Habermas (1991,
p.36) la définit aussi comme « une procédure qui sert non
pas à la production des normes justifiées (seulement), mais
à l'examen de la validité de normes déjà là,
mais devenues problématiques et considérées sous un angle
hypothétique ». Quels sont les principes de l'éthique de la
discussion ?
c. Les principes de
l'éthique de la discussion :
L'éthique discursive habermassienne repose
principalement sur trois principes à savoir le principe
d'universalisation (U), le principe de discussion (D) et le principe
d'adéquation (A).
· Le principe d'universalisation :
L'éthique de la discussion de Jürgen Habermas
comme toutes les éthiques procédurales d'inspiration kantienne se
définit par un principe moral qui sert à la fondation des normes,
maximes ou commandements dans l'espace publicprétendant à
l'universalité, en ajoutant à ce premier principe celui de
discussion et d'adéquation. Eneffet, la question « que dois-je
faire ? » est l'interrogation par laquelle Emmanuel Kant aborde le domaine
de la morale, des valeurs et de la validité normative. À travers
ses impératifs catégoriques, Kant a conçu des principes
d'une législation universelle qui transcendent les différences
culturelles (traditions, institutions, le relativisme axiologique) et dont
l'universalité est motivée rationnellement. « Agis
uniquement d'après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même
temps qu'elle devienne une loi universelle » est selon Kant (1993, p.47)
une invite pour tout sujet d'agir selon la loi morale sans inclination ni
intérêt, agir par devoir et uniquement par devoir en faisant un
usage public de sa raison (Benjamin Constant).
Pour Habermas, cet impératif est un monologue
solitaire du for intérieur qui ne prend pas en compte la perspective
d'autrui qui est aussi un membre de l'espace public. La loi morale
élaborée monologiquement perd son équilibre moral car la
volonté s'exerçant dans le vide est déliée des
rapports sociaux réels, or il s'avère que pour garantir la
possibilité du consensus public les normes doivent être
fondées avec la participation d'autrui, d'un autre que soi, qu'il soit
ami ou ennemi, étrange (r) ou familier (Derrida, 1996)170(*). L'impératif
catégorique par cette insuffisance est empreint d'un rigorisme moral du
même ressortqu'une éthique de la conviction ayant ancré la
conscience morale dans le moi intelligible du sujet solitaire qui ne se suffit
plus à lui seul pour fonder la loi morale, d'autant plus que « le
sujet jugeant moralement ne peut pas vérifier par lui tout seul, mais
seulement socialement avec tous les concernés - publiquement -,
si une manière d'agir litigieuse serait, en tant que praxis universelle,
dans l'intérêt commun » (Habermas, 1992, p.60). Pour poser
les bases de cette éthique pragmatique-transcendantale de la
délibération publique et de la décision intersubjectives,
Habermas (1991, p. 88-89) dans son ouvrage Morale et communication
rappelle la nécessité de reformuler l'impératif
catégorique kantien en ces termes :
Au lieu d'imposer à tous les autres une maxime dont je
veux qu'elle soit une loi universelle, je dois soumettre ma maxime à
tous les autres afin d'examiner par la discussion sa prétention à
l'universalité. Ainsi s'opère un glissement : le centre de
gravité ne réside plus dans ce que chacun peut souhaiter faire
valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais
dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme
universelle.
Le principe d'universalisation chez Habermas (1992, p.34) se
formule comme suit : « Chaque norme valide doit satisfaire la
condition selon laquelle les conséquences et les effets secondaires qui,
de manière prévisible, résultent de son observation
universelle dans l'intention de satisfaire les intérêts de tout un
chacun peuvent être acceptés sans contrainte par toutes les
personnes concernées ».
Ø Le principe de discussion :
Comme la validité d'une norme est inséparable
de la discussion qui aide à la fonder (justifier) par le biais des
présuppositions pragmatiques universelles de l'argumentation,
l'éthique de la discussion peut se déduire de façon
restreinte par le principe (D) qui stipule : « Chaque norme valide devrait
pouvoir trouver l'assentiment de tous les concernés, pour peu que
ceux-ci participent à une discussion pratique »171(*). L'idée
exprimée par le principe d'universalisation signifie qu'une norme ne
peut aspirer à la validité que si toutes les personnes
concernées et présentes dans la sphère publique à
laquelle la disposition normative est destinée sont d'accord (ou
pourraient l'être) en tant que participants à une discussion
pratique sur la validité de cette norme. La discussion devient donc le
moyen par lequel s'effectue la procédure d'universalisation des
intérêts communs à travers le principe d'universalisation,
ce dernier étant le « principe-passerelle (qui) permet
d'accéder à l'entente mutuelle dans les argumentations morales,
et ce, dans une acception qui exclut l'usage monologique des règles
argumentatives » (Habermas, 1991, p.78).Si l'on admet qu'aucune norme ne
porte les règles de sa propre application ou encore que la fondation
discursive des normes ne peut pas simultanément, assurer la
réalisation de jugements moraux, le principe d'universalisation est dans
l'incapacité de régler les problèmes de sa propre
applicabilité.
Ø Le principe
d'adéquation :
Il vient donc finaliser l'activité du principe
d'universalisation dans la mesure où il permet aux membres d'une
sphère publique agissant moralement de savoir quelle manière
d'agir adopter dans une situation déterminée et dans un contexte
précis, de telle sorte que le jugement singulier qui s'ensuit se fondant
sur la validité d'une norme soit aussi juste. Ce principe tel que
conçu par le juriste et philosophe allemand Klaus Günther (1988,
p.50)172(*) se formule
comme suit : « Une norme est valide et adéquate dans chaque cas
lorsque les conséquences et les effets secondaires d'une observation
universelle de la norme peuvent être acceptées par tous dans
chaque situation particulière dans l'intérêt de tout un
chacun. » De même, l'intercompréhension est tissée sur
le fil de la reconnaissance réciproque, preuve que le tissu de
l'intégration sociale ne doit pas se déchirer bien que l'entente
mutuelle qu'exige l'éthique de la discussion doit transcender les
limites de toute communauté naturelle. Deux conditions sont
incontournables pour aboutir à toute intercompréhension :
« Les deux choses jouent : sans la liberté
illimitée de la prise de position à l'égard de
prétentions à la validité normative, l'accord obtenu
factuellement ne pourrait être véritablement universel ; mais sans
l'empathie solidaire de chacun pour la position de tous les autres, on ne
pourrait même pas s'engager dans la voie d'une solution porteuse de
consensus » (Habermas, 1992, p.70).
3- Consensus et utopie
dans l'espace public : lecture de Habermas par Paul
Ricoeur :
Il est reconnu à Paul Ricoeur d'avoir
élaboré une théorie de l'imaginaire social politique qui
s'intéresse aux fondements du pouvoir, à la
légitimité et la légalité démocratiques,
deux concepts qui demeurent en tension entre l'idéologie et l'utopie.La
faillibilité de l'éthique de la discussion comme publicité
de la rationalité communicationnelle selon Ricoeur viendrait du fait
qu'elle semble être uneutopie quise manifestetoujours comme
réponseau phénomènedun imaginaire social servant de guide
pour renforcer un système ou un pouvoir politique173(*).Si l'idéologie
désigne le modèle de pensée dominant, une fausse
conscience ou théorie qui masque la réalité et qui cherche
consciemment ou non à la déformer pour mieux servir des
intérêts plus ou moins inavouables174(*), l'utopie quant à
elle se perçoit souvent comme le contraire de l'idéologie, une
extraterritorialité, un « pas de
côté »175(*) avec pour ambition le renversement de l'ordre
dominant et l'ouverture vers de nouveaux possibles.
a. Le consensus public
habermassien comme imaginaire social :
L'utopie n'est pas seulement un ensemble d'idées mais
une mentalité (Geist), une configuration de facteurs qui
organisent l'ensemble des idées et des sentiments. Ricoeur dira
même qu'elle est un système symbolique englobant, un
« désir dominant », un système d'organisation
qui est davantage éprouvé que pensé. L'idéologie
est aussi une théorie dont le but est de légitimer par des
discours un pouvoirpolitique ou une organisation, à asseoir sa
notoriété et à défendre son «
idéalité » contre ventset marrées face à tous
ses contestataires. Elle est un concept polémique qui cherche à
dévaloriser l'adversaire dans l'expérience de la
réalité politique.
Quand nous dénonçons quelque chose comme
idéologique, nous sommes pris dans une relation au pouvoir et Mannheim
rappelle que Marx a fait de l'idéologie une « conception plus
globale de l'orientation psychologique qu'elle signifie » (Ricoeur,
1997, p.218). La première contribution de Marx est d'avoir fait de
l'idéologie non pas un simple phénomène psychologique des
individus, une distorsion mais au contraire une structure totale de l'esprit,
la caractéristique d'une formation historique concrète incluant
une classe. L'idéologie est totale au sens où elle exprime une
Weltanschauung de base. La seconde contribution de Marx selon Mannheim
est d'avoir vu que si l'idéologie n'est pas seulement un
phénomène psychologique, il faut une méthode
spécifique pour la démasquer : une interprétation en
termes de situation de vie de celui qui l'exprime. Nous vivons continuellement
dans une situation polémique de visions du monde en conflit, qui se
considèrent mutuellement comme des idéologies. L'idéologie
est toujours dans ce cas l'idéologie de l'autre, mais nous oublions que
nous sommes « un autre parmi des autres » (Ricoeur, 1997,
p.220).
