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Le travail précaire des aides à  domicile. Quel accompagnement pour les personnes àgées ?


par InàƒÂ¨s Lafkir
Université de Bordeaux - Licence de sociologie 2020
  

Disponible en mode multipage

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    LE TRAVAIL PRÉCAIRE DES

    AIDES À DOMICILE : QUEL

    ACCOMPAGNEMENT POUR LES

    PERSONNES ÂGÉES ?

    Travail d'exploration et de recherche réalisé par :
    Lafkir Inès

    À l'attention de Monsieur Zaffran

    Année universitaire : 2019-2020

    RÉSUMÉ

    Le secteur de l'aide à domicile en France doit répondre aux besoins croissants des personnes âgées dont le niveau de dépendance est de plus en plus élevé. Ces dernières qui souhaitent vivre le plus longtemps au sein de leur domicile, réclament un accompagnement social pour cultiver aussi durablement que possible leur autonomie. Cependant, les évolutions structurelles, professionnelles et organisationnelles du secteur de l'aide à la personne menacent la qualité de cette prise en charge. Les organismes d'aide à domicile peinent à recruter en raison des conditions de travail qui sont particulièrement difficiles : faible rémunération, horaires atypiques, manque de professionnalisation...

    Ainsi, cette étude contribue à soulever un paradoxe qui pourrait compromettre l'avenir du secteur de l'aide à domicile : d'un côté, le secteur doit répondre aux exigences des personnes âgées de plus en plus nombreuses, et de l'autre, il est contraint de se plier aux obligations budgétaires qui restent en opposition avec l'amélioration du travail précaire des aides à domicile.

    Mots-clés : vieillissement de la population - dépendance - aide à domicile - travail précaire - France

    THE PRECARIOUS WORK OF HOME HELPS: WHAT CARE FOR THE ELDERLY PEOPLE?

    Help at home sector in France must meet the growing needs of the elderly with the level of dependency is more and more elevated. Older people tend to live longer in their homes, thus they claim social quality support to cultivate their autonomy as long as possible. However, structural, occupational, and organizational developments in the personal assistance sector threat the quality of this care. Homes help services have difficulties in recruiting enough employees because working conditions are very tough: low pay, unusual hours, lack of professionalization, ...

    This study contribute to raise a paradox who could compromise the future of the help at home service : on the one hand, this sector must meet the requirements of elderly people, and on the other, forced to comply with budgetary obligations which remain in opposition to the improvement of the precarious work of home helpers .

    1

    Keywords: ageing of the population - dependence - the help at home sector - precarious work - France

    2

    REMERCIEMENTS

    Je tiens à remercier d'abord mon directeur d'étude M.Zaffran de m'avoir aidée à orienter mon sujet de recherche. Grâce à son envoi de documents de l'université de Bordeaux, j'ai pu entamer mes enquêtes de terrain. Ainsi, j'ai pu fournir des justificatifs qui m'ont permis de couvrir mon statut d'étudiant-chercheur dans diverses structures et m'ont donné la possibilité de réaliser plusieurs entretiens.

    Tout au long de mon enquête, j'ai eu la chance de rencontrer de nombreuses auxiliaires de vie sociale qui ont eu la gentillesse et la générosité de m'accorder de leur temps pour me faire partager leur expérience du métier. Malgré un planning souvent très chargé, ces dernières ont accordé beaucoup d'intérêt à mon étude. Elles n'ont pas hésité à me donner des contacts afin d'orienter la poursuite de mon enquête.

    Je souhaite également remercier l'ensemble des personnes âgées avec qui j'ai pu m'entretenir. Ce fut un véritable plaisir d'écouter leurs parcours de vie. Malgré leurs diverses pathologies ou handicaps, nous avons pris le temps nécessaire pour échanger. Je suis toujours éblouie par l'effort et la volonté dont elles ont fait preuve de vouloir d'une part, témoigner de leurs conditions de vie et d'autre part, de vouloir m'accompagner dans l'écriture de mon rapport. Beaucoup d'entre-elles m'ont remerciée de les avoir écoutées, c'est à mon tour ici de leur témoigner ma plus grande admiration.

    Enfin, je tiens à rappeler toute ma gratitude et ma sympathie à l'auxiliaire de vie sociale du Centre Communal de l'Action Sociale de Lormont qui a souhaité garder l'anonymat. Elle m'a permis de m'immiscer dans son quotidien le long d'une journée. Nous avons rencontré beaucoup de difficultés administratives pour effectuer cette journée, ainsi je suis très reconnaissante de sa détermination, de sa patience et surtout de l'importance portée à mon étude.

    3

    TABLE DES MATIERES

    INTRODUCTION 4

    AXE METHODOLOGIQUE 6

    PARTIE I : LE TRAVAIL PRECAIRE DES AUXILIAIRES DE VIE SOCIALE 10

    A) Le salaire 10

    B) Le planning 13

    PARTIE II : SANTE AU TRAVAIL 16

    A) Risques physiques 16

    B) Isolement professionnel 19

    C) « Un travail invisible » 22
    PARTIE III : PENURIE DE SALARIEES DANS LE SECTEUR DE L'AIDE A DOMICILE

    25

    A) Un recrutement à la va-vite 25

    B) Stratégies mises en place par les personnes dépendantes pour pallier à l'insuffisance des

    services à domicile 28

    PARTIE IV : LE RECIT D'UNE JOURNEE ORDINAIRE 31

    CONCLUSION 40

    BIBLIOGRAPHIE 43

    ANNEXES 46

    4

    INTRODUCTION

    Dans notre société, le vieillissement de la population représente plusieurs enjeux. Selon les chiffres du rapport du ministère des Solidarités et de la Santé publié en 2018, les personnes âgées de 60 ans et plus étaient au nombre de 15 millions. Elles seront 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. De surcroît, l'INSEE projette un allongement continu de l'espérance de vie d'ici à 2060. Dans cette perspective, cette évolution démographique soulève la question de la prise en charge de nos aînés en situation de perte d'autonomie car l'accroissement du nombre des plus âgés s'accompagne du nombre de personnes dépendantes. Donc le vieillissement de la population implique la mise en place de moyens financiers et sociaux par les gouvernements destinés aux personnes âgées. Ces dernières souhaitant vivre le plus longtemps « chez elles », dans leur propre environnement confortable et rassurant, rendent le développement du secteur d'activité de l'aide à domicile indispensable. En effet, ce champ d'activité, « depuis le début des années 2000, a été fortement investi par les pouvoirs publics, porteur de grands espoirs en matière de création d'emplois »1. On assiste à des efforts considérables pour organiser et professionnaliser le secteur de l'aide à domicile. En 2002, le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est enfin créé, il est accessible dans plusieurs établissements de formation notamment dans les instituts régionaux des travailleurs sociaux (IRTS). Par ailleurs, dans cette même année, la création de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) a permis à un plus grand nombre de personnes âgées de payer (en totalité ou en partie) les dépenses nécessaires pour se maintenir à domicile. Cette allocation versée par les conseils départementaux pour prendre en charge une partie des frais du soutien à domicile a rendu possible le développement des emplois de services à la personne âgée. De surcroît, la loi relative à l'Adaptation de la Société au Vieillissement adoptée le 14 décembre 2015, a permis une revalorisation des aides allouées aux personnes âgées avec une promesse d'une meilleure coordination des différents acteurs dans le secteur de l'aide à domicile. En 2018, 88.4 millions d'euros est le montant total des crédits versés par la Caisse Nationale de Solidarité et de l'Autonomie pour la modernisation et la professionnalisation de l'aide à domicile, l'accompagnement des aidants et la formation des professionnels des établissements et services médico-sociaux.

    1 André, Lætitia. « Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux professionnels ? Enjeux de société? », Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no. 3, 2012, pp. 157-167.

    5

    Cependant, l'organisation du travail à domicile, souffre toujours d'un manque budgétaire grandissant et d'une pénurie de salariées2 croissante. Les métiers de l'aide à domicile désignent des personnes salariées, identifiées notamment sous les appellations d'aide à domicile, d'auxiliaire de vie sociale, d'assistante de vie, d'auxiliaire familiale. Elles ont pour mission d'aider à accomplir les tâches et les activités de la vie quotidienne afin de permettre le maintien à domicile des personnes dépendantes. L'objectif est de préserver l'autonomie de la personne en difficulté. De plus, les aides à domicile soutiennent moralement et socialement la personne dépendante dans son environnement. Elles sont embauchées le plus souvent par des associations de service d'aide à la personne. « Elles interviennent au domicile des personnes âgées pour des salaires dépassant rarement les 900 euros.»3. Ces minces revenus s'expliquent par un temps partiel imposé. Pourtant, elles sont mobilisées toute la semaine, parfois même les weekends car leurs heures sont généralement éparpillées. Ces « travailleuses de l'ombre »4 qui oeuvrent pour préserver le bien-être de nos ainés souffrent également d'un manque de reconnaissance dans leurs pratiques professionnelles, bien trop souvent considérées comme l'extension du travail des femmes dans les tâches domestiques. C'est à partir de ces multiples raisons que ce secteur d'activité peine à former et à embaucher.

    Par conséquent, l'organisation du travail à domicile a conduit les salariées dans une situation aussi fragile que celle des personnes dont elles s'occupent. De plus, la souffrance au travail et le manque de formation des salariées se répercutent dans la qualité de leurs interventions et dans les relations qu'elles entretiennent avec les personnes âgées. Ces dernières étant les premières touchées par les mauvaises dispositions que subissent leurs aides à domicile. Ainsi, cette enquête a pour but de soulever un paradoxe qui pourrait compromettre l'avenir du secteur d'activité de l'aide aux personnes âgées à domicile : d'un côté, nous avons un besoin croissant d'aides à domicile pour permettre à nos ainés de bénéficier d'un accompagnement social de qualité, et de l'autre nous avons un secteur soumis à des obligations budgétaires qui restent en opposition avec l'amélioration des conditions de travail de ses salariées.

    2 Les aides à domicile concernent des hommes et des femmes, mais j'ai décidé d'utiliser le genre féminin pour garder la disproportion importante des femmes dans ce secteur.

    3 Chaignon Alexandra, « Aides à domicile, un quotidien et des salaires en miettes », Humanité, 27 janvier 2014.

    4 Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation », Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.

    6

    AXE MÉTHODOLOGIQUE

    A partir d'octobre 2019, j'ai entamé mes premiers mois de recherche dans la mobilisation de lectures autour de la crise du secteur de l'aide à domicile et des ouvrages en gérontologie sur le maintien à domicile des personnes âgées. Ces supports m'ont permis d'acquérir une meilleure connaissance des différents enjeux du vieillissement démographique en France et de construire mes hypothèses. De plus, grâce à la collecte de rapports statistiques tels que celui de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie5 ou celui de la DARES6, j'ai pu recueillir d'importantes données chiffrées permettant de mettre en lumière des inadéquations entre la hausse des besoins des personnes âgées et le manque de moyens structurels, organisationnels et professionnels du secteur d'activité de l'aide à domicile.

    Par la suite, dans la période de décembre 2019 à mars 2020, j'ai réalisé 6 entretiens semi-directifs auprès d'auxiliaires de vie sociale et 5 autres auprès de personnes âgées bénéficiaires des services de l'aide à domicile. L'essentiel des personnes interrogées résident ou travaillent dans la métropole bordelaise. J'ai privilégié le choix de la méthode de l'entretien semi-directif, car celle-ci m'a permise de préparer au préalable les différents thèmes que je souhaitais aborder tout en m'accordant une plus grande liberté de parole. Pour la réalisation de chacun de ces entretiens, j'ai créé deux guides distincts pour qu'ils puissent répondre au mieux à mes interrogations : un pour les auxiliaires de vie et un pour les usagers.

    J'ai fait le choix d'interroger les salariées embauchées sous l'appellation d'« auxiliaire de vie sociale » (AVS) car cette distinction m'a permis de mieux établir des comparaisons entre celles qui exercent ce métier non diplômées de celles qui sont titulaires du DEAVS. Les auxiliaires de vie sociales que j'ai interrogées sont employées par un service public territorial (2 sur 6), par une association à but non lucratif (3 sur 6) ou par une entreprise privée (1 sur 6). Ces femmes sont âgées de 21 ans à 54 ans : 4 ont la vingtaine et 2 ont plus de 50 ans. Le choix de me cibler davantage sur des salariées jeunes était réfléchi. En effet, un des objectifs de mon enquête est d'analyser les perspectives d'avenir à savoir si ce métier peut être envisageable toute une vie. Chacune d'elles a témoigné de ses conditions de travail, de ses relations avec ses responsables et ses bénéficiaires. Au fil des entretiens, j'ai mieux cerné les différentes

    5 Rapport de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie) : « Les chiffres clés de l'aide à l'autonomie 2019 »

    6 DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro 038.

    7

    problématiques auxquelles les enquêtées faisaient face. Par conséquent, cela m'a permis de poser à chaque nouvel entrevus davantage de questions dans le but d'approfondir et éclaircir certains sujets. Les auxiliaires de vie étaient ravies de pouvoir m'aider dans mon étude et enthousiastes à l'idée de pouvoir parler de leur métier. Afin de les déranger le moins possible, je me suis déplacée le plus souvent dans leur domicile après qu'elles aient terminé leur journée de travail. Néanmoins, sur les six entretiens, j'ai été dans l'obligation d'en réaliser deux par téléphone car les auxiliaires de vie concernées n'avaient pas beaucoup de temps à m'accorder au regard de leur planning très chargé et de leurs obligations familiales. Cependant, ces deux entretiens restent très riches en informations car je n'ai pas hésité à prolonger les appels.

