LE TRAVAIL PRÉCAIRE DES
AIDES À DOMICILE : QUEL
ACCOMPAGNEMENT POUR LES
PERSONNES ÂGÉES ?
Travail d'exploration et de recherche
réalisé par :
Lafkir Inès
À l'attention de Monsieur Zaffran
Année universitaire : 2019-2020
RÉSUMÉ
Le secteur de l'aide à domicile en France doit
répondre aux besoins croissants des personnes âgées dont le
niveau de dépendance est de plus en plus élevé. Ces
dernières qui souhaitent vivre le plus longtemps au sein de leur
domicile, réclament un accompagnement social pour cultiver aussi
durablement que possible leur autonomie. Cependant, les évolutions
structurelles, professionnelles et organisationnelles du secteur de l'aide
à la personne menacent la qualité de cette prise en charge. Les
organismes d'aide à domicile peinent à recruter en raison des
conditions de travail qui sont particulièrement difficiles : faible
rémunération, horaires atypiques, manque de
professionnalisation...
Ainsi, cette étude contribue à soulever un
paradoxe qui pourrait compromettre l'avenir du secteur de l'aide à
domicile : d'un côté, le secteur doit répondre aux
exigences des personnes âgées de plus en plus nombreuses, et de
l'autre, il est contraint de se plier aux obligations budgétaires qui
restent en opposition avec l'amélioration du travail précaire des
aides à domicile.
Mots-clés : vieillissement de la population -
dépendance - aide à domicile - travail précaire -
France
THE PRECARIOUS WORK OF HOME HELPS: WHAT CARE FOR THE ELDERLY
PEOPLE?
Help at home sector in France must meet the growing needs of
the elderly with the level of dependency is more and more elevated. Older
people tend to live longer in their homes, thus they claim social quality
support to cultivate their autonomy as long as possible. However, structural,
occupational, and organizational developments in the personal assistance sector
threat the quality of this care. Homes help services have difficulties in
recruiting enough employees because working conditions are very tough: low pay,
unusual hours, lack of professionalization, ...
This study contribute to raise a paradox who could compromise
the future of the help at home service : on the one hand, this sector must meet
the requirements of elderly people, and on the other, forced to comply with
budgetary obligations which remain in opposition to the improvement of the
precarious work of home helpers .
1
Keywords: ageing of the population - dependence - the help at
home sector - precarious work - France
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier d'abord mon directeur
d'étude M.Zaffran de m'avoir aidée à orienter mon sujet de
recherche. Grâce à son envoi de documents de l'université
de Bordeaux, j'ai pu entamer mes enquêtes de terrain. Ainsi, j'ai pu
fournir des justificatifs qui m'ont permis de couvrir mon statut
d'étudiant-chercheur dans diverses structures et m'ont donné la
possibilité de réaliser plusieurs entretiens.
Tout au long de mon enquête, j'ai eu la chance de
rencontrer de nombreuses auxiliaires de vie sociale qui ont eu la gentillesse
et la générosité de m'accorder de leur temps pour me faire
partager leur expérience du métier. Malgré un planning
souvent très chargé, ces dernières ont accordé
beaucoup d'intérêt à mon étude. Elles n'ont pas
hésité à me donner des contacts afin d'orienter la
poursuite de mon enquête.
Je souhaite également remercier l'ensemble des
personnes âgées avec qui j'ai pu m'entretenir. Ce fut un
véritable plaisir d'écouter leurs parcours de vie. Malgré
leurs diverses pathologies ou handicaps, nous avons pris le temps
nécessaire pour échanger. Je suis toujours éblouie par
l'effort et la volonté dont elles ont fait preuve de vouloir d'une part,
témoigner de leurs conditions de vie et d'autre part, de vouloir
m'accompagner dans l'écriture de mon rapport. Beaucoup d'entre-elles
m'ont remerciée de les avoir écoutées, c'est à mon
tour ici de leur témoigner ma plus grande admiration.
Enfin, je tiens à rappeler toute ma gratitude et ma
sympathie à l'auxiliaire de vie sociale du Centre Communal de l'Action
Sociale de Lormont qui a souhaité garder l'anonymat. Elle m'a permis de
m'immiscer dans son quotidien le long d'une journée. Nous avons
rencontré beaucoup de difficultés administratives pour effectuer
cette journée, ainsi je suis très reconnaissante de sa
détermination, de sa patience et surtout de l'importance portée
à mon étude.
3
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 4
AXE METHODOLOGIQUE 6
PARTIE I : LE TRAVAIL PRECAIRE DES AUXILIAIRES DE VIE SOCIALE
10
A) Le salaire 10
B) Le planning 13
PARTIE II : SANTE AU TRAVAIL 16
A) Risques physiques 16
B) Isolement professionnel 19
C) « Un travail invisible » 22
PARTIE III : PENURIE
DE SALARIEES DANS LE SECTEUR DE L'AIDE A DOMICILE
25
A) Un recrutement à la va-vite 25
B) Stratégies mises en place par les personnes
dépendantes pour pallier à l'insuffisance des
services à domicile 28
PARTIE IV : LE RECIT D'UNE JOURNEE ORDINAIRE 31
CONCLUSION 40
BIBLIOGRAPHIE 43
ANNEXES 46
4
INTRODUCTION
Dans notre société, le vieillissement de la
population représente plusieurs enjeux. Selon les chiffres du rapport du
ministère des Solidarités et de la Santé publié en
2018, les personnes âgées de 60 ans et plus étaient au
nombre de 15 millions. Elles seront 20 millions en 2030 et près de 24
millions en 2060. De surcroît, l'INSEE projette un allongement continu de
l'espérance de vie d'ici à 2060. Dans cette perspective, cette
évolution démographique soulève la question de la prise en
charge de nos aînés en situation de perte d'autonomie car
l'accroissement du nombre des plus âgés s'accompagne du nombre de
personnes dépendantes. Donc le vieillissement de la population implique
la mise en place de moyens financiers et sociaux par les gouvernements
destinés aux personnes âgées. Ces dernières
souhaitant vivre le plus longtemps « chez elles », dans leur propre
environnement confortable et rassurant, rendent le développement du
secteur d'activité de l'aide à domicile indispensable. En effet,
ce champ d'activité, « depuis le début des années
2000, a été fortement investi par les pouvoirs publics, porteur
de grands espoirs en matière de création d'emplois
»1. On assiste à des efforts considérables
pour organiser et professionnaliser le secteur de l'aide à domicile. En
2002, le diplôme d'État d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est
enfin créé, il est accessible dans plusieurs
établissements de formation notamment dans les instituts
régionaux des travailleurs sociaux (IRTS). Par ailleurs, dans cette
même année, la création de l'Allocation
Personnalisée d'Autonomie (APA) a permis à un plus grand nombre
de personnes âgées de payer (en totalité ou en partie) les
dépenses nécessaires pour se maintenir à domicile. Cette
allocation versée par les conseils départementaux pour prendre en
charge une partie des frais du soutien à domicile a rendu possible le
développement des emplois de services à la personne
âgée. De surcroît, la loi relative à l'Adaptation de
la Société au Vieillissement adoptée le 14 décembre
2015, a permis une revalorisation des aides allouées aux personnes
âgées avec une promesse d'une meilleure coordination des
différents acteurs dans le secteur de l'aide à domicile. En 2018,
88.4 millions d'euros est le montant total des crédits versés par
la Caisse Nationale de Solidarité et de l'Autonomie pour la
modernisation et la professionnalisation de l'aide à domicile,
l'accompagnement des aidants et la formation des professionnels des
établissements et services médico-sociaux.
1 André, Lætitia. «
Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux
professionnels ? Enjeux de société? »,
Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no.
3, 2012, pp. 157-167.
5
Cependant, l'organisation du travail à domicile,
souffre toujours d'un manque budgétaire grandissant et d'une
pénurie de salariées2 croissante. Les métiers
de l'aide à domicile désignent des personnes salariées,
identifiées notamment sous les appellations d'aide à domicile,
d'auxiliaire de vie sociale, d'assistante de vie, d'auxiliaire familiale. Elles
ont pour mission d'aider à accomplir les tâches et les
activités de la vie quotidienne afin de permettre le maintien à
domicile des personnes dépendantes. L'objectif est de préserver
l'autonomie de la personne en difficulté. De plus, les aides à
domicile soutiennent moralement et socialement la personne dépendante
dans son environnement. Elles sont embauchées le plus souvent par des
associations de service d'aide à la personne. « Elles
interviennent au domicile des personnes âgées pour des salaires
dépassant rarement les 900 euros.»3. Ces minces
revenus s'expliquent par un temps partiel imposé. Pourtant, elles sont
mobilisées toute la semaine, parfois même les weekends car leurs
heures sont généralement éparpillées. Ces
« travailleuses de l'ombre »4 qui oeuvrent pour
préserver le bien-être de nos ainés souffrent
également d'un manque de reconnaissance dans leurs pratiques
professionnelles, bien trop souvent considérées comme l'extension
du travail des femmes dans les tâches domestiques. C'est à partir
de ces multiples raisons que ce secteur d'activité peine à former
et à embaucher.
Par conséquent, l'organisation du travail à
domicile a conduit les salariées dans une situation aussi fragile que
celle des personnes dont elles s'occupent. De plus, la souffrance au travail et
le manque de formation des salariées se répercutent dans la
qualité de leurs interventions et dans les relations qu'elles
entretiennent avec les personnes âgées. Ces dernières
étant les premières touchées par les mauvaises
dispositions que subissent leurs aides à domicile. Ainsi, cette
enquête a pour but de soulever un paradoxe qui pourrait compromettre
l'avenir du secteur d'activité de l'aide aux personnes
âgées à domicile : d'un côté, nous avons un
besoin croissant d'aides à domicile pour permettre à nos
ainés de bénéficier d'un accompagnement social de
qualité, et de l'autre nous avons un secteur soumis à des
obligations budgétaires qui restent en opposition avec
l'amélioration des conditions de travail de ses salariées.
2 Les aides à domicile concernent des hommes
et des femmes, mais j'ai décidé d'utiliser le genre
féminin pour garder la disproportion importante des femmes dans ce
secteur.
3 Chaignon Alexandra, « Aides à domicile,
un quotidien et des salaires en miettes », Humanité, 27 janvier
2014.
4 Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide
à domicile : travail invisible et professionnalisation »,
Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
6
AXE MÉTHODOLOGIQUE
A partir d'octobre 2019, j'ai entamé mes premiers mois
de recherche dans la mobilisation de lectures autour de la crise du secteur de
l'aide à domicile et des ouvrages en gérontologie sur le maintien
à domicile des personnes âgées. Ces supports m'ont permis
d'acquérir une meilleure connaissance des différents enjeux du
vieillissement démographique en France et de construire mes
hypothèses. De plus, grâce à la collecte de rapports
statistiques tels que celui de la Caisse Nationale de Solidarité pour
l'Autonomie5 ou celui de la DARES6, j'ai pu recueillir
d'importantes données chiffrées permettant de mettre en
lumière des inadéquations entre la hausse des besoins des
personnes âgées et le manque de moyens structurels,
organisationnels et professionnels du secteur d'activité de l'aide
à domicile.
Par la suite, dans la période de décembre 2019
à mars 2020, j'ai réalisé 6 entretiens semi-directifs
auprès d'auxiliaires de vie sociale et 5 autres auprès de
personnes âgées bénéficiaires des services de l'aide
à domicile. L'essentiel des personnes interrogées résident
ou travaillent dans la métropole bordelaise. J'ai
privilégié le choix de la méthode de l'entretien
semi-directif, car celle-ci m'a permise de préparer au préalable
les différents thèmes que je souhaitais aborder tout en
m'accordant une plus grande liberté de parole. Pour la
réalisation de chacun de ces entretiens, j'ai créé deux
guides distincts pour qu'ils puissent répondre au mieux à mes
interrogations : un pour les auxiliaires de vie et un pour les usagers.
J'ai fait le choix d'interroger les salariées
embauchées sous l'appellation d'« auxiliaire de vie sociale »
(AVS) car cette distinction m'a permis de mieux établir des comparaisons
entre celles qui exercent ce métier non diplômées de celles
qui sont titulaires du DEAVS. Les auxiliaires de vie sociales que j'ai
interrogées sont employées par un service public territorial (2
sur 6), par une association à but non lucratif (3 sur 6) ou par une
entreprise privée (1 sur 6). Ces femmes sont âgées de 21
ans à 54 ans : 4 ont la vingtaine et 2 ont plus de 50 ans. Le choix de
me cibler davantage sur des salariées jeunes était
réfléchi. En effet, un des objectifs de mon enquête est
d'analyser les perspectives d'avenir à savoir si ce métier peut
être envisageable toute une vie. Chacune d'elles a témoigné
de ses conditions de travail, de ses relations avec ses responsables et ses
bénéficiaires. Au fil des entretiens, j'ai mieux cerné les
différentes
5 Rapport de la CNSA (Caisse Nationale de
Solidarité pour l'Autonomie) : « Les chiffres clés de l'aide
à l'autonomie 2019 »
6 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro
038.
7
problématiques auxquelles les enquêtées
faisaient face. Par conséquent, cela m'a permis de poser à chaque
nouvel entrevus davantage de questions dans le but d'approfondir et
éclaircir certains sujets. Les auxiliaires de vie étaient ravies
de pouvoir m'aider dans mon étude et enthousiastes à
l'idée de pouvoir parler de leur métier. Afin de les
déranger le moins possible, je me suis déplacée le plus
souvent dans leur domicile après qu'elles aient terminé leur
journée de travail. Néanmoins, sur les six entretiens, j'ai
été dans l'obligation d'en réaliser deux par
téléphone car les auxiliaires de vie concernées n'avaient
pas beaucoup de temps à m'accorder au regard de leur planning
très chargé et de leurs obligations familiales. Cependant, ces
deux entretiens restent très riches en informations car je n'ai pas
hésité à prolonger les appels.