Le marxisme en voulant faire du prolétariat une classe
universelle parce qu'il exprimait un intérêt public universel est
tombé dans l'utopie qu'elle dénonçait car en voulant
incarner les intérêts de la totalité, il s'est
désintégré entraînant dans cet effondrement toute
conscience de classe. Autrement dit, « l'évolution de la
société humaine n'a plus de centre. Aucun groupe ne peut
prétendre être porteur d'universalité, car il n'y a plus
nulle part d'universalité. Le marxisme en généralisant le
concept d'idéologie a affecté la vision du monde en conjuguant
deux critères à savoir « un critère
théorique, la critique des illusions, et un critère pratique, la
lutte d'une classe contre une autre » (p.221).
Si l'idéologie est censée consolider un ordre,
l'utopie dans son élan vient contrer les ardeurs de
l'idéologie.La prétendue fécondité de l'utopie
s'oppose à l'apparente stérilité de l'idéologie.
L'utopie paraît pour ainsi dire le remèdequi cherche à
combattre l'idéologie en proposant une alternative qui prétend
toujours êtremoins obsessionnelle que l'idéologie, mais la
réalité montre que les deux finissent par devenir pathologiques.
Cela signifie tout simplement que les deux finissent par se détourner de
leurobjectif premier, à savoir servir les intérêts de tous
dans l'espace public pour le bien commun et deviennent
soitl'expressiond'unerationalitéinstrumentale(pourl'idéologie),soitunemégalomaniepathologique,
« le refuge dans le rêve, ou la recherche d'un état de
perfection qui peut tourneràla schizophrénie» pour
l'utopie(Roman, 2015,p.13).
L'idéologie et l'utopie ne sont pas des concepts
théoriques mais pratiques, politiques. Les concepts politiques doivent
demeurer polémiques et si « l'utopie est ce qui ébranle
un ordre donné, l'idéologie est ce qui préserve cet ordre.
Cela veut dire que la problématique de la domination et la place du
pouvoir dans la structure de l'existence humaine deviennent des questions
centrales » (Ricoeur, 1997, p. 238). La question n'est plus qui
détient le pouvoir, mais plutôt sur la légitimation du
pouvoir, le questionnement de tout système public du pouvoir. La
légitimité est donc pour Ricoeur l'enjeu réel du conflit
entre l'utopie et l'idéologie.
Ricoeur pense que le caractère utopique de
l'éthique discursive c'est de prétendre supprimer
leproblème de la lutte des classes ou des intérêts
antagonistes dans la sphère publique en facilitant en même temps
une reconnaissance
réciproquedesparticipantsparleurparticipationinclusiveetsanscondition176(*). L'utopie constitue une
variation imaginative sur le pouvoir dans l'espace public, « un
écart entre l'imaginaire et le réel qui constitue une menace pour
la stabilité et la permanence de ce réel »177(*). Ricoeur mentionne
l'influence des Lumières dans la construction de la théorie
habermassienne de l'espace public : « Habermas comprend
l'idéal des Lumières comme un plaidoyer en faveur de la
rationalité utopique, comme la promotion d'une espérance
rationnelle » (Ricoeur, 1997, p. 325).
b. Idéologie,
utopie et « consensus conflictuel » chez
Ricoeur :
En réalité, la particularité de la
sphère publique réside dans la pluralité des points de vue
antagonistes et c'est même la tension de ces intérêts
divergents qui vitalise le débat public poussant chacun à
élever des exigences de validité performative plus denses pour
convaincre les participants aux délibérations publiques. La
distorsion-dissimulation de l'idéologie pour servir les
intérêts des groupes dominants au détriment des
intérêts commun et collectif est inhérente à tout
pouvoir politique qui tend naturellement à se légitimer par un
discours symbolique et affectif à même de toucher « les
coeurs et les esprits » des citoyens dans l'espace public178(*) au détriment de toute
« rationalité transcendantale ».
LeconsensusquipourHabermas exclut toute distorsion langagière en
appelant à une communication transparente estselon Ricoeur difficilement
réalisable car chaque individu ne peut émettre ses
prétentions à lavalidité dans l'espace public que sous
l'influence des préjugés qu'il a et dont il ne peut pas
facilement se séparer aunom d'une communication objective : « La
compétence communicationnelle de Habermas estl'utopie d'une
communication non déformée qui permettrait une reconnaissance
mutuelle desinterlocuteurs » (Roman, 2015, p.78)179(*).
Si la reconnaissance mutuelle des participants nesupprime pas
les luttes pour la reconnaissance180(*), le consensus que doit viser l'éthique de
ladiscussion ne peut-être que « conflictuel » (Ricoeur, 2004,
p.302-303)181(*) et non
effectif, définitif. Le reprochefait à Habermas par Ricoeur est
de réduire l'espace politique
auregistrelangagierdelarationalitécommunicationnellequiprétendêtrelemoyendela«
publicité de la raison » et le modèle d'une
démocratie délibérative, participative et
inclusive182(*).
Leformalismedel'éthiquedeladiscussionignorepeut-êtrelesméthodesd'exercicedela«
politique politicienne » (utilisation de la manipulation, de la pression,
agir stratégique dans l'espace public) et l'utopiede la pensée
procédurale habermassienne de la démocratie paraît «
froide et sans coeur »183(*).
Ricoeur propose plutôt que la discussion publique se
réalise sous la mouvance de l'imaginaire social qui se traduit en
allemand par l'expression « Phantasie » signifiant
littéralement « activité imaginative ». Si
Habermas considère l'utopie comme une distorsion/perversion de la
communication, une « altération de la relation
dialogique »184(*), Ricoeur estime pour sa part que la communication
publique ne peut être strictement rationnellement. L'on ne peut
réduire la rationalisation de l'espace publique à la
« notion de compétence communicationnelle. Il s'agit d'une
construction utopique, d'une situation idéale de langage qui ouvre la
possibilité d'une communication non
déformée »185(*). Lorsqu'on parle de compétence précise
Ricoeur, il s'agit de quelque chose qui est à notre disposition, une
« potentialité dont nous nous servir ou
pas »186(*).
J'ai la compétence d'encadrer des troupes militaires, donc je peux
être affecté sur telle ou telle base pour conduire des
éléments lors d'une expédition militaire. Or ce que l'on
appelle par compétence communicationnelle pour Paul Ricoeur
« n'est pas quelque chose qui serait à notre
disposition : c'est plutôt quelque chose qui s'apparente à
l'Idée kantienne, à une idée
régulatrice »187(*).
L'utopie dans cette perspective présente trois
caractéristiques essentielles qui la structurent. Elle est d'abord
soutenue par la notion d'autoréflexion qui est le coeur de la composante
téléologique (composante transcendantale), critique de toute
analyse et restauration de la communication. Cet élément
d'autoréflexion n'est pas historique mais transcendantal,
c'est-à-dire « intemporel, sans origine historique
assignable »188(*). Ensuite, la structure utopique est culturelle dans
l'optique de la tradition des Lumières et comme activité
imaginative elle prétend mettre à l'épreuve les limites du
réalisable. Pour autant, « l'utopie n'est alors pas uniquement
un élément transcendantal et anhistorique : elle est une
partie de notre histoire » (Ricoeur, 1997, p. 332).
Enfin, l'utopie relève de l'activité
imaginative qui correspond chez Habermas à ce que Freud appelle
l'illusion189(*). Cette
dernière est différente d'une idée invérifiable ou
irréalisable et correspond plus ou moins dans l'espace public à
« l'élément d'une espérance
rationnelle »190(*) qui poursuit une satisfaction utopique. L'utopie
dans sa fonction imaginative peut empêcher aux participants à
toute procédure de délibération publique de retomber dans
le piège de l'intérêt instrumental en se
représentant des intérêts élargis d'une
société idéale : « L'imagination utopique
est celle d'un acte idéal de langage, d'une situation idéale de
communication : l'idée d'une communication sans frontières
et sans contraintes. Il se peut que cet idéal constitue notre
véritable idée du genre humain » (Ricoeur, p. 333). Les
hommes faisant un usage public de leur raison construisent souvent
leur raisonnement sur des images, figures et symboles qui représentent
leur monde immédiat et auxquels ils s'identifient.