    Concernant les personnes âgées, les entretiens se sont tous déroulés dans leur domicile respectif. J'ai obtenu leurs contacts grâce aux auxiliaires de vie sociale mais aussi grâce à des infirmiers libéraux exerçant leurs activités dans mon quartier. Ils m'ont orientée vers des personnes ayant conservé leurs facultés mentales. Néanmoins, 2 personnes âgées sur 5 avaient leurs capacités cognitives légèrement réduites. Par conséquent, j'ai adapté ma manière de communiquer, c'est-à-dire que je n'ai pas hésité à hausser la voix, à articuler davantage et à prendre le temps de parler. De plus, j'ai répété plusieurs fois les mêmes questions durant les entretiens pour une meilleure communication. Les personnes âgées que j'ai interrogées, reçoivent l'aide d'une ou plusieurs aides à domicile chaque semaine. Cette population d'enquêtés se compose de 4 femmes et un homme avec une moyenne d'âge de 77.2 ans. 3 personnes vivent seules et 2 en couples. J'ai beaucoup insisté pour que les entretiens s'effectuent sans la présence d'une auxiliaire de vie dans le domicile afin que la personne âgée ne soit pas gênée de discuter des problèmes qu'elle rencontre avec différents organismes de service à la personne et sur la manière dont s'établit sa prise en charge. En effet, la plus grande difficulté était de trouver un créneau horaire pour convenir d'un rendez-vous, car les personnes dépendantes vivant à domicile reçoivent l'aide de nombreux professionnels durant une journée : infirmier, kinésithérapeute, auxiliaire, médecin,... J'ai malheureusement été contrainte d'écourter un entretien en raison de la venue d'infirmières. Cependant, au-delà de ces difficultés, les personnes âgées m'ont toutes reçue chez elles avec beaucoup de bienveillance et de convivialité.

    De surcroît, le jeudi 12 mars, j'ai mené des observations dans le cadre d'une journée de travail ordinaire d'une auxiliaire de vie sociale dans les différents domiciles de personnes âgées. L'auxiliaire de vie a souhaité garder l'anonymat, elle est employée au Centre Communal de l'Action Sociale (CCAS) de Lormont. Elle a 50 ans et exerce ce métier depuis 14 ans. Pour

    8

    entreprendre cette journée d'observation, les démarches étaient très complexes. Le CCAS étant un service territorial qui dépend donc de la mairie, j'ai dû adresser ma demande d'accompagnement par courrier directement au maire de la ville. De ce fait, j'ai réussi à obtenir une réponse positive très tardivement en passant par l'intermédiaire d'une multitude de services. Concernant mon choix de mener des observations directes, celui-ci s'explique premièrement par une volonté d'avoir accès à ce qui est oublié ou caché durant mes entretiens et deuxièmement, de retracer en temps réel l'enchaînement des actions et des interactions dans l'accompagnement social des personnes âgées à domicile (Chauvin et Jounin, 2012). En effet, « l'observation directe est aussi le seul moyen d'accéder à certaines pratiques : lorsque celles-ci ne viennent pas à la conscience des acteurs, sont trop difficiles à verbaliser ou au contraire, font l'objet de discours pré-construits visant au contrôle de la représentation de soi, voire lorsque ceux-ci ont le souci de dissimuler certaines pratiques. »7. Pour entreprendre cette journée, j'ai choisi de ne pas masquer mon identité d'étudiant-chercheur auprès des personnes âgées car j'entrais déjà par surprise dans leur intimité. Par conséquent, les risques de modifier leurs comportements ou de dissimuler certaines choses face à ma présence étaient limités. Concernant l'attitude l'auxiliaire de vie sociale, j'avais bien conscience que ces risques seraient davantage présents. C'est pourquoi, j'ai décidé avec son accord de l'accompagner dans sa journée la plus longue de la semaine : de 8h à 20h. Plus ma durée d'observation était longue, moins le risque de contrôler sa propre image professionnelle était important. De plus, pour mener à bien ces observations, je me suis munie de plusieurs outils de terrain : un cahier de bord et un dictaphone. Le journal de bord m'a permis d'indiquer les heures de mes différentes séances d'observations et de collecter des données : mes premières impressions, des schémas, des paroles,... Quant au dictaphone, cet instrument d'enquête m'a permis d'enregistrer de longs échanges entre l'auxiliaire et le bénéficiaire. En clair, ces outils m'ont permis d'inscrire mon étude dans la durée.

    Enfin, dès fin mars 2020, je me suis penchée véritablement sur l'analyse de mes matériaux récoltés tout au long de ces derniers mois, qualitatifs (entretiens, observations,..) comme quantitatifs (rapports statistiques). Pour le traitement de mes données qualitatives, j'ai conçu deux grilles d'analyse pluridimensionnelles: une pour la lecture des entretiens effectués auprès des auxiliaires de vie sociale et une pour les personnes âgées. Elles m'ont permis de coder mes données, en faisant des regroupements thématiques entre mes différents entretiens.

    7 Arborio Anne-Marie. « L'observation directe en sociologie : quelques réflexions méthodologiques à propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier », Recherche en soins infirmiers, vol. 90, no. 3, 2007, pp. 26-34.

    L'objectif était de comparer les différences et les similitudes des propos recueillis dans le but d'étayer mes hypothèses. En effet, « la sociologie comparée n'est pas une branche particulière de la sociologie ; c'est la sociologie même, en tant qu'elle cesse d'être purement descriptive et aspire à rendre compte des faits »8.

    9

    8 Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, [1895], 1986, p.137.

    10

    PARTIE I : LE TRAVAIL PRÉCAIRE DES

    AUXILIAIRES DE VIE SOCIALE

    A) Le salaire

    Les auxiliaires de vie sociale (AVS) interrogées travaillent pour un service public territorial (2 sur 6), par une association à but non lucratif (3 sur 6) ou par une entreprise privée (1 sur 6). Ces différentes structures sont prestataires, c'est-à-dire qu'elles vendent un service à la personne dépendante. Dans cette optique, le salaire des AVS dépend du nombre d'heures effectuées, mais aussi d'un cheminement politique et administratif complexe entre plusieurs acteurs : de l'employeur (association à but non lucratif ou service public territorial) aux administrations locales chargées de fixer des tarifs horaires de remboursement et celles chargées de définir les besoins des personnes dépendantes (Weber, Trabut et Billaud, 2014).

    Une personne âgée souhaitant bénéficier d'un accompagnement à domicile peut bénéficier d'aides sociales pour payer en totalité ou en partie les heures d'intervention des auxiliaires de vie sociale. Ces aides sont versées par le conseil départemental, par l'assurance-maladie ou les caisses retraites (ces deux derniers cas restant les plus rares) de la personne âgée. En France, les conseils départementaux peuvent attribuer aux personnes âgées dépendantes l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) en fonction des besoins et des ressources financières de la personne dépendante. On compte en décembre 2017, 768 837 bénéficiaires de l'APA à domicile9. Pour définir les besoins de la personne âgée, une équipe médico-sociale (EMS) intervient pour évaluer son niveau de dépendance grâce à un outil qui se nomme la grille Aggir. Il existe six degrés de dépendance, correspondant à six « groupes iso-ressources » (Gir). Les Gir sont fixés de 1 à 6, du moins autonome au plus autonome. « Seules les personnes appartenant aux Gir 1 à 4 peuvent demander l'Apa, c'est-à-dire l'allocation personnalisée d'autonomie. Les personnes qui relèvent des Gir 5 et 6 peuvent bénéficier d'autres types d'aides financières de leur département et/ou de leur caisse de retraite (sous conditions de ressources). »10 . Par la suite, si la personne âgée répond aux critères d'attribution de l'APA, un dossier est constitué en direction du Conseil départemental. Pour mettre en place les heures d'interventions des AVS, un évaluateur du conseil général va se déplacer au domicile de la personne dépendante pour définir un plan d'aide fixant le tarif horaire pris en charge par le

    9 DREES, enquêtes aides sociales série longue < 2000-2017

    10 « Les grilles utilisées par les professionnels : Aggir et les Gir », maisons-de-retraite. Web. 2015

    11

    département. Le reste à financer doit être payé par la personne âgée avec ses propres revenus. Après que l'évaluateur du Conseil départemental et la personne âgée (ou la famille de la personne âgée) se soient accordés sur un devis et sur le choix d'une structure de service à la personne, l'évaluateur prend contact avec l'organisme en question. Par conséquent, la directrice ou une responsable de secteur de la structure de « service à la personne » rend visite à la personne dépendante afin de créer un planning d'intervention.

    Sur les 5 personnes âgées interviewées, 4 sont bénéficiaires de l'APA. Sur les bénéficiaires, 3 souhaiteraient avoir droit à davantage d'heures prises en charge par le département.

    « J'ai l'aide du conseil départemental. L'APA. J'ai droit à 3h par jour ce n'est pas assez, j'aimerais avoir davantage d'heures pour l'entretien de mon appartement et pour pouvoir sortir de temps en temps avec mes auxiliaires. »

    (Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire de l'APF association des paralysés de France)

    « On me paie une partie de l'heure, j'ai le droit à quelques heures. Mais j'aimerais avoir plus, surtout des services le weekend. Mais on en a décidé ainsi et puis je ne peux pas les payer. » (Personne âgée, 77 ans, bénéficiaire de l'aide à domicile du Haut-Médoc ADHM)

    « L'évaluateur du département estime ce dont tu as besoin et il te donne. Mais ils sont très radins [...] En général ils te donnent 3h par jour, mais pour le matin, midi et soir. Donc les heures sont entrecoupées. Et si tu demandes plus, il faut toujours justifier encore plus. »

    (Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire de l'APF)

    En effet, dans le but de réduire les dépenses publiques, les interventions prévues par les plans d'aide des départements sont très courtes et éparpillées. Cette baisse des montants de prise en charge par le Département de l'APA sont parfois très inférieurs aux coûts des interventions des structures. Et ce phénomène ne va pas en décroissant car les structures d'aides à domicile subissent une augmentation de charges financières.

    C'est donc dans ce contexte très délicat que sont définis le nombre d'heures de travail et le salaire d'une auxiliaire de vie sociale. Les employées sont payées 9,2 euros net de l'heure. Selon l'enquête Emploie de l'Insee de 2014, 47% des aides à domiciles à temps complet ont un salaire mensuel net de moins de 1250e. Ce salaire à peine équivalent au Smic est expliqué par ce contrat de travail indirect entre la personne âgée et l'auxiliaire, tous deux dépendant d'une

    12

    grande spirale économique et politique. Les 6 auxiliaires de vie sociales interviewées réclament à l'unanimité une revalorisation de leurs salaires.

    « Je touche le SMIC [...] c'est pas assez payé, c'est pas assez payé, c'est pas assez payé ! »

    (Auxiliaire de vie sociale (AVS), 21 ans, APF)

    « Je pense que travail mériterait d'être mieux payé. Surtout que ça fait 18 ans que je fais ce métier et il y a pas eu d'augmentation de salaire. Il y a la petite augmentation légale mais cela reste minime. »

    (AVS, 54 ans, ADOMI)

    « Pour tout ce que l'on peut faire en une heure seulement, on devrait être plus payé ! »

    (AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)

    « On est à peine au SMIC pour 35h. » « Non pas du tout. On est pas assez payé à l'heure. »

    (AVS, 24 ans, ADHAP)

    «Ce mois-ci, j'ai touché 1300e [...] Non, j'aimerais être entre 1800 et 2000 € parce qu'on ne fait pas seulement auxiliaire de vie on est kiné, psy, aide-soignante. On exerce pas un métier mais plusieurs à la fois. On doit être mieux payé »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    « Notre salaire, c'est une honte ! Une honte pour les professions du social. »

    (AVS, 27 ans, APF)

    13

    B) Le planning

    Selon les portraits statistiques des métiers de 2014 de la Direction de l'Animation de la Recherche des Etudes et des Statistiques (DARES), les aides à domicile sont le plus souvent embauchées à 86% en contrat à durée indéterminé (CDI) mais elles sont majoritairement à temps partiel (72% des cas). Cependant ce temps partiel imposé cache en réalité un rythme de travail effréné. Les heures d'intervention des auxiliaires de vie sociale étant réduites et éparpillées au fil de la semaine et des week-ends donnent lieu à la formation d'horaires de travail atypiques. En effet, dans le but de minimiser les coûts du secteur, les AVS ont un planning avec des interventions morcelées et de plus en plus nombreuses pour répondre aux besoins croissants des personnes en situation de dépendance. « On en arrive à des situations où l'on a des interventions qui sont réduites à quinze minutes et si l'on continue dans cette spirale, à horizon 2020, ce n'est plus un quart d'heure, c'est cinq minutes qu'on passera chez une personne pour essayer de bricoler quelque chose. » déplore un représentant syndical dans le rapport d'enquête 2015 sur l'aide à domicile du Centre d'Etude et de l'Emploi11. Cette réduction des temps d'intervention s'accompagne d'une augmentation du nombre de personnes dépendantes, ainsi les prestations et les déplacements entres les domiciles se multiplient et deviennent fatigants et onéreux.

