GRADUATE SCHOOL OF
MANAGEMENT
ESG CLERMONT
SCHOOL FOR USE SINCE 1419
Nes& le - 22/0602020
érDi re master en management »
MGE3en alternance
2019 / 2020
MÉMOIRE DE FIN
D'ETUDES
Réalisé par Christophe Duru
En!reprlse : Manufacture Française s Pneurnallques
MIc hell rr
Mission! ; Char Chargii de mission! eni Finance Manna
d'attem nce- ,Jonathan P y rd
Professeur Tuteur : pude Andrade
REMERCIEMENT
Je souhaite adresser tous mes remerciement aux personnes qui
ont contribué à la rédaction de ce mémoire et ont
su m'accompagner au travers de chacune des étapes, mais plus
particulièrement à :
Mon tuteur école, Claude ANDRADE, pour ses conseils, sa
disponibilité, sa simplicité et sa souplesse qui m'ont
été d'un grand secours lors de la rédaction de ce
mémoire.
Chacune des personnes que j'ai pu interviewer, à savoir
Caroline Ribayrol-Parets, Frédéric Thévenet, Yves
Serughetti et Vinod Jayaseelan, pour ma collecte de données terrain et
qui ont su également m'éveiller sur les enjeux du Lean et de la
digitalisation.
Enfin je souhaite remercier mon tuteur entreprise, Jonathan
PAYARD, qui a su être très éclairant sur mes
différentes interrogations liées à la rédaction de
ce mémoire au moyen d'une disponibilité constante tout en me
laissant expérimenter et parcourir, par les responsabilités qu'il
m'a confié, les deux disciplines qui ont fait l'objet de mon
mémoire.
2
Table des matières
INTRODUCTION 4
I) La transformation des entreprises par le Lean 7
A. Historique du Lean management 7
1. Le Taylorisme 7
2. Le Fordisme 9
3. Le Toyotisme 11
4. Le Lean Mangement 12
B. Le déploiement du Lean chez Michelin 13
1. Le déploiement dans l'industrie 13
2. Le déploiement dans les activités de service
15
3. Le Lean aujourd'hui et demain 17
II) La digitalisation comme nouvel enjeu de ces transformations
20
A. Le développement des technologies du digital 20
1. L'évolution des technologies numériques 20
2. Les impacts sur l'économie et les entreprises 23
3. L'émergence d'entreprises data-driven 26
B. Michelin dans la digitalisation 28
1. La prise en compte du digital 29
2. Le déploiement du digitalisation 31
III) L'inévitable association de ces deux concepts 35
A. L'ombre du Lean derrière la digitalisation 35
B. La digitalisation de Michelin par le Lean 40
CONCLUSION 46
Bibliographie 48
Annexes 52
3
INTRODUCTION
« La transformation numérique va servir de moteur
au développement de notre modèle stratégique et de notre
modèle humain et social. Elle va permettre de faire des progrès
dans toutes les dimensions de l'entreprise. Chez Michelin, le digital
réussira parce qu'il sera humain ». Ces mots prononcés par
le Président du Groupe Michelin, Florent Ménégaux, lors de
la Digital Week à Clermont-Ferrand en 2019 marquent le tournant voulu et
entrepris par le Groupe sur ces nouveaux enjeux. Si ce dernier s'inscrit dans
une logique de croissance, de performance et d'adaptation nécessaire
à la pérennité de toute entreprise, l'aspect humain est un
élément clé de cette nouvelle dynamique, et Eric Chaniot,
Directeur des activités digitales du Groupe Michelin, le reconnaît
en ces mots : « La transformation digitale, c'est avant tout une question
d'attitude, pas d'outil ou de technologie. C'est 95% de l'humain et 5% de
technologie ». On comprend donc assez rapidement que le déploiement
de nouvelles technologies et offres de produits et services à
l'ère de la digitalisation est avant tout une affaire de transformation
des entreprises et des hommes qui la compose.
Cette même transformation, inhérente et vitale
à la vie des entreprises est entrée depuis longtemps dans la
stratégie du Groupe Michelin sur deux domaines majeurs : le Lean et la
digitalisation avec des concepts et projets clés comme « Simply
», « Michelin efficient Way », « COOC Michelin Digital
Culture » ou encore « Digital Manufacturing ».
A la lumière de ces enjeux et transformations en cours
chez Michelin, il nous est donc nécessaire de définir tout
d'abord ces deux concepts clés que sont le Lean et le digital.
Le digital est un terme anglais provenant du latin «
digitus », qui signifie très simplement « doigt ».
Toutefois et toujours en anglais, ce terme peut également
désigner un chiffre, de 0 à 9, avec le mot « digit ».
Ainsi et selon Christophe Legrenzi dans son article « Informatique,
numérique et système d'information : définitions,
périmètres, enjeux économiques », « la
notion de « digital » en anglais se rapporte à l'idée
de compter avec ses doigts... » (Legrenzi, 2015). Il est donc
nécessaire de se rapprocher de son lien avec l'informatique lorsque
« l'Histoire générale des sciences », un ensemble de
livres, présente en 1964 l'un d'entre eux intitulé «
l'histoire des machines dites numériques ou digitales ».
Ainsi, l'ambiguïté sur le terme « digital » en anglais
semble complétement levée dès lors que son usage tend
à renvoyer au traitement informatique avec un équivalent
français : le numérique (Legrenzi, 2015).
4
Toutefois, nous ne cherchons pas ici à parler
d'informatique ou de système d'information, mais plutôt d'un
processus de changement profondément lié au développement
des technologies de l'information. Ce faisant, le terme « digitalisation
» semble davantage proche du sujet de notre étude que le seul terme
« digital » tel qu'il peut être défini par Pascal
Guibert comme « une opération de transformation totale de
l'entreprise » visant à « réinventer
intégralement son modèle (celui de l'entreprise) et toute la
chaîne interne de fonctionnement : stratégie, organisation
managériale, environnement collaboratif. » via une
numérisation de « l'offre et toute la chaîne de
création de valeur » (Guibert, 2011).
Concernant le Lean, ce dernier semble recouvrir plusieurs
réalités, et s'il trouve historiquement son origine dans les
méthodes de production chez Toyota, ce concept a su progressivement
s'installer dans tous les aspects de l'entreprise, à tel point que l'on
pourrait le définir comme un « ensemble intégré de
principes, de pratiques, d'outils et de techniques conçus pour
éradiquer les causes de mauvaise performance opérationnelle, le
Lean est une démarche systématique qui tend à
éliminer toutes les sources d'inefficacité des chaînes de
valeur et à combler l'écart entre la performance réelle et
les exigences des clients et des actionnaires. » (John Drew, 2004). Par
ailleurs et au travers de la voix de Frédéric Thévenet,
manager des Advisers Progrès du Groupe Michelin, au sein de la Direction
du Progrès en charge de l'équipe qui pilote la formation et le
déploiement Lean au sein de l'entreprise, définit davantage le
Lean comme un « état d'esprit assorti d'outils » (Thevenet,
2020), impliquant un équilibre délicat mais nécessaire
entre trois piliers fondamentaux de la création de valeur au sein de
l'entreprise : la satisfaction du client, la recherche de performance et l'aide
à la reprise en main du travail par les salariés pour qu'ils s'y
développent. En ce sens, il s'agirait donc avec tout d'une
méthode « responsabilisante et orientée autour du client
» (Thevenet, 2020) qui implique en ce sens des changements profonds dans
le fonctionnement de l'entreprise et son organisation.
Ces deux définitions font donc ressortir un point
majeur et commun au déploiement des concepts qu'elles sous-tendent : la
transformation de l'entreprise par et pour les hommes qui la compose. Et si le
Lean repose sur un historique plus ancien, la question de la digitalisation en
tant que processus de transformation des entreprises, plus récent,
semble reprendre en de nombreux points des aspects clés de la
digitalisation. Mais plus encore, il s'agit pour les entreprises au travers de
ces deux concepts de s'adapter au monde de demain dont les changement rapides
et profonds vont concerner de nombreux domaines, que ce soient les fonctions
des salariés en interne avec en 2014, Ernst & Young qui rappelait
que « 60% des métiers qui seront exercés en 2030 n'existent
pas encore » (Ernet & Young, 2014), ou encore
5
le fait que les transactions liées au e-commerce ont
connu entre 2018 et 2019 une progression de 14% (Digital in 2019, 2019),
révélant une évolution des modes de consommation de nos
sociétés.
Et aux regards de ces changement, il est raisonnable de se
questionner sur les moyens à disposition des entreprises pour affronter
le monde de demain. En ce sens, la digitalisation et le Lean semblent en faire
partie en tant que concepts majeurs, mais aussi et surtout l'humain qui reste
l'élément central et moteur de la performance des entreprises, et
par voie de conséquence, de leur pérennité.
Ainsi, nous nous poserons la problématique suivante :
Lean et digitalisation au coeur de la transformation des entreprises, un duo
gagnant ?
En vue de répondre à cette problématique,
nous étudierons tout d'abord la transformation des entreprises par le
Lean (I) puis la digitalisation comme nouvel enjeu de ces transformations (II).
Ces deux analyses nous permettront de traiter de l'inévitable
association de ces deux concepts (III).
6
I) La transformation des entreprises par le Lean
« La mise en oeuvre des concepts et principes Lean n'est
pas un problème technologique, c'est avant tout une question de gestion
et de ressources humaines. » (Kenneth Kirby). Tout au long de leur
histoire, les entreprises n'ont jamais cessé de rechercher des moyens
pour améliorer leur productivité, et au-delà du seul
progrès technique, l'innovation en matière d'organisation et de
management pour enclencher et accompagner la transformation des entreprises a
été cruciale. Ainsi, nous verrons dans un premier temps
l'historique du Lean management (A) suivi du déploiement du Lean chez
Michelin (B).
A. Historique du Lean management
Le Lean en tant que discipline managériale est un
ensemble d'outils, de pratiques et principes visant à accroître la
performance de l'entreprise, relativement connu et partagé. Toutefois,
sa diffusion à travers le monde a suivi une certaine chronologie qui
commence avec le Taylorisme (1) suivi du Fordisme (2) dont les modèles
assez standardisés se sont confrontés au Toyotisme (3),
révolutionnaire en son temps, et qui donnera les grandes lignes de ce
que l'on appelle aujourd'hui le Lean mangement (4).
1. Le Taylorisme
C'est à la lumière de son inventeur,
l'ingénieur américain Frederick Winslow Taylor, que le taylorisme
fut utilisé pour désigner la formation d'organisation
scientifique du travail (OST), mise en pratique dans les années 1880 et
regroupée sous forme d'un ensemble de théories et méthodes
que l'on retrouvera dans un livre écrit par cet inventeur : « The
Principles of Scientific Management » (Taylor F. W., 1911).
L'approche organisationnelle de ces théories, qui
tendaient à la fois à s'adapter à une main d'oeuvre
globalement peu qualifiée et dans le même temps à un monde
industriel en plein effervescence doublée d'une explosion
démographique (la population des Etats-Unis passera de 31,4 millions en
1860 à 63 millions en 1890 pour atteindre 106 millions en 1920)
(Thompson, 1948) pourrait se résumer en une phrase : « L'objectif
de la théorie de
7
l'organisation scientifique du travail de Taylor n'est pas de
diviser le travail mais de diviser les opérations de l'ouvrier afin
d'augmenter l'efficacité du travail » (Yong He, 2006).
Cette division des opérations repose avant tout sur une
double division des tâches des processus de production (fiche 35 Le
Taylorisme, 2016) :
- Une division verticale qui suppose une distinction entre des
tâches dites de conceptions du travail et de formation, et d'autres
tâches dites d'exécution au moyen d'une logique organisationnelle
et managériale simple : « Les ingénieurs pensent le travail
et les ouvriers doivent l'exécuter conformément aux instructions
et à la formation que les premiers leur fournissent » (Salle,
2018).
- Une division horizontale où l'on décompose le
processus de production d'un bien en une succession de tâches
réparties entre des ouvriers spécialisés avec comme
objectif d'identifier la manière la plus efficace de découper ce
processus. Comme pour la division verticale, on retrouve ici des
ingénieurs chronométrant chaque action, chaque mouvement, en vue
d'éliminer ce qui est inutile avec de définir et mettre en oeuvre
le mode de production le plus optimal (Salle, 2018).