Tout est imagination avant d'être concept selon Ricoeur
et l'utopie devient imaginaire dans l'espace public dans la mesure où
elle espère incarner par son modèle les fonctions de
contestation, de délégitimation et de renversement du
système au pouvoir qu'est l'idéologie en aspirant à la
remplacer après sa chute. Cette utopie habermassienne rappelle
essentiellement que c'est au bout de la démarche critique que nous
pouvons reconquérir et reposséder réellement l'espace
public comme une oeuvre foncièrement humaine et « cette
reconquête va de l'ex-communication et de la désymbolisation vers
la reconnaissance et la communication » (Ricoeur, 1997, p.
334) ; elle est une manière de « rêver l'action
communicationnelle en évitant de réfléchir sur
les conditions de possibilités de son insertion dans la situation
actuelle »191(*). Aussi, convient-il de rappeler que
l'idéologie et l'utopie sont chez Ricoeur « deux expressions
de l'imaginaire social »192(*):
« Là où l'idéologie
apparaît comme une distorsion, l'utopie se présente comme une
fantasmagorie irréalisable. Là où l'idéologie
est légitimation, l'utopie est une alternative au pouvoir en place. La
fonction positive de l'idéologie est de préserver
l'identité d'une personne ou d'un groupe. Le rôle positif de
l'utopie consiste à explorer le possible »193(*), les possibilités
latérales du réel.
Chapitre 6 CONCLUSION
La réflexion sur l'espace public et la
Publicité nous a permis d'esquisser les grands enjeux de la
délibération politique, de la démocratie
représentative et de la participation citoyenne à la vie publique
depuis Athènes jusque dans la contemporanéité. Dans le
premier chapitre de notre travail, il a été question de revisiter
le modèle de la démocratie athénienne avec son
idéal-type de l'agora souvent considéré comme le berceau
de la démocratie. La démocratie athénienne qui est une
démocratie directe dans laquelle le peuple (dèmos)
exerce la souveraineté politique (kratos). Elle a
été rendue possible grâce à des réformes
entreprises par Clisthène et Solon194(*) au VIe siècle avant notre
ère pour donner au peuple plus de pouvoir.195(*)L'agora athénienne
où les citoyens votaient à main levée présente
quelques inégalités dans les droits entre citoyens et
non-citoyens, esclaves, femmes, étrangers, etc. Elle est surtout un
espace où ont lieu de vifs et houleux débats et où les
autorités incarnant des pouvoirs publics comme les magistrats, juges
sont sévèrement critiqués et traités de
démagogues par l'ekklèsia dont la parole revêt une
puissance persuasive incommensurable.
C'est précisément cette parole publique qui
fait et défait l'autorité à Athènes et les bruits
assourdissants de l'agora pouvaient déstabiliser les différents
locuteurs à la tribune ou les contraindre à quitter l'agora.
L'isègoria196(*) tant proclamée dans la Grèce
antique s'est heurtée à l'exclusion des étrangers
non-citoyens de plus en plus nombreux et riches, désireux de participer
à la vie publique de la cité. Les citoyens égaux dans la
prise de parole politique pouvaient parler à l'Assemblée du
peuple et se former à la rhétorique, aux techniques de persuasion
pour convaincre et légitimer leurs idées qui prétendaient
à l'universalité publique. Cette propension de l'art politique
à s'enseigner n'est pas partagée par Socrate pour qui les
sophistes qui enseignaient aux plus jeunes l'art « du parler en
public » dans l'agora, vendaient de l'illusion aux citoyens car les
« choses de l'âme » ne pouvaient être vendues.
Socrate, adversaire des sophistes dénonce leur habileté qui est
« sans objet précis, réel ». Mais la
réalité politique d'Athènes lui donne la réputation
d'être une cité de liberté et de démocratie,
« le lieu de la Grèce où la parole était
le plus libre »197(*).
Mais la démocratie athénienne connaîtra
plusieurs turpitudes après la guerre du Péloponnèse vers
la fin du Ve et IVe avant Jésus-Christ, des crises
dues à deux erreurs stratégiques lors de la guerre du
Péloponnèse telle que racontée par Thucydide dans son
ouvrage. La première erreur est l'expédition de Sicile
organisée par Alcibiade dans laquelle les athéniens se lancent
après la mort de Périclès et qui se solde sur une cuisante
défaite en 413 avant Jésus-Christ provoquant le discrédit
du modèle démocratique athénien. La seconde erreur
intervient après la victoire d'Athènes sur Sparte lors de la
bataille navale mémorable des Arginuses198(*)et se traduit par le naufrage
de plusieurs marins abandonnés au sort par les stratèges de
l'expédition militaire athénienne, tragédie qui va diviser
les athéniens et créer des tensions dans
l'ekklèsia. Le modèle démocratique
athénien reste foncièrement traversé par une idée
de foule et une justice parfois inapte à défendre juger
équitablement les accusés comme lors du procès des
généraux des Arginuses :
Ces deux décisions ont sans aucun doute
contribué à la défaite finale mais elles vont servir
d'argument aux adversaires du régime pour remettre en question les
principes mêmes de la démocratie directe. Pour beaucoup, ces votes
malencontreux de l'Ekklèsia prouvent que la foule, en situation
de crise, poussée par la passion et manipulée par d'habiles
démagogues, est incapable de prendre les décisions raisonnables
qu'une analyse lucide commanderait. On pourrait objecter que l'envoi de
l'expédition de Sicile n'a pas été arraché par les
vociférations d'une foule hystérique et irresponsable (...) mais
a donné lieu à de longs débats et à un vote
conforme à la constitution.199(*)
Le modèle de la représentation politique au
Moyen-Âge avec les aspects de la politique du secret qu'on rencontrait
dans la Cour royale et le culte de la personnalité dévoué
au roi ou au monarque.La sphère publique du Moyen-Âge
n'apparaît pas au sein de la société féodale comme
un domaine propre séparé du privé d'autant plus que
« seigneurial » est employé comme synonyme
de publicus ; publicare signifie :
réquisitionner pour le seigneur » (Habermas, 1978, p. 18).
Cette sphère publique structurée par la représentation n'a
qu'une valeur statutaire, c'est-à-dire que le seigneur incarne une
autorité qui lui est toujours supérieure200(*) et que la
représentation en réalité « se concentre
à la Cour du monarque », à la Cour royale (Habermas,
1978, p. 21). La société aristocratique de la Renaissance a un
modèle de représentation personnifié qui cherche
avant tout à représenter un pouvoir propre, la
représentation déployée par le monarque (souverain) et
lorsque ce dernier « rassemble autour de lui les tenants des pouvoirs
temporels et spirituels, (...) il ne s'agissait pas alors d'une
assemblée de délégués qui eussent
représenté quelqu'un d'autre ; ils représentent leur
pouvoir non pas pour le peuple, mais « devant » le
peuple » (Habermas, 1978, p. 19-20). Les représentants de
l'État encore appelés « serviteurs de
l'État » occupent une fonction publique et traitent uniquement
des affaires publiques, celles relevant du pouvoir.
La sphère publique structurée par la
représentation ne se définit pas tel un domaine social, comme la
sphère de ce qui est public et il n'y a pas de représentation qui
serait « chose privée ». Représenter dans ce
cas ne renvoie plus à « suppléer
à » ou à représenter les
intérêts supérieurs de la nation, de la communauté
ou de ses mandants dans l'hypothèse où on serait
député. De même, la sphère publique du
Moyen-Âge structurée par la représentation est intimement
liée aux attributs de la personne comme les insignes, les
écussons, les vêtements, la coiffure, le style du discours de
l'ordre de la noblesse et n'a pas de « lieu » réel
comme sphère d'une communication politique et publique où
discuter des problèmes sociaux communs. Ce modèle disparaitra au
profit de la sphère publique bourgeoise qui voit le jour avec la mise en
place du capitalisme. Aussi, la sphère publique structurée par la
représentation pratique-t-elle le « culte du secret et la
loi du silence »201(*), l'armée devient cette « grande
muette » à qui il est interdit de divulguer quelconque
information publique au profit de la consolidation du pouvoir du
monarque :
Des mots comme `'grandeur'', `'souveraineté'',
`'majesté'', `'gloire'', `'dignité'' et `'honneur'' cherchent
à désigner la singularité de cet être capable
d'assurer une représentation. L'action de « suppléer
à », un peu au sens de la représentation de la nation
ou de la représentation dont se chargent certains mandatés, n'a
rien à voir avec cette sphère publique représentative qui
est liée à l'existence de la personne concrète du
seigneur, et qui donne à son autorité une certaine aura202(*).
Le premier chapitre de notre travail a porté surla
définition de la notion d'opinion publique dans la tradition de la
modernité politique qui la conçoit tantôt comme rumeur,
réputation, idée privée de rationalité,
tantôt comme expérience pratique de la raison ou réflexion
d'une volonté éclairée. De Hegel à Marx en passant
par Kant et Locke, l'opinion publique a connu une littérature assez
complexe au point où il n'y a presque pas de consensus conceptuel sur sa
définition. Néanmoins, elle représente depuis le
XVIIIe siècle et l'avènement des Lumières un
outil d'expression de la rationalité performative dans l'espace
public.