Concernant les personnes âgées, les entretiens se
sont tous déroulés dans leur domicile respectif. J'ai obtenu
leurs contacts grâce aux auxiliaires de vie sociale mais aussi
grâce à des infirmiers libéraux exerçant leurs
activités dans mon quartier. Ils m'ont orientée vers des
personnes ayant conservé leurs facultés mentales.
Néanmoins, 2 personnes âgées sur 5 avaient leurs
capacités cognitives légèrement réduites. Par
conséquent, j'ai adapté ma manière de communiquer,
c'est-à-dire que je n'ai pas hésité à hausser la
voix, à articuler davantage et à prendre le temps de parler. De
plus, j'ai répété plusieurs fois les mêmes questions
durant les entretiens pour une meilleure communication. Les personnes
âgées que j'ai interrogées, reçoivent l'aide d'une
ou plusieurs aides à domicile chaque semaine. Cette population
d'enquêtés se compose de 4 femmes et un homme avec une moyenne
d'âge de 77.2 ans. 3 personnes vivent seules et 2 en couples. J'ai
beaucoup insisté pour que les entretiens s'effectuent sans la
présence d'une auxiliaire de vie dans le domicile afin que la personne
âgée ne soit pas gênée de discuter des
problèmes qu'elle rencontre avec différents organismes de service
à la personne et sur la manière dont s'établit sa prise en
charge. En effet, la plus grande difficulté était de trouver un
créneau horaire pour convenir d'un rendez-vous, car les personnes
dépendantes vivant à domicile reçoivent l'aide de nombreux
professionnels durant une journée : infirmier,
kinésithérapeute, auxiliaire, médecin,... J'ai
malheureusement été contrainte d'écourter un entretien en
raison de la venue d'infirmières. Cependant, au-delà de ces
difficultés, les personnes âgées m'ont toutes reçue
chez elles avec beaucoup de bienveillance et de convivialité.
De surcroît, le jeudi 12 mars, j'ai mené des
observations dans le cadre d'une journée de travail ordinaire d'une
auxiliaire de vie sociale dans les différents domiciles de personnes
âgées. L'auxiliaire de vie a souhaité garder l'anonymat,
elle est employée au Centre Communal de l'Action Sociale (CCAS) de
Lormont. Elle a 50 ans et exerce ce métier depuis 14 ans. Pour
8
entreprendre cette journée d'observation, les
démarches étaient très complexes. Le CCAS étant un
service territorial qui dépend donc de la mairie, j'ai dû adresser
ma demande d'accompagnement par courrier directement au maire de la ville. De
ce fait, j'ai réussi à obtenir une réponse positive
très tardivement en passant par l'intermédiaire d'une multitude
de services. Concernant mon choix de mener des observations directes, celui-ci
s'explique premièrement par une volonté d'avoir accès
à ce qui est oublié ou caché durant mes entretiens et
deuxièmement, de retracer en temps réel l'enchaînement des
actions et des interactions dans l'accompagnement social des personnes
âgées à domicile (Chauvin et Jounin, 2012). En effet,
« l'observation directe est aussi le seul moyen d'accéder
à certaines pratiques : lorsque celles-ci ne viennent pas à la
conscience des acteurs, sont trop difficiles à verbaliser ou au
contraire, font l'objet de discours pré-construits visant au
contrôle de la représentation de soi, voire lorsque ceux-ci ont le
souci de dissimuler certaines pratiques. »7. Pour
entreprendre cette journée, j'ai choisi de ne pas masquer mon
identité d'étudiant-chercheur auprès des personnes
âgées car j'entrais déjà par surprise dans leur
intimité. Par conséquent, les risques de modifier leurs
comportements ou de dissimuler certaines choses face à ma
présence étaient limités. Concernant l'attitude
l'auxiliaire de vie sociale, j'avais bien conscience que ces risques seraient
davantage présents. C'est pourquoi, j'ai décidé avec son
accord de l'accompagner dans sa journée la plus longue de la semaine :
de 8h à 20h. Plus ma durée d'observation était longue,
moins le risque de contrôler sa propre image professionnelle était
important. De plus, pour mener à bien ces observations, je me suis munie
de plusieurs outils de terrain : un cahier de bord et un dictaphone. Le journal
de bord m'a permis d'indiquer les heures de mes différentes
séances d'observations et de collecter des données : mes
premières impressions, des schémas, des paroles,... Quant au
dictaphone, cet instrument d'enquête m'a permis d'enregistrer de longs
échanges entre l'auxiliaire et le bénéficiaire. En clair,
ces outils m'ont permis d'inscrire mon étude dans la durée.
Enfin, dès fin mars 2020, je me suis penchée
véritablement sur l'analyse de mes matériaux
récoltés tout au long de ces derniers mois, qualitatifs
(entretiens, observations,..) comme quantitatifs (rapports statistiques). Pour
le traitement de mes données qualitatives, j'ai conçu deux
grilles d'analyse pluridimensionnelles: une pour la lecture des entretiens
effectués auprès des auxiliaires de vie sociale et une pour les
personnes âgées. Elles m'ont permis de coder mes données,
en faisant des regroupements thématiques entre mes différents
entretiens.
7 Arborio Anne-Marie. « L'observation directe
en sociologie : quelques réflexions méthodologiques à
propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier »,
Recherche en soins infirmiers, vol. 90, no. 3, 2007, pp. 26-34.
L'objectif était de comparer les différences et
les similitudes des propos recueillis dans le but d'étayer mes
hypothèses. En effet, « la sociologie comparée n'est pas
une branche particulière de la sociologie ; c'est la sociologie
même, en tant qu'elle cesse d'être purement descriptive et aspire
à rendre compte des faits »8.
9
8 Durkheim Emile, Les règles de la
méthode sociologique, Paris, PUF, [1895], 1986, p.137.
10
PARTIE I : LE TRAVAIL PRÉCAIRE DES
AUXILIAIRES DE VIE SOCIALE
A) Le salaire
Les auxiliaires de vie sociale (AVS) interrogées
travaillent pour un service public territorial (2 sur 6), par une association
à but non lucratif (3 sur 6) ou par une entreprise privée (1 sur
6). Ces différentes structures sont prestataires, c'est-à-dire
qu'elles vendent un service à la personne dépendante. Dans cette
optique, le salaire des AVS dépend du nombre d'heures effectuées,
mais aussi d'un cheminement politique et administratif complexe entre plusieurs
acteurs : de l'employeur (association à but non lucratif ou service
public territorial) aux administrations locales chargées de fixer des
tarifs horaires de remboursement et celles chargées de définir
les besoins des personnes dépendantes (Weber, Trabut et Billaud,
2014).
Une personne âgée souhaitant
bénéficier d'un accompagnement à domicile peut
bénéficier d'aides sociales pour payer en totalité ou en
partie les heures d'intervention des auxiliaires de vie sociale. Ces aides sont
versées par le conseil départemental, par l'assurance-maladie ou
les caisses retraites (ces deux derniers cas restant les plus rares) de la
personne âgée. En France, les conseils départementaux
peuvent attribuer aux personnes âgées dépendantes
l'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) en fonction des besoins et
des ressources financières de la personne dépendante. On compte
en décembre 2017, 768 837 bénéficiaires de l'APA à
domicile9. Pour définir les besoins de la personne
âgée, une équipe médico-sociale (EMS) intervient
pour évaluer son niveau de dépendance grâce à un
outil qui se nomme la grille Aggir. Il existe six degrés de
dépendance, correspondant à six « groupes iso-ressources
» (Gir). Les Gir sont fixés de 1 à 6, du moins autonome au
plus autonome. « Seules les personnes appartenant aux Gir 1 à 4
peuvent demander l'Apa, c'est-à-dire l'allocation personnalisée
d'autonomie. Les personnes qui relèvent des Gir 5 et 6 peuvent
bénéficier d'autres types d'aides financières de leur
département et/ou de leur caisse de retraite (sous conditions de
ressources). »10 . Par la suite, si la personne
âgée répond aux critères d'attribution de l'APA, un
dossier est constitué en direction du Conseil départemental. Pour
mettre en place les heures d'interventions des AVS, un évaluateur du
conseil général va se déplacer au domicile de la personne
dépendante pour définir un plan d'aide fixant le tarif horaire
pris en charge par le
9 DREES, enquêtes aides sociales série
longue < 2000-2017
10 « Les grilles utilisées par les professionnels :
Aggir et les Gir », maisons-de-retraite. Web. 2015
11
département. Le reste à financer doit être
payé par la personne âgée avec ses propres revenus.
Après que l'évaluateur du Conseil départemental et la
personne âgée (ou la famille de la personne âgée) se
soient accordés sur un devis et sur le choix d'une structure de service
à la personne, l'évaluateur prend contact avec l'organisme en
question. Par conséquent, la directrice ou une responsable de secteur de
la structure de « service à la personne » rend visite à
la personne dépendante afin de créer un planning
d'intervention.
Sur les 5 personnes âgées interviewées, 4
sont bénéficiaires de l'APA. Sur les bénéficiaires,
3 souhaiteraient avoir droit à davantage d'heures prises en charge par
le département.
« J'ai l'aide du conseil départemental. L'APA.
J'ai droit à 3h par jour ce n'est pas assez, j'aimerais avoir davantage
d'heures pour l'entretien de mon appartement et pour pouvoir sortir de temps en
temps avec mes auxiliaires. »
(Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire
de l'APF association des paralysés de France)
« On me paie une partie de l'heure, j'ai le droit
à quelques heures. Mais j'aimerais avoir plus, surtout des services le
weekend. Mais on en a décidé ainsi et puis je ne peux pas les
payer. » (Personne âgée, 77 ans,
bénéficiaire de l'aide à domicile du Haut-Médoc
ADHM)
« L'évaluateur du département estime ce
dont tu as besoin et il te donne. Mais ils sont très radins [...] En
général ils te donnent 3h par jour, mais pour le matin, midi et
soir. Donc les heures sont entrecoupées. Et si tu demandes plus, il faut
toujours justifier encore plus. »
(Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire
de l'APF)
En effet, dans le but de réduire les dépenses
publiques, les interventions prévues par les plans d'aide des
départements sont très courtes et éparpillées.
Cette baisse des montants de prise en charge par le Département de l'APA
sont parfois très inférieurs aux coûts des interventions
des structures. Et ce phénomène ne va pas en décroissant
car les structures d'aides à domicile subissent une augmentation de
charges financières.
C'est donc dans ce contexte très délicat que
sont définis le nombre d'heures de travail et le salaire d'une
auxiliaire de vie sociale. Les employées sont payées 9,2 euros
net de l'heure. Selon l'enquête Emploie de l'Insee de 2014, 47% des aides
à domiciles à temps complet ont un salaire mensuel net de moins
de 1250e. Ce salaire à peine équivalent au Smic est
expliqué par ce contrat de travail indirect entre la personne
âgée et l'auxiliaire, tous deux dépendant d'une
12
grande spirale économique et politique. Les 6 auxiliaires
de vie sociales interviewées réclament à
l'unanimité une revalorisation de leurs salaires.
« Je touche le SMIC [...] c'est pas assez payé,
c'est pas assez payé, c'est pas assez payé ! »
(Auxiliaire de vie sociale (AVS), 21 ans, APF)
« Je pense que travail mériterait d'être
mieux payé. Surtout que ça fait 18 ans que je fais ce
métier et il y a pas eu d'augmentation de salaire. Il y a la petite
augmentation légale mais cela reste minime. »
(AVS, 54 ans, ADOMI)
« Pour tout ce que l'on peut faire en une heure
seulement, on devrait être plus payé ! »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
« On est à peine au SMIC pour 35h. » «
Non pas du tout. On est pas assez payé à l'heure. »
(AVS, 24 ans, ADHAP)
«Ce mois-ci, j'ai touché 1300e [...]
Non, j'aimerais être entre 1800 et 2000 € parce qu'on ne fait pas
seulement auxiliaire de vie on est kiné, psy, aide-soignante. On exerce
pas un métier mais plusieurs à la fois. On doit être mieux
payé »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Notre salaire, c'est une honte ! Une honte pour les
professions du social. »
(AVS, 27 ans, APF)
13
B) Le planning
Selon les portraits statistiques des métiers de 2014 de
la Direction de l'Animation de la Recherche des Etudes et des Statistiques
(DARES), les aides à domicile sont le plus souvent embauchées
à 86% en contrat à durée indéterminé (CDI)
mais elles sont majoritairement à temps partiel (72% des cas). Cependant
ce temps partiel imposé cache en réalité un rythme de
travail effréné. Les heures d'intervention des auxiliaires de vie
sociale étant réduites et éparpillées au fil de la
semaine et des week-ends donnent lieu à la formation d'horaires de
travail atypiques. En effet, dans le but de minimiser les coûts du
secteur, les AVS ont un planning avec des interventions morcelées et de
plus en plus nombreuses pour répondre aux besoins croissants des
personnes en situation de dépendance. « On en arrive à
des situations où l'on a des interventions qui sont réduites
à quinze minutes et si l'on continue dans cette spirale, à
horizon 2020, ce n'est plus un quart d'heure, c'est cinq minutes qu'on passera
chez une personne pour essayer de bricoler quelque chose. »
déplore un représentant syndical dans le rapport
d'enquête 2015 sur l'aide à domicile du Centre d'Etude et de
l'Emploi11. Cette réduction des temps d'intervention
s'accompagne d'une augmentation du nombre de personnes dépendantes,
ainsi les prestations et les déplacements entres les domiciles se
multiplient et deviennent fatigants et onéreux.