C'est donc déjà il y a plus d'un siècle
que les entreprises ont saisi l'enjeu de réduire, voire faire
disparaître, toutes les formes de gaspillage pouvant survenir dans un
processus de fabrication. A ce titre le Taylorisme, bien que précurseur
en la matière, nous apparaît seulement centré sur la
performance des processus de fabrication sans intégrer d'autres facteurs
comme le client ou le salarié, et c'est l'un des procès majeur
qui lui sera fait allant même jusqu'à certaines production
artistique satirique avec le film « les Temps modernes »
réalisé par Charlie Chaplin en 1936 qui tourne en dérision
les dérives de l'organisation scientifique du travail (fiche 35 Le
Taylorisme, 2016).
Néanmoins, le Taylorisme continuera dans sa
postérité à proposer des méthodes telles que les
cercles de qualité composés de groupes de travailleurs
volontaires se réunissant pour définir et mettre en oeuvre les
améliorations d'un processus, ou encore des groupes semi-autonomes
libres dans leurs organisations pour atteindre des objectifs fixés
(fiche 35 Le Taylorisme, 2016). Ces améliorations du Taylorisme ont
principalement vocation à responsabiliser le travailleur et le faire
davantage participer au processus de production.
Enfin et si le Taylorisme a su poser les bases
méthodologiques de la performance opérationnelle, il n'en demeure
pas moins que sa propension à se focaliser presque
8
exclusivement sur l'amélioration de la performance des
processus de fabrication a laissé un vide qui a rapidement
été complété par une autre méthode
organisationnelle : le Fordisme.
2. Le Fordisme
Comme pour le Taylorisme, le Fordisme vient du nom de son
inventeur Henry Ford qui a su s'approprier les acquis du Taylorisme en y
ajoutant de nouvelles considérations, méthodes et approches.
On retrouve notamment le fait d'augmenter les salaires des
ouvriers parallèlement à l'augmentation de l'activité avec
la vision suivante : « le fordisme est le terme par lequel on
désigne l'ensemble des procédures (explicites ou implicites) par
lesquelles les salaires se sont progressivement indexés sur les gains de
productivité. Augmenter régulièrement les salaires au
rythme des gains de productivité permet d'assurer que les
débouchées offertes aux entreprises croîtront
également au même rythme et permettront donc d'éviter la
surproduction » (Boyer, 1987) que l'on pourrait compléter par
l'idée suivante de Henry Ford où un meilleur salaire qui rend les
salariés « exempts de préoccupation étrangère
au travail, et donc plus industrieux, par conséquent, plus productifs
» (Ford, 1926).
Ainsi nous pouvons constater que si le Fordisme reste, comme
le Taylorisme, centré majoritairement sur les gains de
productivité et de performance, on constate que ce dernier prend en
compte une toute nouvelle variable : le salarié. En effet,
l'employé n'est plus simplement un rouage d'une machine complexe que
l'on ajuste librement au gré des suppressions de gaspillage, mais une
source de performance, voir un capital, pour l'entreprise par sa
capacité à voir son investissement motivé en fonction de
sa rémunération. Si on peut reprocher une vision
simplifiée de ce qui constitue le bien être des salariés
qui ne comprend alors que le salaire au dépend d'autres facteurs
étudiés aujourd'hui par des disciplines comme la Qualité
de Vie au Travail, on ne peut nier qu'en ce point Henry Ford fut
précurseur dans l'idée de comprendre que la motivation des
salariés est un élément clé de la performance d'une
entreprise.
A ces principes va également s'ajouter celui de la
standardisation qui est moins une approche managériale et
organisationnelle qu'une intégration de facteurs
socio-économiques extérieurs à l'entreprise pour en tirer
profit. La standardisation offre en effet un gain de rentabilité
conséquent du fait de la réductions des coûts liés
à la complexité du fonctionnement de certains
9
processus, bénéfice auquel viendra s'ajouter la
mise en place de la chaîne de montage (Ford, 1926). L'emblème de
ce principe reste l'automobile Ford-T, déclaré en ce sens «
voiture du siècle » par un sondage international (Joyrdides, 2011)
qui sera le produit abouti du Fordisme et de ces concepts mis en
application.
Toutefois et de la même manière que le
Taylorisme, le Fordisme essuiera de nombreuses critiques notamment concernant
les mensonges sur l'augmentation des salaires liés à la
productivité utilisée avant tout pour réduire le turnover
de postes éprouvants physiquement et moralement (Bourgois, 1994), mais
aussi sur les conditions de travail difficiles exigées pour
l'accès à de plus hauts salaires : « les salariés
reçoivent effectivement des salaires plus élevés, mais en
contrepartie d'une discipline et d'un attachement au poste, qui renforcent les
gains de productivité dégagés par les ouvriers, et ce bien
au-delà des augmentations de salaires octroyées » (Bourgois,
1994).
Néanmoins, le Fordisme aura également
contribué à façonner la société post seconde
guerre mondiale en permettant le développement de la consommation de
masse à l'aide de la standardisation. Toutefois ce modèle
économique s'heurtera à un problème logique en
période de crise, à savoir que le maintien de l'accroissement de
la performance est corrélé à l'augmentation des salaires
elle-même liée à la croissance économique ne peut
plus avoir lieu en cas de récession, notamment durant le choc
pétrolier où un modèle parviendra à tirer son
épingle du jeu, à savoir le Toyotisme pratiqué par Toyota
qui lors du premier choc pétrolier, fut la seule entreprise à ne
pas enregistrer de pertes financières, comme le soulignera Koichi
Shimizu, chercheur au CNRS, en ces termes : « C'est lors du premier choc
pétrolier qu'apparaît la différence entre le système
de production de Toyota (SPT) et le système fordien de production de
masse des autres constructeurs. L'industrie automobile connaît une
contraction de 12,1% de la production de VP, de sorte que les constructeurs
deviennent déficitaires, mis à part Toyota et Honda (premier
constructeur de motocyclettes) » (Koichi, 2000).
Si les apports théoriques du Taylorisme et du Fordisme
resteront acquis du fait des succès évident qu'ils ont
démontré par leur applications dans les méthodes
organisationnelles de l'entreprise dans ces processus de production, il est
évident que les évolutions à venir nous présentent
alors un monde qui s'apprête à en remplacer un autre.
10
3. Le Toyotisme
Invention attribuée à l'ingénieur Taiichi
Ôno, le Toyotisme, autrement connu comme le « système de
production Toyota (SPT » est mis en avant par Toyota en 1962 avec un
principe clé : le juste-à-temps (Shimizu, 1999). S'appropriant
les méthodes du Fordisme comme la réduction du gaspillage, le
Toyotisme a par ailleurs innové en intégrant une approche
qualité tout au long de ligne de production, ainsi que la prise en
compte de l'implication des opérateurs du terrain pour trouver des
solutions et améliorer continuellement les processus. Enfin, le
toyotisme a su aussi être en rupture avec la mise en application de
pratiques révolutionnaires comme le « juste à temps »
avec la « méthode kanban » qui permet de limiter les stocks et
donc les coûts s'y rapportant (Shimizu, 1999).
Cette rupture est la suite logique du fordisme et d'un monde
économique et technologique en perpétuel changement, notamment au
travers de crises comme le choc pétrolier qui ont su démontrer
l'efficacité et la résilience du Toyotisme à
l'égard de modèles de production plus anciens (Koichi, 2000), et
ne cessera d'inspirer les entreprises à travers le monde qui sauront
progressivement s'approprier les pratiques du Toyotisme, comme le rappellera
Kiochi Shimizu dans son article « Toyota dans l'histoire »,
expliquant alors que « c'est lors du premier choc pétrolier
qu'apparaît la différence entre le système de production de
Toyota (SPT) et le système fordien de production de masse des autres
constructeurs. L'industrie automobile connaît une contraction de 12,1% de
la production de VP, de sorte que les constructeurs deviennent
déficitaires, mis à part Toyota et Honda (premier constructeur de
motocyclettes). Ainsi, les méthodes constitutives du SPT (système
de production de Toyota) commencent à se diffuser à d'autres
firmes » (Koichi, 2000).
Toutefois, le Toyotisme bien qu'ayant permis au Japon
d'être le premier construction mondiale dans les années 80,
passant alors de 19,8% en 1980 à 30,2% en 1991 de part de
véhicules produits sur le marché américain (Koichi, 2000),
n'aura pas su résister à certaines crises structurelles (chute
des ventes en 1982, stagnation de 1985 à 1987 suivi d'une bulle
financière en 1991) contribuant à remettre en cause le Toyotisme
originel pour se diriger vers un nouveau Toyotisme qui souhaite
équilibrer « l'efficience productive » et «
l'humanisation du travail » pour lutter contre de nouvelles
difficultés, à savoir la difficulté du recrutement de
jeunes salariés et le turnover, corrélé alors à la
baisse de la natalité et l'allongement de la scolarité (Koichi,
2000). Peu à peu, ces modifications vont s'étendre et concerner
bientôt « l'aplatissement de la hiérarchie administrative, la
réorganisation du système de gestion du personnel, celle du
régime
11
de conception, la révision de la politique de produits
et de marketing, etc » (Koichi, 2000) afin d'assurer la
compétitivité de l'entreprise sur le marché mondial.
Le Toyotisme aura donc été une étape
intermédiaire entre l'ancien monde ayant intégré la
nécessité d'organiser les processus de production dans une
logique de création de valeur systématique, et un monde plus
contemporain où l'homme, pour des raisons socio-économiques mais
aussi d'efficacité, est devenu le centre et l'acteur majeur des
processus de l'entreprise et de leur performance. Cette évolution
théorique permettra d'aboutir, dès la fin des années 80,
à un nouveau concept encore étudié et appliqué
aujourd'hui, le Lean.
4. Le Lean Mangement
Il est difficile de dater l'invention du Lean puisqu'il peut
être considéré comme une évolution du Toyotisme dont
il reprend nombre d'outils et de méthodes. Toutefois, la première
mention littéraire du Lean semble apparaître dans un article
intitulé « Triumph of the Lean Production System »
sous la plume de l'ingénieur américain John Krafcik (John, 1988),
lequel est tiré de sa thèse, suivi par la suite d'un livre majeur
sur le sujet en 1996, intitulé « Lean Thinking »
(James P. Womack, 1996). Ce livre offrira un apport considérable aux
théories Lean, notamment concernant la définition de 5 principes
clés au Lean :
- « La valeur » qui consiste en une
compréhension détaillée de la valeur que le client attache
à un produit ou un service, ce qui permet ensuite de déterminer
le prix à fixer qui peut être atteint en éliminant les
pertes issues du fonctionnement du processus. La « valeur est
créée par le production. Depuis le point de vue du client, c'est
ce pourquoi le producteur existe [...] Le point de départ critique de la
pensée Lean est la valeur » (James P. Womack, 1996).
- « La chaîne de valeur » qui comprend le
cycle de vie complet du produit, de la matière première à
l'usage du client. En intégrant cette connaissance dans l'entreprise,
cette dernière peut commencer à éliminer le gaspillage,
autrement appelé le « Muda » (tout ce qui est sans
valeur) (James P. Womack, 1996).
- « Le flux » qui concerne la chaîne de valeur
du processus de production où un ensemble de tâches s'effectuent
les unes après les autres. Cette compréhension est
également une autre manière de réduire les gaspillages
(James P. Womack, 1996).
12
- « Le flux poussé » visant à
s'assurer que rien n'est fait à l'avance tant que le client ne l'a pas
commandé. Ce principe exige une importante flexibilité (James P.
Womack, 1996).
- « La perfection » qui s'intéresse ici
à l'amélioration continue qui consiste en un état d'esprit
des praticiens du Lean qui cherchent constamment la perfection dans leurs
fonctions et la suppression des gaspillages. « Il apparaît à
ceux qui sont impliqués qu'il n'y a pas de fin dans le processus de
réduction des efforts, du temps, de l'espace, des coûts et des
erreurs tout en offrant un produit qui est toujours plus proche de ce que le
client veut réellement. » (James P. Womack, 1996).
Ainsi le Lean Management est venu rajouter un nouvel
élément, à savoir le client qui dans cette approche se
retrouve au centre des processus clés de l'entreprise. En effet, la
performance n'est plus seulement question de la bonne implication des
salariés et de la chasse au gaspillage, mais aussi et surtout de la
capacité de l'entreprise à identifier et comprendre clairement
les besoins du client qu'elle sert.
Ces principes sont aujourd'hui étrangers à peu
d'entreprises, mais certaines ont tenté de pleinement se les approprier
afin d'accroître leurs performances mais aussi d'assurer leur
pérennité. Que ce soit via des projets ambitieux, une rigueur
managériale ou une certaine adaptabilité, il n'existe pas une
manière de faire Lean mais plusieurs, et Michelin a su s'approprier et
développer pleinement son propre Lean.