Dans le second chapitre, nous avons vu que le modèle
libéral de la sphère publique impliquait que les institutions du
public qui faisait usage de sa raison devraient être à l'abri de
l'intervention du pouvoir détenu par des personnes privées. Mais
la concentration du capital par la fusion de grandes entreprises et non sur un
système d'échange libéral entre propriétaires
individuels va mettre à jour l'idée de la mise en place d'une
institution supérieure forte censée réguler les
échanges. La concentration de la puissance économique au sein de
la sphère privée des échanges d'une part et le fait que la
sphère publique jadis populaire soit devenue un organe de
l'État sont deux événements qui ont renforcé
« au sein des couches économiquement faibles, la tendance
à vouloir s'attaquer par des moyens politiques aux classes dominantes
dont la supériorité repose sur la position qu'elles occupent au
sein des échanges »203(*). Si les rapports sociaux étaient avant
régulés par la discussion à travers un usage public de la
raison, cette sphère publique de la réflexion critique va subir
une transformation structurelle avec l'intrusion d'une publicité de
masse, de manipulation, imprégnée de domination
(herrschaftlich) qui fait disparaître la différence entre
sphère privée et publique. Habermas (1978, p. 196) analyse les
conséquences de cette mutation en ces termes :
Mais dans la mesure où ces institutions ont subi les
effets de la commercialisation et de la concentration, tant sur le plan
économique et technique que sur celui de leur organisation, elles ont
pris durant les cent dernières années la forme de grands
complexes détenteurs de puissance sociale, au point que,
désormais c'est précisément le fait qu'elles restent sous
contrôle privé qui menace sous bien des aspects le
caractère critique de certaines fonctions de la Presse au sens le plus
large.
Dans le dernier chapitre, nous avons essayé de
démontrer dans quelle mesure la mutation structurelle subie par l'espace
public bourgeois exigeait la refondation de ce dernier par une
rationalité communicationnelle capable de favoriser l'émergence
d'un consensus social exempt de domination (herrschaftsfrei) sur les
intérêts communs. Les mass media, précise
Habermas, ont acquis une « efficacité et une portée
incomparablement grandes » et sont responsables de l'expansion
parallèle subie par le domaine public en tant que sphère. Ils ont
été rejetés hors de la sphère publique pour
être récupérés par la sphère privée
autrefois des échanges. Leur influence grandissante consolidée
par la Presse s'est avérée nocive, profitant plutôt aux
intérêts privés qu'ils soient individuels ou collectifs.
Autant dire que pour Habermas, les nouveaux médias retirent toute
occasion de « distance émancipatoire » et
réduisent l'usage effectif, pratique et intelligible de la raison.
L'essor du capitalisme et de l'industrie des media va pervertir ce qui
est échangé (journaux, livres, films, etc.), mettre tous les
objets culturels à portée réflexive hors du champ de toute
critique et détourner l'attention sur les enjeux réels de ce qui
est discuté en orientant l'opinion vers une publicité
« prête-à-consommer » et toute faite. Or
prendre position dans l'espace public pour Habermas c'est soumettre son
argument ou son énoncé à la validation critique d'autrui
et c'est la raison qui permet de juger la prétention à la
validité de tout énoncé performatif émis,
exprimé.
L'espace public habermassien requiert in fine pour
son bon fonctionnement trois critères à savoir la parité,
la discussion de sujets d'intérêt général et son
accessibilité à tous sans restriction. Ces différentes
propriétés de l'espace public mettent entre parenthèses le
statut social, l'appartenance, la classe ou la richesse et privilégie le
pouvoir de la « parole rationnelle » et la force des
arguments pour se convaincre mutuellement. La reconnaissance intersubjective
des arguments par les sujets discutant dans l'espace public permet d'envisager
aussi une reconnaissance de l'égalité d'autrui comme semblable,
égal et jamais inférieur à soi. L'espace public bourgeois
traversé par des intérêts des classes à l'origine de
plusieurs inégalités peut être réinventé
selon Habermas par un dépassement des intérêts de classe,
privés et des penchants non-publics. Cependant, le point de vue
exprimé dans l'espace public n'est pas toujours à l'abri de tout
affect, inclination ou préférence ; il se donne le plus
souvent par rapport aux influences du milieu de vie, de la culture même
si Habermas soutient que la politique doit se faire loin de tout affect.
Toutefois, Nancy Fraser peut reprocher à Habermas que
ce qui s'échange dans les argumentations ne relève pas
nécessairement des prototypes de vérité, de justesse et de
sincérité comme il le présuppose. De même, la
sphère publique en soi ne peut pas garantir l'égalité de
ceux qui y participent et ne représente pas par nature une
communauté des égaux qui discutent ensemble comme s''ils se
reconnaissaient foncièrement comme tels. En réalité, il
existe selon Fraser à côté du modèle de la
communauté politique de l'espace public habermassien de
« contre-publics subalternes » qui sont « des
arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des
groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des
contre-discours, ce qui leur permet de fournir leur propre
interprétation de leurs identités, de leurs intérêts
et de leurs besoins »204(*). L'espace public habermassien devrait se
préoccuper du problème de parité de participation et de
l'égalité sociale à en croire Fraser.
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Consulté en ligne le 12 mai 2023 à 11h44 mn.
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Consulté en ligne le 18 avril 2023 à 23h17.
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Consulté en ligne le 16 mai 2023 à 10h52.
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Consulté en ligne le 27 mai 2023 à 01h55.
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https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/antiquite/la-bataille-des-arginuses-une-victoire-en-proces-74426.php.
Publié le 21 juin 2021 à 18h28, mis à jour le 16 novembre
2021 à 11h06 et consulté en ligne le 02 juin 2023 à
02h45.
-
https://odysseum.eduscol.education.fr/historique-les-crises-de-la-fin-du-vdeg-siecle.
Publié le 25 septembre 2019 et consulté en ligne le 03 juin 2023
à 09h45.
-
https://www.lelivrescolaire.fr/page/14760871. Consulté en ligne
le 05 janvier 2023 à 20h28.
TABLE DES
MATIÈRES
DÉDICACE
2
REMERCIEMENTS
3
SOMMAIRE
4
INTRODUCTION
5
Chapitre 1 : LES PRÉMISSES
PHILOSOPHIQUES DE LA NOTION D'ESPACE PUBLIC CHEZ HABERMAS
13
1- Préhistoire du
concept d'opinion publique :
13
2- La publicité comme
médiatrice de la morale et de la politique chez Kant :
16
3- La sphère publique
kantienne comme légitimation et rationalisation des
intérêts universels :
19
Chapitre 2 : L'ESPACE PUBLIC
ET LA DIALECTIQUE DE LA PUBLICITÉ
24
1- Opinion publique et
société civile-bourgeoise chez Hegel :
24
2- Karl Marx : critique
de l'État et du droit politique hégéliens :
33
3- Députation et représentation
publique réelle : Marx et le formalisme de l'État
hégélien :
36
Chapitre 3 : DE LA TRANSFORMATION
STRUCTURELLE DE L'ESPACE PUBLIC À SA REFONDATION PAR LA
RATIONALITÉ COMMUNICATIONNELLE
43
1- Industrie du
divertissement et déclin de la sphère publique littéraire
bourgeoise :
43
a. Les mass media et la
« publicité consommée » :
45
b. De la subversion du
principe de publicité :
49
2- Rationalité
communicationnelle et éthique discursive
53
a. Habermas et les
Lumières :
53
b. Éthique de la
discussion, agir communicationnel et rationalité publique
consensuelle :
55
c. Les principes de
l'éthique de la discussion :
59
3- Consensus et utopie dans
l'espace public : lecture de Habermas par Paul Ricoeur :
61
a. Le consensus public
habermassien comme imaginaire social :
63
b. Idéologie, utopie
et « consensus conflictuel » chez Ricoeur :
64
CONCLUSION
68
LISTE DES RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES :
73
* 1Amadou H.B., L'étrange destin de
Wangrin, Paris, Union Générale d'Éditions, 1973, p.
41.
* 2 « La
participation des citoyens dépend de leur autonomie privée dans
la mesure où ils sont « maîtres d'une maison »
oïkodespotès » (Habermas, 1978, p. 15).
* 3Platon, Lois, VIII, 846 d-e, Paris,
Flammarion, 2012.
* 4Bevort A., Pour une démocratie
participative, Paris, Presses de sciences po, 2002, p. 41.
* 5Protagoras,
319b-d.
* 6Cf. Aristote, La Politique, trad. J. Tricot,
Paris, Vrin, 1970, I, 1, p. 21-22 : « Toute communauté
politique est constituée en vue d'un certain bien...un bien qui est le
plus haut de tous » ; I, 2, p 28 : « La
Cité est au nombre des réalités qui existent naturellement
et l'homme est par nature un animal politique ».
* 7Ibid, 1331 a 30-1331 b
3.
