ROSI DETTO ROZZI Sylvie N° 22112061
INE 213069696bk
AUX DETROURS DE LA VOIX ET SES «EN JE»
UNIVERSITE MONTEPELIER III
DEPARTEMENT DE PSYCHANALYSE UFR1 MASTER 2
PSYCHANALYSE
Le cri d'Edvard Munch
TABLE DES MATIERES 22-222
20212022
1
INTRODUCTION page 4
I - LA PULSION INVOCANTE page 7
I - 1 La dynamique orale et la naissance du sujet psychique page
7
a) L'objet oral page 7
b) L'objet anal page 7
c) L'objet scopique page 7
d) La voix et le scopique page 7
I - 2 Du cri à l'invocation page 14
II - LES NOMS DU PÈRE - LA VOIX DANS LA FILIATION
page 21
II - 1 Le Mythe du Schofar page 21
a) Donner de la voix, après l'avoir incorporée
page 23
b) Le père archaïque est mort,
dévoré... mais il ne le sait pas page 24
II -2 La voix surmoïque « du père » page
27
a) Le Schofar, la voix du père page 27
b) De l'injonction au désir, le mythe d'Abraham page
28
III - LA VOIX AU NIVEAU SOCIAL page 31
IV - L'APHONIE-DISPHONIE page 35
IV - 1- L'aspect organique page 36
IV - 2-La voix psychogène page 37
a) L'angoisse page 37
b) La voix peau page 41
c) Jeu du dedans-dehors page 42
d) La voix vide page 43
e) La perte. page 45
f) La jouissance page 46
V - LA VOIX ET TRAUMATISME - LE TROU VOCALIQUE
page 51
V- 1 - La forclusion vocale-les hallucinations page 52
V - 2- Le rien page 54
V - 3 - Je suis pensé page 55
V - 4 - Le Bruit page 56
VI - LA VOIX VOCALIQUE page 60
IV- 1 Le chant dans la liturgique page 60
VI - 2 - La voix dans l'opéra page 63
VI - 3 La Voix du symptôme au et le sinthome page 65
2
VI - 4 Le chant comme aire transitionnel page 68
VII - L'ILLUSION GROUPALE ET LA CHORALE page
73
VII - 1 Le caractère général du groupe
page 73
VII - 2 Les émotions communes page 75
VII - 3 Le groupe au sein de la chorale page
76
a) Le choeur page 78
b) L'identification au chef page 81
c) Le l'idéalisation et sublimation page 82
d) Le déni et la perte de l'objet page 83
e) Le narcissisme au sein de la chorale page 84
CONCLUSIONS page 86
BIBLIOGRAPHIE page 88
Annexe
MISE EN SITUATION SE METIER page 92
3
Remerciements
Remerciements à Julien Cueille pour son
aimable collaboration et son soutien et encouragements qui ont
contribués à l'élaboration de ce
mémoire.
4
INTRODUCTION
L'en « Je » de la voix chez le chanteur, le savoir
(ça voir) inconscient de la voix.
Les clients ou patients viennent me voir en tant que
pédagogue et art-thérapeute, sont ceux qui ont un problème
organique, enrouement, altération vocale, voix fatiguée, aphonie,
voix qui manque de timbre, inaudible, manque d'intensité etc. Ou tout
simplement pour un travail pédagogique.
D'autres viennent pour une quête d'un savoir sur
eux-mêmes, un mieux-être, qu'ils souhaitent découvrir bien
que cette découverte génère bien souvent une angoisse qui
les amène quelque fois à arrêter car celui qui travaille sa
voix prend le risque de déterrer des choses du tréfonds de
l'inconscient que le symptôme met en exergue ? Pourquoi une
élève après des années de tentative pour avoir un
enfant, dans l'année de ses études de chant tombe enceinte,
par
exemple ?
Pourquoi une élève n'arrivait pas à
chanter un ré et après y être parvenu ses souvenirs
traumatiques sont revenus à la surface. Pure coïncidence ?
Pourquoi le sujet ne supporte pas ce qui lui revient à
l'oreille de sa propre voix ? Qu'est-ce que la voix pourrait-elle donner
à voir et entendre du côté de l'entendement ? Au regard de
la voix où se situe la plainte, quelle est la demande ?
Mon parcours professionnel m'a amené à me poser
nombre de questions sur ce qui amène le sujet à consulter et
quels étaient les enjeux de ce travail sur la voix avec tous ses aspects
psychologiques et physiologiques, car il existe une aphonie organique, et une
aphonie psychogène qui démontre qu'au coeur de la voix quelque
chose nous convoque à notre insu au niveau inconscient qui traverse le
corps. La voix ne ment pas, elle révèle au sujet son état
interne par l'intermédiaire du symptôme.
5
La voix est liée au corps mais d'un point de vue
organique, mais elle est aussi psychogène, l'anxiété
étant pure affect, elle se fixe sur n'importe quel objet notamment ce
peut-être sur la
voix. Elle donc pulsionnelle c'est pourquoi la voix nous dit
s1J. Lacan
|
Séminaire, Livre
|
IX, L'angoisse (1962-1963), 5/6/63,
Paris2, Le Seuil, 2004, est le plus proche de l'inconscient car elle
soutient le discours. Sans voix il n'y aurait pas de langage. Ce sont les
modulations de la voix qui donnent sens au discours. De ce fait un mot prendra
un sens différent suivant le ton avec lequel il est émis.
Néanmoins, la voix peut-être séparable du corps, parmi ses
manifestations notamment on parle de voix égarées dans la
psychose, et le caractère parasitaire sous la forme des
impératifs interrompus du surmoi dans la névrose.
« La castration ayant opéré dans la
névrose, un sujet n'entend pas la voix dans le réel, ce qui fait
dire à J-A Miller3 que nous somme sourds.
Le monème voix s'entend comme : vois, voie, voie »
La voix s'écoute comme un livre ouvert parce qu'elle vient
dénicher une vérité du sujet sur lui-même qui se
donne à voir. La psychanalyse est fondée sur une écoute
spécifique du discours du patient qui vient chercher une
vérité sur lui-même en vue d'une libération d'une
souffrance psychique. Cette vérité qui libère est porteuse
d'une espérance à se faire entendre comme un appel à
l'autre du désir à se faire entendre. Elle est un mouvement une
possibilité d'ouverture à un espace psychique intérieur
qui a été refoulé, quand bien même cette
vérité de peut pas se dire, toujours frappée
d'incomplétude parce que liée au manque. Cette
vérité est une quête, elle n'a rien à voir avec un
savoir quelconque mais plutôt elle est de l'ordre du « ca voir
» il s'agit là de ce qui fait signe ou de s'approcher au plus
près de la place que la vérité occupe. Ce qui est à
entendre c'est ce qui échappe de l'in-su qui fait émerger une
vérité des profondeurs de l'inconscient. Dieu sait à quel
point la voix vient nous surprendre au moment où on s'y attend le moins
par des ratés vocaliques. Elle transforme la signification du message,
car suivant l'intonation le mot prendra un sens différent.
Cette voix peut-être est inaudible, perdue dans les
méandres laryngée et pourtant on ne peut pas dire j'ai perdu le
regard, mais j'ai perdu la vue, et non pas ma vue, alors qu'on dit j'ai perdu
ma voix. Le sujet a l'impression de mourir sombrant dans le néant
vocalique. Du coup on se sent amputé de la voix comme d'un membre. La
voix n'est jamais neutre, même quand nous
1 J. Lacan Séminaire, Livre IX, L'angoisse
(1962-1963), 5/6/63, Paris, Le Seuil, 2004
2 Ibid.
3 J-A Miller « Jacques Lacan et la voix
» Quarto, n°54, juin 1994 p.30
6
lisons le larynx bouge parce que la voix fait le lien avec le
souffle, la bouche et l'esprit. Je l'ai constaté en HEPAD chez les
personnes âgées, qui bien que ne chantant pas à haute voix,
leurs lèvres bougeaient et la glotte fluctuait comme si elles chantaient
de l'intérieur.
Du verrons dans ce mémoire comme la voix est un objet
perdu tout comme l'enfant perd la marche avant de la retrouver plus tard. C'est
notamment en envisageant la voix comme objet et précisément objet
(a) que nous allons examiner dans ce mémoire l'impact de la voix depuis
notre naissance Lacan 4 ayant repéré la voix comme
objet (a) par laquelle l'enfant reçoit le langage.
Nous verrons également pourquoi la voix est au coeur de
la cure psychanalytique et l'intérêt de s'y intéresser
notamment comment le symptôme vocal parle du sujet, Liée à
l'angoisse, la culpabilité, de quoi et de qui cette voix parle-t-elle
dans un rapport au dire du sujet et ce qu'elle charge de jouissance ?
Lacan dit que la voix est ce qui a de plus archaïque il
en a précisé les donnée dans son séminaire sur
« Les noms du Père »56 en ce que la parole
véhiculée par la voix contient la loi du désir de à
l'Autre.
Nous verrons aussi comment la voix chantée peut sans
doute mettre en mouvement un désir à l'autre d'être entendu
pour devenir « pulsion invocante ».
4 Iibd p.332
5 Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre X.
L'angoisse. Paris: Seuil, 2004.op.cité
7
I -LA PULSION INOCANTE
I-1 La dynamique orale et la naissance du sujet
psychique :
Dans Pulsions et destins des pulsions, Freud, en 1915, montre
comment le premier traitement de l'information se fait sur le mode oral,
prendre en soi rejeter hors soi.
« Le monde extérieur n'est pas à ce
moment-là (au tout début de la vie psychique), investi
d'intérêt (pour parler en général) et il est, pour
ce qui est de la satisfaction, indifférent. Donc à cette
époque, le moi-sujet coïncide avec ce qui est empreint de plaisir,
le monde extérieur avec ce qui est indifférent
(éventuellement avec ce qui, comme source de stimulus, est empreint de
déplaisir). [...] Sous la domination du principe de plaisir, s'effectue
alors en lui (le moi-sujet) un nouveau développement. Il accueille dans
son moi les objets offerts, dans la mesure où ils sont sources de
plaisir, il s'introjecte ceux-ci (selon l'expression de Ferenczi) et, d'un
autre côté, expulse hors de lui ce qui, dans son intérieur
propre, lui devient occasion de déplaisir. » 7
Ainsi est décrite une naissance à la vie
psychique de l'infans où seules les stimulations associées au
plaisir ou au déplaisir sont « traitées. Le rapport au monde
du sujet en devenir est dominé par l'incorporation où se jouent
les premiers enjeux identificatoires. Il en est de même pour la voix.
Nous verrons comment la voix est liée aux phénomènes
identificatoires et comment elle peut se perdre dans le « nous » puis
comment la voix est-elle mise en cause dans l'identification du sujet.
La voix est liée au souffle et pulsée
poussée. (drang) en vue d'une tendance constante à la
décharge. Elle a une source corporelle, organique et d'excitation, une
force, créant une tension
à soulager pour assurer la communication. Guy Rosalto en
parle comme la plus forte émanation
du corps8.
7 Sigmund.Freud 1915 « Pulsion et destin des
pulsions » Ed. Petite Biblio Payot Classiques
8 Guy Rosolato, « La voix, entre corps et
langage », La relation d'inconnu, Paris, Gallimard, 1978,
p.39.
8
Freud ne s'est jamais vraiment intéressé
à la voix bien que l'ayant évoqué dans ses rapports
cliniques sur l'hystérie notamment avec le cas de Dora atteinte, de
toux, de d'aphonie et de dépression 9. Lacan parlant de la
voix comme une pulsion invoquante, nous propose 1967 une dialectique des
pulsions.
Nous avons :
-L'objet oral étant référé à
la demande de l'autre
-L'objet anal à la demande de l'autre
-L'objet scopique : objet du désir à l'autre,
L'objet vocal : objet du désir à l'autre.
a) L'objet oral :
A l'excitation de l'alimentation par la bouche, les dents, le
palais et la langue, comme objet partiel d'amour de la mère,
répondant à la demande de l'enfant de nourriture, la parole a
dû prendre la place. Mais il nous a fallu faire préalablement, le
deuil de ce moment pour que la parole devienne un moyen de communication
verbale.
A la différence de `objet oral, le regard et la voix sont
« in avalables . »
b) L'objet anal :
Répondant au désir de l'autre fait un cadeau
à sa mère de ses matières fécales. A l'effet de la
parole l'enfant pourra maîtriser son sphincter.
Lorsque la voix répond à la demande de l'autre
elle devient objet anale. C'est pourquoi dans le médium voix il est
important de respecter le désir de l'autre à émettre un
son ou pas. La voix de l'autre ne nous regarde pas. En effet, tout comme nous
devons respecter la parole de l'autre, la voix doit être
réellement un transfert de la parole respectant le patient comme sujet
désirant et non répondant à la demande de l'autre.
c) L'objet scopique et la voix :
Le regard a pour fonction de diriger ses yeux vers quelque
chose ou quelqu'un (schuen) et de considérer les choses, de jauger notre
environnement pour en appréhender les risques. Donc il
protège.
9 Sigmund Freud, Études sur l'hystérie,
Paris, PUF 1989.
9
Avant même que « je me voie » dans le miroir
je suis regardé, exposé au regard de l'autre, « Il y a dans
le monde quelque chose qui regarde avant qu'il y ait une vue pour voir
»10, tout comme nous avons été parlés
avant même que nous soyons investis de la parole.
La voix invoquante serait scopique car elle est de l'ordre du
regard qui va vers l'autre dans le désir à se faire voir tout
comme la voix serait de l'ordre du désir à se faire entendre.
Mais ce que je demande à voir est toujours voilé, un manque est
toujours marqué sur le champ du regard, il en est de même sur le
champ de l'audible, car toujours interprété. Le regard de notre
mère nous parlant fut primordial car il a été
déterminant quant à la manière dont elle nous a
regardés. C'est aussi le jeu du regard qui a pu induire le « je
». C'est le regard de notre propre mère qui a forgé notre
narcissisme et a pu répondre à notre questionnement. Le regard de
notre mère, était notre miroir. Il a pu soutenir notre angoisse
ou au contraire nous apaiser. Le bébé perçoit l'humeur de
la mère par le regard. Ce que sa mère ressent, il le voit. Sans
ce miroir dans les yeux de sa mère, comme reflet de lui-même, le
bébé ne pourra pas se développer normalement ; Le regard
de notre mère a pu nous soutenir comme sujet de la relation. Ce qu'elle
a pu nous renvoyer de nous-mêmes en tant qu'être
désiré et aimé nous a aidé à nous
construire. Un regard vide renvoie à une angoisse mortifère
dangereuse pour le nourrisson qui dépend e sa mère. Il risque de
se perdre dans un regard qui ne le soutient pas et cela peut avoir des
conséquences graves sur l'évolution psychique de l'enfant. Mais
le regard a été associé à la voix de la mère
rassurante et pleine d'amour. Il y a donc une mise en image de la voix. La voix
à l'effet du regard s'adresse à l'autre. Le regard et la voix se
retrouvent ainsi sur la ligne front du désir et de la castration.
Quand elle est objet du désir de l'autre, la voix est
évoquante. Elle vient de la satisfaction à la manifestation de
soi à l'autre répondant au désir de l'autre de
communiquer.
Elle est invoquante lorsqu' elle appelle l'autre à
entrer en communication avec soi. Elle répond à notre propre
désir de communication. Lorsque nous nous adressons à quelqu'un
nous invoquons l'autre à nous écouter et à nous
répondre. Il faut que la voix s'enquît de l'oreille de l'autre par
exemple « Allo ! » au téléphone qui suppose que
quelqu'un soit au bout de la ligne pour y répondre.
-La source : c'est le larynx -La poussée :
10 Jacques .Lacan, « les quatre concepts
fondamentaux de la psychanalyse »p.97
10
C'est la poussée vitale puisse qu'elle est liée
au souffle, mais aussi avec une excitation constante qu'advienne une
symbolisation. Elle est pour Lacan la plus proche de l'expérience avec
l'inconscient car dans une certaine mesure il y a une proximité avec la
pulsion de mort.11
Le but :
Est la retrouvaille avec l'instant vocal juste avant que
ça s'arrête puisqu'il faut jouir de l'instant présent.
J'insiste sur le mot jouir car il correspond également au terme «je
ouïs de ma voix» aussi bien de l'extérieur que de
l'intérieur parce qu'articulée à l'oreille. Elle apparait
comme une insatisfaction à notre appel de demande d'amour.
« Le Langage est bon, le langage est vraiment humain
parce qu'il permet à l'homme d'arrimer le silence du regard, au
désintéressement. Le philosophe Éric Weil nous parle ainsi
de la « voix qui fait corps, de l'apparition du visage qui fait
face.»12
Freud dans sa réflexion sur les aphasies distingue des
« représentations de chose » et « des
représentations de mot » - distinction dont il ne cessera de faire
usage tout au long de son élaboration
métapsychologique.13
« Le mot est une représentation complexe
composée d'éléments acoustiques, visuels
kinesthésiques et acquiert sa signification par sa liaison avec la
« représentation de l'objet »le complexe associatif
constitué des représentations visuelles, acoustique, tactiles,
kinesthésiques. Mais précisément l'image sonore (verbale)
est déterminante dans la production verbalisée, le mot
étant essentiellement entendu, tandis que le visuel s'inscrit dans le
registre de l'objet ou de la chose »14
Relativement au regard à l'effet
d'étrangeté, Freud s'est intéressé à
l'oeuvre d'Offenbach dans les contes d'Hoffmann notamment celui du 2ème
acte qu'il nomme « L'Homme au sable » dans l'inquiétante
étrangeté. En voici le résumé :
Acte II : Olympia Dans son cabinet, le physicien Spallanzani
se félicite de la beauté de sa fille Olympia dont il
espère tirer suffisamment d'argent pour compenser les pertes subies lors
de la banqueroute du juif Elias. Il s'inquiète cependant du risque que
son associé Coppélius ne lui
11.Lacan, Seminaire X, L'angoisse (1962-1963)
op.cit
12 Eric Jacques.Weil, Logique de la philosophie,
Paris, Vrin, 1950
13 Sur cette question, cf. P.L.Assoun, «
introduction à la métapsychologie freudienne »,
Presses Universitaires de France, 1993, 2ème Ed. 2014,
ch.IV, p.65-83
14 P.L Assoun « Le regard et la voix »
3ème ed. Economica Atrhorpos, p.52
11
réclame sa part des gains. Son étudiant,
Hoffmann, fait alors son entrée, espérant voir Olympia dont il
est tombé amoureux, à l'occasion du banquet donné le
soir-même. Appelé par son valet Cochenille, Spallanzani laisse le
jeune homme seul un instant. Hoffmann est alors rejoint par Nicklausse qui le
met en garde sur son amante (« Voyez-la sous son éventail
»).Coppélius paraît alors, proposant ses services à
Hoffmann (« Je me nomme Coppélius ») : pour trois ducats, il
lui fait admirer les yeux d'Olympia (« Tes yeux me brûlant de leur
flammes »). A Spallanzani qui revient, Coppélius réclame de
l'argent en échange de la cession des yeux d'Olympia, qui sont de sa
fabrication. Espérant se débarrasser de lui, Spallanzani lui tend
une traite à retirer chez le juif Elias (celui-là même qui
a fait banqueroute). C'est alors que les invités sont introduits par
Cochenille (« Non aucun hôte vraiment »). Spallanzani leur
présente Olympia (« Elle a de très beaux yeux »). La
jeune femme automate fait d'abord la démonstration de ses talents de
chanteuse (« Les oiseaux dans la charmille »). Tandis que les
convives passent au dîner, Hoffmann s'approche d'Olympia et lui
dévoile son amour, auquel l'automate semble répondre avec
intérêt (« Ah ! Vivre à deux, n'avoir qu'une
même espérance »). Mais, mue par un dysfonctionnement,
Olympia quitte la pièce en courant. Pourtant, Hoffmann la défend
devant Nicklausse qui la sait sans âme (« Oui, pauvres fous qui riez
d'elle ! »). Alors que Coppélius revient, furieux de s'être
fait voler, Hoffmann invite Olympia à danser une valse. Mais son
dysfonctionnement la rendant dangereuse, Spallanzani décide de la cacher
au public. Cochenille revient peu après, annonçant que
Coppélius a détruit l'automate. Tandis que Spallanzani et
Hoffmann se désolent, l'assemblée moque l'amour d'Hoffmann pour
une poupée (« Elle danse en cadences.
« Je m'aperçus que le rideau d'une porte
vitrée, soigneusement fermé d'ordinaire, laissait passer un petit
jour sur le côté. Je ne sais comment j'eus la curiosité d'y
appliquer l'oeil. Une femme d'une taille élancée, et de la plus
admirable conformation, vêtue magnifiquement, était assise dans
cette chambre devant une petite table, sur laquelle elle appuyait ses deux
bras, les mains croisées. Elle était placée
vis-à-vis la porte, et je pus contempler l'angélique
beauté de son visage. Mais elle, tournée vers moi, semblait ne
pas me voir, ou plutôt ses yeux avaient je ne sais quel regard fixe,
comme dénué, pour ainsi dire, d'aucune puissance de vision. Elle
me faisait l'effet d'une personne qui dormirait les yeux ouverts."
Ernst Theodore Amadeus Hoffmann : Contes nocturnes - L'Homme
au Sable - 1817
L'expression assez inhabituelle d'« Augenangst
» venue sous la plume de Freud dans son écrit sur «
L'inquiétante étrangeté » ne saurait
équivaloir à une crainte somme toute assez banale de «
perdre les yeux » ou de « perdre la vue »
12
Pour comprendre cela, il faut examiner le jeu des regards
entre Nathanaël et Olympia. Il y a deux phases nettement
différenciées dans ces relations optiques, souligne Milner. Dans
la première, Olympia est privée de regard, quand Nathanaël
la voit pour la première fois, dans la fente du rideau, il voit un
regard vide : « elle semblait ne pas me voir, et d'ailleurs ses yeux
avaient je ne sais quel regard fixe, comme dénué, pour ainsi dire
de toute expression de vision. Il me semblait qu'elle dormait les yeux ouverts
». Et quand il la regarde de l'appartement d'en face, à
«l'oeil nu », avant que Coppola ne lui laisse sa lorgnette, il l'a
voit toujours immobile, regardant de son côté « d'un oeil
fixe ».
Si l'oeil institue le champ du désirable dans le
rapport à l'autre, il ne faut pas oublier qu'au désirable il y a
un désirant. C'est ce que tente de faire Hoffmann, c'est de voir dans ce
regard vide d'Olympia un être désirant.
« Réfléchissons à la portée
de cette formule que je crois pouvoir dire la plus générale de ce
qu'est le surgissement de l'Unheimlich. Pensez que vous avez à
faire au plus désirable le plus reposant, à sa forme la plus
apaisante, la statue divine qui n'est que divine. Quoi de plus Unheimlich
que de la voir s'animer, c'est-à-dire se pouvoir montrer
désirante ! » 15
Ce n'est que la lorgnette de Coppola qui donnera au regard
d'Olympia l'éclat de la vie, car Hoffmann est pris dans un leurre
fascine par l'oeil d'Olympia qui n'a pas de regard. Le regard est le mouvement
et l'oeil fixe tue ce mouvement comme expression de la vie. Il est
mortifié. C'est ce que Lacan nommera le « fascinum ».
Le regard est une jonction entre l'imaginaire et le symbolique. 16
Roger est attiré par une lumière que fait le
spot au plafond. Roger suis la lumière, tourne autour de la pièce
ne la lâchant pas des yeux. Je me saisis de son intérêt pour
cette lumière et je vais chercher une lampe, me disant que cela pourrait
bien participer d'un jeu avec lui au son d'une musique. Je tente un jeu de
cache-cache avec la lumière qui danse, qui s'allume et qui
s'éteint. Roger rigole, trépigne des pieds et suis la
lumière mais me laisse à l'écart de son monde
fantasmatique crée par lui, bordé par lui. Est-ce une tentative
d'accordage du corps avec ses affects qui permettrait de localiser sa
jouissance en en lieu spécifique ici le regard ?
15 Mas Milner, La fantasmagorie - Essais sur l'optique
fantastique, PUF, 1982.
16 Jacques Lacan, « Les quatre concepts
fondamentaux de la psychanalyse », Livre XI [1964], Paris, Le Seuil, 1973
p.132 op.cit.
13
Ce qui est intéressant de relever ici « c'est la
préexistence d'un regard « je ne vois que d'un point, mais dans mon
existence je suis regardé de partout ». Ce regard, lui, où
est-il ? Que dit-il de moi et de l'autre ? Il est au champ de l'Autre, nous dit
Lacan, toujours. Qu'est-ce que le champ de l'Autre ?17; Le champ de
l'autre c'est le désir de l'autre fondé sur la séparation
et l'interdit structurant de la jouissance absolue ?
Je suis Là d'où je suis regardé. Le
regard c'est le plus singulier de chacun, il renvoie au désir de
l'Autre, mais aussi à notre propre jouissance face à ce monde qui
nous regarde de partout. Dans la dialectique « oeil et regard » il y
a un leurre car au même titre que le mot n'est pas parole chevillé
au langage l'oeil n'est pas. L'enfant questionne sa mère du regard quant
à l'amour qu'elle lui témoigne. Cette demande est
forcément insatisfaite car «jamais tu ne me regarde comme je te
vois où là où je te vois» Je ne vois jamais ce que je
voudrais voir.
Dans le transfert je me situe en trompe l'oeil pour Roger. Je
suis la face cachée de son regard car il ne me regarde pas, c'est en ce
sens que j'accepte d'être un leurre sachant que mon propre regard met du
tiers dans notre relation, en vue que l'objet ne soit pas perçu comme
objet absolu du désir mais objet pour le désir. Or, comment ce
désir peut-il advenir au-delà de la demande comme manque de
l'objet ?
« Je ne vois que d'un point, mais dans mon existence je
suis regardé de partout » « c'est la préexistence d'un
regard ». Ce regard, lui, où est-il ? Que dit-il de moi et de
l'autre ? Il est au champ de l'Autre, nous dit Lacan, toujours. Qu'est-ce que
le champ de l'Autre ?
