CONCLUSION
Dans ce chapitre, nous avons continué l'analyse des
déterminants de l'inflation, du chômage et de la balance des
paiements en nous focalisant sur la dette extérieure. À cet
effet, nous avons montré que la dette extérieure est un outil de
lutte contre l'inflation et le chômage d'une part et de stabilisation de
la balance des paiements d'autre part. Elle décrit le processus par
lequel le gouvernement prend des décisions et élabore des
politiques pour mettre ces décisions en oeuvre (Khan et Shah, 2015). Ce
processus est indispensable parce que les politiques appliquées par le
gouvernement et les normes administratives connues sous le nom de facteurs
politiques, influencent considérablement le développement
économique d'un pays. De ce fait, une bonne gestion de la dette
extérieure solvable et soutenable est indispensable pour maîtriser
l'inflation et atténuer le chômage dans une région (Evans,
Haggard et Kaufman, 1992). Toutefois, les nombreuses ambiguïtés
soulevées tout au long de ce chapitre nous amènent à
pousser cette analyse encore plus loin en cherchant à déterminer
empiriquement lesquels des différents éléments
développés théoriquement sont réellement
adaptés à l'Afrique Subsaharienne : tel est l'objectif du
chapitre suivant.
Mémoire PTCI 81
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
CHAPITRE IV :
ANALYSE EMPIRIQUE DE LA RELATION DETTE
EXTÉRIEURE ET STABILITE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE
SUBSAHARIENNE
Mémoire PTCI 82
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
INTRODUCTION
Le chapitre précédent a été
l'occasion pour nous de procéder à une analyse théorique
de la relation dette extérieure et stabilité économique.
Ainsi, nous avons pu montrer l'indispensabilité d'une « bonne
gestion de la dette extérieure » dans l'optique de contribuer
à la stabilité économique. L'hypothèse de
l'influence positive de la dette extérieure sur la stabilité
économique a déjà fait l'objet d'une évaluation
empirique dans des travaux antérieurs avec cependant des
résultats mitigés (Turner et Spinnelli, 2013), à partir
d'une régression en panel sur 25 pays de l'OCDE pour la période
1970-2007, montre qu'une augmentation de 1 point de pourcentage de la dette
extérieure nette en pourcentage du PIB est associée à une
hausse des taux d'intérêt réels à long terme de 1,3
point de base. En particulier, il trouve qu'aucun effet statistiquement
significatif sur les taux d'intérêt de la dette publique n'a
été constaté compte tenu de l'exclusion de l'effet
extraordinaire de la crise financière. Un résultat similaire
avait déjà été obtenu par Rose (2010) lorsqu'il
analysait l'impact de la dette extérieure sur les taux
d'intérêt réels de 20 économies avancées sur
la période 1980-2007. Utilisant un modèle en donnée de
panel, il parvient au résultat selon lequel les taux
d'intérêt sont sensibles aux positions nettes d'investissements
internationaux et qu'une augmentation de 1 point de pourcentage du ratio dette
extérieure nette / PIB sera généralement associée
avec une augmentation de 2 points de base des taux d'intérêt
réels. L'objectif de ce chapitre est de procéder à une
nouvelle évaluation empirique pour venir compléter les travaux
existants.
Dans le souci de parvenir à des résultats
pertinents, nous utiliserons les données de la base du FMI (ICSD 2015)
pour les investissements domestiques privés et publics et des World
Development Indicators (WDI 2018) pour les autres variables
macroéconomiques. Compte tenu du fait que les données sur la
dette extérieure sont devenues presque continu en 2002, notre
période d'étude va s'étendre sur la période
2002-2017. En outre, l'absence de données pour un certain nombre de pays
nous contraint à réduire notre échantillon à 35
pays. Les pays qui ont été retirés sont :
l'Érythrée, l'Ethiopie, le Lesotho, le Libéria, Sao
Tomé et Principe, les Seychelles, la Somalie, le Soudan et le Soudan du
Sud.
L'objectif du présent chapitre est de déterminer
empiriquement les indicateurs de la dette extérieure qui
améliorent la stabilité économique en Afrique
subsaharienne. À cet égard, nous effectuerons dans la
première section une analyse descriptive du phénomène
étudié. Dans la deuxième section en revanche, nous
renforcerons cette première analyse grâce à une
étude économétrique.
Mémoire PTCI 83
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
SECTION I : DETTE EXTERIEURE ET STABILITE ECONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE, ANALYSE DESCRIPTIVE
Par définition, la stabilité économique
est effective sur le plan interne et externe lorsque la stabilité des
prix et la balance commerciale sont stables. Ainsi, la présente section
s'organisera autour de ces deux principaux concepts. D'une part, nous ferons
une analyse descriptive du binôme dette extérieure et
stabilité économique interne (inflation) en ASS, et d'autres
parts, nous analyserons le binôme dette extérieure et
stabilité économique externe (balance commerciale) en ASS.