* 8Detienne M., « L'espace de la
publicité, ses opérateurs intellectuels » dans la
cité, in M. Detienne (dir), Les savoirs de l'écriture en
Grèce ancienne, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1992,
p. 29.
* 9 Azoulay V& Ismard P (dir)., Clisthène
et Lycurgue d'Athènes : autour du politique dans la cité
classique, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 66.
* 10 « En moyenne,
6000 citoyens, sur un total de 45000 environ, venaient participer aux
séances de l'Assemblée ; ce n'étaient pas toujours
les mêmes. L'Assemblée du peuple ne représentait
pas le peuple, elle était le peuple : non pas parce
que tous les citoyens y prenaient part, mais parce que tous pouvaient y aller
et que l'assistance se renouvelait » (Manin B., Principes du gouvernement
représentatif, Paris, Calmann-Lévy, coll.
« Liberté de l'esprit », 1995, p. 48).
* 11Villacèque N., « Chahut et
délibération. De la souveraineté populaire dans
l'Athènes classique », Dans Participations,
ÉDITIONS DE BOECK SUPÉRIEUR, Louvain-la-Neuve, 2012/2 (N°3),
p. 56. Consulté en ligne le 15 décembre 2022 à 12h54.
* 12Dubner F., Lexique français-grec,
Paris, Hachette, 1980.
* 13 Azoulay V & Ismard
P (dir)., opus cit. p. 67.
* 14Platon.,
République, Paris, Flammarion, 2012.
* 15Thucydide., La Guerre du
Péloponnèse, trad. Jacqueline De Romilly, Paris,
Éditions Les Belles Lettres, 2022, III, 38, 4-7.
* 16Aristote., OEuvres complètes, Paris,
Éditions Flammarion, 2014.
* 17 Villacèque., op.
cit, p.49.
* 18« Quod omnes
tangit ad omnibus tractari et approbari debet », Congar Y M-J., Revue historique de droit
français et étranger, 1922, quatrième série,
Vol. 35 (1958), Paris, Éditions Dalloz, p. 210-259.
* 19 Le Pape Célestin
disait à propos de la nomination des évêques :
« Que nul ne soit donné comme évêque à des
gens malgré eux ».
* 20Magna Carta,
1215.
* 21
https://www.lelivrescolaire.fr/page/14760871.
Consulté en ligne le 05 janvier 2023 à 20h28.
* 22Hébert M., La Voix du peuple. Une histoire
des assemblées au Moyen Âge, Paris, PUF, 2018, p. 11.
* 23 « L'espace
public (Die Öffentlichkeit) désigne d'abord une
entité sociologique située entre la « vie
privée » et l'autorité politique ; elle recouvre
ce qu'on appelle dans la philosophie politique moderne la société
civile » (Ganty E., Penser la
modernité. Essai sur Heidegger, Habermas et sur Heidegger, Habermas et
Éric Weil, préface de Gilbert Kirscher, Presses
universitaires de Namur, Namur, 1995, p. 185
* 24 Habermas, op. cit, p.
36.
* 25Habermas J., Théorie de l'agir
communicationnel, tome II : critique de la raison fonctionnaliste,
traduction par J-L Schlegel, Paris, Fayard, 1987.
* 26 Shakespeare faisait
à son époque dans Henri IV, V, 4 une distinction
remarquable entre opinion, bon renom, en opposant la « ruse de la
grande renommée (opinion) à la grandeur de la
vérité dont la simplicité se passe
d'artifices ».
* 27 Le Spectator,
n°204, 1712.
* 28 HABERMAS J.,
L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension
constitutive de la société bourgeoise, traduit de l'Allemand
par Marc B. de Launay, Paris, Payot, 1978.
* 29 LOCKE J., Essai
philosophique sur l'entendement humain, I, chap. II, § 11 ; cf.
R. K, Paris, Vrin, 2001.
* 30
https://damiengimenez.fr/le-regne-de-la-critique-de-reinhart-koselleck/.
* 31 D'ALEMBERT.,
Discours préliminaire de l'Encyclopédie 1751, Paris,
Gonthier, 1969 (coll : « Médiations »,
n°45).
* 32 BURKE E.,
Réflexions sur la Révolution française, Paris,
Livre de Poche(coll. « Pluriel », n° 8304-8305),
1977.
* 33ROUSEAU J-J.,Discours sur les Sciences et les
Arts, Paris, Garnier-Flammarion, 1971.
* 34ROUSSEAU J-J.,Du Contrat social, II, XII,
p.101.
* 35 Rousseau écrit
dans Du Contrat social P.140 : « La souveraineté
ne peut être représentée (...) ; elle consiste
essentiellement dans la volonté générale et la
volonté ne se représente point : elle est la même ou
elle est autre (...). Toute loi que le peuple en personne n'a pas
ratifiée est nulle ».
* 36Bentham J., An Essay on Political Tactics, The
Words of J. Bentham, Édimbourg, Bowring, 1843.
* 37Kant E., Projet de paix perpétuelle, Paris,
Vrin, 1975.
* 38Kant E., Qu'est-ce que l'Aufklärung,
Paris, Aubier, 1947.
* 39Kant E., Qu'est-ce que s'orienter dans la
pensée ?,Paris, Vrin, 1959.
* 40Kant E., Théorie et pratique, Paris,
Vrin, 1972.
* 41Kant E., Critique de la raison pure, Paris,
PUF, 1963.
* 42 Il faut noter que
l'espace public d'avant les Lumières et même après
était très sexué comme le souligne Éric Dacheux
dans son ouvrage intitulé Vaincre
l'indifférence. Les associations dans l'espace public
européen, Paris, CNRS, 2000. Dans le quatrième chapitre de
ce livre intitulé « L'espace public : la théorie
confrontée aux pratiques militantes », Dacheux rappelle (comme
Habermas l'a déjà fait des années avant lui) que
« l'espace public bourgeois ne concernait qu'une élite de
propriétaires sachant lire (...), et a été construit, en
partie, sur la relégation des femmes dans la sphère intime (ce
qui laissait le temps aux hommes de s'occuper des tâches
publiques » (p. 115).
* 43 « Loin
d'être simplement un espace d'échange rationnel entre individus
égaux, l'espace public des Lumières est un lieu d'affrontement
entre des intérêts contradictoires, qui s'appuie sur une
impressionnante liste d'études pour montrer que les libéraux
devaient, tout à la fois, faire face aux pressions de l'Etat d'un
côté et, de l'autre, à celle d'un public
plébéien et d'une élite radicale contestant la
bourgeoisie » (Dacheux, 2000, p. 115).
* 44 Emmanuel Kant
* 45 Kant, 1975, p. 71.
* 46 Kant E.,
Théorie et pratique, Paris, Vrin,1972, p. 53
* 47Kant E., Le conflit des facultés,
Paris, Vrin, 1973, p. 107.
* 48Sève B.,
« Kant (1724-1804) : le bonheur et la religion dans les
limites de la morale », in cairn.info.
DOI10.3917/dec.caill.2001.01.0485. Consulté en ligne le 05 avril 2023
à 00h38.
* 49 Si d'un
côté Kant appelle à un désintéressement
universalisable du devoir (« Agis comme si la maxime de ton action
pouvait être érigée par ta volonté en loi
universelle »), il retire à la politique sa fonction de
contribuer au bonheur des individus, ces derniers étant condamnés
à chercher leur bonheur de façon implicitement compatible avec
les intérêts de l'autre.
* 50 Dans Théorie
et pratique, Kant (1972, p. 290-291) peut écrire :
« Personne ne peut me contrarier à être
heureux à sa manière (comme il se représente le
bien-être d'un autre homme), mais chacun a le droit de chercher son
bonheur suivant le chemin qui lui paraît personnellement être le
bon, si seulement il ne nuit pas à la liberté d'un autre à
poursuivre une fin semblable, alors que cette liberté peut coexister
avec la liberté de tous d'après une loi générale
possible (c'est-à-dire s'il ne nuit pas à ce droit d'autrui). Un
gouvernement qui serait institué sur le principe du bon vouloir à
l'égard du peuple, comme celui d'un père avec ses
enfants, (...) dans lequel donc les sujets sont contraints, comme des enfants
mineurs qui ne peuvent pas distinguer ce qui est pour eux véritablement
utile ou pernicieux, de se comporter de façon simplement passive, pour
attendre uniquement du chef de l'État la façon dont ils doivent
être heureux, et uniquement de sa bonté que celui-ci aussi le
veuille ; un tel gouvernement constitue le plus grand despotisme
concevable (constitution qui supprime toute liberté aux sujets qui n'ont
alors absolument aucun droit).»
* 51Hegel G.W.F., Principes de la philosophie du
droit, Paris, Gallimard, 1940, § 301, p. 331.
* 52Raynaud P., Max Weber et les dilemmes de la raison
moderne, Paris, PUF, 1987, p. 41.