    De surcroît, elles doivent toujours être joignables et vigilantes aux changements de planning qui parfois s'effectuent dans une journée même de travail. Ce phénomène s'explique par le manque de personnel pour répondre aux besoins des personnes âgées. De plus, les auxiliaires de vie sociale actives doivent remplacer leurs collègues qui s'absentent. « Quelle que soit la cause, l'absentéisme dans ce secteur atteint un taux de 15 % contre 4,5 % pour l'ensemble des secteurs. »12. Sur les 6 AVS interrogées, elles témoignent toutes des difficultés de ne pas avoir un planning fixe.

    « Oui le planning change quasiment un jour sur deux... c'est un peu compliqué. Parce que du coup il y a souvent des absences et cela modifie énormément le planning. [...] De toute façon l'asso nous harcèle s'il manque quelqu'un. [...] Pendant une journée même de travail tu peux avoir des changements de planning. On te demande « tu peux aller à telle heure chez cette

    11 Rapport d'enquête du CEE, « Connaissance de l'emploi », août 2015, numéro 123

    12 Rapport de l'assurance maladie « Rapport d'activité 2017, AGIR ENSEMBLE, PROTÉGER CHACUN »

    14

    personne ? ». Exemple, si j'embauche le matin à 8h et que d'habitude je débauche à 16h, on peut me rajouter une intervention de dernier moment. »

    (AVS, 24, ADHAP)

    « Alors il faut toujours que je sois joignable. [...] Et quand c'est à la dernière minute elle nous demande quand même si c'est possible. Parfois ce n'est pas possible et on dit non. Bon après on peut pas refuser tout le temps ! »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    « Ca m'est arrivé plusieurs fois qu'on me change le planning du jour pour le lendemain ! C'est super stressant car je ne peux rien prévoir. J'ai toujours des risques que ça tombe à l'eau. »

    (AVS, 26 ans, APF)

    Question: « Et pour les changements de plannings ? Ils peuvent être effectués la veille pour le lendemain ?

    AVS : Oh même dans l'heure à n'importe quel moment ! Non et puis tu vois la responsable m'a dit que je travaillais jeudi, eh beh du coup je travaille lundi. Je regarde quand même mon planning parce qu'avec eux c'est toujours des surprises. Eh beh je regarde et je vois un changement. »

    (AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)

    « Je commence une journée mais je ne sais jamais quand est-ce qu'elle se termine exactement. »

    (AVS, 21 ans, APF)

    Dans la mesure où des interventions sont régulièrement ajoutées en supplément des heures fixées par leur contrat de travail, les heures supplémentaires s'accumulent. Une semaine à 35 heures peut rapidement devenir une semaine à 42 heures. Les temps de pause deviennent très limités et les prestations s'enchaînent à grande vitesse. Ce rythme de travail aux heures d'interventions si rapprochées n'est pas sans conséquence. La durée des trajets entre chaque domicile et les différents besoins de certaines personnes dépendantes peuvent faire accumuler du retard entre les différents lieux d'interventions. Ainsi, sur les 5 structures des AVS interrogées, 2 ont mis en place un système de pointage téléphonique pour payer à l'exactitude le nombre d'heures de travail réalisées. Cette nouvelle forme managériale, appelée aussi la « télégestion », conduit à l'émergence d'un modèle industriel de prise en charge à domicile. Ce nouveau système souhaite également dématérialiser la signature de la feuille de présence de la

    15

    personne âgée. L'auxiliaire de vie grâce à une application téléphonique scanne le badge accolé au cahier de liaison13 au début et à la fin de l'intervention. Ce moyen permet d'établir une fiche de salaire très rigoureuse. Malheureusement, pour les AVS, ce système de pointage engendre une pression supplémentaire dans leur rythme de travail.

    « A chaque début d'intervention, on badge. Et à la fin de chaque intervention, on badge à nouveau. On est fliqué comme ça ! »

    (AVS, 54 ans, CCAS de Lormont) « Oui, il y a des badges chez les bénéficiaires. On arrive on pointe avec le téléphone, et quand c'est l'heure ça sonne. C'est pour cadrer les interventions. [...] Parce que du coup tu dois arriver exactement à l'heure et repartir exactement à l'heure. Sinon ils le savent, ils savent tout. On est payé à la minute ! »

    (AVS, 26 ans, APF)

    « Oui c'est avec l'application mobile, on pointe. La direction sait exactement le nombre d'heures que l'on fait. Ah ! On peut pas être payé plus ça c'est sûr ! »

    (AVS, 21 ans, APF)

    Enfin, ce système de pointage ne prend pas en considération les différentes pathologies des personnes âgées. Les besoins des bénéficiaires, certains en fin de vie, ont des besoins qui évoluent constamment. Désormais, il n'y a plus que l'heure qui compte. Ce contrôle excessif sur le temps conduit à la négligence de nombreux actes dans l'accompagnement social de la personne dépendante. « La priorité est mise sur le pointage et non sur l'humain » déplore Francine Lambert, porte-parole des aides à domicile de l'ADMR (réseau associatif de services à la personne)14.

    13 Le cahier de liaison est un livret demeurant au domicile de la personne âgée permettant d'y inscrire des consignes et d'organiser une meilleure coordination entre les différents intervenants (infirmiers, aide à domicile, médecins,...).

    14 « Les aides à domicile se sentent espionnées », Actu, 17 mars 2013

    16

    PARTIE II : SANTÉ AU TRAVAIL

    A) Risques physiques

    L'aide à domicile est un secteur d'activité où le risque professionnel ne cesse de croître comparé aux secteurs traditionnellement accidentogènes comme l'industrie ou la construction. Le rythme de travail d'une auxiliaire de vie social caractérisé par l'incertitude et la précipitation peut engendrer des souffrances physiques. Le morcellement et les horaires atypiques du planning sont des facteurs de pénibilité du travail. En effet, les nombreux changements de lieux d'activité et de bénéficiaires multiplient les risques professionnels : troubles musculo-squelettiques, accident de la route, les risques d'infection,... De surcroît, le vieillissement de la population conduisant à l'accroissement du niveau de dépendance des personnes âgées renforce les difficultés d'intervention. Par ailleurs, les AVS doivent faire face à la pénibilité des gestes répétitifs à effectuer. Cette dégradation des conditions de travail du secteur de l'aide à la personne se constate dans les données de la caisse nationale de l'assurance-maladie : le taux de fréquence et l'indice de gravité des accidents du travail y sont presque deux fois plus élevés que dans l'ensemble des secteurs d'activité : respectivement de 45 contre 22 et de 26 contre 15 (Pinville, Poletti, 2014). En effet, « Les salariés de prestataires connaissent plus souvent des problèmes de santé ou des situations de handicap ou d'invalidité, et ce notamment chez les plus jeunes. »15.Ce constat s'est reflété durant les entretiens réalisés auprès des 6 auxiliaires de vie sociale, 4 ressentent une importante fatigue et des douleurs physiques.

    « Alors là, je suis K.O. quand je rentre chez moi. Je préfère rester à la maison et dormir. [...] Après tu as plus envie de faire quoi que ce soit, en fait ça te plombe. Je préfère rentrer à la maison et dormir. Courir à droite, à gauche la journée, c'est épuisant ! »

    (AVS, 21 ans, APF)

    « J'ai d'importantes douleurs au dos à 23 ans. Il y a des jours, j'ai des cernes, et je suis très lente. »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    15 DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.

    17

    « En fait quand je sors du boulot je suis tellement fatiguée... enfin le week-end j'arrive à faire quelques trucs : cinéma,... et le mercredi j'arrive à garder mon petit-fils. Après je fais attention dans mes activités, je me suis fait un tour de rein la semaine dernière chez un bénéficiaire. »

    (AVS, 54 ans, ADOMI)

    « Parce que tu sais comment on est dans le groupe, on est toujours prise par le travail puis arrivées à la maison... Des fois je me dis, quand je rentre j'ai même pas envie d'ouvrir internet ou la télé tellement je suis fatiguée. »

    (AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)

    Les souffrances physiques des auxiliaires de vie sociale accumulées ont des répercussions dans le travail qu'elles accomplissent auprès des personnes âgées. Les 5 personnes âgées interrogées ont constaté de multiples fois une fatigue importante chez leurs aides à domicile.

    «Mais quand elles viennent, elles sont fatiguées oui. Y'à des moments quand elles commencent à 8h du matin et quand elles finissent à 7h ou 8h le soir... Elles n'ont même pas le temps de manger entre midi et deux. On leurs remet toujours quelqu'un, elles n'ont pas leurs 45 minutes obligatoires. Elles sont un peu épuisées. [...] elles essayent de tout faire. C'est moi qui leurs dit de se reposer. Mais bon certaines ne veulent pas, elles sont vaillantes. Mais bon, je leurs dis que pour certaines tâches ce n'est pas pressé. Qu'elles peuvent le faire demain. »

    (Personne âgée, 80 ans, bénéficiaire du CCAS de Mérignac) « Question : Et vous avez déjà vu vos auxiliaires très fatiguées quand elles arrivent chez vous ? Usager : Ah oui.

    Question : Et vous réagissez comment ?

    Usager : Elles se reposent un peu, je leurs dit de manger avec moi. [...]Tant qu'elles sont là, je les laisse. Elles m'aident puis je leurs dit de se reposer [...] Oui, j'avais une dame avant, elle se lève à 6h, elle court partout dans la journée. Et du coup arrivée chez moi, elle était souvent fatiguée. Elle faisait parfois une heure de trajet pour aller chez une personne que pour 30 min de travail. »

    (Personne âgée, 77ans, bénéficiaire de l'ADHM)

    « Question : Et du coup quand vous voyez ont qu'une auxiliaire de vie très fatiguée ou qui a mal aux quelque part...

    18

    Usager : Ah beh elle fait les choses plus lentement, elle fait ce qu'elle peut. Question : Et cela ne vous dérange pas ?

    Usager : Pas du tout, je leur dis vous me faites le plus difficile que je ne peux pas faire. Le plus difficile pour moi c'est faire le lit de mon mari parce qu'il a un lit médicalisé, on ne peut pas le tirer. Le mien, il est difficile, je ne peux pas le faire. Mais je fais le tour, je le fais petit à petit. Je passe 15 minutes, et puis si ça ne va pas je m'assoie. Et puis je reprends après. Je fais ce que je peux pour les soulager si elle ne peut pas le faire. »

    (Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire de l'APF)

    Ces trois extraits d'entretiens montrent une forme empathie de la part des personnes âgées face à l'état d'épuisement de leurs AVS. La personne dépendante dans une situation déjà fragile essaye malgré tout de soulager le travail de son aide à domicile. Cependant, cette fatigue génératrice de lenteur et d'omission de certains actes peut conduire aussi à des conflits relationnels entre les bénéficiaires et les auxiliaires.

    « Ah non. Et je ne suis pas du tout satisfaite de l'auxiliaire de vie que j'ai aujourd'hui. En plus, après 1h00 de ménage, elle s'assoit, elle me dit qu'elle est très fatiguée et elle attend que l'heure tourne. Comment voulez-vous que je fasse moi après ? Mon mari il ne peut pas m'aider, je dois me débrouiller toute seule le reste de la journée. »

    (Personne âgée, 87 ans, bénéficiaire du CCAS de Lormont)

    « Elle entend pas son réveil qu'elle me dit. Bon de temps en temps, on accepte. Mais à force vous comprenez que je ne cache pas mon mécontentement ! Elle arrive souvent en retard, et puis bon, elle est pas très active le matin. Y'a plein de choses à faire chez moi que je ne peux plus faire. »

    (Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire de l'APF)

    Ces tensions conflictuelles qui peuvent émerger dans les relations au travail vont venir ajouter de la pénibilité psychique à la pénibilité physique des salariées comme des personnes âgées. Par conséquent, les contraintes liées à l'organisation du travail se répercutent sur la qualité de l'accompagnement social à réaliser auprès des personnes dépendantes.

    19

    B) Isolement professionnel

    L'auxiliaire de vie sociale exerçant ses tâches dans la sphère privée de chacun de ses différents bénéficiaires, celle-ci se retrouve fortement isolée professionnellement. En effet, elle effectue ses prestations de domicile en domicile sans avoir de contacts réguliers avec ses collègues. Sur les 6 AVS interrogées, aucune n'a le numéro de téléphone de ses collègues. Pourtant, l'accompagnement d'un usager se réalise souvent avec l'intervention de plusieurs auxiliaires d'une même structure. Le cahier de liaison reste l'unique support journalier pour laisser une trace écrite des tâches réalisées et des éventuelles recommandations pour la prochaine intervenante. Quant aux contacts avec les responsables des structures tout au long de la semaine, 4 auxiliaires de vie sociale déplorent qu'ils ne se limitent qu'à la communication d'information des changements de planning.

