Année 2018 - 2019
Le phénomène migratoire en mer
Méditerranée depuis 2013 : enjeux d'une frontière
meurtrière aux portes de l'Europe
Mémoire en vue de l'obtention du Master 2 Management de
projets internationaux dans l'innovation sociale et l'action humanitaire.
Présenté et soutenu par Anaëlle
Toutounji
Soutenance le vendredi 13 septembre 2019 à 11h.
Remerciements
Pour le choix de mon sujet de mémoire, je tiens
à remercier ma famille et mon entourage qui m'ont encouragé
à écrire sur les migrations en Méditerranée, un
sujet d'actualité qui me tient à coeur et qui s'inscrit dans la
continuité de mon champ de connaissances et compétences dans le
domaine des migrations internationales. En Master 1 à 3A, mes camarades
Halima Barthélemy, Maëva Zézymbrouck et moi-même nous
étions lancées dans la création d'une association ayant
pour but l'insertion socio-professionnelle des migrants ayant obtenu le statut
de réfugié à Paris. Nous étions allées
à la rencontre de multiples associations et structures venant en aide
à ce public (Utopia 56, France Terre d'Asile et autres) afin de nous
créer un répertoire fiable pour lancer notre projet. Il
paraissait donc logique et pertinent de « dédier » mon
mémoire de fin d'études à la cause que je soutiens, et que
j'espère pouvoir défendre dans mon futur métier.
Pour l'élaboration de ma problématique et de mon
plan, pour le suivi, pour les conseils précieux et les recadrages
nécessaires, je tiens à remercier Madame Céline
Barré, ma tutrice de mémoire, qui m'a beaucoup apporté.
Ses connaissances poussées sur le phénomène migratoire en
Méditerranée et sa méthode de travail m'ont permis
d'affiner l'objet de recherche de mon mémoire et de me réadapter
dans l'écriture de mes parties lorsque cela fut nécessaire. Je
tiens également à la remercier de nous avoir donné un
cours sur les migrations cette année, qui fut un enseignement
enrichissant et très utile pour mon mémoire.
Pour la validation de mes hypothèses et l'apport de
connaissances, je remercie Madame Coralie Carvin, ancienne salariée de
SOS Méditerranée, qui a eu la gentillesse de m'octroyer un
entretien. Son expérience au sein de SOS et son point de vue sur le
phénomène migratoire en Méditerranée m'ont
apporté des informations pertinentes pour la rédaction de mon
mémoire et ont renforcé mon envie de travailler chez SOS
Méditerranée plus tard.
Pour la documentation précieuse, je remercie Monsieur
Juan Branco, avocat et homme politique, qui a eu la gentillesse de me donner
accès à son rapport rédigé en collaboration avec
Omer Shatz, déposé devant la Cour Pénale Internationale,
et qui accuse l'Europe de complicité avec la Libye pour des crimes
contre l'humanité commis envers les migrants dans les centres de
détention en Libye, qui tentent de rejoindre l'Europe.
Enfin, je tiens à remercier toute l'équipe
pédagogique de l'école 3A Paris qui nous a apporté, durant
ces deux dernières années, des connaissances et des outils de
travail indispensables pour travailler et évoluer dans le monde de
l'humanitaire.
Table des abréviations
BEAA : Bureau européen d'appui en matière
d'asile
Benelux : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg
CEDH : Convention européenne des droits de l'homme
CNUDM : Convention des Nations unies sur le droit de la mer
COPS : Comité politique et de sécurité
CPI : Cour pénale internationale
DH : Droits de l'Homme
DUDH : Déclaration universelle des droits de l'homme
EUBAM : Mission d'assistance pour une gestion
intégrée des frontières en Libye
Eurostat : European statistic
Frontex : Agence européenne pour la gestion de la
coopération opérationnelle aux frontières
extérieures des États membres de l'Union
européenne
MDM : Médecins du monde
MNA : Mineurs non accompagnés
MoU: Memorandum of Understanding
MSF : Médecins sans frontières
OIM : Organisation internationale pour les migrations
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations unies
OTAN : L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord
PAF : Police aux frontières
PECO : Pays d'Europe centrale et orientale
RIC : centre de Réception et d'Identification
SNSM : Société nationale de sauvetage en mer
UE : Union européenne
UNHCR ou HCR (United Nations High Commissionner for Refugees) :
Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
ZEE : Zone économique exclusive
Sommaire
I) La « crise » des réfugiés en
Europe depuis 2015 6
A) Évolution des traversées en mer
Méditerranée, des arrivées en Europe et de la
perception des flux migratoires des années 40 aux
années 2000 7
B) Une médiatisation grandissante du
phénomène migratoire en mer
Méditerranée depuis 2013 13
C) Mesures prises par l'Union européenne et fermeture
progressive des frontières 19
II) Du pays départ à l'arrivée aux
frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise
à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en
mer
Méditerranée 26
A) L'externalisation de la politique migratoire
européenne : double coopération
bilatérale de l'Europe avec la Turquie et la Libye 26
B) Les enjeux et conséquences du sauvetage en mer des
migrants en Méditerranée : rôle
des eaux territoriales et responsabilités 36
C) Les îles grecques : l'accueil dans les hotspots
44
III) Déni de solidarité et
difficulté d'un consensus européen 50
A) Une violation de certains principes issus de textes de lois
européens et internationaux
50
B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer 58
C) Difficulté d'un consensus européen sur la
gestion des flux migratoires et perspectives
d'avenir en Méditerranée 72
1
La mer Méditerranée représente
actuellement la route migratoire la plus empruntée du monde, mais
également la plus meurtrière selon l'Organisation des Nations
unies (ONU). Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les
réfugiés (UNHCR ou HCR), l'entité de l'ONU en charge de la
protection des réfugiés partout dans le monde, estime que depuis
2015, 750 000 personnes ont traversé la mer Méditerranée,
fuyant la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan, l'Erythrée, la Libye, le Soudan
et d'autres pays en proie à des guerres et conflits. Dans le but de
trouver refuge et protection en Europe, et contraints de fuir les conditions de
vie inhumaines en Libye, des milliers d'homme et de mineurs non
accompagnés (MNA) risquent leur vie en embarquant sur des embarcations
de fortune ou des bateaux pneumatiques surchargés. Certaines s'entassent
même dans des cales de bateau et décèdent d'asphyxie faute
de place et de manque d'air. En 2013, le projet Missing Migrants est
lancé par l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) suite au
naufrage de 366 personnes au large de Lampedusa ayant tenté de rejoindre
l'Europe. Le but de ce projet est de retrouver et de compter les migrants,
demandeurs d'asile et réfugiés ayant disparu en empruntant des
routes migratoires internationales (mer Méditerranée,
frontière États-Unis - Mexique, etc.). Il s'agit probablement de
la source la plus fiable en termes de comptage des migrants morts ou disparus
partout dans le monde étant donné l'importante mobilisation des
recherches et l'exactitude et la précision des chiffres
communiqués régulièrement. En 2015, le Missing
Migrants Project a recensé 2 704 décès en
Méditerranée, en 2016, il en a recensé 3 216 faisant de
2016 l'année la plus meurtrière, en 2017, 2 428 personnes ont
péri en Méditerranée et en 2018, on en comptabilise 1 549.
Depuis le début de l'année 2019, 844 personnes se sont
noyées ou ont disparu en tentant la traversée de la
Méditerranée.
La problématique de la traversée de la mer
Méditerranée demeure un sujet à la fois très
médiatisé et à la fois tabou et pour cause : si les
naufrages sont régulièrement évoqués par la presse,
en revanche, la question de la responsabilité du sort des migrants qui
tentent de rejoindre l'Europe demeure sous silence et sans réponse
concrète apportée. Le rôle des passeurs dans l'aide
à la traversée de la Méditerranée par les migrants,
bien que controversé, semble arranger les politiques qui ont alors un
coupable à pointer du doigt. Néanmoins, le problème qui
subsiste s'étend bien au-delà du rôle des passeurs et de la
traversée de la Méditerranée : les politiques actuelles se
trouvent davantage positionnées sur une logique de contrôle et de
mise à distance des migrants et se ferment ainsi à toute
ouverture de dialogue pouvant mener à un changement de leur politique
migratoire. Le sauvetage des vies en mer ne semble pas être la
priorité mais la surprotection des frontières, elle, mobilise des
moyens financiers, techniques et humains
2
considérables. Si les acteurs humanitaires, comme par
exemple l'Organisation non gouvernementale (ONG) SOS
Méditerranée, organisent des opérations de sauvetage en
mer, ils n'ont pas le pouvoir de décision sur l'arrivée et
l'accueil des migrants en Europe.
Transformée en véritable frontière voulue
comme infranchissable, la Méditerranée est aujourd'hui
représentative de la montée de l'extrémisme de droite et
des mouvements xénophobes en Europe. Leurs discours politiques ne
reflètent plus que haine et rejet envers les migrants et influencent
négativement une majorité des citoyen(ne)s qui se ferment de plus
en plus à l'accueil des migrants. Figée dans une politique
migratoire datant des années 90 et n'étant plus réellement
adaptée aux circonstances actuelles en raison de la montée des
conflits dans le monde et de l'augmentation des personnes qui fuient, l'Union
européenne (UE) semble impassible face aux drames en
Méditerranée et face à l'aspect meurtrier de ses
frontières. Malgré de nombreuses rencontres et sommets
organisés ces dernières années afin de trouver des
solutions pour stopper les naufrages en Méditerranée (sommet de
l'Union européenne de Juin 2018 à Bruxelles), les États
européens ne parviennent pas à s'accorder sur une politique
opérationnelle et investie dans la traversée sécuritaire
de la Méditerranée et l'accueil décent des migrants en
Europe. La difficulté d'un consensus européen sur la question
migratoire perdure depuis des années étant donné le
positionnement et le rapport aux migrations différents de chaque
État : si l'Espagne semble réceptive à l'appel des
migrants en détresse, en répondant par exemple à l'appel
du navire Open Arms qui souhaitait faire débarquer les migrants,
l'Italie, elle, y est totalement opposée et ne souhaite plus accueillir
de migrants ni laisser les ONG pénétrer dans ses eaux
territoriales et ses ports. Face à ces divergences et à cette
unité fragmentée, comment réussir à s'accorder sur
une volonté commune qui puisse arrêter les drames en
Méditerranée ? Comment opérer des changements profonds qui
façonnent une nouvelle politique migratoire adaptée aux
situations actuelles ? Car ce sont bel et bien tous les États
européens qui sont confrontés aux flux migratoires, qui doivent
apporter des solutions préservant la vie des migrants et qui
répondent aussi, dans le même temps, aux principes de la
Convention de Genève relative au statut des réfugiés.
Malheureusement, actuellement, les droits des migrants et
réfugiés sont régulièrement bafoués et
l'Europe semble loin d'être le continent des droits de l'Homme qu'elle
dit représenter depuis sa création. Dans une logique de
contrôle et de mise à distance, l'UE procède à une
délégation de la gestion des flux migratoires à des pays
comme la Libye et la Turquie en passant des accords avec ces derniers afin
qu'ils interceptent et gardent les migrants « chez eux ». À ce
jour, seuls les navires affrétés par des ONG, par quelques
États comme l'Espagne et de temps
3
en temps ceux de Frontex, sont présents en
Méditerranée afin de repérer et secourir les bateaux et
personnes en détresse. Il est important de savoir que tous les migrants
ayant parvenu à arriver aux frontières européennes ont
été secourus : à ce jour, aucune embarcation partie de
Turquie ou de Libye n'a réussi à arriver « à bon port
» étant donné les conditions extrêmes de la
traversée en Méditerranée et la précarité
des embarcations des migrants. Les initiatives comme l'opération
Mare Nostrum, opération de sauvetage lancée par l'Italie
en 2013 afin de porter secours aux migrants, ont réussi à sauver
plus de 170 000 vies mais faute de solidarité des États membres
de l'UE envers l'Italie qui finançait à elle-seule cette
opération coûteuse, Mare Nostrum prend fin pour laisser
place à l'opération Triton qui est davantage
orientée dans la surprotection des frontières que dans le
sauvetage en mer.
L'Europe se retrouve actuellement face à une situation
qu'elle n'avait, jusqu'à alors, jamais anticipé, ayant toujours
soutenu les actions dédiées aux migrants et
réfugiés « de loin » principalement en finançant
les camps de réfugiés gérés par le HCR en Afrique
et au Moyen-Orient. Consciente que la Méditerranée constitue
potentiellement une zone de dissuasion envers les migrants qui en tenteraient
la traversée, l'Europe en fait son « arme » afin
d'empêcher les entrées sur son territoire.
Ainsi, dans quelle mesure la mer
Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle
et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? De
quelle manière l'Europe déploie-t-elle sa politique de dissuasion
et de refoulement des migrants ? Quels sont les enjeux politiques,
économiques et sociaux de la traversée de la mer
Méditerranée par les migrants ? Ce mémoire a pour but
d'exposer les moyens mis en place par l'Europe pour dissuader les migrants de
parvenir à ses frontières et pour les refouler en
déléguant leur gestion et leur accueil à des pays comme la
Libye, le Maroc ou la Turquie. Plus précisément, il s'agira
d'analyser la politique migratoire européenne actuelle, d'en extraire
les défaillances en termes des droits humains et d'apporter des
préconisations en réponse à ces défaillances. Ce
mémoire n'a pas pour finalité de prendre position ou de
dénoncer des potentiels coupables quant aux drames en
Méditerranée. Il s'agira surtout d'énoncer des faits
avérés à l'aide de sources diverses et de les analyser
afin de mieux comprendre les enjeux politiques, économiques et sociaux
qu'implique la traversée de la Méditerranée par les
migrants et dans quelle mesure les différentes parties prenantes y ont
leur responsabilité.
La première partie du mémoire sera
essentiellement axée sur du contexte : en effet, pour bien analyser le
déploiement de la politique migratoire européenne, il faut
d'abord en
4
comprendre les causes et les évolutions en prenant en
compte les changements politiques, économiques et sociaux des 30
dernières années qui ont joué un rôle dans
l'instauration progressive d'une méfiance envers les migrants. Une
analyse des évolutions des traversées en
Méditerranée, des arrivées en Europe et de la perception
des flux migratoires des années 40 aux années 2000 sera
proposée dans la première sous-partie pour démontrer le
changement progressif de la mentalité européenne vis-à-vis
de la condition des migrants. La sous-partie Une médiatisation
grandissante du phénomène migratoire en
Méditerranée depuis 2013 abordera la question de la
médiatisation importante que connait le phénomène
migratoire en Méditerranée depuis 2013 et tentera de briser le
stéréotype selon lequel les conflits dans le monde ont
poussé des millions de migrants à aller en Europe. Enfin, dans la
sous-partie Mesures prises par l'Union européenne et fermeture
progressive des frontières, il s'agira de clôturer cette
première partie de contexte en exposant le début des mesures
prises par l'UE pour une fermeture progressive de ses frontières. Cette
première grande partie a également pour but de de
démontrer que l'Europe fait face à une « crise de l'accueil
» plutôt qu'une « crise des réfugiés » : la
crise réside en effet dans le fait que l'Europe ne souhaite pas
accueillir les migrants fuyant conflits et persécutions, et ne
répond donc pas à ses devoirs, et non pas dans le fait qu'il y
ait trop de migrants ou réfugiés pour que leur gestion soit
ingérable.
La deuxième partie du mémoire abordera les
moyens de contrôle, de refoulement et de mise à distance des
migrants durant tout leur parcours migratoire en Méditerranée, de
leur départ de Turquie ou de Libye à leur arrivée aux
frontières européennes. La première sous-partie
développera les accords signés entre l'UE et la Turquie et l'UE
et la Libye, accords représentatifs de la volonté de
délégation de la gestion des flux migratoires de l'Europe en
échange de moyens financiers et techniques importants et
d'investissement dans la formation des garde-côtes libyens. Elle
évoquera également les conséquences dramatiques de
l'application de ces accords sur les migrants. La deuxième sous-partie
traitera des enjeux et des conséquences du sauvetage des migrants selon
qu'ils sauvés dans les eaux territoriales libyennes ou internationales.
En effet, si la traversée sécuritaire de la
Méditerranée n'est pas assurée, leur sauvetage l'est
encore moins : interceptés par des garde-côtes libyens, ils seront
ramenés de force dans les camps de détention en Libye,
sauvés par les ONG de sauvetage, ils seront débarqués aux
frontières européennes (îles ou territoire selon les
autorisations et les États concernés). Enfin, dans la
dernière sous-partie seront évoqués les hotspots,
dispositif instauré par l'UE en 2015 afin de trier les migrants
pour différencier ceux étant éligibles au statut de
5
réfugié. Il s'agit là d'une
manière de contrôler sévèrement les flux
d'entrées sur le territoire européen.
La troisième et dernière grande partie
Déni de solidarité et difficulté d'un consens
européen a pour but de mettre en exergue le déni de
solidarité dont fait preuve l'Europe envers la cause migratoire ainsi
que la difficulté de l'établissement d'un consensus
européen pour répondre aux défis actuels. La
première sous-partie concernera les violations des principes relatifs
à la Convention de Genève sur les réfugiés. Ensuite
seront abordés la criminalisation des ONG de sauvetage en mer et le
rôle de certains États européens dans l'entrave au travail
de ces ONG. Enfin, il s'agira de parler de la difficulté d'un consensus
européen sur la gestion des flux migratoires et des perspectives
d'avenir du sauvetage en Méditerranée.
6
I) La « crise » des réfugiés en
Europe depuis 2015
Selon le Centre de ressources et d'information sur
l'intelligence économique et stratégique, la crise se
définit comme « tout événement qui survient
brusquement, qui provoque une déstabilisation d'une organisation
(État, entreprise...) et qui s'accompagne d'une forte charge
émotionnelle faisant perdre à cette organisation ses
repères. [La crise] peut être de type naturelle
(catastrophe), économique, physique, psychotique, ou encore les crises
liées à l'information, la réputation ou les ressources
humaines. ». En prenant en compte les caractéristiques d'une crise,
est-il juste de définir les récents mouvements migratoires en mer
Méditerranée, qui s'orientent vers l'Europe, et leurs
conséquences comme en étant une ? Les tentatives de
traversée de la Méditerranée et les arrivées
contrôlées aux frontières européennes
déstabilisent-elles réellement les États et leurs
citoyen(ne)s tout en provoquant une forte charge émotionnelle ? D'un
point de vue objectif, les récentes migrations en direction de l'Europe
- il faudrait plutôt parler de « tentatives » de migrations
étant donné la restriction de plus en plus forte
prônée par l'Europe - ne constituent pas réellement une
« crise » qui chamboulerait tout le système politique,
économique et social d'une société. L'image de migrants et
réfugiés envahissant l'Europe par centaines de milliers depuis
2015 a été largement véhiculée dans les discours
politiques, les médias, les mouvements xénophobes et
d'extrême droite afin de justifier une volonté de rejet et de
refoulement aux frontières européennes. Les termes « afflux
massifs », « vague de réfugiés », «
envahissement », « invasion » ont été
relayés dans les médias, et le sont même toujours, afin de
justifier l'imprévisibilité des arrivées de migrants en
Europe depuis 2013 et son impuissance à concilier crise
économique et acte de solidarité envers les
réfugiés. Certes, en août 2015, 270 000
réfugiés sont arrivés par voie maritime en Italie et en
Grèce. Cependant, cette image d'invasion massive sur le long terme qui
est véhiculée est fausse de par la méconnaissance des
chiffres réels communiqués par le HCR dans l'ouvrage Migrants
& Réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets
et aux réticents (Rodier, 2018 : 25) : en 2017, l'Europe
accueillait 17% des réfugiés contre 30% en Afrique subsaharienne
et 26% au Moyen-Orient. Entre 2015, année médiatisée
marquée par les tentatives de traversée de la
Méditerranée et les nombreux naufrages et noyades, et 2017, une
baisse de 80% d'entrées irrégulières en Europe a
été enregistrée.
Ainsi, comment en est-on arrivés à utiliser le
terme « crise » dans les discours politiques et les médias
à l'échelle mondiale ? Peut-on réellement parler de «
crise migratoire internationale » ? Peut-on parler de « crise des
réfugiés » en Europe ? Afin de comprendre le changement
de
7
vision du phénomène migratoire en
Méditerranée et d'en tirer les explications des réactions
et moyens déployés par l'Europe pour externaliser ses
frontières et refouler massivement, il est important de remonter dans le
temps et d'analyser la perception des traversées en mer
Méditerranée depuis les années d'après-guerre et
les événements survenus entre temps.
A) Évolution des traversées en mer
Méditerranée, des arrivées en Europe et de la perception
des flux migratoires des années 40 aux années 2000
Mare Nostrum signifie en latin « notre mer
». Ce terme possède une connotation positive, chaleureuse, faisant
de la mer Méditerranée un espace d'accueil et de transit,
où toute personne et tout bien peut circuler facilement et librement
vers sa destination. Il fut un temps où la zone
méditerranéenne représentait une mer bienveillante
où, malgré la difficulté de l'Europe à
établir ses frontières maritimes depuis la création de
l'espace Schengen en 1985, la libre circulation et la promesse d'une
traversée sécurisée et d'une arrivée sauve
étaient de mise. Cette sous-partie a pour but de retracer
chronologiquement l'évolution des traversées en
Méditerranée avec des périodes bien marquées par
des événements et changements politiques, économiques,
sociaux et culturels survenus autour du bassin méditerranéen et
ayant une incidence directe sur les mobilités dans ce dernier. Les
informations comprises dans cette sous-partie proviennent du croisement
d'analyse entre : le chapitre Le point sur les données
rédigé par Elena Ambrosetti dans l'ouvrage Migrations en
Méditerranée (2017), un extrait de l'ouvrage Les flux
migratoires dans le bassin méditerranéen de Michel Poulain
(1994) et des extraits de l'ouvrage Migrants & Réfugiés,
Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents de
Claire Rodier (2018).
Période d'après-guerre : reconstruction de
l'Europe, main d'oeuvre immigrée
Au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale, l'Europe a
connu sa vague de mobilités la plus importante. En effet, en plus des
millions de déplacés internes au sein de l'Union
Européenne dont la grande majorité avait perdu toute notion
d'appartenance à un État, il y eut un afflux de migrants venant
des pays d'Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal) et des pays de la rive Sud
de la Méditerranée (Maghreb) afin de contribuer à la
reconstruction d'une Europe dévastée humainement et
matériellement. La reconstruction d'après-guerre s'est surtout
concentrée dans les pays d'Europe du Nord-Ouest (France, Royaume-Uni,
Allemagne, Pologne), zone la plus
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touchée par la guerre. Si la main d'oeuvre contribuant
au relèvement des pays du Nord-Ouest de l'Europe venait principalement
d'Italie, d'Espagne, du Portugal et de Grèce depuis 1945, les
années 60 ont marqué un tournant en termes de courants
migratoires venant du Sud du bassin méditerranéen avec
l'émergence d'une volonté d'émigrer vers les pays dits
« industrialisés » de l'Europe du Nord-Ouest.
Les années 60 et l'accueil « à bras ouverts
» des migrants économiques par l'Europe
Le début des années 60 marque un tournant en
termes de migrations en provenance des pays des rives Sud et Est de la
Méditerranée vers l'Europe, faisant de cette dernière une
Terre promise où travail et abondance de biens matériels sont
garantis pour les travailleurs venus « prêter main forte ». Des
événements politiques et des tendances économiques
favorables sont principalement à l'origine de ce changement dans la
conception des migrations qui sont perçues comme très positives
par et pour l'Europe à cette période-là. Si les courants
migratoires des années 40 des travailleurs venus aider à la
reconstruction dans les pays européens du Nord-Ouest étaient vus
comme temporaires, les migrations des années 60 sont, elles,
considérées comme bienfaitrices pour l'essor économique de
l'Europe sur le long terme. Les pays où l'immigration est la plus forte
sont la France, l'Allemagne, la Suisse, la Belgique et l'Autriche.
La signature du Traité de Rome en 1957 par six
États européens (Allemagne de l'Ouest, Belgique, France, Italie,
Luxembourg et Pays-Bas) induit la création du marché commun qui
promeut la libre circulation des produits au sein de la Communauté
économique européenne (CEE) permettant ainsi un essor
économique sans précédent. Cet établissement du
marché commun attire grandement les travailleurs qui n'hésitent
pas à migrer dans les pays concernés afin d'y travailler et aider
financièrement leur famille, restée au pays, via transferts de
sommes d'argent importantes.
De plus, lorsque l'indépendance de l'Algérie est
proclamée en 1962, la France se voit accueillir dans les années
qui suivent un nombre conséquent de Harkis : en 1965, ils étaient
plus de 1 000 000 résidents en France.
Les figures en Annexe 1 ont été
réalisées par Elena Ambrosetti et démontrent la
présence prononcée de migrants originaires du Maghreb
(Algérie, Maroc, Tunisie) en France entre 1960 et 2000, et la hausse de
la présence de migrants turcs en Allemagne sur la même
période.
9
Début des restrictions des mouvements migratoires en
Europe : quels déclencheurs et quelles conséquences ?
Si les tendances économiques des années 60 sont
favorables à la croissance de l'Europe et à l'accueil massif de
travailleurs étrangers, celles des années 70 le sont beaucoup
moins. En effet, le choc pétrolier de 1973 a des conséquences non
négligeables sur l'économie mondiale et sur la croissance des
pays dits « industrialisés », ce qui provoque des
répercussions directes sur les migrations en provenance des pays hors
Europe. Les États européens assimilent, pour des raisons peu
claires, la crise économique des années 70 à une remise en
question de leurs propres politiques libérales d'immigration. Le
recrutement de travailleurs étrangers baisse drastiquement et les
entrées sur le territoire européen sont de plus en plus
contrôlées et restreintes. Certains pays comme la France ou
l'Allemagne tentent même d'instaurer des politiques visant au retour des
migrants « chez eux ». Il est intéressant, et dramatique dans
un certain sens, de constater un certain automatisme, prenant naissance dans
les années 70 et visible de nos jours, qui consiste à rejeter la
faute d'un trouble politique ou d'une crise économique sur la
présence de migrants et travailleurs étrangers dans un pays ainsi
que le « besoin » de leur en faire payer les conséquences.
Bien que les politiques migratoires des années 70 soient moins
restrictives que celles appliquées actuellement, force est de constater
que la méfiance à l'égard des migrants est née
à cette période-là et constitue un élément
majeur dans la compréhension de la volonté de la fermeture des
frontières prônée par les mouvements xénophobes et
d'extrême droite. Pourquoi ce besoin de « faire payer » les
migrants venus prêter main forte est-il né ? Il serait pertinent
d'évoquer la phrase du poème Les échoués de
Pascal Manoukian extrait de l'ouvrage Bienvenue ! 34 auteurs pour les
réfugiés et qui dit des réfugiés venus en
France qu'ils seront « sur nos chantiers, dans les cuisines de nos
restaurants, dans les cales de nos paquebots, le confort de nos bureaux pour
décharger, nettoyer ou vider les poubelles ». Il souligne ici que
oui, nous avons cette tendance à rejeter celui qui est différent
de nous, mais que par bien des moyens, ce différent nous est utile
à un moment ou à un autre.