* 53 La
société civile hegelienne se définit comme « la
part non politique du vivre en commun des hommes, portée au jour par le
monde moderne, dont la « rationalité
supérieure » tient largement au fait qu'il reconnait les
droits du non-politique, - ceux de l'économique, ceux du
social » (Hegel, 2013, § 183, Notes de bas de page de J-F
Kervégan). Cette part non politique de la société civile
ne signifie pas que la société civile serait
indépendante de la sphère étatique-politique,
dont elle contient les « racines ». La
société civile existe seulement là où il y a un
État, et pas n'importe lequel, un État moderne, qui s'achemine
vers la Rationalité (Encyclopédie des sciences philosophiques
1827/30 III, III, § 527, p. 304). Hegel partage la conviction selon
laquelle la Révolution française serait l'acte de naissance de la
société civile en tant qu'elle a favorisé la
« libération des forces de la particularité »
en assurant ou en préfigurant la naissance de l'existence
institutionnelle, constitutionnelle, de l'universel. La société
civile est donc l'État externe ou la projection en
extériorité de l'Idée de l'État.
* 54Chaskiel P., « La discorde par la
communication ? Hegel face à l'opinion publique ».
OpenEdition Journals, Vol. 23/2/2005. Consulté en ligne le 16 avril 2023
à 00h57 mn.
* 55Hegel G.W.F., Principes de la philosophie du droit.
Édition critique établie par J-F Kervégan, 2013, Paris,
PUF.
* 56 Au sens politique d'un
parlement. D'où la publicité des débats parlementaires
permet au corps politique tout entier d'être informé de
l'intérêt général (des « affaires
universelles ») dont le contenu est précisé par ces
discussions (Notes de Jean-François Kervégan in Principes de
la philosophie du droit, 2013, PUF.).
* 57 Hegel lui accorde
l'apparence de la rationalité.
* 58 Idem
* 59 L'opinion publique a
dans sa composition quelque chose de substantiel qui est son
élément interne le portant malgré tout vers l'universel de
façon quoique ambiguë.
* 60 Hegel qui s'en tient
à une conception de l'opinion publique comme
l'expression-extérieure immédiate cite ici le
poète italien Ludovico Ariosto dit L'Arioste qui affirme dans un de ses
célèbres aphorismes : « Car l'ignare
imbécile/De ce qu'il sait le moins parle le plus souvent, /Et c'est pour
dénigrer qu'il est le plus savant » (L'Arioste, Roland
Furieux, Ch.XXVIII, strophe 1, v. 7-8, trad. B. Laroche, s.d., t. II, p.
113, Paris, Gallimard, 2003).
* 61 À cause de l'opinion publique,
populaire.
* 62 À la question de
Frédéric II de savoir s'il est « utile au peuple
d'être trompé » ou d'être induit dans de nouvelles
erreurs, le Mathématicien et Philosophe Français
Frédéric de Castillon lors de sa participation au concours de
l'Académie royale de Prusse en 1778 lui répondit :
« Ordinairement on entend en général par Peuple le gros
de la Nation qui, occupé presque sans relâche à des travaux
mécaniques, grossiers et pénibles, n'a aucune part au
gouvernement et aux emplois ».
* 63
https://www.revolutionpermanente.fr/Qu-est-ce-que-le-peuple
(consulté en ligne le 18 avril 2023 à 23h17).
* 64 Le souverain sait en
effet qu'un peuple « ne se laisse pas tromper sur sa base
substantielle, son essence, et le caractère défini de son esprit,
mais qu'il est trompé par lui-même dans la
manière dont il a savoir de celui-ci » (Hegel, 2013, §
317, p. 521).
* 65 La réalisation
de l'idée du droit chez Hegel a pour conséquences ce qui
suit : tout ce qui rationnel doit devenir effectif, réel, concret.
Seul ce qui a du sens peut espérer se concrétiser
grâce dans une réalité ayant connu la négation
de la négation, un processus de travail (réalisation)
dialectique permettant de mettre à nu ses propres contradictions
résolues en vue de sa maturation et de son affirmation ; tout ce qui est
effectif par un processus devient rationnel et vice versa.
* 66 Hegel, 2013, §
319.
* 67 Un des rares surnoms
donnés à Hegel.
* 68 La raison chez Hegel
est une puissance qui agit dans le monde comme liberté, et il est dans
l'essence de la liberté de produire des effets concrets. La critique
à peine voilée que Hegel adresse à Kant est d'avoir
pensé la raison comme une faculté simplement intelligible et non
une puissance qui produit la liberté dans l'histoire.
* 69 Hegel, 2013, §
319.
* 70 L'opinion publique
serait de l'ordre du formalisme abstrait, préoccupée
à ergoter sur des aspects purement particuliers de la
réalité en essayant de « chasser la nature
substantielle t concrète de la Chose » (idem).
* 71 Idem.
* 72 Idem.
* 73 C'est plus par l'oubli
que l'oubli que l'opinion publique est anéantie, mise hors de danger de
la communauté que par la répression et ce mépris fait en
sorte que l'opinion publique est son propre juge, le juge de « ses
propres débordements » et égarements.
* 74 Ibid, § 320.
* 75 « Que
tous doivent individuellement prendre part à l'activité
de délibération et de décision relative aux affaires
universelles de l'État, parce que ces « tous » sont
membres de l'État et que ses affaires sont les affaires de tous
- qu'ils aient un droit d'être présents en elles
avec leur savoir et leur volonté » (idem).
* 76 Ibid, § 308.
* 77 Ibid, § 251.
* 78 La députation
procède de la société civile et d'après la nature
de ses différentes corporations et les députés ont pour
mission substantielle en dépit des besoins spéciaux, des
obstacles, des intérêts particuliers qui les influencent -
d'être au-dessus des clivages politiques, d'éviter que
l'élection ne «tombe au pouvoir d'un petit nombre, d'un parti, [et]
en cela, au pouvoir de l'intérêt contingent, particulier, qui
devait précisément être neutralisé »
(Ibid, § 311).
* 79 Hegel fait sien
l'argument selon lequel « le Parlement n'est pas un congrès
d'ambassadeurs d'intérêts différents et hostiles, mais une
assemblée délibérative de la nation entière, avec
un seul intérêt. Celui de l'ensemble » (Burke E., « Adresse aux électeurs de
Bristol », Works, t. III, Londres, 1803, p. 20).
* 80Contrat Social,
OC III, p. 429.
* 81 La
société civile est régie par un système rigide qui
trouve tout son sens dans sa nécessité existentielle
(Notwendigkeit), nécessité qu'énoncent les
« lois du marché » et qu'administre la
« main invisible », que ses membres sont soumis à la
nécessité qui prend notamment la forme de la spirale des besoins.
Cela signifie que le « membre de la société civile, ce
n'est pas encore l'homme raisonnable atteignant consciemment à son
universalité substantielle ; c'est l'homme du besoin et l'homme du
travail à cause du besoin : l'homme besogneux, si l'on accepte
d'entendre par « besogne » à la fois son sens
étymologique de besoin et son sens contemporain de travail
pénible et inintéressante » (Quelquejeu B.,
« K. Marx a-t-il constitué une théorie du pouvoir
d'État ? Le débat avec Hegel », Janvier 1979, Vol.
63, No. 1, Revue des Sciences philosophiques et théologiques,
p. 33).
* 82 Au sens habermassien du
terme comme entente mutuelle des volontés réunies à propos
de l'universel.
* 83 Hegel, 2013, §
258, p. 417.
* 84 Habermas, 1978, p.
128
* 85Ce conflit
d'intérêts dans l'espace public entre propriétaires et
prolétaires contraint le prolétariat à « ne se
définir que négativement ; il n'est une catégorie
qu'au regard de l'assistance due aux miséreux » (idem).
* 86Quelquejeu B., « K. Marx a-t-il
constitué une théorie du pouvoir d'État ? Le
débat avec Hegel », Janvier 1979, Vol. 63, No. 1, Revue
des Sciences philosophiques et théologiques, pp. 33-34.
* 87idem
* 88 L'autorité comme
« sphère de l'objectivité que l'Esprit s'est
donnée sous la forme de l'État » (Habermas, 1978, p.
129).
* 89 L'esprit d'un peuple
(Volksgeist) comme opinion publique manque par sa contingence quelque chose de
substantiel qui puisse s'universaliser par des principes moraux.
* 90 Hegel, 2013, §
319, p. 524.
* 91 Habermas, 1978, p.
13.
* 92Grand théoricien
de la propriété privée, Hegel soutient que le premier pas
de l'esprit objectif, c'est-à-dire réalisé dans le monde
social, est la propriété. Cette dernière permet aux
propriétaires fonciers (seuls citoyens définis par leur
propriété) de participer directement au pouvoir législatif
parce » qu'ils représentent ou expriment « la
réalité morale naturelle et forment un ordre socio-politique
dans la mesure où leur patrimoine est établi comme
indépendant aussi bien du patrimoine de l'État que de
l'insécurité du profit, de l'appât du et la
mutabilité de la possession »,
Vieillard-Baron Jean-Louis., « Le prince et le citoyen : pouvoir
et propriété du corps selon Hegel », in Revue de
métaphysique et de morale, 2001/1 (n° 29), Paris, PUF.