I.1/ Analyse descriptive du binôme dette
extérieure et inflation en Afrique subsaharienne
Dans l'ensemble, le taux d'inflation en Afrique Subsaharienne
a été relativement élevé au cours de la
période 2002-2017. Toutefois, il existe des pays où
l'évolution du niveau général des prix s'est
considérablement écartée de la tendance moyenne, ce qui
nous a conduits à distinguer les 10 pays14 à fort taux
d'inflation et les 10 pays15 à faible taux d'inflation en
Afrique Subsaharienne. En se référant à cette
répartition, l'on constate qu'il existe de grandes disparités
entre ces deux sous-groupes. En effet, le premier groupe a un taux d'inflation
moyen de 2,10% contre 13,69% pour le second groupe. En outre, il semble exister
une plus grande disparité dans l'écart entre les taux d'inflation
dans le second groupe comparativement au premier. À titre illustratif,
l'écart-type dans le premier groupe n'est que de 0,34 tandis qu'il est
de 5,50 dans le second groupe16. Dans l'optique d'expliquer ces
disparités, cette sous-section présentera l'influence de la
solvabilité de la dette extérieure sur l'inflation en Afrique
subsaharienne d'une part, et celle de la soutenabilité de la dette
extérieure d'autre part.
I.1.1. Influence de la solvabilité de la dette
extérieure sur l'inflation en Afrique subsaharienne
Afin de déterminer l'influence de la solvabilité
de la dette extérieure sur l'inflation en Afrique subsaharienne, nous
nous focaliserons sur l'évolution de l'indicateur de service de la dette
extérieure et sur celle du stock de la dette extérieure. À
cet effet, nous distinguerons deux
14 Le Burundi, Le Kenya, Le Libéria, Le
Nigéria, La Zambie, Le Sao-Tomé-Et-Principe, L'Ethiopie, Le
Ghana, Le Malawi, L'Angola.
15 Le Sénégal, Le Cap-Vert, Niger, Mali,
Le Burkina Faso, La Guinée-Bissau, Le Cameroun, La Cote d'ivoire, Le
Benin, Le Togo.
16 Dans cette catégorie, l'Angola a un taux
d'inflation moyen de 28,37% contre 9,41% pour le Burundi.
Mémoire PTCI 84
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
cas : celui des 10 plus faibles inflations et celui des 10
plus fortes inflations en Afrique subsaharienne.
a) Solvabilité de la dette extérieure et
Inflation : cas des 10 plus faibles inflations
La bonne gestion du service de la dette extérieure n'a
pas connu une grande efficacité dans ce premier groupe de pays au cours
de la période 2002-2017 puisque l'indicateur service de la dette
extérieure a été en moyenne de 0,204 milliards de dollar.
Pour être plus précis, on note que celui-ci n'a pas
évolué de manière significative pour l'ensemble de ces
pays. En effet, cet indicateur est de 0,218 milliards de dollar, 0,346
milliards de dollar et 0,422 milliards de dollar en 2015, 2016 et 2017 contre
0,165 milliards de dollar, 0,149 milliards de dollar et 0,163 milliards de
dollar pour les années 2002, 2003 et 2004 respectivement. Toutefois,
notons qu'il existe des divergences assez non négligeables si l'on s'en
tient aux performances des uns et des autres. L'indicateur de service de la
dette extérieure pour le Sénégal17 a
été de 0,305 milliards de dollar contre 0,049 milliards de dollar
pour le Togo qui n'est que dixième parmi les plus faibles inflations du
continent, avec un taux d'inflation moyen de 2,87%. En outre, un seul des 10
pays semble avoir fait de grands efforts dans le paiement du service de sa
dette extérieure, il s'agit du Cameroun qui a obtenu une performance de
0,501 milliards de dollar.
Graphique 4.1 : Évolution de
l'indicateur service de la dette extérieure en fonction de
l'inflation (Groupe 1a)
TGO
BEN
CIV
CMR
GNB BFAMLI
NER
CPV
SEN
0 2.00e-'-08 4.00e-'-08 6.00e-'-08 8.00e-'-08
SEDEmean
INFmean Fitted values
Source : Auteur, à partir des données de la
Banque Mondiale (WDI 2018)
La gestion du stock de la dette extérieure dans les 10
plus faibles inflations en Afrique Subsaharienne n'a particulièrement
pas été bonne au cours de la période 2002-2017. En effet,
ces pays ont été plus mauvais en la matière
comparativement à celui du service de la dette
17 Premier parmi les 10 plus faibles inflations en
Afrique Subsaharienne avec un taux d'inflation moyen de 1,5%.