B. Le déploiement du Lean chez Michelin
Si historiquement le Groupe a toujours cherché à
accroître sa performance que ce soit par la mise au point de produits
révolutionnaires, un développement à l'international ou
l'amélioration de ses processus opérationnels, le Lean s'est
progressivement étendu chez Michelin en commençant par un
déploiement dans l'industrie (1), suivi d'un déploiement dans les
activités de service (2) et également des projets à venir
pour le Lean aujourd'hui et demain (3).
1. Le déploiement dans l'industrie
Michelin n'a évidemment pas attendu les
premières initiatives Lean pour prendre en considération la
nécessité d'organiser mieux l'ensemble de ses activités.
En effet et dès le début
13
du XXe siècle on retrouve en France des ouvrages
traitant du Taylorisme (Moutet, 1997), mais ce n'est véritablement
qu'après la première guerre mondiale que ces méthodes vont
intéresser les entreprises, notamment à l'issue d'un conflit
désastreux pour l'économie créant le besoin de redresser
cette dernière.
Ce n 'est toutefois véritablement qu'en 1910,
après un voyage d'études aux Etats-Unis, que Marcel Michelin
initie l'entreprise Michelin aux principes de l'organisation scientifique du
travail (Taylor F. F.). De ces travaux découleront l'apparition du
chronométrage, la réorganisation des ateliers de fabrication avec
de la planification en vue de « accroître la production, baisser les
prix de revient et enfin garantir un haut niveau de qualité de ses
produits » (Tesi, 2008).
Concernant le Lean management cependant, ce n'est qu'à
partir de 2004 que Michelin se lance dans l'aventure avec le lancement d'une
démarche : le « Michelin Manufacturing Way » (Michelin, 2014).
En déployant cette démarche, tout d'abord au sein des usines
Michelin, le groupe a souhaité accroître ses performances par la
mise en place d'une structure plus responsabilisante invitant à
structurer les usines en « îlots », affectant ainsi « une
équipe pour un produit » (Michelin, 2014), mais en déployant
également de nombreux outils du Lean, mais aussi d'autres plus propres
à Michelin. On notera par exemple :
- Le SMQDCP (Sécurité, Machine, Qualité,
Délai, Coût, Progrès) cadrant ainsi la performance dans 6
domaines particulièrement bien délimités (Michelin,
2014)
- Un articulation entre la pratique du GEMBA, la
résolution de problème et la définition de standard de
réaction au moyen d'un « triangle vertueux » (Michelin,
2014)
- Le KAIZEN avec la mise à disposition d'outil
progrès sous des dénominations spécifiques telles que le
BIB ADC, BIB Boost, BIB Flex... (Michelin, 2014)
A cette approche purement « outil » est venue se
greffer une autre invitant à prendre de la hauteur, celle consistant
à créer des « organisation responsabilisantes » avec
des « équipes autonomes au service de leurs clients »
(Michelin, 2014). Il s'agissait en effet de développer l'engagement et
l'autonomie des salariés en travaillant sur des concepts comme la
reconnaissance, l'agilité, le respect et le développement des
personnes. Pour la première fois, l'humain et en particulier le
salarié Michelin se retrouve au centre de cette initiative et de son
déploiement au sein du Groupe.
La démarche bien que pouvant paraître tardive
n'est toutefois par anodine chez Michelin puisque Edouard Michelin,
Président du Groupe Michelin depuis sa création déclarait
déjà en
14
1928 que « un de nos principes est de donner la
responsabilité à celui qui accomplit la tâche car il sait
beaucoup de choses sur la question et cela lui révèle souvent des
capacités dont il ne se doutait pas et qui le font avancer. »,
à une époque où il n'était guère commun de
donner une telle importance à l'homme dans les processus de production.
Cette prise de conscience témoigne alors de la volonté du Groupe
de s'appuyer sur son capital humain pour accroître sa performance
Ainsi, l'objectif derrière cette démarche se
dévoile véritablement une première étape
d'instauration du Lean mais aussi de transformation en profondeur des usines
Michelin avec des résultats positifs très rapidement
perçus entre 2013 et 2012 (Michelin, 2014) :
- Diminution de 50% des accidents du travail mineurs sur site
à Bad Kreuznach en Allemagne (Michelin, 2014)
- Réduction des Non-conformités de 13% à
6%, et augmentation de la polyvalence de 16% à Olsztyn en Pologne
(Michelin, 2014)
- Diminution de 2 à 3 jours du temps nécessaire
sur un nouveau poste pour arriver à la production nominale (Michelin,
2014)
Toutefois, cette transformation a été
souhaitée sous un certain nombre de dénominations visant à
remplacer les termes originaux du Lean. Ainsi et pour ne pas parler de Lean
Management, Michelin choisira de parler de « Michelin Manufacturing Way
» et au lieu des 5S on parlera de « Bib Standards ». Il
s'agissait en effet, d'après Yves Serughetti intégré
à l'équipe progrès de Frédéric
Thévenet chez Michelin, de s'adapter au contexte Michelin où la
culture d'entreprise est très forte et donc plus facilement via des
outils et méthodes qui viennent emprunter des noms connus de
l'entreprise (« bib » en référence à
l'emblème de Michelin : le bibendum) (Serughetti, 2019).
Ce premier déploiement servira de socle à ceux
à venir dans le reste du Groupe et notamment les activités de
service avec un projet majeur initié en 2013, le projet efficience, ou
« Michelin Efficiency Way ».
2. Le déploiement dans les activités de
service
Constatant rapidement l'efficacité de son
déploiement dans les usines, le Groupe a décidé de
déployer l'approche Lean dans les activités de service au travers
d'un nouveau projet, le projet
15
EFFICIENCE, ou « Michelin Efficiency Way » ou encore
« Michelin Way » en 2013, avec comme objectif de tirer tous les
avantages de l'approche Lean.
En effet et au vu des résultats atteints dans
l'industrie, le groupe Michelin a choisi d'enclencher la vitesse
supérieure en diffusant le Lean dans l'ensemble des activités du
Groupe et non plus seulement les activités industrielles. Toutefois le
choix du déploiement du Lean dans les activités de service s'est
voulue moins systématique et davantage à l'initiative des
services et managers les composants avec l'idée que « l'entreprise
met à disposition le Lean sans rien imposer » (Thevenet, 2020).
L'approche du projet Michelin Efficiency Way suppose un
déploiement en 3 phases (Michelin, 2016) :
- Le « Monitoring » qui vise à faire
implémenter un ensemble de standards dans l'équipe qui choisit
d'initier la démarche Michelin Way (Michelin, 2016).
- Le « Empowerment » qui vise à
responsabiliser davantage l'équipe qui initie la démarche
Michelin Way ainsi que chacun des membres qui la compose (Michelin, 2016).
- Le « Continous Improvement » afin que
l'équipe soit autonome et en mesure de gérer ses propres
performances et surtout ses propres axes d'amélioration qu'elle fixe et
suit chaque année (Michelin, 2016).
Les principaux bénéfices d'une telle approche,
issus d'une application qui s'inscrit dans la durée et avec la
participation de l'ensemble de l'équipe, sont décomposables dans
les trois éléments suivants :
- Pour les salariés en leur permettant
d'acquérir une plus grande expertise, de la polyvalence et enfin de la
responsabilisation visant à dégager de la valeur tout en veillant
à leur bien-être (Michelin, 2016).
- Pour les clients, internes et externes, en garantissant un
meilleur taux de service (Michelin, 2016).
- Pour l'entreprise en assurant la réduction des
gaspillages et des délais de traitement administratifs et informatiques,
ainsi qu'un accroissement de la performance et de la qualité de service
des équipes (Michelin, 2016).
De manière globale, il s'agissait d'intégrer les
fonctions non-industrielles du groupe Michelin dans la dynamique
d'amélioration continue afin qu'elles contribuent à la
création de valeur et
16
à l'efficience globale tout en facilitant
l'échange entre ces fonctions (Michelin, 2016), une volonté
claire de placer l'humain au centre du processus de déploiement de cette
approche dans l'ensemble du Groupe Michelin.
Ainsi, le projet Michelin Way a été l'occasion
d'expérimenter pour la première fois le déploiement de
principes Lean hors de l'industrie, bien que le succès de cette
initiative reste partiel mais offrant cependant un premier pas ayant
initié et diffusé un ensemble de pratiques, par effet de
capillarité, de plus en plus partagées au niveau du Groupe afin
de tendre vers une diffusion d'une culture Lean à l'ensemble de
l'entreprise (Thevenet, 2020).
Enfin et surtout, cette première démarche dans
les activités non-industrielles s'est voulue être l'initiateur de
nouvelles démarches et initiatives reposant alors sur des concepts et
une culture communément partagée, d'autant plus nécessaire
qu'elle offre alors des concepts et un vocabulaire commun et donc facilitateur
d'échange et de promotions de ces démarches entre les
différents services et équipes qui restent bien évidemment
libre dans le déploiement du Lean (Thevenet, 2020).
3. Le Lean aujourd'hui et demain
La diffusion du Lean chez Michelin aujourd'hui n'est donc pas
absolue mais en tout cas suffisamment partagée et ancrée dans
certaines équipes pour qu'il puisse continuer à se diffuser dans
les activités de service. En effet chez Michelin le « Lean est
bienvenu partout mais développé nulle part, le souhait est de
développer une culture, ce qui est important n'est pas tant les
succès rencontrés mais la diffusion de la pensée »
(Thevenet, 2020).
Il y a donc une logique de temps long qui place l'humain au
centre de cette démarche dans la mesure où le succès de
cette dernière ne peut être que fonction de son acceptation par
les salariés et à terme de sa promotion plutôt que de son
déploiement. En effet, il s'agit non pas de contraindre les
salariés à appliquer des méthodes et outils dont ils ne
comprennent le sens, mais bel à bien à se les approprier en
fonction des opportunités qu'ils souhaiteraient saisir via le
déploiement d'une approche Lean et avec le support des experts
progrès en la matière.
Cet état d'esprit est également à
l'origine de nombreuses autres initiatives pas nécessairement
liées directement au Lean mais qui en reprennent systématiquement
les formules (client, salariés et performance), tout en les adaptant
à la réalité du terrain des activités
non-industrielles qui diffère évidemment de celles des usines,
avec par exemple le cas des réunions d'équipes où
17
un « point de 5 minutes quotidien dans l'industrie, mais
un point hebdomadaire pour une équipe comptable »,
considérant que « le Lean doit s'adapter à son environnement
» (Thevenet, 2020).
Cependant, les enjeux restent toujours les mêmes,
à savoir la satisfaction client, la recherche de performance ainsi que
la responsabilisation et le bien être des salariés décrit
comme un « triangle » que l'on cherche à équilibrer
« par la réduction du gaspillage » et « la recherche des
éléments qui n'ont pas de valeur ajoutée » (Thevenet,
2020).
Ainsi et après les résultats de la
démarche « Michelin Efficiency Way », le groupe a
décidé de lancer un nouveau chantier : le projet « Simply
». Plus global et moins localisé, « SIMPLY MICHELIN, est un
projet Groupe, d'analyse en profondeur et de simplification de nos modes de
fonctionnement et de décision (ceux du Groupe Michelin), en nous
appuyant sur la réalité du terrain, pour améliorer la
satisfaction de nos clients, de nos employés, et au service de notre
compétitivité » (Michelin, 2020). Ce projet initié
très récemment se pose donc la continuité de la
démarche « Michelin Efficiency Way », passant ainsi d'un cadre
volontaire et localisé, à un cadre global au sein du Groupe.
En effet, et si une fois encore à des principes
théoriques que sont le Lean Michelin y préfère une
dénomination qui lui est propre pour s'approprier ces derniers et les
outils et méthodes qui en découlent, on retrouve cependant dans
les objectifs des points du projet « Simply » communs au Lean :
- « Simplifier radicalement les activités et les
processus pour réduire le stress, stimuler l'engagement de chacun
d'entre nous et offrir un meilleur service à nos clients »
(Michelin, 2020), ce qui revient à plusieurs principes du Lean que sont
la réduction du gaspillage, le bien-être et l'implication des
salariés, et la satisfaction client.
- « Garantir une compétitivité à
long terme et durable fondée sur un changement de comportement » et
« mettre en oeuvre une transition globale » (Michelin, 2020),
reprenant ainsi la ligne du Lean qui vise à assurer la performance de
l'entreprise.
Toutefois ici, la rupture est radicale en ce que l'entreprise
entend mobiliser « 9000 contributeurs pour les Forums » et «
25000 pour le questionnaire en ligne », cherchant ainsi à ce que
les contributeurs « challengent le statu quo » (Michelin, 2020) et
permettent d'identifier les axes d'amélioration des processus auxquels
ils prennent part dans leur quotidien opérationnel dans démarche
unique par sa dimension.