* 93 Quelquejeu, 1979, p.
20.
* 94Marx K., Critique du
droit politique hégélien, traduction et introduction de
Albert BARAQUIN, Paris, Éditions sociales, 1975.
* 95 Cet article de Karl Marx a paru dans la
Gazette rhénane n° 191, 193 et 195 des 10, 12 et 14 juillet 1842.
Traduit d'après Karl Marx - Friedrich Engels : OEuvres, tome I,
Berlin, 1958, pp. 86 à 104.
* 96
https://blogs.mediapart.fr/vincent-presumey/blog/280917/1837-1848-suivi-des-ecrits-de-karl-marx-2-epoque-combat-pour-la-democratie.
Consulté en ligne le 12 mai 2023 à 11h44 mn.
* 97 La Diète de
Rhénanie était composée de 79 membres dont 4
représentants des princes, 25 des nobles, 25 de la bourgeoisie et 25 des
paysans. Les décisions étaient prises à la majorité
des deux tiers.
* 98 Potte-Bonneville M., « Liberté
manifeste. Marx a bonne presse », in Vacarme, 2018/4, pages 88
à 91, Paris, Éditions Association Vacarme.
* 99Marx K., OEuvres philosophiques, Tome I,
Traduction par Jacques Molitor, Paris, Alfred Costes, 1952.
* 100 Ibid, p. 155.
* 101op. cit.
* 102Lettre de Marx à Arnold Ruge, datée de
septembre 1843, publiée dans les Annales Franco-Allemandes,
Berlin,1843.
* 103Marx K., Contribution à la critique de
l'Économie politique, Paris, Éditions Sociales, 1957.
* 104Unkritisch en
allemand.
* 105 Cette mystification
n'est rien d'autre « qu'une malencontreuse bâtardise où
la forme ment à la signification et où la signification ment
à la forme, où ni la forme ne parvient à sa signification
et à la forme réelle, ni la signification à la forme et
à la signification réelle » (Marx, 1975, p. 139).
* 106 Ibidem, p. 53.
* 107 Ibidem, p. 68.
* 108 Ibidem, p. 68-69.
* 109 Ibidem, p. 180.
* 110
« L'élection est le rapport réel de
la société-civile bourgeoise réelle à la
société civile-bourgeoise du pouvoir
législatif, à l'élément
représentatif.Ou : l'élection est le
rapport immédiat, le rapport direct, qui n'est pas
simplement de représentation mais d'être, de la
société civile-bourgeoise à l'État politique. Il va
de soi par suite que l'élection forme l'intérêt
politique principal de la société civile-bourgeoise
réelle. C'est seulement dans le droit de vote aussi bien que dans
l'éligibilité sans limitations que la
société civile-bourgeoise s'est réellement
élevée à l'abstraction d'elle-même, à
l'existence politique comme à sa vraie existence universelle et
essentielle. Mais l'accomplissement de cette abstraction est en même
temps l'abrogation de l'abstraction », idem, p. 184-185.
* 111 Idem.
* 112Habermas J., De l'éthique de la
discussion, traduction de Marc Hunyadi, Paris, Les Éditions du
CERF, 1992.
* 113 Ibidem, p. 181.
* 114 La députation
« a aussi le sens qu'ils (les députés) ne font pas
valoir l'intérêt particulier d'une commune, d'une corporation
à l'encontre de l'intérêt universel, qu'ils font au
contraire valoir essentiellement celui-ci » (Hegel, 2013, § 309,
p. 512).
* 115 Marx (1975, p. 191)
note qu'ils « sortent des corporations, représentent des
intérêts particuliers et ces besoins, et ne se laissent
pas déranger par des abstractions comme si
« l'intérêt universel » n'était pas
aussi une telle abstraction, une abstraction justement de leurs
intérêts de corporation, etc. «
* 116 Ibid, p. 189.
* 117 Idem.
* 118 Habermas, 1978, p.
132.
* 119 Ibidem, p. 134.
* 120 Idem.
* 121 Ibidem, p. 222.
*
122Nachtwächterstaat, cette expression du
socialiste allemand Ferdinand Lassale signifie que l'État vaut mieux que
l'anarchie et son rôle est de protéger les droits individuels
fondamentaux de ses citoyens.
* 123 Ibidem, p. 172.
* 124Horkheimer M & Adorno T W., La dialectique de
la raison, Paris, Gallimard, 2018.
* 125Lukács G., Histoire et conscience de
classe, trad. K. Axelos et J. Bois, Minuit, Paris, 1960 [1923],
p. 384.
* 126« La technologie
de l'industrie culturelle - écrivent-ils - n'a abouti
qu'à la standardisation et à la production en série, en
sacrifiant tout ce qui faisait la différence entre la logique de
l'oeuvre et celle du système social?» (Horkheimer & Adorno,
ibidem, p. 130). Horkheimer et Adorno pointent du doigt la fabrication de
produits standardisés, faciles à consommer qui servent ainsi
à tromper et manipuler la masse. L'existence de l'art moderne dans ce
sens se déploie sous le voile du battage publicitaire et la
reconnaissance des oeuvres d'art par la presse (publizistisch) suffit
pour les valider. Ce qui retire au public son rôle de critique qui valide
ou non les créations artistiques par son appréciation.
* 127 Ibidem, p. 152.
* 128 Habermas, 1978, p.
175
* 129Bleyer W. G., Histoire du journalisme
américain, Boston, Houghton Mifflin, 1927, p. 184.
* 130 C'est-à-dire
la possibilité de prendre la parole, de contredire et d'être
contredit, de parler de ce qu'on a consommé, suivi,
écouté.
* 131 « Cette
Presse qui s'était développée à partir de l'usage
que le public faisait de sa raison et qui se contentait d'être le
prolongement des discussions qui y avaient lieu restait de part en part une
institution propre à ce public même ; son rôle
était d'être un médiateur et un stimulant des discussions
publiques --non plus simple organe de la circulation des informations, mais pas
encore media d'une culture de consommation » (Habermas,
1978, p. 191).
* 132Ibidem, p. 183.
* 133 Ibidem, p. 186.
* 134 Ibidem, p. 188.
* 135Leibholz G.,
Problèmes structurels de la démocratie moderne
(conférences et essais), Mueller, Karlsruhe, 1958, p.
94.
* 136Dahlgren P., et al. « L'espace public et les
médias. Une nouvelle ère ? », Dans Hermès,
La Revue 1994/1 (N°13-14), p. 244, Paris, Éditions CNRS
Éditions.
* 137 Les idées
prenaient le pas sur les affaires et les entreprises de presse ont
accordé cette forme de liberté « qui était
partout au principe de la communication entretenue par les personnes
privées formant le public » (Habermas, 1978, p. 191).
* 138 Ibidem, p. 195.
* 139 Ibidem, p. 203.
* 140 Idem.
* 141Ferry J-M., « Civilité,
légalité, publicité. Considérations sur
l'identité politique de « l'homme
européen » », Dans Revue d'Éthique et de
théologie morale, Paris, Éditions du Cerf, 2011/4 (n° 267),
p. 9. Consulté en ligne le 31 mai 2023
* 142 Habermas J., « Réflexions sur le
concept de participation politique », in : J. Habermas et al.,
Étudiant et politique. Une étude sociologique de la
conscience politique des étudiants de Francfort, Neuwied,
Luchterhand, 1961, p. 11-55, citation p. 31 (l'étude fut publiée
en 1961, mais achevée en 1958).
* 143Lits M., « L'espace public : concept
fondateur de la communication », Dans Hermès, La revue, Paris,
Éditions du Cerf, p. 77, 2014/3 (n° 70).
* 144 Idem
* 145Dahl R., « Hiérarchie,
démocratie et marchandage en politique et en
économie », in Research Frontiers in Politics and government,
Washington, 1955, p. 47.
* 146 Habermas, op. cit. p.
208.
* 147 Ibidem, p. 209.
* 148 Ibidem, p. 212.
* 149 Ibidem, p. 218.
* 150Haber S., « Le « monde de la
vie » comme catégorie critique aujourd'hui », in
Cahiers Philosophiques, Chasseneuil-du-Poitou, 2013/1 (N° 132), p. 67.
Consulté en ligne le 1er juin 2023 à 06h45.
* 151 Ce que Habermas
(1978, p. 225) appelle encore « la sphère publique politique
fabriquée pour une durée limitée qui
intègre le domaine de la politique grâce à des
techniques psycho-sociologiques, au monde de la consommation ».
* 152 Idem.
* 153Habermas J., Droit et démocratie :
entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, p. 401.