Là d'où je suis regardé. Le regard c'est
le plus singulier de chacun, il renvoie au désir de l'Autre, mais aussi
à notre propre jouissance face à ce monde qui nous regarde de
partout. Dans la dialectique « oeil et regard » il y a un leurre car
au même titre que le mot n'est pas parole chevillé au langage
l'oeil n'est pas. L'enfant questionne sa mère du regard quant à
l'amour qu'elle lui témoigne. « Finalement, le regard, tout regard
est un trompe-l'oeil, suprématie du regard sur l'organe Explorer ce
champ, c'est s'enfoncer dans la clinique, au coeur de ce qui fonde le sujet,
dans le plus intime de son rapport au désir de l'Autre » dira
Lacan. « Leurre et trompe l'oeil»18
17 Ibid.p 39
18 Jacques Lacan - "Sem XI, « Les quatre
concepts de la psychanalyse", Ed : Seuil, 1963-64, op.cité
14
Le report à l'oeil est un leurre car l'autre ne donne
à voir que ce qu'il nous laisse voir. Il manque donc quelque chose,
c'est un ce sens qu'il est objet (a) (-ö)
Le champ de l'autre c'est le désir de l'autre
fondé sur la séparation et l'interdit structurant de la
jouissance absolue ? L'oeil se fait jouissance absolue, mais aussi la voix au
travers d'un rire et des gazouillis provenant de la grotte laryngée.
Voix de la Jouissance qui n'appelle pas, qui n'a pas d'adresse.
« C'est au moment où nous découvrons qu'il
ne s'agit que d'un trompe-l'oeil, répond-il. Le trompe-l'oeil n'est
qu'une promesse, qui convie à s'approcher, promesse d'une
révélation sur l'au-delà du visible, sur ce que personne
n'a jamais vu et qui va être dévoilé, mais qui ne prend sa
valeur que d'être un leurre. Le charme qui captive et provoque la
jubilation est une supposition de maîtrise du réel - un dialogue
avec l'objet a dit Lacan » 19
Pour ce qui est de la voix d'Olympia « ma fille
obéît à mes moindres caprices » lui demande de
chanter. Ce chant exclusivement vocalique « les oiseaux dans la charmille
» déshumanise Olympia qui chante telle une machine avec des
vocalises vertigineuses. Ce chant est caractérisé par la demande
de l'autre, il est donc du côté de l'analité comme
déversoir de paroles ressemblant à une diarrhée verbale.
Voix comme regard sont bien ici dans la, la schize comme dit Lacan entre l'oeil
et le regard, le visible et l'invisible, la voix et la parole, l'audible et
l'inaudible
I-2 DU CRI A L'INVOCATION :
C'est la voix qui permet de recevoir le nouveau-né dans
le monde. Denis Vasse par le la voix comme étant le 1er lien
avec le nouveau-né après la rupture du cordon
ombilical.20
Invocare en latin renvoie à l'appel. Mais pour appeler,
il faut donner de la voix et la déposer comme on dépose le regard
devant un tableau c'est pourquoi elle est aussi scopique. Pour cela, il faut
que le sujet l'ait reçue de l'autre, qui aura répondu au cri qui
à son tour l'aura interprété comme une demande, puis
l'oublier ou ne plus l'entendre afin de pouvoir lui-même disposer de sa
propre voix sans se trouver encombrer par celle de l'autre.
Mais comment notre premier cri, première manifestation
de la souffrance comme une décharge, est-il devenu appel dont la
réponse de l'autre marquera le désir ? Le cri du
nouveau-né est perçu
19 .ibid. p. 103.
20 DenisVasse « L'ombilic et la voix
»Ed. Du Seuil
15
par l'entourage comme la première manifestation vitale
de l'enfant. Il n'est donc plus perçu comme une simple manifestation
corporelle de la souffrance mais comme un appel, une demande.
« Déjà le foetus bien avant la naissance
vit dans un bain sonore, ce sera les viscères de la mère, ses
battements cardiaques. On sait qu'à partir de 5 mois il répond
aux sollicitations vocales de la mère par transmission osseuse. Didier
Anzieu an parle comme des enveloppes sonores. »21
D.Stern parle dans une étude de la nature du processus
d'interaction sociale entre enfants et parents, durant les six premiers mois de
la vie du bébé, de « l'enveloppe pré narrative du
bébé se « Co construit » dans une interaction constante
avec l'identité narrative individuelle des parents et l'identité
narrative collective de leur communauté culturelle d'appartenance.
»22
D.W. Winnicott médecin psychiatre et psychanalyste va
s'intéresser à la vie première du nourrisson et va
instaurer la notion de :
Handling : (soins, manipulation de l'enfant, toilette, habillage,
caresse cutanée....
Holding : maintien, soutien de l'enfant d'un point de vue
physique et psychique. Au début de sa vie, l'enfant est le prolongement
de la mère (illusion primaire). La manière dont la mère
exercera le « Handling » est essentiel car il déterminera la
confiance ou pas que l'enfant aura avec son environnement.23
« C'est par la voix du bébé et son
agitation « qui touche le désir qu'éprouve la mère de
donner soin à celui-ci, et qui lui fait interpréter sa demande :
« il a faim ou il est mouillé » etc. « La voix de la
mère donne corps à l'enfant.24 « La parole est
don du langage, et le langage n'est pas immatériel. Il est corps,
subtil, mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images
corporelles qui captivent le sujet »25 Il se reconnaitra comme
sujet du discours, avant que de l'être du sien.
C'est déjà lorsque la mère instaurera le
baby-talk constituant un bain sonore essentiel, qui sera fondateur de la
capacité langagière du futur enfant et pour créer la
possibilité subjective de
21 Didier Anzieu « Les enveloppes psychiques
»ed.Dunod
22 Daniel Stern « Mère enfant
» : les premières relations » Ed Margada
23 D.W Winnicott « Jeu et
réalité » Ed. Folio/essais 1971
24 Denis Vasse « l'ombilic et la voix
» Ed. Essais
25 Jacques.Lacan « Fonction et champ de la
parole et du langage », in Ecrits, Paris 1966, Ed. Du Seuil p.301
16
réaliser la voix de l'autre comme étant
différente de la sienne. La voix deviendra source d'apaisement ou
d'inquiétude si la mère est suffisamment bonne pour
répondre à ses angoisses de frustration. 26Le cri de
l'enfant deviendra l'expression d'un sentiment, de fureur, de joie de
colère etc. Si le cri est la première expression affective, la
voix va le relayer introduisant des phénomènes sonores
spécifiquement humains comme des vibrations harmoniques. Petit à
petit l'enfant se fera une représentation de sa propre voix.
« Dans l'espace, le lieu ou dans le temps, se
répète la rencontre qui répond aux besoins et
désirs devient espace de sécurité pour l'enfant. Par
exemple l'enfant entend plus qu'il ne voit. Son espace de
sécurité auditif est plus grand que son espace visuel. Et son
espace tactile est encore plus réduit que son espace de
sécurité visuel. » A chaque séparation, le sommeil,
s'ensuit et à chaque affamement de l'enfant, une retrouvaille, qui lui
fait continuer d'éprouver comme érogène le lieu et
l'ensemble des lieux qui le relie à la mère »27
Freud 28 nous parle du fort-/da
c'est-à-dire de la capacité à jouir de l'absence et de la
réapparition de son objet d'amour. Il remarque que l'enfant va jeter des
objets ou jouets au loin avec une grande satisfaction.
Au moment où il ne les voit plus, il émet un son
(Oooo) que Freud traduit par le fort « loin, parti ». Le fait de
jeter l'objet traduit de l'agressivité et de la vengeance par rapport
à la mère partie loin de lui et produit une tension
désagréable, mais les retrouvailles lui procure plus de plaisir
et se manifeste un (haaa) correspondant à Da. Par le jeu l'enfant est
capable d'assumer et d'anticiper la disparition de l'objet. En effet, l'enfant
est capable d'assumer et d'anticiper la disparition de l'objet par des
vocalisations.
Donc l'enfant par ces vocable « Oh et Ah » est
capable non seulement de transcender l'absence mais aussi de l'exprimer. Le
vocable devient signifiant chargé de signifié, de sens, source de
symbole lui permettant de maîtriser les évènements. C'est
donc de la frustration qu'est né le plaisir. Le désir de l'homme
est d'une nature telle qu'l ne peut trouver aucun objet qui pleinement
adéquat à son appel ? Tout objet de l'homme fonction comme «
remplaçant », le substitut d'un autre, de cet objet
irrémédiablement absent, à jamais perdu. « De
même une
26 Ibid .P 29
27 Françoise .Dolto « L'image
inconsciente du corps » Ed. Essais p.38
28 Sigmund. Freud «au-delà du principe
de plaisir» Editions Petite Biblio Payot
17
sonorité de la voix maternelle à distance est
une promesse d'une rencontre qu'il attend, avec une tension ver son jouir qui
lui fait développer la reconnaissance auditive de cette
voix.29
Marcel Proust parlant de la voix de sa grand-mère avec
nostalgie, ayant marqué toute son enfance, « puis je parlai, et
après quelques instants de silence, tout d'un coup, j'entendis cette
voix que je croyais à tort connaître si bien, car
jusque-là, chaque fois que ma grand-mère avait causé avec
moi, ce qu'elle me disait, je l'avais toujours suivi sur la partition ouverte
de son visage où les yeux tenaient beaucoup de place ; mais sa voix
elle-même, je l'écoutais aujourd'hui pour la première fois.
Et parce que cette voix m'apparaissait changée dans ses proportions
dès l'instant qu'elle était un tout, et m'arrivait ainsi seule et
sans l'accompagnement des traits de la figure, je découvris combien
cette voix était douce... »30
Le souvenir de la voix de la mère peut être
associé à l'eau, lorsqu'elle le baigne en même temps qu'il
est baigné dans un bain langagier. Lamartine parle du souvenir de la
voix de sa mère qui se mêle à l'image de l'eau « elle
avait des accents d'harmonieux amour, que je buvais... » En buvant la voix
de la mère il l'incorpore et la fait résonner au sein de son
être contribuant à un plaisir érotique aural/oral
articulé à l'oreille et à la bouche.31
Dans son essai sur la voix Rosolato rappelle que la «
mémoire sonore » opère sous le signe du manque. La voix de
la mère suppose une absente et une séparation d'avec le corps de
la mère.
Fondamentalement il n'y a que le vide qui nous fait
désirer, or la voix est fugitive, dont l'amour
qu'elle relie se place dans la mémoire dans l'espoir de la
retrouver.
« Les images de ma jeunesse
S'élève avec cette voix,
Elles m'inondent de tristesse,
Et me souviens d'autrefois. »
Lamartine « les Méditations »
La voix devient donc un objet de jouissance impossible à
atteindre car irrémédiablement
perdue. La voix de la mère comme du cri est devenue la
« chose »objet (a) suspendue à la
dimension de l'autre dont le corps a été
marqué.32
29 Sigmund Freud « pulsion et destin des pulsions
Op.cit p.39
30 Marcel Proust « A la recherche du temps
perdu » Ed. Gallimard
31 Jacques Wagner « La Voix dans la culture et la
littérature Française 1713-1875 » Presses Universitaires
Blaise Pascale
32 Jaques .Lacan 1965-1966 « l'objet de
psychanalyse », Le séminaire inédit 27 avril 1966
18
La voix est un objet (a) qui a une fonction spécifique
: instaurer l'articulation signifiante. Lacan parle de « voix pure
»33, sans donner beaucoup plus de précisions. Qu'est-ce
exactement que la voix pure? En quoi s'oppose-t-elle à une voix impure
?
« On peut supposer que cette dernière est la voix
courante, la voix audible, celle d'autrui, par opposition à la voix pure
qui se situerait au lieu de l'Autre, au point de l'articulation signifiante,
c'est-à-dire de l'objet (a) »
Cette définition, comme toutes celles de Lacan,
fonctionne par ses renvois. Ainsi le lieu de l'Autre, qui est le lieu où
s'articule la chaîne signifiante en ce qu'elle supporte de
vérité »34.
« Que serait la voix pure, sans médiation, sans le
filtre des signifiants ? On pourrait soutenir
que cela n'existe pas. Car, par définition, une voix
véhicule des signifiants. Cela dit, par ses
effets ces signifiants peuvent être
désarticulés de la chaîne. C'est le message interrompu
de
l'hallucination acoustique-verbale. La voix qui émerge
comme injure dans l'hallucination rend
compte de l'objet qui a été rejeté. C'est le
phénomène de chaîne brisée qui se traduit pour un
sujet en retour dans le réel. C'est le signifiant dans le
réel comme forme pure de la voix »35
Lacan parle « Des voix égarées de la
psychose, et le caractère parasitaire sous la forme des
impératifs interrompus du surmoi »36
Ce serait des voix disjointes du signifiant,
désincarnées.
C'est quoi, le lieu de l'Autre? C'est, selon Lacan,»
là où la chaîne signifiante s'article !» Autrement dit
là où le langage se subjective »37.
Cette voix, une fois émise, n'est et ne sera jamais la
mienne. Ce n'est pas en moi que se fabrique ma subjectivité, c'est en un
ou plusieurs points de la chaîne signifiante qui ne sont pas moi, parce
que la parole est toujours référée à l'autre
habillée de la voix.
Pour que la voix soit devenue « objet a » (objet du
désir de ce qui manque au sujet de l'objet partiel (fesses, regard,
sein) dont la voix fait partie d'une promesse de jouissance d'un corps
parlé avant que d'être parlant, il faut que la voix soit
marquée de la perte de jouissance. Pour que la pulsion « invocante
» devienne objet du désir et non objet de la chose, il a fallu que
nous soyons castrés du cri initial en tant qu'objet de la demande. Par
l'invocation de l'Autre,
33 Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre),
L'angoisse X (1962-1963) op. cit.,
34 J. Lacan Sem14, 26 avril 1967).
35 Luis Izcovich «La voix dans
l'interprétation «publication dans ESSAIN 2014/1 `n°32)
P.15 à 23
36 Op.cit
37 Jacques Lacan, » D'un Autre à
l'autre », Séminaire de 1968-1969
19
le signifiant entre dans le réel et produit le sujet en
tant qu'effet de signification, en guise de réponse, de sorte que le cri
pur deviendra le cri pour.38
C'est la voix de l'Autre qui introduira l'infans à la
parole et lui fera perdre pour toujours l'immédiateté du rapport
à la voix comme objet de la demande. La matérialité du son
sera dans ces conditions irrémédiablement voilée par le
travail de la signification.
Ce voilement permettra qu'un jour advienne le sujet. C'est
donc grâce à la dépossession de son cri que l'infans perd
sa voix au profit de la parole. Il existe une possibilité ou la voix de
la mère invite l'enfant à rejoindre la sienne pour jouir ensemble
d'une indifférenciation, d'un même bonheur en ne fondant qu'un
seul choeur en disant viens.
L'infans devra se rendre sourd à cette invitation
à la rejoindre pour entendre sa propre voix et advenir en tant que sujet
parlant « Je». C'est là que nous rejoignons le mythe des
sirènes dont je parlerai plus loin.
Pour qu'il puisse se faire entendre il faut qu'il cesse
d'entendre la voix originaire, la voix qui ne faisait qu'un avec celle de sa
mère. C'est là que la voix primordiale est devenue inouïe.
L'infans doit rester sourd à l'appel de la voix de l'autre pour devenir
sujet invoquant. Il devra être sourd au timbre de la voix de l'autre pour
entendre le sien tout comme il y a un point de la vision aveugle pour pouvoir
voir.
Au cri de l'infans l'autre répond et l'appelle à
advenir comme sujet en le supposant
« Deviens » !
Donc au viens se substitue le « deviens » par un
processus de forclusion vocale permettant un dessaisissement de la voix en tant
objet « a » libidinal pour se constituer en « parle-être
». C'est ainsi que la voix est devenu support de la parole servant de
transition entre la représentation des choses pour peu que l'entourage
de l'enfant parle et lui parle, permettant de laisser des traces acoustique de
la chaîne signifiante sonore pendant l'expérience de la
satisfaction.
La voix, évoluant de cris en gazouillis, de gazouillis
en vocalises, deviendra parole. Dans un premier temps du processus primaire, le
lien vocal avec la mère, est le support sonore des images de
satisfaction et l'enfant s'initie aux phonèmes dans la reproduction
vocale ludique des expériences gratifiantes :
38 Didier-Weill A., « Invocations
», Paris, Calmann-Lévy, 1998.
20
C'est ce que porte la voix qui est donneur de message, c'est
pourquoi lorsqu'on écoute quelqu'un c'est certainement les mots que nous
écoutons, mais aussi la tonalité de la voix, car c'est par elle
que se livre le non-dit, le sens profond caché, l'indicible,
l'inconscient...
21
II- LE NOMS DU PERE - LA VOIX DE PÈRE DANS LA
FILIATION
Freud sur sa théorie sur la sexualité dit «
qu'une première organisation prégénitale est celle que
nous appellerons orale, ou si vous voulez cannibale. L'activité
sexuelle, dans cette phase n'est pas séparée de l'ingestion des
aliments, la différenciation des deux courants n'apparaissent pas
encore. Les deux activité ont le même objet et le but sexuel est
constitué par l'incorporation de l'objet, prototype de ce que sera plus
tard l'identification ».39
II-1 LE MYTHE DU SCHOFAR :
A propos du rite du Schofar Jean Michel Vives 40
soutient dans sa thèse que le processus de filiation n'est pas
réductible à une transmission de la parole mais doit
également impliquer un certain type de transmission de la voix qui
permettra au sujet de passer de la vocation à l'invocation.
Je le cite :
« Quelle est la place de l'objet voix pris dans cette
dynamique orale ?
Pour en rendre compte, je m'attacherai à reprendre le
texte de Freud Totem et Tabou. Ce texte m'intéresse à plusieurs
niveaux. Tout d'abord en ce qu'il me permettra d'articuler ici le festin
(fût-il cannibalique !) et voix mais aussi car il nous engage à
aborder cette question moins du côté de l'Autre maternel, comme
cela est souvent le cas lorsqu'il s'agit de travaux sur la voix, mais du
côté du père originaire.
Le récit freudien du meurtre du père et du repas
qui le suit illustre mythiquement le moment logique de la constitution du sujet
- qui met en jeu l'objet voix comme nous le verrons - avec l'apparition de la
dialectique du jugement d'attribution, tel que Freud, après l'avoir
esquissé dans Pulsions et destins des pulsions, le développera
dans son texte de 1925, « Die Verneinung ».(la
dénégation) Il s'agit bien, dans ce procès, du rejet de la
jouissance qui permettra au sujet de porter un jugement d'existence sur
l'objet. Pour autant, dans ce traitement
39 Freud « Trois essais sur la théorie
de la sexualité », Paris Ed. Payot, 1962 p.65
40 « Psychanalyse des rituels religieux, Paris,
Denoël, 1974, p. 257- Jean Michel Vives au travers du texte de R; Reik
(1928) «
Dès lors ils parvenaient, dans l'acte de consommer,
à l'identification avec lui, tout un chacun s'appropriant une partie de
sa force. En effet le mort devenait plus puissant qu'il ne l'avait
22
du réel par le symbolique, tout, du réel ne peut
être pris en charge. Il existe du réel qui ne saurait être
symbolisé, il y a des restes. N'est-ce pas le cas dans tout festin ?
De ce réel que constitue la voix du père
archaïque, tout ne saurait donc être pris dans les rets du
symbolique. Ce double destin de la voix réelle et/ou symbolisée
marquera profondément le devenir du sujet.
Reprenons les grandes articulations du texte de Freud pour
essayer d'y déceler en quoi voix et festin sont liés.
« À l'origine », l'humanité aurait
été organisée sous la forme d'une horde sur laquelle
régnait un aïeul tyrannique qui jouissait de toutes les femmes et
en interdisait l'accès à tous les autres hommes, dont ses fils ;
incarnation de la jouissance absolue, imposant aux autres une loi dont
lui-même est exclu. L'interdit qui pèse sur les fils - tu ne
jouira pas - a pour effet de désigner le lieu et l'objet de la
jouissance, amenant par là même les fils à désirer
et à tenter de s'emparer de l'objet du désir. Et ce qui devait
arriver, arriva. Un jour les fils, exclus de la jouissance, s'unirent,
tuèrent le père et le mangèrent.
Après le meurtre et la dévoration du
père, les fils pouvaient se laisser aller au déchaînement
de la jouissance afin rendue possible et s'entretuer, chacun voulant prendre la
place du père, s'en approprier la jouissance absolue. La ruine, et le
chaos et pour finir la disparition de la horde et peut-être de
l'espèce en aurait découlé inéluctablement. Ce
n'est pas nous dit Freud ce qui s'est passé. Au contraire devant leur
acte et le risque de débordement qui en découlait, les
frères renoncèrent à la conquête de cette position
de jouissance totalitaire et instaurèrent la loi pour la
réguler.
« Qu'ils aient aussi consommé celui qu'ils avaient
tué, cela s'entend s'agissant des sauvages cannibales, nous dit Freud.
Le père primitif violent avait été certainement le
modèle envié et redouté de tout un chacun dans la troupe
des frères. La médiation du repas cannibalique
évoquée par Freud est fondamentale. En cherchant à
s'approprier les attributs de la toute-puissance du tyran par
l'intermédiaire de la dévoration, la bande des frères
réalise une identification dont Freud décrira
ultérieurement le processus en 1921 dans Psychologie des masses et
analyse du moi.
23
jamais été de son vivant par effet
rétroactif obéissaient à la loi paternelle
désavouant leur acte en interdisant la mise à mort du totem,
substitut du père et ils renonçaient à recueillir les
fruits de ces actes en refusant d'avoir des rapports sexuels avec les femmes
qu'ils avaient libérées. C'est de cette façon nous dit
Freud que découle l'instauration des deux interdits fondamentaux et
fondateurs de toute société civilisée : le tabou du
meurtre et de l'inceste.
Il s'agit de l'identification de première
espèce, nommée identification par incorporation. La voix met ici
en jeu une forme d'identification au père qui, comme Freud nous permet
de le comprendre, n'est pas toute symbolique mais inclut une dimension
réelle, ce que pointe le terme incorporation. Il ne s'agit plus, dans
les termes, du mythe du père tué, mais du père
dévoré cru. Il ne s'agit pas seulement d'un trait signifiant,
mais d'un objet : la voix.
Après le meurtre, la voie est enfin libre. Or, loin de
se laisser aller au déchaînement de la jouissance, les
frères y renoncent et instaurent la loi pour la réguler.
Le pacte conclu à l'occasion du meurtre du père,
que Freud positionne comme base de la société et du lien social,
traduit alors la volonté de refouler ce meurtre ce qui échoue,
puisque le père mort est « rappelé » sous la forme du
totem, qui présentifie le père assassiné, attestant ainsi
qu'il est bien mort, et ne reviendra pas.
a)Donner de la voix, après l'avoir
incorporée :
Freud dans «Totem et tabou41,
introduit la voix au moins en deux endroits.
Le premier est celui où il parle de l'imitation de la
voix de l'animal totémique : « Le clan qui, dans une occasion
solennelle, tue son animal totem d'une manière cruelle et le consomme
cru, sang, chair et os ; pour la circonstance les compagnons de tribu sont
déguisés à la ressemblance du totem, l'imitent par les
sons et les mouvements, comme s'ils voulaient insister sur son identité
qui est aussi la leur. » Ici Freud insiste sur l'identification qui
passerait pour partie par une dévoration et pour partie par une
imitation d'essence vocale.
Le second est celui où Freud associe le héros
tragique au père archaïque mourant.
Pourquoi le héros de la tragédie doit-il
souffrir, demande Freud. « Il doit souffrir parce qu'il est le père
originaire, le héros de cette grande tragédie originaire, qui
trouve ici une répétition tendancieuse, et la coulpe tragique est
celle qu'il doit prendre sur lui pour délivrer le choeur du fardeau de
sa coulpe. »
41 Freud «Totem et tabou» Ed. Petite Biblio
Payot
b) Le père archaïque est mort,
dévoré... mais il ne le sait pas :
24
Ici la voix n'est pas directement citée mais
implicitement comprise. En effet chacun sait que la tragédie antique
était en partie chantée. Le choeur - la troupe des frères
dans l'hypothèse freudienne - chante chaque fois qu'il intervient. Le
héros le fait seulement à certains moments au plus profond du
malheur - au moment de son assassinat, si l'on suit l'hypothèse
freudienne. Le chant serait alors une forme sublimée du râle du
père mourant. La troupe des frères, le choeur, chanterait alors
pour commémorer cet instant. Nous retrouverions ici la première
occurrence de la voix dans le texte freudien où, par l'imitation du cri
ou du chant de l'animal totémique, les frères se reconnaissent
fils de... Les fils, en chantant, s'identifieraient à l'animal totem,
mais également en rappelant, par le chant, le cri d'agonie,
.Ils signifient au père qu'il est mort. On pourrait
également, en suivant cette hypothèse, résoudre le
paradoxe de la présence du chant chez le héros dans les instants
de déréliction. En effet, le chant n'est que la modulation du
cri. Il commémore et voile le cri du père agonisant.
Les frères chantent, ou imitent vocalement l'animal mis
à mort pour se reconnaître fils de... Ils donnent de la voix,
après l'avoir incorporée. En effet, l'audition n'est pas un
processus fondamentalement différent de l'ingestion, et constitue lui
aussi, une forme d'incorporation. Je vois là la naissance du circuit de
la pulsion invocante : après avoir reçu la voix de l'Autre, le
sujet la lui restitue dans l'invocation, bouclant ainsi le circuit de la
pulsion. Le sujet se fait ici entendre de l'Autre, ce qui est impossible au
psychotique, soumis qu'il est à la voix de l'Autre et parfois même
au névrosé, soumis, lui, aux féroces injonctions du
Surmoi, le père mort continuant alors à empoisonner le sujet de
ses vociférations. C'est ce que nous montre la tragédie d'Hamlet.