Mémoire PTCI 85
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
extérieure puisque l'indicateur de stock de la dette
extérieure y a été de 3,348 milliards de dollar contre
0,204 milliards de dollar pour le service de la dette extérieure. Par
ailleurs, l'on note que cet indicateur n'a pas connu la même tendance
dans tous ces pays. À titre illustratif, les pays tels que la cote
d'ivoire (12,15 milliards de dollar) et le Cameroun (6,23 milliards de dollar)
ont particulièrement été mauvais, tandis que les pays
comme le Benin (1,68) et le Cap-Vert (0,95) ont fait des efforts remarquables.
Toutefois, la « palme d'or » revient à la Guinée-Bissau
qui a obtenu une note moyenne de 0,73 milliards de dollar.
Graphique 4.2 : Évolution de l'indicateur
de stock de la dette extérieure en fonction de l'inflation (Groupe
1a)
TGO
|
|
BEN
|
CMR
|
|
CI',
|
|
|
|
|
|
GNB BFA MLI
|
|
|
|
NER
CP',
SEN
0 5.00e+09 1.00e+10 1.50e+10
STDEmean
INFmean Fitted values
Source : Auteur, à partir des données de la
Banque Mondiale (WDI 2018)
b) Solvabilité de la dette extérieure et
Inflation : cas des 10 plus fortes inflations
Le service de la dette extérieure demeure un
sérieux problème dans les 10 pays à fort taux d'inflation
en Afrique Subsaharienne. Sa gestion a été encore plus mauvaise
dans cette catégorie comparativement à la
précédente. Au cours de la période 2002-2017, l'indicateur
de service de la dette extérieure a été en moyenne de
0,848 milliards de dollar pour l'ensemble de ces pays. En outre, les pays ayant
de taux d'inflation très élevés dans cette
catégorie et donc en Afrique Subsaharienne, sont pour la plupart ceux
qui ont également connu les plus mauvaises performances en
matière de paiement du service de la dette extérieure. À
titre illustratif, l'Angola qui est le dernier du classement, a obtenu l'un des
meilleurs scores, soit 3,72 milliards de dollars. En revanche, le Malawi (9e),
le Burundi (1er) et le Sao Tomé-et-Principe (6e) ont obtenu les scores
de 0,49 milliards de dollar ; 0,028 milliards de dollar et 0,005 milliards de
dollar respectivement. Cependant, le Nigéria et l'Angola avec des scores
respectifs de 2,4 et 3,72 milliards de dollar sont les seuls pays dans cette
catégorie où la lutte contre la corruption a été
assez efficace, malgré le fait que leur inflation soit
élevée.
Mémoire PTCI 86
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
Graphique 4.3 : Évolution de l'indicateur
service de la dette extérieure en fonction de l'inflation (Groupe 2a)
BDI
LBR
MWI
ZMB
ETH GHA
KEN
NGA
AGO
0 1.00e+09 2.00e+09 3.00e+09 4.00e+09
SEDEmean
INFmean Fitted values
Source : Auteur, à partir des données de la
Banque Mondiale (WDI 2018)
De manière analogue à ce qui a été
observé dans la première catégorie, la gestion du stock de
la dette extérieure a également été plus mauvaise
que la gestion du service de la dette extérieure dans la deuxième
catégorie. En effet, le score moyen de l'indicateur stock de la dette
extérieure du a été de 8,88 milliards de dollars contre
0,848 milliards de dollars pour le service de la dette extérieure. En
outre, l'on observe que les pays à fort taux d'inflation sont
également ceux où la gestion du stock de la dette
extérieure a été particulièrement mauvaise. Il
s'agit du Ghana (11,51 milliards de dollars), du Kenya (11,67 milliards de
dollars), de l'Angola (19,14 milliards de dollars), du Nigéria (23,9
milliards de dollars).
Graphique 4.4 : Évolution de l'indicateur
de stock de la dette extérieure en fonction de l'inflation (Groupe
2a)
AGO
ETH GHA
MWI
BDI
LBR
KEN
0 5.00e+09 1.00e+10 1.50e+10 2.00e+10 2.50e+10
STDEmean
INFmean Fitted values
Source : Auteur, à partir des données de la
Banque Mondiale (WDI 2018)
Mémoire PTCI 87
DETTE EXTÉRIEURE ET PERFORMANCE ÉCONOMIQUE EN
AFRIQUE SUBSAHARIENNE
D'après ce qui précède, il semble
effectivement que la solvabilité de la dette extérieure puisse
justifier les disparités des taux d'inflation autant entre les deux
groupes de pays qu'entre les pays appartenant à la même
catégorie. En général, les pays où la dette
extérieure a été meilleure ont enregistré des taux
d'inflation relativement faibles. Dès lors, il est à
présent opportun de déterminer l'influence la
soutenabilité de la dette extérieure sur l'inflation en Afrique
Subsaharienne.
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