18
Ce revirement impressionnant, issu d'une volonté de
vouloir développer les acquis des démarches Lean
précédentes et de renforcer la capacité du Groupe, vise
à transformer radicalement Michelin face à un monde et des
marchés qui ne cessent d'évoluer et de changer rapidement, en
particulier sur la question de la digitalisation qui repose sur des enjeux
majeurs et un chantier colossal voulu par la Direction du Groupe.
19
II) La digitalisation comme nouvel enjeu de ces
transformations
« Innover c'est facile, la difficulté c'est de
transformer une innovation en vrai business » (Michael Dell, fondateur de
Dell). Si l'arrivée en masse de nouvelles technologies numériques
dans notre quotidien n'est plus un secret pour personne, il reste en revanche
un défi de transformation et d'adaptation majeur pour les entreprises.
Ce processus issu du développement des technologies du digital (A) a
durablement changé l'économie et les entreprises, entrainant donc
tout naturellement Michelin dans la digitalisation (B).
A. Le développement des technologies du
digital
Ce développement repose avant tout sur
l'évolution des technologies du numériques (1) qui ont eu des
impacts sur l'économie et les entreprises (2). Cette situation toute
particulière, au-delà des nécessités de
transformation qu'elle impliquait, a vu l'émergence d'entreprises
data-driven (3).
1. L'évolution des technologies
numériques
Il nous serait difficile de parler de numérique et de
digitalisation sans définir au préalable ce que l'on peut
entendre par « technologie numérique ». Comme nous l'avons vu
lors de notre introduction, le terme de « digital », avec comme
équivalent français « numérique », renvoie au
traitement informatique (Legrenzi, 2015).
Il faudrait donc s'appuyer sur le concept de «
révolution numérique », qui regroupe habilement la notion de
« révolution » qui comprend un « changement brusque,
d'ordre économique, moral, culturel, qui se produit dans une
société » selon le Larousse, et la notion de «
numérique ». En ce sens, on peut donc comprendre que le traitement
informatique entraîne un changement profond de nos sociétés
et des acteurs qui les composent, et donc des entreprises.
Mais le numérique a son histoire qui ne tient pas
à l'invention du premier ordinateur, et si l'on retrouve des outils
automatisés de calculs très anciens, comme le boulier dès
l'antiquité (Ball, 2001), la machine d'Anticythère datée
de 87 avant Jésus-Christ (Price, 1959) ou encore la pascaline issue de
son inventeur Blaise Pascal datée de 1645, on ne peut raisonnablement
parler
20
d'ère du numérique et des ordinateurs modernes
qu'à la suite de la seconde guerre mondiale qui apporta nombre
d'innovations avec notamment le calcul numérique qui s'imposa face au
calcul analogique.
Après de nombreuses innovations avant tout militaire
durant la seconde guerre mondiale, comme par exemple la machine de chiffrement
électromagnétique à cylindre Enigma utilisée par
l'armée allemande, ou encore Colossus Mark 1, un calculateur
électronique développé par le Royaume-Uni et
utilisé dès 1943 pour déchiffrer les codes de la machine
Enigma, nous pouvons dire que le premier ordinateur qui voit le jour est
l'Electronic Numerical Integrator And Computer (ou ENIAC) crée en 1945
à l'intiative de John William Mauchly bien que la mise au point de cet
outil sera financé par l'armée américaine (Michael
Riordan, 1999), considéré comme tel notamment car premier
instrument de calcul entièrement électronique.
Dès lors, les ordinateurs initialement destinés
à des usages militaires tomberont progressivement dans le civil à
la suite de la commercialisation d'ordinateurs dès le début des
années 50 avec le modèle Ferranti Mark 1 qui sera le premier
ordinateur électronique vendu de l'histoire en 1951 comptant neuf
exemplaires écoulés jusqu'en 1957 (Lavington, 1998). Ces
débuts de commercialisation s'accompagnent de découvertes
majeures qui vont également contribuer grandement d'une part au
développement de la performance des ordinateurs mais aussi de leurs
usages. En effet, en 1947 l'invention du transistor par des chercheurs des
laboratoires Bell (The Nobel Prize in Physics 1956, 2014) offrira au monde de
l'informatique un nouveau composant plus petit et plus fiable, et donc
utilisable pour accroître les performances, lequel entraînera une
deuxième génération d'ordinateurs avec des modèles
toujours plus performants et plus petit.
Par la suite, l'invention du circuit intégré en
1957 par l'américain Jack Kilby (rédaction, 2010), marquant le
passage à la troisième génération des ordinateurs,
offrira une fois encore des performances de calcul améliorées
mais surtout une capacité de réduction de l'espace occupé
par les composants d'un ordinateur et donc de sa taille générale.
Cela ouvrira la voix au développement de « mini-ordinateurs »,
« Machine informatique s'inscrivant de par sa puissance et/ou son logiciel
entre les micro-ordinateurs et les ordinateurs classiques » (Centre
National de Ressources Textuelles et Lexicales, 2014) avec des outils dont la
taille se situe donc à mi-chemin entre celle de nos ordinateurs
personnels et les ordinateurs imposants dédiés aux calculs
(pouvant occuper plusieurs mètres carrés de surface dans une
pièce). Le succès de ce type d'ordinateur sera de courte
durée, déclinant ainsi à la fin des années 80 au
profit des ordinateurs personnels (Paul Bocij, 2008).
21
Enfin la quatrième génération
d'ordinateurs sera celle issue de l'invention du micro-processeur par la
société Intel en 1971 (Le second xxe siècle : (1939-2000)
: les 12 thèmes-clés) qui permettra d'aboutir d'un part à
la mise au point de supercalculateurs, et d'autres part à celle des
ordinateurs personnels qui se sont grandement répandus dans nos foyers
ces dernières décennies.
A cela s'ajoute en parallèle une innovation tout aussi
révolutionnaire et également liée au développement
des ordinateurs personnels : Internet.
C'est à partir d'un projet du département
américain de la Défense qui cherchait à créer, au
cours des années 60, un réseau de télécommunication
décentralisé capable de fonctionner malgré des coupures de
lignes et destructions de certaines infrastructures, que l'on aboutira en 1969
au projet « Advanced Research Projects Agency Network (ARPANET) »
(Ghernaouti, 2012), l'ancêtre d'internet.
A la fin des années 80, l'administration des Etats-Unis
finance et met en place des centres informatiques surpuissants permettant
à des utilisateurs de se connecter au réseau ARPANET et d'y
échanger des ressources numériques (Ghernaouti, 2012), mais ce
n'est véritablement qu'à partir des années 1990
qu'apparaît le « web », élément le plus connu
d'Internet qui n'est en réalité qu'une application d'Internet
(Française, 2019), un système hypertexte révolutionnaire
permettant à l'aide d'un navigateur de consulter des pages
associées à des sites Internet et reliées entre elles.
Cet outil ne cessera de se développer au cours des
années qui suivront, devenant de plus en accessible à tous par le
développement dans le même temps des ordinateurs personnels et
autres outils technologies permettant d'accéder au web. Ainsi en 2018,
le nombre d'utilisateurs d'Internet a dépassé les quatre
milliards (Annexe 1, page 3) alors qu'il n'était que de trois milliards
en 2014 (Shutterstock, 2014), lesquels ont dépensé en moyenne 25%
de leurs temps quotidien sur Internet (Annexe 1, page 3).
A cette diffusion vertigineuse s'ajoute également
d'autres éléments chiffrés pertinents comme le fait qu'en
2017, deux cents millions de personnes recevaient le premier outil mobile de
connexion à distance alors que 68% de la population possédait
déjà son propre téléphone mobile (Annexe 1, page
7). Ceci démontre donc, en plus de développement d'Internet que
les outils permettant son accès partout se sont tout autant largement
répandus dans la population mondiale.
22
Ces développements techniques issus donc de la
révolution numérique ont marqué une rupture fondamentale
dans nos économies et nos sociétés, mais ce qu'il faut
retenir de cela n'est pas tant le génie de ces inventeurs qui auront
changé le XXème siècle, mais surtout la mise à
disposition pour chaque individu d'outils interactifs, performants et en
communication avec leur environnement d'une telle manière que
l'accès à divers produits de consommations et services n'a jamais
été aussi rapide et étendue, de la même
manière que les entreprises y ont trouvé un levier important
d'amélioration de leurs performances internes et de leurs business. Ces
outils ont par voie de conséquence eu des impacts considérables
sur l'homme et les organisations.
2. Les impacts sur l'économie et les entreprises
L'homme du XXIe siècle aura été
profondément transformé dans son rapport à son
environnement. En effet, il n'a jamais été aussi facile de
communiquer et d'échanger à travers le monde, et tout cela
parfois depuis notre poche à l'aide d'un Smartphone. Cette rupture peut
être considérée comme telle à la lumière de
l'analyse de Damien Tampling, Directeur Stratégique et Groupe chez Xero,
qui rappelait que « la vraie innovation de rupture change la façon
dont on rend un produit ou un service plus accessible et plus abordable »,
et c'est ce qu'aura été la révolution numérique
pour l'homme mais aussi pour les organisations.
En effet, aujourd'hui le secteur est le premier poste de
dépense des entreprises, avec un montant « entre 10% à 30%
du budget annuel de fonctionnement pour le secteur industriel et 30 à
50% voire plus pour le tertiaire » (Legrenzi, 2015), et cela peut se
comprendre aisément dès lors que l'on constate l'ampleur qu'ont
pris les technologies digitales sur notre quotidien, dans lequel « nous
effectuons dorénavant nos virements bancaires depuis notre domicile,
nous louons un logement pour notre prochain séjour de vacances ou
déplacement professionnel, nous commandons pour le soir même un
repas sur mesure, nous offrons une place libre dans notre voiture pour un
trajet déterminé, nous louons notre appartement à des
vacanciers » (Haeperen, 2017/3).
Et au-delà de ces changements d'habitudes, de nombreux
chiffres tendent à faire apparaître des tendances au sein de nos
sociétés. Comme nous l'avons vu précédemment, la
diffusion des accès à Internet et des outils mobiles le
permettant au sein des populations concerne plus de la moitié de la
population mondiale, et la croissance d'année en année n'en reste
pas moins importante. Ainsi et entre 2017 et 2018, on notera les chiffres
suivants :
23
- 53% de la population mondiale utilisant internet en 2018,
soit une progression de 7% par rapport à 2017 (Annexe 1, page 7-8).
- 42% de la population mondiale utilisant les réseaux
sociaux, avec une progression de 13% par rapport à 2017 (Annexe 1, page
7-8).
- 68% de la population mondiale possède son propre
téléphone mobile, avec une progression de 4% par rapport à
l'année précédente (Annexe 1, page 7-8).
- 39% de le population mondiale utilisant les réseaux
sociaux à l'aide d'un téléphone mobile, avec une
progression de 14% par rapport à 2017 (Annexe 1, page 7-8).
Pour rappel, la population mondiale sur la même
période connaissait une évolution de 1,1%. Ainsi et
derrière ce changement de situation, il y a donc nécessairement
un changement de comportement et donc de rapport des individus à
l'économie. Et toujours selon la même étude, ces
indicateurs nous renseignent sur certaines tendances qui attestent et
confirment les changements de nos économies :
- Se recentrer sur les besoins et la volonté des clients
(Annexe 1, page 9).
- Se concentrer sur la création mutuelle de valeurs
ajoutée (Annexe 1, page 9).
- Rendre le processus d'achat en ligne aussi facile que possible
(Annexe 1, page 9).
- Exploiter les outils digitaux pour maintenir le contact
même après l'acte d'achat
(Annexe 1, page 9).
Ces tendances issues de l'étude « Global Digital
Report 2018» nous renseignent assez clairement sur l'évolution des
habitudes de consommations et attentes des consommateurs, et à
l'opposée sur le positionnement des entreprises en ce sens qui dans le
même temps se sont retrouvées face au développement d'un
nouveau type d'activité, le e-commerce. Entendu comme une pratique qui
« regroupe l'ensemble des transactions commerciales s'opérant
à distance par le biais d'interfaces électroniques et digitales.
» (Barthelot, 2020), le e-commerce naît dans les années 90
avec des outils technologique comme le Minitel en France (Bégasse,
2012), le développement d'Internet et la naissance d'entreprises
exclusivement fondée sur ce type d'échange commercial comme
Amazon ou encore EBay. Dès cette époque, le e-commerce de se
développer et transformant nos économies, avec quelques chiffres
clés suivants pour l'année 2018 :
- 23,5% de la population mondiale a déjà
effectuée un achat en ligne via le e-commerce, avec une augmentation de
8% par rapport à 2017 (Annexe 1, page 131).