    « Fin c'est très courtois et professionnel, ils (les chefs de secteurs) nous donnent les missions. [...] En général ils demandent surtout aux personnes chez qui on intervient comment ça s'est passé plutôt qu'aux auxiliaires. On ne me demande pas à moi comment je le ressens. »

    (AVS, 24, ADHAP)

    « Ce n'est pas très fréquent que l'on se parle... Ils (les chefs de secteurs) m'appellent que lorsqu'ils ont des gens à proposer et ça s'arrête là. »

    (AVS, 21 ans, APF)

    « J'ai souvent la directrice au téléphone l'été parce qu'il y a beaucoup de remplacements à faire. Mais on ne la voit pas. Et puis parfois on te change le planning sans te téléphoner. On t'appelle pas pour savoir si ça se passe bien. [...] Parce qu'ils (la direction) font comme ils veulent. Nous on l'appelle « la folle » la directrice ! (rires) [...] Elle n'est pas franche. »

    (AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)

    « Je peux avoir un coup de téléphone de l'asso, disons 5 à 6 fois par mois... En septembre j'ai eu 3 coups de téléphone de l'association pour me proposer 3 personnes différentes. C'est tout après tu fais ton travail. »

    (AVS, 26 ans, APF)

    Pour lutter contre cet isolement professionnel, les structures mettent en place des réunions d'équipe. Ces dernières peuvent se mettre en place, une fois par semaine comme au

    20

    CCAS de Lormont ou une fois par mois comme dans l'association de l'aide à domicile du Haut Médoc. Les responsables des différentes structures organisent la fréquence de ces réunions. Sur les 5 structures qui emploient les AVS interrogées, 2 ont intégré la présence d'un psychologue dans les réunions collectives. En effet, les auxiliaires de vie sociale sont confrontées à des risques psycho-sociaux spécifiques : « le turn-over y est très élevé: beaucoup de femmes ne tiennent pas ! »16 assure Loïc Trabut, chercheur à l'Ined et auteur d'une étude sur les aides à domicile. Elles doivent faire face à la souffrance et à la mort des personnes qu'elles accompagnent parfois durant des années. L'accompagnement à domicile est avant tout une relation sociale entre deux individus. C'est pourquoi des relations affectives peuvent naître entre employée/bénéficiaire car ce sont des métiers humains. Selon la psychologue clinicienne Maria Ouazzani17, la difficulté dans la relation aidant/aidé est de trouver la meilleure distance qui permet de préserver le lien humain, le plaisir et la convivialité, tout en respectant l'individualité de chacun. De plus, ces salariées qui côtoient la fin de vie, peuvent éventuellement être renvoyées à des souvenirs ou des expériences difficiles avec des proches. Ainsi, la possibilité de s'exprimer en réunion sur son quotidien professionnel est une nécessité.

    Cependant, sur les 6 AVS interrogées, il n'y en a que 2 qui se rendent aux réunions de manière assidue. Les 4 autres témoignent de leurs difficultés d'y participer en raison de leur état physique et/ou de leurs obligations familiales. En effet, la présence aux réunions collectives n'étant pas obligatoires dans toutes les structures, les auxiliaires de vie sociale préfèrent prendre du temps pour faire une pause dans leur semaine très chargée.

    « Je vais en réunion quand je ne suis pas trop fatiguée. [...] Pour l'instant je n'ai assisté qu'à une seule réunion, et je reconnais que je ne vais pas toutes les réunions, car je profite de ces journées sans interventions pour me reposer. »

    (AVS, 26 ans, APF)

    « A vrai dire je n'y vais pas car je ne peux pas, le travail est assez fatiguant les matinées ou après-midi que j'ai de libre j'en profite pour mes loisirs. Et puis voilà tout le monde n'est pas forcément disponible aussi pour la réunion. Donc c'est un peu compliqué. »

    (AVS, 24 ans, ADHAP)

    16 Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la face cachée d'un "eldorado" », L'Express, décembre 2013.

    17 Ouazzani Maria, « Accompagner les aidants : Interview de Mme Maria OUAZZANI, Psychologue Clinicienne, responsable du Pôle d'Accompagnement Psychologique et Social de PSYA », Capgeris, 8 avril 2013.

    21

    « Mais sinon on a quand même des réunions une fois par mois mais on parle des vacances ou de personnes aux pathologies très dures. Moi j'ai assisté aux réunions de novembre et décembre. Mais je n'y vais pas à toutes, je profite dès que j'ai du temps libre pour moi et mon copain. »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    « Oui maintenant c'est régulier, on a des réunions tous les un mois et demi. [...] Oui tout à fait, on parle de nos difficultés, des nouvelles personnes. On a des personnes très difficiles, qui ont des troubles mentaux donc si on ne peut pas discuter ça devient vite ingérable. J'essaye d'assister à toutes les réunions dans la mesure du possible. Il y'a des fois où je préfère garder mon petit-fils.»

    (AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)

    Par conséquent, face aux difficultés d'assister aux réunions, une auxiliaire de vie sociale a fait le choix de consulter de son côté un psychologue pour établir des horaires de rendez-vous qui lui conviennent. Les 3 autres AVS ont fait part d'une étonnante révélation : elles ont fait le choix de confier certaines de leurs difficultés aux personnes âgées.

    « Elles sont géniales certaines personnes âgée, certaines elles veulent faire le psy. Ça fait du bien de discuter de nos problèmes aussi avec elles. »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    « Mais même je me confie auprès d'autres personnes âgées avec qui je m'entends super bien. »

    (AVS, 26 ans, APF)

    « Quand j'en ai râle le bol du boulot, je râle au travail ça me fait du bien. Du coup avec une petite mamie on râle ensemble tous les mercredis (rires) »

    (AVS, 24 ans, ADHAP)

    Dans cette perspective, la relation d'aidant/aidé se transforme en une relation d'aide mutuelle. La personne âgée bien que dépendante joue un rôle d'écoute et participe au soutien moral de son auxiliaire de vie sociale.

    22

    C) « Un travail invisible »18

    Le secteur de l'aide à domicile souffre d'un manque de reconnaissance professionnelle permanent. 98% des salariées sont des femmes19. La moyenne d'âge de celles employées par un prestataire est de 43 ans.20 Leurs tâches sont bien souvent qualifiées comme « ingrates », exercées quasi-exclusivement par des femmes dans le cadre de l'espace domestique, les résumant ainsi au seul rôle d'aide-ménagère (Bricka, 2017). En effet, sur les 6 auxiliaires de vie sociale interrogées, 4 se plaignent de l'image négative de leur métier renvoyée à l'unique rôle de femme d'entretien.

    « Oui c'est plus le ménage, les gens ne voient pas le côté ``je viens en aide'Ç c'est plus ``tu fais de la bouffe et tu laves''. »

    (AVS, 21 ans, APF)

    « Mais comment ça se fait que tu veux faire ce métier ? Il y a quand même mieux que du ménage ! »

    (AVS, 24 ans, ADHAP)

    « Ma grand-mère m'a dit : ``tu fais un sous métier'' »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    « On me dit : `` Ah mais tu fais ça ? Ça veut dire il faut que tu laves les gens ? En fait tu es comme une aide-ménagère qui fait des extras ?'' »

    (AVS, 26 ans, APF)

    Cette considération péjorative est renforcée par la limitation des temps d'intervention qui conduit les aides à domicile à ne répondre qu'aux besoins vitaux des personnes âgées en limitant leur rôle social. Ce constat s'illustre également à travers la photo prise du cahier de liaison durant la journée d'observation de l'auxiliaire de vie embauchée au CCAS de Lormont.

    18 - Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation », Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.

    19 Données issues du rapport de l'UNA (Union Nationale de l'Aide,

    des Soins et des Services aux Domiciles ) 2017 : «Aide à domicile, des emplois pas que pour les femmes ! »

    20 DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.

    23

    L'analyse de ce tableau montre que l'intervention de l'auxiliaire de vie sociale ne s'évalue que par des tâches techniques : poussière, vaisselle, sols,... Dans cette perspective, l'auxiliaire est considérée comme un robot ménager qui doit cocher cette grille à la fin de chaque prestation. Pourtant, une aide à domicile réalise bien plus que ces tâches quadrillées ! Les auxiliaires de vie exercent un rôle social très important dans le quotidien d'une personne dépendante. En effet, elles développent de multiples compétences : elles veillent à contribuer à la qualité de vie de la personne, au développement ou au maintien de ses capacités à vivre dans son domicile. Ainsi, elles permettent aux personnes âgées de rester chez elles et de respecter leurs choix. De surcroît, elles luttent contre le vieillissement solitaire. De nombreuses personnes âgées sont victimes d'isolement. Le passage de l'aide à domicile est parfois la seule visite dans la journée du bénéficiaire. L'auxiliaire de vie sociale embauchée à l'ADHM (Aide à Domicile du Haut Médoc) déclare : « Je me lève tous les matins en me disant que j'ai plusieurs objectifs ! Surtout celui de rendre les gens heureux ! Et surtout l'objectif de ne pas laisser seul des gens, de ne pas les laisser sombrer dans la dépression ou la solitude ! ». Par conséquent, rien qu'une discussion ou un sourire peut changer le quotidien d'une personne dépendante. Il manque à ce cahier de liaison toute une colonne nommée « relationnel ».

    24

    Par ailleurs, l'invisibilité du travail des aides à domicile est favorisée par leur environnement professionnel. Elles cheminent seules de foyer en foyer cachées de la scène publique. Ainsi, cet isolement professionnel conduit à l'absence de mobilisation. Dans le secteur de l'aide à domicile trop peu est le nombre de salariées syndiquées. Toutes les contraintes liées à l'organisation du travail constituent des obstacles à des actions de militantisme. En effet, faire grève laisserait dans une grande détresse les personnes dépendantes et s'engager dans un syndicat signifierait y accorder du temps, du temps qu'elles n'ont pas. Il faut préciser que le plus souvent les salariées du secteur de l'aide à domicile sont déjà des

    femmes dans des situations fragiles économiquement et socialement. « Pôle emploi ou les

    Maisons de l'emploi continuent d'y orienter les chômeuses peu qualifiées »21. 44 % ne disposent

    d'aucun diplôme et 14,5 % des aides à domiciles sont nées à l'étranger22 (cette part est

    surreprésentée pour les salariés du secteur). Ce profil sociologique des aides à domiciles s'illustre également à travers l'échantillon d'enquêtées : 3 auxiliaires de vie sociale sur 6 ne sont titulaires d'aucun diplôme et 1 AVS sur 6 est étrangère. Par conséquent, la précarité de ces femmes joue un rôle important dans l'invisibilité de leur métier.

    Enfin, les droits des aides à domicile sont garantis par la convention collective de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2012. Cependant, les conditions de travail se dégradant continuellement conduisent à négliger le respect de certains de leurs droits. Par exemple, depuis mars 2020, le début du confinement pour lutter contre la pandémie du Covid-19, de multiples cris d'alarme se sont fait retentir dans les médias. Les aides à domicile sont dans l'obligation de continuer le travail pour contribuer au bien-être de la personne âgée, mais elles ne sont pas toutes protégées contre les infections. Elles ont très peu de masques et de gants. Elles passent de personne âgée en personne âgée au risque de se faire contaminer ou de les contaminer. Les aides à domiciles travaillent avec un public fragile et vulnérable au même titre que le personnel soignant. Par conséquent, elles se sentent encore une fois isolées et considérées comme « la dernière roue de la charrette »23.

    21 Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la face cachée d'un "eldorado" », L'Express, décembre 2013.

    22 DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.

    23 Jérôme Béatrice, « La grande détresse des auxiliaires de vie face à l'épidémie causée par le coronavirus », Le Monde, 20 mars 2020.

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    PARTIE III : PÉNURIE DE SALARIÉES DANS LE

    SECTEUR DE L'AIDE A DOMICILE

    A) Un recrutement à la va-vite

    Le travail précaire et le manque de reconnaissance professionnel des salariées rendent le secteur de l'aide à domicile peu attractif. Les centres de formation ont des difficultés à attirer les jeunes. Depuis 2002, le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est créé, il est accessible dans plusieurs établissements de formation notamment dans les instituts régionaux des travailleurs sociaux (IRTS). En 2016, ce diplôme est remplacé par le diplôme d'Etat d'accompagnement éducatif et social (DEAES). Ce changement a pour objectif de rassembler trois professions : auxiliaire de vie sociale, aide médico-psychologique(AMP), et englober la profession d'Auxiliaire de Vie Scolaire. Ce rassemblement de formations permet aux titulaires de ce diplôme « d'attester des compétences requises pour exercer des activités visant à accompagner les personnes au quotidien, que ce soit à domicile, en structure ou dans le milieu scolaire »24. Par conséquent, selon l'économiste François-Xavier Devetter, « les jeunes issus de ces formations initiales ou en alternance vont plus volontiers vers les métiers de la petite enfance ou le travail en structure d'hébergement »25. En effet, travailler dans un établissement (Centre médico psychopédagogique CMPP, crèche, école,...) permet d'avoir des horaires plus stables et de limiter les déplacements. De plus, il faut préciser que les auxiliaires de vie sociales diplômées dans le secteur de l'aide à domicile ont un salaire légèrement supérieur aux autres salariées. Ainsi, certains conseils départementaux recommandent aux organismes d'aide à la personne de ne pas avoir plus de 30 % du personnel qualifiés (Trabut, 2014).