Le roi, père d'Hamlet, est mort par empoisonnement auriculaire mais
c'est le fils qui souffre de cette voix qui par-delà la mort ne veut pas
se taire, et empoisonne son fils en lui enjoignant de le venger.
La voix est ambivalence car elle est cet objet de jouissance,
elle est la trace du meurtre et de ce qui en découle : le renoncement
à la jouissance absolue dont la quête terrible et fratricide
aurait signifié la destruction même de l'humanité. Elle
devient de ce fait le support de la loi pacifiante, fondatrice des
sociétés humaines. C'est alors le père pis à mort,
mais magnifié pour le repentir des fils qui est mis en avant, un
père qu'on peut de ce fait désigner comme père fondateur
de la loi en quelque sorte.
25
Theodore Reik dit qu'il est parfois nécessaire de
rappeler au père qu'il est mort et qu'il ne peut être le garant du
pacte symbolique qu'en tant que tel. Ce rappel qui permet de le tenir à
distance peut être repéré, par exemple, dans l'utilisation
du Schofar, comme le montre Reik dans son texte Le rituel : psychanalyse des
rituels religieux.
Le Schofar, instrument de la liturgie judaïque, est fait
d'une corne dans laquelle on souffle une série de sonneries pour le
Nouvel An juif et pour le jour du Grand Pardon. À la suite de Reik, qui
trouve l'effet sur l'auditeur disproportionné au regard du
matériel musical, Lacan s'étonne de l'effet produit par
l'audition du Schofar même chez des auditeurs non juifs.42
Pour T. Reik c'est à partir d'une analyse très
serrée des textes sacrés, relie l'effet provoqué par
l'audition du Schofar à la problématique freudienne du meurtre du
père primordial. Il est amené à faire l'hypothèse
que ce son, mélange inquiétant de douleur et de jouissance,
entendu lorsque sonne le Schofar serait l'écho indéfiniment
répété du râle du père primordial non
castré mis à mort. Ce son ne serait en fait que la voix de Dieu
mais sous sa forme ancienne d'animal totémique où il était
mis à mort lors de la cérémonie sacrificielle. 43
Le Schofar vient s'inscrire comme un rite de
commémoration du meurtre primitif et si nous suivons Reik et Lacan dans
leurs analyses, la voix serait un reste du père archaïque.
Le Schofar serait l'attribut vocal du totem et ce qui reste du
festin sacrificiel.
La voix incorporée, à l'occasion de
l'identification originaire constitutive du sujet, est donc paternelle. Pour
autant, il ne s'agit pas de celle du Nom-du-Père, en tant qu'il supporte
l'autorité symbolique, mais de celle de la figure obscène du
père d'avant l'OEdipe, incarnation mythique de la « Chose »
innommable. La voix est ici porteuse de cette jouissance absolue, et
l'incorporer, c'est à la fois participer de ce qu'il en reste et
accepter la loi. En effet, le cri du père blessé à mort ne
se tait pas, et son « beuglement de taureau assommé se fait
entendre encore dans le son du Schofar ».
C'est d'ailleurs le seul son humain de ce meurtre sans parole
; comme si la trace d'une voix où subsiste la jouissance du père
était nécessaire pour faire de lui l'instance de la parole qui
rend possible le processus même de subjectivation.
42 Theodore Reik (1919) « rituel-psychanalyse des rites
religieux « Ed. denoel
43 ibid
26
C'est ce que nous montre également l'acte de Moïse
lorsque, redescendu du Sinaï, il fond le veau d'or, le mélange
à de l'eau et le fait boire au peuple idolâtre.
Ainsi, nous pouvons repérer comment l'instauration de
la loi s'appuie sur la nécessaire incorporation du support de la
jouissance (veau d'or ou voix du père archaïque). Cette
incorporation permettra de la faire sienne, pour ne pas en être
excessivement - la victime.
Une rapide allusion à la psychopathologie nous
permettra de comprendre cela et de conclure cette esquisse sur les rapports
entre oralité et auralité. Freud, pour rendre compte du
mécanisme en jeu dans la mélancolie, dans Vue d'ensemble des
névroses de transfert, avance que l'identification au père mort
est la condition du mécanisme de la mélancolie. S'il semble que
le mélancolique est vivant, il est pourtant déjà mort en
tant qu'identifié à l'Urvater. Si nous suivons
l'intuition freudienne dans toute sa rigueur, cela implique que tandis que les
meurtriers que nous sommes vont, grâce au travail du deuil,
accéder aux enjeux de la sublimation, le mélancolique n'en sort
pas. Il ne digère pas l'acte, et ne cesse de manger du père mort,
de ruminer. Le mélancolique endosserait le deuil collectif du
père originaire, venant en témoigner pour ceux qui l'ont plus ou
moins élaboré. Ce témoignage aura plusieurs formes mais
une des plus caractéristiques en est la plainte inarticulable.»
« Le mélancolique se fait voix endeuillée,
hors mots. Sa plainte se rapproche alors du « aiaî » ou du
« ié », intraduisible, proféré par le
héros tragique au plus profond de sa détresse. « Plus mort
que vif », le mélancolique est soumis à ces miettes du
père originaire qu'est la voix. Ce reste, à l'origine du Surmoi,
qui soumettra le moi du mélancolique à ses injonctions les plus
féroces. C'est en effet, comme nous le dit Freud, « ce père
de l'enfance, tout-puissant [...] (qui), lorsqu'il est incorporé
à l'enfant devient une force psychique interne que nous appelons Surmoi
». « Force psychique » qui se manifestera sous la forme d'une
voix. À partir de là, le mélancolique serait celui qui
commémore, ad vitam aeternam pourrait- on dire, le moment de
l'émergence du sujet - impossible dans son cas - dans son rapport
à l'incorporation de la voix de l'Autre.» Fin de citation.
Ce qui nous intéresse dans ce récit c'est la
forme la plus primitive de la voix. C'est dans le cri que tout commence. C'est
le cri initial qui va à la rencontre de l'autre. C'est par le cri
interprété par les mots de l'autre qu'il aura du sens. Ce cri
semble détaché du corps, c'est le cor comme transfère de
la voix qui lui donnera consistance. . La voix nous apparait souvent comme
extérieure. Elle est la chose insaisissable (das ding) faisant l'objet
d'une satisfaction
27
hallucinatoire. C'est pourquoi elle s'entend. Elle ne peut se
comprendre que si lorsque le sujet fait irruption dans le langage. C'est
l'instrument du Schofar qui va rendre sa matérialité à la
voix en la transforme un chant prémices d'une pulsion invocante : «
heureux le peuple qui comprend le son de la trompette » Psaume 89 : 15
traduit par « heureux le peuple qui entend dans les notes du Schofar. Le
crime primitif dont les remords dispose l'Eternel à la
miséricorde » 44
Ce chant est pulsion invocante, appel à une alliance
avec Dieu, et souvenir du dialogue de Moïse avec Dieu. Dieu
miséricordieux n'est plus celui qui sanctionne mais c'est celui qu'on
appelle à la relation d'avec lui mêlée de tendresse et de
crainte aussi bien par la prière que par le chant. « La musique est
née de l'imitation de la voix paternelle et de l'imitation du cri de
l'animal que le clan vénérait comme totem. »45
C'est Lacan assurément qui, reprenant les recherches
sur le Schofar, insiste sur la nature vocale de la loi et sur la rencontre qui
place la pulsion invocante devant sa limite et la transforme en désir.
Si, comme dit Lacan, le désir est lié à la coupure, alors
la voix est expression de ce désir.
L'histoire de l'humanité est liée au souffle et
la voix et les oreilles entendant ce qu'articulent la bouche à l'effet
de la voix. Le Schofar n'illustre pas le champ du savoir mais du chant qui
vient du coeur et ce qu'il révèle au niveau symbolique. Il y a ce
qui se donne à voir, mais aussi à entendre pour être
attentif à ce que porte la voix.
La vérité n'est jamais
révélée par les mots :
« Jamais la parole ne fut dépassée au
Sinaï ; la révélation fut au contraire assourdissante et
même écrasante pour les Hébreux qui ne voyaient rien mais
entendaient et même « voyaient les voix » 46La loi
paternelle représentée par l'écoute du Schofar met en
exergue tous les sens afin qu'on n'oublie jamais d'où l'on vient.
II -2 La voix surmoïque « du père
»
a) Le schofar, la voix du père :
Le Schofar imite la voix rauque de l'homme, en opposition avec
la voix féminine maternante qui possède des harmoniques
aiguës et harmonieuse renvoyant à une voix angélique. Pour
Wagner la suppression des scansions avait l'effet de lutter contre le symbole
de l'autorité tyrannique du père incarnée par les
consonnes. La voix consonantique du père rompt avec
44 Ibid.
45 Ibid p302
46 Armand Abécassis, « Les temps du
partage », t. I, p. 38,
https://gallica.bnf.fr/3364426t.texteImage
28
celle de la mère qui introduit le discontinu. La voix
discontinue s'émancipe de la parole, son registre monte et devient pure
voix, n'étant plus soumise aux limites de la discontinuité que la
loi symbolique exige pour sortir de la jouissance de l'objet voix. Le rite de
schofar marque bien cette scansion de la discontinuité de la voix
imitant celle de l'autorité paternelle. Lacan avance que le
préverbal et tout à fait modelé par le verbal, qu'Alain
Didier Weil qualifie « d'hyper verbal » présent dans le «
préverbal » qu'entend l'enfant avant qu'il n'accède au
signifié, dont on peut reconnaitre qu'il est signifiant du nom du
père.47 La voix du père permet d'éviter la
transgression du trop jouir de la voix féminine en s'appuyant sur la
gravité de la voix qui lui donne corps à l'effet des consonnes
qui permet de découper les syllabes.
b) Abraham de l'injonction au désir
:
Dieu demande à Abram d'instaurer pour lui-même et
son peuple la circoncision, comme marque de l'alliance avec la promesse d'une
descendance et lui promet de devenir le père d'une nation. Cette
circoncision sera marquée par le changement d'Abram en
Abraham.48 Un jour, Dieu demande à Abraham d'offrir Isaac en
holocauste sur le Mont Moriah. Après trois jours de marche, il demande
aux serviteurs de garder l'âne et charge Isaac des bûches. Sur la
route, Isaac demande où est l'agneau qui sera brûlé.
Abraham répond qu'il s'en remet à Dieu.
Une fois arrivés, Abraham élève un autel,
dispose les bûches et lie son fils au bûcher. Alors qu'il tend la
main pour immoler Isaac, un ange, convaincu de la crainte qu'il place en Dieu,
crie à Abraham d'épargner Isaac. Un bélier, qu'Abraham
voit pris au piège dans un fourré, est sacrifié à
sa place. L'ange bénit Abraham et s'engage à faire
proliférer sa descendance, promettant que toutes les nations de la terre
se béniront en elle.49
Il est intéressant de constater qu'à l'effet la
circoncision d'Abram corresponde à son changement de NOM en Abraham. La
circoncision fut la marque d'une évolution, un nouveau départ qui
l'invita à cultiver sa propre terre avec une nation ayant affermit son
autonomie. Pour cela il accepte d'être manquant et de faire le sacrifice
de son prépuce. Sur le chemin du désir il faut toujours consentir
à une perte. Selon la formule de Lacan : » Il n'y a pas d'Autre de
l'Autre «. Le sujet est alors conçu comme un ensemble vide qui
inclut dans la parole la castration fondant la loi de son désir.
»
47Jean-Michel Vives (dir) Didier Weill «
Les enjeux de la voix en psychanalyse dans et hors la cure
»Ed.Presses Universitaires de Grenoble
48 Genèse 17 :8-9
49 Genèse 22 - 1 -19
29
Dieu immuable dont le nom est imprononçable
représentant le père réel, le prépare à une
mutation plus grande que celle que la circoncision a provoquée dans sa
chair. Il le prépare à L'Akedah comme passage du registre du nom
totémique au Nom-du-Père qui vient fonctionner de façon
opposée au totem. L'image du père castrateur évolue pour
faire place à l'imaginaire que représente l'image de
Dieu50
Le totem est encore la descendance promise à Abraham
identifié à un nom. Alors que l'Akedah qui signifie ligature
connu sous le sacrifice d'Abraham, le soutient dans sa relation signifiante
à Dieu. L'intervention de Dieu est faite par l'intermédiaire de
l'Ange incarnant la parole divine par sa bénédiction et qui met
fin à la fin à la lignée idéale du totem. A la
place d'Isaac un Bélier représentant l'animalité du
père primitif de la horde, la jouissance pure sera sacrifiée. Le
couteau marque le renoncement à cette part de jouissance du père
primitif. Le bras de l'ange qui arrête son geste sacrificateur avait pour
but était d'éprouver sa crainte et sa foi. Mais en
réalité que veut Dieu le père alors dans son ordre de
sacrifier son fils Isaac ? Kierkegaard met en évidence la place de
l'angoisse liée à cette question que nous pouvons traduire
à la manière Lacanienne par « Che voi ? » face à
l'effroi qu'a dû ressentir Abraham de tuer son propre fils Isaac. Abraham
consent à être considéré comme un monstre pour
sauver l'image de Dieu, image d'un père idéal. Il en fait un
héros tragique sacrifiant ce qu'il a de plus intime à l'Autre.
« Kierkegaard avait compris que dans l'angoisse, il s'agit de perte, soit
de la crainte de castration, même si pour nous la castration, est
l'inéliminable de qui est toujours signalé par l'angoisse. «
51 » Ce qui permet d'échapper à l'angoisse c'est le
désir.
C'est la corne du Bélier dont il reste du sacrifice qui
servira se schofar comme rappel à l'instauration de loi. «
L'instauration est en deux temps : Le premier est celui des lois du langage qui
soustraient de la jouissance, c'est donc la loi de la castration qui
nécessite un consentement ; dans un deuxième temps, la loi du
père assume un retour dans le vivant de ce qui a été
mortifié par le langage. »52 Le Nom-du-Père n'est
pas la fonction qui soumet la vie à la loi mais c'est la fonction qui
soustrait la loi à la mort. »53 Le père est le
vecteur de désir dans la loi, s'effondre alors l'image au Père
idéal cher au patriarche. Il n'y a pas eu mort d'Isaac mais mort d'une
image, de la puissance phallique qu'Abraham attribue au père
idéalisé et dans laquelle il abrite sa propre image, qui est
sacrifiée. Ce sacrifice représente le renoncement
50 Lacan J., Le Séminaire, livre vii,
L'éthique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1986,
51 Isabelle Morin « La traversée de
Loi » page 5-27
52 Ibid p.4
53 P.Bruno, « La passe », Toulouse PUM, 2004
p 244
30
minimum pour accéder au désir. « Le rapport
du sujet à la mort, présent dans tout savoir objectif, ancre
l'homme dans le réel de son histoire et contraint son imaginaire
à composer avec le désir de l'Autre. Sans la voix comme
témoin de ce désir et opératrice de structure, il n'y a ni
réel, ni imaginaire : deux ordres hétérogènes qui
ne peuvent donner à penser à partir d'elle, dans l'accès
à l'ordre symbolique »54Abraham peut désormais
transmettre son nom à son fils qu'il a reçu de son père.
Nous ne sommes pas ici dans la même dialectique d'Hegel qui soumet
l'esclave au maître lié à la demande de jouir de l'objet,
mais d'un objet d'amour éternel du père. La voix de Dieu
l'invoque l'appelle et le bénit, il » dit l'amour » il le met
en acte laissant Abraham libre de sa propre réalisation incarnant
l'esprit du père comme guide dans sa futur vie.
54 Denis Vasse « l'ombilic et la voix
» op. Cité p. 203
31
III-LA VOIX AU NIVEAU SOCIAL.
Dans notre société capitalise qui pousse
toujours à la consommation et à un plus de jouir, la voix est
prépondérante. On manipule le consommateur avec une voix
enveloppante, rassurante endormante en l'engageant dans une régression
infantile liée à la demande et à un retour fantasmatique
du sein matriciel inondant le sujet de formules endormant sa capacité
imaginaire au détriment du symbolique. L'objet (a) toujours plus
à produire est au centre du discours, et c'est la voix enveloppante qui
va relayer ce discours. Ce n'est pas étonnant que Lacan dans son
schéma sur les quatre discours ait intégré la voix en tant
qu'objet (a). 55
55 Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XVII,
L'envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991.
32
Pour les entreprises la voix favorise son image, car bien
utilisée elle est un facteur séducteur et de sociabilité ;
c'est bien pour cela que les hommes qui ont une situation importante ont besoin
de la domestiquer et de la travailler. Une voix éraillée ou
altérée, peut foutre en l'air un discours politique ou autre. La
diva par exemple peut être véritablement divinisée, ou avec
un aigu manqué, ne devenir qu'un déchet. Il en est de même
pour un orateur dont la voix pourrait faire défaut. C'est pourquoi la
voix est devenue un enjeu majeur pour favoriser les échanges commerciaux
et sociaux. Nous sommes tellement confrontés chaque jour aux voix
désincarnées des annonces diverses et variées que ce soit
dans les métros, les répondeurs, SNCF et autres auxquelles on ne
prête même plus attention car on ne les reconnaît pas comme
faisant partie de notre genre humain. La voix mécanique sort le locuteur
de toute humanité. Chaque individu à sa manière
rythmée de parler, a des hauteurs variées ainsi qu'un timbre
vocal propre à chacun. Ces voix mécaniques nous semblent
étranges. La voix humaine est la manifestation d'appartenance à
un groupe comme identité sociale en tous les cas celui du genre
humain.
L'Empereur Frédéric II, fit une
expérience particulière afin de voir quelle était la
langue naturelle des bébés. Il ordonna à des nourrices de
ne pas parler aux bébés d'une pouponnière. Aucune voix,
aucun son. Ils dépérirent tous et finirent par mourir. Ce qui
veut dire que langage humain est vitale.
Bien que notre société songe à
déshumaniser l'homme pour ses profits elle s'adresse à des sujets
parlants qui ont leur propre identité vocale. La voix peut se faire
entendre et le sujet peut jouer sa propre partition avec sa voix, car la voix
est liée à l'inconscient et l'inconscient ça parle. La
voix est le premier témoignage du lien affectif et social avec le
premier groupe qu'est la famille, avec ses codes et ses jeux vocaux, ses choix
d'artistes et culturels. De ce fait « Les enfants, pris dans la boucle
audio-phonatoire le sont aussi et dans la boucle socio-phonatoire, cherchant
sans le savoir à concilier leurs possibilités phonatoires avec
leurs désirs et /ou leurs réflexes d'imiter et de s'approprier
les caractéristiques vocales identitaires de leurs pères et
pairs. »56
56 Claire Gillie Atelier 5 | « À gorge
déployée, à gorge dépliée » mutations,
métamorphoses & devenir des voix d'enfants « Écouter la
voix »
https://www.le-lab.info/sites/le-lab.info/files/atelier5-textescomplets_0.pdf
33
C'est pourquoi la voix concerne aussi bien le social que
l'identité propre du sujet au regard de sa voix, car la voix
dé-voix-le les sentiments les plus profonds. Elle peut-être
révélatrice de notre malaise, de notre stress voir de nos
angoisses. Il est impossible de tricher avec la voix, car elle trahit la
moindre émotion, joie, chagrin, angoisse. En effet, en cas de stress,
l'activité phonatoire plus tendue et articulatoire s'intensifie, la voix
prend de la hauteur. Par contre les émotions tendres provoquent un
prolongement des voyelles, les émotions agressives prolongent et
durcissent les consonnes, de ce fait, le style vocal porte la signature de son
interprète.
Le ton de la voix déterminera la hiérarchie des
rapports entre interlocuteurs. Suivant l'intensité verbale et vocale on
devinera le dominé du dominateur. La configuration de la glotte se
modifie en fonction des états émotifs et l'accolement des cordes
vocales change. Par exemple, la configuration glottale d'un chuchotement
agressif sera très différente du chuchotement tendre. Ainsi, on
distinguera une voix autoritaire d'une voix séductrice, une voix
emprunte d'amour ou de haine, une voix de soumission ou de révolte.
On se souvient de la voix d'Hitler en tant que dominateur, de
cette de Léon Blum ou le général de Gaulle avec leur
variation et intensité vocale, un timbre et modulations propre à
leur fonction et leur discours.
Y. Barthélémy avait fait une typologie du
caractère psychologique et physiologique du chanteur.
Un ténor sera extraverti, il sera en
général pas très grand avec un cou court, alors que les
voix basses plus introvertis seront plutôt grands avec un long cou.
Elle en a dressé la liste suivante:
La voix calme, mesurée, claire nette et précise
du caractère obsessionnel La voix feutrée, atone et
fatiguée, à peine audible du dépressif
La voix geignarde, qui demande toujours et toujours de la
compassion
La voix enfantine, menue, fluette, attendrissante ou
naïve d'une personne en besoin de maternage La voix claironnante, «
sûre de soi», « je sais tout» qui n'admet aucune
contradiction, envahissante un peu sadique peut-être
La voix agressive, défense d'un être fragile et peu
sûr de lui qui craint de n'être pas écouté
34
La voix commerçante, trop aimable, voire mielleuse,
peut-être arnaqueuse. La voix séduisante, désinvolte,
sensuelle, presque impudique, etc. 57
La voix s'inscrit dans la boucle audio-phonatoire, cela veut
dit qu'elle fait écho et qu'elle est liée au corps en tant que
sensation. Sa régulation se fait par l'oreille. Éric Gorouben par
même de « boucle socio-phonatoire »58 ce qui veut
dire que le contrôle vocale ne dépend pas simplement de ce que je
veux en faire mais aussi de celui qui est en face de moi. La voix s'alignerait
sur la demande que l'on se fait de l'autre, autrement dit, elle tenterait de
répondre à ses attentes. On voit bien que la voix est porteuse
d'une jouissance exhibitionniste, avec une tentative de s'aventurer dans
l'excès, excès qui peut conférer jusqu'à
l'obscénité, de telle sorte que personne ne s'aventure
jusque-là. Le but est de toucher l'autre au niveau de l'affect pour
obtenir plus d'amour.
57 Yvan Barthélémy « La voix
libérée » Editions Robert Laffont
58 Eric Gorouben « le contrôle des sensations
»
35
IV L'APHONIE - DYSPHONIE
La voix en appelle aussi bien au corps biologique
dépendant de ses multiples articulations et l'organisation du discours
déterminant le corps social. Elle se situe donc dans cet entre-deux qui
vient relier le corps et son histoire et l'université du langage du
sujet qui parle qui fait qu'il appartient à l'humanité.
« Ainsi, par la médiation de son corps pris dans
le réseau des signifiants du langage et référé au
désir de l'Autre, le petit d'homme en vient à assurer la place de
sujet qui est la sienne lorsqu'il parle en son propre nom. C'est lui, en tant
que sujet, que la voix qui émane du silence de son corps donne à
entendre.
L'ombilic est clôture.
La voix est subversion de la clôture.
Quelle nomme ou qu'elle appelle, la voix traverse la
clôture sans pour autant la rompre. »59 Par quels
phénomènes la voix traverse-t-elle le corps ?
La position du larynx et la dimension des cordes vocales
évolue au fur et à mesure des étapes de la naissance
à l'âge adulte. L'adolescence est caractérisée par
la mue vocale aux alentours de onze seize ans entraînant une baisse de la
tonalité de la voix phénomène plus apparent chez les
garçons que chez les filles
59 Denis Vasse » L'ombilic et la Voix
» Ed Essai, op. Cité p12
36
1) L'aspect organique :
L'air circule par la trachée et permet la mise en
vibration des cordes vocales disposées dans le larynx relié
à la base du crâne, à la langue, à la mandibule, au
sternum, aux clavicules et aux omoplates.
La pression d'air sous la glotte excède alors celle
au-dessus des cordes vocales ce qui a pour effet de causer un battement, un peu
à la manière de portes qui s'ouvriraient sous l'effet d'un vent
fort.
Le mouvement d'ouverture est suivi d'un mouvement de fermeture
qui se maintient jusqu'à ce que la pression d'air sous les cordes
vocales imprime un nouveau battement.
Ces battements entraînent autant de vibrations de la
colonne d'air contenue dans le conduit buccal et constituent la source du
voisement ou la fourniture laryngée. Les cordes vocales ne fabriquent
pas le son, elles sont passives.
Elles n'agissent pas, elles sont« agies ».
37
Comme les voiles du bateau, elles se contentent de se tendre
et sous l'action du souffle, vibrent sur elles-mêmes.
Il existe une aphonie physiologique, celle qui est due
à une maladie, très souvent elle est due aussi à une
période cyclique, notamment pour les femmes durant leurs règles,
ou à cause de problèmes circulatoires etc.
Lorsque nous parlons ou chantons c'est sur l'expiration.
a)Les symptômes et signes cliniques
L'enrouement, la voix cassée, l'extinction vocale
allant jusqu'à l'aphonie sont des motifs fréquents pour une
consultation ORL. Souvent, et surtout chez les professionnels de la voix, ces
modifications de la qualité vocale peuvent s'ajouter, ou être
exclusivement résumés, par des modifications des capacités
fonctionnelles de la voix : difficulté d'atteindre certaines
fréquences (la tessiture), modification du timbre, fatigue vocale avec
ou sans douleur.
b) l'interrogatoire ORL :
« Les symptômes sont décrits en
précisant leur chronologie dans le temps, leur durée et surtout
leur tolérance ainsi que leur perturbation de la vie quotidienne,
surtout professionnelle, la recherche des facteurs favorisants : le tabagisme,
le reflux gastro-oesophagien, les allergies, les infections
rhino-pharyngées, sinusiennes ou pulmonaires (trachéite ou
bronchites), traumatismes, et surtout, le surmenage vocal des
antécédents d'une chirurgie thyroïdienne les
différents traitements prescrits et leur efficacité ou
inefficacité. Les traitements iront de la rééducation, de
l'allopathie à la chirurgie. »60
IV-2 La voix psychogène :
Une patiente vient me voir, pour des problèmes vocaux,
liés à une angoisse de perdre le souffle et que ce souffle
s'arrête.