De surcroît, elles doivent toujours être
joignables et vigilantes aux changements de planning qui parfois s'effectuent
dans une journée même de travail. Ce phénomène
s'explique par le manque de personnel pour répondre aux besoins des
personnes âgées. De plus, les auxiliaires de vie sociale actives
doivent remplacer leurs collègues qui s'absentent. « Quelle que
soit la cause, l'absentéisme dans ce secteur atteint un taux de 15 %
contre 4,5 % pour l'ensemble des secteurs. »12. Sur les 6
AVS interrogées, elles témoignent toutes des difficultés
de ne pas avoir un planning fixe.
« Oui le planning change quasiment un jour sur
deux... c'est un peu compliqué. Parce que du coup il y a souvent des
absences et cela modifie énormément le planning. [...] De toute
façon l'asso nous harcèle s'il manque quelqu'un. [...] Pendant
une journée même de travail tu peux avoir des changements de
planning. On te demande « tu peux aller à telle heure chez
cette
11 Rapport d'enquête du CEE, « Connaissance
de l'emploi », août 2015, numéro 123
12 Rapport de l'assurance maladie « Rapport
d'activité 2017, AGIR ENSEMBLE, PROTÉGER CHACUN »
14
personne ? ». Exemple, si j'embauche le matin
à 8h et que d'habitude je débauche à 16h, on peut me
rajouter une intervention de dernier moment. »
(AVS, 24, ADHAP)
« Alors il faut toujours que je sois joignable. [...]
Et quand c'est à la dernière minute elle nous demande quand
même si c'est possible. Parfois ce n'est pas possible et on dit non. Bon
après on peut pas refuser tout le temps ! »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Ca m'est arrivé plusieurs fois qu'on me
change le planning du jour pour le lendemain ! C'est super stressant car je ne
peux rien prévoir. J'ai toujours des risques que ça tombe
à l'eau. »
(AVS, 26 ans, APF)
Question: « Et pour les changements de plannings ?
Ils peuvent être effectués la veille pour le lendemain ?
AVS : Oh même dans l'heure à n'importe quel
moment ! Non et puis tu vois la responsable m'a dit que je travaillais jeudi,
eh beh du coup je travaille lundi. Je regarde quand même mon planning
parce qu'avec eux c'est toujours des surprises. Eh beh je regarde et je vois un
changement. »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
« Je commence une journée mais je ne sais jamais
quand est-ce qu'elle se termine exactement. »
(AVS, 21 ans, APF)
Dans la mesure où des interventions sont
régulièrement ajoutées en supplément des heures
fixées par leur contrat de travail, les heures supplémentaires
s'accumulent. Une semaine à 35 heures peut rapidement devenir une
semaine à 42 heures. Les temps de pause deviennent très
limités et les prestations s'enchaînent à grande vitesse.
Ce rythme de travail aux heures d'interventions si rapprochées n'est pas
sans conséquence. La durée des trajets entre chaque domicile et
les différents besoins de certaines personnes dépendantes peuvent
faire accumuler du retard entre les différents lieux d'interventions.
Ainsi, sur les 5 structures des AVS interrogées, 2 ont mis en place un
système de pointage téléphonique pour payer à
l'exactitude le nombre d'heures de travail réalisées. Cette
nouvelle forme managériale, appelée aussi la «
télégestion », conduit à l'émergence d'un
modèle industriel de prise en charge à domicile. Ce nouveau
système souhaite également dématérialiser la
signature de la feuille de présence de la
15
personne âgée. L'auxiliaire de vie grâce
à une application téléphonique scanne le badge
accolé au cahier de liaison13 au début et à la
fin de l'intervention. Ce moyen permet d'établir une fiche de salaire
très rigoureuse. Malheureusement, pour les AVS, ce système de
pointage engendre une pression supplémentaire dans leur rythme de
travail.
« A chaque début d'intervention, on badge. Et
à la fin de chaque intervention, on badge à nouveau. On est
fliqué comme ça ! »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont) « Oui, il y a des
badges chez les bénéficiaires. On arrive on pointe avec le
téléphone, et quand c'est l'heure ça sonne. C'est pour
cadrer les interventions. [...] Parce que du coup tu dois arriver exactement
à l'heure et repartir exactement à l'heure. Sinon ils le savent,
ils savent tout. On est payé à la minute ! »
(AVS, 26 ans, APF)
« Oui c'est avec l'application mobile, on pointe. La
direction sait exactement le nombre d'heures que l'on fait. Ah ! On peut pas
être payé plus ça c'est sûr ! »
(AVS, 21 ans, APF)
Enfin, ce système de pointage ne prend pas en
considération les différentes pathologies des personnes
âgées. Les besoins des bénéficiaires, certains en
fin de vie, ont des besoins qui évoluent constamment. Désormais,
il n'y a plus que l'heure qui compte. Ce contrôle excessif sur le temps
conduit à la négligence de nombreux actes dans l'accompagnement
social de la personne dépendante. « La priorité est mise
sur le pointage et non sur l'humain » déplore Francine
Lambert, porte-parole des aides à domicile de l'ADMR (réseau
associatif de services à la personne)14.
13 Le cahier de liaison est un livret demeurant au
domicile de la personne âgée permettant d'y inscrire des consignes
et d'organiser une meilleure coordination entre les différents
intervenants (infirmiers, aide à domicile, médecins,...).
14 « Les aides à domicile se sentent
espionnées », Actu, 17 mars 2013
16
PARTIE II : SANTÉ AU TRAVAIL
A) Risques physiques
L'aide à domicile est un secteur d'activité
où le risque professionnel ne cesse de croître comparé aux
secteurs traditionnellement accidentogènes comme l'industrie ou la
construction. Le rythme de travail d'une auxiliaire de vie social
caractérisé par l'incertitude et la précipitation peut
engendrer des souffrances physiques. Le morcellement et les horaires atypiques
du planning sont des facteurs de pénibilité du travail. En effet,
les nombreux changements de lieux d'activité et de
bénéficiaires multiplient les risques professionnels : troubles
musculo-squelettiques, accident de la route, les risques d'infection,... De
surcroît, le vieillissement de la population conduisant à
l'accroissement du niveau de dépendance des personnes âgées
renforce les difficultés d'intervention. Par ailleurs, les AVS doivent
faire face à la pénibilité des gestes
répétitifs à effectuer. Cette dégradation des
conditions de travail du secteur de l'aide à la personne se constate
dans les données de la caisse nationale de l'assurance-maladie : le taux
de fréquence et l'indice de gravité des accidents du travail y
sont presque deux fois plus élevés que dans l'ensemble des
secteurs d'activité : respectivement de 45 contre 22 et de 26 contre 15
(Pinville, Poletti, 2014). En effet, « Les salariés de
prestataires connaissent plus souvent des problèmes de santé ou
des situations de handicap ou d'invalidité, et ce notamment chez les
plus jeunes. »15.Ce constat s'est reflété
durant les entretiens réalisés auprès des 6 auxiliaires de
vie sociale, 4 ressentent une importante fatigue et des douleurs physiques.
« Alors là, je suis K.O. quand je rentre chez
moi. Je préfère rester à la maison et dormir. [...]
Après tu as plus envie de faire quoi que ce soit, en fait ça te
plombe. Je préfère rentrer à la maison et dormir. Courir
à droite, à gauche la journée, c'est épuisant !
»
(AVS, 21 ans, APF)
« J'ai d'importantes douleurs au dos à 23 ans.
Il y a des jours, j'ai des cernes, et je suis très lente. »
(AVS, 23 ans, ADHM)
15 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.
17
« En fait quand je sors du boulot je suis tellement
fatiguée... enfin le week-end j'arrive à faire quelques trucs :
cinéma,... et le mercredi j'arrive à garder mon petit-fils.
Après je fais attention dans mes activités, je me suis fait un
tour de rein la semaine dernière chez un bénéficiaire.
»
(AVS, 54 ans, ADOMI)
« Parce que tu sais comment on est dans le groupe, on
est toujours prise par le travail puis arrivées à la maison...
Des fois je me dis, quand je rentre j'ai même pas envie d'ouvrir internet
ou la télé tellement je suis fatiguée. »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
Les souffrances physiques des auxiliaires de vie sociale
accumulées ont des répercussions dans le travail qu'elles
accomplissent auprès des personnes âgées. Les 5 personnes
âgées interrogées ont constaté de multiples fois une
fatigue importante chez leurs aides à domicile.
«Mais quand elles viennent, elles sont
fatiguées oui. Y'à des moments quand elles commencent à 8h
du matin et quand elles finissent à 7h ou 8h le soir... Elles n'ont
même pas le temps de manger entre midi et deux. On leurs remet toujours
quelqu'un, elles n'ont pas leurs 45 minutes obligatoires. Elles sont un peu
épuisées. [...] elles essayent de tout faire. C'est moi qui leurs
dit de se reposer. Mais bon certaines ne veulent pas, elles sont vaillantes.
Mais bon, je leurs dis que pour certaines tâches ce n'est pas
pressé. Qu'elles peuvent le faire demain. »
(Personne âgée, 80 ans,
bénéficiaire du CCAS de Mérignac) « Question : Et
vous avez déjà vu vos auxiliaires très fatiguées
quand elles arrivent chez vous ? Usager : Ah oui.
Question : Et vous réagissez comment ?
Usager : Elles se reposent un peu, je leurs dit de manger
avec moi. [...]Tant qu'elles sont là, je les laisse. Elles m'aident puis
je leurs dit de se reposer [...] Oui, j'avais une dame avant, elle se
lève à 6h, elle court partout dans la journée. Et du coup
arrivée chez moi, elle était souvent fatiguée. Elle
faisait parfois une heure de trajet pour aller chez une personne que pour 30
min de travail. »
(Personne âgée, 77ans, bénéficiaire
de l'ADHM)
« Question : Et du coup quand vous voyez ont qu'une
auxiliaire de vie très fatiguée ou qui a mal aux quelque
part...
18
Usager : Ah beh elle fait les choses plus lentement, elle
fait ce qu'elle peut. Question : Et cela ne vous dérange pas ?
Usager : Pas du tout, je leur dis vous me faites le plus
difficile que je ne peux pas faire. Le plus difficile pour moi c'est faire le
lit de mon mari parce qu'il a un lit médicalisé, on ne peut pas
le tirer. Le mien, il est difficile, je ne peux pas le faire. Mais je fais le
tour, je le fais petit à petit. Je passe 15 minutes, et puis si
ça ne va pas je m'assoie. Et puis je reprends après. Je fais ce
que je peux pour les soulager si elle ne peut pas le faire. »
(Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire
de l'APF)
Ces trois extraits d'entretiens montrent une forme empathie de
la part des personnes âgées face à l'état
d'épuisement de leurs AVS. La personne dépendante dans une
situation déjà fragile essaye malgré tout de soulager le
travail de son aide à domicile. Cependant, cette fatigue
génératrice de lenteur et d'omission de certains actes peut
conduire aussi à des conflits relationnels entre les
bénéficiaires et les auxiliaires.
« Ah non. Et je ne suis pas du tout satisfaite de
l'auxiliaire de vie que j'ai aujourd'hui. En plus, après 1h00 de
ménage, elle s'assoit, elle me dit qu'elle est très
fatiguée et elle attend que l'heure tourne. Comment voulez-vous que je
fasse moi après ? Mon mari il ne peut pas m'aider, je dois me
débrouiller toute seule le reste de la journée. »
(Personne âgée, 87 ans, bénéficiaire
du CCAS de Lormont)
« Elle entend pas son réveil qu'elle me dit.
Bon de temps en temps, on accepte. Mais à force vous comprenez que je ne
cache pas mon mécontentement ! Elle arrive souvent en retard, et puis
bon, elle est pas très active le matin. Y'a plein de choses à
faire chez moi que je ne peux plus faire. »
(Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire
de l'APF)
Ces tensions conflictuelles qui peuvent émerger dans
les relations au travail vont venir ajouter de la pénibilité
psychique à la pénibilité physique des salariées
comme des personnes âgées. Par conséquent, les contraintes
liées à l'organisation du travail se répercutent sur la
qualité de l'accompagnement social à réaliser
auprès des personnes dépendantes.
19
B) Isolement professionnel
L'auxiliaire de vie sociale exerçant ses tâches
dans la sphère privée de chacun de ses différents
bénéficiaires, celle-ci se retrouve fortement isolée
professionnellement. En effet, elle effectue ses prestations de domicile en
domicile sans avoir de contacts réguliers avec ses collègues. Sur
les 6 AVS interrogées, aucune n'a le numéro de
téléphone de ses collègues. Pourtant, l'accompagnement
d'un usager se réalise souvent avec l'intervention de plusieurs
auxiliaires d'une même structure. Le cahier de liaison reste l'unique
support journalier pour laisser une trace écrite des tâches
réalisées et des éventuelles recommandations pour la
prochaine intervenante. Quant aux contacts avec les responsables des structures
tout au long de la semaine, 4 auxiliaires de vie sociale déplorent
qu'ils ne se limitent qu'à la communication d'information des
changements de planning.
« Fin c'est très courtois et professionnel,
ils (les chefs de secteurs) nous donnent les missions. [...] En
général ils demandent surtout aux personnes chez qui on
intervient comment ça s'est passé plutôt qu'aux
auxiliaires. On ne me demande pas à moi comment je le ressens.