24
- Le montant total de ces dépenses se chiffres à
1474 milliards de dollars (+16% par rapport à 2017), avec une
dépense moyenne de 833 dollars par consommateurs ayant eu recours au
moins une fois au e-commerce (+7% rapport à 2017) (Annexe 1, page
131132).
Ces chiffres et croissances attestent de transformations
profondes invitant les entreprises à renouveler leurs offres et à
repenser leurs relations clients.
Mais aussi et bien au-delà de ça, la
digitalisation n'est pas uniquement une affaire de changement dans les
relations entre l'entreprise et son client, mais aussi du fonctionnement
interne de l'entreprise cherchant à accroître sa performance. En
effet, la digitalisation a tout autant posé de contraintes qu'offert
d'opportunités aux entreprises et dont la transformation fut parfois
vitale.
Ainsi et comme vu dans notre introduction, une récente
étude d'Ernst et Young de 2014, cabinet d'audit financier et de conseil
les plus important au monde, rappelé qu'en 2030 60% des métiers
qui seront exercés n'existent pas encore (Ernet & Young, 2014) tout
en publiant une dautres études sur la question de la transformation des
entreprises démontrant l'intérêt croissant de ces
dernières en la matière. En effet, dans son étude «
Le courage de transformer » de 2019 menée auprès de 254
managers d'entreprises de plus de 1000 salariés, nous constatons que ces
transformations sont pour 42% motivées par la volonté de saisir
les opportunités offertes par le digital quand par ailleurs 75% d'entre
elles annonçaient que le digital concernait au moins 25% du contenu de
leurs transformations (annexe 2, page 10). Ces transformations s'inscrivent
également dans la poursuite d'objectifs, parmi lesquels majoritairement
:
- « La volonté d'améliorer la satisfaction
des clients » pour 48% des sondés (annexe 2, page 9).
- « La volonté d'optimiser les processus ou la
productivité » pour 47% des sondés (annexe 2, page 9).
- « La pression concurrentielle qui implique une
adaptation du business model » pour 44% des sondés (annexe 2, page
9).
Et non content d'atteindre ces objectifs, les entreprises
trouvent de nombreuses plus-values dans cette transformation dont les plus
importantes sont :
- « Une réduction des coûts » pour 45% des
sondés (annexe 2, page 13).
25
- « L'amélioration de la satisfaction des clients
» pour 31% des sondés (annexe 2, page 13).
- « L'amélioration du pilotage de la performance
(industrielle, administrative) » pour 28% des sondés (annexe 2,
page 13).
Enfin et au travers de ces projets de transformation, les
difficultés majeures rencontrées par les entreprises sont les
suivantes :
- « Le manque de moyens et de compétences
mobilisées » dans 45% des cas (annexe 2, page 21).
- « Le manque d'engagement et de mobilisation des
équipes » dans 33% des cas (annexe 2, page 21).
- « Le manque de sens, de vision stratégique,
d'engagement porté par la direction générale » dans
29% (annexe 2, page 21).
Dès lors, si la valeur ajoutée majeure des
transformations incluant intégralement ou partiellement du digital
semble être celle de l'accroissement de la productivité, de la
satisfaction client et la réduction des coûts, conformément
aux objectifs initiaux de ces entreprises, on constate en parallèle de
ça que les principales problématiques sont issues d'une manque de
vision, d'engagement et de personnes qualifiées impliquées dans
ces transformations. Si les enjeux de la digitalisation nous apparaissent
clairement, il semblerait que les défis à relever soient avant
tout humain.
Et dans ce contexte parfois confus du fait de sa
rapidité et des changements profonds qu'il impose aux entreprises
d'aujourd'hui, certaines d'entre elles sont parfois parvenues à profiter
des opportunités de cette digitalisation au point d'en faire de
véritables avantages compétitifs : les entreprises
data-driven.
3. L'émergence d'entreprises data-driven
Cette révolution numérique et les outils qu'elle
a transporté dans son sillage auront permis l'apparition d'entreprises
à dimension mondiale, connu du grand public et
généralement regroupé sous l'appellation «
Géants du Web » que l'on retrouvera tout d'abord sous un acronyme
désignant 5 entreprises : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon,
Microsoft). Ce phénomène GAFAM observé dès les
années 2000 (Vitali-Rosati, 2018)
26
regroupe des entreprises possédant une part importante
de marchés liés aux technologies numériques :
- 57% des part de marché du Cloud en en 2019
étaient détenus par Google, Amazon et Microsoft (Crochet-Damais,
2019)
- 95% des systèmes d'exploitation pour ordinateurs de
bureau, et la quasi-totalité de ceux
pour téléphones mobiles, sont détenus par
Microsoft et Apple (Net Marketshare, 2019) - 80% du marché des
navigateurs web sont détenus par Microsoft et Google (Net
Marketshare, 2019)
- En 2019, quatre des dix applications les plus
téléchargées appartenaient à Facebook (Cnews,
2019)
D'un côté et plus récemment, d'autres
entreprises surfant sur la révolution numérique ont su
émerger aux côté de des GAFAM au point même, du fait
de leurs croissances rapides dans divers domaines, de devenir de sérieux
compétiteurs. Ces entreprises se retrouvent regroupées sous
l'acronyme NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui, ne pouvant jouir à
l'origine de leur création du monopole des GAFAM pionnières sur
certains marchés du numérique, ont su innover et se positionner
en rupture de certains business (Haski, 2019). Mais leurs développements
n'en restent pas moins le fruit d'une profonde intégration des enjeux et
opportunités liées à la digitalisation. Ainsi, on
retrouvera par exemple :
- Le recours intensif aux données issues du Big Data par
Uber et Netflix, l'un pour
optimiser la tarification des trajets (distance,
affluence...), l'autre pour constamment proposer du contenu vidéo plus
proche des attentes de ses utilisateurs (L, 2016).
- L'existence d'une fonction de commande automatique de
pièces défectueuses pour les propriétaires de voiture
Tesla (Benhammouda, 2019).
Ce faisant, il semblerait que l'atout des NATU par rapport
à leurs homologues plus anciens que sont les GAFAM semble être,
au-delà de la maîtrise des technologies numériques, une
compréhension profonde des attentes de clients comme pilier central
à tout processus de digitalisation et décisionnel, à tel
point qu'il n'est pas anodin de voir le nom de ces entreprises apparaître
dès que l'on parle d'entreprises « data-driven ». Dans ce
contexte, il ne s'agit plus de se digitaliser pour jouir des avantages de
technologies innovantes et nouveaux marchés qui en découlent,
mais de répondre toujours mieux aux attentes du client.
Les entreprises « data-driven », que l'on peut
traduire par « pilotées par la donnée », sont des
entreprises comme les autres en apparence (organisation humaine tournée
vers un objectif de
27
profitabilité) si ce n'est qu'elles ont su pleinement
s'approprier les enjeux et opportunités de la digitalisation. En ce sens
et pour pouvoir définir ce que peut être une entreprises
data-driven, il faudrait tout d'abord comprendre le terme « data-driven
» qui renvoie à « la construction d'outils, de
capacités, et, plus important, une culture tournée vers la
donnée » (Anderson, 2015). En ce sens, on constate qu'il ne s'agit
pas seulement d'être une entreprise disposant d'outils performants et
d'indicateurs extrêmement précis pour le pilotage de leurs
business, mais aussi et surtout des organisations où chaque individu
s'approprie les enjeux et bénéfices de la digitalisation.
L'aspect humain de l'entreprise data-driven se retrouve
d'autant plus confirmé qu'un récent sondage de NewVantage
Partners de 2019, intitulé « Big Data and AI Executive Survey 2019
» mené auprès de 64 dirigeants exécutifs de grande
entreprise à démontrer que le facteur humain était l'une
des raisons majeures des échecs des projets de transformation de ces
entreprises en entreprise data-driven. En effet, 72% des participants
estimaient qu'ils n'avaient pas réussi à forger une culture
« data » dans leurs entreprises quand dans le même temps 69%
d'entre eux révélaient également qu'ils n'étaient
pas parvenus à créer une organisation « data-driven »
(Bean, 2019).
Il apparaît donc que la volonté de devenir une
entreprise « data-driven » est une démarche de digitalisation
exigeante, bien souvent couronnée d'échec, et qui repose avant
tout sur la prise en compte de l'aspect humain de tout processus de
digitalisation qu'une entreprise souhaite déployer mais aussi et surtout
sur la compréhension des besoins clients qui ne peuvent qu'être
autrement placés au centre de tout processus décisionnel. En
effet et dans ce cadre, la digitalisation n'est plus seulement une question de
gain de performance de ses processus internes et externes à l'aide de
technologies numériques révolutionnaires, mais plutôt une
démarche basée sur la prise en compte de facteurs allant bien
au-delà des contraintes techniques inhérentes aux solutions
digitales, à savoir l'humain et le client.
B. Michelin dans la digitalisation
La prise en compte des intérêts
stratégiques du digital chez Michelin est avant tout le fruit d'une
volonté claire du groupe de prendre à bras le corps les enjeux du
monde de demain. En ce sens, cette volonté a été
marquée par la prise en compte du digital (1) et le déploiement
de la digitalisation (2) au sein du Groupe.
28
1. La prise en compte du digital
Parfois perçu à tort ou à raison en
interne comme une entreprise qui tarde à se mettre en marche avec la
digitalisation, le Groupe Michelin a cependant été classé
7e entreprise du CAC 40 dans un classement visant à
déterminer quelles étaient les entreprises les plus
digitalisées mais surtout, si on tient compte des seules entreprises
industrielles, comme numéro 1 de cette catégorie (Manceau,
2019).
Cette relation avec les technologies numériques tient
probablement à l'histoire de Michelin qui s'est voulu, tout au long de
sa construction, être une entreprise innovante dans les domaines du
pneumatique mais parfois dans son fonctionnement interne. Ainsi, c'est à
ce titre que la visite du musée de l'entreprise Michelin «
l'Aventure Michelin » à Clermont Ferrand nous offre une exposition
présentant l'acquisition d'un microscope électronique en
transmission par le Groupe en 1948, première entreprise française
à s'en procurer un) cette époque (Michelin, 2020). Cette
technologie permettra à l'entreprise de bénéficier d'une
démarche scientifique améliorée dans la recherche et le
développement de pneumatiques, mais aussi de l'inscrire dans une
volonté de performance dans ce domaine.
Toutefois, on ne peut pas à proprement parler de
digitalisation du Groupe à cette époque dès lors que cela
impliquerait une remise à plat en profondeur de son organisation visant
à numériser l'ensemble de ses processus internes et externes.
Et s'il est difficile de dater précisément la
prise en compte de la révolution numérique comme
opportunité de développement et nécessité
d'adaptation, il n'en demeure pas moins que la question du digital et de la
digitalisation est au centre des réflexions des principaux
décideurs du Groupe et évoquée à chaque
communication de directives et orientations stratégique.
Ainsi et c'est à ce titre que l'on retrouvera la
digitalisation évoquée par exemple dans un rapport semestriel via
la nécessité « d'accélérer la mise en oeuvre
d'un plan de digitalisation global » parmi les orientation visant à
créer de la valeur, mais également au cours d'interventions et
déclaration régulières du Président du Groupe qui
évoquera sans arrêt ces différents enjeux :
- « La transformation numérique va servir de moteur
au développement de notre modèle
stratégique et de notre modèle humain et social.
» (Florent Ménégaux, Digital Week à Clermont-Ferrand
en 2019).
29
- « Florent Menegaux [...] a insisté sur
l'accélération de la transformation digitale de
l'Entreprise, composante indispensable du leadership
technologique et de la proximité avec nos clients » (Michelin,
2019).
Cette prise de conscience a également dans le
même temps donné lieu à l'identification de trois objectifs
clairs pour la transformation du Groupe à l'ère du digital, que
l'on retrouve dans un article « Focus sur la transformation du Groupe
» rédigé par Eric Chaniot, Directeur des Activités
Digitales, qui les déclinait de la façon suivante :
- « Transformer nos business models : réinventer
la manière dont nous commercialisons offres et services à nos
clients ».