On ne peut pas dire j'ai perdu le regard, mais j'ai perdu la
vue, et non pas ma vue, alors qu'on dit j'ai perdu ma voix. Du coup on est muet
comme une carpe après avoir perdu sa voix comme si nous étions
amputés de notre voix. Cela démontre qu'au coeur de la voix
quelque chose nous convoque à notre insu, au niveau inconscient qui
traverse le corps.
a) L'angoisse :
60 groupe ORL de Toulouse 5 avril 2011 par L'équipe GORG.
https://www.doctolib.fr/cabinet-medical/toulouse/groupe-orl-rive-gauche
38
Il y aurait au coeur de l'aphonie le témoignage d'une
souffrance. En effet, Cicéron dit qu'au coeur de la voix git un «
cantum obscirior » un chant obscur. La détresse de l'être
humain oblige celui-ci à demander à l'autre de lui
désigner ce qui est désirable et ce qui ne l'est pas et
d'être un grand donateur des objets. Cet appel à l'autre celle
dont on dépend notre mère, se fait d'abord par le cri qui fut le
premier rapport au corps comme support de cet appel. De la réponse de la
mère ou non réponse dépendra tous notre vie inconsciente,
et nos symptômes qui se logeront comme le dit Freud en 1926 « dans
Inhibition, symptôme et angoisse »,61 vers le haut du
corps, notamment le coeur, le souffle et la voix.
Françoise Dolto dans l'image inconsciente du corps que
:
« Derrière la dysphonie, ou aphonie se
révèle le symptôme d'une souffrance, que la voix vient
dévoiler comme une fracture du discours. La voix réduite au
silence présentifie l'inaudible d'une parole perdue dans le trou
vocalique.
L'altération de la voix est certes d'origine organique,
mais elle peut être aussi la marque d'une béance à
être ou d'un manque à être. »62
Freud fait une nette différence entre la peur face
à un danger qui est connu, reconnu et l'angoisse dont l'objet de la peur
est inconnu. L'angoisse est une réaction dans le but de se
protéger face à un danger à venir. Ce qui fait trauma chez
l'individu c'est d'avoir eu à faire face à un
évènement inattendu, induisant un énorme stress, un
effroi. L'angoisse serait donc une défense au service du moi. Freud nous
indique que « l'angoisse est liée à la pulsion. Un
excès de tension crée une surcharge d'énergie qui ne peut
se libérer et provoque l'angoisse. »63
Pour Freud il y aurait un facteur t de l'angoisse dès
la naissance.
«La situation traumatique ou la situation de danger
à l'origine de l'angoisse ont la même caractéristique de
signifier une séparation ou une perte d'un objet aimé ou la perte
d'amour de cet objet. L'angoisse a besoin de s'exprimer. Si elle ne peut
s'exprimer en parole, c'est par le comportement ou le fonctionnement corporel,
par le comportement du corps en société ou le comportement
caractériel ou par un dysfonctionnement végétatif ou
moteur que l'angoisse s'exprime »64 Paradoxalement l'inhibition
vocale est un cri d'une souffrance, un appel au secours.
61 Freud. « Inhibition, symptôme et
angoisse », ed.Puf
62 Françoise Dolto « l'image
inconsciente du corps « Ed, du Seuil 1984 63. Freud.
« Inhibition, symptôme et angoisse, » ed.Puf, Op.cit
64 Ibid.
65 Ibid.
39
« Au cours du développement, lorsque le moi est
devenu capable de passer de la passivité à l'activité, il
parvient à reconnaître le danger, à le prévenir par
le signal d'angoisse: « L'angoisse réaction originaire à la
détresse dans le traumatisme, est reproduite ensuite dans la situation
de danger comme signal d'alarme du danger menaçant son
intégrité. » 65
Quel évènement va-t-il bien pu provoquer une
telle décharge d'énergie dans le haut du corps au niveau du coeur
et des poumons ? Pour Freud c'est le traumatisme de la naissance dans sa forme
la plus archaïque
Deux possibilités s'offrent alors au sujet une
réaction réflexe à chaque fois qu'il se situe dans une
position de danger dans certains aspects rappelle ce qu'il a vécu
initialement.
L'autre est ce que Freud nomme le signal. Il s'agit de la
reproduction atténuée de ce qui a été vécu
initialement, parce que le sujet reconnait l'approche du danger, parce que
corréler à son impuissance biologique, et à la
dépendance totale à l'autre. La vie intra-utérine comme
après la naissance est liée au besoin biologique et affectif de
l'enfant. C'est donc un dispositif mis en place par le moi, permettant de
déclencher des opérations de défense telle que l'angoisse.
Le nourrisson donne un signal d'angoisse avant même que le danger arrive.
Des éléments d'excitations qui n'ont pas pu être
déchargés, sentiments d'abandon, détresse,
déplaisir etc. Apparait donc une tension vers le haut du corps, une
énergie qui demande à être apaisée par la
mère de telle sorte que l'enfant pourra expulser ces tensions et
retrouver sa sérénité
Quelque chose « la chose » viendra se
répéter dans la vie du sujet créant une tension demandant
à d'être expulsés, liquidés. C'est le noyau propre
du danger dit Freud.
Pour Freud l'angoisse est un symptôme de névrose
qui se manifeste de façon symptomatique, aboutissant à son
évitement. C'est-à-dire que le symptôme est une parade
à l'angoisse. Donc il protège le sujet d'un danger réel ou
supposé.
Les manifestations somatiques de l'angoisse au niveau vocal
sont une gorge serrée, du mal à respirer, une bouche sèche
ce qui quelques fois provoque à la longue des problèmes de
parotidomégalie (problèmes de glandes salivaires). Les cordes
vocales étant moins alimentées par la salive se fatiguent et
souvent s'enflamment. En général le larynx est haut placé
et
40
provoque un essoufflement. La glotte fermée
entraîne un timbre sans vitalité, et le débit de ses mots
peu fluide.
Tous ces symptômes sont en rapport étroit avec la
signification du mot
« Angoisse » qui vient du grec « angxo »
qui signifie « j'étrangle » « passage étroit»
et du latin« angustia » qui signifie« resserrement».
L'angoisse, provoque une montée du larynx qui provoque
un resserrement de la gorge et une sensation d'étouffement. Ce
resserrement provoque également une difficulté à
déglutir et une mobilité de la mâchoire réduite.
Il y a aussi une sensation de bouche sèche et de glotte
fermée qui peut renvoyer à une idée de ne pas pouvoir
dé« glottir » comme un sanglot non abouti, d'où«
sans glotter ». Il y a une faille dans quant à la satisfaction
organique lié au plaisir du fait que l'aspect gustatif dans cette
pathologie est altéré. La dialectique du désir
articulé à l'autre fait défaut du fait que le mot ne peut
plus faire corps avec la voix. Ce qui est repérable à l'effet du
symptôme c'est qu'il parle du sujet, de l'objet de sa plainte, de sa
perte de son histoire inscrite dans le corps. C'est pourquoi le sujet
s'accroche à son symptôme comme le vers sur le fruit, il n'y a pas
de sujet sans symptôme dit Lacan. Le symptôme dit une
vérité qui arrivé voilé à la conscience, et
la souffrance est porteuse de jouissance.
Dans le Séminaire 13, le 20 avril 1966 de Lacan «
L'objet de la psychanalyse »,66 douleur et voix sont
intriquées et que la voix est liée au corps dans sa
matérialité sonore : rappelle bien que parler de la voix, ce
n'est pas en parler dans sa matérialité sonore. En effet dans la
séance du, il parle en ces termes des rapports du langage :
« Qui, incontestablement, en effet est coupure et
écriture, avec ce qui se présente comme discours, langage
ordinaire et qui nécessite ce support de la voix, à ceci
près, bien sûr, que vous ne preniez pas la voix pour simplement la
sonorité. Ce qui la ferait dépendre du fait que nous sommes sur
une planète où il y a de l'air qui véhicule du son,
ça n'a absolument rien à faire avec ça. Quand je pense que
nous en sommes encore dans la phénoménologie de la psychose
à nous interroger sur la texture sensorielle de la voix [...] on peut
interroger le phénomène de la voix. Il n'y a qu'à prendre
le texte de Schreiber et à y voir distingués, comme je l'ai fait,
ce que j'ai appelé message de code et code de message pour voir qu'il y
a là moyen de saisir d'une
66Jacques Lacan : Séminaire 13, le 20 avril
1966 « L'objet de la psychanalyse »,
41
façon non abstraite mais parfaitement
déjà « phénoménologisée » la
fonction de la voix en tant que telle. Moyennant quoi, on pourra commencer
à se détacher de cette position invraisemblable qui consiste
à mettre en question l'objectivité des voix de l'halluciné
[...] En quoi la voix sous prétexte qu'elle n'est pas sensorielle,
serait-elle de l'irréel, de l'irréel, au nom de quoi ? [...]
Est-ce que la voix est irréelle, allons-nous dire de ce que nous la
soumettions aux conditions de la communication scientifique, à savoir
qu'il ne peut pas la faire reconnaître, cette voix qu'il entend ; et la
douleur, alors ? Est-ce qu'il peut la faire reconnaître ? Et pourtant ?
Va-t-on discuter que la douleur soit réelle ? Le statut de la voix est
à proprement parler encore à faire [...] il y a de ces
phénomènes de voix qui s'accompagnent de mouvements
laryngés et musculaires autour de l'appareil phonatoire et que ceci bien
sûr a son importance, n'épuise certainement pas la question mais
en tout cas, lui donne un mode d'abord. Ça n'a pas fait avancer pour
autant, d'un pas de plus, le statut de la voix [...] Ce serait tout à
fait folie de méconnaître ce que le statut de la science
préconise - je parle de la nôtre - [et ce qu'elle] doit à
Socrate qui se référait à sa voix. Il ne suffit pas de
prétendre en finir avec, et se satisfaire ou croire qu'on a satisfait
à un phénomène comme celui-là au fait que Socrate
disait expressément référer à sa voix, pour dire,
oh ben oui, il y avait dans un coin un truc qui tournait pas rond. [...] Il
faut dire d'ailleurs, que nous, qui ne sommes pas de parti pris, nous n'avons
pas de visée spéciale vers l'humiliation de l'homme, nous nous
apercevrons qu'il y a deux autres objets a, chose curieuse, restés
même dans la théorie freudienne à demi dans l'ombre, encore
qu'ils y jouent leur rôle d'instance active, à savoir le regard et
la voix [...] l'obscurité n'est pas sur le désir de l'Autre, que
vous sentirez déjà immédiatement supporté par la
voix, que ce désir à l'Autre qui représente une dimension
que j'espère, à propos du regard, pouvoir vous ouvrir. [...] La
double dimension qui se révèle ici est, vous le verrez, quelque
chose qui différencie le caractère se dérobant, le
caractère insaisissable de la substantialité de l'objet a quand
il s'agit du regard et de la voix, ce caractère se dérobant,
caractère insaisissable n'est absolument pas de la même nature
quant à ces deux objets et quant au phallus. »
b) La voix peau :
Suite aux cherches approfondies de Didier Anzieu « le moi
peau et le moi pensant » Editions Dunod (1994), sur le Moi-peau, celui-ci
a élaboré la notion « d'enveloppe sonores du Soi ». En
effet il a mis en évidence l'existence précoce d'un miroir sonore
ou d'une peau « audio-phonique » en lien avec l'appareil psychique
par étayage. En effet le « Le soi se forme comme une enveloppe
sonore dans l'expérience du bain de sons, concomitante de celle de
l'allaitement. Ce bain de son préfigure le Moi-peau et sa double face
tournée vers le dedans
42
dehors, puisque l'enveloppe sonore est composée de sons
alternativement émis par l'environnement et par le
bébé.
Le bain mélodique la voix de la mère, ses
chansons, la musique qu'il entend, le bain mélodique de la voix de la
mère, donne l'illusion d'un miroir sonore dont il fera
l'expérience par des cris, puis par des gazouillis puis par des jeux
d'articulation phonématique. Il s'agirait d'un miroir à double
face à partir duquel s'ébaucherait une identité
pré-individuelle par le jeu de l'expérience d'une «
memeté » (terme employé par F. DOLTO), vocalique permettant
de palier l'angoisse de la présence de la mère relativement
à des éprouvés vibratoire constituant une image du corps
pré-individuelle en y mêlant des éléments propres
(ses éprouvés) et ceux qu'il emprunte à autrui (sa
mère) même si la voix de la mère n'est pas encore
perdue.
Alain Delbe dans « Le stade vocal »
préfère isoler la notion de la voix du bain sonore en
établissant la conception du stade vocal. 67
La voix maternelle est identifiée par le nourrisson
très précocement et sont associés aux soins affectifs et
maternels. Par ailleurs l'enfant ne peut produire que des sons vocaux, et
l'adulte reproduit en miroir les sons vocaux du bébé.
Plutôt que de parler d'enveloppe sonore, ne serait-il pas judicieux de
parler d'enveloppe vocale ? La voix rompant le silence pallie l'angoisse de
l'absence de la mère. Il y aurait donc un aspect contenant de la voix de
la mère qui rassure le bébé en lui parlant et le regardant
avec tendresse.
La voix par l'intermédiaire des creux des
résonateurs, de la cavité bucco pharyngée et des
vibrations qu'elle entraîne conduit à la notion de centre
indissociable de l'équilibre psychique et physiologique, d'où le
sentiment d'un centre vide vocale en lien avec l'image inconsciente du corps.
D'ailleurs les techniciens du chant conseillent de rassembler leur voix au
centre du corps. D'autre part, l'enfant est inscrit dans un langage soutenu par
la voix s'inscrivant dans la dialectique contenant/contenu.
c) Jeu du dedans et du dehors :
D.W Winnicott fait référence à la voix
comme un objet transitionnel car en effet, par le médium voix, ce qui se
rejoue c'est de la présence et de l'absence de l'autre. Il y a aussi ce
qui se joue du dedans et du dehors puisque la voix est intégrée
au corps, et de ce
67 Alain Delbe psychologue « Le stade vocal
» Édition le Harmattan 1995
43
qu'elle a de contenu dans ce même corps et qui au fur et
à mesure de l'élaboration symbolique, devient contenant. Par
cette construction symbolique nous avons créé d'autres liens avec
notre mère. Sa voix nous appelant nous aide à comprendre que nous
n'étions pas elle et que nous tenions une place à part
entière dans le monde. 68
Denis Vasse nous parle de la voix comme d'un nouvel ombilic
qui relie la mère et l'enfant. C'est par sa voix que la mère a pu
donner sa place à l'enfant dans le monde.
C'est par sa voix que la mère recrée le lien
brisé par la rupture du cordon ombilical. Avant d'avoir un sens, la voix
est synonyme de présence. Lorsque le bébé fera
l'expérience du manque, les vocalises l'aideront à supporter
l'absence de la mère, paroles abstraites qui le mèneront plus
tard au langage. La guérison consiste à revenir en
arrière, à rebrousser chemin afin de réactualiser le
traumatisme.69
Alain Delbe définit le stade vocal aux alentours de six
mois lorsque le nourrisson s'approprie sa voix, ou il comprend que les
émissions vocales lui appartiennent.
L'identification à sa voix sera fondamentale pour la
structuration de sa personnalité. Même si l'enfant communique avec
de multiples canaux -geste, mimique toucher etc. seule la voix quand elle est
parole est langage.70
d) La voix vide :
M. vient me voir car elle a peur de perdre sa voix. L'examen
médical ne décèle rien de suspect au niveau organique.
Au cours des séances M. me confie que son père
était injurieux et qu'elle avait pris l'habitude pour éviter les
affres de son père de se taire.
Elle subit les violences verbales de la même
manière de son mari. Ce qui fut l'élément
déclencheur de ses problèmes vocaux fut une gifle qu'elle aurait
reçu d'une dame à l'occasion d'une démarche
administrative. Cet acte mit en exergue tout son vécu pulsionnel de
l'enfance, le fait de vouloir s'émanciper de la voix paternelle qui lui
disait « tais-toi » outre le fait que par des paroles violentes et
haineuses l'humiliantes. Donc il s'agissait de se faire de plus possible
oublier de son père et de de ce fait, de se taire, (terrer). La voix de
son père venait se substituer à la sienne au point que la sienne
était perdue cachée dans la grotte laryngée. C'est comme
si
68 D.W Winnicott dans « objets transitionnels
» coll. "Petite Bibliothèque Payot",
69 Denis Vasse « L'ombilic et la voix »,
Editions du Seuil 1974 op.cit.
70 Alain Delbe « Le stade vocal » Ed.
L'Harmattan
44
elle endossait la peau de l'autre « vocale » pour
s'en protéger accablée par le poids du surmoïque.
La voix réduite au silence présentifie
l'inaudible d'une parole perdue dans le trou vocalique. L'altération de
la voix est certes organique, mais elle peut être aussi la marque d'une
béance à être ou d'un manque à être.
Derrière la dysphonie se révèle le symptôme d'une
souffrance, que la voix vient révéler comme une fracture du
discours.
La voix est pulsionnelle elle peut n'être que
jouissance, dans l'errance d'une voix qui ne porte plus le mot (maux) ou
désir à l'autre soutenant le discours qui prend corps.
Le corps est mis à nu par la sonore qui
l'érotise. Phallique elle se fait geste intrusif qui déborde le
corps. La voix prend alors le pas sur la parole à l'effet de la
jouissance qui prend en otage le corps excluant le sujet de la parole.
Malgré tout la voix peut revêtir plusieurs peaux au
bénéfice de la sociabilité pour rendre la vie plus
tolérable dans nos rapports à l'autre. Elle se fait
enjôleuse, plaintive, geignardes, autoritaire etc.
Le vocal donc endosse comme un manteau, la souffrance que le
sujet extériorise par le jeu vocal au jeu de la rencontre. La voix
devient un par-dessus recouvrant le mot telle une peau qui étouffe la
parole au risque de devenir un carcan. La voix s'éraille,
s'étrangle à l'effet d'un mot qui chu dans le silence d'une voix
qui ne peut soutenir le signifiant. La parole se délite
étouffée par une voix qui voile le discours mais qui
dévoile la souffrance du mal à dire. La voix se perd dans les
méandres du discours, elle transporte avec elle un manque à dire,
à être. De qui de quoi cette voix se fait-elle le portevoix ?
Bredouiller, bafouiller, bégayer etc. cela vient
marquer plus qu'un « raté »de la profération, une
buttée de l'acte de parole sur sa propre jouissance corporelle, vocale.
71 « La voix tient de la faille et du gouffre. La voix
surgit de l'abîme du silence et par la résonance qu'elle donne au
mot, elle indique la béance de l'abîme tout autant qu'elle
l'occulte. La voix tien de l'esprit de la langue, celle du sujet ; elle lui
donne une limitée nécessaire à la perception ; elle est ce
par quoi l'esprit ou la langue s'appréhende. Mais en même temps
elle donne aux mots une résonnance sans limites, celle de l'esprit.
C'est en cette limite précisément que je placerai la voix en sa
fonction symbolique, là où viennent à rencontre et
à séparation la langue
71 Jean-Michel Vives « Les enjeux de la voix en
psychanalyse dans la cure et hors cure « Presses Universitaire de
Grenoble 2002
45
et le sujet, et pour autant que sans elle, ni la langue ni le
sujet ne saurait - et pour cause se dire. » « Lorsque la voix se noie
dans une langue qui n'aurait pas d'attache particulière, elle indique,
par sa défaillance délirante, le vertige d'un sentiment
océanique où tout se dissout dans un mutisme imaginaire, d'un un
sans Autre. »72
d) La perte :
Guy Rosolato rappelle que la « mémoire sonore «
opère sur le phénomène du manque parce
qu'articulée à la séparation du corps d'avec
celui de la mère. 73 Cette perte est évoquée
dans
le poème de Lamartine dans ses méditations :
Les images de ma jeunesse
S'élèvent avec cette voix,
Elle m'inonde de tristesse,
Et je me souviens d'autrefois,
L'absence incite le poète à la faire revivre de
façon sublimatoire au travers de l'écriture comme
un retour fantasmé au corps maternel.
E.Sechaud parle « d'un effet sublimatoire en de ça
des mots qui se supplée à la perte de l'objet perdu. Pour elle,
la sublimation issue de la perte maintient le lien à l'objet perdu, dans
un mouvement de ré-objectivisation dont la force trouve sa source dans
un réinvestissement libidinal de l'objet. « 74
Rappelons que l'infant est confronté à deux
pertes, celle du cri lié à la demande et celle de la mère
qui l'invite à la fusion vocale. Il devra pouvoir rester sourd au chant
de la sirène, pour n'entendre que le chant de la poétesse qui
l'invite à advenir. Cette surdité créera au sein de la
psyché, un point sourd tout comme il y a un point aveugle pour pouvoir
voir. Le sujet, pour advenir comme parlant, doit en tant qu'émetteur
à venir, pouvoir oublier qu'il est récepteur du timbre
originaire. Il doit pouvoir se rendre sourd au timbre primordial pour parler
sans savoir ce qu'il dit, c'est à dire comme sujet de l'inconscient.
Pour devenir parlant, le sujet doit acquérir une surdité
spécifique envers cet autrui qu'est le réel du son musical de la
voix. De même qu'un
72 Denis Vasse « l'arbre de la voix
» Ed.Bayard
73 Guy Rosolato « Revue française de
psychanalyse, January-February,1974 « la voix entre corps et langage
»
74 E.Sechaud « La sublimation, un
mouvement, la création » Revue Francaise de Psychanalyse, tome
69, année 2005 (65ème congrès des psychanalyses)
e) La jouissance comme « J'ouïr (de la
voix).
46
point aveugle structure la vision, l'acquisition d'un point
sourd - acquis par le refoulement originaire - s'avère
nécessaire.
Pour pouvoir entendre et parler. La voix primordiale est
devenue "inouïe" et le sujet pourra conquérir sa propre voix. Bien
qu'ayant perdu la jouissance de l'autre , qui serait de l'ordre de la »
mal e diction »par ce que hors mots, pour trouver sa voix il faut que la
voix de l'autre soit mal-entendue, comme si la perte n'était que
partielle et qu'il en reste un bout, d'où l'objet « a » Le
principe même de la pulsion invocante montre que le sujet de
l'inconscient n'a pas oublié que pour devenir invoquant il a dû se
rendre sourd à la pure continuité vocale de l'Autre. Cette
surdité à la voix primordiale permettra au sujet à venir,
à son tour, de donner de la voix. Celui ou celle qui n'aura pas
été sourd à la voix de l'autre y restera suspendu et
envahi, d'où les voix fantôme dans le cadre de la psychose.
Le mythe d'Echo : « Les métamorphoses d'Ovide
» (livre III, 339-510) :
Dans la mythologie grecque, Écho est le nom d'une
nymphe. Elle est l'héroïne de plusieurs mythes
différents.
Zeus qui demande de détourner l'attention de sa femme
Héra, en lui parlant sans cesse. Pendant ce temps Zeus peut se livrer
à des « aventures amoureuses ». Héra, jalouse, comprend
la tromperie et lance une malédiction sur Écho. Désormais,
celle-ci ne peut plus parler la première, mais doit se contenter de
répéter ce que les autres ont dit avant elle.
Dans un autre mythe, Écho rencontre Narcisse et en
tombe amoureuse ; mais Narcisse, qui n'aime que son reflet, ne répond
pas à son amour. De chagrin, la nymphe se retire dans une grotte. Comme
elle ne se nourrit plus, elle finit par s'évaporer ; il ne reste d'elle
que sa voix qui, toujours soumise à la malédiction d'Héra,
répète sans cesse les dernières syllabes que l'on
prononce.
Echo se trouve donc confrontée à
imprononçable, sans une voix qui se fait jouissance d'un amour perdu
à jamais. Une voix qui n'a pas d'adresse. La voix n'est que
mélopée qui ne dit pas les mots mais se fait musique. Mais Echo
disparait derrière cette voix jouissive car il n'y a pas d'adresse ni
d'invocation. L'histoire d'Echo montre à quel point la parole est
liée au désir envers Narcisse, qui reste incapable de l'entendre.
Il ne reste plus qu'à se taire «se terrer» jusqu'à tel
un spectre vocalique, qui ne dit plus rien.
47
L'impossible possession de l'objet de la voix entraine une
tension permanente entre le convoité et redouté. Convoitée
en tant qu'étant liée au corps comme promesse de jouissance et
redoutée car peut nous entraîner dans l'abysse d'un
l'illimité vocalique aboutissant à la folie. Michel Poizat dans
le mythe du « Covenant (pacte)» établit bien la limite entre
« Le principe du « sama » est la jouissance de l'injonction
créatrice. Se pose la question de l'incorporation, de nourriture,
associée à cette audition primitive d'un verbe primordial
créateur, et la notion de souvenir, de résonance, d'écho
de cette voix impérative qui ordonne le monde. Le mythe de l'audition
primordiale du Verbe créateur se prolonge par celui qui met en
scène un pacte primitif liant Dieu à l'ensemble de ses
créatures humaines. Toutes les âmes étaient plongées
dans l'ivresse de cette parole. Il y a une articulation de la voix et le
remémoration de la dimension sonore d'une parole fondant l'alliance
entre Dieu et les hommes mais aussi le « OUI »d'Adam qui romps avec
cette jouissance en acceptant d'obéir à la voix divine car «
ob-ouir » (obaudire) c'est écouter se soumettre au temps de parole
de l'autre, obéir c'est incorporer, assimiler cette parole. 75
La voix peut-être un ancrage à
l'érotisation du corps de l'autre, dont la voix de l'aimé se
ferait écho. Elle vient donc incarner quelque chose qui attendu de
l'autre, qui vient à manquer.