»
(AVS, 24, ADHAP)
« Ce n'est pas très fréquent que l'on se
parle... Ils (les chefs de secteurs) m'appellent que lorsqu'ils ont des gens
à proposer et ça s'arrête là. »
(AVS, 21 ans, APF)
« J'ai souvent la directrice au
téléphone l'été parce qu'il y a beaucoup de
remplacements à faire. Mais on ne la voit pas. Et puis parfois on te
change le planning sans te téléphoner. On t'appelle pas pour
savoir si ça se passe bien. [...] Parce qu'ils (la direction) font comme
ils veulent. Nous on l'appelle « la folle » la directrice ! (rires)
[...] Elle n'est pas franche. »
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
« Je peux avoir un coup de téléphone de
l'asso, disons 5 à 6 fois par mois... En septembre j'ai eu 3 coups de
téléphone de l'association pour me proposer 3 personnes
différentes. C'est tout après tu fais ton travail. »
(AVS, 26 ans, APF)
Pour lutter contre cet isolement professionnel, les structures
mettent en place des réunions d'équipe. Ces dernières
peuvent se mettre en place, une fois par semaine comme au
20
CCAS de Lormont ou une fois par mois comme dans l'association
de l'aide à domicile du Haut Médoc. Les responsables des
différentes structures organisent la fréquence de ces
réunions. Sur les 5 structures qui emploient les AVS interrogées,
2 ont intégré la présence d'un psychologue dans les
réunions collectives. En effet, les auxiliaires de vie sociale sont
confrontées à des risques psycho-sociaux spécifiques :
« le turn-over y est très élevé: beaucoup de
femmes ne tiennent pas ! »16 assure Loïc Trabut,
chercheur à l'Ined et auteur d'une étude sur les aides à
domicile. Elles doivent faire face à la souffrance et à la mort
des personnes qu'elles accompagnent parfois durant des années.
L'accompagnement à domicile est avant tout une relation sociale entre
deux individus. C'est pourquoi des relations affectives peuvent naître
entre employée/bénéficiaire car ce sont des métiers
humains. Selon la psychologue clinicienne Maria Ouazzani17, la
difficulté dans la relation aidant/aidé est de trouver la
meilleure distance qui permet de préserver le lien humain, le plaisir et
la convivialité, tout en respectant l'individualité de chacun. De
plus, ces salariées qui côtoient la fin de vie, peuvent
éventuellement être renvoyées à des souvenirs ou des
expériences difficiles avec des proches. Ainsi, la possibilité de
s'exprimer en réunion sur son quotidien professionnel est une
nécessité.
Cependant, sur les 6 AVS interrogées, il n'y en a que 2
qui se rendent aux réunions de manière assidue. Les 4 autres
témoignent de leurs difficultés d'y participer en raison de leur
état physique et/ou de leurs obligations familiales. En effet, la
présence aux réunions collectives n'étant pas obligatoires
dans toutes les structures, les auxiliaires de vie sociale
préfèrent prendre du temps pour faire une pause dans leur semaine
très chargée.
« Je vais en réunion quand je ne suis pas trop
fatiguée. [...] Pour l'instant je n'ai assisté qu'à une
seule réunion, et je reconnais que je ne vais pas toutes les
réunions, car je profite de ces journées sans interventions pour
me reposer. »
(AVS, 26 ans, APF)
« A vrai dire je n'y vais pas car je ne peux pas, le
travail est assez fatiguant les matinées ou après-midi que j'ai
de libre j'en profite pour mes loisirs. Et puis voilà tout le monde
n'est pas forcément disponible aussi pour la réunion. Donc c'est
un peu compliqué. »
(AVS, 24 ans, ADHAP)
16 Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la
face cachée d'un "eldorado" », L'Express, décembre
2013.
17 Ouazzani Maria, « Accompagner les aidants :
Interview de Mme Maria OUAZZANI, Psychologue Clinicienne, responsable du
Pôle d'Accompagnement Psychologique et Social de PSYA »,
Capgeris, 8 avril 2013.
21
« Mais sinon on a quand même des
réunions une fois par mois mais on parle des vacances ou de personnes
aux pathologies très dures. Moi j'ai assisté aux réunions
de novembre et décembre. Mais je n'y vais pas à toutes, je
profite dès que j'ai du temps libre pour moi et mon copain.
»
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Oui maintenant c'est régulier, on a des
réunions tous les un mois et demi. [...] Oui tout à fait, on
parle de nos difficultés, des nouvelles personnes. On a des personnes
très difficiles, qui ont des troubles mentaux donc si on ne peut pas
discuter ça devient vite ingérable. J'essaye d'assister à
toutes les réunions dans la mesure du possible. Il y'a des fois
où je préfère garder mon petit-fils.»
(AVS, 54 ans, CCAS de Lormont)
Par conséquent, face aux difficultés d'assister
aux réunions, une auxiliaire de vie sociale a fait le choix de consulter
de son côté un psychologue pour établir des horaires de
rendez-vous qui lui conviennent. Les 3 autres AVS ont fait part d'une
étonnante révélation : elles ont fait le choix de confier
certaines de leurs difficultés aux personnes âgées.
« Elles sont géniales certaines personnes
âgée, certaines elles veulent faire le psy. Ça fait du bien
de discuter de nos problèmes aussi avec elles. »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Mais même je me confie auprès d'autres
personnes âgées avec qui je m'entends super bien. »
(AVS, 26 ans, APF)
« Quand j'en ai râle le bol du boulot, je
râle au travail ça me fait du bien. Du coup avec une petite mamie
on râle ensemble tous les mercredis (rires) »
(AVS, 24 ans, ADHAP)
Dans cette perspective, la relation d'aidant/aidé se
transforme en une relation d'aide mutuelle. La personne âgée bien
que dépendante joue un rôle d'écoute et participe au
soutien moral de son auxiliaire de vie sociale.
22
C) « Un travail invisible »18
Le secteur de l'aide à domicile souffre d'un manque de
reconnaissance professionnelle permanent. 98% des salariées sont des
femmes19. La moyenne d'âge de celles employées par un
prestataire est de 43 ans.20 Leurs tâches sont bien souvent
qualifiées comme « ingrates », exercées
quasi-exclusivement par des femmes dans le cadre de l'espace domestique, les
résumant ainsi au seul rôle d'aide-ménagère (Bricka,
2017). En effet, sur les 6 auxiliaires de vie sociale interrogées, 4 se
plaignent de l'image négative de leur métier renvoyée
à l'unique rôle de femme d'entretien.
« Oui c'est plus le ménage, les gens ne voient
pas le côté ``je viens en aide'Ç c'est plus ``tu fais de la
bouffe et tu laves''. »
(AVS, 21 ans, APF)
« Mais comment ça se fait que tu veux faire ce
métier ? Il y a quand même mieux que du ménage !
»
(AVS, 24 ans, ADHAP)
« Ma grand-mère m'a dit : ``tu fais un sous
métier'' »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« On me dit : `` Ah mais tu fais ça ?
Ça veut dire il faut que tu laves les gens ? En fait tu es comme une
aide-ménagère qui fait des extras ?'' »
(AVS, 26 ans, APF)
Cette considération péjorative est
renforcée par la limitation des temps d'intervention qui conduit les
aides à domicile à ne répondre qu'aux besoins vitaux des
personnes âgées en limitant leur rôle social. Ce constat
s'illustre également à travers la photo prise du cahier de
liaison durant la journée d'observation de l'auxiliaire de vie
embauchée au CCAS de Lormont.
18 - Bonnet Magalie, « Le métier de
l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation »,
Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
19 Données issues du rapport de l'UNA (Union
Nationale de l'Aide,
des Soins et des Services aux Domiciles ) 2017 : «Aide
à domicile, des emplois pas que pour les femmes ! »
20 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.
23
L'analyse de ce tableau montre que l'intervention de
l'auxiliaire de vie sociale ne s'évalue que par des tâches
techniques : poussière, vaisselle, sols,... Dans cette perspective,
l'auxiliaire est considérée comme un robot ménager qui
doit cocher cette grille à la fin de chaque prestation. Pourtant, une
aide à domicile réalise bien plus que ces tâches
quadrillées ! Les auxiliaires de vie exercent un rôle social
très important dans le quotidien d'une personne dépendante. En
effet, elles développent de multiples compétences : elles
veillent à contribuer à la qualité de vie de la personne,
au développement ou au maintien de ses capacités à vivre
dans son domicile. Ainsi, elles permettent aux personnes âgées de
rester chez elles et de respecter leurs choix. De surcroît, elles luttent
contre le vieillissement solitaire. De nombreuses personnes âgées
sont victimes d'isolement. Le passage de l'aide à domicile est parfois
la seule visite dans la journée du bénéficiaire.
L'auxiliaire de vie sociale embauchée à l'ADHM (Aide à
Domicile du Haut Médoc) déclare : « Je me lève
tous les matins en me disant que j'ai plusieurs objectifs ! Surtout celui de
rendre les gens heureux ! Et surtout l'objectif de ne pas laisser seul des
gens, de ne pas les laisser sombrer dans la dépression ou la solitude !
». Par conséquent, rien qu'une discussion ou un sourire peut
changer le quotidien d'une personne dépendante. Il manque à ce
cahier de liaison toute une colonne nommée « relationnel ».
24
Par ailleurs, l'invisibilité du travail des aides
à domicile est favorisée par leur environnement professionnel.
Elles cheminent seules de foyer en foyer cachées de la scène
publique. Ainsi, cet isolement professionnel conduit à l'absence de
mobilisation. Dans le secteur de l'aide à domicile trop peu est le
nombre de salariées syndiquées. Toutes les contraintes
liées à l'organisation du travail constituent des obstacles
à des actions de militantisme. En effet, faire grève laisserait
dans une grande détresse les personnes dépendantes et s'engager
dans un syndicat signifierait y accorder du temps, du temps qu'elles n'ont pas.
Il faut préciser que le plus souvent les salariées du secteur de
l'aide à domicile sont déjà des
femmes dans des situations fragiles économiquement et
socialement. « Pôle emploi ou les
Maisons de l'emploi continuent d'y orienter les
chômeuses peu qualifiées »21. 44 %
ne disposent
d'aucun diplôme et 14,5 % des aides à domiciles sont
nées à l'étranger22 (cette part est
surreprésentée pour les salariés du
secteur). Ce profil sociologique des aides à domiciles s'illustre
également à travers l'échantillon d'enquêtées
: 3 auxiliaires de vie sociale sur 6 ne sont titulaires d'aucun diplôme
et 1 AVS sur 6 est étrangère. Par conséquent, la
précarité de ces femmes joue un rôle important dans
l'invisibilité de leur métier.
Enfin, les droits des aides à domicile sont garantis
par la convention collective de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des
soins et des services à domicile entrée en vigueur depuis le
1er janvier 2012. Cependant, les conditions de travail se
dégradant continuellement conduisent à négliger le respect
de certains de leurs droits. Par exemple, depuis mars 2020, le début du
confinement pour lutter contre la pandémie du Covid-19, de multiples
cris d'alarme se sont fait retentir dans les médias. Les aides à
domicile sont dans l'obligation de continuer le travail pour contribuer au
bien-être de la personne âgée, mais elles ne sont pas toutes
protégées contre les infections. Elles ont très peu de
masques et de gants. Elles passent de personne âgée en personne
âgée au risque de se faire contaminer ou de les contaminer. Les
aides à domiciles travaillent avec un public fragile et
vulnérable au même titre que le personnel soignant. Par
conséquent, elles se sentent encore une fois isolées et
considérées comme « la dernière roue de la
charrette »23.
21 Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la
face cachée d'un "eldorado" », L'Express, décembre
2013.
22 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi » aout 2018.
23 Jérôme Béatrice, « La
grande détresse des auxiliaires de vie face à
l'épidémie causée par le coronavirus », Le
Monde, 20 mars 2020.
25
PARTIE III : PÉNURIE DE SALARIÉES DANS
LE
SECTEUR DE L'AIDE A DOMICILE
A) Un recrutement à la va-vite
Le travail précaire et le manque de reconnaissance
professionnel des salariées rendent le secteur de l'aide à
domicile peu attractif. Les centres de formation ont des difficultés
à attirer les jeunes. Depuis 2002, le diplôme d'État
d'auxiliaire de vie sociale (DEAVS) est créé, il est accessible
dans plusieurs établissements de formation notamment dans les instituts
régionaux des travailleurs sociaux (IRTS). En 2016, ce diplôme est
remplacé par le diplôme d'Etat d'accompagnement éducatif et
social (DEAES). Ce changement a pour objectif de rassembler trois professions :
auxiliaire de vie sociale, aide médico-psychologique(AMP), et englober
la profession d'Auxiliaire de Vie Scolaire. Ce rassemblement de formations
permet aux titulaires de ce diplôme « d'attester des
compétences requises pour exercer des activités visant à
accompagner les personnes au quotidien, que ce soit à domicile, en
structure ou dans le milieu scolaire »24. Par
conséquent, selon l'économiste François-Xavier Devetter,
« les jeunes issus de ces formations initiales ou en alternance vont
plus volontiers vers les métiers de la petite enfance ou le travail en
structure d'hébergement »25. En effet, travailler
dans un établissement (Centre médico psychopédagogique
CMPP, crèche, école,...) permet d'avoir des horaires plus stables
et de limiter les déplacements. De plus, il faut préciser que les
auxiliaires de vie sociales diplômées dans le secteur de l'aide
à domicile ont un salaire légèrement supérieur aux
autres salariées. Ainsi, certains conseils départementaux
recommandent aux organismes d'aide à la personne de ne pas avoir plus de
30 % du personnel qualifiés (Trabut, 2014).
Dans cette perspective, il y a l'idée que
l'accompagnement des personnes âgées n'exige pas de formations
spécifiques. « On propose toujours à des personnes sans
qualification, fragiles, d'occuper cette même fonction, assimilée
alors à un «petit boulot» »26.Ce constat
alarmant a d'importantes répercussions dans les prestations
réalisées auprès des personnes dépendantes. Les
structures d'aides à domicile en recherche permanente et urgentes de
personnel, sont prêtes
24 «AMP, AVS DEAES : quelles différences ?
», ADRAR Formation, Web. 15 avril 2020.
25 Langlois Géraldine, « L'aide à
domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé
Social, 29 janvier 2019.
26 Bonnet Magalie, « Le métier de
l'aide à domicile : travail invisible et professionnalisation »,
Nouvelle revue de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
26
à embaucher régulièrement des individus
sans aucune expérience et sans aucun intérêt particulier
pour travailler auprès d'un public âgé. Durant cette
enquête, 3 personnes âgées sur 5 ont témoigné
de situations dramatiques pendant leur prise en charge à domicile.