Un paradoxe est notable dans l'évolution de la
conception des migrations en direction de l'Europe dans les années 70 :
si cette dernière commence à appliquer des politiques
restrictives migratoires, elle respecte néanmoins le droit de migrer
pour travailler. Des politiques de regroupement familial voient
également le jour afin de permettre les retrouvailles des
immigrés travailleurs et de leur famille venue du pays d'origine. Cette
pratique permet aussi, en un sens, de contourner les procédures de
contrôle d'entrée sur le territoire européen. Il s'agit
également d'un moyen pour l'Europe de pallier au besoin de
fécondité présent dans
10
plusieurs pays à cette période-là et
d'instaurer une dynamique de « peuplement ». Il est important de
souligner que, suite à l'arrêt de recrutement des travailleurs
étrangers dans les pays d'Europe du Nord-Ouest, ce sont les pays
d'Europe du Sud (Espagne, Italie) qui ont accueilli les flux migratoires venant
des pays de la rive Sud de la Méditerranée mais également
d'Afrique subsaharienne et d'Amérique latine et bien davantage dans les
années 90.
Les années 80 sont marquées par d'importants
événements déterminants dans la conception des migrations
en Europe et la montée d'un rejet prononcé de la part des
sociétés. Tout d'abord, les demandes d'asile augmentent
considérablement. Dans les années 70, les personnes fuyaient en
grande partie l'Amérique du Sud et le Sud-est Asiatique afin de venir
trouver refuge et protection en Europe. Cependant, les demandes d'asile dans
les années 80 doublent quasiment, entraînant ainsi une restriction
de plus en plus prononcée de l'Europe qui voit cette arrivée
soudaine de réfugiés comme étant en fait une «
couverture » pour les migrants souhaitant impérativement passer les
frontières européennes. Suivant les restrictions de l'immigration
de travail de 1973 - 1974 en Europe, les nouveaux arrivants
réfugiés sont soupçonnés d'être en fait des
migrants économiques « cachés » qui tentent d'utiliser
les procédures d'asile afin d'entrer et de travailler sur le sol
européen. Cette vision négative et faussée du « faux
» demandeur d'asile et du « faux » réfugié
contribue à la restriction de l'octroi du statut de
réfugié relatif à la Convention de Genève de 1951,
et de son protocole additionnel de 1967 qui s'étend aux
réfugiés du monde entier, dont tous les pays européens
sont signataires (et donc dans l'obligation de l'appliquer). Ce point sera
développé plus amplement dans la sous-partie A de la
troisième partie.
Deux événements importants survenus dans les
années 80 et le début des années 90 sont à prendre
en compte dans le changement quasi radical de la vision de l'Europe quant aux
migrations et à l'établissement de nouvelles frontières.
Premièrement, la signature des accords de Schengen, officialisant la
libre circulation de personnes au sein de l'Union européenne et
appliquée en 1995, a permis l'abolition des frontières internes
et aussi, parallèlement, la définition de frontières
externes très contrôlées par les États
eux-mêmes. Deuxièmement, les chutes du rideau de fer
(érigé pendant la Guerre Froide afin de séparer le bloc
soviétique du bloc des États-Unis) et du mur de Berlin en 1989
ont provoqué l'augmentation des flux migratoires partout au sein de
l'Europe et, par conséquent, ont renforcé la vision
déjà bien ancrée des migrations comme frein et non plus
comme facteur d'une économie florissante.
11
Des années 90 au début des années 2000
: pré-construction d'une « forteresse Europe »
Bien que l'économie soit de nouveau florissante en
Europe, les contrôles et les arrestations aux frontières se font
de plus en plus fréquents et nombreux. Une nouvelle catégorie de
migrants attire les pays d'Europe du Nord-Ouest en plus des migrations dites
« familiales » : il s'agit de la migration qualifiée, qui
apporte ses compétences et son savoir-faire aux pays concernés
(France, Allemagne, Belgique, Suisse). Dans les pays d'Europe du Sud, notamment
Espagne et Italie, c'est le contraire : ils accueillent principalement de la
main d'oeuvre non qualifiée et se transforment nettement en terre
d'immigration et ne sont plus des pays d'émigration. Comment expliquer
ce phénomène ? Tout simplement car, contrairement aux autres pays
de l'Union européenne, l'Italie et l'Espagne n'exigeaient pas, à
cette période-là, de visas d'entrée et le contrôle
à leurs frontières était beaucoup moins restrictif. De
plus, l'Italie et l'Espagne recrutaient réellement de la main d'oeuvre
pour des métiers dans l'agriculture, la récolte, la restauration
ou encore le bâtiment. Ainsi, il était plutôt attractif et
« facile » d'émigrer vers ces pays, à la fois pour
trouver du travail, mais aussi pour avoir une chance de rentrer en Europe et
atteindre les pays du Nord-Ouest, qui restent les destinations les plus
sollicitées par les migrants de par leur modèle de
développement économique pérenne. Les migrants arrivant
dans les pays de la rive Nord de la Méditerranée (Italie,
Grèce, Espagne, Portugal, Malte) étaient surtout originaires du
Maghreb et d'Égypte.
Les attentats du 11 septembre 2011 ont
représenté un point de rupture dans la perception de l'Europe
vis-à-vis des migrations toujours plus nombreuses, et de plus en plus
clandestines, dans les années 2000. La société Occidentale
considérait à ce moment-là que lutter contre l'immigration
clandestine revenait à lutter contre le terrorisme. Le drame de
septembre 2011 a été largement relayé et utilisé
dans les discours politiques des mouvements d'extrême droite et
xénophobes. Ces discours ont contribué à dégrader
progressivement l'image du migrant et du réfugié et, ainsi,
à renforcer le contrôle aux frontières tout en refoulant le
plus possible, parfois sans même étudier la situation de la
personne. L'accueil et la protection autrefois prônés par les
États européens se sont transformés en lutte incessante
contre les migrants « illégaux », « clandestins »,
qu'il fallait à tout prix chasser et surtout les empêcher de
rentrer sur le territoire.
La montée des mouvements xénophobes et
d'extrême droite dans les années 2000 renforcent également
le « lavage de cerveau » exercé sur les citoyen(ne)s qui se
ferment de plus en plus à l'accueil et l'hébergement des migrants
et de ceux ayant obtenu le statut de réfugié.
12
En conclusion de cette sous-partie, nous pourrions dire qu'une
nette évolution de la vision et de la conception des migrations en
Méditerranée durant la seconde moitié du XXème
siècle est notable et qu'elle s'explique par de nombreux changements
politiques et économiques survenus dans la zone. Le constat le plus
frappant concerne la crise économique des années 70 : si la main
d'oeuvre étrangère était accueillie « à bras
ouverts » par les pays d'Europe du Nord-Ouest afin de contribuer au
renforcement du développement économique et à la dynamique
de peuplement des zones touchées par une baisse des naissances, il est
indéniable de dire que lorsqu'est survenu le choc pétrolier de
1973 et ses conséquences à l'échelle mondiale, ce sont les
catégories de migrants qui en ont subi les répercussions
négatives en se voyant refuser le droit de venir travailler. Cet exemple
flagrant et l'assimilation controversée de la lutte contre l'immigration
clandestine et de la lutte contre le terrorisme depuis 2001 démontrent
en un sens que les migrants et les réfugiés sont pris pour cible
et pour facteur « aggravant » lors de situations complexes ou de
crises. Le terme « crise des réfugiés » utilisé
dans les médias et l'opinion publique illustre cette vision
péjorative et reflète parfaitement la volonté de
contrôle renforcé et de refoulement aux frontières de
l'Europe. Ne faudrait-il pas plutôt parler de « crise de l'accueil
des réfugiés » plutôt que d'une « crise des
réfugiés » comme évoqué dans l'ouvrage
collectif Les réfugiés sont notre avenir (2019) ?
L'analyse de l'évolution des traversées en mer
Méditerranée et des événements politiques,
économiques et sociaux survenus dans la zone permet de mieux comprendre
les causes profondes du changement progressif de la mentalité et de la
prise de position de l'Europe vis-à-vis de la gestion des migrations en
Méditerranée et sur son territoire. Force est de constater que
les types de migrations en Méditerranées ont peu changé
depuis le siècle précédent : il s'agit toujours de fortes
migrations économiques avec, certes, actuellement, une majorité
de migrations forcées. Néanmoins, les réactions face
à ces courants migratoires se sont transformées et l'accumulation
de crises entre 1970 et 2000 a fortement joué dans la baisse de
considération de la condition des migrants et réfugiés.
13
B) Une médiatisation grandissante du
phénomène migratoire en mer Méditerranée depuis
2013
Cette sous-partie n'a pas pour but d'énumérer
mécaniquement les éléments qui ont déclenché
un « focus » irréversible de l'Europe sur les mobilités
en mer Méditerranée. Comme expliqué dans la sous-partie
précédente, la montée de la méfiance et d'un rejet
notable des États européens envers les migrants et
réfugiés découle d'une série
d'événements et de changements politiques, économiques et
sociaux importants à l'échelle mondiale, entre les années
70 et le début des années 2000, qui ont grandement remis en cause
la légitimité et la fréquence des migrations en Europe.
Une évolution chronologique était donc nécessaire pour
expliquer concrètement le changement progressif de la mentalité
européenne par rapport à sa gestion de flux migratoires.
Néanmoins, ici, il s'agira surtout de comprendre qu'il n'y a pas de
réel(s) déclencheur(s) de l'augmentation des arrivées et
traversées de la Méditerranée à partir de 2015.
Bien entendu, des événements ont contribué à cet
accroissement « soudain » mais il convient de préciser que
bien avant ces événements, les migrations (économiques ou
forcées) existaient déjà et ne cessent de croître de
jour en jour de manière évidente et irréversible.
Simplement, cette prévision n'avait pas été prise en
compte par l'Europe qui s'est retrouvée impuissante face à la
réalité qu'elle refusait jusqu'à alors d'affronter et
qu'elle continue d'ailleurs de repousser.
Cette sous-partie a également pour but de comprendre
comment l'influence des médias a contribué à
l'accroissement des flux migratoires vus comme indésirables et «
néfastes » par l'Europe. Les événements
relayés dans les médias ont-ils influencé les prises de
décisions des gouvernements et l'opinion publique ou inversement ? Il
faut le dire, le terme « crise des réfugiés » a vu le
jour grâce (à cause ?) des médias qui, en
énonçant les faits des naufrages dramatiques ou la prise de
position de tel ou tel État européen, ont fait naître une
« pression » évidente chez les européens qui se sont
alors vus confrontés à une « invasion massive et
imprévisible » de réfugiés. Les chiffres
communiqués (souvent faussés), les tournures de phrases, les
termes comme « invasion », « envahissement », «
millions de réfugiés » employés dans les articles ont
provoqué une prise de conscience générale sur la
conséquence inévitable que représente l'exil de centaines
de milliers de personnes confrontées à des conflits au sein de
leur pays.
14
La médiatisation « accélérée
» du phénomène migratoire en Méditerranée en
2013 s'est imposée comme quasi instantanée, comparable à
la fermeture irrémédiable des frontières
européennes dans les mois qui suivirent. Pourquoi ce changement soudain
dans les actualités ? Pourquoi ce focus persistant dans le temps sur les
migrations en Méditerranée ? Réelle volonté
d'informer le public ou lavage de cerveau orchestré par les États
européens afin de provoquer une montée de rejet du peuple
vis-à-vis des réfugiés et ainsi justifier leur position
« anti-accueil » ou les deux à la fois ?
Les Révolutions arabes de 2011 ont-elles
déclenché cet afflux « massif » de
réfugiés vers l'Europe ?
En 2011, les Révolutions arabes attirent l'oeil de
toute la communauté internationale de par la violence grandissante des
répressions à l'encontre des peuples. Manifestations citoyennes
pacifiques au départ, il s'agissait de faire entendre la voix du peuple,
et des jeunes surtout, qui souhaitait mettre en place une démocratie
dans leur pays et pouvoir jouir de leurs droits. Malheureusement, les
Révolutions ont pris un tournant dramatique, et des guerres civiles ont
éclaté dans certains pays (Libye, Yémen, Syrie) opposant
forces armées du gouvernement, peuple et forces rebelles (Syrie). L'exil
vers un lieu sûr est devenu la seule solution envisageable pour des
centaines de milliers de personnes et famille persécutées par
leur propre gouvernement. Cependant, il serait faux de dire que les individus
ayant fui ont désespérément tenté de rejoindre
l'Europe, ou l'Occident de manière générale, dans
l'immédiat. En effet, Camille Schmoll, Hélène Thiollet et
Catherine Wihtol De Wenden l'expliquent dans l'introduction de leur ouvrage
Migrations en Méditerranée (2016) considérer que
l'explosion des migrations moyen-orientales et nord africaines dans la
période 2011 découle uniquement des conflits et du bousculement
politique et social des États en proie aux révolutions est une
vision purement « euro-centralisée ». Il est vrai que des
millions de personnes ont été déplacées dans les
zones du Proche et du Moyen Orient, mais ces millions de personnes
étaient déplacées soit dans les pays voisins - par exemple
au Liban pour le conflit en Syrie ou encore en Égypte pour la guerre en
Libye - soit au sein même de leur pays - on parle de
déplacés internes, par exemple, 1,5 millions de
déplacés internes en Irak. 7,6 millions de syriens sont
déplacés au sein-même de leur pays et 4 autres millions
sont répartis entre le Liban, la Turquie et la Jordanie. Les afflux vers
l'Europe ont réellement commencé vers 2014-2015, contrairement
à ce que beaucoup de personnes ont clamé. Les trois auteurs
citées plus haut expliquent également que
15
les migrations ont toujours fait partie intégrante de
la région du Moyen-Orient, que ce soit les migrations économiques
vers les Pays du Golfe ou encore les déplacements réguliers de
réfugiés au Liban et en Irak.
Ainsi, les Révolutions arabes ont bel et bien
ébranlé la géographie des migrations, mais ce que l'on
doit bien prendre en compte, c'est que ces profonds changements ont d'abord
touché le Proche et Moyen Orient, foyers de départ, de transit et
d'accueil à la fois des migrants et réfugiés, et
continuent d'ailleurs toujours de le toucher. Pour rappel, les pays comme le
Liban, la Turquie, la Jordanie, le Pakistan, l'Iran et l'Éthiopie en
Afrique accueillent dix fois plus de réfugiés que tous les pays
d'Europe réunis.
Conflits, instabilités politiques et pauvreté
dans certains pays d'Afrique subsaharienne : l'exil perçu comme une
solution depuis des années
L'instabilité ne concerne pas uniquement le Proche et
Moyen-Orient ni les pays d'Afrique du Nord (Tunisie, Libye). En Afrique
subsaharienne, des conflits sociaux-politiques perdurant depuis des
années continuent d'avoir des conséquences dramatiques sur les
populations. Il s'agit du territoire où il y a le plus grand nombre de
casques bleus, 80 000, un chiffre représentatif de l'instabilité
politique et de l'imprévisibilité permanente des États et
des groupes armés non étatiques. Au Congo-Brazzaville, par
exemple, le problème de la liberté d'expression et d'autorisation
des manifestations pousse des centaines de milliers de personnes et familles
à fuir. Les répercussions des forces de l'ordre sont
extrêmement violentes et de nombreux cas de personnes mortes ou
blessées ayant tenté de manifester sont
régulièrement relayés dans les médias. Les guerres
civiles et conflits au Sud Soudan, les régimes dictatoriaux en
Érythrée et en RDC ainsi que les conditions de vie
misérables en Somalie ont entraîné l'exil de millions de
personnes dans les pays voisins principalement (Tchad, Kenya, Égypte,
Nigeria). Selon le HCR, l'Afrique subsaharienne accueille 30% des
réfugiés du monde entier. Parmi les principaux pays d'accueil,
selon les dernières statistiques du HCR1 datant de fin 2018,
on compte le Soudan (1,1 million), l'Ouganda (1,1 million) et l'Éthiopie
(900 000). Le nombre d'arrivées de réfugiés en Europe
reste donc faible par rapport à l'accueil en Afrique subsaharienne et
dans les pays voisins des pays en conflit.
1 UNHCR. (2019). UNHCR Population Statistics - Data
- Overview. Récupéré le 11 Juillet, 2019, sur
http://popstats.unhcr.org/en/overview#_ga=2.153873848.1003678506.1562927068-935967279.1543762883
16
En Orient comme en Afrique, de nos jours, 80% des
personnes qui fuient leur pays se réfugient dans le pays voisin selon
les données du HCR.
Augmentation des traversées de la
Méditerranée et du nombre de demandes d'asile en Europe depuis
2015
« L'Europe ne peut pas accueillir tous les
réfugiés du monde », une phrase répétitive et
que l'on entend souvent dans les discours des mouvements d'extrême droite
et xénophobes principalement. La vraie question n'est pas de savoir si
oui ou non l'Europe peut accueillir un nombre important de
réfugiés, mais de se demander si l'Europe veut
accueillir des réfugiés. En 2015, le nombre de
tentatives de la mer Méditerranée ainsi que le nombre de demandes
d'asile en Europe augmentent tous deux considérablement. Pour cause :
l'intensification du conflit en Syrie en 2014 et la continuité des
conséquences engendrées par les Révolutions arabes de 2011
et des conflits perdurant en Afrique subsaharienne que sont l'exil et la fuite.
De plus, la plupart des pays voisins où se réfugient les
demandeurs d'asile (Liban, Turquie, Ouganda, Soudan, Éthiopie) sont
« saturés » par leur capacité d'accueil et ne sont pas
signataires de la Convention de Genève ce qui ne garantit pas l'octroi
du statut de réfugié aux personnes qui fuient des
persécutions. Ainsi, les réfugiés se sont alors
tournés vers l'Europe, continent des droits de l'Homme, où ils
ont la possibilité d'obtenir une protection internationale suite
à l'étude de leur dossier.
Selon les statistiques d'Eurostat2, en 2015, il y
eut plus de 593 000 demandes d'asile déposées en Europe. Les pays
de l'UE comme l'Allemagne, la Suisse, la France et l'Italie principalement, ont
accordé l'asile à 333 350 demandeurs d'asile dont la
moitié vient de Syrie (166 100) et d'Érythrée (27 600).
Cette hausse de demandes fut qualifié « d'imprévisible
» par l'Europe qui a vu l'arrivée de centaines de milliers de
personnes traversant la Méditerranée comme une invasion
d'étrangers sortis de nulle part et se « ruant sur les aides
sociales proposées par l'État ».
La Méditerranée est devenue en l'espace de
quatre ans la voie la plus empruntée par les migrants qui tentent de
rejoindre l'Europe. En effet, dès 2015, des centaines de milliers de
syriens ont fui leur pays pour rejoindre la Grèce, en passant par la
Turquie et la Mer Égée, et
2 Eurostat (2016, 20 Avril). EU
Member States granted protection to more than 330 000 asylum seekers in 2015.
Récupéré le 2 Août, 2019, sur
https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7233417/3-20042016-AP-EN.pdf/34c4f5af-eb93-4ecd-984c-577a5271c8c5
17
les réfugiés venant d'Afrique subsaharienne sont
passés par la Libye afin de traverser la Méditerranée et
arriver sur les îles européennes (ex : Lampedusa, Sicile) car les
frontières au Maroc se sont renforcées. Malheureusement, la mer
Méditerranée est aussi devenue le chemin le plus meurtrier pour
les migrants qui tentent sa traversée sur des bateaux pneumatiques peu
fiables.
Les enjeux de la médiatisation du
phénomène migratoire en Méditerranée
Le 3 octobre 2013, 366 personnes périssent en se noyant
dans la Méditerranée à quelques kilomètres de
Lampedusa. Un deuil national est décrété en Italie. Il ne
s'agit pas du premier naufrage de migrants qui tentaient de rejoindre l'Europe
mais il s'agit du premier autant médiatisé. En effet, le drame
est relayé à l'échelle internationale et interpelle pour
la première fois l'Europe sur sa responsabilité vis-à-vis
de ces naufrages à ses frontières maritimes. 366 personnes de
nationalités différentes ont perdu la vie en fuyant les guerres
et les persécutions de leur pays et aucun navire ne les a secouru, aucun
drone ne les a localisé, aucun pays n'en a pris la
responsabilité. Le 2 septembre 2015, le corps de Aylan Kurdi, petit
garçon syrien d'origine Kurde, alors âgé de 3 ans, est
retrouvé échoué sur une plage de Turquie. Sa famille et
lui avaient embarqué, la veille, sur un bateau pneumatique partant de
Turquie pour aller en Grèce mais ce dernier a chaviré,
entraînant la mort de 12 personnes réfugiées fuyant la
guerre civile syrienne.
Si ces naufrages ont été très
médiatisés et mis en avance, la découverte des corps aux
frontières maritimes et terrestres de l'Europe et dans le détroit
de Gibraltar ne date pas de 2013. Déjà dans les années 80,
les corps de migrants tentant de traverser les frontières étaient
retrouvés noyés et échoués sur les plages,
asphyxiés dans des coffres de camions, déshydratés dans le
désert du Sahara. Cette réalité rappelle l'aspect
meurtrier des frontières depuis leur établissement en 85 à
la suite de la signature des accords Schengen : établies pour
délimiter les États certes, mais surtout établies dans le
but de refouler massivement et diminuer les chances d'entrée sur le
territoire européen des migrants. Les passages menant en Europe
(détroit de Gibraltar, Ceuta, mer Méditerranée,
frontière turco-grecque, etc.) sont devenus des espaces de mort.
Si la médiatisation de cette augmentation de migrants
en 2015 et les chiffres communiqués ont reflété la perte
de contrôle des moyens de l'Europe sur la situation migratoire et une
difficulté à prendre des décisions en termes d'accueil, de
gestion et de relocalisation
18
équitable entre tous les États, elle a surtout
exposé au grand jour la violence des frontières
européennes et le laxisme des États. S'agit-il réellement
d'une difficulté de gestion et d'accueil ? Entre 2015 et 2018, les
articles relayés en référence aux flux migratoires
concernent surtout les naufrages et les morts des migrants, les conditions de
rétention de ces derniers en Libye, et très peu les
décisions de l'Europe quant à sa politique migratoire. Il y eut
certes un écho médiatique suite au lancement des
opérations Mare Nostrum et Triton en 2013, ou encore
suite à la décision de l'Allemagne d'accueillir plus de 1 million
de réfugiés sur son territoire en 2015. Mais que fait
réellement l'Europe pour pallier à ses faiblesses en termes de
gestion des flux migratoires ? Pourquoi les naufrages sont-ils sans cesse
relayés sans qu'aucune solution ne soit envisagée ? L'État
le plus évoqué est bien évidemment l'Italie, qui
accueillie quasiment plus de 5000 migrants par jour, et qui a
décidé de fermer ses ports suite au silence prolongé de
ses États voisins puisque la relocalisation «
équilibrée » des migrants en Europe n'a pas
été respectée.
Titre d'un article3 du média
Économie Matin paru le 11 Septembre 2015 (Infographie
n°1)
Titre d'un article4 du média Reinformation TV
paru le 18 Juin 2018
(Infographie n° 2)
3 Crasnier, P. (2015, 11 Septembre).
Migration ou Invasion : dans tous les cas une horreur.
Récupéré le 25 Mai, 2019, sur
http://www.economiematin.fr/news-migrants-france-accueil-francois-hollande
4 Mille, P. (2018, 18 Juin). Après
migrants, réfugiés et accueil : Détresse, le nouveau mot
qui justifie l'invasion de l'Europe. Récupéré le 26 Mai,
2019, sur
https://reinformation.tv/detresse-mot-justifie-invasion-europe-migrants-refugies-accueil-mille-85441-2/
19
C) Mesures prises par l'Union européenne et
fermeture progressive des frontières
En parlant du contenu de son ouvrage
Méditerranée : des frontières à la
dérive (2018), Camille Schmoll explique « il s'agit de
raconter avec plusieurs points de vue (acteurs à la frontière,
acteurs en mer, migrants) comment ces frontières ne cessent de se
composer, de se mouvoir et de se relocaliser ». À travers cette
phrase, il faut comprendre que la Méditerranée a
été transformée en une frontière voulue comme
infranchissable par les gouvernements européens et que ces derniers ne
cessent d'en redéfinir les limites afin de repousser toujours plus les
migrants. Moyens colossaux déployés afin de dissuader ces
derniers de venir en Europe et surveillance permanente des frontières
font partie des actions mises en place pour contrôler et refouler au
maximum. Pourtant, après les naufrages très
médiatisés de 2013 (Lampedusa) et 2015 (photo du petit Aylan
Kurdi échoué sur une plage turque), une prise de conscience
générale avait relancé le débat de l'accueil des
migrants en Europe et des opérations de sauvetage ont été
menées en Méditerranée.
Cet élan de solidarité aura été de
courte durée : le pic d'arrivées de demandeurs d'asile en 2015 en
Europe a suscité le questionnement des États quant à leur
capacité d'accueil, qui se sont alors vus confrontés à une
réelle crise des réfugiés, et la montée des
mouvements d'extrême droite au pouvoir, notamment en Italie avec
l'élection du ministre de l'intérieur Matteo Salvini, a
progressivement réengagé la fermeture des frontières avec,
cette fois-ci, une mobilisation plus importante et conséquente.
Opération Mare Nostrum et volonté de quotas
et de relocalisation des migrants en Europe : échec d'une politique
européenne opérationnelle
Suite aux deux naufrages dramatiques à quelques
kilomètres de Lampedusa les 3 et 11 octobre 2013, l'opération
Mare Nostrum est lancée le 15 octobre 2013 par le
Président du Conseil italien Enrico Letta. Cette opération,
menée par la marine de guerre italienne, a pour but de secourir les
migrants en situation de détresse en assurant une surveillance 24h/24 en
Méditerranée et dans le canal de Sicile (entre la Tunisie et
l'Italie), et d'arrêter les passeurs. En une année, elle a permis
de sauver 170 000 personnes, soit plus que l'agence Frontex effective depuis
2004, et de démanteler des réseaux de passeurs. Mare
Nostrum était financée à hauteur de 9 millions
d'euros par mois par l'Italie uniquement, et a mobilisé des moyens
techniques et
20
humains importants. Elle a pris fin et a été
remplacée par l'opération Triton en 2014 pour deux
raisons. Premièrement, l'Italie ne pouvait plus assumer seule le
financement de Mare Nostrum et s'est vue refuser la participation au
coût opérationnel de 9 millions d'euros par mois de ses
partenaires européens. Deuxièmement, il a été
maintes fois signalé que l'opération encourageait les migrants
à tenter la traversée de la mer Méditerranée et
à les faire venir en Europe en toute sécurité, ce qu'on
appelle « l'appel d'air ». Suite à cela, l'opération a
pris fin et fut remplacée par Triton (opération
détaillée plus bas dans cette partie).
D'autres mesures ont été votées par
l'Union européenne afin de répondre rapidement à
l'intensification des flux migratoires en 2015 et éviter la survenue de
nouveaux drames en Méditerranée comme les deux naufrages d'avril
2015 qui ont tué 1500 personnes. Un « Agenda européen en
matière de migration » a été proposé par la
Commission européenne en mai 2015 avec 3 axes :
- Une répartition dite « équitable »
des demandeurs d'asile arrivés en Grèce ou en Italie entre tous
les États membres volontaires avec la mise en place de quotas selon la
capacité d'accueil et la richesse du pays.
- La création de hotspots, présents en
grande majorité sur les îles italiennes (Lampedusa) et grecques
(Lesbos) afin de faire le « tri » des migrants pour n'accepter que
ceux étant éligible au statut de réfugié.