Le mythe des Sirènes :
Dans la mythologie grecque, les Sirènes sont des
créatures mi- femme mi- oiseau. Filles du fleuve Achéloos et de
la muse Calliope, une punition d'Aphrodite ou de Déméter leur
donnera cet aspect monstrueux. Dans la tradition la plus usitée elles
sont au nombre de trois. L'une joue de la lyre, l'autre de la flûte et la
troisième chante. Elles séjournent dans le détroit de
Messine où les marins, charmés par leurs chants, perdent leur
sens de l'orientation et leurs bateaux se fracassent sur les rochers.
Rejetés sur les récifs, ils seront dévorés par les
Sirènes.
Histoire d'Ulysse et les Sirènes :
Après la prise de Troie, Ulysse, ayant encouru la
colère de Poséidon, dieu de la Mer, erra durant 10 ans sur les
flots, affrontant de multiples dangers et aventures. Au moment de quitter la
Magicienne Circée, chez qui il avait dû passer un an, elle le mit
en garde sur le danger des Sirènes qu'il allait affronter. S'il tenait
à écouter leurs chants, il devra boucher avec de la cire les
oreilles de ses compagnons, et lui-même se faire attacher solidement au
mât du bateau. Il suivit ses conseils, et les oreilles non
bouchées, put ainsi, sans risque entendre leurs chants.
75 Michel Poizat « la voix du diable » Ed
Métailié
L'oreille se fait regard et ce fait regard porte sur ce que le
sujet donne à dé-voiler le narcissisme est mis rudement à
l'épreuve. Cela traduit une peur mortifère d'un corps malade
48
La voix de la jouissance dont parle Lacan J (le
Séminaire Livre X, L'angoisse (1962-1963) non publié), se
rapproche du râle de jouissance et de la mort du père de la horde
primitive. La voix rejetée (werfen) partie ré réelle non
symbolisée va subsister comme père mort increvable
menaçant. La perte de la voix dans le cadre de la dysphonie ou aphonie
peut en cacher une autre. Théodore Reik parle d'une mise en écho
de la parole du sujet inconscient, qui pourrait être l'objet cause de la
pulsion invocante. L'absence de voix, exclut le sujet du social qui peine
à se faire entendre. La voix s'entend comme le visage se voit et nous
renseigne sur comment la voix se porte et comment le sujet supporte sa
souffrance.
La couleur de la voix est comme la couleur de la peau elle
nous dit l'état du patient. Elle informe donc sur le désir,
colère, haine peur, confiance, etc. Elle exhibe ce que nous croyons
dissimuler c'est pour cela que (B .DeJurquet 1999) dit qu'elle est un secret
visible. L'impossible appel à l'autre le renvoie à sa solitude et
ébranle un corps qui s'épuise car « rien ne sort. » Le
starter vocal ne fonctionne plus. Cet impossible appel va de pair avec le
scopique car le patient ne regarde plus l'autre, son regard s'enlise dans une
rêverie scopique, tout comme la voix s'enkyste dans le larynx.
Cette idée de rien ne sort nous renvoie au
problème de l'anorexique qui ne rentre rien ou rien ne rentre. Dans le
cadre de la dysphonie ou aphonie c'est la même chose. Le sujet
présentifie sa souffrance par une « anorexie vocale » la
parole étant dépossédée de la chair vocalique. Le
corps en est réduit à un squelette consonantique
dépouillé de la chair vocalique. La voix est réduite
à un souffle qui s'évertue à atteindre l'autre par son
appel au-secours. La voix s'organise comme elle peut, elle se fait crie,
sanglot, aphonie, dysphonie, toux, déjection etc, pour se faire entendre
de l'autre. Le mot est écorché par cette voix qui marque le
trouble, voile le discours, mais dévoile le malaise. Alors le sujet crie
à corps perdu son angoisse, malgré une voix perdue dans les
méandres laryngés, béance de la demande du sujet à
l'autre.
La faille du désir empêche le geste vocale
permettant l'appel à l'autre. Cette voix perdue serait la voix du
désir de l'autre. Le cri du nouveau-né n'est pas d'abord appel,
il ne le deviendra que par la réponse de la voix de l'Autre où se
marque son désir.
La première intervention de la voix d'Olympia est un
aria « les oiseaux dans la charmille... ». Les vocalises y sont
scandées, acrobatiques et aiguës. Le système langagier
d'Olympia est une
49
de sa voix qui ne soutint plus le mot, au risque de la mort
intérieur du sujet. Le sujet cherche le moyen d'un geste vocale qui lui
permettrait de faire peau neuve avec sa voix. Le geste vocale consiste en une
pulsion qui permet l'envoie de la voix « l'en voix » à
l'autre. Le sujet est pris par la perte du jeu présence/absence
correspondant au fort/da dans « Au-delà du principe de plaisir
»dont parle Freud. Ce qui est forclos c'est l'appel à l'autre et
cet impossible appel empêche la présence de l'autre.
L'aphonie vient marquer l'absence de l'autre. Il reste le
souffle le filet de voix qui donne la perspective de retrouvaille possible
d'avec l'autre. On peut donc espérer une mue vocale qui permette de
régler le conflit présence/absence.
La voix surmoïque de l'autre, peut prendre une telle
place, parlant au lieu et place du sujet, qu'il en est réduit 'à
un porte-parole de l'autre. La voix du sujet est déshabillée de
sa propre peau pour revêtir celle de l'autre. La voix du sujet n'a plus
qu'à se terrer « taire » au profit de l'autre qui parle
à sa place. La voix de l'autre devient persécutrice car elle
revient occuper tout l'espace. Le père devient un étranger
persécuteur car non incorporé. Il s'agit donc de se
débarrasser de cette voix qui encombre la zone laryngée.
La voix du sujet brille par son absence désertant la
parole et laissant un trou, une indicible parole provoquant une aphonie.
Dans le 1er acte des contes d'Hoffmann d'Offenbach,
Spallanzani, un brillant physicien construit un automate qu'il s'apprête
à présent à la société comme « sa fille
». Il la nomme Olympia. Hoffmann, son élève, tombe
éperdument amoureux d'Olympia sans reconnaître la nature
inanimée d'Olympia. Après avoir chanté, l'automate offre
au poète Hoffmann l'occasion d'une valse folle.
Mais Coppélius un vendeur, qui a donné la vue
à l'androïde en vendant des yeux à Spallanzani, vient en
pleine fête réclamer le prix de ses services. Dupé puis
éconduit par Spallanzani, le pourvoyeur d'yeux se venge en brisant la
poupée devant les invités hilares qui accablent Hoffmann
effaré.
50
discontinuité de micro-silences, qui montre que le sens
est perdu, mais que la jouissance pointe à cause des aiguës proches
du cri. Cet automate sur la demande de son « père » chante cet
air qui obéit par de nombreuses notes piquées à la Loi du
signifiant imposée par son créateur.
Objectivée, réduite à l'état de
machine, elle dépend de lui pour donner de la voix « Ma fille
obéissant à vos moindres caprices... dit Spallanzani», la
voix devient un objet anal répondant à la demande de l'autre.
Jusque-là obéissant aux sollicitations
paternelles, Olympia n'est pas en danger. Mais c'est grâce à la
valse avec Hoffmann qu'Olympia va acquérir de l'autonomie. Elle dira
« oui » à son père mais s'autorisera à valser en
chantant un chant qui devient pratiquement orgasmique. Tant que les vocalises
étaient scandées le rapport au signifiant était encore
présent. Désir sans Loi, jouissance sans limite tout cela est
dangereux, mieux vaut le détruire.
Olympia n'avait d'existence que par la demande de l'autre. Sa
voix se faisant déchet devra se briser en même temps qu'elle.
51
V- LA VOIX ET TRAUMATISME - LE TROU-VOCALIQUE
A la suite d'un stage que j'organisais sur la voix en
art-thérapie, une jeune femme vient me rendre visite inquiète du
fait qui lui est impossible de chanter car l'idée de chanter la paralyse
complètement. C'est un travail qu'elle veut faire du fait de l'effet du
contre transfert, qui risque d'envahir la séance art-thérapie
orientée par la psychanalyse. Claire Gillie parle d'une automutilation
vocale qui renvoie à une forme d'anorexie vocale. Chanter serait prendre
des risques de donner à voir ou en entendre quelque chose de soi qui
doit rester dans l'inouï, la voix chantée comme objet est
rejeté au rebu de l'abject, menaçant. Ne serait-ce pas le risque
de converger vers l'engloutissement de la relation duelle avec la mère
« au risque de perdre une partie de la castration mais de se perdre tout
entier comme vivant ? »76 Ne serait-ce pas un retour à
la relation archaïque d'avec la mère par cet objet voix ? Ne
serait-ce pas un dérapage, qui contreviendrait à la loi
paternelle de flirter avec la jouissance de l'objet chu de la parole? Car que
se passerait-il si elle y trouvait quelque jouissance ? « Mozart dans la
flûte enchantée avait bien compris le déchaînement de
la jouissance maternelle incarnée par la Reine de la nuit dont les
performances vocaliques défient la loi du verbe, qui conduit Tamino au
piège du fantasme à cause de la fascination que constitue la
vocalité de la Reine de la nuit. Sarastro le père arrache sa
fille Pamina à l'emprise de la jouissance maternelle. Les reines de la
nuit remettent à Tamino une flûte taillée par Sarastro,
c'est donc une quelque chose du père qui est transmis par les femmes.
Cette flûte consiste à protéger Tamino de la quête
séductrice de la reine de la nuit. La Flûte revêt un aspect
symbolique ambivalent car elle à la fois féminine par la
possibilité d'une virtuosité vocalique et à la fois
masculine par son aspect phallique. L'instrument support de la voix du
père et du verbe taillé par Sarastro fait barrage au
débordement. La voix est à mi-chemin entre l'imaginaire et le
symbolique, elle est mi- dire, et c'est le versant divinisé du
père représenté par le prêtre qui permettra à
Tamino et Pamina de renoncer à ce lieu de jouissance originel
incarné par la Reine de la Nuit. »77La voix devient donc
un lieu de désir assumé par l'un et par l'autre et de sortir du
lieu de jouissance mortifère conférée à l'objet
propre à la psychose.
76 Julia Kristeva « Pouvoirs de l'horreur
» Ed.Essais
77 Michel Poizat « La voix du diable »
Ed. Métaillé
52
A l'effet du traumatisme, il y aurait un échec de
l'appel de l'autre comme secourable qui fait défaut au moment où
on aurait eu besoin de l'autre. La voix s'échoue alors comme une
épave à la mère faute d'avoir été entendu.
Le traumatisme laisse le sujet vide de sens, quat, dans un état de
sidération. Cela renvoi à l'échec d'un dire d'une plainte
et de la mise en place du symbolique qui en découle. Une position
fantasmatique liée à la pulsion invocante s'installe de
façon paranoïde et revendicatrice en l'existence d'un autre
malfaisant, celui qui nous oblige à nous taire et qui jouit de notre
douleur, ce qui conduit à une forme d'aliénation à cet
autre méchant. La patiente à son récit à partir des
cartes contes, en choisit un représentant un personnage en prison ayant
un boulet au pied. D'autre part, elle me précise que quasiment tous les
mois elle se trouve clouée au lit pétrifiée de douleurs.
Pour elle ce boulet signifiait ce quelque chose auquel elle était
aliénée, dont elle ne pouvait se débarrasser et qui la
faisait souffrir. Ces symptômes ne seraient-ils pas la réponse
à un autre persécuteur ou persécutrice, auquel elle
obéit et l'oblige à se terrer (taire) percluse de douleurs comme
enchaînée. Ce serait prendre le risque de découvrir ce dont
on ne veut rien savoir « ça voir » que de chanter. Comme
mécanisme de défense, il est préférable de s'en
dispenser. Pourtant le chant libère, il est émancipateur, or le
surmoi est si puissant qu'il l'empêche d'accéder à ses
désirs qui ré-enchanteraient sa vie.
V-1 La forclusion vocale - Les hallucinations :
Pour Lacan : « Ce qui est forclos du champ symbolique
revient sous forme hallucinatoire dans le réel ».Celui qui n'aura
pas pu se structurer par l'intermédiaire du refoulement originaire, ce
point sourd, se verra envahi par la voix de l'autre, il y restera suspendu et
en souffrance. Lacan rapproche du râle de jouissance et de la mort du
père de la horde primitive la voix inarticulée et la voix de la
jouissance. La voix du père archaïque apparait comme obscène
et féroce. La voix de l'autre s'impose de façon surmoïque
par des injonctions « jouis ». L'autre s'adresse au sujet, mais le
sujet est incapable de faire quoi que ce soit de cette adresse. La voix
apparait comme fantomatique, comme réelle et menaçante. Freud
parlera de voix folles et hurlantes de la conscience dans Totem et Tabou. Il y
aurait donc forclusion primordiale à l'effet de la voix primordiale, qui
fait retour comme une perception interne. La voix archaïque a
été soustraite au pouvoir symbolisant et réapparait dans
le réelle dénuée de signifiant.
Pour Lacan l'hallucination est une manière d'être
au monde qui comme le délire n'est plus en adéquation en
congruence avec un environnement composé de repères constants
partagés par tous les représentants d'un groupe humain, un
ensemble de signifiants. Les hallucinations sont
53
dites vraies lorsqu'elles sont perçues de façon
spatiale ou localisée et que le patient s'en défende en se
fabriquant une armure (coton dans les oreilles, fabrication d'armure
compliquée etc.) pour ne plus les percevoir.
La vocation psychotique venant tenter de suppléer ce
qui manque à l'appel constitue l'oubli de l'Autre. Apparaît alors
une voix hors-la-loi qui, telles les Erinyes poursuivant Oreste, ne le quitte
pas parce qu'elles sont en lui et où qu'il fuie, sont toujours avec lui.
C'est ce que nous montre dramatiquement la clinique de la psychose : des
patients qui errent dans les hôpitaux l'oreille vissée à un
transistor pour tenter de couvrir ses/ces voix. La loi permet donc à la
voix de rester à sa place, c'est-à-dire inaudible.
Clérambault (1872-1934) s'est attaché à
décrire les toutes premières étapes des processus
psychotiques, notamment dans les délires chroniques hallucinatoires. Ces
troubles inauguraux consistent en l'émergence au côté de
pensées que je sujet reconnaît comme siennes, de productions
mentales dépourvues de ce sentiment d'appartenance. Le sujet
éprouvant une impression de facticité (qui n'a pas de
contingences) les considère comme autonome par rapport à son
propre psychisme. Cette activité mentale est dépourvue
d'esthésie (sans sensation ni sensibilité) neutre au point de vue
affectif et athématique (n'exprimant pas l'essence d'un individu) sur le
plan idéique.
Pourtant bien que s'immiscent dans les cours de la
pensée, les productions anormales bien qu'étant
étrangères au sujet, n'en demeurent pas moins de l'ordre de la
pensée, puisqu'elles sont dans la tête dans l'esprit du patient.
Ces phénomènes parasites sont sans sensorialité ni
spatialisation, ni totalité particulière, ni
affectivité.
Par contre les voix venues de l'extérieur
attribuées à un ou plusieurs personnages tenant des propos
chargés de sens pour le patient déclencheront chez celui-ci une
réaction émotive plus ou moins vive, d'autant que ces
hallucination verbales, auditives peuvent être accompagnées
d'hallucination psychosensorielles olfactives, tactiles, etc.. Les impressions
d'étrangeté parce qu'extérieure conduiront le patient
à dire qu'il est sous l'influence ou la possession des voix qu'il
entend.
Jean Etienne Esquirol élabore la définition de
l'hallucination comme une perception sans objet, définition retenue
jusqu'à nos jour. «L'hallucination n'est pas seulement une
perception privée du stimulus externe correspondant, mais la conviction
intime d'une sensation actuellement
54
perçue alors que nul objet extérieur
approprié propre à exciter cette sensation n'est à la
portée des sens «. 78
A la suite d'Esquirol, Falret, précisera que l'objet de
l'hallucination doit paraître présent et tandis que le sens comme
la, vue, ouïe, odorat et, goût, téguments, ne reçoit
aucune impression. Par contre Bleuer fera de l'hallucination une
représentation et non l'impression d'un objet, représentation
à laquelle le sujet attribue une valeur de perception. Pour Freud, toute
représentation inconsciente, doit pour devenir consciente, repasser par
la perception pour être perçue comme objet externe. Dans
l'hallucination, l'alternative dedans-dehors, représentation-perception,
n'a plus de sens. Avec sa métapsychologie du système de
perception-conscience, et avec sa théorie de la réalisation du
désir dans le rêve et dans l'hallucination ; la dimension
subjective sera définitivement instaurée, qu'on soit fou ou non
fou.
V- 2 Le rien :
Que suis-je pour toi ? Rien peut-être ! Le « je
» est rien. Cette affirmation définit la place vide de l'autre en
tant qu'objet habitant le langage de façon fantasmatique ou l'autre du
désir n'a pas sa place. Le rien renvoie à l'absence de
négation propre à la psychose. Cette absence de négation,
indique que le signifiant est barré et laisse un trou symbolique en
rapport avec le nom du père. Ce qui permet la fermeture du corps, ce
sont les occlusives qui participent à la coupure du souffle
évitent la jouissance de la lallation pseudo- discours d'avec la
mère. Le NON comme « NOM DU PÈRE » est porteur de la
loi permettant une structuration de l'articulation de la parole qui inter-dit
la chose évitant le risque de s'y resté pétrifié.
Sans interdit il ne peut y avoir de sujet. Ne touche pas donne la dimension de
ce qui est bon pour moi et ce qui ne l'est pas et de construire le
désir. « La consonne crée une coupure à la jouissance
pure de la voix et fait entrer l'enfant et dans la chaîne signifiante
dont l'implication pulsionnelle dans cette chaîne se fait sous le
signifié du Nom-du-père : papa. Les occlusives « ne pas
», marquent donc cette fermeture. Lorsqu'elles disparaissent du langage,
cela signifie un corps troué, où le langage n'a pas pris place
dans le corps. L'hallucinée ne sait rien du savoir de l'autre quant
à sa demande »79
78 J. -E.-D. Esquirol. Des hallucinations.
(1817). Extrait « Des maladies mentales considérées sous le
rapport médical, hygiénique, et médico-légal.
» Paris, J.-B. Baillière, 1838, pp. 159-201.
[Réédition : Paris, Frénésie Editions, 1989. 2
tomes en 1 vol. in-8°, dans la collection « Insania. Les introuvables
de la Psychiatrie ».
79 Solal Rabinovich « les voix » Editions
Eres
55
Le rien d'objet qu'est le sujet pour l'autre, c'est
réellement rien et le diable, la mère, où dieu occupent la
place du rien dans l'autre. Selon Freud il y a rien dans un lieu de
l'inconscient, chez Lacan c'est dans ce rien qu'apparaissent les voix se
situant entre perception et conscience, venues du réel produit par
l'expulsion d'abord, et la forclusion ensuite. Si Freud situe ce réel
à l'extérieur du sujet, rejeté loin de lui, Lacan parle
d'extrémité du réel. N'existerait-il pas des passerelles,
des zones de contacts que nous pourrions emprunter ? La voix objet « a
» est en même temps à l'intérieur et à
l'extérieur. Proférée au-dedans, elle s'entend au
dehors.
Cela signifie que les voix hallucinées vienne habiter
un lieu d'où la forclusion du Nom du Père un chassé
l'essentiel des inscriptions mnésiques. Rien est la part forclusive de
la négation.80
V -3 Je suis pensé :
« Je suis parlé laisse entendre que le sujet ne
sait pas lire le chapitre de son histoire, l'inconscient. C'est un chapitre
censuré ou marqué par un blanc, ou occupé par un mensonge,
dont la vérité se retrouvent ailleurs que dans le corps
(symptômes hystériques) archives des souvenirs d'enfance. La voix
reste lettre morte. La voix est l'objet chu de la parole marquant la faille du
sujet comblée par la voix de l'autre. Je suis parlé, et
j'obéis aveuglément à l'énoncé du surmoi. Je
suis parlé par l'intermédiaire de l'autre qui parle.
»81 « Comme le dit Denis Vasse l'image du corps dans la
psychose est référé au fantasme d'un ombilic béant.
Il n'y a pas de coupure symbolique le corps dans la psychose se présente
comme un ombilic ouvert. Ce n'est pas par hasard que le psychotique cherche son
lieu d'origine dans une sorte de continuité organique qui l'invite
à pénétrer le corps de l'autre. »82 Seul
le corps clos est interprétable en tant que corps d'un sujet soumis au
langage, dans les rets duquel il vient se laisser prendre en prenant la parole.
»83 La voix désormais s'épuise sans aucune
représentation qui puisse donner organiser une pensée en lien
avec son propre corps au langage et à l'autre, le signifiant de se
trouve pas en lui et encore moi dans son moi. La voix est alors
déconnectée du désir et s'opère comme
détachée du corps comme la chose mortifère, qu'on
contemple avec fascination.
Être pensé c'est n'avoir plus rien de secret et
c'est être livré en pâture à l'autre. Denis Vasse
parle d'un corps ouvert dans production imaginaire ne pouvant rien
s'approprier. C'est être offert à la jouissance de l'autre qui
jouit de vous penser. La voix n'est pas refoulée elle et pas
80 Solal Rabinovitch « Les voix » Ed. Eres
op.cit.
81 Ibid
82 Denis Vasse « L'ombilic et la voix
»Ed. Essais p. 97 op.cit.
83 Ibid p.99
56
inscrite dans le corps. À l'origine le cri de l'enfant
force sa mère à interpréter ses besoins vitaux, à
défaut, cela peut le laisser dans une grande détresse, laissant
le corps pensé comme réel, sans consistance dépourvue de
sens, de telle sorte que comme le langage n'a pas pris. C'est par le langage et
l'Ouïe que l'homme reçoit son statut de sujet conférant du
passage du Je au Tu la parole le détache de la voix inorganisée
uniquement pulsionnelle, aliénant le sujet à
l'irreprésentable de telle sorte que la voix en réalité
n'est que déchets et brisure de son.
Dans son rapport à l'autre, la voix n'est pas seulement
mise en voix de la chaîne signifiante, elle est vocalisation du
désir. Le signifiant n'y est pas seulement articulé, il est
émis et vocalisé. En tant qu'objet « a », la voix est
à la fois le silence et ce qui le brise. Séparé du corps,
et détaché de la chaîne signifiante, l'objet ne
s'insère pas seulement entre l'intérieur et extérieur,
mais entre le sujet et l'autre confronté à l'énigme de
l'autre. C'est alors que les voix s'égarent loin des supports de la
chaîne signifiante. Elles sont comme les cris de mouettes pures voix sans
énoncé qui incarne le reproche absent injonction muette. Ces voix
deviennent persécutrices et profèrent des injonctions comme
« tu dois » L'impératif rejoint le pulsionnel marquant la
discordance entre le réel et la jouissance. En effet, dans la psychose
l'absence de l'interdit parental conduit à la jouissance.
Délocalisée à l'extérieur leur
réalité nous est dévoilée, rendue visible de la
structure du surmoi. Ce surmoi est le représentant du ça, d'un
ça qui ne peut rien dire et ne fait que jouir, et ouïr c'est
obéir.
V-4 Le bruit :
La voix porte en elle de façon intrinsèque des
représentations imaginaire. Aristote écrit : « Pour qu'il y
ait voix, il faut que l'être qui produit le choc mette en oeuvre quelque
représentation (meta phantasias), car la voix est assurément un
son chargé de signification (sèmantikos) et non pas un bruit
produit simplement par l'air inspiré, comme la toux »84
Les craquements qu'entend Schreiber au début de sa
maladie, et qui épouvantent parfois les phobiques révèlent
l'indifférenciation du bruit et de la voix. Il ne s'agit pas seulement
du bruit de la pensée entendue, il est aussi le bruit de l'autre, et
révèle aussi la présence de l'être, car il marque
une présence. Même si nous ne voyons pas les fantômes par
exemple, nous sentons leur présence en ne nous fiant par exemple
qu'à des bruits. Avant le mot, l'entendu n'est que du bruit, avant que
la voix ne donne une forme au mot, l'entendu n'est que du bruit. Oswald
84 Aristote De anima, 420b.
57
relève l'affaiblissement consonantique du discours des
schizophrènes, les voyelles dominent largement. Il interprète ce
phénomène comme une régression au stade
pré-linguistique ramenant à l'absence de contrôle
sphinctérien correspondant à une vocalisation pure proche de la
cacophonie. 85
La voix pulsion invocante est la seule qui ait besoin de deux
orifices l'oreille et la boucle audio phonatoire de la nôtre et de
l'autre c'est pour cela qu'elle est prise dans le désir à
l'autre. La voix est l'objet (a) soumis à la perte « Il faudra que
la voix soit séparée de la jouissance et définitivement
exclue du cri. Ce qui est exclu, c'est ce qui constitue les choses « sache
» les petits bouts de voix, les hurlements, chus de la chose (das ding) de
cette jouissance hors la loi instauratrice aboutissant au langage.
Malgré tout dans la psychose le bruitage de l'autre de la jouissance,
est en rapport avec le pulsionnel sonore faisant retour dans le réel des
signifiants forclos. Cependant il reste une trace de plaisir ou de
déplaisir. Pour devenir conscients, faits, traces mnésiques il
faut passer par l'entendu. Dans la psychose l'intraduit est
véhiculé par des représentations de mots. Ce sont des
représentations de la chose qui est (das ding) reflet de quelque chose
qui a été entendu. Il s'agit donc de la chose voix.
»86 Les pensées sont perçues effectivement comme
venant de l'extérieur et sont tenus pour vraies. Il y a confusion entre
la chose voix et le mot entendu. La symbolique du mot n'est pas distincte de la
chose-voix. C'est un souvenir cru, de mot articulé qui s'entend,
souvenir que le sujet a reçu de l'Autre, mais qui est n'est plus
lisible, il s'entend mais ne se lit pas. Halluciner c'est entendre des paroles
véhiculant et du sens qui reviennent au sujet, sans lui apparaître
comme siennes. Il y a une discordance entre le corps et le langage. La voix
à déserté les mots hors sens de la vocalité. Hors
sens, mais aussi hors lettre car il n'y a pas d'adresse. En fait ce qui compte,
ce n'est pas ce que du dis c'est la voix. La voix devient donc pulsionnelle en
discorde avec le signifiant. « Je m'entends parler avec la voix de ma
mère, je m'entends parler de vive voix. Rien n'arrête cette voix,
elle n'habite pas le corps. Toute signification a déserté
l'énoncé par exemple : je suis platonique avec ma mère,
/j'ai mis un bonnet pour retenir mes pensées. Si le signifiant est
absent du langage, j'entends le signifié et j'y crois.