« Y'a des cas, on peut recevoir n'importe qui. L'APF
nous trouve n'importe qui. Avant de trouver des auxiliaires de vie
compétentes. Y'a eu des cas avant. [...] Elles sont gentilles, mais bon
il y en a qui arrivait ivres (rires). »
(Personne âgée, 72 ans, bénéficiaire
de l'APF)
« Ah oui ! Y'en a une qui a essayé de me taper
et elle mangeait dans mon frigo ! Je pense que l'association embauche n'importe
qui. Je me le demande bien. Mon mari l'a vue se servir ! »
(Personne âgée, 70 ans, bénéficiaire
de l'APF)
« Non c'est parce qu'elle ne rangeait pas bien les
affaires. Comme je n'étais pas très très bien. Je pouvais
pas surveiller. Alors, elles ne faisaient pas le ménage. Elles fumaient
et buvaient mes jus de fruit. Oui des choses comme ça. Jusqu'à
que mes enfants rouspettent. Et voilà, elles ne devaient plus venir
celles-là. Et là avec celles que j'ai tout va bien. Ca c'est bien
mis en place.[...] Elles arrivaient les casseroles étaient encore dans
levier. Ou tout un tas de choses comme ça. Le linge n'était pas
accroché. »
(Personne âgée, 77ans, bénéficiaire
de l'ADHM)
Outre ces situations d'une extrême gravité, le
manque de formation des aides à domiciles engendre de nombreux risques
dans la prise en charge des bénéficiaires. Avec le vieillissement
de la population et la mise en place de différentes allocations pour
l'autonomie, les missions des auxiliaires de vie sociales se sont
complexifiées. Les salariées peuvent avoir à s'occuper
d'un public avec de lourdes pathologies (Parkinson, Alzheimer...) et des
handicaps (paralysie) qui demandent des compétences
particulières. Aujourd'hui, la vision du secteur de l'aide à
domicile ne peut plus partir « du principe qu'il n'est nul besoin
d'avoir des compétences spécifiques pour exercer ces
activités »27. En effet, le manque de formation est
à l'origine de multiples accidents au travail. Les 3
auxiliaires de vie sociales interrogées sur 6 n'étant titulaires
d'aucun diplôme et ayant une légère expérience
auprès des personnes âgées avant d'exercer, ont chacune
raconté une situation où leur manque de savoir a eu un impact
dans leur travail.
27 André, Lætitia. «
Évolution des métiers du prendre soin à domicile : enjeux
professionnels ? enjeux de société ? »,
Gérontologie et société, vol. vol. 35 / 142, no.
3, 2012, pp. 157-167.
27
« AVS .
· Elle était
tétraplégique. Donc la deuxième fois, elle veut uriner, je
lui mets son urinoir. Ce que je n'avais jamais mis avant. Et c'était pas
du tout facile à mettre. La dame ne m'expliquait pas du tout comment le
mettre. Elle été agacée. Pourtant je lui avais averti que
c'était la première fois que je faisais ça. Donc c'est son
compagnon qui a dû m'expliquer.
Question .
· Ah oui donc dans cette situation
c'est ton manque d'expérience qui a fait une grosse histoire.
AVS .
· Complètement, mon manque
d'expérience a fait que pour beaucoup d'actes à réaliser
j'étais perdue. »
(AVS, 26 ans, APF)
« Ah beh moi elle a failli tomber, en plus je me suis
fait mal au dos et tout. On m'a dit vous la levez et vous la tournez. Mais
comme j'ai pas été formé sûrement aux bons gestes et
aux bonnes techniques. J'ai d'importantes douleurs au dos à 22ans. C'est
fou. J'ai des douleurs aux dos toujours pendant les transferts. »
(AVS, 23 ans, ADHM)
« Oui oui, c'est arrivé. Il y a un mois, on
m'a contacté pour intervenir chez une personne qui était à
Pessac. C'est une personne qui est sourde, qui est tétraplégique.
Donc, il fallait la soulever. Et c'est un homme ! Un homme qui ne parle pas,
qui ne comprends pas ce que tu dis et en plus de ça... il y avait sa
mère qui était à côté de lui, sachant que
c'est un homme qui à la soixantaine. [...] Je leurs ai dit .
·
c'est pas possible ! C'est pas possible ! et en plus il fallait que je fasse
encore une fois la toilette au monsieur. En plus ça peut être
très dangereux très dangereux de soulever à moi toute
seule une personne de la cinquantaine, un monsieur, sans que je connaisse la
méthode appropriée. »
(AVS, 21 ans, APF)
Ainsi, ces témoignages montrent combien le manque de
formation a un impact négatif sur la qualité de l'accompagnement
de la personne dépendante. En effet, il engendre de nombreux risques
d'accident pour l'employée (épuisement professionnel, troubles
musculo-squelettiques) et pour l'usager (risque de chute). Le secteur de l'aide
à domicile est le secteur qui connaît un nombre impressionnant
d'arrêts maladie et de salariées qui partent en raison
d'incapacités permanentes de travail (Trabut, 2014). Le métier
est difficile, les organismes de l'aide à la personne sont en
pénurie de personnel et n'arrivent plus à répondre
à la demande du nombre de personnes dépendantes croissant.
28
B)Stratégies mises en place par les personnes
dépendantes pour pallier à l'insuffisance des services à
domicile
En 2015, selon les premiers résultats de
l'enquête « Care » de la Dress28, on comptait entre
0,4 et 1,5 million de personnes âgées de 60 ans ou plus
dépendantes au sens du groupe iso-ressources (GIR) vivant à
domicile. Ces chiffres ne vont pas cesser de croître car d'après
l'Insee, les seniors en perte de capacités vont augmenter de plus de 60
% en 2050 par rapport au recensement de 2015 (qui comptait déjà
2.5 millions de personnes dépendantes). De plus, cette hausse du nombre
de personnes dépendantes vivant à domicile s'explique par le
souhait majoritaire des personnes âgées à vouloir vieillir
« chez elles ». Elles désirent rester dans leur propre
environnement loin des maisons de retraites claquemurées aux prix
onéreux. En effet, le prix en EHPAD29 est un frein au
départ de son domicile : l'hébergement journalier peut varier
entre 45 € et 150 € par jour30. « Seule une
minorité privilégiée peut s'offrir une prise en charge en
établissement »31. Sur les 5 personnes
dépendantes interrogées tout au long de l'enquête, une
seule envisage sa fin de vie en maison de retraite.
Quand on parle de personne âgée «
dépendante », il faut connaître la signification de ce terme.
Celui-ci est un adjectif qualificatif pour désigner les personnes
âgées atteintes d'incapacité dans les actes essentiels de
la vie quotidienne et ayant besoin de l'action d'une tierce personne pour les
réaliser (Ennuyer, 2013). En 2017, il y a 2.8 millions d'aidants
familiaux qui apportent un soutien quotidien à une personne
âgée vivant à domicile32. L'aidant familial est
le plus souvent un proche de la personne dépendante dont il s'occupe
régulièrement. Quand son statut est déclaré
celui-ci peut bénéficier d'une allocation financière des
conseils départementaux ou des maisons départementales des
personnes handicapées (MDPH) en complément de son salaire. Il a
également droit à une baisse de l'impôt sur le revenu et un
droit au répit. Ce dernier s'exprime par la possibilité de placer
leur proche temporairement dans un établissement d'accueil
spécialisé. De plus, l'aidant familial peut interrompre son
activité professionnelle pendant 3 mois notamment pour accompagner la
fin de vie de la personne dépendante. Cependant, ce congé n'est
pas rémunéré par l'employeur et non indemnisé par
la
28 DREES - Premiers résultats de
l'enquête « Care » : « Les personnes âgées
dépendantes vivant à domicile en 2015 », Septembre 2017,
numéro 1029.
29 Etablissement Hospitalier pour Personnes
Agées Dépendantes
30 Masson Chantale, « Combien coute un
séjour en maison de retraite ? », Le Figaro, Février
2017.
31 Bricka Blandine, Un métier (presque)
ordinaire: Paroles d'aides à domicile, Les Editions de l'Atelier/
Edition ouvrières, Ivry-Sur-Seine, 2017.
32 Rapport du ministère de la Santé et
des Solidarités 2018 : « Personnes âgées : les
chiffres clés »
29
Sécurité sociale. Ainsi, le gouvernement a
lancé depuis octobre 2019, la stratégie de mobilisation et de
soutien en faveur des aidants. Cette stratégie a pour projet
d'améliorer la reconnaissance du statut d'aidant-familial et de
valoriser leurs droits. Ces différentes réformes doivent
être appliquées durant l'année 2020.
Dans le cadre de cette enquête, 3 personnes
âgées sur 5 ont recours au soutien d'aidant(s) informel(s) issu(s)
de l'entourage. Cet aidant peut-être un enfant, un voisin ou un proche de
la famille qui apporte une aide ponctuelle ou régulière en
complément des services à domicile. Lorsque les auxiliaires de
vie sociale s'absentent ou que l'association manque de personnel pour
intervenir chez la personne âgée, cette dernière mobilise
les aides de son entourage autant qu'elle le peut :
« Mais il y'a eu une période où je n'ai
eu personne ! Aucune aide à domicile ! [...] Mais j'ai eu un coup de
chance à chaque fois, grâce à la famille que j'ai à
côté. [...]. Si je suis en état de détresse ils
arrivent. »
(Personne âgée, 72 ans, APF)
« Mon auxiliaire est partie en arrêt maladie.
Je suis restée tous les mercredis de la semaine pendant 3 semaines sans
intervention. Heureusement, j'ai ma fille qui habite à Pessac qui passe
souvent me voir. [...] J'ai des petits voisins très gentils aussi qui me
rendent des petits services. On va me chercher le courrier ou on me sort les
poubelles. »
(Personne âgée, 77 ans, ADHM)
« Mon fils me fait les courses quand les auxiliaires ne
viennent pas. »
(Personne âgée, 87 ans, CCAS Lormont)
Cependant, toutes les personnes âgées n'ont pas
la chance d'avoir une aide régulière de leur entourage familial.
Le chômage et la division du travail contribuent à
l'éloignement familial. Les enfants sont parfois dans l'obligation de
changer de région afin de trouver un emploi. Ces
phénomènes sont des facteurs qui accentuent l'isolement des
personnes âgées. Ainsi pour les deux personnes dépendantes
interrogées n'ayant pas la possibilité de recourir à des
aides de l'entourage, elles se retrouvent dans des situations plus que
préoccupantes en l'absence de leurs aides à domicile. Elles
essayent de mettre en place des stratégies de « commodités
» pour répondre à leurs besoins vitaux tout en prenant des
risques au sein de leur domicile.
30
Dans le premier cas, la dame est hémiplégique,
elle s'est retrouvée à multiples reprises sans auxiliaires de vie
sociale. Elle raconte :
« Je me débrouille toute seule. Je fais ce que
je peux. [...] Oui c'est très risqué pour moi. Quand
j'étends le linge je me lève du fauteuil pour mettre les couettes
sur la porte. Plusieurs fois j'ai cru j'allais me foutre par terre. Et
ça m'épuise, ça me tire dans les bras après je vous
dis pas. Mais bon, je vais pas laisser le linge mouillé dans la machine
! »
(Personne âgée, 70 ans, APF)
Dans le deuxième cas, la personne âgée a
subi plusieurs opérations (la hanche, le poignet, et la clavicule) lui
entrainant d'importantes douleurs articulaires. Elle vit avec son mari qui ne
peut plus marcher. Ainsi, en l'absence d'AVS, la femme témoigne :
« Enfin c'est difficile, ils (CCAS) ne m'ont pas
encore remis toutes mes heures. Apparemment, y'a des malades, des auxiliaires
de vie en congé,.... [...]PA : Oui soi-disant qu'elles (les auxiliaires
de vie) vont revenir. Cette semaine je ne les ai pas encore eues. . Ça
fait deux mois que le ménage n'a pas été fait ici à
fond. Fin vous voyez c'est moi qui est dû donner un petit coup de ballet
comme ça ce matin. Et puis je prends des plats tout prêts que je
mets au micro-onde.
IL : D'accord vous essayer de vous débrouillez
malgré tout ?
PA : Oui voilà, j'essaye avec mes douleurs.
»
(Personne âgée, 80 ans, CCAS Mérignac)
Par conséquent, lorsqu'une personne âgée
en perte d'autonomie vivant à domicile se retrouve isolée de
toutes aides, cela peut entraîner des risques majeurs d'accident et une
dégradation précipité de son état de santé.
Par ailleurs, il faut préciser que l'isolement des personnes
âgées est davantage constaté en zone rurale en raison d'une
désertification accrue des services d'accompagnement dans certains
départements. En effet, Adessadomicile et l'Union National de l'Aide et
des Services à Domicile (UNA) signalent que « l'offre
d'accompagnement est « inéquitable » selon les territoires
»33. Ce déficit de main d'oeuvre est
extrêmement préjudiciable pour les personnes
âgées.
33 « Crise des services à domicile », Le
figaro, 14 mars 2017.
31
PARTIE IV : LE RÉCIT D'UNE JOURNÉE
ORDINAIRE
Cette enquête a pour objectif d'étudier
l'organisation du travail des auxiliaires de vie social et de
révéler ses impacts sur la qualité de l'accompagnement
social des personnes âgées à domicile. Par
conséquent, le souhait d'insérer ce récit d'observation
nous permet de nous immiscer dans le quotidien d'une AVS et de constater les
multiples problématiques développées ci-dessus. J'ai donc
suivi le jeudi 12 mars 2020 de 8h à 20h une auxiliaire de vie sociale
dans ses interventions auprès de 7 bénéficiaires. L'AVS
est employée en contrat à durée indéterminée
au Centre Communal de l'Action Social (CCAS) de Lormont. Elle travaille depuis
7 ans pour cet organisme. Elle est française d'origine malgache et elle
est âgée de la cinquantaine. C'est une mère de deux enfants
dans l'enseignement supérieur. Elle possède un véhicule
pour cheminer de domicile en domicile, cependant quand elle est certaine
qu'elle n'a pas de courses ou de sorties à effectuer avec la personne
âgée, elle préfère prendre son vélo
électrique. L'usage de ce vélo lui évite de chercher des
places pour se garer dans la ville de Lormont.