* 154«Les idées
d'une philosophie des Lumières proviennent du fonds des illusions
transmises historiquement. Aussi devons-nous comprendre les actions d'une
philosophie des Lumières comme la tentative de tester la limite du
réalisable en ce qui concerne le contenu utopique du patrimoine culturel
dans des circonstances données » (cf.Habermas J.,La technique et la science comme
idéologie[1968], préf. et trad. Jean-René Ladmiral,
Paris, Éditions Denoël, 1984). Cet ouvrage est une leçon
inaugurale prononcée par Habermas à l'Université de
Francfort en 1965.
* 155 Habermas nuance en
rappelant que ces idéaux de la modernité ne sont pas
« des acquis définitifs » mais des
« intuitions » qu'il faut renouveler sans cesse par une
« veille rationnelle critique » (cf. Howard D.,
« Habermas citoyen. Les « Petits écrits
politiques » du philosophe allemand », Dans Revue Esprit
2015/8-9 (Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit.
* 156Foessel M.,
« Critique et communication : les tâches de la
philosophie. Entretien avec Jürgen Habermas », traduit de
l'allemand par Lucien Boulaire, Dans Revue Esprit 2015/8-9
(Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit, p. 41-42.
* 157 Weber M., Le
savant et le politique, Paris, Union Générale
d'Éditions, 2001.
* 158 Kant E.,
Qu'est-ce que les Lumières ? Traduction de Jean
-François Poirier et Françoise Proust, Paris, Flammarion, 2020,
p. 6.
* 159Durand-Gasselin J-M., « La fin des mandarins
allemands », Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre),
Paris, Éditions Esprit.
* 160 Kant E., Critique
de la raison pure, Paris, PUF, 2012.
* 161MARCUSE H.,L'homme unidimensionnel, trad.
Wittig M, Paris, Éditions de Minuit, 1968.
* 162 Les impératifs
hypothétiques sont chez Kant contrairement aux impératifs
catégoriques, conditionnés par le rapport moyen-fin. Ils ne
prescrivent quelque chose que si la volonté veut atteindre telle ou
telle fin et peuvent être l'objet d'un désir, d'un plaisir ou d'un
intérêt personnel qui ne prétend pas s'universaliser. Parmi
les impératifs hypothétiques, il y a ceux dits, techniques ou de
l'habileté, les impératifs pragmatiques ou de la prudence.
* 163 Kant E.,
Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. Victor Delbos,
Paris, Librairie Générale Française, 1993.
* 164 Horkheimer &
Adorno, op. cit. p. 18.
* 165Habermas J.,
Théorie de l'agir communicationnel, t. I, trad. Jean-Marc
Ferry, Paris, Fayard, 1987, p. 8.
* 166Habermas J.,
« Espace public et sphère publique politique. Les racines
biographiques de deux thèmes de pensée », trad.
Christian Bouchindhomme, Dans Revue Esprit 2015/8-9 (Août-Septembre),
Paris, Éditions Esprit, p. 24.
* 167 Ibidem, p. 15.
* 168 Habermas J.,
Morale et communication. Conscience morale et activité
communicationnelle, trad. Christian Bouchindhomme, Paris, Les
Éditions du Cerf, 1991, p. 79.
* 169 Habermas J., De
l'éthique de la discussion, trad. Mark Hunyadi, Paris, Les
Éditions du Cerf, 1992.
* 170 Derrida J.,
Politiques de l'amitié, Paris, Galilée, 1996.
* 171 Habermas, ibidem, p.
34.
* 172Günther K., Le sens de la pertinence :
discours d'application en morale et en droit, Frankfort, Suhrkamp,
1998.
* 173Ricoeur P., L'idéologie et l'utopie
[1986], trad. Myriam Revault d'Allonnes et Joël Roman, Paris, Le Seuil,
coll. « La couleur des idées », 1997. Cet ouvrage
reprend les leçons prononcées par Ricoeur en 1975 à
l'Université de Chicago.
* 174
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2007-2/opinion-publique-et-ideologie.html?item_id=2749.
Consulté en ligne le 16 mai 2023 à 10h52.
* 175 Ricoeur, 1997, p. 36.
* 176 « L'utopie
est une expression de l'imagination pour penser autrement » (Ricoeur,
1984, p. 61).
* 177 Ibid, p. 61-62.
* 178Habermas J., Une époque de transitions.
Écrits politiques 1998-2003, trad. Christian Bouchindhomme, Paris,
Fayard, 2005, p. 100.
* 179Roman S. ; « Consensus et utopie.
Lecture de Habermas par Paul Ricoeur »,Dans Revue Esprit 2015/8-9
(Août-Septembre), Paris, Éditions Esprit.
* 180 « La
critique de l'idéologie fait partie d'un processus de lutte et non de
reconnaissance. L'idée de communication libre reste une idée
inaccomplie, une idée régulatrice, une
« illusion » au sens où Freud distingue ce terme
d'une idée délirante » (Ricoeur, 1997, p. 329).
* 181Ricoeur P., Parcours de la reconnaissance. Trois
études, Paris, Stock, coll. « Les Essais »,
2004.
* 182 « L'utopie
nous fait faire un saut dans l'ailleurs, avec tous les risques d'un discours
fou et éventuellement sanguinaire. Une autre prison que celle du
réel est construite autour de schémas d'autant plus contraignants
pour la pensée que toute contrainte du réel en est absente. Il
n'est dès lors pas étonnant que la mentalité utopique
s'accompagne d'u mépris pour la logique de l'action et d'une
incapacité foncière à désigner le premier pas qu'il
faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du
réel existant » (Ricoeur, 1984, p. 62).
* 183Osiel M., Juger les crimes de masse : la
mémoire collective et le droit [1997], trad. Jean-Luc Fidel, Paris,
Le Seuil, coll. « La couleur des idées », 2006, p.
293.
* 184Habermas J., Connaissance et
intérêt [1968], trad. Gérard Clémençon,
Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1976, p. 93.
* 185 Ricoeur, 1997, p.
330.
* 186 Idem.
* 187 Idem.
* 188 Ibid, p. 331.
* 189 « L'utopie
nous fait faire un saut dans bailleurs, avec tous les risques d'un discours fou
(...). Une autre prison que celle du réel est construite dans
l'imaginaire autour de schémas d'autant plus contraignants pour la
pensée que toute contrainte du réel en est absente. Il n'est
dès lors pas étonnant que la mentalité utopique
s'accompagne d'un mépris pour la logique de l'action et d'une
incapacité foncière à désigner le premier pas qu'il
faudrait faire en direction de sa réalisation à partir du
réel existant » (Ricoeur, 1984, p. 62).
* 190 Ibid, p. 332.
* 191 Ricoeur, 1984, p. 53.
* 192 Ricoeur P.,
« L'idéologie et l'utopie : deux expressions de
l'imaginaire social », communication faite à la session de
Juillet 1983 sur « Éthique et politique » au Centre
Protestant de l'Ouest, 79370, Celles/Belle, in Autres Temps, Les cahiers du
Christianisme social, N°2, 1984, p. 53. Consulté en ligne le 02
juin 2023 à 01h40.
* 193
https://www.seuil.com/ouvrage/l-ideologie-et-l-utopie-paul-ric-ur/9782020217965.
Consulté en ligne le27 mai 2023 à 01h55.
* 194 Il est
considéré comme le père de la démocratie
grecque.
* 195Lévêque P & Vidal-Naquet.,
Clisthène l'Athénien : Essai sur la
représentation de l'espace et du temps dans la pensée politique
grecque de la fin du VIe siècle à la mort de
Platon, Paris, Macula, coll. « Deucalion », 2003.
* 196 Égalité
du droit à la parole dans la cité grecque.
* 197Platon., Gorgias, Paris, Flammarion, 2018,
461e.
* 198
https://www.histoire-et-civilisations.com/thematiques/antiquite/la-bataille-des-arginuses-une-victoire-en-proces-74426.php.
Publié le 21 juin 2021 à 18h28, mis à jour le 16 Novembre
2021 à 11h06 et consulté en ligne le 02 juin 2023 à
02h45.
* 199
https://odysseum.eduscol.education.fr/historique-les-crises-de-la-fin-du-vdeg-siecle.
Publié le 25 septembre 2019 et consulté en ligne le 03 juin 2023
à 09h45.
* 200
« Représentation ne signifie plus alors reproduction ou
représentation figurative (...), mais, désormais,
suppléance (...). Representare signifie faire acte de
présence où la persona representate est
simplement jouée ou figurée, cependant que le représentant
qui en exerce les droits reste dépendant d'elle », Gadamer H-G., Vérité et
Méthode, Paris, Seuil, 1996, p. 68.
* 201Bryon-Portet C., « La culture du secret et
ses enjeux dans la « Société de
communication », Quaderni [En ligne], mis en ligne le 05 Avril 2013,
consulté le 10 Janvier 2023. URL :
http://journals.openedition.org/quaderni/410.
* 202 Habermas, op. cit, p.
19.
* 203 Habermas, 1978, p.
152-153.
* 204Fraser N., Qu'est-ce que la justice sociale ?
Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005, p.
126.