- « Faire évoluer nos manières de
travailler : favoriser la collaboration digitale par des outils qui facilitent
le travail en transverse »
- « Faciliter nos processus : la digitalisation est un
levier de simplification pour nos processus »
Une fois encore, nous retrouvons ici trois
éléments majeurs, le client, le salarié et la performance
de l'entreprise via la transformation de certains processus. Plus qu'une
réalité externe, il s'agit ici pour Michelin de prendre toute la
mesure de la digitalisation, tant dans ses contraintes que ses
opportunités. Ainsi, ce même article relève
également quatre tendances qui se dégagent des transformations
environnantes auxquelles Michelin devra se préparer :
- « L'économie de l'abonnement », un
phénomène économique exigeant de la part de Michelin la
création de nouvelles offres pour ses clients dont les habitudes de
consommation vont être amenées à évoluer. En effet,
l'offre de produit et de service Michelin reposant sur des produits
consommables (les revenus des pneumatiques concernant la
quasi-intégralité de son chiffre d'affaires) d'une part, mais
aussi sur des relations avec des professionnels revendeurs, suppose de modifier
en profondeur le rapport de Michelin avec ses clients.
- « La technologie 5G » qui conduira à une
augmentation des objets connectés pour chaque individu, que ce soit chez
eux ou dans leurs voitures. Cela offre donc la possibilité à
Michelin de développer son offre d'une part en créant de nouveaux
produits et services, et d'autre part en s'appuyant plus encore sur ses
portefeuilles clients issus de son activité de vente de pneumatiques.
30
- « L'explosion des datas » qui pousse Michelin
à se fixer comme objectif ambitieux dans les trois prochaines
années de devenir une entreprise data-driven en étant en mesure
de tirer parti de tous les bénéfices et opportunités de la
donnée.
- « L'intelligence artificielle » en augmentant les
capacités de chacun au sein des équipes Michelin, d'une telle
manière que lors de l'interview avec Caroline Ribayrol-Parets,
innovation leader au sein du service DOCBS/BPM, le terme « intelligence
auxiliaire » (Ribayrol-Parets, 2020) lui était
préféré dans la mesure où il s'agit non pas de
remplacer l'homme mais d'accroître ses capacités dans ses
tâches opérationnelles.
Ainsi, nous pouvoir ici que le client, l'humain et la
performance sont au coeur de l'analyse des tendances de la digitalisation par
Michelin qui semble avoir saisi à la fois les opportunités mais
aussi les exigences de la digitalisation, notamment humaines, dans la mesure
où il est question dans ce même article « d'améliorer
l'accès au digital pour tous ».
Mais ces analyses et choix stratégiques ont su et
reposent actuellement sur de nombreux projets et réorganisations
effectués ou encore en cours au sein du Groupe. En effet, de telles
ambitions nécessitent de grands chantiers, en particulier lorsque l'on
voit le nombre d'entreprises échouer à devenir data-driven en
parallèle de l'urgence de l'adaptation à ce nouveau monde et ces
nouveaux marchés, lesquelles passent avant tout par le fait de «
faire évoluer la culture de l'Entreprise » dans le digital.
2. Le déploiement du digitalisation
Très tôt et comprenant les exigences de telles
transformations, Michelin a mis en place un service spécifiquement
dédié à la transformation digitale : la Direction
Corporate des Activités Digitales ou DCAD (Ribayrol-Parets, 2020), mais
aussi à d'autre fonctions liées à la digitalisation
(accès aux données, cybersécurité...). Il
s'agissait de créer une Direction détachée de celle
associée aux systèmes d'information afin de traiter la
digitalisation non pas comme une démarche purement numérique,
mais plutôt comme un processus de transformation et de conduite du
changement au travers d'objectifs définis et projets mis à oeuvre
par l'intermédiaire d'acteurs sur le terrain et répartis au moyen
de réseaux sur les différents sites Michelin présents dans
le monde entier.
L'un des points clés abordés par cette Direction
a été justement de travailler sur la question des emplois et
compétences liées au digital, tout en essayant de travailler en
profondeur sur la
31
culture digitale au sein de Michelin. En effet et comme nous
l'avons vu précédemment, l'absence de compétence est l'une
des raisons majeures de l'échec des projets digitaux de transformation
des entreprises.
Cette approche se décompose en trois parties sous forme
d'étapes chronologiques :
- « Construire les fondations de la transformation
Digitale » comme première étape pour la période de
2016 à 2018 (Michelin, 2019). Au travers de projets comme le digital
Factories & Accelerators et la mise en place de plateformes
pédagogiques et e-learning sur la digitalisation (avec des modules de
formation autour du « Michelin digital Manufacturing », de la «
culture digitale » ...), il s'agit de poser les bases du processus de
transformation digital pour offrir à l'entreprise le début d'une
diffusion d'une culture digitale nécessaire à l'étape
suivante.
- « Devenir une entreprise data-driven » comme
seconde étape pour la période 2019 à 2021 via la
sélection et le déploiement de projets digitaux
spécifiques, qu'ils soient liés à la donnée,
à l'automatisation ou à l'intelligence artificielle. Tout cela
doit également être suivi d'un renforcement de la gouvernance
digitale (Michelin, 2019).
- « Adéquation entre l'intelligence humaine et
artificielle », de 2022 à 2024, afin d'offrir à chaque
processus de l'entreprise tous les bénéfices de la digitalisation
(Michelin, 2019).
Une fois n'est pas coutume, ces ambitions pour une
transformation digitale du Groupe repose avant tout sur l'humain car comme le
rappelait Eric Chaniot, Directeur des activités digitales du Groupe
Michelin, « La transformation digitale, c'est avant tout une question
d'attitude, pas d'outil ou de technologie. C'est 95% de l'humain et 5% de
technologie », que ce soit par l'apparition de nouveaux business pour
Michelin que de la transformation de ceux existants. Et c'est tenant compte de
cela que Michelin, et plus particulièrement DCAD, s'est lancé
dans la définition et l'identification des compétences et
métiers clés de la digitalisation.
La taille relativement conséquente du Groupe Michelin
lui offre à la fois l'opportunité de définir dans le
détail chacune des fonctions et compétences tournant autour de la
digitalisation en fonction des besoins liés à son activité
mais aussi à ceux induit par les exigences de la digitalisation en
termes de processus de transformation de l'entreprise. On retrouvera chez
Michelin différentes initiatives (Michelin, 2019) :
- La définition du « digital talent »,
reposant sur de nombreuses compétences transverses
et des soft skills, mais aussi et surtout une culture digitale
s'appuyant sur des qualités
32
précises comme la curiosité ou la
résilience. Cette image diffusée en interne au sein de Michelin a
servi de support à de nombreuses démarches liées à
la diffusion de la digitalisation au sein du Groupe, autant qu'elle offre aux
salariés la possibilité de croiser leurs propres parcours et
compétences acquises et mises en oeuvre avec cette représentation
synthétique. Si le panel de compétences nous apparaît
relativement large, le Groupe a souhaité rappeler que se définir
comme un digital talent demandait à posséder 2 à 3 des
compétences présentées.
- L'identification de « Digital Métier » au
nombre de 25 et répartis-en 3 familles comprenant « le management
» tourné vers la gestion et la conduite de la transformation
digitale, « la data » relative à toutes les fonctions experte
dans la gestion de la donnée (administration, gouvernance, analyse...)
et enfin « le développement de solutions » pour des
problématiques business. Cette segmentation, en plus de présenter
une liste de métiers permet de comprendre de quelles manières ils
répondent à des besoins concrets au sein du Groupe Michelin.
- L'identification de « compétences
professionnelles digitales » à la fois sur des domaines techniques
(data mining, data visualisation...) mais aussi sur le savoir-être
(orientation client, résilience, initiative...) qui pourront servir de
repère aux salariés souhaitant évoluer vers ces postes
autant qu'aux recruteurs.
Le soucis de l'humain se retrouve donc au coeur du
déploiement de la digitalisation chez Michelin et nombre d'exemple de
projets ont su démontrer combien l'entreprise avait à coeur de
s'appuyer sur ses salariés pour cette transformation. Pour cela
l'entreprise a su développer un réseau international de
gestionnaire de compétences qui, en étant présents sur de
nombreux sites Michelin à travers le monde, sont en mesure de veiller au
bon déploiement des compétences clés voulues par Michelin
(Michelin, 2019).
L'enjeu est en effet de taille puisqu'il s'agit dans les 3
années à venir de se doter au sein de l'entreprise de
compétences qui seront un socle nécessaire à la
transformation de Michelin en entreprise data-driven tout en assurant la
pérennité de son business face à un monde en plein
renouveau où de nombreux changements auront lieu dans les années
à venir (Michelin, 2019).
Mais cette digitalisation n'est pas la première
transformation que le Groupe Michelin a dû mettre en oeuvre, ce qui n'est
guère étonnant pour une entreprise plus que centenaire. En effet
et comme nous l'avons vu précédemment, les chantiers Lean ont
représenté à leur manière une
33
profonde remise en cause du fonctionnement de l'entreprise
d'abord sur ses sites industriels, puis ensuite dans ses bureaux. Et plus
encore, ces même transformations furent autant de défis que
d'acquis d'expérience que l'entreprise devra mettre à profit pour
affronter les transformations de demain, et ici en l'occurrence, celles de la
digitalisation.
34
III) L'inévitable association de ces deux
concepts
« Le Lean et l'Entreprise 2.0 se rejoignent exactement
ici : ils sont tous deux des formes de réponse à la
complexité en préconisant de passer d'un système Command
& Control à un système de réactivité
intelligente et apprenante » (Yves Caseau, 2011).
Au travers des transformations induites par la
révolution numérique et l'évolution profonde de nos
sociétés économiques, le Lean et la Digitalisation se sont
affirmés peu à peu dans l'ensemble des entreprises souhaitant
prendre le pas du changement de leurs business et de leurs organisations. Et
à lumière de nos analyses précédentes, il convient
de constater que l'on retrouve l'ombre du Lean derrière la
Digitalisation (A) pouvant nous aider à expliquer ainsi la
Digitalisation de Michelin par le Lean (B).
A. L'ombre du Lean derrière la
digitalisation
Lean et Digitalisation sont donc principalement des
méthodes organisationnelles visant à promouvoir et définir
le cadre d'une transformation d'une entreprise soucieuse de saisir de nouvelles
opportunités mais aussi d'accroître la performance de ses
processus afin de garantir sa pérennité. Et au travers de ces
différentes démarches, il est aisé de constater que les
objectifs et enjeux sont globalement les mêmes.
Tel que nous l'avons vu au cours de la première partie
de notre étude, le Lean suppose au-delà des outils
managériaux qu'il propose, une approche et une compréhension d'un
certain nombre d'enjeux (clients, salariés, performances) par l'ensemble
des membres de l'entreprise, qu'ils soient directeurs ou simple
collaborateur.
Ce trio d'enjeux récurrents issus de l'histoire de
l'évolution des sciences de l'organisation de l'entreprise et de ses
processus trouve son origine dans un environnement socio-économique qui
n'a cessé d'évoluer ce dernier siècle jusque dans le
rapport des individus à leur mode de consommation. Ainsi, le Lean qui
s'affirme aujourd'hui comme l'aboutissement de ces réflexions et
expérimentations les présente sous 3 axes :
- Le salarié en veillant à l'impliquer dans le
processus décisionnel pour l'amélioration
des processus, donner du sens à ses fonctions et
s'assurer de son bien-être qui résulte en l'augmentation de la
qualité des processus où il se retrouve engagé, tout en
accroissant
35
sa position et son acquisition de nouvelles
compétences. Il y a ici une véritable prise de conscience du
capital humain et la nécessité développer le potentiel de
chacun des employés pour délivrer de bons produits et
services.
- Le capital ou la performance de l'entreprise comme vecteur
essentiel de sa pérennité. En effet, la « chasse au
gaspillage » comme principe du Lean suppose une volonté de
renforcer le fonctionnement des processus pour réduire les coûts
d'une part, mais surtout se concentrer sur les tâches à valeur
ajoutée d'autre part. S'il existe une multitude d'outils à
disposition des organisations, lesquels issus du Lean et de ses applications
dans divers secteurs d'activités, l'enjeu majeur tourne autour d'une
volonté d'amélioration continue des processus existants via une
remise en question permanente de l'entreprise, ce qui est tout autant pertinent
dans une logique d'adaptation des organisations à leurs environnements
eux-mêmes en perpétuel évolution.
- Le client comme élément au coeur des processus
décisionnel et des actions d'améliorations. S'il est
évident que le client est un élément clé
nécessaire au fonctionnement de l'entreprise, le fait qu'il existe au
sein de chacun des processus de cette dernière est une
réalité qui peut être ignorée. Cette orientation
client constante tend à s'inscrire dans une tendance de tension des
marchés où la croissance économique relativement lente
fait face à des moyens de communication de plus en plus puissant,
résultant en une concurrence acharnée.