Jeudi 12 Mars 2020: Interventions chez 7
bénéficiaires
8h : Le début de la journée
commence chez un homme âgé de 75 ans. Nous nous sommes mises
d'accord avec l'auxiliaire pour prendre mon propre véhicule afin que je
puisse me rendre compte de l'essence utilisée et de la difficulté
de se garer dans la ville de Lormont. Ainsi, nous nous sommes retrouvées
devant le domicile du bénéficiaire. Je vois déjà
que la professionnelle semble fatiguée, elle a des cernes creusés
mais garde un grand sourire. Elle me raconte qu'en ce moment elle ne fait que
de grosses journées et qu'elle aurait besoin de davantage de sommeil.
Après cette courte discussion, l'auxiliaire sonne au domicile. Un vieil
homme nous ouvre la porte. C'était une maison très insalubre,
très obscure avec une odeur très forte que je ne pourrais
décrire. Dès notre arrivée, l'homme nous salue, je lui
explique ma présence dans son domicile mais il n'avait pas l'air de
comprendre. L'auxiliaire de vie me rappelle que ce monsieur présente
plusieurs déficiences cognitives. Le monsieur part s'assoir sur son
fauteuil, et le travail commence... La professionnelle a une application
téléphonique du CCAS, elle pointe son heure d'arrivée en
scannant un badge collé sur le cahier de liaison. Ensuite, elle lit
attentivement les derniers actes et tâches que ses collègues ont
inscrits afin de se tenir au courant du déroulement des interventions
chez le monsieur. Sur ce cahier, il peut y avoir quelques consignes importantes
comme des allergies alimentaires que le bénéficiaire pourrait
présenter ou diverses recommandations. L'auxiliaire n'a que trente
minutes pour que le monsieur puisse prendre son petit-déjeuner. Elle
doit préparer à manger et le temps que ça chauffe, elle
doit « passer un
32
coup » sur l'évier et la table. Tout en menant ses
tâches, elle tente de discuter avec le monsieur à savoir s'il a
bien dormi, s'il souhaite quelque chose en particulier pour son petit
déjeuner,... L'auxiliaire de vie me précise que pour elle, faire
de la conversation avec les bénéficiaires est essentiel, cela lui
permet premièrement de mieux connaître les besoins de la personne
et deuxièmement, le fait de discuter lui permet de passer une
journée de travail plus distrayante et rapide. Pendant qu'elle
confectionne le petit déjeuner, je regarde l'état de la maison,
tout en relisant le cahier de liaison. J'ai tout de suite été
surprise par d'énormes insectes qui circulaient sur les meubles en bois.
J'appelle l'auxiliaire, elle m'avertit que ce sont des blattes (une
espèce de cafard). Elle me confie que c'est pour cela que les gants et
une blouse sont indispensables pour travailler chez certaines personnes qui
perdent la tête et en oublient l'hygiène total de la maison. Pour
elle, cette situation ne l'effraie pas, par contre certaines de ses
collègues ont déjà refusé d'intervenir chez le
monsieur.
8h30 : La demi- heure est passée
tellement vite. A peine le temps que le bénéficiaire ait fini de
manger qu'il faut déjà se préparer pour repartir !
L'auxiliaire pointe à nouveau par le biais de son application. Nous
n'avons que 15 minutes pour arriver chez l'autre usager. L'auxiliaire me
rassure en me précisant que le prochain domicile n'est pas très
éloigné de celui-ci. Pour éviter de chercher à
nouveau une place, elle me conseille de nous y rendre à pied. La
professionnelle marque sur le cahier ce qu'elle a réalisé ce
matin chez le monsieur. Il est 8h35, l'heure tourne, nous souhaitons une bonne
journée au vieil homme et quittons sa maison.
8h 45 : Nous sommes arrivées en bas de
l'immeuble de la seconde bénéficiaire. L'auxiliaire de vie sonne
à l'interphone, la porte s'ouvre, nous montons 5 étages. Il n'y a
pas d'ascenseur, j'ai trouvé cela très étonnant et
malheureux pour les personnes âgées qui doivent vivre aux
étages supérieurs de cet immeuble. Comment peuvent-elles
descendre de chez elle ? J'allais le savoir rapidement en questionnant la dame
chez qui on se rendait. L'auxiliaire me précise que c'est une dame de 75
ans qui a subi 15 opérations, elle ne peut pas lever aisément ses
bras ni ses jambes. On arrive enfin au bout de ces cinq étages ! On
toque à nouveau à la porte, une charmante petite dame nous ouvre,
beaucoup plus bavarde que le monsieur précédent. Elle
était ravie de ma présence et semblait s'entendre à
merveille avec l'auxiliaire. La petite dame me dit que cela fait plus deux ans
que l'auxiliaire de vie vient chez elle et qu'elle aime beaucoup sa
façon de travailler. On s'assoit donc toutes les trois dans sa salle
à manger, la petite dame nous invite à prendre le café.
L'auxiliaire de vie me raconte qu'elle prend régulièrement le
café chez elle pour discuter et bien se réveiller pour la suite
de la journée. Pendant que la vieille dame nous prépare comme
elle peut son café (très lentement du fait de ses douleurs aux
bras). La
33
professionnelle pointe son heure d'arrivée avec son
portable et insiste sur le fait de ne pas aider la dame à
préparer le café. Je lui demande alors la raison. L'auxiliaire de
vie me dit que son métier a pour but d'assister mais également
d'accompagner la personne âgée pour préserver un minimum
d'autonomie. Après avoir pris le café, la professionnelle met
à nouveau sa blouse et ses gants. Elle lit le cahier de liaison et
remarque que le salon n'a pas été
dépoussiéré depuis longtemps. Elle sait où prendre
l'aspirateur et les différents produits. Elle intervient chez la petite
dame tous les jeudis matin pendant deux heures. Je constate que la
professionnelle connait très bien l'appartement. Elle me dit qu'à
force on y prend ses repères et ses habitudes. La petite dame continue
toujours de papoter avec nous pendant que l'auxiliaire range le domicilie. Elle
semble très enjouée de nous raconter la vie de ses
petits-enfants, de ce qu'elle a regardé hier à la
télévision,... Ensuite, elle décide de me montrer avec
grande fierté toutes les pièces de son bel appartement. Elle aime
avoir une hygiène irréprochable, cela pouvait être
confirmé par sa manière de se coiffer et de s'habiller. La petite
dame était très soignée. Après la visite de
l'appartement, je lui demande tout de même comment elle fait pour sortir
à l'extérieur de chez elle. Elle me dit que le fait d'habiter au
cinquième étage ne lui permet pas de sortir. Ce sont les
auxiliaires et sa famille qui lui font les courses. Elle m'annonce que cela
fait bientôt 2 ans qu'elle n'est pas sortie. L'auxiliaire de vie
intervient alors dans la conversation, en disant qu'elle a déjà
envoyé un courrier au propriétaire de cet immeuble avec les
différentes signatures des personnes âgées bloquées
aux étages supérieurs ! Cependant l'immeuble ne cesse de changer
de propriétaires. Les courriers et pétitions restent
malheureusement sans réponse. J'ai pu ainsi constater que l'auxiliaire
de vie n'intervient pas seulement pour l'entretien du domicile et pour faire la
conversation. Elle accompagne les bénéficiaires dans leurs
démarches administratives. Après les deux heures de ménage
terminées et mes discussions avec la vieille dame, l'auxiliaire part se
laver à chaque fin d'intervention même si elle porte des gants.
Dans cette période de pandémie, les « gestes barrière
» sont à répéter plusieurs fois. La professionnelle
inscrit les tâches effectuées chez la bénéficiaire
et bippe à nouveau avec son application. On part de chez la dame un peu
après 10h45 car nous avons toutes les trois beaucoup
plaisanté.
Passage au bureau : Après avoir
quitté le logement de la petite dame, l'auxiliaire de vie sociale
m'avertit qu'il lui faut à tout prix de nouveaux gants et qu'elle doit
poser un jour de congé le mois prochain. Ainsi on part en direction du
CCAS. Je lui demande alors si nous ne risquons pas d'arriver en retard pour la
prochaine intervention. Elle me répond qu'il est fort probable que nous
prenions du retard mais qu'elle ne veut pas se rendre au bureau en dehors de
ses
34
horaires de travail ! Ses journées se terminent tard,
elle ne peut pas faire autrement. Ainsi, après 10 minutes de marche
à pied on arrive aux bureaux. Je laisse l'auxiliaire de vie parler avec
ses responsables, je me mets cependant à la porte pour essayer
d'écouter. Je constate que les conversations sont très froides et
tendues. L'auxiliaire de vie fait de nombreux reproches aux responsables de
secteur par rapport à son planning. Elle demande également des
gants, la responsable lui demande combien elle souhaite en avoir. Elle lui
répond sèchement « Autant de gants pour m'occuper de tous
les bénéficiaires ! ». L'auxiliaire sort du bureau
agacée et m'explique qu'il ne faut pas se laisser faire. Pour elle, ces
« femmes » sont derrière leur bureau et ne connaissent pas les
conditions véritables des employées. En constatant
l'énervement de l'auxiliaire, j'ai décidé de changer
volontairement de sujet afin de calmer l'atmosphère. Je lui demande
alors quels sont nos prochains bénéficiaires. Elle m'explique que
nous allons arriver avec 15 minutes de retard chez un vieux couple de
réfugiés syriens. Ainsi, on part chercher mon véhicule
pour se mettre à nouveau en route.
11h 45 : On arrive enfin devant la maison du
couple. Effectivement, nous avons 15 minutes de retard, trouver une place
n'était pas du tout évident ! Le fils du couple syrien nous ouvre
la porte et nous demande la raison pour laquelle on est en retard. Puis il nous
dit que c'est une blague, que l'importance c'est que l'auxiliaire de vie soit
là. Je n'ai pas eu le temps de me présenter que le fils
était déjà parti de la maison. Nous entrons donc dans le
salon avec des chaussons en papier. La famille syrienne tient à ce que
les personnes ne marchent pas dans la maison avec les chaussures. L'auxiliaire
de vie avait pensé à ma venue, elle m'avait préparé
une paire. Elle me dit que c'est important de respecter les habitudes des
bénéficiaires. Ensuite, elle pointe le cahier de liaison avec le
badge accolé, et je fais la connaissance du couple syrien. La femme a la
sclérose en plaques et l'homme a des problèmes aux reins. Les
deux étaient déjà malades en Syrie, mais la prise en
charge de leurs pathologies a été quasiment inexistante dans leur
Etat en guerre. Pendant que le couple me raconte avec beaucoup
d'émotions leurs histoires, l'auxiliaire de vie fait la vaisselle, leur
prépare les plateaux repas et vide les pots de chambres. L'intervention
dure 30 minutes, la professionnelle se dépêche, nous sommes
déjà en retard pour la prochaine intervention. On repart chercher
la voiture, cette fois-ci nous avons quasiment 10 minutes de route.
12h30 : Après avoir tourné en
rond quelques minutes, nous n'avons toujours pas trouvé de place dans
Lormont centre. Par conséquent, je propose à l'auxiliaire de vie
de la déposer chez la prochaine personne et que pendant ce temps je pars
chercher à nouveau une place. Cette proposition fut acceptée.
J'ai cherché une place pendant 5 minutes encore. J'ai eu la chance
35
qu'un jeune homme quitte sa place à deux rues du
domicile. Après être arrivée devant la porte de la maison,
je sonne et l'auxiliaire m'ouvre. J'entre alors dans une maison propre mais
très mal rangée. Je fais la connaissance d'une dame
âgée de 86 ans atteinte d'Alzheimer. J'ai à peine eu le
temps de me présenter qu'elle voulait que je mange avec elle. Cela m'a
fait sourire, elle devait me prendre pour quelqu'un d'autre. J'ai
décliné gentiment son invitation en lui demandant ce qu'elle
souhaitait manger ce midi. L'auxiliaire de vie me demande de vérifier
les dates de péremption dans le frigidaire. Je regarde attentivement et
lui donne les produits en dates courtes. Quant à la vieille dame, elle
semblait totalement désorientée. La professionnelle me dit de la
laisser dire ses « bêtises » et de la « rassurer »,
il ne faut surtout pas inquiéter une personne atteinte d'Alzheimer. J'ai
compris ainsi, qu'il fallait tout de même avoir une certaine
expérience pour s'occuper de ces personnes ayant cette pathologie, il y
a une attitude à adopter. La vieille dame malgré sa maladie
était d'une grande gentillesse et générosité.
L'auxiliaire de vie me dit qu'elle mange avec elle 2 fois par semaine (en
apportant sa propre alimentation). La vielle dame est ravie lorsque l'on
partage un repas avec elle. Même si la direction du CCAS interdit
formellement de manger avec les personnes âgées, l'auxiliaire de
vie déroge à la règle. Le fait de pouvoir manger chez
l'usager, lui permet d'avoir un peu plus de temps pour déjeuner sinon sa
pause serait seulement de 30 minutes. De mon côté, je suis partie
dans une boulangerie proche pour prendre un sandwich et envoyer quelques mails
le temps de la fin de leur repas. L'auxiliaire de vie me dit de revenir
à 13h45, de prendre mon temps.