    Dans cette perspective, il y a l'idée que l'accompagnement des personnes âgées n'exige pas de formations spécifiques. « On propose toujours à des personnes sans qualification, fragiles, d'occuper cette même fonction, assimilée alors à un «petit boulot» »26.Ce constat alarmant a d'importantes répercussions dans les prestations réalisées auprès des personnes dépendantes. Les structures d'aides à domicile en recherche permanente et urgentes de personnel, sont prêtes

    24 «AMP, AVS DEAES : quelles différences ? », ADRAR Formation, Web. 15 avril 2020.

    25 Langlois Géraldine, « L'aide à domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé Social, 29 janvier 2019.

    26 Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation », Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.

    26

    à embaucher régulièrement des individus sans aucune expérience et sans aucun intérêt particulier pour travailler auprès d'un public âgé. Durant cette enquête, 3 personnes âgées sur 5 ont témoigné de situations dramatiques pendant leur prise en charge à domicile.

    « Y'a des cas, on peut recevoir n'importe qui. L'APF nous trouve n'importe qui. Avant de trouver des auxiliaires de vie compétentes. Y'a eu des cas avant. [...] Elles sont gentilles, mais bon il y en a qui arrivait ivres (rires). »

    (Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire de l'APF)

    « Ah oui ! Y'en a une qui a essayé de me taper et elle mangeait dans mon frigo ! Je pense que l'association embauche n'importe qui. Je me le demande bien. Mon mari l'a vue se servir ! »

    (Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire de l'APF)

    « Non c'est parce qu'elle ne rangeait pas bien les affaires. Comme je n'étais pas très très bien. Je pouvais pas surveiller. Alors, elles ne faisaient pas le ménage. Elles fumaient et buvaient mes jus de fruit. Oui des choses comme ça. Jusqu'à que mes enfants rouspettent. Et voilà, elles ne devaient plus venir celles-là. Et là avec celles que j'ai tout va bien. Ca c'est bien mis en place.[...] Elles arrivaient les casseroles étaient encore dans levier. Ou tout un tas de choses comme ça. Le linge n'était pas accroché. »

    (Personne âgée, 77ans, bénéficiaire de l'ADHM)

    Outre ces situations d'une extrême gravité, le manque de formation des aides à domiciles engendre de nombreux risques dans la prise en charge des bénéficiaires. Avec le vieillissement de la population et la mise en place de différentes allocations pour l'autonomie, les missions des auxiliaires de vie sociales se sont complexifiées. Les salariées peuvent avoir à s'occuper d'un public avec de lourdes pathologies (Parkinson, Alzheimer...) et des handicaps (paralysie) qui demandent des compétences particulières. Aujourd'hui, la vision du secteur de l'aide à domicile ne peut plus partir « du principe qu'il n'est nul besoin d'avoir des compétences spécifiques pour exercer ces activités »27. En effet, le manque de formation est à l'origine de multiples accidents au travail. Les 3 auxiliaires de vie sociales interrogées sur 6 n'étant titulaires d'aucun diplôme et ayant une légère expérience auprès des personnes âgées avant d'exercer, ont chacune raconté une situation où leur manque de savoir a eu un impact dans leur travail.

    27 André, Lætitia. « Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux professionnels ? enjeux de société ? », Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no. 3, 2012, pp. 157-167.

    27

    « AVS .
    · Elle était tétraplégique. Donc la deuxième fois, elle veut uriner, je lui mets son urinoir. Ce que je n'avais jamais mis avant. Et c'était pas du tout facile à mettre. La dame ne m'expliquait pas du tout comment le mettre. Elle été agacée. Pourtant je lui avais averti que c'était la première fois que je faisais ça. Donc c'est son compagnon qui a dû m'expliquer.

    Question .
    · Ah oui donc dans cette situation c'est ton manque d'expérience qui a fait une grosse histoire.

    AVS .
    · Complètement, mon manque d'expérience a fait que pour beaucoup d'actes à réaliser j'étais perdue. »

    (AVS, 26 ans, APF)

    « Ah beh moi elle a failli tomber, en plus je me suis fait mal au dos et tout. On m'a dit vous la levez et vous la tournez. Mais comme j'ai pas été formé sûrement aux bons gestes et aux bonnes techniques. J'ai d'importantes douleurs au dos à 22ans. C'est fou. J'ai des douleurs aux dos toujours pendant les transferts. »

    (AVS, 23 ans, ADHM)

    « Oui oui, c'est arrivé. Il y a un mois, on m'a contacté pour intervenir chez une personne qui était à Pessac. C'est une personne qui est sourde, qui est tétraplégique. Donc, il fallait la soulever. Et c'est un homme ! Un homme qui ne parle pas, qui ne comprends pas ce que tu dis et en plus de ça... il y avait sa mère qui était à côté de lui, sachant que c'est un homme qui à la soixantaine. [...] Je leurs ai dit .
    · c'est pas possible ! C'est pas possible ! et en plus il fallait que je fasse encore une fois la toilette au monsieur. En plus ça peut être très dangereux très dangereux de soulever à moi toute seule une personne de la cinquantaine, un monsieur, sans que je connaisse la méthode appropriée. »

    (AVS, 21 ans, APF)

    Ainsi, ces témoignages montrent combien le manque de formation a un impact négatif sur la qualité de l'accompagnement de la personne dépendante. En effet, il engendre de nombreux risques d'accident pour l'employée (épuisement professionnel, troubles musculo-squelettiques) et pour l'usager (risque de chute). Le secteur de l'aide à domicile est le secteur qui connaît un nombre impressionnant d'arrêts maladie et de salariées qui partent en raison d'incapacités permanentes de travail (Trabut, 2014). Le métier est difficile, les organismes de l'aide à la personne sont en pénurie de personnel et n'arrivent plus à répondre à la demande du nombre de personnes dépendantes croissant.

    28

    B)Stratégies mises en place par les personnes dépendantes pour pallier à l'insuffisance des services à domicile

    En 2015, selon les premiers résultats de l'enquête « Care » de la Dress28, on comptait entre 0,4 et 1,5 million de personnes âgées de 60 ans ou plus dépendantes au sens du groupe iso-ressources (GIR) vivant à domicile. Ces chiffres ne vont pas cesser de croître car d'après l'Insee, les seniors en perte de capacités vont augmenter de plus de 60 % en 2050 par rapport au recensement de 2015 (qui comptait déjà 2.5 millions de personnes dépendantes). De plus, cette hausse du nombre de personnes dépendantes vivant à domicile s'explique par le souhait majoritaire des personnes âgées à vouloir vieillir « chez elles ». Elles désirent rester dans leur propre environnement loin des maisons de retraites claquemurées aux prix onéreux. En effet, le prix en EHPAD29 est un frein au départ de son domicile : l'hébergement journalier peut varier entre 45 € et 150 € par jour30. « Seule une minorité privilégiée peut s'offrir une prise en charge en établissement »31. Sur les 5 personnes dépendantes interrogées tout au long de l'enquête, une seule envisage sa fin de vie en maison de retraite.

    Quand on parle de personne âgée « dépendante », il faut connaître la signification de ce terme. Celui-ci est un adjectif qualificatif pour désigner les personnes âgées atteintes d'incapacité dans les actes essentiels de la vie quotidienne et ayant besoin de l'action d'une tierce personne pour les réaliser (Ennuyer, 2013). En 2017, il y a 2.8 millions d'aidants familiaux qui apportent un soutien quotidien à une personne âgée vivant à domicile32. L'aidant familial est le plus souvent un proche de la personne dépendante dont il s'occupe régulièrement. Quand son statut est déclaré celui-ci peut bénéficier d'une allocation financière des conseils départementaux ou des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en complément de son salaire. Il a également droit à une baisse de l'impôt sur le revenu et un droit au répit. Ce dernier s'exprime par la possibilité de placer leur proche temporairement dans un établissement d'accueil spécialisé. De plus, l'aidant familial peut interrompre son activité professionnelle pendant 3 mois notamment pour accompagner la fin de vie de la personne dépendante. Cependant, ce congé n'est pas rémunéré par l'employeur et non indemnisé par la

    28 DREES - Premiers résultats de l'enquête « Care » : « Les personnes âgées dépendantes vivant à domicile en 2015 », Septembre 2017, numéro 1029.

    29 Etablissement Hospitalier pour Personnes Agées Dépendantes

    30 Masson Chantale, « Combien coute un séjour en maison de retraite ? », Le Figaro, Février 2017.

    31 Bricka Blandine, Un métier (presque) ordinaire: Paroles d'aides à domicile, Les Editions de l'Atelier/ Edition ouvrières, Ivry-Sur-Seine, 2017.

    32 Rapport du ministère de la Santé et des Solidarités 2018 : « Personnes âgées : les chiffres clés »

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    Sécurité sociale. Ainsi, le gouvernement a lancé depuis octobre 2019, la stratégie de mobilisation et de soutien en faveur des aidants. Cette stratégie a pour projet d'améliorer la reconnaissance du statut d'aidant-familial et de valoriser leurs droits. Ces différentes réformes doivent être appliquées durant l'année 2020.

    Dans le cadre de cette enquête, 3 personnes âgées sur 5 ont recours au soutien d'aidant(s) informel(s) issu(s) de l'entourage. Cet aidant peut-être un enfant, un voisin ou un proche de la famille qui apporte une aide ponctuelle ou régulière en complément des services à domicile. Lorsque les auxiliaires de vie sociale s'absentent ou que l'association manque de personnel pour intervenir chez la personne âgée, cette dernière mobilise les aides de son entourage autant qu'elle le peut :

    « Mais il y'a eu une période où je n'ai eu personne ! Aucune aide à domicile ! [...] Mais j'ai eu un coup de chance à chaque fois, grâce à la famille que j'ai à côté. [...]. Si je suis en état de détresse ils arrivent. »

    (Personne âgée, 72 ans, APF)

    « Mon auxiliaire est partie en arrêt maladie. Je suis restée tous les mercredis de la semaine pendant 3 semaines sans intervention. Heureusement, j'ai ma fille qui habite à Pessac qui passe souvent me voir. [...] J'ai des petits voisins très gentils aussi qui me rendent des petits services. On va me chercher le courrier ou on me sort les poubelles. »

    (Personne âgée, 77 ans, ADHM)

    « Mon fils me fait les courses quand les auxiliaires ne viennent pas. »

    (Personne âgée, 87 ans, CCAS Lormont)

    Cependant, toutes les personnes âgées n'ont pas la chance d'avoir une aide régulière de leur entourage familial. Le chômage et la division du travail contribuent à l'éloignement familial. Les enfants sont parfois dans l'obligation de changer de région afin de trouver un emploi. Ces phénomènes sont des facteurs qui accentuent l'isolement des personnes âgées. Ainsi pour les deux personnes dépendantes interrogées n'ayant pas la possibilité de recourir à des aides de l'entourage, elles se retrouvent dans des situations plus que préoccupantes en l'absence de leurs aides à domicile. Elles essayent de mettre en place des stratégies de « commodités » pour répondre à leurs besoins vitaux tout en prenant des risques au sein de leur domicile.

    30

    Dans le premier cas, la dame est hémiplégique, elle s'est retrouvée à multiples reprises sans auxiliaires de vie sociale. Elle raconte :

    « Je me débrouille toute seule. Je fais ce que je peux. [...] Oui c'est très risqué pour moi. Quand j'étends le linge je me lève du fauteuil pour mettre les couettes sur la porte. Plusieurs fois j'ai cru j'allais me foutre par terre. Et ça m'épuise, ça me tire dans les bras après je vous dis pas. Mais bon, je vais pas laisser le linge mouillé dans la machine ! »

    (Personne âgée, 70 ans, APF)

    Dans le deuxième cas, la personne âgée a subi plusieurs opérations (la hanche, le poignet, et la clavicule) lui entrainant d'importantes douleurs articulaires. Elle vit avec son mari qui ne peut plus marcher. Ainsi, en l'absence d'AVS, la femme témoigne :

    « Enfin c'est difficile, ils (CCAS) ne m'ont pas encore remis toutes mes heures. Apparemment, y'a des malades, des auxiliaires de vie en congé,.... [...]PA : Oui soi-disant qu'elles (les auxiliaires de vie) vont revenir. Cette semaine je ne les ai pas encore eues. . Ça fait deux mois que le ménage n'a pas été fait ici à fond. Fin vous voyez c'est moi qui est dû donner un petit coup de ballet comme ça ce matin. Et puis je prends des plats tout prêts que je mets au micro-onde.

    IL : D'accord vous essayer de vous débrouillez malgré tout ?