D'une certaine manière, le Lean est un état
d'esprit qui a su s'imposer dans l'environnement de ces dernières
années à la faveur de bouleversements socio-économiques
importants (choc pétrolier, ralentissement de la croissance
économique, population de plus en plus éduquée...),
répondant à un vide laissé par des évolutions
ébranlant sans cesse les fondations des entreprises. Cet état
d'esprit a conduit les organisations à ne penser leurs existences et
leurs évolutions non plus seulement autour de leurs appareils
productivistes, mais au travers des hommes qui les composent et de ceux
qu'elles servent : les clients.
Ce revirement est particulièrement palpable dans la
manière dont l'offre client a évolué au cours de ces
dernières années, avec par exemple des concepts clés comme
la « création de valeur pour le client » dans les sciences du
marketing, « l'orientation client » dans le management de la
qualité ou encore « l'user experience » dans le domaine du
digital, lui-même relativement récent.
En effet, le digital tend en parallèle à
s'imposer avec ses codes comme une nouvelle science de l'organisation dans la
mesure où l'on associe aisément aujourd'hui la transformation du
digital
36
à un concept plus général : la
digitalisation qui apparaît alors comme « une opération de
transformation totale de l'entreprise » visant à «
réinventer intégralement son modèle (celui de
l'entreprise) et toute la chaîne interne de fonctionnement :
stratégie, organisation managériale, environnement collaboratif.
» via une numérisation de « l'offre et toute la chaîne
de création de valeur » (Guibert, 2011).
Fruit d'une révolution numérique toujours plus
rapide et globale, la digitalisation a pour origine un fait commun pour les
entreprises, à savoir leur adaptation à un environnement
économique en perpétuel changement, mais dont
l'originalité ici repose sur des bouleversements importants dans une
période réduite, que ce soit au niveau de l'évolution des
métiers (« 60% des métiers en 2030 n'existent pas encore
») que des technologies numériques (la 5G, smartphones...) qui ne
cessent d'offrir toujours plus d'opportunités business et
organisationnelles pour les entreprises.
Comme pour le Lean, cette transformation au coeur des
entreprises poursuit des objectifs clairs traduits par les
décisionnaires de nombre d'entre elles et pouvant en définitif se
décliner en trois points :
- Améliorer la satisfaction du client, à la fois
en profitant de tous les avantages des technologies du numérique pour
mieux comprendre son besoin mais aussi pour finir des services et produits
toujours plus facilement accessible. Aussi, cette notion de satisfaction client
se retrouve dans le concept de « user experience » qui suppose de
fournir à un client, parfois partenaire interne des entreprises, la
solution la plus adaptée à son besoin. Plus encore, l'exemple des
NATU nous a aussi démontré que le succès de ces
entreprises « data-driven » reposait avant tout sur leur
capacité à s'appuyer sur les opportunités de la
digitalisation et des technologies associées pour proposer une offre de
produit et services toujours au plus près des attentes de leurs
clients.
- S'appuyer sur les compétences et l'engagement des
employés composant l'entreprise comme vecteur de succès de la
transformation digitale de l'entreprise. En effet, l'un des
éléments généralement évoqué est la
« culture digitale » qui ne peut exister qu'au travers des
salariés la partageant par l'acquisition de compétences et
l'implication dans ces projets de transformation. Par ailleurs, cet
élément est d'autant plus crucial que son absence de prise en
compte suffisante se trouve parmi les causes majeures des échecs de
projets de transformation digitale.
- La performance de l'entreprise vu ici comme le fait de
saisir les opportunités offertes par les technologies numériques
pour accroître la performance des processus de
37
l'entreprise, notamment en réduisant le temps
d'exécution de tâches à faible valeur ajoutée, voir
en les supprimant, mais aussi en offrant de nouvelles perspectives aux
entreprises qui trouvent là l'opportunité d'améliorer le
contrôle de leurs activités opérationnelles.
Partant de ce constat, la proximité entre le Lean et la
digitalisation semble apparaître comme une évidence dans la mesure
où ils suivent les mêmes trois objectifs : la satisfaction du
client, la performance de l'entreprise et la montée en puissance des
salariés, à tel point que la vraie problématique pourrait
être de savoir ce qui les différencie, mais la
réalité semble plus complexe.
En effet, la digitalisation plus contemporaine que le Lean
semble moins être une solution à des problématiques que la
déclinaison de nouvelles opportunités d'un environnement
socio-économique pris dans une transformation rapide, là
où le Lean historiquement repose sur une volonté d'organiser au
mieux l'entreprise après des décennies d'expérimentation
au travers des courant de pensée qu'ont été le taylorisme,
le fordisme et le toyotisme, afin d'assurer sa pérennité. La
vérité pourrait être ailleurs.
En ce sens Yves Caseau dans sa vision de ces deux disciplines,
bien qu'il préfère parler d'entreprise 2.0 plutôt que de
digitalisation, nous explique que ces dernières « s'attaquent
frontalement au problème de la complexité » dans la mesure
où le Lean met en perspective « de façon simple et claire la
contribution de l'employé sur la création de valeur » et la
digitalisation en « favorisant la collaboration qui est impérative
pour résoudre des problèmes complexes ».
Il apparaît donc une dualité certaine entre ces
deux disciplines dans la mesure où leur efficacité, que ce soit
au travers de projets d'ampleur ou d'actions plus localisées, repose
généralement sur leur capacité à embarquer les
hommes qui composent les organisations qu'elles modifient. C'est à ce
titre que le Lean a pu devenir la discipline que l'on connaît
aujourd'hui, et que la transformation digitale le deviendra au regard des
causes majeures des échecs qu'elle peut rencontrer dans certaines
entreprises, à savoir principalement le manque d'implication et de
compétences des hommes qui prennent part et sont concernés par le
projet.
Dans cette mesure, il apparaît également
raisonnable de penser que le Lean, dès lors qu'il a été
diffusé dans les entreprises pour amorcer en amont des changements
organisationnels et mettre en place une « culture Lean » peut
être un soutien non négligeable au déploiement d'une
38
transformation digitale au sein de l'entreprise, et s'il ne le
fait pas directement, force est de constater qu'il en emprunte de nombreux
codes et objectifs, ce qui par ailleurs peut également nous amener
à penser que déployer efficacement une transformation digitale
revient à déployer une démarche Lean qui n'en porte pas le
nom tout en permettant d'aboutir aux mêmes résultats sur des
problématiques numériques.
Parce qu'au-delà de leur simple proximité
liée à leurs objectifs et leurs combats communs, il y a
fondamentalement et intrinsèquement cette dimension visant à
remodeler l'organisation de l'entreprise dans son ensemble, comme
l'évoquait une étude d'Ernst & Young montrant que 42% des
projets de transformation digitaux (Annexe 2, page 7) se faisait à
l'échelle globale. Aussi, on retrouve cette fois-ci le concept de «
culture », perçue à la fois comme un levier indispensable de
l'entreprise « data-driven » sur la question de la digitalisation,
mais également tout aussi présente dans le Lean qui
redéfinit la position de l'homme dans la chaîne de valeur,
à tel point que Yves Caseau parlera de « deux approches
profondément humanistes ».
Ainsi et derrière ces réalités
techniques, complexes et organisationnelles, il y a une fois encore un
problème et un facteur commun, l'humain. En effet, ces démarches
impliquant bien souvent la remise en question profonde de processus et
pratiques existantes nécessitent une appropriation et acceptation de la
part des organisations qui décident de se lancer dans de tel projets de
transformation. On constate assez rapidement que l'enjeu n'est plus de s'armer
d'experts et d'investir financièrement dans ce type de projets, mais
avant tout de considérer que la transformation est une affaire de temps
long qui ne peut réussir que par la capacité de l'organisation
à emporter chacun de ses membres dans cette transformation, de la
Direction jusqu'aux salariés en passant notamment par les managers comme
intermédiaires.
Mais là où l'on peut retrouver l'ombre du Lean
derrière la digitalisation, c'est bien évidemment en
considérant que le Lean est une méthode reposant sur des
principes testés et éprouvés, car plus anciens, mais aussi
et surtout transverses et pouvant concerner l'ensemble de l'entreprise. Il est
donc évident que le digital se soit approprié nombre de ces
principes puisqu'il consiste, tout comme le Lean, à transformer
l'entreprise par et pour l'homme, qu'il soit client ou salarié, tout en
dégageant de la valeur ajoutée.
A ce titre, Michelin a tenté de s'approprier pour
partie ces réflexions, notamment concernant la digitalisation qui, au
travers de nombreux projets, a systématiquement veillée à
remettre l'humain au centre des transformations de l'entreprise, que ce soit
à l'échelle locale ou plus
39
globale, mais aussi en redéfinissant plus largement la
position de l'humain dans ces processus de transformation.
Cependant cette appropriation transposée sur le terrain
peut parfois témoigner de difficultés inhérentes à
un grand Groupe où la communication en interne repose davantage sur la
confiance dans des réseaux internes dont la constitution et l'animation
nécessitent du temps.
B. La digitalisation de Michelin par le Lean
Comme nous l'avons vu précédemment, le Lean a su
montrer une certaine réussite dans son déploiement et les
résultats auxquels il a conduit, tout en s'appuyant sur des projets
d'ampleur et un historique de plusieurs années. Le digital en revanche
n'a pas évolué dans la même réalité. En effet
et bien que plus récente, la digitalisation chez Michelin a cependant
pris une grande ampleur très rapidement, au point comme nous l'avons vu
précédemment que le sujet soit abordé dans de nombreuses
interventions de la part du Président du Groupe Michelin, Florent
Menegaux.
Les initiatives digital de Michelin incluant du Lean n'ont que
rarement étaient présentées comme telle même si dans
les faits, un certaine collusion apparaît. A ce titre, les
démonstrateur du projet « digital Manufacturing »
étaient systématiquement détenteurs d'une « green
belt », qui correspond à un niveau attesté de maîtrise
du Lean (Ribayrol-Parets, 2020) ce qui, dans un contexte de transformation des
sites industriels au travers de ce projet, a pu permettre une meilleure
maîtrise du périmètre du déploiement de cette
transformation digitale. En effet, la digitalisation, qu'elle concerne tout ou
partie de l'entreprise en développant parfois des outils technologiques
permettant d'accroître la performance des processus et la création
de valeur ajoutée, n'en demeure pas moins une démarche
organisationnelle, touchant l'homme, et ce faisant le Lean et ses principes
quand ils sont acquis par les acteurs du digital justifient d'autant plus leurs
choix.
Un autre exemple parlant reste le cas du déploiement
d'outils de Robotic Process Automation concernant les méthodes Michelin
en la matière. En effet, ces outils consistent, comme leur nom
l'indique, à faire effectuer à des logiciels des
opérations numériques, généralement faites par des
êtres humains, de manières automatique en fonction de plusieurs
critères. Cela nécessite toutefois en amont et au
préalable de simplifier les tâches des processus pour en limiter
le nombre et la complexité tout en parvenant au même
résultat, et ce travail ne peut être autrement
40
effectué qu'en impliquant directement les
salariés concernés par l'exercice de ces tâches. Dès
lors, on retrouvera ici un procédé recouvrant plusieurs
éléments de l'approche Lean (Ribayrol-Parets, 2020) :
- « La réflexion des personnes sur les processus
en vue de les optimiser ». Cela évoque de manière pertinente
la chasse au gaspillage qui en l'état repose sur la volonté de
supprimer les tâches à non-valeurs ajoutée lorsqu'elles ne
sont pas nécessaires au fonctionnement du processus.
- « L'écoute du terrain afin que les initiatives
proviennent des personnes concernés ». Comme dans le Lean, il
s'agit ici de s'appuyer sur l'expérience des gens du terrain, ce qui
consiste indirectement à chercher les solutions aux problèmes en
allant directement solliciter ces derniers via une interaction avec les acteurs
du processus que l'on cherche à faire évoluer.
- « Un pilotage Lean pour le projet smart automation
» qui reprenait alors les outils et méthodes Lean pour piloter le
projet dans son déploiement (Value Stream Mapping...).
En définitif et si les projets de Robotic Process
Automation n'auront pas atteint les objectifs escomptés dans leur
ensemble, il n'en demeure pas moins que le Groupe Michelin a pris rapidement
conscience de l'intérêt d'appliquer une approche et des
méthodes Lean dans le déploiement d'un projet de
digitalisation.
Enfin et beaucoup plus subtile, on constate également
que la digitalisation suit le même chemin précédemment
emprunté par la Lean. Initialement entre les mains des experts des
services progrès du Groupe Michelin, le Lean s'est peu à peu
démocratisé à tel point que son application ne
nécessite plus maintenant que des interventions ponctuelles des experts
au sein de projets laissés entre les mains de leurs initiateurs
(salariés, managers...) afin notamment de « désiloter »
cette discipline (Ribayrol-Parets, 2020). Cette volonté de simplifier
l'accès au Lean est la suite logique du Groupe qui entend créer
une culture Lean, de la même manière qu'il s'efforce de le faire
dans le digital comme condition sine qua non de l'objectif de devenir un
entreprise data-driven.