- Le financement des pays de départ des migrants
(Libye, Turquie, Maroc) afin qu'ils les retiennent et les empêchent de
vouloir traverser la Méditerranée.
Le programme de relocalisation de 2015 consistait à
répartir les migrants éligibles au statut de
réfugié (après une identification et un tri dans les
hotspots) dans d'autres États d'Europe que la Grèce et
l'Italie, principaux pays d'arrivée des migrants. 160 000 demandeurs
d'asile devaient être répartis entre les États membres
volontaires tels que la France, l'Allemagne, la Pologne, l'Autriche ou la
Suède. Des événements survenus entre-temps ont conduit
à l'échec de cet objectif : par exemple, la Pologne s'est
désengagée à accueillir 7000 réfugiés suite
aux attentats survenus à Paris en novembre 2015 et à la peur
qu'elle a suscité partout en Europe, alimentant davantage l'image du
migrant assimilée au terrorisme, ou encore la création de
nouvelles routes migratoires renforçant l'afflux de migrants dont les
pays comme l'Autriche et la Suède n'ont pas voulu en assumer les
conséquences. En septembre 2017, sur les 160 000 demandeurs d'asile,
seuls 30 000 ont été accueillis par d'autres pays que la
Grèce et l'Italie.
21
Le système des quotas s'est donc
révélé inefficace puisque des États ont
refusé de se voir imposer un nombre de migrants à accueillir et
ont cherché, pour la plupart, des excuses, alors qu'ils s'y
étaient originellement engagés. C'est là toute la
difficulté de la position de l'Europe sur les flux migratoires : comment
concilier devoir de solidarité et souveraineté nationale ? Si
certains États (souvent les mêmes) acceptent à chaque
sauvetage de récupérer un certain nombre de migrants (comme la
France ou l'Espagne), d'autres expriment clairement leur refus de participer
à la gestion et à l'accueil des migrants, au nom de la
souveraineté nationale.
En août 2015, la chancelière Angela Merkel avait
déclaré vouloir accueillir 1 million de réfugiés
avec son slogan « Welcome Refugees » et avait respecté cet
engagement en l'appliquant. Selon l'ouvrage collectif Les
réfugiés sont notre avenir (2019), sur ces 1 million de
migrants accueillis, 400 000 seraient actuellement en formation ou auraient
trouvé un emploi. Mais suite à l'impulsion des autres
États de déléguer la gestion des migrants en passant des
accords avec la Turquie en 2016, l'Allemagne ne s'est plus prononcée sur
un accueil aussi conséquent mais se contente d'en accueillir lorsqu'il y
a nécessité, notamment suite aux événements
récents de migrants sauvés par des navires d'ONG après des
semaines d'errance en mer.
La reprise du contrôle et du refoulement aux
frontières
L'opération Mare Nostrum aura
été de courte durée. Elle est remplacée par
l'opération Triton, commanditée par l'agence Frontex en
2014, qui a pour but de renforcer le contrôle aérien, terrestre et
maritime aux frontières tout en restant dans les eaux territoriales
européennes. Frontex, l'Agence européenne pour la gestion de la
coopération opérationnelle aux frontières
extérieures des États membres de l'Union européenne
créée en 2004, a pour mission la surveillance et la gestion
constante des frontières maritimes, terrestres et aériennes
extérieures de l'Europe. Elle s'occupe également d'analyser les
flux migratoires et leur évolution afin de mieux les anticiper et d'y
répondre efficacement et de rapatrier les personnes ayant
été expulsées et contraintes de sortir du territoire
européen. Comme évoqué dans l'article Frontex :
Contrôlées en toute impunité, des frontières
à géométrie variable de Marie Martin dans l'Atlas
des migrants en Europe, Frontex « peut aujourd'hui intercepter,
expulser, mobiliser à tout moment, en cinq jours, 1500
gardes-frontières au périmètre d'un État membre,
acheter son matériel, collecter des données personnelles et les
transmettre à Europol, ou opérer dans des pays « tiers
» hors HE ». Le budget de Frontex, financé à 100% par
les États membres, est passé de 6 millions d'euros en 2004
à 281
22
millions en 2017 selon l'ouvrage Migrants &
réfugiés, Réponses aux indécis, aux inquiets et aux
réticents (Rodier, 2018 : 64-66). Selon ce même ouvrage, tous
les frais dédiés à la surveillance des frontières -
transports comme les hélicoptères ou les bateaux, salaire des
gardes-frontières, équipements, satellites, drones, etc. - sont
assurés par les États membres qui y consacrent une grosse partie
de leur budget.
En 2014, l'opération Triton
gérée par Frontex remplace Mare Nostrum qui
était menée par la marine italienne. Cependant, il ne s'agit pas
réellement d'une continuité de Mare Nostrum, en effet,
Triton s'axe davantage sur la surveillance des frontières
européennes que sur le sauvetage des migrants en détresse et pour
cause, la première différence avec Mare Nostrum concerne
le périmètre dans lequel Frontex agit : ses agents sont
uniquement présents dans les eaux territoriales européennes
tandis que les opérations de sauvetage de Mare Nostrum
s'étendaient jusqu'aux eaux territoriales libyennes. Voici un
aperçu des différences entre les opérations Mare
Nostrum et Triton sous forme de schéma très clair
réalisé par le journal Le Monde5 (Infographie
n° 3 dans la table des figures placée à la fin du
mémoire) :
5 Pouchard, A. (2015, 20 Avril). Migrants en
Méditerranée : après « Mare Nostrum », qu'est-ce
que l'opération « Triton » ? Récupéré le
4 Juin, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-triton_4619129_4355770.html
23
Ce schéma permet de mieux comprendre le changement de
posture de l'Europe en une année et le fait que sa volonté de
contrôle renforcé aux frontières prime sur le sauvetage des
migrants en mer. Si l'Italie finançait à elle-seule 9 millions
d'euros par mois la mission Mare Nostrum, tous les États
européens contribuent à l'opération Triton qui
avait un budget mensuel de 3 millions d'euros. Cet écart de budget est
représentatif de ce qui différencie fondamentalement les deux
opérations : le sauvetage des personnes en détresse requiert plus
de moyens et de mobilisation comme le fuel des navires qui se rendent jusque
dans les eaux territoriales libyennes, les canots et équipements de
sauvetage, le personnel médical nécessaire à bord pour
prodiguer les premiers soins aux rescapés, etc.
En juin 2015, l'opération militaire EUNAVFAVOR MED,
dite Sophia, est lancée avec pour même objectif de sauver
des migrants et, principalement, de démanteler les réseaux de
passeurs en Méditerranée, entre le sud de l'Italie et la Libye.
Elle aurait sauvé 12 600 personnes en une année selon la haute
représentante aux affaires étrangères européennes
Federica Mogherini6. Les navires de Sofia étaient
présents dans les eaux internationales mais pas dans les eaux libyennes,
ce qui constituait d'ailleurs un objectif en 2016 : obtenir l'accord de la
Libye pour sauver plus de personnes en détresse à
proximité des côtes libyennes. Les opérations ne sont plus
effectives depuis l'été 2018 avec la baisse drastique du nombre
de navires dédiés au sauvetage.
En plus du contrôle renforcé exercé par
Frontex aux frontières, un refoulement des migrants est
régulièrement appliqué et se traduit par des reconductions
forcées aux frontières ou alors des expulsions des hotspots
lorsque la personne est considérée comme non éligible
au statut de réfugié. Pour comprendre le sens du mot «
refoulement » il convient de donner la définition du
non-refoulement selon l'OIM7 : « Interdiction pour les
États d'extrader, d'expulser ou de refouler de toute autre
manière une personne vers un pays dans lequel sa vie ou sa
liberté serait menacée, ou s'il
existe des motifs sérieux de croire qu'elle risquerait
d'être soumise à la torture ou à d'autres peines ou
traitements
cruels, inhumains ou dégradants, d'être victime
d'une disparition forcée ou de subir un autre préjudice
irréparable ». Ainsi, le refoulement des migrants reviendrait
à les expulser dans des pays où leur
6 Ducourtieux, C. (2016, 16 Avril). Federica Mogherini : «
Nous avons sauvé en mer 12 600 personnes avec
l'opération «Sophia» ».
Récupéré le 20 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/16/federica-mogherini-nous-avons-sauve-en-mer-12-600-personnes-avec-l-operation-sophia_4903554_3214.html
7 OIM. Termes clés de la migration.
Récupéré le 3 Juillet, 2019, sur
https://www.iom.int/fr/termes-cles-de-la-migration
24
vie est menacée et constitue une violation de la
Convention de Genève relative au statut des réfugiés.
Pourtant, le refoulement est régulièrement appliqué aux
migrants qui se retrouvent parfois condamnés à une expulsion sans
que leur cas n'ait été étudié au préalable,
comme par exemple dans certains cas où des migrants arrivés dans
les hotspots sur les îles grecques ou italiennes ont
été immédiatement refoulés, les autorités
ayant estimé que la personne n'est pas éligible au statut de
réfugié. De nombreuses vidéos et témoignages de
raccompagnement des migrants, et parfois même de mineurs non
accompagnés, aux frontières par des autorités, et
notamment une vidéo montrant la police française refouler trois
migrants à la frontière italienne en octobre 2018 sans avoir
examiné leur dossier et leur situation selon des ONG de défense
des droits des migrants, ont confirmé que le refoulement est bel et bien
appliqué par Frontex et par les autorités de certains
États en dépit du principe de non-refoulement, principe fondateur
de la Convention de Genève relative au statut des
réfugiés.
La position de l'Italie influence grandement la gestion des
flux migratoires en Méditerranée
Symbole d'espoir en 2013 lors du lancement de
l'opération Mare Nostrum ayant sauvé plus de 170 000
migrants en détresse en Méditerranée et symbole de la
volonté de fermeture définitive des frontières
européennes depuis 2018, l'Italie incarne aujourd'hui la posture
anti-migratoire la plus prononcée de l'Europe. Elle a porté le
poids de l'inaction de ses voisins européens face aux flux migratoires
depuis 2013 et a décidé, avec l'élection Matteo Salvini,
de fermer ses ports à l'accueil des migrants. Prévisible mais
incompréhensible à la fois, cette fermeture exprime le changement
radical de la politique traditionnelle de l'Italie. En effet, l'Italie est un
pays d'immigration depuis toujours. Elle a subi de profondes mutations entre la
période d'après-guerre et le début des années 2000,
avec des arrivées de migrants toujours plus nombreuses et venant
d'horizons variés. Accueillant la main d'oeuvre dite non
qualifiée des pays d'Afrique du Nord dans les années 90, elle a
représenté à la fois une terre où travail et
sécurité sont garantis, et à la fois un passage menant aux
pays d'Europe du Nord-Ouest. Néanmoins, l'arrivée de Matteo
Salvini signe l'arrêt de ce qui constituait l'essence même de
l'Italie, entraînant avec elle un rejet prononcé des migrants.
Pourtant, l'Italie avait lancé plusieurs appels à ses voisins
afin qu'ils sortent de leur silence et revoient la politique migratoire
européenne. Un appel resté sans réponse. Alors qu'elle
était investie dans le sauvetage des migrants en détresse en mer,
l'Italie coopère activement avec la Libye depuis 2018 dans le but
25
de renforcer le contrôle aux frontières libyennes
et d'intercepter les migrants en mer afin de les ramener dans les camps de
détention.
La fermeture des ports italiens depuis 2017 a des
conséquences non négligeables sur les opérations de
sauvetage en mer. Les ONG sont dans l'obligation d'errer pendant des semaines
en Méditerranée en attendant que les autorités leur
donnent le feu vert pour accoster. Cependant, comme le démontre le
débarquement « de force » du navire Sea Watch 3 par sa
capitaine Carola Rackete à Lampedusa après 17 jours d'errance en
Méditerranée avec à son bord plus de 40 migrants
rescapés, cette fermeture des ports ne pourra pas repousser
indéfiniment les flux migratoires qui affluent de plus en plus vers
l'Europe depuis quelques années. Il ne s'agit pas réellement
d'une solution efficace puisque les migrants rescapés doivent être
débarqués au plus vite après leur sauvetage.
Ainsi, pour conclure cette sous-partie, bien qu'un élan
de solidarité envers les migrants de l'Europe ait été
perceptible entre 2013 et 2015, les mesures comme l'opération Triton ou
le refoulement aux frontières ainsi que le désengagement flagrant
et progressif de la majorité des États envers cette cause ont
signé la fin d'un potentiel changement de la politique migratoire
européenne. Mais l'Europe ne s'est pas uniquement arrêtée
au contrôle et à la surprotection de ses frontières, elle a
finalement externalisé sa politique migratoire en signant des accords
avec la Turquie en 2016 et avec la Libye en 2018 dans une logique de mise
à distance des migrants, sans même leur laisser la
possibilité d'arriver en Europe. Il s'agit donc d'une
délégation de la gestion et de l'accueil des migrants pleinement
assumée qui a des conséquences peu glorieuses et des
résultats finalement peu convaincants. La partie qui suit abordera les
moyens de mise à distance, de contrôle et de refoulement
déployés par l'UE durant tout le parcours en
Méditerranée des migrants.
26
II) Du pays départ à l'arrivée aux
frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise
à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en mer
Méditerranée
Cette deuxième partie représente sans doute la
partie la plus importante du mémoire étant donné qu'elle
énonce en trois sous-parties distinctes les moyens de mise à
distance, de contrôle et de refoulement déployés par
l'Union européenne dans la zone méditerranéenne afin
d'empêcher les migrants d'arriver sur son territoire. La première
sous-partie concernera les accords de l'UE passés avec la Turquie et la
Libye ces dernières années afin de leur déléguer la
responsabilité de l'interception et de la gestion des migrants sur leurs
territoires. Il s'agit là d'une forme de mise à distance
extrême qui a des conséquences dramatiques sur le sort des
migrants et qui viole même certains principes de traités
européens et internationaux que l'UE a ratifié et s'est
engagée à respecter (voir sous-partie A de la troisième
partie). La deuxième sous-partie abordera la question du rôle des
eaux territoriales et des eaux internationales en Méditerranée et
dans quelle mesure les conditions du sauvetage des migrants varient selon
qu'ils sont secours dans les eaux libyennes ou internationales. Le Droit
maritime y sera également évoqué, dont les principes sur
le sauvetage et ses caractéristiques sont intéressantes à
prendre en compte pour une meilleure compréhension du devoir de chacun.
Enfin, la troisième sous-partie traitera de l'accueil des migrants dans
les hotspots, un dispositif créé afin de les «
trier » et envoyer ceux éligibles au statut de
réfugié en Europe et renvoyer ceux ne l'étant pas. Il
s'agit d'une forme de contrôle et de refoulement.
A) L'externalisation de la politique migratoire
européenne : double coopération bilatérale de l'Europe
avec la Turquie et la Libye
Lors de l'établissement de l'Agenda européen en
2015, l'un des volets principaux consistait en une coopération avec les
pays du pourtour méditerranéen, pays de départ et de
transit des migrants que sont la Turquie, la Libye et le Maroc. Le but
était de leur allouer des moyens financiers et techniques afin qu'ils
empêchent les migrants de partir en direction de l'Europe dans une
logique de mise à distance « soft ». En effet, si l'Europe
tente de filtrer minutieusement les entrées sur son territoire et
d'expulser les « sans-papiers », il s'agit aussi de
27
limiter les tentatives d'arrivée sur les îles
grecques et italiennes, dont la capacité d'accueil au sein des
hotspots semble avoir atteint son maximum, et surtout de stopper les
tentatives de traversée de la mer Méditerranée.
Il est important de rappeler que, même si 80% des
réfugiés quittent leur pays afin d'aller dans le pays voisin pour
y trouver sécurité, l'Europe a connu une importante hausse
d'arrivées de demandeurs d'asile à partir de 2015. L'année
2015 fut qualifiée comme étant l'année de la « crise
migratoire » : un million de personnes sont arrivées par la voie
maritime en Europe, dont 772 000 en Grèce et 153 000 en Italie.
Cette sous-partie a pour but de mettre en lumière les
objectifs et les enjeux de la double coopération bilatérale mise
en place par l'Europe avec la Turquie et la Libye. Si, au premier abord, la
logique de contrôle et de refoulement des réfugiés dans ces
deux pays peut sembler représenter la même, il s'avère que
les moyens qui leur sont alloués par l'Europe varient tant sur le
financier que sur le technique et la mobilisation humaine (voir le tableau
comparatif en Annexe 2). Pourquoi parle-t-on de camps de
détention en Libye et pas en Turquie ? Pourquoi la coopération de
l'Europe en mer Méditerranée se fait-elle principalement avec les
garde-côtes libyens et pas les garde-côtes turcs ? Des questions
auxquelles nous tenterons de répondre dans cette sous-partie afin
d'apporter un éclairage sur la vision de l'Europe quant à sa
manière de gérer les flux migratoires au-delà de ses
propres frontières.
Une logique de contrôle et de refoulement commune pour
la Turquie et la Libye
Depuis les années 90, l'Union européenne
soutient « de loin » les actions destinées aux
réfugiés, en donnant une contribution financière pour
l'entretien des camps en Afrique et au Moyen-Orient via le HCR. Malgré
la ratification de la Convention de Genève de 1951 et de son Protocole
additionnel de 67, l'Europe n'a pas réellement élaboré de
politique opérationnelle et efficace en termes de gestion et d'accueil
des migrants. Ainsi, la hausse des arrivées en Europe en 2015,
qualifiée d' « imprévisible », a provoqué une
sorte de panique générale et une volonté de refoulement
massif au-delà des frontières. L'UE a donc décidé
de continuer sa politique du « soutien de loin » des
réfugiés en passant des accords entre 2016 et 2018 avec la
Turquie et la Libye pour stopper l'immigration irrégulière sur
son territoire.
La Turquie fait partie des pays qui accueillent le plus de
réfugiés au monde. En 2016, le HCR comptabilisait 3,5 millions de
réfugiés, dont 100 000 syriens. Bien qu'elle ne soit pas
28
signataire des Conventions de Genève de 1951 relatives
au statut de réfugié, elle les accueille et les «
héberge » dans des camps financés en grande partie par
l'Europe, mais leurs conditions de vie sont déplorables et de nombreux
cas de maltraitance ont été relevés par les structures
humanitaires sur place. Le 5 octobre 2015, un plan d'action a été
proposé par la Commission européenne ayant pour but le soutien
des réfugiés et de leurs communautés d'accueil en Turquie
et la gestion des flux de migrants irréguliers en mer
Égée. Les objectifs de ce plan d'action sont :
- Le soutien des syriens sous protection internationale et de
leurs communautés d'accueil turques avec le financement d'associations
humanitaires en Turquie et également aux associations des principaux
pays d'accueil des réfugiés syriens que sont le Liban, la
Jordanie, l'Irak et la Syrie,
- La garantie que la Turquie permettra l'accès aux
services publics aux réfugiés syriens, tout en prenant en charge
les personnes vulnérables, et qu'elle reverra sa politique en termes
d'octroi d'une protection internationale,
- La lutte contre l'immigration irrégulière en
coopérant activement avec des parties prenantes comme Frontex.
Ce plan d'action sera adopté lors du sommet UE-Turquie
du 29 Novembre 2015. Il soumet des engagements devant être
respectés par l'UE et par la Turquie.
En 2017, l'Italie, impuissante face au silence des autres pays
de l'UE et en proie à une forte montée de nationalisme et de
xénophobie, notamment avec l'élection de Matteo Salvini,
décide de signer des accords avec la Libye afin que cette
dernière intercepte les bateaux de migrants et les ramènent sur
son territoire. Ce n'est pas la première fois que l'Italie et la Libye
coopèrent ensemble pour gérer les flux migratoires en provenance
de l'Afrique : en 2000 et 2008, des accords avaient été
signés et en 2009, de nombreux bateaux ont été
interceptés en Mer afin que les équipages italo-libyens
ramènent les migrants à Tripoli. En 2012, le Protocole d'accord
Memorandum of Understanding (MoU) a été élaboré
afin de garantir l'appui à la formation de la police et des
garde-côtes libyens, la construction de centres de rétention en
Libye, l'application des programmes de rapatriement des migrants et le
renforcement de la coordination italo-libyenne aux frontières. Ce
Protocole n'a jamais vu le jour car l'Italie fut condamnée par la Cour
européenne des droits de l'Homme le 06 juin 2012.
29
Le 2 février 2017 marque la date du second MoU qui sera
cette fois-ci signé et appliqué par le Président du
Conseil des Ministres italiens Paolo Gentiloni et Fayez Mustafa al-Serraj,
Président du Conseil de son propre parti politique. La seule
différence relevée entre le premier et le second Protocole ?
L'implication unique des garde-côtes libyens dans le refoulement et le
rapatriement des migrants et non plus de la police italienne. Il s'agit d'un
élément crucial pour la compréhension des enjeux
migratoires actuels en Europe : cette volonté de non implication des
autorités italiennes signifie que les pays de l'UE ne veulent pas (plus)
être mêlés de près ou de loin à la gestion des
migrants à leurs frontières. L'Italie, pour l'application de son
second Protocole avec la Libye, a choisi de ne pas porter la
responsabilité des sauvetages en Méditerranée, ni du
retour forcé ou des maltraitances que subissent les migrants en Libye.
Elle en porte néanmoins la responsabilité indirecte puisqu'elle
finance la Libye et ferme les yeux sur les conditions inhumaines dans
lesquelles les sauvetages en Méditerranée ont lieu et dans les
camps de détention en Libye.
La signature de ces accords de l'UE avec respectivement la
Turquie et la Libye représente, à ce jour, l'une des
dernières mesures prises par l'UE afin de répondre au défi
migratoire qui subsiste en Méditerranée. Dans cette logique de
refoulement au-delà des frontières, l'UE ne semble pas vouloir
revoir sa politique migratoire et prendre sa part de responsabilité
quant aux décès en Méditerranée. L'importance des
moyens financiers, techniques et humains octroyés à la Turquie et
à la Libye démontre de manière évidente que l'UE
souhaite déléguer cette responsabilité et ne pas assumer
les conséquences tragiques qui en découlent. Financer des
garde-côtes libyens afin qu'ils interceptent les embarcations de migrants
et les ramènent en Libye et financer les camps en Turquie afin de
retenir les migrants sont des actes de « délégation »,
révélateurs de la volonté de l'UE de ne pas se confronter
pleinement au phénomène migratoire qui demeure (et se meurt)
à ses frontières depuis des années.
Moyens financiers importants octroyés à la
Turquie
Dans son ouvrage Migrants & Réfugiés,
Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents
(2018), Claire Rodier emploie le terme « dépenses anti
migratoires » afin de qualifier les sommes importantes investies par l'UE
dans sa gestion des flux migratoires. En effet, par l'emploi de ce terme, elle
sous-entend que les dépenses engendrées par l'Europe n'ont pas
pour but de faciliter l'arrivée des migrants sur son territoire ou de
leur garantir un accueil décent mais plutôt de les repousser
au-delà de ses frontières en finançant les principaux pays
de transit
30
par lesquels ils passent afin qu'ils soient interceptés
en Méditerranée et immédiatement rapatriés. Il
s'agit donc de dépenses « anti migratoires » et non pas de
dépenses « migratoires » dans le sens où l'argent est
utilisé pour profiter à l'Europe et aux pays qu'elle sollicite et
non pas pour le bien-être des migrants.
Suite aux accords signés avec la Turquie en mars 2016,
l'Union européenne s'est engagée à lui verser la somme
totale de 6 milliards d'euros en deux versements de 3 milliards d'euros chacun
sur deux années. Cette somme conséquente a pour but l'arrêt
total de l'immigration irrégulière en Europe avec
différentes actions menées :
- Les autorités grecques ont pour obligation de
renvoyer les migrants « irréguliers » ou n'ayant pas besoin de
protection internationale en Turquie s'ils sont arrivés sur les
îles grecques (Chios, Samos) depuis Mars 2016,
- Ils ont également pour obligation d'empêcher la
création de nouvelles routes migratoires terrestres ou maritimes,
- L'obligation de démanteler les réseaux de
passeurs,
- L'obligation d'instaurer le quota du « 1
réfugié syrien renvoyé en Turquie équivaut à
1 réfugié syrien accepté en Europe ».
Une partie des 6 milliards d'euros est allouée aux
projets de développement (santé ou éducation par exemple)
mis en place par les ONG et les associations pour les réfugiés en
Turquie. Les frais de retour des migrants expulsés des îles
grecques à la Turquie sont également pris en charge par l'Europe.
Ce dispositif de grande ampleur a eu pour conséquence une baisse
drastique des traversées en mer Égée et des
arrivées en Grèce, et la réouverture de la route
italienne. En contrepartie de ces actions, l'Europe s'engage à autoriser
la procédure de libéralisation des visas de courte durée
pour les ressortissants turcs et à rouvrir les négociations pour
l'entrée de la Turquie au sein de l'UE.
Moyens techniques et formation des garde-côtes
libyens
Si l'accord passé avec la Turquie est plutôt de
l'ordre financier, l'accord passé avec la Libye est, en revanche,
davantage axé sur l'opérationnel. En effet, l'UE avait
déjà fait don de 4 navires patrouilleurs en juin 2017 et en avait
promis 6 autres dans les mois suivants. De plus, il a été convenu
que les garde-côtes libyens seraient entraînés et
formés par les autorités italiennes afin d'apprendre le sauvetage
en mer des migrants et renforcer la sécurité aux
frontières libyennes.
31
En réalité, selon le rapport
rédigé8 par Omer Shatz et Juan Branco
déposé devant la Cour Pénale Internationale (CPI) en Juin
2019 qui accuse l'UE de crimes contre l'humanité au vu des traitements
inhumains infligé aux migrants en Libye, les autorités libyennes
seraient formées depuis 2014. En 2013, le Conseil de l'Union
européenne a signé le lancement de la Mission d'assistance pour
une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya)
afin d'aider les autorités libyennes à renforcer la
sécurité de leurs frontières aériennes, terrestres
et maritimes. En 2016, le Comité politique et de sécurité
(COPS) annonce officiellement le début des entraînements des
garde-côtes libyens. En Juillet 2018, toujours selon le rapport, 213
personnes faisant parties des garde-côtes libyens et de la marine
libyenne ont été entraînées en Crète et
à Malte. La Mission d'assistance pour une gestion intégrée
des frontières en Libye (EUBAM), initialement prévue pour deux
années, est reconduite en Juillet 2017 pour une année
supplémentaire. Quelques jours après, l'opération Sophia
est également reconduite et le 28 Juillet 2017, des fonds sont
débloqués par la Commission européenne afin de renforcer
les capacités des autorités libyennes, et plus
particulièrement des garde-côtes.
En Avril 2017, la Commission Européenne annonce
l'octroi de 90 millions d'euros en faveur des projets d'aide aux migrants en
Libye et notamment pour améliorer les conditions de vie dans les centres
de détention. Un montant de 46 millions d'euros est
débloqué en Juillet 2017 afin de « renforcer les
capacités des autorités libyennes ». Le rapport explique
notamment que c'est l'Italie qui coopère le plus avec la Libye et qui
promet aux garde-côtes « des équipements, des bateaux et des
salaires » pour l'interception et la gestion des migrants. Il est
également évoqué que quelques opérations de
recherche et d'interception des migrants aux frontières libyennes ou en
Méditerranée ont été menées
secrètement par les forces aériennes et maritimes d'États
européens qui ont aidé et indiqué la position des migrants
aux garde-côtes libyens.