La voix s'entend dans le réel et souligne le
caractère réel de l'énoncé. Elles peuvent arriver
comme des injonctions par exemple : prend un couteau et tue- le. »87
85 Yan Fonagy « La vive voix » Ed. Payot
86 Solal Rabinovith « Les voix » Solal
Rabinovitch » Ed. Eéres op cit.
87 Ibid
58
Lorsque la voix est dégagée du langage et de
toutes significations, elle ne veut rien dire au lieu de « ne rien dire
». Ce rien dire c'est la jouissance qui se fait pur voix. Là
où il y a discorde, c'est que la conscience est confondue avec la
pulsion. La voix ne rencontre aucun obstacle, rien ne l'arrête. Il n'y a
pas de limite corporelle ni limite du monde. Mais nourrie par la pulsion elle
se fait conscient parce qu'entendue. Parce qu'elles ne sont pas
matérielles les voies dans la psychose sont l'essence même de la
voix.
C'est le délire qui opère une liaison entre la
voix et les mots qui tentent de réparer la discorde. L'hallucinée
entend ce qu'elle énonce dans le réel de façon abrupte, il
y a une impossibilité de départager ce qui s'entend du sens.
Il y a donc discorde entre le mot et la voix. Pourtant de ce
qui traduit du signifiant c'est le signifié. Forcément des
phrases entendues sont une vérité qui se fait injonction. Comment
l'analyste peut-il entendre la plainte disjointe du dire. Comment créer
un lien avec la voix en tant que soudée au corps.
Alors comment pourrait-on faire pour que le langage devienne
chaire ?
La voix de l'analyste comme du thérapeute est à
la fois le réel de sa présence sexuée. La voix du
thérapeute ou celle de l'analyse ne pourrait-elle pas représenter
le sujet pour sa propre voix ? Je me souviens en HEPAD d'une dame mutique qui
ne quittait pas du regard ma bouche comme si elle si elle était
rivée à ma voix. Elle ouvrait sa bouche à l'effet de ma
voix en émettant des petits sons de satisfaction avec un regard
gratifiant. Cela ne rappelle-t-il pas de la période enchanteresse ou la
mère chantonne des mélodies à son enfant ? Elle attendait
les moments de l'atelier chant avec impatience et son corps paraissait
s'accorder au mien comme si je lui servais de transfert vocal, créant du
lien en elle et moi. Pourrait-on prêter notre voix en prenant à
notre charge la demande vocale de l'autre empêché pour permettre
une rencontre ? L'analyste ne pourrait-il pas se glisser entre le mot et la
chose, entre la voix et le verbe ?
L'analyste ne marquerai-il pas par sa présence une
adresse. L'analyste ne pourrait-il pas répondre par le transfert au vide
du rapport à la voix de la mère en prenant conscience de l'effet
de sa voix sur l'analysant. ? « Au commencement était la voix de la
mère ! » Aussi la voix de l'analyste ou du thérapeute
permettrait-il de concourir à l'évolution de la jouissance de la
voix de la mère pour qu'elle puisse être
irrémédiablement perdue ? Faire advenir la voix comme objet
« a » à condition d'y advenir soi- même comme je. La
voix chantée permettrait de rendre
59
plus lisible la voix et dans pacifier l'impact dans le
réel, en laissant la place à l'image grâce à la
modulation, la brillance et l'émotion du timbre. Jean Jean-Richard
Freymann nous donne l'exemple d'une enfant anorexique qui donne de la voix et
crie et parle constamment incapable de jouer de la présence et de
l'absence par ses silences. Elle parle mais ne s'écoute pas, elle ne se
préoccupe pas non plus de l'Autre. Ecouter sa voix du dedans c'est se
prendre comme objet d'étude et objet de transfert. Après avoir
entendu Callas elle se sent pousser des ailes de désir. Avec le chant
elle peut jouer de la voix et respecter les silences musicaux. S'adressant
à l'autre les mots peuvent trouver leur souffle en s'appuyant sur
l'écriture des notes écrites sur la
portée.»88
88 Richard Freymann « Les enjeux de la voix en
psychanalyse dans et hors cure »Jean-Michel VIVVES (dir.) Presses
Universitaires de Grenoble op.cit.
60
VI -LA VOIX VOCALIQUE
VI - 1 Le chant dans la liturgie :
Pour Hildegarde Von Biden l'âme, est « symphonique
» et s'exprime tout à la fois dans l'accord secret de l'âme
et du corps et dans l'acte musical. A la fois terrestre et céleste, la
musique joue alors le rôle d'un médium irremplaçable,
capable de communiquer à l'humanité un peu de cette consonance
céleste qui régnait dans le paradis avant la chute. La musique
des hommes fait donc écho à la musique des sphères
célestes et, à ce titre, elle est la forme la plus haute des
louanges à la gloire de la création.
Dans l'Islam comme dans le christianisme la musique et le
chant ont toujours été des médiums
privilégiés comme relation à la divinité. Jean
Chrysostome à propos des hymnes dit que : « l'homme n'est pas
toujours disposé à entendre une parole divine qui les
dépasse complètement ou qui est vidée de son sens à
force d'être répétée. Utilisons le pouvoir de la
voix pour l'amener à glorifier l'Etre divin », dit-il.
Dans le soufisme le chant ira jusqu'à susciter un forme
de transe pour atteindre et pour susciter l'extase. En revanche,
l'église ne tolère pas l'accession à l'extase qu'elle juge
dangereuse et satanique notamment comme une transgression à la Loi
canonique. La jouissance mystique doit s'affranchir de la jouissance
érotique. C'est l'intelligence du coeur qui saisit celui qui chante
selon Ghazzali « C'est celui qui aime Dieu, qui a une passion pour lui et
qui aspire à le rencontrer, celui pour qui tout son frappe l'oreille est
entendu comme venant de lui et en lui, c'est celui-là en qui la musique
fait naître la transe. »89C'est la figure divine qui
donne du sens pour éviter de se laisser submerger par la transe. La
musique est utilisée comme garde-fou avec ses ensembles de règles
pour empêcher le sujet d'être englouti dans le vide d'une
jouissance dont- on ne reviendrait pas. Elle est plutôt une visée
et non un but à atteindre. Hildegarde était consciente de se
méfier du sentiment océanique que confère la transe
mystique et de cette soumission à la loi du Verbe. Ne pourrait-on
comparer sa métaphore selon laquelle : la Parole humaine est à
considérer comme la Trinité dans l'Unité de la
divinité le son (sonus), la force expressive (virtus)
et le souffle (Flactus) c'est-à-dire : Le Son le
Père, le fils né du père par le souffle et le sonus qui le
manifeste et le présentifie, à la métaphore paternelle
Réel symbolique imaginaire, le réel de la voix, la signifiant du
père et le signifié le fils ? St Augustin ne dit-il pas : «
Dieu est inconscient », « le désir, c'est la grâce
»,
89Michel Poizat « la voix du diable » Ed.
Métailié op.cit. Ghazzali cité par G.Rouget
op.ci
61
L'Esprit, n'est-ce pas, issu du NOM du père, cette
articulation du désir au désir de l'Autre dans lequel il doit
trouver sa place. Dans ce dont joui le sujet, il y a autre chose qu'un rapport
à l'objet : un rapport à son désir à partir du NOM
du père qui divise la jouissance et le désir, et induit le
désir d'Autre-chose. L'esprit est issu de l'appel, de l'invocation, de
la vocation : « Je (fais) dépendre mon désir de ton
être, en ce sens que je t'appelle à entrer dans la voie de ce
désir. » Dans l'allemand ancien, le Saint-Esprit se dit der heilige
Witz (qui deviendra der heilige Geist). Or, dans le Witz, le mot d'esprit,
l'Autre reconnaît la dimension du désir au-delà de ce que
le signifiant peut signifier. Cet Autre est « au niveau de celui qui
constitue la loi comme telle », il est « ce signifiant qui fonde le
signifiant »,90
Les Pères de l'église se demandait s'il fallait
maintenir les chants harmonieux à l'église, car provoquant trop
d'émotion et « chatouillant les sens » au risque de
détourner l'objet initial de réveiller l'ardeur à la
louange. St Augustin dans le livre X des confessions se demande s'il faut
laisser dans les églises un chant harmonieux, ou s'il vaut mieux
s'attacher à la sévère discipline de St Athanase et de
l'Eglise d'Alexandrie » « Je me plains qu'on ait si fort
oublié ces saintes délicatesses des Pères et que l'on
pousse si loin les délices de la musique, que loin de les craindre dans
les cantique de Sion on cherche à se délecter de celles dont
Babylone anime les siens »91
Jean-Laurent Le Cerf de La Viéville, seigneur de
Fresneuse, (né en 1674 à Rouen où il mourut le 9 novembre
1707) était un magistrat et musicographe français. « Faire
parler quelqu'un en chant » suppose que l'on accorde attention non
seulement à ce qui est dit mains à la manière de le dire
et au rapport entre le dicere et le dictum. Aussi applique-t-il une grille
méthodique en vertu des vers d'Aristote : Quis, quid, ubi, quibus,
auxililiis, cur, quomodi, quando. Qui s'exprime ? Avec quels sentiments ?
En quel lieu eten quel langage pour oser parler de Dieu, comment parler
à son Dieu, quand ? Ces règles correspondent pour Le Cerf au vrai
et au juste, qui font une musique dévote en opposition à la
musique théâtrale. Elle doit être simple, expressive et
agréable en privilégiant le latin pour le chant dont les
sonorités sont énergiques, douces, abondante et grave. 92
90 Jacques Lacan, Le Séminaire « Les
formations de l'inconscient » (1957-1958) Ed. Seuil
91 Bossuet, « Maximes et réflexions
» sur la Comédie, Paris Jean Anisson, 1694 p. 76-77
92 Monique Brulin « le verbe et la
voix » théologie historique sur Le Cerf comparaison de la
musique Française et Italienne
62
Le Cerf de La Viéville (1674-1707) entre dans la
magistrature et devient garde des sceaux du Parlement de Normandie,
passionné de musique et d'opéra compare, la musique
Française à l'Italienne. Concernant la musique en Eglise il met
en évidence la convenance et la bienséance, que les choses soient
bien claires dit Jean XXII la seule condition pour légitimer le plaisir
sensuel de ces mélodies qui « caressent l'oreille » c'est
d'exciter à la dévotion et de ne pas permettre à ceux qui
psalmodient la louange divine de se laisser aller à l'engourdissement.
Tout le reste est suspect ». Mais alors on peut se demander s'il n'y a pas
une dichotomie, entre la volonté farouche de contrôler la
jouissance lyrique dans la liturgie en y favorisant le grave, le rythme et la
parole renvoyant à la voix paternelle et à la fois d'y rechercher
au travers de la voix des castrats, une voix féminine enfantine peuplant
les choeurs d'église. C''est en utilisant des voix des-sexuées en
les maintenant dans des voix d'enfant que les castrats représentent la
voix des anges. N'est-ce pas comme le dit Lacan pour éviter le regard
que produit la voix sur l'autre et sa dimension maléfique,
obscène ? Pour se tourner vers Dieu il faut détourner le regard
de celui qui chante et à la fois éviter que ce regard pèse
sur lui pour que celui qui chante soit tout à sa dévotion.
Nous sommes regardés sans savoir d'où «
ça » nous regarde dit-il. Il faut bien détourner les adeptes
de la pulsion démonique de la jouissance en une version angélique
de la voix de l'ange gardien, voix parentale qui calme et prévient les
débordements de la pulsion tel un démon.
« Le démon ou la voix de l'Autre, ce n'est pas un
hasard si Lacan trouve dans une histoire de démon dans le texte de
Jacques Cazotte, Le Diable amoureux le paradigme même du désir de
l'homme comme désir de l'Autre.
Quand le héros évoque le démon, sa
tête de chameau surgissant dans l'ouverture brutale d'une fenêtre,
celui-ci fait résonner sa voix : ce qu'il articule, dans sa langue
locale, c'est un retentissant : « Che vuoi ? » qui fait trembler tous
les murs et surtout ébranle celui qui l'a invoqué jusqu'en ses
tréfonds. Qu'est-ce à dire, sinon que, à travers la voix
démoniaque,
le sujet se voit « réadressé », de
façon tonitruante, la voix de son propre désir ? Il y a bien ici
projection, mais ce qui est en jeu, en cette relecture, est cette instance de
l'Autre en sa dimension symbolique. Rappel que l'homme est étranger
à lui-même, sans pouvoir jamais s'échapper de ce qui
constitue une forme de « damnation ». Vocifération de l'Autre
à l'adresse du sujet, comme effet de retour de l'invocation, traduire
par : « qu'as-tu fait de ton désir ? » Ou : « que veux-tu
de l'Autre ? »
Ce qu'illustre bien le drame du « démon de midi
» qui va de l'acédie monastique à la crise de mi-vie du
profane. D'où le sujet se voit confronté à une
déliaison pulsionnelle qui donne son
63
caractère indéniablement « démonique
» à ce tournant de vie, tourbillon de jouissance, mais
épreuve de vérité du désir.
On le voit, le démon est un Janus bifrons, dieu
à double visage. Il pourrait bien être la mise en voix ou «
vocalises » du surmoi en sa double « valence », interdictrice et
transgressive. Le plus curieux est qu'au-delà du mal, il y a l'angoisse
du bien, comme l'atteste le destin du peintre Haitzmann analysé par
Freud qui, guéri de sa névrose démoniaque,
débarrassé de ses démons, découvre une angoisse des
plus cuisantes : celle du bien, ce qui donne la vraie mesure de la
complexité du sujet, tendu entre ange et démon, à
redécouvrir, via le savoir de conscient, comme la version immanente de
l'altérité »93.
VI-2 Le chant dans l'opéra :
Il est intéressant de savoir que dans les années
1920-1930 ce n'est autre qu'Herbert Graff, à savoir le « petit
Hans» de Freud grande figure de la psychanalyse qui a
réinventé la mise en scène dans l'opéra au
XXème siècle.
Ce qui distingue l'opéra de la musique symphonique, ou
de chambre est l'aspect théâtral avec un texte et une mise en
scène. La différence entre le théâtre et
l'opéra c'est que ce qui prime dans le théâtre c'est le
texte et le langage dont les idées ou philosophie doivent être
convaincantes grâce au jeu des acteurs et actrices. Dans l'opéra
le livet et le texte sont soutenus par la musique qui permet de vibrer
émotionnellement indépendamment du texte bien que la
portée des mots à l'effet de la musique prenne une dimension plus
importante car elle nourrit les mots de sa dramaturgie. Ainsi l'opéra
est tiraillé entre deux potentialités concernant la voix entre
corps et langage. Prima musica et poi le parole (d'abord la musique ensuite les
mots). Il y a un dilemme entre l'aspect maternelle de la musique et l'aspect
vocalique enveloppante douce heureuse et le père avec le récit
consonantique qui provoque une barrière au charme envoutant du chant
Pour exemple la musique endiablée dans Faust de Gounod, dd l'air de
Méphistophélès « et Satan conduit le bal » qui
pousse Faust à la jouissance absolue représentant son aspect
obscène et tout puissant d'un Dieu noir qui pousse à jouir. C'est
la voix la plus grave la plus noire qui représente le diable qui
demandera de signer un pacte d'accès à la jouissance dont il
devra payer le prix par le sacrifice du sang d'un être cher. Jean Michel
Vives dit que L'opéra s'attache à donner une forme à cette
absence de l'objet, à s'en approcher, à tourner autour, à
le magnifier, parce que l'opéra permet de jouir sans trop de danger et
que l'on s'aperçoit que derrière la voix sublimée se
dissimule - à peine - le cri.
93 Paul-Laurent Assoun, « Le démon de
midi », Editions de, 2008.Ed. de L'Olivier 2008
64
Dans l'opéra chaque type de voix est adapté au
rôle que le chanteur incarne. Le père sera plutôt basse ou
baryton, le frère sera un baryton, l'amoureux un ténor, la
jouvencelle une soprano légère ou coloratur, la femme
mariée ou maitresse sera une soprano lyrique ou dramatique, la
mère une mezzo ou mezzo-soprano.
Tout y est représenté dans l'opéra du
drame familial, social, politique, la notion de pouvoir, passion amoureuse etc.
C'est à l'époque romantique avec Verdi et Wagner que les voix
contribuent à leur spécificité sexuelle et leur rôle
dans le social et la famille, alors qu'à l'époque Baroque les
Castrats chantaient indifféremment des hommes et des femmes. 94
Les musiciens doivent faire corps avec leur instrument
prolongement d'eux-mêmes. Le chanteur fait un travail de corps à
corps avec sa voix, le corps en tant qu'instrument et le corps biologique et
psychique. Il faut beaucoup d'exigence pour atteindre la technique vocale,
alliant aisance, souplesse et force. Il doit être attentif au moindres
effets que produit la voyellisation, en lien avec le souffle, sans oublier
l'énergie qu'il faut pour l'envoi de la voix, tout en protégeant
l'appareil laryngé pour obtenir que la voix soit vibrante et tonique,
sans oublier une musicalité impeccable avec une bonne connaissance
solfégique. Le chanteur lyrique est un musicien accompli. Tout ce
travail qui demande de longues années d'études, lui permet de
tirer parti de l'expressivité de son corps en rapport avec ses propres
émotions en lui donnant vie et mouvement. Par la prise de conscience de
la voix liée au corps, le chanteur ne peut pas se perdre car il est
accordé à la loi
musicale.et la technique, sans oublier
l'ancrage au sol, ce qui fait de lui un véritable arbre qui prend racine
en terre. On pourrait comparer le chanteur à un le forgeron qui
participe à la transformation par le savoir-faire « savoir fer
». Il se forge lui-même de sorte que « fort je »
deviens.
La palatalisation permet grâce aux harmoniques des
voyelles de rentrer en résonance avec les mots, par le contact avec les
dents, les lèvres et le voile du palais et de retrouver cette instance
orale des premiers instants et de la découverte des mots passant de
l'oralité à l'auralité. Ces mots goûteux, qui font
saliver convoquerait-il l'individu à des souvenirs de sensations
buccales jadis oubliées ? A la manière de Wilfred BION qui
évoque l'élément Bêta « pensée primitive
»pouvant être transformée en élément Alpha
(processus de symbolisation) le mot devient créatif et se met en
mouvement grâce au texte chanté et demande des
94 Marie France Castarède « La voix et
ses sortilèges » Ed. Les Belles lettres
65
ressources intérieures insoupçonnées
jusque-là ignorées du chanteur.
« On trouve [...] que les mots, les voyelles, les
phonèmes sont autant de manières de chanter le monde et qu'ils
sont destinés à représenter les objets, non pas, comme le
croyait la théorie naïve des onomatopées, en raison d'une
ressemblance objective, mais parce qu'ils en extraient et au sens propre du mot
en expriment l'essence émotionnelle. »95
La voix est phallique grâce à la pulsion
sous-glottique, on pourrait la comparer à une flèche qu'on lance
et qui va percer quelque part dans le lointain. « Le sphincter glottique
dont parle Ivan Fonagy illustrerait l'alternance d'expulsion vocale à la
rétention par le sphincter glottique et régulerait le plaisir
entre décharge du vagin laryngé et tenue du son comme s'il y
avait rétention anale, ajoutant du plaisir à l'individu.
Retrouver l'objet aimé-haï « la voix » au moyen de la
sublimation permet de retrouver-créer réorienter ce même
objet par la créativité et la sublimation de façon active.
L'étonnement chez les patients au regard de leur voix retrouvée,
proche du sublime semblerait se suppléer à leur
agressivité. Cette fascination à l'égard de son expression
vocale me paraissait proche de quelque chose de sexuelle. Le vagin
laryngé paraissait se substituer à son vagin. Ceci aurait sans
doute, avec le temps permis un déplacement suffisant pour être
organisateur de plaisir suivi d'un réinvestissement narcissique. ».
96 Le chant et particulièrement l'opéra nous
transporte dans le visuel et le spatial nous éloignant du charme
hypnotique de la musique pure. Ce visuel même s'il est du
côté de l'imaginaire, nous permet de nous tenir à distance
de la jouissance. La représentation mentale des personnages et du
décor tempère irreprésentable de la sonorité
musicale. Nous sommes à la fois spectateurs, auditeurs et acteurs.
L'opéra nous fait donc vivre le dilemme entre rêve et
réalité, principe de plaisir et réalité. Le pouvoir
cathartique de la musique provoque une décharge collective et
individuelle salutaire pour le psychique de chacun.
VI - 3 La Voix du symptôme au et le sinthome
:
« Freud nous dit que le symptôme serait indice et
substitut d'une satisfaction qui n'a pas eu lieu.»97Pourtant en
dépit du fait qu'il procure une satisfaction le sujet s'en plaint. La
satisfaction est du côté de la jouissance qui n'est pas plaisir
mais au-delà du principe de plaisir. Gillie-Guilbert
dit que le sujet laisse une trace de son passage tels des déchets de
sa
95 Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la
perception, Paris, Gallimard, 1945, p. 218.
96 Ivan Fonagy « la vive voix » ed. Payot 1983
op.cit.
97 Sigmund.Freud `inhibition, symptôme et
angoisse (1926) Paris, Quadrige/PUF, 1993, p 7
98 Jacques Lacan « Fonction et champ de la parole et du
langage en psychanalyse » Ecrits, Paris, Le Seuil 1966
99 Ibid.
66
desquamation vocale » laissant une écriture du
corps en guise de signature vocale » On pourrait dire que la voix
s'appelle, elle « ça pêle » La voix qui effrite le
discours possède une écriture, comme une lettre en souffrance qui
n'atteint pas son destinataire.
« L'inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est
marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c'est le chapitre
censuré »98Le terme de mensonge est à entendre
que c'est le fait qu'un signifiant vient à la place du signifié
refoulé. « Mais la vérité peut être
retrouvé, elle est inscrite ailleurs. »99Cette
vérité on en garde la trace dans le corps. Avec le cas de Joyce
Lacan a su remanier son point de vue sur la symptôme versus le synthome,
grâce à l'écriture dont il jouit, il en use comme un
musique et il la chante, c'est sa façon à lui de « vivre en
acte ».
La souffrance se transformerait par la
créativité et permettraient une réappropriation de
ceux-ci. L'art deviendrait contenant en tant que direction agissante dont le
sujet est partie prenante.
L'histoire vraie de Florence Foster Jenkins merveilleusement
interprétée par Catherine FROT dans le rôle de Marguerite,
est Née le 19 juillet 1868 à Wilkes-Barre.
Le premier obstacle que rencontre Florence Foster Jenkins,
c'est son père, fortuné mais qui refuse de dépenser un
centime pour que sa fille, prodige du piano, poursuive son apprentissage au
sein des plus prestigieuses écoles de musique. Après la mort de
son père elle décide
d'épouser un médecin, le docteur Jenkins, pour
conserver son train de vie aisé. Malheureusement, ce dernier,
infidèle, lui transmet la syphilis. L'arsenic utilisé pour
traiter l'infection sexuellement transmissible à l'époque fait
alors perdre ses cheveux à l'élégante, qui divorce
finalement en 1902. Florence Foster Jenkins retombe sur ses pattes. Elle
s'installe dans la ville des possibles nommée New York grâce et
décroche un petit boulot de professeure de piano. Cependant, le plus
gros obstacle à sa carrière de cantatrice, c'est que madame
Foster Jenkins est incapable de tenir une note, elle chante faux A la mort de
son père, elle hérite d'une immense fortune qui lui permet de
lancer sa carrière de cantatrice, au grand dam de son mari. La soprano
n'hésite pas à se comparer aux plus grandes chanteuses de son
époque. Ses interprétations créent l'engouement
auprès d'un public médusé par la médiocrité
de cette voix inaudible. En 1976, à l'âge de 76 ans, elle se
produit au Carnegie Hall. La presse s'y rend volontiers et les échos du
lendemain sont désastreux et la renvoie à la
réalité. Sous le choc de la réalité de cet accueil,
Florence Foster Jenkins succombe d'une crise cardiaque deux jours plus tard.
67
Ce qui est étonnant dans le cas de Florence Foster
c'est qu'elle choix qu'elle fait de chanter plutôt que de faire ce pour
quoi elle est douée le piano. Or Florence Foster ne peux vivre qu'au
travers de l'art du chant, mais le problème c'est qu'elle chant faux et
celle-ci ne l'entend pas. « Ni la mort ni le soleil ne peuvent se regarder
en face » Ce déni de réalité pose question. C'est le
principe de la voix en tant qu'elle est pulsionnelle et qui lui procure du
plaisir et une jouissance immédiate qui sans doute la conduit à
faire ce choix. Florence Foster se pare de vêtements extravagants se
soumettant au regard obscène de l'autre pour en jouir, l'oeil et la voix
participant de cette avidité orgasmique à se laisser se mettre
à nu. La voix de Florence crie de dés-être, rien d'autre
que la projection d'elle-même ne compte, se laissant prendre au mirage de
sa voix Florence Foster est dans l'obsession du déni. Sa voix
dénote et marque le vide de l'autre prise toute entière dans
l'imaginaire. . Tout ça n'est que mensonge « ment songe »
Cette voix délirante, hallucinée montre bien qu'il y a forclusion
du Nom du Père et qu'il y a inaccessibilité à l'ordre
symbolique. Et pourtant Florence Foster trouve asile par le chant, elle s'y
réfugie, c'est la béquille qui la tient debout. Elle en joue de
ce corps qui la présentifie et la met en acte. Mais elle
n'interprète pas mais prête sa voix aux mots. La voix ne s'exprime
ce de qui la prend au trippe, elle ne s'adresse pas à l'autre elle fait
parler son image qu'elle s'est créé et dans laquelle elle se mire
à l'effet de sa voix. Et malgré tout ça la tient debout.