Ainsi, on retrouvera d'autres initiatives où la
digitalisation ne repose plus seulement sur de lourds projets de digitalisation
entre les mains d'experts, mais sur un ensemble d'initiatives où les
salariés ont toute liberté à s'approprier eux-mêmes
les outils de la digitalisation pour accroitre les performances de leurs
propres processus. C'est ainsi que l'on retrouvera des initiatives comme «
Citizen development » qui vise à offrir un chaque salarié un
périmètre
41
défini d'accès à divers outils digitaux
qu'ils peuvent déployer dans leurs équipes et services, ou encore
d'autres réseaux digitaux via Yammer (application Microsoft pour
créer, gérer et animer des groupes de discussions) comme «
Factory 365 » afin notamment de permettre à différents
utilisateurs au sein de l'entreprise d'échanger sur les bonnes pratiques
qu'ils ont pu trouver et déployer au sein de leurs équipes
respectives (Ribayrol-Parets, 2020). Il s'agit ainsi d'inviter à
l'initiative tout en limitant l'autonomie des utilisateurs (licences seulement
gratuites, mise à disposition d'un certain nombre d'applications...)
afin de permettre à la culture digitale de se diffuser dans le Groupe
sans remettre en cause la gouvernance sur le digital et le choix des outils qui
en découle.
Cette méthode rappelle évidemment le choix fait
au niveau du Lean qui, avec le projet « Michelin Efficiency Way »,
s'est voulu plus libre et moins contraint dans la mesure où les projets
Lean sont laissés à la libre volonté des
différentes équipes, lesquelles doivent animer la mise en oeuvre
de ces projets en leur sein si elles viennent à choisir de franchir le
pas.
Enfin et à titre plus personnel, le coeur de ma mission
au cours de cette alternance a concerné l'automatisation de process par
le déploiement d'outils digitaux, et elle s'inscrit pleinement dans ce
type de démarche dans la mesure où, bien que le délivrable
étant un élément de la digitalisation, le choix des outils
et la manière de procédé au déploiement de ces
derniers s'est faite dans le seul périmètre de mon équipe
en fonction de nos besoins et au travers d'une autonomie qui nous permettait au
besoin de solliciter des intervenants extérieurs.
Le choix de diffusion de cette culture par une libre mise
à disposition et appropriation des outils et méthodes de ces deux
disciplines trouve son sens une fois encore dans la proximité
méthodique de leur mise en oeuvre mais aussi dans cette volonté
du Groupe de modifier profondément la culture pour répondre aux
problématiques liées à la résistance au changement.
Les échecs du Lean dans les premières années de son
déploiement sont pour partis issus d'un déploiement
dénué de sens pour les personnes concernées dans le mesure
où la culture Lean faisait encore défaut, et en ce sens, le
Groupe a choisi d'évoluer vers une méthode plus volontariste
(Thevenet, 2020).
Par ailleurs, la position du salarié Michelin dans la
question de la transformation digitale n'est pas seulement celle de
l'appropriation culturelle de nouveaux concepts et modes de pensées,
mais aussi de méthodes pour parvenir à mener à bien un
projet digital. L'exemple du programme « I-Care » à l'usage
des salariés un bon exemple de la transcription de concepts Lean. Comme
le rappelait Bill Gates, Président Directeur général de
Microsoft, « dans le futur,
42
les leaders seront ceux qui savent donner le pouvoir aux
autres. », et à ce titre Michelin a souhaité mettre en place
un programme définissant le cadre d'un nouveau modèle de
leadership à destination des managers et de leurs collaborateurs. Ce
dernier se veut plus responsabilisant en proposant des lignes directrices au
leadership au travers du Groupe, et ce au nombre de cinq (Michelin, 2019) :
- « L'inspiration » pour développer les
personnes par l'exemplarité et en créant les conditions de
l'engagement.
- « La création de confiance » favorisant la
collaboration et l'implication des équipes. - «
L'authenticité » qui est une invitation à l'ouverture et
l'humilité
- « Le résultat » comme ambition
assumée par Michelin et se voulant soutenue par l'agilité
entrepreneuriale à l'intérieur du Groupe.
- « La responsabilisation » visant à
rapprocher la décision toujours au plus proche du terrain en
développant la collaboration pour la performance de l'équipe.
Ce projet vise à faire évoluer le leadership au
sein de Groupe en y associant, tel qu'on peut le voir ici, des principes issus
du Lean qui vise à positionner le salariés Michelin au coeur des
projets de transformation visant à accroître la performance de
l'entreprise.
A cela s'ajoute enfin un projet récent, le projet
Simply qui ici ne se concentre pas sur la question des salariés et de
leur management, mais plutôt sur celle de leurs environnement de travail
et plus précisément des processus liés à leur
tâches opérationnelles quotidiennes. En initiant ce projet,
Michelin a souhaité que soit clarifiées et étendues
à un niveau global les pistes d'amélioration à partir des
avis des salariés ayant identifié des axes
d'améliorations. On retrouve donc une fois encore la volonté du
groupe de placer l'humain au centre la performance tout en préparant la
mise en place d'un terrain propice à la transformation, laquelle pourra
être soutenue par une culture du changement et de l'amélioration
partagée par l'ensemble des salariés du Groupe Michelin.
Enfin et tout récemment, le projet Smart Automation
vise à faire le lit de la digitalisation en ce qu'il prépare
l'entreprise au niveau global à un remise à plat complète
de l'ensemble de ses processus doublée d'une volonté
marquée d'identifier de nouvelles opportunités. Initialement
pensée par le Lean, il n'en demeure pas moins que ce projet tend
à offrir à la digitalisation et ses futurs objectifs
(intelligence artificielle...) les fondations de processus efficients et
pleinement préparés à l'implantation de technologies
numériques. Comme le rappelait Bill Gate, « La première
règle avec toute technologie utilisée dans les affaires, c'est
que
43
l'automatisation appliquée à un process efficace
va augmenter l'efficacité. La seconde règle est que
l'automatisation appliquée à un process inefficace va augmenter
l'inefficacité » (Gates, 2014), et s'il est bien un domaine
où la digitalisation ne peut s'appliquer qu'après le travail
effectué par une approche Lean, c'est bien celui de l'automatisation des
processus.
On constate ainsi que Michelin a su habilement miser sur le
développement des hommes et de la culture de ses organisations comme
levier primordiale à une digitalisation réussie, ce qui trouve
son sens lorsque l'on parcourt, comme vu précédemment, les
différentes études des projets de transformation digitaux qui
rappellent combien l'humain est un élément clé à
tout projet de transformation. A cela s'ajoute également une prise en
compte peut être plus pratique que théorique des acquis et de
l'expertise du Lean au sein du groupe pour initier les projets digitaux. Il
n'est pas rare de retrouver derrière chaque succès de projets
digitaux un acteur imprégné de la pensée Lean et
formé à cette dernière au sein de la structure Michelin
par les réseaux d'experts mis à disposition des
salariés.
Ces choix qui peuvent donc paraître dans l'ensemble
parfois désorganisés semblent, bien au contraire, suivre une
logique basée sur la nécessité de préparer le
terrain à un changement de culture mais aussi à une montée
en puissance des salariés dans ce monde digital qui se dessine pour
demain. Le Groupe Michelin semble donc avoir pris toute la mesure de cette
digitalisation en y associant des objectifs ambitieux et des moyens
profondément transverse et globaux. Et c'est avec un certain recul sur
cette position que l'on finit par comprendre aisément le classement de
Michelin à la 7ème position des entreprises du CAC les
plus digitalisée en 2019 (Manceau, 2019).
Le Groupe Michelin nous fait donc une démonstration de
la flexibilité et de la gestion des contraintes humaines qu'implique la
digitalisation, et si le chantier en la matière s'annonce encore
monumental, Michelin pourra s'appuyer sur son expertise Lean et la culture que
l'entreprise a déjà commencé à diffuser pour
garantir le succès et l'aboutissement de ses projets digitaux.
Et c'est en préparant le terrain en amont (projet
Simply, I-care, Michelin Efficiency Way...) et en s'appuyant sur la culture
Lean prenant de l'ampleur au sein de l'entreprise, et systématiquement
sur l'humain via les salariés composants l'entreprise, que Michelin a
également préparé le terrain à l'arrivée de
la digitalisation qui, comme nous l'avons vu, reste
44
avant tout un processus de transformation en profondeur de
l'entreprise qui doit être en mesure de s'appuyer sur les hommes qui la
compose pour à mener à bien de tels changements.
Michelin semble donc en bonne voie pour affronter les
défis qui se présente dans les années à venir sur
la question de la digitalisation, et il n'est donc pas déraisonnable de
dire qu'il est probable que l'entreprise réussira sa digitalisation car
elle aura su auparavant développer et répandre une pensée
Lean au sein de son organisation, laquelle pourra alors activement soutenir les
projets de digitalisation d'une part, mais aussi préparer les
salariés de l'entreprise à l'intégration d'une nouvelle
culture : la culture digitale.
45
CONCLUSION
Au travers du parcours historique des deux concepts
clés que sont le Lean et la digitalisation, nous avons pu constater que
leur divergences d'origine et d'histoire (l'un issu de l'industrie de la fin du
XIXe siècle et l'autre du développement des technologies de
l'information dès la deuxième moitié du XXe siècle)
les ont poussé cependant vers des objectifs communs : accroître la
pérennité des entreprises en intégrant toujours plus les
besoins du client, l'épanouissement des employés et la
performance de l'organisation dans l'ensemble des processus
opérationnels et décisionnels.
Et plus encore, le Lean résulte pour parti de la
compréhension par les entreprises de la nécessité absolue
de placer l'humain au centre des processus, que ce soit pour leurs
améliorations ou leur mise en oeuvre et à ce titre, la
digitalisation s'est quasi instantanément confrontée à la
nécessité de s'appuyer sur les hommes qui composent les
organisations pour réussir les transformations digitales, et bien
souvent au moyen d'une préparation du terrain par la diffusion d'une
culture favorable au changement des organisations, qu'elle soit digitale ou
Lean.
Si l'enjeux semble être de s'appuyer sur une culture
Lean pour faciliter le déploiement de la digitalisation, il est aussi
question de comment adapter le Lean pour qu'il puisse cohabiter avec cette
dernière. En effet, si la digitalisation en tant que discipline à
part entière possède ses propres complexités tout en
évoluant dans un environnement spécifique, technique et
récent, elle n'a cependant pas la transversalité du Lean qui vise
à s'appliquer à l'ensemble des secteurs de l'entreprise. Et ce
manque de transversalité peut être un piège qui conduit
à surestimer les opportunités des technologies numériques
tout en minimisant le facteur humain qui reste à ce jour la raison
majeure de l'échec des démarches de transformation liées
à la digitalisation dans les entreprises.
Enfin, la digitalisation possède également ses
propres exigences notamment au niveau de la nécessité de
maîtriser de nouvelles compétences et nouveaux outils digitaux
inhérent à la collaboration et la conduite du changement. Il ne
suffit pas donc seulement de l'envisager comme une approche managériale
mais à certains égards comme une discipline à part
entière qui nécessite l'accompagnement des salariés dans
leur ensemble à mesure que des nouveaux outils viennent modifier
l'organisation à de nombreux niveaux.
46
Notre analyse nous amène donc à penser que le
Lean et la digitalisation sont, à l'heure actuelle, le duo gagnant de la
transformation des entreprises dans la mesure où une organisation qui
aura su s'approprier les principes et la culture du Lean aura
déjà, pour parti, préparée le terrain aux
changements induits par la digitalisation grâce à la collusion que
l'on retrouve dans les objectifs de ces deux domaines, tout en plaçant
les salariés de l'entreprise dans une dynamique du changement propice
à l'appropriation de nouveaux outils et concepts mais aussi d'une
nouvelle culture qui fera sans aucun doute le succès des organisations
de demain prenant le pas de la digitalisation.
Jean Bodin dès le XVIIe siècle nous disait que
« il n'est de richesse que d'homme », et ces propos résonnent
aujourd'hui comme l'enjeu d'une digitalisation qui, loin d'écarter
l'homme de son travail, ne cesse de le replacer au coeur de la transformation
des entreprises.
47
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2. « Le courage de transformer ». Ernst &
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https://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/ey-etude-transformation-des-entreprises-1/$File/ey-etude-transformation-des-entreprises.pdf
3. Feuille de route Mémoire de fin d'études
MGE3
52