13h45 : Je viens récupérer en
voiture la professionnelle. Cependant, la vieille dame atteinte de l'Alzheimer
a fait tomber plusieurs ustensiles de cuisine. L'auxiliaire de vie qui
était au bas de la porte repart l'aider. Par conséquent, j'allume
les warnings de ma voiture pour signaler aux autres conducteurs mon arrêt
de quelques minutes. La prochaine intervention est à 14h, il est 13h55
et l'auxiliaire de vie sort enfin de chez la dame. La professionnelle me donne
la prochaine adresse, et nous voilà à nouveau reparties. Elle me
signale qu'elle a eu changement de planning de dernière minute. Nous
n'allons pas chez la dame habituelle mais chez un couple d'espagnols. Le
changement s'opère par cette application téléphonique
qu'elle utilise à chaque fois pour pointer ses heures. Ainsi, je
constate qu'elle doit toujours être vigilante sur cette application.
14h 15 : Nous arrivons enfin au domicile du
couple espagnol avec 15 minutes de retard. On s'est garé sur un parking
à 200 mètres. On entre dans cet appartement grâce à
une boite à clefs sur le côté droit de la porte.
L'auxiliaire de vie connaît le code pour ouvrir la boîte et en
sortir les clefs. Nous entrons dans un grand logement. Un vieil homme assis
autour de la table regarde la télévision, nous salue rapidement
et nous dit d'aller voir sa femme dans la chambre. Par
36
conséquent, on s'exécute et on aperçoit
une dame âgée allongée sur un lit qui avait elle aussi la
télévision allumée. L'auxiliaire de vie avait
déjà travaillé trois ou quatre fois auparavant. Je me
présente auprès de la dame qui semblait assez agacée.
Pendant ce temps l'auxiliaire part pointer avec son téléphone et
lit le cahier de liaison. Elle décide de faire la salle de bain, les
sanitaires et l'aspirateur dans tout l'appartement en demandant l'accord de la
vieille personne. De mon côté, je demande à la dame si
c'est possible d'avoir un petit entretien avec elle pour connaître son
avis sur les prestations des auxiliaires de vie sociale chez elle. A ma grande
surprise, celle-ci accepte aussitôt malgré son air irrité.
Elle me fait part tout de suite de son mécontentement face aux retards
des auxiliaires de vie. Je constate qu'elle me fait cette confession dès
lors que la professionnelle est sortie de la pièce. Je lui demande alors
si cela un phénomène régulier. Elle me répond que
toutes les deux semaines les auxiliaires ne font pas leurs heures
complètes et que pourtant elle paye pour un nombre d'heures
précis. Je lui fais signe que je comprends son mécontentement
tout en lui expliquant notre petit incident chez la bénéficiaire
précédente qui a fait tomber ses ustensiles de cuisine. Je lui
explique que les interventions sont tellement rapprochées les unes des
autres que les auxiliaires de vie ne peuvent pas malheureusement être
toujours ponctuelles malgré leur bonne volonté. La vieille dame
m'explique que pour elle, c'est de l'argent qu'on lui vole. Afin d'apaiser le
climat, je pose à la vieille dame des questions sur sa propre vie, son
handicap, sa famille,... (cet entretien a été retranscrit pour
mes données qualitatives). Au fil des minutes, la dame âgée
commence à sourire et plaisanter avec moi, on parle de son pays
d'origine. Elle me parle en espagnol de temps en temps, j'essaye de comprendre
tant bien que mal. Nous avons beaucoup discuté, même l'auxiliaire
et le vieil homme se sont joints à nous. J'ai réalisé que
pour l'auxiliaire de vie, le fait de nous retrouver pour discuter un peau lui a
permis de faire une pause dans son ménage intensif. La professionnelle a
beaucoup de sueur sur son front. A la fin de l'intervention, je remercie la
dame espagnole de m'avoir accordé cet entretien. La réponse en
retour de la vieille dame m'a beaucoup touchée : « C'est moi qui
vous remercie, grâce à vous mon après-midi est
passée vite ! ». Quant à l'auxiliaire de vie, elle retire
ses gants et sa blouse, bippe à nouveau le badge et boit un peu d'eau
à l'évier de la cuisine. Elle note également sur le cahier
ce qu'elle a effectué chez le couple espagnol. C'est le même
rituel à chaque début et fin d'intervention ! Nous quittons les
bénéficiaires, la professionnelle remet les clefs du domicile
dans la boîte noire. On reprend ma voiture garée à 5
minutes. L'auxiliaire de vie m'indique que le prochain domicile n'est
qu'à 10 minutes en voiture. Je lui demande durant le trajet comment elle
se sent. Elle me répond en souriant qu'elle a chaud à cause du
ménage mais qu'elle ne se sent pas trop fatiguée pour le
moment.
37
16h 30 : Nous arrivons devant le domicile de
la personne âgée, par chance, nous avons trouvé une place
devant l'immeuble. Cependant, nous n'avons toujours pas réussi à
rattraper le retard accumulé au fil de la journée. Nous avons
encore dû monter 4 étages à pieds, l'ascenseur
n'étant pas en état de marche. On sonne alors toutes les deux
essoufflées à la porte de la bénéficiaire. Une
petite dame âgée très coquette nous ouvre avec un grand
sourire. Elle a souhaité faire la bise à l'auxiliaire de vie,
mais pendant les périodes d'épidémie les deux se sont
résolues à ne pas effectuer cette embrassade. Je salue à
mon tour la jolie petite dame en lui expliquant mon statut
d'étudiant-chercheur. Elle répond que ça lui fait toujours
plaisir de voir du monde. La petite dame nous accueille de manière
très chaleureuse, elle nous demande de nous assoir et de prendre un
café. L'appartement était d'une propreté
irréprochable, chaque meuble, chaque bibelot était soigneusement
dépoussiéré. Elle nous annonce qu'aujourd'hui, elle n'a
pas de ménage à demander à l'auxiliaire de vie mais
qu'elle aimerait qu'on s'installe toutes les trois pour discuter et pour
l'aider sur l'ordinateur. L'auxiliaire accepte et me chuchote à
l'oreille : « Yes pas de ménage ! ». La vieille dame me pose
des questions sur mes études, sur mon projet de recherche pendant que la
professionnelle pointe à nouveau son heure d'arrivée sur le badge
du cahier de liaison. Après être toutes les trois
installées autour de sa table avec nos boissons, la petite dame nous
demande des conseils pour faire son dossier CAF en ligne. Elle utilise depuis
peu son ordinateur dont elle est très fière et souhaiterait
davantage d'enseignement pour connaître son fonctionnement. Par
conséquent, elle s'empresse de mettre sur la table son ordinateur
portable, l'auxiliaire de vie sort ses lunettes de vue et les deux se mettent
attentivement sur le site de la CAF. J'observe que la vieille dame
écoute attentivement les instructions de l'auxiliaire, elle note tout
sur un calepin. Je constate alors que la professionnelle est très
présente pour la petite dame pour ses démarches administratives
et qu'en retour la petite dame accorde une confiance importante à
l'auxiliaire. En effet la professionnelle a accès à ses mots de
passe et ses différents codes (de la CAF, du Gaz, d'EDF, des
impôts,...).
Après avoir passé plus de 30 min sur
l'ordinateur, la petite dame retire le pc de la table et commence à nous
parler du livre qu'elle est en train d'écrire. Elle nous a parlé
un long moment, de l'amour qu'elle portait et portera toujours à son
fils défunt. Elle nous raconte qu'il est parti à 22 ans, et
qu'elle continue tous les soirs à faire des prières pour lui en
espérant qu'il les entende. Il y a beaucoup d'émotions dans sa
manière de nous parler. Ses yeux s'humidifient au fur et à mesure
qu'elle avance dans son récit. L'auxiliaire de vie et moi-même
écoutons avec beaucoup d'intérêt les histoires de sa vie.
Nous n'avons même pas vu l'heure passer, qu'il était
déjà 18h ! L'heure de pointer, l'heure de partir pour une autre
intervention. La vieille dame nous a énormément remerciées
de l'avoir écoutée et d'avoir pris le temps de discuter avec
elle.
38
Elle ajoute qu'elle ne voit pas beaucoup de monde, alors quand
elle peut, elle aime parler. Après cette intervention pleine
d'émotions, on quitte la petite dame, on remonte dans la voiture,... En
conduisant, je demande à l'auxiliaire si elle avait l'habitude de
discuter de longs moments pendant ses prestations chez les personnes
âgées. Elle me répond que cela arrive
régulièrement qu'un bénéficiaire ait le besoin de
discuter sur diverses sujets ou de se confier. Elle me précise que
certaines personnes âgées sont tellement isolées qu'elles
ne voient que les auxiliaires de vie dans leur quotidien.
18h10 : Nous sommes en train de sortir du
lotissement et la professionnelle m'avertit que l'on a environ 40 minutes de
pause. Par conséquent, elle me propose que l'on en profite pour aller au
supermarché faire quelques courses. L'auxiliaire rajoute qu'elle n'a pas
eu le temps de faire de grosses courses alimentaires cette semaine à
cause de son planning très chargé. On se gare donc au Carrefour
de Lormont, on prend un caddie et nous voilà parties pendant 30 minutes
à faire les courses ! Après avoir rangé les aliments dans
le coffre, on s'assoit 5 minutes dans la voiture. Elle me confie qu'elle
commence à sentir la fatigue de la journée mais qu'il lui reste
à faire souper un dernier monsieur. Mais malgré cette fatigue,
l'auxiliaire de vie garde toujours le sourire.
19h : Pour la dernière intervention,
nous sommes exactement à l'heure précise. L'auxiliaire de vie
avait calculé que le logement du dernier bénéficiaire
n'était pas très loin du carrefour. On descend de la voiture, on
passe un petit portillon pour sonner à la porte d'une maison en pierre.
On entend un bruit et la porte s'ouvre toute seule et doucement... J'observe
qu'en haut de la porte est mis en place un appareil permettant au monsieur
d'ouvrir la porte à distance. On attend que la porte s'ouvre
délicatement, et on retrouve un vieux monsieur en fauteuil roulant dans
sa salle à manger. Cet homme avait un ventre très volumineux et
beaucoup de grains de beauté sur la peau. L'auxiliaire de vie lui
signale ma présence et je m'avance vers lui pour à mon tour le
saluer. Le monsieur n'entendait pas très bien, j'ai
préféré simplifier les choses en lui disant que
j'étais une jeune fille en stage. Je pars ensuite rejoindre l'auxiliaire
de vie dans le sas d'entrée où elle pointe le badge sur le cahier
de liaison, et pour lui demander quelles sont les pathologies de ce vieux
monsieur. Elle me répond que ce vieil homme a fait un AVC il y a deux
ans, et que depuis il ne tient plus en équilibre et ne comprend pas
tout. Elle ajoute que le monsieur est toujours prêt à faire des
« blagues » et que je peux lui en faire moi aussi. Mais j'observe que
quelque chose l'intrigue dans la lecture du cahier. En effet, ses
collègues ont inscrit que le monsieur ne mange rien depuis mardi, qu'il
goute seulement et laissait l'assiette. Ce constat m'a tout de suite
étonnée face à ce vieil homme bien enrobé.
Cependant, ces remarques sont à
39
prendre très au sérieux. Je vois que
l'auxiliaire de vie fronce les sourcils et part rejoindre le monsieur dans la
salle à manger. Elle lui demande sur un ton alarmant pourquoi il ne veut
plus se nourrir ! Il répond en rigolant : « J'ai des
réserves ! ». L'auxiliaire de vie et moi-même n'avons pas pu
nous empêcher de sourire. La professionnelle lui rappelle qu'avec tous
les médicaments que le vieux monsieur prend, il risque d'avoir des maux
sévères à l'estomac. Je réalise alors que
l'auxiliaire de vie social a un véritable rôle préventif
pour les personnes âgées. Cette dernière connaît bien
ce monsieur, elle intervient tous les jeudis et vendredis chez lui depuis 6
mois. Elle part dans la cuisine lui confectionner un de ses repas favoris en
remettant sa blouse et de nouveaux gants. Après avoir mis les aliments
à chauffer, elle nettoie la cuisine, lave levier et met la table.
Ensuite, elle allume la télévision, part chercher le monsieur
pour l'installer à manger. Elle met les informations et demande si cela
ne dérange pas le vieil homme. Celui-ci, lui fait signe que non, il
ajoute qu'à la télévision : « Ils
répètent toujours les mêmes choses ! ». L'auxiliaire
de vie tente de le faire parler à multiples reprises. Quelques minutes
après, le repas est prêt. La professionnelle s'installe
près du monsieur, elle lui coupe les aliments et le fait manger. Le
monsieur a une mobilité très réduite des bras qui ne lui
permettent pas de tenir ses couverts. Je remarque que l'auxiliaire de vie prend
son temps, elle ne fait aucun geste brusque. Le monsieur goûte et
recommence à ne plus vouloir se nourrir. L'auxiliaire de vie ne perd pas
espoir et reste patiente. Au final, le vieil homme n'aura pris que quatre
bouchées supplémentaires mais pour l'auxiliaire de vie «
c'est déjà ça ! ». Après le repas, elle passe
le balai sous la table et fait la vaisselle. Il est déjà 20h, il
fait nuit noire dehors. L'auxiliaire de vie retire sa blouse et pointe pour la
dernière fois de la journée. Elle met de grands verres d'eau avec
de longues pailles à la disponibilité du monsieur, son neveu ne
va pas tarder à le mettre au lit. Nous quittons le monsieur en lui
souhaitant une bonne nuit.