Dans le film de Marguerite le metteur en scène a bien compris le circuit
de la pulsion invocante quand lorsque Marguerite voit son mari de la
scène et s'adresse à lui, sa voix devient plus juste. Ça
fait synthome. Le synthome est élevé au semblant devenu
mannequin, voilé par les sublimations disponibles au magasin des
accessoires » Dieu sait si elle en ajoute des accessoires. Tant qu'elle
chante elle peut tenir, elle est vivante. Tout comme Joyce elle a trouvé
dans le chant une suppléance pour se construire un égo, soit une
idée d'elle comme corps.
Cependant le corps à ses limites et la jouissance
aussi, confrontée à la butée du corps qui n'en peut plus.
Ne pouvant accéder aux aigus elle provoque un forçage
laryngée ce qui traumatise ses cordes vocales et elle fut obligée
de s'arrêter à cause d'une hémorragie entrainant une
hospitalisation d'urgence. Marguerite ne veut pas s'arrêter de chanter et
est prête à recommencer dès lors qu'elle sera
rétablie. Ceci la met en danger, c'est alors que les médecins
décident dans le film de lui faire entendre sa voix avec un
enregistrement. Le choc fut tel, et la sidération telle, que tout se
brise et se dérobe sous ses pieds, elle tombe inanimée et meurt
d'une crise cardiaque.
68
Ce sera le but de l'analyste de recevoir cette pelure de voix
en tant qu'adressé à lui. Il s'agit que son oreille soit comme
une antenne qui entende cette voix « inouïe » parce que jamais
entendue de l'autre, pour sortir le sujet son anonymat vocal. L'analyse entend
ce qui est tombé dans l'oreille d'un sourd, et voilà que le sujet
dit quelque chose par l'effet du transfert qui le sacralise en tant que sujet,
en tant que locuteur. Une des manières de rencontrer l'inouï par la
voix est le chant. Le chant libère le geste vocale, des exigences de la
profération. C'est par la traversée du pulsionnel de la voix
comme une promesse de jouissance s'écoutant chanter pur affect et puis
parler découvrant peu à peu son identité vocalique. Alors
le sujet ne parlera que si ça lui chante, car il ne donnera pas de la
voix en vain, après avoir découvert l'être vocal de
l'inconscient.
VI -4 Le chant comme aire transitionnel :
Winnicott considère que « l'oeuvre
créée » dans une position médiane entre le spectateur
et ce qu'il appelle la créativité de l'artiste,
c'est-à-dire quelque chose qui est de l'ordre de la poussée, de
l'éclosion de la vie intérieure vers le monde extérieur.
L'oeuvre se situe donc dans un espace interstitiel, une aire transitionnelle
qui assure le lien entre le spectateur et la vie créative, étant
entendu que la créativité à laquelle Winnicott se
réfère « est celle qui permet à l'individu l'approche
de la réalité extérieure ».100
Karine vient me voir, car elle est en dépression depuis
plusieurs mois. Elle est suivie par un psychiatre qui la met sous
antidépresseur et lithium. Petits à petits au fur à mesure
des séances, elle se découvre une jolie voix de soprano qu'elle
ne connaissait pas. Les sons qu'elle produit ont une résonnance
affective et émotionnelle dont elle peut me parler. Grace à la
technique et la musique elle put trouver les moyens de considérer son
corps comme un instrument musical et d'en jouer, avec un début de
maitrise à sa guise.
« Chanter, en effet, c'est célébrer le
monde, c'est vivre le monde en tant que corps à la gesture
émotionnelle. Le passage du dire au chanter marque ainsi un certain
seuil de «passionalisation» du corps. Ce seuil est
transgressé, non seulement dans des contextes surcodés comme au
théâtre ou à l'opéra, mais même dans le dire
quotidien, et, comme le théâtre est au coeur de la vie de tous les
jours, le chant de même est au coeur des discours les plus
«disants». On peut évidemment faire appel à des
critères acoustico-phonétiques nous permettant de
décider
100 D.W. Winnicott, « La créativité et ses
origines », dans Jeu et réalité Editions Folio/essais
1971, op.cit.
69
théoriquement du seuil de transgression entre la voix
disante et la voix chantante. `On constate en effet que le registre dans la
parole n'est que d'une demi-octave, tandis que pour le chant, en
général, il est de deux octaves et demie. Les lèvres et la
langue sont minimalement actives dans la parole ; le volume dynamique et
l'intensité du souffle, en moyenne, double dans le chant et la pression
subglottale augmente dans le chant de 1 à 40. Le vibrato n'existe
presque pas au niveau de la parole, la hauteur tonale est
indéterminée et involontaire dans la parole tandis que dans le
chant elle est mélodiquement déterminée. Ainsi la
quantité et la durée des voyelles augmentent
considérablement dans le chant, la voix, par conséquent, y
devenant plus «voix» à cause de cette omniprésence de
sons vocaliques.' »101
Le travail du souffle permet ce jeu de dedans dehors à
l'effet de l'inspiration et de l'expiration conscientisée, pour
émettre un son. Il est en lien avec la mort et la vie, car le la voix
est éphémère. Une fois émise on ne peut revenir
dessus, avec l'espoir que ça advienne à nouveau. Le regard est
important aussi pour que la voix soit projetée au dehors, car elle
s'adresse. On pourrait dire qu'elle se dirige vers un objectif à
atteindre. La phrase musicale amène un plaisir éprouvé par
le corps dont les sensations deviennent de plus en plus subtiles,
raffinées et sensuelles, grâce au contact avec la langue, les
dents et les lèvres, comme si les mots se transformaient en mets
délicieux. « Il n'ait un usage heureux du corps en toute innocence
car la musique est soumise à des lois qui permettent de contenir la
jouissance tout en la promettant. » Nietzsche
Le chant est un moyen de trouver naturellement le moyen de
lever les barrières surmoïques empêchant la pulsion
d'être mise à jour. Il aide à se décharger d'un trop
plein de tensions vers une quête de la satisfaction, correspondant au
principe de plaisir et de s'affranchir du principe de réalité,
permettant alors au de trouver un équilibre entre frustration et
satisfaction
Le chant serait un dispositif énonciatif instaurant un
pseudo dialogue avec le thérapeute, en remettant en scène des
éprouvés, de telle sorte qu'il se représente au
thérapeute par l'intermédiaire du geste vocal comme dans jeu de
mots mis en musique. Ne serait-ce pas l'expérimentation d'une illusion
reconnue comme prolongement du sonore de soi-même qui se donne à
entendre à l'autre, comme symbolisation de représentations de
mots ? Par la théâtralisation, Karine put sans doute rejouer le
rapport du groupe vocal familial. Un jeu de passe- passe s'opèrerait
entre la vie interne et la vie culturelle en lien avec les objets internes
101 Ivan Fonagy « la vive voix » Editions
Payot 1983 op.cit.
70
et les objets subjectifs par l'intermédiaire d'une
médiation et le transfert avec le thérapeute. La voix rend
transparent à soi-même et aux autres, aussi ce n'est pas
aisé d' oser s'ouvrir à sa propre oreille sans avoir peur
d'être confronté à ce qu'on peut y trouver, mais laisser
l'imaginaire se mettre en oeuvre. La musique possède donc un fort
potentiel affectif, fantasmatique et identificatoire. Séductrice, elle
fait échos à nos voix intérieures. Elle permet des
états fantasmatiques dont les images abstraites deviennent le signifiant
d'un monde imaginaire.
Dans le travail du chant comme aire transitionnel, l'autre est
toujours présent, ou supposé être présent, dans le
sens où je me parle comme je lui parle et l'on peut en jouer sans se
laisser délester par sa liberté d'être et de dire.
La question que l'on peut se poser c'est est-ce que l'aspect
codifié du chant théâtral peut-il contaminer l'analyse dans
les séances ou il y aurait une attente dans la réalisation d'un
travail ? L'usage de la voix qu'elle soit technique ou art-thérapeutique
entraine une implication d'une présence à soi c'est le « je
» qui s'exprime, en présence à l'autre un tu qu'il soit
public ou tiers au nom duquel je m'exprime. « Les facettes sont
identitaires sont claires dans ces enjeux, être une voix juste et
ajustée aux rôles sociaux à jouer ».102
« L'air transitionnel, peut permettre cet espace
où l'on peut trouver son propre potentiel créatif et un nouvel
élan vital à chaque inspire et expire alternant silence et vives
voix ; se laisser être en habitant son corps et en projetant sa voix,
passant de l'en-vie à l'en-voix.
« Nous touchons là au secret de cette passion
innée pour la voix humaine qui habite tout grand musicien. Celui-ci n'y
cherche ni une béquille conceptuelle pour sa musique, ni un moyen
d'assouvir on ne sait quel impérialisme esthétique, mais tout
simplement cette présence humaine qui le sens du sens. C'est l'homme qui
est le foyer vivant de toute expression, c'est par et dans son chant qu'il fait
venir la terre, c'est donc toujours lui qui dit le sens, même si ce sens
vient du plus profond que lui et c'est sa voix qui le médium
esthétique universel. »103
« La psychanalyse, c'est un peu comme une sonate
thérapeutique à deux voix. La sonate, en musique, est une forme
essentielle: dans les premiers moments, des thèmes sont exposés.
Et puis ces thèmes vont être repris tout au long de l'oeuvre, mais
harmonisés différemment, avec des accords différents, et
à partir de là, ils vont prendre un autre sens. On pourrait dire
que c'est la même chose pour la psychanalyse. Le patient va arriver avec
ces thèmes qu'il va nous
102 Bernadette Bailleux « Et dedans et dehors...la voix.
» Editions Universitaire de Louvain
103 Raymond Court, « le musical » Ed. Klincksieck,
Paris, 1976
71
raconter au début. Ces thèmes vont revenir au
cours de la cure mais, par l'intervention du psychanalyste -
c'est-à-dire par la façon dont il va les « harmoniser»
-, peu à peu ils vont prendre un autre sens. Et le patient pourra alors
relire son histoire différemment. Trouver sa voix, si j'ose dire, au
sens de pouvoir prendre la parole dans le concert du monde sans être
envahi de la parole et la voix des autres, est l'enjeu même de la cure
psychanalytique. » 104
La théâtralisation de la voix par le chant
lyrique présume toujours un dévoilement comme si le sujet tombait
le masque, mais aussi une mise en scène de l'inconscient. Comme le dit
Poizat: « Dans l'Opéra, la voix n'est pas l'expression d'un texte -
le théâtre est là pour ça - c'est le texte qui est
l'expression de la voix ».105
Elle met ces éléments sur scène, dans la
mesure où elle réunit le drame, la voix, le corps, le langage, la
jouissance et la musique. « La voix à l'opéra réunit
et sépare, faisant jonction et disjonction entre corps et langage. La
psychanalyse intervient également sur le langage, de manière
à valoriser plus le corps et la musicalité du dire que le dire
lui-même. Pour Harari : « [...] la matière pour l'analyste,
le balbutiement, pas un langage structuré. » Ou encore : «
[...] avant de ce qui est dit, importe `la musique' de ce qui est dit. »
La psychanalyse n'est pas une analyse de contenu ; l'énonciation importe
plus que l'énoncé. L'énoncé, fréquemment,
vient fermer en syntagmes cristallisés ou en une parole
planifiée, alignée, logique, qui ne travaille que pour la
résistance. Prendre en compte l'énonciation, l'acte de dire, la
musicalité de la parole, c'est prendre le sujet, non par le discours
structuré, mais par sa chanson, par son balbutiement, par son
bégaiement, par ces murmures. Pour cette raison, Lacan dit que le divan
est le lieu où dire des bêtises, comme moyen de sortir de ce lieu
de résistance du discours structuré. En outre, il a
démontré que le contenu du discours n'est pas ce qui compte dans
une analyse, mais le discours lui-même, dans sa musicalité, son
rythme, son intensité et son intonation. »106 OXYMORON -
Revue Psychanalytique et interdisciplinaire.
« La langue est dans le langage d'une sujet l'ensemble
des équivoques sonores qui comptent pour lui et l'interprétation
s'appuiera sur ces équivoques » Dira Lacan. Peu importe de quoi
parle le sujet dans l'analyse s'il met en mouvement son inconscient, s'il se
réveille. L'analyste
104 Entretien avec Jean-Michel Vives : La voix, de l'opéra
à la psychanalyse »Propos recueillis par Annelise Schonbach , Revue
les Science humaines Cercle Psy N° 10 - Sept-oct-nov 2013
105 Michel Poizat, « L'opéra ou le cri de l'ange
« : essai sur la jouissance de l'amateur d'opéra, Paris,
Éditions Métailié, 2001 p.203
106 Maurício Eugênio Maliska : La Voix
à l'Opéra : Corps et Langage OXYMORON - Revue
Psychanalytique et interdisciplinaire.
http://revel.unice.fr/oxymoron/index.html?id=3636
72
va s'intéresser au murmure de la voix et non au contenu
de la parole, le dit ou l'énoncé, car on sait que le mot ne dit
jamais la totale vérité et que c'est la voix qui lui donne du
sens. « On voit bien que le signifiant se réduit là à
ce qu'il est, à l'équivoque, à une torsion de voix. »
Il s'agit de travailler avec la voix comme un reste du langage, dans une
dimension qui est hors du sens, mais qui touche le réel, un réel
qui se détache du corps. Un réel qui n'est que possible par
points, sans ordre ni loi, un réel qui sonne dans le corps de la voix,
un « réelangage ».107L'analyste entend la plainte
de la voix, et le chant par son expressivité et la souffrance induit un
plaisir à se plaindre d'une façon incantatoire, doux leurre qui
va au-delà de la demande de consolation. Elle est une quête d'une
jouissance originaire à laquelle le sujet ne peut que renoncer. Chanter
c'est donner de la voix et le chanteur fait un don de sa voix à l'autre,
il ne pourra reprendre cet objet qu'est la voix. Ce qui le maintien c'est
être dans une relation d'écoute permettant d'écrire une
partition entre voix et langage. Son engagement est total car tout le corps est
mis en acte. On peut y percevoir, l'inattendu, la fragilité,
l'impossible, et le possible d'une soudaineté d'inflexion, une ouverture
à l'altérité, une voix d'être au monde, de naitre au
monde, voix qui est entendue, comme mi- dire, ça parle la voix de
l'inconscient.
107 Ibid
73
VII -L'ILLUSION GROUPALE ET LA CHORALE
L'illusion groupale a toujours existée, que ce soit
dans le monde religieux, idéologique ou artistique. Le groupe et un lieu
de connaissance et de reconnaissance. La psychanalyse, n'envisage pas seulement
le groupe sous l'angle des relations entre ses membres, mais aussi comme
entité psychique, lieu de convergence des psychismes individuels, et
comme « espace transitionnel »,
VII - 1 Le Caractère général du
groupe :
Le groupe est doté des mêmes instances
psychologiques que l'individuel mais pas des mêmes principes de
fonctionnement. Le groupe fonctionne un peu comme une famille qui tente de
rivaliser comme des frères et soeurs pour obtenir l'amour de leurs
parents. Mais à la différence de la cure individuelle qui fait
toucher du doigt la répétition d'une situation infantile, le
groupe travail sur l'ici et maintenant avec les défenses et
désirs inconscients actuels. L'interprétation est donc
collective. Qui dit collectif dit mise en commun. Mais alors mis en commun
de
quoi ?
Nous nous rappelons que la symbolisation chez l'enfant
d'effectue d'une part dans un échange symbolique lié à la
relation primaire fusionnelle et charnelle avec la mère qui
conditionnera l'acquisition de la parole. Ensuite vient la période
oedipienne qui permet d'instaurer l'organisation des lois naturelles et
sociales. L'expérience que fait le groupe c'est de rejouer des positions
persécutrices et dépressives envers l'imago maternelle et tente
de dépasser l'angoisse de la perte maternelle.
C'est la mise en commun des représentations, des
sentiments, des perceptions, des volitions (acte concret provenant de la
volonté. La volonté est une faculté tandis que la volition
est un acte). Le groupe est une mise en commun des images intérieures et
des angoisses des participants. Tantôt une émotion commune peut
donner une impression d'unité, tantôt le groupe se défend
contre l'émotion qu'il ressent comme menaçante. Certains s'y
abandonnerons, avec joie ou frénésie ou alors se replieront dans
l'émoi envahissant et alors que groupe deviendra morne et apathique. En
fait ces émois sont déclenchés par des images qui
surgissent dans le groupe.
Les groupes se sentent narcissiquement menacés
lorsqu'il y a risque de mettre en évidence des points faibles qu'ils
veulent dissimuler et tenir leur propre image idéale qu'il souhaite
entretenir. Des mécanismes de défense peuvent nuire à
l'évolution du groupe.
74
W.R Bion psychiatre militaire pendant la seconde guerre
mondiale, était chargé des névroses de guerre.
Confronté à l'afflux des malades, il proposa un travail de groupe
qui l'amena à établir une théorie sur le fonctionnement du
groupe. D»après Bion le comportement du groupe s'effectue sur deux
tendances ;
1- Une tendance rationnelle dirigée vers une
réalisation d'une tâche à effectuer.
2- Une tendance destructrice qui semble s'opérer
à travers l'activation de processus régressifs
chaotiques.108 Freud articulera une théorie rigoureuse sur le
fonctionnement du groupe et ses mécanismes en psychanalyse. Pour lui, il
l y a une certaine analogie entre le groupe et le rêve qui est une
illusion individuelle qui se produit pendant le sommeil durant lequel il y a
désinvestissement de la réalité extérieur et la
formation d'un groupe qui se trouve isolé et retiré de la vie
sociale et professionnelle le temps d'un séminaire, ou d'une formation.
La réalité s'y trouve mise en parenthèse et le groupe se
trouve surinvesti au niveau libidinal de sorte que le groupe même est
devenu un objet libidinal. Cet objet est massivement investi. C'est un
éprouvé par des membres d'un groupe ou d'une famille qui a comme
fonction de maintenir les liens forts du groupe.
Le groupe a l'illusion d'être en famille d'où le
sentiment exacerbé des groupes en général d'avoir une
impression d'unicité éprouvant à un certain moment un
sentiment d'être dans un groupe bon, dans lequel il est agréable
de vivre. Donc le groupe est érigé en objet libidinal, c'est un
objet-groupe, un Moi-idéal car il est du côté du
narcissisme.
Pour Freud le narcissisme s'apparente à une perversion
dans la mesure où il peut absorber la totalité de la vie sexuelle
de l'individu. Il constitue cependant un stade de développement de la
libido (énergie sexuelle qui part du corps et qui investit les objets),
intermédiaire entre l'auto-érotisme et le choix de l'objet, dont
seules les fixations et les formes excessives relèvent de la pathologie.
Peut- être ce stade est-il inévitable au cours de tout
développement normal ?
L'un des premiers exposés qu'ai présentés
Freud à ce sujet concerna le président Schreiber ou il pose le
narcissisme comme un stade normal de l'évolution de la libido. L'analyse
du président Schreiber porte sur le choix d'objet homosexuel de
celui-ci. L'homosexuel fait en sorte que son objet sexuel soit le plus
semblable à lui-même; c'est pour cela qu'il choisit un individu du
même sexe. Les homosexuels deviennent ainsi eux-mêmes leur propre
objet sexuel, partant du narcissisme, il cherche quelqu'un qui lui ressemble et
qu'il puisse l'aimer.
108 W.R. Bion (1961) « recherche sur les petits groupes
» Paris PUF 1963
75
VII-2 - Les émotions communes
La circulation émotionnelle est fantasmatique et
inconsciente. Ces états affectifs sont archaïques et
prégénitaux parce que le groupe est sous la dépendance de
la nourriture intellectuelle et spirituelle et de la protection du leader.
Le Moi idéal (allemand : ichideal) se rapporte
au sujet se percevant comme idéalisé (ce que j'ai
été) projection narcissique sur sa majesté
bébé. Donc il est héritier du narcissisme. Selon J. Lacan,
le stade du miroir sur lequel je reviendrais, éclairerait cette
première formation narcissique, qu'est le Moi idéal, où
l'image de l'autre, celle du semblable est saisie dans le miroir par le regard
de l'enfant et donne lieu à sa jubilation.
J. Laplanche et J.-B. Pontalis notent que l'idéal du moi
serait pour Freud « l'instance de la
personnalité résultant de la convergence du
narcissisme (idéalisation du moi) et des
identifications aux parents, à leurs substituts et aux
idéaux collectifs. En tant qu'instance
différenciée, l'idéal du moi constitue un
modèle auquel le sujet cherche à se conformer
».109
Freud ne distingue pas idéal du moi et moi
idéal, certains auteurs distingueront les deux concepts. Nunberg, fait
du moi idéal une formation antérieure au surmoi. « Le moi
encore inorganisé, qui se sent uni au ça, correspond à une
condition idéale ». Au cours de son évolution, l'enfant
laissera derrière lui cet idéal narcissique et aspirera à
y retourner comme un paradis perdu (très présent dans les
psychoses). Lagache se distingue de Nunberg, il écrit « Le moi
idéal conçu comme un idéal narcissique de toute puissance
ne se réduit pas à l'union du moi et du ça, mais comme une
identification primaire à un autre être, investit de la
toute-puissance, c'est-à-dire la mère », « le moi
idéal est encore révélé par des admirations
passionnées pour de grands personnages de l'histoire ou de la vie
contemporaine »110
L'idéal du moi (ce que je voudrais être) Il est
l'héritier du conflit oedipien. Il est construit par l'enfant au fur et
à mesure de ses identifications avec son entourage social et au rythme
de ses échecs. Petit à petit le jeune enfant fixe les
références qu'il cherchera ensuite à atteindre. Il est
nécessaire en effet, que se produise un retournement de l'investissement
des objets en investissement du moi pour que se constitue le narcissisme
secondaire. Il y a deux étapes dans le narcissisme secondaire:
- le sujet concentre sur un objet ses pulsions sexuelles
partielles
109 J. Laplanche et J.-B. Pontalis dans leur «
Vocabulaire de la psychanalyse » (Paris, puf, 1967)
110 Sigmund Freud (1914) Pour introduire le narcissisme
»,
76
- ces investissements font retour sur le moi. La libido prend le
moi pour objet.
VII- 3 Le groupe au sein de la chorale :
On se souvient du célèbre film des choristes,
une comédie dramatique française réalisée par
Christophe Barratier, sorti en 2004 L'histoire est inspirée de
l'expérience de la chorale du centre Kergoat en bretagne,
pionnière en matière d'éducation.
1949, un professeur de musique sans affectation, se voit
contraint d'accepter un poste de surveillant. Ce nouveau poste est au sein d'un
internat de rééducation pour mineur. Une rigueur de fer y est
appliquée. Le nouveau surveillant, Clément Mathieu, a du mal
à supporter ces méthodes. Le directeur Rachin a beaucoup de mal
à faire régner l'ordre dans son établissement.
Clément Mathieu va monter une chorale afin d'initier les enfants au
chant et à la musique. Par le biais de la musique, il va tenter de
changer et d'apporter un peu d'espoir dans le quotidien des pensionnaires de
cet internat. Non seulement cela sera une grande victoire, mais il va y
découvrir de vrais talents vocaux. Chacun purent s'exprimer et
créer un espace créatif et émotionnel qui permit en commun
de supporter les moments difficiles de la vie. « Une voix qui fournit
à celui qui l'émet l'enveloppe sonore dont a manqué
à l'entourer. »111
La voix, ses sonorités, ses intonations, sa
musicalité jouent un rôle manifeste dans la construction
identitaire des individus. La voix de l'autre, au même titre que le
regard, agit comme un opérateur qui révèle le sujet
à lui-même.
La voix est du dedans et du dehors car il s'agit d'abord
d'incorporer le son, de l'analyser et de le sentir chevillé au corps
pour qu'elle devienne invocante c'est- à-dire appeler l'autre à
nous entendre et à nous répondre. C'est pourquoi elle participe
de la construction psychique du sujet. L'autre non seulement nous investit de
son regard, mais il nous entoure et nous pénètre de sa voix. La
voix de cet autre, qui nous interpelle, nous révèle
progressivement l'existence de l'extériorité et, avant même
que nous puissions appréhender le sens des mots. C'est l'espace de ce
qui est inter-dit qui fait sens nous apportant les premières marques de
reconnaissances sur ce que nous sommes. 112
Il est utile, pour comprendre le rôle structurant de la
voix, d'évoquer le rôle et les manifestations du Surmoi. Cette
instance psychique, qui régule le Ça, est acquise dans la prime
enfance par le
111 Didier Anzieu « L'enveloppe sonore du soi » dans
: Nouvelle Revue de Psychanalyse (n° 13, 1976),pp. 161180
112 Bernadette Bailleux « et dedans et dehors...la voix
« 2011 Presse Universitaire de Louvain
77
biais d'une intériorisation des voix parentales. Dans
ses premiers écrits, Freud explique que le Surmoi est né «
de l'influence critique des parents, médiée par la voix ».
Ces voix parentales précisément, qui deviennent « voix
intérieures », portent en elles les référents
socioculturels d'une communauté. Elles apportent un cadre à
l'expressivité des affects et des pulsions de l'individu. Elles
résonnent à l'intérieur du sujet, comme des autorisations
ou des restrictions à cette expressivité.
Le Surmoi, en un mot, c'est la Loi. Loi morale, ordre posant
les limites du Bien et du Mal ; et surtout celui de faire taire la voix de la
mère pour entendre notre propre voix. Et c'est d'jà la voix du
père qui pourra être la médiatrice et permettre la
castration vocale posant un ordre au sein du chaos pulsionnel intérieur.