    PA : Oui voilà, j'essaye avec mes douleurs. »

    (Personne âgée, 80 ans, CCAS Mérignac)

    Par conséquent, lorsqu'une personne âgée en perte d'autonomie vivant à domicile se retrouve isolée de toutes aides, cela peut entraîner des risques majeurs d'accident et une dégradation précipité de son état de santé. Par ailleurs, il faut préciser que l'isolement des personnes âgées est davantage constaté en zone rurale en raison d'une désertification accrue des services d'accompagnement dans certains départements. En effet, Adessadomicile et l'Union National de l'Aide et des Services à Domicile (UNA) signalent que « l'offre d'accompagnement est « inéquitable » selon les territoires »33. Ce déficit de main d'oeuvre est extrêmement préjudiciable pour les personnes âgées.

    33 « Crise des services à domicile », Le figaro, 14 mars 2017.

    31

    PARTIE IV : LE RÉCIT D'UNE JOURNÉE ORDINAIRE

    Cette enquête a pour objectif d'étudier l'organisation du travail des auxiliaires de vie social et de révéler ses impacts sur la qualité de l'accompagnement social des personnes âgées à domicile. Par conséquent, le souhait d'insérer ce récit d'observation nous permet de nous immiscer dans le quotidien d'une AVS et de constater les multiples problématiques développées ci-dessus. J'ai donc suivi le jeudi 12 mars 2020 de 8h à 20h une auxiliaire de vie sociale dans ses interventions auprès de 7 bénéficiaires. L'AVS est employée en contrat à durée indéterminée au Centre Communal de l'Action Social (CCAS) de Lormont. Elle travaille depuis 7 ans pour cet organisme. Elle est française d'origine malgache et elle est âgée de la cinquantaine. C'est une mère de deux enfants dans l'enseignement supérieur. Elle possède un véhicule pour cheminer de domicile en domicile, cependant quand elle est certaine qu'elle n'a pas de courses ou de sorties à effectuer avec la personne âgée, elle préfère prendre son vélo électrique. L'usage de ce vélo lui évite de chercher des places pour se garer dans la ville de Lormont.

    Jeudi 12 Mars 2020: Interventions chez 7 bénéficiaires

    8h : Le début de la journée commence chez un homme âgé de 75 ans. Nous nous sommes mises d'accord avec l'auxiliaire pour prendre mon propre véhicule afin que je puisse me rendre compte de l'essence utilisée et de la difficulté de se garer dans la ville de Lormont. Ainsi, nous nous sommes retrouvées devant le domicile du bénéficiaire. Je vois déjà que la professionnelle semble fatiguée, elle a des cernes creusés mais garde un grand sourire. Elle me raconte qu'en ce moment elle ne fait que de grosses journées et qu'elle aurait besoin de davantage de sommeil. Après cette courte discussion, l'auxiliaire sonne au domicile. Un vieil homme nous ouvre la porte. C'était une maison très insalubre, très obscure avec une odeur très forte que je ne pourrais décrire. Dès notre arrivée, l'homme nous salue, je lui explique ma présence dans son domicile mais il n'avait pas l'air de comprendre. L'auxiliaire de vie me rappelle que ce monsieur présente plusieurs déficiences cognitives. Le monsieur part s'assoir sur son fauteuil, et le travail commence... La professionnelle a une application téléphonique du CCAS, elle pointe son heure d'arrivée en scannant un badge collé sur le cahier de liaison. Ensuite, elle lit attentivement les derniers actes et tâches que ses collègues ont inscrits afin de se tenir au courant du déroulement des interventions chez le monsieur. Sur ce cahier, il peut y avoir quelques consignes importantes comme des allergies alimentaires que le bénéficiaire pourrait présenter ou diverses recommandations. L'auxiliaire n'a que trente minutes pour que le monsieur puisse prendre son petit-déjeuner. Elle doit préparer à manger et le temps que ça chauffe, elle doit « passer un

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    coup » sur l'évier et la table. Tout en menant ses tâches, elle tente de discuter avec le monsieur à savoir s'il a bien dormi, s'il souhaite quelque chose en particulier pour son petit déjeuner,... L'auxiliaire de vie me précise que pour elle, faire de la conversation avec les bénéficiaires est essentiel, cela lui permet premièrement de mieux connaître les besoins de la personne et deuxièmement, le fait de discuter lui permet de passer une journée de travail plus distrayante et rapide. Pendant qu'elle confectionne le petit déjeuner, je regarde l'état de la maison, tout en relisant le cahier de liaison. J'ai tout de suite été surprise par d'énormes insectes qui circulaient sur les meubles en bois. J'appelle l'auxiliaire, elle m'avertit que ce sont des blattes (une espèce de cafard). Elle me confie que c'est pour cela que les gants et une blouse sont indispensables pour travailler chez certaines personnes qui perdent la tête et en oublient l'hygiène total de la maison. Pour elle, cette situation ne l'effraie pas, par contre certaines de ses collègues ont déjà refusé d'intervenir chez le monsieur.

    8h30 : La demi- heure est passée tellement vite. A peine le temps que le bénéficiaire ait fini de manger qu'il faut déjà se préparer pour repartir ! L'auxiliaire pointe à nouveau par le biais de son application. Nous n'avons que 15 minutes pour arriver chez l'autre usager. L'auxiliaire me rassure en me précisant que le prochain domicile n'est pas très éloigné de celui-ci. Pour éviter de chercher à nouveau une place, elle me conseille de nous y rendre à pied. La professionnelle marque sur le cahier ce qu'elle a réalisé ce matin chez le monsieur. Il est 8h35, l'heure tourne, nous souhaitons une bonne journée au vieil homme et quittons sa maison.

    8h 45 : Nous sommes arrivées en bas de l'immeuble de la seconde bénéficiaire. L'auxiliaire de vie sonne à l'interphone, la porte s'ouvre, nous montons 5 étages. Il n'y a pas d'ascenseur, j'ai trouvé cela très étonnant et malheureux pour les personnes âgées qui doivent vivre aux étages supérieurs de cet immeuble. Comment peuvent-elles descendre de chez elle ? J'allais le savoir rapidement en questionnant la dame chez qui on se rendait. L'auxiliaire me précise que c'est une dame de 75 ans qui a subi 15 opérations, elle ne peut pas lever aisément ses bras ni ses jambes. On arrive enfin au bout de ces cinq étages ! On toque à nouveau à la porte, une charmante petite dame nous ouvre, beaucoup plus bavarde que le monsieur précédent. Elle était ravie de ma présence et semblait s'entendre à merveille avec l'auxiliaire. La petite dame me dit que cela fait plus deux ans que l'auxiliaire de vie vient chez elle et qu'elle aime beaucoup sa façon de travailler. On s'assoit donc toutes les trois dans sa salle à manger, la petite dame nous invite à prendre le café. L'auxiliaire de vie me raconte qu'elle prend régulièrement le café chez elle pour discuter et bien se réveiller pour la suite de la journée. Pendant que la vieille dame nous prépare comme elle peut son café (très lentement du fait de ses douleurs aux bras). La

    33

    professionnelle pointe son heure d'arrivée avec son portable et insiste sur le fait de ne pas aider la dame à préparer le café. Je lui demande alors la raison. L'auxiliaire de vie me dit que son métier a pour but d'assister mais également d'accompagner la personne âgée pour préserver un minimum d'autonomie. Après avoir pris le café, la professionnelle met à nouveau sa blouse et ses gants. Elle lit le cahier de liaison et remarque que le salon n'a pas été dépoussiéré depuis longtemps. Elle sait où prendre l'aspirateur et les différents produits. Elle intervient chez la petite dame tous les jeudis matin pendant deux heures. Je constate que la professionnelle connait très bien l'appartement. Elle me dit qu'à force on y prend ses repères et ses habitudes. La petite dame continue toujours de papoter avec nous pendant que l'auxiliaire range le domicilie. Elle semble très enjouée de nous raconter la vie de ses petits-enfants, de ce qu'elle a regardé hier à la télévision,... Ensuite, elle décide de me montrer avec grande fierté toutes les pièces de son bel appartement. Elle aime avoir une hygiène irréprochable, cela pouvait être confirmé par sa manière de se coiffer et de s'habiller. La petite dame était très soignée. Après la visite de l'appartement, je lui demande tout de même comment elle fait pour sortir à l'extérieur de chez elle. Elle me dit que le fait d'habiter au cinquième étage ne lui permet pas de sortir. Ce sont les auxiliaires et sa famille qui lui font les courses. Elle m'annonce que cela fait bientôt 2 ans qu'elle n'est pas sortie. L'auxiliaire de vie intervient alors dans la conversation, en disant qu'elle a déjà envoyé un courrier au propriétaire de cet immeuble avec les différentes signatures des personnes âgées bloquées aux étages supérieurs ! Cependant l'immeuble ne cesse de changer de propriétaires. Les courriers et pétitions restent malheureusement sans réponse. J'ai pu ainsi constater que l'auxiliaire de vie n'intervient pas seulement pour l'entretien du domicile et pour faire la conversation. Elle accompagne les bénéficiaires dans leurs démarches administratives. Après les deux heures de ménage terminées et mes discussions avec la vieille dame, l'auxiliaire part se laver à chaque fin d'intervention même si elle porte des gants. Dans cette période de pandémie, les « gestes barrière » sont à répéter plusieurs fois. La professionnelle inscrit les tâches effectuées chez la bénéficiaire et bippe à nouveau avec son application. On part de chez la dame un peu après 10h45 car nous avons toutes les trois beaucoup plaisanté.

    Passage au bureau : Après avoir quitté le logement de la petite dame, l'auxiliaire de vie sociale m'avertit qu'il lui faut à tout prix de nouveaux gants et qu'elle doit poser un jour de congé le mois prochain. Ainsi on part en direction du CCAS. Je lui demande alors si nous ne risquons pas d'arriver en retard pour la prochaine intervention. Elle me répond qu'il est fort probable que nous prenions du retard mais qu'elle ne veut pas se rendre au bureau en dehors de ses

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    horaires de travail ! Ses journées se terminent tard, elle ne peut pas faire autrement. Ainsi, après 10 minutes de marche à pied on arrive aux bureaux. Je laisse l'auxiliaire de vie parler avec ses responsables, je me mets cependant à la porte pour essayer d'écouter. Je constate que les conversations sont très froides et tendues. L'auxiliaire de vie fait de nombreux reproches aux responsables de secteur par rapport à son planning. Elle demande également des gants, la responsable lui demande combien elle souhaite en avoir. Elle lui répond sèchement « Autant de gants pour m'occuper de tous les bénéficiaires ! ». L'auxiliaire sort du bureau agacée et m'explique qu'il ne faut pas se laisser faire. Pour elle, ces « femmes » sont derrière leur bureau et ne connaissent pas les conditions véritables des employées. En constatant l'énervement de l'auxiliaire, j'ai décidé de changer volontairement de sujet afin de calmer l'atmosphère. Je lui demande alors quels sont nos prochains bénéficiaires. Elle m'explique que nous allons arriver avec 15 minutes de retard chez un vieux couple de réfugiés syriens. Ainsi, on part chercher mon véhicule pour se mettre à nouveau en route.

    11h 45 : On arrive enfin devant la maison du couple. Effectivement, nous avons 15 minutes de retard, trouver une place n'était pas du tout évident ! Le fils du couple syrien nous ouvre la porte et nous demande la raison pour laquelle on est en retard. Puis il nous dit que c'est une blague, que l'importance c'est que l'auxiliaire de vie soit là. Je n'ai pas eu le temps de me présenter que le fils était déjà parti de la maison. Nous entrons donc dans le salon avec des chaussons en papier. La famille syrienne tient à ce que les personnes ne marchent pas dans la maison avec les chaussures. L'auxiliaire de vie avait pensé à ma venue, elle m'avait préparé une paire. Elle me dit que c'est important de respecter les habitudes des bénéficiaires. Ensuite, elle pointe le cahier de liaison avec le badge accolé, et je fais la connaissance du couple syrien. La femme a la sclérose en plaques et l'homme a des problèmes aux reins. Les deux étaient déjà malades en Syrie, mais la prise en charge de leurs pathologies a été quasiment inexistante dans leur Etat en guerre. Pendant que le couple me raconte avec beaucoup d'émotions leurs histoires, l'auxiliaire de vie fait la vaisselle, leur prépare les plateaux repas et vide les pots de chambres. L'intervention dure 30 minutes, la professionnelle se dépêche, nous sommes déjà en retard pour la prochaine intervention. On repart chercher la voiture, cette fois-ci nous avons quasiment 10 minutes de route.