Il apparait donc, au travers des faits énoncés
et détaillés précisément date par date dans le
rapport, que l'UE a déployé des moyens financiers, techniques et
humains importants afin de rallier la Libye à sa lutte contre
l'immigration clandestine en Europe. Les équipements et les formations
coûteuses délivrées aux autorités libyennes
s'apparentent davantage à des objectifs de contrôle,
d'interception et de captivité dans les camps de détention que du
sauvetage en merdes migrants en détresse et de leur confort en Libye.
L'implication particulièrement forte
8 Shatz, O. et Branco J. (2018). EU Migration Policies
in the Central Mediterranean and Libya (2014-2019).
Récupéré le 11 Juin, 2019, par mail de Monsieur Branco,
file:///C:/Users/Anaelle/Documents/3A/MASTER%202/Mémoire/EU-ICC-FINAL.pdf
32
de l'Italie dans la coopération avec la Libye
démontre sa volonté de stopper tout débarquement de
migrants dans ses ports (Lampedusa) et de ne plus porter le « poids
migratoire » qu'elle gère seule depuis des mois sans l'aide des
autres États membres de l'UE.
L'interception des embarcations de migrants en détresse
par les garde-côtes libyens
De nombreuses vidéos ont récemment
circulé sur le net montrant la manière de procéder des
garde-côtes libyens afin de venir en aide aux migrants en détresse
en Méditerranée. La plupart de ces vidéos sont
filmées en caméras cachées et certaines images peuvent
choquer de par leur contenu explicite et violent. Sur une vidéo
relayée par le média Courriel international9,
tournée par les agences Forensic Oceanography et Forensic Architecture
et réalisée par le New-York Times, qui dure 15 minutes
environ, on peut voir le déroulement d'une mission de « sauvetage
» des garde-côtes libyens ayant repéré une embarcation
de migrants en train de couler. La vidéo fut tournée sous forme
de reconstitution de la journée du 6 novembre 2017, alors que 150
migrants quittent Tripoli sur un bateau pneumatique pour rejoindre l'Europe. La
plupart du temps, lorsque les passeurs font embarquer les migrants sur des
bateaux pneumatiques, très peu ont des gilets de sauvetage, et leur seul
moyen de communication est le téléphone satellite pour appeler en
cas de détresse. Durant les 15 minutes de la vidéo, nous pouvons
observer la manière dont les garde-côtes libyens « viennent
en aide » aux migrants dont l'embarcation chavire. La majorité des
personnes tombent e la plupart ne savant pas nager, commencent à se
noyer. Comme l'explique la personne qui parle dans la vidéo en
commentant les images, le bateau libyen ne respecte pas les techniques standard
de sauvetage car :
- Le bateau ne se situe pas à la bonne distance de
l'embarcation pneumatique et engloutit les migrants autour,
- Les équipes libyennes se contentent de lancer des
bouées et gilets de sauvetage mais ne descendent pas dans des canots
pour sauver les personnes de la noyade,
- Les garde-côtes libyens crient et insultent les
migrants. Ils les filment également en train de se noyer sans
réagir,
9 Courriel international. (2019, 2 Janvier). Comment
l'Europe et la Libye laissent mourir les migrants en Mer.
Récupéré le 10 Août, 2019, sur
https://www.courrierinternational.com/video/enquete-comment-leurope-et-la-libye-laissent-mourir-les-migrants-en-mer?fbclid=IwAR1anJyO5bZWcfka1tTJhTIeVdkY6A2x8POvVTVhJOseMPmzGCUcb9XE4oU
33
- Les garde-côtes libyens n'ont pas les
équipements nécessaires à bord de leur navire pour
secourir et soigner les migrants (pas de canots de sauvetage, pas de
médecins ni de zone de soins).
Lorsque le bateau humanitaire Sea Watch 3 arrive finalement
quelques minutes plus tard, on constate que la procédure de sauvetage
diffère totalement de celle employée par les équipes
libyennes : le bateau se trouve à bonne distance des migrants, les
équipes descendent dans des canots de sauvetage et sortent les migrants
de l'eau en les aidant à monter avec eux sur les canots. À bord,
ils seront pris en charge par une équipe compétente de
médecins qui leur apporteront les premiers soins ainsi qu'un soutien
psychologique. Il est également choquant d'entendre les menaces des
garde-côtes libyens proliférées envers les sauveteurs du
Sea Watch, telles que « Ne revenez pas près de nos eaux
territoriales. La prochaine fois, vous serez pris pour cible. N'approchez pas
sinon je vous tue ». En vérité, il parait assez
évident que les garde-côtes libyens qui se déplacent
lorsqu'ils reçoivent un appel SOS d'une embarcation de migrants en
détresse le font uniquement pour respecter l'accord passé avec
l'UE et pas dans le réel but de sauver des vies. Il s'agit donc
clairement de se rendre sur place, d'intercepter violemment les migrants, en
laissant en mourir plus d'un, et de les ramener dans des centres de
détention en Libye.
Malheureusement, la description détaillée de
cette vidéo représente la réalité des drames
actuels en Méditerranée. La Libye étant tenue de respecter
les engagements énoncés dans les accords passés avec l'UE
en 2017, les garde-côtes ne remplissent pas leur devoir de sauver les
migrants de la noyade et de leur assurer sécurité et conditions
de vie décentes. Les conséquences de cet accord sont
désastreuses tant pour les migrants qui subissent les décisions
européennes controversées que pour l'aide humanitaire qui
s'efforce de répondre aux besoins de sauvetage en
Méditerranée étant donné l'inefficacité des
navires des garde-côtes libyens. Ces pratiques exercées par les
autorités libyennes vont à l'encontre de certains principes
propres aux droits de l'Homme et sont régulièrement
dénoncées par les ONG de sauvetage.
L'horreur des centres de détention en Libye : crimes
contre l'humanité ?
Pour les quelques migrants interceptés par le navire
des garde-côtes libyens, leur sort sera bien différent de celui de
ceux emmenés en Europe. Depuis la révolution de 2011 et la chute
de Kadhafi, la Libye est en proie à une guerre civile violente et de
nombreux reportages et témoignages ont révélé les
conditions de vie inhumaines dans les centres de détention où
des
34
milliers de migrants sont enfermés. Ils sont
privés de nourriture, parfois d'eau, maltraités, violés,
vendus, enfermés par centaines dans des endroits ne dépassant pas
les 20 mètres carrés. On dénombre également des
centaines de décès dus à des maladies comme la tuberculose
depuis septembre 2018. L'ONU s'inquiète de cette situation et
dénonce ces conditions de vie qui s'apparentent à des crimes
contre l'humanité et a demandé maintes fois la fermeture de ces
centres de détention. Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat
de l'ONU aux droits de l'Homme a déclaré10 « Nous
sommes profondément préoccupés par les conditions
épouvantables dans lesquelles des migrants et des réfugiés
sont détenus en Libye ». À l'origine, les centres de
détention dans lesquels sont enfermés les migrants
devaient être des centres de rétention au vu des accords
signés entre l'Italie et la Libye. Néanmoins, la Libye n'est pas
signataire de la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés et ne semble pas se préoccuper de la condition
des migrants qu'elle intercepte et enferme durant de longues périodes
dans ces centres. En juin 2019 est paru un rapport11,
rédigé par les deux avocats Omer Shatz et Juan Branco, qui accuse
l'UE et ses États membres de crimes contre l'humanité envers les
migrants qui tentent de rejoindre l'Europe et qui sont interceptés et
ramenés de force en Libye. Le rapport analyse toutes les
décisions politiques prises par l'UE depuis 2014 dans le but de
dissuader les migrants de venir en Europe et les refouler massivement à
ses frontières. Il explique également en quoi les faits
relevés dans les centres de détention en Libye s'apparentent
à des crimes contre l'humanité. Il a été
déposé devant la Cour pénale internationale (CPI) et
à ce jour, aucun verdict n'a été rendu. Il y aurait
actuellement, selon Amnesty International, 8000 migrants et demandeurs d'asile
bloqués dans les centres de détention en Libye.
Il est horrifiant de constater que de par ses accords
signés avec la Libye en 2017, l'Europe se rend, en un sens, complice des
tortures, traitements inhumains et meurtres commis envers les migrants. Son
objectif de refoulement et de mise à distance et les moyens
déployés pour l'atteindre ne font que repousser le
phénomène migratoire à ses frontières qui ne
cessera de croître dans les années à venir étant
donné l'augmentation des conflits dans le monde. Les accords
passés avec la Turquie et la Libye témoignent de la
volonté de l'Europe de ne pas prendre ses responsabilités
vis-à-vis de la protection et de la prise en charge des migrants
fuyant
10 Le Figaro. (2019, 7 Juin). Libye: l'ONU dénonce les
conditions de détention «épouvantables» des migrants.
Récupéré le 17 Juillet, 2019, sur
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/libye-l-onu-denonce-les-conditions-de-detention-epouvantables-des-migrants-20190607
11 Maupas, S. (2019, 3 Juin). Deux avocats accusent
l'UE de crimes contre l'humanité envers les migrants de Libye.
Récupéré le 2 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/03/plainte-contre-l-union-europeenne-devant-la-cpi-pour-le-traitement-des-migrants-en-libye_5470685_3210.html
35
conflits et persécutions. La Méditerranée
représente par conséquent un « moyen », un « outil
» non négligeable pour l'Europe afin de ne pas les laisser passer
ses frontières facilement et laisser la responsabilité de leur
survie en Méditerranée aux garde-côtes libyens (et aux
ONG).
Comme le souligne de manière juste Claire Rodier dans
son ouvrage Migrants & Réfugiés : Réponse aux
indécis, aux inquiets et aux réticents (2018), les moyens
financiers, tels que les 6 milliards d'euros octroyés à la
Turquie et les moyens techniques et humains, tels que les navires et la
formation délivrés aux garde-côtes libyens, pourraient
largement être dépensés pour les migrants et non
pas contre les migrants. Cependant, la politique migratoire
européenne étant axée sur un contrôle et un
refoulement massif des migrants, les dépenses en faveur de ces objectifs
ne cesseront très certainement de croître dans les années
à venir et la condition du migrant ne sera bientôt malheureusement
plus prise en considération.
36
B) Les enjeux et conséquences du sauvetage en
mer des migrants en Méditerranée : rôle des eaux
territoriales et responsabilités
Route privilégiée des migrations, la
Méditerranée constitue une zone dont les multiples richesses et
ressources en font le berceau de la civilisation occidentale.1/3 du trafic
maritime mondial s'opère dans ses eaux. En termes juridiques, les eaux
de la Méditerranée sont en grande majorité des
eaux internationales c'est-à-dire « Toutes les
parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone économique
exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures d'un État,
ni dans les eaux
archipélagiques d'un État archipel. La haute mer
est ouverte à tous les États et est affectée exclusivement
à des fins pacifiques » selon les articles 86, 87 et
8812 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer
(CNUDM). Ce terme a été mentionné pour la première
fois dans le cadre de l'élaboration de la Convention des Nations unies
sur le droit de la mer qui avait pour but de codifier et d'encadrer de
manière universelle le droit de la mer afin que les États, et
surtout les États côtiers, s'accordent sur une gestion des espaces
maritimes et la conservation de ses ressources. Une première
conférence fut organisée par l'ONU à Genève en 1956
afin de poser les bases de la Convention et de s'accorder sur les principes
à mettre en oeuvre. En 1958, quatre Conventions sont
élaborées : la Convention sur la mer territoriale et la zone
contiguë, la Convention sur la haute mer, la Convention sur la pêche
et la conservation des ressources biologiques de la haute mer et la Convention
sur le plateau continental. Après une deuxième conférence
en 1960 et une troisième en 1973, les Nations unies signent finalement
en 1982 la Convention des Nations unies sur le droit de la mer à Montego
Bay (Jamaïque). 168 États ont ratifié cette Convention dont
tous les membres de l'UE en 1998.
À l'inverse des eaux internationales mentionnées
plus haut, on parle de mer territoriale, ou eaux
territoriales, qui est la « Zone de mer adjacente au territoire
et aux eaux intérieures de l'État côtier, où
celui-ci exerce une pleine souveraineté tant sur les eaux de surface que
sur l'espace aérien au-
dessus de la mer territoriale, le fond de cette mer et son
sous-sol. La largeur de la mer territoriale ne dépasse pas 12 milles
nautiques » selon les articles 2, 3 et 4 de la CNUDM. Il s'agit donc
d'espaces maritimes délimités et appartenant à des
États côtiers qui peuvent en exploiter les ressources et y exercer
une souveraineté totale. Au sein de l'Union européenne, 7 membres
possèdent des eaux territoriales qui s'étendent sur 652 507
km2 : la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, Malte, Chypre
et la Slovénie. Il y a donc une majorité d'eaux internationales
en Méditerranée, comme
12 Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies
sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019,
sur
http://admi.net/eur/loi/leg
euro/fr 298A0623 01.html
37
le montre la carte ci-dessous, la ligne rouge
représentant la limite des eaux territoriales des États
côtiers, et il est important de le mentionner puisque ces eaux jouent un
rôle dans la compréhension des relations entre les
différents acteurs présents en mer et le sauvetage des migrants
en détresse.
Carte13 des mers territoriales de la mer
Méditerranée et de la mer Noire (Infographie
n°4)
Parmi les principes énoncés par la CNUDM, les
États ont des droits souverains et des devoirs à respecter dans
la gestion de leurs eaux territoriales, ces droits s'étendant aux «
sous-sols » des eaux, à la surface et à l'espace
aérien de la zone délimitée. En termes de droits, les
États peuvent appliquer leurs propres lois, exploiter les ressources de
leurs eaux dont les ZEE (Zone économique exclusive), mener des
opérations d'explorations des fonds sous-marins, réguler les
pratiques de pêche, etc. Les devoirs cités sont nombreux mais nous
nous concentrerons sur ceux qui nous intéressent le plus ici : le droit
de passage inoffensif dans la
13 Parlement européen. (2010). Eaux
territoriales en Méditerranée et en mer Noire.
Récupéré le 21 Août, 2019, sur
http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2009/431602/IPOL-PECH
ET(2009)431602 FR.pdf
38
mer territoriale d'un État et l'obligation de porter
assistance dans ses propres eaux territoriales. En effet il est dit dans
l'article 9814 de la CNUDM que :
« 1. Tout État exige du capitaine d'un navire
battant son pavillon que, pour autant que cela lui est possible sans faire
courir de risques graves au navire, à l'équipage ou aux passagers
:
a) il prête assistance à quiconque est
trouvé en péril en mer;
b) il se porte aussi vite que possible au secours des
personnes en détresse s'il est informé qu'elles ont besoin
d'assistance, dans la mesure où l'on peut raisonnablement s'attendre
qu'il agisse de la sorte;
c) en cas d'abordage, il prête assistance à l'autre
navire, à son équipage et à ses passagers, et, dans la
mesure du possible, indique à l'autre navire le nom et le port
d'enregistrement de son propre navire et le port le plus proche qu'il
touchera.
2. Tous les États côtiers facilitent la
création et le fonctionnement d'un service permanent de recherche et de
sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité
maritime et aérienne et, s'il y a lieu, collaborent à cette fin
avec leurs voisins dans le cadre d'arrangements régionaux »
Étant donné que la Libye a signé la
Convention en 1984 mais qu'elle ne l'a jamais ratifié, la question de
l'obligation des sauvetages dans ses eaux territoriales se pose.
Néanmoins, le principe du Droit maritime (développé dans
le point suivant) sur le sauvetage d'un navire et/ou de personnes en
détresse en mer prime par-dessous tout, obligeant par conséquent
les garde-côtes libyens à porter secours aux embarcations de
migrants en détresse. Mais souvent, et comme montré dans de
nombreuses vidéos, comme celle relayée par le média
Courriel international, les garde-côtes, lorsqu'ils reçoivent un
appel, mettent du temps à arriver sur place et à procéder
au sauvetage des migrants qui se noient. De plus, il semblerait que les
garde-côtes procèdent davantage à des interceptions de
migrants qu'à des sauvetages : leurs navires ne sont pas
équipés en canots de sauvetage et les équipements comme
les gilets de sauvetage et les bouées sont lancées depuis le
navire (soit en hauteur avec un effet de projectile) sur les migrants,
augmentant davantage leur risque de noyade. Interviennent alors les navires
d'ONG présentes en mer, si elles sont à proximité, qui
respectent les règles du sauvetage afin de ne pas mettre plus en
péril les migrants qu'ils ne le sont déjà. Ce
schéma de l'arrivée des garde-côtes libyens, en
réponse à l'appel d'une embarcation en détresse, puis de
celle du navire de secours d'une ONG s'est répété
très souvent ces derniers mois et interroge sur le droit d'entrée
des ONG dans les eaux territoriales libyennes. Au vu :
14 Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies
sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019,
sur
http://admi.net/eur/loi/leg
euro/fr 298A0623 01.html
39
- De l'article 1715 de la CNUDM sur le Droit de
passage inoffensif :
« Sous réserve de la convention, les navires de
tous les États, côtiers ou sans littoral, jouissent du droit de
passage inoffensif dans la mer territoriale »
- De l'article 18 de la CNUDM sur la Signification du terme
« passage » :
« 1. On entend par «passage» le fait de naviguer
dans la mer territoriale aux fins de:
a) la traverser sans entrer dans les eaux intérieures
ni faire escale dans une rade ou une installation portuaire située en
dehors des eaux intérieures
ou
b) se rendre dans les eaux intérieures ou les quitter,
ou faire escale dans une telle rade ou installation portuaire ou la quitter.
2. Le passage doit être continu et rapide. Toutefois, le
passage comprend l'arrêt et le mouillage, mais seulement s'ils
constituent des incidents ordinaires de navigation ou s'imposent par suite
d'un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de
porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en
danger ou en détresse »
- Et de l'article 19 de la CNUDM sur la Signification de
l'expression « passage inoffensif
» :
« 1. Le passage est inoffensif aussi longtemps qu'il ne
porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la
sécurité de l'État côtier. Il doit s'effectuer en
conformité avec les dispositions de la convention et les autres
règles du droit international.
2. Le passage d'un navire étranger est
considéré comme portant atteinte à la paix, au bon ordre
ou à la sécurité de l'État côtier si, dans
la mer territoriale, ce navire se livre à l'une quelconque des
activités suivantes:
a) menace ou emploi de la force contre la souveraineté,
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de
l'État côtier ou de toute autre manière contraire aux
principes du droit international énoncés dans la charte des
Nations unies;
b) exercice ou manoeuvre avec armes de tout type;
c) collecte de renseignements au détriment de la
défense ou de la sécurité de l'État
côtier;
d) propagande visant à nuire à la défense
ou à la sécurité de l'État côtier;
e) lancement, appontage ou embarquement d'aéronefs;
f) lancement, appontage ou embarquement d'engins militaires;
g) embarquement ou débarquement de marchandises, de
fonds ou de personnes en contravention aux lois et règlements douaniers,
fiscaux, sanitaires ou d'immigration de l'État côtier;
15 Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies
sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019,
sur
http://admi.net/eur/loi/leg
euro/fr 298A0623 01.html
h)
40
pollution délibérée et grave, en violation
de la convention;
i) pêche;
j) recherches ou levés;
k) perturbation du fonctionnement de tout système de
communication ou de tout autre équipement ou installation de
l'État côtier;
l) toute autre activité sans rapport direct avec le
passage »
Étant dans la seule optique de sauver des migrants en
détresse, le passage des ONG dans les eaux territoriales libyennes est
considéré comme inoffensif et toléré. Mais surtout,
les sauvetages effectués par les garde-côtes libyens ne
répondant pas aux règles du sauvetage et représentant
davantage un danger qu'une réelle aide apportée, l'entrée
des ONG dans les eaux territoriales libyennes s'apparente à « un
cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours
à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en
détresse » (paragraphe 2 de l'article 18 de la CNUDM) et ne
constitue pas une violation du droit de la mer ou un danger pour l'État
libyen. Les altercations violentes ayant éclaté entre les
garde-côtes libyens et les ONG alors que ces dernières se
trouvaient dans leurs eaux territoriales et les menaces proférées
à leur encontre font de ces eaux une zone d'intervention dangereuse. Il
serait même d'ailleurs dangereux pour les ONG d'opérer dans les
eaux internationales près des eaux territoriales libyennes comme en
atteste l'ONG espagnole ProActiva Open Arms qui fut menacée par les
garde-côtes libyens le 15 août 2017. Selon l'article Une ONG
menacée par les garde-côtes libyens : "Si vous n'obéissez
pas... Vous serez ciblés" du média InfoMigrants16,
les Libyens auraient menacé les acteurs humanitaires de leur tirer
dessus s'ils ne quittaient pas immédiatement la zone. Le navire
humanitaire se trouvait à ce moment-là dans les eaux
internationales, à 25 km des eaux territoriales libyennes, distance plus
que convenable et autorisée par la CNUDM.
« Vous naviguez dans les eaux libyennes depuis des mois et
vous menez des activités qui portent atteinte à la
souveraineté de l'État libyen. Nous vous demandons de vous
diriger vers le port de Tripoli. Si vous n'obéissez pas
immédiatement... Vous serez ciblés. »
16 Boitiaux, C. (2017, 16 Août). Une ONG
menacée par les garde-côtes libyens : "Si vous n'obéissez
pas... Vous serez ciblés". Récupéré le 22
Août, 2019, sur
https://www.infomigrants.net/fr/post/4612/une-ong-menacee-par-les-garde-cotes-libyens-si-vous-n-obeissez-pas-vous-serez-cibles
41
Voici la phrase prononcée par un garde-côte
libyen lors de cette altercation. Il sous-entend que les opérations de
sauvetage menées par les ONG à proximité et dans les eaux
territoriales libyennes porteraient atteinte à la souveraineté
nationale de la Libye. Cependant, ces interventions, encore une fois,
répondent au principe du cas de force majeure, énoncé dans
l'article 18 de la CNUDM, et de sauvetage de personnes en détresse que
sont les migrants qui fuient de plus en plus les conditions de vie inhumains
dans lesquelles ils sont traités dans les centres de détention en
Libye. En plus de cela, le garde-côte menace de façon très
claire de tirer sur le navire humanitaire en cas de
désobéissance, ce qui constitue une atteinte grave à la
personne. S'il devient difficile pour les ONG de mener à bien leurs
opérations de sauvetage dans les eaux libyennes, où les naufrages
sont les plus recensés, il en est de même pour les
opérations en eaux internationales dans lesquelles les garde-côtes
libyens interviennent également. Menaces, agressions physiques
même parfois, il s'agit d'une manière de dissuader les ONG de
procéder à des sauvetages car, engagée par des accords
avec l'UE depuis 2017, la Libye se considère comme seule entité
autorisée à secourir les migrants et à les ramener dans
ses camps de détention.
Ainsi, malgré le fait qu'il y ait une étendue
d'eaux internationales plus importante que celle des eaux territoriales en
Méditerranée, les opérations de sauvetage menées
par les ONG constituent de plus en plus un risque pour les travailleurs
humanitaires qui se retrouvent souvent confrontés aux garde-côtes
libyens et à leur attitude offensive. Cependant, les ONG devraient
pouvoir mener en toute liberté et en toute sécurité leurs
opérations de sauvetage dans les eaux internationales, aucun texte de
loi contraignant ou entité juridique n'interdisant les mouvements et
activités dans cette zone.
Le Droit maritime : en Méditerranée, le
principe de sauvetage des personnes en détresse
bafoué
Le Droit maritime est l'ensemble des règles juridiques
relatives à la navigation en mer, selon la définition
donnée dans le Précis Droit maritime
rédigé par Philippe Delebecque (2014). Il diffère du
Droit de la mer qui concerne plutôt la gestion des espaces maritimes par
les États à l'échelle internationale. Selon le Droit
maritime, il existe aujourd'hui trois événements appelés
« accidents de navigation » que sont : la collision entre navires,
l'assistance prêtée à des navires en péril et
sauvetage des personnes en danger, et l'avarie commune. Nous nous
42
concentrerons sur le deuxième point
évoqué qui concerne l'assistance aux navires en péril et
le sauvetage des personnes en détresse. La loi maritime qui porte sur
l'obligation de sauvetage des personnes en situation de détresse date de
la fin du Moyen-Âge et peut être passible de sanctions en cas de
non-respect selon la loi du 25 octobre 1941 : « Loi du 25 octobre 1941
MODIFIANT LES ART. 228 ET 248 DU CODE PENAL ET PORTANT OBLIGATION DE DENONCER
LES CRIMES OU PROJETS DE CRIMES ATTENTATOIRES AUX PERSONNES ET DE SECOURIR LES
PERSONNES EN DANGER ». De nombreux traités évoquent
l'obligation de sauvetage en mer des personnes se trouvant en situation de
détresse comme par exemple :
- La Convention internationale du 23 septembre 1910 pour
l'unification de certaines règles en matière d'assistance et de
sauvetage maritimes, article 11 : « Tout capitaine est tenu, autant
qu'il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son
équipage, ses passagers, de prêter assistance à toute
personne, même ennemie, trouvée en mer en danger de se perdre
»,
- La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde
de la vie humaine en mer (Convention SOLAS), règle 10.1 : « le
capitaine d'un navire en mer qui est dans une position lui permettant de
prêter assistance et qui reçoit, de quelque source que ce soit, un
signal indiquant que des personnes se trouvent en détresse, est tenu de
se porter à toute vitesse à leur secours »,
- CMB, art. 98-2 : « tous les États
côtiers facilitent la création et le fonctionnement d'un service
permanent...de sauvetage adéquat et efficace... »,
- La Convention de Hambourg du 27 avril 1979 qui a
permis la création d'un dispositif international ayant pour but la
recherche et le sauvetage dans les eaux côtières de chaque
pays.
En plus de l'obligation de sauver des personnes, le principe
de gratuité doit s'appliquer, c'est-à-dire que les personnes
secourues ne doivent pas payer pour être secourues selon l'article 9 de
la Convention de 1910 et l'article 16 de la Convention de 1989.
En prenant en compte toutes ces dispositions et les missions
en mer incombant à l'État (détaillées en
Annexe 3), il convient de dire que l'UE manque, au vu de la
situation actuelle en Méditerranée, à ses
responsabilités en termes de sauvetage de personnes en détresse.
En effet, malgré la création de Frontex en 2004, l'Agence
européenne en charge de la surveillance des frontières
européennes et des opérations aériennes et maritimes, et
de la mission Mare Nostrum lancée en 2013, aucune mesure
concrète n'a été prise ou le cas échéant,
les mesures ne se sont pas révélées réellement
efficaces. Pour cause, l'UE a, par l'intermédiaire d'un accord
signé
43
avec la Libye en 2017, délégué la
responsabilité des sauvetages de migrants en détresse en
Méditerranée aux garde-côtes libyens qui les interceptent
davantage qu'ils ne les sauvent. De plus, la non présence de navires de
sauvetage en Méditerranée, hormis les navires
affrétés par les ONG comme SOS Méditerranée,
augmente considérablement le risques de noyade des migrants qui tentent
la traversée sur des embarcations peu fiables. Il s'agit, en un sens,
d'un non-respect du Droit maritime étant donné que l'Europe est
consciente de l'aspect meurtrier de ses frontières maritimes et qu'elle
ne fait actuellement pas grand-chose pour éviter les noyades en
Méditerranée, et même au contraire, qu'elle entrave le
travail des acteurs humanitaires présents dans la zone (ce point sera
détaillé dans la sous-partie B de la 3ème
partie).