Sans cette instance morale, le sujet serait en prise totale avec ses pulsions,
poussé par ses virulents désirs de satisfaction libidinale
parfois contradictoires. La voix de l'autre, au même titre que le regard
qu'il pose sur nous, s'offre donc comme un cadre structurant pour l'individu.
En effet, la voix de l'autre, de même que la musique d'une manière
générale se situe comme le regard chargé du désir
de l'autre, qui se pose sur nous, et qui nous invite à nous envisager
comme l'unique objet de son désir
Par exemple, il n'est d'ailleurs pas rare d'entendre quelques
fans témoigner du fait qu'ils ont la sensation que la musique qu'ils
affectionnent particulièrement leur donne l'impression qu'elle leur est
adressée personnellement. Et cela encore s'explique très bien :
elle est pour eux le signifiant du désir de l'autre, à la fois
porteur de jouissance (« pour que je jouisse, Tu dois être comme
cela »), mais aussi désir qui fait naître l'illusion de
l'omnipotence (« C'est Toi qui a le pouvoir de me faire jouir »).
Pour dire les choses simplement : la musique aurait le pouvoir de signifier
à l'individu sa propre désirabilité, de lui signifier sa
puissance potentielle. Ce faisant, elle offrirait au fan une position
narcissique particulièrement confortable : celle où le sujet est
objet de satisfaction de l'autre, bout manquant de l'autre grâce auquel
seulement il pourra jouir. Lorsqu'il écoute une musique, l'individu est
mis en rapport avec sa propre sentimentalité, avec ses propres affects.
Une musique lyrique pourra ainsi lui permettre de manifester sa tristesse, son
désespoir. Une musique plus rythmée lui permettra d'expulser les
pulsions agressives qui l'animent en son sein, d'exprimer sa rage. Une musique
sensuelle le mettra en contact avec ses désirs charnels. La musique
possède ainsi une dimension cathartique : elle est foncièrement
libératrice et constitue un formidable exutoire.
78
a) Le choeur :
Le choeur vit de l'instrument le plus précieux et le
plus naturel qui soit la voix humaine. Le son commence à vivre quand il
est uni à d'autres sons pour créer une atmosphère. . Si la
littérature et la peinture restent avec le temps, la musique est
éphémère. Au moment où elle nait elle meure
l'instant d'après. De même la voix s'éteint à chaque
expire et se réanime à chaque inspire.
Le désenchantement que l'adulte peut vivre à
l'idée qu'il progresse vers son ultime soupir le pousse à habiter
activement son souffle et à projeter sa voix de sorte que le sujet en
souffrance passe de l'en-vie à l'en-voix. Cette-en-voix a besoin de
l'imagination pour être dirigée vers l'auditoire. Ce que va
encourager le chanteur à chanter pour l'auditoire c'est un sentiment de
bonté, d'espérance de joie et de souffrance. Forcément
touché par les émotions de la musique le chanteur est
amené à exprimer ses émotions. Je parle d'une souffrance
qui grâce à la musique évolue vers la paix
intérieure. Donc le chanteur est amené à jouer de ses
émotions qui deviennent illusion puisqu'il en joue un rôle
d'interprète.
Du latin de base de l'époque "illusio", "illusorius".
Le mot venait de "illudere" qu'on peut traduire par "se jouer de". Le mot
"illudere" vient à son tour de "ludere" et "ludus" qui signifie "jouer
en acte" par opposition avec "iocus" qui se rapporte aux "jeux de mots", aux
"plaisanteries". Le pluriel "ludi" sert à dénommer "les jeux" qui
avaient un caractère religieux ou officiel, notamment les jeux
donnés en l'honneur des morts (origine étrusque).
Curieusement "ludi" est devenu "scolaire" de telle sorte que
"ludi magister", mot à mot "maître des jeux", a
désigné le maître d'école !
Au sens premier de "ludere", jouer s'est greffé celui
de "singer, imiter par jeu", d'où "se jouer de, se faire un jeu de".
Cela a donné "ludibrium", moquerie, dérision, objet de
moquerie.
On aura pour dérivé "alludere", "faire allusion,
effleurer de manière badine", ou "eludere" exclure du jeu.
En 1907 Freud montre que la création artistique a des
liens avec le rêve éveillé : l'inspiration peut surgir
comme un rêve que le créateur fait les yeux ouverts. L'adulte
créatif se rapproche de l'enfant qui joue et qui se construit un monde
fantastique qu'il peuple avec ses productions variée de son imagination.
Il y a bien sur illusion idéaliste de celui qui croit détenir la
vérité et qui se croit invulnérable omnipotent et
omniscient. C'est cette mentalité fanatique que Freud définira
comme une régression infantile n'omnipotence par trois
caractéristiques : narcissique, toute puissance et projection qui est
destructrice.
Mais revenons à l'illusion artistique bienfaisante
telle que la décrit Freud. Freud se défiait de l'art musical car
il n'y trouver pas de contenu significatif, quantifiable ni visu able car on
ne
79
peut en effet trouver d'image son. Pourtant la voix de la
mère est primordiale puisqu'il l'entend avant toute chose. Il la
reconnait avant qu'il ne reconnaisse son visage. La voix de la mère est
musique par son contour mélodique qu'elle insuffle à ses paroles.
Cette musique constitue une multitude d'impressions sensibles en de ça
du discours intelligible et rationnel. Ces sonorités marquent le corps
de l'enfant dont il gardera les traces affectives toute sa vie.
Si Winnicott pas plus que Freud n'a parlé
spécifiquement de l'illusion musicale, il intègre les productions
sonores de l'enfant dans les « phénomènes transitionnels
». Il parle notamment des gazouillis, du baby talk et du répertoire
mélodique au moment de s'endormir qui interviennent dans l'aire
intermédiaire en tant que phénomène transitionnels ».
Ces mélodies et ritournelles il les retrouvera quand il sera seul pour
palier à la séparation et à l'absence de la mère.
Pour les grecs la musique était dans le haut de la hiérarchie des
arts car elle se rapporte au premier registre symbolique dans lequel s'incarne
la vie psychique. Si les arts plastiques sont des arts de l'espace,
c'est-à-dire de la représentation visuelle, la musique est l'art
du temps, c'est-à-dire de la conscience et de la vie intérieure.
Elle conduit à la subjectivité du fait qu'elle est virtuelle,
elle fait le lien entre un passé que l'on se remémore et
subissons et un avenir qu'on invente et recrée. Puisqu'elle virtuelle,
elle est illusion détachée du temps réel. Cette illusion
nous permet de lutter contre l'angoisse de la mort. Le soupir en musique n'est
jamais le dernier, il est un silence qui traverse un espace musicale. Ce temps
musicale est vécu d'amour, de haine, de nostalgie, de présence et
séparation, mais elle est toujours promesse d'union et de paix avec une
impression d'accompli. Elle rappelle l'idéal maternel, sécurisant
et permet de palier aux frustrations désillusions et conflits internes
que l'on peut traverser sans dommage.
Bien qu'étant illusion, la musique ne peut rester
abstraite elle a besoin du corps pour s'exprimer. Elle permet donc au corps
d'être transcendé et donne au musicien l'illusion que la mort ne
compte plus et de vivre un moment d'éternité.
Si le rêve est une illusion individuelle, le groupe peut
avoir un rêve collectif. Ainsi toute situation de groupe serait
vécue comme réalisation imaginaire de désir. Il a une
sorte d'euphorie fusionnelle où tous les membres se sentent bien
ensemble. Elle peut donc apporter un mieux à un sentiment
d'insécurité développant la solidarité et la
fraternité. La solitude est donc provisoirement exorcisée au sein
de la chaleur communicative d'un groupe. Le groupe suscite un comportement
régressif permettant de tenter de faire un retour à la fusion
avec le bon objet des premiers temps de la vie. En ce sens il devient objet
transitionnel rejouant l'image de la mère toute puissante. Le leader ou
le chef de groupe évoque le père. En tant que père il
instaure
80
la loi des interdits qui marque le renoncement au rêve
et de l'acceptation de la réalité telle qu'elle est avec ses
frustrations et ses déceptions inévitables sans lesquels le
groupe serait menacé de voguer dans de dangereuses chimères. On
le voit notamment dans les sectes où le leader devient despotique et
favorise l'idéologie maternante conduisant les adeptes au culte de la
personnalité et à n'avoir plus aucun libre arbitre.
Donc il pourrait exister un aspect pervers de l'illusion
idéologique avec ses dérives. Il est indispensable que chacun
dans le groupe ait conscience de ses propres tendances hostiles qui aide
à mieux tolérer autrui ; Freud se défiait de l'illusion
religieuse et l'illusion idéologique lorsqu'elles se prennent pour la
vérité absolue, mais il considérait l'illusion artistique
comme illusion pure. Il s'agit de « jouer » avec des objets culturels
sans risque de collusion avec la réalité. La partition musicale,
est un gage de cohésion et d'entente, car plus l'orchestre ou la chorale
est uni plus belle sera la production.
La communication doit être intense, et le rêve
d'harmonie s'incarne dans la beauté de l'oeuvre exécutée.
On pourrait dire que l'accord sonore est une métaphore de l'accord
affectif. J'en ai fait l'expérience en dirigeant ma chorale au combien
la production variait en fonction de l'état effectif de chacun. Si le
groupe était en forme et uni nous avions un franc succès qui
s'ensuivait de grandes embrassades et de reconnaissance les uns
vis-à-vis des autres. La musique sauve le groupe d'un dogmatisme
idéologique du chef qui se doit d'être fidèle à
l'interprétation de l'oeuvre. Au sein de la chorale toute les voix
concourent à l'harmonie de l'ensemble choral synthèse d'une
grande famille.
Michel Serres déclare que « le choeur est le
modèle réduit de la société idéale
».113 Le désir d'appartenance est comblé tout en
renforçant le sentiment d'individualité car chacun a une place
bien définie et un rôle à l'intérieur d'une
entité projetée comme une famille idéale de sorte que les
symboliques maternelle et paternelle sont actifs dans l'inconscient du
groupe.
b) L'identification au chef :
« Le chef de choeur comme le chef
d'orchestre est une figure paternelle qui, loin de séparer
fantasmatiquement l'enfant de sa mère, l'y ramène pour une
alliance heureuse et comblée. Il y a là sur le plan culturel, des
occasions extraordinaires pour les musiciens et les chanteurs
113 Michel Serres, Interview par Claude Maupommé,
France-Musique, le 28-03-81.
81
d'abord, pour le public ensuite, de vivre ensemble cette
plongée bienfaitrice dans le sein de la mère bonne
nourricière, en l'occurrence la musique avec le sentiment
océanique qui l'accompagne : expérience hors espace et du temps -
c'est un rêve éveillé dirigé. »
114
Le chef a un rôle primordial dans la cohésion du
groupe car il donne au groupe une consistance particulière dont il est
le gardien. Il incarne le chef du clan Surmoïque tout puissant, il fait
surgir la voix et affects des autres au profit d'un projet commun. Non
seulement il dirige avec sa voix mais aussi avec ses mains. André
Leroy-Gourhan pour qui la voix et la main sont étroitement liées
avec le langage et la sensibilité esthétique, a attiré
l'attention sur le rapport entre oralité et manualité avec la
pulsion d'emprise comparable à ce que dit Freud des appétits
cannibaliques et la faim.115
Freud dit que « le groupe c'est l'identification des
membres au chef et entre eux ».116 L'identification au chef du
groupe choeur se fait par le biais d'Eros mais il y a renoncement à
l'amour sexuel pour le chef non dans une perspectif d'identification secondaire
de dépassement de l'OEdipe, mais par un mécanisme
d'identification primaire, primaire car le chef de choeur encourage et facilite
les retrouvailles amoureuses avec la musique symbole maternel et cette
identification préserve un amour idéalisé, purifié,
proche du narcissisme. »
Narcissique parce qu'on aime l'objet pour la perfection que
l'on souhaite à son propre Moi et cherche à satisfaire son propre
narcissisme. Le chef ne peut être un hypnotiseur tel que le
définit Freud 117 car le groupe a la tâche
d'exécuter une partition de musique qu'elle soit instrumentale ou vocale
dans des règles rigoureuses, devant la présence
médiatisante du public qui participe au narcissisme de chacun donnant du
poids à la réalité et à l'objectivité.
Freud parle de l'imago du chef qui assure le lien groupal. Le
groupe rêve d'être sous la dépendance d'un chef juste,
intelligent, fort et bon qui assure les responsabilités.118
Le chef de choeur est donc une figure paternelle qui au lieu de séparer
l'enfant de sa mère l'y ramène pour une alliance heureuse et
comblée. Le groupe n'a pas d'identité sexuelle il est
prégénital car la musique est androgyne. Nous nous retrouvons
dans un espace où le groupe lui-même est un
114 Marie France Castarède « l'enveloppe
vocale » Ed Eres Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2012
https://doi.org/10.3917/pcp.007.0017
115 André Lorou Gourhan « le geste et la parole
» émission
https://www.youtube.com/watch?v=UT3sN3Df2j4
116 Sigmund Freud, « Psychologie des masses et
analyse du moi », chapitre 7, Paris, PUF, Coll. Quadrige, 2010.
117 Sigmund Freud. « Pour introduire le narcissisme
» 1914
118 Sigmund Freud., « Psychologie des masses et
analyse du moi », 1921,
Nouv. trad. fr. in : Essais de
Psychanalyse, Payot, 1981, p. 154
82
objet transitionnel remplaçant le sein maternel, de
sorte que le groupe et la musique sont des mères de substitution.
c) L'idéalisation et la sublimation
:
La sublimation est la transposition du but pulsionnel. Il ne
s'agit cependant pas d'une renonciation à une satisfaction, laquelle
sera simplement trouvée autrement
. La sublimation ne nécessite pas le refoulement selon
Freud qui a conceptualisé le terme sublimation en 1905 pour rendre
compte d'un type particulier d'activité humaine (la création
littéraire, artistique et intellectuelle) sans rapport apparent avec la
sexualité mais tirant sa force de la pulsion sexuelle en tant qu'elle se
déplace vers un but non sexuel en investissant des objets socialement
valorisés.
La sublimation est donc un destin des pulsions tandis que
l'idéalisation s'attache à l'objet. Sommes toutes on pourrait
dire qu'avec la musique l'énergie du Moi serait
désexualisé car il y a renoncement aux buts purement sexuels, au
profit d'une dimension narcissique. Le chant s'accompagne toujours d'un plaisir
érotique. Même s'il y a une participation du corps
érotisée par la voix en la pulsion invocante , il a sublimation
par la musique, ce qui permet aussi d'éviter tout dérive vers la
jouissance. En effet les phénomènes vocaux sont sublimés
mais non désexualisés à cause de la participation du corps
de sorte que la libido corporelle serait réinvestie par la libido
narcissique.
La sublimation va dans le sens de la réparation ou de
l'instauration de l'objet total, objet total (enfant individualisé
différencié totalement de la mère) qui est en relation
avec le moi total ((bon objet ayant survécu aux attaques et aux dangers
qui l'ont menacé) pendant les premiers mois de la vie pulsionnelle.
La sublimation serait le triomphe des pulsions de vie sur les
pulsions de mort. Il m'est arrivé en parlant d'effet sublimatoire de
vivre au sein de groupe de quelque chose qui nous laissait un peu en suspens
avec une impression d'harmonie totale et dans cette situation, quelque chose
dans le groupe venait se réparer.
Concernant l'idéalisation elle permet d'expulser le
mauvais à l'extérieur (position paranoïde et
schizoïde). La musique constitue une défense contre le bruit
persécuteur. Le clivage grâce auquel s'établit l'illusion
groupale tient une place fondamentale dans le vécu musical ; Il demeure
présent et actif dans notre perception : entre silence et bruit, bruit
et musique, bonne
83
et mauvaise musique, juste ou faux, autant de catégorie
subjectives qui opèrent dans nos choix, nos refus, attraits et nos
répulsions.
d) Le déni de la perte de l'objet :
L'illusion groupale se constitue sur un déni de la
perte de l'objet d'amour, cette défense collective contre l'angoisse de
la perte est représentée par l'unisson dans le choeur. L'unisson
l'objet perdu est récupéré par tous collectivement et
magnifié. Dès la naissance nous faisons l'expérience de la
perte de morceau soi sonore ; le cri, la perte de l'objet d'amour et la perte
du corps de la mère. La musique serait un doux leurre (douleur) qui
permettrait de sublimer l'angoisse de la perte. L'alternance son/silence permet
de rejouer présence/absence ou encore vie/mort, car le sonore est
l'expression de vivant. Par opposition à la musique qui apaise les
tensions, le bruit perturbe. Le silence musical fait taire le bruit ambiant.
Ainsi se produit-il une alternance de tension et de détente. Il est
évident que nous faisons la différence entre le bon et le mauvais
objet musical. Mais pour que l'harmonie du choeur soit parfaite et qu'il n'y
ait pas de fausse note, il faut avoir conscience de la voix de l'autre et de la
mise en relation de l'une à l'autre sans risque de confusion et perte
des limites qui suppose que nous ayons une identité sonore ; Pour
prendre le ton il faut en effet pourvoir permettre l'unisson de l'autre. Ce son
ne pourra être son confusionnel et destructeur puisqu'il donne la place
à l'autre. C'est aussi ainsi que se construit le bébé qui
apprend qu'il n'est pas la voix de sa mère.
Il n'y a pas de danger de vouloir l'autre différent
car le groupe oeuvre dans un seul but, la réalisation de l'oeuvre
musicale même s'il y a des rivalités, jalousie qui circule dans le
groupe, elles ne sont que des moyens de défense qui permettent de
rejouer les affects et éviter la perte d'identité de chacun. En
de ça du langage il y a l'autre langage du coeur (choeur). L'harmonie
implique un état idéalisé où il y a illusion de la
famille Mère dans la musique, le Père en la personne du chef de
choeur et les enfants les choristes.
e) Le narcissisme groupal au sein de la
chorale
Le groupe chorale est un corps il ne forme qu'un seul choeur.
Mais cette idée de corps peut sembler être une menace pour
l'individu, car l'être humain n'existe que comme sujet. Dans le groupe le
sujet a peur d'être noyé dans la masse et risque de se sentir
menacé dans son unité personnelle. En général c'est
l'anonymat qui donne une impression de se perdre et de se décomposer en
les autres personnes présentes. Le groupe risque de représenter
un miroir qui
84
se brise qui renvoie une image défigurée. Un groupe
qui a réussi est un groupe qui est parvenu à supprimer cette
image d'un corps morcelé et donc restaurer un corps propre.
La voix a cette particularité qu'on est dans une
chorale obligé de l'entendre pour s'accorder avec les autres. On est
donc un dans tout. Cet accord vient à nous rappeler la fonction vitale
du holding dans le maintien physique et moral de l'enfant. Le rythme et le
mouvement musical nous porte et nous transporte dans un espace de totale
liberté dans une mobilité du corps tantôt active
tantôt passive évoquant les soins du nourrisson. Le handling
traduit la manipulation plaisir actif ou passif dans le jeu musical de sorte
que Ch. Bollas 1989119 a proposé le concept d'objet
transformationnel pour évoquer les toutes premières relations de
soins prodigué par l'environnement et en l'occurrence la musique en
groupe. Le jeu musical permet de répéter et de s'auto-stimuler de
s'auto-calmer de se bercer au son de la musique qu'elle soit vocale ou
instrumentale. Le sujet devient acteur du rôle de la mère pour
lui-même et pour les autres. Françoise Dolto120 utilise
de terme de mameté et bien la musique permet de se « mameter
». Si la musique nous porte le « holding »elle nous émeut
voir même nous manipule le « handling »affectivement,
corporellement, psycho physiologiquement nous permettant de rejouer activement
nos ressentis. Elle emprunte ainsi des matériaux aux traces auditives
d'avant l'usage de la parole et aux traces sensorimotrices d'avant la
marche.
On entend par orature l'ensemble des genres dont le mode
d'expression est la voix, et qui s'entrepose dans la mémoire, à
la fois des narrateurs et des auditeurs. Elle sollicite principalement
l'ouïe, le sens global, celui de l'invisible. Tout d'abord, on dit qu'elle
constitue un art temporel, c'est-à-dire qu'elle s'inscrit, comme son nom
l'indique, dans le temps. Elle reste un événement unique et
irréversible. En effet, elle requiert des conditions
particulières : la présence charnelle du récitant et de
son assistance, le silence, l'intérêt et il faut également
que l'orateur se sente d'humeur à pratiquer son art. Elle est sans
retour, parce qu'on pourrait la comparer à une émission
télévisée en direct. Ainsi, si le conteur se trompe, il
aura la possibilité de se corriger, certes, mais son public se
souviendra néanmoins de son erreur. On ne peut revenir en arrière
et l'auditeur ne peut ajourner l'histoire. Il faut la saisir quand elle se
déroule, car peut-être l'occasion ne se représentera-t-elle
plus. Enfin, l'orature est un art de la sociabilité,
119Christopher Bollas ; Danielle Goldstein «
L'objet transformationnel » (1989), trad.
Dans : Revue française de psychanalyse (vol. 53, n°
4, 1989) Article en page(s) : pp. 1181-1199 (19 pages) 120 Françoise
.Dolto « L'image inconsciente du corps »Ed. Du Seuil
85
car elle possède un caractère public et
collectif. Elle consiste en la relation entre un émetteur et un
récepteur.
86
CONCLUSIONS
« Mon oreille avide d'entendre Les notes d'or de sa
voix tendre, Tout mon être et tout mon amour Acclament le
bienheureux jour Où, seul rêve et seule pensée, Me
reviendra la fiancée ! » P. Verlaine, La Bonne Chanson.
La voix est un vaste sujet dont les effets au niveau psychique
sont encore à découvrir. Nous pouvons remercier Lacan de l'avoir
envisagé dans la théorie psychanalytique. J'ai tenté de
cerner les en « je » de la voix, dans tous les aspects de la vie
depuis, l'enfance jusqu'à l'âge adulte. Comment l'enfant devait
être castré de la voix initiale pour devenir sujet parlant. J'ai
élaboré l'importance au niveau social et notamment au sein du
groupe qu'il soit familial ou autre en passant par la chorale notamment,
comment la voix marque l'identité du sujet et la façon dont il
s'impose ou pas dans la société au niveau hiérarchique. La
voix du père devient loi instauratrice en passant de la voix de
l'interdit à celle de l'inter-dit, c'est notamment ce qui a fait
défaut dans la psychose dont la voix vient envahir l'espace psychique du
sujet lorsque il y a forclusion du nom du père.
Le langage sans la voix est inenvisageable car sans la voix on
resterait muet comme une carpe. Parler c'est entendre la voix de l'autre et la
nôtre. Envisager la voix en psychanalyse c'est tacher de comprendre
comment le sonore est resté en panne d'une symbolisation. C'est la
possibilité d'offrir au sujet de mobiliser et de mettre en mouvement
tout ce qui du corps en lien avec le langage a été
entravé. C'est entendre la plainte du sujet et comment il arrive
à bricoler avec son symptôme C'est comprendre comment le circuit
pulsionnel de la voix prend sa
87
source, son but et son trajet qui revient sur lui-même.
La voix accompagne notre quotidien de tous les jours ainsi que nos
représentations. Dans la cure analytique c'est entendre ce qui fait
signe et ce que la voix supporte de non-dits énigmatiques. C'est aller
vers le souffle de vie qui par sa fonction d'appel à l'autre, remet en
marche la fonction de la relation et du désir de la rencontre. C'est par
le chant que cet appel est le plus incantatoire. Dans le Phédon, Platon
déclare que la philosophie est la musique suprême. La voix
musicale s'est instaurée dans la culture avec ses codes et ses lois et
peut être envisagée comme médium thérapeutique en
art-thérapie. Je pense qu'il est important qu'un analyste soit
mélomane pour favoriser son imaginaire et sa fantaisie qui remet en jeu
ce qui du plus profond de nous fait jaillir la vitalité, parce que la
musique et le chant laisse des traces de cette expérience vécue.
Enfin c'est un enrichissement personnel qui a pour finalité
l'échange et le partage. Entendre sa voix c'est aller vers soi, vers ce
qui fait qu'on est « Je » Le chant et la musique c'est le sourire de
l'âme.
88
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92
MISE EN SITUATION DE METIER
Bien que travaillant en tant que pédagogue et en tant
qu'art-thérapeute orientation psychanalytique, je souhaite approfondir
mes notions psychanalytiques pour alimenter ma clinique. Mon orientation
professionnelle a évolué dans le sens où la psychanalyse
sera une priorité. Avant d'en venir à cette formation
universitaire, ce fut un long cheminement quant au choix de ma formation et
j'ai trouvé que la formation universitaire était le plus
appropriée. Le lien avec la philosophie fut très enrichissant et
m'ont fait découvrir des auteurs que je n'avais pas lus. Revisiter Lacan
notamment sur le sujet du social et du pouvoir en politique relativement au
sujet fut très intéressant surtout que la voix en politique est
très importante pour attirer l'attention du plus grand nombre du
côté de la jouissance. Cela m'a donné beaucoup de temps de
travail pour comprendre sa démarche car je n'ai pas un esprit
mathématique, bien que la musique le soit mais elle me semble plus
abordable. Cela m'a réellement mise au travail car jamais rien n'est
acquis, et tout est encore et encore à remettre en question, pour faire
évoluer la clinique, la recherche en est un bon moyen. Mon parcours tout
au long de l'année fut un peu fastidieux car en travaillant ce n'est pas
aisé mais très enrichissant et m'a montré que la
psychanalyse a encore une carte à jouer dans notre société
complètement clivée dans laquelle l'humain ni ne langage plus sa
place. Avec l'avènement du numérique il est capitale de remettre
le langage au centre de notre société. Il nous faut donc
être visible dans la cité au risque que tous les métiers de
pratique cognitiviste ne prennent le pas sur l'analyse. C'est ce que je compte
faire dans le village que j'habite et dans tous les villages alentours.
Par chance j'ai déjà une structure et des locaux
pour exercer, donc je ne peux guère en dire plus sur ce sujet.
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