20h05 : Nous reprenons la route cette fois-ci
en direction du logement de l'auxiliaire. Elle est épuisée et
elle me confie en riant qu'il lui tarde de se mettre au chaud devant la
télévision. De mon côté, j'admets n'avoir fait
qu'observer, discuter et conduit mais je commence aussi à ressentir la
fatigue. En arrivant devant la maison de l'auxiliaire, je l'aide à
débarrasser le coffre de ma voiture de ses courses. Enfin, je la quitte
en la remerciant infiniment pour cette journée très enrichissante
pour mon étude. Elle me répond toujours en souriant que ça
lui a fait plaisir que l'on s'intéresse à son métier
40
CONCLUSION
Le processus de rationalisation économique du secteur
de l'aide à domicile provoque une dégradation des conditions de
travail des aides à domicile. En effet, les salariées devant
répondre aux obligations des structures qui les emploient et aux besoins
des personnes âgées croissants « vivent un «conflit
de norme» douloureux entre travail réel et travail prescrit.
»34. Ces pressions contradictoires entrainent une
détérioration de l'état de santé des aides à
domiciles. Beaucoup de salariées n'arrivent plus à supporter
moralement et physiquement cette situation. Ainsi, sur les 6 auxiliaires de vie
sociale interrogées, 3 envisagent de changer de métier dans les
prochaines années à venir.
Par ailleurs, le manque de reconnaissance professionnelle de
ces salariées engendre une souffrance supplémentaire. Le fait de
recruter des femmes en situation de fragilité économique ou
sociale, qui sont le plus souvent sans aucun diplôme, renforce cette
image de travail refuge accessible à tous (Bonnet, 2006). Il y a
toujours cette idée qu'il suffit de savoir faire le ménage chez
soi pour le réaliser chez les autres. Or, l'accompagnement à
domicile des personnes âgées aux pathologies et/ou handicaps
parfois lourds et complexes ne peut plus se comprendre comme l'accomplissement
de vulgaires tâches domestiques.
Par conséquent, les mauvaises dispositions que
subissent les aides à domicile se répercutent sur la
qualité de la prise en charge de nos aînés. L'organisation
du travail du secteur de l'aide à domicile amène à
confronter deux publics en situation de fragilité. Tout au long de cette
enquête, nous avons pu relever dans plusieurs situations une forme de
solidarité qui se crée entre les personnes âgées et
les aides à domiciles pour faire face aux difficultés
organisationnelles. Cependant, le manque de personnel et le manque de formation
des auxiliaires de vie sociale peuvent engendrer également de nombreuses
relations conflictuelles. En effet, les personnes dépendantes, en plus
de leurs souffrances liées à leur(s) pathologie(s) ou
handicap(s), sont les premières touchées par les
évolutions structurelles, professionnelles et organisationnelles du
secteur de l'aide à la personne. Elles payent tous les mois des heures
d'interventions qui sont de plus en plus écourtées, rapides et
parfois même annulées. Par conséquent, la mauvaise
qualité de l'accompagnement social des personnes âgées
à domicile
34 Langlois Géraldine, « L'aide à
domicile en recherche d'attractivité », La Gazette Santé
Social, 29 janvier 2019.
41
peut jusqu'à même conduire à des cas
d'isolement laissant ainsi les bénéficiaires dans des situations
sanitaires préoccupantes.
Pourtant depuis une dizaine d'années, une hausse de
rapports alarmants sur la dépendance en France pointent ces multiples
problématiques. Des réformes ont été
appliquées, des lois pour l'autonomie ont été
votées et les aides attribuées aux personnes âgées
ont été augmentées. Cependant ces mesures, avec le
vieillissement de la population à grande vitesse, ne sont pas parvenues
à combler les lacunes du secteur de l'aide à la personne. Les
besoins liés à la dépendance explosent et les organismes
d'accompagnement à domicile « alertent sur la situation du
secteur pris entre le recul des financements publics, sa privatisation et sa
précarisation ». 35 En effet, un des plus grands
risques pour les années à venir est d'assister à une
privatisation globale du secteur de l'aide à domicile. En 2018,
déjà plus de 3 organismes prestataires sur 4 sont des entreprises
privées (micro-entrepreneurs inclus)36. Ce
phénomène a pour conséquence d'accroître les
inégalités sociales entre les personnes âgées, car
les prix des heures d'interventions sont plus onéreux que ceux des
associations et organismes publics. De plus, privatiser signifie faire de la
dépendance un véritable marché. C'est pourquoi, une
concurrence se dessine entre les entreprises privées amenant avec elle
des horaires de travail toujours plus flexibles pour « plaire aux clients
». Dans cette logique managériale, les conditions de travail des
aides à domiciles sont encore plus détériorées.
En dépit de ces constats, plusieurs pistes semblent
être envisagées par le gouvernement pour améliorer
l'accompagnement de nos ainés. La première est celle d'accorder
davantage de droits aux aidants familiaux. La seconde est le projet de loi
"Grand âge et autonomie" annoncé par la ministre de la
Santé en janvier 2020. Celui-ci sera présenté par le
gouvernement durant l'été 2020. Il est très fortement
attendu par les acteurs du secteur social et médico-social. Ce projet de
loi aurait pour but d'instaurer une nouvelle organisation du travail afin de
rendre plus attractifs les métiers du grand âge. De surcroit, il
permettrait la diminution du reste à charge pour les personnes
âgées les plus modestes et encouragerait la création d'un
cinquième risque de protection sociale pour financer la
dépendance. Selon l'ancienne ministre de la santé Agnès
Buzyn, « L'heure est venue de la grande prise de conscience
»37. En effet, pour le sociologue Loïc Trabut et pour
l'économiste François-Xavier Devetter au sujet du secteur de
35 Ducatteau Sylvie, « Les associations d'aide
à domicile évincées de la `sylver économie»
», L'Humanité, 6 juin 2017.
36 DARES - Rapport d'analyses : « Les
salariés des services à la personne : comment évoluent
leurs conditions de travail et d'emploi », aout 2018, numéro
038.
37 Dumas Primbault, Martin. Bayle-Iniguez, Anne.
« Dépendance, bientôt le cinquième risque? Les pistes
de réforme sur la table, une loi à l'automne ». Le
quotidien du médecin, 28 mars 2019.
l'accompagnement des personnes âgées à
domicile : « une révolution culturelle et organisationnelle est
indispensable »38.
42
38 Langlois Géraldine, « L'aide
à domicile en recherche d'attractivité », La Gazette
Santé Social, 29 janvier 2019.
43
BIBLIOGRAPHIE
Livres :
- Bovay C., Tabin, J.-P., Les nouveaux travailleurs,
Bénévolat, travail et avenir de la solidarité, Labor,
Fides, Genève 1988.
- Bricka Blandine, Un métier (presque) ordinaire:
Paroles d'aides à domicile, Les Editions de l'Atelier/ Edition
ouvrières, Ivry-Sur-Seine, 2017.
- Durkheim Emile, Les règles de la
méthode sociologique, Paris, PUF, [1895], 1986, p.137.
- Weber, Florence, Loïc Trabut, et Solène Billaud.
Le salaire de la confiance. L'aide à domicile aujourd'hui.
Éditions Rue d'Ulm, 2014
Articles scientifiques :
- André, Lætitia. « Évolution des
métiers du prendre soin à domicile : enjeux professionnels ?
enjeux de société ? », Gérontologie et
société, vol. vol. 35 / 142, no. 3, 2012, pp. 157-167.
-Arborio Anne-Marie. « L'observation
directe en sociologie : quelques réflexions méthodologiques
à propos de travaux de recherches sur le terrain hospitalier »,
Recherche en soins infirmiers, vol. 90, no. 3, 2007, pp. 26-34.
- Avril, Christelle. « Le travail des aides à
domicile pour personnes âgées : contraintes et savoir-faire
», Le Mouvement Social, vol. no 216, no. 3, 2006, pp.
87-99.
- Bonnet Magalie, « Le métier de l'aide à
domicile : travail invisible et professionnalisation », Nouvelle revue
de psychosociologie, vol. 1, no. 1, 2006, pp. 73-85.
- Chauvin, Sébastien, et Nicolas Jounin. « 7 -
L'observation directe », Serge Paugam éd., L'enquête
sociologique. Presses Universitaires de France, 2012, pp. 143-165.
- Ennuyer, Bernard. « Enjeux de sens et enjeux politiques
de la notion de dépendance », Gérontologie et
société, vol. vol. 36 / 145, no. 2, 2013, pp. 25-35.
- Trabut, Loïc. « Aides à domicile : la
formation améliore-t-elle l'emploi ? », Formation emploi,
vol. 127, no. 3, 2014, pp. 71-90.
Articles de presse :
- « Crise des services à domicile », Le
figaro, 14 mars 2017.
44
- Ducatteau Sylvie, « Les associations d'aide à
domicile évincées de la `sylver économie» »,
L'Humanité, 6 juin 2017.
- Dumas Primbault, Martin. Bayle-Iniguez, Anne. «
Dépendance, bientôt le cinquième risque? Les pistes de
réforme sur la table, une loi à l'automne ». Le
quotidien du médecin, 28 mars 2019.
- Eychenne, Alexia. « Aide à domicile: la face
cachée d'un "eldorado" », L'Express, 5 décembre
2013.
- Jérôme Béatrice, « La grande
détresse des auxiliaires de vie face à l'épidémie
causée par le coronavirus », Le Monde, 20 mars 2020.
- Langlois Géraldine, « L'aide à domicile
en recherche d'attractivité », La Gazette Santé
Social, 29 janvier 2019.
- « Les aides à domicile se sentent
espionnées », Actu, 17 mars 2013.
- Ouzzani, Maria. « Accompagner les aidants : Interview
de Mme Maria OUAZZANI, Psychologue Clinicienne, responsable du Pôle
d'Accompagnement Psychologique et Social de PSYA », Capgeris, 8
avril 2013.
Rapports :
- DARES - Portraits statistiques des
métiers 1982 - 2014 : « T2A : Aides à domicile et aides
ménagères ».
- DARES - Rapport d'analyses : « Les salariés des
services à la personne : comment évoluent leurs conditions de
travail et d'emploi », aout 2018, numéro 038.
- DREES - Premiers résultats de l'enquête «
Care » : « Les personnes âgées dépendantes vivant
à domicile en 2015 », septembre 2017, numéro 1029.
- Enquête Emploi Insee 2014.
- Pinville Martine, Poletti Bérengère. Rapport
d'informations de l'Assemblé Nationale, « évaluation du
développement des services à la personne » 2014,
numéro 2437.
- Rapport d'enquête du CEE, « Connaissance de
l'emploi », août 2015, numéro 123.
- Rapport de l'assurance maladie « Rapport
d'activité 2017, AGIR ENSEMBLE, PROTÉGER CHACUN »
45
- Rapport de la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour
l'Autonomie) : « Les chiffres clés de l'aide à l'autonomie
2019 »
- Rapport du ministère de la Santé et des
Solidarités 2018 : « Personnes âgées : les chiffres
clés »
- Rapport de l'UNA (Union Nationale de l'Aide,des Soins et des
Services aux Domiciles ) 2017 : «Aide à domicile, des emplois pas
que pour les femmes ! »
Site :
- «AMP, AVS DEAES : quelles différences ? »,
ADRAR Formation, Web. 15 avril 2020.
https://www.adrar-formation.com/content/amp-avs-deaes-quelles-différences-0
46
ANNEXES
- Échantillon des personnes interrogées
- Cartographie des cinq organismes des AVS interrogées -
Extrait d'un article de presse
- Grille d'entretien pour les personnes âgées
47
48
Cartographie des cinq organismes des AVS
interrogées
49
Article de Presse
50
51
Grille d'entretien : personne
âgée
Presen:aaor
|
Quel est votre âge ?
vivez-vous seul(*) ?
Depuis combien de temps faites-vous appel aux services
d'aide à domicile ?
Quels actes de la vie quotidienne ne pouvez-vous plus
faire seul ?
|
Contacts) avec l'association
|
Comment a été fixé le nombre
d'heures d'intervention ? Etes-vous satisfait ?
Etes-vous en contact régulier avec les
responsables de l'association ?
Entretenez-vous de bons rapports avec eux Si
non, pour quelles raisons ?
|
Aides
|
Aide(s) sociale(s)
|
Est-ce que vous touchez des aides pour payer vos aides
à domicile ? (APA, aide de la mutuelle,..) si oui, vous avez droit
à combien d'heures remboursées ? Est-ce que cela est
suffisant
|
Aide(s) de l'entourage
|
Avez-vous des personnes autour de vous Qui viennent vous
aider en dehors des auxiliaires de vie ? (famille, voisinage,_..}
|
Interventions des auxiliaires
|
Accompagnement
|
Combien d'auxiliaires de vie interviennent dans votre
domicile ?
A quelle fréquence interviennent-elles
?
Pour quelles tâches de la vie quotidienne avez-vous
besoin d'elle(s) ?
vous est-il déjà arrivé que vous
demandiez à des AVS des services supplémentaires en dehors de
leurs fonctions?
|
Absence(s) et retard(s)
|
vous arrive t- il de recevoir des auxiliaires en retard?
qui s'absentent'
Est-ce qu'il est déjà arrivé que
personne ne puisse remplacer une de vos auxiliaires absente ? Comment
faites-vous dans ces situations ?
|
Manque de formation
|
Est-il déjà arrivé qu'une Av5 ne
sache pas faire ce que vous lui demandez ?
Est-ce qu'il y a eu des risques d'accidents ou des
accidents ?
|
Epuisement professionnel
|
vous est-il déjà arrivé de recevoir
des auxiliaires de vie fatiguée moralement et/ou physiquement lex :
troubles musculaires}
Que faites-vous dans ce genre de situation ?
|
Conflits) relationnels
|
J
Etes-vous déjà rentré en conflit
avec une de vos Av5 ? Si oui, pour quelle(s) raison(s) ?
|
Cas marquant
|
Pouvez- vous me raconter une situation qui vous a
particulièrement marquée dans l'accompagnement avec une AVS
?
|
- r
|
Qu'est que vous aimeriez qui change ou s'améliore
dans l'accompagnement avec vos Av5?
|
|
|