    12h30 : Après avoir tourné en rond quelques minutes, nous n'avons toujours pas trouvé de place dans Lormont centre. Par conséquent, je propose à l'auxiliaire de vie de la déposer chez la prochaine personne et que pendant ce temps je pars chercher à nouveau une place. Cette proposition fut acceptée. J'ai cherché une place pendant 5 minutes encore. J'ai eu la chance

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    qu'un jeune homme quitte sa place à deux rues du domicile. Après être arrivée devant la porte de la maison, je sonne et l'auxiliaire m'ouvre. J'entre alors dans une maison propre mais très mal rangée. Je fais la connaissance d'une dame âgée de 86 ans atteinte d'Alzheimer. J'ai à peine eu le temps de me présenter qu'elle voulait que je mange avec elle. Cela m'a fait sourire, elle devait me prendre pour quelqu'un d'autre. J'ai décliné gentiment son invitation en lui demandant ce qu'elle souhaitait manger ce midi. L'auxiliaire de vie me demande de vérifier les dates de péremption dans le frigidaire. Je regarde attentivement et lui donne les produits en dates courtes. Quant à la vieille dame, elle semblait totalement désorientée. La professionnelle me dit de la laisser dire ses « bêtises » et de la « rassurer », il ne faut surtout pas inquiéter une personne atteinte d'Alzheimer. J'ai compris ainsi, qu'il fallait tout de même avoir une certaine expérience pour s'occuper de ces personnes ayant cette pathologie, il y a une attitude à adopter. La vieille dame malgré sa maladie était d'une grande gentillesse et générosité. L'auxiliaire de vie me dit qu'elle mange avec elle 2 fois par semaine (en apportant sa propre alimentation). La vielle dame est ravie lorsque l'on partage un repas avec elle. Même si la direction du CCAS interdit formellement de manger avec les personnes âgées, l'auxiliaire de vie déroge à la règle. Le fait de pouvoir manger chez l'usager, lui permet d'avoir un peu plus de temps pour déjeuner sinon sa pause serait seulement de 30 minutes. De mon côté, je suis partie dans une boulangerie proche pour prendre un sandwich et envoyer quelques mails le temps de la fin de leur repas. L'auxiliaire de vie me dit de revenir à 13h45, de prendre mon temps.

    13h45 : Je viens récupérer en voiture la professionnelle. Cependant, la vieille dame atteinte de l'Alzheimer a fait tomber plusieurs ustensiles de cuisine. L'auxiliaire de vie qui était au bas de la porte repart l'aider. Par conséquent, j'allume les warnings de ma voiture pour signaler aux autres conducteurs mon arrêt de quelques minutes. La prochaine intervention est à 14h, il est 13h55 et l'auxiliaire de vie sort enfin de chez la dame. La professionnelle me donne la prochaine adresse, et nous voilà à nouveau reparties. Elle me signale qu'elle a eu changement de planning de dernière minute. Nous n'allons pas chez la dame habituelle mais chez un couple d'espagnols. Le changement s'opère par cette application téléphonique qu'elle utilise à chaque fois pour pointer ses heures. Ainsi, je constate qu'elle doit toujours être vigilante sur cette application.

    14h 15 : Nous arrivons enfin au domicile du couple espagnol avec 15 minutes de retard. On s'est garé sur un parking à 200 mètres. On entre dans cet appartement grâce à une boite à clefs sur le côté droit de la porte. L'auxiliaire de vie connaît le code pour ouvrir la boîte et en sortir les clefs. Nous entrons dans un grand logement. Un vieil homme assis autour de la table regarde la télévision, nous salue rapidement et nous dit d'aller voir sa femme dans la chambre. Par

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    conséquent, on s'exécute et on aperçoit une dame âgée allongée sur un lit qui avait elle aussi la télévision allumée. L'auxiliaire de vie avait déjà travaillé trois ou quatre fois auparavant. Je me présente auprès de la dame qui semblait assez agacée. Pendant ce temps l'auxiliaire part pointer avec son téléphone et lit le cahier de liaison. Elle décide de faire la salle de bain, les sanitaires et l'aspirateur dans tout l'appartement en demandant l'accord de la vieille personne. De mon côté, je demande à la dame si c'est possible d'avoir un petit entretien avec elle pour connaître son avis sur les prestations des auxiliaires de vie sociale chez elle. A ma grande surprise, celle-ci accepte aussitôt malgré son air irrité. Elle me fait part tout de suite de son mécontentement face aux retards des auxiliaires de vie. Je constate qu'elle me fait cette confession dès lors que la professionnelle est sortie de la pièce. Je lui demande alors si cela un phénomène régulier. Elle me répond que toutes les deux semaines les auxiliaires ne font pas leurs heures complètes et que pourtant elle paye pour un nombre d'heures précis. Je lui fais signe que je comprends son mécontentement tout en lui expliquant notre petit incident chez la bénéficiaire précédente qui a fait tomber ses ustensiles de cuisine. Je lui explique que les interventions sont tellement rapprochées les unes des autres que les auxiliaires de vie ne peuvent pas malheureusement être toujours ponctuelles malgré leur bonne volonté. La vieille dame m'explique que pour elle, c'est de l'argent qu'on lui vole. Afin d'apaiser le climat, je pose à la vieille dame des questions sur sa propre vie, son handicap, sa famille,... (cet entretien a été retranscrit pour mes données qualitatives). Au fil des minutes, la dame âgée commence à sourire et plaisanter avec moi, on parle de son pays d'origine. Elle me parle en espagnol de temps en temps, j'essaye de comprendre tant bien que mal. Nous avons beaucoup discuté, même l'auxiliaire et le vieil homme se sont joints à nous. J'ai réalisé que pour l'auxiliaire de vie, le fait de nous retrouver pour discuter un peau lui a permis de faire une pause dans son ménage intensif. La professionnelle a beaucoup de sueur sur son front. A la fin de l'intervention, je remercie la dame espagnole de m'avoir accordé cet entretien. La réponse en retour de la vieille dame m'a beaucoup touchée : « C'est moi qui vous remercie, grâce à vous mon après-midi est passée vite ! ». Quant à l'auxiliaire de vie, elle retire ses gants et sa blouse, bippe à nouveau le badge et boit un peu d'eau à l'évier de la cuisine. Elle note également sur le cahier ce qu'elle a effectué chez le couple espagnol. C'est le même rituel à chaque début et fin d'intervention ! Nous quittons les bénéficiaires, la professionnelle remet les clefs du domicile dans la boîte noire. On reprend ma voiture garée à 5 minutes. L'auxiliaire de vie m'indique que le prochain domicile n'est qu'à 10 minutes en voiture. Je lui demande durant le trajet comment elle se sent. Elle me répond en souriant qu'elle a chaud à cause du ménage mais qu'elle ne se sent pas trop fatiguée pour le moment.

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    16h 30 : Nous arrivons devant le domicile de la personne âgée, par chance, nous avons trouvé une place devant l'immeuble. Cependant, nous n'avons toujours pas réussi à rattraper le retard accumulé au fil de la journée. Nous avons encore dû monter 4 étages à pieds, l'ascenseur n'étant pas en état de marche. On sonne alors toutes les deux essoufflées à la porte de la bénéficiaire. Une petite dame âgée très coquette nous ouvre avec un grand sourire. Elle a souhaité faire la bise à l'auxiliaire de vie, mais pendant les périodes d'épidémie les deux se sont résolues à ne pas effectuer cette embrassade. Je salue à mon tour la jolie petite dame en lui expliquant mon statut d'étudiant-chercheur. Elle répond que ça lui fait toujours plaisir de voir du monde. La petite dame nous accueille de manière très chaleureuse, elle nous demande de nous assoir et de prendre un café. L'appartement était d'une propreté irréprochable, chaque meuble, chaque bibelot était soigneusement dépoussiéré. Elle nous annonce qu'aujourd'hui, elle n'a pas de ménage à demander à l'auxiliaire de vie mais qu'elle aimerait qu'on s'installe toutes les trois pour discuter et pour l'aider sur l'ordinateur. L'auxiliaire accepte et me chuchote à l'oreille : « Yes pas de ménage ! ». La vieille dame me pose des questions sur mes études, sur mon projet de recherche pendant que la professionnelle pointe à nouveau son heure d'arrivée sur le badge du cahier de liaison. Après être toutes les trois installées autour de sa table avec nos boissons, la petite dame nous demande des conseils pour faire son dossier CAF en ligne. Elle utilise depuis peu son ordinateur dont elle est très fière et souhaiterait davantage d'enseignement pour connaître son fonctionnement. Par conséquent, elle s'empresse de mettre sur la table son ordinateur portable, l'auxiliaire de vie sort ses lunettes de vue et les deux se mettent attentivement sur le site de la CAF. J'observe que la vieille dame écoute attentivement les instructions de l'auxiliaire, elle note tout sur un calepin. Je constate alors que la professionnelle est très présente pour la petite dame pour ses démarches administratives et qu'en retour la petite dame accorde une confiance importante à l'auxiliaire. En effet la professionnelle a accès à ses mots de passe et ses différents codes (de la CAF, du Gaz, d'EDF, des impôts,...).

    Après avoir passé plus de 30 min sur l'ordinateur, la petite dame retire le pc de la table et commence à nous parler du livre qu'elle est en train d'écrire. Elle nous a parlé un long moment, de l'amour qu'elle portait et portera toujours à son fils défunt. Elle nous raconte qu'il est parti à 22 ans, et qu'elle continue tous les soirs à faire des prières pour lui en espérant qu'il les entende. Il y a beaucoup d'émotions dans sa manière de nous parler. Ses yeux s'humidifient au fur et à mesure qu'elle avance dans son récit. L'auxiliaire de vie et moi-même écoutons avec beaucoup d'intérêt les histoires de sa vie. Nous n'avons même pas vu l'heure passer, qu'il était déjà 18h ! L'heure de pointer, l'heure de partir pour une autre intervention. La vieille dame nous a énormément remerciées de l'avoir écoutée et d'avoir pris le temps de discuter avec elle.

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    Elle ajoute qu'elle ne voit pas beaucoup de monde, alors quand elle peut, elle aime parler. Après cette intervention pleine d'émotions, on quitte la petite dame, on remonte dans la voiture,... En conduisant, je demande à l'auxiliaire si elle avait l'habitude de discuter de longs moments pendant ses prestations chez les personnes âgées. Elle me répond que cela arrive régulièrement qu'un bénéficiaire ait le besoin de discuter sur diverses sujets ou de se confier. Elle me précise que certaines personnes âgées sont tellement isolées qu'elles ne voient que les auxiliaires de vie dans leur quotidien.

    18h10 : Nous sommes en train de sortir du lotissement et la professionnelle m'avertit que l'on a environ 40 minutes de pause. Par conséquent, elle me propose que l'on en profite pour aller au supermarché faire quelques courses. L'auxiliaire rajoute qu'elle n'a pas eu le temps de faire de grosses courses alimentaires cette semaine à cause de son planning très chargé. On se gare donc au Carrefour de Lormont, on prend un caddie et nous voilà parties pendant 30 minutes à faire les courses ! Après avoir rangé les aliments dans le coffre, on s'assoit 5 minutes dans la voiture. Elle me confie qu'elle commence à sentir la fatigue de la journée mais qu'il lui reste à faire souper un dernier monsieur. Mais malgré cette fatigue, l'auxiliaire de vie garde toujours le sourire.

    19h : Pour la dernière intervention, nous sommes exactement à l'heure précise. L'auxiliaire de vie avait calculé que le logement du dernier bénéficiaire n'était pas très loin du carrefour. On descend de la voiture, on passe un petit portillon pour sonner à la porte d'une maison en pierre. On entend un bruit et la porte s'ouvre toute seule et doucement... J'observe qu'en haut de la porte est mis en place un appareil permettant au monsieur d'ouvrir la porte à distance. On attend que la porte s'ouvre délicatement, et on retrouve un vieux monsieur en fauteuil roulant dans sa salle à manger. Cet homme avait un ventre très volumineux et beaucoup de grains de beauté sur la peau. L'auxiliaire de vie lui signale ma présence et je m'avance vers lui pour à mon tour le saluer. Le monsieur n'entendait pas très bien, j'ai préféré simplifier les choses en lui disant que j'étais une jeune fille en stage. Je pars ensuite rejoindre l'auxiliaire de vie dans le sas d'entrée où elle pointe le badge sur le cahier de liaison, et pour lui demander quelles sont les pathologies de ce vieux monsieur. Elle me répond que ce vieil homme a fait un AVC il y a deux ans, et que depuis il ne tient plus en équilibre et ne comprend pas tout. Elle ajoute que le monsieur est toujours prêt à faire des « blagues » et que je peux lui en faire moi aussi. Mais j'observe que quelque chose l'intrigue dans la lecture du cahier. En effet, ses collègues ont inscrit que le monsieur ne mange rien depuis mardi, qu'il goute seulement et laissait l'assiette. Ce constat m'a tout de suite étonnée face à ce vieil homme bien enrobé. Cependant, ces remarques sont à

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    prendre très au sérieux. Je vois que l'auxiliaire de vie fronce les sourcils et part rejoindre le monsieur dans la salle à manger. Elle lui demande sur un ton alarmant pourquoi il ne veut plus se nourrir ! Il répond en rigolant : « J'ai des réserves ! ». L'auxiliaire de vie et moi-même n'avons pas pu nous empêcher de sourire. La professionnelle lui rappelle qu'avec tous les médicaments que le vieux monsieur prend, il risque d'avoir des maux sévères à l'estomac. Je réalise alors que l'auxiliaire de vie social a un véritable rôle préventif pour les personnes âgées. Cette dernière connaît bien ce monsieur, elle intervient tous les jeudis et vendredis chez lui depuis 6 mois. Elle part dans la cuisine lui confectionner un de ses repas favoris en remettant sa blouse et de nouveaux gants. Après avoir mis les aliments à chauffer, elle nettoie la cuisine, lave levier et met la table. Ensuite, elle allume la télévision, part chercher le monsieur pour l'installer à manger. Elle met les informations et demande si cela ne dérange pas le vieil homme. Celui-ci, lui fait signe que non, il ajoute qu'à la télévision : « Ils répètent toujours les mêmes choses ! ». L'auxiliaire de vie tente de le faire parler à multiples reprises. Quelques minutes après, le repas est prêt. La professionnelle s'installe près du monsieur, elle lui coupe les aliments et le fait manger. Le monsieur a une mobilité très réduite des bras qui ne lui permettent pas de tenir ses couverts. Je remarque que l'auxiliaire de vie prend son temps, elle ne fait aucun geste brusque. Le monsieur goûte et recommence à ne plus vouloir se nourrir. L'auxiliaire de vie ne perd pas espoir et reste patiente. Au final, le vieil homme n'aura pris que quatre bouchées supplémentaires mais pour l'auxiliaire de vie « c'est déjà ça ! ». Après le repas, elle passe le balai sous la table et fait la vaisselle. Il est déjà 20h, il fait nuit noire dehors. L'auxiliaire de vie retire sa blouse et pointe pour la dernière fois de la journée. Elle met de grands verres d'eau avec de longues pailles à la disponibilité du monsieur, son neveu ne va pas tarder à le mettre au lit. Nous quittons le monsieur en lui souhaitant une bonne nuit.