Selon Coralie Carvin, ancienne salariée de SOS
Méditerranée que j'ai eu l'opportunité d'interviewer (voir
Annexe 4), bien avant 2015, l'agence Frontex procédait
à des opérations de sauvetage en mer tout comme L'Organisation du
traité de l'Atlantique Nord (OTAN) mais qu'il n'y en avait plus.
À ce jour, seules les ONG, quelques navires de la marine dont on entend
très peu parler, et la Société nationale de sauvetage en
mer (SNSM) sauvent les migrants en détresse en
Méditerranée et dans la Manche.
Pour conclure cette sous-partie, selon les eaux territoriales
dans lesquelles les migrants en détresse sont secourus, et selon les
acteurs présents à ce moment-là, leur sort s'avère
bien différent. Sauvés par des ONG, les migrants seront
déposés dans les ports des îles européennes (Malte,
Lampedusa, etc.), interceptés par les garde-côtes libyens, ils
seront ramenés de force dans les camps de détention en Libye.
Cependant, suite aux réactions virulentes des garde-côtes libyens
envers les ONG présentes dans les eaux internationales, un droit tout
à fait légitime étant donné que n'importe quel
navire peut y circuler à des fins pacifiques, on peut finalement se
poser la question du respect de la Convention des Nations unies sur le droit de
la mer par l'État libyen. En effet, n'ayant pas ratifié la
Convention, rien ne les oblige à répondre aux obligations
énoncées, mais les principes de sauvetage présents dans le
Droit maritime constituent un devoir universel pour tous et ce, à titre
individuel. Ainsi, les garde-côtes libyens ont une responsabilité
lorsqu'ils sont en présence d'une embarcation de migrants en
détresse, et sont censés appliquer les règles du sauvetage
qui consistent à porter secours rapidement, mettre les rescapés
à l'abri sur le navire, et les ramener dans le port le plus proche et le
plus sûr. Des règles qui ne sont pas réellement
respectées et qui constituent la cause des accrochages avec les ONG qui
dénoncent leur manque d'investissement et d'humanité envers les
migrants.
44
C) Les îles grecques : l'accueil dans les
hotspots
Depuis 2015, le nombre des traversées de la
Méditerranée a considérablement augmenté et les
statistiques et témoignages de survivants ont démontré que
les embarcations n'arrivaient jamais à destination : les migrants sont
soit interceptés par les garde-côtes libyens et ramenés de
force dans les centres de détention en Libye, soit sauvés par les
ONG de sauvetage et emmenés sur les îles à
proximité. Géographiquement, la Méditerranée est
divisée en trois zones : la Méditerranée orientale
bordée par les îles grecques comme Lesbos, Chios, Samos, Kos,
Leros et Évros ; la Méditerranée centrale bordée
par les îles italiennes telles que Lampedusa, Pozzallo et le canal de
Sicile ; et enfin la Méditerranée occidentale dont le passage le
plus emprunté, et le plus surveillé, fut le détroit de
Gibraltar il y a quelques années de cela. Si les îles sur
lesquelles sont débarqués la plupart des migrants sont des
îles européennes, cela ne veut pas dire que les migrants ont
atteint leur objectif d'entrer en Europe. En effet, si le dispositif des
hotspots, instauré en 2015 par l'Union européenne afin
de différencier les migrants éligibles au statut de
réfugié de ceux ne l'étant pas, donne l'illusion d'une
dernière étape à franchir pour les migrants afin
d'accéder au sol européen, il s'agit en réalité
d'un moyen de les contrôler et de les mettre à distance. La
création des hotspots fut une réponse à l'afflux
soudain de demandeurs d'asile venus chercher protection en Europe en 2015. Il
s'agit de centres implantés sur les îles grecques et italiennes,
premiers lieux d'arrivée des migrants où ils sont
identifiés puis enregistrés en donnant leurs empreintes. Le cas
des migrants est traité selon l'étude de leur situation : s'il
est estimé que la personne est éligible au statut de
réfugié, elle est orientée vers des procédures
d'asile afin de formuler sa demande, dans le cas contraire, elle est
renvoyée. Lors de l'élaboration de l'Agenda européen en
matière de migration en 2015, la Commission européenne a
proposé un mécanisme de relocalisation dans la continuité
du passage par les hotspots : si les migrants sont
considérés comme ayant besoin d'une protection, ils sont
répartis entre plusieurs États européens afin qu'ils ne
soient pas tous accueillis et pris en charge par la Grèce ou l'Italie.
La gestion des hotspots et des migrants est assurée par trois
entités que sont : Frontex qui gère les arrivées des
migrants sur l'île, s'assure qu'ils donnent bien leurs empreintes
digitales et coordonne les retours programmés pour ceux devant
être renvoyée, le Bureau européen d'appui en matière
d'asile (BEAA) qui les enregistre et prépare leur dossier, et Europol et
Eurojust qui coopèrent afin de démanteler les réseaux de
passeurs. Il y aurait actuellement 9 hotspots dont 5 en Grèce
et 4 en Italie.
45
Si les hotspots ont été imaginés
et perçus comme une solution idéale en réponse à la
« crise migratoire » de 2015, ils cachent une toute autre
réalité bien moins efficace et solidaire qu'elle n'y parait. La
capacité d'accueil des hotspots s'est
révélée être bien sous-estimée par rapport
aux arrivées quotidienne de centaines, voire de milliers, de migrants et
les conditions de vie y sont terribles selon le porte-parole du HCR.
Véritables prisons à ciel ouvert où l'attente d'une
réponse peut prendre jusqu'à 7 mois pour certains migrants, les
hotspots ne constituent finalement pas une solution
élaborée pour la prise en charge des migrants mais bien pour les
intérêts politiques d'une grande partie des États
européens qui y voient un moyen de contrôler et de refouler
massivement les flux migratoires. De nombreux dysfonctionnements ont
été relevés par des ONG, organisations internationales,
médias et autres au sein des hotspots en Grèce et en
Italie ainsi que des cas de maltraitance envers les migrants et le manque de
prise en charge des personnes vulnérables (femmes enceintes, enfants,
etc.).
Des prisons à ciel ouvert en Grèce : attente
interminable et surpopulation
Le reportage de France Inter17 tourné en
2018 sur l'île de Lesbos et plus précisément sur le camp de
Moria a révélé les conditions terribles dans lesquelles
les migrants tentent de survivre en attendant l'examen de leur dossier. File
d'attente de parfois 10 heures pour manger, installations sanitaires
insalubres, bagarres entre migrants, tel est le quotidien des 8000 personnes,
dont 2000 mineurs, entassées dans le camp de Moria, soit trois fois plus
que la capacité d'accueil initiale. Certains migrants sont dans
l'attente d'une réponse depuis 6, 7 voire 8 mois. L'ennui rythme leurs
journées et le froid paralyse leurs nuits. Le terme prisons «
à ciel ouvert » fut largement relayé par les médias
et pour cause : des rangées de barbelés encerclent le camp et les
entrées et sorties sont sans cesse surveillées et
contrôlées. Privés de leur liberté et contraints de
rester dans une attente indéfinie, les migrants déplorent les
conditions de vie insalubres dans lesquelles ils vivent et beaucoup d'entre eux
présentent des détresses psychologiques. Selon le reportage de
France Inter, trois mineurs vivant dans le camp auraient tenté de se
suicider. Malheureusement, Lesbos n'est pas la seule île dont les
conditions de gestion des flux migratoires sont désastreuses : les
îles comme Chios et Samos sont elles aussi le théâtre d'une
politique de contrôle et de mise à distance qui impacte grandement
la santé et
17 France inter. (2018, 8 Novembre). A
Lesbos, le camp surpeuplé de Moria. Récupéré le 23
Août, 2019, sur
https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-08-novembre-2018
46
le moral des migrants qui se retrouvent bloqués et
impuissants face à cette situation pendant des mois.
Camp de Moria sur l'île de Lesbos,
201618
(Infographie n°5 dans table des
figures)
Trois facteurs pourraient expliquer la rapide saturation des
hotspots depuis leur élaboration en 2015. Premièrement,
le fait que les politiques aient sous-estimé l'accroissement du nombre
de personnes arrivant sur les îles grecques quotidiennement. Selon
l'ouvrage Méditerranée : des frontières à la
dérive (2018), à l'automne 2015, plus de 197 166 personnes
seraient passées par l'une des cinq îles grecques de la mer
Égée. Un chiffre colossal si l'on prend en considération
la capacité d'accueil des hotspots qui n'excède souvent
pas les 500 places. L'exemple de l'île de Samos illustre bien la
réalité du surpeuplement progressif des hotspots. En
2007, le premier centre de Réception et d'Identification (RIC) est
construit sur l'île de Samos, destiné à accueillir les
migrants fraîchement arrivés en Europe pour une durée
maximale de 3 mois. Avec l'augmentation progressive du nombre de migrants
transitant par l'île les années qui suivirent, les conditions du
centre se détériorèrent : selon l'ouvrage
18 Euractiv. (2016, 9 Mai). Le défenseur
des droits en France dénonce les hotspots. Récupéré
le 21 Août, 2019, sur
https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/le-defenseur-des-droits-en-france-denonce-les-hotspots/
47
Méditerranée : des frontières
à la dérive (2018 : 73), « le ministère de la
Santé n'y délivrai ni services de santé primaire, ni
accompagnement psychologique ou psychiatrique, les détenus ne
bénéficiaient d'aucune assistance juridique et les plus
vulnérables étaient laissés à l'abandon sans mesure
spécifique de protection ». En 2016, l'État grec augmenta la
capacité du camp, passant de 280 à 700 places, ce qui restait
relativement peu étant donné l'explosion du nombre de passages et
transits par Samos en 2015. De manière générale, l'Europe
ne s'était pas préparée à l'afflux de migrants
arrivant de plus en plus nombreux chaque année à ses
frontières, même si cela était pourtant prévisible
depuis quelques temps, et tous les hotspots construits en Grèce
se sont retrouvés dans la même situation de devoir accueillir
beaucoup plus de personnes que la capacité ne le permettait.
Le deuxième facteur qui explique cette saturation des
dispositifs d'accueil découle des accords passés en mars 2016
entre l'UE et la Turquie. L'un des engagements de la Turquie consistait
à ce que tous les migrants arrivant dans les hotspots des
îles grecques soient identifiés mais également dans
l'obligation immédiate de formuler leur demande d'asile, ce qui
n'était jusqu'à maintenant pas le cas étant donné
qu'ils étaient uniquement identifiés et enregistrés comme
étant éligible au statut de réfugié puis
redirigés vers le continent grec afin de déposer leur demande
d'asile. En plus de bloquer les migrants, cette procédure de la Turquie
a eu pour effet de surpeupler les hotspots étant donné
la longueur que prend chaque procédure d'examen de la demande d'asile et
l'arrivée continue de centaines de migrants chaque jour. Les
refoulements et expulsions de migrants ont augmentés, et de nombreuses
ONG ont dénoncé le fait que les demandes d'asile étaient
parfois beaucoup trop rapidement étudiées, ce qui signifiait
peut-être renvoyer une personne dans son pays alors que sa vie y est
menacée. En rallongeant le temps d'attente des migrants et en leur
imposant l'étude de leur demande sur les îles grecques, l'Europe
souhaitait renvoyer le plus de migrants possible vers la Turquie et ne pas
avoir à organiser elle-même des refoulements. Il faut savoir que
les recours des migrants qui protestent contre la décision de rejet de
leur demande d'asile rallongent encore plus leur temps au sein des
hotspots. Le tout additionné d'un gros manque de sous-effectif
dans le traitement et la gestion des dossiers des migrants qui contribue
davantage à cette longue attente.
Le troisième facteur concerne le désengagement
flagrant de certains États européens qui n'ont finalement pas
accepté le mécanisme de relocalisation imposé lors de
l'établissement de l'Agenda européen en 2015. Afin de «
soulager » la Grèce et l'Italie et que les places se
libèrent plus rapidement au sein des hotspots, la Commission
européenne avait demandé aux États d'accueillir un certain
nombre de migrants éligibles au statut de réfugié.
Cependant, certains se sont progressivement retirés, prétextant
des excuses peu fondées, renforçant davantage la vision
48
d'une Europe ne souhaitant pas gérer les flux
migratoires présents à ses frontières depuis des
années. Sur les 160 000 migrants devant être
transférés dans des pays européens d'accueil, seuls 30 000
ont pu en profiter, soit moins du cinquième total que les États
s'étaient engagés à accueillir.
L'île de Chios représentait probablement l'une
des portes d'entrée la plus franchie pour accéder en Europe et
pour cause : elle se situe à proximité de la Turquie, faisant
face à la ville côtière de Çeþme, et constitue
la première « étape » pour les migrants qui tentent de
rejoindre l'Europe en traversant la mer Égée. Depuis les accords
passés entre l'UE et la Turquie en 2016, Chios est devenue un obstacle.
La présence des autorités turques, étant dorénavant
requise sur les îles grecques et au sein des hotspots afin de
procéder à des refoulements de personnes
considérées comme n'ayant pas besoin d'une protection, est
particulièrement accrue sur Chios car le contrôle entre
l'île et les côtes turques a été renforcé et
une surveillance des frontières est effective 24h/24. L'agence
européenne Frontex et l'OTAN sont présents en mer
Égée depuis 2015 et 2016 respectivement. Cela n'empêche
pourtant pas des migrants de monter à bord d'une embarcation et de
tenter la traversée, le trajet ne nécessitant en principe que
quelques heures.
Les camps de Vial et de Souda sur Chios ont une
capacité d'accueil totale de 2000 personnes et ont été
effectifs de l'été 2016 au début de 2017, période
à laquelle les départs de Turquie ont drastiquement baissé
suite à la signature des accords UE-Turquie. Vial est à la fois
un hotspot et un centre d'hébergement, et les conditions de vie
y sont plus précaires qu'à Souda. Ce dernier est
caractérisé par la présence de nombreux acteurs
humanitaires qui oeuvrent chaque jour pour les migrants, et prioritairement
pour les plus vulnérables comme les familles, femmes enceintes, MNA,
etc. Malgré cela, les deux camps restent des lieux d'enfermement
où l'attente est interminable pour les migrants qui attendant parfois
des mois pour voir leur demande d'asile aboutir ou non. Des fils
barbelés surplombent les grillages qui entourent la zone des camps et
une sécurité est sans cesse présente aux
entrées.
La réalité des hotspots et des
conditions de vie qui y règnent représentent une fois plus une
atteinte à l'intégrité des migrants. Enfermés,
livrés à eux-mêmes dans une attente interminable, le «
séjour » dans ces centres représente une détresse
psychologique supplémentaire à celles provoquées par les
potentielles persécutions subies dans leur pays et par la
traversée de la Méditerranée ou de la mer
Égée et le risque d'y mourir noyé. Le contrôle et
les refoulements exercés par les autorités en charge de la
gestion des migrants (Frontex,
49
autorités turques, etc.) sont heureusement, dans
quelques cas, contrebalancés par la présence d'équipes
médicales d'ONG qui prennent en charge les personnes les plus
vulnérables. Cependant, les États européens doivent
prendre conscience que les hotspots ne constituent pas un dispositif
efficace et adapté aux milliers de migrants qui arrivent par semaine.
Si la sous-partie s'est concentrée sur les hotspots
des îles grecques, les conditions n'y sont pas mieux dans ceux des
îles italiennes. L'ONG Amnesty international a d'ailleurs
dénoncé19 à maintes reprises les maltraitances
et exclusions que subissent les migrants, un témoignage poignant fut
d'ailleurs relayé sur leur site internet pour interpeller sur la
gravité de la situation :
« La douleur était indescriptible... Jamais je
n'aurais imaginé qu'on puisse me faire
une chose pareille en Italie » - Adam, 27 ans, originaire du
Darfour.
19 Amnesty International. « Hotspots
» en Italie : des réfugiés et migrants victimes de
violences. Récupéré le 27 Août, 2019, sur
https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2016/11/hotspot-italy/
50
III) Déni de solidarité et
difficulté d'un consensus européen
Si la première partie représentait davantage une
partie instaurant un contexte et énonçant des faits
indispensables à la compréhension de la position de l'Europe
quant à la gestion et l'accueil des migrants afin d'en contrôler
les flux en Méditerranée, la deuxième, elle, avait pour
but de démontrer le contrôle et la mise à distance
exercés durant tout le parcours migratoire en
Méditerranée, toujours en énonçant des faits
avérés et rapportés par diverses entités fiables.
Cette troisième et dernière grande partie se concentrera sur les
enjeux de la politique migratoire européenne de ces dernières
années et abordera la difficulté des États
européens à s'accorder sur un consensus qui serve les
intérêts de chacun tout en répondant au devoir de prise en
charge et d'accueil des migrants. Les deux premières sous-parties auront
pour objet les différentes violations des droits des
réfugiés, et la criminalisation des ONG de sauvetage comme frein
à la révision de la politique migratoire de l'UE. En effet, le
non-respect des droits des réfugiés ainsi que l'entrave au
travail des ONG en Méditerranée constituent une forme de
contrôle exercée par l'Europe pour empêcher les migrants
d'entrer sur son territoire. Ces deux sujets s'inscrivent donc parfaitement
dans la problématique du mémoire et de son objet de recherche.
A) Une violation de certains principes issus de textes
de lois européens et internationaux
Cette sous-partie aborde en grande partie les textes,
conventions, traités, etc. relatifs au Droit international et au Droit
international humanitaire. Elle n'a pas vocation à détailler de
manière précise tous les textes juridiques relatifs à la
condition et protection des personnes persécutées ou des
réfugiés dans le monde. Il ne s'agit pas non plus de
dénoncer ou de condamner telle ou telle entité, seulement
d'énoncer des faits avérés et le fait qu'ils vont à
l'encontre de certains principes fondamentaux énoncés dans des
textes de lois internationaux. Si l'objectif du mémoire est d'apporter
un point de vue objectif sur « l'utilisation » de la mer
Méditerranée comme zone de contrôle et de refoulement des
migrants venus chercher protection en Europe, il s'agit également
d'apporter un éclairage sur une possible responsabilité des
États concernés, notamment les pays européens et les pays
dit de départ. Ainsi, il semble pertinent de mettre en évidence
les violations des DH envers les migrants et réfugiés aux yeux du
Droit international (et par des faits avérés) exercées par
certaines parties prenantes comme l'Europe
51
ou la Libye. Néanmoins, afin de ne pas dériver
de la thématique, seuls les actes de l'Europe seront
évoqués et non pas ceux de la Libye, dont le nombre est
élevé, et la complexité grande. N'ayant pas de
connaissances approfondies en droit et ne souhaitant pas faire de cette partie
une analyse précise des textes juridiques internationaux, j'ai
décidé d'exposer des faits relatifs à la condition des
réfugiés et d'en justifier le non-respect quant aux DH par
l'apport de lois et d'articles.
La création d'une protection internationale pour les
réfugiés
Après la Seconde Guerre mondiale, des millions
d'Européens se sont retrouvés livrés à
eux-mêmes, sans foyer, sans identité nationale, sans repère
car il y eut une redéfinition des territoires et des frontières
en Europe. C'est ainsi que l'Agence des Nations unies pour les
réfugiés (HCR) fut créée en 1950 pour une
durée initiale de 3 ans, afin de venir en aide aux victimes de la
guerre, les réinstaller dans des lieux sûrs, et surtout
défendre leurs droits en tant que victimes réfugiées. En
1951, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés voit
le jour. Il s'agit d'un document juridique signé et ratifié par
145 États (dont tous les pays de l'Union européenne) qui garantit
une protection internationale (le statut de réfugié) à des
victimes ayant vécu des conflits, des persécutions et qui ont
été dans l'obligation de fuir leur pays. Ce statut relève
du droit international, garantit une protection et des droits, et doit
être appliqué par les pays l'ayant ratifié. Le principe
fondamental de la Convention de 1951 est le non-refoulement « selon lequel
un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays
où sa vie ou sa liberté sont gravement menacées. Ceci est
désormais considéré comme une règle du droit
international coutumier » selon le site web de l'UNHCR20. En
effet, le paragraphe 1 de l'article 33 de la Convention de 195121
stipule qu' « aucun des États contractants n'expulsera ou ne
refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur
les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté
serait menacée en raison de
sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son
appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
». Notons également que ce principe est énoncé dans
le paragraphe 1 de l'article un
20 UNHCR. (1977, 23 Août). Note sur le
non-refoulement. Récupéré le 11 Août, 2019, sur
https://www.unhcr.org/fr/excom/scip/4b30a58ce/note-non-refoulement.html
21 UNHCR. Convention et
protocole relatifs au statut des réfugiés.
Récupéré le 5 Août, 2019, sur
https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62
52
du Protocole additionnel de 1967 ce qui renforce son
caractère fondamental et l'importance de son application par les
États de manière inaliénable et inconditionnelle.
Est considéré comme réfugié une
personne « qui, par suite d'événements survenus avant le
1er
janvier 1951 et craignant avec raison d'être
persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de
ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se
réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de
nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa
résidence habituelle à la suite de tels
événements, ne peut ou, en raison de ladite
crainte, ne veut y retourner » selon la Convention de 1951 relative au
statut des réfugiés22.
Bien qu'il s'agisse d'une initiative inédite et
révolutionnaire dans le monde de l'humanitaire, le statut de
réfugié a cependant deux restrictions : il ne peut être
octroyé qu'aux européens ayant subi les dommages de la Seconde
Guerre mondiale, et plus globalement aux victimes d'événements
survenus avant 1951. Avec la montée de conflits complexes et souvent non
internationaux partout dans le monde et des persécutions sur les
peuples, le nombre de personnes fuyant leur pays pour leur vie a
considérablement augmenté. Ainsi, en 1967, la protection s'est
élargie avec la rédaction et mise en place du Protocole
additionnel relatif au statut des réfugiés. Ce dernier stipule
que désormais, le statut de réfugié peut être
octroyé à n'importe quelle personne étant victime de
persécutions partout dans le monde du fait de sa race, religion,
nationalité ou appartenance à un certain groupe social. Tous les
pays de l'UE ont ratifié ce Protocole additionnel, prenant donc la
responsabilité et ayant surtout l'obligation d'en respecter les
dispositions générales et d'appliquer le principe de
non-refoulement. La Turquie, qui accueille la grande majorité des
migrants fuyant les conflits au Moyen-Orient (Syrie, Irak) n'est pourtant pas
signataire de la Convention de 1951 ni de son Protocole additionnel de 1967.
À ce jour, dans le monde, selon les données du site du
HCR23 (mises à jour régulièrement), il y aurait
25,9 millions de personnes ayant le statut de réfugié et 3,5
millions de demandeurs d'asile.
22 UNHCR. Convention et protocole relatifs au statut
des réfugiés. Récupéré le 5 Août,
2019, sur
https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62
23 UNHCR. (2019). UNHCR Population Statistics - Data -
Overview. Récupéré le 11 Juillet, 2019, sur
http://popstats.unhcr.org/en/overview#
ga=2.153873848.1003678506.1562927068-935967279.1543762883
53
Certains principes issus des textes de lois
européens et internationaux ne sont pas respectés
Il ne s'agit bien évidemment pas de prendre parti mais
d'énoncer des faits avérés qui justifient la violation de
certains principes énoncés dans la Convention de 1951 relative au
statut des réfugiés, que tous les États de l'UE ont
ratifié et se sont engagés à respecter et appliquer, dans
la Convention européenne des droits de l'homme ou encore dans la Charte
des droits fondamentaux de l'UE. La violation de ces principes revient à
bafouer les droits des réfugiés et donc à avoir une
certaine responsabilité dans la mise en péril de leur vie et
même de leur mort.
Le principe de non refoulement de la Convention de 1951
relative au statut des réfugiés
Tout d'abord, le principe de non-refoulement qui est le
fondement même de la Convention de 1951 relative au statut de
réfugié. Rappelons-le, le principe de non-refoulement stipule
qu'il est interdit d'expulser et de renvoyer une personne dans un pays dans
lequel sa vie est en danger. Principe qui, d'ailleurs, est également
garanti par plusieurs textes juridiques internationaux comme :
- La Convention des Nations unies contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(adoptée en 1984 par l'ONU) : le paragraphe 1 de l'article 324 stipule
qu' « Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera
une personne vers un autre État où il y a des motifs
sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la
torture » et le paragraphe 2 de ce même article « Pour
déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités
compétentes tiendront compte de toutes les considérations
pertinentes, y compris, le cas échéant,
de l'existence, dans l'État intéressé,
d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves,
flagrantes ou massives ».
- La Convention européenne des droits de
l'homme25 (adoptée en 1950) : l'article 4 du Protocole
numéro 4 stipule que « Les expulsions collectives
d'étrangers sont interdites ».
24 Human Rights. (2014, 14 Juillet). Principe
de non-refoulement. Récupéré le 7 Août, 2019, sur
https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/sources/principe-non-refoulement
25 Conseil de l'Europe. Convention
européenne des droits de l'homme. Récupéré le 8
Août 2019, sur
https://www.echr.coe.int/Documents/Convention
FRA.pdf
54
- La Constitution fédérale de la
Confédération suisse (ultime version sortie en 1999) : le
paragraphe 2 de l'article 2526 stipule que « [...] Les
réfugiés ne peuvent être refoulés sur le territoire
d'un État dans lequel ils sont persécutés ni remis aux
autorités d'un tel État » et le paragraphe 3 de ce
même article que « Nul ne peut être refoulé sur le
territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre
traitement ou peine cruels et inhumains ».
En prenant en compte les dispositions ci-dessus et les actions
menées par l'Europe depuis 2015 envers les migrants en
Méditerranée, il convient de dire que le principe de non
refoulement n'a pas été respecté ni appliqué par
l'Europe. En effet, plusieurs actions l'expliquent. Premièrement, la
coopération euro-libyenne dont le traité stipule que les
garde-côtes libyens devront « sauver » (nous dirons
plutôt « intercepter ») les migrants qui tenteraient la
traversée de la Méditerranée et les ramèneraient en
Libye, pays qualifié par l'ONU comme étant dangereux pour les
migrants en raison des conditions de vie épouvantables dans les centres
de détention. De plus, la Libye n'est pas signataire de la Convention de
1951. Hors, le principe de non-refoulement stipule bien qu'il est interdit
d'expulser et de renvoyer une personne dans un pays dans lequel sa vie est en
danger, ainsi, l'Europe met totalement la vie des migrants interceptés
par les garde-côtes libyens en Méditerranée en danger en
refusant qu'ils soient déposés aux frontières
européennes. Il faut savoir que les migrants qui sont arrivés en
Europe ont été secourus par les ONG de sauvetage et non pas par
les garde-côtes libyens ou les navires de l'Europe. Deuxièmement,
la décision de l'Italie, et plus particulièrement de son Ministre
de l'Intérieur Matteo Salvini, de fermer ses ports aux navires
humanitaires ayant secouru des migrants en détresse en
Méditerranée. La fermeture des ports européens aux
migrants implique des conséquences telles que l'errance des navires des
ONG pendant des jours, voire des semaines, en Méditerranée et une
incitation à les déposer dans des pays dangereux comme la Libye,
même si au final, les ONG de sauvetage ne cèdent pas et forcent
souvent pour pénétrer dans les ports européens. Il s'agit
donc indirectement d'une violation du principe de non refoulement.
Troisièmement, la coopération euro-turque dont les accords
signés en 2016 stipulent que les migrants qualifiés comme
étant « irréguliers » arrivant sur les îles
grecques en provenance de la Turquie (Samos, Chios) doivent être
rapatriés en Turquie. Si les conditions de vie dans les camps de
réfugiés en Turquie ne sont pas aussi préoccupantes que
celles des
26 Human Rights. (2014, 14 Juillet). Principe de
non-refoulement. Récupéré le 7 Août, 2019, sur
https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/sources/principe-non-refoulement
55
centres de détention en Libye, il ne faut pas oublier
que la Turquie n'est pas non plus signataire de la Convention de 1951 et que de
nombreux cas de maltraitance ont été relevés. De plus, les
Accords évoquent également l'obligation de la Turquie de retenir
les migrants de venir en Europe, migrants qui sont principalement des civils
fuyant le conflit syrien, ce qui est, en un sens, une forme de refoulement.
Il est donc important de soulever qu'avec toutes ces
initiatives « anti migratoires » prises par l'Europe, le principe de
non refoulement est amplement bafoué. Il existe cependant des cas
exceptionnels où le principe peut ne pas être appliqué.
C'est le cas notamment pour une personne quittant son pays et souhaitant
obtenir le statut de réfugié mais qui a commis des crimes ou
représente un danger potentiel. Ainsi, le paragraphe 2 de l'article 33
de la Convention de 1951 sur les réfugiés27 dispose
que « Le bénéfice de la présente disposition
[c'est-à-dire du paragraphe 1 de l'article 33 mentionné plus
haut] ne pourra toutefois être invoqué par un
réfugié qu'il y aura des raisons
sérieuses de considérer comme un danger pour la
sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant
été l'objet d'une
condamnation définitive pour un crime ou délit
particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté
dudit pays ». Hormis ce cas-là, le principe de non refoulement doit
s'appliquer de manière systématique et inconditionnelle à
toutes les personnes dont la vie serait en danger dans leur pays d'origine.
Les droits des migrants dans la Convention
européenne des droits de l'homme et dans la Charte des droits
fondamentaux de l'UE
Si la Convention de 1951 et son Protocole additionnel de 1967
concerne principalement les droits des réfugiés et non pas des
migrants ou demandeurs d'asile (sauf pour le principe de non refoulement qui
concerne toute personne), la Convention européenne des droits de l'homme
(CEDH) adoptée en 1950, elle, énonce les droits civils et
politiques des migrants que les États doivent respecter et appliquer. Le
plus important réside dans l'article 3 de la CEDH28 qui
stipule que « Nul ne peut être soumis à la torture ni
à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ce qui
reviendrait à ne pas expulser et renvoyer les migrants dans des pays
où ils seraient exposés à de tels risques. Il y a donc un
certain lien avec le principe de non refoulement qui stipule la même
chose. Ainsi, l'accord passé entre l'UE et la Libye, qui garantit
27 UNHCR.
Convention et protocole relatifs au statut des
réfugiés. Récupéré le 5 Août, 2019,
sur
https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62
28 Conseil de l'Europe. Convention
européenne des droits de l'homme. Récupéré le 8
Août 2019, sur
https://www.echr.coe.int/Documents/Convention
FRA.pdf
56
l'interception et le renvoi des migrants traversant la
Méditerranée par les garde-côtes libyens dans les centres
de rétention en Libye, revient donc à une exposition à de
la torture et à des traitements inhumains des migrants par l'Europe.
D'autres droits énoncés comme le droit au regroupement familial
ou le droit de rester sur le territoire pendant l'examen de la demande d'asile
permettent indirectement que les migrants ne soient pas expulsés vers
des zones où leur vie est menacée.
Dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE, il est
spécifié dans l'article 3529 que toute personne doit
accéder « à la prévention en matière de
santé et de bénéficier de soins médicaux dans les
conditions établies par les législations et pratiques nationales
». L'UE ne respecte pas réellement ce principe dans la mesure
où lorsque les navires humanitaires viennent en aide aux migrants en
Méditerranée et les prennent sur leur bateau sans
possibilité d'accoster dans un port européen, ils sont contraints
de tourner en mer pendant des jours alors que des personnes ont besoin de soins
et d'assistance à bord. Il s'agit donc d'une négligence et d'une
privation de soins médicaux.
L'article 13 de la Déclaration universelle des Droits
de l'homme ou le droit à « sortir » de
son pays
L'ONU adopte la Déclaration universelle des droits de
l'homme (DUDH) le 10 décembre 1948 au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. Parmi ses articles, l'article 13 qui stipule que :
« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et
de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris
le sien, et de revenir dans son
pays. »
Ce droit s'avère primordial dans l'évolution des
mobilités internationales depuis le dernier siècle : il s'agit,
à ce jour, de la seule mention juridique autorisant la migration et la
résidence dans un État autre que le sien. Droit fondamental
appliqué dans la plupart des pays, sauf dictatures et régimes
autoritaires comme la Corée du Nord, Cuba ou l'Érythrée,
il parait
29 Conseil de l'Europe. Convention européenne
des droits de l'homme. Récupéré le 8 Août 2019, sur
https://www.echr.coe.int/Documents/Convention
FRA.pdf
57
cependant juste de mentionner que l'article 13 reste
incomplet. En effet, si le droit de « sortir » d'un pays existe,
qu'en est-il du droit d' « entrer » dans un autre pays ? À
l'heure des migrations actuelles, ce manquement pose un véritable
problème puisque l'entrée sur un territoire relève de la
souveraineté nationale des États et non pas du droit
international, hormis le droit d'asile avec octroi du statut de
réfugié. En effet, chaque État possède le droit de
contrôle sur les entrées, les installations et les sorties sur son
territoire. Ainsi, si le droit de migrer existe grâce à cet
article 13, le droit d'émigrer, lui, n'est pas réellement
évoqué ni ouvert à des négociations afin de
répondre au défi que représentent les mobilités
mondiales actuelles.
Il est important de mentionner l'article 13 dans cette
sous-partie car il est souvent utilisé pour justifier le rejet et le
refoulement des migrants avec comme argument le principe de souveraineté
nationale prenant le dessus sur le droit d'asile. Il s'agit donc d'une
difficulté et d'un défi aux yeux des entités comme l'UNHCR
qui luttent pour la mise à l'abri et la protection des personnes fuyant
des conflits et/ou persécutions. Comment faire appliquer correctement la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son
Protocole additionnel de 1967 si les personnes n'ont pas réellement de
droit d'entrée sur un territoire et seulement un droit de sortir ? C'est
toute la difficulté qui se pose et malheureusement, la montée des
mouvements nationalistes et d'extrême droite en Occident semble laisser
très peu de place à une ouverture aux négociations sur le
droit d'émigrer.
En conclusion de cette sous-partie, nous pourrions dire que
les faits relevés quotidiennement sur le phénomène
migratoire en Méditerranée ne concordent pas avec les textes
juridiques signés et ratifiés par les membres de l'UE sur le
principe de non-refoulement et d'expulsion dans des zones où la vie des
personnes est menacée (Libye). De par sa non présence en
Méditerranée, son accord passé avec la Libye en 2017 et
son manque de prises de responsabilités au vu de la question migratoire
et des morts en Méditerranée, l'Europe ne respecte pas les
Conventions et textes internationaux qu'elle a signé et qu'elle s'est
engagée à appliquer. Il s'agit, par conséquent, d'une
violation des principes contenus dans ces Conventions.
58
B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer
Les actualités récentes sur le
phénomène migratoire en Méditerranée exposent toute
la violence des frontières européennes et les conséquences
dramatiques découlant de l'inaction de l'Europe. À ce jour, seuls
les navires des ONG sont présents en Méditerranée afin de
sauver les migrants en détresse. À ce jour, aucune initiative n'a
été proposée par l'Europe pour rendre la traversée
de la Méditerranée et les arrivées à ses
frontières plus sécuritaires. Cette sous-partie abordera la
thématique très médiatisée des ONG de sauvetage
présentes en Méditerranée et des obstacles qu'elles
rencontrent dans leur travail au quotidien. L'entretien effectué avec
Madame Coralie Carvin (Annexe 4), ancienne salariée de
l'association SOS Méditerranée et membre actuelle du Conseil
d'Administration de cette dernière, a permis non seulement de confirmer
que l'Europe ne répond plus à ses responsabilités de
sauvetage en mer mais également qu'elle entrave même
complètement le travail des ONG présentes en mer. Le titre de
cette sous-partie correspond d'ailleurs à une phrase prononcée
par Madame Carvin lors de notre entretien.
L'analyse du Droit maritime dans la partie II a
révélé que le sauvetage en mer faisait partie
intégrante des obligations de tout bateau naviguant et étant en
présence d'embarcations et/ou de personnes en détresse (naufrage,
noyade). Le Droit maritime est international et relève donc de la
responsabilité de chaque individu, peu importe sa nationalité,
son origine ou la raison de sa présence en mer. Ainsi, le sauvetage des
migrants en Méditerranée dont les embarcations dérivent ne
dépend pas d'un État européen ou de l'Europe toute
entière mais bien de celles et ceux qui naviguent dans ces eaux et qui
« assistent » à ces naufrages. Il parait donc évident
de souligner que les ONG de sauvetage présentes en
Méditerranée appliquent le Droit maritime international et
pallient à une défaillance de l'UE. Malgré ce respect du
Droit maritime, Coralie Carvin explique que l'UE ne soutient absolument pas les
actions des ONG et même qu'elle entrave leur travail. Figée dans
une politique migratoire d'externalisation des frontières, de
refoulement massif et de délégation de la gestion des migrants
à des pays comme la Libye ou la Turquie, l'Europe dérive des
principes qu'elle prône depuis sa création, en l'occurrence, le
devoir d'application des droits de l'Homme et des principes de la Convention de
1951 relative au statut des réfugiés. Aujourd'hui, plus que
jamais, les ONG sont confrontées aux défaillances de la politique
migratoire européenne et en subissent les conséquences au
quotidien.
59
Malgré les obstacles, les ONG de secours
résistent en Méditerranée. Il s'agit du titre de
l'article publié par Le Monde le 9 août 201930 et il en
dit long sur les enjeux actuels en Méditerranée et le bras de fer
entre l'Europe et les ONG de sauvetage. Malheureusement, ce bras de fer ne date
pas seulement depuis le mois d'août 2019. Depuis le début des
opérations de sauvetage des ONG en Méditerranée
après le retrait progressif des navires de secours de l'Europe,
c'est-à-dire depuis 2015, année marquée par une explosion
des arrivées de demandeurs d'asile en Europe et donc par une
augmentation des traversées de la Méditerranée, il
subsiste une tension, un conflit, entre les acteurs humanitaires, les
États européens et les garde-côtes libyens. Pour cause, ces
trois parties prenantes n'ont pas le même rapport et les mêmes
initiatives vis-à-vis des migrants : l'Europe tente de les refouler
massivement au-delà de ses propres frontières en
déléguant leur gestion à la Turquie et à la Libye
et aucun navire n'est présent en Méditerranée afin de les
sauver, les ONG pallient à ce manquement en affrétant des navires
et en agissant vite lorsqu'il y a embarcation en détresse mais se
heurtent aux garde-côtes libyens qui les accusent de venir dans leurs
eaux territoriales, entravent les missions de sauvetage et les menacent
même. Il s'agit donc d'un cercle vicieux dont le schéma se
répète tous les mois, d'une bataille entre valeurs humanitaires
et eurocentrisme. Les ONG présentes en Méditerranée
doivent actuellement faire face à de nombreux obstacles qui entravent
leur travail tout en continuant à secourir des migrants en
détresse et à témoigner de ce qu'il se passe dans la zone
méditerranéenne (notamment les accrochages avec les
garde-côtes libyens quant à l'interception et la mise en
péril des migrants). À l'aide des sources en ma possession, de
l'actualité du moment, des reportages et de l'interview de Coralie
Carvin, j'ai pu recenser les 10 obstacles auxquels se heurtent les ONG de
sauvetage en mer dans leur travail quotidien. Cette liste a été
élaborée selon mes recherches et ma réflexion et n'est pas
exhaustive.
30 Le Monde. (2019, 9 Août). Malgré les obstacles,
les ONG de secours résistent en Méditerranée.
Récupéré le 12 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/09/malgre-les-obstacles-les-ong-de-secours-resistent-en-mediterranee_5497916_3210.html?fbclid=IwAR0ITcUAzqk0WW1uLpxKXgYDAzNtyRY4sArNhFBe034qww
Dd5FFYxdD3Ad4
60
1) L'accrochage avec les garde-côtes libyens lors de
missions de sauvetage
Le dimanche 23 septembre 2018, une cinquantaine d'hommes, de
femmes et d'enfants embarquent sur un bateau en Libye dans le but de rejoindre
l'Europe. L'Aquarius, ancien bateau affrété par SOS
Méditerranée, présent au large des côtes libyennes
à ce moment-là, tente de coopérer toute la nuit avec les
autorités maritimes libyennes en demandant l'autorisation de porter
secours aux personnes. Les autorités libyennes refusent et font preuve
de violence verbale à l'égard des humanitaires. Ils prononcent
des phrases de menace telles que « Vous ne respectez pas nos instructions
! Nous vous avons dit de ne pas intervenir. Et de ne pas vous approcher. Vous
allez avoir des gros problèmes ». L'équipe de L'Aquarius
sauvera finalement tous les migrants en détresse. Cependant, hors de
question de déposer les rescapés dans des ports libyens
considérés comme dangereux par l'ONU et le HCR pour les migrants.
Malheureusement, plusieurs cas d'altercations comme celui-ci se sont produits
entre les ONG de sauvetage et les autorités libyennes et continuent
d'ailleurs de se produire. Ces dernières sont tenues d'intercepter les
migrants et de les ramener en Libye au vu des accords passés avec l'UE
en 2018 et considèrent donc les ONG comme obstacle au respect de cet
engagement. De même que la Libye accuse les ONG d'encourager les migrants
à traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe.
Autant de raisons qui font que les garde-côtes libyens ont un
comportement violent et même menaçant envers les acteurs
humanitaires en mer. La vidéo31 relayée par le
média Courriel international Comment l'Europe et la Libye laissent
mourir les migrants en Mer (2019) montre les images glaçantes de
migrants en train de se noyer autour du navire des garde-côtes libyens
mais révèle surtout les violences verbales et physiques à
l'égard des membres du Sea Watch 3 qui viennent à la rescousse
dans des canots de sauvetage. On entend notamment les garde-côtes libyens
sur leur navire prononcer des menaces comme « Ne revenez pas près
de nos eaux territoriales. La prochaine fois, vous serez pris pour cible.
N'approchez pas sinon je vous tue. ». On les voit également en
train de leur lancer des objets durs et des pommes de terre. Une conduite
révélatrice de la ferme volonté de l'Europe d'intercepter
les migrants et de les ramener en Afrique du Nord plutôt que de les
sauver et les accueillir et d'entraver le travail des ONG.
31 Courriel international. (2019, 2
Janvier). Comment l'Europe et la Libye laissent mourir les migrants en Mer.
Récupéré le 10 Août, 2019, sur
https://www.courrierinternational.com/video/enquete-comment-leurope-et-la-libye-laissent-mourir-les-migrants-en-mer?fbclid=IwAR1anJyO5bZWcfka1tTJhTIeVdkY6A2x8POvVTVhJOseMPmzGCUcb9XE4oU
61
Il s'agit donc d'un risque supplémentaire pour les ONG
qui sauvent les migrants en détresse : en plus de pallier au manquement
et à la désertification de tous les navires de sauvetage
européens en Méditerranée, elles sont
régulièrement exposées à des risques d'agressions
verbales et même physiques de la part des autorités libyennes. Le
chef de mission du Sea Watch 3 Johannes Bayer explique dans cette même
enquête qu'à chaque mission de sauvetage, il craint pour la vie
des membres de son équipe et la sienne à cause du comportement et
des réactions imprévisibles des garde-côtes libyens. Un
comportement dû à la pression de l'Europe sur l'obligation de
retenir des milliers de migrants de venir sur son territoire. Selon le site de
Médecins sans frontières (MSF)32, au cours des six
premiers mois de 2019, les autorités libyennes auraient
intercepté et renvoyé de force 3685 personnes ayant tenté
la traversée de la Méditerranée en faisant opposition aux
missions de sauvetage des ONG se situant à proximité.
Désormais, prendre l'initiative de sauver des personnes en
détresse signifie s'exposer à un danger et risquer pour sa vie
pour les ONG présentes en mer.
2) L'interdiction d'accoster dans les ports
européens
En arrêtant progressivement d'envoyer des navires de
secours en Méditerranée, l'Europe pensait pouvoir dissuader les
migrants de tenter la traversée et ainsi accomplir sa politique
migratoire de refoulement et de mise à distance. Voyant que les ONG de
sauvetage présentes en mer ne cesseraient de porter secours aux
embarcations en détresse, l'Italie et Malte ont décidé de
fermer leurs ports pour les empêcher d'accoster. Ainsi, les ports dans
les zones comme Lampedusa ou la Sicile sont désormais interdits
d'accès pour les ONG ayant sauvé des migrants. Une solution
extrême et inhumaine ayant des répercussions dramatiques pour les
migrants qui ne peuvent débarquer sur la terre ferme afin d'être
soignés durablement et les ONG de sauvetage qui se retrouvent sans
solution et livrées à elles-mêmes dans les eaux pendant des
semaines. La seule solution qui s'offre donc pour les navires de secours est de
forcer l'entrée dans les ports malgré les éventuelles
sanctions et le risque de ne plus pouvoir retourner en mer. Coralie Carvin le
mentionne dans notre entretien « On voit que depuis la fermeture des ports
italiens, chaque sauvetage est une crise diplomatique ». Les ONG sont donc
bloquées,
32 Médecins sans frontières.
(2019, 8 Août). Six raisons pour lesquelles MSF vient en aide aux
migrants en Méditerranée. Récupéré le 10
Août, 2019, sur
https://www.msf.ch/nos-actualites/articles/six-raisons-lesquelles-msf-vient-aide-aux-migrants-mediterranee?fbclid=IwAR0kVdSNIcuNlZ-EUMB_1OSRk-
2XiH iwS PxT06MY-Li4kAmwg-huG8ep8
62
contraintes de faire des choix qu'elles ne devraient pas
faire. De plus, l'interdiction d'accoster dans les ports signifie errer en mer
pendant des jours, voire des semaines, et ne pas porter secours aux nouveaux
migrants qui tentent, pendant ce temps, de traverser la
Méditerranée avec le risque que leur embarcation prenne l'eau et
qu'ils se noient.
Cette décision des gouvernements européens
répond à la fameuse logique du « contrôle -
refoulement - mise à distance » puisqu'en fermant leurs ports, ils
espèrent que les migrants soient ramenés en Libye. Hors, les ONG
refusent de déposer les migrants rescapés dans les ports libyens
étant donné qu'ils ne représentent, à ce jour, pas
des lieux sûrs pour eux. Les seuls ports sûrs et à
proximité dans les eaux méditerranéennes sont donc ceux de
l'Europe. Néanmoins, la décision de la fermeture des ports semble
toujours de mise et le dialogue reste fermé quant à une possible
réouverture pour l'accueil des migrants rescapés.
3) L'errance pendant des jours et des semaines en
Méditerranée
L'interdiction d'accoster dans les ports italiens implique
l'errance en Méditerranée des navires de sauvetage humanitaires
pendant des jours voire des semaines avec des centaines de migrants à
bord. Cette situation fut largement répétée durant les
derniers mois et les témoignages à son propos sont
préoccupants : secourir des personnes qui ont failli se noyer de
justesse et les laisser sur un bateau pendant plusieurs jours les rend
extrêmement vulnérables, physiquement et psychologiquement.
L'horreur des centres de détention en Libye additionnée à
la peur de mourir noyé et au désespoir de voir les terres
européennes sans pouvoir y entrer a des conséquences dramatiques
sur les hommes, femmes et enfants présents à bord des navires de
sauvetage. La fermeture des ports touche également les ONG qui se
retrouvent livrées à elles-mêmes sans pouvoir
décisionnel et sans possibilité de négociation. Les
exemples à ce sujet sont nombreux : le plus marquant est sans doute
celui du Sea Watch 3 dont la capitaine Carola Rackete a forcé le blocus
italien imposé par Matteo Salvini en accostant de force à
Lampedusa le 29 juin 2019 après 17 jours d'errance en
Méditerranée. 17 jours durant lesquels les migrants
étaient à bord, durant lesquels les rations et les soins
s'amenuisaient, durant lesquels Carola Rackete a lancé de multiples
appels et demandes d'accoster en urgence pour prendre en charge les personnes
les plus vulnérables. À son arrivée, Carola a
été arrêtée et emmenée par la police
italienne pour avoir sauvé des vies et respecté le Droit
maritime. Seulement, que faire lorsqu'un navire erre pendant 17 jours en
Méditerranée sans possibilité d'accoster dans un port
européen
63
alors que des personnes à son bord ont besoin de soins
urgents et que les rations s'amenuisent et que des centaines de demandes ont
été faites hormis accoster de force ?
Le même épisode se reproduit avec les navires
Open Arms, qui a erré en Méditerranée pendant 19 jours
avec 147 rescapés à son bord et qui a pu accoster à
Lampedusa le 20 août 2019 et l'Ocean Viking de l'association SOS
Méditerranée qui erre encore actuellement entre l'Italie et Malte
sans port où débarquer avec 356 rescapés à son
bord. Six pays, dont la France, l'Espagne, la Roumanie et le Luxembourg, se
sont engagés à accueillir les migrants rescapés de l'Open
Arms. Malgré la « victoire » du navire ayant réussi
tant bien que mal à accoster, les conditions de vie à bord durant
ces 19 jours ont été très difficiles. Le pire fut sans
doute la dizaine de migrants qui, désespérés d'être
dans une attente aussi longue, se sont jetés à l'eau. Il s'agit
là d'un acte dramatique qui interpelle sur la prise de décisions
réellement peu efficaces de l'UE et sur la nécessité d'un
changement de sa politique migratoire.
Fabienne Lassalle, directrice adjointe de SOS
Méditerranée, témoigne dans une vidéo postée
par le média France info33 le 22 août 2019 en
décrivant les conditions de vie à bord de l'Ocean Viking : les
migrants sont dans l'attente, certains, après avoir été
examiné, présentent des traces de torture physique et
psychologique suite à l'enfermement dans des centres de détention
en Libye et ont besoin de soins plus importants, la nourriture diminue de jour
en jour. Il s'agit d'un appel, d'une interpellation de l'Europe sur la
gravité de la situation et d'une demande de solution
immédiate.
4) Le durcissement des politiques européennes
Le sauvetage des personnes migrantes est assuré par les
ONG présentes en mer mais leur sort est décidé par les
gouvernements européens. L'augmentation de l'arrivée des
demandeurs d'asile en 2015 en Europe a entraîné avec elle le
durcissement de la politique européenne et la mise en oeuvre d'une
action massive de refoulement et de mise à distance. Parmi les axes de
cette politique, le retrait progressif ces dernières années des
navires européens dans les trois zones méditerranéennes
(occidentale, centrale et orientale) ne laissant donc pas le choix aux ONG qui
assurent désormais à 90% le sauvetage des migrants en
détresse. Le problème plus
33 France info. (2019, 22 Août). En pleine
mer Méditerranée, la longue attente des rescapés de
l'Ocean Viking. Récupéré le 22 Août, 2019, sur
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/libye/video-en-pleine-mer-mediterranee-la-longue-attente-des-rescapes-de-l-ocean-viking_3585101.html
64
global qui persiste possède une dimension du « cas
par cas au jour le jour », c'est-à-dire que l'Europe semble
réagir à des moments donnés, comme par exemple lorsqu'il y
a un navire humanitaire qui erre des jours en Méditerranée et
qu'il faut « disperser » les migrants à son bord entre
plusieurs États, et non pas de manière générale
avec une redéfinition de sa politique migratoire commune. Il est
étonnant de constater que des pays ne se manifestent que lorsqu'ils
acceptent d'accueillir un certain nombre de migrants quand la situation atteint
un réel seuil de crise. Les ONG comme MSF, Médecins du monde
(MDM), Amnesty international et bien d'autres tentent tant bien que mal
d'interpeller et de faire entendre leurs revendications aux gouvernements
européens à l'aide de vidéos, reportages, articles,
enquêtes, pétitions, rassemblements, mais ces derniers ne semblent
pas ouverts au dialogue ni à la négociation. Il s'agit donc,
d'une certaine manière, d'une condamnation des ONG qui ont conscience
que leur travail de sauvetage en mer sera de plus en plus dur et restrictif.
Coralie Carvin explique que des navires de sauvetage bénéficient
de soutien financier - l'association SOS a eu à ce jour une subvention
de la Mairie de Paris, une de la région Occitanie et une de la
région Loire Atlantique - mais que l'idéal serait un soutien en
cessant de criminaliser les ONG et d'entraver leur travail, mais surtout en
redéfinissant les axes de sa politique migratoire. En parlant au nom de
SOS, Madame Carvin déclare « Depuis sa création, SOS exhorte
l'UE par le biais de communiqués de presses mensuels à mettre en
place une vraie flotte de sauvetage, à s'entendre sur un
mécanisme de débarquement et de
répartition de personnes qui permette à chaque
navire et chaque sauvetage de ne pas tourner en Méditerranée
pendant des semaines ». Il semble aujourd'hui difficile d'interpeller les
gouvernements alors que la situation en Méditerranée devient de
plus en plus grave et préoccupante au vu de l'augmentation du nombre de
migrants qui tentent sa traversée. Plus que jamais, la question de la
vie humaine doit primer sur les intérêts politiques.
5) L'Italie de Matteo Salvini : 1 million d'euros vaut plus
que des vies
La décision de fermeture des ports italiens
étant, il faut bien le dire, pas réellement efficace, Matteo
Salvini a fait voter un décret « anti-migrants » sur les
mesures et les peines encourues pour tous ceux venant en aide aux migrants et
notamment pour les ONG qui souhaitent accoster dans les ports italiens pour y
déposer les rescapés. L'entrée dans les eaux italiennes
par les navires de secours est désormais interdite. Le texte de lois
semble avoir été élaboré en réponse à
l'abandon des poursuites envers Carola Rackete qui avait accosté de
force en juin 2019 après des semaines d'errance en
Méditerrané. Dans les peines encourues énoncées :
jusqu'à 10 ans
65
d'emprisonnement en cas de résistance d'un navire
humanitaire s'étant fait intercepté par les autorités
italiennes, des amendes pouvant aller de 150 000 euros à 1 million
d'euros pour les ONG de sauvetage qui forceraient le débarquement dans
les ports italiens et le retrait temporaire, voire même définitif,
des navires de sauvetage. Cette décision est lourde de
conséquences pour les ONG qui continuent leurs missions de sauvetage en
Méditerranée et qui bataillent à chaque fois pour trouver
un port où débarquer les migrants.
6) L'affaire Carola Rackete : arrêtée pour
avoir sauvé des vies
Le 29 juin 2019, le navire humanitaire Sea Watch 3 force
l'entrée dans le port de Lampedusa et accoste afin de laisser les 40
migrants à son bord débarquer sur la terme ferme après 17
jours d'errance en Méditerranée et après avoir
demandé maintes fois une autorisation d'accoster d'urgence. La capitaine
du navire Carola Rackete est arrêtée par une vingtaine de
policiers dès que son navire est amarré et qu'elle pose le pied
sur le sol italien. Le 18 juillet 2019, elle fut entendue par les juges
italiens : elle était poursuivie pour avoir accosté de force
à Lampedusa alors que Matteo Salvini, ministre italien de
l'Intérieur, le lui avait interdit. Le 2 juillet 2019, les poursuites
sont abandonnées et l'arrestation invalidée, les juges estimant
que Carola avait forcé l'entrée pour sauver des vies.
L'affaire Carola Rackete, en plus d'avoir eu un retentissement
médiatique très fort, a marqué un tournant dans les
rapports entre Union européenne et ONG de sauvetage quant à leur
division sur la question migratoire. Il ne s'agit plus seulement de sauver des
migrants en détresse en Méditerranée et de les
déposer sains et saufs dans des ports européens, les ONG sont
maintenant obligées de demander l'autorisation plusieurs fois pour
accoster, d'errer dans les eaux pendant des semaines, de négocier, de
rendre des comptes, de forcer l'entrée. L'UE, de par ses
décisions et sa posture de refoulement et rejet des migrants, fait
basculer les ONG dans la criminalité pour aide à «
l'immigration clandestine ». Cependant, une immigration ne peut être
qualifiée de clandestine si le dossier et la cause de fuite du migrant
n'est pas correctement étudié. Toute personne fuyant conflits et
persécutions a le droit de partir et d'entrer dans un autre pays pour sa
survie (article 13 de la DUDH) et a le droit à ce que son cas soit
examiné pour obtenir le statut de réfugié. L'arrestation
de Carola Rackete a entraîné une importante mobilisation citoyenne
avec notamment rassemblement citoyen, manifestation, pétition pour
demander sa libération, lettre ouverte adressée aux politiques,
etc. L'indignation générale était de mise et pour cause :
Carola fut arrêtée et poursuivie alors qu'elle n'a fait que
66
son devoir, sauver des vies en mer, ce devoir
complètement délaissé et jeté aux oubliettes par
l'Europe. Il parait impensable aujourd'hui de courir le risque de se faire
arrêter pour avoir sauvé des vies ou pour avoir aidé des
migrants dans le besoin (affaire Cédric Herrou) en Europe, continent
censé être celui des Droits de l'Homme. Désormais, les
situations comme celle du Sea Watch ayant accosté de force ne cesseront
de se reproduire, le besoin de sauvetage des migrants en
Méditerranée étant plus important que jamais.
7) La difficulté de ravitaillement sur terre
Après que le navire L'Aquarius ait perdu son pavillon
et stoppé ses missions de sauvetage en décembre 2018,
l'association SOS Méditerranée a cherché un nouveau navire
non pas sans difficulté selon Coralie Carvin : affréter un
bateau, l'équiper et l'entretenir coûte extrêmement cher,
par exemple, les frais de fonctionnement de L'Aquarius s'élevaient
à 11 000€ par jour ! Depuis le 4 août 2019, le nouveau navire
de l'association, l'Ocean Viking, est reparti en mer du port de Marseille, plus
que jamais déterminé à reprendre ses missions de
sauvetage. Depuis le 9 août 2019, selon le journal Info
Migrants34, le navire aurait secouru plus de 600 migrants en
détresse en Méditerranée dont 251 en moins de 3 jours
entre le 9 et le 11 août. Néanmoins, l'équipage de l'Ocean
Viking a dû faire face à une difficulté de taille qui a
failli lui faire stopper ses missions de sauvetage. Le mercredi 7 août,
le navire a fait une halte à Malte afin de faire le plein en carburant.
Cependant, les autorités ont refusé l'accès dans leurs
eaux territoriales et le navire n'a pas pu se ravitailler en carburant. Une
décision jusqu'à ce jour inexpliquée. Heureusement,
l'Ocean Viking avait assez de carburant pour naviguer pendant plusieurs jours.
Cependant, cet incident constitue un obstacle de plus à l'entrave du
travail des ONG en mer et ne présage rien de bon pour les semaines
à venir : si les navires de secours ne peuvent se ravitailler en
carburant dans les ports européens, il leur sera impossible de repartir
en mer sauver des migrants en détresse. Il s'agit là d'une preuve
supplémentaire que l'UE ne soutient pas les opérations de
sauvetage en mer et qu'elle cherche par tous les moyens à empêcher
l'arrivée des migrants à ses frontières.
34 Info Migrants. (2019, 11
Août). Méditerranée : 251 migrants secourus en moins de 3
jours par l'Ocean Viking. Récupéré le 14 Août, 2019,
sur
https://www.infomigrants.net/fr/post/18758/mediterranee-251-migrants-secourus-en-moins-de-3-jours-par-l-ocean-viking?fbclid=IwAR3hw8c-
VIsWLgtmCqrUclWnnl75 O8u3Bn8oMteTYQ9TdGE27eMPMAx6jk
67
8) La perte du pavillon d'un navire : le cas de L'Aquarius
en septembre 2018
Cependant, ce qui est sûrement pire que ne pas pouvoir
se ravitailler sur la terre ferme, c'est de perdre son pavillon car cela signe
l'arrêt du retour en mer et donc la fin des opérations de
sauvetage en mer. C'est malheureusement ce qui est arrivé au navire
L'Aquarius, affrété par SOS Méditerranée. En
septembre 2018, l'association annonce la perte de son pavillon, une
première dans l'histoire maritime selon Coralie Carvin, et en
décembre 2018, la suspension de ses missions en mer. Une situation plus
que problématique étant donné que ce navire constituait
l'un des plus importants et celui ayant sauvé le plus de migrants en
Méditerranée ces dernières années : depuis 2016, 30
000 personnes ont été sauvé. « On était loin
d'imaginer que L'Aquarius serait bloqué dans un port marseillais. On se
rend compte que les choses peuvent encore empirer. C'est la première
fois
dans l'histoire maritime qu'un bateau perd son pavillon. Cela
n'était jamais arrivé. Et tout ça pour des raisons
politiques » a déclaré Coralie Carvin pendant notre
entretien. SOS a perdu son pavillon à Panama le 21 septembre 2018 et a
bataillé pour le récupérer jusqu'à décembre
2018. Il avait déjà été privé de son
pavillon par Gibraltar durant l'été 2018 et contraint de rester
à Marseille pendant plusieurs semaines sans possibilité de
retourner en mer. La perte de son pavillon par Panama en septembre 2018 a
été expliquée par la raison suivante par les
autorités maritimes panaméennes : « Le bateau ne respectait
pas les procédures juridiques internationales en matière
d'immigrants et de réfugiés secourus en mer
Méditerranée ». Une décision qui, selon SOS et
Médecins sans frontières, a été prise sous pression
du gouvernement italien qui tente de freiner les missions de sauvetage en mer.
Lorsqu'un pavillon est révoqué, le navire reste bloqué
dans un port et ne peut plus repartir en mer à moins de retrouver un
autre pavillon, ce que L'Aquarius n'a pas réussi à faire.
Ainsi, les opérations de sauvetage en mer de SOS se
sont stoppées durant presque une année le temps de
récolter des fonds, affréter et équiper un nouveau navire.
« Affréter un bateau, ça coûte très cher »
explique Coralie Carvin, « première dépense : la location,
deuxième dépense : le fuel. Ensuite, tout ce qui va être
frais de fonctionnement d'un navire, faire tourner la clinique médicale
pour MSF avec qui on est en partenariat médical (qui participe aussi aux
couts d'affrètement) ». Il serait donc regrettable qu'à
l'avenir, d'autres navires soient privés de leur pavillon étant
donné l'urgence actuelle en Méditerranée et la
mobilisation importante qu'impliquent l'affrètement et l'entretien d'un
navire.
68
9) La pression politique et médiatique : les ONG
complices des passeurs
« L'ONG Lifeline fait le jeu des passeurs » - Emmanuel
Macron, 2018
« On a observé que certaines ONG étaient en
contact téléphonique avec des passeurs. Dans ce cas-là,
elles ont pu se faire complices des passeurs » - Christophe Castaner,
2019
« Je n'autorise aucun débarquement à ceux
qui se moquent totalement des lois italiennes et aident les passeurs » -
Matteo Salvini, 2019
« Il y a 2-3 mois, le Ministre de l'intérieur a
déclaré que les ONG étaient complices des trafiquants
d'êtres humains. On a fait une lettre ouverte en lui demandant de
s'expliquer mais on n'a pas eu de retour » - Coralie Carvin, 2019
Selon un sondage que j'ai réalisé sur un
échantillon de 110 personnes (voir Annexe 5), dont la
majorité sont des femmes ayant entre 18 et 25 ans, 53,6% ont
répondu « Non » à la question « Pensez-vous que
les ONG de sauvetage incitent les migrants à tenter la traversée
de la Méditerranée pour rejoindre l'Europe et qu'elles sont
complices des passeurs ? ». Le pourcentage des personnes ayant
répondu « Oui » s'élève à 23,6 et celui
des personnes ayant choisi la réponse « Je n'ai pas d'avis sur la
question » s'élève à 22,7. Pour les personnes ayant
répondu « Oui », il y avait possibilité d'expliquer
pourquoi en développant une réponse. Sur les 21 réponses
données, voici les grandes raisons qui sont le plus ressorties (Note
: Les réponses sont retranscrites ici telles qu'elles ont
été écrites sur le questionnaire) :
- Les ONG sont complices des passeurs pour le profit,
- Pour l'accès médiatique (avoir de
l'attention),
- Pour provoquer l'Europe,
- Pour que les migrants se sentent ainsi assurés
d'être sauvés puis amenés en Europe,
- Parce que les ONG sont en réalité des trafiquants
d'êtres humains,
- Certaines ONG sont factices et sont gérées par
des passeurs qui arnaquent les voyageurs
réfugiés,
- Il s'agit d'une complicité naïve avec les
passeurs.
Il est intéressant de lire à la fois les phrases
citées plus haut par les hommes politiques comme Christophe Castaner ou
Matteo Salvini (dont la position anti-migrants est désormais
indéniable) et à la fois le ressenti des citoyens
sollicités pour répondre au questionnaire. Les politiques
influencent certainement les prises de position des personnes quant à
l'accueil des
69
migrants et au travail des ONG présentes en mer. La
montée des mouvements d'extrême droite et xénophobes en
Europe laisse peu de place à la considération de la condition des
migrants et les discours élaborés sont grandement orientés
vers leur rejet. Ces mêmes partis politiques inventes souvent de fausses
vérités pour alimenter l'image des migrants comme envahisseurs et
profiteurs comme par exemple le fait que les migrants sont mieux traités
que les personnes SDF, qu'ils vont voler le travail des citoyens, chambouler la
culture européenne avec leurs propres cultures et croyances, et
même que certains sont en fait des terroristes. Autrefois terre d'accueil
et de tolérance, l'Europe est aujourd'hui en proie à une
déferlante de politiques et groupes prônant la haine et le rejet
des étrangers ce qui explique le durcissement progressif de sa politique
migratoire. Les déclarations contre les ONG en les assimilant aux
passeurs et en les criminalisant fait donc partie intégrante de ce
processus qui consiste à abolir toute forme d'aide aux migrants, de leur
sauvetage en Méditerranée à leur arrivée aux
frontières européennes.
La criminalisation des ONG et leur prétendue
complicité avec les passeurs constitue un moyen d'entacher l'image des
« sauveteurs » des migrants que représentent les navires de
secours, et de les comparer davantage à des complices de «
l'envahissement » de l'Europe. De par les déclarations politiques
et les opinions de beaucoup de citoyens, le sauvetage en mer par les ONG n'est
plus réellement vu comme un geste solidaire mais plutôt un fardeau
avec, à la clé, des migrants à « dispatcher » et
à accueillir partout en Europe. Il parait donc juste de dire que
créer un lien entre les passeurs qui envoient les migrants en mer et les
ONG qui les sauvent ensuite est une opportunité pour les gouvernements
européens de désigner des coupables et de continuer à
rallier le peuple à leur cause et à leur position anti-migrants.
En effet, les passeurs étant dans l'illégalité, leur
établir un lien avec les ONG signifie donc, en un sens,
considérer que les ONG sont également dans
l'illégalité.
10) Médaille et cause nationale : une réelle
reconnaissance des ONG ?
Il est étonnant de comparer ce qui est dit dans le
point 9) sur la complicité prônée entre ONG et passeurs et
les révélations de Coralie Carvin. En effet, elle explique que
l'association SOS Méditerranée a reçu plusieurs prix
(UNESCO) et distinctions en récompense à son travail de sauvetage
en Méditerrané et qu'elle a une certaine reconnaissance
professionnelle. L'association a notamment été reconnue Cause
Nationale en 2017 en France. Plus récemment, la Mairie de Paris a
décidé d'accorder 100 000€ à SOS pour qu'elle
continue le sauvetage en
70
mer. Coralie Carvin explique, en parlant de ces distinctions :
« Cela peut faire sourire quand même quand on voit aujourd'hui
publiquement qu'on n'est pas du tout soutenus ». En effet, pourquoi une
telle criminalisation des ONG et leur assimilation à des passeurs alors
qu'elles reçoivent des subventions pour mener à bien leurs
missions et que leur travail est reconnu par des prix et distinctions ? Il peut
s'agir d'une question d'échelle : à l'échelle
européenne, les ONG sont souvent freinées dans leur travail
à cause des décisions politiques prises comme la fermeture des
ports italiens et maltais ou encore l'interdiction de ravitaillement en fuel
sur la terre ferme. Même si ces décisions sont prises par un
État de l'UE au nom de tous, et au vu de sa souveraineté
nationale bien sûr, les autres pays, en ne réagissant pas,
approuvent en silence d'une certaine manière. Aucun État ne s'est
par exemple opposé à la décision de Matteo Salvini de
fermer ses ports italiens. Il s'agit donc d'un accord commun, bien que non
déclaré, de tous les États de l'UE sur leur politique
migratoire. À l'échelle nationale et même régionale,
les choses peuvent varier. Si la France ne se prononce que très peu sur
la question migratoire en Méditerranée, la Mairie de Paris, elle,
et particulièrement Anne Hidalgo, se montrent favorables et encouragent
les sauvetages de migrants en détresse. C'est pour cette raison que SOS
Méditerranée a obtenu une subvention de 100 000€ en 2019. De
manière générale, la France ne semble pas s'opposer
à l'accueil de migrants mais d'un côté, elle ne fait rien
de plus à l'échelle européenne pour négocier des
apporter des solutions et négocier des décisions.
Ainsi, peut-on parler d'une certaine hypocrisie ? Remettre un
prix à une ONG pour la féliciter de ses sauvetages en mer et par
la suite l'accuser de complicité avec les passeurs est sans aucun doute
représentatif de la mentalité actuelle de l'Europe sur la
question migratoire. À la fois tiraillée par son devoir de
solidarité en tant que continent des droits de l'homme et par ses
obligations politiques de plus en plus orientées vers la fermeture des
frontières et le rejet des « étrangers », l'Europe ne
parvient pas à trouver un équilibre qui concile ce qu'elle
prône et ce qu'elle fait en réalité. Comme l'explique
Claire Rodier dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés,
Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents
(2018), « [...] l'Europe est un espace compliqué, elle est
vieillissante, en crise économique, ses capacités d'accueil sont
limitées, etc. ». Comment l'Europe envisage-t-elle de
répondre au défi migratoire de notre temps ? Comment
compte-t-elle redéfinir sa politique migratoire de manière
efficace et équitable ?
71
Conclusion de la sous-partie
« Quoi qu'il arrive, tant qu'il y aura des personne qui
traversent et se noient, on sera sur place. Je ne veux pas parler au nom des
autres ONG de sauvetage mais en tout cas nous, tant qu'il y aura des morts,
nous serons là » déclare Coralie Carvin. Malgré les
difficultés qui se multiplient et le durcissement des politiques
migratoires européennes, les ONG tiennent bon. Si l'avenir des
conditions d'accueil des migrants en Europe est pour l'instant indécis,
celui des ONG l'est encore moins. Entre reconnaissance professionnelle et
criminalisation médiatisée, les ONG subissent l'indécision
et la pression de l'Europe qui ne sait elle-même pas où se
positionner et comment réellement aborder la question migratoire en
s'adaptant à ses nouvelles caractéristiques. La
médiatisation grandissante des drames en Méditerranée
représente à la fois un atout qui donne de la visibilité
aux ONG et aux conséquences tragiques de l'inaction de l'Europe, et
à la fois un frein puisque les navires de secours sont vus comme les
potentiels complices des passeurs.
La liste des 10 obstacles que rencontrent les ONG dans leurs
missions quotidiennes démontre que l'Europe n'a pas
procédé à une passation de ses responsabilités
quant au sauvetage des migrants en détresse, mais qu'elle s'est
retirée subitement après avoir signé les accords avec la
Turquie et la Libye en pensant régler le « problème »
migratoire. Actuellement, il est clair qu'elle entrave même
complètement le travail des ONG, considérant qu'elles vont
à l'encontre des axes définis par sa politique migratoire qui
consiste à externaliser ses frontières, refouler au maximum et
déléguer la gestion des migrants à la Turquie et à
la Libye.
« Ce qui est le plus inquiétant aujourd'hui, c'est
que l'UE n'arrive pas à s'entendre sur une politique migratoire digne de
ce nom. Il s'agit d'externaliser toujours plus les frontières pour que
les personnes n'arrivent pas sur le sol européen. On
délègue la gestion de nos frontières à d'autres
entités, en l'occurrence, la Turquie ou Libye. On finance des
entités qui ne sont même pas européennes, par exemple un
corps de garde-côtes libyens, c'est une externalisation à son max.
On [l'Europe] a aussi un regard sur ce qu'il se passe et on s`assure que le
refoulement est bien mis en oeuvre. » - Coralie Carvin
72
C) Difficulté d'un consensus européen sur
la gestion des flux migratoires et perspectives d'avenir en
Méditerranée
La célèbre phrase « L'union fait la force
» s'avère véridique dans de nombreux cas. Au fond, ne
serait-ce pas le manque d'unité et d'accord commun qui divise l'Europe
sur la question migratoire ? Chaque État adopte un certain
positionnement vis-à-vis des migrations selon ses propres
intérêts à une période donnée. L'orientation
politique de chaque État joue également dans ce positionnement,
les mouvements de droite, par exemple, adoptant plutôt un discours de
rejet envers les migrants. Certains clament haut et fort leur posture
anti-migrants comme l'Italie, d'autres répondent aux appels, lorsqu'il y
en a, en permettant aux ONG d'accoster dans leurs ports comme l'Espagne, ou
encore d'autres ne se prononcent pas réellement sur la question
migratoire comme la France. Dans un monde où il est nécessaire de
concilier souveraineté nationale et respect des principes des
conventions internationales ratifiées, le juste équilibre est
parfois difficile à trouver. C'est le cas des États d'Europe qui,
divisés entre devoir de solidarité et défense des
intérêts nationaux, ne parviennent pas à s'accorder sur un
positionnement commun. Lors de l'explosion des arrivées des demandeurs
d'asile en 2015, l'Europe a remis en question le principe de libre circulation
en son sein ainsi que l'abolition des frontières instaurés par
l'accord de Schengen en 1985, signé par la France, l'Allemagne et le
Benelux, et appliqué en 1995. Si l'affranchissement des
frontières et la libre circulation des biens et personnes sont au coeur
de la création de l'Europe et en font une entité unique au monde
(26 États qui décident, entre autre, de s'allier et de se
soutenir mutuellement), ils sont aujourd'hui grandement ébranlés
étant donné la redéfinition de certaines frontières
internes et des contrôles renforcés. En juin 2015, par exemple, la
frontière entre la France et l'Italie fut fermée, probablement
dans un souci de ne pas laisser entrer les flux de migrants en France qui
arrivent par milliers en Italie. Il y a d'autres exemples comme la fermeture de
la frontière entre la Serbie et la Hongrie (qui a érigé un
haut mur de grillages en guise de frontière), et celle entre la
Slovénie et la Croatie dans les années qui suivirent. En 2003, la
France et le Royaume-Uni avaient signé le Traité de Touquet dont
l'objectif était la surveillance des frontières et des ports
maritimes dans la zone de la Manche et entre le Nord de la France et le
Royaume-Uni. De multiples exemples d'actions peuvent être encore
cités pour démontrer la remise en question du principe de libre
circulation au sein de l'espace Schengen, remise en question causée par
l'augmentation progressive des arrivées de migrants en Europe et de la
montée d'une méfiance envers eux. Seulement, force
73
est de constater que ce sont les migrants qui ont subi les
difficultés d'une libre circulation au sein de l'UE et le
rétablissement de frontières internes entre certains
États.
Si l'Europe tente de renvoyer l'image d'elle étant une
entité dont tous les États sont unifiés et sur la
même longueur d'ondes, la crise de l'accueil des migrants de 2015 a
démontré tout l'inverse. Loin d'être unifiée, les
États ont, de par les traités et initiatives
intra-européennes citées plus haut, appliqué leur principe
de souveraineté nationale en protégeant leurs propres
frontières et en renforçant leur contrôle sans s'accorder
sur une politique migratoire commune. Les moments où les États
européens se sont « retrouvés » par rapport à la
question de la gestion des flux migratoires, furent lors de la proposition d'un
Agenda européen proposé par la Commission européenne des
droits de l'homme en 2015 et lors de la signature des accords avec la Turquie
en 2016 et la Libye en 2017. Par conséquent, des moments de «
retrouvailles » pour approuver des mesures répressives aux
frontières et l'externalisation des flux migratoires. Cependant, rien de
tout cela ne dissuade et n'empêche les migrants de traverser la
Méditerranée dans le but d'atteindre les frontières
européennes. Bien au contraire, les migrants risquent leur vie, tentent
la traversée des mers Méditerranée, Égée et
de la Manche, escaladent les murs et clôtures de Ceuta et Melilla, tout
cela pour soit fuir les persécutions et conflits auxquels leur pays est
en proie, soit pour fuir les conditions inhumaines dans lesquelles ils vivent
dans les camps de détention en Libye. Le nombre croissant de
décès en Méditerranée devrait interpeller les
gouvernements européens et les interroger sur l'efficacité des
mesures répressives issues de leur politique migratoire actuelle. La
volonté initiale de dissuader et de mettre à distance a
laissé place à une réalité bien plus dramatique :
les frontières européennes tuent les migrants.
Alors pourquoi cette difficulté de consensus
européen sur la gestion des flux migratoires ? Plusieurs facteurs
expliquent que les politiques aient du mal à se mettre d'accord depuis
des années. Premièrement, la position géographique
de chaque État joue grandement dans leur prise de position et
de décision. En effet, les pays au Sud de l'Europe et bordés par
la Méditerranée comme l'Italie et la Grèce, étant
les pays qui reçoivent en premier tous les flux de migrants arrivant de
la Méditerranée depuis 2013, n'auront d'autre choix que de
choisir l'une des deux postures suivantes : il s'agit pour eux de soit
s'habituer et d'accueillir les migrants sur le long terme étant les
premiers pays de l'UE à la frontière, soit, comme l'Italie, de
refuser de continuer à endosser la responsabilité de
l'arrivée et de la prise en charge de tous les migrants. Les pays dits
au « centre » de l'Europe comme la France, l'Allemagne, le Benelux,
etc. sont des pays qui ont, jusqu'à maintenant, accueilli un grand
nombre de migrants (comparé aux autres pays de l'UE bien sûr et
non comparable du tout avec les pays comme la Turquie, la
74
Jordanie ou le Liban) sans pour autant se prononcer plus que
cela sur la question migratoire. Il s'agit de terres d'accueil et d'immigration
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la main d'oeuvre peu
qualifiée venait du Sud de l'Europe (Italie, Espagne, Portugal) et de la
rive Sud de la Méditerranée (Maghreb) aider à la
reconstruction de l'Europe. Selon le site d'Eurostat, les trois pays ayant le
plus accueilli de demandeurs d'asile en 2018 sont l'Allemagne (161 900), la
France (111 400) et la Grèce (65 000). A contrario, les pays de l'Europe
de l'Est comme la Hongrie, la Slovaquie ou la Pologne, sont plutôt des
pays d'émigration, et sont ceux accueillant le moins de migrants.
L'ouvrage collectif Les réfugiés sont notre avenir
(2019) souligne d'ailleurs bien qu'il s'agit de pays dont la population
vieillit le plus et que le taux de fécondité y est très
bas ce qui pourrait expliquer un certain conservatisme de ces pays et un rejet
des « étrangers ». Leur passé historique joue aussi un
certain rôle dans la xénophobie prononcée des pays de
l'Est. Les pays nordiques, comme le Danemark, la Suède et la Finlande
qui ont accueilli des migrants ces dernières années ont
finalement basculé dans un durcissement de leurs contrôles
frontaliers et de l'octroi du statut de réfugié aux demandeurs
d'asile. Ainsi, selon la position géographique et peut-être aussi
selon leur passé historique, les pays de l'UE s'ouvrent ou non à
un accueil des demandeurs d'asile.
Le deuxième facteur pouvant expliquer la
difficulté d'un accord commun de l'Europe sur la question migratoire est
celui des intérêts nationaux. Car avant
d'être un État européen, ce sont des États à
part entière, disposant d'une souveraineté nationale et donc du
pouvoir de décision sur leur pays et le bien-être de leur peuple.
Face au défi migratoire qui s'amplifie aux portes de l'Europe depuis
2015, les États semblent vouloir parler en leur nom et ne pas s'engager
lors de décisions prises pour accueillir des migrants rescapés en
Méditerranée par exemple ou accepter d'octroyer le statut de
réfugié à plus de personnes. C'est pour cela que l'on
assiste, depuis 2015 et peut-être même avant pour certains,
à un rétablissement de frontières dites « invisibles
» pour les citoyens européens mais bel et bien existantes et
contraignantes pour les migrants, à un durcissement des contrôles
frontaliers, à une restriction de l'octroi du statut de
réfugié, et même à des refoulements
opérés par les autorités étatiques. Aujourd'hui,
les États consacrent une grande part de leur budget à la
sécurité de leurs frontières (en Hongrie : un mur
érigé en fils barbelés), en plus de financer l'agence
Frontex tous les mois, alors que cette part de leur budget pourrait profiter
aux demandeurs d'asile qu'ils accueillent. Chaque pays aspire bien
évidemment à avoir une économie florissante, un taux de
chômage le plus bas possible, un peuple heureux, une politique exemplaire
en termes de démocratie et de respect des droits de l'Homme. Et
par-dessus tout, chaque pays aspire à la sécurité : la
sécurité de son
75
territoire, de ses ressources, de son peuple. En somme,
n'est-ce- pas cet intérêt que certains États
européens souhaitent défendre ardemment en renforçant
leurs frontières ? L'arrivée des migrants depuis 2015
qualifiée « d'envahissement » dans les médias et
alimentée avec des chiffres faussés ont provoqué, voire
renforcé, un sentiment d'insécurité de quelques
États qui se sont alors sentis contraints de protéger leur pays
et leur peuple face à cette « horde » d'étrangers qu'il
fallait à tout prix repousser. Les actes de terrorisme de ces
dernières années en Europe (France, Allemagne, Belgique) ont
renforcé davantage la méfiance envers les migrants, souvent
assimilés, à tort et pour des raisons peu claires, à des
terroristes. L'Allemagne est probablement le seul pays d'Europe à clamer
les bienfaits de la migration et les avantages qu'elle apporte avec elle :
compétences, culture, etc. Selon elle, les migrations semblent
représenter un intérêt national plus fort et plus
intéressant que la sécurité et le contrôle des
frontières.
Enfin, le troisième facteur concerne la
position politique la plus influente de chaque État. En
Italie, terre d'immigration depuis toujours, ferme peu à peu ses ports
depuis l'élection de son ministre de l'Intérieur d'extrême
droite Matteo Salvini qui exprime sans retenue son rejet envers les migrants et
sa volonté de ne plus en accueillir sur le sol italien. Les
décisions récentes de fermer les ports (Lampedusa) et d'infliger
des amendes aux ONG qui braveraient cette interdiction (allant jusqu'à 1
million d'euros) ont été initiées par Matteo Salvini qui
n'a pas pris la peine de consulter les autres États membres, estimant
que son pays avait suffisamment endossé la responsabilité et le
poids des migrations depuis 2013. Pourtant, l'Italie est une démocratie
prônant de fortes valeurs et vantant les bienfaits de l'immigration.
L'arrivée de Matteo Salvini en tête des sondages et son
élection ont prouvé que la voix des citoyens joue aussi dans la
prise de position d'un État quant à la question migratoire. Les
pays de l'Europe de l'Est et de l'Europe orientale (Pologne, Hongrie, Lettonie,
Slovaquie, Bulgarie etc.) sont régis par un certain conservatisme et
attachés à leur mode de vie culturel depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Selon l'article35 Politique migratoire : comment
l'Europe de l'Est a préféré la tranquillité
à l'enrichissement culturel prôné par l'Ouest du
média web Valeurs actuelles, les « Pays d'Europe centrale et
orientale » (PECO) sont actuellement emprunts à une économie
florissante, à une baisse progressive du chômage et à une
augmentation des salaires
35 Edery, P. (2019, 9 Août). Politique migratoire : comment
l'Europe de l'Est a préféré la tranquillité
à l'enrichissement culturel prôné par l'Ouest.
Récupéré le 25 Août, 2019, sur
https://www.valeursactuelles.com/monde/politique-migratoire-comment-leurope-de-lest-prefere-la-tranquillite-lenrichissement-culturel-prone-par-louest-109834
76
ce qui a conduit la Pologne à ouvrir ses portes
à une immigration sélective en 2016. La différence avec
les pays de l'Ouest qui accueillent ? Selon ce même article, les migrants
accueillis en Europe de l'Est sont plus âgés et trouvent
rapidement un travail grâce aux compétences qu'ils ont acquis dans
leur pays d'origine. De plus, leurs axes politiques, de par leur passé
historique et leur position géographique, sont davantage orientés
sur l'accueil des migrants chrétiens que musulmans ce qui limite
grandement l'entrée sur leur territoire. Les pays comme l'Espagne et le
Portugal qui ont une tendance politique sociale semblent peu réticents
à l'accueil des migrants dans leur pays. Pour cause, l'Espagne a
été le premier pays à répondre à l'appel de
l'Open Arms qui a erré pendant des semaines en
Méditerranée sans pouvoir accoster dans un port européen
en août 2019.
Ainsi, plusieurs facteurs expliquent la prise de position des
États européens sur la question migratoire : géographique,
défense des intérêts nationaux, tendance politiques et
confessionnelles. Il s'agit, en un sens, d'une fragmentation de l'unité
que l'Europe est censée représenter et prôner entre tous
ses États. Si la difficulté d'un consensus perdure depuis des
années, les accords signés en 2016 avec la Turquie n'arrangent en
rien la situation, bien au contraire : les décès en
Méditerranée ne cessent d'augmenter depuis 2016 et la
responsabilité de l'Europe n'en est que plus évidente. La
nécessité de redéfinir les axes de la politique migratoire
européenne s'impose de plus en plus mais en parallèle de cela,
les États se renferment sur eux-mêmes en jouissant de leur
principe de souveraineté nationale. Rétablissement de
frontières au sein-même de l'espace Schengen, érige de
murs, clôtures, barrières hautes, fils barbelés et
électrifiés, Police aux frontières (PAF), refoulement,
etc., il s'agit actuellement des mesures prises par de nombreux États en
réponse à l'intensification des flux migratoires depuis 2015.
Les perspectives d'avenir du sauvetage en
Méditerranée
Il est difficile d'anticiper les changements politiques et
sociaux de l'Europe dans les années à venir même si la
montée de mouvements d'extrême droit et xénophobes semble
présager un renforcement des mesures répressives aux
frontières et une externalisation toujours plus importante des flux
migratoires. Cependant, avec l'augmentation des conflits et persécutions
dans le monde et les changements climatiques qui poussent les peuples à
partir de leurs pays, les migrations sont plus que jamais au coeur des
débats internationaux. Les naufrages
77
en Méditerranée et les décès aux
frontières européennes sont la conséquence de la
difficulté, qui perdure depuis des années, d'un consensus entre
tous les États européens. Davantage orientés vers le
renforcement du contrôle des frontières, avec le financement
colossal de l'agence Frontex, et l'externalisation des flux migratoires, de par
les accords signés avec la Turquie et la Libye, l'Europe est pourtant
consciente de l'aspect meurtrier de ses frontières et n'y remédie
pas.
À ce jour, les opérations de sauvetage
menées en mer sont assurées par les ONG de sauvetage, les
garde-côtes libyens (on parle plutôt d'interception que de
sauvetage dans ce cas-là), des autorités maritimes
étatiques de temps en temps, et quelques navires de pêche
présents au moment des naufrages. Aucune initiative européenne
n'a été prise depuis les opérations Mare Nosrum, Triton et
Sophia alors que les personnes continuent encore à se noyer en
traversant la Méditerranée. En déléguant la
responsabilité de la gestion des migrants à la Turquie et
à la Libye, l'Europe pensait pouvoir stopper les naufrages et noyades
mais ce fut tout le contraire : malgré une baisse enregistrée des
arrivées de migrants en Europe depuis 2017, les tentatives de
traversées de la Méditerranée, elles, restent plus ou
moins constantes, des pics ayant été enregistrés à
certains moments donnés. Par exemple, il y eut une augmentation des
traversées alors que le monde ouvrait les yeux sur les conditions de
détention en Libye courant 2017 : traitements inhumains et
dégradants poussent les migrants à fuir la Libye et à
risquer leur vie en Méditerranée malgré les dangers et
l'incertitude de la traversée. Cela n'a pourtant pas suffit à ce
que l'Europe reconsidère les accords signés en février
2017 avec la Libye. Bien au contraire, la formation des garde-côtes
libyens a été plus accélérée que jamais par
les autorités maritimes italiennes. En gardant le silence face aux actes
de la Libye envers les migrants, l'Europe les cautionne et se rend complice des
actes de meurtre, torture, viol et autres traitements infligés. Il
s'agit donc d'une violation des droits de l'homme et de la Convention de
Genève relative au statut des réfugiés.
Les ONG qui assurent les sauvetages en mer se voient
quotidiennement entravés dans leur travail : altercations avec les
garde-côtes libyens, victimes de menaces et d'agressions verbales et
physiques, errance prolongée en Méditerranée, fermeture
des ports européens, amendes de 1 million d'euros, emprisonnement, etc.
Elles tiennent bon malgré ces difficultés, mais pour combien de
temps encore ? Si tous les ports européens venaient à se fermer
aux migrants, où déposer les rescapés ? Certainement pas
en Libye bien sûr, ce qui reviendrait à continuer d'errer en
Méditerranée pendant des jours, des semaines, des mois même
peut-être ? Ces suppositions sont inquiétantes et alarment sur la
gravité de la situation : si les ONG ne
78
pourront bientôt plus se rendre en mer, qui sauvera les
migrants en détresse ? Les garde-côtes libyens sont davantage dans
l'optique de les intercepter violemment et de les ramener de force en Libye
alors les migrants cherchent à la fuir.
L'avenir en Méditerranée reste incertain.
Aujourd'hui, plus que jamais, ce sont les États européens qui ont
le pouvoir décisionnel sur le sauvetage et le sort des migrants. Les
traversées ne feront que continuer, voire même s'intensifier, car
l'instinct de survie et la volonté de trouver refuge et protection, et
de fuir loin de la Libye, représentent des raisons suffisantes pour les
migrants qui tentent la traversée au péril de leur vie. Certains
ont même déclaré « Je préfère mourir que
de rester en Libye ». Les déclarations qui accusent les ONG de
créer un « appel d'air » et d'inciter les migrants à
traverser de par la présence de leurs navires en
Méditerranée qui sont ainsi assurés d'être secourus
sont nombreuses et démontrent encore une fois les conséquences de
la politique de criminalisation des ONG. Fuir pour survivre représente
une solution pour beaucoup de personnes, et ONG de sauvetage en mer ou pas,
elles tentent la traversée et ne se posent que très peu la
question du risque qu'elles encourent pour leur vie.
L'horreur de la situation et les réactions peu vives de
l'Europe ne présagent rien de bon pour le futur. La création
d'une nouvelle entité européenne pour le sauvetage des migrants
en détresse serait-elle envisageable ? Non pas une entité qui
mènerait des opérations comme Triton mais plutôt
une opération semblable à Mare Nostrum, cette fois
financée par tous les États membres de l'UE et pas seulement par
l'Italie ? Une entité gérée par les politiques et les ONG
à la fois et dont la coordination permettrait le sauvetage de millier de
personnes. Les idées sont nombreuses et les initiatives proposées
par les ONG et citoyens sensibles à la cause migratoire n'attendent que
d'être appliquées. Il s'agit maintenant de savoir si l'Europe
répondra à l'appel d'une Méditerranée en
détresse, qui demeure sans réponse depuis maintenant plusieurs
années.
79
Conclusion du mémoire
La problématique « Dans quelle mesure la mer
Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle
et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? »
amène à une multitude de réponses, mais surtout, elle
interpelle sur le tournant dramatique que prend le phénomène
migratoire en Méditerranée. La partie La « crise »
des réfugiés » en Europe depuis 2015 a permis de poser
le contexte nécessaire à la bonne compréhension de la
position actuelle de l'Union européenne quant aux flux migratoires qui
affluent à ses frontières. Si les migrations étaient
perçues comme bienfaitrices dans les années 60 par de nombreux
États européens, les changements politiques, économiques
et sociaux survenus autour du bassin méditerranéen, et plus
largement à l'échelle mondiale, ont modifié la perception
des migrants, qui étaient alors désormais vus davantage comme un
« fardeau » que comme des êtres humains apportant des
compétences et une richesse culturelle au pays. La montée des
conflits dans le monde au cours des 15 dernières années a
paradoxalement renforcé cette image péjorative des migrants vus
comme quittant leur pays pour venir « envahir » l'Europe et profiter
de ses avantages. Pourtant, et on le voit bien actuellement, les migrants
fuyant les guerres et persécutions en Syrie, au Soudan et en
Afghanistan, et ceux fuyant de plus en plus l'horreur de la Libye, ont plus que
jamais besoin d'une protection, autrement dit l'octroi du statut de
réfugié, que seule l'Europe peut leur offrir d'un point de vue
géographique. En effet, la plupart des pays dits « voisins »
aux pays en guerre, en n'oubliant pas que 80% des personnes fuyant un conflit
se réfugient dans le pays voisin, ne sont pas signataires et n'ont pas
ratifié la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés. Ainsi, il parait compréhensible que les migrants
se tournent vers l'Europe, dit continent des droits de l'Homme, afin de
chercher cette fameuse protection qui leur garantit des droits.
Surnommée « le cimetière », la mer
Méditerranée représente actuellement le
théâtre de drames jamais vus auparavant. Si La
médiatisation grandissante du phénomène migratoire en
Méditerranée a permis aux politiques européennes
d'ouvrir les yeux sur la gravité de la situation (drame de Lampedusa en
2013 avec 366 migrants ayant péri noyés et les deux naufrages
meurtriers en avril 2015) et de prendre des décisions pour éviter
à nouveau de tels drames, elle a surtout joué un rôle en
termes de compréhension de la réelle volonté des
États derrière chaque solution proposée. Les
opérations comme Triton, prétextant des missions de
sauvetage des migrants en détresse en Méditerranée, se
sont avérées représenter des moyens pour les États
de contrôler, mettre à distance et refouler massivement.
80
Ce sont ces moyens que j'ai tenté de développer
dans la deuxième grande partie. Afin d'appliquer sa logique du mise
à distance - contrôle - refoulement des migrants, l'Europe a mis
une place une stratégie sur plusieurs années qui s'est voulue
bienveillante envers les migrants mais qui n'a servi qu'à
répondre à ses propres intérêts. La mise à
distance s'est traduite par une externalisation de la gestion des flux
migratoires avec des accords passés respectivement avec la Turquie en
2016 et la Libye en 2017. Ces deux pays constituent les deux principaux pays de
de départ des migrants à destination de l'Europe, mais pas les
plus exemplaires en termes de respect des droits de l'Homme. Davantage
orientée dans une perspective de lutte contre l'immigration
irrégulière plutôt que de sauvetage en
Méditerranée, l'Europe a délégué ses
responsabilités à la Turquie et à la Libye en
échange de contreparties financières et logistiques colossales,
qualifiées de « dépenses anti-migratoires » par Claire
Rodier dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés :
Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents
(2018). Les conséquences de ces accords sont bien visibles
aujourd'hui : les traversées en Méditerranée et les
naufrages augmentent en raison des milliers de migrants qui fuient la Libye et
ses centres de détention horrifiques et le principe de non-refoulement
est régulièrement bafoué par les autorités turques
qui procèdent à des expulsions de migrants sur les îles
grecques (Lesbos, Évros, etc.) en réponse à leurs
engagements pris avec l'Europe. Les décisions politiques et les actions
allant avec ne sont plus pensées pour les migrants et leur
bien-être, mais pour servir les intérêts de chacun, avec une
volonté manifeste de fermer les frontières pour mieux
contrôler les flux migratoires.
Le deuxième volet de la politique migratoire
européenne consiste en un contrôle accru de la zone
méditerranéenne et des frontières, assuré par
l'agence Frontex et divers acteurs comme les autorités maritimes
italiennes. Le rôle et la responsabilité selon la présence
en eaux territoriales ou en eaux internationales, zones expliquées dans
la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, sont sans cesse remis
en question à cause de la bataille livrée par les
garde-côtes libyens envers les ONG de sauvetage. Les principes de la
Convention sur la délimitation des eaux en Méditerranée
sont respectés par les ONG en tout point malgré une
présence régulière à proximité, voire
même dans, les eaux territoriales libyennes: ils appliquent le principe
de cas de force majeure consistant à intervenir lorsque des personnes
sont en danger, ce qui est le cas pour les migrants en détresse ou se
faisant intercepter par les garde-côtes libyens, et le principe de
passage inoffensif dans les eaux libyennes puisque leur seul et unique but est
de secourir.
81
Le troisième volet concerne le refoulement
effectué sous couvertures des hotspots, qualifiés de
centres d'accueil, d'identification et d'enregistrement où tout migrant
doit se rendre en arrivant en Italie ou en Grèce, mais s'apparentant
davantage à des prisons visant à expulser le maximum de
personnes. Les conditions de vie y sont désastreuses, et de nombreuses
entités internationales comme le HCR ont appelé les politiques
européennes à revoir leur décision étant
donné l'inefficacité des hotspots. Tout comme les
refoulements régulièrement exercés aux frontières
européennes, les îles européennes de Lampedusa, Lesbos,
Évros, Chios, Samos, etc. n'ont jamais eu vocation à accueillir
et préparer les migrants pour leur entrée en Europe. Il
s'agissait surtout d'une manière de pouvoir les maintenir hors du
territoire européen et de faire en sorte qu'une majorité d'entre
eux soient renvoyés dans leur pays. Le mécanisme de
relocalisation imposé par la Commission européenne en 2015,
planifiant la répartition de 160 000 migrants entre différents
états européens, s'est révélé totalement
inefficace et n'a fait que renforcer le désengagement flagrant de
plusieurs États européens.
La partie sur le Déni de solidarité et la
difficulté d'un consensus européen a permis de mettre en
exergue les différentes prises de position des États
européens quant à la question migratoire et leurs divergences qui
entravent l'élaboration d'une politique commune et efficace. Sans
volonté de dénoncer ou de prendre parti, il a fallu expliquer en
quoi l'Europe violait certains principes de la Convention de Genève
relative au statut des réfugiés à travers sa politique
migratoire. De plus, il y a une certaine criminalisation des ONG de sauvetage
et pire encore, des moyens mis en place pour entraver leur travail et les
empêcher de ramener les migrants en Europe. Seulement, si l'Europe ne
compte plus envoyer de navires de secours en Méditerranée et que
certains de ses États tentent les ONG de le faire (l'Italie notamment),
qui sauvera les migrants en détresse ? Car, il faut bien le
préciser, les ONG ne sont pas complices de la traversée des
migrants et ne créent pas ce fameux « appel d'air » : les
migrants risquant pour leur vie dans leurs pays, ou en Libye, cherchent
à tout prix à fuir et tentent de rejoindre l'Europe malgré
tout, ONG de sauvetage présentes en mer ou non.
Ainsi, la mer Méditerranée représente une
zone de contrôle et de refoulement des migrants aux portes de l'Europe,
et même une frontière meurtrière il faut le dire,
puisqu'elle sert de terrain d'exploration et d'expérimentation à
la politique migratoire européenne mise en place depuis 2015. S'il a
été expliqué dans ce mémoire que l'Europe a
été surprise et non préparée à l'afflux
soudain de migrants en 2015 (qui était pourtant prévisible), elle
y a riposté sans prendre en considération l'ampleur des drames en
Méditerranée, ni les valeurs qu'elle prône depuis sa
création. Pourtant, faciliter la venue des migrants en Europe venus
trouver
82
refuge et protection fait partie intégrante des droits
de l'Homme et si l'UE déploie tous les moyens pour les refouler à
ses frontières, quel est l'intérêt d'avoir
créé et ratifié la Convention de Genève de 1951 et
son Protocole additionnel de 1967 si ses principes sont sans cesse
bafoués ? À l'origine, la Convention de 1951 avait
été créée pour les victimes de la Seconde Guerre
mondiale, donc les victimes en Europe, afin de les protéger et leur
garantir des droits, ainsi, pourquoi les autres personnes n'auraient-elles pas
le droit de venir chercher refuge en Europe ? De traverser les
frontières et de demander l'asile ? D'avoir une possibilité que
leur dossier soit examiné et le statut de réfugié
octroyé ? Les ancêtres de l'Europe actuelle ont
bénéficié des avantages de la Convention de 1951 à
l'époque, nous devrions donc nous sentir concernés par la
situation actuelle et militer activement pour les droits des migrants et des
réfugiés.
Mais rien n'y fait : actuellement, il s'agit de
contrôler, éloigner et refouler toujours plus les migrants, quitte
à les confronter à une mort certaine en mer ou en les renvoyant
chez eux où ils sont menacés. Cependant, rejeter les migrants qui
tentent la traversée de la Méditerranée revient à
rejeter le phénomène migratoire dans sa globalité et bien
évidemment, un tel phénomène ne peut être
ignoré ni rejeté au vu des changements mondiaux importants qui
provoquent des mobilités sans précédent. Les migrations
sont irréversibles, on ne peut, et ne pourra, pas les repousser
indéfiniment étant donné la montée des conflits
dans le monde et le changement climatique qui incite des personnes à
fuir. Plutôt que d'adopter une posture de rejet et de fermeture des
frontières, tous les États du monde pourraient travailler
ensemble et même apporter de nouveaux éléments à la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le monde et
ses citoyens sont sans cesse dans l'obligation de s'adapter aux changements
politiques, économiques, climatiques et sociaux, et pour pouvoir
respecter un ensemble de règles et de contraintes, il faut pouvoir
redéfinir des textes juridiques internationaux et les adapter aux
circonstances actuelles.
« Aujourd'hui, les véritables frontières ne
sont pas entre les nations mais entre les puissants et les impuissants, les
hommes libres et les enchaînés, les privilégiés et
les humiliés. Aujourd'hui, aucun mur ne peut séparer les crises
humanitaires ou les atteintes aux droits de l'homme dans une partie du monde
des crises de sécurité nationale dans une autre. (...) »
- Kofi Annan
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Table des illustrations
? Infographie n° 1 : Titre d'un article du
média Économie Matin paru le 11 Septembre 2015, page
18
? Infographie n° 2 : Titre d'un article du
média Reinformation TV paru le 18 Juin 2018, page 18
? Infographie n°3 : Schéma comparatif entre
les missions Mare Nostrum et Triton, élaboré
par le média Le Monde le 20 Avril 2015, page 22
? Infographie n°4 : Carte des mers territoriales en
mer Méditerranée et en mer Noire, inclue dans l'étude
réalisée par le Parlement européen en 2010 sur les «
Eaux territoriales en mer Méditerranée et en mer Noire »,
page 37
? Infographie n°5 : Image du camp de Moria sur
l'île de Lesbos, publiée par le média Euractiv le 9 Mai
2016, page 46
92
Table des matières
I) La « crise » des réfugiés
en Europe depuis 2015 6
A) Évolution des traversées en mer
Méditerranée, des arrivées en Europe et de la
perception des flux migratoires des années 40 aux
années 2000 7
Période d'après-guerre : reconstruction de
l'Europe, main d'oeuvre immigrée 7
Les années 60 et l'accueil « à bras ouverts
» des migrants économiques par l'Europe 8
Début des restrictions des mouvements migratoires en
Europe : quels déclencheurs et
quelles conséquences ? 9
Des années 90 au début des années 2000 :
pré-construction d'une « forteresse Europe »
11
B) Une médiatisation grandissante du
phénomène migratoire en mer Méditerranée
depuis 2013 13
Les Révolutions arabes de 2011 ont-elles
déclenché cet afflux « massif » de
réfugiés
vers l'Europe 7 14
Conflits, instabilités politiques et pauvreté dans
certains pays d'Afrique subsaharienne
: l'exil perçu comme une solution depuis des
années 15
Augmentation des traversées de la
Méditerranée et du nombre de demandes d'asile en
Europe depuis 2015 16
Les enjeux de la médiatisation du phénomène
migratoire en Méditerranée 17
C) Mesures prises par l'Europe et fermeture progressive des
frontières 19
Opération Mare Nostrum et volonté de quotas et de
relocalisation des migrants en
Europe : échec d'une politique européenne
opérationnelle 19
La reprise du contrôle et du refoulement aux
frontières 21
La position de l'Italie influence grandement la gestion des flux
migratoires en
Méditerranée 24
II) Du pays départ à l'arrivée aux
frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise
à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en
Mer
Méditerranée 26
A) L'externalisation de la politique migratoire européenne
: double coopération
bilatérale de l'Europe avec la Turquie et la Libye 26
Une logique de contrôle et de refoulement commune pour la
Turquie et la Libye 27
Moyens financiers importants octroyés à la Turquie
29
Moyens techniques et formation des garde-côtes libyens
30
L'interception des embarcations de migrants en détresse
par les garde-côtes libyens 32
L'horreur des centres de détention en Libye : crimes
contre l'humanité 7 33
B) 93
Les enjeux et conséquences du sauvetage en mer des
migrants en Méditerranée : rôle
des eaux territoriales et responsabilités 36
Le Droit maritime : en Méditerranée, le principe
de sauvetage des personnes en
détresse bafoué 41
C) Les îles européennes : l'accueil dans les
hotspots 44
Les prisons à ciel ouvert en Grèce : attente
interminable et surpopulation 45
III) Déni de solidarité et
difficulté d'un consensus européen 50
A) Une violation de certains principes issus de textes de lois
européens et internationaux
50
La création d'une protection internationale pour les
réfugiés 51
Certains principes issus des textes de lois européens et
internationaux ne sont pas
respectés 53
B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer 58
1) L'accrochage avec les garde-côtes libyens lors de
missions de sauvetage 60
2) L'interdiction d'accoster dans les ports européens
61
3) L'errance pendant des jours et des semaines en
Méditerranée 62
4) Le durcissement des politiques européennes 63
5) L'Italie de Matteo Salvini : 1 million d'euros vaut plus que
des vies 64
6) L'affaire Carola Rackete : arrêtée pour avoir
sauvé des vies 65
7) La difficulté de ravitaillement sur terre 66
8) La perte du pavillon d'un navire : le cas de L'Aquarius en
septembre 2018 67
9) La pression politique et médiatique : les ONG
complices des passeurs 68
10) Médaille et cause nationale : une réelle
reconnaissance des ONG ? 69
Conclusion de la sous-partie 71
C) Difficulté d'un consensus européen sur la
gestion des flux migratoires et
perspectives d'avenir en Méditerranée 72
Conclusion du mémoire 79
94
Executive Summary - français
Ce mémoire a pour but de présenter les enjeux
politiques, économiques et sociaux du phénomène migratoire
en mer Méditerranée depuis 2013. Il s'agira également de
démontrer que la Méditerranée est devenue, au fil des
années, une frontière meurtrière dont les
délimitations et les flux ne cessent de changer selon des
intérêts politiques européens, au détriment de la
prise en considération de la condition et de la sécurité
des migrants.
Une première partie dite « contexte » est
nécessaire afin de comprendre les causes ayant provoqué un
changement progressif de la perception des flux migratoires par l'Europe. La
médiatisation des drames en Méditerranée a joué un
rôle important dans la révélation de la posture des
gouvernements européens quant à la question migratoire et des
mesures restrictives ont été prises suite à leur
décision de fermer les frontières et d'externaliser les flux de
migrants.
Les moyens de mise à distance, de contrôle et de
refoulement durant tout le parcours migratoire en mer
Méditerranée seront exposés dans la seconde partie, avec
un focus sur les accords bilatéraux passés avec la Turquie (2016)
et la Libye (2017) ainsi que sur le rôle et les responsabilités
des parties prenantes selon les sauvetages en eaux internationales ou en eaux
territoriales. Un éclairage sera apporté sur la
réalité des hotspots, véritables prisons à
ciel ouvert pour les migrants.
Enfin, les conséquences du déni de
solidarité de l'Europe et de sa difficulté à s'accorder
sur une politique migratoire commune seront développées dans la
partie finale et permettront de mettre en exergue des perspectives d'avenir sur
les sauvetages en Méditerranée au vu de la situation actuelle.
95
Executive Summary - anglais
The purpose of this thesis is to present the political,
economic and social challenges of migration in the Mediterranean Sea since
2013. It will also demonstrate that, over the years, the Mediterranean has
become a deadly border whose boundaries and flows are constantly changing
according to European political interests, to the detriment of taking into
account the condition and security of migrants.
A first part, called "context", is necessary in order to
understand the causes that have led to a gradual change in Europe's perception
of migration flows. The media coverage of the tragedies in the Mediterranean
played an important role in revealing the stance of European governments on the
migration issue and restrictive measures were taken following their decision to
close borders and externalise migrant flows.
The means of distanceing, control and refoulement throughout
the migratory journey in the Mediterranean Sea will be presented in the second
part, with a focus on the bilateral agreements with Turkey (2016) and Libya
(2017) as well as the role and responsibilities of the parties involved in
rescues in international waters or in territorial waters. The reality of
hotspots, real open-air prisons for migrants, will be highlighted.
Finally, the consequences of Europe's denial of solidarity and
its difficulty in agreeing on a common migration policy will be discussed in
the final section and will highlight future prospects for rescues in the
Mediterranean in view of the current situation.
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