    20h05 : Nous reprenons la route cette fois-ci en direction du logement de l'auxiliaire. Elle est épuisée et elle me confie en riant qu'il lui tarde de se mettre au chaud devant la télévision. De mon côté, j'admets n'avoir fait qu'observer, discuter et conduit mais je commence aussi à ressentir la fatigue. En arrivant devant la maison de l'auxiliaire, je l'aide à débarrasser le coffre de ma voiture de ses courses. Enfin, je la quitte en la remerciant infiniment pour cette journée très enrichissante pour mon étude. Elle me répond toujours en souriant que ça lui a fait plaisir que l'on s'intéresse à son métier

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    CONCLUSION

    Le processus de rationalisation économique du secteur de l'aide à domicile provoque une dégradation des conditions de travail des aides à domicile. En effet, les salariées devant répondre aux obligations des structures qui les emploient et aux besoins des personnes âgées croissants « vivent un «conflit de norme» douloureux entre travail réel et travail prescrit. »34. Ces pressions contradictoires entrainent une détérioration de l'état de santé des aides à domiciles. Beaucoup de salariées n'arrivent plus à supporter moralement et physiquement cette situation. Ainsi, sur les 6 auxiliaires de vie sociale interrogées, 3 envisagent de changer de métier dans les prochaines années à venir.

    Par ailleurs, le manque de reconnaissance professionnelle de ces salariées engendre une souffrance supplémentaire. Le fait de recruter des femmes en situation de fragilité économique ou sociale, qui sont le plus souvent sans aucun diplôme, renforce cette image de travail refuge accessible à tous (Bonnet, 2006). Il y a toujours cette idée qu'il suffit de savoir faire le ménage chez soi pour le réaliser chez les autres. Or, l'accompagnement à domicile des personnes âgées aux pathologies et/ou handicaps parfois lourds et complexes ne peut plus se comprendre comme l'accomplissement de vulgaires tâches domestiques.

    Par conséquent, les mauvaises dispositions que subissent les aides à domicile se répercutent sur la qualité de la prise en charge de nos aînés. L'organisation du travail du secteur de l'aide à domicile amène à confronter deux publics en situation de fragilité. Tout au long de cette enquête, nous avons pu relever dans plusieurs situations une forme de solidarité qui se crée entre les personnes âgées et les aides à domiciles pour faire face aux difficultés organisationnelles. Cependant, le manque de personnel et le manque de formation des auxiliaires de vie sociale peuvent engendrer également de nombreuses relations conflictuelles. En effet, les personnes dépendantes, en plus de leurs souffrances liées à leur(s) pathologie(s) ou handicap(s), sont les premières touchées par les évolutions structurelles, professionnelles et organisationnelles du secteur de l'aide à la personne. Elles payent tous les mois des heures d'interventions qui sont de plus en plus écourtées, rapides et parfois même annulées. Par conséquent, la mauvaise qualité de l'accompagnement social des personnes âgées à domicile

    34 Langlois Géraldine, « L'aide à domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé Social, 29 janvier 2019.

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    peut jusqu'à même conduire à des cas d'isolement laissant ainsi les bénéficiaires dans des situations sanitaires préoccupantes.

    Pourtant depuis une dizaine d'années, une hausse de rapports alarmants sur la dépendance en France pointent ces multiples problématiques. Des réformes ont été appliquées, des lois pour l'autonomie ont été votées et les aides attribuées aux personnes âgées ont été augmentées. Cependant ces mesures, avec le vieillissement de la population à grande vitesse, ne sont pas parvenues à combler les lacunes du secteur de l'aide à la personne. Les besoins liés à la dépendance explosent et les organismes d'accompagnement à domicile « alertent sur la situation du secteur pris entre le recul des financements publics, sa privatisation et sa précarisation ». 35 En effet, un des plus grands risques pour les années à venir est d'assister à une privatisation globale du secteur de l'aide à domicile. En 2018, déjà plus de 3 organismes prestataires sur 4 sont des entreprises privées (micro-entrepreneurs inclus)36. Ce phénomène a pour conséquence d'accroître les inégalités sociales entre les personnes âgées, car les prix des heures d'interventions sont plus onéreux que ceux des associations et organismes publics. De plus, privatiser signifie faire de la dépendance un véritable marché. C'est pourquoi, une concurrence se dessine entre les entreprises privées amenant avec elle des horaires de travail toujours plus flexibles pour « plaire aux clients ». Dans cette logique managériale, les conditions de travail des aides à domiciles sont encore plus détériorées.

    En dépit de ces constats, plusieurs pistes semblent être envisagées par le gouvernement pour améliorer l'accompagnement de nos ainés. La première est celle d'accorder davantage de droits aux aidants familiaux. La seconde est le projet de loi "Grand âge et autonomie" annoncé par la ministre de la Santé en janvier 2020. Celui-ci sera présenté par le gouvernement durant l'été 2020. Il est très fortement attendu par les acteurs du secteur social et médico-social. Ce projet de loi aurait pour but d'instaurer une nouvelle organisation du travail afin de rendre plus attractifs les métiers du grand âge. De surcroit, il permettrait la diminution du reste à charge pour les personnes âgées les plus modestes et encouragerait la création d'un cinquième risque de protection sociale pour financer la dépendance. Selon l'ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn, « L'heure est venue de la grande prise de conscience »37. En effet, pour le sociologue Loïc Trabut et pour l'économiste François-Xavier Devetter au sujet du secteur de

    35 Ducatteau Sylvie, « Les associations d'aide à domicile évincées de la `sylver économie» », L'Humanité, 6 juin 2017.

    36 DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro 038.

    37 Dumas Primbault, Martin. Bayle-Iniguez, Anne. « Dépendance, bientôt le cinquième risque? Les pistes de réforme sur la table, une loi à l'automne ». Le quotidien du médecin, 28 mars 2019.

    l'accompagnement des personnes âgées à domicile : « une révolution culturelle et organisationnelle est indispensable »38.

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    38 Langlois Géraldine, « L'aide à domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé Social, 29 janvier 2019.

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    BIBLIOGRAPHIE

    Livres :

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    - Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, [1895], 1986, p.137.

    - Weber, Florence, Loïc Trabut, et Solène Billaud. Le salaire de la confiance. L'aide à domicile aujourd'hui. Éditions Rue d'Ulm, 2014

    Articles scientifiques :

    - André, Lætitia. « Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux professionnels ? enjeux de société ? », Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no. 3, 2012, pp. 157-167.

    -Arborio Anne-Marie. « L'observation directe en sociologie : quelques réflexions méthodologiques à propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier », Recherche en soins infirmiers, vol. 90, no. 3, 2007, pp. 26-34.

    - Avril, Christelle. « Le travail des aides à domicile pour personnes âgées : contraintes et savoir-faire », Le Mouvement Social, vol. no 216, no. 3, 2006, pp. 87-99.

    - Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation », Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.

    - Chauvin, Sébastien, et Nicolas Jounin. « 7 - L'observation directe », Serge Paugam éd., L'enquête sociologique. Presses Universitaires de France, 2012, pp. 143-165.

    - Ennuyer, Bernard. « Enjeux de sens et enjeux politiques de la notion de dépendance », Gérontologie et société, vol. vol. 36 / 145, no. 2, 2013, pp. 25-35.

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    Articles de presse :

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    44

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    - Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la face cachée d'un "eldorado" », L'Express, 5 décembre 2013.

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    - Langlois Géraldine, « L'aide à domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé Social, 29 janvier 2019.

    - « Les aides à domicile se sentent espionnées », Actu, 17 mars 2013.

    - Ouzzani, Maria. « Accompagner les aidants : Interview de Mme Maria OUAZZANI, Psychologue Clinicienne, responsable du Pôle d'Accompagnement Psychologique et Social de PSYA », Capgeris, 8 avril 2013.

    Rapports :

    - DARES - Portraits statistiques des métiers 1982 - 2014 : « T2A : Aides à domicile et aides ménagères ».

    - DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des services à la personne : comment évoluent leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro 038.

    - DREES - Premiers résultats de l'enquête « Care » : « Les personnes âgées dépendantes vivant à domicile en 2015 », septembre 2017, numéro 1029.

    - Enquête Emploi Insee 2014.

    - Pinville Martine, Poletti Bérengère. Rapport d'informations de l'Assemblé Nationale, « évaluation du développement des services à la personne » 2014, numéro 2437.

    - Rapport d'enquête du CEE, « Connaissance de l'emploi », août 2015, numéro 123.

    - Rapport de l'assurance maladie « Rapport d'activité 2017, AGIR ENSEMBLE, PROTÉGER CHACUN »

    45

    - Rapport de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie) : « Les chiffres clés de l'aide à l'autonomie 2019 »

    - Rapport du ministère de la Santé et des Solidarités 2018 : « Personnes âgées : les chiffres clés »

    - Rapport de l'UNA (Union Nationale de l'Aide,des Soins et des Services aux Domiciles ) 2017 : «Aide à domicile, des emplois pas que pour les femmes ! »

    Site :

    - «AMP, AVS DEAES : quelles différences ? », ADRAR Formation, Web. 15 avril 2020. https://www.adrar-formation.com/content/amp-avs-deaes-quelles-différences-0

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    ANNEXES

    - Échantillon des personnes interrogées

    - Cartographie des cinq organismes des AVS interrogées - Extrait d'un article de presse

    - Grille d'entretien pour les personnes âgées

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    48

    Cartographie des cinq organismes des AVS interrogées

    49

    Article de Presse

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    51

    Grille d'entretien : personne âgée

    Presen:aaor

    Quel est votre âge ?

    vivez-vous seul(*) ?

    Depuis combien de temps faites-vous appel aux services d'aide à domicile ?

    Quels actes de la vie quotidienne ne pouvez-vous plus faire seul ?

    Contacts) avec l'association

    Comment a été fixé le nombre d'heures d'intervention ? Etes-vous satisfait ?

    Etes-vous en contact régulier avec les responsables de l'association ?

    Entretenez-vous de bons rapports avec eux Si non, pour quelles raisons ?

    Aides

    Aide(s) sociale(s)

    Est-ce que vous touchez des aides pour payer vos aides à domicile ? (APA, aide de la mutuelle,..) si oui, vous avez droit à combien d'heures remboursées ? Est-ce que cela est suffisant

    Aide(s) de l'entourage

    Avez-vous des personnes autour de vous Qui viennent vous aider en dehors des auxiliaires de vie ? (famille, voisinage,_..}

    Interventions des auxiliaires

    Accompagnement

    Combien d'auxiliaires de vie interviennent dans votre domicile ?

    A quelle fréquence interviennent-elles ?

    Pour quelles tâches de la vie quotidienne avez-vous besoin d'elle(s) ?

    vous est-il déjà arrivé que vous demandiez à des AVS des services supplémentaires en dehors de leurs fonctions?

    Absence(s) et retard(s)

    vous arrive t- il de recevoir des auxiliaires en retard? qui s'absentent'

    Est-ce qu'il est déjà arrivé que personne ne puisse remplacer une de vos auxiliaires absente ? Comment faites-vous dans ces situations ?

    Manque de formation

    Est-il déjà arrivé qu'une Av5 ne sache pas faire ce que vous lui demandez ?

    Est-ce qu'il y a eu des risques d'accidents ou des accidents ?

    Epuisement professionnel

    vous est-il déjà arrivé de recevoir des auxiliaires de vie fatiguée moralement et/ou physiquement lex : troubles musculaires}

    Que faites-vous dans ce genre de situation ?

    Conflits) relationnels

    J

    Etes-vous déjà rentré en conflit avec une de vos Av5 ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?

    Cas marquant

    Pouvez- vous me raconter une situation qui vous a particulièrement marquée dans l'accompagnement avec une AVS ?

    - r

    Qu'est que vous aimeriez qui change ou s'améliore dans l'accompagnement avec vos Av5?

     
     





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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille